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Full text of "Le Roman de Renart, publié par Ernest Martin"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.archive.org/details/leromanderenartp01mart 


Préface. 


Il  y  a  bien  longtemps  que  j'ai  commencé  à  m'occuper 
de  la  nouvelle  édition  du  roman  de  Renai't,  dont  je  publie 
aujourd'hui  le  premier  volume.  En  1868  j'ai  collationné 
les  manuscrits  des  bibliothèques  de  Paris,  en  1869  celui  du 
Vatican;  en  1870  ceux  qui  se  trouvent  ou  qui  se  trouvaient 
alors  en  Angleterre.  Depuis,  j'ai  pu  me  servir  du  manuscrit 
de  Turin  et  de  plusieurs  fragments,  dont  deux  ont  été  publiés, 
l'un  par  M.  G.  Paris  dans  la  Bommila  III  (1874)  p.  373  à 
376,  l'autre  d'une  part  par  M.  E.  Teza  (Pisa  1869)  et  d'autre 
part,  d'après  un  manuscrit  différent,  par  M,  R.  Putelli,  Gior- 
nale  di  filologia  Romanza  II  (1880)  p.  153 — 163. 

Avant  de  connaître  les  textes  publiés  par  MM.  Paris 
et  Putelli,  j'avais  déjà  rendu  compte  des  autres  manuscrits 
dans  mou  Examen  critique  des  manuscrits  du  roman  de  Benart 
(Bâle  1872),  brochure  dont  on  peut  encore  se  procurer  des 
exemplaires  à  la  librairie  Schweighauser  (B,  Schwabe)  à  Bâle. 

A  cette  époque  j'espérais  finir  en  peu  de  temps  l'édi- 
tion que  je  préparais.  Je  n'ai  pu  publier  alors  qu'une  seule 
branche',  celle  du  Pèlerinage  Renurt^  dans  les  Roinanische  Stu- 
dien  de  E.  Bohmer  II  (1873)  p.  410—437.  J'y  ai  exposé 
les  raisons  qui  m'ont  forcé  à  remettre  le  reste  do  mon 
ouvrage  à  une  époque  plus  favorable.  Malheureusement  ce 
retard  s'est  bien  prolongé  à  cause  des  obligations  que  m'impo- 
saient d'autres  devoirs. 

Reprenant  tout  d'abord  une  partie  des  indications 
données  en  1872.  je  commence  par  la  description  des  manuscrits 


que  je  connais  et  dont  j'ai  pu  —  à  ime  exception  près  —  me 
procurer  des  collations  complètes.  J'emploie,  pour  désigner  les 
manuscrits,  les  mêmes  notations  que  dans  mon  Examen  critique. 

A,  à  Paris,  à  la  liibliothèque  Nationale,  fonds  français 
20043  (ancien  S.  (lermain  i  980  et  auparavant  2733).  Ce 
manuscrit  provient,  comme  ou  l'apprend  par  une  étiquette  collée 
au  bas  du  recto  du  premier  feuillet,  ex  bihliotlteca  mss.  Cois- 
liniana.,  olim  Seyiieriuna,  quant  JUustr.  Henricus  du  Camhout, 
Dux  de  CoisUn,  Par  Franciae,  Episcopus  Metensis  .  .  .  locavit 
An.  M.  DCC.  XXXII.  Il  est  du  XlIP  siècle,  sur  vélin  in- 
4"  (les  pages  ont  23  centimètres  de  haut  sur  16  de  large). 
Il  no  contient  plus  que  146  feuillets  et  un  très  petit  frag- 
ment du  147",  dont  le  verso  est  en  blanc,  ce  qui  prouve 
que  c'est  bien  le  dernier  feuillet  du  manuscrit.  Mais  le  manu- 
scrit complet  avait  160  feuillets,  car  13  feuillets  ont  été  égarés, 
savoir:  un  après  le  fol.  24  (ayant  contenu  les  vers  1  —  131 
de  la  branche  II,  d'après  mon  édition*),  trois  après  le  fol. 
31  (branche  III  45—453),  quatre  après  le  fol.  40  (br.  II 
1025—1396.  Y  1-145),  un  après  le  fol.  41  (br.  VI  137  à 
270),  un  après  le  fol.  48  (br.  YI  1220-1356J.  un  après  le  fol.  81 
(br.  IX  1637  —  1767),  un  après  le  fol.  113  (br.  X  282— 410),  un 
après  le  fol.  144  (br.  XI 2969—3103).  En  outre  le  fol.  9  a  été  mu- 
tilé en  bas  à  la  marge,  le  fol.  32  en  haut  à  gauche  du  recto. 
Quelques  feuillets  ont  été  recousus  ou  recouverts  de  papier 
végétal,  C!"  qui  les  rend  difficiles  à  lire:  ce  sont  les  fol.  i6 
verso  en  bas,  145  recto,  146  verso.  L'écriture  de  la  première 
page  du  manuscrit  a  été  un  peu  effacée  par  les  doigts  des  lecteurs. 

Chaque  feuillet  a  4  colonnes,  qui  contiennent  chacune 
28  à  43  lignes.  Quelquefois  deux  vers  sont  réunis  sur  la  même 

*  Voici  lii  concordance  des  brandies  de  mon  édition  avec  celles  de 
Méon:  br.  I  =  Méon  20.  21.  22;  II  =  l'-'s.  5.  Ô-^'ob.  15,  I337_7ib.  ni  = 
3.  3.  4  ;  IV  =  13  ;  V  =  18.  1'i--T4s.  19  ;  VI  =  24  ;  VII  =  31  ;  VIII  =  23  ; 
IX  =  25;  X  =26;  XI  =  30;  XII  =  28;  XIII  =  8.  9.  10;  XIV  =  29; 
XV  =  62'»9''.  7;XVI  =  11;  XVII  =  32;  XVIII  =16;  XIX  =  17;  XX 
=  12;  XXI  =  14;  XXII  =  27;  XXIII  =  35  (Le  mariage  du  lion, 
inédit);  XXIV  =  V^  ^ss;  XXV  =  33  (Pincart  le  héron,  éd.  Chabaille 
Supplément  des  romans  du  Renart  p.  1);  XXVI  =  34  (De  l'andouille 
qui  fu  jouée  à  la  marelle,  éd.  Chabaille  \).  13):  XXVII  =  36  (Renart 
et  la  chèvre,  éd.  Teza  et  Putelli). 


ligne,  d'autrefois  un  seul  vers  occupe  deux  lignes.  Apparem- 
ment les  scribes  avaient  l'intention  de  terminer  quelques 
branches  exactement  à  la  fin  des  feuillets  en  élargissant  ou 
en  resserrant  leur  écriture.  C'est  ainsi  qu'on  peut  reconnaître 
que  le  manuscrit  se  compose  de  quatre  parties  différentes,  dont 
les  trois  premières  se  terminent  respectivement  avec  les  fol.  24, 
fol.  40  (anciennement  48),  et  fol.  58  (celui-ci  était  le  68"*  du 
volume  complet).  La  première  ligne  du  feuillet  suivant  se  trouve 
indiquée  comme  réclame  à  droite  au  bas  des  feuillets  8^.  31'*.  47^ 
.54^  66".  74^  89^  97^  105^   113".   120".   128".  136".  144". 

Plusieurs  scribes  paraissent  avoir  travaillé  à  ce  manuscrit: 
car  l'écriture  est  plus  fine  et  plus  carrée  du  fol.  17  au  fol.  24, 
du  fol.  32  au  fol.  ô8,  et  dans  la  partie  finale  du  msc.  à  partir 
du  fol.  123''.  On  ne  saurait  louer  les  scribes  ni  pour  leur  con- 
naissance de  l'orthographe  ni  pour  le  soin  qu'ils  ont  mis  à 
faire  leur  copie.  Le  texte  offre  une  foule  de  fautes,  dont  une 
partie  a  été  corrigée  immédiatement  par  l'exponctuation  des 
lettres  fautives.  On  trouve  beaucoup  d'abréviations,  prin- 
cipalement pour  les  noms  propres  (p.  ex.  B.  pour  Benars 
ou  Renart,  tij.  pour  Tyhei's  ou  Tyhert^  y' .  pour  Ysengrhis  ou 
Ysen(jrln^  h',  pour  Hersens  ou  Hersent)  et  pour  les  petits 
mors  qui  reviennent  souvent  (niW  =--  molt,  s.  =  seint,  '^l  et  l  = 
et,^  =  est).  Vn  point-virgule  suit  quelquefois  les  interjections. 

Le  manuscrit  A  ne  contient  ni  miniatures  ni  titres  pour 
les  branches;  cependant  dos  initiales  majuscules  plus  grandes 
que  les  initiales  coloriées  ordinaires  des  alinéas  se  trouvent 
aux  fol.  1"  (branche  I),  32^  (br.  IV),  4^  (br.  VI),  50  (br. 
VII),  56"  (br.  VIII),  b'.r  (br.  XII),  69"  (br.  IX),  85"  (br. 
XIII),  93-^  (br.  XIV),  111"  (br.  X),  123"  (XI). 

B.  à  Paris,  Bibl.  Nat.,  fonds  français  371  (ancien  68 
Cangé).  Au  fol.  V"  ou  lit  à  gauche  en  haut:  /.  P.  G. 
Châtre  de  Cangé  1727.  Le  fol.  189"°  et  la  moitié  du  fol. 
190''''  sont  remplis  par  les  actes  de  baptême  des  enfants  du 
Seigneur  d'Orayson  à  Cadenet  (dép.  Vaucluse),  qui  naquirent 
de  1513  à  1520. 

Le  manuscrit  est  sur  vélin  in-1"  (26  cm.  de  haut  sur 
20  de  large).  Le  texte  du  roman  comprend  189  feuillets  à 
4  colonnes,  de  30  lignes  chacune.  Les  trois  feuillets  de  garde 


du  commencement  et  celui  de  la  fin  ont  été  laissés  en  blanc, 
de  même  les  trois  feuillets  78''"^,  79  et  80:  Cangé  s'en  est 
servi  pour  combler  les  lacunes  du  texte,  et  de  plus,  il  a  ajouté 
encore  sur  les  marges  des  variantes  tirées  du  msc.  I.  A  la 
fin  du  te\te,  c'est  à  dire  au  fol.  189",  il  a  ajouté  les  deux 
derniers  vers  de  ce  dernier  manuscrit.  'L'écriture  du  msc.  \\ 
paraît  être  d'une  seule  main,  du  XIIP  siècle  ou  du  com- 
mencement du  XIV;  elle  est  très  élégante,  mais  aussi  bien 
fautive. 

On  y  trouve  des  initiales  majuscules  agrandies  et  des  ru- 
briques : 

au  fol.  28"  (branche  IV)  Cest  la  branche  corne  B.  Fist 
.y.  entrer  on  puis; 

au  fol.  32*  (br.  II)  Cest  la  branche  de  R.  et  dy.  com  II 
issirent  de  la  mer; 

au  fol.  43''  (br.  XV)  Cest  des  .II.  prouolres  qui  aloient 
au  sane  5  [=  et^  de  tiebert  le  chat; 

au  fol.  ■4.')'*  (br.  XX)  Cest  dysengrln  5  de  la  iiiment  ; 

au  fol.  46*  (br.  XXI)  Cest  de  lors  et  dysenyrin  5  dou 
vilain  con  il  mostrerent  lor  eus; 

au  fol.  47"  (br.  II  843)  Cest  la  branche  corne  B.  dut 
inrer  le  sairement  a  .y. 

au  fol.  61**  (br.  VI)  Cest  la  branche  de  la  bataille  de 
renart  et  dy. 

au  fol.  74''  (br.  VIII)  La  confession  Benart  [titre  ajouté 
par  Cangé  à  l'encre  noire  sur  un  grattage]; 

au  fol.  81^  (br.  IX)  Cest  de  lors  et  de  B.  et  dou  uilain 
lietart  ; 

au  fol.  99"=  (br.  XII)  Con  ment  B.  et  T.  li  chaz  chan- 
tèrent nespres  %  matines  ; 

au  fol.  IIP  (br.  III)  Cest  la  branche  de  B.  com  il  fu 
getez  en  la  charrete  au  pessoniers  ; 

au  fol.  11 4'^  (br.  III  377)  grande  majuscule  initiale; 

au  fol.  116''  (br.  XXII)  Cest  la  brandie  corne  B.  parfist 
le  con  ; 

au  fol.  122''  (br.  VII)  Cest  la  branche  corne  B.  menia 
son  prouoire; 

au  fol.  127''  (br.  XVIII)  Cest  dysenyrin  5  de  prestre 
martin  ; 


au  fol.  12S'^  (br.  XIX)  Cest  dy.  et  de  la  iument  [écri- 
ture de  Cangé  à  l'encre  noire]; 

au  fol.  129'  (br.  XYIII)  Cest  la  branche  de  .y.  et  de  R. 
et  don  gresillon  ; 

au  fol.  132'^  (br.  XYJ)  Cest  de  R.  et  dy.  et  dou  lyon 
com  il  départirent  la  proie; 

au  fol.  145"  (br.  X)  Cest  la  branche  de  Roiart  si  corne 
il  fa  mires  ; 

au  fol.  161^  (br.  XI)  Cest  la  branche  de  R.  coin  il  fu 
empereres. 

C,  à  Paris.  Bibl.  Xat.  fonds  franc.  1579  (ancien  7607. 
auparavant  1308).  Ce  manuscrit  appartenait  à  la  bibliothèque 
du  roi  Charles  IX.  Il  est  sur  vélin,  in-4'-  (28  cm.  de  haut 
sur  19\''2  de  large),  du  XIIP  ou  du  commencement  du 
XIV*  siècle.  Les  feuillets  ont  -4  colonnes,  de  40  lignes  cha- 
cune: le  dernier  porte  le  numéro  159.  Mais  du  4™^  il  ne 
reste  plus  qu'un  fragment:  ce  feuillet  contenait  une  partie  de 
la  br.  II  et  le  commencement  de  la  br.  XXIY:  puis  il  manque 
un  feuillet  après  le  159°*,  ce  qui  nous  fait  perdre  la  fin  de 
la  branche  XYII.  La  partie  supérieure  du  fol.  159'°,  qui 
contenait  26  et  24  vers,  a  été  grattée.  Quelques  feuillets 
ont  perdu  leur  ordre  par  la  faute  des  relieurs:  pour  le  réta- 
blir il  faut  faire  suivre  les  fol.  147.  148.  146.  151.  149. 
150.  Des  réclames,  en  partie  coupées  par  le  relieur,  se  trou- 
vent au  bas  des  fol.  S\  32^  68^  72^  88^  96''.  104-.  120^ 
136^  152"*.  Du  reste  ce  manuscrit  est  bien  conservé.  Il  est 
probable  qu'il  est  l'œuvre  d'un  seul  scribe  qui  y  a  mis  beaucoup 
de  soin. 

Au  fol.  1"  se  trouve  une  miniature,  qui  occupe  les  13 
premières  lignes  de  la  colonne.  On  rencontre  des  rubriques 
et  des  majuscules  initiales  coloriées  plus  grandes  que  les  ma- 
juscules  coloriées    ordinaires  : 

aux    fol.    r    (branche   II)    Ci   co H   romanz   de 

R  .  .  .  .  t;  [ce  titre  est  à  peu  près  effacé.] 

f.  5'  (br.  III)  Si  conmeR.  mania  le  poisson  ans  charretiers; 

f.  6'  (III  165)  Si  conme  renart  fst  ysanyrin  moine; 

f.  7'^  (III  377)  Si  conme  R.  fst  peschier  a  ysanyrin  les 
angiiiles; 


—      VIII      — 

f.  S^  (I  23)  Si  comne  renart  prist  chantecler  le  coc  ; 

f.   15"  (XIII)  Si  comne  renart  coupa  a  ti/bert  h(  cjneue  ; 

f.  17*  (XIII  202)  Si  conme  renart  fi st  pmaut  le  frère 
ysangrin  prestre  ; 

f.  2V  (XIII  505)  Si  comne  M.  et  pmaut  vendirent  les 
uestemenz  au  prestre.  por  vn  oijson  ; 

f.  28*  (V  289)  Si  comne  ysangrin  sala  plaindre  de  R.  a 
la  cort  le  roi; 

f.  36"*  (I)  Si  comne  renart  concilia  brun  li  ours  du  miel; 

f.  50'  (I  2205)  Cest  si  conme  renart  fu  taintiiriers ; 

f.  53*  (I  2625)  Si  comne  renart  fu  ingleeur  ; 

f.  56*  (I  3095)  initiale  coloriée  agrandie; 

f.  56"^  (XVI)  Ci  conmance  si  conme  nobles  .R.  et  ysan- 
grin partirent  la  proie; 

f.  57*  majuscule  initiale  agrandie; 

f.  66"  (XV  347)  Cest  de  tybert  le  chat  et  des  IL 
prestres  ; 

f.  ^1^  (XX)  Si  conme  ysangrin  parti  la  terre  a  us  .II. 
moutons  ; 

f.  68*  (XXI)  De  lours  et  du  lou  et  du  vilain  qui  monstre- 
rent  leur  eus  ; 

f,  69*  (II  843)  De  R.  si  conme  il  concilia  le  corbel  du 
froumage  ; 

f.  70*  (XVIII)  Cest  de  prestre  martin  et  du  lou  ysangrin  ; 

f.  71*  (XIX)  Cest  de  la  Jumant  et  de  ysangrin; 

f.  7r  (II  469)  Cest  le  desputement  de  la  mésange  et  de 
renart  ; 

f.  72*  (V)  Cest  le  songe  Renart  si  conme  ysangrin 
le  bâti; 

f.  76"^  (IV)  Si  comne  renart  fist  aualer  .y.  dedenz  le  puis  ; 

f.  80*"  (VII)  Si  conme  renart  uolt  manger  son  conf  essor  ; 

f.  85*  (Vni)  Si  comnence  le  pèlerinage  renart  con  il 
ala  a  rome; 

f.  88""  (VI)  Cest  la  bataille   de  renart  et   de   ysangrin; 

f.  99*  [d'une  autre  main:|  Si  cum  R.  mis  la  cresta 
al  ctin; 

f.  100"  (XXII). 

Enfin,  aux  fol.  119^  (X),  131"  (XI),   152*  (XVII)  il  y  a 


des  majuscules  initiales  coloriées  agrandies.     Une   main   mo- 
derne   a  ajouté  au  f.   152'  La  mort  renart. 

I).  à  Oxford.  Bibliothèque  Bodléienne,  ms.  Douce 
360.  Autrefois  ce  msc.  appartenait  à  la  bibl.  du  duc  de  la 
Vallière.  et  y  portait  le  numéro  2717.  Une  note  inscrite 
au  verso  d'un  feuillet  de  garde  non  numéroté,  donne  cette 
indication:  cente  de  Morel  de  Vinde,  Paris  1823. 

Ce  msc.  a  été  écrit  en  1339,  comme  l'indique  le  post- 
scriptum  du  fol.   167": 

Lan  mil  .CCC.  et  trente  nnef 
F  fil  ce  Uiire  acôpli  tout  ttuef 
Descriptiire  ou  il  ot  gnt  paine 
Tout  droit  deiiant  la  magdalaine 
Le  uendredi  si  comne  dist 
Li  escriiiains  qui  tout  lescripst 
Liez  fil  quant  jist  la  fin  du  liure 
Car  lors  fu  de  ixiine  deliure. 
Le  msc.  est  sur  vélin,  grand  in-4"  (31   cm.  de  haut  sur 
23  de  large)  et  il  contient  157  feuillets.    C'est  par  suite  d'une 
erreur  que  les  feuillets  qui  suivent  le  fol.  87  portent  les  nu- 
méros 98  à   167.    Chaque  feuillet  a   4  colonnes  de  40  lignes. 
Chaque  quaternion  est  indiqué  par  une  réclame  au  bas  de  la 
dernière  colonne.     On  y  rencontre  quelques  corrections,  dont 
la  plupart  ne  paraissent  pas  être  tirées  d'un  autre  manuscrit. 
Le    manuscrit   contient    15    miniatures    et    les  rubriques 
suivantes  : 

fol.  1"  (branche  I)  initiale  majuscule  coloriée  plus  grande 
que  les  initiales  coloriées  ordinaires; 

f.  21''  (b.  II)  <S'/  conyne  .B.  emporte  .1.  coc  que  il  a  pris 
en  .1.  parc  auc  ^lisez  auecj  pluseurs  r/elines.  Et  une  famé 
5  uilains  le  chacerent  a  chiens  et  a  basions;  et  le  coc  sen 
eschapa  par  barat; 

29'=  (II  843)  ^S'^'  comne  .R.  est  dessous  un  fou  ou  il 
auoif  .1.  corhel  qui  mengoit  J.  fourmage  et  R.  Jist  tant  que 
il  li  chai  a  terre; 

33'  (III)  Si  comme  R.  jist  le  mort  emi  la  noie  pour 
deceuoir  charretiers  qui  portoient  harens  fres  et  auguiles,  dont 
il  enporta  grant  quantité; 


36'  (VI)  Si  conme  II  hjons  tient  feste  ;  /  auoit  pen- 
seurs testes,  qui  mengoient  5  faisaient  ioie  et  si  conme  le 
tesson  y  amaine  M. 

46''  (IV)  Si  conme  R.  et  .//.  sont  chascun  en  .1.  seel 
dedens  vn  puis  .R.  a  montant  et  .y.  aualant  ; 

57"  (XII)  Si  conme  .R.  ua  après  .1.  tropel  de  (jelines 
et  par  illec  passait  .1.  abbe  qui  menait  garçons  qui  méfiaient 
chiens  si  li  firent  perdre  sa  proie; 

66''  (VII)  Si  conme  R.  est  dedenz  .1.  gelinier  et  plus' 
moines  le  bâtent  de  basions  ; 

72*"  (VIII)  Si  cotime  R.  se  confesse  a  .1.  hermite  deuant 
qui  il  est  agenoillie.  et  après  si  conme  il  sacheminerent  a  aler 
a  romme  lui  et  belin  le  mouton  et  bernart  lasne; 

75''  (IX)  Si  conme  .1.  uilain  maine  une  charrue  a  .VIII. 
bues.  Et  .1.  ours  deuant  lui  qui  en  ueult  auoir  .1.  Et 
dautre  part  le  uilain  qui  demande  conseil  a  R.  conme  il  sen 
cheuira  ; 

99"  (XIII)  Si  corne  thibert  le  citât  est  en  vne  huche  et 
hume  plain  pot  de  lait.  Et  .R.  le  soustient  le  couuercle  de 
la  huche  \ 

106"  (XIV)  Si  conme  R.  ist  dun.  bois  et  entre  en  .vn. 
chastel  par  un  pont  tourneis.  Et  pluseurs  gens  a  chenal 
alans  après  qui  le  chac oient  ; 

120'^  (X)  Vn  ch'r  qui  chace  R.  et  il  entra  en  .vn. 
chastel; 

131°  (XI)  Si  conme  .R.  lie  ysengrin  dune  corde  par  les 
.iiij.  pies  dessous  .1.  arbre  ou  il  sestoit  endormi; 

\b2^  (KYÏ)  Si  co)inie  .1.  vilain  a  pris  .R.  en  .1.  roisseul 
et  le  prent  par  le  pie  et  .R.  le  mardi  si  fart  que  le  uilaint 
paillart  li  crie  merci; 

162''  (XVII)  Si  conme  .R.  arrache  a  .1.  mairie  blanc 
la  caille  car  il  auoit  féru  dun  baston  a  lissue  dun  parc  ou 
il  auoit  gelines  et  cJutpons  que  R.  auoit  cstrangles. 

E,  à  Londres,  British  Muséum,  Additionnai  15229. 
D'après  une  note  sur  le  feuillet  de  garde  du  comnienccmeut, 
ce  manuscrit  a  été  acheté  at  Brights  sale  1844.  Il  est  sur 
vélin,  du  XIV*  ou  peut-être  même  du  XV"  siècle.  Les  feuil- 
lets ont  29  cm.  de  haut  sur  22  de  large.    On  en  compte  au- 


jourd'hui  124,  chacun  de  4  colonnes  à  40  lignes;  mais  les 
restes  de  l'ancienne  pagination  font  voir  qu'il  manque  18 
feuillets  au  commencement,  et  de  plus  les  deux  feuillets  qui  por- 
taient autrefois  les  numéros  XXIII  et  XXIV,  de  sorte  que 
les  vers  1  —  2880  de  la  branche  I  et  les  vers  298—614  de  la 
branche  II  ont  été  perdus.  C'est  par  la  faute  du  relieur  que  les 
fol.  11  à  36  de  la  pagination  actuelle  suivent  les  fol.  3  à  10, 
La  nouvelle  pagination  compte  encore  les  deux  feuillets  de 
garde.  En  les  défalquant,  il  reste  142  feuillets  (  =  124  + 
18  4-2  —  2)  comme  contenu  ancien  du  manuscrit.  Il  y  a 
des  réclames  sous  les  colonnes  XXXÏP  (ici  je  me  sers  de 
l'ancienne     pagination).     XXXVIIl.     XLVI.  '  LXII.     LXX. 

XX  XX 

LX?XYIII.  IIII^XYiiij,  Cjii.  C5^.  C5XVIII.  VI5YI. 
VÎ5XVIII. 

Des  miniatures  assez  mauvaises  et  des  initiales  coloriées 
agrandies  se  trouvent:  aux  fol.  13"  (branche  II);  19"  (br, 
IX)  ;  38"  (Il  843);  6"  (YI):  42'' (lY);  53-^  (XII);  63"  (^'H); 
67"  (YIII);  70^  71"  (XIII);  77"  (XIY);  92=  (X);  103"  (XL) 

A  la  lin  du  manuscrit,  fol.  124^  en  haut,  on  lit:  ExpU- 
cit  le  romans  deRenart;  en  outre,  au  dessous  de  la  branche 
XXIY:  Ici  Jaut  le  romanz  de  i?.,  et  à  la  fin  de  la  branche 
XII:  Explidt  c.  d.  v.  l.  f.  r.  (^* 

F,  à  Cheltenham,  dans  la  bibliothèque  de  feu  Sir  Tho- 
mas Philipps,  portant  le  n'^  3634.  Ce  manuscrit  a  été  acheté 
de  Lang  1828.  A  la  fin  du  msc.  on  voit  ajoutée  cette  note 
presque  illisible  Le  XViij  iour  dcmril  mil  cinq  cens  trente  le 
Boy  François  Premier  coucha  au  cliasteau  de  Lezim. 

Le  manuscrit  est  sur  vélin,  problablement  du  XY"  siècle 
ou  même  du  commencement  du  XYP.  C'est  un  grand  in-40 
(29  cm.  de  haut  sur  20  de  large).  Il  contient  17  quaternions 
complets,  munis  chacun  de  la  réclame  au  bas  de  la  dernière 
colonne,  et  un  18°'  de  6  feuillets,  ce  qui  fait  en  tout  142 
feuillets.  Les  feuillets  ont  4  colonnes,  chacune  de  40  lignes, 
excepté  les  colonnes  avec  places  restées  libres  pour  les  mi- 
niatures, mais  qui  n'en  ont  point  reçues. 


*  Je  n'ai  i)as  trouvé  la  solution  de  l'énigme  que  présentent  ces 
lettres. 


Des  initiales  majuscules  coloriées  agrandies  se  trouvent 
aux  fol.  r^bi-anchel):  2P  (br.  Il);  29^\lX)  ;  43^11843); 
46^'  (II);  50'  (Yr:  60"  (lY);  71"  (XIII);  81"  (YII  81);  85" 
(YIII);  89"  (XIII);  93"  (XIV);  IIOMX):  121"  (XI).  Il  n'y 
a  pas  de  rubtiques;  on  lit  simplement  la  note  suivante  à  la 
fin  du  manuscrit,  au  fol.   142":  ExpUcit  le  romans  de  BenaH. 

Cette  note  finale  est  la  même  que  celle  du  msc.  E,  qui  a  le 
même  nombre  primitif  (142)  des  feuillets  que  le  msc.  F.  comme 
aussi  la  suite  des  branches  est  la  même  dans  les  deux 
manuscrits.  Aussi  le  texte  du  msc.  F  est  il  basé  sur  celui 
de  F.  Une  seule  preuve  suffira  pour  le  montrer.  La  colonne 
fol.  31"  de  F  est  répétée  sur  la  colonne  fol.  32'',  et  la  col. 
f.  21"  du  msc.  K,  qui  contient  les  mêmes  v<.>rs,  est  égale- 
ment répétée  sur  la  col.  f.  22'.  Il  y  a  des  variantes  dans 
les  colonnes  répétées,  et  ces  variantes  sont  encore  les  mêmes 
dans  les  deux  manuscrits:  seulement  le  scribe  du  msc.  F  a 
commis  quelques  fautes  de  plus.  Ainsi  le  vers  360  de  la 
branche  IX  se  lit  dans  le  msc.  F  fol.  32"  avec  la  variante 
Et  ie  lanrai  autant  chier,  de  mrme  dans  le  msc.  F  fol.  22''' 
Et  ie  lauray  autant  chier;  le  v.  liOl  se  lit  dans  F  fol.  32" 
avec  une  inversion  qui  fait  perdre  la  rime  sur  mein:  Je  estoie 
hui  matin  trop  aise^  de  même  dans  le  msc.  F  fol.  22"  Jestoie 
huij  matin  trop  aise.  Les  différences  mêmes,  qui  existent  entre; 
K  et  F,  s'expliquent  en  partie  par  rinsouciance  avec  la  quelle 
ce  dernier  a  été  copié  sur  F.  La  majuscule  initiale  agran- 
die, qui  dans  le  msc.  F  se  trouve  non  au  commencement  de 
la  br.  YII,  mais  bien  après  le  v.  80 ,  a  obtenu  cette  place 
parceque  dans  R  la  miniature  a   été   reculée  jusqu'à  ce  vers. 

J'ai  donc  cru  pouvoir  me  dispenser  de  collationuer  le 
msc.  F  en  entier:  c'est  là  le  seul  manuscrit  dont  je  ne  possède 
pas  toutes  les  variantes. 

(J,  à  Paris,  Bibliothèque  Nat.  fonds  franc.  1580  (ancien 
7607  5  et  auparavant  967).  Au  recto  du  premier  feuillet  de 
ce  manuscrit  on  lit  ces  deux  noms  écrits  par  une  main  an- 
cienne: Boderholh  Reijms.  Au  fol.  147  quelques  mauvais  vers 
latins  ont  été  ajoutés  postérieurement  au  texte  du  roman. 

Le  manuscrit  est  sur  vélin,  de  la  seconde  moitié  du 
XIY"  siècle.    Il  est  grand  in-40  (31 1/2  cm.  de  haut  sur  23  de 


large).  Il  contient  actuellomeut  147  feuillets  à  4  colonnes 
de  40  ligues  chacune.  Un  feuillet  manque  au  commencement; 
il  doit  avoir  contenu  les  vv.  1  —  120  de  la  branche  1.  Il  y  a 
des  réclames  à  la  fin  de  chaque  quaterniou.  L'écriture  des 
feuillets  46"  à  57'*  paraît  être  d'une  autre  main  que  le  reste. 
Des  miniatures  assez  grossières  et  des  initiales  coloriées 
agrandies  se  trouvent  aux  fol.  20"  (bianche  II j;  34"  (br. 
IX);  48"  (br.  II  848);  55''  (br.  YI)  ;  64''  (br.  IV);  75"  (br. 
XII);  85"  (br.  Yll);  93''  (br.  Xlll);  m"  (br.  XIY);  IW 
(br.  X  )  ;  125"  (br.  XI).  A  la  fin  du  roman  on  lit  :  Explicit  de  R. 

H,  à  Paris,  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  n"  3334  (auc.  Belles- 
lettres  franc.  195  B). 

Ce  manuscrit  est  sur  vélin  et  de  la  fin  du  XIIP  siècle. 
Il  est  in- 4"  (27  cm.  de  haut  sur  20  de  large).  Il  contient 
170  feuillets  à  4  colonues,  ciiacune  de  41  vers.  Le  scribe 
a  indiqué  la  fin  des  quateruions  en  ajoutant  régulièrement 
des  n'clames  au  bas  de  la  IG''  page.  Entre  le  fol.  109  et  le 
fol.  170  il  manque  6  feuillets,  qui  contenaient  une  partie  de 
la  brandie  XYII. 

Ce  manuscrit  n'a  ni  miniatures  ni  rubriques.  Des  majus- 
cules initiales  coloriées  agiandies  se  trouvent  aux  fol.  1* 
(branche  I):  20^  (br.  YI);  30"  (YII);  35"  (YIII);  38^  (lY); 
SO-^  (XIII);  59"=  (il);  67"  (XY  347);  GS"^  (II  843);  71"  (III); 
74"  (XXYj;  76"  (lY*);  78"^  (IX);  92"  (XII);  105"  (XIY); 
124"  (X);   135"  (XI);  156"  (XVI);  165"  (XYII). 

A  la  fin  du  manuscrit,  au  fol.  170",  on  lit  en  caractères 
noirs  agrandis:  Explicit  li  roumans  de  R.  (cette  note  est  com- 
plètement traversée  par  une  barre  rouge);  et  au  fol.  35",  à 
la  fin  de  la  branche  YII:  Explicit  la  seconde  vie  De  R.  ou 
a  tanthoidie;  enfin,  après  la  br.  X  :  Ici  faut  lafusique  R.  (l'écri- 
ture de  ces  deux  vers  est  la  même  que  celle  des  autres  vers). 

1,  à  Paris,  Bibliothèque  Nationale,  fonds  fraii(,'ais 
12584,    anc.    suppl.    franc,    98 '^      Ce    manuscrit    se    trouvait 

*  Cette  branche  (IV)  se  irouve  donc  deux  fois  dans  lo  nisc.  H; 
mais  ce  sont  plutôt  doux  versions  différoiUos,  dont  ]:i  douxi'mo  s'écarte 
compir-toinf'nt  do  celle  de  tous  les  autres  niainiserits  :  voyez  \i\  Supplé- 
ment de  Cliabaille  p.   13. 


autrefois  daus  la  bibliothèque  de  Sedan,  puis  dans  celle  du 
duc  de  la  Vallièie  où  il  portait  le  numéro  27 18.  Du  temps 
de  Cangé  il  appartenait  à  Mgr.  De  la  Tour  d'Auvergne, 
archevêque  de  Vienne. 

Il  est  sur  vélin,  du  XIY"  ou  du  XY"  siècle,  in-4° 
(28  cm.  de  haut  sur  20  de  large).  11  contient  157  feuillets 
à  4  colonnes,  chacune  de  32  lignes,  excepté  celles  où  se 
trouvent  des  miniatures.  Ces  miniatures,  fort  grossières 
d'ailleurs,  sont  très  nombreuses,  environ  400  ou  500,  et 
chacune  d'elles  remplit  l'espace  de  4  lignes;  rarement  elles 
se  trouvent  ajoutées  en  marge.  Les  feuillets  du  dernier 
quaternion  se  suivent  actuellement  dans  l'ordre  suivant;  152. 
153.  154.  155.  151.  156.  150.  157.  Avant  le  fol.  150  il  en 
manque  plusieurs,  qui  contenaient  la  fin  de  la  branche  XI  et 
le  commencement  de  la  XVI"'". 

Il  n'y  a  pas  de  rubriques.  A  la  fin  du  manuscrit,  on 
lit  en  caractères  noirs  agrandis  Chi  faut  U  romans  de  renart 
Bien  U  chiet  cni  sa  fraude  nart.  Des  initiales  majuscules 
agrandies,  qui  cependant  se  distinguent  quelquefois  à  peine 
des  majuscules  coloriées  des  simples  alinéas,  se  trouvent  aux 
fol.  r  (branche  I);  28''  (br.  YII);  34"  (VIII):  38-  (IV); 
5P  (XII):  59"  (II);  77^  (IX);  92"  (XIII);  108"  (XIV);  126" 
(X);   135^  (XI). 

IjC  texte  de  ce  manuscrit  s'écarte  beaucoup  de  tous 
les  autres:  les  altérations  proviennent  surtout  d'une  ten- 
dance à  raccourcir  les  branches.  L'orthographe  du  scribe 
est  approchée  du  latin:  p.  ex.  adniener)   psaltler,  signifiauce. 

R,  à  Paris,  à  la  bibliothèque  de  S.  A.  R.  le  duc 
d'Aumale.  Ce  manuscrit  est  sur  vélin,  du  XIIP  ou  du  XIV*" 
siècle,  in-folio.  Il  a  260  feuillets.  Les  pièces  en  prose  y 
sont  écrites  sur  4  colonnes,  les  pièces  en  vers  sur  6;  chaque 
colonne  a  généralement  52  lignes.  Le  verso  du  fol.  260  est 
très  usé.  Anciennement  ce  feuillet  était  suivi  par  le  fol. 
252,  qui  finit  au  v.  149  de  la  branche  IV.  Pas  de  rubriques. 
Il  n'y  a  que  le  titre  du  roman  entier  DE  RENART'.  Des 
initiales  majuscules  agrandies  se  trouvent  aux  fol.  244" 
(branche  II);  252"  (br.  IV);  254"  (VI);  259"=  (VII).  A  la 
fin    de  la    branche  VI  (fol.  259'')    on  lit:  Explicit   li  branche 


de   la   bataille   de   B.   et   de  .y.,   et  après  la  YIP  (fol.  252'') 
ExpUcit  II  confessions  R. 

L,  à  Paris,  à  la  Bibliothèque  de  rArsonal,  n°  3355 
(anc.  Belles-Lettres  frauç.  195  C).  Au  premier  et  au  dernier 
feuillet  une  main  du  XYF  siècle  a  inscrit  les  comptes  des 
recettes  d'une  douane  royale  à  Montfaucon:  mais  j'ignore 
lequel   des   nombreux  lieux  de  ce  nom  est  mentionné  ici. 

Le  manuscrit  est  sur  vélin,  du  XIY"  siècle.  L'écriture 
est  peu  soignée.  11  est  in-4°  (21)  cm.  de  haut  sur  21  de 
large).  11  contient  122  feuillets  (non  pas  123,  comme  la 
pagination  actuelle  pourrait  le  faire  croire;  car  le  numéro 
82  manque).  Chaque  feuillet  a  4  colonnes  de  37  à  43  lignes. 
En  fait  de  miniatures,  il  n'y  a  que  de  mauvais  dessins  au 
fol.   r,  représentant  Renart,  Tibert,  etc. 

Des  initiales  majuscules  agrandies  se  trouvent  aux 
fol.  19''  (branche  YI);  28"=  (br.  XII);  37"=  (YIII);  40"=  (I)  ; 
59HXY1II);  60HXIX);  6œ(XX);  6P(XX1);  62"'(XXYIj; 
63"  (XXII);  67"  (XYI);  76^  (Yll);  80»  (lY);  83^  (X)  ; 
94*^  (IX);  103"  (III  377);  104-^  (III);  106"^  (XI).  Il  y  a 
des  titres,  mais  à  l'encre  noire,  au  fol.  19*  (branche  YI): 
Si  vient  conment  E.  dut  Jurer  le  sairement  a  la  volante 
Roienel  le  mastin ,  et  au  fol.  28'  (XII):  Si  comne  B.  Ala  en 
proie.  Des  notes  finales,  également  à  l'encre  noire,  se  trou- 
vent aux  fol.  59",  à  la  fin  de  la  branche  I  :  ExpUcit  de  B. 
con  il  fu  teinz  en  iaune;  fol.  60"  à  la  fin  de  la  branche 
XYI II:  ExpUcit  de  B.  et  de  prestre  martin;  60'  (XIX)  Ex- 
pUcit dijsangrin  et  de  la  inmant ;  62"  (XXI)  ExpUcit;  63" 
(XX Y)  ExpUcit  de  landoille  qui  fui  iuye  es  marreles;  76" 
(XYI)  ExpUcit  dou  coc  qui  baréta  B.;  80"  (YIII)  ExpUcit 
la  confession  de  B,;  94^  (X)  ExpUcit  de  B.  qui  deiiint  mire; 
103^  (IX)  ExpUcit  de  B.  et  de  lietart;  104"  (II)  ExpUcit  de 
B.  qui  Jist  peschier  .y.;  106"  (II,  376)  Ex  .  .  .  pU  .  .  .  cit ; 
123"  (XI)  ExpUcit  de  B.  si  conme  il  fi  emperieres. 

M,  à  Turin,  à  la  Bibliothèque  particulière  de  S.  M.  le 
Roi  d'Italie,  coté  cod.  mise.  151.  Au  verso  du  dernier 
feuillet  on  lit:  A  .  .  .  noble  5  haute  dame  de  yiestelle  (écri- 
ture du  XYI'  siècle;  cette  note  semble  prouver  que  le  manu- 


scrit  se  trouvait  alors  en  Belgique).  C'est  à  M.  Edmond 
Steugxd  que  je  dois  la  première  connaissance  du  msc.   W. 

Le  manusciit  est  sur  vélin,  du  XIY"  siècle.  11  est  in- 
4"  (28  cm.  de  haut  sur  20  de  large).  Il  contient  191  feuil- 
lets à  4  colonnes ,  chacune  de  80  lignes.  Mais  il  manque 
un  feuillet  avant  le  fol.  1,  un  autre  avant  le  f.  45,  deux  avant 
le  f.  90,  un  avant  le  f.  lOl:  la  somme  totnle  des  feuillets 
était  donc  de  196.  Des  réclames  se  trouvent  au  bas  des  fol. 
23",  89^  54^  100^  116'',  132^  16  i^  180",  ISS"";  au  bas  du 
f.   149"  on  lit  encore  le  chiffre  YI. 

Ce  msc.  contient  un  grand  nombre  de  rubriques. 

Au  fol.  2"  {k  la  tin  de  la  branche  XXY)  on  lit:  Cist 
faillent  les  enfances  B.  et  conmance  si  co)ne  il  compissa  les 
lonuiaus: 

au  fol.  5"  (après  la  br.  II)  :  Ici  fenist  corn  B.  conqrissa 
les  loidaus  et  fist  y.  cous  et  commance  si  lom  R.  menga  le 
poisson  au  charretiers  ; 

au  fol.  &"  (après  le  veis  164  de  la  br.  III):  Ici  faut 
si  comme  B.  concJiia  les  charretiers  et  commence  de  .y.  que  R. 
jist  moine; 

au  fol.  7*^  (api es  III  376):  Ci  commance  si  lomme  B. 
fist  pceschier  a  ysenyriii  les  anguilles  ou  uiuier: 

au  fol.  S''  (après  la  br.  III)  :  Ci  commance  de  B.  si  corne 
il  prist  cJtantecler  le  cor  ; 

au  fol.  11"  (^après  II  664):  Iii  fenist  si  comme  B.  prist 
cJiant crier  et  commance  de  B.  et  de  tyhert  le  chat; 

au  fol.  13"  (après  XY  96):  Ci  commance  si  comme 
tyhert  et  renart  trouèrent  landoille  en  .1.  sentier; 

au  fol.  15"  (après  la  br.  XY):  Ici  fenist  de  landoille 
que  tyhert  menia  sanz  B.  et  commance  si  comme  B.  coupa  a 
tyhert  la  queue; 

au  fol.  18"  (après  XIII  202):  Ci  faut  de  B.  et  de  ty. 
et  coiiDuaiice  si  connie  B.  Jist  primaut  prestre; 

au  fol.  23"  (après  XIII  504):  Ici  fard  de  B.  si  con)ne 
il  fist  primaid  estre  prestres  et  conmance  si  conme  il  uendirent 
les  uestemenz  et  changèrent  por  .1.  oison; 

au  fol.  26"  (XIII.  avant  le  v.  540.  au  v.  4!  19  de 
l'édition  de  Méoii):  Ci  faut  de  B.  et  de  primaut  et  commance 
si  comme  primaut  fa  hatus  pour  les  harens  fres; 


au  fol.  27"  (après  XUl  072):  Ci  comauce  de  R.  et  de 
P  si  corne  R   mena  primant  aus  bacons  par  son  enging ; 

au  fol.  29*  (après  XIII  1024):  Ci  commance  si  comme 
R.  prist  P  ou  piège  par  son  grant  harat  qui  ia  ne  faudra  ; 

au  fol.  30''  (après  la  br.  XIIT):  Ci  conmance  dysengrin 
si  comme  il  sala  plaindre  de  R.  en  la  court  le  roi  noble; 

au  fol.  40''  (après  Va  290):  Ci  fenist  si  conme  R.  dut 
fere  h  sairement  a  g.  et  conmance  si  comme  li  rois  noble 
euiioia  (pierre  R.  et  corne  R.  conchia  ses  niessagiers  ; 

au  fol.  44''  (après  I  574):  Ci  fenist  si  comme  bruns  lors 
ala  a  message  a  R.  et  comance  si  comme  R.  prist  b.  lors  au 
chasne  fendu  par  le  groing; 

au  fol.  46"  (après  I  994)  :  Ci  fenist  si  conme  R.  prist 
.b.  lors  ou  chesne  fendu  et  commance  si  conme  R.  se  confessa 
a  grinbert  le  taisson  ; 

au  fol.  50'  (après  I  1620):  Ci  commance  si  comme  R. 
lia  le  roi  et  ses  barons  par  les  (pieues  et  rafaita  la  roine  par 
son  barat ; 

au  fol.  54'  (après  la  2204):  Ci  comance  la  branche  si 
conme  R.  fu  teinturier  ; 

au  fol.  57"^  (après  Ib  2624):  Ici  faut  si  comme  g.  fu 
escoilUez  par  galopin  le  iugleor  et  comance  de  R.  comme  il 
fu  iugleor  aus  noces  sa  famé; 

au  fol.  QiY  (après  Ib  ;î094):  Ci  commance  la  despu- 
toison  de  la  famé  Renart  et  de  la  famé  ysengrin  ; 

au  fol,  61"^  (après  Ib j  :  Ci  commance  si  conme  le  roi 
noble  et  Renart  et  ysengrin  partirent  la  proie  ensemble; 

au  fol.  72"  (après  la  br.  XVI):  Ci  commence  le  mariage 
que  R.  fst  au  roi  noble  le  lyon; 

au  fol.  86*^  (après  la  br.  XXIII):  Si  commance  si  comme 
R.  fst  son  essart; 

au  fol.  89"  (après  la  br.  XXII  330j:  Ci  commance  si 
comme  R.  par  fst  le  con  par  son  engin; 

au  fol.  91"  (après  XV  346):  Ci  commance  de  ty.  le  chat 
et  des  .11.  prestres  ; 

au  fol.  92"  (après  la  br.  XV)  :  Ci  commance  conmant 
ysengrin  parti  la  terre  aus  .II.  moutons; 

au  fol.  93"  (après  la  br.  XX):  Ci  commance  de  tours  et 
du  leu  et  du  nilain  qui  monstrerent  leur  rus  ; 

II 


—       XVlil       — 

au  fol.  1)4"  (après  la  br.  XXI) :  Ci  fenist  de  Jours  et 
du  len  et  du  nilain  qui  mostrerent  lor  eus  et  commance  du 
corbel  et  de  Renart; 

au  fol.  ^b^  (après  II  1024j:  Ci  fenist  du  corbel  et  de  R. 
et  comance  de  la  iumant  et  de  ysengrin  le  leii  ; 

au  fol.  96"  (après  la  br.  XIX)  :  Ci  fenist  de  raisent  la 
iumant  et  de  ysengrin  et  commance  de  prestre  martin  ; 

au  fol.  97''  (après  la  br.  XYIIIj:  Ci  faut  de  prestre 
martin  et  contmance  de  la  mésange-^ 

au  fol.  98"  (après  II  664)  ;  Ci  fenist  le  conte  de  la  mé- 
sange et  commance  le  songe  R.  si  conme  .//.  le  hati  ; 

au  fol.  102"  (après  Y  246j:  Ci  f (eut  de  R.  et  de  y.  si 
conme  il  bâti  R.  et  menia  le  bacon  sanz  lui  et  commance  si 
conme  R.  fist  y.  devaller  ou  puis  ; 

au  fol.  106"  (après  la  br,  IV)  :  Ci  fenist  si  conme  .R. 
fist  .y.  aualer  ou  puis  et  commance  si  conme  R.  uolt  manger 
son  conf essor; 

au  fol.  112'  (après  la  br.  YII):  Si  commance  le  pelle- 
rinage  Renart  si  come  il  uolt  aler  a  rouie; 

au  fol.  116"  (après  la  br.  YIII):  Ci  fenist  le  pellerinage 
R.  si  conme  il  ala  a  ronie  et  coutmance  la  bataille  de  R.  et 
de  ysengrin  ; 

au  fol.  128*^  (après  la  br.  YI)  :  Cy  commance  de  lyetart 
le  uilain  et  de  R.  et  del  ors  cpii  uolt  auoir  le  buef  au  nilain; 

au  fol.  \Ab^  (après  la  br.  IX):  Ci  fenist  de  R.  et  du 
uilain  lietart  et  de  lourz.  Et  commance  si  conme  R.  fu  mires; 

au  fol.  158'^  (après  la  br,  X)  :  Ci  faut  si  conme  Renart 
fu  mires  et  commance  si  con  R.  fu  emperieres  par  son  engin; 

au  fol.  16o''  (après  XI  761):  Ci  conmance  si  comme 
droins  le  moisnel  donna  les  cerises  a  mangier  a  Renart  par 
sa  franchise; 

au  fol.  182''  (après  la  br.  XI):  Ci  comance  la  /(tusse 
mort  Renart  et  sa  procession. 

Au  fol,  UlP  il  y  a  un  Explicit. 

X,  à  Rome,  à  la  bibliothèque  du  Yaticaii,  cod.  Regin. 
1699.  Le  folio  V"  de  ce  msc.  porte  la  note  suivante: 
Achepte  le  26  aonst  1594.  40  sol.  C.  Fauchet  ;  à  la  fin  du 
msc.  on  lit  :  Cest  a  moi  C.  Fauchet.     Après  le  traité  de  To- 


lentino  1795  le  msc.  passa  pour  quelques  années  à  la  Bibl. 
Nat.  à  Paris:  c'est  pendant  ce  temps  que  Le  Giand  d'Aussy 
s'en  servit  (Notices  et  extraits  des  msc.  V,  p.  314),  que  Méon 
en  tira  la  partie  de  la  branche  XYII,  que  ce  msc.  seul  a 
conservée,  et  que  .T.  Griniin  en  fît  ses  extraits:  (Reinhart 
Fuchs  p.  CXIX).  Depuis,  une  nouvelle  description  de  ce 
msc.  a  été  publiée  par  Adalbert  Keller ,  Romvart  (1844)  p. 
438—447. 

Le  msc.  est  in-4''.  sur  vélin,  du  XIV  siècle.  Il  con- 
tient 181  feuillets  à  4  colonnes,  la  plupart  de  32  lignes.  Au 
XVP  siècle,  à  ce  qu'il  paraît,  on  a  numéroté  les  feuillets, 
mais  d'une  façon  très  fautive.  Plusieurs  feuillets  ont  été 
coupés  si  fort  que  de  lettres  entières  ont  disparues.  Par 
une  erreur  du  relieur,  les  fol.  105  à  111  précèdent  actuelle- 
ment les  fol.  112  a  123,  auxquels  il  devraient  faire  suite. 
En  outre,  plusieurs  feuillets  qui  contenaient  probablement  le 
reste  de  la  branche  IX  depuis  le  v.  584,  ont  été  égarés. 
Les  colonnes  111"*  et  US**  sont  laissées  en  blanc. 

Une  miniature  se  trouve  en  fol.  1.  On  rencontre  des 
majuscules  initiales  agrandies  aux  fol.  1"  (au  commencement 
de  la  branche  I);  26''  (br.  II);  36"=  (II  843);  41-'  (XVI); 
52"^  (XYII):  65"  (XIY);  85^  fH);  9œ  (lY):  94<=  (II  23  ss.); 
lOO**  (IX):  112'  (XII);  123'^  (Ya);  128"  (X);  142^  (XI): 
169^  (XIII);  178"  (YIII).  Il  n'y  a  qu'un  seul  titre  rouge, 
celui  de  la  branche  XIY,  au  fol.  65''.  Cl  parole  comnent  .R. 
se  arnica  es  pians;  mais  la  fin  des  branches  est  indiquée 
plusieurs  fois  à  l'encre  noire:  ainsi  après  la  br.  IL  on  lit 
Ci  fenist  li  chapitrez  comnent  .R.  déchut  tieselin  le  corhel  Et 
conment  il  croissn  hersent  Sa  commère  et  compissa  ses  loimiaus. 
La  br.  XY  s'arrête  brusquement  au  v.  116,  auquel  le  scribe 
a  ajouté  ces  deux  vers:  Or  uous  en  soiifise  atant  Que  plus 
nen  dirai  maintenant.  Au  fol.  HP  la  branche  Y  est  ter- 
minée par  ces  mots:  ExpUcit  ceste"  branche  ;  une  main  plus 
moderne  y  a  ajouté  le  premier  vers  de  la  branche  XII. 
Celle-ci,  qui  va  jusqu'au  fol.  123",  porte  la  note  finale: 
ExpUcit  de  la  matière  comment  R.  fu  clers  t'jhert  le  chat. 
A  la  fin  de  la  branche  XI  (f.  169*^)  on  lit:  Kxjdicit  t/cestnl 
conte.  La  fin  du  roman  entier,  au  f.  1S1'\  est  indiquée  par 
ces  mots  :  ExpUcit  le  rommant  de  Renart. 


—       XX       — 

Plusieurs  branches  se  trouvent  deux  fois  dans  ce  msc, 
d'abord  avec  le  texte  du  rase.  A,  ensuite  avec  celui  de  C: 
c'est  à  cette  seconde  partie  du  msc.  qu'appai  tiennent  les 
branches  suivantes  (que  je  numérote  d'après  l'édition  de 
Méon)  I.  IL  III.  IV;  Y.  YI.  1929—2240;  puis  la  br. 
XIX  de  Méon.  La  manière  inattendue  dont  la  br.  YI  est 
interrompue,  peut  faire  croire  que  le  scribe  s'est  aperçu  su- 
bitement que  le  même  récit  se  trouvait  déjà  dans  son  manu- 
scrit: probablement  qu'il  avait  sous  les  yeux  deux  manuscrits 
qui  appartenaient  aux  différentes  classes  de  A  et  de  C. 

Il  y  a  un  autre  fait  qui  éclaircira  peut-être  encore 
mieux  cette  erreur:  c'est  que  différentes  mains  ont  tra- 
vaillé au  msc.  .\.  La  première  a  écrit  les  fol.  1  à  40, 
128  à  181,  la  seconde  les  foL  41  à  104.  112  à  124^  c'est 
à  cette  colonne  qu'une  troisième  main  a  repris  l'ouvrage  en 
écrivant  les  fol.  124"  à  127,  105  à  111.  La  seconde  main 
se  distingue  des  autres  par  une  orthographe  particulière. 

Pour  la  critique,  il  importe  de  ne  pas  confondre  les  deux 
textes  différents  du  msc.  \.  Je  distingue  celui  qui  se  rap- 
proche du  msc.  C  par  la  minuscule  n.  Dans  mon  Examen 
critique  j'avais  proposé  la  notation  Y  ;  mais  elle  aurait  été 
sujette  à  des  erreurs  typographiques. 

Les  manuscrits  que  j'ai  énumérés  jusqu'ici  ont  con- 
servé une  série  plus  ou  moins  longue  des  branches  du  roman. 
Il  y  en  a'  encore  d'autres  qui  ne  contiennent  qu'une  ou  deux 
branches  ou  qui  ne  nous  sont  parvenus  que  dans  un  état 
fragmentaire.  Je  les  distingue  des  manuscrits  de  la  première 
série  par  des  lettres  minuscules.  Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter 
que  la  valeur  de  ces  fragments  n'est  nullement  inférieure  à 
celle  des  manuscrits  plus  complets;  il  y  en  a  même  qui 
présentent  un  texte  très  pur.  Yoici  le  tableau  des  manu- 
scrits incomplets. 

a,  à  la  bibliothèque  de  Lord  Ashburnham,  à  Ash- 
burnham  Place,  près  de  Battle  (Sussex),  où  ce  manuscrit 
porte  le  numéro  242.  Il  a  été  acheté  avec  la  collection 
Barrois  en  1849.  Au  fol.  1"  on  lit:  Petrij  Dupmj  Lïb.  m. 
s.    curai.  Jnscrip    (le    reste    de   l'inscription    a  été  coupé  par 


le  relieur).  C'est  M.  P.  Meyer  qui  m'a  indiqué  ce  manu- 
scrit et  qui  par  sa  reconmiandation  bienveillante  m'en  a 
facilité  la  communication. 

Le  manuscrit  est  sur  vélin,  du  XIIP  siècle,  petit  in-8°. 
Les  pages  n'ont  qu'une  seule  colonne,  qui  comprend  ordinaire- 
ment 30  vers.  Celui  qui  a  numéioté  les  feuillets  en  a 
compté  d2;  mais  il  a  sauté  un  feuillet  après  le  20"'*  et  un 
autre  après  le  22"""  :  le  manuscrit  a  donc  5-4  feuillets.  Il  ne 
contient  que  la  branche  L 

Le  texte  porte  en  tête  une  majuscule  coloriée.  11  n'y 
a  pas  de  titre,  mais  simplement  cette  note  finale:  Explicit 
le  romam  de  Renart.  liC  scribe  de  ce  manuscrit  s'est  servi 
de  peu  d'abréviations  et  en  particulier  les  noms  propres  y  sont 
écrits  en  toutes  lettres.  Même  les  noms  de  nombre  n'y  sont 
que  rarement  exprimés  par  des  chiffres. 

Les  manuscrits  b.  e,  d  ont  ceci  de  commun  qu'il  con- 
tiennent tous  la  même  branche  VIII,  qui  s'y  trouve  au  milieu 
d'autre  poëmes  narratifs  de  peu  d'étendue. 

b:  ce  msc.  se  trouve  à  Paris,  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, fonds  français  S37  (anc.  7218).  C'est  le  célèbre  manu- 
scrit des  fabliaux.  Il  est  écrit  sur  vélin  in-fol.  (31^2  cm. 
de  haut  sur  21  cm.  de  large),  à  4  colonnes  de  50  lignes. 
L'écriture  est  du  XIIP  siècle. 

La  branche  VIII  du  roman  de  Renart  y  occupe  les 
fol.  46^  à  49''.  A  la  fin  de  la  branche  on  lit,  écrit  à  l'encre 
noire  :  Explicit  la  confesiiion  Renart. 

o:  ce  manuscrit  appartient  encore  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  fonds  français  25545  (ancien  fonds  Notre  Dame 
274'''").  Il  est  sur  vélin,  du  XI V  siècle.  Il  contient  166 
feuillets  petit  in-4'':  chaque  feuillet  a  4  colonnes  de  36  lignes. 

La  branche  VIII  du  Renart  y  commence  au  bas  du 
fol.  2P,  et  finit  au  fol.  24''.  Elle  porte  ce  titre  en  rouge 
Ci  ronmence  la  confession  Renart  et  son  pèlerinage,  et  elle  se 
termine  par  cette  note,  également  en  rouge:  Explicit  la  con- 
fession de  renart  et  la  loiaidez  de  son  pjelerinage. 

d:  ce  manuscrit  se  trouve  à  Rome  à  la  bibliotheca  Ca- 
sa mtensis;  il  y  est  coté  B,  III  IS.  Il  est  sur  vélin,  du 
XIV"  siècle.     Il  a   200   feuillets  in-4"   qui   n'étaient   pas  en- 


core  numérotés  en  1873.  lorsque  je  collationnai  le  manuscrit. 
Chaque  feuillet  a  4  colonnes  de  38  lignes.  Il  contient  le 
roman  de  la  Rose  et  37  poëmes  moins  étendus;  parmi  ces 
derniers,  le  second  est  notre  branche  YIII,  qui  occupe 
13  colonnes  du  manuscrit.  Elle  porte  ce  titre:  Li  con- 
fiesse  et  le  pèlerinage  Benart.  Voyez  sur  ce  manuscrit: 
A.  Tobler,  Gedichte  des  Jehan  de  Condet,  Stuttgart  ISHO, 
Lit.   Verein  LIV. 

Deux  autres  manuscrits  (e  et  h)  ne  piésentent  mal- 
heureusement que  des  débris  qui,  en  fournissant  de  très 
bonnes  leçons,  nous  font  voir  combien  la  tiliation  des  manu- 
scrits est  loin  d'être  conservée  dans  son  entier. 

e:  ce  fragment  ne  contient  que  deux  feuillets  d'un 
beau  manuscrit  du  XIIP  siècle,  détachés  d'une  reliure  et 
conservés  à  la  bibliothèque  de  S.  Omer.  Je  n'en  ai  vu 
qu'une  copie  que  j'ai  trouvée  parmi  les  manuscrits  de 
J.  Grimm  et  qui  appartient  actuellement  à  la  Bibliothèque 
Royale  de  Berlin.  Les  100  lignes  qu'il  donne  font  partie 
de  la  branche  X  et  commencent  par  le  v.  1327.  11  y  a 
des  lacunes  qui  cependant  pornu}ttont  le  calculer  que  le 
texte  était  écrit  sur  des  feuillets  in-4",  à  4  colonnes,  chacune 
de  30  lignes. 

h:  ce  fragment  ressemble  en  beaucoup  de  points  au 
fragment  e.  C'est  ce  fragment  que  M.  G.  Paris  a  publié 
dans  la  Bomania  III  373.  11  se  trouve  à  la  Bibliothèque  Royale 
de  Bruxelles  où  il  a  été  détaché  d'une  reliure.  Il  forme 
la  moitié  supérieure,  recto  et  verso,  d'un  feuillet  à  quatre 
colonnes  ;  la  marge  gauche  a  été  entamée  par  les  ciseaux. 
Le  manuscrit  dont  nous  ne  possédons  que  ce  faible  débris 
était  du  XllP  siècle.  11  portait  30  lignes  sur  chaque 
colonne.  Les  72  vers  qui  nous  ont  été  conservé  correspon- 
dent aux  vers  8.57  à  965  de  notre  branche  XL 

Les  manuscrits  a,  b,  c,  d.  e,  h  présentent  à  peu  près 
le  même  texte  que  les  manuscrits  plus  complets  et  leurs 
variantes  serviront  à  restituer  la  forme  primitive  des  branches 
qu'ils  contiennent.  On  ne  saurait  dire  la  mênre  chose  des 
autres  fragments  qui  nous  restent. 


f,  à  Taris,  à  la  Bibl.  :vat.  fontls  franc.  1588  (anc. 
7609^),  sur  vélin,  grand  in-4"  (^29  cm. -do  haut  sur  21  de 
large),  du  XIIP  siècle,  sauf  le  fragment  de  la  branche  XIII 
du  Renart,  qui  présente  l'écriture  du  commencement  du  XV 
siècle.  Ce  manuscrit  contient  les  poëmes  de  Philippe  de 
Rémi:  la  Riote  du  Monde,  la  Manéki.ne,  Blonde  d'Oxford  et 
plusieurs  salus.  Yoyez  Le  Roimcii  de  la  Manekine  par 
Philippe  de  Reimes  p.  p.  F.  Michel,  Paris  1840  (Bannatyne 
Clui))  p.  XVII.  Sur  le  verso  laissé  en  blanc  du  fol.  96  se  trouve, 
ajouté  par  une  main  postérieure  d'au  moins  LjO  ans  à  celle 
qui  a  écrit  le  reste  du  manuscrit,  le  commencement  (24  lignes) 
de  la  branche  XIII,  présentant  une  texte  très  altéré,  écrit 
avec  peu  de  soin  et  passablement  effacé.  Je  possède  une 
première  copie  de  ces  vers  faite  par  mon  ami  J.  Brakel- 
mann ,  mort  en  1870,  et  une  autre  que  M.  Suchier  a  bien 
voulu   me  communiquer. 

g,  i:  ces  deux  manuscrits  présentent  un  texte  italianisé 
qui  donne  une  version  remaniée  de  notre  bi'anche  1  et  d'une 
autre  branche  qui.  en  français,  ne  se  trouve  qu'en  prose, 
dans  l'ouvrage  du  XI Y''  siècle  intitulé  Benart  le  contrefait: 
voyez  M.  A.  Rotlie,  Les  romans  du  Renard  examinés  ana- 
lysés et  comparés  (Paris  184.5)  p.  475  et  Barlsch,  Chresto- 
mathie  de  l'ancien  français,  col.  321,  Dans  mon  recueil  ce 
texte  formera   une   branche  additionelle,  la  branche  XXYII. 

Des  deux  manuscrits  qui  nous  fournissent  ce  texte, 
g  se  trouve  à  Oxford,  à  la  Bibliothèque  Bodléienne,  coté 
Canon.  Ital.  XLYIII.  Il  est  écrit  sur  papier  au  XIY"  ou 
même  au  XY"  siècle.  C'est  un  petit  iu-4"  (22  cm.  de  haut 
sur  15  de  large).  Les  pages  n'ont  qu'une  seule  colonne. 
Des  24  feuillets  qui  sont  couverts  d'écriture,  les  fol.  C  à  19 
appartiennent  à  la  branche  XXYII.  Il  n'y  a  ni  titre  ni 
note  finale  qui  se  rapporte  au  texte.  Sur  la  marge  on  a 
ajouté  des  dessins  dont  le  sujet  n'a  rien  à  faire  avec  le 
roman  de  Renart.  Au  fol.  20'"  il  y  a  un  aigle  avec  ce  vers 
Ferrariam  cordi  teneas  béate  Georgi.  Le  texte  du  msc.  g  a 
été  publié  avec  un  bon  nombre  de  corrections  et  d'éclair- 
cissements par  E.  Teza,  Pisa  1869,  sous  le  titre  Rainardo  e 
Lcsenqrino. 


Le  msc.  i,  qui  contient  le  même  poëme,  mais  (Vaprès 
une  rédaction  plus  étendue,  a  été  publié  par  R.  Putelli  dans 
le  Giornale  di  filologia  Bomanza.  Il  se  ti-ouvo  à  la  liiblio- 
thèque  archiépiscopale  d'Udine,  à  laquelle  il  a  été  donné 
par  le  bibliothécaire  Petro  Braido  en  1783.  Il  y  porte  le 
numéro  XIII  des  in-4°.  Il  est  sur  vélin  et  contient  G4 
feuillets,  qui  ont  1!)  cm.  de  haut  sur  14  cm.  de  large.  L'écri- 
ture est  de  la  seconde  moitié  du  XIY"  siècle.  La  branche 
XXYII,  qui  occupe  la  tin  du  manuscrit,  va  du  fol."  50''  au  fol. 
64''.  Le  scribe  a  ajouté  quelques  vers  latins,  dont  le  premier 
se  trouve  également  dans  le  msc.  g.  le  second  dans  le  msc.  a. 


Yoilà  donc  Us  sources  auxquelles  j'ai  puisé  ma  con- 
naissance du  roman  de  Renart.  Comme  je  l'ai  déjà  remai-qué 
dans  mon  Examen  critique  p.  7,  cette  liste  n'est  pas  encore 
complète,  puisqu'il  y  a  dans  l'édition  de  Méon  des  passages 
qui  ne  se  retrouvent  dans  aucun  des  manuscrits  que  j'ai  énu- 
mérés  et  que  Méon  a  tirés  d'un  manuscrit  que  je  n'ai  pu  r.'trouver. 

t^uant  à  la  manière  de  me  servir  de  mes  notes,  j'ai  élargi 
le  plan  proposé  à   la  tin  de  mon   Exaii/eti  criti(pie. 

Je  donnerai  les  variantes  de  tous  les  manuscrits,  excepté 
celles  des  trois  manuscrits  Tfil.  Comme  V  n'est  qu'une  copie 
fautive  du  msc.  K,  ce  manuscrit  n'a  aucune  valeur  propre 
pour  la  recherche  du  texte  oiiginal.  Le  msc.  G  se  rapproche 
encore  beaucoup  du  msc.  K:  il  appartient  donc  à  une  famille 
déjà  suffisament  représentée  par  les  quatre  mss.  AliK.N.  Enfin 
le  msc.  I  ne  contient  qu'un  texte  remanié  dans  beaucoup  de 
parties  avec  une  très  grande  liberté  ;  c'est  plutôt  un  poëme  nou- 
veau qu'on  pourrait  bien,  si  toutefois  cela  en  valait  la  peine, 
publier  en  entier  au  lieu  de  le  confondre  avec  le  reste  des 
variantes. 

Il  n'y  a  qu'une  seule  branche,  la  huitième,  le  Pèlerinage 
Be)tart,  pour  laquelle  je  donnerai  les  variantes  de  tous  les 
manuscrits,  même  des  msc.  HJ!,  comme  je  l'ai  déjà  fait  dans 
les  Boinanisehe  Sfuilien.  On  pourra  se  faire  ainsi  une  idée 
de  l'utilité  qu'il  y  aurait  à  donner  intégralement  toutes  his 
variantes  des  msc.  F  (il.  .le  doute  qu'on  en  tirerait  une  seule 
restitution  du  texte  orioinal. 


Quant  aux  autres  manuscrits,  on  me  permettra  encore 
de  me  borner  aux  variantes  offrant  un  certain  intérêt  et  de 
laisser  de  côté  toutes  les  divergences  purement  ortho- 
graphiques. 

Mon  texte  est  fondé  pour  chaque  branche  sur  celui  des 
manuscrits  qui  paraît  se  rapprocher  le  plus  de  l'original. 
Ainsi  pour  la  plupart  des  branches  (I  à  XIV),  c'est  le  msc. 
A  que  je  reproduis  en  comblant  ses  lacunes  par  le  msc.  I)  ; 
pour  les  branches  XV  à  XVII  je  me  sers  du  msc.  X;  pour 
les  branches  XVIII — XXII  et  pour  la  branche  XXIV, 
du  msc.  B.  Pour  chacune  des  branches  XXIII,  XXV, 
XXVII,  je  suivrai  le  manuscrit  qui  l'a  conservé  seul:  c'est 
à  dire  le  msc.  M  pour  la  branche  XXIII,  le  msc.  H  pour 
la  br.  XXV,  le  msc.  L  pour  la  branche  XXVI.  Enfin  dans 
la  branche  XXVII,  je  mettrai  en  regard  les  deux  textes, 
qui  nous  en  restent. 

Le  premier  volume  de  mon  édition  contient  les  onze 
branches  qui  ne  manquent  dans  aucun  des  trois  manuscrits 
A,  B,  C  et  qui  paraissent  former  une  ancienne  collection. 
Comme  M.  A.  Bauer  a  bien  voulu  revoir  les  épreuves  im- 
primées sur  le  msc.  A,  je  suis  bien  sûr  que  mon  texte,  y  compris 
les  variantes  données  au  bas  des  pages,  est  rigoureusement 
exact.  Le  second  volume  comprendra  les  branches  isolées 
qui  n'ont  été  conservées  que  dans  les  manuscrits  d'une  ou  de 
deux  familles.     Le  troisième  contiendra  les  variantes. 

Dans  chaque  branche  je  corrigerai  les  fautes  évidentes 
du  manuscrit  principal ,  mais  je  me  garderai  de  mêler  les 
leçons  des  différentes  familles  là  où  le  texte  du  manuscrit 
principal  offre  un  sens  satisfaisant  et  une  versification  assez 
bonne.  Quelques  vers  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  les  autres 
rédactions  et  qui  portent  le  cachet  de  l'interpolation  ont  été 
mis  entre  crochets  [— ]. 

Quant  à  l'orthographe  du  msc.  A ,  je  me  suis  pennis  de 
la  régulariser  quelque  peu.  Mais  je  sais  bien  que  c'est  là 
une  chose  très  délicate  et  je  crains  que  le  système  que  j'ai 
suivi  et  qui  laisse  tant  à  corriger  aux  lecteurs  eux-mêmes, 
ne  soulève  bien  des  objections. 

Aussi  je  ne  me  fais  point  d'illusion  sur  la  différence 
qui  existe  entre  le  texte  restitué  d'après    une    seule   famille 


des  manuscrits  et  celui  qui  peut  résulter  de  la  comparaison 
des  différentes  familles.  Ces  familles  que  j'ai  distinguées  dans 
mon  Examen  critique^  diffèrent  l'une  de  l'autre  non  seulement 
par  le  nombre  et  l'ordre  des  branches  qu'elles  contiennent, 
mais  aussi,  dans  les  différentes  branches,  par  le  nombre  des 
vers  et  par  les  leçons  qu'elles  offrent.  Chaque  famille  a  ses 
fautes  particulières,  chacune  paraît  aussi  avoir  conservé  des 
restes  du  texte  primitif  qui  no  se  trouvent  pas  dans  les  manu- 
scrits des  autres  familles.  Il  faudrait  donc,  pour  restituer  le 
texte  primitif,  se  servir  tantôt  de  l'une  et  tantôt  de  l'autre 
famille,  et  en  tirer  toutes  les  variantes  qui  concordent  le  mieux 
avec  le  style  et  le  dialecte  de  Toriginal  supposé.  C'est  ce 
que  M.  G.  Paris  a  très  bien  expliqué  dans  la  Bomania^  et 
ce  serait  bien  là  le  but  d'une  édition  critique  qui  mériterait 
véritablement  ce  nom. 

Mais  ce  qui  me  paraît  non  moins  certain,  c'est  qu'un 
travail  de  ce  genre  rencontrera  bien  des  difficultés.  La  re- 
cherche de  l'original  se  complique  par  ce  fait  que  les 
différentes  branches  n'ont  pas  une  origine  comnmne.  qu'elles 
ont  été  composées  par  des  poètes  différents,  à  des  époques  et  dans 
des  provinces  différentes;  et  qu'en  outre  plusieurs  branches 
ne  nous  sont  parvenues  qu'après  avoir  subi  des  remaniements 
et  des  altérations  profondes.  C'est  pour  cela  que  je  crois 
qu'on  ne  parviendra  jamais  à  restituer  sûrement  le  texte  pri- 
mitif et  que  tout  en  cherchant  à  le  faire,  il  faudra  se  con- 
tenter en  beaucoup  d'endroits  d'un  choix  arbitraire  et  d'un 
résultat  douteux. 

On  me  croira  facilement,  si  je  dis  que  moi  aussi  j'ai  essayé 
de  pousser  ces  recherches  qui  offrent  certainement  un  grand 
intérêt.  Ce  que  je  pourrai  faire  pour  arriver  à  la  solution  de 
ces  problèmes  de  haute  critique,  je  l'exposerai  dans  une  bro- 
chure qui  paraîtra  en  même  temps  que  le  troisième  volume 
de  l'édition.  Mais  ici  j'ai  cru  devoir  me  restreindre  à  donner 
un  texte  tiré  des  meilleurs  sources  et  à  fournir,  par  les  vari- 
antes des  autres  manuscrits,  les  moyens  de  restituer  le  texte 
primitif.  Que  d'autres,  plus  instruits,  plus  hardis  et  disposant 
de  plus  de  loisir,  accomplissent  cette  tache  aussi  attrayante 
que  difficile! 

Peut-être  jugera-ton  comme  moi  que  le  roman  de  Renart 


ne  mérite  pas  en  entier  le  travail  énorme  qu'exige  une  édi- 
tion critique.  Il  y  a.  et  j3ersonne  ne  le  contestera,  de 
grandes  parties  du  roman  qu'il  suffira  de  lire  dans  une  re- 
production fidèle  des  manuscrits.  Les  longueurs  insipides,  les 
obscénités  qu'on  y  trouve  et  qui  répugnent  à  tout  lecteur, 
ne  me  paraissent  pas  absolument  dignes  d'être  passées  au  crible 
de  la  critique.  L'édition  critique  qu'on  doit  désirer,  ne  compren- 
drait qu'un  choix  de  branches,  réunissant  tous  les  contes  spiri- 
tuels et  naïfs  à  la  fois,  qu'on  a  loués  si  souvent  et  avec  tant 
de  raison. 

Aussi  suis-je  heureux  de  pouvoir  annoncer  au  public 
une  édition  partielle  du  roman  du  Renart  qui  répondra  en 
même  temps  aux  exigences  de  la  philologie  et  aux  besoins 
des  simples  lecteurs.  On  la  devra  à  mon  ancien  collègue, 
^I.  J.  Cornu,  professeur  à  l'université  de  Prague,  qui  espère 
la  publier  dès  que  mon  édition  sera  complète,  c'est  à  dire 
avant  la  fin  de  l'année  prochaine, 

Strasbourg,  Octobre   1881. 

Ernest  Martin. 


(Méon  9G49— 9672) 

Perrot,  qui  son  engin  et  s'art     A  f.  1 

Mist  en  vers  fere  de  Renart 

Et  d'Isengriu  son  cher  conpere, 

Lessa  le  meus  de  sa  matere  : 
5    Car  il  entroblia  le  plet 

Et  le  jugement  qui  fu  fet 

En  la  cort  Noble  le  lion 

De  la  grant  fornicacion 

Que  Renart  fist,  qui  toz  maus  cove, 
in    Envers  dame  Hersent  la  love. 

Ce  dit  l'estoire  el  premêr  vers 

Que  ja  estoit  passe  ivers 

Et  que  la  rose  espanissoit 

Et  l'aube  espine  florissoit 
15    Et  près  estoit  l'asencions, 

Que  sire  Noble  li  lions 

Totes  les  bestes  fist  venir 

En  son  pales  por  cort  tenir. 

Onques  n'i  ot  beste  tant  ose 
i>0    Qui  remansist  por  nule  chose 

Qui  ne  venist  hastivement: 

Fors  dan  Renart  tant  solement, 

Le  mal  1ère,  lo  soulduiant, 

Que  li  autre  vont  encusant 


1  ossarf        H  clinr|   bon         5  oiiti 
1(!  lioin  19  O.  mit         21   ni  uo^nc 

UFXAKT.      1. 


I  (Méon  i:)678— 97101 

•25    Et  eiipiraut  devant  le  roi 
Et  son  orgueil  et  son  desroi. 
Et  Yseng-rin  qui  pas  ne  l'eime, 
Devant  toz  les  autres  se  cleime 
Et  dit  au  roi  'baux  gentix  sire, 

30    Car  me  fai  droit  de  l'avoutire 
Que  Renart  fist  a  ni'espossee 
Dame  Hersent,  quant  Tôt  serrée 
A  Malpertuis  en  son  repère, 
Quant  il  a  force  li  volt  faire, 

35    Et  conpissa  toz  mes  lovaux: 

C'est  li  dels  qui  plus  m'est  noveax. 
Renart  prist  jor  de  l'escondire 
Qu'il  n'avoit  fet  tel  avoultire. 
Quant  li  seint  furent  aporte, 

40    Ne  sai  qui  li  out  enorte. 
Si  se  retrest  molt  tost  arere 
Et  se  remist  en  sa  tesuere. 
De  ce  ai  ou  grant  coroz'. 
Li  rois  li  a  dit  oiant  toz 

45    'Ysengrin,  leissiez  ce  ester. 
Vos  n'i  poes  rien  conquester, 
Ainz  ramentevez  vostre  honte. 
Musart  sont  li  roi  et  li  conte. 
Et  cil  qui  tienent  les  granz  corz 

50    Devienent  cop,  liui  est  li  jorz. 
Onques  de  si  petit  domage 
Ne  fu  tel  duel  ne  si  grant  rage. 
Tele  est  celé  ovre  a  escient 
Que  li  parlers  n'i  vaut  noient.' 

55    Dist  Brun  li  ors,  'biaux  gentix  sire, 
Ja  porriez  asez  meuz  dire. 
Est  Ysengrin  ne  mort  ne  pris, 
Se  Renart  a  vers  lui  mespris, 
Que  bien  n'en  puist  avoir  venchance. 

GO    Ysengrin  est  de  tel  puissance. 


27  quo        82  soroo        44  si        4S  M.  ^^  li        49  grant       51  pou 
hontage         52  ne  toi  <liunag('         bh  Dit 


1  iMéou  U711— i)74y) 

Se  Renart  près  de  lui  main)it, 
Et  por  la  pes  ne  remanoit 
Qui  novelement  est  jurée, 
Que  ja  oiist  vers  lui  durée. 

G5    Mes  vos  estes  prince  de  terre: 
Si  metes  pes  en  ceste  guerre! 
Metes  pes  entre  vos  barons: 
Qui  vos  harrez,  nos  le  harrons, 
Et  meintendron  de  vostre  part. 

70    S'Isengrins  se  pleiut  de  Renart, 
Fêtes  le  jugement  seoir: 
C'est  li  meuz  que  g'en  puis  veoir, 
Se  l'un  doit  a  l'autre,  si  rende, 
Et  del  mesfet  vos  pait  l'amende. 

7ô    Mandes  Renart  a  Malpertuis: 
Gel'  amenrai,  se  je  le  truis 
Et  vos  m'i  voles  envoler. 
Si  l'aprendrai  a  cortoier.' 
'Sire  Brun   dit  Bruianz  li  tors, 

80     Mal  dalieit  ait  sans  vostre  cors 
Qui  ja  conseillera  le  roi 
Qu'il  prende  amende  del  desroi. 
De  la  honte  et  del  avoutere 
Que  Renart  fist  a  sa  conmere. 

85    Renart  a  fait  tante  moleste, 
Et  conciliée  tante  beste. 
Que  ja  nus  ne  li  doit  aidier. 
Conment  doit  Ysengrin  plaider 
De  chose  qui  si  est  aperte 

90    Et  conneiie  et  descoverte? 

De  moi  sa  ge,  que  que  nus  die. 
Se  cil  qui  tôt  le  mont  conclue, 
Eùst  ma  famé  en  sa  baillic, 
Contre  son  gre  l'oust  sesie  : 

95    Ja  Malpertuis  nel  garandist. 
Ne  forteresce  qu'il  feïst. 


02  reiiianroit  CA  ddi'co  70  So  i.  71   oir 

li5  au  m.  78  la  prcn  .  .  ic  u         89  que         94  outre  mon 


i  I     .vléon  9749—9784) 

Que  je  ne  l'eusse  escuillie 

Et  puis  en  un  conping  gitie. 

Herseut,  dont  vos  vint  en  coraje? 
100    Certes  ce  fu  molt  grant  damaje, 

Quant  Renai-t  qui  est  fox  garçons 

Vos  monta  onques  es  arçons'. 

'Sire  Bruiaut'  dist  li  tessons, 

'Cist  maux,  se  nos  ne  l'abesson, 
105    Porra  encore  trop  monter. 

Car  tex  porra  le  mal  conter 

Et  bien  espandre  et  essaucier 

Qui  nel  porra  pas  abessier. 

Et  puis  qu'il  n'i  ot  force  fête, 
110    Ne  huis  brisie  ne  trêve  enfrete. 

Se  Renart  li  fist  par  amors, 

N'i  afiert  ire  ne  clamors. 

Pieca  que  il  l'avoit  amee. 

Ja  celé  ne  s'en  fust  clamée, 
115    S'en  li  en  fust:  mes  par  mou  chef 

Ysengrin  l'a  trop  pris  en  gref. 

Yoiant  le  roi  et  son  barnaje, 

Gart  Ysengrin  a  sou  damaje  ! 

Se  li  vasseax  est  enpiries 
1-20    Et  par  Renart  mal  atiriez 

Le  vaillant  d'une  nois  de  coudre, 

Près  sui  que  je  li  face  soudre, 

Des  que  Renart  sera  venus 

Et  li  jugement  ert  tenus. 
125    Mes  c'est  li  meus  que  ge  i  sent, 

Li  blâme  soit  dame  Hersent. 

Ahi,  quel  onor  et  quel  plet 

Yos  a  hui  vostre  mari  fet 

A  tantes  bestes  regarder! 
130    Certes  len  vos  devroit  larder, 

S'il  vos  apele  bêle  suer, 

Se  James  li  portes  bon  cuer. 

KM)  diuimcc       104  Cis       112  Cis        114  cliaiiiors       114  Ja  .h.  ne 
chiinicc  119  os  124  Et  iikokjiic         i.  sera  t. 


I  (Méon  9785—9818) 

Il  ne  vos  crient  ne  ne  resogne'. 
Hersent  rogist,  si  ot  vergoine, 

135    Que  tôt  le  poil  li  vet  tirant. 
Si  respondi  en  sozpirant 
'Sire  Grinbert,  je  n'en  puis  mes. 
Ge  amasse  molt  meus  la  pes 
Entre  mon  segnor  et  Renart. 

140    Voir  il  n'ot  onques  en  moi  part 
En  tel  manière  n'en  tel  guise, 
Si  que  j'en  feroie  un  joïse, 
De  caude  eve  ou  de  fer  caut. 
Mes  mon  escondire  que  vaut, 

145    Lasse,  caitive,  malostrue. 

Quant  je  ja  n'en  serai  creûe? 
Par  trestoz  les  sainz  qu'on  aore 
Ne  se  damledex  me  secore, 
Conques  Renart  de  moi  ne  fist 

150    Que  de  sa  mère  ne  feïst. 

Por  dan  Renart  nel  di  je  mie 
Ne  por  amender  sa  partie: 
C'autretant  m'est  qu'en  de  lui  face, 
Ne  qui  que  Teint  ne  qui  le  hace, 

1Ô5    Con  vos  est  d'un  cardon  asuiu. 
Mes  je  le  di  por  Ysengrin, 
Qui  de  moi  par  est  si  jalox 
Que  toz  jors  s'en  quide  estre  cox. 
Foi  que  je  doi  Pincart  mon  fil, 

160    Oan  le  preraer  jor  d'avril 

Que  pasques  fu,  si  con  or  sist, 
Ot  dix  anz  qu'Isengrin  me  prist. 
Les  noces  furent  molt  pleneres: 
Que  les  fosses  et  les  lovieres 

165    Furent  de  bestes  totes  pleines. 
Voire  certes  si  qu'a  grant  peines 


133  cricn        138  ammasse        raolt  manque        1-40    141   maiiquciit 
143  caud         ou  nutiique  de„  "caut,'  fer  146  crcu  147  sain 

153  Cautroment         157  que         162  que  y.         166  grant  qa 


I  (Méon  9819—9858) 

Peûssies  tant  de  vuit  trover 

Ou  une  oe  poiist  cover. 

La  devin  ge  ïoiale  espose, 
17U    Ne  m'en  tenes  pas  a  mentose 

N'a  songnant  ne  a  beste  foie. 

Or  revendrai  a  ma  parole. 

Qui  m'en  voult  croire,  si  m'en  croie, 

Et  si  voil  bien  que  chascun  l'oie: 
175    One,  foi  que  doi  sainte  Marie, 

Ne  fis  de  mon  cors  puteric 

Ne  mesfet  ne  maveis  afere 

Q'une  none  ne  poïst  fere'. 

Quant  Hersent  ot  sa  raison  dite 
180    Et  ele  se  fu  escondite, 

Beruars  li  annes  qui  l'oï, 

Trestot  son  cuer  s'en  esjoï. 

Qar  or  quide  tôt  a  estros 

Que  Isengrin  ne  soit  pas  cos. 
185    'Ahi'  fet  il,   gentil  barnesse, 

Qar  fust  or  si  loial  m'annesse. 

Et  chen  et  lou  et  autres  bestes. 

Et  totes  femes  con  vos  estes! 

Qar  si  me  face  dex  pardon, 
190    Si  me  doinst  il  trover  cardon 

Qui  soit  tendres  en  ma  pasture. 

Que  vos  n'oiistes  onques  cure 

De  Renart  ne  de  son  déduit. 

Ne  de  s'amor,  si  con  je  quit. 
195    Mes  li  secles  est  si  maveis, 

Si  mesdisans  et  si  pugnes. 

Qu'il  tesmoinne  ce  qu'il  ne  voit 

Et  blâme  ce  que  loer  doit. 

Ahi,  Renart  li  forseaes, 
•200    Con  de  mal  hore  tu  fus  nés 

Et  engendres  et  conceiis. 

Quant  tu  jà  ne  seras  creûs! 

168  torner       175  q.  ge  doi  s.       181  qui]  si       186  ore      197  doit 
fu        202  manque 


I  (Méoii  9859— 0928. . 

Or  ert  la  novele  espandue 
Que  aviez  Hersent  croissue. 
'205    Ele  en  velt  ci  fere  un  joïse: 
Onques  par  lui  ue  fu  requise. 
He,  gentix  sire  deboneire, 
Qar  nietez  pes  en  cest  afere, 
Et  s'aiez  de  Renart  merci! 
210    Lessiez  le  moi  vostre  merci 
Ca  aconduire  a  sauvete 
De  qanqu'Isengrin  l'a  rete: 
Itele  amende  li  fera 
Con  vostre  cort  esgardera. 
215    Et  se  il  a  fait  par  despit 
Le  hardement  et  le  respit 
Qu'il  a  pris  de  venir  a  cort. 
Amendera  einz  qu'il  s'en  tort.' 
'Sire'  ce  respont  li  conciles, 
2-10    'Onques  ne  vos  aït  saint  Giles, 
(Se  vos  plest  et  vos  conmandez) 
Se  ja  Renart  i  est  mandez 
Hui  ne  demein:  se  il  n'i  vient, 
Après  demein,  e  s'  il  s'en  tient, 
2-25    Fêtes  li  a  force  amener, 
Et  puis  tel  livroison  doner 
Dont  il  en  après  se  recort.' 
Ce  dit  Nobles   vos  aves  tort 
Qui  Renart  volez  forsjuger. 
230    Tel  os  poes  vos  bien  ronger  : 
S'aucun  de  vos  me  mené  orgoil. 
Ce  meïme  vos  pent  a  l'ueil. 
Renart  ne  he  ge  mie  tant 
Por  rien  qu'en  li  voist  sus  metant, 
235    Que  je  le  voille  encor  honir, 
S'il  se  voult  a  moi  abonir. 
Ysengrin,  pernez  cest  juïse 
(iue  vostre  feme  vos  devise, 


20r,  un  manque    212  la  arête    213  ameiidi    216  despit     223  sil    224 
d.  e  il  se  t.     225  mener     231  uos  meneine  o.     232  pent]  plest     237  ceste 


I  (Méon  y'J2y— 9964) 

Se  vos  laissier  ne  le  volez. 

240    Gel  preudroie'.     'Sire,  tolez! 
i      Se  lierseut  porte  le  joïse, 
'      Et  cle  soit  arse  et  esprise, 
'      Tex  le  saura  qui  or  nel  set. 
Liez  en  sera  qui  or  me  het. 

245    Lors  diront  il  tôt  a  estrox, 
"Vez  la  le  coz  et  le  jalox!" 
Meuz  me  vaut  il,  selonc  le  plet 
Soufrir  la  honte  qu'il  me  fet 
Tant  que  je  me  puisse  venger. 

250    Mez  einz  que  doive  vendenger 
Quit  ge  Renart  movoir  tel  gerre  : 
Ne  le  garra  ne  clef  ne  serre 
Ne  mur  ne  fosse  desfensable'. 
'Or  dont'  dit  Nobles,   au  deable! 

255    Por  le  cuer  be,  sire  Ysengrin, 
Prendra  ja  vostre  gerre  fin? 
Quidiez  i  vos  rien  gaagnier, 
Renart  mater  ne  meegnier? 
Foi  que  je  doi  saint  Lienart, 

21)0    Ge  connois  tant  les  arz  Renart: 
Plus  tost  vos  puet  il  fere  ennui, 
Honte  et  damaje  que  vos  lui. 
D'autre  part  est  la  pes  jurée 
Dont  la  terre  est  aseûree: 

205    Qui  l'enfrendra,  s'il  est  tenuz, 
Molt  mal  li  sera  avenuz'. 

Quant  Ysengrin  oï  le  roi 
Qui  de  la  pes  prenoit  conroi, 
Molt  fu  dolanz,  ne  set  que  fere, 

270    Ne  n'en  set  mes  a  quel  chef  trere. 
A  la  terre  entre  deus  eschames 
S'asiet  la  coue  entre  les  janbes. 
Or  est  Renart  bien  avenu, 
Si  dex  li  oiist  porveû: 


243  nés  set  248  que  el  261   pot         271  Jusqa  la  t.  c.  d. 

landes        273  estoit 


I  (Ml'uu  <J965  — lUOUO) 

275    Q'en  tel  point  avoit  pris  li  rois 
L'acorde  rnaugre  as  yrois, 
Que  ja  preïst  la  gerre  fin 
Entre  Renart  et  Ysengrin, 
Se  ne  fust  Chantecler  et  Pinte 

■280    Qui  a  la  cort  venoit  soi  qinte 

Devant  lo  roi  de  Renart  pleindre. 
Or  est  li  feus  gros  a  esteindre. 
Car  sire  Chantecler  li  cos 
Et  Pinte  qui  pont  les  ues  gros, 

■285    Et  Noire  et  Elance  et  la  Rossete 
Amenoient  une  charete 
Qui  envouxe  ert  d'une  cortine. 
Dedenz  gisoit  une  geline 
Que  Fen  amenoit  en  litere 

290    Fête  autres!  con  une  bere. 
Renart  l'avoit  si  maumenee 
Et  as  denz  si  desordenee 
Que  la  cuisse  li  avoit  frète 
Et  une  ele  hors  del  cors  trete, 

•25)5         Quant  li  rois  ot  jugie  asez, 
Qui  del  pleider  estoit  lassez, 
Ez  les  jelines  meintenant 
Et  Chantecler  paumes  bâtant. 
Pinte  s'escrie  premereine 

300    Et  les  autres  a  grant  aleine: 
'Por  deu'  fet  ele,  'gentix  bestes 
Et  chen  et  leu  tex  con  vos  estes, 
Qar  conseilliez  ceste  chaitive  ! 
]k[olt  he  l'oure  que  je  sui  vive. 

Î305    Mort,  car  me  pren,  si  t'en  délivre. 
Quant  Renart  ne  me  lesse  vivre! 
Cinc  frères  oi  tôt  de  mon  père: 
Toz  les  manja  Renart  li  1ère, 
Ce  fu  grant  perte  et  grant  dolors. 

310    De  par  ma  mère  oi  cinc  serors. 


278  Dentre         279    chantereax   {de   même   au    v    283   cliantorax) 
284  le        290  Autres!  fet        295  mangie        302  1.  et  tex 


10  I  (Méun   lOOUl— lOOiiS) 

Que  virges  poules,  que  mescines: 
Molt  i  avoit  bêles  jelines. 
Gouberz  del  Frenne  les  passoit, 
Qui  de  pondre  les  anguissoit: 

•315    Li  las!  mal  les  i  encressa. 

Qar  aine  Renart  ne  l'en  laissa 
De  totes  cinc  que  une  soûle: 
Totes  passèrent  par  sa  goule. 
Et  vos  qui  la  gisez  en  bere, 

■^20    Ma  douce  suer,  ni'amie  chère, 
Con  vos  estieez  tendre  et  crasse! 
Que  fera  vostre  suer  la  lasse 
Que  a  nul  jor  uc  vos  regarde? 
Renart,  la  maie  flambe  t'arde! 

325    Tantes  foiz  nus  avez  foleez 
Et  chacies  et  tribulees. 
Et  descirees  nos  pelices. 
Et  enbatues  dusq'as  lices. 
1er  par  matin  devant  la  porte 

3:30    Me  jeta  il  ma  seror  morte, 
Puis  s'en  foi"  parmi  un  val. 
Gonberz  n'ot  pas  isnel  cheval. 
Ne  nel  poïst  a  pie  ateiudre. 
Ge  me  voloie  de  lui  pleindre, 

3S5    Mes  je  ne  truis  qui  droit  m'en  face  : 
Car  il  ne  crent  autrui  manace 
N'autrui  coroz  vaillant  deus  foies'. 
Pinte  la  lasse  a  ces  paroles 
Chaï  pamee  el  pavement, 

340    Et  les  autres  tôt  ensement. 
Por  relever  les  quatre  dames 
Se  levèrent  de  lor  escames 
Et  chen  et  lou  et  autres  bestes, 
Eve  lor  getent  sor  les  testes. 

345         Quant  revindrent  de  paumoisons, 
Si  con  nos  en  escrit  trovons, 
La  ou  lo  roi  virent  seoir 
Totes  li  vont  au  pie  chaoir: 


311  puceles         322  f.  la  u.  s.  1.  1.         323  Que         346  touoms 


I  (Méon  lUOLI'.J— lOOTtJ)  11 

Et  Chantecler  si  s'ajeuoille 
^50    Et  de  ses  lermes  ses  piez  moille. 

Et  quant  li  rois  vit  Chantecler, 

Pitié  li  prent  du  baceler. 

Un  sopir  a  fet  de  parfont, 

Ne  s'en  tenist  por  tôt  le  mont. 
355    Par  mautalant  drece  la  teste. 

One  n'i  ot  si  hardie  beste, 

Ors  ne  sengler,  que  poor  n'et 

Quant  lor  sire  sospire  et  bret. 

Tel  poor  ot  Coars  li  lèvres 
360    Que  il  en  ot  deus  jors  les  fevres. 

Tote  la  cort  fremist  ensenble. 

Li  plus  hardis  de  peor  tremble. 

Par  mautalent  sa  coue  drece, 

Si  se  débat  par  tel  destrece 
365    Que  tôt  en  sone  la  meson, 

Et  puis  fu  tele  sa  reson. 

'Dame  Pinte"  fet  l'enperere, 

Foi  que  doi  a  l'ame  mon  père 

Por  qui  je  ne  fis  aumonne  hui, 
370    II  me  poisse  de  vostre  anui, 

Se  ge  le  peiisse  amender. 

Mes  je  ferai  Renart  mander 

Si  que  vos  a  vos  euz  verres 

Et  a  voz  oreilles  orres 
375    Con  grant  venchance  sera  prise. 

Quar  j'en  voil  fere  grant  justise 

Del  omecide  et  du  desroi'. 
Quant  Ysengrin  oï  lo  roi, 

Isnelement  en  pies  se  drece. 
380    'Sire'  fet  il,   c'est  grant  proece. 

Molt  en  seres  par  tôt  loes, 

Se  vos  Pinte  venger  poes 

Et  sa  seror  dame  Copee 

Que  Renart  a  si  esclopee. 


349  chant"  (de  même  mi  v.  351)      361  fremmist       369  je  manque 
371  puisse         373  uenres         374  oreilloz         377  Et  del  amende 


12  I  iMéon  1(1077—10116) 

385    Ge  uel  di  mie  por  haïne, 
Mes  je  le  di  por  la  Diescine 
Qu'il  a  morte,  que  je  le  face 
Por  chose  que  je  Reuart  liace.' 
Li  emperere  dit  'amis, 

390    II  m'a  molt  grant  dol  el  cuer  mi; 
Ce  n'est  or  pas  li  premereins. 
As  voz  et  a  tos  les  foreins 
Me  plein  si,  con  je  fere  sueil, 
Del  avoltire  et  del  orgueil 

395    Et  de  la  honte  qu'il  m'a  fetc. 
Et  de  la  pes  qu'il  a  enfrete. 
Mes  or  parlons  d'autre  parole. 
Brun  li  ors,  pernez  vostre  estole, 
Si  commandes  l'ame  del  cors  ! 

400    Et  vos,  sire  Bruianz  li  tors, 
La  sus  enmi  celé  costure 
Me  fêtes  une  sepouture! 
'Sire'  dit  Brun,  'vostre  plesir'. 
Atant  vét  l'est  oie  sesir, 

405    Et  non  mie  tant  solement  : 
Et  li  rois  au  commendement 
Et  tuit  li  autre  del  concile 
Ont  commencie  la  vigile. 
Sire  Tardis  li  limaçons 

410    Lut  par  lui  sol  les  trois  leçons, 
Et  Roencl  chanta  les  vers. 
Et  li  et  Brichemers  li  cers. 

Quant  la  vigile  fu  chantée 
Et  ce  vint  a  la  matinée, 

415    Le  cors  portèrent  enterrer. 
Mes  einz  l'orent  fet  encerrer 
En  un  molt  bel  vaissel  de  plom, 
Onques  plus  bel  ne  vit  nuz  hom. 
Puis  l'enfoïrent  soz  un  arbre 

420    Et  par  desus  mirent  un  marbre. 


387  Que  il  le  manque  391  ore  393  je  manque  395  m' 
mmique  401  cotore  402  sulpleturc  406  coîiît  demt  40!S  lauen- 
gile        415  portent        417  plomc 


I  fMéon  10117 -l(»152l  13 

(S'i  ot  escrit  le  nou  la  dame 

Et  sa  vie)  et  conmandent  l'anie. 

Xe  sai  a  eiâel  ou  a  grafe 

I  out  escrit  en  l'espitafe 
425    'Desoz  cest  arbre  enmi  ce  plain 

Gist  Copee  la  sor  Pinteiu. 

Renart  qui  chascuu  jor  enpire, 

Eu  fist  as  denz  si  graut  raartire'. 

Qui  lors  veïst  Piutein  plorer, 
430    Renart  maudire  et  dévorer, 

Et  Chantecler  les  piez  estendre, 

Molt  grant  pitié  l'en  poïst  prendre. 
Quant  li  deuls  fu  un  poi  laissie 

Et  il  fu  del  tôt  abessioz, 
43.')    'Emperere'  font  li  baron, 

'Qar  nos  vengies  de  cel  laron 

Qui  tantes  guiches  nos  a  fêtes 

Et  qui  tantes  pes  a  enfretes'. 

'Molt  volontiers'  dit  l'enperere. 
440     Qar  m'i  aies,  Brun,  bauz  doz  frère: 

Vos  n'aurez  ja  de  lui  regart. 

Dites  Renart  de  moie  part 

Q'atendu  l'ai  trois  jors  enters'. 

'Sire'  dit  Brun,  'molt  volenters'. 
445    Atant  se  met  en  l'ambleûre 

Parmi  le  val  d'une  coture. 

Que  il  ne  siet  ne  ne  repose. 

Lors  avint  a  cort  une  chosse 

Endementers  que  Brun  s'en  vet, 
450    Qui  Renart  enpire  son  plet. 

Qar  misire  Coart  li  lèvres, 

Que  de  poor  pristrent  les  fevres, 

(Dons  jors  les  avoit  ja  oiies) 

Merci  deu  or  les  a  perdues 


422  grefe  Après  423  on  lit  II  servirent  pas  de  beflF(>  424 
I]ainz  lespcrance  425  en  ceste  planée  426  li  <^.  la  nxmqiie 
Après  42G  Que  R.  ocist  de  sa  niein  42s  fet  441  lui  [moi  450  Que 
453  .1111    .  les  a  auoit  oues 


14  I  (Méuu   10153— 1(»1M8) 

455    Soi-  la  tombe  dame  Copee. 
Car  quant  ele  fu  enterrée, 
One  ne  se  vont  d'iloc  partir, 
S'eûst  dormi  sor  le  martir. 
Et  quant  Ysengriu  l'oï  dire 

4C^()    Que  ele  estoit  vraie  martire, 
Dit  qu'il  avoit  mal  en  l'oreille. 
Et  Roonel  qui  li  conseille. 
Sus  la  tombe  gisir  le  fist. 
Lors  fu  gariz,  si  con  il  dist. 

465    Mes  se  ne  fust  bone  créance 
Dont  nus  ne  doit  avoir  dotauce, 
Et  Roenel  qui  le  tesmoinguo, 
La  cort  quidast,  ce  fust  meucoingne. 
Quant  a  la  cort  vint  la  novcle, 

470    A  tex  i  ot  qu'ele  fu  bêle. 
Mes  a  Grinbert  fu  ele  lede, 
Qui  por  Renart  parole  et  plede 
Entre  lui  et  Tybert  le  chat. 
S'or  ne  set  Renart  de  barat, 

475    Mal  est  bailliz,  s'il  est  tenuz. 
Qar  Brun  li  ors  est  ja  venuz 
A  Malpertus  le  bois  enter 
Parmi  l'adrece  d'un  senter. 
Por  ce  que  grant  estoit  sis  cors 

4S0    Remeindre  l'estuet  par  defors. 
S'estoit  devant  la  barbacane. 
Et  Renart  qui  le  mont  engaue, 
Por  reposer  ert  trais  arere 
Enmi  le  fonz  de  sa  tesnere. 

485    Garni  avoit  molt  bien  sa  fosse 
D'une  geline  grant  et  grosse, 
Et  s'avoit  mangie  au  matin 
Deux  bêles  cuisses  de  poucin. 
Or  se  repose  et  est  a  ese. 

490    Ataut  es  vos  Brun  a  la  liese. 


458  soz  4(;i   iiudil  46:{  Soz         4GG  (loi         467  teif?noins'no 

476  es         478  serter 


I  (Méun   1U18SI— 1U22BI  15 

'Reuart'  fait  il,   parlez  a  moi! 

Ge  sui  Brun  messagier  lu  roi. 

Issiez  ca  fors  en  cestc  lande  : 

S'orrez  ce  que  li  rois  vos  mande.' 
495    Renart  set  bien  que  c'est  li  ors, 

Reconneii  l'avoit  au  cors  : 

Or  se  conmence  a  porpenser 

Con  se  porra  vers  lui  teuser. 

'Brun'  fet  Reuart,  'baus  doz  amis, 
500    En  molt  graut  peine  vos  a  mis 

Qui  ca  vos  a  fet  avaler. 

Ge  m'en  dévoie  ja  aler: 

Mes  que  j'aie  mangie  ancois 

D'un  mervellos  mangier  francois. 
505    Qar,  sire  Brun,  nos  ne  savez, 

L'en  dit  a  cort  "sire,  lavez" 

A  riche  home,  quant  il  i  vient. 

Garis  est  qui  ses  manches  tient. 

De  primes  vient  buef  alegres. 
510    Apres  vienent  li  autre  mes. 

Quant  li  sires  les  velt  avoir. 

Qar  povres  hom  qui  n'a  avoir, 

Fu  fet  de  la  merde  au  diable. 

Ke  siet  a  feu,  ne  siet  a  table, 
5:5    Ainz  mangue  sor  son  giron. 

Li  chen  li  vienent  environ 

Qui  le  pain  li  tolent  des  moins. 

Une  fois  boivent,  c'est  del  moins. 

Ja  plus  d'une  fois  ne  bevront, 
520    Ne  ja  plus  d'un  sol  mes  n'auront. 

Lor  os  lor  gitent  li  garçon. 

Qui  plus  sont  sec  que  vif  carbon. 

Chascun  tient  son  pain  en  son  poing. 

Tuit  furent  féru  en  un  coing, 
525    Et  li  seneschal  et  li  queu. 

De  ce  ont  li  seignor  grant  preu 


491    tendes  492    messag'.  494    vos]    te  49<;  Roceneu 

508  sez  mandiez       520  pc  que  dun       522  uis       52^  poinj^n      524  coign 
525  que         526  ce  si  0. 


16  I  (Méon  10227  —  102(52) 

Dont  li  laron  ont  a  plente. 
Qar  fussent  il  as  et  ventejr 
La  char  lor  enblent  et  les  peins 

530    Qu'il  envoient  a  lor  puteius. 
Por  tel  afere  con  ge  di, 
Beax  sire,  avoie  des  midi 
Mon  lart  et  mes  pois  aunes, 
Dont  je  me  sui  desjeûues: 

533    Et  s'ai  bien  mangie  set  denrées 
De  novel  miel  en  fresces  rees'. 
'No mini  dame  Cristum  file' 
Dit  li  ors,   por  le  cors  saint  Gile, 
Cel  raeuls,  Renart,  dont  vos  abonde? 

540    Ce  est  la  chose  en  tôt  le  monde 
Que  mes  las  ventres  plus  désire. 
Car  m'i  menés,  baux  très  doz  sire, 
Por  le  cuer  be,  dex  moie  cope'! 
Et  Renart  li  a  fet  la  lope 

515    Por  ce  que  si  tost  le  descoit, 
Et  li  chaitis  ne  s'aperçoit, 
Et  il  li  trempe  la  corroie. 
Brun'  dit  Renart,  'se  je  savoio 
Que  je  trovasse  en  vos  fiance 

550    Et  amistie  et  aliance. 

Foi  que  je  doi  mon  fil  Rovel, 
De  cest  bon  miel  fres  et  novel 
Yos  enplirai  encui  le  ventre 
Ca  an  dedens  si  que  l'en  entre 

555    El  bois  Lanfroi  le  forestier  . 

Mes  ce  que  vaut?  ce  n'a  mestier. 
Qar  se  je  ore  o  vos  aloie. 
Et  de  vostre  ese  me  penoie, 
Tost  me  fereez  maie  part'. 

5()0    'Qu'avez  vos  dit,  sire  Renart? 
Mescreez  me  vos  dont  de  rien'? 
'OiT.     'De  qoi'  ?     Ce  sa  ge  bien  : 


')29  la  pain      530  putein      585  iiiiingies      539  dont]  ou      547  tropo 
la  corroi       550  alinance       554  Ca]  Qar       5()1   dont  Duivipic       de  unie  r. 


I  (Méon   10203—10300)  17 

De  traïson.  de  felonnic' 

■Renai't,  or  est  ce  diablie, 
nCô    Quant  de  tel  chosse  me  desdites'. 

'Non  faz:  or  en  soiez  toz  qiiites! 

Ne  vos  en  port  nul  mal  corage.' 

'Vos  aves  droit,  que  par  l'omaje 

Que  je  fis  Noble  le  lion, 
570    One  vers  vos  n'oi  entencion 

D'estre  traîtres  ne  triceres, 

Ise  envers  vos  estre  boiseres.' 

'Ge  n'en  quier  autre  seiirte, 

Ge  me  mot  en  vostre  boute.' 
57;')    Trestot  Brun  a  Renart  otroie. 

Atant  se  mistrent  a  la  voie. 

Onques  n'i  ot  resne  tenu 

De  si  a  tant  qu'il  sont  venu 

El  bois  Lanfroi  le  forester: 
580    Hoc  s'arestent  li  destrer. 

Lanfroi  qui  le  bois  soloit  vendre, 

Un  chesne  ot  conmence  a  fendre. 

Deus  coins  de  cesue  toz  entiers 

I  avoit  mis  li  forestiers. 
585    'Brun'  fet  Renart,  'bau  doz  amis, 

Vez  ci  ce  que  je  t'ai  premis. 

Ici  dedenz  est  li  castoivre. 

Or  del  mangier,  si  iron  boivre: 

Or  as  bien  trove  ton  avel.' 
590    Et  Brun  li  ors  mist  le  musel 

El  cesne  et  ses  deus  pies  devant. 

Et  Renart  le  vet  sus  levant 

Et  adrecant  en  contremont. 

En  sus  se  trest,  si  le  semont. 
595    'Cuverz'  fait  il,    ovre  ta  boce  ! 

A  pou  que  tes  musauz  n'i  toco. 

Fil  a  putein,  ovre  ta  golo!' 

Bien  le  concie  ot  bien  le  bole. 


.564  es  ce  .567  en  )n(aifjiie  p^.  573  cuer  autres  575  T.  a  .b.  a 
581  Lanbert  582  auoit  584  forestier  585  lîron  586  je  mangue 
596  atoce         597  Fil  a  a 

REN'ART      I  2 


18  I  (Méon   10801—10338) 

Maudite  soit  sa  vie  tote, 

()()()    Que  James  n'en  traisist  il  gote, 
Que  n'i  avoit  ne  miel  ne  ree. 
Endementres  que  Brun  i  bee, 
Renart  a  les  coiuz  enpoigniez 
Et  a  grant  peine  descoignioz. 

(505    Et  quant  li  coing  furent  oste, 
La  teste  Brun  et  li  coste 
Furent  dedeus  le  cesne  enclos. 
Ore  est  li  las  a  mal  repos: 
Moult  l'avoit  mis  en  maie  presse. 

610    Et  Renart  qui  ja  n'ait  confesse, 

(Quar  onc  ne  fist  bien  ne  ammone) 
De  long  s'estut,  si  le  ranprone. 
'Brun  fet  il,  jel  savoie  bien 
Que  queriez  art  et  engien 

015    Que  ja  del  miel  ne  gosteroie. 
Mes  je  sai  bien  que  je  feroie, 
S'une  autre  fois  avoie  a  fere. 
Molt  estes  ore  deputere 
Que  de  cel  miel  ne  me  paes. 

020    Ain!  con  me  conduisiez, 
Et  con  seroie  a  savete. 
Se  g'estoie  en  enfremete  ! 
Vos  me  lairees  poires  moles.' 
Atant  es  vos  a  cez  paroles 

i>2ô    Sire  Lanfroi  le  forestier, 

Et  Renart  se  mist  au  frapier. 
Quant  li  vileins  vit  Brun  l'ors  pend 
Au  cesne  que  il  devoit  fendre, 
A  la  vile  s'en  vient  le  cors. 

()30    'Harou!  harou!'  fait  il   a  Tors! 
Ja  le  perrons  as  poins  tenir.' 
Qui  dont  veïst  vileins  venir 
Et  fermier  par  le  boscage! 
Qui  porte  tinel,  et  qui  hache, 


C.OO    ti 


(;14  ciiuiu         illT)    lien         (UT    Sun         f.l9  de! 


cel  (527    prciiiln-  (kJI 


I    Méon  1US39— 10:S8(;j  19 

(vîô    Qui  ilael,  qui  baston  d'espine. 

Grant  peor  a  Brun  de  s'escine. 
Quant  il  oï  venir  la  rage, 

Fremist  et  pense  en  son  corage 

Que  meus  H  vient  le  musel  perdre 
640    Que  Lanfroi  le  poûst  aerdre, 

Qui  devant  vient  a  une  hace. 

Tent  et  retent,  tire  et  relâche 

(Estent  le  cuir,  ronpent  les  venes) 

Si  durement  que  a  grans  peines 
fi45    Fent  li  cuirs  et  la  teste  qasse. 

Del  sanc  i  a  perdu  grant  masse, 

Le  cuir  des  pies  et  de  la  teste. 

One  nus  ne  vit  si  leide  beste. 

Li  sans  li  vole  del  musel, 
GôO    Entor  son  vis  n'ot  tant  de  pel 

Dont  en  poïst  fere  une  borse. 

Einsi  s'en  vet  le  filz  a  Torse. 

Parmi  le  bois  s'en  vet  fuiaut, 

Et  li  vilein  le  vont  huiant: 
655    Bertot  le  filz  sire  Gilein, 

Et  Hardoïn  Copevilein, 

Et  Gonberz  et  li  filz  Galon, 

Et  danz  Helins  li  niez  Faucon 

Et  Otrans  li  quens  de  l'Auglee 
6G0    Qui  sa  feme  avoit  estranglee: 

Tyegiers  li  forniers  de  la  vile 

Qui  esposa  noire  Cornille, 

Et  Aymer  Brisefaucille 

Et  Rocelin  li  filz  Bancille, 
665    Et  le  filz  Oger  de  la  Place, 

Qui  en  sa  mein  tint  une  hache: 

Et  misire  Hubert  Grosset 

Et  le  filz  Faucher  Galopct. 

Li  ors  s'enfuit  a  grant  anguisse. 
670    Et  li  prestres  de  la  parose 


G35  f.  et  qui      644  Si  d.  i=îi  qna  ^'rant  p.       r,.j3  fuant       B58  niez] 
filz         660  a.  csposee 


20  I  (Méon   10887— l(t424) 

Qui  fu  père  Martiu  d'Orliens, 
Qui  veiioit  d'espandre  son  fiens, 
(Une  force  tint  en  ses  moins) 
Si  l'a  féru  parmi  les  reins, 
(i75    Que  par  pou  ne  l'a  abatu. 
Molt  l'a  blecie  et  confondu. 
Cil  qui  fet  pinnes  et  lanternes, 
Ateint  Brun  l'ors  entre  deus  cesnes: 
D'une  corne  de  buef  qu'il  porte 
fiSO    Li  a  tote  l'escino  torte. 
Et  d'autres  vileins  i  a  tant 
Qui  as  tinels  le  vont  bâtant. 
Que  a  grant  peine  s'en  escape. 
Or  est  Renarz  pris  a  la  trape, 
08')    Se  Bruns  li  ors  le  puet  atcindro. 
Mes  quant  il  l'oï  de  loin  pleindie, 
Tantost  s'est  mis  par  une  adrece 
A  Malpertuis  sa  forterece, 
Ou  il  ne  crient  ost  ne  aguet. 
690    Au  trespasser  que  Bruns  a  fet 
Li  a  Renart  deus  gas  lancies. 
'Brun,  estes  vos  bien  avancies' 
Ce  dit  Renart   del  miel  Lanfroi 
Que  vos  aves  mangie  sans  moi  ? 
095    Yostre  maie  foi  vos  parra. 
Certes  il  vos  en  mescharra 
Que  ja  n'aures  en  la  fin  prestre. 
De  quel  ordre  voles  vos  estro 
Que  roge  caperon  portes  ?" 
700    Et  li  ors  fut  si  amates 

Qu'il  ne  !i  pot  respondre  mot. 
Fuiant  s'en  vet  plus  que  le  trot: 
Qu'encor  quide  caoir  es  moins 
Lanfroi  et  les  autres  vileins, 
705       Tant  a  aie  esporonant 
Que  dedens  le  midi  sonant 
En  est  venus  en  la  carere 
Ou  li  lions  tint  cort  plonere. 


672  Que         G83  Qui         (]8(i  il  lou  de 


I  (Méon   1U425— 1U460)  21 

Pasmes  cliaï  el  parevis. 
710    Li  sans  li  cuevre  tôt  le  vis 

Et  si  n'aporte  nule  oreille. 

Trestote  la  cort  s'en  merveille. 

Li  rois  dit  'Brun,  qui  t'a  ce  fet? 

Ledement  t'a  ton  capel  treit, 
715    Par  pou  qu'il  ne  t'a  escuissie.' 

Brun  avoit  tant  del  sanc  lessio 

Que  la  parole  li  failli. 

'Rois'  fet  il,  ainsi  m'a  bailli 

Renart  com  vos  poes  veoir.' 
720    Atant  li  vet  au  pie  caoir. 

Qui  lors  veïst  le  lion  brere. 

Par  mautalant  ses  crins  detrere! 

Et  jure  le  cuer  et  la  mort. 

"Brun'  fet  li  rois.  'Renart  t'a  mort, 
725    i^e  quit  q'autre  merci  en  aies. 

Mes  par  le  cuer  et  par  les  plaies 

Je  t'en  ferai  si  grant  venchance 

Qu'en  le  saura  par  tote  France. 

Ou  estes  vos,  Tyberz  li  chaz? 
730    Aies  moi  por  Renart  vias! 

Dites  moi  le  rox  deputere 

Qu'il  me  viegne  a  ma  cort  droit  fere 

En  la  présence  de  ma  gent. 

Si  n'i  aport  or  ni  argent, 
735    Ne  parole  por  soi  deflfendre, 

Mes  la  hart  a  sa  goule  pendre.' 

Tybers  ne  l'osa  refuser  : 

Qar  s'il  s'en  poûst  escuser, 

Encor  fust  sans  lui  li  senters. 
740    Mes  a  anvis  ou  volonters 

Convient  au  sene  aler  le  prestre. 

Et  Tybert  se  met  a  senestre 

Parmi  le  fons  d'une  valee. 

Tant  a  sa  mule  esporonee 


709  es  paucllous         710  De  si  haut  con  il  estoit  Ions         733.  734 
intervertis         734  hor  736  pndre         740  Me  a 


22  I  (Méon  10461—10496) 

745    Qu'il  est  venus  a  l'uis  Renart. 
Deu  recleime  et  saint  Lienart 
Cil  qui  deslie  les  prisons, 
Qu'il  le  gart  par  ses  oreisons 
Des  moins  Renart  son  conpaignon: 

7  0    Qar  il  le  tient  tant  a  gaignon 
Et  a  beste  de  put  conroi, 
Neïs  a  dex  ne  porte  il  foi. 
La  rien  qui  plus  le  desconforte, 
Ce  fu  quant  il  vint  a  la  porte. 

755    Entre  un  frenne  et  un  sapin 
A  veii  l'oisel  saint  Martin. 
Asez  huca   a  destre,  a  destre!' 
Mes  li  oisauls  vint  a  senestre. 
Tibert  s'en  tint  une  grant  pose. 

760    Or  vos  di  que  ce  fu  la  chosse 

Qui  plus  l'esmaie  et  plus  le  donte. 
Son  cuer  dit  que  il  aura  honte 
Et  grant  ennui  et  grant  vergoigne. 
Tant  dote  Ronart  et  resoigne 

765    Qu'il  n'ose  entrer  eu  sa  meson. 
Par  dehors  conte  sa  reson  : 
Mes  maves  en  est  ses  gaainz. 
'Renart'  fet  il,  'baux  doz  conpainz, 
Respon  moi,  es  tu  la  dedenz?' 

770  Ce  dit  Renart  entre  ses  denz 
Tôt  coiement  que  il  ne  l'oie, 
'Tybert,  par  vostre  maie  joie 
Et  par  vostre  maie  aventure 
Soiez  venus  en  ma  pasture! 

775    Si  seres  vos,  s'engin  ne  faut.' 
Et  puis  li  respondi  en  haut 
'Tybert'  ce  dist  Renart,  'welcommel 
Se  tu  venoiez  or  de  Rome 
Ou  de  seint  Jaque  frescement, 
780    Bien  soiez  venus  hautement 


758  que  761  doute  762  duute  768  f.  se  il  doz  manque 

778  malle         776  Et  puis]  R.         778  ore 


I  (Méoii  10407—10536)  23 

Conme  le  jor  do  pantecoste." 

Mes  sa  parole,  que  li  coste? 

Si  le  salue  bêlement. 

Et  Tybert  li  respont  brement 
785    Renart,  nel  tenes  a  desroi, 

Se  je  vien  ca  de  par  le  roi  : 

Ne  quidiez  pas  que  je  vos  hace. 

Li  rois  durement  vos  manace. 

Vos  n'aves  a  la  cort  voisin 
790    Fors  dant  Grinbert  vostre  cosin 

Qui  ne  vos  hee  durement.' 

Et  Renart  li  respont  brement 

'Tybert,  or  lessiez  manacier 

Et  sor  moi  lor  denz  aguiser. 
795    Ge  vivrai  tant  con  je  porrai. 

G'irai  a  la  cort,  si  orrai 

Qui  sor  moi  voudra  noient  dire.' 

'Ce  sera  grant  savoir,  baux  sire. 

Ge  le  vos  lo,  et  si  vos  eim. 
800    Mes  certes  je  ai  si  grant  fein 

Que  tote  en  ai  coi-be  l'escine. 

Avez  vos  ne  coc  ne  geline. 

Ne  chosse  qu'en  puisse  manger':*' 

'Que  ti-op  me  menés  grant  dangier' 
805    Ce  dit  Renart:  'baraz,  baraz 

De  soris  crasses  et  de  raz  : 

Ge  cuit,  que  n'en  gosteriez." 

'Si  feroie.'     'Non  feriez,' 

'Certes  ja  n'en  serai  lassez.' 
810    'Et  je  vos  en  donrai  asez 

Demein  einz  le  soleil  levant. 

Or  me  sivez,  g'irai  avant.' 
Atant  s'en  ist  de  sa  tesnere. 

Tybert  le  sivi  par  derere 
815    Qui  n'i  entent  barat  ne  gile.  7 

Traiant  en  vont  a  une  vile 

Ou  il  n'avoit  coc  ne  geline 

Dont  Renart  n'ait  fet  sa  cuisine. 


783  Sil  le        807  ne  g.       809  Herez        810  Et]  Que        812  serez 


I  (Méun  10537-10574) 

Tybert,  savez  que  nos  ferons? 

8^20    La  dedenz  entre  ces  mesons' 

Fet  soi  Reuart   esta  uns  prostrés, 
Et  ge  conois  molt  bien  ses  estres. 
Ases  a  forment  et  aveine. 
Mes  les  soris  eu  font  grant  peine: 

825    Mangie  en  ont  bien  demi  mui. 
N'a  encor  gueres  que  g'i  fui. 
Lores  lor  fis  une  envaïe. 
Dis  gelines  pris  sans  faillie. 
Les  cinc  en  ai  ge  mangies  hui, 

830    Et  les  autres  mis  en  estui. 
Voiz  ci  par  la  ou  l'en  i  entre. 
Passe  outre,  saoule  ton  ventre!' 
Mes  li  Iccercs  li  mentoit. 
Car  li  prostrés  qui  la  manoit, 

835    N'avoit  ne  orge  ne  aveine. 
De  ce  n'estoit  il  ja  en  peine. 
Toute  la  vile  le  plaignoit 
Por  une  putein  qu'il  tenoit. 
Qui  mère  estoit  Martin  d'Orliens. 

840    Si  l'avoit  gite  de  granz  biens 
Que  il  n'avoit  ne  buef  ne  vache 
Ne  autre  beste  que  je  sache 
Fors  deus  gelines  et  un  coc. 
Martinet  qui  puis  ot  le  froc 

845    Et  qui  puis  fu  moines  rendus 
Avoit  au  trou  deus  las  tendus 
Por  Renart  prendre  le  gorpil. 
Dex  garisse  au  prestre  tel  fil 
Qui  ja  aprent  si  bel  barat 

850    Con  de  prendre  gorpil  ou  chat! 
'Tybert,  passe  outre'  dit  Renart. 
'Fi  merde,  con  tu  es  cuart! 
Ge  t'atendrai  au  trou  ca  fors.' 
Et  Tybert  lance  avant  son  cors. 


832  solonc       835—840  iiMiK/uenf       841   Qui  il  n'J  II  ni 
soris  et  rat 


I  (Méon  10575—10612)  25 

855    Et  or  se  pot  tenir  por  fol, 

Que  li  las  l'a  pris  par  le  col. 

Tret  et  retret  Tybert  li  chaz: 

Con  plus  tret,  plus  estreint  li  las. 

Eschaper  quide,  rien  ne  vaut  : 
860    Qar  Martinez  li  clercons  saut. 

'Or  sus,  or  sus'  fet  il,  'bel  père! 

Aïde,  aide,  bêle  mère! 

Alumez,  si  corez  au  trou: 

Li  gorpilz  est  tenus  por  fou.' 
865         La  mère  Martinet  s'esveille, 

Saut  sus,  s'alume  la  chandelle. 

A  une  mein  tint  sa  conoille. 

Li  prestres,  en  son  poing  sa  coillc, 

S'est  erraument  du  lit  sailliz. 
870    Lors  est  Tybert  molt  asailliz. 

Qu'il  prist  cent  cox  de  livroison 

Eins  qu'il  partist  de  la  meson. 

Fiert  li  prestres,  fiert  la  soignanz. 

Et  Tybert  jeté  avant  les  danz, 
875    Si  con  nos  trovons  en  l'estoire, 

Esgarda  la  colle  au  provoire: 

As  denz  et  as  ongles  trenchans 

Li  enracha  un  des  pendans. 

Quant  la  feme  vit  sa  grant  perte, 
880    Lors  par  fu  sa  dolor  aperte. 

Trois  fois  s'est  chaitive  clamée, 

A  la  quarte  chaï  pammee. 

Au  duel  que  Martinet  menoit 

De  sa  mère  qui  se  pasmoit, 
885    Tybert  s'en  eschape  li  chaz, 

Qu'il  ot  as  denz  mangiez  les  laz. 

Il  a  este  bien  ledengiez: 

Mes  en  la  fin  s'est  bien  venchez 

Del  prestre  qui  si  le  batoit. 
85)0    Ahi,  con  il  s'en  vencheroit 

De  Renart,  s'il  ert  au  desore! 

Mes  li  lecheres  n'i  demore. 


862  A  aid  aide        865  martinez        886  lez  laz        889  que 


26  I  (Méon  10613—10652) 

Ainz  s'cnfoï  sans  plus  atondro 
Dos  que  Tybert  vit  au  laz  prendre. 

895    Quant  Martinet  dit  levés  sus', 
Onques  n'i  volt  demorer  plus  : 
Ainz  s'en  foï  a  son  repère, 
Et  cil  remeist  por  le  mal  trero. 
'Ahi'  fait  il,  'Renart,  Renart! 

900    Ja  dex  n'ait  en  vostre  arme  part! 
Bien  doiisse  estre  chastiez 
Qui  tantes  fois  sui  conciliez 
Par  le  barat  Renart  le  rox! 
Et  li  prostrés  li  maveis  cox 

905    Qui  dex  doint  mal  gisto  et  pou  pain 
Entre  lui  et  s'orde  putein, 
Qui  hui  m'a  fet  tele  envaïe. 
Mes  d'un  des  pendanz  n'a  il  mie. 
A  tût  le  mains  en  sa  paroche 

910    Ne  puet  soner  qu'a  une  cloche. 
Et  Martinez  son  filz  d'Orliens, 
Que  ja  ne  croisse  en  lui  nus  biens. 
Qui  si  m'aloit  iui  bâtant! 
Ja  ne  muire  il  de  si  q'atant 

915    Qu'il  ait  este  moines  retrez 
Et  puis  par  larecin  desfez!' 

Tant  a  sa  pleinte  démenée 
Qu'il  est  venus  en  la  valee 
Et  en  la  cort  ou  li  rois  siet. 

9-io    Ou  il  le  voit,  as  piez  li  chet, 
Si  li  reconte  la  merveille. 
'Dex  !'  dist  li  rois  'car  me  conseille  ! 
Con  oi  ore  grant  diablic 
De  Renart  qui  si  me  concilie  ! 

925    Ne  je  ne  puis  trover  nullui 
Qui  me  venche  de  cest  ennui. 
Sire  Grinbert,  molt  me  merveil, 
Se  ce  est  par  vostre  conseil 
Que  Renart  me  tient  si  por  vil.' 

930    Ge  vos  plevis,  sire,  nenil.' 


906  puein         910  pot         919  lui 


iMéon  10653—10690)  27 


Aies  donc  tost,  sel  m'amènes, 
Gardes  sans  lui  que  ne  vcnes.' 
'Sire,  ce  ne  puis  je  pas  fere. 
Renart  est  si  de  put  afere, 

935    Bien  sai  que  pas  ne  l'amenroic. 
Si  je  vos  letres  n'en  avoie. 
]\[es  s'il  veoit  vostre  seel, 
Foi  que  je  doi  saint  Israël, 
Lors  sai  ge  bien  que  il  vendroit, 

940    Ja  nul  essoingne  nel  tendroit.' 
'Par  foi  vos  dites  voir,  baux  sire.' 
Lors  li  devise  la  matire 
Li  rois  et  Baucent  li  escrist 
Et  seela  qanque  il  dist. 

945    Puis  bailla  Grinbert  le  seel. 
Et  cil  se  mist  en  un  prael, 
Et  après  entra  en  un  bos. 
Molt  li  sua  la  pel  del  dos 
Ainz  qu'il  venist  a  l'uz  Renart. 

950    Au  vespre  trove  en  un  essart 
Un  senter  qui  bien  le  conduit 
A  l'uis  Renart  devant  la  nuit. 
Li  mur  sunt  haut  et  li  destroif. 
Par  un  guicet  s'en  ala  droit. 

955    Apres  entra  el  premer  baille. 
Dont  ot  peor  qu'en  ne  l'asaille 
Renart,  quant  celi  ot  venir. 
Près  de  meson  se  volt  tenir 
Tant  qu'il  sache  la  vérité. 

960    Es  vos  Grinbert  en  la  fer  te. 
Au  pont  torneïz  avaler 
Au  petit  pas  et  al  aler, 
Ainz  qu'il  entrast  en  la  tesnere, 
Le  cul  avant,  la  teste  arere, 

965    L'a  bien  Renart  reconeii, 

Ainz  que  de  plus  près  l'ait  veû. 
Grant  joie  en  fet  et  grant  solaz, 
Au  col  li  met  andous  les  braz: 


931  sel]  si     988  yrael    946  Et  puis  entra  en    960  la  brete     968  andou 


28  I  (Méon  10691  — 1072t)) 

Desoz  li  ploie  dcus  cossins 

970    Por  ce  qu'il  estoit  ses  cosins. 
De  ce  tien  ge  Grinbert  a  sage, 
Que  ne  volt  conter  son  message 
Devant  qu'oust  mangie  asez. 
Et  quant  li  mangers  fu  fines, 

975    'Sire  Renart'  ce  dist  Grinbert, 
'Trop  est  vostre  barat  apert. 
Savez  vos  que  li  rois  vos  mande, 
Non  mie  mande,  mes  conmande? 
Que  vos  li  viengnes  fere  droit 

980    En  son  pales  ou  que  il  soit. 
Prendra  ja  vostre  gerre  fin? 
Que  demandes  vos  Ysengrin 
Ne  Brun  Tors  ne  ïybert  le  chat':' 
Mar  veïstes  vostre  barat. 

985    Ne  vos  en  puis  doner  confort: 
Ja  n'en  aures  el  que  la  mort. 
Ne  vos  ne  tuit  vostre  chael. 
Tenez  mon,  brisies  cest  seel, 
Gardes  que  la  letre  vos  dit'. 

990    Renart  l'ot,  si  tremble  et  frcmist. 
A  grant  peor  la  cire  brise 
Et  voit  que  la  letre  devise. 
Il  sospira,  au  premer  mot 
Bien  sot  a  dire  qu'il  i  ot. 

995         'Mesire  Nobles  li  lions, 
Qui  de  totes  les  régions 
Est  des  bestes  et  rois  et  sire, 
Mande  Renart  honte  et  martire 
Et  grant  ennui  et  grant  contrere, 

1000    Se  demein  ne  li  vient  droit  fore 
Enz  en  sa  cort  devant  sa  gcnt. 
Si  n'i  aport  or  ni  argent, 
Ne  n'ameint  hon  por  lui  defFendre, 
Fors  la  hart  a  sa  gole  pendre.' 


!)71  Gbt  !)73  Que  oust  97â  .g-ib\  981.  982  intervertis  982 
y.n  984  baraz  986  lo  987  seel  994  Si  sire  996  les  maïKjue 
religions      997  Et  de  totes  b.  est  s.         1001  Euz  enz 


I  (Méon  10727  — 10762J  29 

1005         Quant  Renart  entent  la  novele. 

Le  cuer  li  bat  soz  la  niamele, 

Tôt  le  viaire  li  neirci. 

'Por  deu'  fat  il,  'Grinbert,  merci  ! 

Conseilliez  cest  dolant  chaitif! 
1010    Molt  he  Tore  que  je  tant  vif, 

Quant  je  serai  demein  pendus. 

Qar  fusse  je  moignez  rendus 

A  Clugni  ou  a  Cleresvax  ! 

Mes  je  conois  tant  moines  fax 
lOlô    Que  je  croi  q'issir  m'en  conviegne. 

Por  ce  est  meus  que  je  m'en  tiegne.' 

'N'aiez  de  ce'  dit  Grinbert   euro! 

Vos  estes  en  grant  aventure. 

Tant  con  vos  estes  ci  sanz  gent, 
1020    Confessies  vos  a  moi  bremcut! 

Rent  toi  a  moi  verai  confes, 

Qar  je  n'i  voi  prestre  plus  près." 

Renart  respont   sire  Grinbert, 

Ci  a  conseil  bon  et  apert. 
1025    Qar  se  ge  vos  di  ma  confesse 

Devant  ce  que  la  mort  m'apresse. 

De  ce  ne  pot  venir  nus  max, 

Et  se  je  muir,  si  serai  sax. 
Or  entendez  a  mes  péchez! 
1030    Sire,  g'ai  este  entechez 

De  Hersent  la  feme  Ysengrin. 

Mes  je  vos  en  dirai  la  fin. 

Ele  en  fu  a  droit  mescreûe 

Que  voirement  l'a  je  fotue. 
1035    Or  m'en  repent,  dex  moie  corpe! 

Meinte  foiz  li  bâti  la  corpe. 

Ysengrin  ai  ge  tant  forfet 

Que  nel  puis  veer  a  nul  plet. 

Dex  mete  or  m'ame  a  garison! 
1040    Trois  foiz  l'ai  fet  motre  en  prison. 


1009.  1010  interrertis         1015  que  issir       1017  de  ninm/uf 
R.  moi  a  toi  vraie  p.         103.5  me  repent         1039  ore 


30  I  (Méon  1U7<)3--1(»80()) 

Si  vos  dirai  en  queil  manere. 

Gel  fis  chaoir  en  la  lovere 

La  ou  il  enporta  l'agnel. 

La  ot  il  bien  batu  la  pel: 
1045    Qu'il  prist  cent  cox  de  livroison 

Ains  qu'il  partist  do  la  meson. 

Gel  fis  el  braion  enbraier 

Ou  le  troverent  trois  bercher, 

SU  bâtirent  con  asne  a  pont. 
lOôO    Trois  bacons  avoit  en  un  mont 

Ches  un  prodome  en  un  larder; 
"De  cous  li  fis  ge  tant  manger. 

N'en  pot  issir,  tant  fu  rentrez, 

Par  la  u  il  estoit  entres. 
1055    Gel  fis  pécher  en  la  gelée 

Tant  qu'il  out  la  queue  engelee. 

Gel  fis  pechor  en  la  fonteine 

Par  nuit,  quant  la  lune  estoit  plene. 

De  l'ombre  de  la  blance  imago 
KJGO    Quida  de  voir,  ce  fust  furmage. 

Et  si  refu  par  moi  traïz 

Devant  la  charete  as  plaïz. 

Cent  foiz  a  este  par  moi  mat. 

Par  fine  force  de  barat 
10(55    Li  fis  je  tant  qu'il  devint  moines, 

Puis  dit  qu'il  volt  estre  chanoines. 

Qant  en  li  vit  la  char  mangor. 

Fox  fu  qui  de  lui  fist  berger. 

Ge  ne  vos  auroie  hui  retrait 
1070    Tôt  le  mal  que  je  li  ai  fet. 

Il  n'a  beste  en  la  cort  le  roi 

Qui  ne  se  puist  pleindre  de  moi. 

Je  fis  Tybert  chaoir  es  laz, 

Qant  il  cuida  mengier  les  raz. 
1075    De  tôt  le  parente  Pintein 

Que  seulement  lui  et  s'antein 


10.J4  l.i  lii  11  il  fil  0.       1()()0   p.  iiou   f.       10(53  La        Au   lieu   f7f.«  vr. 
1073.  1074  0,1  lit   Va.  il'  clios   un   uilein   uhii  Coc  no  seli"''  "i   laissai 


I  (Méon  lUSUl  — 10S40)  31 

N'i  a  remeis  coc  ne  jeline 

Dont  je  n'aie  fet  ma  cuisine. 

Quant  li  os  fu  devant  mon  crues 
1080    De  senglers,  de  vaches,  de  bues 

Et  d'autres  bestcs  bien  armées, 

Que  Ysengrin  ot  amenées 

Por  celé  gerre  mètre  a  lin, 

Retin  Roonel  le  mastin. 
1085    Bien  furent  set  vinz  conpaignon. 

Que  chen,  que  lisclie,  que  gaingnon. 

Tuit  furent  batu  et  plaie. 

Mais  malement  furent  laie: 

Qar  je  lor  toli  lor  soudées. 
1090    Quant  les  oz  s'en  furent  alees, 

Par  gile  et  par  concliiement 

Lor  toli  ge  lor  convenant. 

Au  départir  lor  fis  la  loupe.  9 

Or  me  repent,  dex  moie  coupe! 
10'.);')    Or  voil  venir  a  repentanche 

De  quanque  j'ai  fet  en  m'enfanche.' 

'Renart,  Renart'  ce  dit  Grrinbort, 

'Vos  péchez  m'aves  descovert 

Et  le  mal  que  vos  aves  fet. 
1100    Se  dex  vos  gite  de  cest  plet, 

Gardes  vos  bien  del  renchooir.' 

'Ja  dex  ne  me  lest  tant  veoir' 

Ce  dist  Renart,  'que  je  mes  face 

Nule  chose  que  dex  desplace.' 
110;')    Il  li  otroie  quanqu'il  vont. 

Il  s'abaissa  et  cil  l'asout 

Moitié  romanz,  moitié  latin. 

Renart,  quant  ce  vint  au  matin, 

Besa  sa  feme  et  ses  enfans. 
1110    Au  départir  fu  li  dous  grans. 

Il  prist  congie  a  son  manage  : 

'Enfant'  fet  il,    de  haut  lignaje. 

Pensez  de  mes  casteax  tenir, 

Que  que  de  moi  doie  avenir, 

1079  ors    1084llifint    1085  .vîi.     1093  (lopartiir     1102  t:int  7iitiuqiie 


32  I  (Méon   10^41  —  10880) 

lllô    Contre  contes  et  contre  rois: 
Que  vos  ne  troveres  des  mois 
Conte,  prince  ne  chasteleine 
Qui  vos  forface  un  fil  de  leine. 
Ja  par  ous  ne  seres  grevez, 

1120    Se  vos  aves  les  pons  levés: 
Que  vos  aves  ases  vitaille. 
Ne  quit  devant  set  ans  vos  faille. 
Que  vos  iroie  ge  disant? 
A  dame  deu  toz  vos  conmant 

11-2.')    Qui  me  rameint  si  con  je  vueil.' 
Atant  feri  le  pie  au  sueil: 
Au  départir  de  sa  tesnere 
A  conmencie  sa  proiere. 

Dex'  fait  il,  'rois  omnipotens, 

li;5n    Maintien  mon  savoir  et  mon  sons 
Que  je  n'i  perde  par  peor 
Par  devant  lo  roi  mon  segnor, 
Quant  Ysengrin  m'acusera: 
De  quanqu'il  me  demandera. 

li;?;')    Que  je  li  puisse  reson  rendre 
Ou  del  noier  ou  del  défendre: 
Me  doint  sein  et  sauf  repairer 
Que  je  me  puisse  encor  vengier 
De  cels  qui  me  font  si  grant  guère. 

1140    Lors  se  couca  adens  a  tere, 

Et  trois  fois  se  rendi  copables, 
Puis  se  segna  por  les  diables. 

Or  s'en  vont  li  baron  a  cort. 
Et  passent  l'eve  qui  la  cort, 

1145    Et  les  destrois  et  la  monteinne, 

Et  puis  chevauchent  par  la  pleigne. 
En  ce  que  Renart  se  démente, 
El  bois  ont  perdue  la  sente, 
La  voie  et  le  chemin  ferre. 

1150    Et  nequedent  tant  ont  erre. 

Qu'il  s'avoient  parmi  un  pleins 
Deles  une  grange  a  noneins. 


1149  fere       1150  o.  aie  erre         1152  genge  as 


I  (.Méon   10881—10914)  33 

La  meson  est  molt  bien  garnie 

Do  toz  les  biens  que  terre  crie, 
1155    De  let,  de  formaches  et  d'ues, 

De  berbiz,  de  vaches,  de  bues. 

D'unes  et  d'autres  uorricons. 

'Ca'  dit  Renart  'nos  adrecons, 

Par  encoste  de  ces  espines. 
1160    Vers  celé  cort  a  ces  gelines: 

La  est  la  voie  que  lessons.' 

'Renart,  Renart'  dit  li  tessons, 

'Dex  set  bien  por  qoi  vos  le  dites. 

Filz  a  putein,  puanz  heirites, 
1165    Malves  lecheres  et  engres, 

N'estiees  vos  a  moi  confes 

Et  aviez  merci  crie?' 

Fet  il  'ge  l'avoie  oblie. 

Alon  nos  ent,  je  sui  toz  prest.' 
1170    'Renart,  Renart,  por  noient  est. 

Dex  parjures,  deu  foi  mentie, 

Toz  jors  durra  ta  lecherie. 

Con  tu  es  foie  criature! 

Tu  es  de  mort  en  aventure, 
1175    Et  as  pris  ta  confession. 

Or  si  vels  fere  traïson. 

Certes  grant  pèche  te  cort  sore. 

Vien  t'ent:  maleoite  soit  l'eure 

Que  tu  onques  nasquis  de  mère!' 
1180    'Bêlement  le  dites,  baux  frère! 

Alon  nos  ent  en  pes  ambiant." 

N'en  ose  fere  autre  samblant 

Por  son  cosin  qui  le  chastie. 

Et  neporoc  sovent  colie 
1185    Vers  les  jelines  celé  part. 

Molt  est  dolant,  quant  il  s'en  part. 


1154  tôt  que  manque  1155  formache  et  de  ues  1157  Du- 
nez  1158  Ce  1160  gelin .  .  1161  q.  nos  1.  1165  lèches  1168  olie 
1169    trop   près  1170   n.    tos         1172   dura         lecliie         1175    après 

1178  maleoite  soit]  laloite  soit  hui 

RENART      l  3 


34  I  (Méon  10915—10950 

Et  qui  la  teste  li  coupast, 
As  gelines  tôt  droit  alast. 

Or  s'en  vont  li  baron  ensenble: 

1190    Dex,  con  la  mule  Grinbert  anble! 
Mes  li  chevax  Renart  acope. 
Li  sans  11  bat  desoz  la  crope: 
Tant  Client  et  dote  son  segnor, 
Qu'onques  mes  n'ot  si  grant  peor, 

119Ô    Tant  ont  aie  et  plein  et  bos 
Et  l'anbleure  et  les  galos, 
Et  tant  ont  la  monteigne  alee, 
Qu'il  sont  venu  en  la  valee 
Qui  en  la  cort  lo  roi  avale. 

12U0    Descendu  sont  devant  la  sale. 

Sitost  com  Renart  vint  a  cort, 
Ouc  n'i  ot  beste  ne  s'atort 
Ou  d'oposer  u  de  respondre. 
Or  est  Rpnai't  près  de  confondre. 

1205    N'en  toinera  qu'il  ne  s'en  cuisse: 
Qar  Ysengrin  ses  dens  aguise 
Et  Tybert  li  cliaz  se  conseille, 
Et  Bruns  qui  la  teste  ot  vermeille. 
Mes  qui  q'aint  ou  hee  Renart, 

1210    Ne  fet  pas  chère  de  coart. 

Ainz  conmence  enmi  la  meson 
Teste  levée  sa  reson. 

'Rois'  fet  Renart,  je  vos  salu 
Con  cil  qui  plus  vos  a  valu 

1215    Que  baron  qui  soit  en  l'enpire. 
Mes  tort  a  qui  vers  vos  m'enpire. 
Ne  sai  se  c'est  par  mou  oûr, 
Ge  ne  fui  onques  asour 
De  vostre  amor  un  jor  enter. 

1220    Ge  parti  de  cort  avantier 


Dans  les  vv.  1187 — 1194  les  premières  lettres  manquent,  parce  que 
la  nuinje  a  vie  décJnWe:  [1187  Et  1188  A  1189  0  1190  conme 
1191  Mes  1192  Li  san  1193    Tant  cri  1194  Quonques  mes] 

1197  sont         1203  déposer         1208  que         1209  que  aint 


I  (Méon  10951—10994)  35 

Par  vostre  gre  et  par  amor, 

Sanz  maltalant  et  sanz  clamor. 

Or  ont  tant  fet  li  losenger 

Qui  de  moi  se  volent  venger, 
1225    Que  vos  m'aves  juge  a  tort. 

Mes  puis,  sire,  que  rois  s'amort 

A  croire  les  maveis  larons, 

Et  il  lesse  ses  bons  barons, 

Et  gerpist  le  chef  por  la  qeue,  10 

1230    Lors  vet  la  terre  a  maie  veue. 

Qar  cil  qui  sont  serf  par  nature 

Ne  sevent  esgarder  mesure. 

S'en  cort  se  poent  alever, 

Molt  se  peinent  d'autrui  grever. 
1235    Cil  enortent  le  mal  a  fere 

Que  bien  en  sevent  lor  prou  fere, 

Et  enborsent  autrui  avoir. 

Ice  voudroie  je  savoir 

Que  Bruns  et  Tybert  me  demande. 
1240    II  est  voirs,  se  11  rois  conmande. 

Que  bien  me  poent  fere  let. 

Encore  ne  l'ai  ge  forfet, 

Qu'il  ne  sevent  dire  por  qoi. 

Se  Bruns  manja  li  miel  Lanfroi 
1245    Et  li  vileins  le  ledenja. 

Et  il  por  qoi  ne  s'en  venja? 

Ja  a  il  tex  meins  et  tex  piez, 

Si  granz  musteax  et  si  grant  giez. 

Se  misire  Tybert  li  chaz 
1250    Manja  les  soris  et  les  raz 

Quant  en  le  prist  et  li  fist  honte, 

Por  le  cuer  be  a  moi  qu'en  monte? 

D'Ysengrin  ne  sa  ge  que  dire: 

Que  il  n'a  mie  tort  del  dire 
1255    Que  j'avoie  sa  feme  amee. 

Et  quant  ele  ne  s'est  chamee. 


1221  et  sans  clamor      1222  et  jiar  amor      1228  Icsses  b.  b.      1229 
les  c'i.         1233  p.  leuer        1285  Cil  qui  e.         1242  laiege         1255  Qar 

3* 


36  I  (Méon  10995—11036) 

Sui  ge  leclieres  de  m'amie? 

Li  fox  jalox  en  a  envie: 

Est  por  ce  drois  que  l'en  me  pende? 

1260    Nenil,  sire:  dex  m'en  défende! 
Molt  est  grant  vostre  roiaute: 
La  foi  et  la  grant  loiaute 
Que  j'ai  toz  jors  vers  vos  eue 
M'a  la  vie  el  cors  meintenue. 

1265    Mes  toi  que  doi  deu  et  saint  Jorge 
G'ai  tote  chenue  la  gorge. 
Vels  sui,  si  ne  me  puis  aidier, 
Si  n'ai  mes  cure  de  plaidier: 
Pèche  fet  qui  a  cort  me  mande. 

1270    Mes  puis  que  missire  conmande, 
Si  est  il  drois  que  je  i  viegne. 
Or  sui  devant  lui,  si  me  tiegne 
Et  si  me  face  ardoir  ou  pendre  : 
Qar  ne  me  puis  vers  lui  deffendre. 

1275    Ge  ne  sui  pas  de  grant  puissance. 
Mes  ce  seroit  povre  venchauce: 
S'en  parleroient  meinte  gent. 
Se  l'en  sanz  jugement  me  peut.' 
'Renart,  Renart'  dist  l'enperere, 

1280    'Dahez  ait  l'ame  vostre  père 
Et  la  pute  qui  voz  porta 
Quant  ele  ne  vos  avorta! 
Or  me  dites,  traîtres  1ère, 
Por  quoi  estes  tant  baretere? 

1283    Bien  saves  parler  et  plaidier: 

Mes  ce  que  vaut?  ce  n'a  mestier. 
N'en  partires  en  nule  guise 
Que  de  vos  ne  fâche  justice. 
N'i  a  mester  chère  hardie 

1290    Ne  n'i  vaut  vostre  renardie. 

Molt  savez  de  la  fauve  annesse, 
Se  ja  n'avez  vostre  promesse 
Que  l'en  vos  a  toz  jors  promisse. 
Hui  estes  venus  a  juïse 


1258  en]  de  ce  1259  que  l'en  me]  quen  men  1274  qa  128S  nen 


I  (Méon  11037—11076)  37 

1295    Tel  con  jugeront  mi  baron, 

Que  l'en  doit  fere  de  laron 

Et  con  de  felou  traïtor. 

N'en  partires  sans  maves  tor, 

Se  ne  vos  poes  escondire 
1300    De  quanque  l'en  vos  voldra  dire.' 

'Sire'  dit  Grinbert  li  tessons, 

'Se  nos  vers  vos  nos  abessons 

Por  droit  fere  et  por  afetier, 

Ne  devez  pas  por  ce  tretier 
1305    Vostre  baron  vilainement. 

Mes  par  loi  et  par  jugement. 

Entendes  ca,  ne  vos  ennuit, 

Renart  est  venuz  par  conduit. 

S'est  qui  vers  lui  fâche  clamor, 
1310    Vos  li  otroiez  par  amor 

A  respondre  par  jugement 

En  vostre  cort  voiant  la  gent.' 

Ains  que  Grinbert  oiist  finee 

Sa  reson  et  bien  terminée, 
1315    Se  dreca  en  piez  Ysengrin 

Et  li  motons  sire  Belin, 

Tybert  li  chas  et  Rooneax, 

Et  don  Tiecelins  li  corbeax, 

Et  Chantecler  et  dame  Pinte, 
1320    Si  con  el  vint  a  cort  soi  quinte, 

Et  Espinarz  li  hericons, 

Et  danz  Petipas  li  poons. 

Frobers  li  gresillon  s'avance, 

Qui  sor  les  autres  crie  et  tance, 
1325    Et  danz  Roxax  li  escuireus 

Qui  il  a  fet  de  molt  granz  deuz. 

Coars  li  lèvres  molt  s'argue 

De  cort  en  cort,  de  rue  en  rue: 

Meinte  fois  li  a  fet  ennui, 
1330    Vencher  s'en  quide  encor  encui. 

Or  est  Renart  en  mal  randon, 

Se  l'en  le  velt  raetre  a  bandon. 


1295  iogeront         1305.  1306  manquent 


38  I  (Méon  11077—11112) 

Mes  li  rois  les  fet  en  sus  terre, 

Lui  en  lest  en  venchauee  fere. 
1335         Li  rois  a  parle  hautement 

Si  que  l'oent  tote  sa  gent. 

'Segnor'  fet  il,   entendes  moi! 

De  cest  larou  de  pute  foi, 

Quel  justise  de  lui  ferai, 
1840    Dites  conment  m'en  vencherai.' 

'Sire'  font  li  baron  au  roi, 

'Trop  est  Renart  de  pute  loi. 

Nus  ne  vos  sauroit  desloer 

Que  vso  nel  fachois  encroer.' 
1345    Li  rois  respont  'bien  aves  dit. 

Or  tost'  fet  il,  'sanz  contredit! 

Se  Renart  s'en  estoit  tornez, 

James  ne  seroit  retornez. 

Sachez  qu'il  nos  en  mescaroit, 
1350    Tex  n'en  set  mot  qui  en  plorroit.' 
Sor  un  haut  mont  en  un  rocher 

Fet  li  rois  les  forches  drecer 

Por  Renart  pendre  le  gorpil: 

Estes  le  vos  en  grant  péril. 
1855    Li  singes  li  a  fet  la  moue. 

Et  si  li  done  lez  la  joe. 

Renart  regarde  arere  soi, 

Et  voit  qu'il  vienent  plus  de  troi. 

Li  un  le  tret,  l'autre  le  bote: 
1360    N'est  merveille,  se  il  redote. 

Coars  li  lèvres  l'arocoit 

De  loing,  que  pas  ne  l'aprocoit. 

A  l'arocher  qu'a  fet  Coart 

En  a  crolle  le  chef  Renart: 
1865    Coarz  en  fu  si  esperduz 

Que  onques  puis  ne  fu  veûs. 

Del  signe  qu'ot  veii  s'esmaie.  11 

Lors  s'est  muchez  en  une  haie: 


1343  sauom   1350  qui  plorerait   1858  Et  manque       1366  plus 
1367  que  ot 


I  (Méon  11113—11152)  39 

D'iloc,  ce  dit,  esgardera 
1370    Quel  justice  l'en  en  fera. 

Mar  i  muca,  si  con  je  croi: 

Enqui  aura  poor  de  soi. 

Renart  se  vit  molt  entrepris, 

De  totes  parz  liez  et  pris. 
1375    Mes  il  ne  pot  engin  trover 

Conment  il  s'en  puist  escaper. 

Del  eschaper  est  il  noienz, 

Si  li  enginz  n'i  est  trop  granz 
Quant  il  vit  les  forces  drecer, 
1,380    Lors  n'ot  en  lui  que  corocier. 

Et  dit  au  roi  'baux  gentix  sire, 

Qar  me  lessies  un  petit  dire. 

Yos  m'avez  fet  lier  et  prendre, 

Or  me  voles  sanz  forfet  pendre. 
1385    Mes  j'ai  fet  de  molt  grant  péchez 

Dont  je  sui  auques  entechez  : 

Or  voil  venir  a  repentance. 

El  non  de  seinte  penitance 

Voeil  la  crois  prendre  por  aler 
1390    La  merci  deu  outre  la  mer. 

Se  je  la  muir,  si  serai  sax. 

Se  je  sui  penduz,  ce  ert  max: 

Si  seroit  molt  povre  venjance. 

Or  voeil  venir  a  repentance.' 
1395    Atant  li  vet  chaoir  as  piez. 

Au  roi  en  prist  molt  grant  pitiez. 

Grinbert  revint  de  l'autre  part 

Qui  merci  crie  por  Renart. 

Sire,  por  deu  entent  a  moi  î 
1400    Qar  le  fai  bien,  porpense  toi 

Con  Renart  est  prous  et  cortois. 

Se  Renart  vient  dusqu'a  cinc  mois, 

Eucor  aura  mester  molt  grant, 

Qar  n'aves  plus  hardi  serjant.' 
1405     Ce'  dit  li  rois   ne  fet  a  dire. 

Quant  revendroit,  si  seroit  pire: 


1374  totez         1377  es  il         1379  lez  forcez         1489  p.  et  por 


40  I  (Méon  11153—11188) 

Qar  tuit  ceste  custume  tenent: 
Qui  bon  i  vont,  mal  en  revenent. 
Tôt  autretel  refera  il, 

1410    S'  il  escape  de  cest  péril.' 
'Se  il  n'a  lores  bone  pes, 
Sire,  il  n'en  reviegne  james.' 
Ce  dit  li  rois   et  il  la  pregne 
Par  tel  conveut  que  la  remeigne.' 

1415    Quant  Renart  l'ot,  si  a  grant  joie. 
Ne  set  s'il  fornira  la  voie: 
Mes  conment  que  il  en  doie  estre, 
La  crois  est  en  l'espaule  destre. 
Escrepe  et  bordon  li  aportent. 

1420    Les  bestes  molt  s'en  deconfortent  : 
Cil  qui  enpeint  et  bote  l'ont, 
Dient  qu'encor  le  conperront. 

Ez  vos  Renart  le  pèlerin 
Escrepe  au  col,  bordon  fresnin. 

1425    Li  rois  li  dit  qu'il  lor  pardont 
Trestoz  les  maus  que  fet  li  ont, 
Et  degerpisse  engins  et  max  : 
Adont  s'il  mort,  si  sera  sax. 
Renart  ne  met  riens  en  defois 

1430    De  qanque  li  prie  li  rois. 
Ainz  li  otroie  toz  ses  dis 
Tant  que  il  soit  d'iloc  partis. 
Ront  le  festu,  si  lor  pardone. 
De  cort  se  part  un  pou  ainz  none, 

1435    Onques  nus  d'ous  ne  salua. 
Enz  en  son  cuer  les  desfia, 
Ne  mes  que  li  rois  et  s'espouse 
Ma  dame  F  ère  l'orgellose, 
Qui  molt  estoit  cortoisse  et  bêle. 

1440  Renart  gentement  en  apele, 
'Sire  Renart,  proiez  por  nos 
Et  nos  reproierons  por  vos.' 


1408  mal]  pire  1411.  1412  i)iterverfis,  mais  remis  à  leur  place 
par  les  signes  b  a  1411  Sie  nauoit  1420  se  1421  b.  lau{;ce  lont 
1422  quencore       1442  rep°erons 


I  (Méon  11189—11226)  41 

'Dame'  fet  il,  'vostre  proiere 

Devroie  ge  avoir  molt  chère. 
1445    Et  molt  par  devroit  estre  liez 

Por  qui  proier  dengneriez. 

Et  se  cel  vostre  anel  avoie, 

Molt  en  seroit  mellor  ma  voie. 

Et  sachez,  se  le  me  donez, 
1450    Bien  vos  sera  gerredonez  : 

Redonrai  vos  de  mes  jouax 

Tant  que  bien  vaura  cent  aneax. 

La  roïne  l'anel  li  tent, 

Et  Renart  volenters  le  prent. 
1455    Entre  ses  denz  basset  a  dit 

'Certes  qui  unques  ne  le  vit 

L'anel,  por  voir  le  comparra. 

Ja  por  nullui  ne  remandra.' 

Renart  mist  l'anel  en  son  doi, 
1460    Puis  si  a  pris  congie  au  roi. 

Le  cheval  fiert  des  espérons, 

Fuiant  s'en  va  les  granz  trotons. 

Vers  la  haie  s'est  aprociez 

La  u  Coart  s'estoit  muchez. 
1465    Fain  a  gregnor  que  il  ne  selt. 

De  jeûner  li  ches  li  delt. 

Atant  s'en  entra  en  la  haie. 

Coart  le  voit,  molt  s'en  esmaie. 

En  piez  se  dreche  de  poor, 
1470    Puis  si  li  a  ore  bon  jor. 

Ce  dit  Coarz  'molt  par  sui  liez 

Que  vos  estes  seins  et  haitiez  : 

Forment  me  poisse  del  ennui 

Que  l'en  vos  a  fet  si  grant  hui.' 
1475    Dit  Renart  qui  tôt  le  mont  boise 

'Quant  il  de  mon  anui  vos  poise 

Et  que  bel  ne  vos  est  del  nostre, 

Dex  doint  qu'il  nos  repoist  del  vostre!' 

Quant  Coart  Tôt,  molt  bien  l'entent, 
1480    Ne  s'asoiire  de  noient: 
1448  la         1462  le  grant         1464  Lau  ou  c.         1470  le 


42  I  (Méon  11227—11262) 

Ainz  s'apareille  de  foïr, 
(Que  molt  se  dote  de  traïr) 
Qu'il  se  volt  trere  vers  le  plein. 
Mes  Renart  le  sesist  au  frein. 

1^85    'Par  le  cuer  be,  sire  Cuart, 
Ca  esterroiz'  ce  dit  Renart. 
'Ja  cist  vostre  chevax.  inneax 
Ne  vos  garra  de  mes  chaiax, 
Ne  lor  en  face  livroison.' 

1490    Pognant  le  vet  de  son  bordon. 
La  cort  le  roi  et  li  serjant 
Fu  en  un  val  parfont  et  grant, 
Entre  quatre  roches  agues, 
Contremont  hautes  vers  les  nues. 

1495    En  la  plus  haute  Renart  monte, 
0  lui  Coart  cui  il  fet  honte. 
Coart  pendant  vet  contreval 
Par  devers  les  pies  au  cheval. 
Renart  qui  molt  est  deputere. 

1500    En  quide  bien  livroisson  fere 
A  ses  onfanz  sanz  demorance. 
Or  penst  dex  de  la  délivrance! 
Renart  regarde  en  la  gaudine 
Et  voit  le  roi  et  la  roïne. 

lôOfi    Tant  voit  barons  et  tantes  bestes, 
Li  bois  fermist  conme  tempestes. 
Entr'ous  parloent  de  Renart. 
Mes  mot  ne  sevent  de  Coart, 
Conme  il  l'enmeine  en  sa  prison 

1510    Tôt  autresi  con  un  laron. 

Renart  a  pris  as  moins  la  crois. 
Si  lor  escrie  a  haute  vois 
'Danz  rois,  tenes  vostre  drapel! 
Que  dex  confonde  le  musel 

1515    Qui  m'enconbra  de  ceste  frepe 
Et  del  bordon  et  de  l'escrepe!' 


1483  vers]  par         1496  que  il         1504  roune        1509  sa  manque 
1516  lescrepe 


I  (Méon  11264—11298)  43 

Son  cul  en  tert  voiant  les  bestes, 

Puis  si  lor  jeté  sor  les  testes. 

En  haut  parole  et  dit  au  roi: 
1520    'Sire'  fet  il,  'entendes  moi! 

Saluz  te  mande  Coradins 

Par  moi  qui  sui  bons  pèlerins. 

Si  te  crement  li  paien  tuit, 

A  pou  que  chacuna  ne  s'en  fuit.' 
1525    Tant  lor  a  dit  gas  et  lanciez 

Que  dant  Coarz  s'est  délaciez. 

Si  sist  sor  un  cheval  corant: 

Si  fist  un  saut  molt  avenant. 

Ainz  que  Renart  se  regardast 
1530    Et  que  il  garde  s'en  donast, 

Fu  Coars  molt  près  de  la  cort 

Sor  son  cheval  qui  molt  tost  cort. 

Les  costez  a  tos  pertusiez, 

Qar  li  bordons  i  fu  fiches, 
1535    Et  la  pel  des  piez  et  des  meins 

A  ronpue,  n'est  mie  seins. 

Tant  s'est  pênes  et  travelliez 

Qe  as  pies  lo  roi  s'est  lanchez, 

Et  li  conte  la  diablie. 
1540    'Sire'  fet  il,   por  dex  aïe!' 

'Dex'  fet  li  rois,  'con  sui  traïs 

Et  afolez  et  malbailliz 

De  Renart  qui  si  pou  me  crent! 

Or  sai  bien  qu'a  maveis  me  tient. 
1545    'Segnors'  fet  il.  'or  après  tuit. 

Que  ge  le  voi  ou  il  s'enfuit: 

Par  le  cuer  be  s'il  nos  estort, 

Vos  estez  tuit  pendu  et  mort. 

Et  cil  de  vos  qui  le  prendra, 
1550    Toz  ses  lignages  franc  sera.' 

Qui  dont  veïst  sire  Ysengrin 

Et  le  moton  sire  Behn, 


1521   loradins  1532  toz  1538  roi  est  1549    cil    qui    nos 

le  p. 


44  I  (Méon  11299—11336) 

Et  Brun  l'ors  et  Pelé  le  rat. 
Et  mon  segnor  Tybert  le  chat, 

1555    Et  Chantecler  et  dame  Pinte 

Si  con  el  vint  a  cort  soi  quinte, 
Et  segnor  Ferran  le  roncin 
Et  dant  Roonel  le  mastin! 
Frobert  le  siut  li  grésillons 

1560    Et  Petitporchaz  li  fuirons. 
Apres  le  seut  sire  Baucens 
Li  sengler  as  agues  dens  : 
Bruanz  li  tors  tôt  enragiez 
Et  Brichemers  toz  eslessiez. 

1565    Li  limaçons  porte  l'enseigne, 

Bien  les  conduit  par  la  canpaignc 
Renart  regarde  arere  soi, 
Et  voit  qu'il  vienent  sanz  deloi. 
Et  vit  Tardif  qui  les  cadele, 

1570    0  l'ensegne  qui  molt  ventele. 
Ne  set  conseil  que  fere  doie. 
Un  saut  a  fet  fors  de  la  voie: 
Entres  s'en  est  en  une  croûte, 
Apres  le  siut  totc  la  rote. 

1575    Li  autre  point  ne  l'asoûrent, 

Molt  le  manachent  tuit  et  jurent 
Que  nel  puet  garir  plasseïz, 
Mur  ne  fosse  ne  rolleïz 
Ne  forteresce  ne  donjons, 

1580    Crues,  ne  tesnere,  ne  boisson 
Que  il  ne  soit  pris  et  rendus 
Au  roi,  et  qu'il  ne  soit  pendus. 
Renart  voit  qu'il  ne  puet  durer 
Ne  por  foïr  ne  por  aler. 
1585    La  boche  li  vet  escumant. 
Tuit  li  autre  le  vont  sivant, 
Si  li  poillent  le  pelicon 
Q'en  haut  en  volent  li  flocon. 


1553  Et  manque      Hors      li        1559  grisillons      1569  tardis     1570 
que     1575  s'asourent     1577  pot     1580  Cres    1583  R.  uit  .  pot    1586  suant 


I  (Méon  11337—11371)  45 

Si  li  pertuisent  toz  les  reins, 
159C    A  poi  ne  cliet  entre  lor  meins. 
Molt  le  teuent  en  fere  frape: 
C'est  merveille  si  lor  escape. 

Por  quant  tant  s'est  esbaneies 

Q'a  Malpertuis  s'est  adrecbes, 

1595    Son  fort  chastel  et  sa  meson, 

Sa  fortereee,  son  donjon, 

Ou  il  ne  crent  ost  ne  asaut. 

Or  qui  mes  velt  aler,  si  aut  : 

Hui  mes  li  est  poi  de  manace, 
IGOO    Qui  amer  nel  velt,  si  le  hace. 

Sa  feme  a  l'encontre  li  vient, 

Qui  molt  le  dote  et  molt  le  crent. 

Troi  filz  avoit  la  dame  france: 

C'est  Percehaie  et  Malebrance, 
1605    Et  li  tiers  si  a  nun  Rovel  : 

Ce  est  des  autres  le  plus  bel. 

Trestuit  li  vienent  environ. 

Si  le  prenent  par  le  giron 

Et  virent  les  plaies  qui  senent. 
1610    Molt  le  dolosent  et  conpleignent  : 

Totes  li  lèvent  de  blanc  vin. 

Si  l'aseent  sor  un  cossin: 

Li  disner  fu  aparelliez. 

Tant  estoit  las  et  travelliez 
1615    Qu'il  ne  manja  que  le  braon 

D'une  jeline  et  le  crépon. 

La  dame  le  fist  bien  baignier 

Et  puis  ventuser  et  sener 

Tant  qu'il  refu  en  la  santé 
1620    Ou  il  avoit  devant  este. 


Misire  Noble  l'enperere 
Vint  au  caste!  ou  Renart  ère: 


1592  sil  en  e.       1593  Po        tant  .  .  est  ^a*  nmuque  à  cause  d'une 
ramre)      1594  s'  mam^ue  es       1607  uient       1610  pleingnent       1617  Le 


46  la  (Méon  11371—11406) 

Et  vit  molt  fort  le  plasseïs, 

Les  murs,  les  tors,  les  rolleïs, 
1625    Les  fortereces,  les  donjons  : 

Si  haut  n'i  tressist  uns  bozons. 

Vit  les  tranchées  et  les  murs 

Fors  et  espes  et  hauz  et  durs. 

Yit  les  quernaux  desus  la  mote 
1630    Par  la  ou  en  entre  en  la  crote. 

Garde,  si  vit  levé  le  pont 

Et  la  chaene  contremont. 

Li  chastax  sist  sor  une  roche. 

Li  rois  tant  con  il  puet  l'aproce, 
1635    Devant  la  porte  a  pie  descent 

Et  li  barnages  ensement. 

Au  chastel  vienent  environ. 

Chascun  i  tent  son  pavellon 

Et  herbergent  de  totes  parz. 
1640    Or  puet  avoir  peor  Renarz. 

Mes  par  asaut  n'iert  ja  conquis. 

Ne  par  force  ne  sera  pris. 

Se  traïs  n'est  ou  afamez,  13 

Ja  ne  sera  par  host  grevez. 
1645        Renart  fu  bien  en  sa  vigor. 

Montes  s'en  est  en  son  la  tor  : 

Si  vit  Hersent  et  Ysengriu 

Qui  sont  logie  desos  un  pin. 

A  haute  vois  lor  escria 
1650    'Sire  conpaing,  antendes  ca! 

Que  vos  senble  de  mon  castel? 

Veïstes  vos  onques  si  bel  ? 

Dame  Hersent,  conment  qu'il  prenge, 

Ge  vos  ai  foie  la  vendenge  : 
1655    Et  moi  ne  caut,  s'iries  en  est 

Li  cox,  li  jalox  qui  vos  pest. 

Et  vos,  sire  Tyberz  li  chaz, 

Ge  vos  fis  cheoir  en  mes  laz. 


1629  qrnaux  crote  1630  uoute  1634  pot   1640  pot   1644  por 
1648  desua    1656  fox 


la  (Méun   11407—11442)  47 

Ainz  qu'ississiez  de  la  prison, 
1660    Eiistes  vos  tel  livroison: 

Tex  cent  cous  quit  que  vos  oiistes 

Que  vin  ne  eve  n'i  boûstes. 

Et  vos,  misire  Brun  li  ors, 

Gre  vos  fis  ja  prendre  tel  cors, 
1665    Quant  voussistes  le  miel  manger, 

Bien  vos  i  quidai  damacher  : 

Vos  i  laissastes  les  oreilles 

Si  que  tuit  virent  les  merveilles. 

Et  vos,  misire  Chantecler, 
1 670    Je  vos  fis  ja  si  haut  chanter  : 

Que  par  celé  gorge  vos  ting. 

Vos  m'eschapastes  par  engin. 

Et  vos,  danz  Brichemers  li  cers. 

Je  vos  ting  ja  dedenz  les  ners. 
1675    Par  mon  engin  et  par  mon  los 

Perdistes  de  la  pel  del  dos 

Trois  coroies  que  chen  vos  firent; 

Molt  a  ci  de  cels  qui  le  virent. 

Et  vos,  sire  Pelés  li  ras, 
1680    Ge  vos  fis  ja  caoir  es  laz, 

Qui  bien  vos  estreindrent  la  gorge. 

Quant  vos  alastes  mengier  l'orge. 

Et  vos,  misire  Tiecelin, 

A  vos  di  ge,  par  seint  Martin, 
1G85    Je  vos  fis  ja  mon  ju  poïr, 

Se  bien  ne  soûssiez  foïr, 

Vos  i  laississiez  vostre  gaje. 

Quant  je  vos  toli  le  formaje 

Que  je  mangai  a  molt  grant  joie 
16^0    Por  ce  que  mester  en  avoie. 

Et  vos,  Rossaus  li  escuireus, 

Ge  vos  fis  ja  de  molt  granz  dels, 

Quant  je  vos  dis  qu'estoit  jurée 

La  pes  et  bien  aseùree. 


1659  qoississiez       1664  cel       1668  ces       1669  chant'      1670  hau 
1674  ileuant     1680  el  laz     1681  estreindent    1685  1.  le  u.     1693  que  eatoié 


48  la  (Méon  11448—11478) 

1695    Del  cesne  vos  fis  je  descendre, 
Ice  vos  quidai  ge  cher  vendre. 
Par  la  coue  vos  ting  as  denz, 
Molt  fustes  tristres  et  dolenz. 
Qu'iroie  je  fesant  lonc  conte? 

1700    N'i  a  celui  n'aie  fet  honte. 
Encor  en  quit  je  fere  asez 
Ainz  que  cist  mois  soit  trespasses. 
Qar  j'ai  l'anel  en  ma  sesine 
Que  me  dona  ier  la  roïne. 

1705    Bien  sachez  tuit,  se  Reuart  vit, 
Tel  le  conperra  qui  uel  vit.' 
'Renart,  Renart'  dit  li  lions, 
'Molt  par  est  fors  vostre  mesons: 
Mes  n'est  si  fors  ne  l'aie  asisse, 

1710    N'en  tornerai,  si  sera  prise. 
Et  d'une  rien  vos  asoûr, 
Qu'a  mon  vivant  le  sege  jur. 
Ne  por  pluie,  ne  por  orage, 
N'en  tornerai  en  mon  aage  : 

1715    Anchois  iert  li  castax  rendus 
Et  vos  par  la  gule  penduz.' 
'Sire,  sire'  ce  dit  Renart, 
'Einsi  esmaie  l'en  coart: 
Qar  j'ai  caiens  ases  vitaille, 

1720    Ne  quit  devant  set  ans  me  faille. 
Et  anchois  que  il  soit  rendus, 
Vos  sera  il  molt  chers  vendus. 
J'ai  ases  capons  et  jelines, 
Et  ases  bestes  armelines. 

1725    Si  ai  assez  oes  et  formaches: 

Grosses  brebiz  et  grosses  vaches. 
En  cest  castel  est  la  fontene 
Qui  ases  est  et  clere  et  seine. 
Et  d'une  rien  me  puis  vanter, 

1730    Ne  puet  tant  plovoir  ne  venter, 


1696  cher]  bien        1697  Pa        tig        1699  que  iroige        1704  er 
1707   De.R.  1714  aeie         1724  Grosse         1730  pot 


la  (Méuii   1147!)— 11514)  49 

Se  l'eve  chaoit  del  ciel  tote, 

Que  ja  chaens  n'en  caroit  gote. 

Cist  chastax  est  si  bien  assis, 

Ja  par  force  ne  sera  pris. 
1785    Or  vos  sees,  je  m'en  irai, 

Travelliez  sui,  si  mangerai 

Avoc  ma  feme  la  cortoise. 

Se  jeûnez,  pas  ne  m'en  poise.' 
A  icest  mot  jus  s'en  avale, 
1740    Par  un  guicet  entre  en  la  sale. 

La  nuit  se  dorment  cil  de  l'ost, 

Et  leudemein  se  lèvent  tost. 

Ses  barons  fait  li  rois  venir. 

'Or  tost'  fait  il,  'del  asaillir 
174')    Nos  estovroit  aparellier, 

Qar  cest  laron  veoil  desrochier. 

A  icest  mot  s'eslessent  tuit, 

Au  castel  vienent  de  grant  bruit. 

Li  asaus  fu  molt  mervelleus, 
1750    One  ne  vit  nus  si  perilleus: 

Des  le  matin  dusqu'a  la  nuit 

Ne  finerent  d'asaillir  tuit. 

La  nuit  les  a  fait  départir, 

Yont  s'ent,  si  laissent  l'asaillir. 
1755    Et  lendemein  après  mangier 

Reconmencerent  le  mestier. 

One  nel  pourent  de  tant  grever 

Que  piere  en  poissent  ester. 

Bien  i  fu  demi  an  li  rois, 
1760    Renart  n'i  pert  vaillant  un  pois. 

Onques  n'i  furent  un  sol  jor 

Que  n'asaillissent  a  la  tor, 

Mes  ne  la  porent  enpirier 

Dunt  el  vausist  meins  un  denier. 
1765         Un  soir  furent  molt  travellie 

Et  d'asaillir  molt  anuic, 


HHS  b,  garniz  1748  brut         17.')0  ni         1751   la  i)v:nqiie       nut 

1757  nés  1758  poist         1762  nasaillirciit  17()4  ualut 

RENAItT      I  4 


50  la  (Ml'uu  11.-)  15— 11550) 

Chascuns  se  jiit  soureinent 
En  sa  loge  molt  lougemeiit. 
Et  la  roïne  fu  iree 
1770    Et  vers  lo  roi  molt  corecee, 
Si  va  cocher  a  une  part: 
Atant  es  vos  venir  Renart 
De  son  castel  molt  coiement, 
Vit  les  dormir  soûrement, 
1775    Chascuu  gisoit  dessoz  un  cesue, 

Ou  fou,  ou  tremble,  ou  charme,  ou  fresne. 
Renart  a  bien  chascun  loie 
Ou  par  la  coue  ou  par  le  pie. 
Molt  par  a  fait  grant  diablie,  14 

I7,s()    A  chacun  arbre  le  suen  lie, 
Nés  lo  roi  lia  par  la  coue, 
Grant  merveille  est  se  il  desnoue. 
Puis  si  s'en  vint  par  la  roïne 
La  ou  ele  gisoit  sovine  : 
1785    Entre  les  janbes  li  entra. 
Celé  de  lui  ne  se  garda, 

Bien  cuida  que  ce  fust  li  ber, 

Q'a  lui  se  voussist  acorder. 

Or  poez  oïr  grant  merveille, 
i7!)0    11  li  fist  et  ele  s'esveille. 

Quant  vit  que  Renart  l'a  traïe 

Si  s'escria  tote  esbahie. 

Et  ja  estoit  l'aube  crevée, 

Li  jorz  grauz  et  la  matinée. 
1795    Por  le  cri  sont  tuit  estormi 

Cil  qui  estoient  endormi: 

De  Renart  le  rox  s'esbahirent 

Qant  avec  la  dame  le  virent. 

Et  por  ice  qu'il  li  fesoit 
1800    Tel  jou  qui  pas  ne  lor  plesoit. 

Tuit  escrient  'levez,  levez. 

Et  cel  prive  laron  pernez!' 


']esm         1785.   178(5  iiif<rrn-tif<  1787   fu  ISOO  que 


la  (Méon  1 15 "il  — 11588)    *  51 

Mis  sire  Nobles  eu  piez  saut, 

Et  sache  et  tire:  ne  li  vaut. 
l.'-Oô    Par  pou  la  coue  n'a  ronpue, 

Grant  demi  pie  l'a  estendue. 

Et  li  autre  sachent  et  tireot, 

Par  pou  li  cul  ne  lor  descirent. 

Mes  dan  Tardif  li  limaçon, 
1810    Qui  soit  porter  le  gonfanon, 

Oblia  Renart  a  loier. 

Cil  cort  les  autres  desloier, 

Tret  l'espee,  si  les  desnoe, 

A  chascun  coupe  ou  pie  ou  coue  : 
1815    Del  desloier  s'est  si  hastez 

Qu'ases  i  ot  des  escoez. 

Ainz  que  fuit  soient  desnoe 

Sont  li  plusor  tuit  escoue. 

Envers  lo  roi  s'en  vieuent  tuit 
1820    Si  cura  il  pueent  de  grant  bruit. 

Et  quant  Renart  les  vit  venir, 

Si  s'aparelle  de  foir. 

En  ce  qu'il  entre  en  sa  tesniere 

Le  saisist  Tardis  par  derrere, 
1825    Par  un  des  piez  ariers  le  tire, 

Molt  se  contint  bien  conme  sire. 

Ataut  i  vint  li  Rois  pognant 

Et  tuit  li  autre  esporonant, 

Et  dan  Tandis  qui  Renart  tient, 
1830    Lo  roi  le  rent  qui  devant  vient. 

De  totes  pars  le  prenent  tuit, 

Tote  l'ost  en  fremist  et  bruit. 
Estez  vos  que  Renart  fu  pris, 

Molt  en  sont  lie  cil  du  païs. 
1835    As  forces  le  meinent  por  pendre, 

Li  rois  n'en  volt  raencon  prendre. 

'Sire'  dist  Ysengrin  au  roi, 

'Por  amor  deu  bailliez  le  moi: 


1804  turne  1800  tardis  li  1818  ]ilusor]  autre  181i»  s'  manque 
uienet  1824  Len  s.  R.  p.  d.  1825  lun  le  m(ui'/iie  1820)  cuntiont 
1827  i  manque        1830  uent       1832  frémis       1835  nioino  on  p.  p. 

4* 


52  •    la  (M -on  11589  —  11824^ 

Et  j'en  prendrai  si  graut  veiichance 
1840    Qu'en  le  saura  par  tote  France'. 
Li  rois  n'en  velt  fere  neent, 
De  ce  sont  tuit  lie  et  joiant. 
Les  elz  a  fait  Renart  bender, 
Li  rois  li  prist  a  demander: 

:^45     Renarz,  Reuarz'  dist  li  leons, 
Ci  voi  de  tex  escorpions 
Qui  vos  vendront  encui  l'outrage 
Que  fait  avez  en  vostre  aage, 
Et  le  déduit  de  la  roïue 

ISjO    Que  teniez  iui  soviue  : 

De  moi  honir  vos  vi  tôt  prest. 
Mais  je  sai  bien  conment  il  est. 
Or  parleron  d'autre  Bernart: 
Si  vos  metron  el  col  la  hart.' 

18j5         Danz  Ysengrin  en  piez  se  drece, 
S'aert  Renart  par  la  chevece, 
Del  poing  li  doue  tel  bufet, 
Del  cul  li  fait  salir  un  pet. 
Et  Brun  l'aert  par  le  chaon, 

is  i)    Les  denz  i  mist  dusqu'  au  braon  : 
Et  Roenax  parmi  la  gorge 
Trois  tors  li  fet  fere  en  un  orge. 
Tiberz  li  chaz  gite  les  denz 
Et  les  ongles  qu'il  ot  ponnanz, 

18(55    Sesist  Renart  au  pelicon. 
Bien  li  valut  une  fricon. 
Tardis  qui  porte  la  banere, 
Li  a  doue  une  eropere. 
Tant  veïssoz  bestes  venir, 

1870    Li  tierz  n'i  puet  pas  avenir. 
Tant  en  i  vient  parmi  la  rue, 
Qui  n'i  puet  avenir  s'i  rue. 

Dan  Reuarz  qui  le  secle  engigne, 
Fiert  meinte  beste  et  liocepigne 


183i)  ueehance  1846  tel  1851  te  ui  mult  p.  1S55  Quant  1857 
poig  1860  met  1864  qui  ot  1865  R.  par  le  i  ilcon  1866  unes  1870  pot 
1872  pout      i-uue      1874  liace  i  igné 


la   (Méon  11625—11660)  53 

1S75    Ke  set  SOS  ciel  que  fcre  doie. 

Molt  crient  que  morir  ne  se  voie  : 

Renart  n'i  avoit  nul  ami, 
Tuit  li  estoient  enemi. 

Bien  saves  tuit  certeinement 
1880    Geste  parole  apertement, 

Que  puis  que  hon  est  entrepris 

Et  par  force  loiez  et  pris, 

Bien  puet  l'en  veoir  au  besoing 

Qui  Teime  et  qui  de  lui  a  soing. 
1885    Por  dan  Renart  que  l'en  devoure 

Ploure  Grinbert  et  prie  et  oure  : 

Ses  parens  ert  et  ses  amis, 

Loie  le  voit  et  entrepris: 

Ne  set  conment  il  le  reqoe, 
1800    Que  la  force  n'est  mie  soe. 

Pelez  li  raz  s'est  avanciez, 

Encontre  Renart  s'est  lanciez: 

Entre  lor  piez  chet  en  la  foie. 

Renart  l'aert  parmi  la  gole, 
1895    Entre  ses  braz  forment  restreint 

Morir  l'estot,  si  le  destreint. 

Onques  nus  d'ous  ne  s'en  garda, 

Ne  nel  vit,  ne  nel  regarda. 
Madame  Fiere  l'orgillouse 
1900    Qui  molt  est  prous  et  mervellouse, 

S'en  est  fors  de  la  cambre  issue. 

De  dol  fermist  tote  et  tressue, 

Que  por  Renart,  que  por  l'anui 

Que  l'en  li  a  fait  si  grant  hui. 
1905    Del  don  del  anel  se  repent, 

Qu'ele  set  bien  certeinement, 

Qu'ele  en  aura  contrere  ases. 

Quant  cist  aferes  ert  passes. 

Mes  n'en  velt  fere  nul  senblant. 
1910    Son  petit  pas  s'en  va  ambiant. 


1875  sest        1880  pot        1886  p    o.  (sunz  et)        1897  no  se  tarda 
1899  La  dame       1901  Se  est       1910  auant 


54  la   (Môon   11661  —  11698) 

Devant  Griiibert  s'est  arestee, 
A  lui  parla  conme  senee. 
'Sire  Griiibei't'  dist  la  roïne, 
'Mar  vit  Renart  son  fol  conviue 

1915    Et  sa  folie  et  son  otrage  :  15 

Hui  en  reçoit  molt  grant  damage. 
Si  vos  aport  ici  un  bref, 
Nus  n'a  poiir  de  mort  si  gref. 
S'il  l'avoit  par  boue  créance, 

1920    Que  ja  de  mort  oiist  dotance. 
Se  dan  Renart  l'avoit  sor  lui 
Ne  doteroit  la  mort  mes  liui. 
Ne  por  droiture  ne  por  tort 
N'auroit  mes  hui  poor  de  mort. 

19-25    Dites  de  par  moi  le  reçoive 
Baset  que  nus  s'en  aperçoive, 
Que  grant  pitiez  me  prent  de  lui. 
Gardes  nel  dites  a  nului. 
Ge  nel  di  pas  por  lecerie, 

1930    Se  dex  me  doinst  boue  esclierie  ! 
Por  ce  qu'il  est  bien  afaitiez 
Me  poise  qu'il  est  desliaitiez.' 
Grinbert  respont  'douce  honorée. 
Franche  roïne  corouee, 

1935    Cil  qui  haut  siet  et  de  loing  mire. 
Et  de  toz  biens  est  rois  et  sire. 
Qui  t'a  mis  en  si  grant  honor, 
Icil  te  gart  de  deshonor! 
Car  s'il  en  puet  estordre  viz 

1940    Encor  sera  molt  vostre  amis.' 
A  icest  mot  le  bref  li  tent, 
Et  Grinbert  volentiers  le  prent, 
Et  la  roine  li  conseille 
Molt  priveement  en  l'oreille 

194;")    Que  quant  Renart  ert  escapez 
De  ce  dont  il  est  entrapez. 


1911  areste        1919  craance        1927  meii        1928  nul  hui        1935 
1936  bien       1939  pot       1946  dout 


Ta  (Méon  1  lt;<»9— 11735) 

Que  il  ne  lest  en  nule  guise, 
Por  l'amor  que  il  a  premise, 
Que  il  a  li  parler  ne  voise 

1950    Priveement  et  sanz  grant  noise. 
A  icest  mot  se  départirent: 
Si  enemi  Renart  mar  virent. 
La  hart  li  ont  ja  el  col  mise, 
Ja  fust  molt  près  de  son  joïse, 

195;')    Quant  Grinbert  ses  cosins  i  vient 
Et  voit  Renart  qu'Ysengrins  tient. 
Trere  le  velt  as  forces  sus, 
Li  autre  se  sont  tret  en  sus. 
Dant  Grinbert  parla  hautement 

19o0    Et  oiant  toz  comunaument 

'Renart,  sanz  nule  autre  devise, 
Hui  estes  venus  a  joïse. 
Par  ci  vos  en  convient  passer. 
Si  vos  doûssiez  confesser 

19B5    Et  fere  lez  a  vos  enfanz 

Dont  vos  avez  trois  bauz  et  janz.' 
'Vos  dites  bien'  ce  dist  Renart. 
'Bien  est  que  il  aient  lor  part. 
Mon  castel  laiz  mon  fîlz  l'ainz  ne 

1970    Qui  ja  n'iert  pris  par  ome  ne  : 
Mes  tors,  mes  autres  forteresces 
Lerai  ma  feme  as  certes  tresces  : 
A  mon  filz  l'autre  Percehaie 
Lerai  l'essart  Tibert  Fressaie 

1975    Ou  il  a  tant  soriz  et  raz. 
Il  n'en  a  tant  jusq'a  Aras  : 
Et  a  mon  petit  filz  Rovel 
Lairai  l'essart  Tibaut  Forel 
Et  le  cortil  detrers  la  grance 

1980    Ou  a  meinte  jeline  blance, 
Ne  lor  sai  plus  que  départir, 
De  ce  se  poront  bien  garir. 


1956  qu(>.  y.  1960  oianz         1961   hautre  1970  Que         1774 

fresseie         1976  filz  petit         1979  grange 


56  la  (Méon  11737—11772) 

Einsi  lor  devis  ci  lor  lais 
Que  ici  devant  toz  lor  lais.' 

1985    'Près  est'  dist  Grinbert,  'vostre  fins. 
Et  ge  sui  près  vostre  cosins  : 
De  vostre  avoir  aucune  rien 
Me  relaissiez,  si  ferez  bien 
Et  si  feres  molt  grant  savoir.' 

1990    Renart  respont  'vos  dites  voir, 
Et  se  ma  feme  se  marie, 
Foi  que  devez  seinte  Marie, 
Tôles  li  quanque  je  li  les 
Et  si  tenes  ma  terre  en  pes. 

19;i5    Qar  molt  m'aura  tost  oblie 
Puis  que  me  saura  dévie. 
Ainz  que  Tibaut  soit  crestiens 
En  aura  un  en  ses  liens. 
Qar  qant  li  om  est  en  la  bière, 

2000    Sa  feme  esgarde  par  deriere, 
S'ele  veit  home  a  son  plaisir, 
Ne  puet  pas  son  voloir  tessir, 
Con  plus  recoie  et  va  tremblant. 
Qu'il  ne  li  face  aucun  senblant. 

200.)    Tôt  autretel  fera  la  moie. 

Jusqu'au  tiers  jor  raura  sa  joie. 
Se  mon  sennor  le  roi  plesoit 
Et  une  chose  me  fesoit 
Qu'il  voussist  que  je  fusse  moines, 

2010    Reclus  hermites  o  canoines. 
Et  me  laissast  vestir  la  haire. 
Certes  ce  li  devroit  molt  plaire. 
Cest  mortel  seicle  et  ceste  vie 
Lairoie,  plus  n'en  ai  envie.' 

2015         Dist  Ysengrin    cuiverz  traîtres. 
Et  que  est  or  ce  que  vos  dites? 
Tante  guenche  nos  aves  faite. 
Quel  treslue  nos  avez  traite! 


1993  deuise  ci   1986  p'u8   2002  pot   2004  Q'I   2006  Jusqua 
aura    2010  R.  ou  li  o    2016  quest 


la    Méon   11773-11808^  57 

En  vos  auroit  bêle  persone, 
2020    S'avieez  vestue  la  gone. 

Ja  dex  ne  doinst  le  roi  onor, 

S'il  ne  vos  peut  a  desonor. 

Et  s'il     ne  vos  en  aseûre. 

Qar  la  harz  est  vostre  droiture: 
2025    Qui  de  mort  vos  respiteroit, 

James  mis  cuers  ne  l'ameroit, 

Cil  qui  laron  a  pendre  areste, 

Toz  jors  het  mes  lui  et  son  estre.' 

Ce  dit  Renart  'sire  Ysengrin, 
2030    Or  seront  vostre  li  cemin. 

Encor  est  dex  la  ou  il  selt, 

Que  tex  ne  pèche  qui  s'en  delt.' 

Ce  dist  li  rois  'penses  del  pendre  : 

Car  ne  puis  mie  tant  atendre.' 
2035        Ja  fust  pendus  qui  que  s'en  pleigne, 

Quant  Renarz  garde  aval  la  plagne: 

Si  vit  une  grant  chevaucie 

Ou  meinte  dame  avoit  irie: 

Et  si  ert  la  feme  Renart 
2010    Qui  vint  pognant  tôt  un  essart. 

Molt  par  venoit  hastivement 

Mervellos  dol  va  démenant. 

Si  troi  fil  pas  ne  s'atardoieut, 

Avoc  le  grant  dol  qu'il  faisoient: 
2045    Lor  chevoz  ronpent  et  detirent, 

Et  tote  lor  robe  descirent; 

Tel  noisse  font  et  tel  criée 

Qu'en  les  oïst  d'une  liuee. 
Ne  venoient  pas  bêlement, 
2050    Ainz  chevaucent  isnelement  : 

Un  somier  tôt  cargie  d'avoir  16 

Ameinent  por  Renart  avoir. 
Ancois  qu'il  ait  ou  confesse, 
Ont  cil  deronpue  la  presse, 


2032  sen]  ne         2036  garde  uian<iue         2040  escart         2043   doi 
2048    eist         2053  que  il 


58  la  (Méon   11809  —  11844) 

2055    Qui  vienent  par  si  grant  desroi, 
Que  chou  sont  as  piez  lo  roi. 
La  dame  s'est  tant  avancie 
Que  avant  toz  s'estoit  lancie: 
'Sire,  merci  de  mon  segnor 

•20B0    Por  deu  le   père  creator! 
Ge  te  donrai  tôt  cest  avoir 
Se  de  lui  vels  merci  avoir. 
Rois  Nobles  choisi  le  trésor 
Devant  lui  et  d'argent  et  d'or. 

2065    Del  avoir  fu  molt  covoitoz 

Et  dist  'dame,  foi  que  doi  vos. 
Renart  n'a  pas  vers  inoi  bon  plet: 
Q'a  mes  ornes  a  trop  mosfet 
Que  nus  ne  vos  poroit  retrere. 

2070    Por  ce  en  doit  on  vengance   fere. 
Quant  de  son  mesfet  ne  s'amende. 
Bien  a  deservi  qu'en  le  pende. 
Ce  me  dient  tuit  mi  baron 
Q'as  forces  ponde  lo  laron, 

2075    Ft  por  voir  se  je  ne  lor  ment, 
Par  tens  ert  livres  a  torment'. 
'Sire,  por  deu  en  cui  tu  croiz, 
Pardone  li  a  ceste  foiz.' 
Li  rois  rospont  'en  deu  amor 

2080    Por  vos  li  pardong  a  cest  tor. 
Et  si  vos  ert  par  tel  rendus 
Q'au  premer  mesfait  ert  pendus.' 
'Sire'  fet  ele,  'et  je  l'otroi, 
Ja  ne  sera  recuis  par  moi.' 

2085         Atant  lo  firent  desbender. 
Li  Rois  l'a  fait  atant  mander 
Et  il  i  vient  toz  eslessiez. 
Les  menuz  sauz  joianz  et  liez. 
'Renart'  fait  il,  'gardes  vos  mes  ! 

2090    De  ci  avez  vos  ore  pes  : 


2055  Uo'nent         2058  s^sta         2082  uelt         2069  ne  le  u.       2072 
que  len  le.       2085  desliez       2089  nos 


la  iMéon   11845—11880)  59 

Mes  quant  vos  me  forferes  primes, 

Vos  reveiidres  a  co  meïmes.' 

'Sire'  fait  il,  'dex  m'en  desfende 

Que  je  ne  face  qu'en  me  pende.' 
•JOi).')    Grant  joie  fet  a  sa  mesnie 

Que  devant  lui  voit  ameisnie: 

Celui  bese  et  cestui  enbrace, 

Car  ne  voit  chose,  tant  li  place. 
Quant  Ysengrin  le  vit  délivre, 
_*100    Loi's  voussist  mels  morir  que  vivre. 

<îrant  poor  ont  trestuit  de   lui 

Qu'il  no  lor  face  encore  ennui: 

Si  fera  il,  se  dex  li  done 

Que  il  voie  ou  vespres  ou  none. 
2103    ïorner  s'en   voldrent  par  derere, 

Quant  li  rois  vit  par  la  cliariere 

Et  voit  venir  par  une  adrece 

Une  bière  chevalercce: 

Ce  estoit  Chauve  la  soriz 
•2110    Et  Pelez  li  raz  sez  mariz 

Que  dan  Renart  ot  estrangle. 

Quant  desoz  lui  l'ot  enangle. 

En  la  compaigne  dame  Chauve 

Estoit  sa  sor  ma  dame  Fauve 
211.J    Et  diz  que  frères  que  sorors. 

Au  roi  vienent  a  granz  clamors 

Que  filz  que  filles  bien  quarante, 

D'autres  oosiiis  plus  de  sesante. 

De  la  noisse  que  il  menoient 
'2120    Trestot  ensi  con  il  venoient, 

Trestos  li  airs  retentissoit 
Et  toz  li  cielz  en  fermissoit. 
Li  Rois  s'est  très  un  poi  sor  destre 
Por  savoir  que  ce  pooit  estre. 
2125    Entent  le  cri,  entent  la  noise. 
Or  n'a  talant  que  il  s'en  voisse. 


2104  Qui]         2112  lont         2113  chauuee         2114  fauuoo         2115 
soror        2116  grant        2121  Trestot  li  ara 


60  I    Méon    11881—11916) 

Quant  Reiiart  ot  le  duel  venir, 
De  poor  conmeuce  a  ferrair: 
Grant  poor  a  de  celé  bere. 

'2180    Sa  feme  en  envoia  arere 

Et  sa  mesnie  et  ses  enfans, 
Mes  il  reniest  li  sosduians. 
Molt  coiement  issent  de  l'ost. 
A  lor  chevaus  en  vieuent  tost: 

2135    Renart  remeint  en  aventure. 
La  bière  vient  grant  aleûro: 
Ma  dame  Chauve  par  la  presse, 
Ou  voit  le  roi,  forment  s'eslesse, 
'Sire  merci'  fet  ele  en  haut. 

2140    A  terre  chet,  li  cuers  li  faut. 
La  bière  chet  de  l'autie  part. 
Trestuit  se  cleiment  de  Renart 
Et  font  une  noise  si  grant 
Qu'en  n'i  oïst  pas  deu  tonant. 

2145    Et  li  rois  si   volt  Renart  prendre, 
Mes  il  ne  le  volt  pas  atendre: 
Ains  s'en  foï,  si  fist  que  sages, 
Que  près  li  estoit  ses  damages. 
N'avoit  que  fore  de  loue  conte. 

21.')0    Desus  un  grant  chesne  s'en   monte. 
Apres  lui  vont  tuit  aroute. 
Soz  le  chesne  sont  areste. 
Le  sege  metent  environ, 
N'en  descendra  se  pai-  ds  non. 

2155    Li  rois  i  vient,  si  li  conmande 
Qu'il  aille  jus  et  si  descende. 
'Sire,  ce  ne  fera  je  mie 
Se  tes  barnages  ne  m'afio 
Et  vos  ne  m'en  livres  osta<2;es 

2160    Que  ne  m'en  vendra  nus  damages. 
Car  je  voi  molt,  ce  m'est  avis, 
Entor  moi  de  mes  enemis  : 


2129.    2l;)()    inten-erlin  21:30    f.    a    enuoio    a.  2150    Deaoz 

2151  lui]  i         2.52  arestu         2160  Q'  no  mendia 


la  (Méon   11917  —  11914"  61 

Se  eliascun  me  tenoit  a  plein, 

Il  me  donroit  tôt  ol  que  paiu. 
'2160    Or  vos  tenes  la  jus  tait  coi, 

Contes  d'Auchier  et  de  Laiifi-oi! 

Qui  set  noveles,  si  les  cont  : 

Ge  l'orai  bien  de  ca  amont.' 
Li  rois  oï  gaber  Renaît, 
2170    De  maltalent  fevmist  et  art: 

Deus  cogniez  fait  aporter. 

Le  chesne  prennent  a  coupei-. 

Renart  a  grant  poor  oiie 

Quant  iceste  cbosse  a  vetie. 
•Ji75    Les   barons  voit  toz  areugiez: 

Cliascun  atent  qu'il  soit  vengiez. 

Ne  sot  conment  s'en  puisse  aler. 

Un  petit  prist  a  dévaler. 

En  son  poing  tint  une  grant  roche, 
21SU    Voit  Isengrin  qui  si  l'aproclie. 

Oiez  con  par  fet  grant  merveille! 

Le  roi  en  fiert  delez  l'oreille: 

Por  cent  mars  d'or  ne  ce  tenist 

Li  rois  q'a  terre  ne  eliaïst. 
2185    Tuit  li  baron  i  accrurent  17 

Entre  lor  bras  le  socorurent. 

Endementi'es  qu'il  entendoient 

A  lor  scgnor  que  il  tcuoient, 

Renart  saut  jus,  si  torne  en  fuie. 
2190    Quant  che  virent,  chascun  le  buie, 

Et  dient  tuit  si  con  il  sont, 

Que  jamais  jor  nel  chaceront. 

Car  ce  n'est  pas  chose  avenable, 

Ainz  est  un  raim  de  vif  diable. 
2193    Or  est  remeis  li  chaceïz. 

Fuiant  va  vers  un  plasseïz. 

Lo  roi  cnportent  si  baron 

Droit  ol  palais  de  sa  meson. 

Huit  jors  se  fist  li  rois  scigner 
2200    Et  sejorner  et  haiesier, 
2164  (loniont         2179  poi-      moche         2180  que         2199  Un  ior 


62  la  (Méon  11955— 1198G) 

Tant  qu'il  revint  en  la  santé 
Ou  il  avoit  devant  este. 
Et  Renart  oinsi  s'en  eschape. 
Des  or  gart  bien  chascun  sa  cape! 


H) 


2-205         Li  rois  a  fait  son  ban  crier, 
Par  tôt  plevir  et  atier 
Que  qui  porra  Renart  tenir, 
Que  ja  iiel  fâche  a  cort  venir, 
Ne  roi  ne  conte  n'i  atende, 

2210    Mes  meintenant  l'oci  ou  pende. 
De  tôt  cou  fu   niolt  pou  Renfir: 
Fuiant  s'en  va  vers  un  essart. 
Son  petit  pas  s'en  va  tendant. 
Environ  lui  va  regardant: 

221')    N'est  mei-veille  s'il  se  regarde. 
Qui  de  totes  bestes  a  garde. 
En  son  un  grant  tertre  s'areste, 
Yers  Orient  tome  sa  teste. 
Lors  dist  Renart  une  proiere 

2220    Qui  molt  fat  pressiouse  et  cbiere. 
'Ile  dex,  qui  meins  en  ti-inite, 
Qui  de  tans  perilz  m'as  jeté 
Et  m'as  soufert  tans  malz  a  fere 
Que  je  ne  doiisse  pas  fere, 

22-25    Garde  mon  cors  d'ore  en  avant 
Par  le  tien  seint  conmandement! 
Et  si  m'atorne  en  itel  guisse. 
En  tel  manière  me  devise 
Qu'il  ne  soit  beste  qui  me  voie, 

2210    Qui  sache  a  dire  que  je  soie.' 
Vers  Orient  sa  teste  cline. 
Granz  colz  se  done  en  la  poitrine, 


2207  Qui   li   p       2J0S   ucii^      2217   turtrc      2220  fi( 
2223  souffrez         222(;  nciii         2221)   (,»ui  ik;  s. 


Ib  iMôuii  119S7— 12022)  ^  63 

Drece  sa  poe,  si  se  seigne. 

Ya  s'ent  le  plein  et  la  montegne. 
2-233    Mes  de  fein  sofre  grant  destrec'. 

Euvers  une  vile  s'adreche 

En  la  meson  d'im  teinturier 

Qui  niolt  savoit  de  son  mester. 

Sa  teinture  avoit  destempree 
2240    Au  mielz  qu'il  pout  et  atrempee. 

Faite  l'avoit  por  teindre  en  jaune. 

Ali'z  fu  querre  une  droite  aune 

Dont  il  voloit  son  drap  aunor 

Qu'en  la  cuve  voloit  jeter. 
•-'245    Laissiee  l'avoit  descoveite. 

Et  la  fenestre  estoit  overte, 

Dont  il  veoit  a  sa  teinture, 

Quant  l.i  fesoit  et   nete  et  pure. 

Renart  dedenz  la  coït  s'en  entre 
22:>()    Por  proie  querre  a  ues  son  ventre: 

Le  cortil  a  trestot  chercie 

Et  tôt  environ  revcrcliie, 

Ni  puet  trover  rien  qu'il  nianjuce. 

Parmi  la  fenestre  se  muce. 
22').')    Renart  n'i  voit  arae  dedenz, 

Il  joint  les  piez,  si  sailli  eu/.. 

Esbahiz  fu  quant  vint  en  l'ombre, 

Oiez  con  li  maufez  l'enconbre. 

Malbaiiliz  fu  et  decoùz: 
22(!0    Car  dedenz  la  cuve  est  coiiz. 

Au  fonz  va,  mes  pas  n'i  denioure: 

Isnelement  resailli  soure. 

La  cuve  out  auques  de  parfont. 

Par  desus  noe  qu'il  n'afout. 
22G.')    Atant  estes  vos  le  vilein 

Qui  l'aune  tenoit  en  sa  mein. 

Son  drap  a  auncr  reconmence. 

(iuant  il   oï  Renart  qui  tence 

2245  Liissio  lam.it  a  d.         2249   le         22.J0    a    aues         2253    pof 
2257  Esbahi         2261  mes  )iiaiiq((e         2265  es  uos         2267  a  aner 


64  Ib  iMéon  12U23— 12Ui)0) 

Por  ce  que  oissir  s'en  voloit. 

•2-270    Tant  a  noe.  tôt  se  doloit. 
Li  vileius  a  drece  l'oreille, 
Oï  Renart,  molt  se  merveille. 
A  terre  jeta  toz  s  s  draz, 
A  lui   en  vient  plus  que  le  pas. 

2275    Renart  choisist  en  la  teinture, 
Par  lui  en   vint  grant  aleiirc. 
Ferir  le  volt  parmi  la  teste, 
Qant  il  connt  que  ce  fu  beste. 
Mes  Renart  forment  li  escrie 

:;-_)80     Baus  sire,  ue  me  ferez  mie! 
Je  sui  beste  de  ton  niester, 
Si  te  puis  bieu  avoir  mester. 
Sovent  en  ai  este  lassez. 
Si  en  sai  plus   que  toi  asez. 

2285    Encor  t'en  cuit  ases  apreudre 
De  mesler  teinture  avoc  cendre, 
Qar  ne  sez  conment  en  le  fet.' 
Dist  li  vilein  'ci  a   bon  plet. 
Par  ont  venistes  ca  dedenz  V 

22i)i)     Por  qoi  entrastos  vos  caienz?' 
Ce  dist  Renart  'por  atenprer 
Ceste  teinture  et  atorner: 
C'est  la  costume  de  Paris 
Et  de  par  tôt  nostro  païs. 

22U5    Ore  est  ele  molt  bien  a  droit 
Atornee  tôt  a  son  droit. 
Aidiez  moi  tant  que  je  fors  soie. 
Puis  vos  dirai  que  je  feroie.' 
Quant  li  vileins  Renart  entent 

2300    Et  voit  que  la  poe  li  tent, 
Par  tel  aïr  le  sache  fors 
Par  pou  ne  li  a  tret  del  cors. 
Quant  Renart  vit  qu'il  fu  au  pie 
Trois  paroles  dist  au  vilein. 


2270  noe  que  tôt  se  d.  2289  uenist  <s]   entrastes         2290 

2293  costome       2297  iei       2301  lessaelie 


Ib  (Méon  12061  —  12096) 

2303    'Prodom,  entent  a  ton  afere, 

Que  je  n'en  sai  a  nul  chef  trere. 

Mes  en  ta  cuve  iere  sailliz, 

A  poi  ne  fui  molt  malbailliz. 

Car  si  m'aït  seinz  esperiz, 
2310    Noiez  i  dui  estre  et  peiiz: 

Grant  peor  ai  où  del  cors. 

Dex  m'a  eidie  quant  j'en  sui  fors. 

Ta  teinture  est  molt  bien  pernanz, 

Jaunez  en  sui  et  reluisanz. 
2315    Ja  ne  serai  mes  coneiiz 

En  leu  ou  j'ai  este  veiiz. 

Molt  par  en  sui  liez,  dex  le  set, 

Que  trestoz  li  siècles  me  het. 

Or  remanez,  car  je  m'en  voiz 
23-20    Querre  aventure  par  ce  bois.' 

A  icest  mot  de  lui  se  part  18 

Fuiant  s'en  vait  vers  un  essart: 

Molt  se  regarde,  molt  se  mire, 

De  joie  conmenca  a  rire. 
2325    Fors  del  chemin  les  nne  haie 

Voit  Ysengrin,  molt  s'en  esmaie, 

Ou  il  atendoit  aventure, 

Qar  fein  avoit  a  desmesure. 

Mes  molt  par  estoit  granz  et  forz. 
233  )    Las  !'  dist  Renai't   or  sui  ge  morz. 

Qar  Ysengrin  est  fors  et  cras 

Et  je  de  fein  megres  et  las. 

Molt  en  ai  sosfert  grant  angoisse. 

Ne  quit  pas  qu'il  me  reconoisse: 
2335    Fors  q'au  parler  (ce  sa  je  bien) 

Me  conostra  sor  tote  rien. 

G'irai  a  lui,  a  que  qu'il  tort, 

S'orrai  noveles  de  la  cort.' 

Lors  se  porpense  en  son  enrage 
2340    Que  il  changera  son  langaje. 


2307  couue    2312  io  s.    2320  ces   2321  Hospart   2333  an- 
guisse    2384  que  il 

RENART  I  >  5 


Ib  (Méon  12097—12136) 

Yseugrin  garde  celé  part 

Et  voit  venir  vers  lui  Renart. 

Drece  la  poe,  si  se  soigne 

Ancois  que  il  a  lui  parveigne, 
2845    Plus  de  cent  fois,  si  con  je  cuit: 

Tel  poor  a,  por  poi  ne  fuit. 

Qant  ce  out  fet,  puis  si  s'areste 

Et  dit  que  mes  ne  vit  tel  beste, 

D'estranges  terres  est  venue. 
•23ô()    Ez  vos  Renart  qui  le  salue: 

'Godehelpe'  fait  il,  'bel  sire  ! 

Non  saver  point  ton  reson  dire.' 

'Et  dex  saut  vos,  bau  dous  amis! 

Dont  estes  vos?  do  quel  païs'? 
235.')     Vos  n'estes  mie  nés  de  France 

Ne  de  la  nostre  connoissauce." 

'Nai,  mi  seignor,  mais  de  Bretaing. 

Moi  fot  p'erdez  tôt  mon  gaaing 

Et  fot  cei'chier  por  ma  conpaing, 
23(iO    Non  fot  mes  trover  qui  m'enseing. 

Trestot  Franco  et  tôt  Engleter 

L'ai  cerchiez  por  mon  compaing  qer. 

Demorez  moi  tant  cest  païs 

Quo  j'avoir  trestot  France  pris. 
•2305    Or  moi  volez  torner  arier, 

Non  saver  mes  ou  moi  le  quier. 

Mes  torner  moi  Paris  ancois 

Que  j'aver  tôt  apris  francois.' 

'Et  savez  vos  noisun  mestier?' 
2370    'Ya,  ge  fot  molt  bon  jogler. 

Mes  je  fot  ier  rober,  batuz 

Et  mon  viel  fot  moi  toluz. 

Se  moi  fot  aver  un  viol, 

Fot  moi  diser  bon  rotruel, 
2375    Et  un   bel  lai  et  un  bel  son  •    4 

For  toi  qui  fu  semblés  prodom. 

Ne  fot  mangie  deus  jors  enters, 

Or  si  mangera  volenters.' 
2362  conpiiig      2310  moU  ma iKpw      2371  robert     2311  jor»  manque 


Ib  (Méon  12137-12174)  67 

'Conment  as  non?'  dist  Ysengriu. 
2380    'Moi  fût  aver  non  Galopin. 


Et  vos,  conment,  sir  bel  prod 


roaom 


'Frère,  Ysengrin  m'apele  l'on.' 
'Et  fot  vos  nez  en  cest  contre?' 
'Oïl,  g'i  ai  meint  jor  este.' 

2385    'Et  saver  tu  del  roi  novel?' 

Tor  qoi?'  'Tu  n'as  point  de  viel? 
Je  fot  servir  m  oit  voleuter 
Tote  la  gent  de  ma  mester. 
Ge  fot  savoir  bon  lai  Breton 

2390    Et  de  Merlin  et  de  Noton, 
Del  roi  Artu  et  de  Tristran, 
Del  clievrefoil,  de  saint  Brandan.' 
'Et  ses  tu  le  lai  dam  Iset?' 
'Ya,  ya:  goditoët, 

2395    Ge  fot  saver'  fet  il  'trestoz.' 

Dist  Ysengrin   tu  es  molt  prous 
Et  si  ses  molt,  si  con  je  croi. 
Mes  foi  que  doiz  Artu  lo  roi. 
Se  tu  veïs,  se  dex  te  gart. 

2400    Un  ros  garçon  de  pute  part, 
Un  losenger,  un  traïtor 
Qui  envers  nullui  n'ot  amor. 
Qui  tôt  decoit  et  tôt  engigne? 
Damledex  doinst  q'as  poinz  le  tiegue! 

2405    Avanter  escapa  lo  roi 

Par  son  engin,  par  son  bofoi. 
Qui  pris  l'avoit  por  la  roïne 
Que  devant  lui  tenoit  soviue, 
Et  por  autres  forfez  asez 

2410    Dont  onc  ne  pot  estre  lassez. 
Tant  m'a  forfet  que  je  voldroie 
Que  il  tornast  a  maie  voie. 
Se  gel  pooie  as  poinz  tenir, 
Molt  tost  le  convendroit  morir: 


2379  a  non  2380  fait  2381  sire  2387  mot  volontors  2389 
bretor  2391  Et  del  2392  brandam  2394  y.  a.  y.  a  godrooet  2399  uoiz 
2402  nul  hui     2404  poing      2407  Que  pris  auoit     2410  on      2413  painz 

5* 


Ib  (Méon  12175—122121 

2415    Li  rois  m'en  a  done  congie, 
Bien  conmande  et  otroie.' 

Renart  tenoifc  le  chef  enclin. 
Par  foi'  fct  il,  'dant  Yseugrin, 
Malves  lécher,  fot  il  devez? 

2420    Conment  fot  il  a  non  pelez? 
Dites  nos  conment  il  a  non, 
Fot  il  donques  pelez  Asnon?' 
Ysengrin  rist.  quant  il  ce  ot, 
Et  por  le  non  d' Asnon  s'esjot, 

2425    Molt  l'amast  mels  que  nul  avoir. 
Volez'  fait  il   son  non  savoir?' 
'Oïl:  conment  fut  il  pelez?' 
'Renart  a  non  li  desfaez. 
Toz  nos  decoit.  toz  nos  engigne, 

2130    Dex  doinst  que  ge  as  poinz  letiegne! 
De  lui  seroit  la  terre  quite. 
Sa  part  en  seroit  niolt  petite,' 
'Toz  fot  il  malement  tornez, 
Se  tu  lo  foz  aver  trovez. 

24:3.')    Foi  (|ue  devez  le  seint  martir 
Et  seint  Tomas  de  Cantorbir, 
Ne  por  tôt  l'or  que  dex  aver 
Ne  fot  voloir  moi  lui  sambler.' 
'Vos  aves  droit'  dist  Yseugrin. 

•2440    'Ne  vos  gariroit  Apollin, 

Ne  tôt  li  ors  qui  soit  en  terre, 
Que  James  nos  moussie^  gerre. 
Mes  or  me  di,  baus  doz  amis, 
Del  mestier  dont  t'es  entremis, 

2445    Ses  en  tu  tant  servir  a  cort, 
Que  nul  jogleres  ne  t'en  tort, 
Et  que  n'en  soies  entrepris 


Par  nul  qui  soit  en  cest  paï: 


•?' 


'Par  mon  segnor  seint  Jursalen, 
2450    Ne  fot  itel  troves  oan.' 

'Donques  t'en  ven  avoques  moi 
Et  je  t'acointerai  au  roi 


2430  ge  manque       painz       2436  chantarbir       2447  Et  manque 


Ib  (Méon  12213—12248)  69 

Et  a  ma  dame  la  roïno 

Qui  tant  par  est  gente  meschine, 
2455    Et  je  te  voi  et  bel  et  gent, 

Si  t'acointerai  a  la  geut. 

Et  se  tu  vels  a  cort  venir,  19 

Ge  te  ferai  bien  retenir.' 

'Fotre  merci'  dist  Galopins. 
2400    'Je  fot  saver  molt  bons  chopins, 

Si  fot  saver  bon  lecheri 

Dont  je  fot  molt  a  cort  chéri. 

Se  pot  aver  moi  un  viel, 

Fot  moi  diser  bon  rotruel, 
2465    Et  fot  un  vers  dit  de  chancon 

Por  toi  qui  fot  sembler  prodom.' 
Dist  Ysengrin   sez  que  tu  fai  ? 

Yien  t'ent,  une  viele  sai 

Ches  un  vilein,  que  tote  nuit 
2470    I  asenblent  si  voisin  tuit. 

A  ses  enfanz  en  fet  grant  joie, 

N'est  gueres  nuiz  que  je  ne  l'oie. 

Par  la  foi  que  je  doi  seint  Père, 

La  viele  est  et  bone  et  chère. 
2475    Se  tu  vienz  avoc  moi  a  cort, 

Tu  l'auras  a  qoi  que  il  tort.' 

Atant  se  metent  a  la  voie. 

Andui  s'en  vont  et  font  grant  joie. 

Dant  Ysengrin  ases  li  conte 
2480    Conment  Renart  li  a  fet  honte. 

Asez  li  conte  en  son  francois: 

Renart  li  respont  en  englois. 

Tant  sont  aie  qu'il  sont  venu 

Tries  la  meson  a  un  rendu, 
2485    Droit  la  u  Ysengrin  savoit 

Celui  qui  la  viele  avoit. 

Dedenz  le  cortil  au  vilein 

S'en  entrèrent  andui  a  plein. 


2454  tantaj  par       2459  Yotre        2460  molt  ]  et        2462  fot  ]  sui 
2465  semble       2469  qui      2478  s'manque      2482  englea       2486  que 


70  Ib  (Mcon  12249—12284) 

Le  vilein  ont  molt  redote, 

5490    Lez  le  paroi  sont  acoute. 
Il  vont  escoutant  tote  nuit 
Con  li  vileins  fet  son  déduit. 
Quant  li  dormirs  le  va  matant, 
Chocier  s'en  va  de  meintenant. 

2493    Ysengrin  a  drece  l'oreille. 
Puis  si  regarde  et  oreille  : 
Q'en  la  paroi  un  trou  avoit, 
Plus  a  d'un  an  qu'il  l'i  savoit, 
Et  par  une  ais  qui  ert  fendue 

2500    Vit  la  viele  au  clou  pendue. 

Souflent  et  ronflent  molt  forment 
Tant  que  il  se  vont  endormant. 
Un  grant  mastins  gist  lez  le  feu, 
Delez  la  couce  ot  fet  son  leu, 

2505    Par  un  petit  au  fou  ne  touce. 
Mes  li  essombres  de  la  couce 
Nel  laissa  veoir  Ysengrin. 
'Frère'  fet  il  a  Galopin, 
'Atent  moi  ci,  g'irai  veoir 

2510    Conment  je  la  porrai  avoir.' 

'Tôt  fot  moi  sol'  ce  dit  Kenart. 
'Conment,  es  tu  donc  si  coart?' 
'Coarz?  nai  voir,  mes  g'ai  poor 
Par  ci  ne  soit  par  cest  coutor. 

2515    Se  moi  fot  sol,  ja  fot  portez, 
Por  ce  fot  moi  desconfortez.' 
Ysengrin  l'ot  et  si  s'en  rist, 
Ses  cuers  forment  li  atendrist, 
Et  si  li  dist  'en  deu  amor 

2520    One  ne  vi  hardi  jugleor, 

Hardi  prestre,  ne  sage  famé. 
Qant  ele  plus  a,  plus  forsane  : 
Et  quant  ele  a  ce  qu'ele  velt, 
Lors  quiert  ce  dont  ele  se  delt.' 


2499  un  fenduee  2507  Ne  2510  le  2512  est  tu  2515  foz  p'otez 
2521  fonne   2522  forsene   2523  que  ele 


Ib  (Méon  12285—12322)  71 

2025    Ce  dist  Renart  qui  aine  n'ot  loi, 

'Dant  Ysengrin,  en  moie  foi, 

Se  fût  ici  celui  Renart, 

Ja  fot  il  toz  pendus  a  liart.' 

'Leissiez  ester'  dist  Ysengrin, 
2530    Que  je  sai  bien  toz  les  chemins. 

Mes  or  te  sie  ici  a  terre 

Et  g'irai  la  viele  querre.' 

Lors  s'en  vient  droit  a  la  fenestre 

Conme  cil  qui  savoit  bien  l'estre. 
2535    Apoie  fu  d'une  courre, 

La  nuit  fu  obliee  a  clore. 

Ysengrin  fu  montez  en  haut, 

Par  la  fenestre  laiens  saut, 

La  droit  ou  la  viele  peut 
2540    S'en  va  tôt  droit,  si  la  despent. 

Si  l'a  son  conpaignon  tendue, 

Et  cil  l'a  a  son  col  pendue. 

Renart  se  pense  qu'il  fera, 

Conment  il  le  conchiera. 
2545     Ja  bien'  fet  Renart   ne  m'aviengne, 

Se  nel  conchi,  conment  qu'il  prengne.' 

A  la  fenestre  droit  en  vient 

Au  bastonnet  qui  la  sostient. 

Le  baston  cline  et  ele  clôt, 
2550    Et  Ysengrin  laiens  enclôt. 

Quida,  close  fust  par  lui  sole. 

Lors  a  grant  poiir  de  sa  gole. 

Au  saut  q'a  la  fenestre  fist. 

Et  a  la  noise  s'esbahist 
2555    Li  vileins  qui  ert  endormiz. 

Sailli  en  piez  toz  estordiz. 

Sa  feme  escrie  et  ses  enfanz  : 

'Or  sus!  il  a  larons  caienz.' 

Li  vileins  saut,  c'est  sa  costume, 
2560    Au  feu  en  vient  et  si  l'alume. 


2527  rallart      2528  a  art     2539  La  d.  la  u     2545  Ga     2548  .1.  b. 
2559.  2560  manquent 


Ib  (Méon  12323—12360) 

Quant  Ysengrin  le  voit  lever, 
Voit  qu'il  velt  le  feu  alumer, 
Un  petitet  se  tret  arere, 
Par  les  naches  le  prent  deriere. 

2565    Li  vileins  a  jeté  un  cri. 
Li  mastins  l'a  sempres  oï: 
Ysengrin  prent  parmi  la  coille, 
Enpoint  et  tire  et  sache  et  roille, 
Trestot  esrache  quenqu'il  prent. 

2570    Et  Ysengrin  molt  bien  se  prent 
Deriere  as  naches  au  vilein. 
Mes  de  ce  avoit  le  cuer  vein, 
Et  sa  dolor  li  engregnoit, 
Qar  li  chens  ses  coilles  tenoit. 

2575    Tant  se  sont  laiens  travellie 
Que  Ysengrin  ont  escoille. 
Li  vileins  crie  ses  voisins 
Et  ses  parens  ot  ces  cosins: 
'Aidiez,  por  deu  l'esperitable  ! 

2580    Caienz  conversent  li  deable.' 
Quant  Ysengrin  vit  l'uis  overt, 
Et  li  vilein  felun  cuvert 
A  cuinnies  et  a  macues 
Yienent  corant  parmi  les  rues, 

2585    Entre  la  porte  et  le  vilein 

Fet  Ysengrin  nn  saut  a  plein. 
Si  fort  le  horte  qu'il  l'abat 
En  une  fange  trestot  plat. 
Des  quatre  pies  fiert  a  la  terre, 

2590    Ne  set  son  conpaignon  ou  querre. 

Por  les  vileins  s'en  vet  fuiant,  20 

Et  cil  le  vont  après  huiant. 
Le  vilein  trovent  en  la  boe 
Graut  et  parfonde  qu'il  i  noe. 

2595    Fors  l'en  ont  tret  a  molt  grant  peine, 
D'un  mois  ne  fu  sa  plaie  seine. 
Ysengrin  pas  ne  s'asoûre, 


2577  V.  escrie       2582  Ez      2583  As  .  .  as      2594  et  manque 


Ib  (Méon  12361  —  12394)  73 

Fuiant  s'en  vet  grant  aleiire. 

N'avoit  cure  de  sojorner, 
2600    Ancois  conmence  a  galoper. 

El  bois  se  met  par  une  sente. 

Molt  est  dolenz,  molt  se  démente 

Por  che  quïl  a  perdu  la  chose, 

Mes  a  nului  parler  n'en  ose. 
•2(1^5    Car  se  sa  feme  le  savoit, 

James  de  lui  cure  n'auroit. 

Et  neporqant  va  s'ent  grant  oire. 

Or  ne  se  set  mes  en  cui  croire. 

Tant  va  et  vient  danz  Ysengrins 
2610    Sentiers  et  voies  et  chemins: 

Ulle  et  garmente  en  son  langage, 

Par  un  petit  que  il  n'enrage. 

Tant  fet  qu'il  vient  en  sa  lovere. 

Par  l'uis  s'en  entre  par  deriere, 
2615    Sa  mainie  trove  laienz. 

'Dex  soit'  fait  il   o  vos  caienz!' 

î^e  parla  gueres  hautement. 

Mes  soavet.     Dame  Hersent 

Qui  durement  estoit  aese, 
2620    Au  col  li  saut,  sovent  le  bese. 

Et  si  fil  saillent,  si  l'acolent, 

Juent  et  gabent  et  parolent. 

Mes  s'il  seûssent  tôt  l'afere. 

Autre  joie  doiisent  fere. 
2625         Quant  ont  mangie  a  grant  loisir, 

Si  parolent  d'aler  jesir: 

Et  lors  i  ot  molt,  ce  sachez, 

Parle  ainz  que  il  fust  coche. 

Molt  grant  pièce  s'i  arestut. 
2630    Mes  neporoc  cocher  l'estut: 

Hersent  l'achole,  si  l'enbrache. 

Et  lez  lui  se  jut  fâche  a  face. 


2603  perdue  2603  nulhui  liose  2607  Et  manque  2610 
chomins  2611  garment  2618  soruet  d.  sçi  h.  2620  le  2623  sel 
seust      2627  m.  parle  ce      2628  quil     2629  pie  si     2630  Ne  mes  poroo 


74  Ib  (Méon  12305—12430) 

Et  cil  conmence  a  reûser 
Et  durement  a  reculer. 

2()35    Mes  ne  li  vault,  si  con  je  quit. 
Encore  ora  tel  chose  anuit 
Dont  il  n'oûst  ja  nule  envie, 
Qu'il  n'avoit  cure  de  sa  vie. 
Hersent  l'achole  et  cil  se  tret 

2640    En  sus,  n'a  soing  de  son  atret. 
'Et  qu'est  or  ce'  fet  ele,  'sire? 
Avez  me  vos  coilli  en  ire  ?' 
'Dame'  fet  il,    et  que  volez?' 
'Si  faites  ce  que  vos  solez.' 

2G45    'Ge  n'en  sui  mie  ore  aiesiez. 
Mes  desormes  vos  en  tesiez.' 
Fet  Hersent  'je  ne  m'en  puis  tere, 
Ainz  vos  covient  la  cose  fere.' 
'Que  ferai,  va?'  'Que  te  covient,    . 

2650    Ce  qu'a  totes  femes  avient.' 

'Taisiez'  fait  il:  'n'en  ferai  mie. 
Or  doûssiez  estre  endormie 
Et  avoir  dit  vo  patreuostre, 
Que  vigile  est  d'un  seint  apostre.' 

2655    'Sire'  fet  ele,  'par  seint  Gile, 
Ja  n'i  aura  mester  vigile. 
Se  vos  volez  m'amor  avoir, 
Fêtes  en  tost  vostre  pooir.' 
Dame  Hersent  forment  le  baste, 

2(i60    II  se  trestorne,  ele  li  taste 
Hoc  ou  la  coille  soloit 
Estre  par  raison  et  par  droit. 
N'i  trova  mie  de  l'andoille. 
'Chetis'  fet  ele,  'ou  est  ta  coille, 

2665    Qui  ci  endroit  te  soloit  pendre? 
Tote  la  vos  covient  a  rendre.' 
'Dame'  fait  il,  'je  l'ai  prestee.' 
'A  qui?  'Une  nonein  velee, 


Entre  les  vers  2634  et  2635  le  nisc.  intercale  encore  ce  vers:  Et 
durement  a  reuser  2641  ques  ore  ce  2646  en  mamine  2651  nen  ne  f. 
2659  Dane       2660  t.  et  ele      2665  Que 


Ib  (Méon  12431— 124()6) 

Qui  en  son  cortil  me  fist  prendre. 
2670    Mes  bien  la  m'afia  a  rendre.' 
Hersent  respont  de  meintenant 
'Sire,  ce  n'est  pas  avenant. 
S'il  i  avoit  trente  fiances, 
Dones  pièges  et  aliances, 
2675    Si  lairoit  les  pièges  encorre. 
Alez  tost,  ne  finez  de  corre, 
Et  si  dites  a  la  nonein 
Qui  fille  est  au  conte  Gilein, 
Que  plus  n'i  demort  n'i  atende, 
26 SO    Mes  tost  vostre  coille  vos  rende. 
Qar  s'une  fois  l'avoit  sentie, 
Tost  en  auroit  sa  foi  raentie 
Ainz  que  james  la  vos  rendist. 
Si  seroit  drois  qu'en  vos  pendist, 
2685    Quant  baillie  la  li  avez. 

Bien  voi  que  gueres  ne  savez. 
Molt  m'avez  morte  et  mal  baillie. 
Quant  une  autre  l'a  en  baillie. 
Mise  m'avez  en  grant  effroi, 
2690    Demein  m'en  clamerai  au  roi.' 
Pute  vielle'  dist  Ysengrin, 
'Demein  vos  viengne  mal  matin! 
Car  vos  taisiez,  si  vos  dormez, 
Et  mal  jor  vos  soit  ajornez! 
2695    Gardes  bien  que  n'en  parles  plus.' 
Atant  Hersent  del  lit  saut  jus: 
'Filz  a  putein,  meveis  traîtres, 
Einsi  n'en  ires  vos  pas  quites. 
Se  ne  m'estoit  por  un  petit, 
2700    Ge  vos  trairoie  fors  del  lit, 

Se  dex  me  doinst  demein  veoir.' 
Atant  s'en  vait  a  l'uis  seoir, 
Molt  fort  conmence  a  sopirer 
Et  ses  cevols  a  detirer. 


2670  les      2673  fiancez      2675  lairies      encore      2676  core      2678 
que      2682  a.  ij.  sa       2702  seir 


'\ 


76  Ib  (Méon  12-467—12504) 

2705    Ses  dras  deront.  ses  poinz  detort, 
Plus  de  cent  fois  s'ore  la  mort, 
'Que  ferai  mes,  lasse  chative  ! 
Molt  me  poise  que  je  sui  vive, 
Q'or  ai  perdu  tote  ma  joie 

2710    Et  la  rien  que  je  plus  amoie. 
Onques  n'oi  mes  si  grant  anui  : 
Q'a  je  mes  afere  de  lui?  21 

Foie  est  qui  delez  lui  se  couche, 
Qu'il  ne  valt  mes  ne  q'une  souche. 

2715    Je  ne  quier  mes  o  lui  cocher, 

Qu'en  ne  doit  mes  a  lui  toucher. 
Puis  qu'il  ne  puet  la  chose  fere, 
Q'ai  ge  donques  de  lui  a  fere? 
Mais  aille  ermites  devenir 

2720    Et  en  un  bois  por  deu  servir  : 
Qar  bien  sai  qu'il  est  couchiez, 
Quant  de  la  coille  est  dérochez.' 
A  icest  dol  qu'ele  demeine 
De  jor  vit  tote  la  cort  pleine. 

2725    En  la  meson  en  est  entrée. 
Au  lit  en  vient  tote  devee. 
'Or  sus'  fait  ele,  'dauz  vileins. 
Aies  vos  ent  a  vos  puteins! 
l^e  sai  se  fustes  entrepris, 

2730    Mais  bien  en  ont  le  gage  pris. 
Einssi  doit  l'en  mener  celui 
Qui  sa  feme  a  et  tient  l'autrui.' 
Ne  set  li  lox  un  mot  respondre, 
Ne  contre  lui  n'en  ose  groindre. 

2735         Dame  Hersent  est  noble  et  fiere. 
Et  toz  jorz  a  este  légère, 
Cointe  et  pleine  de  grant  orgoil. 
Des  quatre  piez  feri  el  soil 


2709  perdue  2713  Fox  2714  cuche  2716  a  ]  o  2717  pot  au 
dessous  de  2517  on  Ut  Qujl  ne  pot  mes  la  c.qae  fçrç  2721  es  2732 
r  manque      2737  horgoil     2738  eïsel 


Ib  (Méon   12505—12540)  77 

Et  a  torne  le  cul  au  vaut. 
2740    'A  deu   fet  ele  'vos  conraant.' 

Drece  sa  poe,  si  se  seigne. 

Yet  s'ent,  comment  que  li  plez  pregne. 
Or  vos  dirai  de  l'autre  part 

De  la  mesnie  dan  Renart, 
2745    Con  il  s'en  va  par  le  boscage. 

Ysengrin  a  lessie  en  gage. 

For  la  viele  qu'il  enporte 

Molt  s'esbaudist,  molt  se  conforte. 

Ya  s'ent  a  tote  sa  viele, 
2750    D' Ysengrin  n'oï  puis  novele. 

Tant  fist  Renart  qu'en  quinze  dis 

Fu  si  de  la  viele  apris  : 

Sages  en  fu  et  escoles. 

One  ne  fu  tex  baraz  trovez. 
27.')5    Einsi  s'en  va  par  la  contrée 

Tant  qu'il  ot  sa  feme  trovee, 

Qui  o  lui  meine  un  jovencel 

Que  prendre  voloit  de  novel  : 

Cosin   Grinbert  le  tesson  fu. 
2760    Quant  il  le  vit,  s'est  arestu  : 

Sachez  bien  les  a  conneiis, 

Tantost  con  il  les  a  veiis. 

Ja  oiist  Poucet  espuse. 

S'il  oiist  jogleûr  trove. 
2765    Mes  ele  pas  tort  n'en  avoit  : 

Tuit  disoient  que  mors  estoit. 

Tybert  lor  dist,  se  de.K  le  saut. 

Que  Renart  vit  lever  en  haut 

As  forches,  et  si  le  vit  pendre, 
2770    (Ce  lor  a  fet  Tybert  entendre) 

A  unes  forches  granz  et  hautes, 

Trers  le  dos  liées  les  pâtes. 


2739    a    manque  2743    iliron  2751    quen    ]    donz         2753 

et   I  i         27()1   bien  les  ]  que  il  es        2763  espusee       27t>4  Sel     trouée 
2769  forchez       2771  grant       2772  lie 


78  Ib  (Méon   12541  —  12578) 

'Il  resenblot  trop  bien  Renart. 
Ge  le  vi  pendre  à  une  hart.' 

2775    La  dame  lor  respout  brement 
'Je  ne  vos  en  mesci'oi  noient. 
Qai"  je  sai  qu'il  avoit  tant  fet 
Vers  son  seignor  de  maveis  plet 
S'un  des  barons  le  poïst  prendre, 

'2780    Que  mein tenant  le  feïst  pendre.' 
N'i  ot  plus  tenu  parlement, 
Beisier  se  vont  estroitement. 

Renart  ne  se  pot  plus  tenir, 
Ainz  a  fet  un  inolt  grant  sopir. 

278.')    A  Poncot  dist  entre   ses  denz 
'Tu  en  seras  encor  dolenz.' 
Grant  tens  avoit  que  cil  Famoit, 
Mais  dant  Renart  ne  le  savoit. 
Ainme  s'estoicnt  molt  lonc  tens, 

2790    Renart  le  saura  tôt  a  tens. 
Autretel  font,  ce  m'est  avis, 
Tex  dames  a  en  cest  païs. 
La  dame  son  novel  segnor 
Bese  et  acole  par  amor. 

2795    Ronart  voient  vers  els  venir 
Et  la  viele  au  col  tenir: 
Molt  furent  lie,  pas  nel  connurent, 
Salue  l'ont  si  con  il  durent. 
'Qui  estes  vos'  font  il,  'bel  frère?' 

2800    'Sire,  ge  fot  un  bon  juglere, 

Et  saver  moi  molt  bon  chaucon 
Que  je  fot  pris  à  Besencon. 
Encor  molt  de  bons  lais  saurai, 
Nul  plus  cortois  jogler  n'aurai. 

2805    Ge  fot  molt   bon  jogler    à  toz, 

Bien  sai  dir  et  chanter  bons  moz. 
Par  foi  mon  segnor  seint  Colas, 
Bien  fot  sembler  que  tu  l'amas, 


2776  en  manque       2779  Se  un       2784  grant  manque        2785  dit 
2786  seraz       271  autreteil       2794  et  J  i     amaz       2804  nrai 


Ib  (Méon  12579—12(314)  79 

Et  li  senbler  bien  toi  amer, 
2810    Et  ou   voler  tu  si  aler?' 

Lors  dist  Poncet   au  deu  plesir 

Nos  alomes  la  messe  oïr. 

ïuit  alomes  vers  le  moster, 

Geste  dame  voil  nocoier. 
2815    Ses  sire  est  mors  novelement: 

Mes  li  rois  le  haoit  forment, 

Meinte  foiz  l'a  pris  a  forfet, 

Or  a  de  lui  sou  plesir  fet, 

Renart  ot  non  li  engigueres. 
28-20    Fel  fu  traîtres   et  boisieres, 

Meinte  traïson  avoit  fête: 

En  haut  en  a  sa  goule  trete. 

Trois  fil  en  sont  remes  molt  bel 

Qui  sont  molt  coiute  dauioisel: 
•282j    Lor  père  quident   bien  venger 

Ainz  que  l'eu   doive  vendenger,  22 

Moii  sont  ja  por  quene  aïe 

A  ma  dame  Once  la  haïe. 

Tôt  li  secles  est  en  sa  mein, 
2830    Et  tuit  li  mont  et  bois  et  plein. 

Il  n'en  a  beste  jusq'as  porz, 

Tant  soit  hardie  ne  si  forz. 

Ors,  chien  ne  lou  ne  autre  beste, 

Qui  vers  lui  ost  torner  la  teste. 
2835    Por  soudées  i  vont  li   frère. 

Quanque  il  ont,  lessent  lor  niere, 

Qui  molt  par  est  cortoise  dame. 

Ge  la  prendrai  par  tens  a  feme, 

Einsi  est  la  chose  atornee, 
2840    Q'ainz  demein  nuit  l'aurai  jurée.' 

Renart  respont  entre  ses  denz 

'Tu  en  seras  encor  dolenz, 

Encor  en  charras  en  tel  briche. 

Nel  voudroies  por  une  fliche.' 


2809  bien  mcuKjiie     2811  dit      2812  ulons       2815  sires       2820  et 
traitres  b.     2833  Hors     2842  seraz 


80  Ib  (Méon   12615—12650) 

2845         'Certes,  sire'  ce  dist  Poincax, 
Qui  molt  estoit  cortois  et  baux, 
'Se  vos  voles  as  noces  estre, 
Dont  ne  nos  faut  mes  que  le  prestre. 
Ge  vos  donrai  del  nostre  asez, 

2850    Quant  cist  aferes  iert  pasez,' 
'Fotre  merci'  dist  il,  'bel  sir, 
Moi  saura  fer  tôt  ton  plesir. 
Moi  saver  bon  chancon  d'Ogier, 
Et  d'Olivant  et  de  Rollier 

2855    Et  de  Charlon  le  char  chanu'. 
'Dont  vos  est  il  bien  avenu'. 
Entre  ses  denz  dist  li  maufez 
'Et  vos  estes  mal  asenez.' 
Atant  se  nietent  a  la  voie, 

2860    Renart  viele  et  fet  grant  joie, 
Tant  qu'il  vindrent  a  la  tesnere 
Qui  molt  estoit  large  et  plenere. 

Quant  Renart  vit  adesertir 
Son  castel  gaste  et  enherniir, 

2865    11  n'en  velt  fere  autre  senblant, 
Ja  soit  ce  qu'il  se  voist  joant, 
Eu  son  cuer  pense,  se  il  vit, 
ïex  en  plorra  qui  or  en  rit. 
Par  le  païs  et  par  la  terre 

2870    Envoia  cil  ses  amis  querre: 
Tant  veïssiez  bestes  venir 
Nus  n'en  poïst  conte  tenir. 
De  molt  long  s'i  asenblent  tuit, 
Par  la  vile  meinent  grant  bruit. 

2875    Dame  Hersent  i  est  venue. 
Ysengrin  est  reraeis  en  mue  : 
Novelement  laissie  l'avoit 
Por  ce  que  maengniez  estoit. 
Et  jure  seinte  Pentecoste 

2880    Ga  ne  girra  mes  a  sa  coste. 


2872  nel  p.  contre  t.        2852  tôt  manque       2866  sen  voit       2868 
le  second  en  manque 


Ib  (Méon  12651—12686)  81 

Q'a  on  a  fere  d'ome  en  chanbres 

Puis  que  il  n'a  trestoz  ses  menbresV 

Mes  voist  aillors,  si  se  porcast. 

Drois  est  que  tos  li  mons  le  ehast. 
2885    Por  ce  s'en  est  de  lui  tornee. 

As  noces  vint  bien  atornee, 

Et  des  autres  i  ot  grant  flote, 

Et  Renart  lor  chante  une  note. 

A  grant  joie  les  noces  firent, 
2890    Tybers  li  chaz  et  Brun  servirent. 

Totes  sont  pleines  les  cuisines 
-    Et  de  capons  et  de  jelines: 

D'autres  vitailles  i  avoit 

Selonc  ce  que  chascun  voloit. 
2895    Et  li  jugleres  lor  chantoit, 

A  chascun  d'els  forment  plesoit. 

One  n'oï  on  si  grant  janglois 

Con  il  demeine  en  son  englois. 
Apres  mangier  savez  que  firent? 
2900    Hastivement  se  départirent, 

Qu'il  n'i  remeist  ne  bons  ne  niax 

Fors  ouïs,  ne  chevelox  ne  eaux: 

Chascun  s'en  va  a  son  repère. 

Renart  remest  son  mester  fere. 
2905    Dame  Hersens  s'en  est  entrée 

Dedenz  la  chambre  a  l'esposee, 

Et  a  Poucet  a  fet  son  lit 

Ou  quide  fere  son  délit. 

A  une  liue  d'iloc  ot, 
2910    Si   que  Renart  molt  bien  le  sot, 

Une  tombe  d'une  martire 

Dont  vos  avez  bien  oï  dire: 

De  Coupée  qui  la  gisoit. 

Trestoz  li  mondes  le  disoit 
2915    Qu'ele  fesoit  apertement 

Vertus  a  toz  cumunalment. 


289-t  ce  mauque     valoit     2896   cliascuns     2004  remiest     29l:i  qui 
2914  treztoz 


82  Ib  (Méon  12687—12722) 

Nus  homs  n'i  vient,  tant  soit  enfers, 
Ou  soit  moignes,  ou  lais  ou  clers, 
De  tôt  le  mal  que  il  oiist 

2920    Que  meintenant  gariz  ne  fust. 
Renars  i  fu,  si  ot  veiiz 
Le  jor  devant  deus  laz  tenduz 
Et  un  braion  en  terre  enclox. 
Bien  le  ferma  a  quatre  clox 

2925    Q'a  un  vilein  avoit  emble. 
Hoc  l'ot  repost  et  ente, 
Bien  sot  qu'il  en  auroit  a  fere, 
Qar  il  savoit  de  meint  afere. 
Quant  Poncet  dut  aler  gésir, 

2930    Si  l'a  fet  devant  lui  venir, 
Et  si  li  dist  en  son  langage 
'Sire  Boucez,  fez  tu  que  sage: 
Se  tu  créez  que  je  dira,  23 

Merveille  fu  qui  te  vendra, 

2935    Et  bien  saver  que  je  voil  dir. 
Lasus  giser  un  seint  martir, 
Por  lui  faser  dex.  tant  vertuz  : 
Se  tu  voler  aler  piez  nuz 
Et  port  un  candoil  en  ton  mein, 

2940    Et  tu  veillier  anuit  a  mein. 
Et  tu  vus  ton  candoil  lumer, 
ïu  fus  demein  un  fil  gendrer.' 

Ce  dist  Poncez  'molt  volonters'. 
Atant  se  metent  es  senters: 

2945    En  sa  mein  porte  une  candoille 
Qui  si  art  cler  con  une  estoille. 
Desoz  un  pin  en  un  moncel 
Hoc  troverent  le  tombel. 
Renart  s'estut,  cil  passe  avant: 

2950    'Basse,  Bosez,  dex  t'en  avant!' 
Cil  vait  avant,  si  se  redote, 
Renart  le  vit,  avant  le  bote. 


2724  a  manque  2726  entre  2728  de  mein  a.  2741.  2742 
interi-ertis ,  mais  l'ordre  est  indiqué  par  les  lettres  b  a  2746  clere 
2749  passa 


Ib  (Méon  12723—12758)  88 

Tant  fort:  renpeint  qu'il  eiet  es  laz 

Parmi  le  col  et  Tun  des  braz. 
2955    II  est  choùs  ens  cl  braiou 

Qui  cevelliez  fu  el  raion. 

Il  tire  fort  et  li  braz  froisse. 

Li  laz  li  refet  grant  angoisse: 

Forment  s'esforche,  forment  tire, 
2960    Recleime  deu  et  la  martire 

Qu'ele  li  soit  verais  garanz. 

Il  n'i  a  nul  de  ses  parenz. 

Tire  et  retire,  ne  li  vaut, 

Et  Renars  le  ranpronne  en  haut. 
2965    'Bosez,  vos  fot  asez  ore, 

Et  tu  seraz  ci  trop  more. 

Molt  ama  vos  icil  martir 

Que  ne  laisse  toi  li  partir. 

Tu  voler  devener,  ce  quit, 
2970    Moine  ou  canon  en  cest  abit. 

Ou  tu  venir,  ou  moi  ira. 

Ou  fot  me  bien,  je  li  dira 

Que  vos  velt  ermit  devenir, 

Et  la  martir  fot  vos  tenir. 
2975    Ce  fot  forment  a  merveiller 

Que  tu  voler  tôt  nuit  veller. 

Et  vos  fustes  novel  bosez, 

Et  ta  moiller  fot  vos  tendez 

Et  fot  ja  mienuit  oscure.' 
2980    A  tant  es  vos  grant  aleûre 

Quatre  gaignons  et  un  vileiu, 

Uns  enemis  frère  Brian. 

Le  boscage  avoit  bien  apris. 

Poincet  ont  trove  entrepris. 
2985    Tant  l'ont  tire  et  desache 

Que  tôt  l'ont  mort  et  esqachie. 

Eenars  le  vit,  molt  s'en  esmaie, 

Fuiant  s'en  va  par  une  haie. 

29G1  urais    2965  more    2970  Moin    2977  futez    2979 
ocure   2981  garçons   298.3  Le  ]  Et   2984  ot 

6* 


84  Ib  iMéon  12759  -12794) 

Los  granz  galoz  s'en  va  arere. 

2990    Fuiant  sen  vet  a  sa  tesuere. 
Sa  feme  trove  asovinee 
Qui  atendoit  sa  destinée: 
Molt  li  pesoit  de  la  demoure, 
Que  ja  ne  quidoit  veoir  l'oure. 

2995    Quant  voit  venir  le  jugleor 
Tôt  sol,  lors  si  ot  graut  peor. 

Quant  Renart  l'a  soûle  trovee, 
'Or  sus'  fet  il,   pute  provee! 
Or  sus,  si  tenes  vostre  voie, 

3000    Gardes  que  james  ne  vos  voie! 
Molt  est  mavese  vostre  sorz. 
Ge  ne  sui  mie  encore  morz, 
Ains  sui  Renars,  ce  m'est  avis, 
Seins  et  haities  et  trestoz  vis. 

3005    Molt  avez  tost  le  dol  boû 
Que  vos  aves  de  moi  eii. 
Or  sus'  fet  il,  levez  de  ci, 
Alez  veoir  vostre  mari  ! 
S'orrez  conment  il  se  contient, 

3010    Car  la  martire  le  retient.' 

Quant  la  dame  ot  ceste  parole, 
A  pou  que  de  dol  ne  s'afole. 
'Lasse!'  fet  ele  bêlement, 
'Ce  est  mesires  vraiement.' 

30 i 5    Et  danz  Renars  prist  un  baston. 
Si  li  paia  sa  livreisson. 
Et  fiert  et  hurte  et  rolle  et  bat 
Tant  que  crie  'merci,  Renart! 
Sire,  por  deu  merci  te  quier, 

3020 


'Or  sus'  fet  il,  'car  par  mes  denz 
Mar  enterres  james  caenz. 
Ja  ne  gerrez  mes  a  ma  coste. 
Quant  receii  avez  tel  oste. 


2999   uoiee  2304   est   ses   sires  3013    quele  3021  par 

?)ia)iqite 


Ib  (Méon  12795—12832)  85 

3025    Ainz  vos  trencerai  ceu  baulievre. 

Et  cel  grant  nés  sor  celé  lèvre, 

Et  vos  enfonderai  ceu  ventre, 

Et  la  boele  qu'est  soentre 

Vos  saudra  fors  par  le  poitron 
3030    Maigre  vostre  novel  baron. 

Et  vos'  fet  il,  'dame  Hersent, 

Asez  fet  mal  qui  le  consent. 

Hai!'  fet  il  'quex  dons  barnesses! 

C'estoient  ore  bêles  messes 
3035    Que  feissiez  por  moi  chanter, 

De  vos  poistrons  fere  roillier. 

Co  sache  dex  et  seint  Martins, 

Qu'ore  est  venue  vostre  fins,' 

Quant  les  deus  dames  ce  oïrent, 
3040    Sachez  que  pas  ne  s'esj oïrent. 

Bien  sorent  qu'engignies  furent 

Quant  au  parler  le  reconnurent: 

Molt  grant  merveille  lor  est  prise. 

En  grant  poor  chascun  est  mise. 
3045    Bien  quident  estre  enchantées, 

Forment  en  sont  espoeutees. 

De  peor  l'une  et  l'autre  trenble, 

Molt  s'esmaient  andui  ensenble. 
•  Renars  ambedous  les  a  prises, 
3050    Fors  de  la  meson  les  a  mises. 

One  ne  lor  lut  parole  dire, 

Ne  l'une  ne  l'autre  escondire. 

Et  l'une  et  l'autre  s'espoente, 

Chascune  forment  se  démente, 
3055    Dame  Hersens  por  son  segnor 

Qui  a  perdue  la  color. 

Et  la  barbe  li  est  coiie 

Por  la  coille  qu'il  a  perdue. 

Dame  Hermeline  li  raconte 
3060    Q'avenue  li  est  grant  honte 


3033  quel         3040  son    ioircnt         3041    qngigniez  3042  le  est 

corrigé;    le    scribe   avait    mis       re       3045    enchantes       3040    espoentes 
3047  t*ble       3048  ensenb  .  . 


Ib  (Méon  12833—12868) 

De  Poncet  a  la  crine  bloie  24 

Dont  a  oii  si  corte  joie. 

'Qui  caut?'  ce  dist  dame  Hersens. 

'Molt  par  ert  povres  nostre  sens, 
;;065    Se  nos  ne  retrovons  maris. 

Dont  sera  tôt  li  mons  faillis 

Et  d'unz  et  d'autres  granz  et  baus. 

Si  troveron  deus  jovenceax 

Qui  bien  feront  nos  volentez. 
3070    De  folie  vos  démentez.' 

'Yos  dites  voir   ce  dist  dame  Emme. 

'Mes  molt  est  let  de  vielle  feme 

Qui  ne  crent  honte  et  deshonor, 

De  honir  soi  et  son  segnor. 
3075    Ensorquetot  l'en  me  disoit 

Que  mes  mariz  penduz  estoit. 

Se  j'avoie  autre  mari  pris, 

Avoie  je  de  rienz  mespris? 

J'ai  bien  ceste  chosse  essaiee, 
3080    Feme  mesprent  a  la  foiee.' 

'Vos  dites  voir"  ce  dit  Hersenz. 

'Cist  mesprendres  n'est  mie  genz. 

Mespris  avez  en  tel  manere 

Qu'en  vos  en  tient  a  camberere 
3085    Qui  conmunax  est  a  garçons: 

Trestuit  li  entrent  es  arçons. 

Mes  je  ne  fis  einc  lecherie, 

Ce  set  en  bien,  ne  puterie 

Fors  une  fois  par  mesprison 
3090    Vers  dant  Renart  vostre  baron. 

Quant  mes  loveax  ot  conpissiez, 

Mesaasmez  et  ledengiez. 

Gel  fis  chaoir  en  sa  tesnere: 

Il  fist  son  tor  par  de  deriere.' 
3095         Dame  Hermeline  ot  la  parole. 
j  Respondi  li  con  famé  foie: 


3061  crinne        8067    dautres    de    g.       3074  et  soi  et       3080  foie 
3087  legerie       3096  conme  foie 


Ib  (Méon  12869—12904)  87 

Jalouse  fu  et  enflamee 

Quant  ses  sires  l'avoit  amee, 

Et  dist   ne  fu  ce  puterie? 
3100    Vos  feïstes  grant  lecherie, 

Grant  deshonor  et  grant  hontage 

Feïstes  vos  et  grant  putage, 

Quant  vos  soffristes  mon  baron 

Qu'il  vos  bâti  cel  ort  crépon. 
3105    Pute  vielle,  pute  remese! 

En  vos  doûst  ardoir  en  brese, 

Si  que  la  poudre  en  fust  ventée, 

Quant  a  moi  vos  estes  vantée 

De  mon  segnor  qu'il  vos  a  fet, 
3110    Haï!  con  aves  bien  forfet 

Qu'en  vos  tolist  le  pelicon 

Et  feïst  l'en  de  vos  carbon, 

Quant  aviez  vostre  baron 

Et  feïstes  tel  desreson, 
3115    Et  il  sa  feme  d'autre  part. 

Or  sont  tuit  vostre  enfant  bastart. 

Tost  vos  en  fu  li  dels  passez, 

Qant  vos  les  avez  avoutres. 

Et  Ysengrin  vostre  segnor 
3120    Aves  fête  tel  deshonor 

Que  James  ne  sera  amez, 

Mes  toz  jors  mes  ert  cox  clamez.' 

Molt  li  dit  et  molt  se  coroce, 

Saches  que  forment  se  degroce. 
3125        Hersent  respondi  en  riant 

'Molt  a  en  vos  pute  friant. 

Quant  vostre  segnor  aveez 

Et  autre  mari  perniez. 

Molt  par  est  maveis  et  escars, 
3130    Quant  il  ne  vos  a  le  cul  ars. 

Molt  par  estes  de  maveis  estre, 

De  poior  ne  poiez  vos  estre. 


3097  Galouse        3100  lech'erie        311  Qui  u.        3117  T.  uos  uos 
3121  clame       3124  sen  groce       3127  auoez? 


88  Ib  (Méon  12905—12940) 

Qar  plus  estes  pute  que  moche 
Qui  en  este  la  gent  entoche. 

3135    Qui  que  viegne  ne  qui  que  aut, 
Vostre  taverne  ne  li  faut: 
Meint  en  tornez  a  vostre  part. 
Se  por  ce  sont  mi  fil  bastart, 
Por  ce  nés  gitera  ge  mie. 

3140    Foi  que  je  doi  seinte  Marie, 
Qui  les  voudroit  trestoz  jeter 
Les  bastars  et  déshériter, 
Asez  auroit  plus  de  puissance 
Que  n'ont  onques  li  rois  de  France. 

3145    Mes  vos  qui  estes  bordelere 
Les  avoutres  en  tel  manere. 
Les  vos  enfanz,  ce  set  l'en  bien: 
One  nel  veastes  a  nul  chen.' 
'Vos  i  mentes,  pute  sorcere. 

3150    Tesiez  vos  que  je  ne  vos  fiere!' 
'Vos  me  ferez,  pute  merdouse. 
Pute  vielle,  pute  teigneuse? 
Se  l'aviez  pense  a  certes, 
.Ta  i  auroit  paumes  overtes 

3155    Et  peax  trenciees  et  ronpues, 
Se  ne  me  faillent  denz  agues.' 
Hermeline  plus  n'i  demoure, 
Isnelement  li  corut  soure. 
Et  Hersens  par  molt  grant  aïr 

3160    Revêt  Hermeline  sesir. 

A  terre  se  voltrent  et  hercent. 
Et  neporquant  les  peax  i  percent. 
As  denz  agues  les  detrencent, 
Lor  maltalant  forment  i  venchent, 

3165    Rompent  et  sachent  et  descirent. 
As  denz  durement  ce  martirent. 
Lors  veïssiez  en  molt  poi  d'oure 
L'une  desos,  l'autre  desoure. 


3139  neis      3146  teil      3153  a  ertes      3154  iai      3156  me  manque 
faJUoient       3157  Emeline       3161  Et  t.       3163  le       3165—7  manquent 


Ib  (Méon  12941—12976) 

Dame  Hersent  fu  granz  et  fors, 

3170    Soz  lui  la  tient  par  grant  esforz. 
Encontre  un  fust  l'a  enanglee, 
Ja  l'oûst  morte  et  estranglee. 
Atant  es  vos  un  pèlerin 
Qui  vint  clocant  tôt  le  chemin, 

3175    Trova  les  dames  conbatant. 
Une  en  a  prise  raeintenant. 
Par  la  mein  l'a  levée  sus, 
'Or  sus'  fet  il,   n'en  fêtes  plus!' 
Et  quant  départies  les  a, 

3180    Molt  doucement  les  castia. 
Demanda  lor  dont  eles  sont, 
Dont  eles  vienent  et  ou  vont. 
Celés  li  ont  conte  lor  estre, 
Car  il  estoit  seins  hom  et  prestre, 

3185    Et  il  lor  done  bon  conseil 

Que  chascune  aut  a  son  pareil: 
Merci  li  crit  et  li  requière 
Qu'il  l'aint  et  qu'il  la  tiegne  chiere. 
Dame  Hersent  a  fait  aler 

3190    A  Ysengrin  por  acorder. 

Dame  Hermeline  ameine  ariere 
j  !   A  dan  Renart  en  sa  tesniere. 
Tant  est  seins  et  religions 
Q'acordees  les  a  andous, 

3195    Et  tant  i  a  s'entente  mise 
Que  par  tôt  a  la  pes  asise. 
Puis  fu  Eenars  en  sa  meson 
0  sa  moillier  molt  grant  seson. 
Trestot  li  dist  et  tôt  li  conte: 

3200    Conment  il  dut  recevoir  honte, 
Qant  en  la  cuve  fu  sailliz: 
Con  il  dut  estre  malbailliz, 
Et  escharni  le  teinturier, 
Dist  qu'il  estoit  de  son  mestier: 


3179  départie         3188  qui  la        3191  remeinc         3001   couuq 


90  Ib  (Méon  12977—12984) 

3205    Conment  il  fist  la  coille  perdre 
A  Ysengrin  qui  ne  puet  serdre. 
Trestot  li  conte  et  tôt  li  dit: 
Celé  ne  fet  mes  que  s'en  rit. 
Molt  lonc  tens  fu  Ronart  en  mue: 

3210    Ne  va  ne  vient  ne  se  remue. 
Ci  faut  Renart  li  teinturier 
Qui  tant  sot  de  maveis  mestier. 


3206  pot       3211  fut  .  Renart  .  le 


II  (Méon  1—22.  1267—1268) 


II 


Seigneurs,  oï  avez  maint  conte        D  21b 
Que  maint  conterre  vous  raconte, 
Conment  Paris  ravi  Elaine, 
Le  mal  qu'il  en  ot  et  la  paine: 

5    De  Tristan  qui  la  cliievre  fist, 
Qui  assez  bellement  en  dist 
Et  fabliaus  et  chancon  de  geste. 
Romanz  de  lui  et  de  sa  geste 
Maint  autre  conte  par  la  terre. 

10    Mais  onques  n'oïstes  la  guerre, 
Qui  tant  fu  dure  de  grant  fin, 
Entre  Eenart  et  Ysengrin, 
Qui  moult  dura  et  moult  fu  dure. 
Des  deus  barons  ce  est  la  pure 

15    Que  aine  ne  s'entramerent  jour. 
Mainte  mellee  et  maint  estour 
Ot  entr'eulz  deus,  ce  est  la  voire. 
Des  or  commencerai  l'estoire. 
Or  oez  le  conmencement 

20    Et  de  la  noise  et  du  content, 
Par  quoi  et  por  quel  mesestance 
Fu  entr'eus  deus  la  desfiance.  — 

Il  avint  chose  que  Renars, 
Qui  tant  par  fu  de  maies  ars 


Les  vers  1  — 131  manquent  dans  le  vise.  A;  il  sont  donnés  d'après 
D.  2  iuglierre  3  Conme  8  la  bcste  9  autre  ]  en  ont  11  Que  17  cest 
19  orrez    22  desseurance    23  Renart    24  par  mangue  f.  plain  de  maie  part 


92  II  (Méon  1269—1304) 

25    Et  qui  tant  sot  toz  jors  de  guile, 

S'en  vint  traiant  a  une  vile. 

La  vile  seoit  en  un  bos. 

Molt  i  ot  gelines  et  cos, 

Anes  et  malarz,  jars  et  oes. 
30    Et  li  sires  Constans  des  Noes, 

Un  vilain  qui  moult  ert  garnis, 

Manoit  moult  près  du  plesseïs. 

Plenteïve  estoit  sa  maisons. 

De  gelines  et  de  chapons 
35    Bien  avoit  garni  son  hostel. 

Assez  i  ot  et  un  et  el: 

Char  salée,  bacons  et  fliches. 

De  ble  estoit  li  vilains  riches. 

Molt  par  estoit  bien  herbergiez, 
40    Que  moult  iert  riches  ses  vergiers. 

Assez  i  ot  bonnes  cerises 

Et  pluseurs  fruis  de  maintes  guises. 

Pommes  i  ot  et  autre  fruit. 

La  vait  Renart  pour  son  déduit. 
45    Li  courtilz  estoit  bien  enclos 

De  piex  de  chesne  agus  et  gros. 

Hourdes  estoit  d'aubes  espines. 

Laiens  avoit  mis  ses  gelines 

Dant  Constant  pour  la  forteresce. 
50    Et  Renart  celle  part  s'adresce, 

Tout  coiement  le  col  bessie 

S'en  vint  tout  droit  vers  le  plessie. 

Moult  fu  Renart  de  grant  pourchaz. 

Mais  la  force  des  espinars 
55    Li  destourue  si  son  affaire 

Que  il  n'en  puet  a  bon  chief  traire, 

Ne  pour  mucier  ne  pour  saillir: 

N'aus  gelines  ne  veult  faillir. 

Acroupiz  s'est  enmi  la  voie. 
60    Moult  se  defripe,  moult  coloie. 


25  qui  fu  plains  de  maie  g.  26  a  ]  uers  29  asnes  de  marca 
36  dun  et  del  37  Chars  40  uergiez  41  cornilles  42  Et  dautres 
f.  de  pluseurs  g.       43  autres       46  chesnes  grans       59  enmi  ]  delez 


II  (Méon   1305  —  1340)  93 

Il  se  pourpense  que  s'il  saut, 

Pour  quoi  il  chiece  auques  de  haut, 

Il  iert  veiiz  et  les  gelines 

Se  ficheront  souz  les  espines. 
63    Si  pourroit  tost  estre  seurpris 

Ainz  qu'il  eiist  gaires  acquis. 

Moult  par  estoit  en  grant  esfroi. 

Les  gelines  veult  traire  a  soi 

Que  devant  lui  voit  pasturant. 
70    Et  Renart  vait  cheant  levant. 

Ou  retour  de  la  soif  choisist 

Un  pel  froissie:  dedenz  se  mist. 

La  ou  li  paliz  iert  desclos, 

Avoit  li  vilains  plante  chos  : 
75    Renart  y  vint,  oultre  s'eni  passe, 

Cheoir  se  laist  en  une  masse 

Pour  ce  que  la  gent  ne  le  voient. 

Mais  les  gelines  en  coloient, 

Qui  l'ont  choisi  a  sa  cheoite. 
80    Chascuue  de  fuïr  s'esploite. 
Mesire  Chantecler  li  cos 

En  une  sente  les  le  bos 

Entre  deus  piex  souz  la  raiere 

S'estoit  traiz  en  une  poudiiere, 
85    Moult  fièrement  leur  vient  devant 

La  plume  ou  pie,  le  col  tendant. 

Si  demande  par  quel  raison 

Elles  s'en  fuient  vers  maison. 

Pinte  parla  qui  plus  savoit, 
90    Celle  qui  les  gros  hues  ponnoit, 

Qui  près  du  coc  jucoit  a  destro: 

Si  li  a  raconte  son  estre 

Et  dit   paour  avons  eue.' 

Pourquoi?  quel  chose  avez  veûe?' 
95     Je  ne  sai  quel  beste  sauvage 

Qui  tost  nous  puet  faire  damage, 


65  tost  ]  bien  72  froe  80  fouir  81  chantelins  82  Par  une 
sentele  du  b.  83  bruiere  84  »' manque  86  tordant  91  gesoit 
92  reconte       93  auez 


94  II  (Méon  1841—1382) 

Se  nous  ne  vuidons  ce  pourpris.' 
'C'est  tout  noient,  ce  vous  plevis' 
Ce  dit  li  cos:   n'aies  peur, 

100    Mais  estes  ci  tout  asseûr,' 
Dist  Pinte   par  ma  foi  jel  vi: 
Et  loiaument  le  vous  affi:  D22 

Que  je  le  vi  tout  a  estrouz.' 
'Et  comment  le  veïstes  vous?' 

105    'Comment?  je  vi  la  soif  branler 
Et  la  fuelle  du  chou  trembler 
Ou  cilz  se  gist  qui  est  repus.' 
'Pinte'  fait  il,  'or  n'i  a  plus. 
Trives  avez,  jel  vous  ottroi: 

110    Que  par  la  foi  que  je  vous  doi, 
Je  ne  sai  putoiz  ne  gourpil 
Que  osast  entrer  ou  courtil. 
Ce  est  gas  :  retournez  arrière.' 
Cilz  se  radresce  en  sa  poudrière, 

115    [Qu'il  na  paour  de  nulle  riens 
Que  li  face  gourpilz  ne  chiens 
De  nulle  riens  n'avoit  peiir, 
Que  moult  cuidoit  estre  aseûr.] 
Moult  se  contint  seiirement. 

120    Ne  set  gaires  q'a  l'eil  li  peut. 
Rien  ne  douta:  si  fist  que  fox. 
L'un  oeil  ouvert  et  l'autre  clos, 
L'un  pie  crampi  et  l'autre  droit 
S'est  apuiez  delez  un  toit. 

125         La  ou  li  cos  est  apoiez 
Conme  cilz  qui  iert  anuiez 
Et  de  chanter  et  de  veiller. 
Si  conmenca  a  someillier. 
Ou  someillier  que  il  faisoit 

130  Et  ou  dormir  qui  li  plaisoit 
Conmenca  li  cos  a  songier. 
Ne  m'en  tenes  a  menconger,  A  25^ 


100  ici  tout  manque  105  croller  111  ostast  •  117  peour 
118  ainz  c.  125  manque  Après  le  v.  124  u)i  lit  Fox  ne  croit  deuant 
quil  reçoit      182  Ici  reprend  le  nisc.  A       inenegnier 


II  (Méon  1383—1418)  95 

Car  il  sonja  (ce  est  la  voire, 

Trover  le  poez  en  l'estoire) 
135    Que  il  avoit  ne  sai  quel  cose 

Dedens  la  cort,  que  bien  ert  close, 

Qui  li  venoit  enrai  le  vis, 

Ensi  cou  il  li  ert  avis, 

(Si  en  avoit  molt  grant  fricon) 
140    Et  tenoit  un  ros  pelicon 

Dont  les  goles  estoient  d'os. 

Si  li  raetoit  par  force  el  dos. 

Molt  ert  Chantecler  en  grant  peine 

Del  songe  qui  si  le  deineine, 
14')    Endementiers  que  il  somelle. 

Et  del  pelicon  se  mervelle. 

Que  la  chevece  ert  en  travers: 

Et  si  l'avoit  vestu  envers. 

Estrois  estoit  en  la  chevece 
150    Si  qu'il  en  a  si  grant  destrece 

Qu'a  peines  s'en  est  esveilliez. 

Mes  de  ce  s'est  plus  merveilliez 

Que  blans  estoit  desos  le  ventre 

Et  que  par  la  chevece  i  entre, 
155    Si  que  la  teste  est  en  la  faille 

Et  la  coue  en  la  chevecaille. 

Por  le  songe  s'est  tressailliz. 

Que  bien  cuide  estre  malbailliz 

Por  la  vision  que  a  veiie, 
160    Dont  il  a  grant  peor  oûe. 

Esveillies  s'est  et  esperiz 

Li  cos  et  dist   seint  esperiz, 

Garis  hui  mon  cors  de  prison 

Et  met  a  sauve  garison  !' 
165    Lors  s'en  torne  grant  aleiire 

Con  cil  qui  point  ne  s'aseiire 

Et  vint  traiant  vers  les  gelines, 

Qui  estoient  soz  les  espines. 


140  Et  I  si   148  u.  a  e.   154  Q'  desus   155  que  mavque       155 
que  manque       159  lauison   163  cor   168  traiant 


II  (Méon  U19--1452) 

Très  q'a  eles  ne  se  recroit. 
170    Pinte  apela  ou  molt  se  croit, 
A  une  part  l'a  asenee. 
'Pinte,  n'i  a  raester  celée. 
Molt  sui  dolanz  et  esbahiz. 
Grant  poor  ai  destre  traïz 
175    D'oisel  ou  de  beste  sauvage. 
Qui  tost  nos  puet  fere  damage.' 

Avoi!'  fait  Pinte  'baus  dos  sire, 
Ice  ne  deves  vos  pas  dire. 
Mau  fêtes  qui  nos  esmaies. 
180    Si  vos  dirai,  ca  vos  traies! 

Par  trestoz  les  seinz  que  l'en  prie, 
Vos  resembles  le  chen  qui  crie 
Ains  que  la  pierre  soit  coiie. 

Por  qu'aves  tel  poor  oûeV 
185    Car  me  dites  que  vos  aves.' 
'Qoi?'  dist  li  cos  'vos  ne  saves 

Que  j'ai  songie  un  songe  estrange. 

Deles  cel  trou  les  celé  granche, 

Et  une  avisiou  molt  maie, 
190    Por  qoi  vos  me  vees  si  pale. 

Tôt  le  soDge  vos  conterai, 

.Ta  riens  ne  vos  en  celei-ai. 

Saurees  m'en  vos  conseillier? 

Avis  me  fu  el  somellier 
195    Que  ne  sai  quel  beste  veneit 

Qui  un  ros  pelicon  vestoit, 

Bien  fet  sanz  cisel  et  sanz  force  : 

Sil  me  fesoit  vestir  a  force. 

D'os  estoit  fête  l'orleiire, 
200    Tote  blance,  mes  molt  ert  dure: 

La  chavesce  de  travers  fête, 

Estroite,  qui  molt  me  dehaite. 

Le  poil  avoit  dehors  torne. 

Le  pelicon  si  atorne 


170  apele       176  dame  âge       177  auoiz  ;       180  Sel      184  tell 
189.  190  hitervei'tis       189  vos  manque       nien       198  a  ]  par 


II  (Méon  1453—1486) 


97 


205 


210 


215 


2-20 


225 


230 


235 


240 


Par  le  chevece  le  vestoie. 

Mais  molt  petit  i  arestoie. 

Le  pelicon  vesti  ensi  : 

Mes  a  reculons  m'en  issi. 

Lors  m'en  merveillai  a  celé  ore 

Por  la  coue  qui  ert  desoure. 

Ca  sui  venus  desconseilliez. 

Pinte,  ne  vos  en  merveillie/.. 

Se  li  cuers  me  fremist  et  tramble. 

Mes  dites  moi  que  vos  en  semble. 

Molt  sui  por  le  songe  grevez. 

Par  celé  foi  que  me  devez, 

Savez  vos  que  ce  senefie?' 

Pinte  rcspont,  ou  molt  se  fie, 

'Dit  m'avez'  fait  ele  'le  songe. 

Mes  se  dex  plest,  ce  est  mencoigne. 

Xe  porquant  si  vos  voil  espondre  : 

Car  bien  nos  en  saurai  respondre. 

leele  chose  que  veïstes 
El  someller  que  vos  feïstes, 
Qui  le  ros  pelicon  vestoit 
Et  issi  vos  desconfortoit 
C'est  li  gorpils,  jel  sai  de  voir. 
Bien  le  poes  apercevoir 
Au  pelicon  qui  ros  estoit 
Et  qui  par  force  vos  vestoit. 
Les  goles  d'os  ce  sont  les  denz 
A  qoi  il  vos  metra  dedenz. 
La  chevece  qui  n'iert  pas  droite, 
Qui  si  vos  iert  maie  et  estroite, 
Ce  est  la  boce  de  la  beste. 
Dont  il  vos  estreindra  la  teste. 
Par  iloques  i  enterois, 
Sauz  faille  vos  le  vestirois. 
Ce  que  la  coue  est  contremont, 
Par  les  seinz  de  trestot  le  mont. 


205  oheuce   208  reculans 
228  po8   229  que   234  ieret 

RE X ART      I 


212    u.    esm  Tucilli 


A 


98  II  (Méon  1489—1522) 

C'est  li  gorpils  qui  vos  prendra 

Parmi  le  col,  quant  il  vendra. 

Dont  sera  la  coue  desore. 

Einsi  ert,  se  dex  me  secore. 
245    Ne  vos  gara  argent  ne  ors. 

Li  peus  qui  ert  torne  defors 

C'est  voirs,  que  tôt  jors  porte  enverse 

Sa  pel,  quant  il  mels  plot  et  verse. 

Or  avez  oï  sanz  faillance 
•250    De  vostre  songe  la  senblance. 

Tôt  soiirement  le  vos  di: 

Ainz  que  voiez  passe  midi, 

Vos  avandra,  ce  est  la  voire. 

Mes  se  vos  me  volieez  croire, 
255    Vos  retorneriez  ariere  : 

Car  il  est  repos  ci  derere 

En  cest  boisson,  jel  sai  de  voir 

Por  vos  traïr  et  décevoir.' 
Quant  cil  ot  oï  le  respons 
260    Del  songe,  que  cole  ot  espous, 

'Pinte'  fait  il,  'molt  par  es  foie. 

Molt  as  dit  vileine  parole. 

Qui  diz  que  je  serai  sorpris, 

Et  que  la  beste  est  el  porpris 
2ri5    Qui  par  force  me  conquerra. 
^^,^/^^(.   Dahez  ait  qui  ja  le  crera! 

Ne  m'as  dit  rien  ou  ge  me  tiegne. 

Ja  nel  crerai,  se  biens  m'aviegne,  26 

Que  j'aie  mal  por  icest  songe.' 
270    'Sire'  fait  ele,  'dex  le  donge! 

Mais  s'il  n'est  si  con  vos  ai  dit, 

Je  vos  otroi  senz  contredit. 

Je  ne  soie  mes  vostre  amie.' 

'Pinte'  fait  il,  'ce  n'i  a  mie.' 
275    A  fable  est  li  songes  tornez. 

A  itant  s'en  est  retornez 

247  enu^'ese        253    asaudra        255  areiro        269   ceste       272  Je 
Uioa  o.  seinz         275  li  ç  songes 


Ii;;Mpon  1523—1564)  99 

En  la  poudrere  a  solaller. 

Si  recoDuiance  a  someller. 

Et  quant  il  fu  aseûrez, 
280    (Molt  fu  Renars  amesurez 

Et  voisiez  a  graut  merveille) 

Quant  il  voit  que  celui  somelle. 

Vers  lui  aprime  sanz  demore 

Renars,  qui  tôt  le  mont  acore 
285    Et  qui  tant  set  de  maveis  tors. 

Pas  avant  autre  tôt  sanz  cors 

S'en  vet  Renars  le  col  baissant. 

Se  Chantecler  le  par  atent 

Que  cil  le  puisse  as  denz  tenir, 
290    II  li  fera  son  jou  poïr. 

Quant  Renars  choisi  Chantecler, 

Senpres  le  volst  as  denz  haper. 

Renars  failli,  qui  fu  engres. 

Et  Chantecler  saut  en  travers. 
295    Renart  choisi,  bien  le  conut, 

Desor  le  fumier  s'arestut. 

Quant  Renars  voit  qu'il  a  failli. 

Forment  se  tint  a  malbailli. 

Or  se  conmence  a  porpenser, 
300    Conment  il  porroit  Chantecler 

Engignier:  car  s'il  nel  nianjue, 

Dont  a  il  sa  voie  perdue. 

'Chantecler'  ce  h  dist  Renart, 

'Ne  fuïr  pas,  n'aies  regart  ! 
30'    Molt  par  sui  liez,  quant  tu  es  seinz: 

Car  tu  es  mes  cosins  germeins.' 

Chantecler  lors  s'asoura. 

Por  la  joie  un  sonet  chanta. 

Ce  dist  Renars  a  son  cosin 
310    'Membre  te  mes  de  Chantecliu, 

Ton  bon  père  qui  t'engendra? 

Onques  nus  cos  si  ne  chanta. 


286    Pasa    auaiit     a    trestot    son    c.  21)2    a    d.    liapez  311 

Den  b. 


100  II  (Méon  1565-1600) 

D'une  grant  liue  l'ooit  on. 

Molt  bien  chantoit  en  haut  un  son 
315    Et  molt  par  avoit  longe  aleine 

Les  deus  els  clos,  la  vois  ot  seine. 

D'une  leûe  ne  veoit, 

Quant  il  chantoit  et  refreguoit. 
Dist  Chantecler  'Renart  cosin, 
320    Voles  me  vos  trere  a  engin?' 

'Certes'  ce  dist  Renars   non  voil. 

Mes  or  chantez,  si  clinnies  l'oeil! 

D'une  char  somes  et  d'un  sanc. 

Meus  voudroie  estre  d'un  pie  manc 
325    Que  tu  eûses  maremenz: 

Car  tu  es  trop  près  mi  parenz.' 

Dist  Chantecler  'pas  ne  t'en  croi. 

Un  poi  te  trai  ensus  de  moi 

Et  je  dirai  une  chancon. 
330    N'aura  voisin  ci  environ 

Qui  bien  n'entende  mon  fauset.' 

Lores  s'en  sozrist  Renardet  :    . 

'Or  dont  en  haut  :  chantez,  cosin  ! 

Je  saurai  bien,  se  Chantecliu, 
335    Mis  oncles,  vos  fu  onc  néant.' 

Lors  comenca  cil  hautement: 

Puis  jeta  Chantecler  un  bret. 

L'un  oil  ot  clos  et  l'autre  overt  : 

Car  molt  forment  dotoit  Renart. 
340    Sovent  regarde  celé  part. 

Ce  dist  Renars  'n'as  fet  neent. 

Chanteclins  chantoit  autrement 

A  uns  Ions  trez  les  eilz  cligniez  : 

L'en  l'ooit  bien  par  vint  plaissiez.' 
345    Chantecler  quide  que  voir  die. 

Lors  let  aler  sa  meloudie 

Les  oilz  cligniez  par  grant  aïr. 

Lors  ne  volt  plus  Renars  soffrir. 


315  avoi       320  enclin       322  Dosor  ouinnies      324   uoudi'ei     niant 
341  dit       342  disoit  hautement       348  Lor  ne  uost 


II  Oléon  1601  -1636)  101 

Par  de  desoz  un  roge  chol 
350    Le  prent  Renars  parmi  le  col, 

Fuiant  s'ent  va  et  fait  grant  joie 

De  ce  qu'il  a  encontre  proie. 

Pinte  voit  que  Renars  l'enporte, 

Dolente  est,  molt  se  deconforte. 
35f)    Si  se  conmence  a  dementer, 

Quant  Chantecler  vit  enporter. 

Et  dit  'sire,  bien  le  vos  dis 

Et  vos  me  gabiez  todis 

Et  si  me  tenieez  por  foie. 
360    Mes  ore  est  voire  la  parole, 

Dont  je  vos  avoie  garni. 

Vostre  senz  vos  a  escliarni. 

Foie  fui,  quant  jel  vos  apris, 

Et  fox  ne  crient  tant  qu'il  est  pris. 
365    Renars  vos  tient  qui  vos  enporte. 

Lasse  dolente,  con  sui  morte! 

Car  se  je  ci  pert  mon  seignor, 

A  toz  jors  ai  perdu  m'onor.' 
La  bone  feme  del  mainil 
370    A  overt  Fuis  de  son  cortil. 

Car  vespres  ert,  por  ce  voloit 

Ses  jelines  remetre  en  toit. 

Pinte  apela,  Bise  et  Rosete. 

L'une  ne  l'autre  ne  recete. 
375    Quant  voit  que  venues  ne  sont, 

Molt  se  merveille  qu'elles  font. 

Son  coc  rehuce  a  grant  aleine. 

Renart  regarde  qui  l'ennieine. 

Lors  passe  avant  por  le  rescore 
380    Et  li  gorpils  conmence  a  core. 

Quant  voit  que  prendre  nel  porra, 

Porpense  soi  qu'el  criera. 

'Harou!'  escrie  a  pleine  gole. 

Li  vilein  qui  sont  a  la  coule. 


351  Fuit  sent  et  f.  mit  g.  i.       354  est  manque      372  toit  ]  mont 
373  bis 


102  II  (Méon   1637—1670) 

385    Quant  il  oeut  que  celé  bret, 
Trestuit  se  sont  celé  part  tret. 
Si  li  demandent,  que  ele  a. 
En  sospirant  lor  reconta 
'Lasse,  con  m'est  mal  avenu!' 

390    'Cornent?'  font  il.  'Car  j'ai  perdu 
Mon  coc  que  li  gorpil  enporte.' 
Ce  dist  Costaus  'pute  vielle  orde, 
Qu'aves  dont  fet  que  nel  preïstes?' 
'Sire'  fait  ele,  'mar  le  dites. 

395    Par  les  seinz  deu,  je  nel  poi  prendre. 
'Por  quoi?'    Il  ne  me  volt  atendre.' 
'Sel  ferissiez?'  'Je  n'oi  de  quoi.' 
'De  cest  baston.'  'Par  deu  ne  poi: 
Car  il  s'en  vet  si  grant  troton, 

400    Nel  prendroient  deus  chen  breton.' 
'Par  ou  s'en  vet?'  'Par  ci  tôt  droit.' 
Li  vilein  corent  a  esploit.  27 

Tuit  s'escrient  'or  ca,  or  ca  !' 
Renars  l'oï  qui  devant  va. 

405    Au  pertuis  vint,  si  sailli  jus 
Qu'a  la  terre  feri  li  eus. 
Le  saut  qu'il  fist  ont  cil  oï. 
Tuit  sescrient  'or  ca,  or  ci  !' 
Costans  lor  dist  'or  tost  après!' 

410    Li  vilein  corent  a  esles. 
Costans  apele  son  mastin, 
Que  tuit  apelent  Mauvoisin, 
['Bardol,  Travers,  Humbaut,  Rebors, 
Cores  après  Renart  le  ros  !'] 

415    Au  corre  qu'il  font  l'ont  voii 
Et  Renart  ont  aperceii. 
Tuit  s'escrient  'vez  le  gorpil  !' 
Or  est  Chanteclers  en  péril, 
S'il  ne  reseit  engin  et  art. 

420    'Conment'  fait  il,  'sire  Renart, 


3S7  a  a  oi(  ci  a?     389  conme     mest      403  T.  si  se.     405  salli  us 
il       417  ueez       419  regeit? 


II  (Méon  1671—1708)  103 

Dont  n'oez  quel  honte  vos  dient, 

Cil  vilein  qui  si  vos  escrient? 

Costans  vos  seut  plus  que  le  pas. 

Car  li  lanciez  un  de  vos  gas 
4-25    A  l'issue  de  celé  porte. 

Quant  il  dira  "Renars  l'enporte", 

"Maugrez  vostre"  ce  poes  dire. 

Ja  nel  porres  mels  desconfire.' 
N'i  a  si  sage  ne  foloit. 
4.S0    Renars  qui  tôt  le  mont  decoit, 

Fu  decoiis  a  celé  foiz. 

Il  s'escria  a  haute  vois. 

'Maugre  vostre'  ce  dist  Renart 

'De  cestui  enpor  je  ma  part. 
435    Quant  cil  senti  lâche  la  boce, 

Bâti  les  eles,  si  s'en  toche. 

Si  vint  volant  sor  un  pomer. 

Renars  fu  bas  sor  un  fomier, 

Grreinz  et  maris  et  trespenses 
440    Del  coc  qui  li  est  escapez. 

Chautecler  li  jeta  un  ris. 

'Renart'  fait  il,  'que  vos  est  vis 

De  cest  siegle?  que  vos  en  semble?' 

Li  lecheres  fremist  et  tramle. 
445    Si  li  a  dit  par  félonie: 

'La  boce'  fait  il  'soit  honie, 

Qui  s'entremet  de  noise  fere 

A  l'ore  qu'ele  se  doit  tere.' 

'Si  soit'  fet  li  cos,  'con  je  voil. 
450    La  maie  gote  li  cret  l'oil 

Qui  s'entremet  de  someller 

A  l'ore  que  il  doit  veillier. 

Cosins  Renart'  dist  Chantecler, 

'Nus  ne  se  puet  en  vos  fier. 
455    Dahez  ait  vostre  cosinage! 

Il  me  dut  torner  a  damage. 


422  estcrient      425  ceste      441  li  a  iete      442  faint      445  manque 
448  que  il       se  dut       450  crert  a  1.       454  pot 


104  II  (Méon  1709—1748) 

Renaît  parjure,  aies  vos  ent! 
Se  vos  estes  ci  longement, 
Vos  i  lairois  vostre  gonele.' 

400    Renars  n'a  seing  de  sa  favele. 

Ne  volt  plus  dire,  atant  s'en  torne. 
Ne  repose  ne  ne  sejorne, 
Besongnieus  est,  le  cuer  a  vein. 
Par  une  broce  lez  un  plein 

465    S'en  vait  fuiant  tôt  une  sente. 
Molt  est  dolans,  molt  se  démente 
Del  coc,  qui  li  est  escapes, 
Quant  il  n'en  est  bien  saoles.  — 
Que  qu'il  se  pleint  de  sa  losenge, 

470    Atant  es  vos  une  mésange 

Sor  la  brance  d'un  cainne  crues. 
Ou  ele  avoit  repost  ses  ues. 
Renars  la  vit,  si  la  salue. 
'Comere,  bien  soiez  venue! 

475    Car  descendes,  si  me  besiez!' 
'Renart'  fet  elle,    or  vos  tesiez! 
Yoirement  estes  mes  compères. 
Se  vos  ne  par  fussiez  si  leres. 
Mes  vos  aves  fait  tante  guiche 

480    A  tant  oisel,  a  tante  biche, 
Qu'en  ne  s'en  set  a  qoi  tenir. 
Et  que  quidiez  vos  devenir? 
Maufes  vos  ont  si  déserte 
Qu'en  ne  vos  puet  prendre  a  verte.' 

485    'Dame'  ce  respont  li  gorpilz, 
'Si  voirement  con  vostre  filz 
Est  mes  filions  en  droit  baptême, 
Onques  ne  fis  semblant  ne  emme 
De  rien  qui  vos  doiist  desplaire. 

400    Savez,  por  quoi  je  nel  vol  fere? 
Droiz  est  que  nos  le  vos  dions. 
Mesire  Nobles  li  lions 


457  p  . .  ures  459  gone  gonele  460  soig  462  Ne  ne  pose  463 
Besongniez  471  cainne  dun  brace  gros  472  os  474  s.  uos  u.  479 
guenche   480  besche   484  Que  ne  u.  pot   487  d°t   490  uos 


II  (Méon  1749—1780)  105 

A  01"  par  tôt  la  pes  jurée, 

Se  dex  plaist,  qui  aura  durée. 
495    Par  sa  terre  l'a  fait  jurer 

Et  a  ses  homes  afier 

Que  soit  gardée  et  meintenue. 

Molt  lie  on  est  la  gent  menue. 

Cor  or  carront  par  plusors  terres 
500    Plez  et  noises  et  mortex  guerres, 

Et  les  bestes  grans  et  petites 

La  merci  deu  seront  bien  quites.' 

La  messange  respont  atant 

'Renart,  or  m'aies  vos  flatant. 
595    Mes  se  vos  plest,  queres  autrui: 

Car  moi  ne  beseres  vos  hui, 

Ne  ja  por  rien  que  vos  diez, 

Icist  besers  n'iert  otroiez.' 

Quant  Renars  voit  que  sa  conmere 
510    Ne  velt  pas  croire  son  compère, 

'Dame'  fait  il,  'or  m'escotez! 

Por  ce  que  vos  me  redotez, 

Les  ielz  cloingniez  vos  beserai.' 

'Par  foi'  fait  ele,  'et  jel  ferai. 
515    Or  cligniez  donc!'  cil  a  clignie 

Et  la  mesengne  a  enpoignie 

Plein  son  poing  de  mousse  et  de  foille. 

N'a  talant  que  besier  le  voille. 

Les  gernons  li  conmence  a  terdre  : 
520    Et  quant  Renars  la  cuide  aerdre, 

N'i  trove  se  la  foille  non. 

Qui  li  fu  remese  au  grenon. 

La  mesenge  li  escria 

'Haï  Renart,  quel  pez  ci  a! 
525    Tost  oiissiez  la  trive  enfrete, 

Se  ne  me  fusse  arere  trete. 


494  d°ee  497  Quel  meintenuee  498  menuee  499  ore  terrez 
500  g  uerrez  508  niertroiez  510  p.  conoistre  s.  517  poig  Le  vers 
519  se  trouve  après  le  vers  533,  mais  avec  un  a,  qui  se  rapiiorte  à  un 
b,  dont  le  vers  520  est  précédé      519  Ses      525  effrete       526  retrete 


106  II  (Méon   1781—1818) 

Yos  disiez  que  afiee 

La  pes  et  qu'ele  estoit  jurée. 

Mal  l'a  jurée  vostre  sire.' 
530    Renars  li  conmenca  a  rire, 

Si  li  a  jeté  un  abai. 

'Certes'  fait  il,  je  m'en  gabai. 

Ce  fis  je  por  vos  poor  fere. 

Mes  qui  caut?  or  soit  a  réfère. 
535    Je  reclingnerai  autrefois.' 

'Or  dont'  fet  ele  'estez  toz  cois!' 

Cil  cligne  qui  molt  sot  de  bole. 

Celé  li  vint  près  de  la  gole  28 

Raiant,  mes  n'entra  pas  dedenz. 
540    Et  Renars  ra  jeté  les  denz. 

Prendre  la  quide,  mes  il  faut. 

'Renart'  fait  ele,'  ce  que  vaut? 

Ce  n'iert  ja  que  croire  vos  doie. 

Par  quel  manere  vos  creroie? 
545    Se  ja  vos  croi,  li  maufes  m'arde!' 

Ce  dist  Renars  'trop  es  coarde. 

Ce  fis  je  por  vos  esmaier 

Et  por  vos  auques  essaier. 

Car  certes  je  n'i  enten  mie 
550    Ne  traïson  ne  félonie. 

Mes  or  revenes  autrefoiz! 

Tierce  foïe,  ce  est  droiz. 

Par  non  de  seinte  carite, 

Par  bien  et  par  establete, 
555    Bêle  conmere,  sus  levés! 

Par  celé  foi  que  me  deves 

Et  que  vos  deves  mon  fiUol, 

Qui  la  chante  sor  ce  tilloil. 

Si  faisomes  ceste  racorde. 
5(;o    De  peceor  miséricorde.' 

Mes  ele  fet  oreille  sorde  : 

Qu'ele  n'est  pas  foie  ne  lorde, 


527  di  siec  qV  afiee  530  dire  534  quin  536  manque  537  cil 
li  c.  538  Celé  luint  539  .R.  mes  546  dit  548  ensaier  549  nentcn 
552  ce  on  d.       556  fois       559  acorde       561  el  li  f.  a  o.       562  Quel 


II  (Méon  1819—1860)  107 

Ainz  siet  sor  la  branche  d'un  chesne. 

Que  que  Renars  si  se  deresne 
5f)5    Atant  este  vos  veneor 

Et  braconier  et  corneor 

Qui  sor  le  col  li  sont  coii. 

Et  quant  Renars  a  ce  veû, 

Forment  s'en  est  esmervelliez. 
570    De  fuïr  s'est  aparelliez. 

Si  drece  la  coue  en  arcon. 

Forment  s'escrient  li  garçon, 

Sonent  grailes  et  moieneax. 

Et  Renars  trosse  ses  panaux, 
575    Qui  molt  petit  en  els  se  fie. 

Et  la  mesenge  li  escrie 

'Renart,  cist  bans  est  tost  brisiez, 

Et  la  pez  que  vos  disiez. 

Ou  fuiez  vos?  ca  revenez!' 
580    Renars  fu  ceintes  et  senez, 

Si  li  ra  trait  une  mencoigne. 

Que  qu'il  parole,  si  s'esloigne. 

'Darne,  les  trives  sont  jurées 

Et  pie  vies  et  afiees, 
585    La  pes  ausi  de  tôt  en  tôt. 

Mes  nel  sevcnt  mie  par  tôt. 

Ce  sont  cael  qui  ci  nos  vienent, 

Qui  la  pes  que  lor  père  tiennent, 

N'ont  encor  pas  aseiiree, 
590    Si  con  lor  père  l'ont  jurée. 

N'erent  pas  encore  si  saive 

Au  jor,  que  lor  père  et  lor  aive 

Jurèrent  la  pes  a  tenir, 

Que  l'en  les  i  feïst  venir.' 
595         'Certes  ore  estes  vos  maves. 

Cuidiez  qu'il  enfrengnent  la  pes  ? 

Ca  revenez,  si  me  baisiez!' 

'Jei  n'en  sui  pas  or  aisiez.' 


564  deregne  570  Del  f.  575  Qui  ]  Car  581  ra  tort  591 
pas  ne  se  trouve  qu'  après  encore",  nutis  lu  faute  est  indiquée  par  des 
signes      598  ne 


108  II  (Méon  1862—1898) 

'Ja  jura  la  pes  vostre  sire.' 

600    Renars  s'en  fuit,  ne  veut  plus  dire, 
Corne  cil  qui  sot  le  travers. 
Atant  estes  vos  un  convers 
Que  dous  veautres  enchaenez 
Avoit  lez  la  voie  amenez. 

605    Li  gars  qui  sent  Renart  premiers, 
Quant  il  choisi  les  leemiers. 
Voit  le  convers.  si  li  escrie 
'Deslie  va,  les  chiens  deslie! 
Vois  le  gorpil!  mar  en  ira.' 

610    Renars  l'oï,  si  sospira. 

Bien  set  que  il  ert  malvenuz. 
Se  il  puet  estre  retenuz. 
Car  itel  gent  entor  lui  voit, 
N'i  a  celui,  s'il  le  tenoit, 

615    Que  bien  ne  li  ostast  la  pel 
A  la  pointe  de  son  cotel. 
Poor  a  de  perdre  sa  corce. 
Se  plus  n'i  vaut  engin  que  force. 
Molt  dote  perdre  sa  gonele, 

620    S'auques  ne  li  vaut  sa  favele. 
Li  convers  qui  autre  part  muse, 
Et  Renars,  qui  pas  ne  rehuse, 
Ne  puet  mucier  ne  puet  guenchir 
Ne  nule  part  ne  puet  foïr 

625    Ne  trestorner  en  nule  guise. 
Es  vos  le  convers  qui  l'avise. 
Devant  lui  vient  toz  aïrez: 
'Ha  ha,  cuivrez,  vos  n'en  irez.' 
'Sire'  fait  il,  'por  deu  ne  dites! 

630    Car  seins  hom  estes  et  ermites. 
Si  ne  devez  en  nul  endroit 
A  nul  home  tolir  son  droit. 
S'or  estoie  ci  arestes 
Ne  par  voz  chenz  point  destorbes. 


607  chiens  manque       611   quil       612  Sil  i  pot       614  sis  le       623 
pot  .  .  pot  foir       624  pot  gandir       628  u.  ni  riez       634  por 


II  (Méon  1899—1934)  109 

635    Sor  vos  en  seroit  li  pecies: 

Et  j'en  seroie  corociez, 

Car  miens  en  seroit  li  damages. 

Nos  corrien  ici  a  gages 

Entre  moi  et  ceste  cenaille: 
640    Molt  a  grant  cose  en  la  fermaille,' 
Cil  se  porpense  qu'il  dist  bien. 

A  deu  et  a  seint  Julien 

Le  conmande,  si  s'en  retorne. 

Et  Renars  qui  pas  ne  sojorne, 
()45    Molt  espei'one  son  cheval. 

Par  une  sente  les  un  val 

S'en  vet  fuiant  tôt  une  plegue. 

Li  cris  qui  après  lui  engregne 

Le  fet  aler  plus  que  le  pas. 
650    A  une  voie,  a  un  trcspas 

A  un  grant  fosse  tressailli. 

Iloques  l'ont  li  chen  gerpi: 

N'en  sevent  mes  ne  vent  ne  voie. 

Et  Renars  qui  bien  se  dévoie, 
655    N'i  atent  per  ne  conpaignon: 

Car  molt  dote  mors  de  gaignon. 

N'est  merveille  s'il  est  lassez. 

Car  le  jor  out  foï  asez. 

Si  a  trove  mauves  eiir. 
660    Mais  que  chaut?  ore  est  asoiir. 

Ases  a  grant  travail  eii 

Por  ce  qu'il  li  est  mescou. 

Par  ce  que  il  s'en  va  fuitis, 

Manace  molt  ses  enemis. 
665         Que  qu'il  se  pleint  de  s'aventure, 

Garde  et  voit  en  une  rue 
Tiebert  le  chat,  qui  se  déduit 
Sanz  conpaignie  et  sens  conduit. 
De  sa  coe  se  vet  joant 
670    Et  entor  lui  granz  saus  faisant. 


638  a  1  en  G;59  fernaillo  (J42  gelien  043  si  ]  cil  648  enfreindre 
651  une  652  le  655  part  603  va  j  est  665  lauenture  668  con- 
paignon et  seins 


110  II  (Méon  1935-1970) 

A  un  saut  qu'il  fist  se  regarde, 

Si  choisi  Renart  qui  resgarde.  29 

Il  le  conut  bien  au  poil  ros. 

'Sire'  fait  il,  'bien  vegnes  vos!' 

67Ô    Renars  li  dist  par  félonie 
'Tibert,  je  ne  vos  salu  mie. 
Ja  mar  vendrez  la  ou  je  soie. 
Car  par  mon  chef,  je  vos  feroie 
Volontiers,  se  j'en  avoie  aise,' 

680    Tibert  besoigne  qu'il  se  taise: 
Qar  Renars  est  molt  coreciez. 
Et  Tibers  s'est  vers  lui  dreciez 
Tôt  simplement  et  sanz  grant  noise, 
'Certes'  fait  il,  'sire,  moi  poisse 

685    Que  vos  estes  vers  moi  iriez.' 
Renars  fu  auques  enpiriez 
De  jeûner  et  de  mal  traire. 
N'a  ores  seing  de  noisse  fere, 
Car  molt  ot  joiine  le  jor. 

690    Et  Tieberz  fu  pleins  de  sojor, 
S'ot  les  gernons  vels  et  cenuz 
Et  les  denz  trencans  et  menus, 
Si  ot  bons  ongles  por  grater. 
Se  Renars  le  voloit  mater, 

695    Je  cuit  qu'il  se  vouldroit  desfendre. 
Mais  Renars  nel  velt  mie  enprendi-e 
[Envers  Tibert  nule  meslee 
Qu'en  maint  leu  ot  la  pel  aree]. 
Ses  moz  retorne  en  autre  guise. 

700    'Tibert'  fait  il,  'je  ai  enprise 

Guerre  molt  dure  ot  molt  amere 
Vers  Ysengrin  un  mien  compère. 
S'ai  retenu  meiut  soudoier 
Et  vos  en  voil  je  molt  proier 

705    Qu'a  moi  remanes  en  soudées. 
Car  ains  que  soient  acordees 


671    que    il       678    chez       679   aiese       680  que  te  toise       ()81  R. 
sest       683  grant  manque       687  Del  .  .  del       688  soig       704  proer 


II  (Méon  1971—2006)  111 

Les  trives  entre  moi  et  lui 

Li  cuit  je  fere  grant  ennui.' 

Tieberz  li  chaz  fet  molt  grant  joie 
710    De  ce  dont  dan  Renars  le  proie. 

Si  li  a  retorne  le  vis. 

'Tenes'  fait  il,  je  vos  plevis 

Que  ja  nul  jor  ne  vos  faudre 

Et  que  volontiers  asaudre 
715    Dant  Ysengrin  :  qu'il  a  mesfet 

Yers  moi  et  en  dit  et  en  fet; 

Or  l'a  Renars  tant  acorde 

Qu'entr'aus  dous  se  sont  acorde. 

Andui  s'en  vont  par  foi  plevie. 
720    Renars  qui  est  de  maie  vie, 

Nel  laissa  onques  a  haïr, 

Ainz  se  peine  de  lui  traïr. 

En  ce  a  mis  tote  s'entente. 

Il  garde  en  une  estroite  sente, 
725    Si  a  choisi  près  de  Torniere 

Entre  le  bois  et  la  carere 

Un  broion  de  chesne  fendu, 

C'uns  vileins  i  avoit  tendu. 

Il  fu  recuiz:  si  s'en  eschive. 
730    Mes  danz  Tibers  n'a  nule  trive. 

S'il  le  pu  et  au  braion  atrere 

Qu'il  ne  li  face  un  mal  jor  traire. 

Renars  li  a  jeté  un  ris 

'Tibert'  fait  il,  'de  ce  vos  pris 
735    Que  molt  estes  et  prous  et  baus 

Et  tis  chevaus  est  molt  isnaus. 

Mostrez  moi,  conment  il  set  core. 

Par  ceste  voie,  ou  a  grant  poure, 

Corez  tote  ceste  sentele! 
740    La  voie  en  est  igax  et  bêle.' 

Tibers  li  caz  fu  eschaufez 

Et  Renars  fu  un  vis  maufez. 


710  len       714  asaudra       715  qu'  nuittque      ma       718  se  manque 
726  care       730  n.  caue       731   pot       735  Que  tu  es  m.  et 


112  II  (Méon  2007—2038) 

Qui  le  vost  en  folie  enjoindre. 
Tibers  s'apareille  de  poindre, 

745    Cort  et  racort  les  sauz  menuz 
Tant  qu'il   est  au  braion  venuz. 
Quant  il  i  vint,  s'aperçut  bien 
Que  Renars  i  entent  engien. 
Mes  il  n'en  fet  semblent  ne  chère, 

750    En  eschivant  se  tret  arere 
Ensus  du  braion  demi  pie. 
Et  Renars  l'a  bien  espie. 
Si  li  a  dit  'vos  aies  mal, 
Qui  en  travers  corez  cheval.' 

755    Cil  s'est  un  petit  esloigniez. 
'A  réfère  est,  or  repeigniez  I 
Menés  l'un  poi  plus  droitement!' 
'Volentiers  :  dites  moi,  conment  !' 
'Conment?  si  droit  qu'il  ne  guenchisse 

760    Ne  hors  de  la  voie  n'en  isse.' 
Cil  lait  core  a  col  estendu 
Tant  qu'il  voit  le  braion  tendu. 
Ne  guenchit  onques,  einz  tresaut. 
Renars  qui  a  veii  le  saut, 

765    Sot  bien  qu'il  s'est  aperceûz 
Et  que  par  lui  n'iert  deceiiz. 
Porpense  soi  que  il  dira 
Et  conment  il  le  décevra. 
Devant  lui  vint,  si  li  a  dit 

770    Par  mautalant  et  par  afit 

Tibert'  fait  il,  'bien  vos  os  dire, 
Vostre  cheval  est  ases  pire 
Et  por  vendre  en  est  moins  vaillanz, 
Por  ce  q'est  eschis  et  saillanz.' 

775    Tieberz  li  chaz  forment  s'escuse 
De  ce  dont  danz  Renars  l'acuse. 
Forment  a  son  cors  engrognie 
Et  meinte  fois  recomencie. 


746  braiom  749  ch'  754  core  7.55  a'manque  poi  757  le  un  p. 
p.  (lorement  765  Poupense  771.  772  intervertis  ;  mais  V ordre  juste 
est  indiqué  par  les  lettres  b  a       773  en  manque 


II  (Méoii  2039—2070)  113 

Que  quil  s'esforce,  es  vos  atant 
780    Deus  mastinz  qui  vienent  bâtant. 

Renart  voient,  s'ont  abaie. 

Andui  s'en  sont  molt  esmaie  : 

Par  la  sente  s'en  vont  fuiant 

(Li  uns  aloit  l'autre  botant) 
785    Tant  qu'il  vindrent  au  liu  tôt  droit 

Ou  li  braions  tendus  estoit. 

Renars  le  vit,  guencir  cuida. 

Mais  Tibers,  qui  trop  l'anguissa, 

L'a  si  féru  del  bras  senestre 
790    Que  Renars  ciet  enz  del  pie  destre. 

Si  que  la  clés  en  est  saillie. 

Et  li  engins  ne  refaut  mie. 

Si  serrent  li  huisset  andui 

Que  Renart  firent  grant  anui: 
795    Le  pie  li  ont  très  bien  sere. 

Molt  l'a  Tibers  bien  honore. 

Quant  el  braion  l'a  enbatu 

Ou  il  aura  le  col  batu. 

Ci  a  meveise  conpaignie, 
800    Car  vers  lui  a  sa  foi  mentie. 

Renars  remeint.  Tibers  s'en  toce. 

Si  li  escrie  a  pleine  boche  30 

'Renart,  Renart,  vos  remaindrez, 

Mes  jei  m'en  vois  toz  esfreez. 
805    Sire  Renart,  vielz  est  li  chaz: 

Petit  vos  vaut  vostre  porchaz. 

Ci  vos  herbergeroiz,  ce  cuit. 

Encontre  vezie  recuit.' 

Or  est  Renars  en  maie  trape, 
810    Car  li  chen  le  tienent  en  frape. 

Et  li  vileinz  qui  vint  après. 

Leva  sa  hace,  s'ala  près. 

A  poi  Renars  n'est  estestez. 

Mais  li  cous  est  jus  avalez 


780  uieueinent      783  fuieant      785  a  lui       7H7  le  suit      789—794 
manquent      798  aura  J  ot  bien      813  Que  R.  nen  fu  entestez     813  Mains 
KEXART     I  8 


114  II  (Méon  2077—2102.  7187—7196) 

815    Sor  le  braioii  qu'il  a  fendu. 
Et  cil  a  son  pie  estendu: 
A  soi  le  tret,  molt  fu  blechiez. 
Fuiant  s'en  vet  dolans  et  liez: 
Dolenz  de  ce  qu'il  fu  quassiez, 

8-20    Liez  qu'il  n'i  a  le  pie  laissie. 
Quant  il  senti  qu'il  fu  délivres, 
Ne  fu  pas  estordi  ne  ivres, 
Aincois  s'est  tost  mis  a  la  fuie. 
Et  li  vileins  l'escrie  et  huie, 

825    Qui  molt  se  tient  a  engignie. 

Li  chien  ont  lor  cours  engregnie, 
Si  reconmencent  a  glatir, 
One  Renars  ne  s'osa  quatir 
Tresqu'il  ot  tôt  le  bois  passe. 

830    Hoc  furent  li  chen  lasse, 
Recraant  s'en  tornent  arere. 
Renars  tote  une  grant  charrere 
S'en  vait  fuiant,  car  molt  s'esmaie. 
Forment  li  cuit  et  dont  la  plaie. 

835    Ne  set  li  laz  que  fere  puisse: 
A  pou  qu'il  n'a  perdu  la  cuisse 
Qui  en  la  piège  fu  cougniee. 
Si  rot  poor  de  la  cogniee 
Dont  li  vileins  le  vont  ocirre. 

840    Que  d'un  que  de  l'autre  martire 
S'en  est  tornes  a  molt  grant  peine 
Si  conme  aventure  le  meine.  — 

Entre  deus  monz  en  une  pleigne 
Tôt  droit  au  pie  d'une  monteigne 

845    Desus  une  rivière  a  destre 

La  vit  Renart  un  molt  bel  estre 
Que  la  gent  n'ont  gères  hante. 
La  vit  Renart  un  fou  plante. 
[L'eve  passe  outre  et  vint  la  droit 

850    La  ou  li  fouz  plantez  estoit.] 


823    Ainz   cois   sestot        827    reglatir        836  Por  pou        837  Que 
840  matire 


II  (Méon  7197—7234)  115 

Entor  le  fust  a  fet  sa  tresche, 

Puis  s'est  cochez  sor  l'erbe  fresce. 

Voutres  s'i  est  et  estenduz: 

A  bon  ostel  est  descenduz. 
855    Ne  li  estuet  ostel  changier 

Por  qu'oùst  auques  a  nîangier. 

Li  sojorners  li  est  or  baus. 

Mes  dan  Tiecelins  li  corbeas 

Qui  molt  ot  jeiine  le  jor 
860    N'ot  ore  cure  de  sejor. 

Par  besoing  a  le  bois  laissie 

Et  vint  fendant  a  un  plaissie 

Priveement  et  en  destor 

Toz  abreviez  de  fere  ester. 
865    De  formages  vit  un  millier 

Qu'en  avoit  mis  a  sollellier. 

Celé  qui  garder  les  devoit 

En  sa  meson  entrée  estoit. 

Entrée  estoit  en  sa  maison. 
870    Tiecelins  voit  qu'or  est  seson 

De  gaengnier,  si  laisse  corre. 

Un  en  a  pris:  por  le  rescorre 

Sailli  la  vielle  en  mi  la  rue. 

Tiecelin  voit,  après  li  rue 
875    Challox  et  pieres,  si  l'escrie 

Vassal,  vos  n'en  porterois  mie.' 

Tiecelin  la  voit  auques  foie. 

'Vielle'  fet  il,  's'en  en  parole, 

Ce  porroiz  dire,  jei  l'en  port, 
880    Ou  soit  a  droit  ou  soit  a  tort. 

De  lui  prendre  ai  eii  bon  leu, 

La  maie  garde  pest  le  leu. 

[Le  remanant  gardes  plus  près. 

Cestui  ne  raurez  vos  hui  mes, 
885    Ains  en  ferai  mes  barbes  rere 

Molt  leement  a  bêle  chère. 


853  Volentiers      et  manque      854  ces  denduz      862  tendant     872 
prise      rescore      873  rai  manque      882  lou      884  nauores      vos  manque 

8* 


116  II  (Méon  7235—7270) 

En  aventure  de  lui  prendre 

Me  mis  por  ce  que  gel  vi  tendre, 

Jaunet  et  de  bone  savor. 
890    Tant  ai  del  vostre  par  amor. 

Sel  puis  porter  jusqu'à  mon  ni, 

De  cuit  en  eve  et  de  rosti 

En  mangerai  tôt  a  mon  cois. 

Râlez  vos  en:  car  je  m'en  vois.'] 
895         Atant  s'en  torne  et  vient  tôt  droit 

Au  leu  ou  danz  Renarz  estoit. 

Ajorne  furent  a  cel  ore 

Renarz  desos  et  cil  desoure. 

Mes  tant  i  out  de  dessevraille 
900    Que  cil  manjue  et  cil  baelle. 

Li  forraaches  est  auques  mous. 

Et  Tiecelins  i  fiert  granz  cous 

Au  chef  du  bec  tant  qu'il  l'entame. 

Mangie  en  a  maugre  la  dame 
905    Et  del  plus  jaune  et  del  plus  tendre, 

Qui  tel  anui  li  fist  au  prendre. 

Grans  cols  i  fert  a  une  liie. 

One  n'en  sot  mot,  quant  une  mie 

Li  est  a  la  terre  choiie 
910    Devant  Renart  qui  l'a  veiie. 

Il  conoist  bien  si  fête  beste, 

Puis  si  en  a  crolle  la  teste. 

Il  levé  sus  por  mels  veoir: 

Tiecelin  voit  lasus  seoir, 
915    Qui  ses  compères  ert  de  viez, 

Le  bon  forraache  entre  ses  piez. 

Priveement  l'en  apela 

'Por  les  seins  deu,  que  voi  ge  la? 

Estes  vos  ce,  sire  conpere? 
920    Bien  ait  hui  l'ame  vostre  père 

Dant  Rohart  qui  si  sot  chanter! 

Meinte  fois  l'en  oï  vanter 


889  Gaunet       896  lou       898  desus       902  f.  .II.  cloz        911  si  se 
fet  b.       915  vielz       921  que 


II  (Méon  7271—7308)  117 

Qu'il  en  avoit  le  pris  en  France. 

Vos  meïsme  en  vostre  enfance 
925    Vos  en  solieez  molt  pener.  31 

Saves  vos  mes  point  orguener? 

Chantes  moi  une  rotruenge!' 

Tiecelin  entent  la  losenge, 

Euvre  le  bec,  si  jeté  un  bret. 
930    Et  dist  Renars  'ce  fu  bien  fet. 

Mielz  chantez  que  ne  solieez. 

Encore  se  vos  voliees, 

Irieez  plus  haut  une  jointe.' 

Cil  qui  se  fet  de  chanter  cointe, 
935    Comence  de  rechef  a  brere. 

'Dex'  dist  Renars,   con  ore  esclaire, 

Con  ore  espurge  vostre  vois  ! 

Se  vos  vos  gardées  de  nois, 

Au  miels  du  secle  chantisois. 
940    Cantes  encor  la  tierce  fois!' 

Cil  crie  a  hautime  aleine, 

One  ne  sot  mot,  que  qu'il  se  peine, 

Que  li  pies  destres  li  desserre 

Et  li  formages  ciet  a  terre 
945    Tôt  droit  devant  les  piez  Renart. 

Li  lecheres,  qui  trestoz  art 

Et  se  defrit  de  lecerie, 

N'en  atoca  onc  une  mie. 

Car  encor,  s'il  puet  avenir, 
950    Voldra  il  Tiecelin  tenir. 

Li  formaches  li  gist  devant. 

Il  levé  sus  cheant  levant: 

Le  pie  trait  avant,  dont  il  cloce, 

Et  la  pel,  qui  encor  li  loce, 
955    [Et  la  gambe  et  le  pie  mamis 

Qui  el  braion  fu  entrepris.] 

Bien  vont  que  Tiecelins  le  voie. 
Ha  dex!'  fait  il   con  poi  de  joie 


926  nés  928  loeine  930  dit  933  gointe  937  sespurge  939 
chantisos  940  encore  943  desere  946  toz  très  949  c.  encore  sil  pot 
uenir      954  manque 


II  (Méon  7309—7346) 

M'a  dex  done  eu  ceste  vie! 
960    Que  fera  ge,  seinte  Marie! 

Cist  formages  me  put  si  fort 

Et  flere  qu'il  ja  m'aura  mort. 

Tel  chose  i  a  qui  m  oit  m'esmaie, 

Que  formages  n'est  prous  a  plaie. 
965    [Ne  de  lui  talent  ne  me  prent, 

Car  fisicle  le  me  defent.] 

Ha  Tiecelin,  car  descendes! 

De  cest  mal  si  me  défendes! 

Certes  ja  ne  vos  en  priasse: 
970    Mes  j'oi  l'autrer  la  jambe  qasse 

En  un  braion  par  mesceance. 

La  m'avint  ceste  mesestance: 

[Onques  ne  m'en  poi  destorner. 

Or  me  covient  a  sejorner, 
97;')    Enplastre  mètre  et  enloer 

Tant  que  je  puisse  renoer.'] 
Tiecelins  cuide  que  voir  die 

Por  ce  que  en  plorant  li  prie. 

Il  descent  jus,  que  ert  en  haut: 
980    Mes  mar  i  acointa  le  saut, 

Se  danz  Renars  le  puet  tenir. 

Tiecelin  n'ose  près  venir. 

Renars  le  vit  acoarder, 

?el  conmenca  aseiirer. 
985    'Por  deu   fait  il,   ca  vos  traies! 

Quel  mal  vos  puet  fere  un  plaies?' 

Renars  devers  lui  se  torna. 

Li  fous  qui  trop  s'abandona. 

Ne  sot  ains  mot,  quant  il  sailli. 
990    Prendre  le  cuida.  si  failli. 

Et  neporquant  qatre  des  pênes 

Li  remeintrent  entre  les  canes. 

[Tiecelin  saut  tos  esmaies. 

Qui  dut  estre  molt  mal  paies. 


962  maura  ia  964  Car  967  descent  968  me  de  défendes  969 
pirasse  970  Car  ioi  lautre  la  cuisse  q.  978  me  p.  981  pot  986  pot 
987  R.  qui  uers    988  se  démena 


II  (Méon  7347—7380.  337-847)  119 

995    Detrers  et  devant  se  regarde. 

He  dex'  dist  il,   si  maie  garde 

Ai  hui  prise  de  moi  meïsme. 

Ja  ne  cuide  que  feïst  esme 

Cil  fel,  cist  ros  et  cist  contres, 
1000    Qui  qatre  des  tuiax  m'a  trez 

De  la  destre  ele  et  de  la  qeue. 

Li  siens  cors  aille  a  maie  veue! 

Faus  et  traîtres  est  por  voir 

Or  m'en  puis  bien  apercevoir.'] 
1005         Or  est  Tiecelins  molt  pleins  d'ire. 

Et  Renars  s'en  volt  escondire 

Mais  dan  Tiecelins  l'entrelet, 

N'est  ore  pas  haities  de  plet. 

Si  dist  'li  formages  soit  vostre! 
1010    Plus  n'aurois  vos  hui  mais  del  nostre. 

Je  fis  que  fous  que  vos  creoie 

Puis  que  escacier  vos  veoie.' 

Tiecelins  parla  et  grondi: 

Renars  un  mot  ne  respondi. 
1015    Soef  en  a  le  dol  vengie. 

Car  le  formache  a  tôt  mangie. 

N'en  pleint  que  la  maie  foison  : 

Car  tant  li  vaut  une  poison. 

Quant  il. s'en  fu  desjeiinez, 
1020    Si  dist,  des  l'oure  qu'il  fu  nez 

Ne  manja  il  de  tel  formache 

En  nule  terre  que  il  sache. 

Onques  sa  plaie  n'en  fu  pire. 

Atant  s'en  vet,  ne  volt  plus  dire.  — 
1025         Cilz  plaiz  fu  ainsi  affinez  D30d 

Et  Renars  s'est  acheminez. 

Renars  vint  par  un  bois  fendant 

Par  une  broche  en  un  pendant. 

One  ne  fina,  que  qu'il  s'esgaie, 
1030    Tant  que  il  vint  en  une  haie 


998  eme  1002  ait  uoue  1005  tut  p.  1008  or  p.  liaios  1010  vos 
manque  1013.  1014  tnunquent  1018  len  v.  un  proison  1025  Li'  rea.e  matt'jue 
dans  A;  il  est  siqjpUé  d'après  D.      1027  vint  manque      1030  en  J  a 


120  II  (Méon  348—385) 

Par  dessus  une  fosse  obscure. 

La  li  avint  une  aventure, 

De  quoi  li  anuia  et  poise. 

Car  par  ce  commença  la  noise  D31 

1035    Par  mal  pecliie  et  par  dyable 

Vers  Ysengrin  le  connestable. 

Quant  il  vit  la  chevee  roche, 

Ne  sot  que  faire:  avant  s'aproche 

Pour  enquerre  et  pour  savoir, 
1040    C'en  n'i  eûst  repost  avoir. 

One  n'en  sot  mot,  quant  il  avale. 

Qu'il  se  trouva  enmi  la  sale 

Dant  Ysengrin  son  anemi. 

Quatre  louviaus  gisent  enmi 
1045    Et  madame  Hersent  la  louve 

Qui  ses  louviax  norrist  et  couve: 

A  chascun  donnoit  sa  bouchie. 

Nouvelement  ert  acouchie. 

Mais  n'avoit  pas  son  chief  couvert: 
1050    Garda,  si  vit  l'uis  entrouvert. 

Pour  la  clarté  qui  trop  la  grieve 

Pour  esgarder  sa  teste  lieve, 

Savoir  qui  leens  fu  venuz. 

Renars  fu  grelles  et  menuz 
1055    Et  fu  repost  derrier  la  porte. 

Et  Hersent  qui  se  reconforte. 

Le  connut  bien  a  la  pel  rousse. 

Ne  puet  muer  que  ne  s'escousse. 

Si  li  a  dit  tout  en  riant 
1060    'Renart,  qu'alez  vous  espiant?' 

Adonques  fu  touz  desconfis, 

De  honte  avoir  fu  il  bien  fis. 

N'ose  mot  dire,  tant  se  doute: 

Car  Ysengrin  ne  l'aime  goûte. 
1065    Hersent  saut  sus.  lieve  le  chef, 

Si  te  rappelle  de  rechief 


1037  cheue  la  1038  saproiche  1045  ma  manque  1048  De 
nouuel  estoit  a.  1049  M.  el  na  p.  ch.  c.  1050  entreouuert  1053  Pour  s. 
1057  pelouse       1058  quil 


II  (Méon  386—423)  121 

Et  asenne  a  son  grelle  doit. 

'Renart,  Renart,  li  poilz  le  doit 

Que  soiez  felz  et  deputaire. 
1070    Aine  ne  me  vousistes  bien  faire 

Ne  ne  venistes  la  ou  j'ere. 

Je  ne  sai  rien  de  tel  compère 

Qui  sa  conmere  ne  revide.' 

Cilz  a  tel  paour  et  tel  hide, 
1075    Ne  puet  muer  qu'il  ne  responde. 

Dame'  fait  il,   dex  me  confonde, 

S'onques  pour  mal  ne  pour  haïne 

Ai  eschive  ceste  gesine  : 

Ainz  i  venisse  volentiers. 
1080    Mais  quant  je  vois  par  ces  sentiers, 

Si  m'espie  dant  Ysengrins 

Et  en  voies  et  en  chemins. 

Ne  je  ne  sai  que  je  i  face, 

Tant  con  vostre  sire  me  hace. 
1085    Moult  fait  grant  pechie  qu'il  me  het. 

Mais  li  mien  cors  ait  cent  deshet, 

Se  onc  li  fis  chose  nezune. 

Dont  me  deûst  porter  rancune. 

Je  vous  ains,  ce  dist,  par  amors. 
1090    II  en  a  fait  maintes  clameurs 

Par  ceste  terre  a  ses  amis. 

Et  si  leur  a  avoir  promis 

Pour  moi  faire  laidure  et  honte. 

Mais  dites  moi  de  ce  que  monte 
1095    De  vous  requerre  de  folie? 

Certes  je  nel  feroie  mie, 

Ne  tel  parole  n'est  pas  belle.' 

Quant  Hersent  entent  la  nouvelle. 

De  maltalant  tressue  et  art. 
1100    'Conraent?'  fet  ele  'dant  Renart, 

En  est  donc  parole  tenue? 

Certes  mar  en  fui  mescreiie. 


1068  le  poil  1078  esloiguie  urc  g.  1083  que  que  iun  f.  1087 
nezune  1088  De  quoi  me  1101  dont  1103  cude  (celte  forme  se 
retrotire  partout  dans  le  msc  D.) 


122  II  (Méon  424—459) 

Tel  cuide  sa  honte  venger, 
Qui  pourchace  son  encombrier. 

1105    Me  m'est  or  pas  honte  nel  die: 
One  mais  n'i  pensai  vilanie, 
Mais  pour  ce  qu'il  s'en  est  clamez, 
'  Yeil  je  des  or  que  vous  m'amez. 
Si  revenez  souvent  a  mi 

1110    Et  je  vous  tenrai  pour  ami. 
Acolez  moi,  si  me  baisiez  ! 
Or  en  estes  bien  aiesiez: 
Ci  n'a  qui  encuser  nous  doie.' 
Renars  en  demaine  grant  joie 

1115    Et  vient  avant,  si  l'a  baisiee. 
Hersens  a  la  cuisse  hauciee. 
Qui  moult  plaisoit  itel  atour. 
Puis  s'est  Renars  mis  ou  retour 
Qui  crient  que  Ysengrins  ne  viengne, 

1120    Que  moult  doubte  qu'il  ne  seurviengne. 
Et  ne  pourquant  ainz  qu'il  s'en  isse, 
Vient  ans  louviaus,  si  les  conpisse. 
Si  conme  il  erent  arrengie. 
Si  a  tout  pris  et  tout  niengie 

1125    Et  hors  gete  ce  qu'il  y  trueve, 
Toute  la  viez  char  et  la  nueve. 
Ses  a  de  leur  liz  abatuz 
Et  laidengiez  et  bien  batuz 
Autressi  con  s'il  fust  leur  mestres. 

1130    Ses  a  clamez  avoutres  questres 
Priveement  conme  celui 
Qui  ne  se  doute  de  nului 
Fors  de  dame  Hersent  s'amie. 
Qui  ne  l'en  descoverra  mie. 

1135    Les  louviaus  a  laissie  plorant. 
Ez  vos  Hersent  qui  vint  avant, 
Si  les  a  blandiz  et  proiez. 
'Enfans'  fait  elle,   ne  soiez 


1110  retiens  1120  Que  wc^^g^e  m  se  d.  ll?,2  se  manque.  Après 
1132  on  lit  Ne  de  nulz  lions  qui  suit  en  aie  1134  viaxqite  1136 
Et  h.  y  u.  a  itant 


II  (Méon  460—493)  123 


En  vostre  foi  félon  ne  sot 

1140    Que  vo  père  n'en  sache  mot. 
Ne  ja  ne  li  soit  congneû 
Qu'aiez  ceenz  Renart  veii.' 
'Quoi,  diables?  nous  noierons 
Reuart  le  rous  que  tant  heons 

1145    De  mort,  qu'avez  ci  receii 
Et  nostre  père  deceii. 
Qui  en  vous  avoit  sa  fiance? 
Ja  se  diex  plaist,  tele  viltance, 
Que  nous  sonmes  si  laidengiez, 

1150    Ne  remaindra.  ne  soit  vengiez.' 
Renart  les  a  oï  groignier 
Et  vers  leur  mère  couroucier. 
Moult  tost  se  rest  mis  a  la  voie 
Le  col  baissie  que  nulz  nel  voie. 

1155    Si  repourchace  son  affere. 

Atant  estez  vous  que  repaire 
Dant  Ysengrin  a  sa  maisniee 
Qui  souz  la  roche  est  entesniee. 
Tant  a  couru,  tant  a  tracie 

1160    Et  tant  pourquis  et  pourchacie 
Que  touz  est  charchie  de  vitaille. 
D'autrui  damage  ne  li  chaille. 
Conrae  il  a  trouve  sa  mesniee, 
Que  Renars  a  si  atiriee, 

1165    Si  fil  se  sont  a  lui  clame 
Que  batu  sont  et  afame 
Et  conpissie  et  chaalle 
Et  laidengie  et  puis  clame 
Fil  a  putein,  batart  avoutre. 

1170    'Encore  desist  il  tôt  outre, 

Que  il  dist  que  vous  estes  cous'. 
Lors  s'est  Ysengrins  d'ire  escous, 
Quant  de  sa  famé  oï  le  blasme. 


1142  Que  R.  aiez  ceenz  ueuz  1151  a  manque  1154  q.  nul 
ueoie  1161  charchie  ]  pourquis  1164  Que  cilz  a  si  mal  atiriee 
1166  afame  ]  mesasme  116b  lai<lengez  clamez  1169  auoudre  1170 
redist     oultre 


124  II  (:Méon  494—529) 

A  bien  petit  qu'il  ne  se  pasme. 

1175    II  urle  et  brait  conme  maufe 
'Hersent,  or  sui  je  malmené. 
Pute  orde  vilz,  pute  mauvese. 
Je  vous  ai  nourrie  a  grant  aise 
Et  bien  gardée  et  bien  peue 

1180    Et  uns  autres  vous  a  foutue. 
Moult  est  tes  eorages  muanz, 
Quant  Renars,  cilz  rous,  cilz  puanz, 
Cilz  vilz  lechieres,  cilz  garçons 
Yous  monta  onques  es  arçons. 

1185    Par  le  cuer  be.  mar  i  fu  cous. 
Honni  m'avez  tout  a  estrous. 
Jamais  ne  gerrez  a  ma  coste, 
Quant  receû  avez  tel  oste, 
Se  ne  faites  tout  mon  voloir.' 

1190    Ja  se  peûst  Hersent  doloir, 
S'ele  n'eust  acreante 
Tout  son  bon  et  sa  volente. 
'Sire'  fait  elle,  'vous  diroiz: 
Courouciez  estez,  n'est  pas  droiz      D32 

1195    Que  vous  moustrez  ici  vostre  ire. 
Que  se  me  lessiez  escondire 
Par  serement  ne  par  joïse, 
Jel  feroie  par  tel  devise. 
C'en  me  feïst  ardoir  ou  pendre, 

1?00    Se  ne  m'en  pooie  desfendre. 
Si  vous  affi  enseurquetout 
Que  mon  pooir  ferai  de  tout 
De  ce  que  voudrez  conmander.' 
Cilz  ne  set  plus  que  demander. 

1205    II  ot  que  elle  dit  assez. 

Ses  mautalens  fu  trespassez, 
Mais  que  il  li  a  fait  jurer 
Que  jamais  ne  laira  durer 
Renart,  s'elle  em  puet  aise  avoir. 


1174  A.  p.  .1.  pou  1175  usle  1178  aiese  1181  mauues  1182 
punaiz  1197  Je  le  ferai  en  tele  guise  1199  peust  1200  me  p  1202 
bout       1206  Son  mautalent       1207  M.  tant  quil 


II  (Méon  530—565)  125 

1210    Or  s'en  gart,  si  fera  savoir. 

Ysengrins  iert  baus  et  haitiez 

Et  dist  que  Renars  ert  gaitiez 

Souvent  ainz  que  la  guerre  esparde: 

Que  fous  fera,  s'il  ne  se  garde. 
1215    De  lui  gaitier  sont  ore  en  paine. 

Mais  ainz  que  passast  la  semaine, 

Li  aviut  aventure  estrange. 

Ainsi  conme  la  voie  change 

Lez  un  vergier  d'un  essart  clos. 
1220    La  dut  estre  Renars  enclos. 

L'en  avoit  ja  les  poiz  soiez 

Et  li  pesaz  estoit  loiez 

Et  amassez  et  trait  en  voie. 

La  savoit  bien  Renars  la  voie. 
1225    Tenus  i  estoit  por  forgier 

Et  pour  enquerre  et  porcachier, 

Dont  il  peûst  avoir  viande. 

Ysengrins  qui  el  ne  demande 

Mais  que  il  tenir  le  peûst, 
1230    Baisse  la  teste,  sel  connust: 

Geta  un  brait,  si  s'escria. 

Renars  qui  point  ne  s'i  fia 

L'a  bien  oï  et  entendu: 

Si  s'en  fuit  a  col  estendu 
1233         Apres  se  mettent  ou  chemin 

Entre  Hersent  et  Ysengrin. 

Il  se  painent  de  lui  chacier. 

Mais  ne  le  puent  devancier. 

Renars  courut  la  voie  estroite 
1240    Et  Ysengrins  court  la  plus  droite. 

Hersent  a  enforcie  son  poindre. 

Qui  a  Renart  se  voudra  joindre. 

Vit  Ysengrin  qui  l'a  failli, 

Que  Renars  d'autre  part  sailli. 
1245    Apres  Renart  s'est  adrecie. 


1213   esparte       1215   garder   soit       1220    du   R.   estre  e.       1223 
]  hors     1226  et  cerchier     1280  connut  1243  Dist  y.  quilla     1245  cest 


126  II  (Méon  566—599) 

Renars  la  vit  si  couroiicie 
Ne  s'ose  a  lui  abandonner. 
One  ne  fina  d'esperonner 
Jusques  au  recept  de  Yalcrues. 

1-250    Quant  il  i  vint,  si  entra  lues, 
Quant  vit  dame  Hersent  s'araie 
Qui  vers  lui  vint  si  esgramie: 
Et  de  lui  n'a  il  huimais  garde. 
La  6st  Hersent  trop  que  musarde. 

1255    Apres  Renart  en  la  fosse  entre 
De  plein  ellais  de  ci  au  ventre. 
Li  chastiaus  estoit  granz  et  fors: 
Et  Hersent  par  si  grant  esfors 
Se  feri  dedenz  la  tesniere 

1260    Que  ne  se  pot  retraire  arrière. 

Quant  Renars  vit  qu'elle  fu  prise, 
Ne  voult  lessier  en  nule  guise 
Que  il  ne  aille  a  lui  gésir 
Et  faire  de  lui  son  plaisir. 

1265    Par  un  pou  que  Hersent  ne  crieve. 
Car  la  fosse  et  Renai-s  la  grieve: 
La  fosse  qui  dedenz  l'estraint 
Et  Renars  qui  dessus  l'enpaint. 
Il  n'est  ileuc  qui  la  resqueue 

1270    Fors  que  seulement  de  sa  queue, 
Qu'ele  estraint  si  vers  les  rains 
Que  des  deus  portais  deerains 
Ne  pert  un  dehors  ne  dedens. 
Et  Renars  prist  la  queue  aus  dens 

1275    Et  li  reverse  sor  la  croupe 

Et  les  deus  pertuis  li  destoupe: 
Pui  li  saut  sus  liez  et  joianz. 
Si  li  a  fait  ses  iex  voianz, 
Ou  bien  li  poist  ou  mal  li  plaise, 


1252  le  esgarmie  1253  Et  unuiqne  1256  de  ci  ]  iusques  1260 
traire  1263  Quil  ne  ueille  l2iol  Ynxinque  \2è'è  Y  manque  1269  ileuc  ] 
nullui  1270  que  |  tant  1271  Quelle  1272  des  rains  1275  Si  r. 
toute  la  1276  estoupe  1277  P.  si  s.  s.  et  1.  1278  Si  la  fuuti  s.  i. 
uoiant      1279  li  plut  ou 


II  (Méon  600—634)  127 

1280    Tout  a  loisir  et  a  grant  aise. 

Elle  dist,  que  qu'il  li  fesoit, 

'Renart,  c'est  force  et  force  soit.' 

Sire  Renars  tel  li  redonne 

Que  toute  la  fosse  en  ressonne. 
1285    Ainz  que  la  chose  fust  fenie, 

Li  dist  Renars  par  felonnie 

'Dame  Heisent,  vous  disiez 

Que  ja  ne  me  proieries 

Et  que  James  ne  le  feroie 
1290    Por  seul  itant  que  m'en  vantoie. 

Ja  voir  ne  m'en  escondirai: 

Se  gel  fiz,  encor  le  ferai. 

Fis  et  ferai,  dis  et  redis, 

Plus  de  set  foiz,  voire  de  dis.' 
1295    Et  l'afaire  ont  recommencie 

Ainz  qu'il  eussent  partencie. 

Ez  vous  poignant  par  mi  les  broces 

Ysengrin  qui  s'embat  es  noces. 

Ne  se  puet  mie  tant  tenir 
1300    Que  il  peiist  a  eus  venir: 

Ainz  s'escrie  moult  hautement 

'Haï,  Renart,  or  bellement! 

Par  les  sainz  dieu  mar  m'i  honnistes.' 

Renars  fu  remuanz  et  vistes. 
1305    Si  li  a  dit  tôt  en  alant 

'Sire  Ysengrin,  cest  mautalent 

Ai  je  conquis  par  bel  servise. 

Veez  con  Hersent  est  ci  prise! 

Se  je  l'aïde  a  délivrer 
1310    De  cest  pertuis  et  a  oster. 

Pour  ce  si  estes  effreez. 

Pour  dieu,  biau  sire,  ne  créez 

Que  nulle  rien  i  aie  faite, 

Ne  draps  levez  ne  braie  traite. 


1281  (1.  tant  quil  la  croissoit  1286  A  dit  R.  1290  P.  tant  sans 
plus  que  1291  Jamais  ne  1292  Se  manque  Je  le  1296  eussent  tout 
fait  le  gieu  1302  Hahi  1303  me  1305  d.  cest  mautalent  1306  Que 
U0U8  me  portez  folement       1309  deslier 


128  II  (Méou  635—668) 

1315    Onc  par  cest  corps  ne  par  ceste  ame 
Ne  mesfis  rien  a  vostre  famé. 
Et  pour  moi  et  pour  lui  desfendre 
Partot  la  ou  le  voudrez  prendre 
Un  serement  vous  aramis 

1320    Au  los  de  vos  meillors  amis.' 
Serement?  traîtres  prouvez, 
Voir  pour  noient  i  conterez. 
N'i  controverez  ja  menconge 
Ne  vaine  parole  ne  songe. 

1825    N'i  convient  nulle  couverture: 
Toute  est  aperte  l'aventure.' 
'Avoi'  ce  dist  Renars,  'biau  sire, 
Yous  pourriez  assez  miex  dire. 
Ice  maintenir  ne  devez.' 

1330    'Conment,  ai  je  les  iex  crevez? 
Cudez  vous  que  ne  voie  goûte? 
En  quel  terre  empaint  on  et  boute 
Chose  que  on  doit  a  soi  traire, 
Con  je  vous  vi  a  Hersent  faire?' 

1335    'Par  dieu,  sire'  ce  dist  Renart, 
'Vous  savez  bien,  enging  et  art 
Si  vaut  a  chose  mainbournir 
Con  ne  puet  par  force  fournir. 
Madame  ert  prise  en  ceste  fosse, 

1340    Et  elle  est  moult  espesse  et  grosse. 
En  nul  sens  traire  ne  l'en  puis 
A  reculons  par  ce  pertuis. 
Elle  i  est  jusqu'au  ventre  entrée. 
Et  la  fosse  a  estroite  entrée  : 

1345    Mais  elle  est  de  lonc  auques  graindre. 
Pour  ce  la  vouloie  enz  enpaindre. 
Pour  noient  a  moi  la  sachasse 
Que  j'oi  l'autrier  la  jambe  quasse. 


1315  Onqups  ne  manque  1316  mespris  1318  Tout  par  1820 
Par  le  conseil  de  voz  amis  1322  Vous  p.  conquérez  1323.  1324  manquent 
1326  Tretoute  apperte  est  la  laidurc  1341  A  1342  parmi  cest  huis 
1347  sachace       1348  Et  loi 


II  (Méon   669—704)  129 

Or  en  avez  oï  la  voire  : 
1350    Si  m'en  devez  bien  atant  croire, 

Se  vous  controuver  ne  voulez 

Achoison,  si  con  vous  soûlez. 

Et  quant  la  dame  iert  de  ci  traite, 

Ja  ne  cuit  clameur  en  soit  faite 
1355    Ne  ja,  s'elle  n'en  veult  mentir, 

Ne  l'en  orrez  un  mot  tentir.'  D33 

A  icest  mot  s'est  entesniez, 

Quant  se  fu  assez  desresniez. 

Ysengrins  est  de  l'autre  part 
1360    Et  voit  Renart  qui  prent  et  part, 

Qui  l'a  honni  ses  iex  voiant. 

Puis  si  le  gabe  et  vait  moquant. 

Mais  n'a  ore  soing  de  plaidier, 

Ainz  se  redresce  pour  aidier 
1365    Sa  famé  qui  va  maie  veue. 

11  l'a  saisie  par  la  queue: 

De  tel  air  a  soi  la  tire 

Que  Hersens  est  en  tel  martire 

Que  il  li  convint  par  angoisse 
1370    Que  li  pertuis  derrier  s'esloisse. 

Ysengrins  voit  qu'elle  se  vuide: 

Or  l'aura  il  si  conme  il  cuide. 

Un  petitet  s'est  trait  arrière. 

Or  voit  bien  que  se  la  charriere 
1375    N'estoit  un  petit  alachie, 

Hersens  n'en  puet  estre  sachie. 

S'il  ne  l'en  trait,  il  est  dolens. 

Il  n'est  pas  pereceus  ne  lens. 

Ans  ongles  s'est  pris  et  si  grate, 
1380    Trait  la  terre  fors  a  la  pâte: 

Garde  de  ca  et  puis  de  la. 

Deables  la  tient,  s'il  ne  l'a. 

Con  il  en  a  assez  este 

Et  sus  et  jus  et  en  coste, 


1357  Ne  cuit  ia     1362  mocant     1364  dresce     1366  saisi  jiarmi  la 
1:^71  uoide    1373  p.  la  traite  a.     1374  v.  il  b.  que  la     1375  asachie     1379 
si  est  p,  si     1380  Et  t.  la  t.     hors  et  sache     1381 — 1385  manquent 
RENARTI  9 


130  II  (Méon  705—716) 

1385    Vint  a  Hersent,  si  la  souffache. 
Si  l'a  un  poi  trouvée  lasche. 
Empaint  et  sache  et  tire  et  boute: 
A  poi  la  queue  ne  ront  toute. 
Mais  moult  estoit  bien  atachie. 

1390    Tant  l'a  empainte  et  souffachie 
Que  traite  l'en  a  a  grant  paine: 
Mais  a  poi  ne  li  faut  l'alaine. 
Ysengrins  voit,  Renars  n'a  doute, 
Que  il  s'est  mis  dedens  sa  croûte. 

1395    Arrière  vient  a  sa  maisniee 

Qui  souz  la  roche  iert  entesniee. 


1387   boute  et  tire        1388  la  pel  ne  li  descire        1390    empaint 
1395  Aurre 


III  (Méon  749—774) 


m 


Seigneurs,  ce  fu  en  cel  termine         D33a 

Que  li  douz  temps  d'esté  décline 

Et  yver  revient  en  saison, 

Et  Renars  fu  en  sa  maison. 
5    Mais  sa  garison  a  perdue  : 

Ce  fu  mortel  deseonvenue. 

N'a  que  donner  ne  qu'achater, 

Ne  s'a  de  quoi  reconforter. 

Par  besoing  s'est  mis  a  la  voie.  A  51 

10    Tôt  coiement  que  l'en  nel  voie 

S'en  vet  parmi  une  jonchera 

Entre  le  bois  et  la  rivere. 

Si  a  tant  fait  et  tant  erre 

Qu'il  vint  en  un  cemin  ferre. 
15    El  cemin  se  cropi  Renarz. 

Molt  coloie  de  totes  parz. 

Ne  set  sa  garison  ou  querre  : 

Car  la  fein  li  fait  molt  grant  guerre. 

Ne  set  que  fere  :  si  s'esmaie. 
20    Lors  s'est  couchiez  lez  une  haie: 

Hoc  atendra  aventure. 

Atant  ez  vos  grant  aleiire 

Marcheant  qui  poisson  menoient 

Et  qui  devers  la  mer  venoient. 


De  cette  branche  le  msc.  A  n'a  conservé  que  les  vers  9 — 44.  454 — 510  ; 
le  reste  est  tiré  du  msc.  D.  1  ce  3.  4  intervertis  3  uient  en  sa  s. 
5  garnison  ot  p.  9  Ancois  se  rest  m.  10  bêlement  14  fere  15  sacropi 
19.  20  manquent  21  sauenture  22  A.  uenent  par  auenture  23  Mar'chant 
q  p.  menèrent 


132  III  (Méon  775—808) 

25    Herens  fres  orent  a  plente: 

Car  bise  avoit  auques  vente 

Trestote  la  semeine  entere. 

Et  bons  poissons  d'autre  manere 

Orent  ases  granz  et  petiz, 
30    Dont  lor  paniers  sont  bien  enpliz. 

Que  de  lamproies  que  d'anguilles, 

Qu'il  orent  acate  as  viles, 

Fu  bien  chargie  la  charete. 

Et  Renars  qui  tôt  siècle  abeite 
35    Fu  bien  loins  d'aus  une  arcie. 

Quant  vit  la  carete  cargie 

Des  anguiles  et  des  lanproies, 

Mucant  fuiant  parmi  ces  voies 

Court  au  devant  por  aus  decoivre, 
40    Qu'il  ne  s'en  puisent  apercoivre. 

Lors  s'est  coches  enmi  la  voie. 

Or  oiez  con  il  les  desvoie  ! 

En  un  gason  s'est  voutrilliez 

Et  come  mors  aparelliez. 
45    Renars  qui  tant  d'onmes  engingne        D33b 

Les  iex  cligne,  les  dens  rechigne, 

Et  tenoit  s'alaine  en  prison, 

Oïstes  mais  tel  traïson? 

Ilecques  est  remes  gisans. 
50    Atant  es  vous  les  marcheans: 

De  ce  ne  se  prenoient  garde. 

Li  premiers  le  vit,  si  l'esgarde, 

Si  apela  son  compaignon 

'Yez  la  ou  gourpil  ou  gaignon  !' 
55    Quant  cilz  le  voit,  si  li  cria 

'C'est  li  gorpilz:  va  sel  pren,  va! 

Filz  a  putain,  gart  ne  t'eschat! 

Or  saura  il  trop  de  barat. 


28  rons  32  acatees  37.  38  intervertis  42  les  ]  se  44  se 
trouve  comme  réclame  au  dessous  de  la  f.  31  ^  du  msc.  A.  47  tint 
48  mesprison  49  remaint  50  estez  v.  1.  raarchans  51  donnoient  52 
Le  premier     54  Veez  la  g.       55  si  le       56  gar  neschat      58  sara 


m  (Méon  809-842)  133 

Renars,  s'il  ne  nous  let  l'escorce.' 
60    Li  marcheans  d'aler  s'esforce 

Et  ses  compains  venoit  après 

Tant  qu'il  furent  de  Renart  près. 

Le  gourpil  trovent  enverse. 

De  toutes  pars  l'ont  renverse, 
65    N'ont  ore  garde  qu'il  les  morde. 

Prisent  le  dos  et  puis  la  gorge. 

Li  uns  a  dit  que  troi  sols  vaut, 

Li  autres  dist  'se  diex  me  saut, 

Ainz  vaut  bien  quatre  a  bon  marchie. 
70    Ne  sommes  mie  trop  chargie  : 

Getons  le  sus  nostre  charrete. 

Yez  con  la  gorge  est  blanche  et  nete  !' 
A  icest  mot  sont  avaneie 

Si  l'ont  ou  charretil  lancie 
75    Et  puis  se  sont  mis  a  la  voie. 

Li  uns  a  l'autre  fait  grant  joie 

Et  dient   n'en  ferons  ore  el, 

Mais  anquenuit  en  nostre  hostel 

Li  reverserons  la  gonnele.' 
80    Or  leur  plaist  auques  la  favele. 

Mais  Renars  ne  s'en  fait  fors  rire, 

Que  moult  a  entre  faire  et  dire. 

Sur  les  paniers  se  jut  adens. 

Si  en  a  un  ouvert  aus  dens 
85    Et  si  en  a  (bien  le  sachiez) 

Plus  de  trente  harans  sachiez. 

Auques  fu  vuidiez  li  paniers. 

Moult  par  en  menja  volontiers, 

Onques  n'i  quist  ne  sel  ne  sauge. 
90    Encore  aincois  que  il  s'en  auge 

Getera  il  son  amecon, 

Je  n'en  sui  mie  en  souspecon. 


59  Renars  manque  Se  il  ne  n.  lesse  sescorse  63  uoient  64 
'enuerse  66  gorde  67  uault  68  messaut  72  Vois  76  Et  luns 
77  ne  f.  80  flauele  84  un  ]  .11.  ouuerz  85  le  ]  ce  86  h. 
mengiez 


134  III  (Méon  843— 880) 

L'autre  panier  a  assailli. 
Son  groing  i  mist,  n'a  pas  failli, 
95    Qu'il  n'en  traïst  trois  res  d'anguilles. 
Renars  qui  sot  de  maintes  guiles, 
Son  col  et  sa  teste  passe  oultre 
Les  hardillons,  puis  les  acoutre 
Dessus  son  dos  que  tout  s'en  cueuvre. 

100    Des  or  pourra  bien  laissier  oeuvre. 
Or  li  estuet  enging  pourquerre, 
Conment  il  s'en  vendra  a  terre. 
Ne  trueve  planche  ne  degré. 
Agenoille  s'est  tout  de  gre 

105    Por  veoir  et  por  esgarder, 

Con  son  saut  pourra  miex  garder. 
Puis  s'est  un  petit  avanciez: 
Des  piez  devant  s'est  tost  lanciez 
De  la  charrete  enmi  la  voie. 

110    Entour  son  col  porte  sa  proie.        D34 
Et  puis  quant  il  a  fait  son  saut, 
Aus  marcheans  dist  'diex  vous  saut! 
Cilz  tantes  d'anguiles  est  nostres 
Et  li  remanans  si  soit  vostres!' 

115    Li  marcheans  quant  il  l'oïrent, 
A  merveilles  s'en  esbahirent. 
Si  s'escrient  Voiz  le  gourpil  !' 
Si  saillirent  ou  charretil, 
Ou  il  cuderent  Renart  prendre. 

120    Mais  il  nés  voult  pas  tant  atendre. 
Li  uns  des  marcheans  esgarde, 
A  l'autre  dist  'mauvaise  garde 
En  avons  prise,  ce  me  semble.' 
Tuit  fièrent  lor  paumes  ensemble. 

125    'Las'  dist  li  uns,  'con  grant  damage 
Avons  eu  par  nostre  outrage. 
Moult  estion  fol  et  musart 
Andui  qui  crcïou  Renart. 


94  D  trois  mais  ni  a  95  Que  il  a  trait  102  C.  pourra  saillir  a 
105  esprouuer  116  Mit'  durement  120  uouloit  p.  a.  122  Li  autres  d. 
127  nusart 


m  (Jléon  881—914)  135 

Les  paniers  a  bien  alachez 
130    Et  ses  a  auques  soufFachiez. 

Car  deus  rez  d'anguiles  enporte. 

La  maie  passion  le  torde  !' 

'Ha'  font  li  marcheant  'Renart, 

Tant  par  estes  de  maie  part. 
135    Mal  bien  vous  puissent  elles  faire!' 

'Seigneur,  n'ai  soing  de  noise  faire. 

Or  direz  ce  que  vous  plaira: 

Je  sui  Renart  qui  se  taira.' 

Li  marcheant  vont  après  lui. 
140    Mais  il  nel  bailleront  mais  hui: 

Car  il  a  tant  isnel  cheval. 

One  ne  fina  parmi  un  val 

Dusques  il  vint  a  son  plessie. 

Lors  l'ont  li  marcheant  lessie 
145    Qui  pour  mauves  musart  se  tiennent. 

Recréant  sont,  arrière  viennent. 

Et  cilz  s'en  vait  plus  que  le  pas 

Qui  ot  passe  maint  mauvais  pas. 

Si  vint  a  son  chastel  tout  droit 
150    Ou  sa  maisnie  l'atendoit 

Qui  assez  avoit  grant  mesese. 

Renars  i  entre  par  la  hese. 

Encontre  lui  sailli  s'espouse, 

Hermeline  la  jone  touse, 
155    Qui  moult  estoit  courtoise  et  franche. 

Et  Percehaie  et  Malebranche 

Qui  estoient  ambedui  frère, 

Cil  saillirent  contre  leur  père 

Qui  s'en  venoit  les  menus  sans 
160    Grros  et  saoulz,  joieus  et  baus, 

Les  anguilles  entour  son  col. 

Mais  qui  que  le  tiegne  pour  fol, 


129  a  auques  laschiez  130  Et  si  le  a  bien  s.  131  .111.  132  torte 
134  T.  es  or  de  140  M.  ne  le  b.  142  Que  ne  143  Des  que  il  145 
claiment  150  le  a.  158  mère  160  G.  et  sains  et  i.  162  Qui  que  ment. 
p.  1.  fol 


136  m  (Méon  915—946) 

Apres  lui  a  close  sa  porte 
Pour  les  anguilles  qu'il  aporte. 

165         Or  est  Renart  dedenz  sa  tour. 
Si  fil  li  font  moult  bel  atour. 
Bien  li  ont  ses  jambes  torchiees 
Et  les  anguilles  escorchees. 
Puis  les  coupèrent  par  tronçons 

170    Et  les  espois  font  de  plancons 
De  codre  et  ens  les  ont  boutez. 
Et  li  feus  fu  tost  alumez 
Que  bûche  i  ot  a  grant  plente. 
Lors  ont  de  toutes  pars  vente. 

175    Si  les  ont  mises  sus  la  brese 
Qui  des  tisons  i  fu  remeze. 
Endementres  que  il  cuisoient 
Les  anguiles  et  rostissoient, 
Ez  vous  monseigneur  Ysengrin 

180    Qui  ot  erre  des  le  matin 

Jusqu'à  celle  heure  en  mainte  terre, 
Mais  onques  riens  n'y  pot  conquerre. 
De  jeûner  estoit  estans, 
Que  molt  avoit  eu  mal  tens. 

185    Lors  s'en  tourna  en  un  essart 
Tout  droit  vers  le  chastel  Renart 
Et  vit  la  cuisine  fumer 
Ou  il  ot  fait  feu  alumer 
Et  les  anguiles  rotissoient 

190    Que  si  fil  es  espois  tournoient. 
Ysengrin  en  sent  la  fumée 
Qu'il  n'avoit  mie  acoustumee. 
Du  nez  commença  a  fronchier 
Et  ses  guernons  a  delechier. 

195    Yolentiers  les  alast  servir, 
S'il  li  vousissent  l'uis  ouvrir. 


163  sa  porte  close  164  emporte  167  torchies  168  Ses  a  es- 
corchies  170  1.  broches  f.  des  171  De  codre  manque  Enz  es  espois 
les  173  i  manque  ont  178  rotissoien  184  Car  temps  186  la 
maison  R.      191  en  manque      senti      194  s,  barbes  a 


m  (Méon  947—982)  137 

Il  se  traist  vers  une  fenestre 

Pour  esgarder  que  ce  puet  estre. 

Il  conmence  a  pourpenser, 
200    Comment  il  pourra  ens  entrer 

Ou  par  prière  ou  par  amour. 

Mais  il  n'i  puet  avoir  honour: 

Que  Renart  est  de  tel  manière 

Qu'il  ne  fera  rien  pour  prière. 
205    Acroupiz  s'est  sus  une  souche. 

De  baailler  li  deult  la  bouche. 

Court  et  recourt,  garde  et  regarde. 

Mais  tant  ne  se  sot  donner  garde 

Que  dedenz  puisse  le  pie  mettre 
210    Ne  pour  donner  ne  pour  promettre. 

Mais  a  la  fin  se  pourpensa 

Que  son  compère  priera 

Que  pour  dieu  li  doint,  s'il  conmande, 

Ou  poi  ou  grant  de  sa  viande. 
215    Lors  l'apela  par  un  pertuis 

'Sire  compère,  ouvrez  moi  l'uis! 

Je  vous  aport  belles  nouvelles: 

Pour  bones  les  tendrez  et  belles.' 

Renart  l'oï,  sil  congnut  bien: 
220    Mais  de  tout  ce  ne  li  fist  rien, 

Aincoiz  li  a  fait  sourde  oreille. 

Et  Ysengrin  molt  s'en  merveille, 

Qui  dehors  fu  moult  souffroiteus 

Et  des  anguiles  envieus. 
225    Si  li  a  dit   ouvrez,  biau  sire!' 

Et  Renars  conmenca  a  rire, 

Si  demanda   qui  estes  vous?' 

Et  il  respont   ce  somes  nous.' 

'Qui  vous?'  'Ce  est  vostre  compères.' 
230    'Nous  Guidions  que  fussiez  leres.' 

'Non  sui'  dist  Ysengrins,  'ouvrez!' 

Renars  respont  'or  vous  souffrez 


201  le  second  par  mawjue      203  de  te  malniere      204  feroit     205 
coucht       216  oeuure       219  eel      220  t.  ne  fera  r.       221  li  ]  en 


138  m  (Méon  983—1022) 

Tant  que  li  moine  aient  mengie 
Qui  au  mengier  sont  arrengie.' 

235    'Comment  dont?'  fait  il  'sont  ce  moine?' 
'Nanil'  dist  il:    ainz  sont  chanoine. 
Si  sont  de  l'ordre  de  Tiron: 
(Ja  se  diex  plaist,  n'en  mentiron) 
Et  je  me  sui  rendu  a  eus.' 

240    'Nomini  dame   dist  11  leus, 
'Avez  me  vous  dit  vérité?' 
'Ouïl  par  sainte  charité.' 
'Donques  me  faites  herbregier!' 
'Ja  n'auriez  vous  que  mengier.' 

245    'Dites  moi  dont,  n'avez  vous  quoi?' 
Renart  respont  'oïl  por  foi. 
Or  me  lessiez  donc  demander, 
Venistes  vous  pour  truander?' 
'Nanil,  ainz  woeil  veïr  vostre  estre.' 

250    Renart  respont  'ce  ne  puet  estre.' 
'Et  pourquoi  donc?'  ce  dit  li  leus. 
Ce  dist  Renart  'il  n'est  pas  leus.' 
'Or  me  dites,  mangiez  vous  char?' 
Et  dist  Renart  'ce  est  eschar.' 

255    'Que  menjuent  donc  vostre  moine?' 
'Jel  vous  dirai  sanz  nule  essoine. 
Il  menjuent  fourmages  mous 
Et  poissons  qui  ont  les  gros  cous. 
Saint  Beneoit  le  nous  commande 

260    Que  ja  n'aions  peior  viande.' 
Dist  Ysengrin  'ne  m'en  gardoie 
Ne  de  tout  ce  rien  ne  savoie. 
Mais  car  me  faites  osteler! 
Mais  hui  ne  sauroie  ou  aler.' 

265    'Osteler?'  dit  Renart  'nel  dites! 
Nulz  s'il  n'est  moines  ou  hermites 
Ne  puet  ceens  avoir  hostel. 
Mes  alez  outre  :  il  n'i  a  el.' 


237  chinon  239  euls  250  respont  manque  254  est  ce  256 
Je  le  nule  manque  260  pire  261  ^ardoient  265  Ostez  ce  d.  R.  ne 
268  querez  autre 


m  (Méon  1023—1058)  139 

Ysengrin  ot  et  entent  bien 
270    Qu'en  la  rneson  Renaît  pour  rien 

Qu'il  puisse  faire  n'enterra.  D35 

Que  voulez  vous  ?  si  soufferra. 

Et  nepourquant  si  li  demande 

'Poisson,  est  ce  bonne  viande? 
275    Car  m'en  donnez  viaus  un  tronçon! 

Nel  fais  se  pour  essaier  non. 

Mais  buer  fussent  elles  peschiees 

Les  anguiles  et  escorchiees, 

Se  vous  en  deingnies  mendier.' 
280    Renart  qui  bien  sot  losengier 

Prist  des  anguiles  troi  tronçons 

Qui  rôtissent  sus  le  charbons. 

Tant  furent  cuit,  toute  s'esmie 

Et  dessoivre  toute  la  mie. 
285    Un  en  menja,  l'autre  en  aporte 

Celui  qui  atant  a  la  porte. 

Lors  dist  'compère,  ca  venez 

Un  poi  avant  et  si  tenez 

Par  charité  de  la  pitance 
290    A  ceuls  qui  sont  bien  a  fiance 

Que  vous  serez  moines  encore.' 

Dist  Ysengrin  'je  ne  sai  ore, 

Quiex  je  serai:  bien  pourra  estre. 

Mais  la  pitance,  biaus  douz  mestre, 
295    Car  me  bailliez  isn élément!' 

Cilz  li  bailla  et  il  la  prent 

Qui  molt  tost  s'en  fu  délivrez. 

Encore  en  mengast  il  assez. 

Ce  dist  Renart  'que  vous  en  semble?' 
300    Li  lechierres  fremist  et  tremble, 

De  lecherie  esprent  et  art. 

'Certes'  fait  il,  'sire  Renart, 

Il  vous  iert  bien  guerredonnez. 

Encore  un  seul  car  me  donnez, 


277  bons     285  1'  mcmque     186  A  cil  q.      287  Si  d.      290  affiance 
301.  302  intervertis 


140  m  (Méon  1059—1094) 

305    Biaus  douz  compères,  pour  amordre, 
Tant  que  je  fusse  de  vostre  ordre.' 
'Par  vos  botes'  ce  dist  Renart 
Qui  molt  estoit  de  maie  part, 
'Se  vous  moines  vouliez  estre, 

310    Je  feroie  de  vous  mon  mestre. 
Que  je  sai  bien  que  li  seigneur 
Yous  elliroient  a  prieur 
Ainz  penthecouste  ou  a  abe.' 
'Avez  me  vous  ore  gabe?' 

315    Ce  dist  Renart  'nanil,  biau  sire. 

Par  mon  chief  bien  le  vous  os  dire, 
Foi  que  doi  le  corps  saint  Felise, 
N'auroit  si  bel  moine  en  l'église.' 
'Auroie  je  poisson  assez 

320    Tant  que  je  fusse  respassez 
De  ce  mal  qui  m'a  confondu?' 
Et  Renart  li  a  respondu 
'Mais  tant  con  vous  pourrez  mengier. 
Ha  car  vous  fêtes  rooignier 

325    Et  vostre  barbe  rere  et  tondre.' 
Ysengrin  commença  a  grondre, 
Quant  il  oï  parler  de  rere. 
'N'i  aura  plus'  fait  il,  'compère: 
Mais  reez  moi  hastivement!' 

330    Renart  respont  'isnelement 

Aurez  couronne  et  grant  et  lee, 
Ne  mais  que  l'eve  soit  chaufee.' 

Oïr  poez  ici  biau  jeu. 
Renart  mist  l'eve  sus  le  feu 

335    Et  la  fist  trestoute  boillant. 
Puis  li  est  revenus  devant 
Et  sa  teste  encoste  de  Tuis 
Li  fist  mètre  par  un  pertuis: 


307  vos  ]  mes  308  m.  par  fu  de  311  Que  ]  Et  316  ch.  puis  le 
V.  b.  d.  317  q.  ie  d.  le  c.  s.  gile  318  si  manque  tel  m.  en  nostre  e. 
325  et  J  ou  329  isnelement  330  hastiuement  331  C.  a.  332  hastee 
333  pourrez       335  tretoute       336  Renart  li  est  uenus 


m  (Méon  1095—1128)  141 

Et  Ysengrin  estent  le  col. 
340    Renart  qui  bien  le  tint  pour  fol 

L'eve  boillant  li  a  getee 

Et  sus  le  hasterel  versée: 

Molt  par  a  fait  que  pute  beste. 

Et  Ysengrin  escout  la  teste, 
345    Rechigne  et  fait  moult  laide  chiere. 

A  reculons  se  trait  arrière. 

Si  s'escria  'Renart,  mors  sui. 

Maie  aventure  aiez  vous  hui! 

Trop  grant  coroune  m'avez  faite.' 
350    Et  Renars  a  la  langue  traite 

Grant  demi  pie  hors  de  la  gueule. 

'Sire,  ne  l'avez  mie  seule 

Qu'autresi  grant  l'a  li  couvens.' 

Fait  Ysengrin  je  cuit,  tu  mens.' 
355    'Non  fas,  sire:  ne  vous  anuit. 

Iceste  premeraine  nuit 

Yous  convient  estre  en  espreuve: 

Que  li  sains  ordres  le  nous  rueve.' 

Dist  Ysengrins  'molt  bonnement 
360    Ferai  tout  quantqu'a  l'ordre  apent. 

Ja  mar  en  serez  en  doutance.' 

Et  Renart  em  prist  la  fiance 

Que  par  lui  mal  ne  li  vendra 

Et  a  son  los  se  contendra. 
365    Or  a  tant  fait  et  tant  ovre 

Renart  que  bien  la  assote. 

Puis  s'en  issi  par  une  fraite 

Qu'il  ot  derrier  la  porte  faite 

Et  vint  a  Ysengrin  tout  droit 
370    Qui  durement  se  complaignoit 

De  ce  qu'il  estoit  si  près  rez. 

Ne  cuir  ne  poil  n'i  est  remez. 

N'i  ot  plus  dit  ne  séjourne: 

Andui  se  sont  d'ilec  tourne, 


346  Et.  y.  se       350  Et  cilz  li  a       353  Quautressi       356  Au  pre- 
merain  ainsi  uous  cuit    357  Or  v.     365  erre     374  se  manque    dilecques 


142  m  (Méon  1129—1164) 

375    Renart  devant  et  cil  après 

Tant  qu'il  vindrent  d'un  vivier  près. 

Ce  fu  un  pou  devant  noel 
Que  l'en  mettoit  bacons  en  sel. 
Li  ciex  fu  clers  et  estelez 

380    Et  11  viviers  fu  si  gelez 

Ou  Ysengrin  devoit  peschier, 
Qu'en  poïst  par  desus  treschier: 
Fors  tant  c'un  pertuis  1  avoit 
Qui  de  vilains  fait  i  estoit 

385    Ou  il  raenoient  leur  atoivre 
Chascune  nuit  joer  et  boivre. 
Un  seel  y  orent  laissie. 
La  vint  Renart  tout  eslessie 
Et  son  compère  regarda. 

390    'Sire'  fait  il,  'traiez  vous  ca! 
Ca  est  la  plente  des  poissons 
Et  li  engin  dont  nous  peschons 
Les  anguiles  et  les  barbiaus 
Et  autres  poissons  bons  et  biaus.' 

395    Dist  Ysengrin  'frère  Renart, 
Or  le  prenez  de  l'une  part, 
Si  me  laciez  bien  a  la  queue!' 
Renart  le  prent  et  si  li  nueue 
Entour  la  queue  au  miex  qu'il  puet. 

400    'Frère   fait  il,  'or  vous  estent 
Moult  sagement  a  contenir 
Pour  les  poissons  faire  venir.' 
Lors  s'est  lez  un  buisson  fichiez, 
Si  mist  son  groing  entre  ses  piez 

405    Tant  que  il  voie  que  il  face. 
Et  Ysengrin  est  sus  la  glace. 
Li  seaus  est  en  la  fontaine 
Plain  de  glaçons  a  bonne  estraine. 
L'eve  conmence  a  englacer 

410    Et  li  seaus  a  enlacier 


381  peschier  deuoit  382  manque  383  quns  385  mettoient  1. 
estoivre  392  lenging  d.  n.  les  prenons  394  bons  ]  gros  396  les  lautre 
397  Lenging  me  liez  a       399  la  glace  au      409  engeler      410  enlacier 


III  (Méon  1165—1200)  143 

Qui  a  k  queue  fu  noez. 

De  la  glace  fu  seurondez. 

La  queue  est  en  l'eve  gelée 

Et  a  la  glace  seellee. 
415    Cilz  se  cuida  bien  souffachier 

Et  le  seel  a  soi  sachier. 

En  mainte  guise  s'i  essaie. 

Ne  set  que  faire:  si  s'esmaie. 

Renart  conmence  a  appeler 
420    Conme  il  plus  ne  se  puet  celer: 

Que  ja  estoit  l'aube  crevée. 

Renart  a  la  teste  levée: 

Il  se  regarde,  les  iex  oeuvre. 

'Frère'  fait  il,  'car  lessiez  oeuvre! 
425    Alons  nous  en,  biaus  dous  amis! 

Assez  avons  de  poissons  pris.' 

Et  Ysengrin  li  escria 

'Renart'  fait  il,   trop  en  i  a. 

Tant  en  ai  pris,  ne  sai  que  dire.' 
430    Et  Renart  commença  a  rire. 

Si  li  a  dit  tout  en  appert 

'Cil  qui  tôt  convoite,  tôt  pert.' 
La  nuit  trespasse,  l'aube  crieve: 

Li  solaus  par  matin  se  lieve. 
435    De  noif  furent  les  voies  blanches. 

Et  missire  Constant  des  Granches, 

Un  vavassour  bien  aaisiez, 

Qui  sus  l'estanc  fu  herbergiez, 

Levez  estoit  et  sa  mesnie 
440    Qui  moult  estoit  joieuse  et  lie. 

Un  cor  a  pris,  ses  chiens  appelle, 

Si  conraande  a  mettre  sa  selle. 

Et  sa  mesniee  crie  et  huie. 

Et  Renart  l'ot,  si  tourne  en  fuie 
445    Tant  qu'en  sa  taisniere  se  fiche. 

Et  Ysengrin  remest  en  briche 


413  chaienne     414  la  qeue  s.      432  Tel  cuide  gaaignier  qui  pert 
435  noiz     441  a  mangue     442  Puis  c.     446  Et  manque     remaint  en  la  b. 


144  m  (Méon  1201—1234) 

Qui  moult  s'esforce  et  sache  et  tire: 

A  poi  sa  pel  ne  li  descire. 

Se  d'ilec  se  \eult  départir, 
450    La  queue  li  convient  guerpir. 

Coniue  Ysengrin  se  va  frétant, 

Estes  vous  un  garçon  trotant: 

Deus  lévriers  tint  en  une  lesse. 

Ysengrin  vit  (vers  lui  s'eslesse)  A  32 

455    Sus  la  glace  tôt  engele 

A  tôt  son  haterel  pelé. 

Cil  l'esgarde,  puis  li  escrie 

'Ha  ha,  le  leu  !  aïe  aïe!' 

Li  veneor  quant  il  l'oïrent, 
460    Lors  de  la  meson  fors  saillirent 

A  tos  les  chens  par  une  hese. 

Or  est  Ysengrins  en  maleso. 

Que  dant  Constanz  venoit  après 

Sor  un  cheval  a  grant  esles 
465    Qui  molt  s'escrie  a  l'avaller 

'Lai  va,  lai  va  lez  chens  aler!' 

Li  braconer  les  chenz  decouplent 

Et  li  bracet  au  lou  s'acoplent 

Et  Ysengrins  molt  se  herice. 
470    Li  veneors  les  chens  entice 

Et  amoneste  durement. 

Et  Ysengrins  bien  se  desfent, 

Aus  denz  les  mort:  qu'en  pot  il  mez? 

Il  amast  mels  ases  la  pez. 
475    Dant  Constans  a  l'espee  traite 

Por  bien  ferir  a  lui  s'atrete. 

A  pie  descent  enmi  la  place 

Et  vint  au  lou  devers  la  glace. 

Par  deriere  l'a  asailli: 
480    Ferir  le  volt,  mes  il  failli. 


453  h.  conme  u.  Dans  le  msc.  A  les  vers  454—460  sont  mutilés 
au  commeiicement  par  une  déchirure  454  Ysengrin  y'ii  manque  455  Sus 
manque  456  A  tôt  manque  457  Cil  manque  458  Ha  manque  aiaie  459  i 
460  L  magique  461  tôt  1.  ch.  a  p.  463  d.  fob't  u.  466  chn  467  L  b*on' 
468  pracet     472  bien  ]  fort     473  Au    475  D.  frob't  a     479  P.  de  deriers 


III  (Méon  1235—1264)  145 

Li  colp  li  cola  en  travers. 

Et  dant  Constans  chaï  envers 

Si  que  li  hatereax  li  seinne. 

Il  se  leva  a  niolt  grant  peine. 
485    Par  grant  aïr  le  va  requerre: 

Or  poez  oïr  fiere  guerre. 
Ferir  le  cuida  en  la  teste: 

Mes  d'autre  part  li  cous  s'areste. 

Vers  la  coe  descent  l'espee, 
490    Tôt  res  a  res  li  a  coupée 

Près  de  l'anel:  n'a  pas  failli. 

Et  Ysengrins  qui  l'a  senti 

Saut  en  travers,  puis  si  s'en  torne 

Les  chens  mordant  trestot  a  orne 
495    Qui  inolt  sovent  li  vont  as  naces. 

Mes  la  coe  remest  en  gages  : 

Et  molt  li  poise  et  molt  li  grève, 

A  poi  son  cuer  de  dol  ne  crevé. 

N'en  pot  plus  fere,  torne  en  fuie 
500    Tant  que  a  un  tertre  s'apuie. 

Li  eh  en  le  vont  sovent  mordant 

Et  il  s'en  va  bien  défendant. 

Con  il  furent  el  tertre  amont, 

Li  chen  sont  las,  recréa  sont. 
505    Et  Ysengrins  point  ne  se  tarde, 

Fuiant  s'en  va,  si  se  regarde, 

Droit  vers  le  bois  grant  aleiire. 

Hoc  râla  et  dit  et  jure 

Que  de  Renart  se  vengera 
510    Ne  James  jor  ne  l'amera. 


481  li   I  en      482  frob't     48Ô  reg-re     489  Deuerg     490  Tote     504 
retorne 


IV  (Méon  6455—6478) 


IV 


Or  me  convient  tel  chose  dire       A  32b 

Dont  je  vos  puisse  fere  rire. 

Qar  je  sai  bien,  ce  est  la  pure. 

Que  de  sarmon  n'aves  vos  cure 
5    Ne  de  cors  seint  oïr  la  vie. 

De  ce  ne  vos  prent  nule  envie, 

Mes  de  tel  chose  qui  vos  plese. 

Or  gart  chascun  que  il  se  tese: 

Que  de  bien  dire  sui  en  voie 
10    Et  bien  garniz,  se  dex  me  voie. 

Se  vos  me  volieez  entendre, 

Tel  chosse  porrieez  aprendre 

Que  bien  feroit  a  retenir. 

Si  me  selt  em  por  fol  tenir. 
15    Mes  j'ai  oï  dire  en  escole  : 

De  fol  orne  sage  parole. 

Lonc  prologue  n'est  preuz  a  fere. 

Or  dirai,  ne  me  voil  plus  tere, 

Une  branche  et  un  sol  gabet 
20    De  celui  qui  tant  set  d'abet: 

C'est  de  Renart,  bien  le  savez, 

Et  bien  oï  dire  l'avez. 

De  Renart  ne  va  nus  a  destre. 

Renars  fet  tôt  le  monde  pestre: 


3  bien  matujue     5  cor  s.  de  oir     7  que     8  tesse     9  suz     10  uaie 
12  enprendre     19  sol  ba  gabet     23  a  J  en 


IV  (Méon  6479—6514)  147 

25    Renars  atret,  Renars  acole, 

Renars  est  molt  de  maie  escole. 

De  lui  ne  va  coroies  ointes, 

Ja  tant  ne  sera  ses  acointes. 

Molt  par  est  sajes  et  voisoùs 
30    Renars,  et  si  n'est  pas  noisous. 

Mes  en  cest  monde  n'a  si  sage. 

Au  chef  de  foiz  n'aut  a  folage. 
Or  vos  dirai  quel  mesestance 

Avint  Renart  et  quel  pesance. 
35    L'autrer  estoit  alez  porquerre 

Sa  garison  en  autre  terre. 

Conme  cil  qui  avoit  souffrete 

Et  grant  fein  qui  molt  le  deliete. 

S'en  est  tornez  vers  une  pree. 
40    Si  con  il  vint  en  une  aree. 

S'en  va  Renars  par  une  broce 

Molt  dolanz,  et  molt  se  coroce 

Que  il  ne  puet  chose  trover 

Qu'il  puist  manger  a  son  soper. 
45    Mes  n'i  voit  rien  de  sa  pasture. 

Lors  se  remet  en  l'anbleure 

Fors  del  bois,  et  vint  en  l'oreille. 

Arestez  est,  de  fain  baaille, 

Grelles  megres  e  esbahis. 
50    Molt  a  grant  fein  en  son  païs. 

D'oures  en  autres  s'estendeille. 

Et  ses  ventres  si  se  merveille 

Et  si  boel  qui  sont  dedenz 

Que  font  ses  poes  et  ses  denz. 
55    D'angoisse  gient  et  de  destrece 

Et  de  la  fein  qui  molt  le  blece. 

Lors  dist  qu'il  fait  mavois  atendre 

En  leu  on  l'en  ne  puet  rien  prendre. 
A  icest  mot  par  un  sentier 
60    S'en  corut  un  arpent  entier. 


27  1.  no  ua  c.      28  acontes      ;<5.-36  iiiierveriis     88  que 
43  jiot     51  autre     53  ses  boiaux     55  git     56  que     58  pot 


10* 


148  IV  (Méon  6515—6548) 

Onques  ne  volt  entrer  el  pas 

Tant  que  il  vint  a  un  trespas. 

Si  con  il  ot  le  col  baissie, 

Si  a  choisi  en  un  plessie 
65    Par  éncoste  d'unes  avoines 

Une  abeïe  de  blans  moines 

Et  une  grange  par  dejoste, 

Ou  Renars  velt  fere  une  joste. 

La  grandie  fu  molt  bien  asise. 
70    Li  mur  furent  de  roce  bise 

Molt  fort,  ne  vos  en  mentiron, 

Et  furent  clos  tôt  environ 

D'un  fosse  dont  haute  est  la  rive, 

Si  que  ne  lor  puet  riens  qui  vive 
75    Tolir  par  force  nule  chose, 

Puis  que  la  granche  est  ferme  et  close, 

Plentive  est  de  norreture. 

Qu'il  erent  en  bone  pasture. 

Moult  par  estoit  bonne  la  grange.        Di7a 
80    Mais  a  pluseurs  estoit  estrange. 

Assez  i  a  de  tel  viande 

Con  Renars  li  gourpils  demande: 

Gelines,  chapons  surannez. 

Renars  est  celle  part  tournez, 
85    Parmi  la  voie  a  fait  un  saut 

Touz  abrivez  de  faire  assaut. 

Onques  ne  fu  ses  frains  tenus 

Tant  qu'il  est  aus  chapons  venus. 

Sur  le  fosse  s'est  arrestez 
90    De  gaaignier  touz  aprestez 

Et  des  gelines  assaillir. 

Mais  il  n'i  pooit  avenir. 

Court  et  racourt  entor  la  granche, 

Mais  n'i  treuve  ne  pont  ne  planche 


66   blanc   moinnes  74  pot  r.  q'ure       79  Le  reste  de  la  branche 

manque  dons  le  nisc.  A;  il  est  sup2}léé  par  le  nisc.  D.      82  gourpil     84 

c.  p.  est     91  Et  mauqiie  92  poet  mie  a     93  entor  ]  parmi     94  ny  puet 
point  trouuer  de  pi. 


lY  (Méon  6549—6584)  149 

95    Ne  pertuis:  moult  se  desconforte. 

Lors  s'aeroupi  devant  la  porte 

Et  vit  le  guichet  entrouvert 

Et  le  pertuis  tout  descouvert: 

Celle  part  vint,  outre  se  lance. 
100    Or  est  Renars  en  grant  balance: 

Que  s'il  puent  appercevoir 

Que  il  les  veille  décevoir, 

Li  moine  retendront  son  gage 

0  lui  raeismes  en  ostage  : 
105    Car  félon  sont  a  desmesure. 

Qui  chaut?  tout  est  en  avanture. 

.    Or  va  Renart  par  le  pourpris, 

Grant  paour  a  d'estre  surpris. 

Yint  as  gelines,  si  escoute: 
110    C'est  vérité  que  moult  se  doute, 

Que  bien  set  qu'il  fait  musardie. 

Retournez  est  par  couardie, 

Grant  paour  a  c'en  ne  le  voie. 

Ist  de  la  court,  entre  en  la  voie 
115    Et  se  conmence  a  pourpenser. 

Mais  besoing  fait  vielle  troter, 

Et  la  fain  tant  le  par  tourmente, 

Ou  bel  li  soit  ou  se  repente. 

Le  refait  arrière  fichier 
120    Por  les  gelines  acrochier. 

Or  est  Renars  venuz  arrière, 

En  la  granche  entre  par  deriere 

Si  coiement  que  ne  se  murent 

Les  gelines,  ne  n'aparcurent. 
125    Sus  un  tref  en  ot  troi  juchiees 

Qui  estoient  a  mort  jugiees. 

Et  cilz  qui  ert  alez  en  fuerre, 

S'en  monta  sus  un  tas  de  fuerre 

Pour  les  gelines  acrochier. 
130    Les  gelines  sentent  hochier 


95  Ne  trou  dont  m.     111   que  f.     112  couardiso     122  Entre  en  la 
g.  p.     125  ionchiees 


150  IV  (Méon  6585-6626) 

Le  fuerre,  si  en  tresaillirent 
Et  en  un  angle  se  tapirent. 
Et  Renars  celle  part  s'en  tourne, 
Si  les  a  prises  tout  a  ourne 

135    La  ou  il  les  vit  enanglees: 
Si  les  a  toutes  estranglees. 
Des  deus  en  fait  ses  grenons  bruire, 
La  tierce  en  voudra  porter  cuire. 
Quant  ot  mengie,  si  fu  aaise. 

140    De  la  grandie  ist  par  une  hese 
Et  la  tierce  geline  emporte. 
Mais  si  conme  il  vint  a  la  porte, 
Si  ot  moult  grant  talent  de  boivre 
Cilz  qui  bien  sot  la  gent  decoivre. 

145    Un  puis  avoit  enmi  la  cort: 
Renars  le  vit,  celle  part  court 
Pour  sa  soif  que  il  volt  estaindre, 
Mais  il  ne  pot  a  l'eve  ataindre. 
Or  a  Renart  le  puis  trouve: 

150    Moult  par  le  vit  parfont  et  le. 
Seigneurs,  or  escoutez  merveilles! 
En  ce  puis  si  avoit  deus  seilles: 
Quant  l'une  vient,  et  l'autre  vait. 
Et  Renars  qui  tant  a  mal  fait, 

155    Dessur  le  puis  s'est  acoutez 
Grainz  et  marris  et  trespensez. 
Dedens  commence  a  regarder 
Et  son  ombre  a  aboeter  : 
Guida  que  ce  fust  Hermeline 


160 


Qui  lierbergie  fust  leens. 
Renars  fu  pensis  et  dolens: 
Il  li  demande  par  vertu 
'Di  moi,  la  dedens  que  fais  tu?' 


131  si  contresaillirent  132  satapirent  142  a  ]  uers  144  les  gens 
145  a  ueu  e.  146  Quant  il  le  u.  si  y  acourt  147  quil  uouloit  e.  148 
puet  151  Or  escoutez  s.  152  En  celui  p.  a.  154  t.  maux  ot  f.  156 
Grioz     158  abooeter     160  quamoit 


IV  (Méon  6627—6672)  151 

165    La  vois  du  puis  vint  contremont  : 

Renars  l'oï,  drece  le  front. 

Il  la  rapelle  une  autre  fois: 

Contremont  resorti  la  vois. 

Renars  l'oï,  moult  se  merveille: 
170    Si  met  ses  piez  en  une  seille, 

One  n'en  sot  mot,  quant  il  avale. 

Ja  i  aura  encontre  maie. 

Quant  il  fu  en  l'eve  cheûs, 

Si  sot  bien  qu'il  fu  deceiis. 
175         Or  est  Renart  en  maie  frape, 

Maufez  l'ont  mis  en  celle  trape. 

Acoutez  s'est  a  une  pierre, 

Bien  vousist  estre  mors  en  bière. 

Li  chaitis  suefïre  grant  hachiee  : 
180    Moult  a  souvent  la  pel  moilliee. 

Or  est  a  aise  de  peschier. 

Nulz  nel  pourroit  esleeschier: 

Ne  prise  deus  boutons  son  sens. 

Seigneurs,  il  avint  en  cel  tens, 
185    En  celle  nuit  et  en  celle  heure, 

Que  Ysengrins  tout  sanz  demeure 

S'en  est  issus  d'une  grant  lande  : 

Que  querre  li  convint  viande, 

Que  la  fain  le  grieve  forment. 
190    Tournez  s'en  est  ireement 

Devant  la  meson  ans  rendus, 

Les  granz  galos  i  est  venuz. 

Le  païs  trouva  moult  gaste. 

'Ci  conversent'  dit  il   malfe, 
195    Qant  l'en  n'i  puet  trouver  viande 

Ne  rien  de  ce  que  on  demande.' 

Tournez  s'en  est  tout  le  passet. 

Courant  s'en  vint  vers  le  guichet: 

Par  devant  la  rendation 
200    S'en  est  venuz  le  grant  troton. 


167  II  rapela      172  i  manque      e.  mit  m.      173  oonmo      178  mort 
181  peeschier      184  temps      185  A  ...  a      189  greuoit     195  Que 


152  IV  (Méon  6673—6710) 

Le  puis  trouva  enmi  sa  voie 
Ou  Renars  le  rous  s'esbanoie. 
Dessur  le  puis  s'est  aclinez 
Grainz  et  marriz  et  trespensez. 

205    Dedens  conmence  a  regarder 
Et  sou  umbre  a  aboeter. 
Con  plus  i  vit,  plus  esgarda, 
Tout  ensi  con  Renars  ouvra: 
Guida  que  fust  dame  Hersens 

210    Qui  herbergiee  fust  leens 
Et  que  Renars  fust  avec  li. 
Sachiez  pas  ne  li  erabeli, 
Et  dist  'moult  par  sui  maubailliz, 
De  ma  famé  vilz  et  honniz 

215    Que  Renars  li  rous  m'a  fortraite 
Et  ceens  avec  soi  a  traite. 
Moult  est  ore  traître  1ère. 
Quant  il  decoit  si  sa  conraere. 
Si  ne  me  puis  de  lui  garder. 

220    Mes  se  jel  pooie  atraper, 
Si  faitement  m'en  vengeroie 
Que  James  crieme  n'en  auroie.' 
Puis  a  usle  par  grant  vertu: 
A  son  umbre  dist   qui  es  tu? 

225    Pute  orde  vilz,  pute  prouvée, 

Qant  0  Renart  t'ai  ci  trovee!'         D48 
Si  a  ulle  une  autre  foiz, 
Contremont  resorti  la  voiz. 

Que  qu'Isengrins  se  dementoit 

230    Et  Renars  trestoz  coiz  estoit, 
Et  le  laissa  assez  usler, 
Puis  si  le  prist  a  apeler. 
'Qui  est  ce,  diex,  qui  m'aparole? 
Ja  tiens  ge  ca  dedenz  m'escole.' 


201  Cel  202  s'maiique  20-1  Griez  205  a  abootev  206  a  regarder 
207  p.  y  garda  209  hersent  211  lui  212  point  213  mabailliz  216  caiens 
auecques  s.  t.  217  liere  218  De  ce  qui!  d.  sa  222  Q.  ie  ia  c.  ni  226 
Qui  s.  227  Et  si  auoie  ie  a.  f.  229  Comme  y.  230  tout  coi  se  tenoit 
233  moi  parole     234  ci 


IV  (Méon  6711—6762)  153 

235     Qui  es  tu,  va  ?'  dist  Ysengrin. 

'Ja  sui  je  vostre  bon  voisin 

Qui  fui  jadiz  vostre  compère, 

Plus  m'amiez  que  vostre  frère. 

Mais  l'en  m'apelle  feu  Renart 
240    Qui  tant  savoit  d'engiu  et  d'art.' 

Dist  Ysengrins  'c'est  mes  confors  : 

Des  quant  es  tu,  Renart,    donc  mors?' 

Et  il  li  respont  'des  l'autrier. 

Nulz  bons  ne  s'en  doit  merveiller, 
245    Se  je  sui  mors:  aussi  mourront 

Tretuit  cil  qui  en  vie  sont. 

Parmi  la  mort  les  convendra 

Passer  au  jor  que  diex  plaira. 

Or  atent  m'ame  nostre  sire 
250    Qui  m'a  gete  de  cest  martire. 

Je  vos  pri,  biau  compère  dous. 

Que  me  pardonnez  les  courrons 

Que  l'autrier  eiistes  vers  moi.' 

Dist  Ysengrins   et  je  l'otroi. 
255    Or  vous  soient  tout  pardone. 

Compère,  ci  et  devant  de. 

Mes  de  vostre  mort  sui  dolens.' 

Dist  Renars  'et  j'en  sui  joians.' 

'Joians  en  es?'     'Yoire,  par  foi.' 
260    'Biau  compère,  di  moi  pourquoi.' 

'Que  li  miens  corps  gist  en  la  bière 

Chiez  Hermeline  en  la  tesniere, 

Et  m'ame  est  en  paradis  mise. 

Devant  les  piez  Jhesu  assise: 
265    Compères,  j'ai  quanque  je  veil. 

Je  n'oi  onques  cure  d'orgueil. 

Se  tu  es  ou  règne  terrestre, 

Je  sui  en  paradis  celestre. 

Ceens  sont  les  gaaigneries, 
270    Les  bois,  les  plains,  les  praieries: 


"240  s.  engin  et  art  242  donc  R.  248  1\  en  .1.  temps  qui  uemlra 
250  ce  253  enuers  254  Dit  256  Et  par  ici  259  en  es  manque  v. 
sire  p.     262  ma     268  Et  ie  sui  ou  règne  c. 


154  IV  (Méon  6763—6800,1 

Ceens  a  riche  pecunaille, 
Ceens  puez  veoir  mainte  aumaille 
Et  mainte  oeille  et  mainte  chievre, 
Ceens  puez  tu  veoir  maint  lièvre 

275    Et  bues  et  vaches  et  moutons, 
Espreviers,  ostors  et  faucons.' 
Ysengrins  jure  saint  Sevestre 
Que  il  voudroit  la  dedens  estre. 
Dist  Renars  'lessiez  ce  ester, 

280    Ceens  ne  poez  vous  entrer: 
Paradis  est  celestiaus, 
Mais  n'est  mie  a  touz  conmunaus. 
Moult  as  este  touz  jors  trichierres, 
Fel  et  traîtres  et  boisierres. 

285    De  ta  famme  m'as  mescreû  : 
Par  dieu  et  par  sa  grant  vertu, 
One  ne  li  fis  desconvenue, 
N'onques  par  moi  ne  fu  foutue. 
Tu  dis  que  tes  filz  avoutrai, 

290    Onques  certes  nel  me  pensai. 
Par  cel  seigneur  qui  me  fist  ne, 
Or  t'en  ai  dit  la  vérité.' 

Dist  Ysengrins  je  vous  en  croi, 
Jel  vos  pardoing  en  bonne  foi. 

295    Mais  faites  moi  leens  entrer.' 
Ce  dist  Renars   lessiez  ester. 
N'avons  cure  ceens  de  noise. 
La  poez  veoir  celle  poise.' 
Seigneur,  or  escoutez  merveille! 

.300    A  son  doi  li  monstre  la  seille. 

Renars  set  bien  son  sens  espandre: 
Que  pour  voir  li  a  fet  entendre, 
Poises  sont  de  bien  et  de  mal. 
'Par  dieu  le  père  esperital, 


272  puet  on  u.  grant  a.  273  m.  anguile  et  274  puet  on  276 
ostoiers  279  ce  1.  281  religiaus  283  as  ]  ai  pechierres  284  F  t.  et 
engignierres  288  croissue  291  ce  294  Je  le  299  merueilles  300  les 
seilles      301  Si  scet  R.  son     302  Que  manque     auoit 


IV  (Méon  6801—6880)  155 

305    Diex  si  par  est  ainsi  poissanz, 
Que  quant  li  biens  est  si  pesanz. 

Si  s'en  dévale  ca  de  jus, 

Et  touz  li  maus  remaint  lassus. 

Mais  hons,  s'il  n'a  confesse  prise, 
310    Ne  pourroit  ja  en  nule  guise 

Ci  avaler,  je  le  te  di. 

As  tu  tes  peschiez  regehi?' 

'OiT  fait  il,   a  un  viel  lèvre 

Et  a  dame  H  .  .  .  .  la  chievre 
315    Moult  bien  et  moult  très  saintement. 

Compère,  plus  hastivement 

Me  faites  la  dedens  entrer!' 

Renars  conmence  a  regarder 

Or  vous  estuet  dont  dieu  proier 
320    Et  moult  saintement  gracier 

Que  il  vous  face  vrai  pardon 

De  voz  péchiez  remission: 

Ainsi  i  pourries  entrer.' 

Ysengrins  n'i  volt  plus  ester: 
325    Son  cul  tourna  vers  orient 

Et  sa  teste  vers  occident. 

Et  conmenca  a  orguener 

Et  très  durement  a  usler. 

Renars  qui  fait  mainte  merveille, 
330    Estoit  aval  en  l'autre  seille 

Qui  ou  puis  estoit  avalée. 

Ce  fu  par  pute  destinée 

Que  Renars  s'est  dedens  couchiez. 

Par  temps  iert  Ysengrins  iriez. 
335    Dist  Ysengrins   j'ai  dieu  proie.' 

'Et  je'  dist  Renars   gracie. 

Ysengrin,  vois  tu  ces  merveilles, 

Que  devant  moi  ardent  chandeilles? 

Jhesu  te  fera  vrai  pardon 
340    Et  moult  gente  remission.' 


306  Que  mawjue    li  vns  est  bien  rcpentanz    312  ton  pecliie     :it4 
hersent  :/aM<  il  lire  Haouïs?     320  molt  manque     regracier 


156  IV  (Méon  6887—6924) 

Ysengrins  l'ot  :  adont  estrive 
Au  seel  abatre  de  rive, 
Il  joint  les  piez,  si  sailli  ens. 
Ysengrins  fu  li  plus  pesans, 

345    Si  s'en  avale  contreval. 
Or  escoutez  le  bautestal  ! 
Ou  puis  se  sont  entre  encontre, 
Ysengrins  l'a  araisonne 
'Compère,  pourquoi  t'en  viens  tu?' 

350    Et  Renars  li  a  respondu 

'N'en  faites  ja  cliiere  ne  frume. 
Bien  vous  en  dirai  la  coustume  : 
Quant  li  uns  va,  li  autres  vient, 
C'est  la  coustume  qui  avient. 

355    Je  vois  en  paradis  la  sus. 
Et  tu  vas  en  enfer  la  jus. 
Du  diable  sui  eschapez 
Et  tu  t'en  rêvas  as  maufez. 
Moult  es  en  granz  viltes  cheois 

360    Et  j'en  sui  hors,  bien  le  sachois. 
Par  dieu  le  père  esperitable, 
La  jus  conversent  li  diable.' 
Des  que  Renars  vint  a  la  terre. 
Moult  s'esbaudi  de  faire  guerre. 

365    Ysengrins  est  en  maie  trape: 
Se  il  fust  pris  devant  Halape, 
Ne  fust  il  pas  si  adoulez, 
Que  quant  ou  puis  fu  avalez. 
Seigneurs,  or  oiez  des  renduz 

370    Conme  il  perdirent  leur  vertuz. 
Leur  fèves  furent  trop  salées 
Que  il  orent  mengie  gravées. 
Li  sergent  furent  pareceus. 
Que  d'eve  furent  souffreteus. 

375    Mais  il  avint  del  cuisinier. 
Celui  qui  gardoit  le  niengier. 
Qu'il  ot  sa  force  recouvrée. 
Au  puis  s'en  vint  la  matinée, 


868  Que  ]  con       376  del  ]  au     378  n'iiiatique 


IV  (Méon  6925—6954)  157 

Si  menoit  un  asne  Espanois 
380    Et  compaignons  de  ci  a  trois: 

Au  puis  en  viennent  le  troton 

Trestuit  li  qatre  compaingnon. 

L'arne  acouplent  a  la  poulie 

Qui  de  traire  pas  ne  s'oublie: 
385    Li  rendu  le  vont  menaçant  D49 

Et  l'arnes  va  forment  traiant. 

Li  leus  a  sa  grant  mesestance 

Estoit  la  aval  en  balance: 

Dedenz  le  seel  s'est  coulez. 
390    Et  l'arne  fu  si  adolez 

Que  il  ne  pot  n'avant  n'arriére, 

Ne  por  force  que  l'en  le  fiere: 

Quant  uns  renduz  s'est  apoiez, 

Qui  est  desus  le  puis  couchiez  : 
395    Si  prent  dedenz  a  regarder 

Et  Ysengrin  a  aviser. 

Dist  aus  autres  'que  faites  vous? 

Par  dieu  le  père  glorious. 

Ce  est  un  leu  que  vous  traiez.' 
400    Estes  les  vous  touz  esmaiez, 

Si  s'en  courent  tuit  vers  maison 

Grant  aleiire  le  troton. 

Mais  la  poulie  ont  atachie. 

Ysengrins  sueffre  grant  haschie. 
405    Li  frère  apellent  les  serjanz, 

Par  temps  iert  Ysengrins  dolenz. 

Li  abbes  prent  une  macue 

Qui  moult  estoit  grant  et  cornue, 


Dans  le  msc.  D  les  iw.  379—382  se  trouvent  écrits  de  cette 
^minière:  trestuit  li  .1111.  compaignon  (=  382)  Tindrent  de  la  corde  .1. 
tronçon  Et  orent  .1.  mul  espaignois  Et  compaignons  jusques  a  .111. 
(=  880)  388  la  stiit  en  389  a'nHDique  391  puct  392  par  393  Q. 
.y.  sest  394  Q.  forment  estoit  courouciez  Et  lors  s.  rendu  la  ueu 
Qui  sus  le  puis  couchie  se  fu  395  Si  le  priât  mit'  a  396  rauiser 
399  treez  400  effreez  403  estac-hie  404  luisohee  405  li  sergent 
406  dolent 


158  IV  iMéon  6955—6992) 

Et  li  priours  un  chandelier. 

410    II  n'i  remest  moine  ou  moustier 
Qui  ne  portast  baston  ou  pel: 
Tuit  sont  issu  de  leur  hostel. 
Au  puis  en  prennent  a  venir 
Et  s'aprestent  de  bien  ferir. 

415    L'arne  font  traire  qui  la  fu, 
Si  li  aïdent  par  vertu 
Tant  que  li  seaus  vint  a  rive. 
Ysengrins  n'atent  mie  trive, 
Un  saut  a  fet  moult  avenant. 

420    Et  li  gaignon  le  vont  sivant, 
Qui  descirent  son  pelicon: 
Amont  en  volent  li  flocon. 
Et  li  rendu  l'ont  atrape 
Qui  moult  durement  l'ont  frape. 

4-25    Li  uns  le  fiert  parmi  les  rains, 
Ysengrins  est  en  maies  mains. 
Illec  s'est  qatre  foiz  pasmez, 
Moult  par  est  grainz  et  adolez, 
Tant  qu'il  s'est  couchiez  sur  le  bort: 

430    Illecques  fait  semblant  de  mort. 
Atant  estes  vous  le  prieur 
Cui  diex  otroit  grant  déshonneur. 
Il  mist  la  main  a  son  coutel, 
Si  en  vouloit  prendre  la  pel. 

435    Toz  estoit  prez  de  l'acourer, 
Quant  l'abe  dist  'lessiez  ester! 
Assez  a  sa  pel  despecie 
Et  sofferte  mortel  hachie: 
Il  ne  fera  mais  point  de  guerre, 

440    Apesiee  en  est  la  terre. 

Tornons  nos  en,  lessiez  ester!' 
Ysengrins  n'a  talent  d'aler. 
Chascuns  rendu  a  pris  son  pel, 
Si  retournèrent  a  ostel. 


409  chandeler  ]  grant  louier  410  no  reniaint  411  porto  macue 
417  li  loux  u.  a  la  r.  421  (lotiront  42S  grioz  429  quil  la  oouohent 
430  font     435  Tout  esto  p.     4;i7— 441   inanqueiit 


lY  (Méon  6993—7026)  159 

445    Ysengrins  voit  n'i  a  nullui, 

Qui  a  souffert  si  grant  anui. 

Fuiant  s'en  va  a  graut  hachie 

Que  il  a  la  croupe  brisie. 

A  un  grant  buisson  est  venus. 
450    Mais  tant  est  ses  crêpons  batus 

Qu'il  ne  se  pu  et  resvertuer. 

Devant  lui  vit  son  filz  aler 

Qui  li  demanda  entresait 

'Biau  père,  qui  vous  a  ce  fait?' 
455    'Biaus  filz,  Renars  qui  m'a  traï. 

Par  dieu  le  voir  qui  ne  menti, 

En  un  puis  me  fist  trebuscliier, 

Jamais  ne  me  pourrai  aidier.' 

Quant  cilz  l'oï,  moult  s'en  aïre, 
460    Dieu  jure  qui  souffri  martire, 

Se  il  as  mains  le  puet  tenir, 

Il  li  fera  ses  jeus  puïr. 

'Sel  puis  tenir,  jel  vos  plevis, 

Il  ne  m'estordra  mie  vis: 
46J    Que  devant  moi  fouti  ma  mère. 

Si  compissa  moi  et  mon  frère. 

Si  l'en  rendrai  le  guerredon, 

Ja  n'en  aura  se  la  mort  non.' 
Atant  s'en  va  en  sa  taisniere 
170    Et  fait  mires  mander  et  querre 

Qui  de  lui  sont  tant  entremis 

Et  tant  li  ont  vitaille  quis 

Que  pourchacie  ont  et  trouvée 

Qu'il  a  sa  force  recouvrée. 
475    Ysengrins  est  garis  et  forz: 

Se  dant  Renars  passe  les  porz, 

S'Ysengrins  le  truisse  en  sa  marche, 

Sachiez,  il  li  fera  damage. 


447  hachiee     426  urai     462  son  gieu     463  ie  u.      464  si  1  et     465 
croisai     46«  Ja  ]  Il     471  Qui  sen  sont  bien  e.     477  s'  ]  Et 


I 


V  (Méon  .  .  .  7737—7744) 


Un  jour  issi  hors  de  la  lande  D49 

Ysengrins  pour  querre  viande 

Et  dant  Renars  tout  ensement. 

Par  temps  feront  acointeraent. 
5    Renars  prent  dieu  a  reclamer 

Que  cel  jour  le  puisse  garder 

Des  mains  son  compère  Ysengrin. 

'J'ai'  fait  il   tant  mauvais  voisin, 

Que  ne  me  sai  en  qui  fier.' 
10    A  un  grant  tertre  dévaler 

Li  vint  Ysengrins  devant  lui 

Qui  par  temps  li  fera  anui. 

Renars  voit  bien,  ne  puet  guencliir. 

Ne  nulle  part  ne  puet  fuïr. 
15    Si  li  a  dit  tout  a  estrous 

'Biaus  compères,  bien  veigniez  vous. 

Et  damediex  vous  envoit  joie!' 

Et  cilz  li  dist  'se  diex  me  voie, 

Joie  aurai  je,  quant  je  vous  voi. 
20    Par  dieu  le  père  en  qui  je  croi, 

Quant  je  te  voi,  ne  quier  autrui. 

Du  corps  te  ferai  grant  anui. 

En  mon  ventre  prendras  hostel. 

Tu  ne  t'en  puez  partir  par  el. 


T.e  nisc  A  ne  conniieiicp  (jk'kii  v.  140.  4  acordemeiit  8  Cest  f. 
14  fouir  17  u.  amaint  i.  18  d.  qiiil  a  ^lant  ioie  19  je  nnimpiv  21  Cai- 
ie  te  (ii  eiifiore  encui     22  Te  f.   du  corps 


V  (Méon  7745—7806)  161 

25    Moult  auroies  isnel  cheval, 

Se  ne  te  fais  Ih'rer  estai. 

De  vous  me  lèveront  li  flanc, 

Aguiser  weil  de  vous  mon  sanc  : 

Par  sanc  aquerrai  hardement, 
30    Plus  en  serai  doubte  de  gent. 

Que  faites  vous?  viaz  entrez 

En  ma  geule!  que  demeurez?' 

Ysengrins  aguise  sa  dent, 

A  Renart  donne  assaillera ent. 
35    Onques  nulz  hons,  si  fust  chetis 

N'en  terre  de  Sarrazins  pris, 

Ne  fu  si  bien  houcepigniez 

Con  Renars  fu  et  desachiez. 
Or  est  Renars  en  mal  troton. 
40    De  son  dos  volent  li  flocon 

Aussi  con  de  coûte  de  plume. 

Tel  douleur  a  que  tous  escume. 

Ysengrins  ot  fait  son  revel, 

Renars  a  pelée  la  pel. 
4î    Si  fu  pelez,  pas  ne  se  faint: 

Ne  se  remue  ne  se  plaint. 

Ysengrins  est  sus  acropiz 

Et  dist   ahi,  je  sui  traïz. 

Mes  mautalens  m'a  sourporte, 
50    Trop  ai  vilainement  ouvre. 

Je  n'ai  mes  cure  de  déport. 

Quant  je  mon  conseiller  ai  mort.' 

Renars  l'oï,  un  poi  s'estent. 

Dist  Ysengrins   qu'est  ce  que  sent? 
55    Encor  li  bat  ci  une  veine. 

Mais  je  n'i  sent  feu  ne  aleine.' 

Renars  se  dresce  sus  ses  piez 

Et  dist  'sire,  ce  est  péchiez. 

Vostre  niez  sui,  ce  est  la  somme, 
60    Ja  mar  tendrez  vil  petit  homme.' 


27  louera  le      28  Asigner  .3.5  nulz  manque     h.    ne    fu   si  c.     38 

Conme      fu  mangue      42  tout     44  ot      40  r.    aincois   se    faint      49    Mon 
maltalent     56  sen  fu 

RENART     I  1 1 


162  V  (Méon  7807—7860) 

Renars  regarde  par  un  plain: 

Delez  le  bois  vit  un  vilain. 

En  sa  main  portoit  un  bacon: 

Tenus  estoit  de  sa  maison. 
65    Henars  le  vit,  si  s'est  sourris: 

'Oncles,  moult  estes  mes  amis:' 

(Il  garra  ja  par  sa  favele) 

'Oncles,  oiez  bone  nouvelle! 

Un  bacon  porte  cilz  vilains: 
70    Car  le  metons  entre  noz  mains.  D50 

Si  devenommes  marcheant. 

Qu'alons  nous  ici  demeurant  ? 

Courons  li  sus!  or  n'i  ait  plus. 

Bien  sai  vendre  char  sanz  refus. 
75    Or  faisommes  ci  vostre  esgart: 

Je  en  aurai  la  tierce  part 

Et  vous  les  deus,'  qui  estes  grans. 

C'est  coustume  de  marcheans 

Que  se  deduient  liement." 
80    Ysengrins  li  moustra  la  dent, 

Si  li  respondi  'par  saint  Cler, 

Yers  vilain  n'ai  cure  d'aler. 

Je  .passai  ier  par  une  rue. 

Un  m'en  feri  d'une  macue 
85    Que  il  m'abati  tretout  plat. 

(.irant  honte  me  fait  qui  me  bat.' 

Dist  Renars  'lessiez  ce  ester  ! 

Or  m'estuet  mon  sens  esprouver. 

Se  le  bacon  ne  vous  puis  rendre, 
90    A  une  hart  me  faites  pendre. 

Oncle'  fait  il,  'or  demeurez! 

J'  irai  avant:  ci  vous  estez!' 

'Je  Tottroi'  ce  dist  Ysengrin. 

Et  Renars  aqueult  son  chemin. 


67  gaagna  p.  72  nous  est  intercalé  pur  une  main  moderne  74  se 
uendra  76  aurei  (i  e^i  rasnre  sur  zj  77  grant  78  Cest  la  c  d  mar- 
cheant 79  11  se  déduisent  81  li  manque  eler  86  niabat  88  Or  weil 
ie  m.     91  Ore  f.     92  Je  irai     ci  ]  et     98  dit 


V  (Méon  78f)l— 7936}  163 

95    Par  devant  le  vilain  se  trait 

Autres!  con  s'il  fust  contrait. 

Si  vint  parmi  une  charriere- 

Li  vilains  fist  moult  lie  chiere, 

Quant  il  aperçut  le  gourpil. 
100    Or  est  li  bacons  en  péril. 

Renars  vint  traînant  ses  rains 

Et  cilz  le  cuda  prendre  as  mains. 

Renars  li  fist  un  petit  saut. 

Dist  li  vilains   rien  ne  vous  vaut. 
105    Ta  gorge  iert  mise  en  mon  mantel." 

Renars  Toi,  moult  li  fu  bel: 

Que  moult  a  entre  dire  et  faire. 

S'il  puet,  il  li  fera  contraire. 

Tôt  temps  enforce  s'ambleiire 
110    Et  cilz  engraigne  s'aleûre. 

Li  vilains  sueffre  moult  grant  paine: 

Ne  puet  aler,  faut  li  l'aleine. 

Si  a  gete  le  bacon  jus. 

Dist  Ysengrins    or  n'i  a  plus!' 
Ii5    Renars  s'en  va  touz  les  galos 

Et  Ysengrins  suit  les  esclos. 

Ysengrins  n'ot  cure  d'enchaus, 

Au  bacon  est  venuz  les  saus. 

Sel  gete  sus  son  chaaignon, 
120    Fuit,  s'en  o  tout  en  un  buisson. 

La  le  raenga  sanz  demoree, 

A  Renart  a  la  hart  gardée. 

Li  vilains  retourna  arrière 

Qui  moult  faisoit  dolante  chiere, 
125    Quant  il  ot  perdu  son  bacon: 

One  mais  tel  duel  ne  fist  nulz  bon. 

Renars  n'ot  cure  du  vilain, 

Lessa  le  courre  par  le  plain. 

Si  s'en  est  venus  au  buisson, 
130    Ou  cuida  pariir  son  bacon. 


96  Tout  aussi     97  ilelez  u.     107  Car     109  touz  iours     124  f.  mit 
laide   oli.      126   O    t.   d.  no  mena  n.  li.     128  Ainz  le  lait  o.      l.i(J  cuile 

11* 


164  IV  (Méon  7939—8082) 

Mes  Ysengrins  qui  prent  et  part 

En  a  moustre.Renart  la  hart. 

Renars  ne  voult  bataille  faire, 

Ancois  li  conmance  a  retraire 
135     La  hart  ait  qui  l'a  desservie, 

Que  je  ne  la  deservi  mie. 

Mauvaise  est  vostre  conpaignie. 

Par  Jhesu  Crist  le  filz  Marie. 

Ne  puis  ci  longuement  durer, 
140    Yostre  congie  weil  demander. 

Onques  ne  final  de  pechier: 

Biaus  oncles  douz,  je  vous  requier 

Congie  de  saint  Jaque  requerre, 

Pèlerin  serai  par  la  terre.' 
145    Dist  Ysengrins    et  ge  l'otroi.'  A33 

Renars  fu  molt  en  grant  efroi, 

Quinze  jors  va  a  grant  baudor. 

Onques  Renars  ne  fist  sejor. 

Ya  s'eut  Renars  tôt  son  chemin. 
150    Or  velt  engignier  Ysengrin: 

Bien  li  cuide  le  bacon  vendre 

Dont  il  ne  li  volt  sa  part  rendre. 

Bien  a  la  costume  au  gorpil. 

Devant  lui  garda  un  mesnil: 
155    La  s'en  torna,  ce  est  la  voire, 

Et  vint  au  cortil  le  provoire: 

Raz  i  trovu  a  grant  plente. 

'Dex!'  dist  Renars  'bien  ai  erre.' 

Mes  d'aus  engigner  molt  se  peine. 
160    Arestez  s'est  a  molt  grant  peine, 

Si  aperçut  un  gresillon. 

Renars  en  fu  en  grant  fricon. 

Escote  a  le  chanteor 

Qui  illoc  chantoit  près  del  for. 
165    Le  gresellons  le  cunut  bien. 

Tôt  coi  se  tint  ne  ne  dit  rien. 


131  Mas  134  Ainz  li  conmanca  141  One  ne  fina  de  preeschier 
Au  V  145  le  msc.  A  recommence.  152  uelt  153  le  154  lui  manque 
157  Rarz     159  M.  dahe  engiger     164  Qui  loc 


V  (Méon  7993—8082) 

Renars  en  tint  le  chef  enclin: 
'Clerc  sevent  bien  "chanter  latin. 
Je  te  donroie  bon  loier, 

170    Dan  clers,  dites  vostre  sauter!' 
Li  grésillons  dist  grant  orgoil: 
'Par  saint  Denis,  enquerre  voil 
De  quel  pie'  fet  il  'vos  clochez.' 
Envers  Renart  s'est  aprochiez. 

175    De  son  brac  une  manche  tret. 
Li  grésillons  jeta  un  bret. 
Renars  jeta  la  manche  jus, 
Si  li  a  dit  'or  n'i  a  plus.' 
Bee  la  goule,  muet  lez  denz, 

180    Qu'il  le  cuida  enclore  enz. 
Li  grisollons  h  dist  'Renart, 
Tant  par  estes  de  maie  part. 
Or  a  diable  un  pèlerin 
Qui  la  gent  mordra  en  la  fin. 

185    Molt  fui  ore  près  de  morir, 
Dex  me  gari  par  son  plaisir.' 
Renars  respont  'vos  estes  ivres. 
Je  cuidoie  ce  fust  tes  livres. 
Certes  se  je  manje  l'oiisse, 

190    Trestotes  tes  chancons  soûsse. 
Molt  sui  sopris  de  grant  malage. 
Que  j'ai  fet  meint  pelerinuage. 
Or  voi  bien  ne  puis  plus  durer: 
Un  malx  fait  moult  mon  cors  grever. 

195    Certes  je  sui  uns  chatis  hon. 
Mes  fai  moi  or  confession, 
Car  il  n'a  ci  entor  nul  prestre: 
Ja  savez  vos  très  bien  cest  estre.' 
Li  gresillon  connut  Renart, 

200    Si  li  a  dit  'se  dex  me  gart, 
Ja  en  auroiz  a  grant  plente.' 
Sept  gaignon  vienent  descopie: 


165 


175  brao  ]  rae     178  dist     180  len     185  sui     186  i?arra     192  le  ai 
194  fait  ]  a     greue     196  Ca  ]  Mes     197  encor     202  £  VII     iieuoit 


166  V  (Méon  8083—8202) 

En  après  vienent  chasceors, 
Arbalestiers  et  veneors. 

205    Li  veneors  hue  et  crie  : 
Renars  entent  la  taborie, 
Ne  set  qu'il  puisse  devenir, 
Si  s'apareille  de  foïr. 
Et  li  veneors  vint  après, 

210    Si  descouple  les  ciens  engres. 
'Or  Tribole!  or  Clarenbaut! 
Par  ci  fuit  li  gorpil,  Rigaut. 
Or  ci  Plesence,  après  d'aler!' 
Ses  levrers  va  toz  descopier. 

215    Renars  s'en  va  grant  aleûre, 
Li  levrer  vienent  a  droiture. 
Renars  ne  mist  mie  a  sejor, 
Einz  saut  sor  la  creste  del  for. 
La  se  quati,  li  chen  l'outrèrent 

220    Renart  perdirent,  sil  paserent. 
Tant  ont  coru  tôt  le  chemin 
Qu'il  encontrerent  Ysengrin. 
Onques  nel  voudrent  défier. 
Sa  pel  conmencent  a  peler. 

225    Et  il  durement  se  desfent: 

Qui  il  consiut,  as  denz  le  fent. 
De  bataille  est  en  grant  fricon, 
D'Ysengrin  volent  li  flocon. 
Renars  fu  sor  le  for  muchez, 

230    Qui  en  fu  molt  joianz  et  liez. 
La  bataille  prent  a  garder, 
Et  Ysengrin  a  ranpronner 
'Or  en  avez  le  guerredon: 
Mar  i  manjastes  le  bacon.' 

235    Ysengrins  est  en  mal  déport. 
Hoc  avoit  un  gaignon  fort  : 
Ysengrin  asailli  au  braz. 
Or  est  il  choiiz  en  mal  laz. 


211  ore  rigiiut  213  or  i  pleseco  dalers  214  leiirons  a  t.  descoples 
218  Einz  est  saliz  sor  le  f.  219  laoïitriTeut  221  tôt  manque  226  Que 
prent     227  De  ]  La     228  Di.  y.     231  A  la     233  a.  uos  le 


V  (Méon  8203—8210;.    Va  (M.  717—734) 


167 


Que  cil  li  présente  les  denz 
240    Et  li  bote  en  la  pel  declenz  : 

Et  il  le  blece  malement. 

Maint  en  ocist  d'eforcemeut. 

Li  chen  nel  pourent  endurer, 

Ysengrin  lassèrent  aler  : 
245    Tornez  s'en  est  graut  aleiire 

Et  vet  aillors  querre  pasture. 

\a 

Adont  se  pensa  d'une  chose 
Dont  il  sa  feme  eu  son  cuer  chose, 
De  ce  que  il  férue  l'a, 
250    Renars,  molt  par  s'en  abaissa. 
Tele  ire  a  au  cuer  eii 
De  ce  qu'il  a  a  lui  jeii. 
Si  se  remet  molt  tost  arere 
Et  vint  molt  tost  a  la  qarrere 
255    0  sa  feme  trova  séant. 

Maintenant  la  va  ledenjant: 
Del  pie  la  fiert  con  s'il  fust  ivre. 
'HaT  fait  il,    pute  chaitive, 
Pute  vix  orde  et  chaude  d'ovre, 
260    Bien  ai  veûe  tote  l'ovre, 
j    Bien  me  set  Renars  acopir. 
,      Jei  le  vis  sor  voz  braz  cropir: 
'j     Ne  vos  en  poez  escondire.' 
A  poi  Hersent  n'enrage  d'ire 
26^    Por  Ysengrin  qui  si  la  chose. 
'"    Mes  neporqant  tote  la  chose 

De  chef  en  chef  tote  li  conte. 
{     'Sire,  voirs  est,  il  m'a  fet  honte. 
1     Mes  n'i  ai  mie  tant  mesfet 
270    Endroit  ce  que  force  m'a  fet. 
I     Laissiez  ester  tôt  cest  contrere: 
I     Ce  qui  est  fet  n'est  mie  a  ferc, 
A  autre  cose  entendes: 


242  Molt  en 
253  fot     257  Et  cl. 


24:j  ne       249  Vmariqne 
259  0.  es  caudoure     265 


250  mon  p.  «ci 
le     2(J9  a     27U 


i.s  abaissa 
E.  tôt  ce 


168  Va  (Méon  735—748.  8249- 

Ja  cist  meffez  n'iert  amendez 
275    Por  cose  que  nos  en  dion. 

En  la  cort  Noble  le  lion 

Tient  on  les  plez  et  lez  oiances 
M    Des  mortex  gueres  et  des  tences: 

La  nos  alons  de  lui  clamer.  34 

280    Bien  le  porra  tost  amender, 
^  Se  ce  puet  estre  charapete.' 

Cist  raos  a  tôt  reconforte 

Dant  Ysengrin  le  corocie. 

'Ahi'  fet  il,  'trop  ai  groce. 
285    Trop  fu  fox  et  petit  savoie. 

Mes  cist  consels  m'a  mis  en  voie. 

Mar  vit  Renars  son  grant  desroi, 

Sel  puis  tenir  a  cort  de  roi.' 
A  ces  paroles  cheminèrent. 
290    Onques  ne  cessent  ne  finerent 

Tant  que  il  vindrent  a  la  cort. 

Or  cuit,  Ysengrins  tendra  cort 

Renart  le  ros,  se  tant  puet  fere 

Qu'a  la  cort  le  puisse  atrere: 
295    Que  molt  ert  voiziez  et  sages. 

Et  si  savoit  plussors  languages, 

Et  li  rois  l'a  fait  conestable 

De  sa  meson  et  de  sa  table. 

Parvenu  furent  el  palez 
300    La  ou  li  rois  tenoit  ses  plez. 

La  cors  estoit  granz  et  plenere. 

Bestes  i  ot  de  grant  manere, 

Feibles  et  fors,  de  totes  guises. 

Qui  totes  sont  au  roi  susmises. 
305    Li  rois  sist  sor  un  faudestuet 

Si  riche  conme  a  roi  estuet. 

Tôt  entor  lui  siet  a  corone 

Sa  mesnie  qui  l'avirone  : 

N'i  a  un  sol  qui  noise  face. 
310    Atant  es  vos  venu  en  place 


277  on  manque      278  De      281  De      282  Maus      286  en  ]  a     287 
uit  mar     289  parolez     291  uîtdrent     293  pot     301  plene'ne 


Va  (Méon  8269—8302)  169 

Dant  Ysengrin,  il  et  s'amie 

Qui  la  parole  ont  aramie. 

Trestuit  li  autre  font  silence. 

Et  mesire  Ysengrin  conmence 
315    Devant  le  roi  en  sozpirant 

'Rois,  justise  va  enpirant: 

Yerites  est  tornee  a  fable, 

Nule  parole  n'est  astable. 

Yos  feïstes  le  ban  roial 
320    Que  ja  mariage  par  mal 

N'osast  en  freindre  ne  brisier: 

Renars  ne  vos  velt  tant  prisier 

N'onques  ne  tint  por  contredit 

Ne  vostre  ban  ne  vostre  dit. 
325    Renars  est  cil  qui  toz  mais  semé. 

Que  il  m'a  boni  de  ma  feme. 

Renars  ne  dote  mariage        ~~ 

Ne  pàrënTe  ne  cosinnage  : 

Ih  est  pire  que  ne  puis  dire. 
330    Ne  cuidiez  mie,  baux  doz  sire, 

Que  jel  die  por  li  reter 

Ne  por  blâme  sor  li  jeter  ! 

Rien  que  je  die  n'est  mencoigne  : 

Yeis  ci  Hersent  qui  tôt  témoigne.' 
335    'Oïl,  sire,  il  dit  voir'  fet  ele. 

Puis  celé  ore  que  fui  pucele 
,     M'ama  Renars  et  porsivi: 
j     Et  je  li  ai  toz  jors  foï, 

Onques  ne  me  veil  apaier 
340    A  rien  qu'il  me  vousist  proier. 

Et  puis  que  j'oi  pris  mon  segnor, 

Me  refist  il  enchauz  gregnor. 

Mes  je  nel  voil  onques  atendre. 

Ne  ainz  mes  ne  me  pot  sorprendre 


314  Et  mesire  manque  .y.  h'.    317  tornez    319  ben    320  mariages 
321  frendre       324  bien      330  mie  d  baux      332  noter      335  i  dit     336 
pucel     338  iel  ai  a  t.     339  One      340  prier     342  enchauz  ]  honte     344 
Ne  au  meins  ne  me  pooit  prendre 


170 


Va  (Méon  8303—8338) 


345 


350 


355 


360 


365 


370 


375, 


3«0 


Des  q'a  l'autrer  eu  une  fosse: 

Que  j'estoie  et  crasse  et  grosse. 

Tant  qu'il  me  vit  en  cel  pertuis. 

Il  sailli  fors  très  parmi  l'uis, 

Et  vint  derers,  si  me  honi 

Tant  que  li  jeus  li  enbeli. 

Ce  vit  Ysengrins  mes  maris 

Qui  dolanz  en  iert  et  maris, 

Et  je  sui  ci  qui  oi  la  honte.' 

Et  con  ele  out  feni  son  conte, 

Et  Ysengrins  si  a  repris 

'Voire  voir,  sire,  je  le  pris, 

Seignor  Renart,  de  cest  mesfet. 

Que  vos  en  senble  ?  a  il  forfet 

Bien  ne  raison  en  cest  endroit? 

A  vos  m'en  clein,  fêtes  m'en  droit 

Par  devant  trestoz  vos  barons 

De  ce  dont  nos  rete  l'avons! 

Por  ce  m'en  cleim  au  conmenchier 

Que  dant  Renars  ala  tencher 

A  mes  loveax  en  la  tesniere, 

Et  si  pissa  sor  ma  loviere. 

Si  les  bâti  et  chevela. 

Et  avoutres  les  apela, 

Et  dist  que  cox  estoit  lor  père, 

Qu'il  avoit  foutue  lor  mère. 

Tôt  ce  dist  il,  mes  il  menti. 

Onques  por  ce  ne  s'alenti 

De  ma  grant  honte  porchacher. 

L'autrer  estoie  alez  chacer, 

Hersens  estoit  o  moi  venue. 

La  fu  ceste  descovenue 

Que  je  vos  ai  ci  acontee. 

Je  les  sorpris  a  la  montée, 

Et  le  blâmai  de  cest  afere. 

Et  il  m'en  ofri  droit  a  fere 


348  fors  ]  enz  t.  enmi  349  (l(>r(u-e  35B  iel  ])  357  furfet  358  il 
ore  fet  361  P.  de  d.  uostre  b  3i;5  a  ma  louiere  369  cox  J  tôt  dit 
371   dit     376  Ja     377.  378  iiia/iqiioit 


Va  (Méon  8339—8374)  171 

Un  sereraent  por  lui  desfendre 
Tôt  la  o  jel  voudroie  prendre. 
Sor  ce  me  fêtes  jugement 
Et  amender  delivrement 
)85    Cest  mesfet  et  ceste  descorde, 
Q'autre  musart  ne  s'i  amorde.' 
Ysengrins  a  son  cleim  fine, 
Li  rois  en  a  son  chef  levé. 
Si  conmence  un  poi  a  sozrire. 
390    'Avez  vos'  fet  il  'plus  que  dire?' 
'Sire,  naie  :  de  tant  me  poise 
Conques  en  fu  mette  noise, 
Et  que  j'en  sui  si  vergondez.' 
'  'Hersent'  dist  li  rois,  'respondez 
395    Qui  vos  estes  ici  clamée 

I  Que  dant  Renars  vos  a  amee: 
t  Et  vos,  amastes  le  vos  onques?' 
,    'Je  non,  sire.'     'Or  me  dites  donques 
Por  qei  estiez  vos  si  foie 
400    Qu'en  sa  meson  aleez  sole 
Puis  que  vos  n'estiez  s'amie?' 
'    'Merci,  sire!  ce  n'i  est  mie. 
S'il  vos  plest,  mielz  dire  poez 
Selonc  le  cleim  que  vos  oez  : 
405    Que  je  vos  di,  li  connestable 
\    Mes  sires  qui  bien  est  estables, 
j     Que  il  ensamble  o  moi  la  vint 
'     Ou  ceste  vergoigne  m'avint.' 
'Ere  il  o  vos?'  'Oïl  sanz  faille.' 
410    'Qui  cuidast  ce,  qûe^  diex  i  vaille, 
Que  il  esforcer  vos  dottst 
La  ou  vostre  mari  soust?' 
Lores  s'est  Ysengrins  levez. 
'Sire'  dist  il,  'vos  ne  devez, 
415    Se  vos  plest,  moi  ne  lui  desfendre. 
Ainz  devez  pleinement  entendre 


381  le  (1.  382  Tôt  nuui'iue  385  ce  ma  fet  38»;  aorde  389  con- 
menca  un  poi  s.  398  ore;  dites  400  Que  a  m.  403  p.  sire  m.  408 
La  ou  c.  Y.  fist     415  lui  ne  moi     416  plenerement 


172  Va  (Méon  8375—8430) 

A  la  clamor,  que  que  nus  die,  35 

Que  il  la  meut  o  l'escondie. 

Que  je  vos  di  bien  a  fiance 
420    Con  cil  qui  vos  a  fet  liance 

Que  se  Renars  ert  ci  presenz, 

Qe  mosteroie  qu'a  ïïersenz 

Jut  il  a  force,  que  jel  vi, 

Par  la  foi  que  je  vos  plevi.' 
425    Et  li  rois  par  sa  grant  franchise 

Ne  voit  sofrir  en  nule  guise, 

Hon  fust  en  sa  cort  mal  mené 

Qui  d'amors  fust  achoisonne: 

Et  si  quida  que  non  feïst. 
430    Sachez,  volentiers  le  guerpist 

Envers  Renart  de  sa  querele 

Dont  mesire  Ysengrins  l'apele. 
Et  con  il  vit  qu'il  volt  tencher, 

Si  conmenca  a  agencier. 
435    Si  li  respondi  mot  a  mot: 

'Ce'  fait  il  'que  Renars  l'amot, 

Le  quitte  auques  de  son  pechie. 

Se  par  amor  vos  a  trechie, 

Certes  prouz  est  et  afaitiez. 
440    Et  neporquant  il  ert  traitiez 

Selonc  l'esgart  de  ma  meson. 

Par  jugement  et  par  reson 

Bien  en  faites  prendre  conroi.' 

Li  camels  sist  joste  le  roi, 
445    Molt  fu  en  la  cort  cher  tenuz. 

De  Lombardie  estoit  venuz 

Por  aporter  mon  segnor  Noble 

Treû  devers  Costentinoble. 

La  pape  li  avoit  tramis, 
450    Ses  legas  ert  et  ses  amis: 

Molt  fu  sages  et  bon  legistres. 

'Mestre'  fet  li  rois,  's'onc  oïstes 


420  laiance  422  que  h.  423  a  lui  que  ie  bien  ui  428  Que  damor 
430  S.  que  v.  434  a  manque  437  quit  ie  440  il  est  teciez  443  con 
rçi  prendre  roi     447  aparter        neble 


Va  (Méon  8431—8464)  173 

En  nule  terre  tel  conpleinte 

Con  a  ma  cort  a  l'en  fet  meinte, 
455    Or  volons  nos  de  vos  aprendre 

Quel  jugement  en  en  doit  rendre.' 
'Quare,  mesire,  me  audite! 

Nos  trobat  en  decrez  escrite 

En  la  rebrice  publicate 
460    De  matrimoinc  violate: 

Primes  le  doiz  examinar 
!       Et  s'il  ne  se  puet  espurgar, 

Grevar  le  puez  si  con  te  place, 

Que  il  a  grant  cose  mesface. 
465    Hec  est  en  la  mie  sentence: 

S'estar  ne  velt  en  amendance, 

Dissique  par  mane  conmune 

Uneverse  soe  pecune: 

0  lapidar  lo  cors  o  ardre 
470    De  l'aversier  de  la  Renarde! 

Et  vos  si  mostre  si  bon  rege; 

Se  est  qui  destruie  la  lege 

Et  qui  la  voil  vituperar, 

Il  le  doive  fort  conperar. 
475    Messire,  par  la  corpe  seinte, 

Se  la  jugement  si  aseinte, 

Et  tu  nos  sies  bon  seignor, 

Fai  droit  jugar  par  toe  anor, 

Par  la  seinte  croise  de  de! 
480    Que  tu  ne  soies  bonne  re, 

Se  reison  ne  droit  ne  vos  far 

Ausi  con  fist  Julius  César 

Et  en  cause  voille  droit  dir. 

Se  tu  veoil  estre  bonne  sir, 
485    Vide  ti  bonne  favelar! 

Par  la  foi  toe  tiegn  le  car! 


455  Ore  457  manque  458  E  nos  trouon  459  represse  461  les 
462  ne  manque  poent  463  les  poz  465  sëfscc  468  loe  472  desc'ue 
473  quil  la  uoil  474  for  475  co'pi  476  iugïiieiit  477  non  481  fare 
482  çuliers  cesare     486  le  manque 


174 


Va  (Méon  8465—8500) 


490 


495 


500 


505 


510 


515 


520 


Se  ne  tiens  car  ta  baronnie 
Rendar  por  amendai-  lor  vie, 
N'aies  cure  de  reiautat! 
Se  tu  ne  juches  par  bontat. 
Et  se  tu  ne  faces  droitor, 
Tu  non  sies  bonne  segnor. 
Favalar  ce  que  bon  te  fâche  ! 
Plus  ne  t'en  di  ne  plus  ne  sache.' 

Quant  li  baron  l'eurent  oï, 
Tex  i  a  se  sont  esjohi. 
Et  tex  i  a  molt  corocie. 
Li  lions  a  le  chef  drecie. 
'Aies'  fait  il,    vos  qui  ci  estes 
Li  plus  vaillant,  les  granor  bestes! 
Si  jugiez  de  ceste  clamor, 
Se  cil  qui  est  sopris  d'amor 
Doit  estre  de  ce  encopez 
Dont  ses  conpainz  est  escopez.' 
A  ces  paroles  lievent  sus, 
Del  tref  roial  en  vont  en  sus 
A  une  part  por  droit  jngier. 
Plus  en  i  ala  d'un  millier. 
Lant  Bricemers  li  cers  i  va 
Qui  de  mautalent  s'aïra 
Por  Ysengrin  qui  est  tricioz, 
Et  Brun  li  ors  s'est  aficiez. 
Dist  qu'il  voudra  Renart  grever. 
Avec  ans  deus  ont  fet  lever 
Baucen  le  sengler  qui  de  droit 
En  nul  sen  guencir  ne  voudroit. 

Asemble  sont  au  parlement. 
Li  cers  parla  premerement 
Qui  sor  Baucent  fu  acoutez. 
Seignor'  dist  il,  'ore  escotez! 
Yos  avez  oï  d'Ysengrin, 
Nostre  ami  et  nostre  cosin, 


487  tieg     488  lo  uie     489  rciautar     491   droit  tor      495  ïnianque 
499  que     501  ugiez     507  a     512  lors  si  est     520  estcotez     521  isen  .y. 


Va  (Méon  8501—8534)  175 

Con  il  a  Renart  encuse. 

Mes  nos  avons  en  cort  huse, 
525    Quant  en  se  pleint  de  forfeture 

Et  l'en  velt  en  avoir  droiture, 

Mostrer  l'estuet  par  tierce  rnein: 

Que  tel  porroit  d'ui  a  demein 

Fere  clamor  a  son  voloir 
530    Dont  autre  se  porroit  doloir. 

De  sa  feme  vos  di  reson: 

Celui  a  il  en  sa  prison, 

Quanqu'il  velt  dire  ou  tesir, 

Tôt  li  puet  fere  a  son  plesir 
535    Et  bien  mentir  a  escient. 

Ne  sont  mie  sofieient 

Itex  teiraoins  a  recevoir: 

Autres  lor  convendra  avoir.' 

Par  deu,  segnor'  ce  a  dit  Bruns, 
540    Des  jugeors  sui  je  li  uns. 

Puisque  nos  somes  ci  ensenble. 

Si  en  dirai  ce  que  me  senble. 

Dant  Ysengrin  est  connestables 

Et  de  la  cort  bien  est  creables. 
545    Mes  se  il  fust  uns  bareteres 

0  faus  0  traîtres  o  leres, 

Sa  feme  ne  li  poïst  mie 

Porter  teimoing  ne  garantie. 

Mes  Ysengrins  est  de  tel  non 
550    Que  s'il  n'i  oiist  se  li  non, 

Si  l'en  poïst  l'en  très  bien  croire.' 

'Par  foi'  fait  Baucen,  'sire,  voire. 

Mes  une  cose  i  a  encore  : 

En  vostre  foi  car  dites  ore.  36 

553    Qui  est  li  pires  ne  li  meudre  ? 

Chascun  se  velt  au  suen  aqeudre. 


525  plein  de  forche  fere  526  len  demande  droture  a  fere  527 
lestot  p.  terre  528  p.  oui  530  sen  534  pot  son  manque  542  moi  543 
es  544  est  manque  540  fox  548  teinioig  ne  ne  550  ne  o.  551  t°  b. 
554  f.  que  d. 


176  Va  (Méon  8535—8570) 

Se  vos  dites  que  Isengrins 
Est  li  meudres  de  ses  voisins, 
Renars  le  voudra  contredire 

560    Que  n'est  ne  moins  loiaus  ne  pire. 
Chascun  si  se  tient  por  prodome. 
Por  ce  vos  di  a  la  parsome  : 
Ce  ne  puet  estre  que  vos  dites. 
Donc  n'i  a  plus  coses  eslites. 

565    Chascun  porroit  tel  clamor  fere 
Por  sa  feme  a  teimong  traire, 
Et  dire  "cent  sols  me  devez," 
Dont  meint  home  seroit  grevez. 
Ce  n'iert  ja  fet  la  u  je  soie. 

570    Oissuz  estes  hors  de  la  voie. 
A  vos  me  tieng,  dan  Bricemer: 
Il  n'a  home  jusq'a  la  mer 
Qui  en  deïst  plus  sagement 
Ne  loiaute  ne  jugement.' 

575         'Seignor'  ce  dist  Plateax  li  deins, 
'D'autre  cose  est  ore  li  cleius: 
Que  messire  Ysengrins  demande 
Restorement  de  sa  viande 
Que  Renars  prist  en  sa  meson 

580    A  force  par  maie  reson. 

Et  qu'il  pissa  par  mal  respit 
Sor  ses  enfanz  en  sou  despit, 
Si  les  bâti  et  chevela 
Et  avoltres  les  apela. 

585    Et  a  ce  afiert  graut  amende. 
Se  dant  Renars  ne  li  amende 
Et  s'il  s'en  puet  einsi  estordre, 
Encor  s'i  voldra  il  amordre.' 
Et  dist  dan  Brun  'c'est  vérité. 

590    Honi  soit  et  deshonore 
Qui  ja  Renart  consentira 
Que  un  prodome  honira, 


560  loiau  563  pot  566  tiegmon  567  ce  .x.  me  571  tieg  574 
laiaute  578  Estroitement  581  mas  r.  582  en  son  ]  et  en  587  Et  ]  Car 
587  pot     588  mordre     591  Que 


Ya  (Môon  8571—8606)  1'^' 

Et  si  li  tondra  son  avoir, 
Si  n'en  porra  nul  droit  avoir: 
f.O.-)    Donc  auroit  il  borse  trovee. 
Ce  seroit  folie  provoe, 
Se  li  rois  son  baron  ne  venge 
Que  Ronars  honist  et  ledenge. 
Mes  a  tel  niorsel  itel  tece, 
600    Chaz  set  bien  qui  barbes  il  lèche. 
Et  ne  quit  pas,  sauve  sa  grâce, 
Que  noz  sire  s'ennor  i  face. 
Qui  s'en  aloit  ore  riant 
Et  Ysengrin  contraliant 
605    For  un  garçon,  un  losenger. 

Dex  me  laist  de  son  cors  venger! 
Por  deu  vos  pri,  ne  vos  soit  grcf 
Se  je  vos  fas  un  conte  bref 
Del  traïtor  félon  encrime, 
610    Con  il  concia  moi  nieïme. 

Renars  qui  molt  par  est  haïz, 
Avoit  dejoste  un  plasseïz 
Une  riche  vile  espiee 
Novelement  édifiée. 
615    Les  le  bois  avoit  un  manoir 
O  un  vilein  soloit  manoir 
Qui  molt  avoit  cos  et  jelines. 
Renars  en  fist  grant  dechiplines 
Que  bien  en  manja  plus  de  trente. 
620    Tote  i  a  tornee  s'entente. 
Li  vileins  fet  Renart  guetier. 
Ses  chens  avoit  fet  afetier: 
El  bois  n'ot  ne  sente  ne  triege 
Ou  il  n'oiist  cepcl  o  piège 
62:')    0  trebucet  u  laz  tendu 
0  rois  ou  roisel  estendu. 
Renart  greva,  qant  il  le  sot, 
Quant  a  la  vile  aler  ne  pot. 


594  Siro  p..noit  .Ion  a.      599  lece  600  Cl.at      barhc     601  sa  ]  uoz 

612pla8sez     614  et  .iof..e     622  aficliov  623  Ne!     624  ou  prl     625  tonde 

620  roinol  tcmUi 

.„ 12 


178  Va  (Méon  8007—8642) 

Dont  porpeusa  li  vis  diables 

630    Que  j'ere  grans  et  bien  voiables, 
Et  il  ert  petis  et  menuz: 
Si  seroie  einz  retenuz, 
0  fust  a  bois  o  fust  a  plein, 
Plus  tost  meïst  on  a  moi  mein, 

635    0  que  nos  fussion  ambedui: 
Ainz  tendist  en  a  moi  qu'a  lui, 
Et  je  meulz  i  fusse  atrapez 
Et  il  plus  tost  fust  escapez. 
Il  savoit  que  j'amoie  miel 

640    Plus  que  chose  qui  soit  sos  ciel. 
A  moi  vint  en  este  oen 
Devant  la  feste  seint  Johen: 
"Ahi"  fist  il,  "messire  Brun, 
Quel  vassel  de  miel  je  sai  un!" 

645    "Et  o  est?"   'Ches  Costant  des  Noes. 
"Porroie  i  ge  mètre  les  poes?" 
"Oïl,  je  l'ai  tôt  espie." 
Li  ble  estoieut  espie, 
Le  ble  trovames  tôt  covert, 

650    S'entrames  par  un  uis  overt. 
Les  une  granche  en  un  verger, 
La  nos  doiimes  herbergier 
Et  jesir  trestot  a  repos 
De  si  au  vespre  entre  les  chox. 

655    Celé  nuit  al  eserisier 
Deveion  le  vesel  brisier, 
Le  miel  manger  et  retenir. 
Mes  li  glos  ne  se  pot  tenir: 
Vit  les  jelines  el  pailler, 
660    Si  conmenca  a  bacllior. 

A  l'une  saut,  celés  crièrent. 
Li  vilein  qui  de  laienz  erent, 
Lievont  la  noise  par  la  vile, 
Tost  en  i  out  plus  do  deus  mile  : 


629  pensa       635  fossiou  anibedoui       637  je  ]  le       640  que       645 
costans     661   A  une       celea  ]  autres 


Va  (Méon  8643—8678)  179 

665    Vers  le  cortil  vindrent  corant 

Et  Renart  durement  huiant, 

Plus  de  quarante  en  une  lote. 

Ne  fu  merveille  s'en  ou  dote, 

Les  granz  galoz  m'en  sui  tornez. 
G70    Renars  s'en  fu  tost  detornez 

Qui  sot  les  pas  et  les  destorz, 

Sor  moi  verssa  tôt  li  estorz. 
Quant  jel  vi  trere  a  une  part, 

"Conment'  dis  je,  "sire  Renart, 
fi73    Yoles  me  vos  laissier  en  place?" 

'Qui  mielz  porra  fere,  si  face, 

Bau  sire  Brun  :  or  del  troter, 

Que  besoing  fet  vielle  troter. 

Fêtes  del  meulz  que  vos  porrez, 
680    Se  trenchanz  espérons  avez 

O  bon  cheval  por  tost  aler. 

Cil  vilein  vos  voudront  saler. 

Or  oiez  con  il  font  grant  noise. 

Se  vos  pelicon  trop  vos  poise, 
685    Ja  n'en  soiez  desconfortez: 

Il  vos  sera  par  tans  portez. 

G'irai  avant  a  la  cuisine, 

S'i  porterai  ceste  jeline. 

Si  la  vos  aparellerai: 
690    Dites  quel  savor  i  ferai." 

Li  traîtres  atant  s'eslese, 

Si  me  laissa  en  celé  presse. 

La  noisse  ala  si  engrennant. 

Li  chen  me  vindrent  au  devant:  87 

695    A  moi  se  lient  pelle  melle, 

Et  pilet  volent  conme  grello, 

Si  cornent  li  vilein  et  huient 

Que  li  champ  environ  en  bruient. 
Quant  oï  les  vileins  corner, 
700    Qui  lors  me  veïst  trestorner 


672  les  estorz       678  bosoig       683  Or  nuoK/iN'       686  tant        695 
seslient        697  corent 

12* 


180  V.a  (Méon  80.79-8714) 

Vers  les  mastins  tôt  abandon, 
Fouler  et  mordre  environ, 
Hurter  et  batre  et  desconfîre. 
Bien  poïst  por  vérité  dire 

705    Que  onc  ne  fu  veiie  beste 

Qui  de  chens  feïst  tel  tempeste. 
Molt  me  pensoie  d'els  desfendre, 
Quant  je  vi  les  piles  descendre 
Et  les  sajetes  bai-belees 

710    Chaoir  entor  moi  granz  et  lees, 
Et  vileins  venir:  si  m'en  part, 
Les  chens  guerpi  de  l'autre  part. 
Vers  les  vileins  ving  eslessicz. 
Atant  me  fu  li  chans  lessiez. 

715    N'i  ot  si  hardi  ne  si  cointe. 

Très  que  je  vers  eus  fis  ma  pointe, 
Qui  lors  ne  s'en  tornast  fuiant. 
Et  je  ving  un  d'aux  consuiant, 
A  terre  a  mes  picz  le  cravant. 

720    Un  autre  s'«n  fuï  avant 

Qui  portoit  une  grant  macue: 
Cil  que  je  ting  si  crie  et  hue. 
Et  il  retorne,  si  me  grève. 
A  deus  poinz  la  macue  levé, 

725    Tel  cop  me  dona  les  l'oreille, 
Que  je  chaï.  voille  o  ne  voillo. 
Quant  je  me  senti  si  qasse. 
Son  conpaignon  H  ai  lessie. 
Je  sailli  sus  et  il  s'escrient, 

730    Et  li  chen  a  moi  se  ralient. 
Si  me  sacent  et  me  decirent. 
Quant  li  vilein  entre  elz  le  virent, 
Estes  les  vos  toz  apoignant. 
De  lor  glaives  me  vont  poignant, 

735    Pierres  jetent,  sajetes  traient. 
Li  raastin  crient  et  abaient. 


706  f.  elp  têpeste  707  p.  dallfi-  <1.  711  vileins  J  ic  ui  si  mon  ] 
dautrfi  713  le  uilein  715  conte  716  q.  vers  mi  fcist  ma  peinte  719 
lenpeint     721  Que     722  tig     729  sescrie     733—736  manquent 


Va  (Méon  8715—8750)  181 

La  OU  j'en  pooie  uu  ateindre, 

Si  le  faisoie  a  force  geindre. 

Mes  durement  m'i  ont  plaie, 
740    Et  li  vilein  m'ont  esmaie. 

Vers  le  bois  conmencai  a  tendre 

La  ou  je  vi  la  presse  mendre. 

Si  m'en  estors  le  melz  que  poi. 

Eetenuz  i  fui  a  bien  poi. 
745    Mes  que  fuiant  que  desfendant 

Par  une  broce  en  un  pendant 

Maugre  trestoz  mes  enemis 

Fis  je  tant  que  el  bois  me  mis. 

Renars  li  ros  m'a  si  bailli 
750    Por  la  jeline  q'asailli. 

Ge  nel  di  pas  por  clamor  fere, 

Mes  por  essample  de  lui  trere  : 

Que  s'est  clame  sire  Ysengrins, 

L'autrier  se  repleint  Tiecelins 
755    Qu'il  le  pluma  en  traïson. 

Or  voloit  il  mètre  en  prison 

Tybert  le  chat  a  un  copel, 

Ou  il  redut  laissier  la  pel  : 

Et  puis  refist  il  bien  que  1ère 
760    De  la  mesenge  sa  conmere, 

Quant  il  au  baissier  l'asailli 

Conme  Judas  qui  deu  traï. 

Or  en  doit  conseil  estre  pris, 

Con  il  est  si  sovent  repris. 
765    Nos  i  avon  molt  grant  pecie, 

Quant  tant  li  avon  aluchie.' 
Li  ors  a  parle  longemeut. 

Li  senglers  li  a  dit  brement 

'Mosire  Brun'  fet  il,   cist  pies 
770    N'iert  pas  fines  as  premiers  trez. 

Encore  n'est  aconseûe 

La  clamor  qui  ci  est  venue. 


737  io  p.  738  ioindre  742  nieinilre  747  Maugron  754  Lautre  ior 
tiecelin  750  Or  le  uolenfc  m.  757  li  chas  761  il  manque  au  manger  762 
que  dex    767  ors  J  rois    770  au  premier    771  E.  ore  nest  conseue    772  que 


182  Ta  (Méon  8751—8786) 

Molt  seroit  sages  qui  sauroit 
Juger  d'un  conte,  et  il  n'auroit 

775    L'autre  partie  encore  ateinte. 
Nos  avon  oï  la  conpleinte: 
Renart  devon  le  conpleint  tendre, 
Et  l'un  droit  après  l'autre  rendre 
Tant  que  l'en  viengne  a  la  parsomme. 

780    En  un  jor  ne  fist  l'en  pas  Homme. 
Nel  di  pas  por  Renart  tenser, 
Mes  nus  ne  doit  a  ce  penser 
Que  nos  les  melomes  en  cort: 
Que  péchiez  seroit  et  grant  tort. 

785    Je  ne  sai  que  dire  en  doions 
Tant  que  ensenble  les  oions. 
Quant  Renars  ert  a  cort  venus, 
Icist  cleinz  sera  retenus 
Que  Ysengrins  a  ci  mené. 

790    Lors  a  primes  ert  ordene 
Conment  sera  de  l'araendise  : 
Par  jugement  i  aura  mise.' 

Ce  dist  li  singes  Cointereax 
'Mal  dallez  ait  cis  hatereax 

795    Se  vos  ne  dites  que  i  a.' 
Et  li  ors  respundu  li  a 
'N'estes  mie  trop  forsenez 
Quant  devers  Renart  vos  tenez. 
Entre  vos  deus  savez  asez  : 

800    Meius  maveis  pies  a  il  pasez, 
Si  fera  il  molt  bien  cestui, 
Si  l'en  velt  croire  vos  et  lui.' 
Le  singes  dist  qui  s'en  coroce, 
(Petit  li  est  de  ce  qu'il  groce, 

805    Moe  li  fet  por  plus  irestre) 

'Et  dex  vos  saut"  fet  il,  'bau  mestre! 
Or  me  dites  a  vostre  endroit, 
Que  en  dirieez  vos  par  droit?' 


774  del  c.    781  Ne     786  aions    792  iugement  laura    793  sa^es    795 
ne  manque     798  Que     800  Meint  m.  plet     804  est  sil  sen  coroce 


Va  (Méon  8787—8822)  183 

'8os  ciel  n'a  cort,  par  seint  Richier, 
810    Que  je  n'ossasse  aficher, 

Se  j'en  dévoie  estre  creûs, 

Que  trestot  cist  max  est  mous 

Par  dant  Renart  et  par  sa  cope, 

Et  Ysengrins  a  droit  l'encope. 
815    Et  qu'alon  nos  plus  atendant 

Quant  la  cose  est  venue  avant 

Que  il  est  pris  a  avoutere 

Nomeement  a  sa  conmere? 

Et  ice  derennent  vers  lui 
820    Ysengrins  et  Hersens  andui  : 

Por  droit  fust  il  ore  avenant 

Que  Renars  fust  pris  meintenant, 

Si  li  Hast  en  meins  et  piez, 

Et  fust  jetez  einsi  liez 
825    En  la  cartre  tôt  sanz  prologue. 

Ja  n'i  oiist  autre  parole 

Que  de  fuster  et  d'escoillier. 

Puis  qu'il  enforce  autrui  moiller, 

Ne  feme  curaune  ne  el, 
830    Neïs  se  c'estoit  un  jael: 

L'en  en  doit  ja  justice  prendre 

Que  autre  fois  n'i  ost  mein  tendre. 

Et  qu'est  donc  d'une  feme  espose 

Qui  dolente  en  est  et  hontose 
835    De  ce  que  ses  maris  le  sot? 

Et  qui  cuide  Ysengrin  si  sot 

Qu'il  oiist  plet  de  ce  meii 

S'il  ne  l'oiist  as  elz  veû? 

De  tant  est  il  plus  vergondez, 
840    Se  cist  mesfet  n'est  amendez, 

Des  que  Hersens  garant  li  porte. 

Dont  sai  je  bien,  justice  est  morte.'    38 

Dist  li  senglers  ci  a  descorde: 

De  pecheor  miséricorde! 


816  ert  821  ore  en  auant  823  en  ]  et  824  Et  le  ietast  825 
prologele  827  delcoillier  830  Nés  831  ne  d.  733  Nequeden  836  que 
c.  y.  li     840  mest'     841  De  ce  h.     844  pecheors 


184  Va  (Méon  8723—8856) 

845    I)"im  prodome  por  tel  forfet. 
Poi"  deu,  se  Renars  a  mesfet, 
Si  en  fêtes  aucune  acorde! 
De  grant  guerre  vient  grant  acorde. 
Li  lous  est  mendres  c'on  ne  crie, 

850    Par  petit  vent  ciet  il  grant  pluie. 
Renars  n'est  conveincuz  encore, 
Ancois  vendra  une  autre  ore. 
Dit  en  avez  vostre  plaisir, 
S'avez  perdu  un  bon  taisir.' 

855         Dant  Brichemer  fu  molt  voiseus, 
Ne  fu  jangleres  ne  noiseus 
Conme  li  autre  conpaignon. 
'Segnors'  fet  il,    ore  pernon 
Un  jor  de  cest  acordement. 

860    Renars  face  le  serement 
Et  l'amende  par  tel  devise, 
Con  il  a  Ysengrin  promise. 
Car  si  conme  li  singes  dit, 
Xe  por  mesfet  ne  por  mesdit 

865    Qui  n'est  aperz  ne  coneiiz 
Ne  droit  ja  estre  plet  tenuz 
D'ome  afiner  ne  de  desfere: 
Ainz  i  afiert  la  pes  a  fere. 
Et  primes  gardons  par  mesure 

870    Qu'il  ni  ait  point  de  mespresure. 
Une  cose  a  qui  molt  me  serre, 
Se  li  rois  n'est  en  ceste  terre. 
Devant  qui  cist  pies  soit  tretiez? 
Mes  se  Roïuaux  fust  haitiez, 

875    Li  cliens  Frobert  de  la  Fonteine, 
Cil  nos  en  metroit  hors  de  peine. 
En  li  a  bon  home  et  vrai, 
Ne  ja  home  ne  troverai 


846  Par  848  g.  est  iacorde  855  uoisels  856  noisels  Ajjrès 
863  le  msc.  ajoute  Et  dient  icest  bon  a  fere  Bon  seroit  entraus  .ij. 
pes  fere  863  Ausi  senglers  867  ne  ]  et  869  pernon  garde  870  poit 
(le  mespernure  871  c.  i  a  que  m.  raensere  872  Se  lun  ne  nest  873 
Tant  que  c.  p.  s.  ent'  eciez     875  chens  terri    877  et  mangue 


1  or^ 
Va  (Méon  8857-8892) 

Qui  ne  die  'tu  as  bien  fet." 
880    Devant  li  soit  ice  retret.' 
A  ce  se  sont  tuit  asenti, 
Nesun  d'ax  ne  s'en  repenti. 

Cil  consalz  ne  fu  plus  tenuz. 
Estes  les  vos  avant  venuz 
885    A  grant  joie  et  a  grant  baudor 
Devant  le  roi  el  consitor. 
Tuit  li  autre  vont  arestant 
Et  Bricemer  fu  en  estant. 
Sa  parole  a  conraenciee: 
890    Bien  l'a  dite  et  agenciee 
Si  conme  bons  reetoriens. 
'Sire   fet  il,  'nos  estions 
Aie  le  jugement  enquerre 
Selonc  la  guise  de  la  terre. 
895    Trove  l'avon  :  s'il  n'est  quil  die, 
Jel'  dirai,  puis  que  l'on  m'en  ]3rie, 
Volontiers,  sauve  vostre  grâce.' 
Li  lions  li  torue  la  face, 
Del  otroier  li  a  fet  signe, 
<,oo    Et  dant  Bricliemer  li  encline. 

'Segnors'  fet  il,  'or  m'entendez: 
Se  je  i  fail,  si  m'amendez. 
Ce  m'est  avis  que  nos  veïmes 
D'Ysengrin  qui  se  clama  primes, 
005    Que  tote  sa  droiture  auroit 
De  ce  que  demander  sauroit: 
Mes  il  li  covendroit  raostrer, 
Se  la  cose  voloit  prover. 
Soi  tierz  por  desriennier  son  droit 
910    A  jor  nome  o  orendroit. 
Puis  feimes  por  droit  ester 
Qu'il  ne  pooit  riens  conquester. 
Ne  tort  ne  droit  dont  riens  preist. 
De  ce  que  sa  feme  deïst. 

8^ae  882Neis.l.  se  r.  8«4  uroro  889  c-onmenco  8V.2  il  a 
uostre  sein«  893  Deuon  le  894  Au  iugement  de  .umtro  t.  89.»  8une 
901  Segnor     904  De  v.       claime     907  coucndroi     910  o  J  e 


186  Va  (Méon  8893—8928) 

ni5    Brun  et  Baucent  en  desputerent, 
Mes  cil  qui  avoc  els  alerent, 
Se  tindrent  plus  a  ma  partie. 
Or  est  la  cose  si  partie 
Que  chascun  aura  sa  droiture. 

920    Puis  gardâmes  en  quel  mesure 
Et  quant  en  sera  la  loi  dite 
Que  Ysengrin  cleint  Renart  quite. 
Ch'ert  diemenche  par  matin 
Devant  Roenel  le  mastin. 

925    La  manderon  Renart  qu'il  veingne 
Et  en  tel  guise  se  contiegne 
Que  sa  pes  face  de  par  de 
Si  con  nos  l'avons  esgarde.' 
Li  lions  respont  en  riant 

930    'Ja  par  les  seinz  de  Bauliant, 
Ne  fusse  si  liez  por  mil  livres 
Con  de  ce  que  j'en  sui  délivres. 
Or  ne  m'en  veoil  plus  entremetre, 
Ainz  lor  donrai  jor  de  pes  mètre 

935    Devant  Roenel  le  gaignon, 
En  qui  il  a  bon  conpaignon, 
Le  clien  Frobert  de  la  Fonteiuue 
Apres  la  messe  diemeine. 
Renart  covient  donc  qu'il  responde, 

940    Mes  avant  le  covient  semondre. 
Grinbers  li  tessons  i  ira 
Qui  de  nostre  part  li  dira 
Que  après  la  prosession 
Li  face  satifacion, 

945    Et  gart  que  riens  ne  contredie 
De  ce  que  Roenel  en  die.' 

A  cest  mot  se  sont  tuit  teû, 
Et  li  plus  joune  et  li  chenu. 
A  son  repère  va  chascuus, 

950    Brichemer  et  Baucens  et  Bruns, 


915  en  ]  i  920  gavdomes  923  Cliet  929  respondi  riant  931  .m. 
933  Ore  934  iiietnii  i.  de  p.  fere  942  Que  uostre  946  Ce  ce  950 
baucent 


Ya  (Méon  8929—8964}  187 

Et  dos  autres  une  partie. 

Et  quant  la  cort  fu  départie, 

Grimbers  va  son  message  fere. 

Droit  a  ^[alpertuis  son  repère 
1)55    Trova  Renart,  et  puis  li .  conte 

Conment  li  baron  et  li  conte 

L'ont  atorne  por  la  pes  fere  : 

Del  plet  sera  Roonel  mère, 

Gart  qu'il  i  soit,  li  rois  li  mande. 
960    Renars  dist  que  plus  ne  demande  : 

A  tans  i  ert  et  bien  fera 

Ce  que  la  cors  esgardera. 

Grimbers  s'en  va,  Renars  remeint. 

Or  li  convient  qu'il  se  demeint 
965    Plus  sagement  que  il  ne  seult. 

Mes  ne  lessa  qu'il  ne  s'orguelt: 

Ne  li  chaut  gueres  qui  le  hace, 

Ne  se  porquiert  ne  se  porchace, 

Conment  pregne  li  siens  aferes. 
970    Mes  Ysengrins  ses  averseres 

N'a  mie  sa  boche  en  despit. 

A  un  jor  devant  le  respit 

Yint  droit  a  Roenel  errant 

Qui  se  déduit  en  esbatant, 
975    Et  gist  es  pailles  a  grant  aise 

Devant  l'ostel  delez  la  haise. 

Ysengrin  vit,  si  s'en  eschive  : 

Mes  il  le  rapela  par  trive. 

Ysengrins  li  dist  doucement 
980    'Roonel'  fait  il,    or  m'entent! 

Conseil  sui  venus  a  vos  querre. 

Entre  moi  et  Renart  a  guerre. 

Que  il  a  molt  vers  moi  mospris. 

Clames  m'en  sui,  jor  en  ai  pris 
985    Apres  la  messe  diemenche. 

De  celui  qui  tant  set  de  gueucho. 


965  sasegement     968  por  quier     972  iors     976  ileuant  la     977  y. 
le  uit  si  Icuclino     978  p.  ire     980  dist     984  Clamer  meu  uois 


188  \a  (Méon  8965—9000) 

Renars  i  ert  par  tel  devise, 

Et  vos  seres  del  plet  justise. 

Et  l'en  m'a  dit  del  jugement 
990    Que  Eenars  par  un  serement 

Se  doit  devers  moi  escondire 

De  ce  que  je  li  saurai  dire. 

Or  si  vos  pri  con  mon  ami 

Que  vos  soies  del  plet  a  mi 
995    Tant  que  il  l'ait  reconeû. 

Tôt  est  clame  et  respondu. 

N'i  a  mes  autre  chose  a  fere 

Fors  porcascier  le  seintuere  : 

Mes  de  ce  sui  je  esgarez.'  39 

1000    Dist  Roeuel   ases  aurez 

En  ceste  vile  seinz  et  seintes, 

Ja  mar  en  ferois  tex  conpleintes. 

Très  bien  en  seres  conseilliez  : 

Que  je  serai  aparelliez 
1005    Fors  de  la  vile  en  un  fosse. 

Si  me  tendrez  por  enosse, 

Dites  que  je  sui  meenniez  : 

Je  me  jerrai  douz  recigniez, 

Le  col  ploie,  la  langue  traite. 
1010    La  soit  vostre  asenblee  fête, 

Renars  i  ert  et  vos  li  dites 

Qu'il  sera  bien  envers  vos  quites, 

S'il  puet  jurer  desor  ma  dent 

Qu'il  n'ait  mespris  envers  Hersent. 
1015    Se  tant  s'aproche  de  mon  groing 

Que  le  puisse  tenir  au  poing, 

Bien  porra  dire  ainz  qu'il  m'estorde, 

Ains  mes  ne  vit  seint  qui  si  morde. 

Et  se  de  ce  se  velt  retrere 
10-20    Que  il  ne  vegue  au  seintuere, 

N'eu  porra  toruer,  bien  s'i  gart: 

Que  je  aure  mis  en  esgart 

991  Son  994  ilel  \At't  J  de  moi  907  dire  999  sui  manque  le 
moite.  lOOIJ  coiisoilliicz  lUlli  pot  1017  mfsdorclo  1018  Que  a.  seint 
iHdiique      que     1020  u.  a  sa  matere 


Va  (Moon  9002—9034)  189 

De  tos  mes  meillors  conpaignons 

Bien  plus  de  quarante  gaignous 
1025    Des  plus  viaus  et  des  plus  félons. 

Donques  sera  Renars  trop  bons, 

Se  par  reliques  o  par  chiens 

Ne  puet  chaoir  en  mes  liens. 

Dex  vos  saut,  pensez  de  bien  fere!' 
1030        Ez  vos  Ysengrins  qui  repère 

Vers  la  forest  de  Joenemande. 

Molt  se  porquiert  et  molt  demande 

La  ou  a  nul  de  ses  amis. 

Wi  a  nul  messagier  tramis, 
1035    Mes  il  meïsmes  les  va  querre 

Et  en  bois  et  en  pleine  terre: 

Wi  remeist  cevelus  ne  cax. 

Dant  Bricliemer  li  senescax 

I  est  venuz  la  teste  droite, 
1040    Et  dan  Bruns  Tors  molt  tost  s'esploite: 

Baucent  le  senglers  vint  a  cort, 

Musarz  li  camels  i  acort. 
Li  lions  mande  le  lipart 

Qu'il  viegne  de  la  soue  part, 
1045    Li  tigres  vint  et  la  pantere, 

Et  Cointeraus  li  enchantere. 

Un  singe  qui  fu  nez  d'Espaigne, 

Cil  refu  avoc  la  conpaigue. 

Tant  fet  li  leus  qu'il  les  asenble. 
1050    Quant  il  furent  venu  ensenble, 

Molt  les  a  semons  et  proiez. 

'Bauz  seignor   dist  il,   ore  oiez! 

A  mon  plet  vos  ai  amenez  : 

Or  vos  pri  que  le  meintenez, 
1055    Puis  que  ci  estes  aune.' 

Et  li  estrange  et  li  prive 


1023  tôt  1028  pot  1031  ouers  1033  ou  il  a  1039  la  ]  molt 
1040  bron  1041  b.  le  camels  ua  1042  li  senglers  1045  tingres  u.  a  la 
platere  1046  cointerau  1049  T.  firent  que  les  leii  asenble  1051  prieez 
1054  q.  uos  le     1055  aunez 


190  \a    Méon  9035—9072) 

Et  tuit  cil  de  son  parente 
Li  ont  plevi  et  craante 
Que  ja  ne  seront  recraant 

1060    Des  que  il  ait  tôt  son  créant, 
Ice  jurent  a  tôt  le  moins. 
Bien  les  a  tos  entre  ses  moins. 
Einsi  a  sa  gent  atiree 
Et  trestoz  cels  de  sa  mesnee. 

1065    Quanqu'en  pot  avoir  par  prière 
Sont  aiine  a  sa  banere. 

Cel  jor  porta  son  gonfauon 
Li  putois  qui  Foinez  ot  non, 
Et  Tybers  li  chaz  vint  avoc 

1070    Qui  Renart  het:  et  ne  por  oc 
Molt  en  i  ot  de  par  Renart 
Qui  tuit  se  tieuent  de  sa  part. 
Mesire  Grinberz  en  fu  uns, 
Conques  ne  pot  amer  dan  Bruns: 

1075    Cosins  estoit  Renart  germeins. 
Cil  ne  li  pot  faillir  au  moins. 
?^e  Rosselez  li  escuirous 
Qui  n'estoit  mie  perecous, 
Ne  va  pas  coranr,  eins  i  trote: 

1080    Et  dame  More  la  marmote, 
Corte  la  taupe  et  dan  Pelez 
Li  raz  qui  fu  bien  apelez. 
Dant  Galopin  i  vint  li  lèvres, 
La  loirre,  la  martre  et  li  bievres, 

1085    Li  hiricons  et  la  mostele, 
Et  li  fures  pas  ne  s'i  ceille 
Que  il  n"i  viegne  fièrement, 
Quar  il  voudra  bardiement 
Renart  aidier  a  son  besoing: 

1090    A  lui  vint  il  et  sanz  resoing. 

A  l'asenbler  ot  molt  graut  presse. 
Renars  ne  fine  ne  ne  cesse, 


1065  Quanquen  en  pot  par  prierere  1068  qui  fu  maveis  liom  1070 
Que  1072  Que  1074  nen  brons  1078  poourous  1080  linotte  1084  m. 
r[  bieu^s     1086  formis     1087  uiegnent     1090  reison 


Ya  (Méon  9073—9108)  191 

Ne  cil  qui  avec  lui  alerent. 

Desq'a  la  vile  s'avalèrent 
1095    0  li  plez  doit  estre  teuuz. 

Ysengrins  i  est  ja  venuz. 

Il  et  Renars  ont  départies 

Lor  compaignes  en  troi  parties. 

Sire  Ysengrins  fu  en  la  pleigne 
1100    Et  Henars  devers  la  monteigne: 

Et  Roenel  qui  Renart  guete 

Le  col  ploie,  la  langue  trete, 

Contrefet  si  la  morte  beste 

Que  il  ne  muet  ne  pie  ne  teste. 
1105    Sor  le  fosse  s'est  areàtez. 

Toz  li  aguais  fu  porpensez 

En  un  verger  delez  la  soi 

De  cels  qu'il  ot  mande  o  soi, 

Bien  qu'entre  lisses  et  gaignons 
1110    Plus  de  cent  de  ses  conpaignons, 

Proisiez  et  esleiis  par  non, 

Qui  ne  heent  se  Renart  non. 
Brichemers  fu  ches  de  la  rote: 

A  lui  s'acline  la  cort  tote, 
1.115    Que  par  conmun  aseutement 

Fu  enparles  au  parlement. 

Tôt  premer  s'en  estoit  levez. 

'Renart'  fait  il,   vos  qui  devez 

A  Ysengrin  fere  escondit 
1120    Einsi  con  li  baron  l'ont  dit, 

Aprochez  vos  au  serement. 

Si  le  fêtes  delivrement. 

Nos  savon  bien,  se  li  ploiist, 

Ases  croire  vos  en  doiist 
1125    Sanz  le  jurer:  et  nequedent 

Yos  jurerez  desor  la  dent 

Seint  Roenau  le  rechingnie 

Qu'  Ysengrin  n'avez  engignie 


109<3  ert  1098  Les  c.  1104  mot  1106  propensez  1108  as  oi  1109 
qa'  manque  1111  P.  et  il  elleus  1112  Que  il  ne  1120  Ion  1123silli 
1126  iurrez     1127  reclingnie 


192  Va  (Méon  9111—9128.  9-U5— 9460) 

N'en  tel  maiiere  decoii  : 

1180    A  tort  en  estes  mescreû.' 

A  cest  mot  sait  Renars  en  place. 
Si  se  recorce  et  se  rebrace, 
Molt  s'apareille  vistemeut 
Come  de  fere  seremeut. 

1135    Toz  jors  sot  molt  Reuart  de  guiclie, 
One  n'eu  sont  tant  ne  clierf  ne  biche. 
Bien  aperçut  qu'il  iert  guetiez 
Et  que  Roenel  est  haitiez. 
Au  flanc  qu'il  débat  et  demeine 

1 140    Et  au  reprendre  de  s'aleine. 
Arrier  se  tret,  si  le  resoingne. 
Qant  Brichemer  vit  qu'il  s'esloingne, 
'Renart'  fait  il,    ce  que  puet  estre? 
Mètre  vos  covient  la  mein  destre       40 

1145    Sor  la  dent  Roenel  tôt  droit'. 
'Sire'  fait  il    o  tort  o  droit 
Me  covient  sivre  veirement 
Et  tenir  vostre  atirement 
Conme  cil  qui  muer  ne  l'ose. 

1150    Mes  je  voi  ci  une  autre  cose 
Espoir  que  vos  n'i  veez  mie. 
Talant  ai  que  je  le  vos  die: 
Mes  ne  puet  estre,  or  le  lerons.' 
Dant  Griuberz  ses  nies  li  tessons 

1155    Aperçut  bien  la  traïsou. 
Si  li  a  tret  autre  acoison. 
'Sire,  car  entendez  a  moi! 
Je  cuit  que  je  bien  vos  dirai 
Raison  et  droit  au  mien  espoir. 

1160    Dant  Renars  ne  doit  mie  avoir 
Presse  de  tote  celé  gent. 
Ne  seroit  mie  bel  ne  gent 
A  tel  baron  n'a  si  vaillant 
Qu'en  li  voist  sor  le  col  saillant. 


1132  Si  sesforce  si  se     llîi')  mo\t  wmiqKP     1141  Etriere     1143  pot 
11Ô3  pot     1157.  1158  manquent 


Va  (Méon  9461—9494)  193 

1165    Faites  vos  barons  esloingner 

Tant  que  il  se  puist  aprocher 

Au  nieius  devers  le  seintuere, 

Tant  que  il  puist  l'escondit  fere.' 

Dist  Brichemer   ne  m'en  gardoie. 
1170    Or  li  ferai  vidier  la  voie 

Tant  qu'il  puist  venir  et  aler.' 

Ses  homes  a  fait  avaler 

Et  trere  arere  plus  qu'eincois. 

Renars  a  fet  le  tor  gueincois 
117.')    Qui  n'a  cure  de  sejorner. 

Qant  au  reliques  dut  torner, 

D'autre  part  a  torne  sa  chère: 

Foï  s'en  est  li  mau  trechere. 

Renars  s'en  fuit  teste  levée 
1I8U    Par  une  viels  voie  chevee. 

Si  enemi  li  escrierent: 

Et  li  chien  qui  en  aguet  erent, 

Il  saillent  après  et  corurent. 

Ja  m'orrez  dire  qui  il  furent, 
ll^iô         Primes  i  cort  ainz  que  11  autre, 

Lance  levée  sor  le  fautre, 

Roonel  le  chien  dant  Frobert 

Et  Espillars  le  chien  Robert, 

Le  riche  vilein  del  plessie: 
1190    Icil  l'ont  premer  encauchie. 

Apres  revint  a  grant  esles 

Harpin  et  Moranz  et  Bruies, 

Espinars  et  Hurtevilein, 

Et  Rechignie  le  chien  Gilein, 
1195    La  feme  Erart  le  drapier. 

Apres  se  metent  el  frapier 

Afaitie.  Gorfaut  et  Tirant, 

Foillet,  Lovel  et  Amirant 


llfifi  quils  p.     1178  a.  et  p.  qua  cincois     1183  corirent     1184  Et 
si  arrois  comment  il  firent       1186  foutre       1187    fobert       1188    espillar 
mobert       1189  Li      11 90   Cil  les  ont  p.      1192  bruiers      1193  espinar 
1195  erac     1196  el  sentier 


KEN'ART      I 


13 


194  Va  (Méon  9495—9529) 

Clei-mont  i  fu  et  Oliviers, 

1200    Le  chien  Macare  Deriviers. 
Apres  i  cort  Cornebrias 
Et  Herbouz,  Ferin  et  Prias, 
Brise  bois,  Fricans  et  Voisiez, 
Liepart,  Tisons  et  Escoilliez. 

1^205    Cortin  i  cort  après  Rigaut, 
Et  Passeleve  et  Gringaut, 
Loiher,  Passe-outre  et  Fillart; 
Et  Estormi  et  Yaculart, 
Li  chiens  sire  Tibert  del  Fresne: 

1210    C'est  celui  qui  miels  se  desresne. 
Qui  plus  tost  va  et  miels  le  chace. 
Apres  se  metent  en  la  trace 
Filez,  Chapez  et  Rechigniez, 
Pastor,  Ester  et  Engigniez, 

1215    Escorchelande  li  barbez 
Et  Yiolez  li  malflorez. 
Et  Oiselez  et  Grésillons, 
Eclariax  et  Esmerillons, 
Chanus  et  Morganz  et  Vergers, 

1220    Et  Passe-avant,  Outrelevriers. 
Apres  i  est  corus  Bolez, 
Porchaz  et  Poignant  et  Malez, 
Et  le  chien  Rainbaut  le  bocher: 
Se  cil  puet  Renart  aprocher 

1225    Que  il  le  puisse  as  denz  aerdre, 
Toz  soit  soùrs  de  la  pel  perdre. 
Apres  i  sont  poignant  venu 
Hopitax  et  Trotemenu, 
Et  Folejus  et  Passemer 

12:30    Qui  vint  devers  Pont  Audemer. 
Tuit  icil  furent  conpaignon. 
Bien  s'aroterent  11  gaignon  : 
N'i  a  un  sol  qui  ne  s'en  isse, 


1202  h'  b'eiipz  1204  L.  et  t.  et  coilliez  1210  desi-iegne  1211 
trace  1216  li  J  et  1218  et  nunniHe  1220  passa  auaiit  autreleibers  222S 
icanbaut     1224  pot 


Va  (Méon  9530—9563)  195 

Et  après  els  ne  remeint  lisse 
1235    Qui  ne  crit  et  ne  face  noise. 

Si  i  acort  Baude  et  Foloise, 

Coqillie,  Briart  et  Sebille, 

Et  la  lisse  desoz  la  vile. 

Apres  i  cort  Fauve  et  Bloete, 
1240    Cloete,  Brechine,  Morete, 

Et  Malignouse  et  Malparliere, 

Qui  fu  Robert  de  la  ^larlere 

Et  Genterose  et  Primevoire 

La  lisse  qui  fu  au  provoire, 
1245    Pinconete  qui  si  se  peine 

De  Renart  tenir  en  demeine. 

Renart  ne  lesse  retorner, 

Qui  meint  tor  li  a  fet  torner 

Ainz  que  poûst  au  crues  venir: 
1250    Molt  se  peine  del  retenir. 

Ysengrin  va  les  chiens  huiant: 

Et  se  Renars  s'en  va  fuiant, 

Ja  n'i  doit  l'en  nul  mal  noter, 

Que  besoing  fet  vielle  troter. 
1255    A  l'oralle  du  bois  menu 

Li  en  sont  qatre  avant  venu, 

Trenchant,  Bruamont  et  Faïz: 

Renars  qui  molt  estoit  haïz 

Ot  ici  grant  peor  de  mort, 
1260    N'avoit  en  soi  nul  reconfort. 

Toz  jors  est  bien  Renart  choii, 

Mes  or  li  est  si  mescoii: 

Ne  li  ourent  mestier  ses  bordes, 

Que  n'en  volassent  les  palordes. 
1265    Tant  ont  li  chien  Renart  pelé 

Et  desachie  et  d étire, 

Que  en  bien  plus  de  treize  leus 


1235  f.  grant  n.  1237  cogille  1239  floeto  1240  Hoete  1251 
ses  c.  huant  1253  nul  manque  1255  dun  1256  I'\uit  il  lire  troi?  1258 
qui  tu (I tique     1266  Pelé  et  d.  et     tire 

13* 


196  Va  (Méon  9564—9568) 

Li  est  aparissanz  li  jeus. 
A  la  parfin  l'ont  tant  mené, 
1270    Tant  travellie  et  tant  pêne: 
Tant  l'ont  foie  et  debatu, 
Qu'en  Malpertuis  l'ont  enbatu. 


1268  aparissaz 


VI  (Méon  13465—13490.  13547-13556) 


VI 


Mesire  Nobles  le  leons  41 

0  soi  avoit  toz  sez  baronz: 

Trois  jors  ot  ja  sa  cort  tenue, 

Bien  l'ont  li  baron  meintenue. 
5    Venu  i  sont  de  meinte  terre 

Senz  ce  qu'il  les  envoiast  querre: 

Venu  i  erent  tuit  ensemble 

Fors  sire  Renart,  che  me  semble. 

Cil  n'i  voloit  mie  venir 
10    Ne  la  cort  lo  roi  maintenir. 

Si  avoit  auques  de  raison, 

S'il  le  lessoit  por  l'acheson 

Et  por  la  peine  et  por  la  dote 

De  ce  qu'il  ne  l'amoient  gote. 
15    La  gent  lo  roi  n'iert  mie  coie, 

Eiijz  meinent  grant  bruit  et  grant  joie. 

Grant  joie  font  par  le  pales 

Et  chantoient  et  song  et  lais, 

Et  sonent  tinbres  et  tabors. 
20    Tuit  i  sont  fors  Renart  le  ros. 

Dont  meinte  chamor  est  meiie. 

Li  rois  quant  sa  gent  fu  venue, 

Conmande  que  joie  aient  tuit. 

Con  cil  qui  est  de  grant  déduit 
25    A  haute  voiz,  a  longe  aleinc 

De  bien  chanter  chascun  se  peine  : 


4  meintenuee     14  que  il     21  uenue     23  que  il  oient     25  O  —  o 


198  VI  (Méon  13557—13621) 

L'uns  a  l'autre  son  chant  avale. 

Atant  es  vus  devant  la  sale 

Danz  Grimberz  qui  Renart  ameine: 
30    Atret  l'i  a  a  molt  grant  peine. 

Par  tens,  si  conme  nos  cuidonz, 

Li  ert  rendus  ses  guerredonz. 

S'or  ne  set  molt  Renars  de  frape, 

Il  est  chaoit  en  maie  trape  : 
35    Car  meinte  fois  a  fet  la  muse 

Ysengrin  qui  au  roi  l'encuse. 

Renars  a  l'entrer  de  la  porte 

Vet  reculant:  molt  le  conforte 

Grinbers  et  dit   n'aiez  poor. 
40    Mes  de  dous  maus  pren  le  meillor! 

Se  tu  te  tornoies  de  ci, 

Ce  pues  tu  bien  savoir  de  fi: 

Veilles  ou  non  retorneras, 

Vers  le  roi  gandir  ne  poras. 
45    Renart,  ne  t'esmaier  tu  mie! 

Nus  ne  set  con  longue  est  sa  vie. 

Renart,  soies  de  bel  senblant: 

Car  un  jor  vault  mielz  que  uns  anz. 

Coart  dote  tos  jors  la  mort. 
50    Renart,  soiez  de  bon  confort! 

Fortune  secort  les  hardiz, 

Si  conme  conte  li  escriz. 

Renars  ot  que  cil  li  sarmone^ 

Et  que  molt  bon  conseil  li  donc  : 
55    El  paleis  s'en  entrent  ades, 

Grinbers  avant,  Renars  après. 

Renars  ne  senbla  pas  vilein. 

Son  cosin  tenoit  par  la  mein: 

La  presse  diront  et  départ, 
60    N'i  a  celui  qui  ne  l'esgart. 

Devant  lo  roi,  conme  einz  le  vit, 

S'ajenoUa,  puis  si  a  dit 

'Rois,  dex  le  filz  seinte  Marie 

37  lentree     41  cin     42  fin     49  totens  sa     55  entre     61  cint 


VI  (Méon  13622—136603  199 

Yos  gart  et  vostre  conpaignie!' 
65    Forment  sa  parole  en  argue, 

Et  ne  porquant  si  le  salue. 

Meuz  vousist  estre  aillors  toz  nuz 

Qu'au  roi  rendist  ices  saluz. 
Li  baron  sont  tuit  en  repos, 
70    Par  la  sale  n'i  a  tant  os 

Qui  i  face  ne  bruit  ne  noise. 

Li  rois  pp,rla,  Renars  s'aqoise. 

Si  li  a  dit  par  félonie 

Ces  saluz  ne  vos  ren  je  mie, 
75    Rous  ennuies  de  pute  foi: 

Einz  remandroiz  anuit  o  moi. 

Einz  que  issiez  de  cest  ostage. 

Nus  lairois  vos  ce  quit  bon  gaje, 

Au  mains  cele  rose  police. 
80    Quant  estoies  dedens  ta  lice, 

Ne  quidoies  mes  repairer. 

Tôt  le  mont  quidiez  engignier: 

Tant  conme  torna  ta  roele. 

Nos  as  servi  de  la  favele. 
85    Mes  meinte  fois  ei  oï  dire 

Qu'après  grant  joie  vient  grant  ire 

Et  après  mol  vent  vente  bise. 

Tant  va  pot  a  l'eve  qu'il  brise  : 

Or  quit  je  bien,  sire  Renart, 
90    Qu'il  est  brisiez  de  vostre  part.' 
Li  rois  parla  (Renars  escote) 

Et  a  dit  que  sa  gent  l'ot  tote  : 

Renart'  fait  il,   a  ton  viaire 

Senbles  bien  home  debonaire. 
95    Bien  pert  as  tez  quex  est  li  poz, 

Que  tu  es  plus  enfles  que  boz. 

Unques  nul  jor  ne  feïs  bien. 

Renart,  molt  a  en  toi  enging. 


71  le  premier  na  luinnjiie  73  l'uis  li  76  anuit  ]  anclmis  77  isoiez 
79  A  utri  eins  81  m.  a  r.  8-4  a  86  Quen  a.  87  a.  nocl  vente  88 
quen  b.     89  bien  ]  molt     94  bom     95  a  cez     96  Que  tu  es  j  R.  est 


200  VI  (Méon  13661—13706) 

Por  ce  que  m'as  tant  engingnie, 

100    Et  Ysengrin  tant  corocie 

Et  por  ce  que  Tyberz  li  chaz 
Par  ton  engin  fu  pris  au  laz, 
Et  Bruns  li  ors  par  mi  le  groing 
El  cesne  dont  ostas  le  cuing: 

105    Tel  guerredon  t'en  ferai  rendre 
Que  as  forches  te  ferai  pendre.' 
Renars  sot  molt  d'afetement, 
Si  respondi  molt  gentement: 
'Bau  sire,  sauve  vostre  grâce, 

110    Unques  ne  fui  de  celé  estrace 
Qu'a  mon  segnor  face  contrere 
Ne  chose  que  ne  doie  fere. 
Je  sui  vostre  hom  et  vos  mi  sire: 
De  moi  ne  deves  cose  dire 

115    Qui  estre  me  puise  a  nuisance. 
Mes  bien  estes  de  tel  puissance, 
Jeter  me  poes  de  la  terre  : 
Ne  puis  pas  sofïrir  vostre  guerre. 
Molt  par  redot  mes  enemis. 

120    Molt  me  poise,  se  g'ai  mespris 
De  rien  qui  a  vos  apartiegne. 
Mes  non  ei  pas,  dont  me  soviegne. 
Tel  vos  ont  fet  le  mal  entendre 
Et  conte  por  moi  entreprendre, 

125    Qui  ne  l'oseroient  prover. 
Mencoingne  poent  il  trover: 
Mes  au  voir  dire  sai  je  bien 
Que  je  n'ei  entrepris  de  rien. 
James  prodome  n'iert  amez, 

130    Li  plus  loiax  est  plus  blâmez: 
Fous  est  qui  mes  dit  vérité. 
Plusors  en  sont  deserite 
Et  de  terre  jeté  a  tort. 
Li  menteor  sont  li  plus  fort. 


100   Est       101  p.  ec  est  t.        106   ten   f.       108  r.  si  g.       116  M. 
beaus  e.      117  Quoster     131   ueritez     132  deseritez     134  sort 


YI  (Méon  13707—13744)  201 

135    Nus  ne  vos  devroit  tant  descoivre 

Que  ne  doiissiez  apercoivre, 

Qui  menconge  vous  fait  acroire  D37b 

Et  qui  vous  conte  chose  voire. 

Yint  ans  a  que  me  conneiistes. 
140    Mais  onques  mais  home  n'eiistes 

Qui  pour  vous  ait  tant  paine  eue. 

Encor  en  ai  la  char  rompue 

Des  granz  travax,  ce  est  la  somme, 

Quant  je  pour  vous  alai  a  Romme, 
145    A  Salerne  et  a  Monpellier 

Pour  la  mecine  apareilîier 

Qui  bone  estoit  au  mal  saner 

Qui  vous  faisoit  forment  pener. 

Sire,  mestier  vous  ai  eii.' 
150    Ce  dist  Grimbers   c'est  deceû. 

Qui  dist  que  vers  vous  ait  mesfet. 

Pour  rien  nel  voudroit  avoir  fet, 

Molt  est  vilains  qui  ce  retrait.' 

Nobles  son  corage  a  refait. 
155    'Grinbert'  fait  il,   moult  bien  as  dit. 

Bien  otroie  qui  ne  desdit. 

C'est  vertez  que  mandai  Renart  : 

Tybert  i  fu  de  moie  part 

Qui  bien  li  dist  qu'a  court  venist, 
160    Ne  pas  en  desdaing  nel  tenist. 

Renars  qui  scet  de  fauve  anesse 

Et  de  mainte  fausse  promesse, 

Respondi  que  bien  le  feroit 

Et  qu'o  lui  a  la  court  iroit. 
165    Renars  fist  del  aler  semblant  : 

Tybers  vint  son  chemin  enblant. 

Quant  il  furent  a  une  ville, 

Renars  qui  sot  de  mainte  guile, 


135  Nos  Les  vers  137 — 270  mcniqiienf  dans  A:  ils  sont  siqjph'és par 
le  tnsc.  D.  138  Ou  q.  139  a.  que  uous  me  connistes  140  ne  uistes  141 
t.  (le  p.  143  Du  grant  trauail  144  P.  u.  q.  ie  aloie  145  a  casu  147  sener 
154  Son  corage  a  noble  retrait  155  R.  157  vérité  160  a  161 
fausse     164  qu'o  ]  pour     166  errant     167  en 


202  VI  (Méon  13745-13780) 

Sot  l'ostel  qu'a  un  prostré  estoit 

170    Qui  pour  lui  form'ent  se  guaitoit. 
En  sa  meson  n'ot  nule  entrée 
Fors  un  bouet,  quant  fu  fremee: 
La  ot  tendus  las  pour  lui  prendre. 
Renars  fist  a  Tybert  entendre 

175    Par  iluec  i  soloit  venir 
Et  aus  gelines  avenir, 
Et  tant  i  a  souriz  et  ras. 
Bien  en  puet  on  pestre  cent  chas. 
Tybert  cuida  que  voir  deïst. 

180    De  grant  folie  s'entremist: 
Car  au  partir  se  tint  pour  fol. 
Li  las  11  des  cent  sor  le  col. 
Il  ne  sot  tant  bouter  ne  traire 
Que  d'ilec  se  poïst  retraire. 

185    Cil  qui  s'estoient  entrerais 

Des  laz  faire  ou  il  l'orent  pris. 
Quant  oient  qu'il  i  ot  prison, 
L'un  porte  un  pel,  l'autre  un  baston. 
Et  Renars  se  met  a  la  voie 

190    Qu'il  n'a  talent  que  l'en  le  voie- 
Tybert  bâtent  et  donnent  cous, 
Li  laz  ront  ou  tenoit  li  cous. 
Des  que  Tybers  se  sent  a  terre. 
Les  grenons  dresce  et  les  dens  serre. 

195    Si  li  avint  belle  aventure 
(N'avint  si  belle  a  criature) 
Que  li  prostrés  y  est  venuz 
Deschaus,  sanz  braies  et  touz  nus: 
Yint  a  Tybert,  sel  vot  ferir. 

200    Cilz  guenchist  qui  se  voult  garir, 
Le  provoire  a  la  coulle  prent 
Si  que  de  rien  n'i  cntreprent: 


169  qu'  manque  ostuit  j  droit  171  nule  ]  que  une  175  ilecques 
s.  177  Aus  g.  ot  il.  179  cuda  Après  179  Et  que  nul  mal  ne  li  queist 
Tout  estendu  dedons  se  niist  ISl  Que  182  Le  1  le  tint  parmi  le  185 
Que  dilec  sestoit  e.  188  1>'S  deux  un  maïK/ueiit  190  Ion  J  nulz  200  sen 
201  aus  coulles 


VI  (Méon  13781—13816)  203 

Bien  sache,  et  ce  est  la  voire, 

Le  plus  de  la  coille  au  provoire 
205    Menja  ainz  qu'issist  de  l'ostel, 

N'eschapa  mais  Tybers  d'autel. 
La  prestresse  est  toute  esbahie 

De  la  coille  qui  est  perie. 

"Lasse"  fait  ele,  "malvenue  ! 
210    Ne  serai  mes  chiere  tenue. 

Missire  a  perdue  ma  joie 

Pour  quoi  chiere  tenue  estoie. 

Or  n'aura  il  mais  de  moi  cure 

Que  il  a  perdu  l'ambleiire. 
215    Or  sai  bien  qu'il  me  guerpira. 

Quant  il  aider  ne  se  pourra. 

Si  sui  je  plus  tristre  et  dolente. 

A  joie  ai  tenu  ma  jovente: 

Il  me  donnoit  les  bons  mengiers 
220    Et  les  biaus  draps  molt  volentiers. 

Or  sai  bien,  faillir  m'i  estuet  : 

Grant  chose  a  en  faire  l'estuet. 

Messire  a  perdu  hardement: 

Li  chas  l'a  servi  malement." 
225    En  ce  qu'entre  euls  mainent  leur  duel, 
^       Tybert  s'en  ist  par  un  bouel. 

Renars  s'en  fu  pieca  partiz: 

Si  fu  li  gieus  mal  departiz. 

De  ceste  chose  a  fait  sa  plainte 
230    Tybers:  des  autres  i  a  mainte. 

Bruns  se  replaint  qu'il  le  fist  batre 

Ou  chesne  ou  il  le  fist  embatre. 

Que  charpentiers  orent  ouvert 

Et  laissie  tout  a  descouvert: 
23Ô    Dist  li  que  miel  avoit  dedens. 

Il  i  cuida  mettre  les  dens. 

Son  groing  i  mist  et  enbati 

Tant  que  les  coins  en  abati. 


203  sai  est  bien  la  205  q  issist  20B  .R.  219  biaus  225  deul 
226  issi  boieul  228  s;,  moult  m.  partiz  231  qui  h;  235  li  ]  il  miex 
236  cuidoit 


204  VI  (Méon  13817— 13850) 

Onques  des  coins  n'i  lessa  un: 

240    Par  mi  le  groing  retint  dant  Brun. 
Or  fu  li  laz  en  grant  doulour, 
Toute  ot  perdue  sa  couleur. 
Renars  ne  fist  fors  que  sorrire, 
Quant  il  le  vit  en  tel  martire, 

245    Et  dist  a  Brun   "mengez  assez 
Tant  que  soiez  bien  saoulez: 
Li  miex  est  vostre,  jel  vos  laiz 
Et  je  m'en  vois  a  grant  ellaiz. 
Moult  fet  0  vous  mauvais  aler, 

250    Ja  ne  m'en  orrez  mais  parler. 

J'ai  non  Renars,  biax  sire  Bruns. 
Ci  n'est  pas  li  gaains  conmuns: 
Vous  voulez  tôt  avoir  sanz  faille. 
Ja  n'en  ferai  vers  vous  bataille, 

255    Ainz  le  vous  clamerai  tout  quite: 
Je  n'ai  mester  de  faire  luite." 

Quant  ramposnes  ot  assez  faites, 
LoufFes  et  moes  pluseurs  traites, 
Tournez  s'en  est,  ne  vot  plus  dire. 

260    Mais  Bruns  n'en  ot  talent  de  rire: 
Le  groing  estraint  et  sache  et  tire, 
Nel  puet  avoir  s'il  nel  descire. 
N'estoit  pas  du  tôt  a  son  chois. 
Li  forestier  viennent  au  bois. 

265    Vint  et  deux  furent  en  la  route. 

Quant  voient  l'ours,  l'uns  l'autre  boute: 
"Je  voi  un  ours"  dist  li  premiers. 
"Or  i  parra,  frans  forestiers: 
Que  bien  sai,  aidier  ne  se  puet. 

270    Or  le  prenons,  faire  l'estuet." 

Quant  Bruns  li  ors  les  ot  venir,         A  42 
Dune  ne  se  pot  plus  atenir: 


245  d.  que  il  meniast  a.  246  T.  q.  il  fust  253  Vous  le  uolez  a 
.1.  faille  256  lite  260  mais  manque  b.  en  ot  pas  261  gros  262  Mais  il 
nen  puet  partir  sanz  ire  263  choiz  264  forestiers  266  lun  269  Qui 
set  b.  faire  aidier  se     127  le  nisc.  A  recommence. 


VI  iMéon  13851—13890)  205 

Einz  sache  a  soi  par  tel  aïr 

Que  tôt  le  cuir  fet  départir 
275    D'entor  son  groing  et  de  ses  poes. 

N'en  remeist  point  entre  ses  joes. 

Mes  eins  que  il  s'en  fust  ostes, 

Li  ont  molt  batus  les  costes 

De  macues  et  de  bastons. 
280    Issus  s'en  est  a  reculuns. 

Renart  l'a  tenu  por  vilein: 

Hasard  jeta  arere  mein. 

Fuiant  s'en  vet  a  longe  aleine, 

Mes  molt  ot  ancois  sofert  peine. 
285    Einsi  servi  Renars  mon  home, 

Par  les  seins  que  l'en  quert  en  Rome. 

Apres  se  mist  Renars  en  ese. 

Ne  laissa  pas  por  sa  mesese: 

Quant  vint  au  trespas  d'une  rue, 
290    Une  grant  ransprone  li  rue. 

"Baus  sire  Bruns,  e  car  me  dites, 

Se  iestes  moines  ou  ermites 

Et  se  messe  chanter  savez, 

Quant  vos  si  grant  corone  avez. 
295    Molt  par  aves  vermeil  le  chef." 

Renars  li  fist  itel  meschef. 

De  ce  a  fet  dans  Brun  son  pleint. 

Et  la  messenge  se  compleint: 

Qar  qant  ele  le  volt  besier 
300    Et  a  lui  se  volt  apaier, 

Les  denz  jeta  por  lui  conbrer: 

Ensi  la  voloit  enconbrer. 

La  li  orent  ses  eles  oes  : 

Arere  sailli  en  son  crues. 
305    Molt  par  fesoit  grant  deverie, 

Quant  vers  lui  pensoit  tricherie. 

Meinte  traïson  li  a  fête, 

Prendre  le  cuida  en  sozhaite: 


275  ioes     277  fust  ]  soit      278  M.  li  ont      280  Enaus      301  courer 
grans     307  a  il 


206  VI  (Méon   13891—13931) 

Ele  estoit  en  foi  sa  conmere 

310    Et  si  le  tenoit  por  conpere. 
For  ce  di  qu'il  n'est  pas  leaus. 
La  se  contint  con  desloiatis. 
Qui  si  poil  voit,  nel  doit  pas  croire: 
Par  nature  fet  a  mescroire. 

315         Dame  Pinte  se  rest  clamée, 
Qui  est  de  meinte  gent  amee, 
De  sa  seror  dame  Copee 
Que  Renart  li  a  escropee, 
Et  cinc  mortes  de  ses  sorors. 

320    Dont  sis  cors  est  eu  grant  dolors. 
Grant  mal  a  fet  a  meinte  gent: 
Ja  ne  por  or  ne  por  argent 
Nel  doit  l'en  laissier  a  jugier 
Pur  ses  félonies  vengier. 

3J5         Li  corbaus  rest  a  cort  venuz 
Et  dist  que  droit  li  soit  tonuz 
De  Renart  qui  prist  son  formage 
Et  après  fist  si  graut  utrage 
Que  o  les  denz  le  volt  sesir. 

330    Mes  n'en  fist  pas  tôt  son  plesir: 
Cil  s'apcrcust  qu'il  le  volt  prendre, 
Si  s'en  torna,  nel  volt  atendre. 
Renars  qui  set  de  tantes  frumes, 
Li  esracha  quatre  des  plumes. 

335    Bien  le  cuida  avoir  sopris 
Par  son  euging  et  entrepris  : 
Il  disoit  ce  qu'il  avoit  pUiie, 
Mes  de  lui  ot  maie  manaie. 
Ne  vos  porroie  pas  retrero 

340    Les  mais,  le  honte,  le  contrere 
Que  dan  Renars  a  fet  aillors 
A  Ysengrin  et  a  plusors. 

Yseugrins  s'est  a  moi  clames 
De  Renart  qui  tant  est  blâmez, 

345    Que  sa  feme  li  a  maumise 


310  si  ]  el      311  beaus      318  lauoit  iloscropee     340  mal      345  Qui 


VI  (Méon  13932—13977)  207 

Et  SOI-  lui  a  sa  forche  mise 

Si  vilment  et  en  tel  manere 

Com  sor  une  autre  chamberere  : 

Toz  ses  pensez  i  sont  fornis. 
350    Se  droit  n'en  ai,  toz  sui  honis. 

Si  ne  veil  que  ma  gent  me  hace, 

Droit  me  convient  que  je  li  face. 
Danz  Roonaus  li  viels  mastins, 

Qui  reset  de  plussors  latins 
355    Et  qui  molt  a  fier  le  corage, 

Se  rest  clames,  quant  el  messaje 

L'avoie  tramis  de  ma  part 

Qu'il  me  feïst  venir  Renart, 

Donc  li  fist  Renars  si  grant  honte. 
360    Que  je  n'en  sai  tenir  le  conte. 

Mes  bien  ai  oï  la  querele 

De  qoi  danz  Roonaus  l'apele. 

Ce  dit  que  par  sa  traïson 

Le  fist  retenir  en  prison. 
365    Amuser  le  sot  par  parole. 

Ce  li  dist  de  la  cooignole 

Que  uns  vileins  avoit  tendue 

Lez  une  voie  defFendue, 

Que  la  gisoit  un  seintuaire 
370    Qui  ert  apele  seint  Ylaire, 

Et  bien  entendre  li  a  fet 

Qu'iloc  redrecent  li  contret. 

Cil  ne  sont  pas  l'autorité, 

Pensa  qu'il  deïst  vérité. 
375    Ne  se  sont  pas  contregarder. 

Renars  que  l'en  devroit  larder 

Tant  li  fist  par  engin  acroire 

Que  cil  tint  sa  parole  a  voire, 

Qui  tant  sages  estre  soloit: 
380    Nus  n'est  si  sages  ne  foloit. 

A  l'abessier  vit  le  formaje 


353  noonaus     3G7  lauoit     368  Liez  u.  u.  a  ostendue     369  la  ]  iloc 
370  elaire     379  Que 


208  VI  (Méon  13978—14008.  14107—14113) 

Qui  li  fist  rendre  le  paage. 

Ne  velt  laissier  que  il  n'i  morde. 

Au  resacher  estreint  la  corde 

385    Qui  desor  le  col  li  dévale 

Ausi  destroit  con  nef  qui  haie. 
Cil  monte  amont  et  se  detorne. 
Mes  Renars  qui  point  ne  sorjorne 
Et  qui  l'a  mené  conme  fol, 

390    Le  laissa  pendre  par  le  col. 

Renars  li  ros  (que  malfu  Tarde!) 
Li  dist  que  des  vignes  fust  garde. 
Bien  fu  li  mastins  descoûs. 
Des  gardes  fu  aperceûs  : 

395    0  macues  et  o  barreaus 

Li  ont  bien  aune  ses  buraus. 
Hoc  ont  tant  le  las  batu 
Que  a  terre  l'ont  abatu: 
Ne  bret,  ne  crie,  ne  ne  muet, 

400    Sinplement  contenir  l'estuet. 
A  grant  peine  en  escapa  vis, 
Si  con  il  dit,  jel  vos  plevis. 
Molt  devroit  l'en  Renart  destruire, 
Toz  li  mondes  le  devroit  nuire 

405    Qui  si  baillist  la  bone  gent. 
Ja  n'en  prendroie  or  ne  argent 
Que  nel  destruie  o  nel  pende. 
Se  il  n'est  tex  qu'il  se  défende: 
Honte  m'a  fet  et  vileinie, 

410    Trop  ai  sofert  sa  félonie, 

Renart,  tôt  ce  aves  vos  feit, 
Cui  baux  en  est,  mal  deliet  ait! 
Toz  jorz  nos  aves  fet  moleste, 
De  vos  se  pleiut  chascune  beste. 

415  Mes  par  ma  barbe,  se  je  puis 
Et  je  en  mon  conseil  le  truis, 
Quant  vos  de  ci  escaperois. 


384  gorge     385  desoz     387   C.  somont  et     388  ni     393  fu  manque 
408  que  il 


Vî  (Méon  14114—14154) 

James  beste  n'atraperois. 
Renarf  fait  il.   molt  es  haïs,' 
420    Cil  qui  n'estoit  pas  esbaïs 
Ne  trop  hastis  en  sa  parole, 
(Molt  a  este  a  bone  escole) 
Vers  terre  tint  enclin  son  chef. 
Et  fet  senblant  que  li  soit  gref. 
425    Bien  se  sot  tere  et  bien  parler, 
Bien  respondre  et  bien  aparler. 
Quant  il  en  voit  et  leu  et  ese. 
Or  li  covient  que  il  se  tese, 
Car  il  voit  lo  roi  corocie. 
4-^()    Son  chef  a  un  poi  redrecie. 

Il  n'ot  en  lui  rien  que  aprendre, 
Bien  se  sot  garder  et  dosfendre. 
Itant  a  dit  qu'il  li  otroit 
Qu'il  puisse  respondre  et  a  droit, 
435    Et  que  au  droit  dire  s'acort: 
Tant  en  ferai,  n'en  aurai  tort.' 

'Renarf  fet  Nobles,    bien  as  dit. 
.Ta  en  ce  n'en  aura  desdit. 
Or  diras,   nos  escoteron: 
440    Se  tu  dis  bien,  nos  nos  teron.' 
Renars  respont    sire,  bien  dites. 
Vus  aves  dit,  ne  sui  pas  quites 
Dos  semonses  que  in'aves  fêtes, 
Que  vos  aves  desor  moi  tretes. 
445    De  Tybert  et  de  la  mesenge 

M'escondi  bien  conment  qu'il  prengno. 
Et  del  corbel  ot  de  Copee, 
Que  par  moi  ne  fu  escropee. 
Ne  a  Tybert  ne  fis  otrage, 
450    Ne  au  corbel  de  son  formaje. 
Bruns  li  ors  qui  se  rest  clam(>s. 
Certes  a  tort  en  sui  blâmes  : 
One  ne  perdi  par  moi  sa  pel. 
Ne  ne  fis  mal  a  Roïnel 


209 


419  est     42<»  VA  il     4:{t>   nunuim- 
HF.NAUT     J 


210  VI  (Méon  1415Ô— 14194) 

45,')    Ne  a  mon  conpere  Ysengrin: 
A  tort  m'acoillent  rai  voisin. 
Las!  mal  serviche  ai  toz  jors  fet, 
l'or  bien  fere  a  l'en  le  col  fret. 
Chascun  le  set,  n'i  a  si  sort, 

460    Que  tex  ne  pèche  qui  encort. 
Maie  grâce  m'a  dex  donee. 
Mes  itex  est  ma  destinée 
Que  ja  cel  bien  ne  saurai  fere 
Qu'en  ne  me  tiegne  a  contrere. 

465    Certes  molt  ai  a  cous  bien  fet 
Qui  or  m'ont  porchacie  cest  plet: 
Vos  m'en  aves  hui  fet  semondre 
Et  je  sui  toz  prest  de  respondre 
Au  jogement  de  vostre  coi-t.' 

no    A  cest  mot  Ysengrins  acort 
Devant  le  roi  entre  les  autres, 
Et  Eoonels  11  felz  H  veitros, 
La  mesenge  et  Tybers  li  chaz. 
Et  Bruns  qui  est  de  grant  porcas, 

475    Dame  Rosete  la  jeline 

Et  dame  Pinte  sa  voisine. 

ïuit  font  devant  lo  roi  lor  pleinte, 

N'i  a  mester  parole  feinte. 

Renart  se  soigne  a  mein  esclenche. 

480    Bien  voit  que  n'i  a  mestier  genche: 
Que  11  covient  que  raison  rende. 
Grant  poiir  a  que  l'en  nel  pende. 
S'or  n'est  Renars  en  mal  liens, 
Molt  sera  bons  rectoriens. 

4,«5    Se  il  sens  perte  s'en  eschape, 
Senz  caperou  set  taillier  cape. 
De  toutes  pars  s'ot  acuser 
Q'a  peine  s'en  set  escuser. 

Ce  dit  Nobles  'que  vos  est  vis?' 

490    Renars  respont  jel  vos  plevis 


4ôâ  Ysen<(rins     4:)»;  iiu-s  uuisiiis     4()2  M.  tex  en  est     467  fet  hui 
472  tilz     474  pocas     47S  Et  ni     4.s()  ci  na  m.  gengle     488  aouser 


VI  (Méon  14199— 1423T)  211 

Que  de  mesfet  ne  me  recort 

Lont  envers  els  oiisse  tort. 

Il  diront  ce  que  il  voudront: 

Ja  por  ce  rien  ne  me  toudront, 
495    Se  vos  plest  qui  mis  sires  estes. 

Molt  sui  sordiz  de  plusors  bestes: 

A  tel  ai  porte  grant  onor 

Qui  puis  m'a  fet  grant  desonor. 

Je  sai  que  li  tors  n'est  pas  miens  : 
500    Totes  voies  veinera  11  biens. 

Onques  de  riens  ne  m'entremis 

Por  qoi  dousse  estre  enemis 

Dant  Ysengrin  mon  cher  compère. 

Ne  onques  par  l'ame  mon  père 
505    A  sa  feme  ne  quis  folie: 

Si  l'a  molt  por  moi  asaillie. 

Tôt  en  sui  je  près  de  desfendre, 

Se  nus  m'en  voloit  entreprendre 

(Jel  vos  di  bien  senz  autre  faille) 
510    0  par  juïse  o  par  bataille.' 

'^  Tsengrins  est  saillis  en  place. 

Prie  le  roi  ne  li  desplace, 

Se  sa  droiture  velt  prover 

Tôt  sens  mencoigne  controver. 
515    Nobles  conmande  que  il  die, 

N'i  a  celi  quel  contiedie. 

Reuart'  dist  Ysengrins,   entent  ! 

Je  sui  cil  qui  son  droit  atent 

Des  granz  anuis  que  tu  m'as  fez 
5J0    Que  nos  avons  caiens  refrais. 

Ne  me  sont  encor  amende. 

Si  l'avoit  li  rois  conmande. 

Molt  as  einz  fet  bestes  pener 

Q'a  cort  te  poûst  amener, 
5-25    Kt  de  jounes  et  de  canus 

En  as  asez  por  fol  tenus. 

Por  ceuls  qui  de  toi  clam  or  font 


499  cors     'tOO  ut'intrii  b.     50K  u.   rien  e.     517  tli 


14* 


212  VI  (Mpon  14288  —  14274) 

Et  qui  ci  enpres  toi  estont 
Por  moi  qui  par  toi  sui  bonis 

530    Voil  que  cest  plet  soit  hui  feniz. 
Par  la  vérité  m'en  irai  : 
Ja,  se  je  puis,  n'en  mentirai 
Que  je  n'en  die  tôt  le  voir 
Se  je  le  puis  apercevoir. 

ï)3ô    Je  n'ai  mester  de  trere  alonge 
Ne  de  controver  ci  mencoigne. 
Si  que  garant  en  troverai, 
De  traïson  te  proverai 
Et  mosterai  tôt  par  raison 

MO    Et  félonie  et  traïson. 

Bien  en  saurai  l'acaison  dire, 

Se  t'en  voloies  escondire.'  44 

Renars  respont  'bien  dit  avez. 

Or  dites  conment  le  saves.' 

545         Fet  Ysengrins  jel  vos  dirai, 
Ja  mot  ne  vos  en  cèlerai. 
Mes  conperes  estes  en  loi  : 
Si  ni'aves  mené  a  besloy 
Plus  de  cent  fois  que  je  n'en  mente, 

550    Meinte  beste  aves  fet  dolente. 
Bien  ont  plussors  aperceù 
Que  mainte  fois  m'as  decoû. 
Or  sai  bien,  se  cort  ne  me  faut, 
Que  tu  en  es  venu  au  saut. 

555    Molt  ai  por  toi  mauls  endurez. 
Meinte  foiz  t'en  es  parjurez: 
De  ma  feme  m'as  malbailli." 
Ce  dist  Renars    tu  as  failli. 
Onques  a  ta  feme  nel  fis, 

5(i()    Ne  a  toi  de  rien  ne  mesfis.' 

Dist  Ysengrins  'certes,  Renart. 
Jel  mosterrai  de  moie  part 
Que  vos  a  force  l'asaillistes. 
Au  croz  trover  pas  ne  faillistes  : 


041  uoudrai     r)(i2  mosteroie 


VI  (Méoii  14275-14811)  213 


Ô6f)    Voitmt  moi.  ou  vousisse  o  non, 
Li  batistes  bien  le  crépon. 
Molt  vos  vi  boter  et  enpoindre 
Et  durement  la  eoe  estreindre. 
Hoc  la  tenistes  por  sote. 
570    Ne  semblot  pas  jeu  de  pelote. 
Ce  ne  porriez  pas  desfendre, 
Ne  vos  en  veïsse  descendre 
Et  vos  braies  sus  enraonter. 
Ne  m'est  honte  del  reconter  : 
575    Mes  se  je  celer  le  pousse, 
A  nulhui  dire  nel  doiisse.' 

Ce  dist  Renars  'ja  dex  ne  place 
Le  Creator  que  tant  me  hace 
Que  la  chose  soit  si  corue 
.o80    Que  ma  conmere  aie  férue 

Plus  bas  de  l'ueil  si  con  vos  dites. 
Dont  seroie  je  plus  qu'erites. 
Or  puis  je  bien  de  fi  savoir 
Que  vos  ne  saves  honte  avoir, 
585    Que  ce  aves  amenteii 

Dont  li  autre  se  sont  tou. 
Ja  n'en  doiissiez  fere  conte 
•       Qui  a  Hersent  tornast  a  honte. 
Mes  bien  aves  tel  chose  aprise: 
590    Molt  aves  honte  arere  mise. 
Bien  aves  vergoigne  adossée 
Qui  honissiez  vostre  esposee 
Le  monter  et  le  sofacher 
Fis  je  tôt  por  lui  fors  sacher. 
595    Enpoindre  et  traire  me  veïtes. 
Bien  sai  que  mal  i  entendistes: 
Mes  je  nel  fis  se  por  bien  non, 
Or  m'en  rendes  mal  gerredon. 
Jel  fis  por  bien  et  por  francisse, 
600    Mes  or  ai  perdu  mon  service. 
Que  fous  fis  que  m'en  entremis, 


583  fin     586  Donu     587  a  lui  tornassent     601  fis  ]  fou 


214  VI  (Méon  14312—14347) 

Or  en  estes  mes  enemis.' 

'Renart,  de  tant  te  pues  vanter. 
Bien  ses  a  fol  messe  chanter. 

605    Ce  est  bien  chose  conneiie, 
Meinte  honte  ai  par  toi  eiie. 
Tu  es  de  tel  autorite 
Qu'en  toi  n'a  point  de  vérité. 
Tant  me  conseillas  en  l'oreille 

610    Qu'entrer  me  feïs  en  la  selle 
Et  avaler  el  puis  dedenz. 
La  maie  gote  aies  es  denz! 
A  tantes  riens  as  tu  fet  honte 
N'est  nus  qui  en  sache  le  conte. 

615    Tu  deïs  qu'o  toi  porroie  estre 
Laiens  en  parais  terrestre 
O  il  avoit  gaaigneries 
Et  plein  et  bois  et  praeries: 
N'estovoit  celé  rien  rover 

620    Qu'en  ne  poûst  iloc  trover: 
Et  qui  voloit  manger  poissons, 
Ou  lus  ou  troites  ou  saumons, 
Tant  en  avoit  con  li  plaisoit. 
A  son  talant  les  eslisoit. 

6-25    De  toz  biens  ert  li  lins  garnis. 
Einsi  fui  par  toi  escarnis. 
Je  cuidai  que  deïsses  voir, 
Mes  je  ne  fis  mie  savoir: 
Molt  m'engignas  a  icele  ore. 

630    Et  seel  entrai  sans  demore: 
Et  la  corde  si  destorteille, 
Tu  ères  ja  en  l'autre  seille. 
Traîtres  es  et  losengers. 
Je  fui  pesans  et  tu  ligiers, 

6  5    Je  avalai  et  tu  montas. 

Quant  enmi  le  puis  m'encontras 
Donc  fu  mes  cuers  iries  et  teins. 


603    pos       606    ai    aperceue      613    rien      614    que       615    que    roi 
617  gaigneries       627  quidoie     635  mouras 


YI  (Mcon   14::i48-14383)  '^^^ 

Molt  es  de  félonie  pleins. 
Jo  demandai  que  tu  queroies: 
640    Tu  me  deïs  qu'en  mont  iroies. 

"C'est  custume  que  chascuns  tient, 
Quant  li  uns  vet,  li  autres  vient." 
D'enfer  esties  eschapes, 
0  je  reseroie  atrapes. 
645    Iluec  remeis,  tu  t'en  issis. 
Tel  traïson  de  moi  feïs. 
En  l'eve  soffri  grant  moleste, 
Trois  foiz  me  reclost  sor  la  teste. 
Molt  i  endurai  grant  mesese, 
650    De  boivre  estoie  ases  aese. 

Li  blanc  moine  me  traitrent  fors, 
Mes  tant  me  bâtirent  le  cors 
0  potences  et  o  bastons 
Qu'il  me  mistrent  a  ventrellons. 
6.^5    De  pex  me  firent  tel  aport 
Qu'iloc  me  lassèrent  por  mort 
En  un  fosse  qui  fu  pulens. 
Par  la  coe  me  traitrent  ens 
Et  après  s'en  sont  retorne. 
6fiO    En  ort  leu  m'orent  ostele, 
De  pu  or  dui  estre  crevez. 
Molt  ai  este  par  toi  grevez. 
D'iloc  me  parti  a  grant  peine, 
Ge  ne  pooie  avoir  m'aleine: 
665    Encor  m'en  dolent  tuit  mi  menbrc. 

Molt  sui  dolans,  quant  moi  en  menbro 
Tu  me  feïs  aler  peschier 
Et  en  l'eve  tant  acrocier, 
Tote  la  coe  oi  engelee 
670    Et  en  la  glace  seelee  : 

Sens  la  coe  perdre  au  partir 
Ne  m'en  pooie  départir.' 

Ysengrin,  dis  le  tu  a  certes 
6377emandoi     643  estiees      «44  Or  reseroie  ia  a.      ^'^''^J^'^ 
rinsis     654  uertrellons     657  puslent     661   poor     666  .,uan     ^67   .nan.j 
671  sen     672  p.  ie  partir     673  di 


216  VI  (Méun  U8)S4— 14419) 

Que  tu   oùs  par  moi  ces  pertes? 
675    Par  foi  tu  paroles  a  force, 

Ta  lecherie  te  fist  force. 

Otre  mesure  fus  costos  45 

Et  de  poissons  trop  covoitos: 

Ja  n'eu   cuidoies  prou  avoir. 
H80    Voir  dit  li  livres  de  savoir, 

Qui  tôt  covoite  trestot  pert. 

Ce  os  je  bien  dire  eu  apert, 

Tex  quide  avoir  tôt  a  sa  part 

Qui  del  tôt  s'en  desoivre  et  part. 
685    Molt  est  bonis  qui  tant  covoite 

Que  son  gaaing  pert  et  s'aoite. 

Des  que  tu  les  poissons  sentis, 

Di  moi  por  qoi  tu  t'alentis? 

0  dous  ou  trois  en  revensises. 
690    Mes  por  escarni  te  tenisses. 

Se  tu  n'en  fusses  toz  cargies. 

Por  fol  i  fus  tant  atargies. 

Qant  del  venir  t'alai  somondre, 

Lors  comencas  un  poi  a  grondre. 
695    Quant  je  fui  anuiez  d'atendre. 

Si  te  laissai  as  poissons  prendre. 

Se  mal  t'en  vint,  por  qoi  m'en  blâmes  V 

Unques  des  poissons  n'en  menjames. 
'Renart,  bien  te  ses  escuser 
700    Et  gent  par  parole  amuser. 

Ne  porroie  hui  avoir  retrez 

Les  maus  que  tu  m'as  diz  et  fez. 

Toz  tens  m'as  tenu  por  bricon. 

Un  jor  que  mangai  d'un  bacon, 
705    Grant  talant  avoie  de  boivre  : 

La  me  soiis  molt  bien  decoivre. 

Tu  me  deïs  que  d'un  celer 

T'en  avoit  on  fet  celerer. 

En  ta  garde  estoient  li  vin 


H76  legerie    HHO  leures    682  eot  o  ie     tiStj  gaig  p.    et  le  iete     694 
roiiuhe     695  anuious     696  laissoi     7UU  esmuser 


VI  (Méon  1442U— 1445«)  217 

710    Toz  tens  au  soir  et  au  matin. 

La  me  menas  bien  a  envers. 

Tu  m'as  chante  de  meint  fax  vers.' 
Ce  dit  Renars    or  as  tu  tort. 

De  ce  sui  bien  en  mon  recort 
7 15    Que  tant  boiis  que  tos  fus  ivres. 

Si  te  vantas  que  tôt  sans  livres 

Chanteroies  bien  un  conduit. 

Puis  conmencas  a  si  grant  bruit 

Que  tuit  cil  de  la  vile  vindrent, 
720    Qui  a  grant  merveille  le  tindrent. 

Quant  j'oï  la  noise  venir, 

Nus  nel  me  doit  a  mal  tenir, 

Se  me  mis  a  l'eslideor: 

Car  de  morir  oi  grant  poor. 
7-2.)    Retenuz  i  fui  par  un  poi, 

Mes  je  m'en  vinc  au  melz  que  poi. 

Avoir  me  durent  entrepris, 

Car  molt  nos  avoiont  sospris. 

Si  fus  batus,  a  moi  qu'en  tient? 
730    Qui  mal  chace,  mal  li  avient.' 

'Renart'  fet  il,   molt  sez  de  bole, 

Tu  t'ies  jetez  de  meinte  foie. 

Renart,  molt  es  de  maie  part. 

La  me  tenis  ta  por  musart, 
735    Ou  tu  me  feïs  la  corone 

D'eve  caiido  conme  a  persone 

Si  grant  et  si  ample  et  si  lee 

Que  tote  oi  la  teste  pelée: 

Ne  me  remeist  poil  sus  les  joes. 
740    Tu  t'en  alas  fesant  tes  moes. 

De  moi  dévoies  moine  ferc. 

Certes  molt  es  de  mal  afere, 

Far  toi  est  ma  char  afeblie. 

Aillors  to  crui,  si  fis  folie. 
14b    Un  tronçon  me  donas  d'anguille 

Qu'eiis  conquise  par  ta  guille. 


714  sai     715  tu     727  enpris     728  uos     T6'6  est     739  pois 


218  VI  (Méon   14459—14498) 

Por  moi  esprendre  et  alecher. 

En  nieint  leu  m'as  fet  trébucher. 

Je  demandai  ou  la  trovas. 
75U    Por  moi  decoivre  controvas 

Que  chareter  tant  en  portoient, 

A  bien  petit  qu'il  nés  gitoient: 

Por  fol  avoie  tant  targie, 

Qu'outre  mesure  erent  chargie. 
755    Sovent  s'aloient  arestant. 

Des  anguilles  i  avoit  tant. 

Je  demandai  par  quel  senblancc 

En  pousse  renplir  ma  pance. 

Tu  me  deïs  qu'il  te  jetèrent 
760    El  charetil,  quant  to  troverent. 

Tant  m'en  alas  amonestant 

Que  je  lor  ving  tôt  au  devant, 

Si  fis  senblance  d'estre  mort. 

Lors  refui  je  batus  si  fort 
76r)    Et  de  leviers  et  de  bastons 

Qu'encor  m'en  delt  tôt  11  crêpons. 

N'est  merveille  se  j'ai  ennui, 

Quant  de  toi  vengies  ne  me  sui. 

En  un  des  plus  Ions  jors  d'esté 
770    N'auroie  je  pas  reconte 

Les  mais,  les  anuis  que  m'as  fes. 

Mes  ore  est  tant  mené  li  pies 

Que  a  cort  en  somes  venu. 

Se  par  droit  en  somes  tenu, 
775    De  toi  aurai  encor  venjance, 

Bien  en  ai  en  deu  ma  fiance. 

Je  t'ei  menée  loiaute 

Et  tu  a  moi  deloielte: 

Quant  m'estordras,  que  que  nus  die, 
780    Petit  valdra  ta  renardie.' 

Renars  respont  par  bon  confort 

Sire  Ysengrin,  vos  avez  tort, 


754  Quautre       764  refui  i  ie       766  li  crêpons  manque       767    ioi 
768  uengeries     771  fet     772  plet     775  encore 


VI  (Méon   14499—14534) 


219 


Vos  me  blâmes  ne  sai  de  qoi. 
Cil  autre  baron  sont  tuit  qoi, 

785    Qui  vos  oent,  ne  dient  mot: 
Tels  i  a  vos  tienent  por  sot. 
Vostre  raison  est  descoyerte 
Qu'avez  dite  menconge  aperte: 
Car  qui  trop  ment,  s'arme  en  pert. 

790     Ahi  Renart,  trop  ai  sofert 

Ton  grant  ennui,  ton  grant  desroi. 
Mes  se  j'(;n  ai  congie  del  roi, 
Ja  auras  la  bataille  a  l'oil.' 
Renars  respont   rien  tant  ne  voil.' 

795  j  De  bataille  son  gage  tent 
Ysengrins  et  li  rois  le  prent, 
Renars  après  le  suen  tendi 
Si  que  li  rois  bien  l'entendi. 
Bien  sevent  li  baron  sanz  dote 

8()0  Que  la  bataille  i  afiert  tote. 
S'or  ne  set  Renars  escremir, 
Mar  vit  la  bataille  arammir. 

Li  rois  demanda  ses  ostages, 
Qui  molt  estoit  cortois  et  sages: 

SOf)    A  nul  d'els  nés  a  pardones. 
Ysengrins  a  les  suens  livres. 
Por  lui  a  fet  Brun  l'ors  entrer, 
Tybert  le  chat  et  Chantecler 
Et  le  lèvre  sire  Coart: 

810    Cels  met  Ysengrins  de  sa  part. 
Renars  en  rot  des  mels  banez 
Que  il  ot  a  sa  part  tornez  : 
Grinbert  et  Baucent  le  sengler 
Qu'il  ot  fet  0  soi  asenbler, 

815    Et  Espinart  le  hericon, 
Et  segnor  Belin  le  moton. 
Cil  firent  a  Renart  secors, 
Molt  en  pesa  dan  Brun  li  ors. 


46 


785  (Irient     792  oi    796 
813  grinberz 


800  fier     809  Coart  le  1.  et  espinart 


220  VI  (Méon   145:^5—14570) 

La  bataille  ont  aterminee 

820    A  quinze  jors  sans  demoree. 
Grinbert  li  acreante  bien. 
Ne  li  faudra  por  nule  rien 
Que  Renart  ne  face  conbatre 
Por  l'orgoil  Ysengrin  abatre. 

8-25    Li  rois  a  dit  'tenez  vos  pes  ! 
A  vos  ostels  alez  huimes  !' 

Li  baron  sont  tuit  départi. 
Malement  ont  le  chanp  parti 
D'entre  Renart  et  Ysengrin 

830    Qui  molt  estoient  mal  voisin. 

Renars  n'iert  pas  de  tel  puissance 
Conme  Ysengrins,  mes  sa  fiance 
Avoit  Renars  en  escrimie, 
Por  c'eut  la  bataille  aramie. 

835    Engigneuz  est,  et  s'il  n'est  forz, 
Sun  senz  valoit  un  grant  esforz. 
De  l'entredous  se  set  covrir 
Et  bien  taper  por  descovrir 
Son  conpaignon,  quant  il  voit  ese 

840    De  fere  chose  qui  li  plese. 

Tant  s'est  entremis  del  aprendre, 
Ne  l'en  porroit  nus  entreprendre. 
Tant  sot  Renars  d'engins  plussors, 
De  luite,  de  janbet,  de  tors: 

845    Ains  qu'Ysengrins  baillier  le  puisse, 
Li  bruisera  ou  bras  u  cuisse. 
Ysengrins  entent  molt  a  el. 
En  pez  se  gist  a  son  ostel. 
Car  cl  droit  qu'il  a  tant  se  fie 

850    Que  Renart  en  son  cuer  desfie. 
Se  il  le  puet  as  poinz  baillier. 
Forment  le  cuide  travellier. 
Molt  désire  que  li  jorz  viegne 
Que  en  sa  bataille  le  tiengne. 


821  li  a  acrante     82H  a.  imos     825  son    830  wam/ui'     835  cil  ert 
845  que  y.     846  hu     851  pot 


VI  (Méon  14Ô7 1—1 4607)  221 

855    Molt  li  desplest  en  son  corage 

Que  la  bataille  tant  li  targe: 

Ja  ne  quide  mes  veoir  l'ore 

Que  ele  soit,  trop  li  demore. 

Renars  refu  en  molt  grant  peine 
860    D'armes  conquerre  la  semeine, 

Et  Ysengrins  tôt  ensement 

Reporchasce  armes  bêlement. 

En  grant  porchaz  est  del  haster 

Et  en  poine  del  aprester. 
865    Son  escu  e  s'autre  armeiire, 

Cote  a  quise  et  afoutreiire, 

Chausces  gamboisees  bien  fêtes 

Que  il  a  en  sez  janbes  traites. 

Son  escu  est  vermeuls  trestoz, 
870    Et  la  cote  roge  desoz  : 

Baston  de  néflier  ot  bien  fet, 

Bien  fu  armes  au  jor  de  plet. 

Renars  qui  meint  a  escarnis 

Ne  restoit  mie  piz  garniz  : 
875    Ases  avoit  de  buens  amis 

Qui  de  lui  se  sont  entremis. 

Escu  roont  a  sa  manere 

A  conmande  que  l'en  li  quere  : 

Un  l'en  ont  quis  qui  fu  tôt  gaunes. 
880    En  sa  cote  n'ot  pas  deus  aunes, 

Molt  fu  bien  fête  et  aiesee. 

N'out  chance  ne  fust  ganboisee. 

Un  baston  ot  d'une  aubespine 

Qui  molt  estoit  bons  en  plevine. 
885    En  lui  fu  molt  bien  enploiez. 

De  coroiez  fu  bien  liez 

De  chef  en  chef  jusqu'el  forfet. 

Einsi  armes  a  la  cort  vet. 

Ysengrins  s'en  iert  ja  tornes 
890    Qui  molt  estoit  bien  atomes. 


863  de  lui  h.  86fi  Tote  867  Cli.  ianbpls  ot  b.  f.  is69  es  871 
pe  perer  et  b.  878  A  ]  Et  879  ganes  881  aiese  882  cb.  iiout  j^an- 
boÏBe     883  «lun     887  en  autre  i. 


222  VI  (Méon  14608—14644) 

En  la  cort  est  venu  Renart, 
Et  Ysengrins  de  l'autre  part  : 
Et  11  baron  furent  ensenble, 
Chascuns  a  dit  ce  que  11  senble. 

895        Renars  ne  fu  pas  esperdus  : 
Haut  fu  roolngnies  et  tondus, 
Et  col  et  barbe  se  fist  rere 
Por  le  despit  de  son  conpere. 
Ysengrins  l'ot  en  grant  despit, 

yOO    Et  sa  forche  proisoit  petit: 
One  n'i  deigna  oster  cevoil. 
Ja  fussent  ensenble  son  voil  : 
Molt  désire  q'as  moins  le  teigne, 
Ja  ne  cuide  q'a  tans  i  viengne. 

905    Mes  einz  que  il  le  tiegne  as  raeins 
Sera  plus  malades  que  seins. 

Hermeline  fu  en  peor 
Por  dan  Renart  et  en  freor, 
Et  Percheliaie  et  Malebrance. 

910    Molt  par  estoit  la  dame  franco. 
En  crois  s'estent  en  sa  tesnere, 
Por  Renart  fet  digne  proiere. 
A  damlede  prie  et  aore 
Que  Renart  garisse  et  secore 

915    Et  de  mal  engin  l'escremisse 
Qu'en  la  bataille  ne  périsse. 
Si  doi  fil  plorent  en  meson, 
Chascun  d'ouz  fesoit  s'orison 
Por  lor  père  qui  tant  les  eime  : 

920    Quant  il  les  voit,  baus  filz  les  cleime. 
Hersent  prie  por  son  segnor 
Que  dex  li  face  tel  onor 
Que  ja  de  la  bataille  n'ise 
Et  que  Renart  veiner e  le  puisse, 

925    Qui  molt  soef  li  fist  la  chose 
En  la  ternere,  ou  ert  enclose. 


896  roingnies  et  bien  t.  902  si  u.  905  il  manque  907  foror 
914  garde  915  lecremisse  916  Que  la  919  q  922  len  928  la  mnuque 
924  ueintre 


VI  (Méon   1464ô-14«8l)  223 

Ja  par  lui  ne  s'en  fu  conpleinte. 

Mes  Ysengrin  qui  a  fet  meinte, 

L'en  fist  conpleindre,  ce  li  poise. 
930    Molt  a  en  lui  franche  borgoise. 

Tuit  sont  a  cort  et  povre  et  riche. 

Ysengrins  metra  en  la  briche 

Renart,  s'il  puet.  par  sa  bataille  : 

Wi  valdra  sis  engins  maaille. 
935        Quant  Nobles  vit  sa  gent  venue 

Par  qui  la  bataille  ert  tenue, 

Brichemer  fet  avant  venir 

Por  recorder  et  retenir 

Le  jugement  de  la  bataille, 
940    Et  prie  que  par  le  droit  aille. 

Brichemer  est  venus  avant 

Et  dit  qu'il  fera  son  conmant. 

A  sei  a  tret  trois  des  barons 

Qui  molt  estoient  de  grans  nous. 
945    Li  liparz  estoit  li" premiers 

Qui  molt  estoit  estoz  et  fiers, 

Et  Baucent  qui  a  gent  le  cors 

Et  mesire  Bruianz  li  tors. 

Cil  quatre  sont  avant  venu. 
950    Por  les  plus  sages  sont  tenu  47 

Qni  cel  jor  fussent  en  la  place. 

N'i  a  celui  qu'ases  ne  sache 

Por  un  grant  jugement  tenir 

Et  por  un  grant  fes  sostenir. 
955        Cil  quatre  vont  a  un  conseil  : 

Dist  Brichemers  je  me  merveil 

Que  Renars  ossast  ce  penser 

Dont  nos  l'oïmes  encuser 

A  Roonel  et  a  Tiebert 
960    Et  a  Brun  l'ors  qui  molt  nos  sert. 

Des  autres  clamors  i  a  tantes 

Que  je  ne  soi  a  dire  quantes. 

Pinte'  se  pleint  et  Tiecelins. 


93.S  pot     945  Li  parz     946  Que     9.02  cels  (Iouh  qui 


tt8»>s     9.iK  Donc 


224  VI    Méon  14682—14717) 

Tôt  ce  prist  sor  soi  Ysengrins, 

965    Por  toz  couls  a  done  son  gaje 
Et  si  en  a  livre  ostage 
Que  il  conoistre  un  jor  H  face, 
Se  il  le  nie,  en  nule  place. 
Segnors.  qui  poiist  apesier, 

970    Le  mal  ester  et  abessier, 

Ce  fust  grant  sens,  ce  m'est  avis. 
Ei  je  bien  dit?  Que  vos  est  vis?' 
Baucent  respont  'bien  aves  dit.' 
Tuit  l'otroient  sanz  contredit. 

975    Tuit  quatre  sont  venu  au  roi, 
Si  li  dient  tôt  en  reqoi 
'Sire,  vostre  baron  loassent 
Que  cil  dui  baron  s'acordassent. 
Sauve  t'anor  et  ta  querele, 

980    Molt  tenisson  la  pes  a  bêle.' 

Molt  plest  au  roi  ce  qu'il  ont  dit, 
Ja  par  lui  ne  seront  desdit. 
'Seignor'  fet  il,  'or  en  parlez! 
Ysengrin  premier  apelez  : 

ii85    De  tôt  la  querele  en  lui  tient. 
A  moi  de  rien  n'en  apartient 
Fors  solement  de  droit  tenir. 
Del  sorplus  vos  les  convenir. 
Moi  ne  poise  se  il  s'acordent, 

990    Ne  voil  que  par  moi  se  decordent. 

Mels  einz  la  pes  d'oulz  que  la  guerre, 
Se  la  poes  entre  els  conquerre.' 
Quant  Brichemer  l'a  entendu, 
Tornez  s'en  est  col  estendu. 

995    A  Ysengrin  dist  en  l'oreille 

Que  li  rois  forment  se  merveille 
Qu'en  ne  puet  pez  entre  els  douz  mètre 
Ne  por  doner  ne  por  premetre. 
Face  le  bien,  pregne  droiture 


965  tôt  couls     966  a  done     986  de  manque     9«8  u.  en  1.     991  q're 
997  Que  n<'  pot  entre  elz  pez  douz  pez  m. 


VI  (Méun   14773—14753)  225 

1000    De  Renart  por  la  forfeture, 

Et  por  ce  que  sore  lui  mist 

Que  a  sa  feme  force  fist. 

Dist  Yseugrins   n'en  parles  pas! 

Je  voil  qu'en  m'arde  en  est  le  pas 
1005    Que  je  a  lui  prendre  acorde. 

îse  voil  q'autre  fois  s'i  auiorde 

A  fere  honte  a  son  conpere 

Ne  a  pelgesir  sa  conmere. 

Je  verrai  bien  qui  me  fet  droit.' 
1010    Brichemers  dist  que  il  voudroit 

Que  la  chose  fust  si  menée, 

Si  déduite  et  si  atornee 

Que  entr'els  douz  fusent  amis 

(Let  est  qu'il  soient  enemis) 
lCfl5    Si  que  chascun  son  droit  oiist, 

Que  a  mal  torne  ne  li  fust. 

Dist  Ysengrin  ja  deu  ne  place 

Que  je  pes  ne  acorde  face 

De  ci  qu'en  voie  le  plus  fort 
1  )'20    Et  sache  liqueus  en  a  tort  : 

Bien  me  porra  tenir  por  ivre 

Se  je  l'en  les  partir  délivre. 

Dites  lo  roi  et  son  barnage, 

Que  ce  sache  et  fol  et  saje, 
10-25    Que  por  noient  la  pes  requiert. 

Ja  de  si  el  champ  fête  n'iert  : 

Chascuns  dira  ce  qu'il  voudra, 

El  champ  verons  qui  meus  vaudra. 

Dites  au  roi  que  droit  me  tiegne! 
1030    La  bataille  aim  conment  qu'il  vegne.' 
Quant  Brichemer  ot  en  la  fin, 

N'en  aura  pes  vers  Isengrin, 

Au  roi  a  dite  cel  novele 

Par  qoi  s'ire  li  renovele. 
10;}5    'Sire'  fait  il,    a  moi  entent! 


1014  enennis       1U19  si      1023  Distes       1024  saclie.s       lU2(i   niiert 
1028  uoudra     1031  Q.  brun     1033  merueille 

REN'ART      1  15 


226  VI  (Méon  14754—14789) 

Ysengrins  sa  bataille  atent 
Qui  n'a  talant  de  fere  pes. 
Honis  soit  qui  en  fera  mes 
Nule  acorde  se  le  champ  non. 

1040    L'en  en  tendra  l'un  a  bricon.' 
Or  est  li  plet  molt  enpiries. 
Car  Brichemers  est  molt  iries 
De  l'orgoil  qu'Isengrin  li  dist, 
Quant  de  pes  fere  l'escondist. 

1045         Dist  Brichemer  'se  vos  voles 
Droit  fere  si  con  vos  soles, 
Se  vos  tenes  la  droite  voie, 
Ce  est  le  meuz  que  je  i  voie, 
Q'amedous  les  metons  la  fors, 

1050    Penst  chascun  de  garder  son  cors. 
Quant  il  seront  enmi  la  place. 
Qui  meuz  porra  fere,  si  face.' 
Ce  dist  li  rois  'par  seiut  Richer, 
Por  verte  vos  os  aficher, 

1055    ^'en  prendroie  pas  tôt  l'avoir 
Que  li  plus  richez  puist  avoir 
Que  je  la  bataille  n'en  aie, 
James  n'aurai  en  els  manaie. 
Ne  sai  q'ales  plus  atendant: 

1060    El  champ  les  metes,  jel  conmant.' 
Quant  la  parole  ont  récitée 
De  la  bataille  et  recontee, 
Puis  les  ont  mis  el  champ  ensamble. 
Li  plus  hardis  de  peor  trenble. 

106.')    L'un  tenoit  l'autre  par  la  mein. 
Nobles  apele  un  capelein. 
Mon  seignor  Belin  le  moton. 
Molt  est  sages,  pas  n'en  doton. 
Cil  aporta  le  seintuaire 

1070    Sor  qoi  font  les  seremenz  fere. 
Li  rois  a  fet  crier  son  ban 


1043  q  isengrin     1047  De     1052  fere  porra     1055  prendroi     1058 
manoie 


1075 


1080 


YI  (Méon   14T9U-148B1) 

Qu'il  û'i  ait  nul  de  tel  boban 
Qui  face  noise:  en  pes  se  tiengne, 
Conme  prodome  se  contiengne. 
Molt  est  li  rois  de  grant  justice. 
Del  serement  fet  la  devise 
Danz  Bricheraers  et  Brun  li  ors 
Que  l'en  tenoit  as  deus  meillors. 
'Seignor   fet  il,  "or  m'entendez, 
Si  je  di  mal,  si  m'amendez! 
Renars  jurra  premerement 
Et  fera  tôt  le  serement 
Qu'a  Ysengrin  n'en  a  tort  fet 
:j^e  a  Tybert  le  chat  forfet, 
1085    ^' a  Tiecelin  n'a  la  mesenge, 

N'a  Roonel  coment  quil  prengne.     48 
Alez,  fêtes  le  serement 
A  Ysengrin  enterement!' 
Renars  s'ajenoille  en  la  place, 
109.)    Moult  s'apareille  et  se  rebrache. 
Desor  les  seinz  estent  sa  mein. 
Il  a  jure  par  seint  Jermein 
Et  par  les  seinz  que  iloc  voit 
Que  de  cest  plet  nul  tort  n'avoit. 
l(H)5    Les  seinz  bese,  puis  si  s'en  lieve. 
A  Ysengrin  durement  grève 
Ce  qu'il  fet  acroire  por  voir 
La  mencoigne  par  son  savoir. 
A  jenuz  s'est  a  terre  mis. 
IW)    Dist  Brichemer  'oies,  amis! 
Ce  jurerez:  Renars  est  fans 
Del  serement,  et  tu  loiaus.' 
Dist  Y'sengrin  je  l'acreant.' 
Les  seinz  besa.     Tôt  meintenant 
lio:.    S'est  redreches,  puis  si  s'en  vet 
Enmi  le  camp,  s'oreison  fet 
Et  prie  deu  qui  tôt  sormonte, 


22- 


■  1072  Qu  il  ]  Ne    1083  Que  .y.  nen  na    1091  seinz  estent    1092  seintz 

1100    boV    llOliurrez     1104  .s.     AprèsimiemscAdon.eencœ-e 

«L.r.  .•  Longen-ït  fi«t  ses  oreisons  Et  fu  en  grant  aflic.ons       07  que 


228  V'I  (Méon   U832— 14867) 

Que  il  li  doinst  venger  sa  honte 
Si  qu'au  partir  l'onor  en  ait 

1110    De  Renart  qui  li  a  fet  let. 

Baisa  la  terre,  puis  se  dreche, 
Son  baston  afete  et  adrece, 
En  plusors  sens  le  retornoie, 
En  sa  mein  lace  la  coroie. 

1115    Son  escu  prent  et  puis  se  mole, 
En  plusors  sens  le  baston  croie. 
Tôt  entor  encline  a  la  gent, 
Molt  se  déduit  et  bel  et  gent. 
A  Renart  dist  que  il  se  gart, 

1120    Qu'il  ne  mete  le  jor  a  gast. 

Quant  Renars  l'ot,  del  cuer  sospire  : 
Tôt  s'est  teiis,  ne  velt  mot  dire. 
Renars  sot  letres  de  s'enfance, 
Molt  ot  oï  de  nigromance  : 

1125    Tant  ot  entendu  puis  aillors 
Qu'ot  oblie  les  moz  mellors. 
Son  baston  prent  con  afaitiez: 
Bien  senble  home  qui  soit  haitiez, 
lentement  le  sot  a  soi  trere. 

1130    Bien  fu  apris  de  tel  afere. 
En  plusors  sens  l'a  essaie, 
N'a  pas  senblant  d'orne  esmaie. 
En  ses  doiz  la  coroie  lace, 
Apres  se  drece  de  la  place. 

11  .•55    Quant  il  le  tint,  si  fu  soiirs 
Conme  castel  enclos  de  murs. 
Li  escrimir  li  est  joiaus, 
Car  il  en  set  toz  les  enviaus. 
Sun  escu  sor  sa  teste  tient: 

1140    Se  Ysengrins  près  de  lui  vient. 
Tel  escremie  li  donra 
Qui  a  grant  honte  li  vendra. 
Ysengrins  est  de  grant  aïr, 


1108  son       1118  la  detornoie       1115  moille       1120  ior  en  esgast 
1128  q     1138  sot     1141   dora 


VI  (Méun  148()8— 14901)  229 

Molt  tost  l'est  alez  envaïr. 
1145    'Renart'  fait  il,  'mal  es  bailliz. 

Toz  jorz  mes  soie  je  failliz. 

Se  ne  me  venz  de  ma  veutance, 

Que  me  feïs  par  sorcuidance, 

Quant  tu  a  ma  feme  joûs 
1150    Et  a  force  le  porjoûs.' 

Renars  respont   sire,  mal  dites. 

Otroies  que  je  soie  quites  ! 

Fere  vos  ferai  grant  homage 

A  chevalier  da  haut  parage: 
1155    Puis  irai  por  vos  otre  mer. 

Si  me  voles  quite  clamer.' 

'Renart'  fait  il,  'ne  te  travailles  ! 

Je  ne  croi  que  tu  noient  vailles. 

Qant  tu  de  mes  meins  torneras, 
1160    Ja  puis  ne  me  rauproneras.' 

Renars  respont  'c'est  devinaille. 

Bien  verrou  a  la  defiuaille 

Lequel  que  soit  plus  decoii.' 

Dist  Ysengrins  'trop  ai  vescu, 
1165    Se  de  vos  ne  me  puis  venger.' 

Ce  dit  Renart  'or  oi  danger, 

Qu'alez  tote  jor  manecant  : 

Mes  asailliez  de  meintenant  !' 

A  cest  mot  Ysengrins  acort, 
1170    Renars  n'a  talant  qu'il  s'en  tort, 

Son  escu  tint  devant  son  front. 

Met  pie  avant,  sovent  s'esgront. 

Molt  le  vet  Ysengrin  hastant, 

Renart  se  vet  bien  défendant, 
1175    Jeté  retreite  et  entredeus  : 

Au  quel  que  soit,  en  iert  li  dels. 

Ainz  qu'il  se  partent  de  l'asaut, 

Renars  le  fiert  que  pas  ne  faut  : 

Tel  coup  les  l'oreille  li  doue. 


1146  je  mawiue       1153  feroie      1156  me  fêtes       1166  uoi      1172 
auant  autr*?  couert  son  gront     1175  et  manque     entredels     1177  sen  p. 


230  YI  (Méon  14902  —  149371 

1180    Tote  la  teste  li  estone. 

A  cel  asaut  mal  li  eschet: 
Tôt  chancelé,  a  poi  ne  chet. 
Quant  sa  teste  a  voû  seignier, 
De  sa  mein  se  prist  a  segnier. 

1185    Deu  prie  qui  ne  faut  ne  ment 
Que  il  le  gart  d'afoleraent  : 
Par  sa  feme  est,  ce  dit,  traïs. 
Longement  fu  si  esbahis 
Que  il  ne  sot  quel  ore  estoit, 

1190    S'ert  nuis  ou  jorz,  quel  tens  estoit, 
Por  le  cop  qu'il  a  recoû. 
Renart  l'a  bien  aperceii, 
Wen  fist  senblant  qu'il  lo  soiist 
Ne  que  aperceû  l'eiist. 

1195    Mes  d'autre  part  torna  sa  chère. 
Encor  se  gart  qu'il  ne  le  fere. 
S'il  en  puet  leu  ne  ese  avoir, 
Encor  li  fera  mels  savoir: 
Car  n'a  talant  de  lui  atraire. 

1200    En  sus  le  fera  de  lui  trere  : 
Ne  li  laira  pas  aprocher, 
Au  baston  se  set  esmocher. 

Dant  Ysengrins  de  loin  esgarde. 
Renars  li  dit  por  qoi  il  tarde 

1205    Q'a  la  bataille  ne  revient: 

Bien  set  qu'a  fere  li  convient. 
Ysengrins  se  fu  apensez, 
Que  raolt  a  este  esmaiez. 
Porpense  s'est  que  trop  demore. 

1210    Isnelement  li  recort  sore, 
Met  pie  avant,  jeté  retrete. 
Mes  Renars  durement  se  guete. 
Ysengrins  jeté,  pas  n'areste, 
De  son  baston  vole  la  teste, 

1215    Met  pie  ariere,  si  s'en  trait. 


1181  est  manque    1194  aperce    1197  pot    1203  de  lainz    1212  dore- 
ment     1215  auant     trat 


YI  (Méon  14938—14970)  231 

Renai's  qui  set  asez  de  fait, 

Li  dist  itant  'dant  Ysengrin, 

Dex  qui  sor  toz  est  voirs  devin, 

Set  bien  quel  droit  vers  moi  aves. 
1220    Baston  vos  faut,  dont  nel  savez?  D44a 

Car  faisons  pais  a  mon  seignor 

Ainz  que  vous  aiez  deshonnor!' 

Dist  Ysengrins  'faites  moi  tondre, 

S'assez  n'en  ai  pour  vous  confondre.' 
1225        Quant  assez  ramposnez  se  furent 

Li  dui  baron  qui  ou  champ  furent. 

De  rechief  andui  s'en  reviennent, 

Moult  cointement   leurs  escus  tiennent. 

Ysengrins  gete  et  fait  son  esme. 
1230    Que  geter  weille  par  meesme. 

De  lui  prendre  moult  s'entremet, 

Entre  l'escu  son  baston  met: 

Enmi  le  champ  son  escu  lesse. 

Renars  de  son  baston  reslesse: 
1235    Tel  coup  li  donne  ainz  qu'il  le  tiengne, 

Jamais  n'iert  jor  ne  l'en  souviengne. 

Le  bras  senestre  li  a  frait. 

Or  a  Ysengrins  mult  mestrait. 

Andui  ont  leurs  escus  gerpiz, 
1240    Si  s'aerdent  parmi  les  piz  : 

En  pluseurs  sens  se  vont  tastant. 

Longuement  furent  en  estant. 

Ne  veïstes  gens  tant  combatre. 

Li  uns  ne  pooit  l'autre  abatre, 
1245    Ja  ne  doit  on  de  ce  plaidier. 

Ysengrins  ne  se  puet  aidier 

Fors  seulement  de  son  bras  destre. 

Que  perdu  avoit  le  senestre. 


1216  frat  Les  vv.  1220 — 1356  manquent  dans  le  nisc.  A  parce  qu' une 
feuille  en  a  été  arrachée  ;  ils  sont  supplées  jJf^ir  D.  1226  li  champion  q, 
1282  contre  lescu  1233  escu]  baston  1235  qui  le  1239  repris  1240 
Es  dens  se  fièrent  et  es  p.  1241  lieus  traitant  1244  Lun  fleulz  ne 
uouloit     1248  Car 


232  IV  (Méon   14971  —  15007) 

L'un  d'euls  tourne,  l'autre  retorne: 

1250    Xulz  des  vassaus  pas  ne  sejorne. 

Mult  tournent  ainz  que  nul  en  chiee. 
Ysengrins  suefFre  grant  hachiee  : 
Mais  dens  a  un  pou  plus  agues 
Que  Renars  et  plus  esmoulues. 

1255    Contre  Renart  molt  se  herice, 
Bien  li  descire  sa  pelice. 
Renars  li  fait  un  tour  François, 
Ysengrin  nel  doutoit  ancois. 
Renars  l'estraint,  pas  ne  se  faint: 

12fi0    Jambet  li  fait,  de  lui  l'enpaint, 
A  la  terre  le  gete  envers. 
Renars  li  vint  sus  en  travers. 
Les  dens  li  brise  en  la  bouche. 
En  la  chiere  li  crache  et  mouche, 

1265    Es  iex  li  boute  le  baston. 
Souvent  li  poile  son  grenon  : 
Traire  li  fait  moult  maie  fin. 
Puis  li  a  dit  'sire  Ysengrin, 
Encui  verrons  qui  droit  aura 

1270    Et  qui  miex  fere  le  saura. 
De  vostre  farame  m'accusez  : 
Certes  moult  estes  amusez, 
Quant  vous  ci  pour  vostre  moillier 
Moi  et  vos  faites  traveillier.' 

1275    Ysengrins  voit  qu'il  le  laidenge. 

Moult  est  dolens.  qu'il  ne  se  venge  : 
Ce  poise  li,  n'en  puet  plus  faire. 
Renars  li  fait  honte  et  contraire. 
Entre  ses  dens  moult  se  démente 

1280    Et  dit  'fox  est  qui  met  s'entente 
En  famme  pour  riens  qu'ele  die  : 
Poi  sont  de  famés  sanz  boidie. 
Ja  la  m  oie  ne  crerai  mais. 
Par  famme  est  plus  guerre  que  pais, 


1252  hachie  1254  miex  1258  Mais  .y.  nel  donte  .1.  pois  1263 
rlebrise  1264  uouche  1265  le  ]  son  1269  tort  1272  C.  trop  es  des- 
mesiivei;     1281  p.  chose  quil  oie     1282  Que  mal  sa  paine  y  emploie 


VI  (Méon  15UU1— 15048)  233 

1285    Par  famme  sont  bonis  maint  homme, 

De  touz  les  maus  est  famé  somme, 

Fox  est  qui  trop  i  met  s'entente.' 

Ysengrins  ainsi  se  démente, 

Ainssi  se  complaint  bellement^ 
1290    Renars  le  fiert  menuement 

Et  sur  le  nez  et  sur  la  face. 

Ysengrins  ne  scet  que  il  face  : 

Que  bien  voit  que  il  est  en  trape. 

A  ce  mot  li  bastons  eschape 
1295    Que  Renars  tenoit  en  sa  main. 

Cilz  qui  n'ot  pas  le  cuer  trop  vain 

Se  voult  lever,  mais  ne  puet  estre, 

Qu'il  n'a  vertu  fors  de  sa  destre. 

Renars  li  fet  de  grans  anuis: 
1300    De  la  poudre  li  gete  ou  vis. 

Ysengrin  tient  pour  non  sachant, 

xVus  mains  li  vait  les  iex  cerchant. 

Mais  par  sa  grant  mésaventure 

Li  avint  si  fort  aventure: 
1305    Son  doi  en  la  bouche  dedens 

Li  chiet,  et  cilz  le  prent  aus  dens. 

La  char  trenche  jusques  a  l'os, 

Ses  mains  lace  derrier  son  dos. 

De  l'estraindre  pas  ne  se  faint: 
i:510    Car  en  tel  guise  le  destraint. 

Ou  weille  ou  non  l'estuet  descendre 

Et  de.soz  lui  le  fet  estendre. 

Or  est  Renars  en  mal  trepeil  : 

S'il  a  paour,  ne  m'en  merveil. 
1315    Ysengrins  des  genous  le  serre. 

Renars  ne  vit  ne  ciel  ne  terre. 

Jure  avoit  faus  serement: 

Il  li  parra  prochainement 

Con  fausse  loi  il  a  menée. 
1320    Hui  est  venu  a  sa  journée, 


V29S  quil      1294  le  baston      1801   p.  mit'  poissant      1804  manque 
1312  Et  tost  de  dessus  lui  descendre 


234  VI  (Méon  15049—15090) 

Merci  quiert  pour  les  sains  de  Romme. 
Mais  ne  li  vaut  pas  une  pomme  : 
Car  Ysengrins  le  fiert  et  maille, 
Tant  que  Renars  gient  et  baaille. 

1825    Ysengrins  le  fiert  en  la  chiere. 

Ne  tient  pas  sur  lui  sa  main  chiere, 
Renars  n'a  pooir  de  deffendre, 
Tout  li  convient  souffrir  et  prendre. 
Il  vosist  miex  estre  aillors  : 

1330    Son  cuer  en  est  en  grant  douleurs. 
Devenus  est  plus  frois  que  glace: 
Ainz  velt  morir,  ce  dist,  en  place 
Que  pour  lui  recréant  se  claint. 
A  ce  mot  a  gete  un  plaint, 

1335    Semblant  fet  d'omme  qui  soit  mort 
Que  en  lui  n'a  mais  point  d'effort. 
Ysengrins  un  petit  le  lâche, 
Moult  le  mort  et  moult  le  dessache. 
Renars  ne  muet  ne  pie  ne  main, 

1340    Bien  fait  semblant  qu'il  n'est  pas  sain. 
Ysengrin  l'a  batu  si  fort, 
Enz  ou  champ  l'a  laissie  pour  mort: 
Li  baron  sont  de  lui  parti. 
Atant  la  court  se  départi, 

1.S45    One  Troïen  n'orent  tel  joie, 

Quant  recurent  Elaine  a  Troie, 
Con  Brun  li  ours  et  Ysengrins, 
Et  Chantecler  et  Tiesselins 
Et  dame  Pinte  et  Roeniaus 

1350    Pour  Renart,  qui  ert  desloiaux.      D45 
Li  parent  Renart  ont  grant  honte  : 
Nobles  n'en  veult  oïr  nul  conte, 
Ainz  conmande  que  on  le  pende. 
Tyberz  li  chaz  les  iex  li  bende, 

1355    Et  Roeniaux  les  mains  li  lie. 
Bien  ont  Renart  mis  a  la  lie. 


1323  le  ]  si  maaille  1329  Or  en  est  .y.  loiinour  1330  R.  en  1332 
Encoiz  raorra  ce  1341  la  debatu  f.  1342  Enz  manque  1.  tout  p.  1350 
R.  font  le  d.     1352  ueul     1354  Ty.  le  chat     1356  R.  o.  b 


YI  (Méon  15091  —  15130)  235 

De  pâmoison  fut  revenuz.  A  49 

Bien  fu  le  jor  por  fol  tenuz  : 

Se  de  lor  moins  pooit  partir, 
1360    James  n'iroit  home  aatir. 

Tote  la  cort  oïssiez  bruire, 

Molt  se  hastent  por  lui  destruire. 
Renars  por  sa  vie  tenser 

Prie  qu'en  le  laist  confesser, 
13fi5    Qar  a  rejehir  li  covient 

Toz  les  pèches  dont  li  sovient. 

Il  li  ont  fet  venir  Belin. 

0  lui  ameine  Chanteclin. 

Renars  se  fet  a  lui  confes, 
1370    Et  cil  li  encarja  son  fes 

Solonc  les  péchez  qu'il  a  fet 

De  qoi  il  a  vers  deu  mesfot. 
Si  con  il  confesoit  Renart, 

Atant  es  vos  frère  Bernart 
137.')    Qui  de  Grant  Mont  ert  repairez. 

Trova  Grimbert  qui  fu  iriez. 

Euquis  li  a  et  demande, 

Conment  li  rois  a  conmande 

Que  Renars  fust  molt  tost  penduz, 
IS-^O    Par  nullui  ne  fust  desfenduz. 

Quant  li  frères  ot  la  parole, 

Molt  li  poisse,  se  l'en  l'afole. 

Il  ert  de  grant  franchise  pleins, 

Molt  ert  cortois,  n'iert  pas  vileins. 
1385    En  son  cuer  l'a  aperceii 

Par  le  grant  duel  qu'il  a  ou, 

Que  meine  Grinberz  li  teisons 

Et  Espinarz  li  hericons. 
La  u  vit  Noble  bonement, 
1390    Le  salua  molt  doucement. 

Li  rois  se  drece  en  son  estant. 

Ne  set  frère  que  il  eint  tant. 


1357  le  msc.   A  recommence       1362    dest*e       1366    d.  il  se  crient 
1371  fes      1378  Conme      1379  tôt     1383  g.  seintee  p.      1385  1'  manque 


236  VI  (Méun  15131  —  15172) 

Joste  lui  le  fet  asegier. 
Li  frères  l'aquelt  a  proier, 

1395    Por  deii  li  otroit,  se   li  plest, 

Que  Renart  sain   et  sauf  li  les'. 
Einsi  le  raeata  li  frère. 
'Segnor,  por  deu  le  devez  fere. 
Ne  puet  aler  o  deu  le  graut 

14tX)    Qui  ne  pardoinst  son   mautalant, 
Itel  conseil  te  voil  doner 
Que  tu  lesses  Renart  aler.' 
Molt  doproia  l'enpereor 
Que  Renart  li  doinst  par  amor  : 

1405    'Por  ce'  fet  il,  'sui  je  venuz. 

Proier  vos  voil,  ne  soit  penduz, 
Ancois  laissies  Renart  aler: 
Dex  le  vos  puist  guerredoner! 
Donez  le  nos  a  deu  servir 

1410    Qui  se  laissa  por  nos  morir! 
Por  amor  deu  le  nos  dones! 
Renart,  de  quoi  s'est  affiches, 
Jel  quit  fere  moine  ordener: 
En  tôt  le  mont  n'aura  son  per.' 

1415    Le  frère  dist  l'enpereor 

'Dex  ne  velt  mort  de  peeeor. 
Mes  soit  confes  et  se  gart  bien: 
Dont  sera  sauf  le  crestien. 
S'il  est  retez  de  guerpilage, 

1420    li  est  au  meins  el  repentage.' 

Nobles  entent  que  bien  a  dit. 
Nel  voudroit  avoir  escondit 
De  rien  que  il  li  demandast 
Ne  que  fere  li  conmandast. 

14-25    Renart  li  rendi  bonement 

Sens  nul  autre  contenement. 
Renart  a  gite  de  prison, 
Frer(^  en  a  fet  en  sa  meson. 


1393  aseoir  13i)l  lequelt  1.(95  Que  p.  1396  Q.  iiif  et  s.  R  1399  pot 
1403  lenperere  1406  Proie  1408  Que  d.  uos  Ulldonas  1412  sert  afri- 
chas     1415  d.  a  le.     1424  que  a  f.     1426  seins     1427  a  niatiqnc     1428  Fre 


VI  (xMéon  1Ô173— 1Ô215)  287 

Poissons  li  donent  por  am ordre, 
1430    Bien  le  dotrinent  de  lor  ordre, 

De  dras  a  moine  l'ont  vestu 

Le  fil  a  putein,  le  testu. 

Einz  la  quinzeine  fu  garis  : 

Cil  qui  tant  a  este  maris 
1435    Toz  fu  gariz  et  repasses. 

Par  meint  maveis  pas  est  pasez. 

Bien  retient  ce  que  on  l'enseigne, 

N'a  pas  senblant  que  il  se  feinne. 

Les  signes  fet  del  moiuiage. 
1440    Molt  le  tienent  li  moine  a  sage, 

Cher  est  tenuz  et  molt  amez. 

Or  est  frère  Renart  clames. 

Molt  est  Renart  de  bel  service, 

Volenters  vet  a  seinte  iglise. 
1445    Sovent  li  menbre  des  jelines 

Dont  il  selt  rongier  les  eschines. 

A  peine  tient  estacions. 

Car  sovent  a  tentacions. 

Bien  li  seent  si  vestement, 
1450    Molt  se  déduit  onestement, 

Si  met  s'entente  a  l'ordre  prendre 

Que  il  n'i  a  que  entreprendre. 
Un  jor  fu  la  messe  cantee, 

Renart  de  cuer  l'ot  escotee. 
1455    Tôt  dereniers  ist  du  moster. 

En  sa  mein  tenoit  un  sauter. 

Quatre  capons  bien  sejornez 

Lor  avoit  un  borjois  donez 

Qui  avoit  non  Tiebaut  le  riches: 
1460    N'iert  pas  vers  els  avers  ne  chices. 

Renars  les  a  aperceûs: 

Or  sera  il  bien  dccoiiz, 

Se  il  n'en  fet  ses  gernons  bruire: 

Bêlement  s'en  quide  déduire. 
1465    'Par  dou   fait  il,    ne  m'apartient 


1431  a  frère     1437  ce  q  len  lenseigne     1441  ert 


238  YI  (Méon  15216—15250) 

Cil  qui  de  o.hav  manger  se  tient. 
N'ai  pas  fet  veu  de  manger  char. 
Molt  le  tcndroie  a  grant  eschar: 
Qui  cest  veu  fer^^  me  feroit, 

1470    Dex.  le  set,  nK^lt  me  raesferoit. 
De  char  ne  me  puis  atenir. 
Se  je  en  puis  en  leu  venir, 
Je  mosterai  que  Je  soi  tere. 
Qui  qu'en  doive  parler  ne  tere.' 

1475        Le  jor  trespasse  et  la  nuit  vient. 
Renart  qui  des  chapons  sovent 
Ne  les  pot  mètre  en  obliance. 
Tote  trespasse  obédience. 
Vient  as  chapons,  si  les  desjoche, 

1480    L'uu  en  manja.  au  cuer  li  toco: 
Les  autres  trois  a  mis  en  terre, 
Que  lendemein  les  vendra  querre. 
Covert  les  a  bien  de  terrier, 
Arere  s'est  venuz  chocier. 

1485    Ne  sot  nus  mot  de  son  aguet 
Ne  del  hirecin  qu'il  ot  fet. 
Si  li  ciiaï  par  aventure, 
Molt  retret  bien  a  sa  nature. 
Lendemein  après  les  matines 

1490    Renart  qui  tant  eime  jelines, 
D'un  des  capons  se  lest  dines, 
Puis  est  el  cloistre  retornes. 
Li  tiers  manja  que  nus  nel  sot  50 

Au  qart  manger  iluoc  passot 

149.')    Uns  frères  qui  bien  l'aperçoit 
Que  Renars  li  ros  les  decoit. 
Quant  reconte  fu  au  covent, 
Renart  en  out  blâme  sovent. 
Renars  lor  en  velt  droit  ofrir: 

1500    Frère  Bernart  nel  pot  soffrir: 


1468  a  1  en  1469  tVoit  147U  selt  1473  mosteroie  1479  desnocliP 
1480  maia  1485  nus]  un  1493  nul  1494  marger  1496  les  |  se  1499 
uait     1500  .B'. 


YI  (Méun  10251  —  10289)  239 

Ja  ravoit  niangie  un  corbel 

Qu'il  avoient  en  lor  prael. 

Tant  larecins  lor  avoit  fet 

Que  bien   voit  que  il  s'est  mesfet. 
1505    A  Renart  ont  toluz  les  dras, 

Congie  li  donent.  tôt  fu  gras: 

Ne  demandoit  autres  loreins 

Ne  mes  qu'il  fust  hors  de  lor  moins. 

A  merveilles  lie  s'en  fesoit, 
1510    Car  li  oi'dres  li  desplaisoit. 

Tornez  s'en  est  tôt  le  chemin. 

Encor  nuira  a  Ysengrin. 

Li  moigne  l'ont  mis  a  la  voie, 

Toz^  solz  s'en  vet,  nus  nel  convoie. 
1515    Molt  manache  ses  enemis. 

Par  qui  il  fu  en  peine  mis. 

Sa  teste  jure  coronee 

Que  ja  s'ire  n'iert  pardouee 

A  Ysengrin  ne  a  Tybert 
i:)20    Par  qui  il  a  tant  maus  sofert. 

Roeniaus  ert  en  une  haie, 

De  loin  le  voit,  forment  l'esmaie: 

Si  s'escrie  Vois  le  rendu 

Que  devien  avoir  pendu.' 
1525    Cil  n'a  talant  de  ranproner, 

Forment  s'aqelt  a  trestorner 

Tant  que  il  vint  en  sa  tesnere 

Ou  a  trove  sa  feme  chère. 

Quant  le  vit,  grant  joie  en  a, 
1580    En  son  cuer  s'en  esleeca. 

Car  molt  avoit  grant  dol  oii 

D'Ysengrin    qui  l'avoit  veincu. 

Si  dui  fil  fout  Joie  molt  grant 

Quant  lor  père  voient  vivant: 
15)35    Quant  soin  le  voient  repairier, 

Or  nés  porroit  nus  corocher. 


1509  merueille    1514  nul    1519  Yscngrinz    1521  Ruiaus     1522  loinz 
1524  deuen     1528  trouée     1528  Q.  ele  le 


240 


VI  (Méon   15290—102941 

Molt  fu  bien  aeesmes  li  estre. 
Renaît  qui  fu  res  conme  prestre, 
Ot  molt  grant  talant  de  manger. 
1510    L'eve  commanda  a  hucher 
Et  l'en  li  a  tost  aportee. 
Ses  filz  ont  la  table  posée.  —   — 


1540  commenche 


(Méon  27783—27808; 


VII 

Fous  est  qui  croit  sa  foie  pense  :       (50) 
Molt  remeint  de  ce  que  fous  pensé. 
Fous  est  qui  croit  foie  espérance, 
Que  toz  li  monz  est  en  balance. 
5    Fortune  se  joe  del  mont: 
Li  un  vienent,  li  autre  vont. 
L'un  met  en  bien,  l'autre  en  la  briche, 
Si  fet  l'un  povre  et  l'autre  riche. 
Tex  est  la  costume  Fortune 

10    Que  l'un  eime,  l'autre  rancune. 
Ele  n'est  mie  amie  a  toz, 
L'un  met  desus.  l'autre  dcsoz: 
Et  celui  qu'ele  met  plus  haut 
Fit  qui  mous  fet  et  qui  meus  vaut, 

15    Fait  ele  un  maveis  saut  saillir 
Ou  a  l'entrer  ou  a  l'issir, 

Segnor,  cist  mondes  est  prestez, 
Li  uns  a  poi,  li  autre  asez: 
Et  qui  plus  a,  tant  doit  il  plus, 

20    De  tant  sont  li  povre  au  desus. 
Et  qui  poi  enprunte,  poi  rent: 
En  le  lest  vivre  bonement. 
Tex  a  ores  grant  poeste, 
Qu'ancois  que  un  an  soit  pase 


4  Fortuiii' 
sert     18  et  liiutiM 


KKVART      1 


IG 


242  AMI  (.Méon  27809—27848) 

25    Sera  de  molt  povre  pooir, 
Ice  saches  vus  tôt  de  voir. 
Par  mon  chef,  ce  n'est  mie  gas, 
L'en  vient  molt  bien  de  haut  en  bas, 
Par  foi,  et  de  molt  grant  bassece 

30    Revient  en  bien  en  grant  hautece. 
Vav  ce  est  dioiz  que  je  me  tese. 
D'autrui  avoir  a  l'en  grant  ese: 
Ge  quit  que  grant  biens  en  vcndroit, 
Qui  reison  i  esgarderoit. 

35    Qar  qui  ovre  solonc  reson, 

Ne  l'en  puet  venir  se  bien  non. 
Molt  est  fox  qui  meine  ponee 
De  chose  qui  li  est  prestee: 
Costume  est  d'autrui  garnement, 

40    Qui  froit  lo  vest  et  caut  le  rent. 
Poz  est  qui  por  son  grant  oiir 
Est  en  cest  siècle  asoiir  : 
Car  je  vos  di  bien  seinz  feintise, 
Tant  vait  li  poz  al  puis  qu'il  brise. 

45    Ou  tost  ou  tart,  ou  près  ou  loin 
A  li  fors  del  feble  besoin. 

Cest  essample  vos  ai  mostrez 
Por  Renart  qui  tant  est  devez 
Et  qui  ovre  contre  nature. 

50    Ja  nus  n'aura  de  lui  droiture, 
Il  prent  a  tort,  il  prent  a  droit, 
C'est  merveille  qu'il  ne  recroit. 
Mes  certes  ja  ne  recreira 
Devant  ce  qu'il  l'en  mescarra: 

55    Car  son  deable  le  demeine, 
Et  si  est  toz  en  son  demeine 
Qui  de  lui  ne  se  velt  partir 
Jusq'a  tant  qu'il  l'ait  fait  honir. 
Une  pièce  puet  il  rener. 


29  basseiice  '.W  m  molt  bien  ;U  est  bien  d.  toise  33  l  \en  3(>  pot 
87  Meint  88  que  89  ."•iinuMiiPiis  40  (nic  f.  loust  41  i)iir  42  s.  i.liis  a. 
45  tart  après  ou     48  Par 


243 


VII  (Méon  27844—27886) 

60    Mes  après  le  fet  trébucher: 
Pendre  le  fet  ou  afoler, 

Ardoir  en  fu  et  enbraser 

Ou  a  si  grant  honte  baillir 

Qu'a  noient  le  fet  devenir. 
65    Certes  qui  sert  itel  baron, 

Ne  l'en  puet  venir  se  mal  non. 

Je  ne  di  pas  par  tôt  folie, 

N'il  n'est  pas  droit  que  ja  la  die. 
Se  vos  le  voles  consentir, 
70    Je  vos  dirai  ja  sans  mentir 

De  Renart  le  gopil  la  vie, 

Qui  a  fet  tante  trecherie 

Et  qui  tant  home  a  decoû 

Que  par  engin  que  par  vertu. 
75    II  n'est  nus  hom  que  il  n'engigne. 

Il  avint  l'autrer  a  Conpigne 

Que  Renars  fu  del  bois  issus. 

Si  s'en  ala  les  saus  menus 

Droit  a  une  grant  abeïe. 
80    La  avoit  une  conpaignie 

De  capons  cras  et  sojornez. 

Celé  part  est  Renart  alez. 

Une  ne  fina,  si  vint  tôt  droit 

La  u  li  jeliniers  estoit. 
85    Et  quant  il  vint  au  jelinier, 

Si  conmenca  a  oreillier, 

Se  les  gelines  somelloient. 

Et  quant  il  vit  qu'eles  dormoient.  51 

A  soi  sacha  le  paleszon 
90    Qui  est  liez  d'un  hardellon. 

Tôt  coiement  et  aseri 

Un  capon  prent,  n'a  pas  failli, 
Qui  bien  valoit  cinc  et  maaille. 
One  n'i  quist  nape  ne  toaille: 
95    Premerement  li  ront  la  teste. 

Renart  mangue  et  fet  grant  feste. 


63  baillier     86  rooUier     87  Se  manque    g.  qui  s.    98.  94  uianqiioif 

16* 


244  VII  (Méon  27889—27922) 

Ne  fet  pas  senblant  au  manger 
Que  li  chapon  li  fussent  cher. 
Molt  par  se  contient  ferement. 

100    Au  chapon  vent  son  mautalant 
Qui  ni  avoit  nient  mesfet: 
Mes  bien  saves  que  ausic  vet, 
Qu'il  avient  bien  souent  a  cort 
Que  tex  ne  pèche  qui  encort. 

105    Molt  a  Renars  de  ses  aveax, 
Car  il  mangue  bons  morseax, 
Qui  grant  bien  li  font  a  son  cuer. 
La  plume  et  les  os  jeté  puer. 
Molt  fet  Renart  riche  relief, 

110    Et  si  jure  sovent  son  chef 
Que  maigre  tos  les  mainiax 
En  mangera  il  des  plus  baus. 
Molt  afiche  son  serement, 
Mes  il  ne  set  qla  rueiljj  pent^  - 

115         Or  lairons  de  Renart  a  tant 
Et  si  diromes  d'un  serjant 
Qui  releva  la  nuit  pissier, 
Si  a  oï  Renart  rongier. 
Molt  durement  s'esmerveilla 

120    Et  en  après  se  porpensa 

Que  c'estoit  gorpils  ou  tessons 
Qui  estoit  venus  as  capons. 
Au  gelinier  en  vint  corant, 
L'uis  defeima  de  meintenant, 

125    Reclos  Ta  molt  bien  et  serez: 
Or  est  Renars  bien  atrapez. 
A  tant  s'en  vet  en  la  meson. 
Fuis  s'escria  a  molt  haut  ton 
Levez  tost  sus  et  si  m'eidies! 

IHO  Or  est  li  gorpil  enginnies. 
Or  sauva  il  asez  de  frape, 
Se  il  de  ma  prison  eschape. 


102  ausir     1U4  ni  \k  q.  iiacort    lO.")  iuunix     111   m.  as  m.    114  luis 
Uô   Or     le  1       i::!  1—1^3   niKiiquriit 


YII  (Méon  27923—27955)  245 

Or  tost  sus!  si  Talon  tuer!' 

Qui  lors  veïst  moignes  lever, 
135    Qui  ainz  ainz  core  au  jelinier 

Por  lor  gelines  aïdier, 

Bien  li  menbrast  de  gent  iree. 

Mal  vit  Renars  ceste  asamblee, 

El  li  sera  molt  cher  vendue. 
140    î^'i  a  cel  qui  ne  port  macue 

Dunt  il  manacent  a  ferir 

Renart,  s'il  le  poent  tenir. 

A  l'uis  vienent.  si  le  déferaient, 

Trestuit  de  bien  ferir  s'aesment: 
145    Enz  entrèrent  trestuit  ensenble. 

Renars  fremist,  li  cuers  li  tremble, 

Molt  se  dehaite  et  molt  s'esmaie, 

Bien  set  que  sanz  cop  ne  sanz  plaie 

Ne  puet  issir  del  jelinier. 
150    'Ha'  fet  il,  'moignes  sont  si  fier 

Et  gens  de  molt  maie  manere, 

Rien  ne  feroient  por  proiere. 

Ha,  que  ferai?  se  prestre  oiisse. 

Corpus  domini  recoiisse, 
155    Et  a  lui  confes  me  feïsse. 

Car  se  mes  pèches  rejeïsse. 

Ne  m'en  poïst  venir  nus  maus. 

Se  morusse,  si  fusse  sax. 

Il  n'est  mie  tôt  or  qui  luist, 
160    Et  tex  ne  puet  aidier  qui  nuist. 

Por  ce  qu'il  vestent  capes  noires, 

Si  les  apele  l'en  provoires: 

Mes  il  sont  tuit  cou  forsenez. 

Meuls  les  puis  apeler  maufez: 
165    Maufe  sont  noir  et  cist  ausi. 


134  Qui  la  i39Ele  s.  142  se  il  143  uindrent  sil  defermerent  144 
f.  iurerent  146  la  char  li  152  ferunt  par  154  domine  157  nus  mau» 
uenir  Après  157  le  mue  A  intercale  ces  deux  vers  Et  ce  sai  ie  bien  sanz 
mentir  Car  mit'  sont  fier  cist  moniaux  158  Se  ie  muir  ci  si  Sf^ra  s. 
159  luit     160  pot     nuit     161  sil  u.  capaus      163  con  ]  por     165  manque 


2-46  VII  (Méon  27956—27990) 

Bien  les  puis  apeler  einsi. 
Ce  me  convient  ore  esprover, 
Bien  les  puis  einsi  apeler.' 

A  cest  mot  saut  Renars  en  place, 

170    Molt  se  recorce  et  se  rebrace, 
Molt  sapareille  de  foïr. 
Vers  lui  vit  un  moigne  venir 
Qui  si  le  fiert  parmi  les  reins 
D'une  grant  macue  a  dous  meins, 

175    Que  a  terre  l'abat  tôt  plat. 
Ez  voz  Renart  hontex  et  mat. 
Si  se  redresce  conme  cil 
Qui  est  estors  de  meint  péril. 
Quant  il  vit  que  chascuns  l'asaut, 

180    Parmi  euls  toz  a  fait  un  saut 
Qui  qatre  des  moignes  trespasse. 
Mes  ce  que  vaut?  Li  uns  l'esquasse, 
Li  uns  le  fiert,  l'autre  le  bote. 
Or  est  entres  en  tele  rote 

185    Dunt  ses  hauberz  et  ses  escus 
Sera  desmailliez  et  ronpuz. 
A  la  parfin  l'ont  tant  mené, 
Tant  travellie  et  tant  pêne 
Que  em  plus  de  quatorze  leus 

190    Li  a  mestier  ogulle  et  fins. 

Tant  home  ont  de  Renart  fable, 
Mes  j'en  dirai  la  vérité 
En  ceste  brance  sanz  esloignc: 
Or  nel  tenes  pas  a  niencoigne! 

195    Quant  Renars  se  fu  délivrez 
Et  des  moignes  fu  escapez, 
Saches  que  molt  li  en  fu  bel. 
Puiant  s'en  vet  tôt  un  vaucel. 
Apres  s'en  vet  par  un  grant  bos, 

200    Molt  li  sue  la  pel  du  dos. 


166  insi  170  sest'orce  et  mit'  sesbrace  172  luis  173  Que  174 
grant  manque  175  Qat  labat  hontex  et  mat  176  nutnque  182  M. 
de  ce     184  entreus     195  m.  len  fu  a  b.     199  bois 


VII  (Méon  27991—28028)  247 

Fuiant  s'en  vet  grant  aleiire 

Con  cil  qui  pas  ne  s'asoure: 

Qu'il  ne  dit  mie   eus,  siu  moi', 

Mes  'se  tu  pues,  pense  de  toi!' 
205    Malveisement  eidast  autrui 

Cil  qui  son  cul  lait  après  lui: 

Se  je  fusse  en  sa  conpaignie, 

Petit  me  fiasse  en  s'aïe. 

Une  ne  fina  de  cure  a  toise: 
210    S'est  venuz  sor  la  rive  d'Oise. 

Et  qant  il  vint  sor  la  rivere, 

Garda  avant,  garda  ariere, 

Si  a  choisi  enmi  un  pre 

Un  mulon  de  fein  ahune 
215    Que  iloques  estoit  laissiez 

Por  ce  qu'il  n'est  pas  essuiez. 

Hoc  fist  li  gorpil  son  nit. 

En  sus  se  drece  un  sol  petit. 

Car  il  se  voloit  eslascher 
220    Eincois  que  il  s'alast  cocher. 

Il  a  mis  la  coe  en  arcon 

Si  fist  set  pes  en  un  randon. 

'Icist  premiers  soit  por  mon  père 

Et  l'autre  por  l'arme  ma  mère, 
225    Et  li  tiers  por  mes  bienfetors 

Et  por  toz  apresleceors, 

Et  li  quars  soit  por  les  jelinez 

Dont  j'oi  rongies  les  escines,  ô2 

Et  li  quins  soit  por  le  vilein 
230    Qui  ici  aûna  cest  fein. 

Li  sistes  soit  par  druerie 

Dame  Hersenz  ma  douce  amie. 

Et  li  semés  soit  Ysengrin 

Qui  dex  doinst  demein  mal  matin 
235    Et  maie  encontre  a  son  lever. 

Maie  mort  le  puisse  acorer! 


204  pos     206  li     214  mule      221   en  le  crépon      222  Se  sist  .VIT. 
pies     234  maie  fin     235  m.  honte  a 


248  VII  (Méon  28031—28066) 

Car  je  he  molt  le  cors  de  lui. 
Ja  ne  voie  il  tel  jor  conme  hui! 
A  maie  hart  puisse  il  pendre 

240    Que  nus  ne  l'en  puisse  desfendre! 
Se  je  soi  onques  de  barat, 
Pendus  iert  il  a  maie  hart.' 

Atant  se  rest  aies  jesir, 
Car  talant  a  voit  de  dormir. 

245    Si  se  conmande  as  douze  apostres. 
Puis  a  dit  douze  patrenostres 
Que  dex  garisse  toz  larons, 
Toz  traïtors  et  toz  félons, 
Toz  félons  et  toz  traïtors, 

250    Et  toz  aprimes  lecheors 

Qui  meus  eiment  les  cras  morsaux 
Qu'il  ne  font  cotes  ne  mantax, 
Et  toz  cous  qui  de  barat  vivent 
Et  qui  prenent  quanqu'il  consivent. 

255     Mes  as  moignes  et  as  abez 
Et  as  provoires  coronez, 
Et  as  hermites  des  boscagez, 
Dunt  il  ne  seroit  nuz  damagez, 
Pri  deu  qu'il  doigne  grant  torment 

260    Si  qu'en  le  voie  apertement." 
Ce  dist  Renart  li  forsenez 
Qui  meinz  homes  a  barétez 
'Car  qui  bien  fet,  ne  doit  pas  vivre. 
Mes  cil  qui  tôt  ades  s'enivre. 

265    Et  cil  qui  emble,  et  cil  qui  toust 
Et  qui  enprunte  et  rien  ne  sost, 
Ja  cist  secles  ne  doit  faillir. 
Et  dex,  vos  m'en  puissies  oïr, 
Que  ja  icist  siècles  ne  muire: 

270    Que  péchez  seroit  del'  destruire." 
Ce  fu  la  proiere  Renart 
Le  traïtor  de  maie  part. 


237  hee     239  prendre     241  ie  onques  soi  riens      246  dit  .IIII.  p. 
254  prene     conseuet     262  home     266  na  sost 


A^II  (Méon  28067—28102)  249 

Atant  se  test  li  renoiez, 

Si  mist  la  teste  entre  ses  piez. 
275    Or  sachez  bien  soiireraent 

Que  il  savoit  bien  vraiement 

Que  se  dex  aïdast  as  maux, 

Adonques  seroit  il  bien  saux: 

Que  plus  1ère  de  lui  ne  fu 
280    Des  icel  ore  que  dex  fu. 

Li  gorpil  fu  tost  endormiz, 

Car  molt  estoit  soef  ses  Hz. 
Au  matin  quant  il  s'esveilla, 

Un  mot  dit  que  fere  quida: 
285    'Lèverai  moi,  s'irai  en  proie. 

Dan  Gonberz  a  une  crasse  oie 

Que  il  a  fet  en  franc  norrir. 

Bien  se  cuide  fere  servir, 

Au  noël  la  cuide  mangier. 
290    Mes  se  je  puis  tant  esploitier, 

Ja  ne  la  verra  neïs  cuire. 

Je  en  ferai  mes  gernons  bruire, 

Hui  en  cest  jor  sanz  demorance 

Saura  je  qu'ele  a  en  la  pance. 
295    Honte  ait  fors  deu  qui  destina 

Conques  vilein  d'oie  manga! 

Yilein  doit  vivre  de  cardons, 

Mes  moi  et  ces  autres  barons 

Lait  l'en  les  bons  morsaus  mangier: 
300    Car  nus  les  manjon  sanz  dangier.' 
Les  crestines  crourent  la  nuit: 

Encor  nos  en  sentons  nus  tuit, 

Car  li  ble  en  furent  plus  cher 

Troi  sols  ou  quatre  le  sestier. 
305    Qant  il  vit  l'eve  blanchoier 

Et  le  mulon  dedenz  plungier, 

Si  se  conmence  a  démonter 

Con  d'iloc  porra  escaper. 


287  II  f.  bien  en  sein  n.    300  les  deuons  bien  mangier     'SOI  qourcnt 
:i01  .III.  f.  ou  .IIII.     305  leue  ablanchoer     306  inuir 


250 


VII  (Méon  28105— 28U2) 

Que  que  il  se  vait  démentant, 

310    Es  vos  un  escofle  volant 
Qui  iloc  s'aloit  reposer 
Por  ce  q'il  est  las  de  voler: 
Vers  le  mullon  s'est  adreciez. 
Renart  le  voit,  si  s'est  dreciez. 

315     Sire'  fait  il,  'bien  veignez  vos! 
Sees  vos  ci  dejoste  nos, 
Lez  ceste  lasse  créature 
Qui  est  ici  en  aventure 
Et  en  dotance  de  morir. 

320    Sire,  bien  puissiez  vos  venir: 
Yos  soiez  hui  li  bien  venuz. 
Or  m'a  dex  fait  molt  grant  vertuz 
Q'il  vos  a  ici  envoie: 
Or  serai  confes,  ce  croi  gie.' 

325    Li  escofles  le  vit  plorer, 
Lez  lui  s'est  alez  demorer, 
Et  si  li  conmence  un  sarmon 
Por  reconforter  le  gloton. 
'Renart'  ce  dist  sire  Huberz, 

330    'Par  le  temple  ou  dex  fu  oferz, 
Clerc  et  provoire  sont  tuit  fol. 
Ja  dex  ne  place  que  je  vol 
De  sus  cest  fein  a  terre  sèche. 
Se  orne  vaut  rien  qui  ne  pèche, 

335    Ne  hons  qui  n'a  fet  asez  mal. 
Li  pautonnier,  li  desloial, 
Li  traïtor,  li  foimentie. 
Cil  sont  des  peines  d'enfer  quite.' 
Atant  a  son  sarmon  feni. 

340    'Bau  frère'  fait  il,  'or  me  di! 
Or  pues  tes  pèches  rejeïr, 
Et  je  sui  toz  près  del  dïr.' 
'Sire'  dist  Renars,  'volontiers. 
J'ai  este  set  mois  toz  entiers 


812  ce  q  il     82-4  Oro     «o  nianijnc     8S4  Somo     ;{35.  386  main/iinit 
888    sont    dçyfçr  des  peines  denfer 


VII  (Méon  28143-28178)  251 

345    Parjure  et  eseuminiez. 

Mes  ce  n'est  mie  grant  peciez  : 

Ja  por  escuminacion 

N'aura  m'arme  damnaciom. 

Sire,  g'ai  este  sodomites, 
350    Encore  sui  je  fins  hérites. 

Si  ai  este  popelicans 

Et  renaie  les  cristiens. 

Je  hax  hora  frans  et  debonaire. 

Volentiers  preïsse  la  haire 
355    Et  devenisse  moignes   blans: 

Mes  j'ai  un  mal  parmi  les  flans 

Qui  chascun  jor  par  droite  rente 

Me  reprent  bien  vint  fois  ou  trente. 

Et  je  sai  bien  que  moignes  noir 
360    Trestos  sont  faillis  et  por  voir 

N'ont  cure  d'ome  s'il  n'est  seins 

Ou  s'il  n'est  clers  ou  chapeleins. 

Sire,  je  ai  molt  grant  essoigne 

Que  je  ne  puis  devenir  moigne: 
365    Car  je  ne  sai  parler  latin.  53 

Si  manguz  volentiers  matin. 

Sire,  je  ne  puis  jeiiner 

Ne  tiens  espandre  n'aouner 

Ne  fere  les  ovres  qu'il  font, 
370    Qui  me  dorroit  trestot  le  mont. 

Si  ai  la  crope  trop  liegere 

Et  fol  samblant  et  foie  chère, 

Qui  trop  sovent  me  feroit  batre. 

Por  ce  si  ne  m'i  os  enbatre. 
375    Par  le  cuer  be,  la  ou  l'en  bat, 

Dunt  n'est  il  fox  qui  s'i  enbat? 

Moigne  noir  sont  trop  a  mal  ese, 

Ja  n'auront  cose  qui  lor  plese, 

Trop  sont  tenu  en  grant  destrece. 
380    Neïs  l'abe  qui  les  adrece 

Bâtent  il  bien  le  dos  deriere, 


345  Pariures      346  nestoit  m.      347  Gai  p.      349  sodomiees      350 
hermites     363  deboname     364  puisse     373  ni  mi     380  li  abe 


252  VII  fMéon  28179—28214) 

Quant  il  fet  une  maie  chère. 

Pe  ce  esploistent  il  molt  mal 

Q'entr'eus  ne  font  un  jeneral 
385    De  foutre  une  fois  la  semeine, 

S'en  seroit  l'ordre  molt  plus  seine. 

Et  quant  il  oûssont  fotu 

Et  ele  eûst  le  cul  batu, 

Si  la  meïssent  hors  de  cloistre 
390    Tant  que  il  fust  saisons  de  croistre. 

Car  se  reraanoit  au  covent, 

Il  la  foutroient  trop  sovent. 

Si  n'en  porroit  soffrir  la  peine, 

Car  trop  sont  lecheor  li  moine. 
395    II  la  conbriseroient  tote 

Si  que  ja  mes  ne  tendroit  gote. 

Et  il  porroit  bien  avenir 

Que  grant  mal  en  porroit  venir, 

Que  il  entr'eus  se  conbatroient 
400    Si  que  il  s'escerveleroient. 

Car  chascun  volroit  fotre  avant, 

Ausi  li  viel  con  li  enfant, 

Et  li  serjant  conme  li  mestre. 

Et  iee  ne  porroit  pas  estre, 
AOb    Ce  ne  seroit  mie  raisons: 

Que  blâme  en  auroit  la  mesons,        ^ 

Si  en  seroit  pire  lor  ordre. 

Por  ce  ne  lor  veut  l'en  amordre. 

Li  blans  ordres  par  est  si  fors, 
410    Nus  n'i  entre  qui  n'i  soit  mors 

De  jeiiner  et  de  veiller, 

De  chanter  et  de  versellier 

Et  d'ovrer  et  de  laborer. 
Si  n'i  fait  pas  bon  demorer, 
415    Ce  dient  cil  qu'i  ont  este. 
Car  je  n'en  sai  la  vérité: 

385  f.  en  la      390   quil    oussent   talant    de      391  sele  r. 

vei-s   392—396  ont  été  fudomonif/és.      393  El  non    -396  si 

roit      Les  vers  397  — 400    sont  coupés    du    feuille;    du    vise. 


383  cil 

auoc 

c       Les 

DKt'IKIt 

<ie      uen 

410  s. 

,  pas  la 

VII  (Méon  28215—28252)  253 

Mes  j'en  oï  Ysensfrin  pleindre, 
Qui  est  ases  plus  fors  et  greindre 
Que  je  ne  sui  bien  les  deus  parz. 
420    II  me  dist  q'uns  molt  raavais  garz 
L'out  sic  el  capistre  batu, 
Tôt  en  a  le  cors  confundu. 
Qui  le  feroit  seignor  del  mont 
Et  de  trestoz  couls  qui  i  sont, 
425    N'entreroit  il  en  l'abeïe, 
Si  par  a  il  l'ordre  enhaïe. 
Et  je  conment  i  entreroie 
Qui  nul  mal  soffrir  ne  porroie, 
Ne  qui  consirrer  ne  me  puis 
430    De  Hersent  ne  de  son  pertuis? 

l'artuis!  je  ment,  ains  est  grant  chose: 
Molt  est  hardiz  qui  nomer  l'ose. 
Car  por  seul  itant  qu'il  m'en  membre 
M'en  remuent  trestuit  li  membre 
43.')    Et  heriche  tote  la  charz 

Par  mon  chef,  ce  n'est  mie  gaz. 
Car  ce  est  li  plus  nobles  nons 
Qui  soit  en  cest  siècle  que  cons. 
C'est  merveille,  quant  om  le  nome, 
440    Que  c'est  ce  que  plus  honist  l'ome 
Et  ce  que  plus  le  torno  a  mal 
Et  plus  le  fait  torner  el  val. 
Et  des  que  il  li  veut  aidier, 
De  ce  ne  fait  pas  a  plaidier, 
445    II  li  done  plus  en  un  jor 

De  joie  et  de  bien  et  d'onor 

Que  boce  d'ome  ne  puet  dire. 

Cons  est  li  plus  sovereins  mire 

Que  puisse  envers  amors  trover. 
450    Ce  n'est  or  mie  a  esprover. 

Car  maint  home  en  sont  gari 

Qui  autrement  fussent  péri. 


423  froit  s.  de  A  partir  de  est  f;rant  clio.su  (h(  r  4:J1  Jusqu'à  la 
fin  iln  r.  434  le  texte  a  é  é  coupé  dans  le  mue.  444  Ht  de  443  quil 
pas  mauijue     448  soureins     450  ore     451.  452  manquent 


254  VII  (Méon  28261—28294) 

Et  encore  en  garront  il  meint, 

S'en  lor  maveiste  ne  remeint. 
455    Et  qui  par  maveiste  perdra, 

Dahez  ait  qui  l'en  aidera. 

Ne  quidies  pas  que  ce  soit  fables. 

Je  ne  voudroie  mie  estre  abes, 

Se  Hersent  n'estoit  abeesse 
4t)0    Ou  celerere  ou  prioresse, 

Ou  qu'ele  fust  en  teil  leu  mise 

Qu'ele  fust  hors  de  lor  devise. 

Que  j'en  pousse  avoir  mes  bons 

Et  ele  ausi  de  moi  les  sons. 
465    Car  molt  est  l'ordre  bone  et  bêle 

Qui  est  de  maie  et  de  femele.' 
Li  escouflcs  prist  a  parler 

Qui  n'i  voloit  plus  demorer. 

Renart  conmence  a  chastier 
470    Et  durement  a  laidengier. 

'Fel  nein,  fel  rous,  fel  descreiiz, 

Tant  par  es  ores  descoûs 

Que  Hersent  as  t'amor  donee, 

A  une  vielle  espoistronee 
475    Qui  ne  puet  mes  ses  pies  tenir. 

L'en  la  puet  bien  trop  meintenir. 

Renart,  molt  par  est  ses  cons  baux! 

Hersent  ja  os  ce  uns  corbaux. 

C'est  une  estrie  barbelée 
480    Qui  a  porte  verge  pelée 

Espoir  bien  a  passe  cent  anz, 

Ou  plus  ou  moins,  je  nç  sai  qanz. 

Mes  itant  te  di  je  de  voir, 

Et  tu  le  doûsses  savoir, 
485    Qu'il  n'a  jusqu'à  la  mer  betee 

CJarcon  qui  ne  l'ait  garconee. 

Haï  haï!  quel  druerie! 

Trop  est  vielle  sa  puterie. 


454  Si  en  4G2  Q'ele  464  soueiis  466  qui  iwiiK/nr  Les  vv. 
■t67  — 470  manqiti'iit  (Unis  h  msc.  par  ce  que  le  feuillet  j/esf  coupé.  472  est 
477  par  luunipie     ccst     479  estrie  |  uielle     485  Qui  iusqua  la 


VII  (Méon  28295—28324)  255 

Ele  a  entor  le  cul  plus  fronces 
490    Qu'en  un  arpen  de  bois  n'ait  ronces. 

Dont  par  devroies  ores  fondre. 

Ja  te  porroies  tu  repondre 

En  la  pel  qui  au  cul  li  pent. 

Fe  te  confes,  si  te  repent 
495    Et  de  ces  pèches  et  des  autres 

Que  tu  ne  voises  o  les  autres 

Qui  en  enfer  voisent  tôt  quite! 

Ya  t'en  en  Inde  ou  en  Egipte 

Ou  en  une  lointaine  terre, 
500    Ele  ne  t'iroit  avant  querre, 

Ainz  t'auroit  tost  mis  en  oubli. 

Se  tu  estoies  a  Chambli 

Et  ele  estoit  a  Ronqueroles,  54 

Por  que  les  terres  fussent  moles, 
505    Ne  t'iroit  ele  auan  veoir, 

Toz  jors  i  porroies  seoir. 

Eincois  requerroit  un  tafur 

Qui  auroit  le  vit  gros  et  dur, 

Dunt  el  feroit  tenter  sa  plaie 
510    En  leu  d'estopes  et  de  naie. 

Il  na  el  sieqle  si  grant  tente, 

S'ele  estoit  enz,  que  ja  la  sente, 

Ne  plus  que  se  ce  fust  neanz. 

Car  la  plaie  qui  est  dedens 
515    Li  fu  trop  férue  en  parfont. 

Cest  plaie  que  cist  archer  font 

Ele  a  a  tôt  le  meins  deus  fonz: 

Mes  icele  plaie  est  parfons. 

Si  n'est  plaie  el  monde  si  gries. 
520    Que  celé  garist  de  legiers, 

Que  l'en  puet  tenter  et  chercier: 

Mes  ci  ne  puet  mires  tocher. 


491  deueroios  492  respondre  499  loigne  Après  le  v.  500  le  tusc. 
donne  le  V.  ôOl  au  deasoifs  du  quel  trois  liyius  ont  été  coupées.  501.  502 
manquent  504  Par  505  auant  uoir  509  ele  f.  enter  510  manque  512 
manque  513  q.  ceste  f.  514  Car  1  En  515  Li  ]  EIc  f  enfcrue  p.  520 
Me?  icele 


256  VII  (Méon  28325—28360) 

Par  oignement  ne  par  poison 
Wi  puet  nus  mètre  garison. 

525    Si  metroit  l'en  por  neent  peine 

Qu'el  n'ert  james  de  cel  mal  seine. 
La  mer  seroit  avant  tarie 
Qu'ele  fust  de  cel  mal  garie. 
L'en  ne  porroit  sa  rage  esteindre, 

530    Nus  ne  porroit  au  fons  ateindre. 
Et  se  en  la  plaie  n'a  tente, 
Por  nient  i  met  l'en  s'entente. 
Ice  vos  di  je  sanz  reles 
Qu'ele  n'en  garira  james, 

535    Ainz  ardra  pardurablement  : 
Car  c'est  plaie  sanz  finement. 
Et  une  itele  vielle  sece 
Art  plus  de  fotre  q'une  mece. 
Ele  a  toz  jors  le  con  bae, 

540    En  meins  de  leu  a  l'en  gae 
Un  palefroi  a  qatre  piez. 
De  qatre  soudées  d'oint  viez 
Ne  seroient  les  fronces  pleines 
Que  la  vielle  a  entre  les  eines. 

545    De  bêle  feme  est  baux  pieches: 
Mes  de  vielle  est  le  cuir  séchiez. 
Qui  plus  la  moilleroit  ouan, 
Tant  seroit  plus  sèche  encoan. 
Hersent  n'a  mes  dent  en  la  gole, 

550    Si  a  plus  mal  fet  tote  sole 

Que  totes  les  puteins  del  mont. 
Hersent  poile  et  Hersent  tout, 
Hersent  escorce.  Hersent  plume. 
Maldite  soit  tote  s'enclume, 

555    Qu'ele  a  plus  cops  de  coille  oiis 
Qu'il  n'a  foilles  en  cent  soiis 
En  este  quant  les  foilles  sont. 
Ha,  quex  délices  dun  toz  ont! 


524  Nit  pot  525  Sil  m.  529  esteigdre  531  en  nxaujne  nest  ateintc 
532  metroit  len  ente  534  garra  538  que  une  546  est  orz  conches  551 
de  m.     552  H.  plume  et  poile  tant     555  cols     557  sont  manque 


YII  (Mfkm  28361-28394)  257 

Onques  Richel  n'en  sot  néant, 
560    Ne  nul  barat  envers  Hersent. 

Qui  sauroit  donc  se  Hersent  non 

Des  le  tens  le  roi  Salomon 

A  ele  itel  mester  mené? 

Ce  sachoiz  tôt  de  vérité, 
565    En  tote  Franche  n'a  mortier 

Qui  tant  soit  bons  forz  ne  entier: 

Tant  fust  de  liois  ou  de  coivre, 

Por  qoi  qu'il  fust  autretant  coivre, 

Ne  eùst  le  fons  abatu, 
570    S'en  i  oiist  autant  batu, 

Ou  qu'il  ne  fust  brisies  encoste. 

L'en  met  el  suen  sovent  et  oste. 

Li  siens  n'iert  ja  que  puisse  oiseus. 

Des  Morenci  jusqu'à  Poisons 
575    N'a  nul  n'i  ait  sovent  bote, 

Meint  i  ont  tret  et  meint  boute. 

L'en  n'i  set  tant  boter  ne  trere 

Que  ja  a  lendemein  i  peire. 

Il  est  perdu  qanqu'en  i  met, 
580    Car  trop  set  la  veille  d'abet. 

Par  le  cuer  bieu,  quant  tu  aresces, 

Fes  tu  eschaces  jamberesces? 

Par  le  cuer  be,  c'est  la  fontene 

Qui  toz  jors  sort,  et  ja  n'ert  pleine. 
585    A  droit  a  non  Hersent  la  love, 

Car  c'est  celé  qui  toz  mauz  cove. 

Auques  set  ele  de  barat 

Quant  ele  au  cul  a  pris  Renart, 

Celui  qui  tôt  le  mont  decoit, 
590    Que  tôt  siècles  le  seit  et  voit. 

Mieuz  conchie  ne  sai  je  nul 

Que  celui  qui  est  pris  au  cul. 

Qui  cul  prent,  il  est  conciliez, 

Et  s'il  le  rent,  il  est  chiez. 


566  ne  ent  568  Par  574  iuqa  576  tnattque  Les  rv.  581.  582 
seraient  mietix  ]}h(cés  au  dessus  du  r.  621  comme  dnna  les  Disc.  BK. 
582  iamberes     585  loe     586  coe  588  auneul     592  priât 

RENART      1  17 


258  VII  (Méon  28395—28429) 

Ô95    Et  s'il  restreint  et  il  le  tient, 
Ne  dirai  pas  que  il  devient: 
Car  trop  i  auroit  vilein  mot, 
Si  m'en  tendroit  le  siècle  a  sot. 
Renart,  faites  une  autre  amie 

600    Qui  plus  sache  de  cortoisie 

Et  qui  un  poi  soit  plus  jounete. 
Et  qui  se  sache  tenir  nete 
En  sisamus,  en  sebelin. 
En  Moce  la  feme  Belin 

605    A  asez  bêle  et  jone  et  tendre. 
La  se  fet  il  molt  meus  entendre. 
Ele  n'est  pas  mal  enseignée 
Ainz  est  petite  et  aisée. 
La  doit  l'en  aler  et  venir 

610    Ou  l'en  puet  a  aise  venir. 

Mes  a  Hersent  la  trecheresse, 
Celé  qui  toz  mastins  aresce, 
Une  vielle  au  cul  puceus  1 
Il  n'a  niastiû  juqua  Poissons 

615    Ne  nul  veautre  que  trover  puise 
Qui  ne  li  ait  levé  la  cuisse, 
Et  vos  l'ames  ausi  de  cuer 
Conme  s'ele  fust'  vostre  suer. 
D'itant  est  li  jeus  mal  partis: 

620    Car  ele  est  granz  et  tu  petis. 
Il  ti  estuet  fere  degré 
S'ele  ne  se  coce  de  gre. 
Par  le  cuer  be,  qant  tu  i  viens. 
C'est  merveille  que  tu  deviens 

625    Au  jou  ou  toz  li  raons  se  soille. 
Se  tu  ères  toz  vis  ou  eoiile, 
Et  teste  et  col  et  ventre  et  piez, 
Ne  seroit  mie  pleins  li  bies. 


595.  596  intervertis,  mais  Ja  faute  est  corrigée  par  les  signes  b  a 
599  aute  601  Molt  a  bêle  feme  ionete  607  enseigne  608  aise  610  pot 
615  nul  ]  un      618  Con      622  de  son  g.      625  soilles     626  coilles 


VII  (Méon  28430—28465)  259 

630    Que  quant  que  il  ateint  s'i  nie. 
Je  ne  t'en  dirai  ore  plus, 
Car  il  n'avient  pas  a  reclus, 
Ne  a  moigne  ne  a  provoire 
Qu'il  die  chose  se  n'est  voire.' 
635         Renars  ot  s'amie  blâmer, 
Et  ledengier  et  mesamer  : 
Grant  dol  en  a  en  son  corage. 
Ne  tient  mie  l'escofle  a  sage 
Qui  si  vilainement  parole: 
640    Einz  li  est  vis  que  il  afole,  55 

Et  dist  soef  entre  ses  denz 
Mar  fu  ledengie  Hersenz. 
Je  en  prendrai  molt  grant  venchance 
Si  ne  la  pert  par  mescheance. 
645    Filz  a  puein,  maueis  bocuz, 
Ore  a  en  vos  maveis  reclus. 
•         Mesdit  aves  de  la  plus  france 

Qui  einz  portast  guimple  ne  mance, 
Ne  laz  de  soie  ne  ceinture. 
650    Ja  senble  ele  une  pointure 
Qui  soit  fête  por  esgarder. 
Je  me  lairoie  ancois  larder 
Que  j'en  deïsse  une  folie. 
Car  sa  doucor  m'estreint  et  lie  : 
655    Vos  par  en  aves  dit  trop  mal. 
Se  trestuit  li  rendu  d'un  val 
Estoient  orez  toz  des  voz. 
Si  en  sereez  vos  provoz. 
Je  vos  ferai  damage  avoir 
660    De  vostre  cors,  non  d'autre  avoir. 
Dahez  ait  qui  el  en  fera 
Ne  qui  autre  avoir  en  prendra 
Se  le  cors  non  de  meintenant 
Qui  a  parle  si  folement, 
665    Je  vos  ferai  en  mon  deu  croire. 


689  insit  uelment    640  quel  en  afole    641  Einz  «1.    t)4S  II  en  prendra 
644  Sil     648  donast 


260  VII  (Méon  28466—28501) 

S'onques  nus  manja  son  provoire, 
Je  vos  manjerai  en  cest  jor, 
Ja  n'en  aures  autre  retor. 
Je  m'en  terei  ore  a  itant, 

670    Car  je  dot  molt  chose  volant. 
S'il  savoit  ore  que  je  pense, 
Ja  por  proiere  ne  desfensse 
]S^e  lairoit  que  ne  s'en  volast, 
Ne  l'en  chaudroit  qui  en  pesast.' 

675         Renart  se  test  et  cil  parole 
Qui  ert  venus  a  maie  escole, 
Et  qui  son  diable  dechasce 
Et  qui  son  grant  ennui  porchace. 
'Di,  di  avant,  se  tu  sez  rien, 

680    Et  si  te  confesse  molt  bien!' 
'Sire,  j'ai  este  molt  pervers, 
Meinte  chose  ai  fête  a  envers, 
Que  je  ne  doiisse  pas  fere. 
Molt  ai  este  de  mal  afere 

685    Et  si  fel  et  si  desrubez. 

Quant  mon  cervel  est  detenpres: 
Neïs  li  abes  de  Corbie 
Duut  l'ordre  en  est  tote  enorbie: 
Huuant  li  roux  ne  Tabarie 

690    Qui  tuit  vivent  de  roberie. 

Ne  Qoquins  ne  Hernauz  li  roux 
Qui  vet  contant  des  roges  trouz, 
Ne  Herberz  cil  de  raales  bordez 
Qui  est  fet  au  coing  as  coordez 

695    Ne  missire  Hernauz  Bruiere 
Qui  fet  nape  de  sa  suiere: 
Ne  Mauduis  li  clers  d'Auteinvile 
Qui  tant  cuide  savoir  de  gile  : 
Ne  Godemaus  ne  Marcheterres, 

700    Qui  se  fet  or  molt  bon  borderez: 
Ne  Pieres  li  roux  ne  Fêtas 


670  mit'  répété  672  pooir  ne  par  d.  674  qui  quen  pasast  677 
diablie  chasce  678  Et  manque  san  682  a  manque  689  tubarie  690 
rolerie     694  ausit  conme  coordez     695  bruiêre     696  manque     700  ore 


VII  (Méon  28502—28536)  261 

Qui  sevent  remuer  lor  dras  : 

Ne  Richarz  li  cras  ne  Tanpeste  : 

Ne  tuit  cil  qui  sont  de  la  j'este 
705    N'ont  pas  tuit  entr'ous  alochie 

Que  je  ai  fet  le  mien  pechie. 

J'ai  fotu  la  fille  et  la  mère 

Et  toz  les  enfanz  et  le  père, 

Et  après  tote  la  mesnie, 
710    Si  dex  me  doinst  boivre  de  lie 

Ne  de  moure  ne  de  vin  cuit. 

Il  m'est  avenu  meinte  nuit 

Que  je  fotoie  quinze  fois. 

Mes  j'estoie  toz  jorz  aroiz. 
715    Je  sui  de  molt  chaude  nature. 

Quant  je  truis  con  a  ma  mesure, 

Je  fot  bien  dis  foiz  près  a  près, 

Et  noef  foïes  tôt  ades. 

Ja  n'iert  si  hideuse  la  beste, 
720    Nés  s'ele  n'avoit  oil  en  teste, 

N'est  nus  qui  men  puisse  tenser. 

J'ai  fait  que  nus  n'ose  penser, 

Car  je  manjai  un  mien  filloil. 

Qar  fusse  je  ore  a  Maroil 
725    Penduz  par  ma  pute  de  gorge  !' 

Li  huart  crent  qu'il  ne  le  morde, 

Ariere  se  tret,  si  Tesgarde. 

'Renart'  fait  il,  'li  max  fous  farde. 

Se  trestoz  li  cors  ne  me  tramble 
730         Plus  que  la  foille  qu'est  el  tranble. 

Et  si  ne  sai  que  ce  puet  estre.' 

Par  foi'  fet  Renart,  'bau  doz  m  estre. 

Do  ce  vos  dirai  bien  la  some. 

Il  est  costome  de  seint  ome, 
735    Quant  il  ot  parler  lecheor, 

Pécheresse  ne  pecheor. 

De  ce  a  poiir.  si  s'esmoie 


702  remuert  705  salochie  707  fotou  713  foisz  714  arez  720 
Neis  en  la  t.  721  que  me  p.  tenir  722  nus  ne  sauroit  p.  724  au  tilloil 
730  qui  est     el  tranle     731  pot     733  d.  ie  b.     735  p.  se  dex  me  uoie 


262  VII  (Méon  28537—28572) 

Qu'il  ne  le  traie  a  maie  voie 
Qui  en  maveisse  vie  meint.' 

740    Oez  del  1ère  con  l'ateint 
Et  con  il  l'atrait  de  parole  : 
Maldite  soit  tote  s'escole  ! 
Car  onques  ne  se  prist  a  beste 
A  oui  il  ne  feïst  moleste. 

745    Si  fera  il  cestui  molt  grant, 
Car  il  le  het  molt  dorement. 
As  denz  se  prent  parmi  la  coe, 
Si  puet  il  fere,  qu'ele  est  soe. 
Tôt  en  aroche  et  poil  et  cuir  : 

750    Ha  laz'  fet  il  'dolent,  je  muir.' 
Il  s'est  coches  en  pameisons. 
'Dex'  fet  Huberz,  'c'est  deveisons 
Qui  tient  ceste  caitive  beste. 
Molt  li  peut  ores  celé  teste. 

755    Je  li  alasse  redrecier 

Mes  je  me  crembroie  blecier. 
Par  noz  ordres,  je  ne  puis  croire 
Conques  Renart  a  son  provoire 
Osast  fere  nul  maveis  plet, 

760    Car  trop  a  il  aillors  mefïet. 

Ore  a  tant  fet  qu'il  est  au  chef. 
Je  rirai  redrecher  le  chef: 
Ja  ne  sera  ores  si  chens. 
Totes  voies  veintra  li  biens.' 

765    Li  huans  en  ot  molt  grant  pec: 
Par  l'oreille  le  prist  au  bec, 
Si  li  leva  amont  la  teste. 
Donques  vint  Renart  pute  beste, 
Et  jeté  les  denz,  si  le  hape  : 

770    Et  Hubers  tire,  si  eschape. 
Soigne  soi  plus  de  qatre  foiz 
Dou  pie  0  tôt  les  qatre  dois. 


Après  le  v.  738  le  msc  jmrte  De  ce  a  poor  et  si  sesmaie  Quaucuns  pe- 
ceors  ne  latraie  749  et  manque  Après  le  v.  749  on  lit  as  denz  se  fet  trestot 
u'meil  750  fet  il  manque  ie  me  m.  Après  le  r.  750  on  lit  Trestot  descirrerai 
ma  cuir   757  core   760  t.  en  a  a.  fet  763  serai   769  hape  ]  sache    771  .XIIII. 


VII  (Méon  28571-28610)  263 

Seigniez  soie'  fait  li  huas, 

'De  fiât  voluntas  tuas, 
775    Et  debitoribus  nostres, 

De  credo  et  patrenostres  ! 

En  qui  se  fiera  l'en  mes, 

Quant  cil  qui  se  fesoit  confes 

Voloit  son  pro voire  manger? 
780    Einz  par  l'anesse  Berenger 

Ne  vi  mes  si  très  grant  merveille. 

Car  fust  il  or  en  une  seille 

De  puis  boli  et  de  plonc  chaut! 

Mal  dahez  ait  or  qui  en  caut 
785    Ques  chemins  ne  quel  voie  tiegne! 

La  maie  honte  li  aviegne! 

Tel  poor  m'a  il  ores  fête, 

Geste  longaine,  ceste  sete. 

Une  longaine,  une  priveise,  56 

790    Fous  est  qui  de  lui  s'apriveise. 

Un  traïtor  qui  por  un  oef 

Traïroit  uit  homes  hu  noef! 

C'est  uns  leres,  uns  losengiers 

Qui  por  moi  ores  engignier 
795    Se  fist  ainsi  con  beste  morte. 

La  maie  passions  le  torte! 

Di  di  avant,  mal  es  baillis, 

Ja  n'ieres  mes  espeneïs.' 

'Volentiers,  sire'  dist  Renart. 
800    'J'estoie  ouan  en  un  essart. 

Si  trovai  qatre  huaniax 

Bien  enpenez  et  grant  et  boax. 

Qui  erent  fil  Hubert  l'escofle. 

A  un  religions  ermofle 
805    Qui  par  cest  païs  quiert  les  pes, 

Et  si  se  font  a  lui  confes 

Li  malade  et  li  peceor 

Qui  de  lor  pèche  ont  poor. 


773  soiez  776  En  credos  et  en  patrenstres  779.  780  intervertis 
781  tresf  784  ore  789  priuesse  790  sapriuesse  792  nef  794  Q.  en  la 
bene  au  chareters     795  ainsi  J  ieter 


264  VII  (Méon  28611— 2866i) 

Sire,  si  les  mangai  tos  quatre, 

810    Des  lores  me  doiist  l'eu  batre. 
Mes  certes  ores  m'en  repent, 
Si  en  vien  a  amendement.' 
Li  huans  levé  les  sorcis, 
Quant  il  ot  parler  des  ses  fis. 

815    'Seigniez  soie'  dist  li  huans, 
'Et  de  corbeilles  et  de  vanz 
Et  de  paniers  et  de  banastres! 
Licherres,  por  qoi  les  mangastes? 
Il  erent  mis  li  liuanel. 

820    Grant  dol  m'aves  mis  el  cervel. 
Jes  avoie  bien  un  mois  quis 
Par  la  terre  et  par  le  païs, 
Et  vos  les  m'avees  mangies, 
Cniverz,  traîtres,  renoies! 

825    II  erent  tuit  quatre  mi  fil. 
Ja  n'issies  vos  de  cest  péril, 
Tant  que  vos  i  soies  noies! 
Car  forment  en  sui  corocies. 
Certes  se  la  force  estoit  moie, 

830    Orendroit  vos  i  neeroie.' 
'Sire'  ce  respont  li  golpis, 
'Se  je  vos  ai  mangies  vos  fils, 
Je  en  vien  a  grant  repentance. 
Mes  or  fêtes  une  acordance! 

835    Por  vos  enfans  que  mangies  ai 
Vostre  home  lije  devendrai, 
Si  nos  entrebesons  en  foi.' 
Volentiers'  fet  Hubert,  'par  foi.' 
Li  huans  tent  a  lui  recoivre, 

840    Et  Renart  bet  a  lui  decoivre: 
Si  l'ot  encois  tôt  dévore 
Que  en  oiist  son  pie  tome. 
Ha  las!  ci  a  mal  pecheor 
Qui  a  mangie  son  confesser. 


810  loies      813  sorois     815  soies     817  panières     831  1  g.     833  ore 
839  tint     843  a  manque     844  as     Ai)rh  844  Explisit 


(Méon  12987—13010) 


VIII 

Jadis  estoit  Renart  en  pes  56  b 

A  Malpertus  en  son  pales. 

Lessie  avoit  le  guerroier: 

îîe  voloit  mes  de  tel  mestier 
5    Vivre  con  il  avoit  vescu. 

Tant  avoit  de  l'autrui  eu 

A  maie  reson  et  a  tort 

Que  bien  le  haoient  de  mort 

Plus  homes  qu'il  n'a  en  l'an  festes 
10    Et  autretant,  ce  quit,  de  bestes. 
Or  avint  il  jadis  issi, 

Par  un  matin  d'un  vendredi 

Issi  Renart  de  sa  tesnere. 

Si  s'eslaissa  par  la  bruiere. 
15    Ne  coroit  pas  si  tost  d'asez 

Con  il  soloit,  molt  fu  lassez. 

'He  las!'  dist  il,   n'ai  mes  mester 

De  mal  fere  ne  de  pechier. 

Par  la  fiance  de  mes  piez 
20    Ai  jei  fait  de  molt  granz  péchiez. 

Jei  soloie  core  si  tost 

Que  trestuit  li  cheval  d'un  host 

Ne  m'ateinsissent  en  un  jor 

Por  qoi  voussisse  fere  un  tor. 


4  volot     9  nait     12  uendre     24  fere  u.  fere 


266  VIII  (Méou  13011  —  13046) 

25    En  ceste  terre  n'a  mastin 
Qui  me  rescossist  un  pocin 
Por  qoi  jei  Tousse  engole. 
He  dex,  tant  bon  en  ai  enble, 
Tant  capon  et  tante  jeline: 

30    One  n'i  ci  savor  de  cuisine 
Ne  vert  sause  ne  ail  ne  poivre 
Ne  cervoise  ne  vin  por  boivre. 
Toz  jors  ai  este  pautoniers 
Et  aloie  molt  volontiers 

35    La  ou  je  savoie  hantins 
De  jelines  et  de  pocins. 
Il  me  venoient  poilliier 
Et  entre  les  janbes  bechier. 
Quant  j'en  pooie  une  tenir, 

40    O  moi  l'en  estovoit  venir. 
Ne  li  avoit  crier  mestier, 
A  la  mort  l'estovoit  Initier. 
Meinte  en  ocis  en  tel  manere. 
Une  en  fis  je  porter  en  bière 

45    Devant  dan  Noble  le  lion, 
Que  je  ocis  en  traïson. 
Mes  icele  me  fu  tolue: 
S'en  dut  ma  gole  estre  pendue. 
Le  vaillant  l'ele  d'un  pinçon 

.^0    N'oi  jei  onc  se  de  l'autrui  non. 
Ce  poisse  moi,  or  m'en  repent. 
Bau  sire  dex.  omnipotent, 
Aiez  merci  de  cest  chaitif! 
Ce  poisse  moi  que  je  tant  vif.' 

55         Si  con  Renart  se  dementoit, 
Ez  vos  un  vilein  qui  venoit 
Par  mi  la  lande  tôt  a  pie 
En  son  caperon  enbronchie. 
Renart  le  voit  tôt  sol  venir. 

60    Encontre  vet,  ne  volt  foïr. 


30    On   ni    ot    s.    ne    c.      35    soloio    liantis       3fi  et  ]  ne      39  poio 
43  Meint     49  De 


VIII  (Méon  13047-13082)  267 

Renart  li  dit  'vilein,  ca  vien! 

Meines  tu  avec  toi  nul  chien?' 

'Nenil,  ne  t'estuet  a  doter. 

Renart,  que  as  tu  a  plorer?' 
65    'Que  j'ai?'  dist  Renart  'ne  ses  tu. 

Ja  n'a  il  jone  ne  chenu 

En  ceste  terre  qui  ne  sache, 

Conques  ne  fui  en  celé  place 

Ou  je  pousse  nul  mal  fere 
70    Conques  m'en  voussisse  retrere. 

Mes  or  le  veil  enfin  leissier: 

Que  j'oï  dire  en  reprovier 

Que  par  vraie  confession, 

Qui  merci  crie,  aura  pardon.' 
75    'Renart,  vous  te  tu  confesser?' 

Oïl,  se  pousse  trover 

Qui  la  penitance  me  doigne.' 

Dist  li  vilein  'Renart,  ne  hoigne  ! 

Tu  sez  tant  de  guile  et  de  fart: 
80    Bien  sai,  tu  me  tiens  por  musart.' 

'Ne  fas'  dist  Renart.  'tien  ma  foi 

Que  je  n'ai  mal  penser  vers  toi. 

Mes  je  te  pri  por  deu  et  quier 

Que  me  meines  a  un  mostier 
85    Ou  je  puisse  prestre  trover. 

Car  enfin  me  voil  confesser.' 

Dist  li  vileins  'ca  en  cest  bois 

En  a  un:  vien  i,  car  g'i  vois.' 

Et  li  vileins  molt  bien  savoit 
90    Cun  bon  crestien  i  avoit. 

Tant  ont  erre  par  le  boscage 

Qu'il  sont  venu  a  l'ermitage. 

Le  maillet  troverent  pendant 

A  la  porte  par  de  devant. 
95    Li  vileins  hurte  durement 

Et  l'ermite  vint  erraument. 


66  il  ne  ueil  ne      67  que  Icn  h.     75  uout  te  tu      76  ]).  prestre  t. 
tu  j  que     93  m.  i  troue  p.     94  de  manque 


268  VIII  (Méon  13083—13119) 

Le  fermai  oste  de  la  roille. 

Quant  vit  Renart,  molt  se  merveille. 

'Nomine  dame'  dist  H  prestie, 
100    'Renart,  que  quier  tu  en  cest  estre? 

Dex  le  set,  onc  puis  n'i  fus  tu, 

A  cest  porpris  de  mieuz  n'en  fu.' 

'Ha  sire'  dist  Renart,  'merci! 

Que  que  j'aie  fet,  or  sui  ci. 
105    De  quanque  j'ai  vers  vos  mespris 

Et  vers  mes  autres  anemis 

Vos  cri  je  merci  et  pardon.' 

Au  pie  li  chet  a  oreison. 

Et  Termites  l'a  redreche, 
110    Puis  li  dit   Renart,  or  te  sie 

Ci  devant  moi,  si  me  descovre 

Tôt  de  chef  en  chef  la  mal  ovre.' 

'Sire'  dist  Renart,    volontiers.  57 

Qant  j'ere  bachelers  legiers, 
115    Volontiers  jelines  manjoie 

En  ces  haies  ou  jes  trovoie. 

Jes  tuoie  par  traïson, 

Ses  mangoie  conme  gloton. 

A  Ysengrin  pris  conpaignie: 
120    Qant  je  li  oi  ma  foi  plevie 

De  leaument  vers  lui  errer, 

Par  amor  li  fis  esposer 

Hersent  la  bêle  ma  seror. 

Mes  ancois  que  passast  tiers  jor 
125    Li  rendi  je  maveis  loier. 

Car  jel  fis  moigne  en  un  moster 

Et  si  le  fis  devenir  prestre. 

Mais  au  partir  n'i  vousist  estre 

Por  une  teste  de  sengler. 
130    Car  je  li  fis  les  seins  soner. 

Si  vint  li  prestres  de  la  vile 

Et  des  vileins  plus  de  deus  mile 

Qui  le  bâtirent  et  fusterent: 


102  n'  manque     107  pri     117  touoie     12-1  p.  le  t.     138  fautrerent 


VIII  (Méon  13120—13155)  269 

A  bien  petit  ne  le  tuèrent. 
135    Puis  li  fis  je  en  un  vivier 

Tote  une  nuit  poissons  pechier 

Dusq'au  matin  que  uns  vileins 

I  vint  sa  macue  en  ses  meins. 

Cil  li  fist  maveis  pelicon: 
140    Qar  avoc  lui  ot  un  gaignon 

Qui  li  peleïca  la  pel. 

Saches  que  il  m'en  fu  molt  bel. 

Et  puis  le  refis  prendre  au  piège 

Ou  il  garda  huit  jorz  le  siège. 
145    Au  partir  i  laissa  le  pie, 

Dex  moie  cope  del  pechie! 

Puis  laçai  ma  dame  Hersent 

A  la  coue  d'une  gument. 

Si  la  mors  et  fis  repesner 
150    Tant  qu'a  honte  la  fis  livrer. 

Molt  ai  fait  autres  tricheries 

De  larecins,  de  félonies. 

Bien  sai  qu'escomeniez  sui. 

Certes  je  ne  vos  auroie  hui 
155    Dit  la  moitié  de  mes  péchiez. 

Che  que  voudrois,  si  m'en  chargiez  : 

Car  je  vos  ai  dite  la  some.' 

'Renart,  aler  t'estuet  a  Rome: 

Si  parleras  a  l'apostoile 
160    Et  li  conteras  ceste  estoire 

Et  te  feras  a  lui  confes.' 

'Par  foi'  dist  Renart   c'est  grant  fes.' 

Dist  Termites  'mal  estuet  trere 

A  qui  penitance  veut  fere.' 
1(55         Or  voit  Renart,  fere  l' estuet. 

Escrepe  et  bordou  prent,  si  muot. 

Si  est  entres  en  son  chemin. 

Molt  resemble  bien  pèlerin 

Et  bien  li  sist  l'escrepe  au  col. 


136  Tôt  harens  139  Icil  140  garçon  141  pelica  149  repeller 
151  que  eBComeniez  159  parleras  a  lapostoire  161  uos  feroiz  162  dit 
164  veut  ]  estuet     166  met 


270  VIII  (Méon  13156—13195) 

170    Mes  de  ce  se  tint  il  por  fol 
Qu'il  est  meiiz  sans  conpaignie. 
Le  grant  chemin  n'ira  il  mie, 
Ancois  l'avoit  laissie  a  destre. 
Une  sente  torne  a  senestre. 

175    Garda  aval  une  chanpaigue  : 
Si  a  veii  en  une  pleigne 
Berbiz  qui  paissoient  gain: 
Et  entr'eles  fu  dan  Bolin 
Le  moton  qui  se  reposoit. 

18U    Tant  avoit  luit  que  las  estoit. 
'Belin'  dist  Renart,  'que  fes  tu  ?' 
'Ci  me  repos  toz  recreii.' 
'Par  foi,  cist  repos  est  maveis.' 
Et  dist  Belins  jei  n'en  puis  mes. 

185    Jei  serf  a  un  vilein  félon 

Qui  onc  ne  me  fist  se  mal  non. 
Einz  puis  que  soi  bêler  ne  muire, 
Ne  final  de  ses  berbis  luire. 
Ces  bestes  ai  jei  enjendrees 

190    Que  tu  vois  ici  asenblees. 
Mal  ai  mon  servi che  enploie. 
Car  li  vileins  m'a  otroie 
A  ses  seeors  a  lor  prise. 
Et  si  a  il  ma  pel  promise 

195    A  housiaux  fere  a  un  prodome 
Qui  les  en  doit  porter  a  Rome.' 
'A  Rome?  par  deu'  dist  Renart, 
Ja  en  la  voie  n'auras  part. 
Mieuz  la  t'i  vaudroit  il  porter 

200    Ta  pel  que  toi  fere  tuer. 
Et  se  iceste  morz  t'alasche, 
Si  revendra  après  la  pasque 
Le  joësdi  de  rovoisons 
Que  jent  manguent  les  motons. 

205    Or  es  a  la  mort,  bien  le  voi, 


178  entre  le  fou  d.     182  irascu    185  repost    187  luire    195  usiaux 
199  te     203  iosdi     205  ez 


VIII  (Méon  18196—13236) 

Se  tu  n'en  prens  hastif  eonroi, 
Si  tu  n'en  tornes  d'autre  part.' 
'Por  amor  deu,  sire  Renart, 
(Pèlerins  estes,  bien  le  voi) 
210    Conseillies  moi  en  bone  foi!' 
Pèlerins  sui  je  voirement. 
Mes  tu  n'en  crois  ores  néant 
Por  le  mal  cri  que  j"ai  ou. 
Mes  je  m'en  sui  or  repentu. 
215    J'ai  este  a  un  deu  feeil 

Qui  m'a  done  molt  bon  conseil, 
Par  cui  serai  sans,  se  dex  plaist. 
Dex  a  conmande  que  l'en  lest 
Père  et  mère,  frère  et  seror 
220    Et  terre  et  herbe  por  s'amor. 
Cist  siècles  n'est  que  un  trespas. 
Molt  est  or  cil  chaitis  et  las 
Qui  aucune  foiz  ne  meiire. 
Ja  trovons  nos  en  escriture 
2-25    Que  dex  est  plus  liez  d'un  felun, 
Quant  il  vient  a  repentison, 
Que  de  justes  nouante  noef. 
Cist  siècles  ne  vaut  pas  un  oef. 
A  l'apostoile  voil  aler 
230    Por  conseil  querre  et  demander, 
Conment  je  me  doi  meintenir. 
S'avoc  moi  voloies  venir, 
>     L'en  ne  feroit  ouan  housel 
îse  chaucemente  de  ta  pel.' 
235    'L'en  ne  desdit  pas  pèlerin. 
Jei  vois  0  toi'  ce  dit  Belin. 

Ed  lor  chemin  en  sont  entre. 
Mes  il  n'orent  gueres  erre, 
Qant  trovent  Bernart  l'archeprestre 
240    En  un  fosse  les  cardons  pestre. 
Bernart'  dit  Renart,  'dex  te  saut!' 


271 


212  ne     2l5  feil     2lS  a  ma  u,jue      219  suer      221   que]  fors      224 
en  Te.    227  .L.  noef     233  usel     235  descoit 


272  VIII  (Méon  13237—13272) 

Et  cil  levé  la  teste  en  haut. 

'Dex  te  beneïe!'  dist  il. 

les  tu  ce,  Renart  le  gorpil?' 

2ib    'Oil,  ce  sui  ge  voirement.' 

Por  le  cuer  be,  quex  mautalant 
T'a  fat  devenir  pèlerin 
Entre  toi  et  mestre  Belin?' 
Ce  ne  fu  maltalant  ne  ire  : 

250    Encois  volons  soffrir  niartire 
Et  travail  por  nos  amender 
Et  por  damledeu  rachater. 
Mes  de  ce  n'as  tu  or  corache 
Ne  d'aler  en  pelerinache: 

2â5    Eincois  vous  porter  ouan  mes 
De  la  busce  grandime  fes 
Et  grant  sachees  de  carbon. 
Et  si  auras  de  l'ogullon 
Tôt  le  crépon  desus  pelé: 

260    Et  quant  revendra  en  este 

Que  de  moches  sera  giant  nonbre, 
Lors  n'i  garras  neïs  en  l'onbre. 
Fe  le  bien,  si  vien  avoe  nos. 
Tu  ne  seras  ja  sofretos 

265    De  rien  dont  te  puissons  aidier. 
Tu  auras  ases  a  mangier.' 
Dist  l'anes    volentiers  iroie, 
Se  ases  a  mangier  avoie.' 
Si  auras,  ce  t'afi  par  foi.' 

270    Or  en  vont  ensemble  tuit  troi. 

En  un  grant  bois  en  sont  entre 
Ou  il  trovent  a  grant  plente 
De  cers,  de  bisses  et  de  deins. 
Mes  de  cens  pristrent  il  le  meins. 

275    Tote  jor  ajornee  errèrent 

Par  la  forest:  onc  n'i  troverent 
Vile  ne  recet  ne  meson. 
'Seignor'  dist  Belin,   que  feron 


243  benei     251  araerder     252  Et  nuntifte     255  Einz 


VIII  (Méon   1S273— 13308)  273 

De  herbergier?  car  il  est  tart." 
280    'Voirs  est'  ce  dist  sire  Bernart. 

Renart  respont  'bau  conpaignon, 

Et  nos  queil  ostel  querrion 

Fors  la  bêle  erbe  soz  ce.st  arbre? 

Meus  Teim  que  un  paleis  de  marbre.' 
285     Par  foi'  dist  Belins  li  motons, 

J'aim  molt  a  jesir  en  meson. 

Tost  se  vendroient  ci  enbatre 

Ci  entre  nos  trois  lou  ou  qatre, 

Dont  il  a  ases  en  cest  bois.' 
290    Dist  l'archeprestres  'ce  est  voirs.' 

Renart  lor  respont  sens  orgoil 

'Seignor,  ce  que  voles,  je  voil. 

Ci  deles  est  l'ostel  Primant  58 

Mon  conpere  qui  ne  nos  faut: 
29.">    Alons  i  !  nos  i  serons  ja. 

Bien  sai  qu'il  nos  herbergera.' 

Tant  ont  fet  que  la  sont  venu. 

Mais  il  seront  molt  irascu 

Ainz  qu'il  s'en  partent,  se  Renart 
300    Ne  les  en  jet  par  son  barat. 

Li  louz  ert  alos  en  la  lande 

Et  Hersent  por  querre  viande. 

Li  pèlerin  pristrent  Tostel. 

Ases  i  trovent  pain  et  el, 
805    Char  salée,  formache  et  oes, 

Et  quanque  pèlerin  est  oes  : 

Si  i  trovent  bone  cervoise. 

Tant  boit  Belins  que  il  s'envoise: 

Si  a  conmencie  a  chanter 
310    Et  l'archeprestre  a  orguaner. 

Et  dan  Renart  chante  en  fauset. 

Ja  fussent  bien  fet  lor  foret, 

Se  il  fussent  laissie  en  pes. 

Mes  li  lous  vient  o  tôt  son  fes 


280  Vour     c«'  manque     282  querricon     283  desus     296  Tuit  .111. 
celé  part  en  uont  la 

RENART      l 


m 


274  VIII  (Môon   13309— 13347J 

315    Qu'il  apovtoit  dedenz  sa  gole: 
Et  Hersent  ne  fu  pas  saole, 
Dunt  ele  estoit  tote  desvee. 
Quant  il  oïrent  la  criée 
Dedenz  l'ostel.  si  s'aresterent 

3-20    Un  petitet,  si  oscoterent. 

Et  dist  li  lous   j'oi  laonz  gent.' 
'Par  foi.  g'i  irai'  dist  Hersent. 
Quant  ele  avoit  mis  son  fes  jus, 
Lors  esgarda  par  le  pertuis, 

325    Si  vit  les  pèlerins  au  feu. 

Et  puis  s'en  revint  a  son  leu. 
'Sire  Ysengrin,  dont  ne  ses  tu 
Con  il  nos  est  bien  avenu  ? 
Ce  est  Renart  Belins  et  Tasne  : 

330    Cez  avons  nos  en  nosire  lasne.' 
Par  graut  aïr  a  l'uis  hurte. 
Mes  il  le  trovent  bien  ferme. 
Ovrez'  dist  il,    ovrez,  ovrez  !' 
'Teisiez'  dist  Renart.   ne  ganlez!' 

335    'Renart,  u'i  a  niestier  teisir. 
11  vos  estuet  cost  huis  ovrir. 
Fel  traïti*es,  fel  reneie, 
Par  vos  ai  ge  perdu  le  pie. 
Vos  estes  tuit  livre  a  mort. 

;j4n    Mar  arivastes  a  ccst  port, 
Et  vos  et  l'ane  et  le  moton.' 
'Ha  las'  dist  Belin  'que  feronV 
Tuit  somes  pris  sans  nul  retor.' 
Et  dist  Renart  'n'aies  poor! 

345    Car  bien  istrois  de  cest  tovel, 
Se  volez  croire  mon   conseil.' 
Si  ferons  nos'  dist  l'arcliepi-estre. 
'Renart,  ja  es  tu  nostre  mestre 
Qui  en  cest  leu  nos  amenas.' 

350    "Or  dan  Bernart,  qui  fors  reins  as, 
Va,  si   t'aeule  a  cel   huiset 


322  f.  girai     323,  324  intervertis       326  lou     329  lanne     345  roel 


VIIKMc'^on  13348— i:S8S4)  275 

Et  si  l'entrovre  un  petitet, 

Tant  que  li  lous  i  puisse  entrer. 

Si  li  lai  la  teste  boter, 
355    Puis  reclo  l'uis  par  grant  vertu. 

A  lui  jostera  cest  cornu.' 

L'asne  s'est  a  l'uis  acule, 

Un  petitet  l'a  esbae. 

Li  lous  bota  la  teste  avant, 
H6()    Et  cil  clôt  l'uis  de  meintenant  : 

Asez  fu  nieuz  qu(î  en  prison. 

Qui  donques  veïst  le  moton, 

Con  il  ruoit  les  cous  d'aïr 

Et  reculoit  por  meuz  ferir! 
365    Renart  le  seinont  et  apele 

Belin,  espan  li  la  cervele! 

Garde  que  vis  ne  s'en  estorde!' 

Onques  oncore  a  nule  porte 

Ke  veïstes  si  fier  asaut 
370    Connie  Belin  fet  a  Priinaut. 

Tant  a  féru  et  tant  hurte 

Que  le  lou  a  escervele. 

Hersent  qui  par  dehors  estoit, 

Qui  aïdier  ne  li  pooit, 
375    Parmi  le  bois  s'en  vet  hulant 

Et  les  autres  lous  amassant. 

En  poi  d'ore  en  i  asambla 

Plus  de  cent  que  o  lui  mena 

A  l'ostel  por  le  lou  vencher. 
380    Mes  cil  se  sont  mis  au  frapier. 

Et  les  lous  les  sevent  par  trache 

(Hersent  devant  molt  les  niauace) 

Et  jurent  qu'il  les  mangeront. 

Ja  en  cest  leu  nés  troveront. 
385    Renart  qui  ot  les  lous  oller, 

Ses  conpaignons  prist  a  haster. 

'Segnors'  dist  il,  'venez  grant  oire!' 

L'arciieprestres  conmenche  a  poire, 


363  meint     379  uenuencher 


18* 


276  vin  (Méon   1U3.S5-1342U) 

Qui  n'avoit  pas  apris  a  corre. 

390    Reuart  voit  qu'il  nés  puet  secorre, 
jS'e  garder  se  par  engin  non. 
Segnor'  dist  Renart,    que  forou? 
ïuit  somes  mort  et  confondu. 
Montons  en  cest  arbre  raniu! 

395    S'auront  nostre  trace  perdue. 
Hei'sent  est  forment  iiascue 
Por  son  seignor  que  mort  avon.' 
'Par  foi'  dist  Belin  le  moton, 
Je  n'apris  onques  a  ramper.' 

400    Dist  Bernarz  je  ne  sai  monter.' 
'Seignor,   besoing  fait  molt  aprendr( 
Et  tel  chose  sovent  enprendre 
Dunt  l'en  ja  ne  s'entremetroit 
Si  li  besoing  si  grant  n'estoit. 

405    Fêtes,  seignor.  montes,  montes! 
Se  vos  volez,  de  vos  penses  !' 
Renart  monta  en  l'arbre  sus. 
Quant  il  virent  qu'il  n'i  a  plus, 
A  queilque  peines  sus  montèrent, 

410    Desus  dous  branches  s'encroerent. 
Es  vos  poignant  des  espérons 
Hersent  o  toz  ses  conpaignons. 
Quant  il  sont  venu  en  la  place, 
Si  en  orent  perdu  la  trache. 

415    Nés  sevent  mes  ou  aler  querre 
Et  dient  qu'entre  sont  en  terre. 
Lasse  lurent  et  travellie, 
Desoz  l'arbre  se  sont  cochie. 
Bolins  qui  les  lous  esgarda, 

4-20    N'est  merveille,  s'il  s'esmaia. 
'Ha  las'  fet  il,    tant  sui  chaitis! 
Or  voussisse  estre  o  mes  berbis!' 
'Par  foi'  dist  Bernarz,  ',je  me  doil. 
Tel  ostel  pas  avoir  ne  soil. 


390  pot     395  perdu     403  iai     404  iiostoit  si  o-,-ant     412  tôt     415 
Ne     418  Desor     421  fet  il  ]  .loiaiit 


VIII  (Méon   i:i421  — 13-156) 

425    Je  me  voil  d'autre  part  torner.' 
Renart  le  conmence  a  blâmer, 
'Vos  porres  encui  tel  tor  fere, 
Qui  vos  tornera  a  contrere.' 
Dist  Bernarz  je  me  tornerai.' 

430    Dist  Belins    et  je  si  ferai.' 

'Or  tornes  donc:  car  je  vos  les.' 
Cil  se  tornent  tôt  a  un  fes, 
Qu'il  ne  se  sourent  sostenir: 
A  terre  les  convint  venir. 

435    Bernarz  esquacha  qatre  lous, 
Et  Belins  en  retna  dous. 
Et  les  autres  lous  molt  s'esmaient 
Por  lor  conpaignons  que  morz  voient  : 
Fuit  s'ent  l'un  cha  et  l'autre  la. 

440    Et  Renart  qui  les  esgarda. 
Si  s'escria  'la  hart,  la  hart! 
Tien  le,  Belin!  pren  le,  Bernart! 
Tien  les.  Bernart  l'archeprovoire!' 
Lors  s'en  tornent  les  lous  grant  oire, 

44".    Que  por  cinqante  mars  d'argent 
Ne  retornast  mie  Hersent. 

Renart  qui  fu  en  l'arbre  sus, 
A  ses  conpaignons  descent  jus. 


277 


'Seignor'  dist  il,   que  faites 


vos 


450    Ai  vos  bien  de  la  mort  rescos  .'' 
En  a  il  nul  de  vos  blecies?' 
Dist  Bernarz  je  sui  maennies. 
Jei  ne  puis  mes  avant  aler, 
Ariere  m'estuet  retorner.' 

455    Dist  Belins    et  je  si  ferai. 
James  pèlerins  ne  serai.' 
'Segnor'  dist  Renart,    par  mon  chef, 
Cist  eires  est  pesanz  et  gref. 
Il  a  el  siècle  meint  prodome 

460    Qu'onques  encor  no  fu  a  Rome. 


427  encor  hui  428  a  grant  c.  432  sen  434  les  estuet  435  B. 
en  eschaca.  111.  438  mort  443  mam/iie  451  A  en  455  io  ausi  457 
dit  460  Que  o. 


278  VIII  (Méon   VUàl—lMM) 

Tiex  est  revenuz  de  sept  seins 
Qui  est  pires  qu'il  ne  fu  eins. 
Je  me  voil  mètre  en  mon  retor: 
Et  si  vivrai  de  mon  labor 
465    Et  gaaignerai  leelment. 

Si  ferai  bien  a  povre  gent.' 
Lors  ont  crie    outrée,  outrée  !' 
Si  ont  fête  la  retornee 


461  des      465  gaignerai      Ati  desaotts  du  v.  468  on  lit      Explicit 
le  pelirinage  Renaît 


IX  (Méon   15:JU9— 15;:i3'JJ 


IX 

Un  prestre  de  la  Croiz  en  Bric.     (69) 
Qui  damledex  doint  bone  vie 
Et  ce  que  plus  li  atalente, 
A  mis  sun  estuide  et  s' entente 
5    A  fere  une  novele  branche 

De  Renart  qui  tant  sont  de  ganche, 
L'estoire  temoinne  a  vraie 
Uns  bons  conteres,  c'est  la  vraie, 
(Celui  oï  conter  le  conte) 
10    Qui  tos  les  conteors  sormonte 
Qui  soient  de  ci  jusqu'en  Puille  : 
Si  set  niolt  de  force  de  guille. 
Cil  temoingne  l'estoire  a  voire, 
Et  por  ce  la  devoms  meus  croire. 
15         II  avint  ancienement, 

Se  l'aventure  ne  nos  ment  '0 

Qui  aferme  le  conte  a  voir, 
C'uns  vileins  qui  molt  ot  d'avoir, 
Tenant,  esparnables  et  chiches 
20    Plus  que  Constant  des  Noes  riches 
Que  l'en  tient  a  ferm  et  a  plein, 
En  son  novel  essart  bien  mein 
Près  d'un  grant  bois  ses  bos  lia. 
Por  le  grant  gaagn  qu'il  i  a, 

gTci  manque  9.10  interrerli.  9  A  c.  lU  Que  conteres  17 
cont  18CWo<î»e  d^vurnque  19  richez  20  riche.  21  Que  ]  R.  /e  ..co«./ 
a  manque 


280  IX   ;Méon  15333— 158H8) 

25    Li  est  avis  qu'il  est  trop  tart 
Venu  atant  a  son  essart. 
Si  ert  encore  bel  le  jor. 
Mais  repos,  eise  ne  sejor 
Ne  duist  a  vilein  ne  ne  plest. 

30    N'a  talent  qu'en  son  lit  arest, 
Puis  qu'un  poi  voit  le  jor  paroir  : 
Que  vileins  ne  deit  ese  avoir, 
Ainz  ireit  en  autre  ovre  fere, 
Car  molt  par  puet  vilein  mal  trere. 

35         Cil  vilein  dont  je  vos  conmanz 
A  conter  merveillos  romans, 
Huit  bos  a  sa  carue  avoit. 
En  la  contrée  en  ne  savoit 
Meillors  bues  qu'estoient  li  suen. 

40    Mais  sor  toz  en  i  ot  un  buen 
Qui  estoit  apeles  Rogeus. 
Mais  tant  l'avoit  par  les  fors  leus 
A  son  tiens  trere  demene     ' 
Et  totes  les  saisons  pêne, 

45    Que  lentement  aloit  le  pas, 
Por  ce  que  feibles  ert  et  las 
De  grant  travail,  et  auquos  megres. 
Li  vilein  qui  fu  fel  et  egres, 
Por  ce  que  trop  le  sent  a  lent 

50    Le  point  et  dit  par  mautalent 
'Rogel,  trop  estes  alentis. 
Por  vos  ai  sovent  desmentiz 
Toz  les  vileins  qui  me  disoient 
Por  mes  buez  que  il  mesprisoient, 

55    Que  je  n'auroie  pas  de  vos, 
Tant  fusse  d'argent  sofreitoz, 
Vint  et  deus  sols  de  dant  Durant. 
Et  je  lor  disoie  en  jurant, 
Por  vérité  que  ge  ne  meute, 

60    Que  je  n'en  prendroie  pas  trente. 


25  trot  28  repose  ne  s.  29  Un  ne  manque  31  que  pooit  34 
pot  fere  38  c.  len  40  bon  42  Vmamjue  43  filz  52  u.  sui  durement 
tormentiz     54  m.  laies  quil     55  pas  de  ]  rien  por 


XI  (Méon   153«9  — 15406)  281 

Non  pas  trente  et  deus  au  marche. 

Or  avez  plus  le  col  chargie 

Del  lien  que  n'a  nus  des  set. 

Si  n'aves  encor  gaires  trait, 
65    Trop  matin  estes  ja  lasses. 

Ainz  que  cist  jors  seit  trespasses, 

Yos  puissent  mal  ors  dévorer: 

Que  trop  me  faites  demorer 

A  arer  un  sellon  de  terre. 
70    En  liu  de  vos  me  covient  querre 

Un  bof  a  la  feire  de  mai. 

Se  dex  me  desfende  d'esmai, 

Je  voudroie  que  lous  ou  ors 

Vos  oiist  oste  a  rebors 
75    Ce  pelicon  sans  demorance, 

Que  poi  pris  mais  vostre  puissance. 

Trop  portes  basse  celé  chère. 

Mal  ors  hui  cest  jor  vos  requere  !' 
Ce  que  dist  li  vileins  engres 
80    Brun  li  ors  qui  el  bois  fu  près, 

A  tôt  oï  et  escote. 

En  un  bosson  avoit  bote 

Le  col  et  les  pâtes  devant. 

N'avoit  mie  poor  de  vent, 
85    Que  nul  chen  nel  pot  iloc  prendre. 

Por  ^eus  escoter  et  entendre 

S'estoit  près  el  bosson  repox: 

Ne  voussist  pas  por  quinze  sous 

Que  n'oiist  le  vilein  oï. 
90    Molt  Ta  la  premesse  esgoï. 

A  soi  meismes  dit  tôt  coiz 

'Bien  m'est  avenuz  ceste  foiz. 

Or  aurai  ge,  deu  merci,  proie 

Sanz  nule  faille  ceste  voie. 
95    Ne  m'irai  or  pas  delaiant 

En  aventure  por  neent. 


62  parlus  le  col  pelé      64  encore      72  desfen   desmai     73  uoudroi 
q.  ors  a  lous      78  M.  hor  hui      7!)  dit      80  du  b.     87  del      93  Or  ra  ge 


282  IX  (Méon   15407  —  15444) 

Or  sa  je  bien  ou  chargerai 
La  proie  que  g'enporterai. 
Un  buef  aurai  sol  a  ma  part, 

100    Regel  qui  fu  seignor  Leotart. 
Mes  ancois  qu'il  fust  primes  sien 
Sovent  m'a  fait  sevré  a  son  chen 
Et  fait  descirer  sor  mon  pois 
Mon  pelicon  deus  fois  ou  trois. 

105    Encui  li  vaudrai  molt  cher  vendre. 
De  la  char  Rogel  crasse  et  tendre 
Ferai  encui  mes  gernons  bruire. 
Qui  qu'il  doive  plere  ne  nuire. 
Ce  puet  bien  li  vilein  savoir 

110    Que  je  voudrai  mon  bof  avoir: 
Car  je  tieng  promesse  a  chatal. 
N'en  ferai  mes  autre  jornal, 
G'ain  meus  sa  char  que  il  ne  pense. 
Et  s'il  i  veut  mètre  desfense 

115    Ne  arest,  savoir  puet  sans  faille, 
Enpris  aura  aspre  bataille. 
James  n'aura  envers  moi  pes 
•  Ne  trives  li  vileins  punes, 

Ainz  le  gerroierai  tôt  tans, 

120    Se  consivre  le  puis  as  chans 
Ou  en  bois  par  son  mal  oiir, 
0  je  serai  plus  asoiir 
A  ce  que  dessirrer  ai  grant. 
Se  Rogel  le  buef  me  desfent, 

125    Tel  cop  li  donrai  de  ma  pâte 
Que  j'ai  fort  et  charnue  et  plate, 
En  col  ou  en  pis  ou  en  face, 
Que  je  l'aljatrai  en  la  place. 
Mais  c'est  folie  que  je  di, 

130    Car  je  sai  bien  trestot  de  fi 
Que  il  n'i  mètre  ja  arest 
Que  Rogel  mon  buef  ne  me  lest 


99  suel  101  prmes  suen  102  a  manque  lOo  .rogel'  109  pot 
113  Gain  115  pot  IKJ  aurai  119  gerrai  120  as  cros  124  .ro.  132 
.ro.  mon  bief 


IX  (Méon  15445  —  15482) 


283 


Si  con  il  le  m'a  en  covent. 
Je  l'ai  oï  loer  sovent 
135    Et  afermer  por  véritable, 
Bien  ferai  sa  parole  estable. 
Nului  tolir  ne  le  me  puet, 
Grrant  chosse  a  en  fere  l'estuet. 
Voille  0  ne  voille  je  l'aurai, 
140    Ja  espoir  gre  ne  l'en  saurai.' 
Ensi  parole  a  soi  tôt  sous 
Brun  li  ors  qui  ert  anguissous 
De  fein,  dont  molt  est  amortez: 
Mais  auques  est  reconfortez 
145    Por  ce  qu'il  ert  en  espérance 
De  Rogel  avoir  sans  dotance. 
Lors  est  del  boisson  sailli  fors, 
Molt  ferement  aquet  son  cors 
Et  jeta  un  haut  brait  de  goie. 
150    N'a  mie  poor  que  l'en  l'oie, 
Que  n'avoit  près  de  nule  part 
Nului  fors  solement  Leotart  71 

Et  un  gars  qui  avoc  lui  fu 
Qui  les  bues  chace  de  vertu, 
155    Qu'il  ot  alue  la  seson. 

Atant  del  garçon  nos  taison. 
Et  si  parleron  de  Brun  l'ors 
Qui  vers  le  vilein  vint  le  corz. 
Il  sout  bien  sa  proie  espier, 
160    Ja  voudra  Rogel  deslier. 

Quant  il  fu  près  de  la  charue, 
A  haute  vois  Lietart  salue 
'Et  dex  te  saut,  Lietart  amis! 
Ta  premesse  en  cest«mein  m'a  mis 
165    En  grant  espérance  de  bien. 
Gre  tieng  Rogel  ton  bof  a  mien 
Et  bien  le  doi  a  mien  tenir: 
Que  ca  m'a  fait  si  mein  venir 

187  Nule  nel  me  1B8  estot  142  ostoit  147  lors  153  que  154 
Que  159  espircr  161  charere  162  1.  escrie  163  Et  man<iiie  164  p. 
est  ce  mes  auis     165  E  g.     166  mein     168__Qui  ca  mas 


284  IX  (Méun   15488-15518) 

La  premesse  que  me  feïs 

170    Que  tu  par  mal  talent  deïs 

Que  max  ors  le  poûst  manger. 
Ne  pues  ta  parole  changer. 
Tu  es  trop  tart  au  repentir, 
Je  li  ferai  les  dens  sentir. 

i7f)    Deslies  le  moi  sans  dangier, 
Il  n'est  or  pas  tens  de  songier. 
Deslies  le  moi  sanz  demeure, 
Qu'il  n'est  or  pas  ne  tens  ne  eure 
Que  prodon  face  chère  morne  : 

180    Ainz  doit  sitost  cou  il  ajorne, 
Si  con  tu  fez,  conmencer  ovre, 
Par  ta  richesce  et  lors  te  covre. 
Faz  me  tu  chère  felenesse? 
Paie,  que  je  voil  ma  premesse. 

18f)    Ne  fai  ja  por  ce  laide  chère! 
Je  voudroie  meus  estré  en  bere 
Que  ma  premesse  n'enportasse. 
Rogeus  est  une  beste  lasse, 
Caitive  et  feble  et  mal  traians: 

190    De  son  trere  est  il  mais  noiens. 
Ja  nel  ferai  lier  ne  traire 
Ne  nul  autre  besoingne  fere, 
Einz  en  enplirai  ja  ma  pance. 
N'en  fai  ja  laide  contenance. 

195    Que  tu  n'i  pues  rien  conquester. 
Se  tu  le  me  vous  arester 
Et  délier  le  buef  sans  noise. 
J'ai  en  pense  que  je  te  voise 
Douer  de  ma  pâte  tel  flat 

200    Qu'a  terre  t^abatrai  tôt  plat. 

Et  lors  serunt,  si  con  moi  sanble, 
A  mon  voloir  li  buef  ensanble. 
Por  ce  le  te  di  que  meus  t'ert 
Que  Rogol  que  viellece  aquiert, 


170  m.  le  deis  171  hors  172  pos  173  a  17tî.  177  manquent 
178  t.  neure  179  q.  pardon  f.  180  sitôt  182  Faut  il  lire  Par  la 
richesce  et  les  recovre  ?    186  Jen    IdS  ja  manque    195  pos    203le  tnanque 


IX   (M.'on   15519— 155.')4)  285 

'205    Soit  mien  seus  que  eiisenble  tuit  : 

N'i  aureis  joie  ne  déduit 

Se  toz  le  avoiez  perduz.' 

Lors  est  vileins  esperdus 

De  ce  que  Brun  Tors  oï  dire. 
2!0    De  mautalant  tressue  et  d'ire, 

Molt  dolanz  est  et  esbahi, 

Car  par  sa  premesse  est  traï. 

Si  li  poisse  de  la  parole 

Qu'il  dist,  et  si  la  tiut  a  foie. 
215    En  meinte  guisse  se  porpense, 

Bien  set  n'i  a  mester  desfense 

Vers  Brun  qui  est  et  grans  et  fors. 

Wi  a  mester  nul  reconforz, 

Qu'en  poi  d'ore  estrangle  aura 
2-20    Les  buez  que  ja  nus  nel  saura, 

Et  lui  mort  ainz  que  l'en  le  sache. 

Meus  li  vient  soufrir  le  damage 

D'un  sol  buef  que  de  toz  a  tire, 

Que  bien  set,  se  a  lui  s'aïre, 
•225    Lui  meisraes  estranglera: 

Ne  ja  mes  n'en  eschapera. 

Bien  set  n'i  a  tencier  mestier, 

Meuz  puet  par  proiere  esploitier 

Que  par  tencon  ne  par  melee. 
230    Ses  bues  aresta  en  l'aree. 

Vers  Brun  l'ors  forment  s'uraelie, 

En  plorant  li  dist,  s'il  deslie 

Rogel  si  mein,  que  sa  jornee 

lert  tote  a  noient  atornee. 
235    Que  nul  esploit  ne  porra  fere. 

Que  li  set  buef  ne  poent  traire. 

Que  trop  est  fors  la  terre  et  dure: 

Et  sovent  li  aferme  et  jure 

Que  granz  merciz  li  devra  rendre, 
240    Se  de  Rogol  li  veut  atendre 


205  seus  manque  211  est  manque  214  dit  219  estrane  220 
Li  221  li  222  damae  223—228  inatujiinif  230  Son  buef  231  soinelit' 
2.S8  et  manque     239  merci 


286  IX  (Méon   10555—15590; 

Jusq'a  lendemeiu  solemeut. 
'Molt  volenters  et  bonemeut 
Le  vos  rendrai  le  matiuet, 
Foi  que  doi  mon  fil  Martinet 

■245    Et  ma  bêle  fille  Costance, 

N'en  soiez  vos  ja  on  dotance! 
Yostre  merci  prestes  le  moi 
Jusqu'à  le  matin  par  ma  foi. 
Que  dex  bone  joie  vos  doint!' 

250    'Letart'  fait  il,   n'en  auras  point. 
Ne  le  me  tornez  ja  a  truit, 
Qui  aise  atent,  eise  li  fuit. 
De  Renart  qui  guillier  ne  fine 
Tien  ge  cest  sen,  molt  vaut  saisine. 

255    Se  je  rent  ce  dont  sui  saisis, 
Molt  sereie  malvaiz  failliz. 
Certes  molt  en  seroie  fol, 
Se  ce  que  je  tieng  a  mon  col 
Rendoie  por  bêle  parole 

260    Trop  est  cil  fox  que  fol  afole. 
Je  metroie  tôt  a  demein 
Ce  que  je  tieng  ore  en  ma  mein. 
Donc  m'auroies  tu  bien  trove 
Apertement  a  fol  prove, 

2i)5    S'en  aventure  me  metoie 

De  la  chose  qui  ore  est  moie. 
Bien  seroie  fol  atrapez. 
Se  de  mes  meins  ère  eschapez. 
Je  cuit  et  croi  par  seint  Johan, 

270    î^e  te  verroie  mes  ouan. 
A  ton  pooir  te  garderoies 
De  toi  mètre  mes  en  mes  voies. 
Einsi  m'auroies  tu  tost  fait, 
Que  l'en  dit,  de  bienfet  col  fret, 

275    Mal  por  bien  a  l'en  por  service. 
Se  ta  foi  en  avoie  prisse. 


247  prestres      250  ne  a.      251  au  t.      256  s.  ore  a  malueisi      Les 
257.258  mnnqiieiil     259  Rendroie     261  metroi     266  que 


IX  (Méon  15591  —  15627)  28  < 

Tost  en  mentiroies  ta  foi, 

Se  dex  me  saut,  et  bien  le  croi 

Por  un  vilein  dont  me  sovient, 
280    (L'en  dit,  escaude  eve  crent) 

Qui  ouau  sa  foi  me  menti, 

Ne  onques  ne  s'en  repenti, 

Ne  respit  ne  m'en  demanda, 

Ne  vers  moi  ne  s'en  amenda. 
285    Ce  fu  auan  devant  vendenges 

Que  il  jura  dex  et  ses  angles 

Et  se  dex  li  donast  santé, 

Il  me  donroit  a  grant  plente 

De  ses  rees  et  de  son  miel 
29U    Que  je  ain  plus  que  rien  sos  ciel, 

Se  ses  deus  chaiaus  li  rendoie 

Qu'au  soir  a  manger  atendoie. 

J'en  pris  sa  foi,  ne  fui  pas  sages, 

Car  c'est  ore  li  pires  gages 
295    Qui  soit  en  l'ostel  au  vilain. 

Je  ne  sui  mie  cil  qui  l'ein 

Ne  n'amerai  jor  de  ma  vie, 

Que  de  foi  n'a  ge  nule  envie,  72 

Ne  prodom  ne  le  doit  prisier. 
;30()    Qu'en  ne  puet  mie  justiscier 

Yilein,  ne  avoir  en  destroit. 

Bien  li  semble  qu'eschape  soit, 

Con  en  le  vout  par  sa  foi  croire. 

Ja  puis  ne  venra  un  sol  oirre 
305    Por  querre  de  sa  foi  respit: 

Trop  a  vilein  foi  en  despit, 

Ne  l'aime  ne  crient  ne  ne  prise. 

Fox  est  qui  par  foi  le  justise. 

S'il  le  puet  en  autre  manere 
310    Justicher  que  il  ait  plus  chère. 

Ne  lo  a  nul  seingnor  de  terre. 


281  que  o.  sa  sa  f.  m.  282  o.  sen  uont  repentir  283  ni  sen  285 
uendengez  290  siel  292  au  m.  203  fu  294  cerrt  295  el  ostel  296 
ce  que  297  namera  300  Can  ne  pot  304  plus  une  sole  ore  305  de 
manque     .307  croit  ne  iustise     308  que     .309  Sil  no  le  pot     ne  311  Ne  la 


288  IX  (M.'on   ir)628— 15663) 

Se  sun  vilein  pren  et  eusere 
Por  son  forfait  ne  por  sa  taille, 
Que  li  vileias  quite  s'en  aille 

31Ô    Por  sa  fiance  solement  : 
Poi  i  a  d'asoûrement. 
Ce  dirai  que  j'ai  essaie: 
Ne  sont  pas  vilein  esmaie 
Puis  que  vient  a  foi  afier. 

320    Nus  prodom  ne  s'i  doit  fier. 
Je  ne  sai  conment  tant  te  croie 
Que  Rogel  ton  buef  te  recroie, 
Car  je  dot  molt,  se  gel  te  croi, 
La  tricherie  et  la  non  foi 

325    Que  g'ai  en  ineint  autre  trovee. 
'Sire  Brun,  vertes  est  provee,' 
Ce  dit  Lietars  et  molt  fort  plore. 
Bien  le  sai,  se  dex  me  sequere. 
De  meinte  guise  a  jent  el  monde. 

330    Que  li  un  sunt  de  pèche  monde, 
E  molt  en  i  a  d'entechez 
De  toz  les  criminax  péchez  : 
Et  desloiaus  en  i  a  meins, 
A  grennor  plente  que  de  seins, 

335    Qui  ne  se  vont  pas  esmaiaut 
De  mentir  lor  foi  por  noiaut. 
Et  de  plussors  n'est  mie  fable. 
Qui  sont  prodome  et  véritable 
Et  ont  a  damledeu  bon  cuer, 

340    Qui  ne  voudroient  a  nul  fuer 
Por  nule  rien  lor  foi  mentir. 
Ja  dex  ne  me  lait  consentir 
Que  ma  foi  mente  a  orne  ne! 
Trop  m'auroit  pèche  sormene 

34Ô    Et  dex  mis  en  grant  obliance, 
Se  je  mentoie  ma  fiance. 
Por  deu  Roffel  me  recrées! 


a20  ni  si      321   croi      322  le  b.      326  es       327  letara       329  guile 
332  tôt     pichez     335  Quil  ne  sen  u.     336  fois  de  noent 


in:  (Méon  15664—15699)  289 

Ja  demeiu  ne  vos  ert  vees. 

Par  la  foi  que  doi  Bruumatin 
350    Ma  moller,  demein  au  matin 

Ci  meïsmes  le  ramenrai, 

Que  ja  vers  vos  n'en  mentirai.' 
Brun  li  ors  respont   or  l'enmeiue, 

Si  li  done  fein  et  aveiue  ! 
355    Je  voudroie  que  plus  fust  cras, 

Mes  ce  ne  puet  ore  estre  pas, 

Que  sojor  i  covenroit  grant. 

De  lui  me  cuidai  meintenant 

Orandroit  ma  fein  estancher, 
360    Et  ge  le  raurai  autant  cher 

Demein  con  orendroit  auroie. 

Je  rirai  tandis  querre  proie.' 
Atant  prent  la  foi  du  vilein, 

Si  se  mist  meintenant  du  plein 
365    El  bois:  en  une  espesse  lande 

Entra  por  querre  sa  viande. 

Entre  ces  choses  le  vilein 

Qui  d'angoisse  et  d'ire  ert  plein, 

Deslia  les  set  bues  por  pestre. 
37)    Ne  pot  a  ese  son  cuer  estre. 

Por  ce  les  deslia  sitost. 

Que  l'ire  et  l'angoisse  li  tost 

De  gaanner  tôt  le  talant. 

A  Rogel  se  prist  en  alant 
375    A  haute  voiz  a  dementer, 

N'a  or  pas  talant  de  chanter. 

'Haï,  Rogel,  bau  bof  et  grant, 

Por  vos  doi  molt  estre  dolant. 

Si  sui  je  si  con  estre  doi, 
380    Quant  je  vos  ai  tolu  a  moi. 

Ma  parole  foie  et  mavaisse 

Vos  metra  demein  a  malaise. 

[Tôt  c'a  ge  fet,  amis  Rogel, 


:S50  moir.    852  ne  m.    356  pot    358  cuide     359  mon     363  le     364 
«lu  J  <>1     365  En  b.     367  ces  sosee     372  tôt     379  su  ie     381  e 

KKNAKT      I  19 


290  IX  (Méon  lô700-157S-tJ 

Certes  si  en  ai  molt  grant  duel.] 

385    En  maies  meins  vos  ai  jeté, 
A  Brun  Tors  qui  est  sans  pite  : 
Demein  de  vos  se  dinera, 
Ce  disner  molt  me  costera. 
Voirement  dist  voir  qui  ce  dist, 

390    Tant  g-rate  chèvre  que  mal  gist. 
J'estoie  trop  aise  hui  mein, 
Quant  je  metoie  en  autrui  mein 
Par  promesse  la  moie  chosse. 
S'or  me  blâme  forment  et  chose 

395    De  ma  folie  et  de  ma  perte 
Brunmatin  la  bêle,  l'aperte, 
Ne  m'en  doi  mie  mervellier. 
Je  qui  soloio  conseillier 
Mes  voisins  trestos  les  plus  sages, 

400    Ai  quis  mon  dol  et  mon  damage. 
Las!  or  m'a  deu  trop  enliaï. 
Quant  je  meïsmes  me  trahi. 
Dahait  ait  hui  la  moie  geule! 
Qui  avient  une,  n'avient  seule: 

405    C'est  ce  que  plus  cren  et  redot, 
Que  je  ne  perde  le  mien  tôt. 
Que  si  sovent  ne  me  meschee 
Que  mes  avoirs  a  noient  chee: 
Que  donee  m'est  maie  estreine 

410    Au  premier  jor  de  la  semeine. 
Or  ne  serai  mes  marcheant. 
J'estoie  de  si  grant  noiant 
Yenu  en  auques  en  dis  ans 
Que  deners  avoie  gisans 

415    Bien  entor  cent  livres  ou  plus 
Sans  autre  chose  le  sorplus. 
Terres  et  vignes,  bues  et  vaches, 
Forment  et  vin,  lait  et  formaches 


384  doil  385  E  389  dit  u.  391  haise  402  me  sui  t.  403  m. 
langueille  404  seulle  406  nien  407  meschet  409  tornee  mest  a.  m.  estrine 
410  pior     412  uuiant     417  Près,  uignes.     418  le  premier  et  mniiqne 


IX  (Méun  157:i5-15769;  291 

Avoie  plus,  la  deu  merci, 
4-20    Que  vilein  qui  fust  prest  de  ci. 

Or  dot  que  tôt  a  nient  aille. 

Et  cuit  et  ci'oi,  sans  nule  faille 

Entres  sui  de  perdre  en  la  voie. 

Hui  matin  m'ert  avis  c'avoie 
425    Trop  de  huit  bos  en  ma  carue. 

Tel  porte  burel  et  niacue 

Grant  et  pesant  desor  son  col 

Qu'eu  devroit  tenir  a  moins  fol 

En  tos  endrois  que  je  ne  sui. 
430    II  est  bien  raison  que  l'anui 

Que  je  ai  porchace  reçoive. 

Drois  est  que  ma  folie  boive.  73 

Certes  jamais  om  qui  riens  sache 

Ne  me  pleindra  de  mon  damage 
4:5;')    Que  ge  ai  quis  et  porchace. 

Si  l'ai  conme  je  l'ai  trache, 

Il  est  bien  raison  que  je  l'aie.' 

Issi  se  démente  et  esmaie 

A  soi  meïsme  dan  Lietarz. 
410    Entre  ces  cosses  dant  Renarz 

Proie  porchace  cel  matin 

En  un  bois  après  del  chemin, 

Quant  il  oï  l'abai  des  chens 

Qui  molt  li  estoient  procheius 
4^5    Et  molt  près  l'aloient  sivant. 

Et  un  vilein  après  huiaut 

Apres  les  chens  par  la  forest. 

N'a  ore  talent  qu'il  s'arest, 

Ainz  cort  a  garison  molt  tost. 
4r)0    El  crues  d'un  chainne  se  repost 

Tant  que  li  chen  soient  passe 

Qui  molt  l'avoient  ja  lasse. 

N'a  talant  d'issir  del  crues  mes 


422  E  428  en  ]  a  426  boicl  428  Qui  4.51  iai  488  que  48'. 
gai  436  laie  c.  lai  439  letart  441  poichucel  m.  442  climin  445  suant 
446  huant     447  par  ]  en     fore^    448  que  il     450  del  c.     453  crus 


292  IX   (M('on   ]r)T70-ir)804) 

Tant  con  les  cheus  sache  si  près, 

455    Eiuz  se  repose  et  esteudelle 
El  crues  et  un  petit  somelle. 
Tandis  que  se  repose  el  crues. 
Le  vilein  qui  fu  a  ses  bues, 
Qui  ploure  et  se  démente  en  haut, 

460    Entroï  et  hors  del  crues  saut. 
Yis  li  est,  aler  s'en  puet  bien, 
Quant  il  n'i  ot  abai  de  chen. 
Del  bois  ist,  a  l'essart  va  droit 
La  ou  le  vilein  ester  voit 

4(i5    Qui  se  denientoit  en  plorant. 
Vers  le  vilein  en  vint  corant 
Et  près  de  lui  vint  le  grant  saut. 
Si  li  dit  'vilein,  dex  te  saut! 
Que  as  tu?  por  quoi  fez  tel  doil?' 

470    'Sire,  nel  saurois  ja  mon  voil: 
Que  se  gel  vos  avoie  dit, 
S'i  conquerroie  molt  petit. 
Se  mon  graut  dol  vos  descovroie, 
Ja  par  vostre  conseil  u'auroie 

475    Ne  nul  confort  ne  nule  aïe.' 

'Foux  vileins,  que  dex  te  maudie! 
Tant  par  es  fous,  je  le  sai  bien. 
Que  tu  ne  me  conois  de  rien. 
Certes  se  tu  me  coneûsses, 

480    Ja  si  desconseillies  ne  fusses 
jMe  de  nule  riem  esmaies, 
Que  tost  ne  fusses  apaies, 
Por  quoi  ge  te  voussise  aider. 
Je  sui  bon  mestre  de  plaider, 

485    Foi  que  doi  seint  Panpalion  : 
En  la  cort  Noble  le  lion 
Ai  ge  meii  meint  aspre  plet 
Et  meintes  fois  de  droit  tort  fet. 


455  repose  repose  et  esteindeile  458  Li  uileins  4(>U  Et  .R.  liors 
4«jl  pot  462  voit  464  li  uileins  466  u.  tôt  droit  4(ii)  nieines  t.  dol  472 
con  ie  eroi     475  conseil     nul     488  tort  droit 


IX  (Méuii   15805  — 1584U)  293 

Et  molt  soveut  de  tort  le  droit: 
490    Eusi  covient  sovent  que  soit. 

Meint  plaideor  tient  l'en  a  saje 

Qui  sovent  rendent  le  musage. 

A  meint  ai  fait  brisier  la  teste, 

(De  moi  ne  se  puet  garder  beste) 
495    L'autre  le  col,  l'autre  la  cuisse. 

Tu  ne  seis  pas  que  fere  puisse 

Tant  mal  tant  bien,  con  fere  puis. 

Je  fis  ja  avaler  el  puis 

Dan  Ysengrin  mon  cher  compère. 
r)00    Si  feïsse  je  lors  mon  père. 

Nel  doit  om  tenir  a  merveille, 

Jel  fis  entrer  en  une  selle 

El  puis  ou  avoit  seals  deus, 

(Ce  fu  bone  gile  et  bon  jeus) 
50o    En  une  abaie  a  blanc  moines. 

D'iloc  escapai  a  grant  peines. 

Ou  mors  o  retenus  i  fusse. 

Se  Isengrin  trove  n'oiisse 

Qui  ert  apoies  a  l'encastre 
510    Del  puis  qui  ert  voûte  de  piastre. 

De  pite  li  fis  le  cuer  tendre, 

Que  je  li  fis  croire  et  entendre 

Que  g'ere  en  paradis  terrestre, 

Et  il  dist  qu'il  i  voudroit  estre, 
515    Et  ses  voloirs  li  fist  doloir, 

En  l'eve  l'apris  a  chaoir. 

Lui  meïmes  devant  noel, 

Conme  l'en  met  bacons  en  sel, 

Pis  ge  pescher  en  un  estan 
520    Par  mon  barat  et  par  mon  sen  : 

Car  encois  i  fu  saelee 

La  coe  en  la  glace  et  gelée 

Que  il  s'aperçut  de  ma  guille. 

Maint  bon  pesson  et  mcintc  anguille 


490  que  souent  4'.»1  t.  un  404  i)i)t  500  ji;  manque  503  seuls 
505  abie  506  peine  507  i  iiudKjuc  51(.t  de  mtniqnr  paistre  5i:{  ^'inam/ue 
518  bacon 


29-1  IX   (Méon  15K41  — 1587HJ 

525    Oi  jo,  qui  molt  en  fui  joiant, 
En  la  carete  au  marcheant. 
Que  mort  me  fis  enmi  la  voie 
Por  ce  que  trop  grant  f'ain  avoie. 
En  la  charete  fui  jetez, 

530    Des  pessons  fui  bien  saoles. 
D'anguilles  fresces  et  salées 
Enporta  ge  deus  hardelees, 
Dont  je  fis  puis  molt  deleeher 
Ysengrin  mon  conpere  chier. 

535    Apres  moi  vint  a  mon  manoir, 
Si  senti  les  poissons  oloir. 
Simplement  a  vois  coie  et  basse 
Me  pria  que  jel  herbergasse. 
Et  je  li  dis   ce  ert  noiens', 

540    Que  entrer  ne  pooit  caiens 

Nus  hom  qui  ne  soit  de  nostre  ordre. 
Por  alecher  et  por  amordre 
Li  douai  d'anguille  un  tronçon 
Dont  il  delecha  son  gernon, 

545    Dist  qu'il  voloit  corone  avoir 
Et  ge  li  fis  large  por  voir. 
Onques  n'i  ot  rasoir  ne  force  : 
Les  pous  li  esrachai  par  force  : 
A  pleine  oie  d'eve  boillie. 

550    La  corone  fu  si  faitie 

Que  cuir  et  poil  en  dévala 
Par  iloc  ou  l'eve  avala, 
Et  teste  et  vis  ot  escorche. 
Que  il  sambla  chat  escorcie. 

.055    A  Ysengrin  mui  ceste  sause  : 
Ce  ne  fu  pas  parole  fause, 
Ainz  est  de  meint  home  scii. 
Meint  prodome  a  ge  deceû 
Et  meint  sage  abricone, 

560    Si  ai  meint  bon  conseil  doue: 


525  01]  Et  ô27—ô2'èmaiiqni'Hf  531  et  desalcz  od'6  molt  manque 
delech'r  536  poisson  540  poot  545  Dit  547  rasor  549  plein  550 
si  afaitle     559  abrcone 


IX  (Méon  15877—15912)  295 


Par  mon  droit  non  ai  non  Renart,' 

'Par  les  sains  deu'  ce  dit  Lietart, 
'Estes  Yos  ce  Renart,  bail  sire? 
J'ai  sovent  de  vos  oï  dire 
565    Et  bien  et  mal  a  meint  prodome. 
Il  n'a,  ce  cuit,  de  ci  a  RoïTie 
Plus  requit  de  vos  ne  plus  sage:       74 
Que  vos  eûstes  le  fromage 
Par  vostre  sen  de  Tiecelin 
570    Le  corbeil,  le  filz  Chanteclin. 
Bien  le  solistes  enchanter, 
Car  tant  le  feïstes  chanter 
Que  le  formache  li  chaï. 
Meint  prodome  aves  esbaï, 
575    Molt  par  aves  de  sens  le  los. 
Je  cuit  qu'il  n'a  ome  si  os 
Qui  de  cuer  conseil  vos  rovast 
Qui  senprés  en  vos  nel  trovast. 
Sire,  por  deu  moi  conseilliez, 
580    ^^os  qui  a  moins  desconseillies 
Aves  meint  bon  conseil  done. 
Le  chef  ai  vuit  et  estone 
De  dol  et  d'ire  et  del  pens 
Dont  tôt  est  desvoiez  mon  sens.' 
585         Or  di,  vilein!  conseil  auras 
De  ce  que  dire  me  sauras. 
Tost  t'en  porras  apercevoir: 
Mais  que  tel  tôt  me  dies  voir.' 
'Certes,  sire,  si  fera  ge. 
590    Bien  m'avoit  hui  mein  aseje 
Maufes,  et  mis  en  ses  liens. 
Quant  ge  qui  bien  sui  anciens, 
Si  foie  parole  disoie: 
Mais  sages  hom  sovent  foloic. 
595    Por  ma  terre  qui  trop  est  dure, 
Hui  matin  par  mésaventure. 


562  Por  le  seint  deu.  letart  568  eslistes  le  formeje  570  corbeil 
571  les  8.  572  manque  580  meint  584  desuoez  li  s.  588  que  manque 
594  h.  si  f.     594  h.  si  f.     595  que     597  Dis  a  manque 


296  IK  (Méon   lyiJia  — 15948} 

Dis  a  Rogel,  com  hom  iries, 
Qui  trop  fu  de  traire  enpiries, 
Que  maus  ors  manger  le  poiist 

600    0  los,  qui  sore  lui  corust. 
Brun  li  ors  en  obli  nel  mist, 
Avoir  le  vout  sans  contredit: 
Car  il  fu  voir  qu'avoir  le  dut. 
Jusqu'à  demein  le  me  recrut. 

605    Le  matin  quant  se  lèvera, 
A  perdre  le  me  convendra. 
Meis  co  por  coi  je  sui  dolans, 
Que  li  damages  en  est  grans  : 
Jamais  nul  si  bon  buef  n'aurai, 

610    N'en  nul  liu  ne  le  troverai.' 
Renart  en  riant  li  a  dit 
Por  ce  que  il  destroit  le  vit, 
'Vilein   fait  il,   or  ne  te  chaut! 
Un  jor  de  respit  cent  sols  vaut, 

615    Gar  que  plus  démonter  ne  t'oie, 
Apres  le  doil  vient  la  grant  joie. 
Par  ma  guile  et  par  mon  savoir 
Te  ferai  tost  grant  joie  avoir. 
J'ai  en  talant  que  je  te  die 

6-20    Une  merveillose  voidie, 
Que  Rogel  quiter  te  ferai 
Et  l'ors  meïsme  te  rendrai. 
Lores  seroies  tu  bien  quites. 
Mes  j'auroie  povres  mérites 

6i'5    De  toi  si  con  je  croi  et  pens. 
Vilein  ment  volenters  tôt  tens 
Et  trop  est  de  mal  apensez.' 
'Sire'  fait  il,   ja  n'i  penses! 
Ja  li  liaus  rois  si  ne  me  hee 

6oO    Que  ja  cose  vos  soit  veee. 
Se  Roguel  me  poïez  rendre. 
Ce  que  ge  ai  porriez  prendre 


597  Dis  a  manque  R.  por  ce  querrc  empiries  599  hors  6U() 
me  uendra  607  M.  de  ,)«^  manque  610  Ne  nul  612  il  ]  en  617  mon 
gile     623  Lors     &2i  nuiiupie     i'>2b  je  manque     627  es     630  uoee     632  gai 


IX  (Mf^on   15949  —  159^21  2!)7 

CoH  la  vostre  cose  demeiue.' 

Dont  en  entrerai  je  en  peine 
63.')    Et  tust  en  serai  en  la  voie, 

Se  ton  blanc  coc  Blancart  avoie 

Que  je  vi  er  en  ton  plaissier.' 

'Sire,  jel  vos  irai  bailler 

Le  coc  demein  bien  matinet 
640    Et  0  tôt  dix  cras  pocinet 

Seront  tuit  en  vostre  plaisir. 

Demain  vos  en  ferai  saisir, 

N'en  soies  ja  en  nule  dote.' 

Renart  le  vilein  bien  escote. 
645    Au  vilain  dist   entent  a  moi! 

Je  te  conseillerai  en  foi, 

Que  tu  Rogel  ton  buef  rauras 

Por  Blancart  que  tu  pramis  m'as. 

Un  bon  conseil  te  dire  ja 
650    Meillor  que  je  ne  fis  pièce  a. 

Brun  li  ors  vendra  ci  demein, 

Rogel  vodra  avoir  en  plain  : 

Le  matinet  devant  la  messe 

Avoir  Guidera  sa  premesse. 
655    Demein  matin  quant  tu  vendras, 

Sos  ta  cape  en  ta  mein  tendraz 

Tôt  coiement  une  cunnie 

Qui  soit  trenchant  et  agusie 

Tôt  de  novel  en  un  fort  mance, 
660    Et  un  cotel  qui  bien  fort  tronche 

Con  ce  fust  cotel  a  bocher. 

Et  ge  qui  sai  ben  cor  tocher, 

L'espierai  sans  atendue, 

Et  quant  je  saurai  sa  venue, 
665    Ferai  ci  près  tel  cornerie 

Et  tel  cri  et  tel  huerie 


633  conme  634  je  manque  636  blancet  {de  même  648.  voyez  au  r. 
1118)  640  tôt  .X.  bons  craz  pocinez  641  u.  baillie  ()42  manque  643  Ne  s. 
644  Et  R.  li  a  dit  sans  dote  645  Por  amor  de  entendes  ca  646—650 
manquent  651  u.  d.  ca  652  manque  655  matin  manque  tul  661  u 
porcel     665  del     666  t.  en  t.  huerai 


298  IX  (Méon  l.-)y83— 16018) 

Que  tôt  entor  moi  sans  mentir 
Ferai  plein  et  bois  retenir. 
Brun  li  ors  te  demandera, 

H70    Por  ce  qu'il  se  mervellera, 
Que  ce  est  qui  tel  noise  fet. 
Et  tu  li  dies  entresait 
(N'aies  mie  de  mentir  honte) 
Que  c'est  la  maisnie  le  conte 

675    Qui  cel  bois  est  et  celé  terre, 
Que  venus  sont  venoison  querre, 
Meint  a  cheval  et  raeint  a  pie: 
x^'i  a  nul  qui  ne  tienge  espie 
0  bon  levier  o  arc  o  hache: 

680    Encui  vouront  fere  damage 
Tuit  a  meinte  savage  beste, 
Que  li  quens  vout  contre  la  feste 
De  pantecoste  sa  maison 
Molt  bien  garnir  de  venison. 

685    Quant  cest  barat  dit  li  auras 

Molt  bien  au  meus  que  tu  sauras, 
Ce  saches  qu'il  aura  molt  cher 
Que  tu  l'aïdes  a  cocher 
Et  a  covrir  dedenz  ta  reie, 

690    Et  tu  le  fas,  s'il  le  te  proie. 
Si  fera  il,  ce  sa  ge  bien. 
Ta  connie  près  te  toi  tien  : 
Quant  bien  le  verras  estendu 
Et  un  poi  auras  atendu, 

695    Ne  sembler  mie  coart  ome, 
De  la  coignie  tost  l'asome! 
Fier  et  refier,  done  et  redone 
Tant  qu'il  ait  vermeile  corone, 
Et  le  cotel  de  bone  fourje 

700    Li  bote  par  desos  la  gorge! 
Lors  le  fai  durement  seigner. 
Meus  vaudra  la  char  a  manger. 


667  ment'  668  e  671  cest  676  ueneors  q.  677  e  679  leurer  G8U 
Encuit  693  lauras  e. 


IX  (Mf'on   lijdl!»  — 16U54) 

De  nuit  Ten  menras  au  repost, 
Que  damage  i  auroies  tost 
70.-)    Se  li  cuens  le  pooit  savoir. 
Il  te  toudroit  tôt  ton  avoir, 
Il  te  feroit  espoir  desfaire. 
Bones  pieches  en  porras  fere, 
En  ton  lardier  le  saleras 
710    Et  de  la  pel  fere  porras 

Molt  bones  capes  a  flaax.  75 

Mes  garde  que  soies  loiaux 
De  rendre  moi  mon  gerredon! 
Qar  tu  auras  molt  greignor  don 
715    De  moi  que  de  toi  ne  prendrai. 
Car  Rogel  quite  te  rendrai, 
Et  par  moi  auras  Tors  en  sel 
Tôt  coiement  en  ton  ostel. 
Lors  auras  tu  bien  esploite.' 
720    Bien  a  fait  le  vilein  haitie 
La  gile  que  Renart  a  dite. 
Au  reconter  molt  se  délite, 
Onques  si  bone  n'out  oïe: 
Plus  de  cinc  cent  fois  l'en  mercie. 
725    'Sire  Renart.  a  grant  plente 
Auroiz  a  vostre  volente 
Chapons  et  gelines  et  cos. 
A  deu  vos  conmant,  je  m'en  vois.' 
A  deu  le  conmande  et  il  lui, 
730    Issi  départent  ambedui. 

Li  vileins  a  l'ostel  s'en  vet, 
Et  Renars  vers  le  bois  se  tret 
Que  il  amoit  plus  que  le  plein. 
Molt  a  esbaudi  le  vilein 
735    La  gile  que  Renart  a  fête. 
De  noient  mes  ne  se  dehete, 
Ainz  est  molt  lies  et  molt  joianz. 
Si  s'en  vait  a  l'ostel  chantant. 


299 


703  nuis  704  damages  705  poit  706  conuenroit  707  ferunt  710 
manque  711  flaaix  714  Mais  tu  a.  trop  greindre  720  H  721  disto 
722  remonter      délice      724  fais     727  le  liremier  et  manque 


300  IX  (Mcoii   11)005— KUlilU) 

Que  il  cuide  bieu  sanz  tarder 

740    Avoir  char  d'ors  en  son  larder. 
Tantost  conme  l'aube  creva 
Li  vileins  molt  lies  se  leva, 
Un  bon  cotel  mist  soz  sa  cape. 
Se  Brun  li  ors  vis  en  escape, 

745    II  ne  s'eime  rien  ne  ne  prise. 
Une  trancant  coingnie  a  prise 
Qu'il  mist  sos  sa  cape  a  celé. 
Un  garçonnet  a  apele. 
Avis  li  est  que  trop  deniore, 

750    II  ne  cuide  ja  veoir  l'ore 

Qu'il  ait  a  son  trenchant  cotel 
A  Brun  Tors  reverse  la  pel. 
Ses  bues  chace  plus  que  il  pot, 
En  son  essart  s'en  vient  le  trot, 

755    Et  le  cotel  et  la  coingnie 
Ot  de  soz  sa  chape  muchie. 

Tandis  qu'il  antent  a  arer. 
Brun  l'ors  ne  se  pot  esgarer 
Qui  del  bois  sout  tos  les  trespas, 

760    Vint  a  l'essart  phis  que  le  pas 
Des  pâtes  derer  regibant. 
Mais  il  ne  set  c'a  l'oil  li  peut. 
Bien  cuide  que  Rogel  suen  soit. 
Vers  la  carue  vient  tôt  droit, 

765    A  haute  vois  Letart  escrie 
'Deslie,  va,  le  buef  deslie  ! 
Por  quoi  l'as  tu  soz  le  jou  mis? 
Tu  nel  m'avoies  pas  promis, 
Desloiau  vilein  deputaire, 

770    Que  tu  feïsses  les  bos  traire. 
Tu  as  or  fait  ce  que  te  plot.' 
Letart  qui  molt  bien  fere  sot 
U'ome  coart  chère  et  samblant, 
Li  respont  basset  eu  traublant 

741   se  c.     1  il    cclco     75fi  iuucIr'     757  nier     75>S 
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IX   (Méoii    16091  — lin-ifi)  '^01 

775    '8ire,  or  ue  soies  pas  iriez  ! 

Rogel  n'est  gerres  enpiries  : 

C'oreudroit  le  vos  ramenroie, 

Se  g'estoie  au  chef  de  la  roie. 

Ma  roie  me  laissiez  parfere!' 
780    Renart  qui  tôt  ot  cel  afere 

Veii  de  près  et  espie, 

Un  lonc  cor  qu'il  avoit  lie 

A  son  col,  a  mis  a  sa  boce  : 

Si  fort  et  si  très  bien  le  toce 
78')    Et  conmenche  a  corner  si  haut, 

Que  retentir  en  fait  le  gaut. 

Et  quant  li  corners  li  anuie, 

Si  escrie  forment  et  hue 

Ausi  con  vénères  qui  chace, 
7'.)0    Qui  ses  chens  envoie  a  la  trace. 

Molt  fu  grauz  la  noise  et  li  bruiz, 

Que  molt  en  fu  Renart  bien  duiz 

Et  del  corner  et  del  huer. 

Et  Brun  Tors  conmence  a  muer. 
79.')    Le  bruit  et  la  noisse  qu'il  ot 

J3e  rien  ne  li  sit  ne  li  plot: 

]Se  la  voussist  or  pas  oïr, 

Qu'il  en  cuidast  molt  mal  joïr. 

Molt  s'esmaie  et  molt  se  merveille, 
800    Ases  escote  et  oreille: 

Conme  plus  oreille  et  escote 

De  tant  se  crent  il  plus  et  dote. 

Molt  crent  que  levrer  ne  l'asaille 

Et  que  venere  aus  mainz  nel  baille. 
805    De  poor  tremble,  a  Letart  vient. 

De  Rogel  mes  ne  li  sovient, 

N'a  or  talant  qu'il  le  deslit. 

Simplement  et  bas  li  a  dit 

'Or  me  di,  Letart,  ne  t'anuit, 
810    Qui  a  ceste  noisse  et  cest  bruit 

7S7  A  tôt  li     789  connie 
SO'J  il  nHinijitr    S()(î  Houent 


775  iri 

pz  ]  pines     778  uoie     783  ni.  et 

lUMifor     71)1 

en   lu     7it«  scsnuii     8(t0  Icscdutc 

H07  que 

302  IX  (.Méon   16127  — 161H2) 

Conmencie  en  ceste  forest? 
Por  deu  di  le  moi,  s'il  te  plest. 
Par  teil  convent  que  meuz  t'en  seit. 
Letart  qui  taindis  s'apensoit 

810    De  respondre  Brun  par  savoir 
Teil  cose  qui  resanblast  voir, 
Li  dit  a  loi  d'orne  recuit 
'Je  t'en  dirai  ce  que  j'en  cuit. 
J'ai  01  dire  a  un  ribaut, 

8-20    C'est  la  gent  au  conte  Tebaut 
Par  qui  la  terre  est  meintenue. 
En  ceste  fores  est  venue 
Qui  est  au  conte  tote  quite 
Et  a  tote  gent  contredite 

82.')    Fors  sol  au  conte  et  a  sa  gent. 
S'en  i  trovoit  autre  chacant, 
Li  cuens  le  fereit  errant  pendre 
Que  ja  ne  l'en  porroit  défendre 
Force  d'amis  ne  gentillece, 

830    Avoir,  proiere  ne  proece. 

C'est,  ce  cuit,  sa  mesnie  tote 
Qu'il  amena  une  grant  rote. 
Venu  sunt  si  matin  cliacer. 
Li  un  portent  espie  d'acher, 

835    Li  autre  arc  et  sajetes  tienent. 
Par  les  bestes  traiant  s'en  vienent 
Et  lor  douent  meins  mortels  cox. 
Li  autre  ont  cors  a  lor  cox 
Qu'il  cornent  et  li  autre  huent. 

8J0    Les  bestes  par  le  bois  s'en  fuient. 
E  ceus  qui  tenent  les  levrers, 
Molt  meillors  que  chens  a  chèvres, 
Corent  par  le  bois  a  esles. 
Et  li  cuens  meïsmes  après 

845    Sor  un  chaceor  qui  tost  cort, 
(^ue  de  venoison  vout  sa  cort 


812  dil  moi  plet  814  qui  ]  i  sapereoit  822  Est  en  o.  fores  u. 
825  for  826  si  ni  829  gentillice  836  sen  manque  837  meint  S39 
cornenent  e     842  Molt  |  Et     843  eornenent     844  nieis  a  esles 


IX  (Méon  lauys—iav.iS]  803 

Garnir  a  ceste  pantecoste  76 

Qui  chascun  an  cent  mars  li  coste 

Et  ouan  plus  li  costera  : 
8ÔU    Que  je  cuit  que  li  cuens  fera 

îsovaus  chevaliers  dusq'a  vint, 

Qui  pieca  si  grant  cort  ne  tint 

Con  il  voudra  auan  tenir, 

Que  a  sa  cort  fera  venir 
855    Le  meuz  de  la  chevalerie 

Qui  soit  desus  sa  seignorie  : 

Por  c'est  si  mein  la  chose  enprise.' 

Si  grant  poor  est  a  Brun  prisse 

Qu'il  ne  se  pot  sor  pies  tenir, 
8G0    A  tere  le  convint  venir. 

'Letart'  fait  il,  'par  ta  mérite, 

Que  je  te  clein  Rogol  tôt  quite 

E  que  tes  verais  amis  soie. 

Laisse  me  chocer  en  ta  roie 
8(j5    Et  de  la  terre  bien  me  covre: 

Por  deu  te  pri,  ne  me  decuvre 

A  ces  veueors,  ne  enseinne. 

Que  s'il  avient  que  l'en  me  preine, 

Escorcher  me  fera  li  cuens.' 
870    'Dan  Brun'  dit  Letart,  'toz  vo  buens 

Sui  toz  aparelliez  a  fere. 

Mais  jo  vos  loeroie  a  tere 

C'aucuns  vénères  ne  vos  oie  : 

Que  li  cuens  en  auroit  grant  joie, 
875    S'avoir  vos  poûst  a  sa  feste. 

Enmi  une  raie  s'areste 

Brun  li  ors  qui  se  dote  tant. 

Hoc  se  coce  et  estent. 

Si  li  semble  qu'escapes  ert 
880    Des  veneors,  mais  sa  mort  quiert  : 

Et  quide  estre  de  la  mort  loing, 

Mais  ele  li  est  près  du  groing. 


848  a     849  huan     851  cheual'  duqua     853  uaudra     854  cor     857 
ce  est     863  uraie     864  roe      872  fere      873  ueneors      874  Que  mmitfxe 


804  I\    (Méon    1(3199—16234) 

Et  tiel  qiiide  alonner  sa  mort 
Qui  l'aproclie  et  aprisme  fort: 

88.')    Escape  quide  estre  por  voir, 
Et  il  s'aïde  a  descevoir. 
Lietart  qui  la  noisse  bien  plest 
Que  Renart  fet  par  la  forest, 
De  ses  deus  meins  sa  face  tient, 

890    Et  de  rire  a  peine  se  tient. 
Que  molt  très  graut  joie  a  ou 
De  Rogel  quïl  li  a  rendu. 
Si  Tacoilli  lors  a  covrir 
De  la  terre  par  grant  aïr. 

895    Que  qu'il  le  covre  de  la  terre. 
Sa  coingnie  près  de  lui  sere 
Et  son  cotel  près  de  lui  met, 
De  lui  covrir  bien  s'entremet. 
Cou  il  fu  auques  bien  coverz, 

900    Les  euz  que  il  tenoit  overs 
•Li  coumande  que  il  les  cloe. 
Cil  fait  issi  con  cil  li  loe, 
Que  de  nul  agait  ne  se  garde. 
Letard  de  rien  plus  ne  se  tarde, 

905    A  dous  meins  hauce  la  coignie, 
De  soi  Ta  forment  esloingnie, 
Bien  la  hauce  pqr  meuz  ferir. 
Au  premer  le  voudra  merir 
Le  grant  orgoil  et  le  danger 

910    Qu'il  li  mena  de  son  buef  ier. 
Quant  longement  out  avise 
Son  coup  a  loi  d'orne  sene 
Que  de  faillir  se  dote  trop, 
Sor  la  teste  jeté  le  coup. 

915    Fiert  et  reliert  de  tel  aïr 

(^ue  jus  en  fet  le  sauc  venir. 
Tel  coup  li  done  de  rechef 
Que  tôt  li  a  brisie  le  chef. 


884  Que  886  s'  J  1'  887  Retart  888  le  f.  890  rier  89H  lacueille 
896  coingni  898  bien  ]  puis  900  Le  e.  quil  ,t.  aouerz  910  Quil  Imena 
911   qan 


IX  (Méon   162;j5  — 16270;  305 

Ne  le  crient  mes  ne  ne  le  dote. 
9-20    Tar  desuz  la  gorge  li  bote 

Le  bon  cotel  qui  souef  trenche. 

Meintenant  del  orgoil  se  venge 

Qu'il  li  fist,  ne  l'espairgne  point. 

Del  cotel  jusqu'al  cuer  li  point 
925    Si  que  le  sanc  en  cort  et  raie 

De  tôt  le  cors  parmi  la  plaie. 

Bien  et  forment  seignor  le  fet. 

Un  poi  en  swz  del  sanc  le  trait 

A  peine,  que  molt  ert  pesant. 
930    N'an  fera  gaire  de  présent, 

Par  lui  nel  saura  nus  qui  soit, 

Que  por  nule  rien  ne  vodroit 

Que  nus  de  ses  voisins  soûst 

Qu'en  son  larder  car  d'ors  oust. 
9;};')    As  meius  le  covre  au  meus  qu'il  puet, 

Ses  bues  sache  a  l'ostel  et  muet. 

Il  fu  liez  et  fet  bêle  choie. 

Sa  mollier  que  il  ot  molt  rhere 

Apele  sol  sans  conpaingnie' 
940    Si  li  a  dit   ma  douce  amie 

Qui  après  deu  me  faites  vivre. 

Voirement  dit  voir  a  délivre 

Li  vileins  qui  par  tôt  bien  dit, 

Qu'il  n'est  si  grans  max  qui  n'aït. 
94.")    Ne  bien  qui  ne  unisse  par  eures. 

Se  dex  me  doinst  plente  de  meures 

En  mon  plaissie  por  more  fere 

Tel  qui  puisse  a  riche  ome  pleie, 

Je  puis  bien  afermer  de  voir 
950    Que  je  l'essaiai  bien  ersoir, 

l*ar  la  grant  foi  que  je  vos  doi. 

Et  si  vos  dirai  bien  por  quoi. 

Bien  cuidai  avoir  mon  mal  quis, 

Quant  er  matin  a  Rogel  dis. 


919  nii  (les  deux  ne  manque  921  soupf  ]  bion  926  inaïKjiie  932 
ne  vodroit  j  qui  soit  9.33  nu8  manque  93ô  pot  941  Que  942  Vorement 
a]ei    944  quil  nait    94fi  «loist     moure     953  cuidoi 

KENAUT      I 


306  IX   (Méoii   ir.27 1  —  16305) 

955    Por  ce  qu'il  traioit  lentement. 

Que  maus  ois  sanz  prolaingneinent 
Le  mangast  et  le  me  tousist. 
Trestot  meintenant  Brun  s'asist 
Joste  moi  et  si  le  vint  querre. 

960    Sa  félonie  et  sa  g-uerre 

De  moi  et  del  mien  comperasse, 
Se  a  lui  ne  m'umeiiasse. 
Il  m'avoit  piis  a  maneclier. 
Et  je  le  soi  bien  eulaclier 

9(i,')    Be  blanches  paroles  et  pestre  : 
Que  j'en  ai  este  a  bon  mestre. 
De  bien  lober  buen  mestre  sui. 
Respit  me  dona  jusqu'à  hui. 
Mes  a  quoi  feroie  lonc  conte? 

970    Renart  qui  de  bien  faire  a  honte, 
Tel  gile  et  tel  barat  m'aprist 
Par  quoi  dan  Brun  orendroit  gist 
Mort  et  covert  dedenz  la  roie. 
Mes  or  me  conseille  et  avoie 

975    Conmeut  il  ne  fust  ja  soii. 
Que  s'il  estoit  aperceii 
0  del  conte  o  de  sa  gent, 
Ne  nos  garroit  oi-  ni  argent 
Que  nos  ne  fusson  afole.' 

980    Molt  doucement  l'a  acole  77 

Celé  qui  tant  savoit  de  lobe: 
Meulz  valoit  que  tote  la  robe 
Au  vilein  solemeut  sa  guimple. 
Que  trove  l'avoit  fol  et  simple: 

9S5    Ne  li  osot  dire  ne  ferc 

Chosse  qui  li  doûst  desplere, 
Et  desus  le  vilein  est  dame, 
Por  ce  qu'ele  ert  gentil  feme. 
Respondu  li  a  en  riant 


957  me  manque  958  meitenant  saisit  961  de  m.  962  me  umi- 
liasse  963  moneclier  965  parales  967  laber  Après  le  v.  968  on  lit 
Uore  se  dex  me  gart  de  lioiite  970  iiKinquc  971  barast  974  ore  978 
gai'iroit     981   que     982  sa 


IX   (Méon   1630G  — 10848)  301 

990     Certes  tôt  a  mon  escient 

Yos  donrai  je  conseil,  baus  siie. 
De  ce  que  vos  ai  oï  dire. 
Anquenuit  devant  l'ajornee 
Soit  une  charete  atornee: 
995    Et  entre  moi  et  Costancete 
Si  le  metron  en  la  carete: 
Et  nostre  garçon  Tribulez 
Sera  o  nos,  se  vos  volez. 
Issi  porron  nos  esploiter, 
lOOO    Nus  ne  vos  venra  agaiter.' 
Con  ele  a  ce  dit,  si  le  bese. 
Or  esteit  li  vileins  aesse 
De  ce  que  sa  feme  dit  ot, 
Et  du  conseil  de  li  s'esgot. 
1005    N'a  talant  qu'autre  conseil  pregne. 
Si  li  a  dit  'bêle  conpaigne, 
Nos  le  feron  a  vostre  los. 
Tribulez  n'est  mie  si  os 

Que  de  ce  conseil  nos  decovre. 
1010    Ja  ne  li  celerun  celé  ovre, 

Bien  aurom  mestier  de  s'ahie 

Se  deu  plaist  et  seinte  Marie. 

Entre  nos  quatre  lèverons 

Brun,  que  ja  grève  n'en  serons.' 
1015    La  parole  laissent  atant. 

Jusqu'à  la  minuit  atant 

Sa  charete  a  apareller. 

N'avoit  cure  de  someller. 

Il  ne  dort  mie  ne  someille. 
1020    A  mienuit  sa  feme  esveille 

Et  Costancete  et  son  garçon. 

S'a  pris  en  sa  mein  un  arcon 

Et  deus  fleces  a  sa  ceinture, 

Que  bien  sont  trere  par  nature. 


991  conseil  manqiif  h.  dou  s.  995  Contancoto  998  uos  1000 
gaiter  \00â  qu'  manque  1007  lox  1008  mi  si  1009  des  ce  1014  serans 
1017  charate     1019  dormoit  ne  s.     1021   contancete     1022  S'iuaiiquc 

20* 


308  IX  (Méon   16851  —  16394) 

1025         Letart  après  point  ne  sejorne, 
La  carete  afete  et  atorne 
Sans  noisse  fere  a  plus  que  pot. 
Li  chevaus  ne  va  pas  le  trot: 
Aler  le  feit  le  petit  pas. 

1030    Et  la  charete  ne  bret  pas, 

Que  de  seu  l'avoit  il  bien  ointe. 
Sa  moillier  et  sa  fille  acointe 
Que  eles  ne  dient  un  mot. 
Et  lor  defent  plus  que  il  pot, 

1035    Que  de  l'agait  grant  poor  ont. 
Quant  de  la  vile  eslonnie  sont 
Entor  cinc  archies  ou  sis, 
Li  vileins  qui  estoit  asis 
En  la  sele  sor  le  cheval, 

1040    Le  fet  troter  contre  un  val. 
Tant  est  aie  les  troz  menuz, 
En  sun  essart  en  est  venuz 
Ou  il  avoit  coveit  Brun  l'ors. 
De  la  terre  Tavoient  sors, 

1045  El  caretil  l'ont  mis  a  paine. 
Litart  a  son  ostel  l'enmeine 
A  son  cotel  bien  le  depiece. 
En  son  ostel  cliascune  pièce 
Fesoit  lever  en  Teve  clere 

lOjO    Entre  Costancete  et  sa  mère. 
Le  tenoil  ou  les  piecez  sont 
En  une  huce  le  repont. 
Litart  qui  plus  celer  ne  veit, 
Ne  s'atarde  que  il  n'apelt 

1055    Le  garçon,  que  il  dote  et  crient 
l'or  ce  que  ne  li  apartient  : 
Et  bêlement  a  bêle  chère 
Si  li  prie  con  il  a  chère 
L'amor  et  la  vie  de  lui, 

1060    Que  ne  le  die  a  nullui. 


1020  Y>o\nX  maiir/iir  1026  iife  et  1088  que  104.")  lont  il  a  pue  lOôO 
eontancete  1052  les  r.  1058  uout  1054  uaplet  1055  ereu  105.s  il  jn 
1059  Lanioit 


IX  (Méun   1639.0—16482)  309 

Li  garçon  li  jure  et  afie. 

Sire'  fait  il,    n'en  dotes  mie: 

Que  ja  par  moi  n'iert  decoverte 

Chose  dont  il  vos  veigne  perte.' 
1065         Sitost  con  li  jors  escleira 

Renart  qui  ja  bien  ne  fera, 

De  Malpertus  son  fort  plaissie 

S'en  est  issu  le  col  baissie, 

A  itant  del  aler  estuide: 
1070    Que  il  bien  de  vérité  cuide 

Avoir  les  jelines  Litart 

Et  avoques  le  coc  Blanchart. 

Il  ne  sera,  ce  dit,  plus  vis. 

Il  quide  et  si  li  est  avis 
1075    Que  de  trestot  sire  estre  doie 

Et  de  Litart  et  de  la  proie 

Por  Rogel  que  sauve  lui  a. 

De  loing  le  vilein  espia 

Qui  delez  son  plessie  estoit: 
1080    Une  viez  soif  i  redrecoit. 

Vers  la  haie  Renart  s'eslesse 

Conme  celui  que  fein  apressc: 

Bien  cuide  avoir  sanz  contredit 

Ce  que  li  vilains  li  ot  dit. 
1085    Mes  autrement  est  que  no  pense. 

Litart  l'a  veii,  si  s'apense 

De  la  promesse  que  li  fist. 

Sa  sarpe  et  sa  coingnie  prist 

Dont  aguisie  avoit  ses  peus  : 
1090    Près  de  la  haie  ert  li  osteux 

Qui  de  la  haie  estoit  aceins. 

Damnedeu  jura  et  ses  seins 

Entre  ses  denz,  ainz  que  s'en  tort, 

Que  Renart  ert  a  povre  cort, 
1095    S'il  atent  a  li  aconter. 

'Renart  me  quide  plus  coster 


1066  que     1068  le  J  son     1071  la  ieline      1074  quida      1079.  1080 
inanquent     983.  1084  manquent     1091  Qui  manque     1095  conter 


iilO  I\     Jléon   lt)43.i^lti472) 

Que  ne  me  costera  des  mois. 
I]  quide  ore  avoir  demanois 
Ce  que  je  li  ai  en  convent. 

uno    Mes  issi  con  il  a  sovent 

Convent  fause  et  tant  de  fois, 
Si  est  il  et  raison  et  drois 
Del  engingneiir  qu'en  l'engint.' 
Issi  parlant  a  l'ostel  vint, 

1105    Ou  trova  filant  Brunmatin. 
'Trop  laissies  ovre  par  matin, 
Sire  raalves  vilein'  fait  ele. 
Et  il  li  a  dit  "demoiselle, 
Por  deu,  or  ne  vos  corocies 

1110    Ne  a  moi  ne  vos  aïres! 

Que  ne  sui  pas  encor  si  fous 
Que  le  matin  mete  a  repos: 
Einz  venoie  ici  savoir, 
Conment  poïsse  décevoir 

1115    Renart  qui  ci  iloques  vient. 

Les  jelincs  a  soes  tient  78 

Et  les  pocins,  si  quide  et  croit. 
Et  que  Blancars  li  cos  sien  soit. 
Por  ce  i  vient  il  abreve. 

1120    Et  a  ahan  iert  arive, 

Se  bon  conseil  i  puez  trover. 
Or  i  pues  ton  sen  esprover, 
Se  tu  ses  barat  ni  engin. 
Que  por  autre  rien  ca  ne  vin, 

1125    Et  je  ne  sai,  se  dex  me  saut, 
Ame  fors  toi  qui  me  consalt, 
Ne  qui  si  conseiller  me  doie, 
Que  je  sui  tiens  et  tu  es  moie. 
Et  devez  dire  nostre  bon, 

1130    Que  li  consaus  est  ausi  tucn 


1101  tante  f.  1103  engingnur  que  Icn  Icngint  1104  parlot  1105 
Et  t.  sa  feme  filant  1106  Qui  li  auoit  dit  en  riant  1107  Matin  laissies 
oure  f.  e.  1114  puisse  1116  suens  1118  le  msc.  A  offre  la  forme  blan- 
cet:  de  même  dans  les  v.  1181.  1186.  1299  1120  a  ha  1121  puet  1022 
s.  prouer  1123  Se  b.  ses  ni 


IX  (Mcun   16478  —  1(5508)  31: 

Con  il  esf  mien  en  un  endroit. 

Pens  i  de  bon  cuer  orendroit, 

Conment  nos  puisson  estrangcr 

Renart  qui  bien  quide  raangier 
1135    Nos  jelines  et  nos  capons. 

Certes  se  de  lui  escapons 

Par  toi  sans  cost  et  sans  despens, 

Bons  est  tis  baras  et  tis  sens, 

Et  si  t'aura  dex  aponsee.' 
1140    Celé  qui  estoit  apensee, 

Li  a  respundu  sans  demore 

'Trove  ai,  se  dex  me  socore, 

Un  bon  barat  qui  molt  vaudra, 

Par  quoi  Renart  atant  faudra 
1145    A  ce  que  promis  li  aves, 

Se  por  ce  fere  le  savez 

Qoiement  sanz  aparcevance. 

Trois  mastins  des  mellors  de  France, 

(Li  pires  des  trois  ne  le  dote 
1150    Qui  sont  laienz  en  celé  crote) 

Amenez  conme  veiziez. 

En  vostre  granche  les  liez, 

Et  gardes  que  bons  iienz  aient. 

Del  pain  lor  dones  qu'il  n'abaient: 
1155    Que  tost  porroent  esmaier 

Dan  Renart  par  lor  abaier, 

Si  s'en  fuiroit  a  sun  recet. 

Issi  n'aureon  nos  rien  fait 

Et  seroit  a  reconmenchcr. 
1160    Or  le  laissiez  bien  avancher 

Et  tôt  asoiir  ca  venir. 

Les  mastins  faites  détenir 

A  vostre  garconet  tôt  trois 

A  l'uis  de  la  grange  detrois. 
1165    Quant  Renart  sera  aprocies, 

Les  chiens  maintenant  li  huics, 


1133  estrangler  1135  nos  ]  les  1IS7  Pur  toi  |  De  li  1138  tist 
baves  1142  uoudra  1143  que  1150  est  liez  1152  garclie  et  1.  1153 
il  ]  bons    1158  nos  1  nule    1159  reconmecher    1166  Lest  aler  les  ch.  et  h. 


312  IX  (Méon  1650S)— 10548) 

Et  cil  les  laist  aler  après  : 
S'il  le  poent  tenir  de  près, 
Il  li  dépèceront  la  pel 

1170    Et  li  ferunt  roge  capel. 

Molt  vos  vaudra,  si  con  je  cuit, 
Bien  sa  gorge  set  sols  ou  huit, 
A  ce  que  ele  est  de  soison. 
Issi  con  le  di,  le  faison, 

1175    Que  ja  ne  porreeiii  meulz  fero. 
Et  vos  por  plus  Renart  atrere 
Qui  ja  est  si  près  avales, 
A  nostre  haie  vos  alez 
Et  vostre  ovre  reconmenciez, 

1180    A  Renart  de  rien  ne  tenciez: 
Se  il  dist  Blanchart  li  donez, 
IBt  vos  par  bel  li  respones 
A  po  de  parole  brefment 
"Renart,  saches  veraement, 

1185    Ja  ne  devrees  avoir  cure 

De  Blancart,  qui  a  la  car  dure 
Et  no  maujue  que  ren  vaille 
Fors  ice  que  prent  en  la  paille, 
Et  que  il  ne  seroit  pas  cuit 

1190    En  un  jor  et  en  une  nuit, 

Qui  le  metreit  quire  orendroit. 
Tendre  chose  vos  convendroit 
A  vostre  manger:  jelinetes, 
Chapons  et  oisons  et  poletes. 

1195    Et  se  vos  nel  voles  laissier. 
Je  le  vos  ferai  engracier 
Quinze  jors,  si  ert  vostre  prou 
Que  il  n'est  are  a  manger  prou." 
Issi  le  porron  losenger 

1200    Le  traïtor,  le  losenger. 
Itex  paroles,  itex  dit 
Si  vaudrunt  bien  un  escondit. 
Quant  ces  paroles  li  diroiz. 


1179  reconmeraenciez  llHOtenceiz  1186  que  1195nel]Ie   1203diro2 


IX  iMôon   l';:)4'J  — lti584)  318 

Ases  plus  bel  l'escondiroiz 
1205    Que  se  ves  tenceez  a  lui. 

De  lui  nos  vengeront  encui 

Claviax   et  Corbel  et  Tison, 

Qui  l'en  amenront  a  meson. 

Cil  troi  sel  poent  acoper, 
1-210    Jamais  n'iert  a  nos  a  soper 

Et  ja  ne  querra  rien  du  nostre.' 

'Foi  que  doi  saint  Pierre  l'apostro. 

Bêle  suer,  bons  est  li  consauz, 

Ja  si  n'en  ira  or  les  sauz 
1215    Renart  que  nos  ne  le  preignons 

A  l'aïde  des  troi  gaignons 

Qui  li  ferunt  une  envaïe. 

Si  en  aura  mester  d'aïe, 

Se  il  le  pooient  abatre. 
12J0    Je  m'en  vois  a  la  soif  esbatrc, 

Que  il  ne  face  aucune  ganche. 

Li  garçons  tienne  en  la  granche 

Les  chiens  si  con  vos  l'aves  dit: 

Quant  je  huerai,  sis  deslit.' 
1225         Atant  va  arere  a  la  haie. 

Renart  que  fein  grieve  et  esmaie, 

S'en  va  a  la  haie  le  trot 

La  ou  li  vileins  sa  soif  clôt 

Et  aguise  les  pex  et  fiée. 
1230    Entre  ses  denz  jure  et  afice 

Que  cher  li  vendra  celé  voie. 

Por  ce  que  Renart  ne  le  voie, 

Enbronce  sa  chère  et  abaisse. 

Renart  vers  le  vilein  s'eslaisse, 
1235    Et  li  dit  'dex  te  saut.,  Litart! 

Va  moi  querre  le  coc  Blancart! 

Je  le  doi  avoir  par  raison. 

N'ousses  pas  en  ta  meson 


1206  uengeron  1209  se  p.  acaper  1212 — 1214  itianqueiif  1216 
manque  1218  si  naura  1220  Je  en  uoil  abatre  1226  gre  1230 
senz  denz     1235  li  manque 


314  IX   (Méon   li;5S5-lBH20) 

Brun  l'ors,  se  ne  t'oiisse  apris 

1240    L'engin  par  quoi  l'as  mort  et  pris. 
Je  en  doi  estre  bien  a  coït.' 
Litart  a  fait  semblant  de  sort 
Ausi  conme  s'il  n'oïst  gote. 
Renart  en  la  haie  se  bote 

]245    Eu  la  manere  de  furcit, 
Et  s'apensc  qu'il  li  direit, 
Et  li  a  huce  de  rechef. 
Li  vileins  a  hanche  son  chef 
Et  l'a  en  travers  regarde: 

1250    'Sire'  fet  il.  'de  la  part  de,  79 

Estes  vos  por  le  coc  venuz  ? 
Il  est  et  megres  et  menuz 
Qu'il  no  manjue  nule  riens 
Fors  ce  que  il  trove  el  fieus. 

1255    Trop  est  chaitis,  n'a  que  les  os, 
Et  la  plume  le  fait  si  gros. 
Se  la  demore  ne  vos  tarde, 
Encore  n'aura  li  cos  garde: 
Huit  jors  ou  quinze  le  laissies 

1260    Tant  que  soit  un  po  engrasies 
Et  si  vaudra  il  ases  meuls. 
Ensorquetot  il  est  trop  vels. 
Bien  a  passez  trois  anz  ou  quatre. 
N'i  porriez  la  dent  embatre 

1265    Et  vos  briserees  les  denz. 

Se  Jhesu  Criz  me  soit  garanz. 

Et  je  seroie  fort  iries. 

Se  vos  estees  enpiriez 

Par  chosse  qui  de  moi  moiist. 

1270    Mes  qui  jounes  pocins  oust, 
0  un  oisonet  gros  et  tendre, 
Bien  vos  i  porreoz  entendre. 
Je  n'ai  capon,  oison  ne  polie, 
Molt  l'amasse  a  vostre  ffole. 


1241  Jen  1243  con  1245  feieret  1246  que  il  12513  Qui  1255  chcn 
1257  torde  1259  iors  manque  1262  Ensoiquotant  tro  1264  donz  es- 
batre     1266  garant     1270  que 


IX   (Mron   li;.-)-'3— 16(J(i-J)  315 

1-275    Se  Tousse  de  quoi  soigner. 

Que  ja  hom  ne  doit  esloigner 

Son  ami  qui  se  met  en  soi. 

Certes  que  volenters  vos  voi 

Conme  bon  ami,  et  lie  fusse 
1280    S'aucune  bone  rien  eusse 

Dont  je  vos  pousse  somondre. 

Ne  soiisse  a  vos  respondre 

Nule  riem  qui  vos  doiist  plere.' 

Or  ne  se  pot  Renart  plus  tere, 
1285    Avis  li  est  que  trop  se  test: 

Que  il  li  anuie  et  desplest 

La  mencoigne  que  il  entent. 

'Fol  vilein,  trop  as  dit  atant, 

Or  me  represte  le  frestel! 
1290    Tu  me  quides  et  bien  et  bel 

Avoir  escondit  de  Blancart. 

Et  je  sai  tant  engin  et  art 

Ases  et  plus  que  tu  ne  fes. 

Je  t'ai  d'un  molt  anoiax  fes 
1295    Et  délivre  et  descarge, 

Que  je  t'ai  Rogel  atarge 

Et  t'ai  Brun  par  mon  sen  done. 

Tu  m'avoies  abandone 

Blancart  le  coc  par  ta  parole  : 
1300    Or  as  este  a  autre  escole. 

Desloiax  vileins,  faus  et  sers. 

De  bêles  paroles  me  sers. 

Je  sai  bien  conoistre  tes  bordes 

Et  tes  lobes  et  tes  falordes: 
1305    Et  tu  m'as  premis  sans  doner. 

Mes  par  celui  qui  fet  toner, 

Damage  auras  ainz  quinseine, 

En  ta  premesse  qui  est  veine. 

Tu  entens  ore  a  flater, 
1310    Mes  de  dol  te  ferai  grater. 


1277  que  1279  le  f.  1285  se  manque  1286  desplet  1294  dont  m. 
1295  et  ^calenge",  des  1300  Or  ]  Tu  autre  ]  tele  i:J01  faus  manque 
1303  tes  manque     1306  que     1308  que 


316  IX  (Môon  4(>HG5— 46710) 

Par  bordes  quides  escaperV 
Je  te  ferai  encor  fraper. 
Desloiaus  esconmuniez.  * 
Or  ai  bien  este  merciez 

131Ô    Par  toi  qui  bel  m'as  aceilli, 
Et  bêle  chère  m'as  fait  hui. 
Puant  vilein,  con  estes  leres, 
Estecz  devenu  guileres? 
Je  vos  vendrai  chier  vostre  guilo, 

13-20    Hui  est  li  jors  que  trop  avile 
Lecherie  et  bole  empire. 
Quant  tu  nie  cuides  descontîre. 
Damage  i  auras,  je  t'afi. 
Des  ore  en  avant  te  défi, 

1325    Des  ore  te  serai  nuisant.' 

Litart  qui  fu  a  mal  pensant 
Et  qui  es  trois  mastins  se  fie, 
A  respundu  par  felonnie 
'Renart,  pou  voi  nuli  qui  face 

13.J0    Grant  hardement  qi  si  manace. 
Ton  pooir  fe  sanz  manacer: 
Ja  ne  ti  verras  enbracer, 
Ne  prier  por  pes  ne  por  trives. 
Ne  pris  pas  deus  foilles  de  cives 

133     Ton  manecer  ne  ton  vanter. 
Sui  je  chaz  a  espoenter? 
Je  ai  meinte  manace  oïe  : 
Ja  por  ce  n'ert  moins  esjoïe 
Ma  mesnie  por  ceste  cose, 

1340    Ne  nostre  porte  plus  tost  close. 
Je  sui  cil  qui  poi  cren  et  dote 
Ton  pooir  et  ta  force  tote. 
N'ai  poor  ne  garde  te  toi, 
Po  de  tex  maneceors  voi 

1345    Qui  parolent  si  egrement, 
Qui  aient  gères  hardement, 


1311  b.  me  q.  1315  que  1317  este  1.  1319  manque  1321  rôle 
1325  serai  a  n.  1332  ni  ti  nenras  1333  pries  1334  inaiiqite  1335  ton 
auant     1840  tos 


IX  (Méon   1K711  — l<i7r)4)  31' 

Quant  vienent  a  un  po  d'efors. 

Tu  es  ases  sages  et  fors: 

Eu  toz  mes  nuisemenz  te  met 
i;550    Et  de  moi  nuire  t'entromet 

Et  en  apert  et  a  celé! 

Tu  m'as  ici  serf  apele 

Et  traïtor  et  desloial: 

Mes  je  te  puis  plus  fere  mal 
1355    Que  tu  ne  porroies'  moi  fore. 

Je  ne  te  qier  mais  a  retraire 

De  moi  fere  mal  et  anui. 

Je  te  conmencerai  ancui 

A  nuire  et  a  contralier. 
1360    Robelet,  va  tost  deslier 

Les  trois  mastins  et  si  les  hue  !' 

Li  gars  sa  chape  a  terre  rue, 

Les  chens  hua  et  après  cort. 

Li  mastin  saillent  de  la  cort  : 
VM)    Apres  lui  corent  abaiant. 

Del  atendre  est  il  noient, 

Ne  li  feront  pas  ses  aviax. 

Près  de  lui  s'areste  Claviax. 

Et  l'aert  as  dens  par  l'oreille 
1370    Qui  en  pou  d'ore  fu  vermeille. 

Ne  li  est  mie  li  jox  baus, 

Qu'après  celui  veneit  Corbax. 

Les  denz  en  la  coe  li  bote 

Que  il  li  a  ronpue  tote, 
1375    Et  par  dejoste  le  crépon 

N'i  remeist  que  le  boteron. 

Par  ces  ne  fust  pas  retenus, 

8'apres  ne  fust  Tison  venus  80 

Qui  l'a  mors  et  li  depelice 
1380    Par  desus  le  dos  la  police 

Que  il  avoit  et  grande  et  lee. 


1347  Con  uient  1348  et  gros  1349  nuisenient  1350  Et  manque 
n.  et  tant  i  ûît  1351.  1352  inlervertis  1350  rotrarc  1359  contre  alier 
1366  ateindre  1368  cliauiax  1370  niêrucilli'  i;i7it  Imioit  m.  .-t  d.  1380 
dos  de  la    1381  le  premier  et  mniijui- 


318  IX   (Méon   1B7Ô6  — 18807) 

Hoc  li  a  tote  pelée, 

Jusqu'en  la  vive  car  l'a  mors. 

A  peines  est  de  la  estors 

13S')    Reuart  qi  estoit  deplaies 
Et  de  seinier  afobloies, 
Sivre  le  poussies  par  trace. 
Si  est  pensis,  ne  set  que  face. 
Bien  set,  n'i  a  mester  peresce, 

1,S90    Se  en  son  cum-  n'atret  proece  : 

Que  vers  les  cliens  n'a  nule  force. 
Do  son  cors  aieser  s'eforce. 
A  Malpertuis  en   vint  les  sauz 
Ou  gaires  ne  crent  lor  asaus. 

1395    Con  il  entra  en  Malpei'tuis, 

Si  ferma  sa  porte  et  son  huis. 
Il  se  pleint  molt  et  se  dehaite. 
Ses  plaies  li  lie  et  afaite 
Hermeline  qui   est  sa  feme. 

14(X»    Renart  li  a  dit    douce  dame, 
Ou  monde  a  une  merveille, 
Que  cil  qui  a  mal  fere  veille, 
Cil  qui  mordrist  et  cil  qui   eml)le 
Et  qui  autrui  avoir  asemble 

1405    O  par  faus  plet  o  par  usure 
Et  qui  de  loiaute  n'a  cure: 
A  celi  ja  mal  ne  carra 
Ne  ja  ne  li  mesavendra. 
l'ius  meschet  il  et  mesavient 

1410    A  celui  qui  a  bien  se  tient. 
Je  di  ce  que  je  sai  de  voir: 
Je  qui  soloie  décevoir, 
N'avoie  de  cose  disete 
Qui  por  aisse  d'onie  fust  faite. 

1415    Et  por  ce  que  je  voil  bien  fere, 
Qui  onques  mes  ne  me  pot  plere 
Et  que  je  ai  pou  meintenu, 


1389  proece  1390  leece  1394  na  c.  1398  o  1399  que  1401  O 
1403  mordi-st  UOâ  faus  iiKOique  uusure  1409  il  iihiii:/ii<'  1412  que 
1414  por  <1  aisse     1417   iai  p. 


IX  (Méon   10808-108.-11)  319 

Por  ce  m'est  il  mesavenu. 

James  nul  jor  bien  ne  ferai 
1420    Ne  ja  vérité  ne  dirai, 

Reson  ne  loiaute  ne  drois. 

Por  ce  que  oan  une  fois 

Avoie  a  bien  fere  entendu, 

M'ierent  li  diable  rendu. 
14-25    Certes  jamais  bien  ne  ferai. 

Ne  jamais  ne  le  meintenrai. 

Plus  ai  ou  et  honte  et  let 

Por  un  sol  bien  que  je  ai  fet. 

Que  por  mal  que  je  feïsse  onques.' 
1430    'Sire'  fet  ele,  'dites  donques 

Qui  ce  vos  a  fet  et  conment?' 

Fet  ele  je  le  vos  conmant. 

Molt  par  estes  depelisces, 

La  vérité  en  délices, 
143â    Con  vos  estes  si  descires.' 

Renart  qui  estoit  fort  ires, 

A  respundu  en  sospirant 

'Or  me  va  force  enpirant, 

Hermeline,  ma  douce  amie. 
1440    Et  por  ce  ne  lera  ge  mie 

Por  dolor  ne  per  feblete 

Que  vos  n'oes  la  vérité 

Conment  ai  este  asalis 

Et  conment  ai  este  bailliz, 
1445    Conment  ai  mal  por  bien  trove. 

Je  qui  sovent  ai  esprove 

Mon  sen,  ma  proece  en  tos  lex, 

M'en  aloie  toz  famellex. 

Un  poi  devant  none  l'autrior 
H5')    En  aloie  par  un  sentier 

Qui  bien  estoit  près  del  essart 

A  un  vilein  punes  Litart 

Qui  m'a  ceste  sausse  meiie. 


1418  mal  auenu  1419  fera  1427  liou  le  priuiier  ot  :ii(ni//iie 
1436  nires"  fort  1438  cniJi-ant  1442  laucnturo  144r)  bien  jxtr  mal  1440 
que     1449  lautre 


320  IX  (M6un   KiBôl  — ItWyO) 

Molt  grant  poor  avuie  oûe 
145,')    De  deus  mastins  qui  me  sivoient 

Et  bien  près  de  moi  abitoient. 

Un  pou  genci  hors  de  la  voie 

Por  ce  que  sans  dote  savoie, 

Se  il  retenir  me  poussent, 
1460    Qu'en  petit  d'ore  mort  m'oiissent, 

Et  si  fusse  trop  mal  mené, 

Quant  trovai  un  chesne  clieve, 

Que  molt  estoio  ja  lasse. 

En  pou  d'ore  fui  repasse, 
14(i')    Eu  nul  liu  n'avoie  este  mors. 

Puis  que  des  mastins  fui  esters 

Sanz  plaie  avoir  par  ma  proesce, 

Petit  prisai  celé  lasece. 

Tantdis  que  je  me  reposoie 
1471)    Ou  cros  qui  ert  delez  la  voie 

Qui   ert  del  essart  Litart  près, 

Si  oï  le  vilein  engres 

Qui  a  son  buef  se  dementoit, 

Et  ne  hoiloit  un  ne  chantoit. 
147;'»    11  ploroit:  si  n'avoit  pas  tort, 

Que  par  ire  et  par  deseonfoit 

A   dan  Binn  l'ors  premis  Tavoit, 

Ne  de  lui  conseil  ne  savoit. 

Con   il  me  conta  son  afere, 
1480    Lors  conmenca  je  bien  a  fere, 

Je  qui  ouques  mes  bien  ne  fiz: 

La  quit  je  que  je  me  mesfiz 

Quant  je  fis  bien  a  mal  oiir. 

Le  vilein  fis  lie  et  seiir: 
148.')    Por  le  vilein  devin  venerres. 

Tant  fis  que  li  vilein  mentierres 

Brun  lors  oci.st,  si  l'en  mena. 

Tel  gerredon  rendxi   m'en  a  : 

14r).">  suoiont  14(>0  Que  en  mort  iikoujhc  14(il  Iloques  molt  mal 
(leiiicne  UCf)  nai  este  14H7.  HCS  ttiiiii(/iii-„f  1474  li.  ne  cli.  1475  pas 
ninmjiif  147(î  Q.  1478  Ne  ]  Qui  ]iH\.  ]-is-2  »nnifj>i,'i,t  l4SH  fas  14H5 
deuint  nat'ies     i486  uât'eres 


IX  (Méoii   ItJSyl— 16928)  821 

Apres  moi  a  ses  chens  hues. 
1490    Bien  ai  este  despelicez 

Si  con  il  est  aparissant. 

Ausi  m'est  avis  que  je  sant 

Lor  denz  ez  oreillez,  ez  naehes. 

Ma  coe  ont  retenue  en  gages 
1495    Lez  troi  mastins  a  lor  sacher. 

Mes  Litart  le  conperra  cher, 

Se  do  tôt  mon  sen  ne  declinn.' 

'Lessiez  ester'  dist  Hermeline, 

'Ne  soiez  pas  si  ezniaiez! 
lôOO    Ja  n'estes  vos  gaires  plaez: 

Or  vos  doiissies  déporter 

De  cest  mal  et  reconforter, 

Que  vos  estes  en  espérance 

De  prendre  hastive  venjance, 
1505    S'un  po  vos  voleez  pener. 

La  charrue  en  poroiz  mener, 

Dépêcher  et  el  bois  repondre. 

Le  vilein  porrois  si  confondre 

Petit  et  petit  totes  voiez. 
1510    0  vos  li  enblez  ses  coroiez:  81 

Issi  le  porriez  grever 

Que  de  dol  le  ferez  crever, 

Le  vilein  félon  deputere. 

Ja  ne  doussiez  tel  dol  fere. 
1515    Ce  vos  doust  tôt  dedoloir 

Que  vos  solonc  vostre  voloir 

En  esclaireres  vostre  cuer.' 

'Bêle  conpaigne,  doce  sor' 

Dit  il,  'bien  ert  faite  la  chose.' 
15-20    Huit  jors  tos  pleners  se  repose 

Que  il  en  avoit  grant  mestcr. 

Ses  plaies  a  fait  afaiter 

A  Ilermdino  bien  sovcnt, 

Et  ele  de  cuer  i  entent. 


\W.i   Lez  (1.   le/  ().  les  naf^f's      1494  La       I49(;  coupera      H 
15(10  poirccs      l.-.ll    i.orrccz     1521   Quil      l.Vili  sauciit 

RKXAKT      1  21 


322  IX   (Méon  16929-16970) 

1525         Reuars  de  sa  plaie  se  delt. 
Por  ce  que  il  recovrer  velt 
Sa  force  que  avoit  perdue, 
Rien  ne  fet  ne  ne  se  remue 
De  Malpertus  sa  maison  fort. 

1530    Ce  li  done  grant  reconfort 
Que  il  set  que  bien  grèvera 
Litart,  con  il  s'en  penera. 
Huit  jors  tes  pleners  i  sojorne. 
A  mienuit  un  main  s'atorne, 

1535    Por  le  vilein  contralier 

Qui  ses  bues  a  pris  a  lier. 
Et  tandis  con  il  les  asamble, 
Renars  ses  coroies  li  emble, 
Que  bons  mestres  estoit  d'enbler. 

1540    Or  puet  li  vilein  asambler 
Ses  bues  et  amener  en  toit. 
Il  crioit  en  haut  et  chantoit 
Con  hom  qui  d'agait  ne  se  garde. 
Et  plus  n'i  demore  n'atarde. 

1545     Vers  le  boisson  en  ala  droit, 
Et  les  coroies  pas  ne  voit. 
Quiert  les  et  requiert  par  la  terre. 
Et  encor  les  poïst  il  querre, 
Con  dit,  qui  ne  trove,  no  prent. 

1550    Et  li  vileins  tôt  d'ire  esprent. 
Jure  et  rejure,  si  s'espert 
Por  ce  que  sa  jornee  pert. 
Il  est  dolanz  et  trespensez. 
Et  de  Renart  s'est  apenses 

1555    Que  par  ire  le  défia. 

'Alas!'  fait  il,   il  m'espia, 
Renart  li  leres,  li  traîtres. 
Car  le  tenist  la  mort  sobitoz! 
Le  gerredon  m'a  pris  a  rendre 

1560    Por  ce  que  je  ne  li  voil  rendre 


1526  uolt  1528  f.  ne  se  r.  lhH2  se  p.  1533  pleinz  i  sororna 
1534  matin  satorna  1536  sex  a  oliacer  1540  pot  1547  requier  154S 
encore     1550  u.  de  tôt     1551  et  maiiqin'     1554  fi^matique     1559  inniantjiie 


IX  (Méon  1(;971-1T006;  323 

Blanchart  que  devoit  estve  suens. 

Li  gerredons  n'en  est  pas  boens. 

Je  ne  puis  a  lui  forcoier, 

Il  me  poiToit  ja  pecoier 
1565    La  teste  que  ja  nel  verroie. 

Volenters  m'en  repentiroie, 

Se  rien  i  valoit  repentance. 

Mal  i  fis  ouques  desfiance 

A  Renart  qui  si  me  puet  nuire, 
1570    Et  a  s'entent e  a  moi  destruire, 

Que  ce  emble  don  ai  besoing. 

Il  seit  que  li  marchez  est  loing, 

J'auroie  aincois  maint  pas  marchie 

Que  fusse  venu  au  marche. 
1575    Si  en  sereit  li  aler  grès 

Que  la  voie  n'est  mie  bries, 

A  ce  que  tort  sui  de  deus  hanees. 

Or  puis  oan  mes  en  amanches 

Les  bues  par  ces  chans  envoier. 
1580    Bien  me  fet  Renart  desvoier 

De  mon  besoing  et  destorber. 

Mal  gre  mien  m'estuet  sejorner. 

N'oiisse  mester  de  sojor 

Ne  de  repos  ne  nuit  ne  jor. 
1585    Toz  jorz  me  croist  ovre  et  entente.' 

Taudis  que  Litart  se  démente, 

Timer  li  asnes  Espanois 

Qui  ne  crent  jelee  no  uois, 

Oï  démonter  son  seignor. 
1590    A  li  est  venu  sans  demor. 

Or  saura  il  qu'il  a,  s'il  puet, 

'Sire'  fet  il,  'il  vos  estuet 

Bon  conseil  prendre  et  demander, 

Qu'en  ne  poroit  pas  amender 
1595    Einsi  vostre  avoir  ne  acrestre. 

Le  vaillant  d'un  povre  ccvcstre 


1561  blanchars  que  sens  15(52  miens  1505  nen  15(59  pot  1570  sen- 
tance  1571  Que  don  1578  uaint  1579  b.  oan  mes  o.  1581  besoig  1582 
estot    1583  Ne  0.     1585  heure    1588  noif    1592S.  afitil     1596  pore 

21* 


324  IX  (Méon  17007— 17U64) 

Renai't,  s'il  puet,  ne  vos  laira, 
Que  envers  vos  félon  cuer  a. 
S'entente  est  a  vos  essiller. 

1600    Et  bien  vos  saurai  conseiller, 
Conment  Renart  iert  abetez, 
Se  loiaument  me  prometez 
A  doner  une  mine  d'orge.' 
'ïimer'  dit  Litart,    par  seint  Jorge, 

l(î05    Se  par  vos  estoit  enginniez 
Li  reproves,  li  rechigniez. 
Je  vos  donrai  tant  clierdon  tendre! 
Et  qui  est  qui  le  porroit  prendre? 
Jenz  engigne,  oisiax  et  bestes, 

1610    Qui  sovent  fet  croisir  les  testes. 
Je  ne  sai  ore  orne  si  sage, 
Ne  oisel  ne  beste  sauvage 
Qui  Renart  poïst  décevoir, 
Por  qoi  jel  poiVse  savoir, 

1615    Que  je  ne  l'alasse  requerre 
La  outre  la  mer  d'Engleterre. 
Que  trop  set  Renart  renard ie, 
Nule  beste  n'est  si  hardie.' 
Timer  respont   en  dit.  ce  quit, 

1620    Encontre  veizie  requit. 

Quidiez,  Renart  ait  tel  eûr 
Que  il  soit  ades  aseiir? 
Renart  le  larron  o  sa  feme 
Vos  rendrai  par  col  o  par  jarne 

16-25    Forment  lie  a  vos  coroiez.' 
'Et  conment  fere  le  porroiezV 
G'i  ai  bon  barat  porveû 
Par  quoi  il  seront  deceii, 
Dont  il  ert  mort  et  ele  morte. 

1(530    Mort  me  ferai  devant  la  porte 
A  Malpertuiz  le  suen  repère. 
Bien  saurai  sanblant  de  mort  fere. 


1604  s.  iorge  1606  Li  eprouex  et  li  1609  besto  KHO  la  tosto  1611 
si  ge  161")  ne  nen  fi.  1617  R.  (1er.  1618  li'dio  ](;20  u.  eeqiiit  1621  Q. 
que  R.  t.  euer     1624  o  1  a     162«  seroii 


XI  (Méon  17005—17107)  325 

Sitost  con  il  me  troveront, 

A  mes  membres  se  lieront 
1635    De  vos  coroiez  conme  fol. 

Et  je  sosleverai  le  col, 

Fuiant  les  en  amènerai.'  D85c 

'Timer,  loiaute  vos  tenrai. 

De  mon  orge  aurez  vostre  part.' 
1640    Atant  J'ilecques  se  départ, 

Et  s'en  ala  grant  aleiire, 

Et  le  grant  trot  et  Tembleure 

Tant  que  il  vint  a  Malpertuis. 

Tout  estendu  se  couche  a  Puis. 
1645    De  terre  a  le  musel  couvert. 

Hermeline  a  son  huis  ouvert, 

La  famme  Renart,  si  le  voit. 

'Sire  Renart,  se  diex  m'avoit, 

A  plante  de  la  char  avons, 
1650    Ja  tant  despendre  n'en  saurons 

Deus  mois  de  l'an,  conme  est  ici 

Devant  cest  huis,  la  dieu  merci. 

Je  voi  ester  ici  selonc 

Un  asne  qui  est  gros  et  lonc. 
1655    II  est  mors  ore  devant  nonne. 

Les  couroies  Lietart  me  donne, 

Que  je  les  voudrai  atachier 

A  lui  et  a  moi  pour  sachier 

Et  pour  atraire  le  ceens.' 
1660    Foie'  dist  Renart,   c'est  neens. 

Se  tu  veuls,  si  i  tire  et  sache, 

Je  n'i  trairai  hui  que  je  sache. 

Ja  diex  ne  m'ait  ne  li  saint, 
'  Se  je  ne  cuit  que  il  se  faint. 
1B65    Pour  fol  me  velt  espoir  tenir. 

Tost  t'en  pourra  mesavenir, 

Se  tu  aus  courroies  t'ataches. 


Les  vers  1B37 — 1767  manquent  dans  le  msc.  A.  à  cause  de  la  perte 
d'une  feuille  ;  ilssontswppléésparlemsc.J).  1644  Eté.  1645  ot  1648 
Renart]  fait  elle  1655  m.  dessor  d.  1661  .sel  t.  t.  1662  Huy  ny  tirerai 
q.     1665  ueuls 


326  IX  (Mcon  17108—17145) 

Mors  le  dont  tout  avant  es  naches, 
El  pis.  en  la  teste  et  es  flans 

1670    Si  forment  qu'en  saille  li  sans: 
Et  se  par  ce  ne  se  remue, 
Si  l'en  pourras  mener  en  mue, 
Puis  que  pour  voir  le  sauras  mort.' 
Atant  court  celle,  si  le  mort, 

1675    Par  devers  la  nache  l'assaut 
Durement  que  li  sans  en  saut 
Ou  pis.  es  flans  et  en  la  teste. 
Mais  Timer,  qui  ert  dure  beste 
Et  qui  trop  mal  endurer  puet, 

1680    Ne  se  remue  ne  ne  muet. 

Renart'  fait  elle,   or  es  mauvais 
Qant  pour  les  courroies  ne  vais: 
Il  est  mors,  jel  te  di  sanz  faille. 
As  tu  paour  qu'il  ne  t'assaille? 

1685    Tu  crienz  pour  fin  noient  et  doutes, 
Aporte  les  courroies  toutes 
Que  tu  getas  derrier  la  porte!' 
Renars  les  courroies  aporte 
Qui  doute  encor  qu'il  ne  se  faigne. 

1690    Mais  elle  li  monstre  et  enseigne 
Conment  il  feront,  et  li  neue 
La  plus  fort  courroie  a  la  queue. 
■Renart'  fait  elle,  'ci  treras, 
Et  de  tirer  cliargie  seras. 

1695    II  poise  pour  ce  qu'il  est  mors  : 
Et  tu  qui  es  assez  plus  fors 
Que  je  de  totes  ovres  faire, 
Dois  devers  le  plus  pesant  traire. 
Et  je  trairai  selonc  ma  force. 

1700    Mais  que  tu  de  traire  t'efïorce!' 

Plus  ne  demeurent  ne  ne  dient, 
Aus  courroies  forment  se  lient. 
Comme  il  se  furent  atachie. 


1669  En  p.  ou  es  1675  hanche  1677  et  as  costes  1678  durbotez 
1682  Y>oui' tnanque  c.  aporter  ne  1691  nouez  1696  assez  ]  encor  1697 
Qui  de  tout  lan  enure  ne  f. 


IX  (Méon  1714(3  —  17181)  327 

Tant  ont  et  tive  et  sachie 
1705    Que  traîne  l'ont  sor  le  sueil. 

Tymers  li  asnes  ouvri  rueil 

Et  a  levé  la  teste  en  haut. 

En  talent  a  que  il  s'en  aut 

Mes  que  bien  les  voie  liez. 
1710    Et  Renars  conme  veziez 

Li  vit  la  teste  remuer. 

Bien  set  que  il  les  veult  grever, 

Et  si  est  en  péril  de  mort, 

Se  par  guile  ne  li  estort. 
1715    II  se  doute,  sa  famme  apelle 

'Hermeline  m'amie  belle,  D  86 

Acour  ca  tost,  si  me  deslie! 

La  parole  m'empire  et  lie 

De  la  puor  de  l'ort  pertuis 
17-20    Qui  me  vient  au  nés,  plus  ne  puis 

Puor  souffrir  ne  endurer 

Ne  puis  ci  longuement  ester. 

Acourez  ca,  se  diex  vous  saut, 

A  pou  que  li  cuers  ne  me  faut. 
1725    Geste  puour  orde  et  punaise 

Plus  que  n'est  pertuis  de  privaise, 

M'a  ja  le  corps  affebloie 

Et  de  traire  tout  desvoie. 

Se  m'en  plaing,  ne  m'en  dois  blâmer, 
1730    A  pou  que  ne  me  fait  pasmer 

Celle  puour  qui  ou  corps  m'entre. 

Doloir  me  fait  le  cuer  du  ventre 

Li  ors  vens  du  pertuis  punais. 

Miex  vousisse  estre  sur  une  ais 
1735    De  privée  ou  me  geusse 

Que  près  du  pertuis  du  cul  fusse 

Qui  ici  me  fait  mal  au  cuer, 

Certes  ja  morrai,  belle  suer. 

Il  me  sert  de  trop  aigre  vent. 


1705  Atrainc  lont  dessus  leur  1711  Le  1715  11  |  Ht  1717  tost  ca 
1722  ci  I  or  1726  priuoise  1785mc]ie  17cJb  t'eusse  1737  si  m.  auenant 
1738  m.  bien  le  sent 


328  IX  (Méon  17182—17217) 

1740    S'or  estoie  liez  devant, 

Je  sai  bien  que  sanz  nul  secours 
Le  trairoie  je  le  grant  cours  : 
.Ta  ne  t'i  convendra  a  traire. 
Ne  me  puez  ore  secours  faire 

1745    Ici  endroit  qui  si  me  plaise, 
Se  tu  m'ostes  de  tel  messaise. 
Tout  sui  ja  couvert  de  suor 
De  l'angoisse  et  de  la  puor 
Qui  si  me  fet  le  cuer  doloir. 

1750    Si  t'aïst  diex,  ca  vien  oloir  ! 
La  puour  dont  je  suis  destroiz 
Puez  sentir,  se  tu  ne  me  croiz. 
Et  vien  ca,  deslie  moi  tost! 
Celé  puour  le  cuer  me  tost. 

1755    A  pou  que  ne  m'a  mort  gete.' 
Hermeline  en  a  giant  pitié. 
Si  cuida  que  voir  li  deïst. 
Et  doutoit,  s'elle  nel  feïst 
Sanz  délai  son  conmandemont, 

1760    II  i  morroit  soudainement. 
Plus  tost  que  pot  le  deslia. 
Renars  tantost  li  escria, 
Qant  il  se  senti  deslie, 
'A  poi  ne  somes  concilie 

1765    Par  ton  conseil,  folle  chetive! 
Ne  fusses  pas  enquenuit  vive 
Se  tost  ne  fusse  desliez. 
Bien  nos  a  Timer  espiez  A  82 

Qui  mener  nos  voloit  en  vile 

1770  Par  tel  barat  et  par  tel  gile. 
Qui  mort  se  fet  et  il  est  vis. 
Onques  ne  me  pot  estre  avis 
Qu'il  fust  mors  si  eon  tu  disoics. 


1741  Je  le  s.  que  matique  1751  p.  qui  me  fait  d.  1754  tout  1755 
quil  ne  1756  .h'.  1760  Q'ie  neust  son  paiement  1766  fusse  11 Ql  manque 
Au  V.  1768  le  msc.  A  re'prend.  1769  Que  m.  u.  u.  liez  Après  1770  U 
tnsc   ajoute  Par  foi  trop  set  ore  de  gile    1773  m.  et  tu  le  quidoiez 


IX  (Méon  17218—17255) 

les  tu  foie  que  le  quidoies? 

1775    Quidier!  Mes  il  est  fox  qui  quide. 
Chascun  met  tote  son  estuide 
En  barat  qu'en  ne  set  qui  croire. 
Ja  nos  en  menast  a  grant  eire 
Timer  ches  le  vilein  Litart 

1780    Se  je  parlasse  un  po  a  tart. 
Mes  li  vileins  le  conperra.' 
'Renart'  fet  ele,   or  i  paira 
Con  tu  11  feras  conparer: 
Tu  en  sez  plus  que  bues  d'arer. 

1785    Mais  onques  danz  Coars  li  lèvres, 
Qui  de  poor  prennent  les  fevres. 
Ne  fu  si  de  poor  destroiz 
Con  tu  ies  ore  a  ceste  foiz 
Qui  dotes  une  morte  beste.' 

1790    Je  li  vi  or  lever  la  teste, 
Pute  foie,  et  ovrir  les  euz. 
Quides  tu  que  je  croie  raeuz 
Tun  dit  que  ce  que  je  verrai?' 
'Ja'  fet  ele  'ne  te  crerai: 

1795    Que  par  poor  l'as  controve. 
Or  ai  ton  corage  esprove 
Au  besoing  et  ta  mavaiste, 
Qui  si  t'a  semons  et  haste 
De  laissier  ce  dont  tu  dois  vivre. 

1800    Bien  puis  dire  tôt  a  délivre 

Que  de  grant  mavaiste  t'avient. 
Se  ca  par  aventure  vient 
Ysengrins  et  Horsens  la  love, 
Povre  en  iert  ma  part  et  la  toe, 

1805    Que  bruire  en  feront  lor  grenons. 

Quant  a  nostre  oes  char  ne  pernons, 
A  peine  le  iras  loin  querre. 
Covre  ton  chief  et  bien  le  serre, 
S'esparne  ton  cors  et  repose: 


329 


1774  tu  si  fox  que  tu  le  q'douz  1777  sot  que  fere  1779  T.  cis 
1781  Et  li  nSb  li  manque  1789.1  mort  1794  cerrai  l799doiss  1807 
le  liras     1808  manque 


330  IX  (Méon  17256—172911 

1810    Que  tu  n'as  mester  d'autre  chosse. 
Trop  par  es  ore  acoardis,' 
Dame'  fet  il,    ainz  sui  hardiz, 
Qant  je  voi  m'anor  et  mon  prou. 
Mes  ne  m'i  troveres  hui  prou 

1815    Por  vos  motre  en  péril  de  mort.' 
'Renart'  fet  ele.   tu  as  tort 
Qui  si  me  mens  apertement. 
Or  saches  bien  veraiement, 
Se  as  coroies  ne  te  lies, 

1820    Certes  ja  por  riens  que  tu  dies 
Ne  m'i  porras  tant  esmaer 
Que  je  ne  m'i  voisse  essaier 
Orendroit  si  c'en  le  verra.' 
'Et  je  sui  cil  qui  soffera 

1825    Geste  aventure  a  qui  qu'il  tort. 
Voirs  est,  qui  ne  pèche,  s'encort. 
Ne  m'en  blâmer,  se  maus  t'en  vient!' 
Celé  qui  ne  prisse  ne  crient 
La  parole  de  son  sengnor 

1830    La  fort  coroie,  la  grennor 
Qu'ele  avoit  loie  a  la  coe, 
A  la  quisse  deriers  la  noue. 
Forment  la  lie  et  atache, 
l'or  meuz  tenir  la  tire  et  sache. 

1835    Son  col  i  lie  et  puis  sa  quisse 

Por  ce  que  meus  tenir  i  puisse.  * 
Tandis  que  tirot  et  sachot, 
Timers  li  annes  qui  bien  sot 
Que  Renart  ne  pot  enginner, 

1840    Forment  se  prist  a  aïrer. 

Durement  recinne  et  se  levé. 
M  oit  annule  Renart  et  grève, 
Quant  mener  en  voit  Hermeline. 
Trop  par  as  este  f(unc  fine' 

1845    Fet  il:  'mais  tu  as  este  foie. 


1814  M.  uos  nii  t^rt-s  18ly  uciut  181i)  Se  tu  as  c.  U-  1822 
ne  mangue  1826  ne  p.  scntort  1828  nel  1883  et  tache  18:34  t'en 
1833  que     1843  .h',  line 


IX  (Ml'uii  17292-17327) 

Quant  mon  conseil  et  ma  parole 
As  du  tôt  mis  a  nonchaloir. 
îîe  te  puis  ore  rien  valoir. 
Mes  grant  raester  t'oiist  oii 
1850    Mon  los,  se  Tousses  ereii. 
De  toi  aider  n'ai  nul  pooir. 
Ton  grant  orgoil  et  ton  voloir 
Conparras  oncor  hui  trop  cher. 
Timers  me  quida  acrocher 
1855    Por  mètre  es  meins  o  tu  carras. 
Une  autre  fois  si  me  creras, 
Se  vive  t'en  puez  revenir. 
Mes  ce  ne  puet  mes  avenir, 
Perdue  es:  a  deu  te  conmant. 
1860    Commant"  fet  Renars:  'et  comment 
Irai  ge  au  vilein  plaider 
Savoir  se  te  porroie  aider? 
Ge  ne  quit  que  jamais  me  voies.' 
Timers  s'en  coroit  totevoies, 
1865    Onques  de  corre  ne  se  tint 

Tant  qu'a  la  porte  Letart  vint. 

A  grant  merveille  s'esjoï 
Lietart  quant  son  asne  ot  oï, 
Et  puis  qu'Hermeline  a  veiie 
1870    Qui  niolt  estoit  et  mate  et  mue, 
Traînant  la  cuisse  a  la  terre, 
'S'espee  ala  meintenant  querre 
Qui  ert  enruillie  et  frète. 
A  peine  l'a  del  fore  trete 
1875    Que  il  quide  que  Renars  soit. 
S'espee  traite  va  la  droit, 
Bien  se  cuide  de  li  vencher. 
A  un  coup  li  quida  trencher 
La  teste,  mais  il  a  failli. 
1880    Hermeline  si  haut  sailli, 

Qui  u'iert  mie  trop  entestee. 


881 


1848  nient  1841)  te  oust  1853  Conifiaras  tro  1855  aoht.ici-oclier 
1857  pos  1858  pot  1859  Perdu  conmanz  1860  Conment  f.  conmanz 
1869  puisque  H.  ueu    1875  le  deuxième  que  manque    1878  la  q.    1881  mi 


332  IX  (Môon  1 7328-1 7363 j 

Que  le  coup  ne  l'a  adesee. 

Hermeline  a  peor  eiie: 

Mes  l'acolee  a  receue 
1885    Timer  que  la  quisse  a  trenchie. 

Lietart  meïmes  l'a  venchie 

Tost  de  son  enemi  mortel. 

Traînant  en  porte  a  l'ostel 

La  quisse  a  grant  joie  fesant. 
1890    Renart  trova  mu  e  taisant. 

Quant  il  l'a  veiie  venir, 

De  rire  ne  se  pot  tenir, 

Quant  la  quisse  vit  traînant. 

Renart,  dont  ne  su  je  vaillant? 
1895    Or  se  puet  Timers  esventer 

(De  ce  me  puis  je  bien  vanter) 

Que  la  quisse  en  avom  de  ca. 

James  Timers  feus  ne  menra.  83 

Bien  me  quida  Litart  tuer. 
1900    Mes  ge  me  soi  bien  remuer 

Et  gandiller  et  tressaillir 

Tant  que  gel  fis  a  moi  faillir, 

Ne  m'a  blecie  ne  tenue.' 

Tel  aventure  est  avenue" 
1905    Fet  Renart,   que  nus  ne  quidoit. 

Ne  oisel  ne  beste  ne  deit 

Conme  tu  fez  tel  guerredon 

Damledeu  ne  si  large  don. 

De  ce  qu'il  t'a  si  garandio. 
1910    Lietart  li  pognes  foi  mentio 

Quide  estrc  de  moi  quite  a  tant. 

Mes  bien  atent  qui  par  atant. 

Ge  atendrai  molt  bien  lonc  tons: 

Que  jel  ferai,  si  com  je  pens, 
1915    Plus  corocie  qu'il  ne  fu  onqucs.' 

'Maveiz  coart,  qu'aten  tu  donques? 

Ge  dot  molt  que  cuer  ne  te  faille.' 

1901    f>;andriller      1903  tue 
molt    inaïKjue      1915    que    il 


1886  uenche 

1895  pot   1897  Qui 

1907  Con  f,  ne  tel 

1908  ne]  de   1913 

1917  cur 

IX  (Méon  17894— 178S4.   ITôHl  — 17f.03j  333 

'Quides  tu,  foie,  que  jel  aille 

Dedenz  sa  meson  asaillir? 
h)20    Tost  porroie  a  mon  cors  faillir 

S'il  me  huoit  ses  trois  gainnons: 

J'auroie  en  els  maus  conpaignons. 

Mes  encore  un  pou  soferai 

Tant  qu'el  bois  suel  le  troverai 
1925    Ou  n'aura  ja  de  clien  aïe. 

Lors  li  ferai  tel  envaïe 

Par  paroles  et  par  manace 

Que  jamais  n'iert  teuls  qu'il  me  face 

Chose  qui  anuier  me  doie.' 
1930    'Reuart'  fet  ele,  jel  voldroie. 

Mes  ja  en  vilein  ne  te  fie, 

Por  ce  s'il  te  jure  et  afie  : 

îfe  por  nul  aseûrement 

Par  sa  foi,  par  son  serement, 
1935    Prent  en  vilein  de  maie  escole.' 
Atant  laissèrent  la  parole. 

Mes  Renart  pas  ne  s'oblia. 

Lendemein  Lietart  espia 

Qui  dedenz  la  forest  entroit. 
19^0    Bien  set  que  o  lui  n'amenoit 

Nul  de  ses  chens  en  conpaignie. 

Hardiement  Renart  l'escrie: 

'Cuvers'  fait  il,    par  queil  raison 

As  tu  en  sel  la  veneison 
1945    Qui  fu  prisse  el  defoiz  le  conte? 

Ge  te  ferai  morir  a  honte. 

Nus  hon  ne  t'en  porroit  deffendre. 

Certes  je  te  ferai  ja  pendre 

Au  plus  haut  cesne  de  cest  bois. 
1950    Tôt  orendroit  conter  le  vois 

Au  conte  ou  a  ses  forestiers. 

Se  tu  avoies  cinc  sesters 

D'esterlins,  et  fussent  besaus, 


1918  Que  (les  1921  st-  t.  1922  Ja  aurui  1924  (|ue  cl  192.')  liaic 
192H  iiiH  iiii'sfaci'  19;{s  LcndHiiicn  19:j9  Que  1940  iiuiiicuroit  1917  tcn 
ituniqiie 


334  IX  (Méon   ]7604-17fi39) 

Et  tu  Ten  faisoios  presans, 

1955    Ne  te  vaudroit  il  une  amende 

Que  l'en  meiuteuant  ne  te  pende. 
Puis  que  je  li  ferai  savoir, 
Ne  porras  raencon  avoir. 
De  toi  nule  pite  n'aura, 

1960    Sitost  cou  le  voir  en  saura, 

Li  quens  :  que  volentiers  destruit 
Celui  qui  chasce  sanz  conduit 
El  bois,  et  sa  venoison  emble.' 
Lietart,  qui  tôt  de  poor  tremble, 

1905    Li  dit   amis,  or  m'entendes 
Un  petit,  se  vos  conmandes. 
Par  raison  doit  merci  trover 
Qui  de  bon  cuer  la  vont  rover. 
J'ai  mespris  vers  vos  laidement, 

1970    Merci  vos  en  cri  et  demant. 

Por  deu,  de  moi  pite  vos  prengne  ! 
Par  le  conseil  de  ma  conpaigne 
Ai  vers  vos- mespris  conme  fox. 
Molt  me  poisse  que  fui  si  ox. 

1975    Des  que  si  ert  a  avenir. 
Des  or  mes  me  poes  tenir 
A  vostre  serf  et  a  vostre  home. 
Foi  que  doi  seint  Père  de  Rome, 
James  vers  vos,  ne  mesprendrai. 

1980    Mes  tôt  qanque  ge  ai  tendrai 
De  vos  conme  de  mon  seignor. 
Autresi  grant  doil  ou  grennor 
Ai  conme  vos,  ce  saches  bien. 
8'envers  vos  ai  mespris  de  rien, 

1985    Tos  sui  près  de  vostre  service.' 
'Volenters  par  itel  dévisse 
Prendrai'  fet  Renart  'ton  homage 
Que  tu  ne  honte  ne  damage 
A  ton  pooir  ne  me  porchaces 


1955  uuiulroit     iWH    lUMiois 

l'.)(>j  que 

]9(>7  rouer     1968  trouer 

1972  (lama  1973  A    1974  i'ii    1977 

a   vuui^jn^' 

19S0  g-ai  (lo  uos  t.     1981 

de  manque    1984  vos  tiKiiniiir 

IX  (Méon   17640— 17r.75)  335 

1990    Et  les  trois  mastins  tuer  fâches. 

Ajenollons  droit  me  feras 

Et  les  dis  pocius  me  rendras 

Et  Blancart  que  me  premeïs 

Quant  mon  conseil  me  requeïs.' 
1995     Sire'  fet  Lietart,  je  l'otroi. 

Ja  seront  li  mastin  tuit  troi 

Tue  devant  vos  orendroit. 

Bien  sai  que  vos  aves  grant  droit 

Que  lor  vie  aves  enhaïe: 
20no    II  vos  firent  grant  envaïe. 

Droit  vos  en  ferai  volenters. 

Vostre  amis  verais  et  enters 

Yoil  estre  des  ore  en  avant. 

Dex  me  hee,  se  je  ja  vent 
2005    jSTului  point  de  ma  norreture. 

De  vos  prendrai  mes  si  grant  cure 

Que  tôt  ert  en  vostre  sesine: 

Ane,  chapon,  oue,  geline. 

Cliascun  jor  aures  a  plente 
2010    Tôt  selonc  vostre  volente 

Tel  char  con  vos  deviseroiz. 

Des  dis  pocins  sesiz  seroiz 

Et  de  Blancart  ja  sanz  demore. 

Mes  gardez,  se  dex  vos  secore, 
2015    Que  par  vos  nul  mal  ne  me  viegne. 

Ge  sui  près  que  je  me  contiengne 

Vers  vos  tôt  a  vostre  plaisir. 

Vos  vendrez  mes  tôt  a  loisir 

En  nostre  meson  sejorner. 
2020    Ja  ne  vos  en  qerrai  torner 

Tant  con  demorer  i  voudroiz. 

Un  bon  recet  en  tos  endroiz 

Avez  conquis  et  recovre. 

Por  ce  se  j'ai  vers  vos  ovre 
2025    Folement  par  mavais  conseil 


1991    m  en  f, 
on    a.     2014  j^ardf 


336  IX   (Méon  17B86  — 17712) 

Ne  soiez  vos  ja  eu  esveil  ! 

Que  se  dex  me  ^art  de  pesance, 

Ne  par  trestos  les  seius  de  France. 

James  nul  jor  ne  voudrai  fere 
'2U30    Chose  qui  vos  doive  deplere.  84 

N'i  porriez  noiant  conquerre, 

S'essilliez  ère  de  la  terre, 

Et  ma  feme  et  mi  enfant, 

Ou  se  ge  ère  mis  au  vent. 
2035    Molt  par  deves  ma  vie  amer, 

Que  por  vostre  porrez  clamer. 

Toz  jors  mes  qanque  ge  aure 

Ert  tôt  a  vostre  volonté.' 

Renart  dist  'par  tens  veil  savoir, 
2040    Se  tu  me  dis  mencoigne  o  voir. 

Et  se  tu  ne  fas  mou  plesir, 

Par  tens  t'en  ferai  repentir. 

Se  tant  fas  que  li  quens  le  sace. 

Mes  jamais  anui  ne  damache, 
2045    Se  tu  es  prouz,  ne  te  querrai. 

Mes  en  ta  meson  n'enterrai 

Tant  que  les  cliens  aies  tues 

'Bauz  sire,  or  ne  vos  remuez' 

Fet  Lietart:   ges  irai  tuer.' 
2050    'Ja  ne  me  quer  a  remuer 

Tant  qu'il  soient  tue  tuit  troi. 

Aies'  fet  Renart,  'jel  otroi. 

Vos  dites  et  bien  et  raison.' 

Atant  s'en  cort  en  sa  meson 
2055    Lietart  qui  molt  fu  adolez. 

A  sa  feme  dit  'se  volez 

Et  vos  quidiez  que  ce  soit  biens, 

A  tuer  convient  nos  trois  chens. 

S'avoir  volon  pais  a  Renart. 
2()(ii)    Et  si  li  rendrai  le  Blancart, 

Et  les  pocins  avoc  tôt  dis 

Li  rendrai  qu'oreudroit  li  dis, 

2045   t(Mi   ccrriu    2041S   orc    2().').".  iiu.lt   ni/r)njiir     2()r>S   oomiiiif    20fi 
que  orendrois 


IX  (Méon  177i:j-17748j  331 

En  la  forest  ou  il  m'ataut. 

Il  ne  nos  costera  ja  tant 
2065    Qu'il  ne  nos  poïst  plus  coster, 

S'il  au  conte  l'aloit  conter 

Qu'el  bois  ai  sa  venoison  prise. 

Tantost  feroit  de  moi  justice: 

Tantost  seroie  ars  ou  pendu, 
2070    îs'en  porroie  estre  desfendu 

Por  avoir  ne  por  rienz  qui  soit. 

Noz  enfanz  essiller  fereit, 

Mort  serien  et  confondu.' 

Bruumatin  li  a  respundu, 
2075    Que  contredire  ne  li  ose, 

'En  fere  l'estuet  a  grant  chose. 

Del  tôt  fêtes  sa  volonté. 

Se  vos  âmes  vostre  santé 

Et  vostre  bien  et  vostre  vie. 
2080    Avoir  deves  grennor  envie 

De  vostre  vie  que  d'avoir.' 

'Bêle  suer,  vos  dites  savoir. 

Blanchart  et  les  pocins  prenez. 

Et  les  trois  mastins  li  menez!' 
2085    Lietart  enz  el  retor  s'est  miz: 

Les  chens,  le  coc  et  les  pocins, 

Li  garçon  enmeine  liez. 

Et  Renart  conme  voiziez 

Vers  l'ostel  au  vilein  se  tret  : 
2090    Que  molt  redote  son  agait, 

Que  asaillir  a  chens  nel  fâche. 

Entre  ses  denz  molt  le  manache, 

Que  se  jamais  vers  lui  mesprent, 

Molt  sera  iries  s'il  nel  prent. 
2095    Lietart  et  les  chens  voit  venir 

Q'il  faisoit  au  garçon  tenir. 

Renars  li  conmence  a  huciiei- 

'2se  fai  pas  vers  moi  aprocor 


2069  manque     2074  Brumatin     207G  leatot      2()H(;  f(.  l.'s  c.     2089 
le  u.  trest     209.H   niesp't     2094  si  ne  p. 

RKKAKT      I  22 


338  IX  (Méon  17749—17786) 

Les  chens,  mais  oreudroit  les  tue!' 

2100    Litart  ime  pesant  macue 

Teuoit  qu'il  ot  el  bois  coillie. 
Les  mastius  a  un  chesne  lie, 
De  la  macue  les  asome. 
Oi-  le  tent  Renart  a  prodome 

2105    Puis  que  les  trois  mastins  voit  mors, 
'Lietart'  fait  il,  'molt  estes  fors 
Qui  si  saves  bon  coup  ferir. 
Gel  vos  voldrai  molt  bien  merir. 
Ce  que  m'aues  fet  vos  pardon 

2110    Et  m'amor  tôt  vos  abandon  : 

Que  molt  par  a  bel  présent  ci.' 
Renart'  fait  il,  'vostre  merci, 
Que  vostre  amor  m'aves  donee. 
Tote  vos  ert  abandonee 

2115    Ma  norreture  et  quanque  j'ai. 
Plus  sereie  jalos  que  gai, 
Se  jamais  vers  vos  mespernoie." 
Atant  prent  Renart,  si  manoie 
Blancart  et  les  dis  pocinez 

2120    Que  li  aporte  Martinez. 

De  Blanchart  fist  ses  gernons  bruire. 
Onques  nel  fist  plumer  ne  cuire, 
Molt  le  trova  crasset  et  gros. 
Les  dis  pocins  trose  a  son  dos 

2125    Et  a  deu  le  vilein  conmande. 
S'en  porte  a  l'ostel  sa  viande 
Ou  il  a  trove  sa  maisnie 
Qui  de  fein  ert  mesaaisie. 
De  fein  estoit  et  floibe  et  veine. 

2130    De  joie  fu  sa  feme  pleine, 
Quant  ele  vit  Renart  venir 
Les  pocins  a  son  col  tenir: 
Por  conble  se  tient  et  por  riche. 
'Renart,  or  n'est  pas  Letart  cice.' 


2101  Tenet  eoilli  2104  a  manque  2108  uoldra  2119  Rlanoarz 
2121  brure  2127  trouée  2128  niisaiee  2129  estoit  missaie  2131 
Renart  J  son  seinor 


IX  (Méon  17787—17826)  339 

2135     jS^on'  fet  Renart,   mes  bien  heite. 

Bien  ai  ceste  foiz  esploitie 

Que  si  m'en  sui  venus  trosez: 

Se  je  n'eusse  esse  luez 

Par  Lietart  tôt  a  ma  devise, 
2140    Gel  feïsse  mètre  a  la  bise. 

Au  conte  a  sa  gent  le  deïsse. 

Pendre  en  la  fores  le  feïsse 

Que  sa  veneison  li  embla. 

Il  tressalli  molt  et  trembla, 
2145    A  jenellon  me  fist  omage. 

Jamais  ne  me  fera  damage 

Ne  nule  rien  qui  me  desplese.' 

'Renart,  trop  estes  ore  a  aise' 

Dist  Hermeline,   que  ge  cuit 
2150    Que  tu  n'as  pas  le  ventre  vuit. 

Tu  es  plus  a  aise  que  gie, 

Que  tu  as  hui  Blancart  mangie 

Qui  molt  ert  et  cras  et  rognez. 

Se  Lietart  est  bien  ranponez 
2155    Par  toi  que  me  puet  ce  valoir? 

Ne  m'en  puet  pas  grantment  chaloir. 

Se  tu  as  ton  ese  et  tes  buens. 

Moi  et  mes  enfanz  et  les  tuens 

Lez  de  fein  morir  a  mesese. 
2160    Mes  je  sereie  molt  maveise. 

Se  de  fain  morir  me  laissoie 

Tant  cou  près  de  ces  pocins  soie. 

A  ces  pocins  fet  bon  entendre.' 

Atant  cort,  si  prist  le  plus  tendre,    85 
2i65    Si  le  manga  a  un  sol  mors. 

Un  des  autres  a  le  col  tors: 

A  sa  maisnie  le  départ, 

A  chascun  a  donc  sa  part. 

Renart  quide  bien  son  prou  fere. 
2170    De  Malpertuis  son  fort  repère 


2138  Se  ie  nestoi  I.      2141   le  vunique      2142  Prcndro      214il  Dit 
2151  aise     gei     2155  pot     2150  pot     21()5  Se     21(i7  liv  d. 

22* 


340  I\    (Méoii  17«27  — ITStU) 

Il  vint  leudemeiu  par  matin, 
Veoïv  Letart  sou  bon  voisin 
Qui  le  reçut  a  molt  grant  joie. 
Disner  le  fait  d'une  crasse  oie 

2175    Que  il  li  avoit  estoïe, 

Et  bien  li  avoit  eucrassie 
Bruumatin  qui  tôt  en  tremblant 
Li  mostre  d'amor  bel  semblant: 
jMolt  l'aplanie  et  si  le  loe. 

2180    Renart  li  fet  sovent  la  moe 
En  repost  qu'ele  nel  voit  mie. 
Et  ele  le  sert  sauz  boisdie, 
jSTe  li  ose  rien  refuser  : 
Que  molt  redote  l'encuser. 

2185    A  sa  volente  le  pessoit. 

Et  Renart  qui  bien  s'encrasseit 

Qui  de  la  car  ert  envieus: 

Et  Lietart  fu  molt  covoiteus, 

De  lui  servir  prent  molt  grant  cure. 

2 190    Bien  aproca  sa  noreture. 

Renart  qui  sovent  en  pernoit 
Totes  les  ores  qu'il  voloit, 
Sovent  i  demore  et  sejorne, 
8i  que  quant  a  l'ostel  retorne, 

21ii5    Ne  pot  au  vilein  remanoir 

Oe,  capon,  coc  blanc  ne  noir, 
Ne  pocinet  ne  cras  oison, 
(Tôt  porte  Renart  en  meson) 
Jeline  ne  megre  ne  crasse. 

2200         De  Renart  encor  vos  contasse 
En  bon  endroit,  mes  moi  ne  loist  : 
Qar  autre  besoingne  me  croist. 
A  autre  romanz  voil  entendre 
Ou  l'en  porra  greingnor  sens  prendre,' 

2205    Se  dex  plaist  et  se  dex  m'amende. 
Ja  de  clerc  qui  reson  entende 


2174    loiit    f.    (lu      cnis      21SI    ^iw    clo      2282    le    iiikik/k,'      2185 
poiisoit     220.')  uiinuMulL' 


IX   (Méon   17865—17870)  *  H41 

N'en  serai  blâme  ue  repris, 
Se  g'ai  en  aucun  liu  mespris 
En  tote  ma  premere  ovragne  : 
2210    Que  pou  avient  qu'en  ne  mespregne, 
Ou  au  chef  ou  a  la  parclose, 
S'il  n'est  aiisez  de  la  cose. 


2207  sera     ne  utanqtie 


X  (Méon  17«71  -17896) 


Se  or  vos  voliez  taisir,  1 1 1  d 

Seignor,  ja  poriez  oïr, 

S'estiez  de  bonc  mémoire, 

Une  partie  de  l'estoire 
5    Si  con  Renart  et  Ysengrin 

Guerroierent  jusqu'en  la  fin. 

Se  vos  me  prestes  vos  oreilles, 

Ja  vos  voldrai  dire  merveilles 

De  Renart  qui  est  vis  maufes: 
10    Toz  sui  espris  et  escaufes 

De  Renart  dire  en  tel  endroit 

Sanz  delaiement  orendroit, 

Q'einc  n'oïstes  en  si  bon  leu 

De  lui  e  d'Ysengrin  le  leu. 
15        La  ou  Nobles  tenoit  sa  feste, 

Ou  asenblee  ot  meinte  beste. 

Que  tos  li  païs  en  fu  pleins, 

La  n'ossast  pas  estre  vileins: 

Qar  ledement  i  fust  botez. 
20    N'en  i  ot  nul,  ne  fust  dotez 

Et  de  haut  pris  et  de  haut  non. 

One  n'i  ot  se  frans  homes  non 

Qui  por  onorer  lor  seignor 

Fesoient  feste  la  grennor 


4  lestore     8  uaudra     Ki  iisciihlot  ni.     20  nus     23  Qui'     24  li 


X  (M.'un  ITS'JT  — 17935»  'S^'à 

25    Que  nus  hom  deviser  soiist. 

One  n'i  eut  celui  qui  n^oiist 

Eobe  au  meins  de  vair  o  de  gris. 

Mes  li  chasteleins  de  Valgris, 

(Cest  Renart  de  qui  tos  maus  sort), 
30    N'icrt  pas  adonc  venu  a  cort. 

Neporec  si  fu  il  mande,  112 

Voire  par  de  et  demande 

Plus  de  dis  fois,  voire  de  vint. 

Mes  onc  por  co  plus  tost  n'i  vint. 
35    Ne  ja  mais  s'il  puet,  n'i  vendra. 

Mes  li  rois,  ce  quit,  li  vendra, 

S'il  le  puet  tenir,  sans  respit 

Ce  qu'il  a  sa  cort  en  despit 

Et  dit  'seignor,  a  vos  me  cleim 
40    De  Renart  dont  g'ai  tant  recleim, 

Cel  traïtor,  cel  deputere. 

Nel  deves  pas  celer  ne  tere, 

Nel  voil  laissier  en  nul  endroit: 

De  si  grant  honte  selonc  droit 
45    Jugiez  le  moi  solouc  raison! 

Et  puis  vos  dirai  l'aceson, 

Bel  seignor,  se  vos  conmandez, 

Por  qoi  vos  ai  ici  mandez.' 
Quant  il  ot  sa  raison  finee,^ 
50    Chascun  a  la  teste  enclinee. 

Molt  sont  forment  pensif  et  morne 

Del  jugement  trestuit  a  orne. 

Onques  n'i  osa  un  sol  grondre, 

Li  uns  let  a  l'autre  respondre. 
55    Chascun  se  test,  chascun  escote, 

Chascun  se  crent,  chascun  se  dote, 

S'il  fet  sor  Renart  jugement 

Si  qu'il  U  tort  a  nuisement, 

Autretel  honte  li  fera, 
60    (Ja  si  bien  ne  s'en  gardera) 

S'il  en  puet  liu  ne  aise  avoir: 


27  m.  ou  (le     29  qoi  tost     85  pot     37  pot     40  dant     61  pot 


ii-ii  X  (Méon  17!J8B— 179741 

Ice  seit  bien  chascuns  de  voir. 
S'en  est  chascun  en  grant  destrece, 
Quant  li  lox  Yseugrins  se  drece 

{i5    Qui  Renars  ot  fait  meinte  guenche  : 
Or  est  honiz  s'il  ne  s'en  venche, 
Que  James  n'en  aura  tel  ese. 
Dist  Ysengrins  'rois,  or  vos  plese 
A  escoter  que  je  voil  dire. 

70    Je  sui  vostre  hom  lige,  baux  sire, 
Por  ce  si  vos  doi  conseiller, 
Ne  s'en  doivent  pas  merveiller 
Cil  qui  devers  Renart  se  pendent. 
Mes  or  oes  et  si  entendent, 

Ib    Quant  autre  ne  s'en  vont  movoir, 
Gre  m'en  irai  parmi  le  voir. 

Rois,  or  oies,  se  tu  conmandes 
Del  jugement  que  tu  demandes, 
Ge  vos  di  bien  a  mon  esgart 

80    Que  mesfait  vos  a  molt  Renart, 
Quant  il  vostre  conraandement 
A  trespasse  si  faitemant, 
Ne  deinna  devant  vos  venir  : 
Bien  l'en  devroit  mesavenir. 

85    Rois,  molt  vos  a  grant  honte  fête 
Cil  gars,  cil  leres,  celé  sete. 
Que  bien  saves  que  un  mois  a. 
Que  onques  tant  ne  vos  proisa 
Qu'il  vos  deingnast  contremander, 

VK)    Ne  jor  ne  respit  demander. 
Rois,  or  en  pernes  la  vcnjance 
Por  le  despit,  por  la  veltance, 
Por  la  honte  que  vos  a  fet. 
De  c'est  par  droit  sanz  autre  plet 

95    Que  sa  terre  faces  sesir. 
Si  en  fêtes  vostre  plesir, 
E  lui  faites  mètre  en  prison. 
Ja  n'en  doit  avoir  garison, 


65  mente      78  iugmont     îSô    mit'    uos„"    a    honte  fête"  grant     88 
prosa     93  Por  j  De 


X  (Mcun   ITUTô  — ISUIU) 

Que  li  autre  ne  s"i  amordeut.' 

100    Li  rois  e  tex  i  a  s'acordent 
Au  jugement  e  a  l'esgart 
Qu'Yseugrins  a  fet  sor  Renart. 
Et  tex  i  a  qui  molt  en  poise, 
Mes  n'en  osèrent  fere  noise, 

105    Que  trop  estoit  Renart  haïs. 
Le  jor  en  fust  morz  e  traïz 
Quv'î  ja  n'en  fust  resueites, 
(Ce  est  la  fine  vérités) 
Se  ne  fust  dant  Tybers  li  chaz 

im    Quil  délivra  par  son  porchaz, 
Qu'il  se  porpensse  del  outrag(3 
Qu'il  li  ot  fet  et  del  houtage, 
Quant  il  el  piège  le  fist  prendre. 
Mes  encore  li  quide  il  vendre, 

115    Se  il  en  puet  venir  en  leu. 
Maigre  dant  Ysengrin  le  leu. 
Or  si  li  vont  ïybert  aidier. 
Huimes  l'orres  por  lui  plaider, 
Qar  volenters  le  secorroit, 

1-20    Savoir  s'acorder  se  porroit 
A  Renart  qui  est  corociez. 
Si  s'est  molt  tost  en  piez  dreciez. 
Et  sor  son  dos  gete  sa  coue 
Et  sa  langue  aguise  et  desnoue 

1-25    Por  bien  parler,  et  si  herice 
Trestoz  les  pouz  de  sa  pelice. 

Tuit  se  taisent  parmi  la  sale. 
Et  Tybert  desferme  sa  maie 
E  dit  au  roi  'sire,  or  escote, 

130    Lai  le  coissin,  si  pren  la  cote! 
De  tote  rien  est  il  droiture 
Que  l'en  esgart   sens  et  mesure. 
Rois,  or  escote  ma  parole! 
2^'a  pas  este  a  bone  escole 


345 


1U2    Que  y      107  Kt  au  tieiz  ior  r.       111    lioutraj,'!-       U3   pndre 
114  le      115  pot     121  Trop  est  uers  R.  c.     126  Tieztoii 


346  X  (Méon  ISOU  — 1805(5) 

135    Ysengrins,  por  jugement  fere: 
Dont  il  li  venist  meus  a  tere 
Que  fere  esgart  ne  jugement 
Dont  eu  deïst  après  qu'il  ment. 
N'est  pas  li  jugement  loiax 

140    Que  il  a  fet,  ancois  est  fax. 
Ne  rien  nule  ne'  fet  a  croire 
Chose  qu'il  die,  c'est  la  voire: 
Que  ce  poes  vos  bien  savoir 
Conques  ne  porent  pes  avoir 

145    Li  vassal  nul  jor  de  lor  vie, 
Ainz  sont  par  mal  et  par  envie. 
Et  par  celé  mortel  haïne 
Qui  longement  lor  est  voisine, 
A  fait  Ysengrins  sor  Renart 

150    Fol  jugement  et  fol  esgart. 

Trop  est  d'ans  deus  la  gerre  amere. 
Tort  a  li  leus  qui  son  conpere 
Velt  forjuger  en  tel  manere 
Et  de  la  cort  jeter  arere. 

155    Sire,  mavcis  conseil  vos  done 
Cil  qui  de  ce  vos  araisone 
Que  Renars  soit  deseritez 
Et  fors  de  vostre  cort  jetez. 
Ne  l'en  crées  james,  bau  sire!  113 

160    Saves  que  de  Renart  puis  dire? 
N'aves  vairez  en  vostre  terre 
Baron,  meus  sache  fere  gerre 
Ne  contrester  ses  enemis. 
Ne  qui  meuz  s'en  soit  entremis. 

165    Sire,  porce  devant  l'esgart 
Doiissies  somoudre  Renart 
Par  un  de  vos  pers  et  mander. 
Ne  doûssiez  pas  conmander, 
Fere  somondre  par  garçon 

170    Tel  chevalier  ne  tel  baron. 


135  iugment  137  De  140  nuix  142  ce  est  145  u.  a  nul  147 
m.  enuie  14.S  Que  15H  ce  conseil  nos  done  1()2  ]}.  que  m.  1(53  contre 
ester 


X  (Moon  lï<l)57  — 18Uy})     . 

Par  deu,  sire,  molt  me  mervel 
Que  d'Ysengrin  crées  conseil  : 
Ne  por  son  dit,  ce  est  la  some, 
Ne  devez  honir  un  franc  home. 

175    Par  deu,  sire,  ce  est  la  pure. 
Trop  seroit  lede  chose  et  dure 
S'il  n'i  avoit  autre  achoison. 
Rois,  regardes  a  la  raison  : 
Qui  qui  raison  ne  set  et  tiiînt, 

180    Sa  vitaille  vet  tost  et  vient. 
Et  ne  por  ce  solonc  mon  senz 
Vos  en  dirai  ce  que  je  pens: 
De  pecheor  miséricorde, 
D'ornes  ocis  prent  en  acorde. 

185    Bons  rois,  or  le  faites  semondre 

Qu'il  viegne  a  cort  et  por  rcspondro 
De  quanque  demander  sauras. 
Se  ce  fes,  bon  conseil  auras. 
Et  lores  s'il  ne  vient  a  cort, 

190    N'est  merveille,  se  mal  l'en  sort: 
Qar  ce  cest  plait  vont  refuser, 
Ne  l'en  doit  mes  nus  escuser. 
Car  il  resembleroit  enfance. 
Ancois  en  pren  lors  ta  vengancc.' 

195        Atant  se  test,  ne  vont  plus  dire. 
Et  li  rois  conmenca  a  rire, 
E  li  baron  dient  ensenble 
'Bien  a  parle,  si  con  nos  senble. 
Lors  ot  Ysengrins  molt  grant  honte, 

200    Quant  Tybcrt  ot  defet  son  conte. 
Trestuit  le  prennent  a  huier. 
Sachez  molt  li  puet  anuier. 
Mesire  Nobles  si  se  levé. 
'Segnor'  fet  il,    molt  par  me  grieve 

205    De  cest  cri  et  de  ceste  noise. 
Mes  de  Renart  qui  si  me  boise 


'dVi 


179  8.  noient    180  bataille  u.  tôt  auont     186  cor     191  uous     192 
acuser     194  ta  manque     202  S.  q'  m.  li  pot 


348  .X  (Méon   180!(5— 1S184) 

M'ensegniez  que  je  porrai  fore 
Et  a  qeil  chef  g"en  porrai  trere. 
Volontiers  i  envoieroie 

210    Un  prodome,  se  jel  savoie.' 
Sire'  clist  Belin  li  motons, 
Nos  entendons  et  escotons. 
Se  vos  i  voles  envoier, 
No  vos  en  estuet  nul  proier  : 

215    Mes  conmaudes  qui  vos  plera 
Le  message  e  il  le  fera,' 

Belin  ce  dist  Nobles  li  rois, 
'Molt  par  estes  prous  et  cortois. 
Ja  maveis  conseil  ne  donroiz. 

220    Saves  ore  que  vos  ferez? 
Dites  Roenel  le  mastin 
Qu'il  soit  trestos  prest  le  matin 
Et  apreste  de  la  besoinne 
Et  qu'il  i  voist  sans  nul  esoingne. 

225    Ne  puis  avoir  mellor  messaje, 
Ne  plus  délivre  ne  plus  sage.' 
Roenel  l'ot,  en  pies  se  drece 
E  parmi  les  autres  s'adrece 
Devant  le  roi,  si  li  a  dit 

230    'Gre  fornirai  sanz  contredit 
Le  messaje,  s'en  m'i  envoie. 
En  son  pais  sai  bien  la  voie.' 
Ta  donc'  dit  li  rois,   si  li  di 
Que  devant  moi  soit  mercredi 

235    Prez  et  garniz  de  soi  deffendre: 
Ou  se  ce  non,  gel  ferai  pendre 
De  la  somonse  del  despit 
'Dont  il  prist  par  soi  le  respit. 
Portez  mes  letres  seelees, 

240    (iardez  ne  li  soient  celées  ! 
Et  se  cest  mandement  refuse 
Et  mon  conmandement  escuse, 


208  tro     210  so  g-c     'J14  cstut  nus     215  que     22:S  apooste    233  li 
manque    235  g.  pur  niui  <I.     23G  ec  ce     240  Gai  dcz 


X  (Méoii  lSi:i.-)-Ks210)  °49 

De  la  moie  part  le  desfie, 

Si  l'apele  de  félonie.' 
245    Roenel  li  respont   bau  sire, 

Tôt  ce  li  saura  ge  bien  dire 

Si  que  rien  nule  u'i  faudra, 

Ou  tel  cose  qui  meuz  vaudra.' 

Lors  prent  cougie  et  si  s'en  torne. 
•250    A  son  tref  vient  et  si  s'atorne 

Al  einz  qu'il  puet  e  s'apareille. 

Sa  meinie  molt  se  merveille. 

En  queil  leu  il  voloit  aler. 

Si  le  prennent  a  apeler. 
255    Sa  fême  l'a  a  raison  mis, 

'Or  me  dites"  fet  ele,   amis, 

Por  queil  afaire,  por  queil  oevre 

Faites  vos  ce?  'Cil  li  descuevre 

Qu'el  mesage  le  roi  ira, 
'2H0    Que  li  rois  molt  proie  l'en  a 

Por  Renart  a  cort  amener. 

'Et  ge  me  voil'  fait  il  'pener 

De  tôt  son  voloir  aconplir. 

Por  ce  fas  mes  maies  enplir 
265    Et  bien  atorner  mon  afere, 

Que  ne  voudroie  envers  lui  fero 

Chose  dont  se  doiist  irer. 

Le  matinet  a  l'esclairer 

M'estuet  movoir,  dex  m'en  avoit!' 
270    'Sire'  fet  ele,   dex  l'otroit!' 

Atant  laissèrent  le  plaider, 

Li  lit  sont  fet,  si  vont  chocer 

Jusqu'au  matin  a  l'ajornee. 

Ancois  que  l'aube  fust  crevée 
27.)    S'est  levez,  si  a  pris  congie 

Que  il  n'i  a  plus  délaie. 

Montez  est,  si  s'en  est  tornez, 

Que  il  n'i  est  plus  sejoruez  : 


2.51  pot  2.52  Lu  2:>4  i)rci)iict  2(;()  iiers  I.  iiicstVrc  2t)it  iiicstot 
iiKtntcr  277  il.  scst  A/irès  27S  mi  lit  Au  niiitiii  (|ii!iiit  se  i'ij  escox 
Misirp  roenax  li  rox.     Li'k  tiers 


350  X  (Méon   18211—18240.) 

Le  grant  troton  s'eii  vait  a  force 
2sn    La  matinée  tote  a  orce, 

Toz  jorz  vait  la  voie  plus  droite.        D  122^1 

Voulez  oïr  conine  il  esploite? 

Tant  chevauche  bois  et  garanuo 

Qu'eu  la  cit  viut  de  ïheroaue. 
SSf)    Renars,  qui  se  doutoit  de  guerre, 

Avoit  fait  pourchacier  et  querre 

Charpentiers  de  pluseurs  manières 

Qui  li  faisoient  ses  perieres, 

Qui  ou  chastel  erent  assises, 
290    Et  mangonneax  de  pluseurs  guises. 

Et  bonnes  portes  coleïces       • 

Li  fesoient  devant  les  lices. 

Ses  fessez  faisoit  redrecier 

Et  ses  passages  afaitier 
2i)j    Que  l'en  nés  poïst  damager. 

Atant  ez  vous  le  messagier 

Hoenel  qui  les  lettres  porte. 

Renart  trouva  devant  sa  porte 

Qui  de  ce  ne  se  donne  garde. 
•,]()()    A  celle  fois  il  se  regarde. 

Quant  il  a  choisi  Roenel, 

Sachiez  ne  li  fu  mie  bel, 

Que  vers  lui  n'a  mestier  treslue. 

'Renart,  mes  sires  vous  salue" 
30;')    Fait  Roenel,  'li  mieuldres  rois 

Qui  soit  jusqu'el  règne  as  L'ois, 

Li  mieuldres  que  onques  veïsse.' 

Ce  dist  Renars  'diex  le  garisse  :' 

'Or  vous  conterai  mon  message' 
310    Fait  Roenel  'sanz  nul  oultrage. 

Renart'  fait  il,  'li  rois  vous  mande 

Et  tout  a  estroux  vous  conmande, 

(  Vez  ces  lettres  a  testimonie) 

(^u'a  lui  veigniez  senz  nulle  essoiue 

282— 410  >n<ni</in'i/f  à  causa  dp  la  pi'rtc  iPiiitc  feuille;  ils  sont 
sitpph'és  par  le  iiisr.  I).  283  cheuauchu  28")  ij.  bit'u  sauoit  la  294 
paupilloiis     :{()(>  le     ."{(ttî  iusques  el     307  m.  rois  conquos     313   Ueez 


X  (Méon   IS247  — 18282)  351 

315    Dedenz  sa  cort  fere  droiture 

Del  despit  et  de  la  laidure. 

Devant  lui  soiez  mercredi, 

De  la  seue  part  le  vos  di. 

Molt  as  mespris  vers  ton  seig-nor, 
a-20    Onques  mais  hom  tel  deshonor 

jS^e  fist  a  son  seigneur  en  terre. 

Que  l'autrier  vos  envoia  querre 

Et  vos  n'i  daignastes  venir: 

Bien  vous  en  doit  mesavenir. 
325    Par  moi  vous  en  se  mont  encore 

Et  par  ces  lettres  :  ne  sai  ore 

Se  tu  i  daingneras  venir. 

Se  tu  li  vous  de  ce  faillir, 

Li  rois  meïsmes  te  desfie.' 
a30    Ce  dist  Renart   ce  n'i  a  mie. 

Fox  est  qui  vers  seigneur  estrive. 

James  a  nul  jour  que  je  vive 

'Ne  ferai  rien  qui  li  desplaise, 

Ainz  soufferroie  grant  mesaise. 
335    Ja  mar  eu  serez  en  dotance: 

A  lui  irai  sanz  demorance. 

Or  m'ont  a  li  melle  si  homme. 

Mais  par  les  sains  c'en  prie  a  Rome, 

Onques  son  message  ne  vi, 
34)    La  moie  foi  vous  en  plevi. 

Mais  tiex  ne  pèche  qui  encourt. 

Or  ù-ai  avec  vous  a  court 

Oïr  qu'il  me  demandera. 

Et  ce  qu'il  me  conmandera 
345    Ferai  sanz  contredit  de  rien.' 

Dist  Roenel   vous  dites  bien, 

Or  aves  parle  conme  sage. 

Et  j'ai  bien  fourni  mon  message. 

Or  n'i  a  mais  que  del  errer. 
350    Faites  bien  vos  chastiax  fermer: 


.S28   Mais  se  tu  iiy   (liuj^'iicH  u,     ;i;U  soufferaio     liMô  soioz     842  ira 
343  Sauoir 


352  X   (Méuu  1H288— 18820) 

Car  il  nos  covient,  ce  vos  di, 

Qu'a  la  cort  soions  mercredi. 

Et  si  vous  en  dirai  le  voir, 

Je  ne  veil  pas  sanz  vous  mouvoir, 
355    Aiuz  en  irons  andui  ensemble. 

Renars  respout  'ce  bien  me  semble. 
A  ces  paroles  s'en  tornerent 

Cil  qui  onques  ne  s'entramereut, 

Et  se  mettent  as  desarez. 
:]f){)    Or  est  Renart  molt  esgaL-ez 

Et  va  molt  ses  temples  gratant 

Et  Roenel  s'en  va  devant 

Et  l'amonneste  de  troter, 

Quant  le  voit  ses  temples  grater. 
:]i;.j    Mais  Renars  va  touz  jours  derrière. 

Et  se  pourpense  en  quel  manière 

De  Roenel  se  partira 

Et  conment  il  l'engignera. 
Tant  chevauchèrent  li  vasal 
370    Que  il  vindrent  el  fons  d'un  val 

Devant  une  vile  champestre. 

Par  delez  la  ville  a  main  destre 

Avoit  vingues,  molt  bien  m'en  membre, 

Et  fu  al  entrer  de  septembre. 
37rj    Vers  les  vingnes  s'est  adreciez 

Renart  qui  molt  fu  courouciez 

De  Roenel  qui  si  l'esmaie. 

Il  garde  et  voit  dessous  la  haie 

T^ne  cooignole  tendue 
3S()    Qne  uns  vilains  y  ot  pendue, 

Qui  des  vignes  se  faisoit  garde. 

Bien  la  congnut,  si  se  regarde 

Et  vit  le  morsel  en  la  corde. 

Mais  n'a  talent  que  il  i  morde. 
385    Mais  s'il  puet,  il  i  fera  prendre 

Son  coupaignou  et  entreprendre. 

3ôl  C.  alcr  nous  c.  ce  di  :{.")(>  ce  iikiih/xc  resst'iiiblc  ;{()!  mit 
ua  362  bâtant  36B  qui  s(^  .'iTl  Dde/.  HTô  la  uij^nc  377  Icsindic 
378  dessus     385  Mais  1  Et 


X   (Médii   1S321— 18358)  iioS 

Se  il  niolt  bien  ue  s'echargaite. 

Mainte  traïson  aura  faite. 

Savez  conment  l'a  deceii? 
890    Quant  l'enging  a  apperceii, 

Devant  le  laz  qui  iert  tendus 

S'est  mis  Renaît  et  estenduz 

A  genoillons  et  merci  crie 

Au  ereatour  et  si  li  prie 
395    Qu'il  le  gart  des  mains  au  gaiguon 

Dant  Roenel  son  conpaignon. 

Lors  s'est  Roonel  regardez. 

'Renart'  fait  il,  'pour  quoi  tardez? 

Quant  vous  devez  venir  avant, 
40(1    Pour  quoi  alez  vous  demoraut? 

Renart'  fait  il,    et  car  venez. 

Tous  n'estes  mie  bien  senez. 

Rendre  vous  convendra  raison, 

Pour  quoi  querez-vous  achoison? 
J05    Pour  quoi  vous  alez  delaiant 

Et  de  la  court  si  retraiant?' 

'En  mal  eûr'  ce  dist  Renart. 

'Touz  jours  estes  vous  fox  musart. 

Je  fais  ci  ilec  mes  prières 
410    A  ces  reliques  qui  sont  chieres 

Et  de  grans  vertus  esprouvees. 

En  cest  païs  sont  honorées. 

Mais  vous  estes  tant  fols  et  grains 

Que  vous  n'avez  cure  de  sainz.' 
Aïb    'Conment'  ce  respont  Roeniax, 

'Est  cist  saintuaires  nouviax?' 

OiT  fet  soi  Renart,  'bau  sire.  A  114 

Et  savez  que  je  vos  puis  dire 

Ge  ne  quit  pas  qu'en  tote  France 
4-20    Ait  reliques  de  tel  puissance 

Ne  ou  aviegne  tel  miracle, 


388  vers  corrompu  395  Qui  lo  396  De  397  Quant  R.  sost  r. 
400  reculant  409  alec  413  gains  417  le  »isc.  A  n prend  419  qu' 
manque 

REXART.      I  23 


354  X  (Môon   1S35S-~18397; 

Neïs  as  poisons  seiut  Romacle. 
Si  vos  di  bien  de  vérité 
Que  nus  n'a  celé  enfermete^ 

425    Se  il  aproime  au  seintuaire, 

James  ait  jor  mal  ne  contraire: 
Ne  celé  beste,  si  l'atouche 
Une  fois  u  dous  a  sa  boce, 
Qui  James  soit  envenimée 

4B0    Des  qu'ele  en  sera  aproimee.' 

Bien  seit  Renars  gent  amuser 
Et  soi  par  parole  escuser. 
Et  Roouel,  que  il  afole, 
Se  tret  près  de  la  cooingnole, 

435    Et  tient  bien  la  parole  a  voire 
Que  Renart  li  a  fet  acroire. 
Et  li  morsaus  de  cel  engin, 
Eu  de  formage  de  gaïn, 
Et  li  laz  estoit  estenduz 

440    Par  dessus  deus  pessons  feuduz, 
Et  la  corde  par  desus  mise 
En  tel  manere  et  eu  tel  guise 
Que  se  Roonel  vient  avant 
Ou  par  derere  ou  par  devant, 

445    Et  voille  prendre  le  formage. 
Bien  i  porra  avoir  damaclie. 

Roenel  a  passe  la  voie. 
Il  voit  l'engin,  si  s'en  esmoie. 
Retorner  vont,  car  il  se  dote 

450    Que  il  ne  tiegne  maie  rote. 
Reculant  sailli  de  la  vigne. 
Mes  cil  qui  tôt  le  mont  enginne. 
Le  reconforte  e  met  en  voie 
Et  au  seintuaire  l'envoie, 

455    Et  dit  'sire,  ne  crèmes  pas  : 
Mes  alez  bêlement  le  pas! 
Beissiez  les  seinz,  si  nel  leissiez  !' 


422  p.  de  s.     427  sil  la  toiu-lie     42S  hu    429  enuenime    430  sara 
aproime     432  escuiser     440  dcsuz     4')()  ni     457  si  uos  pleissiez 


X  Môun  (1S:}9S— 1S433)  355 

A  cest  mot  s'est  cil  abeissiez, 

A  jenoillon  se  mist  a  terre 
460    Por  le  sentueire  requerre. 

Au  bessief  si  vit  le  formaje, 

Dont  il  ot  puis  honte  et  damaje. 

Entalentes  est  molt  del  prendre 

Por  ce  qu'il  le  vit  gaune  et  tendre  : 
465    Gite  lez  denz,  pas  ne  se  tarde, 

Porter  l'en  vont:  mais  tel  le  garde. 

Qar  au  sacher  li  laz  destent 

Et  desus  le  col  li  descent, 

La  ceoignole  si  l'enporte 
470    Amont  que  molt  le  decouforte, 

Et  en  tel  manere  l'atret, 

A  pou  le  col  ne  li  a  fret. 
Roenel  conmenca  a  brere. 

'Renart'  fait  il,  'que  porrai  fere? 
475    A  mal  ostel  sui  descendus, 

Que  par  le  col  i  tui  penduz. 

Toz  m'en  est  enfles  li  viaires. 

Maldeheit  ait  tel  seintuaires 

Qui  en  teil  guise  fet  baler, 
480    Cels  qui  le  volent  aorer! 

Ge  me  quidoie,  c'est  la  pure. 

De  vos  garder  en  tel  mesure 

Et  de  vos  torz  et  de  vos  giles, 

Que  vanter  m'en  poïsse  as  viles; 
485    Mes  or  m'en  sui  si  mal  gardez 

Qu'a  honte  eu  serai  regardez. 

Por  ce  dit  eu  en  reprovier 

Que  tex  quide  son  dol  venclier 

Molt  bien,  qui  son  ennui  porchacc 
490    Et  son  damage  quiert  et  brace.' 
Rcnars  respont   par  graut  pèche. 
Dont  vos  estes  molt  cnteche, 
Vos  est  venus  icist  contraires. 


4G1  uint  le  froiiieie       4G(i  lo  u.     4(;m  dcstout      4ii!)    Va    Im    ni^iilc 
477  uiairez     478  scintutiirez     4s'.i  engin  p.     493   L'uz 


356  X  (Méon   18434—18469) 

Corociez  est  li  seiutuaires 

495    Por  ce  quel  voliez  enbler. 
Bien  i  parut  al  asambler: 
Oreinz  quant  serastes  les  denz, 
Le  Yolieez  inetie  dedenz. 
Por  ce  vos  a  il  retenu, 

500    A  bon  droit  vos  est  avenu. 
Ja  de  Ifiron  bien  ne  vendra, 
Xe  ja  nus  bon  chef  n'en  prendra. 
Or  me  puis  bien  apcrchevoir 
Que  me  voliez  décevoir. 

505    Quant  entendre  me  feseez 
Et  que  por  voir  me  disieez 
Por  mener  fors  de  ceste  terre 
Que  dant  Xobles  m'enveoit  qaerre, 
Oreins  quant  nos  en  alions. 

510    Onques  dan  Nobles  li  lions 
Xe  fist  de  larou  son  messaje 
En  leu  de  prodome  et  de  sage. 
Or  m'en  ont  venche  li  cors  seint 
Et  la  vertu  qui  vos  destreint. 

515    Droiz  est  qui  mal  velt  fere  autrui. 
Que  le  max  s'en  viegne  par  lui. 
Ge  m'en  irai,  vos  remandroiz, 
Gardez  lez  vignes,  ce  est  droiz,' 
A  ces  paroles  s'achemine 

520    Renars,  cil  remeist  en  la  vigne. 
Alolt  par  s'en  est  bien  délivres. 
Renars  s'est  au  foïr  tornez 
Et  son  cheval  point  tant  et  broche 
Que  do  son  castel  vit  la  roche: 

525    Venus  est,  si  descent  au  pont. 
Ses  ovrers  qui  ses  ovres  font 
Amoneste  de  tost  ovrer 
Et  de  ses  portes  délivrer, 
Et  de  reparer  ses  fosses. 


499  ont  il  tlecou  502  ne  p.  507.  508  mantjuenf  512  Quen  514 
vos  ]  me  515  est  mfni<j>ie  519  reste  parole  sacline  522  liurez  523 
son  castel     529  reparrer 


X  (Méon  18470—18505) 

530    Que  bien  set  qu'il  est  confessez, 
Se  li  rois  vient  soi*  lui  a  ost. 

Il  n'a  pas  poor  qu'il  l'en  ost: 
Ancois  en  seront  molt  penez. 

Molt  s'esforce  li  forsenes 
535    De  fere  fossez  et  trenchees. 

Tôt  environ  a  cinc  archeies 

Fet  un  fosse  d'eve  parfont, 

Nus  n'i  puet  entrer  qui  n'afont. 

Desus  fu  li  ponz  torneïz 
540    Molt  bien  torne,  toz  volteïz. 

Desus  la  tor  sont  les  perreres 

Qui  lancheront  pieres  pleneres: 

N'est  nus  hom  qui  en  soit  feruz, 

Qui  ne  soit  a  sa  fin  venuz. 
545    Les  archeres  sont  as  querneax 

Par  ou  il  treront  les  quereax 

A  damager  la  gent  le  roi. 

Molt  est  Renart  de  grant  desroi 

Qui  si  contre  le  roi  s'afete. 
550    Sor  chascune  tor  une  gaite 

Fist  mètre  por  eschaugueter. 

Et  il  en  avoit  grant  mester. 

Einsi  s'est  Renart  atomes. 

Molt  fu  bien  d'eve  avirone, 
555    Hordeïz  ot  et  bon  et  bel.  115 

Par  dedenz  lez  murs  du  castel 

Ses  barbacanes  fist  drecier 

Por  meuz  son  castel  enforcier. 

Soudoiers  mande  par  la  terre 
560    Qu'il  viegnent  a  lui  por  conquerre, 

Serjanz  a  pie  et  a  cheval: 

Tant  en  i  vint  que  tôt  un  val 

En  fu  covert.    Grant  joie  en  fist 

Renart,  et  mcintenant  les  raist 
565    Es  barbacanes  por  deffense. 


583  en  mauque     538  pot      545    quermeax     547   lo  s-      555  Et  h. 
560  uiegnet     quenquerre 


358  X  (M.'oii  is.-)!)!;— is:,4i) 

Nus  ne  puet  savoir  ce  qu'il  pense. 
Molt  s'est  Renart  bien  entremis 
D'aïde  querre  a  ses  amis, 
Que  bien  quide  sanz  nul  retor 

570    Qu'il  soit  asis  dedeuz  sa  tor. 

Grant  doute  et  graut  poor  en  a. 
Mes  sachez  qu'il  se  défendra, 
S'il  i  vient  ame  qui  l'asaillo. 
.Ta  n'en  partira  sanz  bataille. 

575         De  lui  me  tairai  orc  ici. 
Mes  a  Roonel  qui  pendi 
En  la  haie  retornere, 
Qui  malement  fu  atrapo. 
Durement  gient  et  si  baaille. 

580    Ne  chanjast  pas  une   maaille 
Qui  li  donast  un  esterlin. 
Molt  ot  en  celui  mal  voisin 
Qui  iloques  le  mist  branler. 
Molt  se  débat  por  escaper, 

585    Mes  ce  ne  li  vaut  un  bouton: 
Que  molt  le  tint  bien  le  lacon 
Qu'il  a  entor  le  col  lacie, 
Dont  il  estoit  molt  corocie. 
Hoc  se  débat  et  abaie. 

590    Et  li  vignerons  sanz  délaie 

Vient  qui  des  vignes  estoit  garde. 
Vit  celui  pendu,  si  l'esgarde. 
Entre  lui  e  son  conpaignon  • 
Corant  en  vienent  au  gainnon 

595    Bien  entalonte  de  mal  fere. 
Lors  ne  sot  Roonel  que  fere, 
Quant  il  les  vit  vers  lui  venir. 
Toz  li  sanz  li  prist  a  frémir. 
Que  bien  cuide  estre  malbaillis. 

600    'Ta  crt  de  dous  pars  asaillis. 
Li  vilein  saillent  meintenant, 


566  pot     568  faire     571  G.  honte     579  giet     585  ce  manque 
Rmecon     593  cellu    598  frimir     601  s.  de  m. 


X  (Méon  18542—18578) 

L'un  derere,  l'autre  devant: 
Li  uns  le  fiert,  l'autre  le  maille. 
Li  mastins  durement  baaJlle, 
605    Molt  se  crient  morir  ne  l'estuisse, 
Ou  qu'il  n'i  laist  ou  bras  ou  cuisse. 
Durement  en  est  en  malaise. 
Ge  ne  quit  mie  qu'il  li  plese, 
Que  tel  déduit  n'amoit  il  pas. 
610    Et  cil  vienent  plus  que  le  pas 

Qui  tant  ne  quant  ne  l'orent  cier. 
Maintenant  por  lui  damacher 
Sallirent  avant  amedeus, 
Ja  li  ferunt  de  molt  puz  jeus. 
615    Li  uns  let  core  une  macue, 
Et  li  autres  dist  'cuivert,  tue! 
S'il  t'eschape,  tu  es  bonis.' 
Et  cil  ne  fu  pas  esbahiz, 
Ainz  l'a  féru  parmi  les  reins 
620    D'une  grant  macue  a  deus  meins, 
A  max  parens  est  Roenaux, 
Que  cil  li  aunent  ses  bureax, 
Dont  il  n'avoit  nul  covoite. 
Tant  l'ont  entr'aus  deus  desache, 
625    Et  tant  li  ont  le  dos  batu 
Que  il  li  ont  le  laz  ronpu 
A  qoi  il  pendi  par  le  col. 
Tant  l'ont  batu  que  tôt  fu  mol. 
Maintenant  cbaï  a  la  terre, 
630    Les  piez  estreint  et  les  denz  sere  : 
Lez  un  fosse  se  pleiut  et  plore. 
Et  cil  li  corent  andoi  sore 
La  ou  il  se  fu  acostez. 
Tant  li  ont  batus  les  costez 
635    D'une  grant  macue  pesant, 

Que  por  mort  le  lessent  gisant. 
Atant  s'en  sont  d'iloc  torno, 
Quant  il  l'orent  si  atorne. 


359 


605  c.  que  m. 


608  que  il     610  c.  li  u.     616  dit     630  Lez 


360  X  (M.H.n   1857;t-18(U4) 

Et  Roonol  iloc  remeinf 

640    Qui  des  cox  ot  rccoû  meint, 
Ne  quit  qu'il  ait  talent  de  rire. 
Molt  li  estuet  avoir  bon  mire 
Et  bon  porchaz.  s'il  en  escape. 
Ileques  sout  il  poi  de  frape, 

045    Quant  il  insi  fu  pris  au  laz 
Par  tel  engin,  par  tel  baraz. 
Molt  se  tient  por  vil  si  a  droit 
De  Renart  que  si  le  decoit 
Et  qui  en  tel  prison  l'enpeint, 

(350    Ou  cil  l'ont  bote  et  enpaint, 
Dont  games  ne  sera  loiax. 
Einsi  se  conpleint  Rooneax, 
Toz  soûls  a  lui  meïnie  tence. 
Sovent  a  blâmer  se  conmence, 

655    Quant  il  fu  pris  en  tel  mesure. 
Que  vos  diroie?  C'est  la  pure, 
Malement  est  la  cose  ovree. 
Ja  es  ce  vérité  provee, 
Hasart  jeta  arere  mein. 

660    Iloc  just  dusq'a  lendemein. 

Lors  s'est  levés,  tant  se  demeine, 
Les  euz  ovri  a  quelque  peine, 
Et  conmencha  a  chanceler. 
Et  quant  il  vit  l'aube  crever, 

665    Cou  il  aiuz  pot  d'iloc  s'en  torne, 
Vers  kl  cort  vait,  plus  ne  sejorne. 
De  la  vigne  ist,  si  s'en  esloigne. 
Mes  n'a  pas  bien  fet  sa  besoigne 
Ne  le  messaje  le  roi  fet, 

670    Que  trop  savoit  Renart  de  plet. 
Que  voles  vos?  Insi  est  ore, 
Vencher  se  quide  bien  encore. 
Ireement  a  soi  parole 
Et  regarde  la  ceoingnole: 


644  Ilec  s.  il  ascz  d.       649  quil  en      665    se  t.       667  se  retorne 
674  Et  si  r.  la  uignole 


X  (Méon  18615—18650) 

675    'Renarf  fait  il,    dex  te  destriie! 

Fait  m'aves  chose  qui  m'ennuie. 

Par  traïson  m'as  or  fet  prendre 

Et  laidement  le  col  e-stendre. 

Mes  encore  le  te  quit  vendre, 
680    Ja  si  ne  te  sauras  desfendre 

De  gerre  vers  toi  porchacier.' 

Atant  laisse  le  manecer, 

Envers  la  cort  torne  sa  resne. 

A  soi  meïme  se  deresne 
685    Et  dit  que  james  n'iert  haitiez 

Jusqu'à  l'ore  qu'il  soit  vendiez. 
Ensi  se  conpleint  le  gainnon 

De  Renart  son  bon  conpaignon 

Qui  tant  li  a  fet  trore  mal. 
690    Tôt  bêlement  le  fonz  d'un  val 

S'en  vait  traînant  a  grant  peine.  1 1 6 

D'aler  a  cort  forment  se  peine, 

Mes  sovent  l'estut  reposer. 

Malement  se  puet  aloser 
695    Qu'il  soit  bon  messager  ne  proz. 

Il  en  sera  gabez  de  toz 

A  la  cort,  quant  il  i  vendra: 

Dahez  ait  qui  nel  asaudra 

Se  il  puet,  et  si  feront  il. 
700    Ge  ne  quit  pas  qu'il  i  ait  cil 

Qui  aint  Renart  de  nule  rien, 

Qui  ne  li  die  ou  mal  ou  bien. 
Tant  ala  Roencl  le  jor 

Qu'il  vint  a  la  cort  son  segnor 
705    Ancois  que  midis  fust  passez. 

Mes  molt  fu  durement  lasez 

Que  de  cox,  que  del   brandeler 

Qu'il  ot  pris  as  vignes  garder, 

Qu'il  n'i  remeist  os  a  brisier. 
710    A  grant  poine  se  puet  aider 


361 


677   ore       679    encor      683    règne       694    pot      700    que   il       707 
blandeler 


362  X  (Méon   18ti51  — 18690) 

Ne  sustenir  :  tant  fii  dcstroiz 

Qu'il  chaï  bien  quatorze  foiz 

En  la  voie  que  il  a  fête, 

Dont  molt  durement  se  dehaite. 
715    Totevoies  conmont  qu'il  tort, 

Est  Roonel  venus  a  cort. 
Li  rois  s'estoit  aie  esbatre 

De  ses  barons  avoc  lui  quatre, 

Brichemer  li  cers,  Ysengrin, 
720    Grinbert  le  tesson   et  Belin. 

Cil  quatre  furent  bien  du  roi. 

En  els  n'avoit  point  de  desroi, 

Ainz  furent  prodome  ancien  : 

Molt  estoient  bon  cristien 
725    Tuit  quatre  et  de  molt.grant  renon. 

Aveques  Noble  le  lion 

Furent  aie  esbanoier, 

N'avoient  cure  d'esmaier 

Entr'eus  ne  de  rien  fors  de  joie, 
730    Et  qui  le  velt  oïr,  si  l'oie. 

Ensenble  s'en  vont  li  baron 
•    Parmi  la  forest  de  randon, 

Els  cinc  sanz  plus,  qu'il  n'i  ont  autre. 

Chascun  tenoit  lance  sor  fautre 
735    Que  il  ne  fussent  envaïz 

Que  li  rois  estoit  molt  haïz  : 

Por  ce  aloient  si  serre. 

Et  li  rois  a  premer  parle 

'Segnor'  fet  il,  'vos  qui  ci  estez, 
740    Vos  estes  prodom  et  honestes. 

Et  molt  vos  aim  en  bone  foi. 

Segnor,  por  ce  dire  vos  doi 

Por  quoi  ai  ma  gent  asemblee. 

Nus  n'en  sot  vérité  provee, 
745    Ne  vos  ne  autres  fors  que  moi. 

Et  vos  saves  bien  de  la  loi 


714  dorement    716  ueiiue    7::î4  feutre    739  estez    740  onéste    743 
asemble     744  j)roue 


X  (Méon  18691  —  18740) 

Ensi  conme  je  croi  et  pens. 
Por  ce  vos  dirai  mon  asens, 
Que  je  voil  aler  par  esgart 
750    Trestot  droit  au  castel  Renart  : 
Por  lui  prendre  et  por  amener 
Ai  fet  ceste  gent  asombler, 
Qar  messajes  ai  ja  tramis 
A  lui,  ne  sai  ou  cinc  ou  sis. 
753    Par  meinte  foiz  l'ai  fait  mander. 
Mes  rien  que  sache  conmander 
Ne  velt  fere:  por  ce  me  cleim 
A  vos  quatre  que  ge  molt  eim.' 
'Sire,  sire'  dist  Ysengrin, 
700    'Roonel  vendia  le  matin 
Qui  i  ala  par  vostre  gre. 
Et  se  il  ne  l'a  amené 
Et  il  ne  vient  avoques  soi, 
Par  celé  foi  que  ge  vos  doi, 
765    Se  mis  conseuls  en  est  creûz, 
Ses  castax  sera  abatuz 
Et  si  seroit  mis  en  prison.' 
'Sire  Ysengrin   dist  le  tesson, 
'Prenez  vos  sor  vos  ceste  mise? 
770    Li  rois  qui  l'enpire  justisse 
N'en  fera  pas  a  vostre  esgart. 
Quidiez  vos  dont,  se  dex  vos  gart. 
Se  Renars  ot  le  mandement, 
Qu'il  ne  viegne  delivrement 
775    A  cort  por  oïi*  la  demande 

Que  mis  sires  li  rois  demande? 
Se  Roonel  revient  sanz  li. 
Il  n'a  pas  le  messajo  oï. 
Que  je  sai  bien  que  se  il  l'ot, 
780    II  i  vendra  au  premer  mot. 
Ja  n'i  aura  respit  requis, 
Tant  ai  ge  de  l'afere  apris.' 


363 


753  premis     lôA  le  2iret>ncr  ou  manque    765  en  manque    766  abauz 
770  que     775  la  ]  uo     777  lui 


364  X  (Mf'on   1^741—18776) 

Atant  laissent  le  sarmoner: 
Si  se  prenent  a  retorner 

78.Î    Trestot  soavet  le  cemin, 

Li  rois,  Grinbert  et  Ysengrin, 
Et  Belin  le  nioton  ensemble. 
One  ne  finerent,  ce  me  semble, 
Si  sont  a  la  cort  revenu. 

790    Et  Roonel  ert  descendu 

Tantost  el  mileu  de  la  cort. 
A  rencontre  chascun  li  cort 
Et  demandent,  se  Renars  vient 
Et  quelle  essoinne  le  détient. 

795    Roonel  ne  lor  vout  mot  dire, 
Ancois  ploure  molt  et  sospire. 
Molt  li  dout  li  dos  et  l'escine. 
Parmi  la  cort  ses  reins  traîne, 
Bleciez  fu  en  la  dcstre  poue. 

800    Et  chascun  li  a  fet  la  moue, 
Et  s'escrient  trestuit  ensemble 
'Misire  Roonex  resemblc 
Qu'il  ait  chacie  ou  leu  ou  ors. 
Bien  l'a  moquie  Renars  li  rox 

805    Qui  le  fait  venir  de  travers. 
Il  l'a  bien  tenu   en  travers 
Et  del  lonc  et  de  totes  pars. 
La  bono  aventure  ait  Kenars  !' 
Font  tuit  cil  qui  voient  le  chen. 

810  'Vees  con  il  resemblo  bien 
Home  qui  levé  de  dormir! 
Bien  savez  message  fornir.' 

Que  qu'il  gaboieut  le  gainnon, 
Li  rois  vint  et  si  conpaignon 

815    Devant  la  sale  descendu. 
Et  cil  li  est  au  pie  coii. 
'Sire'  fait  il,    poi-  deu  vos  pii, 
Que  vos  aiez  de  moi  merci. 


792  li]i     803  le  preniie?-  ou  nidiK/tic      lou  ou  Iiors      806   en  ]  de 
811  que     815  descendis     816  cou  au  pie 


X   (Méoii   1H777  — 1H812) 

Ge  fis  ce  que  me  conmandastes 
8-iO    Et  le  message  ou  m'envoiastes  : 
Ge  portai  vos  letres  Renart 
Et  si  li  dis  de  vostre  part 
Que  devant  vos  fust  hui  cest  jor, 
Qu'il  n'i  avoit  plus  de  sejor. 
82;")    Il  me  respondi  loiaument 
Et  si  me  dist  joieusement 
Que  il  i  vendroit  sanz  deloie.  117 

Puis  nos  meïmes  a  la  voie 
Lie  et  joiant  sanz  demorer. 
830    Et  ge  le  somons  de  troter 
Por  plus  tost  aler  un  petit  : 
Et  li  traîtres  si  me  dist 
Qu'il  ne  pooit  plus  tost  aler. 
Por  ce  qu'il  me  voloit  lober, 
835    Me  respondi  que  bêlement, 
Alissons  et  cortoisement 
Tôt  soavet  et  tôt  le  pas 
Que  nos  ne  fussions  trop  las. 
Ge  li  otroiai  son  plaissir, 
840    Si  conmencames  a  venir. 

Endementres  que  ge  venoie, 
Li  traïstres  que  g'amenoie 
M'abricona  par  sa  parole 
Qu'il  me  fîst  d'une  ceoignole 
84;')    Acroire  que  c'ert  seintueire 
Et  que  la  giseit  seint  Yleire, 
Et  si  me  dist  que  gel  bossasse 
Ancois  que  je  outre  passasse. 
Ge  quidai  que  voir  me  deïst 
8â()    Et  que  nul  mal  no  me  feïst  : 
Celé  part  ving  sanz  demorer 
Por  le  seintueire  aorer. 
Au  deerein  me  ting  por  fol, 
Que  g'i  fu  pendus  par  le  col. 


365 


826  dit      827  Quil      838  fussons      844  Que  il  me  «list  du.  uignole 
845  ce  ert     846  la  1  iloc 


366  X   (Méon   1S813- 18848) 

855    Si  que  par  poi  li  eil  dol  front 
Ne  me  volèrent  contreniont. 
Ce  me  fist  en  sa  conpaguie 
Li  traîtres,  li  foi  mentie, 
Li  paijures  et  li  tricheres, 

S(j()    Li  fax,  li  desloiaus  lechcres, 

Qui  tôt  le  mont  a  bout  euginiie. 
Pendant  me  lessa  en  la  vigne, 
Et  dist  que  les  vigue.i  gardasse  : 
Ja  mar  d'iloc  me  remuasse. 

8B3    Quant  ce  ot  dit,  si  s'en  retorne. 
Et  je  remeiz  pensif  et  morne. 
Atant  me  vindrent  doi  vilein 
Chascuns  un  baston  en  sa  nieiii, 
Qui  tant  me  douèrent  de  cox 

870    Que  toz  les  costez  en  ai  mox. 
Que  vos  iroie  je  disant 
Ne  mon  damaje  devisant? 
Chascun  me  bâti  sa  foïe 
Tant  que  l'eseine  ai  peeoïe. 

875    Rois,  s'il  n'est  si  con  vos  ai  dit, 
(le  vos  otroi  sanz  contredit 
Que  me  facoiz  p -ndre  ou  noier. 
Et  se  Renars  le  velt  noier, 
Près  sui  que  vers  lui  me  eombate 

880    Et  que   on  ceste  cort  le  mate. 

Rois,  ore  en  prou   bien  ta  vencliance. 
Que  molt  est  gref  la  mesestance: 
Vendiez  vostre  honte  et  la  moie 
(jue  Renars  m'a  fet  en  la  voie.' 

885         Atant  sa  parole  a  fenie 
Et  li  rois  l'a  molt  bien  oïe: 
Si  en  fu  maris  et  iriez. 
Bel  segnor,  car  me  conseilliez! 
A  vos  toz  conseil  en  requier. 

890    Que  ferai  de  cel  avresier. 


862  manque     863  dit     865  ce  ot  ce  d.     se  r.     868  men     869  d< 
883  U.  la  u. 


X   (Méon  18849  —  18885)  367 

Cest  diable,  cest  mecreii 

Qui  tante  fois  m'a  decoii 

Par  sou  engin  et  fait  marir? 

Conseil  de  lui  fere  honir 
89;')    Prendroie  molt  très  volonters.' 

Ysengrin,  qui  fus  ses  guerrers 

Et  qui  le  haoit  mortelment, 

Li  respoudi  ireenient: 

Segnor'  fet  il,  'or  vos  taisiez, 
900    Et  sor  cest  afeire  juchiez! 

Cil  qui  bon  conseil  set  doner 

Ne  se  doit  pas  arier  torner, 

Ancoiz  conseilliez  mon  segnor! 

Qar  onques  mais  honte  gregnor 
905    Ne  fist  nus  a  prince  de  terre. 

Si  est  droiz  qu'il  en  sorde  gerre, 

Ne  nus  n'en  doit  avoir  pitié. 

Del  terme  qu'il  a  respitie 

Par  lui  sol  sanz  contremander, 
910    Onques  ne  deigna  demander 

Un  sol  jor  terme  ne  respit. 

Par  mon  chef  ci  a  grant  despit: 

Et  se  ge  en  fusse  jugeras, 

Ge  jusgasse  que  li  lecheres, 
915    Li  ribauz,  li  ataïnez 

Fust  ou  pendus  ou  traînez, 

Que  Roonel  le  messager 

A  fet  si  forment  damager 

Par  son  engin,  par  son  desroi 
9-20    Qui  ert  el  message  lo  roi. 

L'en  l'en  doit  molt  bien  fere  honte.' 

Belin,  qui  ot  oï  le  conte 

D'une  part  et  d'autre,  saut  sus. 

Ysengrin,  or  n'en  dites  plus!' 
925    Fet  Belin  :  'trop  en  aves  dit, 

Nos  savom  bien  sanz  contredit 

Que  vos  haez  Renart  si  fort 


gierres     902  ariere     905  p'ce     910  ne!  d.     913  gen  f. 


368  X  (Méon   IS.SHÔ  — 18921) 

Que  vos  vouldriez  qu'il  fust  mort. 
Or  vos  pri  que  n'en  parles  mes, 

930    Qu'en  vos  en  tendroit  a  mevais 
De  tel  dit  et  de  tel  conmande, 
Se  mis  sires  li  rois  conmande 
Et  il  en  son  conseil  le  truisse, 
11  ert  penduz  por  qu'en  le  truisse. 

9;}5    Mes,  se  deu  plaist  en  oui  je  croi, 
Nus  nel  conseillera  lo  roi 
Que  ja  li  face  se  bien  non. 
Se  dant  Roonel  le  gainnon 
N'a  fet  ce  qu'en  li  conmanda, 

940    Un  autre  qui  meus  parlera 
I  envoit  li  rois  ])ar  mon  loz. 
Que  jamais  n'i  ait  nul  si  os 
Qui  juge  sanz  conmandement  : 
Blâmez  en  seroit  durement. 

94 j    Un  messager  qui  meus  parlast 
Loeroie  qui  i  alast 
Sanz  plus  atarger  le  matin, 
Qui  parlast  romans  et  latin.' 
Li  rois  respont  sanz  atarger 

950    'Belin,  molt  fêtes  a  prisier. 

Bien  sai  que  vos  estes  saje  home. 
Foi  que  doi  seint  Père  de  Rome 
Vos  vos  en  alez  par  le  droit. 
Mes  or  nos  dites  orendroit 

95j    Qui  porra  fere  cest  mesaclie? 

Que  molt  m'est  tart  que  je  le  sache, 
One  mais  n'oi  tel  talent  de  rien.' 
'Sire,  Brichemer  ira  bien. 
Et  si  est  cortoiz  et  vaillanz, 

9()0    Et  si  sai  bien  que  meus  parlanz 
N'en  a  pas  un  caicns,  ce  croi. 
Se  il  en  a  de  vos  l'otroi, 
Meintenant  le  verres  movoir.' 


931  De  tel  dit  et  ]  Et  a  maues     935  e  oui     939  Ne  f.     que 
955  Que 


X  (Méon   18922—18957)  369 

'Belin,  car  i  aies  savoii-  118 

065    Et  li  dites  que  ge  li  niant 

Que  a  moi  viegne  meintenant.' 
Brichemer,  qui  tôt  entendi, 

En  piez  se  drece  et  respondi 

'Sire  rois,  je  sui  en  présent 
97U    Prest  de  fere  vostre  talant. 

Se  vos  m'i  voles  envoler, 

Tantost  irai  sanz  delaier: 

Et  se  gel  truis,  a  que  qu'il  tort, 

Sachez,  jel  amenrai  a  cort.' 
1)75     Brichemer'  ce  a  dit  li  rois, 

Molt  par  estes  prouz  et  cortois. 

Et  si  savez  de  meins  langages 

Dont  vos  estes  ases  plus  sages. 

Yos  irez  de  la  moie  part 
980    Trestot  droit  au  castel  Renart, 

Et  li  dites  sanz  delaier 

Qu'il  viegne  aprendre  a  cortoier 

Sanz  achaison  querre  ne  guile. 

Que  par  la  foi  que  doi  seint  Gile, 
98;')    Se  il  m'i  fet  envoler  plus, 

Ses  castax  sera  abatus 

Et  il  meïmes  ert  honiz. 

Mes  mes  letres  et  mes  escriz 

Porteras  que  meus  vos  en   croie.' 
990    Cil  prent  les  letres,  si  s'avoie. 

Congie  prent,  si  s'en  est  partis. 

Et  li  rois  remeint  tos  maris. 

Brichemer  s'en  vait  conme  saje, 

Bien  quide  fornir  son  messaje 
995    Meuz  qu'il  ne  fera.  Tant  cemine 

Par  bois,  par  près  et  par  gaudine. 

Et  tant  ala  esporonant. 

Qu'il  vint  einz  miedi  sonant 

Trestot  droit  au  castel  Renart 


964  cauoir  907  que  974  S.  que  iel  976  estez  981  san  d.  982 
a  cort  a.  c. 

REXAKT   I  24 


370  X  (Méon   18958—18998) 

1(X)0    Qui  de  nul  home  n'a  regart. 

Qar  tant  ert  bien  de  mur  fermez 
Qu'il  n'iert  pris,  s'il  n'est  afamez: 
i'ar  home  qil  sache  asaillir 
Ne  li  puet  nul  mal  avenir. 

1005         Brichemer  s'est  aresteii: 
Quant  il  a  le  castel  veû 
Si  horde,  si  aparellie, 
Durement  s'en  est  merveillie. 
Avant  en  vet  desus  le  pont. 

1010    Li  sergant  qui  furent  amont 
Descochent  quarrax  enpenez. 
Ja  fust  dant  Brichemer  finez, 
Ne  fust  le  hauberc  qu'ot  vestu: 
Plus  de  dis  en  out  en  l'escu, 

1015    Dunt  il  s'esmaie  durement, 
Et  il  traient  menuement. 
Brichemer  ne  les  peut  sofFrir  : 
Ariere  l'cstuet  resortir, 
Ou  il  vousist,  ou  bel  li  fust, 
.  10-20    Ariere  par  le  pont  de  fust. 
Renars  s'estoit  aie  esbatre 
En  sus  d'iloc  trois  piez  ou  quatre. 
Quant  il  reveuoit  de  juer, 
Les  le  pont  trove  Brichemer. 

1025    Tantost  con  le  vit  et  connut, 
Brichemer  vers  li  acurut 
Et  dist  'sire,  cil  dex  vos  gart 
Qui  toz  les  biens  torne  a  sa  part. 
De  par  Noble  que  sui  message, 

1030    Le  meillor  roi  et  le  plus  saje 
Qui  soit  en  la  crestiente.' 
'Cil  dex  qui  meint  en  trinite' 
Fet  Renart   si  vos  doinst  heuor! 
Conment  le  fait  il 

1035    Et  li  baron  sont  il  heitie' 


100-4  pot    1006  caste    1009  desoz    1013  que  il  ot    1027  dit     1029 
nobles     1030  meudre     1032  Cist 


X  (Méon  18994— 19080J  371 

'Il  sont  trestuit  joiant  et  lie' 

Fet  Brichemer,    en  moie  foi. 

Mes  ca  m'a  envoie  lo  roi. 

Qu'a  la  cort  venir  ne  deiguioz. 
1040    Dites  moi  por  qoi  desdegniez 

Lui  ne  sa  cort,  ce  est  folie. 

Il  m'a  rove  que  je  vos  die 

Que  demein  sanz  alongez  trere 

Li  venez  a  la  cort  droit  fere 
1045    De  ce  que  l'aves  en  despit 

Et  que  par  vos  pernes  respit: 

Saches,  ce  n'est  mie  savoir. 

Li  rois  vos  fet  par  moi  savoir 

Que  demein  a  ore  de  plet 
lO.ôO    Soiez  devant  lui  entreset. 

Ice  vos  ai  dit  de  par  li. 

Se  n'i  estes,  je  vos  deffi 

De  par  lui  conme  messager.' 

Renars  le  prent  a  losenger: 
1055    'Amis'  dist  Renars,    entendez! 

A  la  cort.  se  vos  conmandez, 

Irons  moi  et  vos  orendroit: 

Ja  respit  ne  ferme  n'i  ait. 

Ja  n'i  aura  plus  atendu.' 
1060    Brichemer  li  a  respondu 

'Renart'  fet  il,  'montes  dont  tost! 

Que  durement  redot  vostre  ost: 

A  pou  que  il  ne  m'ont  malmis.' 

Atant  se  sont  au  chemin  mis. 
1005         Or  s'en  vont  li  baron  ensemble. 

Renars  molt  très  durement  tremble, 

Qui  a  grant  poor  del  lion. 

S'il  trovast  qui  confession 

Li  donast,  molt  très  volenters 
1070    La  preïst.  Tant  vont  les  senters, 

Li  cers  avant,  Renars  après. 

Qu'il  vindrcnt  d'une  vile  près 


1047  S.  que  ce     1051   lui     lO'J.")  este     1057  J.  a  la  cort  o.     1058 

oit     1071  R.  près 

24* 


372  X  (Méon   19031  —  19066) 

Chanpestre.  Renars  s'adreca 
Envers  la  vile  et  dist   par  ca 

1075    Nos  en  iron,  se  dex  me  voie, 
Que  ce  est  la  plus  corte  voie.' 
Brichemer  n'i  entent  nul  mal. 
Vers  la  vile  par  mi  un  val 
S'en  vont  le  droit  chemin  tôt  plein. 

1080    Atant  estes  vos  un  vilein 

Qui  avoit  avoc  lui  trois  chens. 
'Ici  ne  voi  ge  nus  des  miens' 
Fet  Renars,    cist  nos  ont  veii.' 
Li  vileins  ques  ot  perceû, 

1085    Lor  hue  ses  chens  meintenant. 
ïuit  troi  s'en  vont  en  un  tenant 
Vers  Brichemer  et  si  l'ont  pris. 
Et  Renart  s'est  au  foïr  mis. 
Vers  son  castel  en  vet  le  trot 

1090    Au  plus  durement  que  il  pot  : 

Dedeus  se  mist  et  ses  pons  drece. 
Et  Brichemer  fu  en  destresce: 
Car  li  chen,  si  con  nos  lison, 
Li  dépècent  son  ganboisson. 

1095    Molt  l'atornent  vileinement, 
Et  li  vileins  vint  erraument 
A  tôt  un  baston,  si  le  frape. 
Brichemer  est  en  inale  trape, 
Sa  desfense  n'i  a  raester. 

1100    Li  chen  le  prennent  a  sacher  119 

Molt  durement,  pas  ne  se  fennent, 
Par  un  petit  qu'il  ne  l'estrennent. 
Un  d'els  si  veument  le  conroie 
Que  del  dos  li  trait  tel  coroie 

1105    Dont  en  poïst  fere  un  braier. 
En  Brichemer  n'ot  qu'esmaier: 
A  molt  grant  peine  lor  estort, 
Ja  n'en  quida  partir  sanz  mort. 


1074  dit  1076  Qui  1078  Uerrs  1088  pris  1090  quil  1094  dé- 
pecèrent 1095  latornerent  1099  dezfense  1101  dorement  1102  Por 
1103  Li  {'lien  .si     1104  Que  niaïKiue     treent     1105  que  esmaier 


X  (Méon   19067  —  19102)  373 

Fuiant  s'en  vet  a  grant  aleine, 
1110    N'ira  mes  o  els  de  semeine. 

Fuiant  s'en  vait  et  molt  s'esmaie, 

Que  molt  li  doit  et  quit  sa  plaie. 
Or  s'en  vait  Brichemer  a  cort. 

Sor  un  cheval  qui  molt  tost  cort 
1115    S'en  vet  fuiant  par  un  essart, 

Durement  se  pleint  de  Renart. 

Ne  fine  de  core  a  esles 

Tant  qu'il  est  venus  au  pales 

Ou  li  rois  Nobles  sa  cort  tint. 
1120    One  ne  fina  jusqu'il  i  vint: 

Meintenant  descent  en  la  place. 

Quant  li  baron  virent  la  trace 

Qui  el  dos  Brichemer  estoit, 

Demandent  conment  li  estoit. 
1125    Mes  onques  un  mot  ne  respont 

Tant  qu'il  fu  en  la  sale  amont 

Ou  asemble  fu  li  barne. 

Devant  le  roi  chaï  pâme. 

'Sire'  fait  il,   merci  vos  quier, 
1130    Bien  sai  que  n'aurai  mes  mester. 

Vostre  messaje  ai  bien  forni, 

Mes  einsi  m'a  Renars  bailli. 

Bien  quit  qu'il  m'a  mis  a  la  mort, 

N'en  puis  avoir  autre  confort. 
1135    Sire'  dist  Brichemer  au  roi, 

Por  amor  deu  entendes  moi! 

Vos  m'envoiastes  conme  saje 

A  Renart  fornir  le  message. 

S'en  ai  maie  mérite  eiie, 
1140    Que  tant  i  ai  la  pel  batue 

Que  je  n'en  escaperai  ja." 

Li  rois  Brichemer  regarda: 

Si  le  voit  sanglant  et  navre, 

Et  voit  meint  quarrel  enpene 


1111    semaie     1112  1  doit     1114  que     1118  que  il  pelez     1120  ni 
f.  iusque  il      1123  Que     1124  con  il  i  esteit     1141   escapera 


374  X  (Méon   19103—19138) 

1145    Dedens  l'escu  que  il  apovte. 
Dont  durement  se  desconforte. 
'Brichemer'  dist  li  rois,  'amis, 
En  grant  dolor  a  mon  cuer  mis 
Celui  qui  si  t'a  damache. 

llôO    Mes  tu  en  seras  bien  venche, 
Ge  le  vos  acraant  ensi.' 
Dist  Brichemer  'vostre  merci.' 
Puis  furent  einsi  longement 
Que  il  n'en  fu  au  roi  nient 

1155    De  Renart  fere  a  cort  venir. 
Bien  le  quidoit  aillors  tenir, 
Por  ce  si  l'ont  einsi  laissie. 
Mes  molt  fu  vers  Renart  irie 
Li  rois  tant  qu'il  avint  un  jor 

1160    Qu'il  se  seoit  dedenz  sa  tor, 
Si  li  prist  une  maladie, 
Dont  il  quida  perdre  la  vie 
(Et  fu  a  une  seint  Johan) 
Qui  li  tint  près  de  demi  an. 

1165    Partot  a  fet  mires  mander 

(N'en  remest  nus  jusqu'à  la  mer) 
Por  alegier  le  de  son  mal. 
Tant  en  vint  d'amont  et  d'aval 
Que  je  n'en  sai  dire  le  conte. 

1170    II  i  vint  meint  roi  et  meint  conte 
De  tex  que  je  ne  sai  noraer 
Por  son  mal  âge  regarder. 
Trestuit  i  vindrent  sans  desroi 
Par  le  conmandement  lo  roi. 

1175    Onques  n'en  i  sot  nus  venir 
Qui  del  mal  le  poïst  garir. 
Grinbort  li  tesson  qui  la  fu, 
S'est  de  Renart  aperceii 
Son  cosin  qui  molt  saje  estoit, 

1180    S'au  roi  acorder  se  pooit 


1145  quil      1147  dit  1148  cors      1152  Dit      ll54  nieent      1157 
nuDHjue     11(J8  en  i  u.     1175  nusj.I.     1177  que 


X  (Méon  19139-19174)  375 

Il  en  auroit  au  cuer  grant  joie. 

Meintenant  se  mist  a  la  voie, 

Por  lui  quorre  ne  finera 

Jusqu'à  tant  que  trove  l'aura. 
1185         Tant  vait  Grimbert  la  matinée 

Qu'ancois  que  none  fust  sonee, 

S'en  est  venus  par  une  adrece 

Trestot  droit  a  la  forterece. 

Renart  son  bon  cosin  germein 
1190    Se  fu  le  jor  levé  bien  mein 

Et  se  fu  as  murs  apoies, 

Vit  Grinbert,  si  en  fu  molt  lies. 

Tantost  sans  autre  cose  fere 

Conmanda  la  bare  en  sus  trere 
1195    Por  son  cosin  fere  venir. 

Meintenant  ont  fet  son  plesir 

Gels  a  qui  il  l'ot  conmande. 

Es  vos  Grinbert  en  la  ferte 

Tôt  bêlement  pas  avant  autre. 
1200    Son  cosin  salue  et  meint  autre 

Qui  estoient  avocques  li. 

Renart  forment  le  conjoï 

Et  molt  li  a  fête  grant  joie. 

Dit  Grinbert  'grant  talent  avoie 
1205    De  parler  a  vos  une  fois. 

Li  rois  Nobles  est  si  destrois 

D'un  mal  qui  par  le  cors  le  tient, 

Dont  chascun  jor  sospire  et  gient. 

Morir  en  quide,  ce  saches, 
1210    Et  il  est  molt  vers  vos  iries. 

Se  le  poioiez  repasser, 

S'amor  auries  sanz  fauser. 

Et  ge  ving  ca  tôt  coiement, 

Qu'onques  ne  fu  veii  de  gent, 
1215    Ne  onques  nus  hom  n'en  sot  mot.' 

Et  Renart  respont  a  cest  mot 


1184  laure  1187  une  drece  1188  fortrecc  1198  frète  1201  lui 
1204  t.  en  a.  1208  sozpire  1210  vos]  lui  1212  sanz  manque  taxer 
1214   Quenques     1215  hom  manque 


376  X  (Méon  19175—19214) 

'Beax  doz  cosins.  se  dex  vos  gart. 
Or  me  dites'  ce  dit  Renart, 
'Por  qu'est  li  rois  vers  moi  irie. 

12-20    Ont  m'i  li  baron  enpirie? 
Dites  qui  m'a  mesle  vers  li.' 
'Vostre  conpere,  ce  vos  di' 
Fet  Grinbert,  'vos  i  a  mesle. 
Si  vos  a  Roonel  blâme 

l'2-25    Et  Brichemer  qui  el  messaje 
Furent  envoie  conme  saje. 
Et  vos  en  ovrastes  molt  mal, 
Quant  Roonel  dedenz  le  val 
Feïstes  en  la  vigne  prendre 

1230   (Molt  par  en  faites  a  reprendre) 
Et  Brichemer  feïs  abatre, 
Ne  sai  a  trois  chens  ou  a  quatre 
Qui  li  ont  escorcie  le  dos, 
Si  forment  qu'en  perent  li  os.' 

1235    Renart  ot  parler  son  cosin. 

Dites  vos'  fait  il,  'Ysengrin  120 

M'a  melle  a  la  cort  lo  roi 
Par  son  engin,  par  son  desroi? 
Mar  le  pensa  li  renoiez. 

1240    Alez  vos  ent,  trop  delaiez! 
Et  g'irai  a  cort  le  matin. 
Si  m'escuserai  d' Ysengrin. 
Devant  lo  roi  irai  demein, 
Foi  que  doi  deu  et  seint  Germein.' 

1245         Grinbert  s'en  vait,  ne  vout  plus  dire. 
Renart  reraest  qui  fu  sanz  ire 
De  ceuls  qui  si  sont  bien  paies 
Del  messaje  ou  envolez 
Les  ot  li  rois  o  toz  ses  briez. 

1250    Mes  qui  soit  bel  ne  qui  soit  griez, 
Il  s'en  escondira  s'il  puet. 
Tantost  après  Grinbert  s'esmuet 


1221  lui  1227  ourastc   1234  que  en   1242  inescusera  .y.  1246 
que  1251  pot  1252  sesmot 


X   (Mcdii  l!)21ô  — 19252) 

Fors  de  la  cort.  Mes  aricois  mande 
Sa  maiiiie,  si  lor  conmande 

1255    Qu'il  gardent  soa  castol  très  bien, 
Que  ja  home  por  nule  rien 
Ne  laissent  ens  mètre  le  pie. 
Que  il  ne  soient  espie 
D'auqun   home,  ce  seroit  max. 

1260    'Sire'  ce  dist  li  seneschax, 
'De  ce  ne  vos  estuet  doter, 
Que  ja  home  ne  feme  entrer 
•  Wi  laisseron  por  nule  cose.' 
Meintenant  ont  la  porte  close, 

1265    Et  s'en  montèrent  en  la  tor. 
Et  Renart  s'en  vet  sanz  demor 
Parmi  la  lande  esporonant. 
Durement  vet  deu  reclamant 
Que  tel  cose  par  sa  pitié 

1270    Li  doint  dont  li  rois  ait  santé. 
Einsi  vet  Renart  son  cemin, 
Molt  prie  deu  et  seint  Martin 
Que  il  tel  cose  li  envoit 
Dont  li  rois  Nobles  garis  soit. 

1275    Que  molt  en  a  grant  desirrer, 
Tote  jor  prent  a  chevaucier, 
Q'unques  ne  pot  cose  trover 
En  qoi  il  se  poïst  fier. 
Tant  a  erre  qu'en  un  pre  entre, 

1280    Molt  durement  li  deut  le  ventre. 
Dont  Renars  forment  se  dehete 
Por  la  jornee  qu'il  ot  fête. 
La  nuit  jut  en  la  praerie 
Tant  que  l'aube  fu  esclaircie. 

1285    Quant  le  jor  parut,  si  se  levé. 

Et  bien  sachoiz  que  molt  li  grieve 
Ice  que  il  ne  puet  trover 
Chose  qu'o  lui  poiist  porter 


1253  ainco  m.  1254  li  demande  1259  liomo  1260  dit  1267 
esporanant  1273  onuoist  1276  ior  manqua  1280  doifmeut  1282  le  i, 
1286  griue     1287  pot 


378  X  (Méon   19253—19288; 

Por  doner  au  roi  garison  : 

1290    Le  jor  en  fist  meinte  oreison. 
Tant  erra  Renart  cel  matin 
Que  il  a  trove  un  gardin 
Ou  il  ot  erbes  de  maneres 
Qui  sont  pressioses  ot  chères 

1295    Et  bones  sont  por  mal  saner. 
Celé  part  vout  Renars  torner, 
La  resne  abandone  au  cheval. 
Parmi  la  costere  d'un  val 
Est  entres  dedenz  le  vergier. 

1300    Son  cheval  corut  atacher 
A  un  arbre  parmi  le  frein, 
liée  pest  de  Terbe  et  del  fein, 
Et  Renart  conmenca  a  querre 
Par  le  verger,  et  tret  de  terre 

1305    Herbes  de  maneres  asez  : 
Que  il  les  cunut  meus  ases 
Que  je  dire  ne  vos  sauroie. 
Plus  en  queut  de  pleine  galoie. 
Quant  aaez  en  ot  arachees, 

1310    Si  les  a  un  petit  molliees 
En  une  fonteine  qui  cort 
Par  le  verger  et  par  la  cort. 
Iloques  les  a  fet  molt  notes. 
Si  les  bat  entre  deus  tulletos. 

1315    Puis  en  enpli  un  barillet 
Qui  asez  estoit  petitet. 
A  son  cheval  est  repairie, 
Si  l'a  a  son  arcon  lie 
Molt  très  bien  et  molt  fermement. 

1320    Puis  monte  que  plus  n'i  atent. 
Del  verger  issi,  si  s'en  vet, 
Molt  envoissie  grant  joie  fet. 
Renars  s'en  vait  a  esperon, 
(Molt  a  en  lui  noble  baron) 


1290  meint  horeison      1304    a   mcDt'/itc     1309    araclez       1310    lez 
moUiez      1314    lez  rat      tilletes 


X  (Méon  19289—19324)  379 

1325    Entres  s'en  est  en  une  lande. 

Voie  ne  senter  ne  demande: 

Car  il  les  savoit  molt  très  bien, 

Ne  l'en  estuet  aprendre  rien. 

De  la  lande  en  une  forest 
IS'jO    Entra  qui  asez  meus  li  plest. 

En  la  forest  desoz  un  pin 

Trova  dormant  un  pèlerin. 

Cil  pèlerins  qui  la  dormoit. 

Une  riche  aumonere  avoit 
133      Qui  eit  laciee  a  sa  corroie. 

Renars  descent  enmi  la  voie 

Molt  tost  de  la  mule  afeutree,  * 

Si  li  a  l'aumonere  ostec 

Si  c'unques  ne  s'en  aperçut. 
1340    Renart  qui  le  sieqle  descut, 

L'ovri,  si  a  trove  dedenz 

Une  herbe  qui  ert  bone  as  dens. 

Et  herbes  i  trova  ases 

Dont  li  rois  sera  repassez. 
1345    Aliboron  i  a  trove 

Que  plusors  genz  ont  esprove, 

Qui  est  bone  por  escaufer 

Et  por  fevres  de  cors  oster. 

Et  puis  a  garde  d'autre  part  : 
1350    Une  esclavine  vit  Renart 

Que  cil  avoit  desoz  son  chef. 

Il  la  prent,  qui  qu'il  en  soit  grief, 

Si  l'afubla  sanz  arester 

Et  vet  sor  son  cheval  monter 
1355    Et  se  remet  a  l'anbleiire 

Par  la  forest  grant  aleiire. 

Tant  a  a  l'aler  entendu 

Qu'il  est  au  perron  descendu. 
Quant  Renart  fu  venu  a  cort, 
1360    Tôt  li  monde  antor  lui  acort. 


1329  la  manque  1330  que  1331  desus  1334  aumône  1339  ne 
San  perçut  1345  Alibarons  iloc  t.  1346  plushors  1347  por  rescaufer 
1352  que     1354  uot     1360  1.  cort 


380  X  (Méon  19325—19360) 

Ainz  n'i  ot  beste  si  reposte 

Qui  ne  venist  jusqu'à  la  porte, 

Trestuit  por  dan  Renart  gaber. 

N'i  a  nul  qui  ne  l'aut  lober, 
1365    Tex  i  a  qui  li  getent  boe. 

Et  Renart  lor  a  fet  la  moe, 

Et  puis  en  monta  en  la  sale. 

Li  rois  out  le  vis  teint  et  pale. 

Quant  il  l'ot,  si  torne  le  chef. 
1370    Mais  molt  li  torna  a  meschef 

Ce  que  laienrz  le  vit  entrer. 

Et  Renart  qui  bien  sont  parler        129 

Le  salue  cortoissement 

Celui  damledieu,  qui  ne  ment, 
1375    Qui  fist  trestot  canque  mer  sere, 

Si  gart  le  mellor  roi  de  terre! 

Ce  est  missire  li  lions, 

A  tesmoign  do  toz  ses  barons, 

Cil  qui  sunt  tenu  a  prodome. 
1380    Sire,  je  sui  venu  de  Rome 

Et  de  Salerne  et  d'otre  mer 

Por  vostre  garisson  trover.' 
Li  rois  respont  sanz  atendue 

'Renart,  molt  savez  de  treslue. 
13S.'>    Or  ca  que  mal  soiez  venuz. 

Fil  a  putain,  nain  descreijz! 

Par  mon  chief  or  estes  vos  pris. 

Ou  avez  tel  hardement  pris 

Que  devant  moi  venir  osez  ? 
13iJ0    Ja  ne  soie  mes  alosez, 

Quant  je  vos  tieng  dedanz  ma  lice, 

Se  je.  ne  faz  de  vos  justice 

Tel  con  ma  cort  esgardera.'. 

'Avoi,  sire:  ce  que  sera?' 
1395    Fait  Renart   gardez  que  vos  dites. 

Seront  ce  donques  les  mérites 

1365  gacent      1369   Y  manque      1379  qui  fa      1383  R.  uos  s.  molt 
de  bole     1885—1406  manquent 


X  (Méon  19861  —  19409)  381 

Que  je  aurai  de  mon  servi-e 

Que  je  vos  ai  la  poison  quise 

Qui  bone  est  contre  vostre  mal? 
1400    Par  deu  le  père  esperital, 

Ele  m'a  fait  molt  de  mal  traire, 

Et  or  me  volez  ja  deffaire. 

Si  ne  savez  encor  por  coi. 

Por  dieu,  sire,  entendez  moi, 
1405    Refréniez  un  petit  vostre  ire  : 

Si  orrez  ce  que  je  voil  dire. 

Sire'  dist  Renart,   ce  sachez 

Que  molt  sui  por  vos  damachez. 

Tant  ai  aie  par  la  contrée 
1410    Qui  asez  est  et  grant  et  leo. 

Car  je  ai  este  en  Aidane, 

En  Lonbardie  et  en  Toscane. 

Puis  que  soi  vostre  enfermete 

Ne  jui  e!i  castel  n'en  cite 
1415    Pins  d'une  nuit,  ce  sachoiz  bien. 

N'a  delà  mer  f'usicien, 

Ne  en  Salerne  ne  aillors 

Ou  n'aie  este  molt  trauellos. 

En  Salerne  en  trovai  un  saje 
14-20    A  qui  je  dis  vostre  message: 

Cil  vos  envoie  garisou.' 

'Di  me  tu  voir'  dist  li  lion, 

'Que  de  cest  mal  me  gariras? 

Ne  sai  se  fere  le  porras.' 
1425    'Oïl,  sire,  foi  que  vos  doi, 

Ja  mar  en  serois  en  esfroi. 

Que  je  vos  quit  tôt  respasser,' 

Lors  se  conmence  a  desfubler. 

S'a  s'esclavine  mise  jus 
1430    Et  son  barillet  mis  desus. 

Atant  estez  vos  Roonel: 

Quant  il  le  voit,  molt  li  fu  bel, 

Qui  par  la  gole  fu  lacie 

1416  fucisifMi       1417   Ni      141S   nai      trauellies      1428    trespasser 
1433  Que 


382  X  (Méon   19410—19445] 

La  OU  Renars  l'ot  engignie 

1430    Et  il  fu  pendu  par  le  col: 

Encor  l'en  tient  Renart  por  fol. 
Danz  rois'  ce  a  dit  li  gainnon, 
Or  entendes  a  ma  raison: 
Créez  vos  donc  cest  pautoner? 

1440    II  dist  qu'il  fu  a  Monpeller 
Et  en  Salerne,  si  s'en  vante: 
Il  ne  passa  onques  Maante. 
Or  dist  qu'est  mires  devenuz: 
Pieca  qu'il  dut  estre  penduz. 

1445    Faites  rue  droit  del  grant  otrage 
Qu'il  me  fist  en  vostre  messaje. 
En  une  vigne  me  fist  pendre: 
Bien  en  devez  venjance  prendre. 
Molt  me  fist  mal  sa  conpaignie, 

1450    II  a  vers  vos  sa  foi  mentie. 
Ge  l'en  apel  de  traïson. 
Ves  en  ci  mon  gage  a  bandon.' 

'Sire  rois'  dist  Renart,  'oez  ! 
Cist  mastins  est  du  senz  deuez, 

1455    II  redote  ou  a  trop  boii, 

Ou  il  est  hors  del  sen  issu. 
Trois  mois  a  bien,  ce  vos  plevis, 
Que  je  ne  fui  en  cest  païs. 
Se  Roonax  fu  en  meson, 

1460    Ce  veil  lécheras  de  gaingnon: 
Ma  feme  est  molt  bêle  mescine 
Et  si  a  non  dame  Ermeline: 
Se  il  li  quist  honte  et  folie 
Et  ele  sout  tant  de  voisdie 

1465    Qu'el  se  venja  del  pautoner. 
Ce  ne  fet  pas  a  merveller.' 

Lors  se  leva  Tybers  li  chaz 
Que  Renart  fist  ja  prendre  au  laz. 
'Va  ta  voie'  ce  dist  Tibert: 


1437  dist      1441   se  u.      1443  que  m.  est  d.      1450  uer  uos     1455 
ou  il  a     1459  en  ]  u     1462  dame     14fi5  sen  u. 


X  (Méon  19446— 19507J  383 

1470    'Dahez  ait  home  qui  désert! 

Trop  par  as  dit  grant  estotie, 

Quant  apelaz  de  foi  mentie 

Si  haut  baron  con  est  Renart. 

Je  te  tieng  a  trop  fol  musait. 
147.')    C'au  jor  que  tu  fus  atrapez 

De  ce  dont  tu  t'es  ci  clamez, 

Paissai  ge  devant  le  plascie 

Dont  dant  Renart  s'ert  lierbergie: 

Hoc  trovai  dame  Hermeline 
1480    Qui  molt  par  est  de  franche  oiine, 

Je  demandai,  ou  ert  Renart, 

Et  el  me  dit  tôt  par  esgart 

Qu'il  estoit  eu  Saleine  alez 

0  tôt  cent  libres  moneez 
1485    Por  acater  de  la  poison 

De  coi  dan  JNobles  le  lion 

Poùst  encor  avoir  santé. 

Por  vos  a  molt  son  cors  pêne.' 
'Siie'  dist  Renars,   il  dit  voir. 
149U    Or  poes  bien  de  fi  savoir, 

Je  he  Tybeit  le  chat  de  mort: 

S'il  i  soiist  auques  de  toit, 

Certes  il  ne  le  celast  mie, 

Einz  me  menast  tost  a  la  lie. 
1495    Mais  prodom  est  et  véritable, 

Et  sa  parole  est  bien  creable.' 

'Ce  est'  ce  dit  Nobles    bien  fet. 

Tybert,  laissiez  ester  lo  plait! 

E  vos,  Renart,  pensez  de  moi, 
lôOO    Si  en  pernes  hastif  conroi! 

Je  ai  un  mal  dont  ne  voi  gote. 

Ne  ne  quit  veoir  pantecoste. 

Je  ne  vos  puis  la  moitié  dire 

De  la  dolor  qui  me  fet  frire.' 
15UÔ    Ce  dit  Renart  'garis  seres 


1474  tro  f.      1478  Don      1484  .c.  lib'  moaez      1490  fin      1494  tôt 
1497  noblez     1498  feisaiez     1502  uoir  le 


384  X  (Môon   19508—19571) 

Ainz  que  troi  jors  soient  passes. 

Aportes  moi   un  orinal 

Et  si  verrai  dedenz  le  mal.' 
Li  orinax  tu  aportez. 
1510    Nobles  s'est  jus  du  lit  versez, 

Si  l'a  pissie  plus  que  demi. 

Ce  dist  Renaît  'bien  est  issi.' 

Adonques  l'a  levé  en  haut. 

Ce  dit  Renars,  'se  dex  me  saut, 
1515    Encor  i  est  la  fevre  ague  : 

J'ai  la  poisson  qui  bien  la  tue. 

Sire  Nobles'  ce  dist  Renart, 

'Or  i  estuet  molt  grant  esgart, 

Yoles  vos  de  cest  mal  garir.' 
15J()    Ce  dit  Nobles  'molt  le  désir.' 

'Or  me  fêtes  ces  huis  fermer 

Et  si  me  faiti's  aporter 

ïot  ce  que  vos  denuinderai. 

Cest  mal  del  cors   vos  esterai, 
1525    S'en   saudra  la  fevre  carteue 

Qui  si  vos  fait  puïr  Talcine.' 

Ce  dist  Nobles    molt  volenters. 

Tti  auras  quanque  t'est  mesters.' 

Sire'  fait  il,  'pernes  en  cure: 
1530    La  pel  del  lou  a  tôt  la  hure;  122 

M'estuet  avoir  prcmeiement. 

-la  verront  tuit  vostie  parent 

Conbien  je  sai  d'astronomie. 

Ja  vos  crt  sauvée  la  vie.' 
1585         Dont  ot  Ysengrin  grant  poor. 

11  a  a  deu  crie  amor  : 

Que  il  n'i  a  plus  lous  que  lui. 

Renart  s'en  venchera  ancui. 

Nobles  sousleve  les  gernons, 
15  JO    Si  regarde  toz  ses  barons. 

Le  leu  regarde  toz  pensis, 


1507  liui-iiiiil  1510  ses  ius  fois  u.  151(1  que  1518regart  1524  ustera 
1526  puire  1528  qnqe  test  1530  a  ]o  1533  destronomie  15S6  un  des  deux 
a  mangue  IbSl  q.  len    1538  anoui  ]  de  lui     1540  Si  a  garde     1541  pensif 


X  (Méon   19572— 19fil5)  385 

Si  li  a  dit    bau  clous  amis, 

Vos  me  poes  avoir  mester 

De  cest  grant  mal  asoagier.' 
1545    Ce  dist  Renart    vos  dites  voir. 

Il  vos  puet  bien  mester  avoir. 

Il  vos  puet  bien  prester  sa  pel: 

Car  ore  entre  le  tens  novel 

Que  sa  pel  ert  tost  revenue, 
1Ô50    N'aura  pas  froit  a  la  car  nue,' 

Dist  Ysengrins  'sire,  ne  faites! 

Voles  vos  donc  honir  vos  bestes? 

Cest  plet  ne  m'est  mie  léger 

De  ma  peiice  despoiller.' 
1555    'Par  les  euz  be'  ce  dist  ii  rois, 

'Ore  est  Ysengrin  trop  cortois, 

Qui  ma  parole  a  contredite. 

Il  en  aura  ja  sa  mérite. 

Pernez  le  tost  mes  euz  voiant, 
lOlK)    Si  li  despoillies  meintenant!' 

Dont  le  pristrent  de  totes  pars 

Et  par  les  pies  et  par  les  bras, 

La  pel  li  traient  hors  del  dos. 

Or  est  li  laz  a  mal  repos, 
1565    De  la  sale  s'en  ist  le  trot, 

Il  a  bien  paie  son  escot. 

Dist  Renart  'sire,  s'il  te  plet. 

Molt  tost  soit  ton  jugement  fet. 

Il  t'estuet  de  la  corne  au  cerf 
1570    Del  lonc  prendre  le  mestre  nerf 

Qui  soit  un  pou  retrait  arere. 

(En  l'orine  vi  la  manere 

La  médecine  dont  garras: 

Porchace  toi,  mester  en  as) 
1575    Et  une  coroie  del  dos. 

Se  tu  l'as  ceinte,  en  grant  repos 

En  seras  mis,  n'en  aies  dote. 

1544  asaagier    1546  pot    1547  pot  1550  Mit'  sot  R.  de  la  tri'slue 

1552  h.  uoletes     1556  tro  c.     1557  p.  ma  1561  piistren  de  tote  p.     1567 
Dit     1569  testot     1570  De  1. 

RKXART      I  25 


386  X  (Méon    19616—19651) 

Soz  ciel  n'a  ne  fevre  ne  goto 
Qui  James  vos  feïst  nul  mal, 

1580    Je  l'ai  veii  en  l'orinnal.' 

Ce  puet  bien  estre'  dit  li  rois. 
Briehemer  vit  seoir  au  dois, 
Nobles  l'iichena  a  sa  poe. 
Que  il  ne  pot  movoir  la  joe. 

1585    Tar  le  conmandement  lo  roi 
Fu  li  cers  mis  en  grant  desroi. 
Il  l'abatirent  tôt  envers, 
La  coroie  ont  pris  de  travers, 
Si  l'ont  trencie  a  un  cotel, 

1590    Bien  fu  escrisie  la  pel. 

Et  les  deus  cornes  li  brisèrent, 
Hois  de  la  sale  le  chascerent. 
Cist  ont  bien  lor  escot  paie, 
James  en  foire  n'en  marcie 

1595    ïolliu  paiage  ne  dorront, 
Par  trestot  quitement  iront. 

'ïybert'  ce  dit  Renart,   ca  vien 
Tu  me  lairas  auques  du  tien: 
De  ta  pel  seras  despoilliez 

1600    Ou  mes  sires  metra  ses  piez.' 
Et  Tybert  conmenca  a  groindre. 
Mais  n'ert  mie  tens  de  respondre 
Ne  de  teucier  voiant  la  gent. 
Car  il  n'i  avoit  nul  parent. 

1605    II  sailli  sus,  si  s'afaita, 

Sanz  congie  de  la  cort  torna. 
L'uis  ert  ferme,  mais  il  s'en  saut 
Par  un  pertuis  qui  ert  en  haut 
S'en  vait  Tybert  toz  eslaissiez, 

1610    Si  se  fori  en  un  plessiez. 

Ce  dit  Renart  cestui  s'en  va. 
Maldehez  ait  qui  m'engendra, 
Se  je  le  puis  as  moins  tenir 


1578  le  premier  ne  manque  1581  pot  1586  ilesroi  1588  de 
rauers  1592  len  ch.  1594  ni  en  1597  .Y.  ce  1600  sez  1602  ner  m. 
cens     1605  safoita     1607  sen  manque 


X  (Méon   19652—196871  387 

Se  ne  li  fas  mou  jii  puïr.' 
1615         Renaît  regarde  entor  lui, 

Vit  les  barons  qui  gi-ant  anui 

Avoient  de  ce  qu'il  faisoit, 

Chascun  de  soi  poor  avoit. 

Renars  apele  Roonel, 
1620     Fil  a  putein'  fait  il,  'mesel. 

Faites  me  ci  molt  tost  un  fou, 

Si  me  pernez  la  pel  du  lou. 

Si  la  laves,  si  l'essuies 

Et  devant  moi  l'aparelliez!' 
1625     Volentiers,  sire,  s'il  vos  plaist. 

Canque  vos  voudioiz  sera  fet.' 

'Et  vos,  dan  Grimbert  le  tessons, 

Venes  tost  ci  agenellons! 

Et  vos,  Belin,  venes  a  moi!' 
1680    Cil  acorent  par  grant  desroi. 

Alez  en  tost  por  mon  segnor. 

(Dex  vos  otroit  grant  desonor) 

Fêtes  molt  tost  sans  demorer, 

Aies  mon  segnor  a  porter.' 
1635    Cil  li  aportent  vistement. 

Renars  a  pris  un  oignement. 

Sire'  dist  il,  je  vos  garrai 

Et  ceste  fevre  vos  tondrai  : 

Or  vos  covient  un  pou  soufrir.' 
1610    Ce  dist  Nobles    molt  le  désir 

Que  fusse  de  cest  mal  haitiez, 

Car  molt  en  sui  afebloies.' 

Renars  le  fist  cocher  adenz. 

Puis  li  a  mis  el  nés  dedenz 
1645    Aliboron  que  il  avoit, 

Qui  si  fort  oignement  estoit. 

Si  le  prist  si  a  escaufer 

Et  il  conmenca  a  enfler. 

A  démener  se  conmenca 


1616  que     1623  la  suies     1625  si  uos     1628  ci  tost     1638  toudroi 
1639    manque       1643    as    denz       1645    Alibaion        1646    oigment       164s 

conmenee     1649  le 

25» 


388  X  (Méon   19688—19727) 

1650    Del  cul  un  gros  pet  li  vola, 
Il  esternue  et  se  demeine. 
Molt  estoit  li  rois  en  grant  peine, 
Enfles  fu,  mes  il  esternue, 
Et  la  pel  du  dos  li  tressue. 

1655    Ce  dit  Nobles   molt  sui  enfles.' 
p]t  Renart  dist   ne  vos  tames! 
Garris  estes,  n'i  aves  garde.' 
Et  cil  de  poire  ne  se  tarde, 
Car  la  poison  le  detreinnoit 

1660    Et  les  boiax  li  escaufoit. 
Renart  l'estendi  les  le  feu, 
Puis  si  a  pris  la  pel  du  leu, 
Dedenz  a  chocie  le  lion, 
Puis  si  a  prise  une  poisson 

1065  Qu'il  avoit  enblee  au  paumer, 
A  son  segnor  en  fist  manger. 
Tantost  con  il  en  out  goste,  123 

Ne  senti  mal  n'enfermete. 
Ce  dit  Nobles  je  sui  garîs, 

1670    Je  vos  en  rent  cinc  cent  mercis 
E  si  vos  saisi  de  ma  terre: 
Qui  vos  uoudroiz  si  aura  guerre, 
Car  en  aïde  vos  serai, 
E  deus  bons  castax  vos  donrai. 

1675    Toz  sui  garis,  nul  mal  ne  sent. 
Vos  en  aurois  riche  présent.' 
'Dex'  dist  Renart,    en  ait  b^s  grès 
Quant  par  moi  estez  repassez! 
Sire  rois,  or  m'en  voil  aler 

1680    Por  Ermeline  conforter: 

Je  ne  la  vi  deus  mois  a  ja. 
S'ele  me  voit,  grant  joie  aura. 
Je  li  dirai  de  vos  noveles 
Qui  li  seront  bones  et  bêles. 

1685    Sire,  Brlchemer  si  me  h  et. 


1651  esternie    1653  sesternie    1656  dit     1659  le  p.    1672  Quant  u. 
1674  donra     1677  dit     1680  emeline     1681  ia  a 


X  (Méon  19728—19768)  389 

Si  ne  li  ai  nient  raesfet, 

Et  Ysengrin  vostre  provost. 

Saches  qu'il  ont  vers  moi  grant  tort. 

Se  il  me  pooient  tenir, 
1690    A  duel  me  feroient  fenir. 

Sire,  bon  conduit  me  bailliez 

Que  je  n'i  soie  damaches.' 

Ce  dist  Nobles,  'molt  volentiers.' 

Donc  fist  monter  cent  chevaliers, 
1695    Tant  chevaucent  a  grant  vertu 

C'a  Terouane  sont  venu 

Grant  pièce  avant  midi  pase. 

Mais  lor  chevaus  sont  molt  lase. 
Li  cent  sont  retorne  arere. 
1700    Et  Renars  entre  en  sa  tesnere 

Yenches  s'est  de  ses  enemis. 

Lors  sojorna,  ce  m'est  avis. 

En  son  castel  une  grant  pose, 

Que  asoiir  issir  n'en  ose. 


1686  n.  forfet     1688  que  il     1694  Adonc     monter  manque     c.  ch'es 
1696  tereuane     1700  tarere 


XI  (Méon  24345—24368 


XI 


Ce  fu  en  la  douce  saison      '     123  b 
Que  eler  chantent  li  osellon 
Por  le  tans  qui  ert  nés  et  purs, 
Que  Renart  ert  dedens  les  murs 
5    De  Malpertuis  son  fort  manoir. 

Mais  raolt  out  son  cuer  tristre  et  noir 
Por  sa  viande  qui  li  lasche. 
Durement  s'estent  et  sosface, 
De  fein  li  dolent  li  boiel. 

10    Devant  li  est  venu  Rovel 

8on  fil  qui  de  fain  vait  plorant, 
Et  Hermeline  meintenant 
Qui  molt  estoit  et  simple  et  coie, 
Et  Malebrance  et  Perchehaie 

15    Qui  molt  par  font  cere  dolente. 
N'i  a  celui  ne  se  démente. 
De  lor  mère  sont  molt  dolent 
Qui  ploure  de  fein  tendrement 
Et  molt  par  fist  dolente  chère. 

20    Renart  li  dist    amie  chère, 
Por  qoi  vos  voi  je  si  ateinte? 
'Sire'  fait  el,  'ge  sui  enceinte, 
D'enfant  ai  tôt  le  ventre  plein. 
Mes  certes  je  ai  si  grant  fein  V 


4  ses     6  son  „"t'8tre„,'  cuer  et     7  que     10  lui /H  A  m      16  a  | 
out     c.  que  ne  / 


XI  iMéon  243*59—24407)  391 

25    Que  j'en  quit  perdre  mon  enfant.' 

Renart  l'oï,  molt  fu  dolant 

Et  molt  en  devint  esperdu. 

A  Hermeline  a  respuudu 

'Douce  amie,  sachez  de  voir 
30    Que  je  voil  orendroit  movoir 

Et  aler  la  ou  dex  m'envoit 

Qui  par  tens  viande  m'envoit 

Trestot  ausi  con  je  le  voil, 

Atant  feri  le  pie  au  soil, 
35    Si  s'en  issi  tôt  meintenant. 

Durement  va  deu  reclamant 

Que  il  viande  li  envoit, 

Que  molt  grant  mester  en  avoit. 
Atant  s'en  entre  en  un  plassie. 
40    Tôt  bêlement  le  col  bessie 

Vet  por  savoir  et  por  prover 

Se  viande  porroit  trover. 

Bêlement  s'en  vait  et  le  pas, 

Sovent  coloie  haut  et  bas. 
45    Et  quant  il  out  coloie  tant, 

Si  se  regarde  et  voit  venant 

Mesire  Ysengrin  son  conpero. 

Mes  onques  foi  que  doi  seint  Père, 

Ne  vint  beste  de  tel  air. 
50    'Sire,  bien  puissiez  vos  venir  !' 

Fait  il.  Ysengrins  l'esgarda, 

'Renart'  fait  il,  'ce  que  sera? 

Venes  vos  en  molt  tost  de  ci  : 

Câpres  moi  vienent,  je  vos  di, 
55    Trestoz  les  vileins  d'une  vile. 

Se  il  vos  pernent,  par  seint  Gille, 

Il  vos  liverront  a  essil.' 

'Sire   ce  respont  le  gorpil. 

'Alonz  en  donques  sanz  targer.' 
60    Atant  se  metent  au  frapier 

Entre  Renart  et  Ysengrin, 


40  chef     44  c.  et  h.     59  liuront 


392  XI  (Méon   :i4408— 24443) 

Ne  tindrent  voie  ne  cemin. 
Chascun  molt  durement  se  dote. 
Mais  li  vileins  eu  ont  la  rote 

65    Perdue:  retorne  s'en  sont. 

Et  cil  molt  durement  s'en  vont, 
Car  il  n'ont  talant  d'arester. 
Lors  se  pristrent  a  regarder, 
Mais  les  vileins  ne  virent  pas. 

70    Dit  Ysengrins  je  sui  molt  las, 
Que  bien  sachez  par  seint  Orner 
Que  je  ne  puis  avant  aler. 
Un  petit  reposer  m'estuet.' 
'Einsi  le  fet  qui  meuz  ne  puet' 

75    Fait  Renars,  'et  je  m'en  irai  : 
Que  hui  en  cest  jor  ne  mangai, 
Si  irai  querre  ma  viande.' 
Ysengrins  a  deu  le  conmande 
Qui  molt  fu  laz  et  travellie. 

80    Lors  s'est  soz  un  arbre  cochie. 
Et  Renars  s'en  vet  meintenant. 
Mais  il  n'eut  gaire  aie  avant, 
Ainz  jure  foi  qu'il  doit  seint  Père 
Qu'il  engingnera  son  conpere. 

85    Savoir  vont  con  se  contendra  : 
Desoz  un  arbre  se  muca. 
Et  Ysengrins  si  s'endormi. 
Renars  nel  mist  pas  en  obli, 
Eins  se  porpense  qu'il  fera 

90    Et  conment  il  l'engignera, 
Que  meinte  foiz  li  a  mal  fet. 
Tantost  vers  Ysengrin  se  tret. 
Et  voit  qu'il  dormoit  durement: 
Une  hart  a  fête  erraument 

95    D'un  plancon  de  cesne  menu, 

A  Ysengrin  en  est  venu  124 

Qui  desoz  l'arbre  se  gisoit 


63  66  dorement  65  Perdu  66  sont  73  mestot  74  que  pot 
75  et  manque  83  que  doi  86  Desoz  larbro  si  87  Et  Is.  si  8!)  que  il 
91  meintenant  sa  mal  f.     95  dun  c. 


XI  (Méon  24444—24479 

Cou  cil  qui  nul  mal  u'i  pensoit, 
Eiuz  se  gisoit  trestot  en  pes. 

lœ    Reuars  qui  fu  fel  et  engres 

Et  qui  fu  plein  de  grant  voisdie, 
Ysengrin  par  les  deus  piez  lie 
De  la  hart  au  caisne  si  fort 
Que  se  l'en  le  chascast  a  mort, 

105    Ne  se  poïst  il  remuer. 

Renart  le  voit,  ne  puet  muer 
Qu'il  n'en  rie,  puis  si  s'en  torne. 
Un  poi  hors  de  la  voie  torne 
Por  savoir  conment  avendroit 

110    A  Ysengrin  qui  se  gisoit. 
Tantost  s'est  soz  l'arbre  asis. 
Mais  n'i  a  mie  grantment  sis, 
Quant  iïoques  vint  un  vilein 
Qui  tint  un  baston  en  sa  mein 

115    Qui  ert  grant  et  gros  et  de  hos. 
Quant  l'aperçut  Reuars  li  ros. 
Si  en  out  en  son  cuer  grant  joie. 
Et  li  vilein  ne  se  desvoie, 
Einz  s'en  vet  trestot  le  cemin. 

1-20    Quant  le  vilein  vit  Ysengrin 
Qui  fu  liez  devers  les  piez, 
Tantost  s'est  vers  lui  eslaissiez  : 
Le  baston  hauce  par  air. 
Si  corut  Ysengrin  ferir 

125    Parmi  le  chaannon  del  col. 
Or  se  puet  bien  tenir  por  fol 
Ysengrins,  quant  il  s'endormi  : 
Tôt  meiutenaut  les  eus  ovri. 
Si  a  le  vilein  regarde 

130    Qui  avoit  son  baston  levé 
E  le  vont  ferir  sanz  targer. 
Ysengrins  se  cuide  drecier, 
Au  vilein  voloit  corre  sus, 


393 


104  chastast     105  sen  p.      106  pot     107  si  manque     111  ses  soz 
118  délaie     119  uet  tôt  droit  le     126  pot     133  uout 


394  XI  (Méon  24408-24514) 

Mais  meintenant  recaï  jus 

135    Que  il  ne  pout  soi-  piez  ester. 
Et  li  vileins  le  vet  fraper 
Do  baston  menu  et  sovent, 
A  Ysengrin  vet  malement, 
Mais  nequedont  tant  agaita 

140    Que  le  vilein  soz  soi  saca: 
Tôt  estendu  le  fist  chaïr. 
Ysengrins  le  curut  saisir, 
As  dens  le  hoce.  pinne  et  mort 
Or  a  molt  grant  poor  de  mort 

145    Li  vileinz,  si  a  grant  reson. 
Forment  prie  deu  et  son  non 
Par  son  plaissir  et  par  sa  grâce 
Que  Ysengrins  mal  ne  li  face. 
Isengrin  si  fu  molt  iriez, 

150    Le  vilein  a  soz  li  sachie, 

Durement  le  mort  et  estreint. 
Par  poi  li  cuers  ne  li  esteint. 
Si  oust  il,  bien  le  saches, 
Mes  li  vileins  s'est  efforciez, 

155    Si  a  repris  cuer  et  aleine, 

D' Ysengrin  s'estort  a  grant  peine. 
Molt  fu  malement  atorne, 
Tantost  est  en  fuie  torne. 
Mais  sachoiz.  por  un  marc  d'or  fin 

160    Ne  retornast  vers  Ysengrin. 
Fuiant  s'en  vet  tôt  corocie, 
Car  durement  estoit  blecic. 
Et  quant  Renars  voit  qu'il  s'en  vet. 
Un  petitet  en  sus  se  tret 

165    Qu'il  ne  vont  qu'Ysengrins  le  voie. 
Tantost  se  rest  mis  a  la  voie 
Qui  molt  estoit  et  bêle  et  grant. 
Misire  Renars  vet  chantant 
Une  cancon  tote  novele 


150   manqu 


136  ferir      137    banston      140    soi-  lui  sacai       143    hoce    &    pinne 
anque     151  Duremt     152  le  cuer     estreint     165  que  y.    167  gent 


XI  (Méon  24515— '24555;  395 

170    D'amoretes  qui  molt  est  bêle 

Et  bien  fête,  par  seint  Fermin. 

Chantant  s'en  vet  tôt  le  chemin. 
Quant  Ysengrins  le  voit  venant. 

Si  li  escrie  meintenant 
175    'Kenart,  Renart,  bauz  doz  amis, 

A  poi  que  n'ai  este  maumis. 

Je  me  sui  ci  trove  liez 

D'une  hart  très  parmi  les  pies 

A  cest  chasne  qui  est  brancu, 
180    Et  un  vilein  qui  m'a  batu: 

D'un  baston  m'a  tant  donne  cous 

Que  trestoz  les  os  en  ai  mous. 

A  pou  que  il  ne  m'a  tue. 

Mais  je  le  rai  molt  bien  plume, 
185    Bien  li  ai  les  chevous  sachez, 

(Tôt  de  vérité  le  sachez) 

Par  qoi  je  me  confort  plus  bel.' 

'Par  foi'  dit  Renart,    ce  m'est  bel, 

Mais  de  vos  sui  forment  iriez. 
190    Mes  vos  seres  ja  desliez, 

Que  ge  vos  di,  foi  que  doi  vos 

Qui  estes  mes  conpere  doz. 

Que  meus  amasse  estre  batu 

Que  vos  fussiez  si  eobatu.' 
195    Dist  Ysengrins   bien  vos  en  croi. 

Mes  par  amors  deslies  moi. 

Que  je  vos  en  saurai  bon  gre.' 

Dist  Renart   ce  me  vient  a  gre.' 

Lors  le  cort  deslier  Renart, 
200    Des  piez  li  a  oste  la  hart 

Que  il  n'i  a  demore  plus. 

Et  Ysengrins  est  sailliz  sus 

Qui  molt  en  out  graut  desirrer. 

Si  est  aie  Renart  besier 
205    Et  dit  'Renart,  par  seinte  Foi, 


172  chenin     181   b.  mit  granz  cous  et  lors      182  trestot      188  fai 
194  si     195.  198  Dit     200  hoste     202  est  sailliz  ]  si  sailli     203  Que 


396  XI  (Méon  24556—24592) 

Je  VOS  aim  molt  en  bone  foi. 
Se  je  vos  aim,  je  n'ai  pas  tort, 
Que  vos  m'avez  gari  de  mort. 
Que  mort  fusse,  bien  le  sachez, 

210    Se  ca  ne  fussiez  repairiez. 
Dex  le  fist  por  amor  de  moi. 
Mais  par  la  foi  que  je  vos  doi, 
Orendroites  sans  delaier 
Yendroiz  avoques  moi  manger 

215    Une  cuisse  d'aiguel  novel 
Que  je  laissai  a  mon  ostel. 
Or  en  venez  sans  atarger!' 
Atant  se  metent  el  senter 
Entre  Renart  et  Ysengrin, 

220    Onques  ne  gerpirent  cemin. 
Si  sont  venu  a  la  meson 
Mesire  Ysengrin  le  baron 
Qui  bien  estoit  de  mur  fermée. 
Dame  Hersent  i  ont  trovee 

225    Qui  molt  grant  joie  lor  a  fête. 
Tantost  a  manger  lor  afete 
Tel  viande  con  ele  pot  : 
Aignaux  rostis,  capons  on  pot 
Lor  aparella  a  foisson, 

230    Si  en  mangèrent  li  baron 

Tant  con  il  lor  vint  a  talant. 
Mesire  Renars  ne  fu  lent, 
Ainz  dit  qu'il  s'en  voloit  aler  :  125 

A  dame  Hersent  vait  parler 

235    Por  congie  demander  et  querre, 
Car  aler  s'en  vont  en  sa  terre 
Son  prou  porcascer  et  trover. 
Dist  Ysengrins  'laissies  ester. 
Par  la  foi  que  doi  seint  Grermein, 

240    Ne  vos  movrois  hui  ne  demein.' 
'Ha!  sire'  dit  Renart,    merci! 
Je  ne  puis  plus  demorer  ci. 


213  deloier     229  en  rost     237  et  querre     238  Dit 


XI  (Méon  24593— 24B28)  397 

Car  j'ai  afere  en  autre  leu.' 

'Wen  iroiz  pas'  ce  dit  li  leu 
•24^     Hui  ne  demein,  foi  que  vos  doi.' 

'8ire'  dit  Renart,    par  ma  foi, 

Je  ne  deraorroie  por  rien. 

Mes  de  vérité  sachois  bien 

Que  au  plus  tost  que  je  p orrai 
250    Ci  alues  a  vos  revendrai,' 

Dist  Ysengrins  'dont  en  iroiz, 

Mes  vostre  foi  fiaucerois 

Que  revendroiz  dusqu'a  quart  jor 

Ci  alec  por  fere  sejor, 
255    Que  je  vos  aim  en  boue  foi.' 

Ce  dit  E,enart   ensi  l'otroi.' 

Renars  prent  congie,  si  s'en  part. 

Et  chemine  tôt  un  essart 

Sanz  conpaignie  que  il  ait. 
260    Molt  prie  deu  que  il  l'envoit 

En  tel  leu  ou  viande  truisse 

Que  a  sa  ferae  porter  -puisse 

Que  il  laissa  enceinte  et  grosse. 

Lors  voit  devant  li  une  fosse 
265    Qui  molt  estoit  parfonde  et  grant, 

Einz  ne  fina,  si  vint  devant. 

Desus  la  fosse  s'aresta, 

Lougement  i  fist  sou  esta 

Por-esgarder  que  dedenz  ot. 
270    Et  quant  ases  regarde  ot. 

Si  vit  qu'el  fu  de  ronces  pleine 

Si  durement  que  a  grant  peine 

I  par  oit  il  se  ronces  non. 

Tant  a  regarde  environ, 
275    Si  vit  que  meures  i  ot  tant 

Que  onques  mes  en  son  vivant 

N'en  avoit  tant  veii  ensenble. 

'Par  foi'  fet  Renart  'ce  me  semble. 


que 


259    que    il  i    ait     260    que  il  li  enuoit     264  lui     266  El  ne     271 
el     273  Quil  ni  parut  se 


398  XI  (Méon  24629-24664) 

Ici  se  feroit  bon  logier, 

280    Qui  de  meures  voudroit  manger, 
Molt  s'i  feïst  bon  osteler.' 
Adonc  comenca  a  aler 
Entor  la  fosse  por  savoir 
Se  des  meures  porroit  avoir. 

285    Mais  il  ne  voit  mie  par  ont 
Il  en  puisse  avoir,  si  en  gront 
Por  ce  qu'il  n'i  pot  avenir. 
La  langue  li  prent  a  fer  mi  r 
De  lecerie  et  de  coros. 

290    En  la  fosse  sailli  deboz 

Por  co  qu'il  au  voloit  avoir. 
Sachez  qu'il  ne  fist  pas  savoir  : 
Car  il  ne  s'en  pout  détenir. 
Tôt  aval  le  covint  venir. 

295    0  li  pesast  o  bel  li  fu, 

One  ne  fina  dusqu'as  fonz  fu, 
De  rooler  tôt  contreval 
Bien  sachez  qu'il  out  ases  mal. 
Ancois  qu'il  s'en  poïst  issir 

300    I  a  fait  li  las  meint  sopir, 
Car  le  fosse  estoit  trop  haut. 
Mais  comment  qu'il  viegne  ne  aut, 
A  grant  peine  s'en  est  esters, 
Mais  molt  fu  ainz  dolent  del  cors. 

305         Totevoie  en  est  escape. 
Lors  est  sor  le  fosse  monte 
Con  cil  qui  ait  de  lecherie. 
'Bax  sire  dex   fait  il,  'aïe  ! 
Conment,  n'aura  ge  nule  meure? 

310    Oïl  certes,  que  qu'il  demeure, 
G'en  aurai  a  qui  qu'il  anuit, 
Ainz  i  serai  jusqu'à  la  nuit 
Que  je  n'en  aie':  lors  s'asiet. 
Mais  sachoiz  que  pas  ne  li  siet 


285  nauoit      297  rooiller      299    Ainz     302    que    il     303  a'manque 
307  Come  cil  qui  lecherie  art     308  dex  ce  dit  .R.     310  demeure    313  ai 


XI  (Méon  24(565—24700)  399 

315    Que  as  meures  ne  pot  ateindre. 

jS^e  el  fosse  ne  s'osse  enpeiudre, 

Que  molt  i  out  graut  peine  oiie. 

Lors  se  levé  sanz  atendue, 

Queut  de  pieres  plein  son  geran, 
320    Si  en  aroche  le  boisson 

Qu'il  voloit  les  meures  abatre. 

Si  en  i  gete  trente  et  quatre, 

Mes  celés  qu'il  a  abatues 

Sunt  dedenz  le  fosse  coûes 
325    Si  li  anuie  molt  forment. 

Lors  dit  Renart  ireement 

'Je  sui  fox  que  je  ci  demeure 

iSe  je  ne  menju  unie  meure. 

N'en  mangai  long  tans  a  passe 
330    Que  par  mon  chef  je  l'ai  voue 

Que  je  n'en  mangerai  james,' 

Atant  s'en  vet  tôt  a  esles 

Molt  corocie  et  molt  dolant. 

Mais  il  n'ala  vaires  avant 
335    Plus  de  deus  arpens  ou  de  trois 

Qu'il  a  trove  enmi  le  bois 

Gisant  mon  segnor  Roonel. 

Desoz  un  arbre  grant  et  bel 

Si  vit  Roonel  estendu, 
;34)    Car  un  vilein  Favoit  batu 

Tant  de  son  baston  et  frape, 

Qu'a  poi  qu'il  ne  l'avoit  tue, 

Ne  pout  movoir  ne  pie  ne  mein. 

Renars  s'en  vait  a  li  de  plein 
345    Canque  il  pot  tôt  eslaissie. 

Molt  fu  dolant  et  corocie 

Por  les  meures  ou  ot  failli. 

ïantost  vers  Roonel  sailli, 

Si  le  cuida  trover  dormant. 
350    Mes  Roonel  de  meintenant 


317  ou     318  atendu     321  Qui  u.    322  .XXXIII.    323  Mes  j  Totes 
327  demoure     328  manque     331   Que  ]  Ne     344  lui     345  Canquil 


400  XI  (Méon  24701—24736) 

Li  dist  'sire,  bien  vegniez  vos! 

Ne  nie  puis  lever  contre  vos, 

Car  n'en  ai  ese  ne  pooir.' 

11  ne  vos  estuet  ja  raovoir' 
355    Fet  soi  Renars,  'par  seint  Denis. 

Mes  dites  moi,  bau  dos  amis. 

Qui  vos  a  si  vilment  féru.' 

'Sire,  un  vilein  qui  m'a  bafu. 

Bien  sai,  n'en  porrai  escaper. 
360    Renart  entent  bien  au  parler 

Qu'il  est  molt  durement  blecie: 

Forment  s'en  est  esleece. 

Que  meinte  fois  li  ot  fet  mal. 

Lors  regarde  tôt  contreval 
3(î5    Le  bois  por  savoir  s'aime  oroit: 

Et  quant  il  nul  aime  ne  voit. 

Si  jure  cil  qui  l'engendra 

Que  Roonel  iloc  pendra. 

Que  ja  n'en  aura  raencon. 
,'370    Lors  regarde  vers  un  boisson,  126 

Si  a  une  corde  trovee, 

C'un  vilein  i  avoit  botee. 

Meintenant  a  prise  la  corde 

Renart,  qui  n'ait  miséricorde, 
37.0    (Non  aura  il  au  chef  del  tor  ) 

De  la  corde  un  bon  laz  corsor 

A  fet,  ne  fu  mie  tro  fol, 

A  Roonel  le  mist  el  col. 

Mes  tant  mesprist,  bien  le  saches, 
380    Qu'il  mist  avoc  deus  de  ses  piez. 

Quant  li  ot  mis  el  col  le  laz 

Reuart  qui  tos  sont  les  baraz 

Plus  que  beste  noire  ne  blanche, 

La  corde  desus  une  brance 
385    A  gitee,  puis  sache  a  li, 

Roonel  a  l'arbre  pendi. 


351  dit      uienes      355  lui      361   dorement      362  sen  j  li     365    por 
mangue     372  u.  li     385  lui     385  gite  puis  si  s.  a  lui 


XI  (Méon  24787—24772)  401 

Au  meus  qu'il  pout  l'i  ataclia. 

Le  pie  le  laz  li  eslacha, 

Que  meintenant  fust  estrauglez, 
390    S'il  n'i  oiist  les  piez  gitez. 

Quant  Renars  l'a  veû  en  haut, 

Si  li  dit  'sire,  dex  vos  saut  ! 

Parlez  a  moi,  se  vos  volez  ! 

Molt  vos  estes  haut  encrouez  : 
39Ô    Conment  diable,  estes  vos  tex. 

Guidiez  vos  monter  as  seinz  ciex 

Avec  damledeu  la  amont? 

A^os  estes  le  plus  fol  del  mont. 

Bien  vos  devroit  honte  venir, 
400    Quant  vos  voles  seinz  devenir. 

Dites  moi'  fait  il,    en  queu  leu 

Vos  aves  si  fort  servi  deu 

Que  vos  voles  aler  a  li.' 

Roonel  mot  ne  respondi, 
405    Car  il  ne  puet,  que  tiop  restreint 

Le  laz,  et  dant  Renars  l'enpeint 

Par  les  piez  et  le  fet  branler. 

A  li  se  prent  a  porpenser, 

Por  ce  qu'estrangler  le  voloit. 
410    Atant  regarde,  et  si  voit 

Venir  la  mesnie  le  roi: 

Adonques  fu  en  grant  e&moi. 

Car  de  sa  vie  ot  grant  poor, 

Fuiant  s'en  vait  sanz  plus  demor 
415    Canque  il  pot  de  grant  randon. 

Et  cil  vienent  a  esperon 

Au  plus  tost  qu'il  pourent  venir, 

Ainz  ne  se  voudront  retenir. 

Devant  vienent  li  escuier 
420    Et  li  rois  si  venoit  derer 

Chevaucant  avoc  ses  barons. 

Atant  estes  vos  le  garçons 


388  laz  li  li  e.     389  cstrangl     390  gite     396  seint     397  Avocques 
399  venir  ]fere     403  lui     408  lui     417  foost     418  tenir     420  E 
REXART      I  26 


402  XI  (M 'un  24772-24808) 

Qui  sont  desoz  l'arbre  veuu. 
Roonel  troverent  pendu  : 

425    Tuit  s'arestent,  ne  veut  avant. 
Estes  vos  le  roi  a  itant 
Et  ses  barons  avocques  li  : 
Roonel  voient  qui  pendi, 
Si  en  fu  le  roi  molt  dolant. 

430    Despendre  le  fîst  erraument 
Que  molt  en  fu  maltentis: 
Meintenant  l'ont  a  terre  mis 
Trestot  bêlement  et  soe. 
Les  eux  ovri,  si  a  parle 

435  Et  dist  'ha  sire  dex,  merci! 
A  poi  que  n'ai  este  péri.' 

Quant  li  lions  l'oï  parler, 
Descendus  est  sans  demorer. 
Deles  li  s'asist  meintenant, 

440    Son  chef  li  mist  en  son  devant. 
Conme  debouere  et  cortois 
Conmenca  a  plorer  li  rois, 
Por  la  pitié  qu'il  a  de  li. 
Et  quant  Roonel  le  oï, 

445    Si  se  merveille  que  ce  est, 

Et  li  rois  dist   conment  vos  est, 
Bau  doz  ami?  dites  le  moi.' 
'Sire'  dist  Roonel,  'par  foi 
Molt  ai  este  en  grant  torment. 

450  Mais  or  ne  me  celés  noient 
Qui  vos  estes  tôt  demanois: 
Car  certes  je  ne  vos  conois. 
Se  ne  me  dites  vostre  non.' 
'Amis'  ce  respont  le  lion, 

455    'Je  sui  rois  de  ceste  contrée.' 
Roonel  l'ot,  molt  li  agrée 
Et  molt  en  a  ou  grant  joie. 
La  teste  levé  sans  deloie. 


428  Or  sunt  dosus    427  auocques  lui     433  e     435  dit  ha  de 
439  lui  sasist  de  m.     443  lui     448  dit 


\I  (Méon  24809—24844)  408 

Si  a  son  seignor  regarde  : 
460    'Sire'  fait  il,  'molt  graut  bonté 

M'aves  faite  vostre  merci. 

Sire,  quant  venistes  vos  ci:*' 

'Or endroit  voir,  bau  doz  amis. 

Mais  qui  vos  a  issi  niaumis? 
465         'Sire'  fait  il,  'foi  que  doi  vos, 

Tôt  ce  m'a  fet  Renart  li  ros. 

Ne  je  n'en  cuit  james  garir.' 

Adonques  a  fet  un  sospir 

Et  après  a  jeté  un  pleint: 
470    Tôt  le  viaire  li  est  teint 

De  la  peine  qu'il  ot  soferte. 

'Segnors'  dit  li  rois,  'ves  quel  perte 

C'ainsi  ai  perdu  mon  baron! 

Se  je  puis  prendre  le  laron, 
475    II  sera  meintenant  pendu.' 

Et  li  baron  ont  respondu 

'Bau  sire,  laissiez  cest  afere. 

Mes  faites  une  bere  fere 

A  porter  Roenel  en  l'ost.' 
480    II  n'i  a  nul  qui  le  deslost 

Ne  le  contredient  de  rien. 

Une  bière  font  de  merrieu 

Li  baron,  onques  n'i  ont  autre. 

Si  ont  dedenz  cocie  le  veautre, 
485    Mes  eins  ont  mis  herbe  desoz. 

Li  rois  li  a  dit  oiant  toz 

'Roonel,  molt  estes  blecie: 

Mes  se  dex  ait  de  moi  pitié. 

Il  m'en  poise  molt  durement.' 
490    Meintenant  coumande  a  sa  gent 

Que  il  gardent  qu'il  soit  aese. 

Et  cil  qui  en  sont  a  malese 

De  ce  que  il  malade  fu. 

S'en  entremetent  et  fait  fu 


463  voir  manque     466  le      467  ne  o.      469  E      484  neautrc      485 

ilesua     489  me  p.      491   Quil  conmande  qiiil      494  Tantost  sanz  atarfcer 

(le  fu 

26* 


404  XI  (Méou  24845— 24881 J 

495    Ce  que  li  rois  ot  conmande. 
Onques  plus  n'i  ot  demore, 
La  bere  trossent  es  chevax, 
Puis  chevaucent  le  funs  d'un   vauz 
Tôt  bêlement  et  a  loisir, 

50l)    Tôt  soavet  a  l'aserir. 

Molt  ot  Roenel  son  voloir, 
Car  li  rois  ou  n'ot  que  doloir 
Por  li  qui  malades  estoit, 
Le  meine  issi  eon  il  voloit. 

505    Ne  onques  son  conmandement 

Ne  fu  devoe  de  noient,  127 

Ainz  s'en  vont  bêlement  le  pas, 
Et  saches  qu'il  ne  uuisoit  pas 
A  Roonel,  ancois  li  plest. 

510    Tant  ont  erre  par  la  forest 

Qu'il  ont  esloigne  grant  partie, 
Onques  n'i  out  gent  départie. 
Si  sont  venu  a  la  raeson 
Mon  segnor  Noble  le  lion. 

515    Descendu  sunt  devant  la  porte. 
Brichemer  et  Brun  l'ors  enporte 
Roonel  amont  en  la  sale, 
Qui  out  le  vis  et  teint  et  pale 
Por  les  cous  qu'il  out  recoiis  : 

520    Et  por  ce  que  il  fu  pendus 
Estoit  pale  e  descolores. 
Li  rois  a  ses  mires  mandes, 
Et  lor  prie  qu'il  s'entremetent 
De  li  et  grant  peine  i  metent, 

525    Ausi  grant  conme  a  li  meïsmes. 
Li  mire  qui  vindrent  de  Nimes 
Et  de  Montpellers  par  delà 
Por  le  roi  qui  les  en  proia, 
I  ont  mis  tote  lor  entente. 

530    En  totes  ses  plaies  ot  tente. 

Que  einz  que  li  mois  fust  passez 


503  lui    522  mires  ]  barons    524  lui    525  lui     526  nines     530  ente 


IX    'Méon  24882—24917) 

Fu  il  garis  et  repassez. 
S'en  fu  molt  bel  a  tex  i  ot 
E  au  roi  qui  forment  l'amot. 
535    De  ce  qu'il  fu  délivre  et  sein 
Sont  li  baron  de  joie  plein 
Et  tuit  en  demeinent  grant  joie: 
Et  11  rois  qui  vont  que  l'en  l'oie. 
Et  qu'en  sache  qu'il  en  ait  feste, 
540    En  croulle  de  joie  la  teste. 
Li  rois  fet  joie  por  le  chen 
Qui  est  garis  et  bel  et  bien, 
Si  font  tuit  li  autre  baron. 
Ici  de  la  cort  vos  lairon, 
545    Et  quant  lius  en  sera  et  tens, 
Si  vos  en  dirons  tôt  a  tens. 

Des  or  vos  dirai  de  Renart 
Qui  chevauce  tôt  un  essart 
Tôt  plein  de  joie  et  de  leece. 
550    Devers  un  grant  cesne  s'adrece 
Qui  molt  estoit  haut  et  brancu. 
Amont  regarde,  s'a  veii 
Un  ni  d'escofle  qui  ert  baux, 
Dedenz  avoit  quatre  escofleax 
555    Ausi  dru  conme  père  et  mère. 
Renart  jure  l'ame  son  père 
Qu'il  est  venus  a  droite  voie: 
Se  l'escofle  ne  le  desvoie, 
Il  les  voudra  trestoz  manger. 
560    Amont  l'arbre  prent  a  poier. 

Au  meus  qu'il  pout  monta  en  haut, 
Au  ni  en  vient  que  pas  ne  faut. 
Come  devez  et  enragiez, 
Trestoz  quatre  les  a  mangiez, 
565    Qu'il  avoit  a  son  cuer  grant  fein. 
Or  en  a  il  le  ventre  plein. 
Mes  einz  que  il  fust  descendus 


405 


539  quen  ]  quil       545  en    manque      548    escart       552    si  a       553 
enragie     564  mangie     566  il  manque     567  quil 


406  IX  (Méon  24yu«-'J4953) 

Sont  les  deus  escofles  venus. 
Quant  n'ont  lor  oiselles  trovez, 

570    Sus  li  corent  conme  desvez 
Bien  entalente  de  mal  fere. 
Cil  ne  se  pot  arere  traire, 
Que  trop  estoit  pleine  sa  pance. 
Li  un  des  escofles  s'avanchn, 

575    Si  a  Renart  done  tel  flat 
Que  jus  a  la  terre  l'abat, 
A   poi  qu'il  ne  l'a  niaagne. 
Isnelement  s'est  redrecie, 
Qu'il  s'en  voloit  foïr  atant. 

580    Li  autres  li  vint  au  devant 
Tôt  autresi  con  un  dragon, 
Renart  saisi  au  pelicon, 
Jus  a  terre  l'a  abatu  : 
Molt  par  ont  bien  Renart  batu. 

585         Ambedui  li  corurent  sus, 
Renart  trament  sus  et  jus, 
Bâtent  des  eles  et  des  pies, 
Des  bes  ferent  con  enragies, 
Ne  Renars  ne  se  pout  deffendre. 

590    II  le  corent  as  ongles  prendre, 
En  la  car  li  metont  dedenz. 
Et  Ronart  a  jeta  les  denz 
A  tant  de  force  con  il  a. 
L'une  des  escofles  prise  a: 

595    As  denz  la  prent,  si  l'estrent  si 
Que  le  cuer  en  deus  li  fendi 
E  puis  la  depecie  tote. 
L'autre  escofle  por  ce  nel  dote 
Ne  plus  a  envis  nel  requiert, 

600    Vers  li  en  vet  et  puis  le  fiert 
Granz  coz  et  menu  et  sovent. 
Molt  esta  Renart  malement. 
Car  cil  qui  estoit  sanz  poor, 


569.  570  manquent     572  se  inaiiquc 

a.   rctraire      579  se  u.     582 

sasi      583  a  la  t.  labati      592  a  ieta  1.  d. 

594  Lun      pris      599  ne  le 

600  lui     603  est 

XI  (Méon  24954—24991)  407 

Li  est  sus  coru  par  irur. 
605    Si  li  fist  tôt  le  pis  qu'il  pout. 

One  Renars  tant  crier  ne  pot, 

Merci  ne  crier  ne  rover, 

N'onques  merci  n'i  pout  trover: 

Car  il  estoit  trop  anguissous. 
610    Ja  li  oiist  crevé  les  eux 

Andous  :  ja  n'en  oiist  garant: 

Et  Renars  l'aert  meintenant. 

Par  le  col  le  tint  si  as  denz 

Que  totes  li  enbat  dedenz, 
615    Con  cil  qui  fu  prous  et  délivres. 

Mais  qui  li  donast  cinc  cent  livres, 

Ne  marehast  il  un  pas  avant. 
Hoc  se  choce.  E  vos  atant 

Un  chevalier  qui  trespassoit 
620    Par  iloques,  et  si  menoit 

Un  escuier  et  un  garçon. 

Issi  chevaucent  a  bandon 

Par  entre  le  bois  et  l'essart. 

Si  ont  iloc  trove  Renart 
625    En  mi  le  chemin  tôt  envers. 

Tôt  ont  le  vis  et  pale  et  pers 

Si  con  il  ont  este  blecie, 

Tôt  le  cuir  avoit  detrencie. 
Li  chevalers  l'a  regarde, 
630    Son  escuier  a  apele, 

Si  li  a  dit  'se  dex  t'aït. 

Es  ce  gorpil  qui  ici  gist?' 

'Oïl,  sire,  foi  que  vos  doi. 

Mes  il  est  mors  en  moie  foi.' 
635    Fait  li  chevaliers  'ce  m'est  vis 

Que  cil  escofle  l'ont  ocis 

Et  il  les  a  mort  ambedous.' 
Sire'  fait  il,  'ne  n'est  pas  jeus, 
Gorpil  set  trop  de  mal  por  voir. 


607  M.  crier  ne  trouer     616  lib'.     618  choca     628  rois     627  lecie 
632  q.  gist  icit     634  en  J  a     635  mes 


408  XI  (Méon  24;J92— 25U27J 

640    De  cestui  voil  le  cuir  avoir, 
Bien  nos  porra  avoir  mester.' 
'Tu  dis  voir'  fait  le  chevalier, 
'Fai  le  donc  porter  en  meson, 
La  pel  est  bone  et  de  saison.'  128 

645         Li  escuier  descent  atant, 

Renart  par  les  deus  ganibes  prent 
Et  meintenant  a  tret  s'espee, 
Par  les  gares  li  a  botee. 
Et  un  baston  a  tost  cope, 

650    Si  li  a  meintenant  bote. 

Le  garçon  apele  et  il  vient. 
Le  gorpil  li  baille  qu'il  tient, 
Et  cil  le  prent  molt  volentiers. 
Tien,  va'  fait  soi  li  escuiers, 

655     Pran,  porte  en  meson  ceste  beste, 
Et  garde  en  nul  leu  ne  t'areste. 
Et  quant  tu  en  meson  vendras, 
La  pel  tantost  en  esteras.' 
'Volenters'  fait  il,  'par  seint  Pol.' 

660    Le  gorpil  a  mis  sor  son  col, 
Lors  s'en  est  torne  demanois. 
Et  laisse  son  segnor  el  bois. 
Qui  se  remetoit  au  chemin. 
Or  est  Renart  en  mal  traïn, 

665    Se  par  engin  ne  s'en  estort  : 
Il  ne  puet  cscaper  de  mort, 
Car  il  est  meuz  pris  qu'au  braion. 
Et  li  garz  s'est  mis  el  troton 
Tant  que  le  bois  a  trespasse  : 

670    En  la  praerie  est  entre 

Qui  estoit  grande  et  longue  et  lee. 
Renart  porte  qui  pas  n'agrée 
Ce  qu'il  le  tient  si  malement 
Et  par  les  pies  contreval  peut, 

675    Durement  eu  fu  esbahi. 


643  en  ]  a  648  bote  653 — 655  nuoK/iient  657  en  ]  a  665  e.  ne 
nen  e.  666  pot  667  qu'  manque  bricc  668  manque  671  lonc  et 
675  R.  en  p.  que 


XI  (Méon  25U28— 250B8)  409 

Lors  regarde  tôt  entor  li, 

Si  ne  voit  nul  home  vivant. 

Lors  se  tient  molt  a  recraant, 

Quant  einsi  se  laisse  porter. 
680    Lors  se  conmence  a  porpeuser 

iConment  il  porra  esploitier 

Por  escaper  au  pautoner. 

Quant  Renart  porpense  se  fu 

Et  il  ont  entor  li  veii 
685    Et  il  ne  coisi  home   nul, 

Celui  par  les  naces  del  cul 

A  pris  as  denz  sanz  delaier, 

Et  li  garz  conmence  a  crier 

Quanque  il  pot,  pas  ne  se  feint, 
690    Et  Renart  les  naces  estrent 

Et  au  plus  qu'il  pot  les  denz  sere 

Tant  que  li  gars  caï  a  terre. 

0  bau  li  fust  ou  mal  li  sache. 

Et  dan  Renart  tôt  ades  sache, 
695    Ne  onques  ne  le  vont  laissier. 

Tant  que  li  gars  curut  sacher 

Le  baston  qu'as  jarez  avoit, 

Por  ce  que  ferir  le  voloit. 

[Car  durement  fu  esperdu, 
700    Et  cil  sache  de  grant  vertu.] 
Quant  Renart  se  vit  dehvre 

Et  il  vit  celui  aterre 

Et  li  vit  prendre  le  baston, 

Meintenant  se  part  du  garçon, 
705    Qu'il  ot  poor  qu'il  nel  ferist  : 

Atant  a  la  fuie  se  mist 

Au  plus  durement  que  il  pot. 

Or  se  pot  bien  tenir  por  sot 

Li  garz,  quant  il  l'en  vit  aler, 
710    De  dol  comenca  a  plorer. 

Dolent  en  est,  si  s'en  retorne. 


676  tôt  tôt  e.  lui     684  lui     688  li  garz  ]  celui     690  Renart  I  celui 
697  que  as     700  gran  uertu     704  par     707  quil     711  s'en  tnaiique 


410  IX   (Méon  25064-25099) 

Jusc'a  son  segnor  ne  sojorne, 
Si  li  conte  conment  Renart 
S'en  vait  fuiant  parmi  l'essart, 

715    Et  conment  il  le  prist  as  denz, 
Et  conment  il  li  mist  dedenz 
Les  naches  par  ont  il  le  prist, 
Et  conment  le  baston  hors  mist 
Por  ce  qu'il  le  voloit  ferir: 

720    Mes  tantost  se  prist  a  foïr. 

Si  s'en  torna  parmi  les  pleins. 
'Je  remos  qui  fu  d'ire  pleins 
Por  ce  que  je  aler  l'en  vi,' 
Quant  !i  chevaliers  l'entendi, 

725    Ses  paumes  en  bâti  de  joie. 

'Par  foi'  fait  il,  'ne  cuit  que  j'oie 
James  issi  bêle  aventure.' 
Atant  s'en  vet  grant  aleiire, 
Si  lassèrent  ester  atant. 

730         Et  Renars  s'en   vet  randonant 
Parmi  les  près  a  grant  esploit. 
Conme  cil  qui  asez  savoit 
Plus  que  nul  autre  de  barat 
S'en  vait  fuiant  pensif  et  mat, 

735    Molt  dolant  et  molt  corocie 
Parmi  lo  pre  tôt  eslessiez  : 
Molt  se  démente  et  molt  s'esmaie. 
Car  molt  li  dont  et  cuit  sa  plaie. 
[Mes  il  fu  sajes  et  recuit, 

740    Tôt  bêlement  trotant  s'en  fuit.] 
Car  a  grant  peine  peut  aler 
Et  dit  que  se  il  puet  trover 
Une  erbe  qu'il  bien  conissoit, 
Tantost  sa  plaie  gariroit. 

745    Molt  recleime  deu  doucement 
Qu'il  li  envoit  proceinement 
Si  con  il  en  a  grant  mester. 


713  II  li  c.  conme    717  naches  mauque     726  fai  il    736  t.  corocie 
737  M.  corocie  et     742  pot    743  que  il 


XI  (M^on  251U0— 25185)  411 

Atant  trespassa  un  senter 

Qui  en  la  praerie  estoit. 
750    Sor  un  fosse  qui  grant  estoit 

A  trovee  l'erbe  qu'il  quiert: 

Meintenant  ses  pâtes  i  fiert 

Si  l'en  a  tautost  esraciiie, 

Ne  l'a  triblee  n'escachie, 
753    Eneois  la  menja  sanz  tribler. 

Del  remanant  ala  froter 

Trestotes  les  plaies  qu'il  ot, 

Et  trestot  meintenant  reclot. 

Et  fu  garis  et  trestot  seins. 
760    Vers  le  ciel  en  tendi  ses  moins. 
De  la  joie  qu'il  ot  tressaut, 

Outre  le  fosse  fist  un  saut. 

Molt  se  senti  fort  et  liger, 

Meintenant  s'est  mis  au  fraper 
765    Tant  qu'en  la  forest  est  venu. 

Ne  fait  pas  chère  d'esperdu, 

Lieement  s'en  vet  et  joiant 

Tant  qu'il  trova  en  un  pendant 

Un  cirisier  trop  bien  cargie. 
770    Et  Renars  s'est  tant  aprocie 

Qu'il  est  desus  l'arbre  venu. 

Mes  onques  tel  joie  ne  fu 

Con  Renars  fet,  H  desloial. 

Et  puis  bee  amont  et  aval 
775    Tant  qu'il  coisi  sor  l'arbre  en  haut 

Le  moinnel  qui  saut  et  tressaut 

De  branche  en  brance  molt  soe. 

Sire  Renart  l'a  apele  : 

Droïn,  molt  as  de  tes  aveaus, 
780    Plus  en  as  que  nul  autre  oiseax, 

Qu'en  ces  cerices  te  délites.' 

'Renart,  ges  vos  clein  totes  quites' 

Fet  Droïn,   qu'anoies  en  sui.' 


750  que    751  A  ueu  le.  queroit    753  esracho     754  nescache     755 
saiez     762  manque     769  tro     779  aueus     783  Quites 


412  XI  (Méon  25136—25173) 

'Quites?'  fet  Renart   c'est  anui 

785    Que  je  n'en  puis  nules  avoir. 

Or  m'en  dones  deus  por  savoir        129 
S'eles  sont  bones  a  manger.' 
'Aine  ne  manjas  de  tel  manger' 
Fait  Droïn  'en  tote  ta  vie: 

790    Ne  sai  se  tu  en  as  envie, 

Mais  je  t'en  donrai  volenters.' 
Vostre  merci,  baus  amis  ciers' 
Fait  Renart:   quant  je  les  tendrai, 
Grant  gerredon  vos  en  rendrai.' 

795         Atant  se  taist,  qu'il  ne  dist  plus. 
Et  Droïn  li  a  jeté  jus 
Trois  cerises  en  un  tenant, 
Et  cil  les  manga  meintenant 
Molt  volontiers  et  de  bons  grez. 

800    'Ha.  Droïn,  donos  m'en  asez' 

Fet  soi  Renart,  'que  bones  sont.' 
'Par  l'ame  de  toi,  e  ne  sont' 
Fait  Droïn.  'Oïl  par  mon  chef.' 
'Tu  en  auras,  qui  qu'il  soit  grief, 

805    A  grant  plente  et  a  foison.' 
Lors  l'en  gita  plein  son  geron. 
Si  en  manga  Renart  ases 
Tant  que  il  en  fu  tôt  lasses. 
Tant  en  manga  qu'il  n'en  vont  mes. 

810    Et  Droïn  dit   vous  en  tu  mes?' 
'Nenil'  dist  il,   vostre  merci. 
N'en  puis  plus  manger,  ce  vos  di.' 
'Renart'  dit  Droïn,  'or  entent! 
Ge  t'ai  or  fait  tôt  ton  talant 

815    Et  tôt  ce  que  tu  m'as  recuis. 
Et  tu  as  meint  afere  enquis 
En  plussurs  lius  ou  as  este. 
En  cest  iver  et  cest  este 
As  este  en  meinte  contrée, 


784  Quides   785  nule   788  nen  ra.   800  d.  moi  a   804  que 
809  manque     812  dis  814  ore 


XI  (Méon  25174-25209)  418 

8*20    Meinte  aventure  as  eucontree 
De  tex  ou  tu  as  molt  apris 
Dont  tu  porras  monter  en  pris, 
Se  tu  les  as  bien  retenues. 
Mes  ne  sai  se  as  gens  menues 
825    Voudroies  point  de  ton  savoir 
Ensegner:  fai  le  moi  savoir! 
Et  por  ce  que  j'en  ai  mester, 
Conseil  te  demant  et  requier.' 
Dist  Eenart  'par  seint  Nicolas, 
830    Ne  te  mesconseillerai  pas 

Que  bien  m'as  ma  volente  fête: 
Or  pos  dire  ce  qu'il  te  hete. 
Que  je  t'escoterai.  molt  bien. 
Ne  t'en  estuet  doter  de  rien, 
835    Car  par  la  foi  que  je  doi  vos 
Qui  estes  li  mien  amis  doz, 
Ja  riens  ne  saures  con mander 
Que  ne  face  sans  demorer. 
Se  tu  dis  cose  que  ne  sache, 
840    Force  que  n'i  aie  damache, 
Tôt  meintenant  sanz  décevoir 
Vos  en  voudrai  dire  le  voir. 
Mais  dites  moi  ce  qu'il  vos  siet.' 
Droïn  qui  desos  l'arbre  siet, 
845    Li  respont   Renart,  or  entent 
Ce  que  je  te  dirai  brement. 
J'ai  ci  ilueques  deles  moi 
Noef  moinaus,  foi  que  je  te  doi. 
Qui  chascun  jor  cheent  de  gote.' 
850    'Or  n'en  soies  ja  mes  en  dote' 
Fait  Renart,   que  bien  les  garrai, 
Or  n'en  soies  ja  en  esmai. 
Tu  ses  bien  qu'il  n'a  pas  passe 
Fins  de  deus  ans  que  j'ai  este 
855    En  Calabre  et  en  Remanie, 


820  Meint     827  ie  ai     832  ta  hete     844  set     846  q.  ie  d.  bêlement 
849  chent 


414  XI  (Méun  25210— 2Ô245) 

En  Toscane  et  en  Heiminie: 
Gr'ai  quatre  fois  passe  la  mer 
For  mecine  queire  et  trover 
Mon  segnor  l'enpereor  Noble. 

860    Foi-  li  fui  en   Costentinoble, 

S'ai  este  en  meinte  autre  terre  : 
Je  passai  la  mer  d'Eugleterre 
Por  le  roi   deus  fois,  voire  trois. 
Je  fui  en  la  terre  as  Yrois. 

863    Tant  alai  eerchant  la  contrée 
Que  j'oi  la  mecine  trovee 
Dont  li  rois  est  garis  et  seins. 
Je  sui  du  païs  casteleins.' 

'Renart'  fait  il,    or  m'ensegniez 

870    Conment  mes  enfans  garisiez.' 
Droïn'  fait  il.    par  seint  Orner, 
Tu  les  feras  crestiener. 
Sitost  con  bautissiez  seront, 
James  de  cest  mal  ne  carront. 

875    Et  dist  Droïn    ce  puet   bien  estre. 
Mes  ou  troveroie  ge  prestreV 
Prestre?'  dist  Renart:    par  ta  foi 
Ne  sui  ge  prestre,  di  le  moi  V 
Dist  Droïn  'par  l'anie  mon  père 

880    II  ne  m'en  sovennoit,  bau  frère. 
Mes  or  vos  pri  ge  et  requier 
Que  vos  les  viegnes  bautiszier. 
'Molt  volenters'  ce  dist  Renart. 
Ij'ains  ne  aura  non  Lionart, 

885    Et  des  autres  penseron  bien." 
Dist  Droïn    vos  dites  molt  bien.' 
Atant  s'en  est  el  ni  entre, 
Et  si  a  pris  son  fil  l'einz  ne. 
Si  li  a  gite  sanz  tencon. 

890    Et  Renart  tendi  son  geron, 
Si  le  reçut,  et  sanz  dangier 


856  cocaigne    858  médecine  (de  même  866)     859  lenperon    860  lui 
costentinnole     861  meint     875  Et  manque  dit    pot     876  au  t.  ge  le  p. 
877  it  (de  même  879.  883.  886)     884  aura  a  n.     890  gernon     891  les 


XI  (Méon  2.V24(i— 25281  )  415 

Le  tet  en  son  cors  prinsegner. 

Un  et  un  les  i  a  gitez, 

Renaît  les  a  crestienez. 
89r>    Dist  Droïn   bautissiez  les  bien.' 

'Ne  vos  estuet  doter  de  rien, 

Qu'il  ne  carrent  mais  de  cest  mal.' 

Droïn  regarde  contreval. 

N'a  ses  fiuz  veiiz  ne  choisiz: 
9{X)    Bien  s'aparcoit  qu'il  est  traïz. 

Renart'  fait  il.    ou  sont  mi  fil? 

Je  cuit  fet  m'en  avez  essih" 

'2son  n'ai,  jes  baptis  ca  aval.' 


"Hav,  traîtres  desloial 


905    Fait  Droïn    tu  les  as  maugies.' 
'2son  ai'  dit  Renart,  'ce  saches.' 
'Si  aves'  ce  dit  Droïn:   certes 
Mal  m'avez  rendu  les  désertes 
De  ce  que  ge  servi  vos  o.' 

910    'Tu  es  fox,  il  s'en  sont   vole.' 
'Vole!  nu  sont.'  'Si  sont,  par  foi.' 
'Mentiroies  en  tu  ta  foi?' 
'Par  foi,  oïl  bien,  se  je  voil.' 
La  maie  gote  te  criet  l'oil' 

915    Fait  Droïn.    Mais  a  toi  si  face!' 
'Je  te  donroie  les  la  face, 
Se  je  te  pooie  tenir.' 
'Tu  me  ferras?  vien  moi  ferir.' 
'Non  ferai.'  'Por  qoi  ?'   Je  ne  puis.' 

920    'Tu  ne  pos?'  'Non,  ne  je  ne  ruis. 
Mes  or  me  di,  traîtres  fax. 
Que  as  tu  fet  de  mes  oisax?' 
'Que  j'en  ai  fait?'  'Voire,  di  moi! 
■Jes  ai  mangies  en  moie  foi. 

925     Mangiez,  las!    'Voire,  par  mon  chef, 
Tu  n'en  vendras  jamais  a  chef, 
Et  par  trestoz  les  seins  del  mont 


892  Les  a  f.     895   Dit      898—903  matiquevi     908  Malueis  r.     910 
se  sont     916  ta     921  dites 


416  XI  (Méon  25282-25'317) 

James  d'icel  mal  ue  carroiit, 

Et  qu'il  en  deiist  avenir  130 

930    Je  te  voudroie  ausi  tenir.' 

A  icest  mot  s'en  est  tornes 
Renart,  n'i  est  plus  demores. 
Et  Droïn  son  dol  reconmence, 
Tôt  soûl  a  soi  meïsme  tenco 

985    E  dit   las  dolent,  mi  enfant, 

Je  vos  ai  mort,  au  mien  parant. 
Receû  aves  mort  par  moi, 
Nus  hom  n'i  a  mesfet  fors  moi. 
Tôt  certenement  vos  ai  mort, 

940    Par  moi  aves  receii  mort 

Ne  je  ne  quier  ja  vivre  plus. 
Atant  se  laisse  caoir  jus 
A  la  terre  trestot  paume. 
Durement  s'est  mesaame, 

943    Si  se  cleime  cliaitis  et  foux. 
De  son  bec  se  done  grant  cox. 
Si  durement  se  fiert  et  plume 
Poi  a  sus  lui  laissiee  plume 
Que  il  ne  l'ait  tote  esrachee. 

950    Molt  a  soferte  grant  haciiiee. 
Quant  il  se  fu  tant  conbatuz 
Et  a  soi  mal  fere  esbatuz, 
A  ledenger  et  a  malmetre, 
En  quel  sen  il  poïst  tin  mètre 

955    A  laissier  le  dol  qu'il  demeine, 
Car  molt  i  a  soffert  grant  peine: 
Tantost  a  porpenser  se  prist 
De  Renart  qui  vers  lui  mesprist, 
Coument  il  s'en  porra  venger, 

9(50    Car  la  vengance  auroit  molt  cher. 
Lors  se  porpense  qu'il  iia 
Et  tôt  le  païs  cerchera 
S'il  troveroit  de  nule  part 


929  dust     930  uoudroe     935  dolent  ]  de    941  ja  nictiujiie    944  sea 
a  m.     9G1   que  il 


XI  (M.'oii   253 18- 2 -.854)  417 

Quil  poïst  venger  de  Renart. 
905         Ataut  s'estoit  mis  a  la  voie. 

Molt  prie  a  deu  que  il  l'avoie 

En  itel  Icu  et  en  tel  cors 

Que  trover  puisse  auqun  secors. 

Et  si  sachois  par  seint  Martin, 
970    Ne  laissa  lisse  ne  mastin 

En  tût  le  païs  qu'il  ne  prit 

Que  l'en  envers  Renart  l'aquit. 

De  ce  que  il  li  a  promis 

Durement  s'en  est  entremis. 
97;')    Mais  celui  a  qui  il  parloit, 

^lolt  g-entemeut  li  responoit 

Qu'il  ne  s'en  volent  entremetre. 

'Grant  entente  i  covendroit  mètre' 

Font  cil,    ne  nos  entremetrons 
.-^80    Que  durement  Renart  dotons, 

Ne  ja  sor  li  en  nule  guise 

Ne  movroms  por  fere  justice. 

Alez  vos  aillors  porchacier.' 

En  Droïn  n'ont  que  corocier, 
98j    Quant  le  respons  ont  entendu. 

Unques  n'i  ot  plus  atendu, 

Einz  se  départ  d'ous,  si  s'en  vot 

Molt  dolant  et  molt  grant  dol  f'et. 
Quant  Droïn  fu  d'ous  départi, 
990    Vet  s'en  corocous  et  mari 

Et  démenant  sa  grant  dolor 

Ton  cil  qui  ont  ases  tristor. 

(^uo  qu'il  vint  a  son  repérer, 

Si  trova  desor  un  fumier 
99.')    l'n  mastin  et  megre  et  menu 

Qui  tôt  estoit  de  fein  velu. 

Ne  pot  movoir  ne  pie  no  meiii, 

Molt  ont  en  son  païs  grant  fein. 

Quant  Droïn  l'a  trove  gisant, 
1000    Devant  li  vient  do  meinten;int. 


9Cr>  il  li  cmioic     ftSl    lui     993  reuiiit     99C.  Quo      lOO:)  lui 
RKXAKT      1  27 


418  XI  (Môon  25BÔ5— 26890) 

'Morout'  fait  il,    conment  t'esta?' 
Sire'  fait  il,  'raolt  mal  me  va' 
Fait  Morout,    ne  me  puis  aidier, 
Car  ue  puis  trover  que  manger: 

1005    J'ai  servi  un  meveis  vilein 

Qui  crient  ouau  morir  de  fein.' 

'Par  mon  chef  fait  Droïn,  'Morout, 
Il  quide  avoir  trove  Herbout 
Por  le  tens  qu'il  voit  un  poi  ehier. 

1010    Mais  ore  entent  ca,  amis  cher! 
Se  tu  me  vous  fere  un  servise. 
Je  te  di  bien  et  sans  feintice 
Que  puis  Tore  que  tu  nasquis 
Nul  si  prodome  ne  servis  : 

1015    Car  je  te  di  sauz  losenger, 
Tu  auras  ases  a  manger.' 
'Sire'  fait  Morout,  'entendez! 
Se  vos  a  manger  me  donez 
Tant  que  je  sente  un  poi  mon  cuer, 

10-20    Je  vos  di  bien  que  a  nul  fuer 
Ne  saurois  chose  conmauder 
Que  ne  face  sanz  demorer. 
Et  bien  sachois  sanz  nule  dote, 
Quant  j'avoie  ma  force  tote, 

1025    Ne  m'escapast  a  bois  n'a  plein 
Bisse  ne  cerf  ne  porc  ne  dein, 
Ne  beste  nule,  tant  fust  sage. 
Trop  avoie  grant  vasselage, 
Car  molt  avoie  grant  esfors. 

1030    Mes  dont  que  viegne  li  confors. 
A  manger  me  couforteroie  : 
Que  bien  sai,  se  mangie  avoie, 
One  ne  fui  si  fort  a  nul  tens 
Conme  je  seroie  par  tens.' 

1035         Morout  parole,  cil  se  test. 
'Beax  sire'  fait  il,  'se  vos  plest 


1002  malement     1009  manque     1010  enten     1011   aeruiche      1012 
et  mangue     1022  deraorrer     1030  M.  tout  que 


XI  iMéon  2â80 1—25437)  419 

Q'a  manger  aie  a  mon  voloir, 

Ne  saures  rien  amentevoir 

Ne  conmander  que  je  ne  face. 
1040    8'a  manger  ai  par  vostre  grâce, 

En  ma  force  me  raures  mis 

Et  ge  serai  molt  vostre  amis.' 

Dit  Droïns  'asez  en  aurois, 

Que  ja  tant  manger  ne  saurois 
104 f)    Qu'il  ne  vos  en  remeigne  asez.' 

Morliout  respont    ur  en  pensez  : 

Que  je  sui  tos  près  a  devise 

Que  je  face  vostre  service. 

Mes  qui  est  cil  que  vos  haez? 
1050    Gardez  qu'il  ne  me  soit  celez.' 

Dist  Droins  'foi  que  je  doi  vos, 

Ce  est  Renars  li  maves  ros 

Qui  toz  mes  enfans  a  mangiez, 

Forment  sui  par  li  damachez. 
lOôj    Grrant  damage  m'a  fet  et  let. 

S'estoie  vengiez,  dex  le  set, 

Riens  el  monde  ne  me  faudroit.' 

'Droïn'  dit  Morliout,  'tu  as  droit, 

Mes  tu  en  seras  bien  vendiez. 
1060    Molt  est  Renars  outrequidiez, 

Quant  ce  t'a  fait  :  mes  par  ma  foi, 

N'en  soies  ja  mes  en  esfroi.' 

Fet  Morliout  'ne  n'en  dote  ja  ! 

Que  par  celi  qui  me  forma, 
106.')    Se  vos  mes  convens  me  tenes,  131 

Renart  si  ert  mal  atomes. 

Se  gel  puis  tenir  entre  piez.' 

'Levés  sus  et  si  vos  dreciez' 

Fet  Droïn,   et  avoques  moi 
1070    Vos  en  venes  sans  nul  deloi.' 

A  cest  mot  s'est  Mcnliout  levez, 

Mes  si  for!nent  estoit  lassez 

Qu'a  peines  se  pooit  aidier. 


1045    remeige      1051    Dit      1054  F.  en  nui  j).  lui       lOol    p    ta  f. 
1063  Moihaut 

27* 


420  XI  (M('on  25438—20403) 

Tôt  soavet  et  sauz  clangier 
107;')    S'en  vet  Morliout  après  Droïn 
Trestot  bêlement  le  cemin, 
Car  de  manger  ont  covoitie. 
En  une  liaie  s'est  mucie 
Près  del  eliemin  iloc  delez. 
1080    Et  dist  Droïn    or  m'atendez 
Ci  ileques  tôt  bêlement! 
Car  a  manger  aures  bref  ment, 
Quar  je  voi  la  venir  un  char 
Ou  il  a  asez  pain  et  char  : 
1085    G'irai  le  charetier  lober, 
Et  tu  penses  de  tost  a  1er. 
Quant  tu  verras  qu'il  entendra 
A  moi,  a  la  charete  va, 
Meiutenant  et  sans  coutencon 
1090    Atraïne  ca  un  bacon 

Si  con  tu  sez  qu'il  est  mesters. 
'Par  foi'  fait  Morhout,  'volenters, 
Ataut  s'en  vait  Droïn  corant  : 
E  vos  le  chareter  errant 
1095    Qui  molt  grant  oire  cheminoit. 
Droïn  qui  celé  part  coroit 
Molt  bone  oire  sans  atarger, 
S'en  vet  devant  le  chareter 
Tôt  ausi  con  s'il  fust  férus. 
1100    Li  chareters  est  descendus 
Ausitost  con  il  l'aperçut. 
Meiutenant  celé  part  corut, 
Molt  bien  le  quida  détenir. 
Mes  quant  Droïn  le  vit  venir, 
1105    Salletaut  s'en  vet  ca  et  la. 
Et  li  chareters  après  va 
Corant  un  levier  a  son  col. 
Mes  Droïn  ne  fu  mie  fol. 
Que  pas  atcudre  ne  le  vont. 


1080  iuaiiqiie      1087  uondras      1088  c.  en  ua       lOlKi  par  o. 
par     1103  Mes  b. 


XI  (Mcon  25464—25499)  421 

1110    Li  cliai'cters  quauqii'il  pot  court 

Apres,  que  prendre  le  voloit. 

Droïn  toz  jorz  devant  coroit 

Quauque  il  pooit  voletant, 

Et  Morhout  ne  vet  demorant, 
1115    Qui  se  gisoit  les  le  boisson. 

A  la  charete  de  r  and  on 

S'en  est  venus  si  con  il  puet. 

Mes  ce  qu'en  haut  monter  l'estuet 

Li  ennuia  molt,  ce  sachez, 
1120    Que  molt  estoit  mesaiesez. 

Totevoies  est  montes  sus, 

Si  a  un  bacon  jeté  jus, 

Puis  descendi  de  meintenant. 

Son  bacon  en  vet  traînant, 
1125    A  poine  et  a  dolor  l'en  porte. 

Et  Droïnet  qui  se  déporte 

Au  chareter  qu'il  fet  nmser. 

S'envole  sanz  plus  demorer, 

Si  a  laissie  le  charetier. 
1130    Et  cil  se  met  el  repairier, 

A  sa  charete  vint  corant, 

Tote  ont  la  pel  dou  dos  suant. 

Durement  se  ledenge  et  blâme, 

Il  meïsme  se  mesaame 
1135    De  ce  qu'il  a  Droïn  chacie. 

Forment  s'en  tient  a  engingnie. 

Molt  corociez  et  molt  mariz 

Est  desus  son  cheval  sailliz 

Et  s'en  vet  a  tôt  sa  viande, 
1140    Droïn  au  dieble  conmandc. 

Et  cil  qui  aillors  fu  pensis, 

Desus  le  boisson  s'est  asis. 

S'a  trove  Morhut  qui  maujut. 

Morhut'  fet  il,   dex  ti  ajut!' 
1145    'Sire'  fet  il,  'bien  vieguez  vos! 


lUOquanquoil     1112  D.  do  iuz     111^  jiot     IVl'ô.  Il2i  intervertis 
llSUsenm.    1136  Durement  sen  est  curocic    1141]jcnsif    1145  uiegne  uos 


422  XI  (Méon  '2550U     255361 

Ge  me  levasse  contre  vos, 
Mes  ge  n'en  sui  pas  aesiez.' 
'Sees  vos  et  si  vos  taisiez' 
Fet  Droïn,    et  si  te  repose  : 

1150    Que  tu  n'as  mester  d'autre  chose. 
'Sire,  c'est  voirs,  se  dex  me  saut. 
Mes  par  foi  a  boivre  me  faut, 
Qar  a  manger  ai  a  foison.' 
'Tu  en  auras,  se  nos  poon' 

1155    Fet  Droïn,  'a  qui  qu'il  anuit, 
A  grant  plente  encor  anuit. 
Car  je  voi  la,  si  con  devin, 
Une  charotee  de  vin 
Dont  tu  auras  a  grant  plente, 

il60    Que  je  sui  bien  entalente 
De  toi  servir  a  ton  voloir.' 
'Vos  faites'  fait  il,  'grant  savoir.' 
A  cest  mot  s'est  Droïn  levez 
Con  cil  qui  le  fet  de  bon  grez 

1165    Et  qui  ases  savoit  d'eogin. 
S'est  venus  enmi  le  cemin. 
Ilec  s'areste  :  e  vos  atant 
Un  chareter  qui  vint  corant 
Et  ne  vint  pas  a  reculuns. 

1170    Droïn  au  cheval  des  limons 
Saut  sus  la  teste  meintenant. 
Et  de  son  bec  le  vait  becant 
En  l'oil,  a  pou  que  ne  li  crevé. 
Au  chareter  durement  grève 

1175    Et  li  ennuie  molt  forment. 
Son  tinel  a  pris  erraument, 
Sil  voloit  ferir,  mes  il  faut, 
Et  Droïn  de  l'autre  part  saut 
Qui  ne  vout  pas  estre  féru. 

1180    Cil  a  le  cheval  conseil 

Parmi  la  teste  si  très  fort 
Que  iloques  l'abati  mort. 


1155  a  manque     que  qui!  a.     1164  Connie      1167  itant      1175  lui 


XI  (Méon  L'5537-25574}  423 

Si  est  tôt  meintenent  versez 

Enmi  la  voie,  que  quassez 
1185    Li  est  li  cous  et  les  deus  piez. 

Li  chareters  nn  fu  pas  lies, 

Qar  il  meïsmes  trébucha. 

Le  fes  del  vin  l'esuel  brisa. 

S'est  li  fons  voles  du  tonel. 
1190    D'autre  part  sen  va  le  moinnel 

A  Morhout  qui  fu  en  la  haie. 

'Morhout'  fet  Droïn,   ne  t'esraaie, 

Qar  tu  auras  a  boivre  asez.' 

'Sire,  dex  vos  en  sache  grès!' 
1195    Fet  Morhout   et  ge  si  sai  voir.' 

El  caretier  n'out  que  doloir: 

Son  cheval  vit  mort  estendu, 

Et  si  vit  son  vin  espandu. 

Grant  dol  en  ot,  son  cotel  tret 
1200    Tôt  bêlement  et  tôt  a  tret, 

Si  a  son  cheval  escorche 

Molt  dolant  et  molt  corocie.  132 

Mes  a  Morhot  en  fu  molt  poi. 

Et  Droïn  li  dist  'par  ma  foi 
1205    Or  s'en  vet  nostre  charetier. 

Et  tu  as  ases  a  mangier, 

Deus  mes  de  char  freche  et  salée. 

Or  vien  boivre,  se  il  t'agrée, 

Que  tu  en  auras  a  plente.' 
1210    Li  et  Droïn  en  sont  aie, 

S'en  but  ases  tant  con  il  vont. 

'Es  tu  bien  aese,  Morhout?' 

'OiT  fait  il,  'vostre  merci.' 

Une  pièce  furent  issi, 
1215    Et  raanja  et  but  a  grant  tas 

Tant  que  il  fu  et  fort  et  gras. 

Et  délivres  et  bien  isnel. 

Adonques  a  dit  au  moinnel 


1183  lassez     1184  que  est  q.     1190  sen  va  ]  uole     1198  uin  tôt  e. 
1204  dit     1208  Oie     1210  Lui 


424  XI  (Méon  25575—25610) 

'Sire'  fait  il,  'vostre  merci! 

1220    Molt  m'avez  bien  et  bel  servi 
Tant  que  je  sui  fort  et  legier. 
Yenes,  si  vos  irai  vengier 
De  Renart  dont  te  pleins  einsi. 
11  conperra  par  tens  l'anui 

1225    Que  il  vos  a  fet,  ce  saciez,' 
Et  Droïns  est  levés  en  piez 
Sitost  con  il  l'a  entendu, 
Et  a  Morhout  a  respondu 
'Baux  dons  amis,  vos  dites  bien. 

12:30    Ne  me  faudroit  el  monde  rien, 
Se  g'estoie  vengies  de  li. 
Ge  m'en  vois,  vos  remandroiz  ci. 
S'irai  savoir  et  esprover 
Se  porroie  Renart  trover. 

1235    Et  gardes  que  ne  vos  movez 

Jusqu'à  tant  que  vos  me  raurez, 
Ge  m'en  irai  a  son  recet 
Trestot  bêlement  et  sans  plet. 
Sil  vos  ameurai,  se  gel  truis.' 

1240    Dist  Morhout  'se  tenir  le  puis, 
Ge  ne  déniant  nule  autre  chose.' 
Droïu  son  vet  (cil  se  reposse) 
Voletant  parmi  un  essart 
Droitement  au  recet  Renart, 

1245    Qar  il  le  savoit  molt  très  bien. 
Droïn  qui  nel  dote  de  rien, 
Si  tost  con  il  vint  au  pertuis, 
Si  a  regarde  parmi  l'uis 
Et  voit  Renart  qui  se  gisoit. 

1250    Droïn  qui  asez  mal  savoit, 
S'escrie  quanqu'il  puet  crier 
'Renart,  car  me  venes  mangier! 
Yien  tost  a  moi  et  si  m'estrangle  ! 
Ge  ne  me  movrai  de  cest  angle. 


1227  lout  e.     1229  ilito     1231   lui     1232  roiiiandi'oit  ci     123B  rauez 
123'J  s«  puis     1240  (lit     1247  il  la  entendus     124s  luis     1251   pot 


XI  (Môon  2:)61 1-25646)  425 


1255    Ne  me  voil  de  ci  desrenger: 
Tel  dol  ai,  je  cuit  enragier. 
Vien,  s'en  délivre  le  païs, 
Quant  tu  as  mes  enfans  ocis: 
Car  certes  ne  quier  vivre  mes.' 

121)0    Renars  se  gisoit  tôt  en  pes, 
Molt  a  ese  se  reposoit. 
Quant  oï  Droïn  qui  crioit 
Que  il  Falast  manger  la  fors, 
Trestot  meintenant  sailli  fors. 

1265    Ou  qu'il  voit  Droïn,  si  11  cort. 
Mes  il  n'ot  cure  de  tel  cort, 
Qu'il  ne  vout  pas  encor  morir. 
Un  petit  a  pris  a  foïr 
Avant,  et  puis  s'i  rest  asis. 

1270    Ti'  dit  Renart,  'dolenz  chaitis. 
Tu  fuis,  si  ne  m'oses  atendre. 
Quides  tu  que  te  voille  prendre? 
Par  la  foi  que  doi  seint  Simon, 
Ge  ne  me  fas  se  joer  non, 

1275    Et  Bi  ne  be  a  toi  tocher  : 
Ne  plus  que  voudroie  sacher 
Mon  oil  de  ma  teste  et  crever, 
Ne  to  voudroie  je  grever. 
Si  ne  to  voil  certes  nul  mal. 

1280    Sie  toi  ci  ilec  en  cest  val, 
Si  te  reposse  deles  moi: 
Ge  ne  te  voil  nul  mal  par  foi. 
Certes  je  ne  te  prendrai  pas 
Ne  ja  par  moi  nul  mal  n'auras.' 

1285    'Si  feras  par  l'ame  de  toi' 

Fet  soi  Droïn  :  'vien  près  de  moi 
Que  je  ne  me  movrai  de  ci. 
Ce  poise  moi  que  je  foï. 
Prcn  moi:  ge  n'irai  en  avant.' 

1290    Renart  qui  molt  fu  desirrant 


1255  dici     1277  creguer     1280  ici     1284  naural     128*5  Droïn  ]  R. 
1289  nira  en     12;)9  disirrant 


426  XI  (Mpoii  2â647— 25682) 

Et  covoiteus  do  li  avoir, 
Quide  molt  bien  qu'il   die  voir. 
Si  li  curut  et  si  li  saut,  • 
Et  Droïnct  un  poi  tressaut 

121)5    Tôt  coiemcnt  et  sauz  tencon, 

Tant  qu'il  vint  devant  le  buisson. 
Adont  s'asist  et  dist  'par  foi. 
De  ci  ne  me  niovrai  por  toi, 
Ci  iloques  voil  je  morir.' 

1300    Renart  fu  en  molt  grant  désir 
De  li  prendre  et  entalente, 
Molt  en  avoit  grant  volonté, 
81  li  est  sus  eorut  tantost. 
Mes  Morhout  qui  s'estoit  repost, 

1805    Si  est  meintenant  sus  sailliz. 
Par  li  fu  Kenars  asailliz, 
Si  li  curt  sus  plus  que  le  trot. 
Quant  Renars  l'a  veii,  por  sot 
Se  tint,  si  torne  le  talon. 

1310    Et  cil  l'aert  par  le  crépon, 

As  denz  le  pigne  et  honse  et  hape. 
Renart  s'estort,  si  li  escape, 
En  fuie  torne:  cil  le  prent 
Par  la  cuisse,  pas  ne  mesprent, 

1315    Et  tantost  a  terre  le  lance. 

Puis  si  li  monte  sor  la  pance. 
As  denz  le  huce,  pingne  et  sache: 
Tel  coroie  del  dos  li  sache 
Qui  plus  de  troi  doie  ot  de  le. 

i;320    Ez  vos  Renart  molt  adole 
Et  corocie,  si  n'en  pot  mes. 
Que  Morout  le  tint  si  de  près 
Conques  les  denz  de  son  dos  n'oste. 
Renars  n'oûst  seing  de  tel  hoste, 

1325    Mes  il  ne  s'en  pot  escondire. 
Durement  sa  pel  li  descire. 


1291  lui     1297  dit     1298  m.  par  foi     1301   lui      1305  sus  manque 
1306  lui     1319  Que     1324  not     1325  se  p. 


XI  iMôon  25ii83-25718)  427 


Ta  ut  le  desache  et  tire  et  mort 
Que  Renart  a  lessie  por  mort. 
Par  anui  l'a  Morhout  laissie. 
1330    Es  vos  Droïn  tôt  eslessie, 

Si  est  devant  Morhout  venu. 
Conment'  fait  il  't'est  avenu?' 
'Bien'  dist  Morhoz,    n'en  dotez  ja. 
Ge  cuit  James  ne  mangera: 
1335    Ge  Tai  tant  tire  et  sache 

Que  bien  sai  qu'il  est  meengne. 
S'il  escape,  n'en  dotes  mie  133 

Le  deable  aura  en  aïe: 
Que  il  n'en  escapera  pas: 
1340    Car  il  est  tant  batus  li  las, 
Que  James  ioiax  ne  sera, 
Xe  James  sor  pies  n'esterra, 
Trop  a  en  maies  meins  este.' 
Dist  Droïn   ce  me  vient  a  gre, 
1345    Bien  m'as  rendu  ce  que  t'ai  fet.' 
A  icest  mot  Morhout  s'en  vet. 
S'a  li  uns  l'autre  conmandc 
Molt  debonerement  a  de. 

Morhout  s'en  vet,  plus  ne  demande, 
1350    Droïn  a  damledeu  coumande. 
A  icest  mot  s'en  est  tornez. 
Et  Droïn  qui  molt  fu  irez, 
Kemeist,  s'est  venu  a  Renart 
Corant,  que  molt  li  estoit  tart 
i;-(55    Qu'il  li  oust  dit  son  plaisir 

Que  molt  en  avoit  grant  désir. 
Tôt  meintenant  a  li  en  vient, 
Demande  li  con  se  contient. 
'Conment  vos  est,  sire  Renart? 
13G0    Ci  endroit  vaut  petit  vostre  art, 
Molt  estes  malement  baillis. 
Vostre  pelicon  est  faillis  : 


1336  Qui     1338  Le  d.  en  a.  en     1341  Ioiax     1344  Dit     a  manque 
1347  Sa  luns     1348  M.  très  bonement     1352  fu  senez     1357.  13.59  lui 


428 


XI  (Méon  25719—25754) 

Baienes  i  faut  et  cluteax. 
Molt  sont  descirees  vos  peax. 

1365    Se  li  tens  un  petit  se  tient, 
Autre  pelicon  vos  convient, 
Ou  vos  morres  de  froit  sanz  dote, 
Se  dame  Ilersens  ne  vos  bote 
Entre  sa  cemise  et  sa  char. 

1370    Or  nel  tenes  mie  a  eschar, 
Se  gel  vos  ai  amenteii.' 
Renars  n'a  nul  mot  respondu  : 
Si  l'ot  il  bien,  mes  n'a  pooir 
De  nul  de  ses  menbrcs  movoir. 

1375         Quant  Droïn  l'ot  ases  gabe 
Tant  con  li  plot  et  vint  a  gre, 
De  li  s'en  part  et  si  s'en  vet 
Molt  joiant  et  grant  joie  fet 
De  Renart  dont  il  ert  vendiez. 

1380    Renars  remest  toz  detrencies 
La  pel  du  dos  en  tel  manere 
Que  il  n'alast  n'avant  n'arere, 
Qui  li  doiist  couper  les  piez. 
Hoc  remeist  greins  et  iriez 

1385    Con  cil  qui  ne  se  pout  movoir 
D'iloques  por  nul  ostovoir, 
Que  tant  ne  quant  son  cuer  ne  sent. 
Atant  es  vos  dame  Hersent 
Sa  conmere  qui  tant  l'amoit, 

13!K)    Qui  son  dons  ami  le  clamoit. 
Et  Ysengiin  avoques  li. 
Et  quant  il  ont  Renart  choisi 
Et  le  virent  si  atorne, 
Mcintenant  sont  vers  li  torne 

1395  Molt  corocie  et  molt  dolent. 
'Lasse  chaitive  !'  fot  Hersent 
'Nostre  conpero  si  est  mort! 
Dolente,  ou  ]n-ondra  gc  confort? 


18H3  Baiens     1365  desciroe     lo77  et  manque  lui     137S  et  mit  g. 
1381  de  d.     1387  Qui     1389  que     1391  lui     1394  lui     1396  .li  .  h 


XI  (M.'on  2575.-,  -25791)  429 


lia  cliaitivo  maloûree, 

1400    CoD  je  fui  de  maie  oure  née!' 
Dit  Ysengrins  'dolent  chaitif! 
Molt  he  l'oure  que  je  tant  vif, 
Quant  mon  conpere  ai  ci  perdu 
Qui  si  ni'avoit  bieu  socom: 

1405    Au  grant  besoing'  me  fii  ami. 
Or  le  voi  mort,  ce  poisse  mi. 
Las  chaitif!  qui  li  a  ce  fet? 
Durement  est  vers  moi  mesfet. 
Si  m'aït  dex,  se  gel  savoie, 

14in    Molt  hautement  le  vencheroie  : 
Se  gel  pooie  as  moins  tenir, 
Molt  tost  le  convendroit  fenir. 
Et  si  me  face  dex  pardon. 
Il  n'en  auroit  ja  raencon. 

1415    Mes  ce  que  vaut?  Ce  est  del  moins. 
jNIolt  a  este  en  maies  meins 
Mes  conpercs.  dont  sui  iriez. 
Ha  las,  dont  est  il  repairies? 
Par  qoi  et  par  queil  acoison 

1420    Se  départi  de  sa  meson  ? 
Ahi,  li  las  maloûre 
En  inale  prison  a  este. 
Sa  maloûrte  i  gisoit 
Et  avant  aler  ne  pooit.' 

1425    Renars  entendi  sa  coninere 
Et  oï  crier  son  conpere 
(lui  por  li  molt  grant  dolor  ot. 
Si  respondi  au  meus  qu'il  pot 
'Baux  conpere,  ne  plores  pas  ! 
14:50    Se  dex  plaist,  je  ne  morrai  pas, 
Ancois  en  escaperai  bien, 
(Ne  vos  estuet  doter  do  rien) 
Se  dex  plaist  e  sa  douce  mère.' 
Quant  Ysengrins  ot  son  conpere 


1400  mal      UO.S  si       1407    q       U17    ooui)f"iTOS      1418    repairries 
1424  li  las  li     1427  (loi     1429   B.  doz  c. 


480  XI  (M.'oii   2:.791 -25828) 

1435    Qui  parole,  s'en  fu  rnolt  liez. 
'Vos  estes  m  oit  mesaeisez' 
Fet  Yseugrins,    bau  doz  amis. 
En  grant  dolor  mon  cuer  a  mis 
(Ja  mes  n'en  aurni  mon  cuer  lie) 

1440    Qui  einsi  vos  a  damagie 

Oel  crépon  et  celé  pel  frète. 
Maie  jornee  aves  liui  fête.' 

Voire'  dist  Kenart,    deu  merci, 
Malement  m'a  mon  cuer  noirci 

1445    Et  desache  et  detire. 
Ge  sui  malement  atiie, 
(îe  ne  sai  se  porrai  garir.' 
Dist  Ysengrin  'molt  le  désir 
Que  a  garisson  soiez  mis.' 

1450    'Oïl  voir,   beau  très  doz  amis' 
Eet  Kenars,  je  garroie   bien, 
8e  g'avoie  un  fisicien. 
Dist  Hersent    baux  très  doz  amis, 
Dites  qui  vos  a  si  malmis.' 

1455     Dame'  dit  Renars,  'sachez  bien 
Einsi  m'a  atorne  un  chen. 
Ne  puis  traire  a  moi   meins  ne  pies. 
'Se  vos  gaiir  en  poïes, 
N(^  me  cliaudroit'  dit   Yseiigriii, 

14(.0    'Le  miie  aui'oit  un  marc  d'or  lin, 
S'il  vos  puet  trere  a  gai'ison  ' 
Sire'  dit  Renars,  'si  feron. 
Se  dex  plest,  j'en  escapere.' 
Adont  a  Renart  acole 

1465    Et  baissie  trois  fois  en  la  face. 
Dit  Renars  'se  dex  bien  me  face, 
Ne  me  puis  d'ici  remuer. 
Se  vos  ne  m'en  fêtes  porter: 
Ge  ne  verrai  ja   l'aserir.' 

1470    Atant  le  eoruroit  sesir 


1436  nieseisez    1443  dit    1448  Dit    disir    1451  garrei    1452fedecien 
1454  q     1457  moi„   "pies'  „meis     1461  pot     1469  uenrai 


XI  (Méon  25829-25864)  431 

Hersens  et  Ysengrins  viaz, 

Si  le  portèrent  entre  bra/ 

A  lor  ostol  a  molt  grant  peine.  134 

De  li  servir  chascun  se  peine, 
1475    Molt  par  i  metent  grant  entente. 

En  totes  ses  plaies  ot  tente, 

Poison  li  font  boivre  et  mecine: 

D'erbe  a  niangie  meinte  racine 

Si  con  li  mires  lor  enseigne. 
1480    Ne  cuit  mie  que  il  se  feigne 

De  li  garir  et  repasser, 

Q'ainz  qu'en  veïst  le  mois  passer 

Fu  il  garis  et  respasses. 

Li  mires  qui  s'en  fu  lasses 
148.')    A  li  garir  et  alegier 

Estoit  venus  de  Monpeller: 

Ysengrins  l'ot  envoie  querre. 

N'ot  meillor  mire  en  Engleterre 

Ne  nul  si  bon,  si  con  je  cuit: 
1490    Car  il  fu  sages  et  recuit 

De  plaies  garir  et  saner. 

Tant  se  vont  de  Renart  pener 

Que  il  l'a  a  garisson  mis. 

Un  marc  d'or  li  avoit  promis 
149.')    Ysengrins,  si  li  a  baillie, 

Et  il  s'en  fu  si  travelle 

Que  il  fu  tos  garis  et  sein. 

Congie  prent,  si  s'en  va  a  plein. 

Li  mires  s'en  va:  cil   lemeint, 
1500    Ronars  la  ou  quide  qu'en  l'eint. 

Et  si  faisoit  eu  sanz  gabois. 

liée  sojorna  près  d'un  mois 

Avec  Hersent  et  Ysengrin 

Tant  que  un  vendredi  matin 
1505    Se  leva,  ^i  a  congie  pris. 

Corne  cortois  et  bien  apris 


1474  lui     1476  plaes     tentes     1479  li  enj^egne      1481  lui     1485  lui 
1491   "„saner  et'  „garir 


432  XI  (Méon  2:)Sfi5— 25900) 

Li  donc  Ysongrins  doiicoment. 
Mes  molt  eu  pesa  a  Hersent, 
Et  jure  le  cors  seint  Jolian 

lôio    Que  son  veil  n'en  partist  oan. 
'Dame'  fait  il,    bien  vos  en  croi, 
^les  par  celui  en  qui  je  croi, 
Yos  ni'aves  bien  sei'vi  a  gre.' 
Atant  avale  le  degré 

lôlô    Et  s'en  issi  de  nieintenant. 

Dame  Hersens  remeist  plorant. 
Mes  Ysengrins  si  le  convoie 
Tant  que  il  l'ot  mis  en  la  voie. 
Retornez  s'en  est  tôt  pensis, 

15-20    Et  Renars  s'est  au  corre  pris, 
Parmi  la  forest  de  randon 
S'en  vet  fuiant  a  esperon. 

Renart  s'en  vet  a  grant  alcne, 
Molt  grant  joie  en  son  cuer  demoine 

lôSf)    De  ce  qu'il  est  fors  et  délivres. 
Mes  qui  li  donast  cinc  cent  livres, 
Ne  voudroit  il  estre  en  tel  point 
Con  il  a  este.  Adont  point 
Son  cheval  molt  très  durement 

lô.'3(1    Qui  de  corre  ne  fu  pas  lent. 
Delez  un  boisson  bel  et  grant 
Trova  un  escuier  pissant: 
Son  cheval  fu  enmi  la  voie. 
Renart  le  voit,  vers  li  s'avoie 

1.03;')    Et  voit  qu'en  la  sele  au  roncin 
Si  avoit  pendu  un  bacin 
Dont  on  fet  as  ânes  peor: 
Molt  par  estoit  bans  li  tabor. 
Deles  le  tabor  a  l'arcon 

lôlO    Avoit  atache  un  faucon. 

Renars  qui  bien  l'a  regarde, 
Est  tantost  celé  part  aie 


1508    mit    mit    en      1518    quil    lot      1520  priss      1526    .lib.     1531 
bosson     1534  lui     1542  par 


XI  (Méon  25901-259^6)  433 

Et  choisi  celi  qui  pissoit. 

Yers  le  loncin  vint  qu'il  prisoit: 
1545    Que  il  n'i  ot  demore  plus, 

Tôt  nieintenant  est  sailli  sus 

Et  le  fiert  grans  cous  des  talons, 

Et  il  s'en  vet  de  grans  randons. 

Ausi  s'en  va  con  a  besoing, 
lô.'iO    Le  faucon  a  mis  sor  son  poing 

Dont  il  ot  a  son  cuer  grant  joie, 

Esporonant  s'en  vet  sa  voie. 

Li  escuiers  oï  la  freinte, 

L'espee  treit  qu'il  avoit  ceinte, 
1555    Hi  li  cort  sus  de  meintenant, 

Et  cil  s'en  vet  esporonant, 

Qui  n' avoit  soing  de  son  acost. 

Li  escuiers  l'ot  perdu  tost 

Qui  ne  pot  pas  sitost  aler, 
1560    Et  cil  pense  d'esperoner 

Grant  aleiire  par  le  bois 

Tant  qu'il  a  trove  un  marois 

A  l'oissue  du  bois  rame. 

D'anes  i  avoit  a  plente 
15fi5    En  un  estanc  qui  i  estoit. 

Renars  s'en  vet  celé  part  droit: 

Quant  Renars  a  l'estanc  veii, 

Onques  mes  si  joiant  ne  fu. 

Son  tabor  sone  et  eles  saillent. 
1570    Je  ne  cuit  pas  que  oi  s'en  allont: 

Se  Renars  puet,  il  en  aura. 

Tantost  l'esprever  delaca, 

Les  gez  lascha  a  la  volée. 

Et  il  s'en  ist  a  la  volée 
1575    Et  molt  durement  s'esvertue. 

Atant  a  une  ane  abatue, 

Soz  li  la  tint  entre  ses  piez. 

Renart  i  vint  toz  eslessies, 


1549  besoig     1564  a  grant  p.     1569  e.  uolent      1577  lui      entre] 
desus 

REXART      I  28 


434  Xr  (M,'.cn  2.-.!):î7- 25975) 

Le  faucon  roproiit,  si  le  jeté, 
1580    Et  il  tôt  ineiutenant  s'adrece, 

Et  en  a  une  autre  sesie 

Et  a  la  terre  l'a  jalie, 

Et  Rcnart  si  la  tantost  prise. 

MoU  en  fet  grant  joie  et  niolt  pii.sf» 
lô8j    Le  faucon  et  niolt  le  tient  cher: 

Tautost  le  ra  mis  au  frapier. 
Qu'iroie  lone  conte  contant? 

Trois  ânes  prist  en   un   tenant. 

Kenars  molt  très  grant  joie  en  fet, 
ijiiO    Triers  li  les  trosse,  si  s'en  vet: 

Do  son  gaaing  bien  se  déporte, 

Le  faucon  desus  son  poing  porte 

Et  est  en  la  forest  entre. 

Mes  il  n'ot  pas  grantnient  este 
15i)â    Qu'il   vit  le   limaçon  venir 

La  lance  el  poing.  Fescu  tenir 

Sor  un  cheval  tôt  aficlie, 

Bien  arme,  le  haume  lacie: 

Pongnant  s'en  vet  par  un  essart. 
Kioo    Sitost  con  a  veu  Renart, 

(îranr  joie  en   out  en  son  coraje, 

Qu'il  li  ot  fet  nieint  grant  daniaje 

Et  grant  rancune  et  grant  anui. 

Vencher  s'en  quide  encore  enqui  : 
nm    Trestot  l'an  ni  que  fet  li  a 

Orendroit,  ce  dit,  li  rendra. 
Quant  lîenars  a  Tardif  coisi. 

Lors   voussist  estre  a   Choisi  l.'j") 

Tôt  sans  cheval  et  sans  faucon. 
IGIO    Atant  e  vos  le  limaçon 

Qui  s'eslesse  sans  atargier. 

En  Renart  n'ot  que  corocier: 

Son  faucon  atace  vias 
Desus  son  arcon   o  les  laz, 
1615    Et  Tardif  a  pris  son  espie, 


Après  le  r.   1579  on   lil  h'  r.  1586     lôSl  un     1590  lui     1592  poi^ 
1602  fet  fet  gran 


XI  lMA„ii  •2M>7t;-2B(tl2)  485 

Au  premier  coup  Ta  mis  a  pie 

Tôt  estendu  et  trestot  plat. 

Il  resaut  sus  pensif  et  mat, 

Et  le  tabor  par  les  las  tint. 
l()-2()    Meiutenant  vers  Tardif  en  vint 

Et  de  molt  bien  ferir  s'afete. 

-Ta  ot  Tardif  l'espee  traite 

Et  s'est  de  ferir  aprestez: 

Mes  Renart  s'est  un  poi  hastes 
1625    Et  le  fiert  tel  coup  del  tabor 

Qu'il  l'abat  jus  del  misourlor. 

De  si  haut  conme  Tardif  iu 

Chaï  envers  sor  son  escu, 

Toz  s'est  trébuches  et  cou. 
IHH')    Et  Renars  si  cort  a  l'escu, 

Del  tabor  le  fiert  lez  l'oreille 

Que  la  teste  li  fait  vermeille. 

Tôt  lo  vis  li  a  escorcie. 

Et  Renars  sailli  a  l'espie 
163')    Qui  estoit  granz  et  fort  et  gros, 

Si  li  lance  parmi  le  cors. 

Mort  l'a  :  puis  monte,  si  s'en  vet. 

L'espee  ceint,  grant  joie  frt. 

L'espie  en  porte  tôt  vermeil 
1640    Qui  reluist  contre  le  soleil. 

Renart  s'en  vet  joiant  et  lie, 

En  son  poing  porte  sou  espie 

Fort  et  ligier  et  bien  plane. 

Le  cheval  a  esporone 
1645    Qui  li  vet  molt  grant  alenee. 

Sa  voleille  avoit  trossee 

Sor  le  cheval  au  limaçon 

Qui  molt  ert  de  bêle  façon, 

Par  la  resne  le  meine  en  destre 
1650    Devant  li  regarde  a  senestre 

Et  voit  un  messager  venant. 

Sor  un  cheval  esporonant 


1621  f.  lafete     1«29  cous     1682  meiucille     1042  poig     1650  lui 

28* 


436  \I  (Méon  2R013— 2(5047) 

Venoit  hastivemont  et  tost. 

Bien  semble  home  qui  vogue  d'ost, 

1()55    Qar  de  tost  venir  s'esvertue. 
Ou  voit  Renart,  si  le  salue. 
Sire'  fait  il,    cil  dex  vos  meint 
Qui  la  amont  es  seins  ciex   meint! 
Et  Renart  tantost  respondi 

16()0    'Amis,  dex  beneïe  ti! 

Dont  viens  et  ou  vas  et  que  quiers?' 
'Sire'  ce  dist  li  messagers, 
'Drois  est  que  le   voir  vos  dions. 
Misire  Nobles  li  lions 

1665    M'a  ci  iloc  a  vos  tramis 

Con  a  un  des  mellors  amis 
Que  il  ait  et  qu'il  aime  plus. 
Ge  ne  quit  que  el  mont  n'est  nus 
Que  il  aint  autant  conmo  vos. 

1670    Cest  bref  vos  envoie  par  nos, 
'l'eues  le  et  si  le  lisiez  !' 
Renart  le  prent,  s'en  fu  molt  liez. 

Renart  a  brisie  les  soiax 
Et  puis  lut  les  letres  roiax. 

167.)    Bien  sot  a  dire  qu'il  i  a. 
Le  messager  araisonna 
Et  dist    amis,  foi  que  vos  doi, 
Ge  m'en  vois  orendroit  au  roi. 
De  ce  qu'il  requiert  sache  bien 

16S0    Que  je  ne  li  faudrai  por  rien.' 
Cil  li  respont  'vostre  merci.' 
Congie  prent,  si  s'en  est  parti. 
Et  Renars  s'en  vet  autresint. 
Son  faucon  desor  son  poing  tint: 

1685    Molt  resemble  bien  home  apert. 
Devant  li  encontre  (Jrinbert 
Son  cosiu  qui  l'a  salue. 


\(]r>(i  Ou  III (i)/(] H, •  R.  le  uuit  1658  el  seint  ciel  1661  Dout  1664 
lion  l(i67  Quil  lG(i8  nen  ca  nus  1669  autretant  1671  brisiez  1672  R. 
a  le  seax  brisiez  1678  le  1()78  oreiidroites  au  1679  quil  nie  requier 
1680  ren     1686  lui 


XI  (Môon   2604S— 260HH)  431 

'Bon  jor  vos  soit  hui  ajorne!' 

Fet  Grinbert  'et  dont  venes  vos?' 
1690     Cosin,  dex  beneïe  vos!' 

Fet  Renars  quant  il  l'ot  parler, 

Venes  sor  cest  cheval  monter, 

Si  iron  moi  e  vos  a  cort.' 

Lors  ne  fu  mie  Grinbert  sort. 
IfiOô    Quant  Grinbert  ot  conmandement, 

Si  est  montes  isnelement 

Que  il  ne  volt  plus  delaier: 

Or  a  Renart  bon  escuier. 

Tôt  meintenant  que  montes  fu, 
1700    A  a  son  col  pendu  l'escu 

Et  l'espie  li  baille  en  son  poing. 

De  tel   conpaignie  avoit  seing. 

Desor  son  poing  son  faucon  porte, 

En  aler  forment  se  déporte, 
1705    Et  vont  andui  parlant  ensenble. 

Mes  poi  ont  aie,  ce  me  senble. 

Qu'il  ont  Percehaie  encontre. 

Ce  est  des  filz  Renart  l'einz  ne. 

Molt  venoit  grant  duel  démenant 
1710    Sor  un  cheval  esporonant. 

Son  père  a  tantost  salue. 

Et  Renars  si  l'a  acole 

Et  dit  'con  vos  est  convenant?' 

'Sire'  fait  il,  'maveisement 
1715    Nos  est  avenu,  bau  doz  père.' 

'Conment?'  'Par  foi,  morte  est  ma  mère. 

'Morte?'  fet  Renart.  'Voire,  sire.' 

Molt  en  out  a  son  cuer  grant  ire 

Renart,  quant  la  novele  entent: 
17-JO    A  poi  que  li  cuers  ne  li  fent. 

Molt  ot  grant  dolor  en  son  cuer 

'Ha,  Hermeline,  bêle  suer. 

Quant  morte  estes,  que  porrai  ferc':^' 

Percehaie  li  dist.'bau  père, 


1693  Siron     1695  out    1699  mointenant     1702  toi    1709  M.  i)ar  u. 
1710  esporant     1714  mauoiement     1724  dit 


488  XI  (Mcon  26087—26125) 

1725    Cestui  duel  convient  a  laissier, 
Desconforter  n'i  a  mestier.' 
'Las'  dist  Renart,  'maloiire! 
Et  conment  m'en  confortere? 
l'as  conforter  ne  me  porroie, 

1730    Beax  filz  :  mes  alez  totevoie 
Arieres,  si  ne  demores, 
Et  voz  deus  frères  m'amènes 
A  la  cort  Noble  le  lion. 
Toz  trois  chevalier  vos  feron 

1735    Mes  que  veingne  la  pentecoste, 

Qui  que  soit  bel  ne  que  qu'il  coste, 
Qar  au  roi  molt  grant  guerre  sort. 
Aies,  ses  m'amènes  a  cort 
Molt  tost  et  molt  delivrement!' 

1740    'Sire,  vostre  conmandement 
Ferai,  et  volenters  l'otroi.' 
A  itant  départent  tuit  troi: 
Si  s'en  retorne  Percehaie, 
Et  Renart  se  mist  a  la  voie  136 

1745    Et  Grinberz  fu  les  li  en   coste 

Qui  au  meus  qu'il  pot  le  conforte. 

Tant  ont  a  aler  entendu 
Que  il  sont  a  la  cort  venu. 
Entre  Renart  et  le  tesson 

1750    Andui  descendent  au  perron. 
Et  dan  Tecelin  li  corbeax 
Reçut  anbedoi  les  chevaus 
Et  l'escu  et  la  lance  après. 
Atant  montèrent  el  pales 

1755    Ou  l'enpereor  ont  trove. 
Molt  gentement  l'ont  salue, 
Et  Renars  con  bien  ensegniez 
S'est  devant  lui  ajenolliez. 
Li  rois  conmande  qu'il  se  liet. 

1760    Meintenant  deles  li  l'asiet 

Et  dist  'Renart,  mande  vos  ai 


1727  dit    1738  ses  J  si    1745  lui    liryS  S\ncinqne    176U  lui     1761  dit 


XI  (Méon  -iHriii— 261C.1) 


439 


ai 


Que  molt  très  grant  niester  en 
Por  paiens  qui  me  font  grant  gerre. 
Il  sont  ja  entre  en  ma  terre, 
1765    Et  si  les  conduit  li  camous. 
Ja  a  de  mes  castax  pris  rions 
Des  mellors,  des  plus  fors  donjons. 
Tant  i  a  des  escorpions, 
Oliphanz,  tigres  et  yvoires 
1770    (Trestoz  ont  perduz  lor  mémoires) 
Bugles.  dromaderes  légers, 
Qui  molt  sont  orgellos  et  fiers: 
Guivres,  sarpens,  ne  sai  le  conte. 
Molt  dot  qu'il  ne  me  facent  honte. 
1775    Lesardes  i  a  et  culovres.' 

Dit  Renart  'ci  a  maies  ovres. 
Mandes  vos  gens  sans  plus  atendre: 
S'iron  vostre  terre  deffendre.' 
'Renart,  Renart'  dit  Fenperere, 
1780    'Vos  dites  molt  bien,  par  seint  Père. 
Einsi  ert  con  vos  conmandes. 
Toz  mes  barons  seront  mandez 
Par  non,  ja  n'en  i  faudra  un, 
Tuit  seront  mande  de  conmun." 
1785    Âtant  fet  escrire  ses  bres. 

Qui  que  soit  bel  ne  qui  soit  grès: 
Ses  envoie  par  ses  barons. 
N'i  remeist  grues  ne  hairons 
A  semondre,  n'ors  ne  lipars, 
1700    Neïs  mon  seignor  Espinars 
Le  hirccon,  ne  lou  ne  chen, 
De  ce  se  pu  et  il  vanter  bien. 
Et  Bernart  Tarcheprestre  i  vint 
Et  Baucent  que  par  la  mein  tint. 
1795    Et  si  i  vint  de  meintenant 

Brun  l'ors  et  mon  segnor  Ferrant 
Le  roncin  et  Tiebert  le  cat, 

17H5  camoul     1766  p.  ia  .11.    1770  les  ....    1771  .Ironadoios  logera 
1772  Que     1779  deffondre    1792  pot     1796  lor  et     1797   et  monsegnor  t. 


440  XI  (Mcon  2t;i62  -26197J 

Et  si  i  fu  Pelé  le  rat. 
Si  i  est  venus  Ysengrin. 

1800    Roussel  l'escuirol  et  Belin 
I  vindrent  tantost  et  a  plein 
Entre  li  Timer,  mein  a  meia. 
Si  i  est  venus  Chantecler 
Li  cos  qui  molt  fist  a  loer. 

1805    Li  singes  i  vint  et  Coart, 
Hardis  li  conins  et  Rohart 
Le  corbel  frère  Tecelin. 
Tant  en  venoit  par  le  cemin 
Que  ce  n'est  se  merveille  non. 

1810  Frobert  i  vint  le  gresillon 
A  grant  desroi  et  a  estrif. 
Trestuit  i  vienent  fors  Tardif, 

Li  rois  s'est  apoies  as  estres: 
Si  regarde  par  les  fenestres, 

1815    Vit  venir  penons  et  enseugnes. 

'Renart,  esgardes,  ques  conpaignes' 
Fet  li  rois  'de  barons  de  pris  ! 
Cist  ni'aquiteront  mon  païs 
Vers  tos  homes  par  lor  puissance. 

1820    Vois  tante  enseigne,  tante  lance, 
Tant  blanc  haubert  et  tant  escu! 
Cil  de  la  seront  tuit  veincu. 
Molt  avom  gent,  la  deu  merci  : 
One  mes  tant  ensenble  ne  vi, 

1825    Xou  fist  nus  hom  au  mien  quidier.' 
Et  cil  se  prennent  a  loger, 
Es  près  qui  sont  et  grant  et  Ions 
Tendent  tentes  et  pavellons. 
Quant  tuit  ^e  furent  atrave, 

1830    Brun  Turs  est  el  paleis  monte 
Et  li  haut  baron  avoc  li. 
Li  rois  molt  bel  les  recueilli 
Et  lor  fet  grant  joie  et  grant  feste, 


1799  i  manque  1802  lui  1803  i  manque  1804  L  cos  1807  c.  i 
uint  et  t.  1812  i  manque  1815  et]  i  1822  C.  diront  t.  s.  u.  1825  raen 
ou  nien     1831  lui 


XI   fMéon  261N8— 2K23.S)  441 

Et  puis  lor  a   conte  son  estre. 
1835    'Segnor,  a  vos  me  plein  tresto.s 

De  ces  félons  paiens  estos 

Qui  en  ma  terre  sont  entrez. 

^les  casteax  et  mes  fermetés 

Prenent  par  force  de  lor  gent. 
184U    Sachez  ne  m'est  ne  bel  ne  gent 

Que  vos  tant  les  aves  soffert. 

Li  camaus  malement  me  sert 

Qui  nus  ameine  ses  paiens. 

Mes  nos  avoms  molt  cristiens' 
184j    Fet  il.  ja  ne  nos  atendront: 

Ge  croi  meus  que  il  s'en  fuiront.' 
'Sire'  dist  Belins  li  niotons, 

'Molt  aves  ci  riches  barons 

Et  haus  homes  de  grant  lignage. 
1850    Si  i  a  meint  prodom  et  saje 

Qui  bon  conseil  sauront  doner 

Conraent  vos  en  porres  ovrcr.' 

Renars  qui  sist  joste  le  roi, 

Li  respont  en  haut   par  ma  foi, 
1855    Sire  Belin,  vos  dites  bien, 

Yos  n'i  aves  mespris  de  rien. 

Mes  ja  conseil  de  cest  afere 

N'i  aura  pris  :  or  del  bien  fere  ! 

Ancois  movrom  demein  matin.' 
186U    'Sire  Renart'  ce  dit  Belin, 

'Vos  dites  bien,  se  dex  me  saut. 

Mes  mon  segnor  Tardis  nos  faut  : 

Il  n'est  pas  a  la  cort  venuz, 

Ne  sai  por  quoi  s'en  est  tenus. 
1865    Rosauls  l'escuireil  saut  avant. 

Si  li  respondi  meintenant 

'Sire  Belin,  n'atendes  pas 

Tardif,  car  il  ne  vendra  pas, 

Que  il  est  mors,  n'en  dotes  mie.' 


1845  atcindront     1847      bclini       1851    conseil   «auront   conseil    d. 
1859  m.  Iç  demein 


442  XI  (Mp..n   '-'(J'ia^ -28269) 

1870    Li  rois  a  la  parole  oïe, 

S'en  fu  niolt  dolans  ef  si  dit 
'Roxel,  di  moi,  se  dex  t'ait, 
En  queil  leu  fu  mort  et  conment." 
'Sire,  so  damledex  m'ament, 

1875    Ge  Scù  bien  que  il  fu  ocis, 
Et  si  le  vi,  jel  vos  plevis, 
Tôt  mort,  et  si  vi  bien  la  plaie.' 
Li  rois  l'oï,  moit  s'en  osmaie, 
Qui  molt  l'amoit  et  tenoit  cher. 

1880    'Segnors,  ci  a  grant  cnconbrer'  137 

Fet  li  rois,  'car  me  conseilliez!' 
Ysengrins  s'est  levés  en  piez 
Et  dit  au  roi    laissies  ester. 
Que  mort  ne  puet  nus  recovrer. 

1885    Puis  que  sire  Tardis  est  mort, 
Queres  qui  le  gonfauon  port, 
Et  qui  que  le  doiez  baillier, 
Vos  covient  il  gonfanoner.' 
Voirs  est'  dit  li  lois,    par  mon  chef. 

1800    Mes  por  deu,  or  ne  vos  soit  gref, 
Mes  gardes,  por  deu  vos  prion. 
De  qui  gonfanonner  feron  : 
Por  deu  vos  en  requier  et  pri.' 
'Sire,  nos  l'otrions  ensi' 

1895    Fet  chascun  de  la  soe  part. 
Atant  es  vos  les  filz  Renart, 
Tuit  troi  el  paleis  sont  entre, 
Molt  bel  ont  le  roi  salue. 
Que  molt  sont  de  bêle  parole. 

1900    Li  rois  les  conjot  et  acole. 
Conme  debonere  et  cortois 
Les  asiet  deles  li  li  rois 
Et  dit  que  molt  sont  bel  et  gent. 
Maintenant  conmande  a  sa  gent 

1905    Que  entr'ous  gonfanoner  facent 


1877  uit     1882  ses  1.     1884  pot     1894  uos     1895  la  uostre  p     190'J 
lui     1903  sont  manque 


XI  (M ('011  •jH27U—2t;3u:))  443 

Si  bon  que  de  rien  ne  mesfacent. 
'Sire'  dit  Ysengrins  au  roi, 

'Tût  le  nieilor  que  ge  i   voi 

Et  que  sache  eslire  entre  nos, 
1910    Ce  est  Renars,  foi  que  doi  vos. 

Hardis  est  et  de  fier  corage, 

Et  molt  a  en  li  vasselage, 

Et  si  est  bien  enparentes.' 

Li  rois  respont  'c'est  vérités. 
1915    Puis  que  vos  l'avcs  esgavde, 

Gonfanonner  soit  de  par  de 

Puis  que  il  vos  vient  a  talent.' 

Renars  ne  fu  mie  dolent. 

Ainz  en  fu  molt  lies,  ce  saches. 
1920    Tantost  li  est  coiis  as  pies  : 

Con  cil  qui  est  bien  afaities, 

Li  a  andeus  les  pies  besies 

De  la  grant  joie  que  il  a, 

Et  puis  lo  roi  en  apela 
1925    Et  dit    baux  sire,  mi  enfant 

Sont  (dcK  les  sauve)  bol  et  grant: 

Si  vos  pri  por  deu  et  requier 

Que  demein  soient  chevalier.' 

Li  rois  li  respont  meintenant, 
1930     Renart,  jo  l'otroi  voiremont. 

Le  matin  chevalier  seront, 

A  cest  besoing  nos  aideront.' 
Atnnt  lesserent  le  plaidier. 

La  nuit  voilèrent  au  mostier: 
UI35    Et  quant  ce  vint  a  lendemein, 

Li  rois  meïmes  de  sa  mein 

A  a  chascun  ceinte  l'espee 

Et  si  lor  done  l'acolee. 

Quant  il  furent  fet  chevalier, 
1940    Li  rois  n'i  veut  plus  delaier, 

Renart  apele,  si  li  dit 


1908  gi  i     1909  s.  sire  e.     1912  lui     1928.   1931.   1939  ch'r    1932 
ideron     1933  plaidie 


444  XI  (Méon  L'fil^Oi     2H;:!12 

Renart'  fait  il,  so  dex  m'aït, 
Movoir  nos  covient  le  matin. 
Mes  je  vos  pii  por  seint   Martin 

1945    Que  vos  ci  iloc  renianes, 

Ma  terre  et  mon  païs  gardes, 
Rovel  o  vos  et  Malebranee: 
Le  penon  et  l'ensegne  blance 
Qui  est  tote  pure  de  seie 

1950    Portera  on  Tost  Percehaie. 
Celui  veil  ge  niener  o  moi, 
Et  ci  loc  remandroiz  vos  troi 
Et  autres  barons  a  plente 
Qui  vos  jureront  feelte. 

1955    Tybers  li  chaz,  n'en  dotes  mie. 
Sera  o  vos  par  conpaignie 
Et  Ysengrin  et  sa  mennie 
Qui  molt  est  droit  et  alignie. 
Feelte  vos  jureront  tuit 

1960    Voiant  moi  a  qui  qu'il  anuit. 
Et  la  roine,  ce  vos  di. 
Gardes  bien,  que  je  vos  en  pri. 
Ne  puis  plus  demorer  o  vos, 
Ge  la  les  a  deu  et  a  vos.' 

1965    'Sire'  fait  il,  'vostre  plesir 

Ferai  que  qu'en  doive  avenir. 
Mes  la  feelte  des  barons 
Voudrai  avoir,  que  c'est  resons. 
Li  rois  respont  'vos  Taures  ja.' 

1970    Atant  Ysengrin  apela 

Et  Tybert  tôt  ses  eulz  voiant. 
Segnor'  fet  il,  Venez  avant, 
S'amenez  tote  vostre  gent! 
Si  jurreront  le  serement 

1975    Que  avocques  Renart  tôt  dis 
Demorerez  en  cest  païs. 
Bel  soigner,  a  Renart  vos  les 
Por  garder  mon  païs  en  pes. 


1925  remandront    vos  manque    1954.  1959  iuront    lfi5(5  conpaif^nc 
32  ien  uos     1676  Demorrez 


XI  (Méun  20343—20^78  1  445 

Mes  un  serenient  li  feres 
lî)80    Que  partot  li  aïdeies 

Loiaument  a  vostre  pooir, 

Se  uus  li  velt  gerre  rnovoir.' 
A  tant  ont  le  serenient  fet 

Devant  le  roi  sanz  plus  de  plet. 
1<.)85    Adont  s'en  velt  li  rois  partir, 

Mes  einz  fist  ses  maies  enp'ir. 

Li  rois  fist  cargier  ses  deniers 

Sor  charetes  et  sor  soiniers: 

Pavellons   et  tentes  trossereut, 
1990    Congie  pristrent,  si  s'en  tornereut 

A  un  loarsdi  a  l'esclerer, 

Et  furent  plus  de  cent  millier. 

Chevaucant  vont  par  la  cauipaigne. 

Pereehaie  porte  l'ensegne 
1995    Qui  baloie  contre  le  vent, 

Mes  le  cuer  ot  tristre  et  dolent 

Por  Renart  dont  il  fu  sevrés. 

Renart  qui  niolt  lu  mal  senes, 

Fu  renies  avoc  la  roïne 
'2(30(1    Qu'il  aime  d'amor  entenine 

Et  longement  l'avoit  amee. 

Or  est  avoc  li  demoree 

Lie  et  joiant  et  envoisiee. 

Molt  soventes  fois  l'a  bessiee 
•2005    Renart  qui  en  ese  en  estoit, 

N'ele  pas  nel  contredisoit, 

Ancois  li  plest  molt  et  agrée. 

Renars  a  grant  joie  menée 

De  sa  dame  qu'il  ot  o  li. 
2010    Molt  a  bien  le  castel  garni 

Au  meus  que  il  pout  de  vitaille,  , 

Qu'il  se  dote  qu'en  ne  l'asaille. 
Einsi  remoinent  a  grant  joie. 

Et  li  rois  s'en  vet  totevoie 

1979  seerment  1982  So  nus  i  1987  A\  1989  trasserent  1990 
pritrent  tormerent  1992  .c.  mill'  1994  por  le.  1997  il  ert  s  2009 
lui     2011  que  il     2012  quen  le  la. 


446  \I  |M('()n  2r.;:579— -2(^14) 

'2015    Avoc  sa  gent  au  meuz  qu'il  puot. 

Ne  vente  ne  joille  ne  pluet:  188 

De  ce  lor  est  bien  avenu. 

Tant  ont  aie  qu'il  sont  venu 

Chevauchant  duieni  -nt  et  tost 
20-20    A  meius  de  trois  liues  del  ost 

A   un  castel  qu'il  ot  asis. 

Li  rois  fu  durement  pensis, 

Si  a  ses  homes  apelez 

Seguor'  fet  il,    or  m'entendez! 
'2025    Je  vos  pri  por  deu  et  requier, 

Fêtes  mes  batailles  renger.' 

'Sire'  fout  il,    vostre  plesir. 

Dont  covieiit  nos  armes  sesir.' 

Lor  batailles  ont  conmenciees 
•2030    A  renger.    Si  les  ont  rengiees, 

Dis  escheles  font  de  lor  gent. 

Molt  chevaucent  et  bel  et  gent. 

Perceiiaie  porte  l'ensegne 

Molt  les  conduit  bel  et  enseigne. 
•jirA,)    Les  escheles  font  départir. 

Coars  !i  lèvres  sans  mentir 

Conduit  la  premere  et  cliadele 

O  l'ensegne  qui  molt  ventele. 

La  seconde  meine  Belins, 
2040    La  tierce  conduit  ïecelins, 

J^a  quarte  quadele  Brun  Tors 

Qui  molt   estoit  et  prous  et  fors. 

La  quinte  conduit  Chantecler, 

Molt  ot  en  li  bel  baceler. 
2045    La  siste,  si  con  nos  lisons, 

Moine  Espinarz  li  hirecons. 

La  setime  conduit  liaucenz 

Li  sengler  as  agues  denz. 

L'uitime  conduit  Roenel, 
2050    Et  avoc  li  estoit  Rossel. 


2015  pot  201(5  plot  2020  Au  de  mainjup  2080  arengiees  2035 
Les  cheles  2037  et  uencliadele  2042  fors  et  prous  2044  lui  2050  E 
a.  lui  e.  rouel 


XI  (Méoii  •jtui.-)— 2t;4r)i)  441 

La  notinie  tôt  en  apert 

Caele  iiiun  segnor  Frobeit. 

La  di^inie  conduit  li  rois 

Et  l'erceliaie  li  coitois 
2()j5    Qui  estoit  de  tote  l'ost  niestre. 

Mon  segnor  Bernart  l'arcliej  restre 

Qui  molt  fu  prodom  et  de  pes, 

8i  les  a  fet  trestos  confes, 

Et  dit   seguor,  ne  dotes  ja 
2060    Celé  parjure  gent  de  la! 

Ja  n'auiont  force  ne  pooir, 

Ice  saches  vos  bien  de  voir. 

Mes  or  clievauciez  sajeuieut: 

Q'ainz  que  soient  arme  lor  gent 
■i<i()5    Les  auroni  detienchcs  et  mort.' 

Dit  li  rois    ci  a  bon  confort. 

Mult  a  en   vos  bone  persone. 

Jjien  ait  qui  tel  cons^'il  me  donc! 

Par  la  foi  que  doi  seiut  Selvestre, 
2u70    Molt  a  en  vos  bon  arclieprestre. 

Gre  vos  voudrai  molt  honorer, 

Se  dex  me  done  retorner  : 

(jue  par  la  foi  que  je  vos  doi, 

Evcsques  seres  de  la  loi: 
2075    Le  don  vos  en  otroi  ici.' 

Sire'  fet  il,    vostre  merci.' 
Atant  prenent  a  chevaucer. 

^'en  sorcnt  mot  li  aver.sier, 

Si  est  Coars  sor  euls  venus. 
2o:so    Molt  en  ont  pris  et  retenus, 

Car  il  furent  tuit  desarme. 

Parmi  l'ost  est  li  cri  levé, 

As  armes  corent  meintcnant. 

Ja  fust  Coars  mal  covenaut, 
2085    Quant  Tiecelins  i  est  venu 

Qui  hautement  l'a  socoru. 

La  ot  molt  estote  mellee. 


205.S  .X.  ime   2059  nel  d.   2062  s.  nos  nos  de   2069  le   2074 
Enuesques  2087  melle 


448  XI  {yi'on  2(i4T2-2ti48S) 

Tiecelin  tint  el  poing  l'espee 
Dont  li  brans  fu  cler  et  molu. 

2090    S'a  un  escorpion  féru: 

La  teste  li  coupe  et  les  piez. 
Li  ehamous  en  fu  molt  iriez, 
A  Tiecelin  est  corus  sus, 
Et  jure  deu  qui  est  lasus 

2095    Que  mal  s'est  sor  li  enbatu. 
Lors  l'a  si  durement  féru 
De  sa  pâte  que  il  l'abat 
ïot  envers  a  la  terre  plat. 
Ja  fust  retenus  en  la  fin 

2100    Quant  entr'eus  se  feri  Belin, 
Si  con  il  venoit  escorse: 
Si  a  deus  Sarasins  iiurte 
Que  il  lor  fist   voler  les  euz. 
Li  cbameus  nel  tint  pas  a  jeus, 

2103    Ainz  li  anuie,  cbe  saches. 
Et  Belin  se  rest  eslessies 
ïot  autres!  conuie  desve, 
Un  autre  ra  escervele. 
Trois  en  a  en  pou  d'ore  mors. 

2110    Mes  neporoc  n'en  fust  esters 

Que  morz  ne  fust  sanz  raencon, 
Quant  Brun  l'ors  vint  a  esperon 
Et  avoc  li  tex  cent  barons 
Qui  lieent  les  escorpions 

2115    Si  conme  des  testes  tolir. 
En  la  presse  se  vont  ferir 
De  bien  ferir  eutalente, 
Molt  en  ont  mort  e  cravente. 
Qu'iroie  lonc  conte  fesant? 

2i20    Mate  fussent  e  reciaant 

Cil  de  la,  n'en  escapast  pie, 
Quant  d'un  val  se  sont  desbussie 
Plus  de  dis  mile  escorpions. 
Chantecler  o  tôt  ses  barons 


2088  poig    209t)  (iorement    2108  a.  rera    2112  lors  i  u     2119  lui.  c. 
2121   delà    ia  nen 


XI  (Métm  2fi489-2G524i  449 

2125    I  rest  de  Taiitre  part  venu. 

La  ot  et  grant  cri  et  grant  liu 

Des  abatus  et  des  plaies. 

Molt  en  i  ot  de  maegnies 

Et  de  plaies  et  de  navres. 
2130    Chantecler  qui  fii  desrees 

I  mostre  molt  bien  sa  proece: 
Conme  cil  qui  est  sans  parece 
S'i  est  feronient  esprovez, 
Qar  ne  pooit  estre  provez 

213.')  Par  home  de  l'ost  son  pareil, 
Et  molt  durement  me  mervel 
Par  queil  achaisou  ne  conment 

II  puet  avoir  tel  liardoment 
Home  de  si  petit  eage 

2140    Cou  il  est  et  de  tel  corsaje, 

Qui  ausi  est  vistes  et  prous. 

Qui  sou  cors  abandoue  a  toz. 

En  l'estor  se  fiert  par  aïr. 

Meintenant  corut  envaïr 
2145    Le  bugle,  qui  molt  se  desroie: 

Des  nos  a  mors  (et  que  diroie?) 

Plus  de  set  par  li  solement. 

Chantecler  en  pesa  forment 

Quant  si  le  vit  sa  gont  malmetre, 
2150    Encontre  li  se  voudra  mètre. 

Meintomiut  Ijroche  le  destrier, 

Bien  fu  aficie  en  l'estiier  139 

Et  mist  sa  lance  sor  le  faurre. 

Lors  point  li  un  encontre  l'autie. 
2ir)5         Li  bugles  vint  premeiement, 

Chantecler  (iert  molt  durement 

De  sa  lance  de  tel  vertu 

Qu'il  li  a  pecoie  l'escu. 

Mes  li  haubers  fu  si  tenant 
2ifiO    Que  il  ne  pot  aler  avant, 


2128  magnies  21412142.     Que     2147.  2150  lui    2153  foutre 
cbanteclers     2159  haubrs 

RE  N'A  UT     I  -^ 


450  XI  (Méon  20525—26560) 

La  lance  vole  en  deus  moitiez. 

Chantecler  qui  fu  afaitiez 

De  ferir,  l'a  féru  forment. 

De  la  grant  lance  roidcment 
2iG,')    Le  feri  si  parmi  le  cors 

Que  le  tronçon  en  parut  fors. 

Mort  le  trébuche  del  cheval, 

Onques  ne  li  fist  autre  mal. 

Puis  a  meintenant  tret  l'espee, 
2170    Si  se  refiert  en  la  meslee 

Li  et  ses  homes  molt  iries. 

La  ot  de  mors  et  de  plaies 

Tant  que  n'en  sai  dire  le  conte. 

La  ot  et  meint  roi  et  meint  conte: 
2175    Quant  iloc  lor  segnor  mort  voient, 

Grant  dol  en  ont  et  molt  s'esmoient. 

Vers  Chantecler  en  sont  venu 

Tuit  plein  de  corus  esmeû, 

Plus  de  cinc  cent  tos  a  un  fes 
2180    Qui  de  mal  fore  sont  ongros. 

Sor  Chantecler  et  sor  sa  gent 

Périrent  molt  ireement: 

Molt  en  i  ot  morz  et  navrez. 

La  fu  Chantecler  mors  ruez 
2185    Et  de  ses  homes  bien  cinc  cent, 

Dont  li  baron  furent  dolent. 

Desconfit  fussent  a  cel  point, 

Quant  misire  Espinart  i  point, 

0  li  Baucent  et  Rooncl, 
2190    Molt  venoient  tost  et  isnel. 

En  l'estor  se  feront  manois, 

^lolt  i  ot  de  lances  granz  frois. 
Missire  Espinart  si  s'eslesse 

La  ou  il  vit  la  gronnor  presse  : 
2195    Le  dromadaire  a  encontre 

Qui  des  autres  estoit  sevré. 


2162  .Ch.  fu  mit'  a.     2168  f.  la  fuvu  ï.     2171  Lui     2176  et  manque 
2179.   2185   .V.     2181.  21S4  cliaiit'     21sii  ,>  lui     2191   f.  tlonianois 


XI  (Mc'on  20501— 2fi")9{);  451 

Tel  cop  le  feii  de  l'espee. 

Qu'il  li  a  la  teste  coupoe: 

^lort  le  ti-ebuclie  enini  la  place. 
2-200    Tôt  meintenant  roscu   enbrnce 

Espinarz  conmo  liome  liai-di, 

Ne  fet  pas  sciiblniit  d'estordi, 

Mes  de  teus  encontra  nses 

Qu'il   a  mors  et  iici-aventes. 
2-203    Et  si   home  comnunaiiment 

Li  aident  hardiement. 

Molt  eu  muert  d'une  part  et  d'autre, 

Mort  i  çt  meint  cien   et  meint  ve;iutre. 

Mes  sor  eus   en   torna  li  pis. 
2210    Car  Espinait  i  fu   ocis, 

Dont  li  rois  Nobles  fu  irie 

Et  tuit  li  autre  corocie. 

Desconfit  fussent  a  cel  snut. 

Quant  Froberz  li  grisillon  sniif, 
2215    O  li  de  sa  gent  atrope: 

Molt  par  ont   ecus  mal  atrapo, 

Plus  de  vint  mile  ocis  en   ont, 

Ja  mes  en  lor  terre  n'iront. 

Serpant  s'en  vont  niolr   esmaitint, 
2-2-20    Grisillons  les  vont  enpressa ut. 

Molt  les  meinent  a  grant  d(»sroi. 

Estes  vos  l'escele  le  roi 

Que  l'crcebaie  conduisoit. 

Si  tost  con  li  chameus  la  voit, 
2-225    Ses  gens  apele  et  dit  's'gnor, 

No  poon  plus  garir  as  lor: 

Or  tost,  ne  vos  puis  meintenir, 

l'enses  do  vos  vies  garir!' 

Adont  s'en  torncnt  d(;  randon. 
2-230    Frobert  les  suit  le  giisillon 

E  tuit  li  autre  a  grant  esploit. 

Et  quant  li  rois  f'oïr  les  voit, 


219s  Qui  li     2204  Qui  a     2200  aideront      2207  m.  ot  duno     2208 
iiifin  u     221")     lui     22lit  Senprcs  se     2220  a   Inr 

29* 


452  XI  (iléon  28597—26632) 

Si  s'escria   or  tost  après!' 
Sire  Frobert  les  suit  de  près, 

2235    Et  sa  mesiiie  et  tuit  li  autre. 

Li  rois  les  suit  lance  sor  fautre. 
Par  force  les  ont  porsoûs 
Tant  qu'en  mer  les  ont  enbatus. 
Trestos  ensenble  estre  lor  voil 

2240    Entrèrent  ens,  fors  le  canieil. 
Cil  n'i  entra  pas,  ains  fuï 
Par  terre:  si  le  consivi 
Mesire  Frobert,  si  le  prent. 
Et  par  le  frein  au  roi  le  rent 

2245    Et  dit   sire,  la  deu  merci, 

Tuit  sont  vencu  vostro  enomi. 
Le  segnor  vos  rent  demanois,' 
'Vostro  merci'  ce  dit  li  rois. 

Molt  firent  grant  joie  par  l'ost, 

2250    Le  chammeil  désarmèrent  tost: 
Sitost  cuii  fu  desbauberges. 
Si  a  les  pies  le  roi  besies 
Et  dist   sire,  merci  te  quier, 
Ge  me  renc  a  toi  prisonnier: 

225.')    Yostre  plessir  de  moi  feroiz. 
Pardones  moi  iceste  foiz 
Ice  que  je  vos  ai  mesfet.' 
Li  rois  dist  ja  mon  cors  bien  n'ai 
Se  merci  aves  ja  nul  jor. 

2200    Ainz  scres  coume  traïtor 
Destrus  et  ars  et  tormonte. 
Lors  a  meintonant  apele 
Brun  l'ors,  Baucent  et  Tiecolin, 
Koonel,  Roussel  et  Bclin, 

22fi5    Percebaie,  sire  Frobert. 
Li  rois  lor  a  dit  en  apert 
Segnor   fct  il.    consellies  moi 
De  cest  laron  de  pute  foi, 


2234  frob'rt     2236  feuh-o     2253  di^     2255  feres      2256  foit     2257 
je  manrjtie     2262  ajîele 


XI  (Méon  26634—26669)  453 

Quel  justice  de  li  ferai, 
2-270    Et  conmeut  je  m'en  vencherai.' 

Froberz  respont   par  seint  Richer 

Ge  lo  quel  fâches  escorcier. 

Se  vos  vees  que  ce  bien  soit.' 

Li  rois  dit   a  vo  plaisir  soit.' 
2275    Tôt  meintenant  sans  plus  atendre 

Font  le  chamoil  a  terre  estendre, 

Escorcher  le  fet  errament. 

Baucent  i  enbati  la  dent, 

Et  Roonel  i  mist  la  soue  : 
2280    S'ont  conmencie  devers  la  coe. 

Molt  lor  aïde  bien  Brun  l'ors, 

Le  cuir  li  ont  trait  a  rebors. 

Escorche  est,  bien  sont  venche: 

Durement  en  est  li  rois  lie 
2285    De  ce  qu'il  a  si  bien  ovre 

De  ses  enemis  qu'a  mate. 

Li  rois  ot  grant  joie  a  son  cuer. 

Mes  bien  saches  que  a  nul  fuer      140 

Ne  voussist  de  sa  gent  la  mort. 
2290    II  en  est  en  grant  desconfort. 

Trestos  les  a  fet  enterrer 

Fors  Espinart  et  Chantecler, 

Cels  ne  volt  il  iloc  lessier. 

Tantost  fist  li  rois  conmencer 
2295    Deus  bières,  ens  les  fist  chocier. 

Puis  se  metent  el  repairer 

Con  cil  qui  désirant  en  erent. 

Vers  lor  terre  s'acemin erent 

A  grant  joie  tôt  sans  dosroi. 
2800        Ci  ilec  vos  lairon   du  roi, 

Si  vos  rodiron  de  Renart 

Qui  molt  estoit  de  maie  part 

Et  molt  fu  plein  de  fausseté. 

Un  petitet  s'est  porpenso 
2805    A  soi  meïsmes  et  a  dit 


2269  lui     2278  i  abati  son  d.      2291  enterre     2298  lors     2299  tôt 
manque 


454  XI  (Méon  2MuO—2i)70r>} 

Que  se  clamledex  li  ail, 
Enpereres  sera  et  rois, 
Se  il  puet,  ains  que  past  li  mois. 
Il  fera  enteudre  as  barons 

2310    Que  mors  est  Nobles  li  lions. 
Unes  letres  a  fet  errant, 
Puis  a  apele  un  serjant. 
'Amis'  dit  il,  'entent  a  moi! 
Tu  me  fianceras  ta  foi 

'2315    Que  de  rien  que  ge  te  conmant 
Ne  parleras  d'or  en  avant.' 
'Sire'  fait  il,    saches  sans  faille, 
N'en  parlerai  conment  qu'il  aille, 
Foi  que  doi  vos,  n'en  dotes  mie.' 

2320    Atant  li  a  sa  foi  plevie. 

Quant  il  ot  fet  ce  qu'il  li  quist, 
Tôt  meintenant  Renart  li  dist 
'Amis,  tant  feras,  je  te  proi, 
Que  tu  en  iras  de  par  moi 

2325    As  barons  demein  a  la  cort. 
Et  si  diras,  conment  qu'il  tort, 
(]uc  li  rois  a  este  ocis. 
Ice  lor  diras,  baus  amis, 
Et  ces  letres  de  meintenant 

2330    Me  bailleras  lor  ouïs  voiant.' 
'Sire'  fet  il,  'vostre  plesir 
Ferai,  que  qu'en  doie  avenir.' 
A  cest  mot  les  letres  li  tent. 
Et  li  valles  tantost  les  prent 

2335    Et  a  pris  congie,  si  s'en  part. 
Et  Renars  remeist  qui  est  tart 
Qu'il  oiist  fet  ce  qu'il  pensoit. 
Li  valiez  s'en  vet  a  esploit 
Si  que  ame  ne  s'en  perçut. 

2340    Au  matin  quant  li  jor  parut 
S'en  est  issus  fors  de  la  vile 


2308  Sil  j.ot      2312  a  ]  si      2317  fait  il  manque      s    mile  f. 
qt     2332  (lit     2334  le  p.     233S  li  valiez  ]  Remeist   icil 


XI  (Méon  26706-26742)  455 

Con  cil  qui  ases  sot  de  gile. 
Dedens  la  praerie  entra, 

Son  destrer  i  esporona 
2345    Tant  que  il  le  fist  tôt  sullent, 

Puis  retorna  isnelement. 

Tel  cop  li  done  des  talons 

Es  costes  que  li  esporons 

Li  sont  dedens  la  char  entre. 
2350    Tant  s'est  li  raessagiers  haste 

Que  par  la  porte  entre  en  la  cort. 

Descendus  est  et  puis  s'en  cort 

El  paleis  trestot  meintenant. 

Renart  salue  tôt  avant, 
2355    Et  puis  salue  la  roïne 

Conme  cortoisse  et  enterrine, 

Et  dit  'dame,  salus  vos  mande 

Li  rois  et  as  barons  conmande 

Que  il  facent  lire  cest  bref, 
2360    Et  si  vos  di  bien  par  mon  chef 

Que  il  est  en  bataille  ocis.' 

'Ocis?'  dit  Renars  las  caitis! 

Est  donques  mors  li  rois  missire?' 

A  cest  mot  li  saut  sans  plus  dire, 
2365    Sil  fiert  d'un  baston  si  forment 

Que  la  cervele  li  espant, 

Que  mort  l'abati  en  la  place. 

'Tais  toi'  dit  Renart,  'dex  ne  place 

Q'einsi  aion  le  roi  perdu.' 
2370    Saves  por  quoi  il  l'ot  féru? 

Por  ce,  saches  de  vérité, 

Que  par  li  ne  fust  encuse: 

Molt  fu  voisies.  En  apert 

Le  bref  prent,  sil  bailla  Tybort 
2375    Le  chat,  voiant  tos  les  barons. 

Et  Tybers  levé  les  gcrnous. 

Puis  lut  le  bref  de  chef  en  chef. 

Et  puis  dit   Renart,  par  mon  chef. 


2352  D.  sest     2355  roiine     2358  conmaiiande    2366  Qui    2372  lui 


456  XI  (Méon  2(37-13     26782) 

Li  rois  est  mors  veraiement, 

2380    Et  si  mande  a  tote  sa  gent 
Que  dame  Fiere  la  roïue 
Prengne  Renart  par  amor  fine, 
Delivrement  et  sans  desfois 
Soit  de  tote  la  terre  rois.' 

2385        Quant  la  roïne  a  entendu. 
Tôt  simplement  a  respondu 
'Bel  soigner,  puis  que  il  le  mande. 
Fere  m'estuet  ce  qu'il  conmande. 
Quant  je  voi  qu'autre  estre  ne  puet 

2390    Et  11  roiaumes  de  moi  muet: 
Miens  est  et  bien  le  doi  avoir. 
Mes  or  voudroie  je  savoir 
Se  Renars  le  voult  otroier,' 
'Dame,  gel  voil  :  sanz  delaier, 

2395    Fere  quanque  conmanderes.' 
'Par  foi,  sire,  bien  dit  aves.' 
Li  baron  sont  dolant  et  lie: 
Por  lo  roi  qui  n'est  repairrie 
Sont  dolant,  et  lie  d'autre  part, 

2400    Quant  il  ont  a  seguor  Renart. 
Tantost  sans  plus  de  demorance 
Fu  d'ous  deus  prise  la  fiance. 
Grant  joie  font  par  le  palais. 
Chanconetes  sonent  et  lais 

2405    Cil  jogleor  o  lor  vieles. 

Qerolent  dames  et  puceles. 
Grant  joie  font  totes  et  tuit, 
Molt  dormirent  poi  celé  nuit, 
E  lenderaein  sans  demoree 

2410    A  Renart  la  dame  esposee: 
Meintenant  li  font  feelte 
ïrestuit  li  baron  del  règne 
Et  jure  et  plevi  li  ont 
Que  par  tôt  li  aideront, 


2379  uraiement  2381  Q.  ma  d.  once  la  roiine  2389  uoi  autre  i 
2391  Mens  2394  uoil  bien  otroier  2401  de  manque  2404  Et  uieles 
2408    dorement    por    c.     2409  El  deniein  s.  demorance     2413  pliui 


XI  (Méon  26783— 2681U)  457 

2415    Se  il  avoit  d'els  nul  besoing. 

Renai't  n'a  de  refusser  soing. 

Grant  joie  demeiner.t  entr'ous, 

Molt  i  ot  grant  dances  et  jeus  : 

De  joie  ne  sont  pas  aver. 
2420    Tantost  a  done  a  laver 

Cil  qui  en  sert:  li  connestables 

Ysengrins  fet  mètre  les  tables  : 

Si  se  sont  asis  au  manger. 

Grinbert  li  tesson  tôt  premer  1-il 

2425    Qui  cosins  fii  Renart  germeins, 

Lor  aporta  entre  ses  meins 

ïex  mes  con  a  tel  gent  convint: 

Ge  cuit  plus  en  orent  de  vint, 

Des  mes,  mes  je  nés  contai  pas. 
2430    Quant  mangie  ont,  plus  que  le  pas 

Se  lèvent  tuit:  premerement 

Tybert  et  Grinbert  solement, 

Qui  molt  furent  bon   conpaignon. 

Cil  dui  font  la  beneïcon 
2135    Des  us  les  liz  as  deus  amanz: 

Puis  s'en  partent  liez  et  joianz, 

Et  cil  remeistrent  totevoie. 

Lor  déduit  firent  a  grant  joie 

Jusqu'au  matin  qu'il  ajorna. 

2440  Misire  Renart  se  leva 

A  grant  joie  et  a  grant  baudoi- 
Tôt  meintenant  et  snnz  demor 
A  fet  le  tressor  esfondrer 
Qu'il  n'i  voudront  plus  demorcr. 

244 1  Les  deniers  et  l'or  et  l'argent 
En  a  fet  doner  a  sa  gent, 

Par  con  vent  qu'il  n'i  entra  puis. 
Porter  en  fist  a  Malpcrtuis: 


2415  besoig  2416  de  reposer  saig  2418  sances  2420  T.  don 
erent  2421  seit  2425  Q'  cosin  fu  ''„germein'  „.R  2427  gens  conuient 
2428  cuit  quil  en  orent  plus  de  2442  mointeinant  2445  d'.  2448 
au  m. 


458  XI  (Méon  2(5817—26852) 

Quar  il  se  dote  (si  a  droit) 

2450    Del  roi,  que  se  il  revenoit, 
Contre  li  se  voudra  tenir. 
Por  ce  fet  son  castel  garnir. 
Bien  le  fet  garnir  de  vitaille, 
Ne  cuit  devant  set  ans  li  faille. 

2455  Li  castax.  est  si  bien  asis, 
Ja  ne  sera  par  force  pris. 
Se  par  autre  n'est  afames. 
Ja  par  li  ne  sera  grèves, 

Renart  fait  garnir  son  castel, 

2460    Ases  i  a  de  son  avel, 

Et  molt  a  de  ses  volontés, 
Quant  enpereres  est  clames. 
Grant  joie  en  ot  et  grant  leece. 
Bien  fet  garnir  sa  forterece  : 

2465    La  roïne  l'aime  et  tient  cher 
Conme  son  segnor  droiturier, 
Que  meus  l'araoit,  si  con  dison. 
Que  ne  fist  Nobles  le  lion. 
Grant  joie  demeinent  entr'eus, 

2470    Mes  par  tans  i  aura  grans  deus. 
Car  li  rois  chevauche  a  esploit 
Qui  Chantecler  en  aportoit 
Et  le  hericon  en  literes 
Ausi  fêtes  conme  deus  beres. 

2475    Molt  ot  de  ses  barons  grant  dol. 
Devant  envoie  l'escuirol 
Por  les  noveles  aporter. 
Mes  el  castel  ne  pot  entrer, 
Qar  li  pont  estoient  levé. 

2480    Renart  fu  as  murs  a  cote, 
Si  l'apele  et  li  dist   amis. 
Dont  estes  vos?  de  quel  païs?' 
'Sire'  fait  il,    par  seint  Simon, 
Ge  sui  hom  Noble  le  lion. 


2449  Qa  2451  lui  245H  lui  ne  s.  afames  2464  ehanics,  mais 
le  deuxièm»  trait  de  V  h  rst  ajoute  posiérieitrcmcnt  avec  mie  encre  plus 
claire     2471   Car  ]  mes     2481   dit 


XI  (Méon  26853—26888)  459 

2485    De  l'ost  repère  ou  a  este. 

Molt  l'a  bien  fet,  la  merci  de: 

Tos  ses  enemis  a  vencus. 

Mes  il  est  forment  irascns 

Por  Chantecler  que  il  aporte 
2490    Mort  (dont  il  molt  se  deconforte) 

En  litière  et  sire  Espinart.' 

'Si  m'aït  dex'  ce  dit  Renart, 

Bien  puet  venir,  quant  il  vodra  : 

Mes  caens  le  pie  ne  metra. 
2495    Aies,  si  li  .dites  itant 

Que  rois  sui  des  or  en  avant, 

N'i  a  mes  a  reconmander.' 

En  l'esquirol  n'ot  qu'aïrer, 

Si  li  respondi  erraument 
25U0    'Qu'est  ce,  sire  Renart,  conment? 

Est  ce  a  certes  ou  a  gas 

Que  li  rois  n'i  entrera  pas?' 

Dist  Renart   tôt  de  voir  saches 

Que  James  n'i  metra  les  pies 
2505    A  nul  jor  tant  con  il  soit  vis. 

Or  vos  en  ai  dit  mon  avis.' 
Quant  li  escuirous  l'entendi, 

Ya  s'ent.  que  plus  n'i  atendi. 

2s'a  gueres  longement  erre 
2510    Que  il  a  lo  roi  encontre. 

Quant  il  le  voit,  ne  se  vont  tere, 

Ains  li  reconte  tôt  l'afere 

Si  con  Renaît  li  avoit  dit. 

Li  rois  l'oï,  si  eu  sosrit, 
2515    D'ire  et  de  mautalant  nercie, 

Si  apclc  sa  baronie, 

'Segnor'  fet  il,    aves  oï 

De  Renart  con  il  m'a  servi? 

Ma  terre  a  sesi  contre  moi, 
2520    El  païs  se  fet  clamer  roi. 

2488  es     2493  pot     uendra     2498  quair      2503  Dit     2510  Qui  il 
2514  sosrist     2515  On  pourrait  lire  Mais  d'ire  a  la  chiere  nercie. 


460  XI  (M.'on  268S!)- 26924) 

Ge  vos  pri  que  me  consellios 
Et  qu'a  cest  bcsoing  mo  vaillioz.' 
'Sire   dit  Brun  Tors,  'sans  faillir 
Le  matin  l'iron  asaillir 

25'25    A  porieres.  a  mangoneax. 

S'il  tient  contre  vos  vos  castax. 
Nos  les  asiuidron  le  matin. 
Se  prendre  le  poon,  sa  fin 
Est  venue  sans  raencon, 

2530    Desus  cel  tertre  le  pendron  : 
Einsi  le  lo,  einsi  le  v.eil.' 
Dist  li  rois    ci  a  bon  cons('il. 
Atant  se  metent  a  la  voie 
Et  cheminèrent  totevoie 

253Ô    Tant  qu'il   vindrent  vers  le  castcl. 
Pavellons  tendent,  n'i  ot  el, 
Qu'il  ne  pourent  dedens  entrer. 
Li  rois  s'en  prent  molt  a  irer 
Et  jure,  s'il   le  puet  tenir, 

2540    De  tel  mort  lo  fera  morir 

Con  l'en  doit  laron  tornienter, 
Pendre  ou  ardoir  ou  traîner: 
11  ne  s'en  puet  partir  par  el. 
Drocher  a  fet  inoint  mangonel, 

2545    Meint  trcbucet  ot  meint  caable. 
'Que  est  ce?'  dist  Renart  'diable! 
Me  quident  il  dont  issi  prendre? 
Ge  m'irai  fors  contre  ous  deffendi 
Encor  anuit  sans  dcnioroi-.' 

2550    Atant  a  fet  sa  gent  armer 

Et  ses  deus  fil/,  et  son  cosin: 
Par  tens  seront  au  l'oi  voisin. 
Dis  mile  furent,  voire  plus. 
Le  pont  a  fait  avaler  jus, 

2555    Et  s'en  issirent  de  randon, 
Atant  peignent  a  esporon. 


2522  est  besaig     2Ô23  baillir     2â25  porieref<  as    2535  caste    2537 
Qui  ne     2539  pot     2541   1.  traîner     2542  tormentcr     2543  pot     2546  dit 


XI  (M(^on  26920— 1(;900)  461 

Perceliaie  les  vit  venant, 

Del  roi  se  parti  raeiutenant: 

Cels  qu'il  pot  mener  avoc  soi 
'■2i)C}()    Par  tens  feront  ennui  au  roi,  ]42 

Sus  li  corurent  demanois. 

Encor  n'estoit  armes  li  rois, 

Ains  l'ont  tôt  desarme  sorpris. 

Or  fu  li  rois  inolt  entrepris. 
2505    Un  eseu  a  sesi  a  plein 

Et  un  espie  en  l'autre  mein. 

La  et  grant  cri  et  grant  melleo, 

Meint  cop  i  ot  féru  d'espee. 

Molt  i  oust  li  rois  perdu, 
2570    Quant  Brun  li  ors  l'a  secoru. 

Bruiant  et  Bernart  et  Baucent 

As  armes  corent  meintenant,  « 

Si  ont  secoreii  lo  roi 

Que  Renart  menoit  a  besloi. 
•2575    Bauceuz  desrenge  tôt  premiers, 

Molt  fu  estos  îi  pautoners. 

Quant  Ysengrins  le  vit  sevrer, 

Lors  aquelt  a  esporoner, 

Grans  cous  se  vont  entieferir. 
25S()    Ysengrins  nel  pout  pas  soffrir 

Le  coup  que  Baucenz  le  feri 

Si  qu'a  la  terre  l'abati. 

Sor  li  s'aieste  et  trait  l'espee, 

.Ta  fust  do  li  la  pes  jurée 
25S5    Que  mort  l'oiist  sans  raencon, 

Quant  Grinbert  i  vint  le  tesson. 

A  qui  qu'il  eu  doiist  peser, 

A  fet  Ysengrin  remonter. 

Mes  molt  i  soffri  peine  grant. 
25!);)    Brun  l'ors  i   vint  esporonant. 

Si  encontra  enmi  sa  voie; 

Un  dos  filz  Renart  l'erceliaie. 


2560  ennu     2:)(;i  lui     2563  Ion  t.     2566  une  ospe     2567  cri  manque 
2673  secoru     2583  lui     lespe     2584  lui 


462  XI  (Môon  2(i901— 20996) 

Quant  Fercehaie  Ta  veii, 
Envers  li  torne  son  escu, 

2595    Granz  cous  se  ferent  des  espiez. 
Li  Brun  Fors  est  ]iar  mi  froissiez 
Et  est  en  deus  nioitiez  vole. 
Percehaie  l'a  asene 
Haut  en  Tescu  con  chevalier: 

2600    La  hante  dont  tronche  Tacher. 
Li  passa  par  le  coste  destre. 
Estes  vos  poinnant  Tarcheprestre: 
A  la  rescusse  de  Brun  l'ois 
Yenoit  poignant  plus  que  le  cors 

2005    Desor  un  grant  destrer  baucent. 
Des  Renart  i  coiurent  cent 
Por  aïder  a  Pcrcehaio. 
Yse«grins  forment  se  deraie, 
Rovel  et  Malebrance  ensenble, 

2Gin    Tôt  le  parente,  ce  me  senble. 
Ou  fust  ou   bien   ou   niesprison. 
Brun  Tors  en  mfiinent  en   prison 
Maugre  tos  cous  qui  laiens  sont. 
L'arceprestre  dolent  feront 

2615    Por  ce  que  aider  H  voloit. 
Quant  Malebrance  l'aparcoit, 
Vers  li  trcstorne  le  cheval. 
Andui  poignent  parmi  un   val, 
Des  lances  se  feront  grans  cox 

2620    Desus  les  escus  de  lor  cox. 
IjCs  lances  volent  en  asteles. 
Puis  traient  les  espees  bêles, 
Sor  les  haumes  se  vont  ferir. 
Cil  qui  bien  ne  se  sot  covrir 

2(5-25    Fu  molt  malement  atorne. 
Bernart  li  a  un  coup  done 
Parmi  le  haume  do  Tospee, 
Jus  l'abati  jambe  levée 


2594  lui  2597  moitié  259!»  clfr  2603  de  manque  2606  R.  en  i 
curent  2610  p.  en  ce  2613  Maugres  que  2615  le  2617  Ue's  lui  2618 
poignen     2620  D.  lor  e.     2623  h.  les  uon     2626  Baucent     2628  leue 


XI  (Méon  2(;997— 27082)  468 

A  la  terre  tôt  estendu. 
263n    Ja  l'oust  pris  et  retenu, 

(iuant  Tybers  li  chaz  i  a  point, 

Por  li  a  enforcie  son  point. 

Malebrance  fist  remonter 

A  qui  qu'il  en  doûst  peser. 
2635    Forment  est  li  cliaple  enforciez, 

Et  Eenars  vint  tos  cslessiez, 

L'eseu  au  col,  l'espee  trete, 

Forment  de  conbatre  s'a  faite. 

Bruiant  le  tor  a  encontre 
2640    Qui  molt  fu  richement  arme. 

Si  tost  s'en  vont  entreferir 

Con  lor  chevaus  pouient  venir. 
Bruiant  le  fiert  premerement. 

Renars  met  l'eseu  en  présent 
2645    Et  l'a  contre  terre  abatu, 

Et  Bruiant  le  ra  si  féru 

Que  la  lance  li  brise  es  poinz. 

Renart  le  fiert  si  que  li  coinz 

De  son  helme  fiert  el  sablon. 
26.')0    Fuis  descent  du  cheval  gascon, 

L'espee  hauce  por  ferir. 

Quant  Bruiant  vit  le  cop  venir, 

Peor  a  que  il  ne  l'ocie, 

A  meins  jointes  merci  li  ciie. 
2655    'Sire'  fait  il,  'por  deu  merci  ! 

(ic  me  renc  a  toi,  ne  m'oci!' 

Quant  Renart  ot  parler  Bruiant, 

Si  respondi  de  meintenant 

'Sire'  fait  il,  'a  ceste  fois 
2660    Vos  quit,  mais  vos  fiancerois 

Prison  a  tenir  el  caste!.' 

'Sire'  dit  Bruiant,  'ce  m'est  bel. 

Einsi  le  ferai  con  vos  dites. 

Mes  que  soie  de  la  mort  quites, 


2632  lui      2685  chaples      2689  encontroi      2r,43  le  uient      2645  t. 
féru     2650  de  son  ch.     2663  distes 


464  XI  (Méon  270;{:{-27068) 

2(565    Einsi  con  il  vos  plaist  l'otroi.' 

Atant  remontent  sanz  deloi 

Con  cil  a  qui  niolt  estoit  tart. 

A   cest  mot  li  chaples  départ. 

13ien  Ta  fet  Renart  a  cel  cors, 
2670    En  prison  en  meine  Brun  l'urs 

Et  Bruiant  le  tor  autresi. 

El  castel  en  sont  reverti 

Tuit  ensenble  lie  et  joiant. 

Li  rois  remeist  tristre  et  dolant 
2675    Et  corocio  de  ses  barons: 

Forment  jure  deu  et  ses  nons 

Que  d'iloc  ne  départira 

Jusqu'à  tant  que  pris  les  aura. 

Molt  par  est  a  Renart  petit 
2680    De  trestot  ce  que  li  rois  dit, 

N'en  dorroit  pas  un  esperon. 

Descendus  sont  tuit  li  baron 

Et  puis  sont  monte  el  pales. 

One  si  grant  joii'  no  fu  mes 
2()85    Conme  la  roïne  lor  t'et. 

Puis  lor  demande  'qu'aves  fet?' 

'Bien'  fet  Renars,  'la  merci  de. 

Brun  Fors  vos  avom  amené 

En  prison  et  Bruicint  le  tor: 
2(;!)()    Ja  n'en  prendrai   argent  ne   or 

Ne  nul  denier  do  raencon, 

Mes  ci  iloc  les  garderon. 

De  ce  sui  je  certeins  et  fis 

Que  se  uns  des  nos  estoit  pi'is, 
2695    Que  par  ices  les  raurcon.' 

'Sire,  foi  que  doi  seint  Simon,  143 

Yos  en  aves  molt  bien  parle.' 

A  icest  mot  l'a  acobî  : 

Apres  acole  Pcrceiiaie 
2700    Et  a  to/  les  autres  fet  joie. 


2667  a  manque     2672  c.  résout  reiienti      2681  Ne  espron      2686 
que  aues     2692  iloques  g.      2698  icel      2(;89  iiercehae      2700  a  manque 


XI  (Méoii  27069—27105;  465 

Grant  ioie  font  par  le  pales, 

Chaotent  et  vielent  ces  lais. 

Totes  et  tuit,  si  con  moi  semble, 

Firent  la  nuit  grant  joie  ensemble. 
2705    Harpes  i  sonent  et  vieles 

Qui  font  les  meloudies  bêles, 

Les  estives  et  les  citoles. 

Les  damoiseles  font  caroles 

Et  treschent  envoisienient. 
2710    Laiens  ot  meint  son  d'estrument 

Par  le  pales  et  par  la  sale. 

Einc  n'i  ot  dit  parole  maie 

De  nul,  tant  fust  cointe  no  noble, 

Ne  mes  solement  du  rois  Noble: 
2715    Celui  manacent  il  trestuit. 

'C'est  merveille  s'il  ne  s'enfuit' 

Font  il:  'molt  l'avons  esmaie, 

Molt  en  avon  mort  et  plaie.' 

'Segnor'  dit  Renars,    ore  est  bien. 
2720    Onques  nés  maneciez  por  rien  : 

Mes  le  matin   quant  jor  vendra, 

Sauron  bien  qui  meus  i  vaudra 

As  cous  ferir  et  enploier 

Et  as  ensegnes  desploier. 
2725    Se  la  vos  voi  bien  meintenir 

Envers  le  roi  et  contenir. 

Qu'a  la  fuie  le  puisson  mètre, 

Qui  si  s'en  voudroit  entfemetre, 

(Il  m'auroit  molt  servi  a  gre) 
27;JO    Qu'auroit  lo  roi  desbarete, 

Molt  auroie  de  mon  déduit.' 

Eiusi  furent  jusqu'à  la  nuit, 

One  ne  finerent  de  parler 

De  si  que  vint  a  l'avesprer. 
2785    Cil  qui  estoient  connestables 

Conmandent  a  mètre  les  tables, 

Et  puis  aseent  au  soper. 


2705  uieeles      2711  le  s.       2713  Ne  nus  que    t.       2726    meintenir 
2728    Seinsi  sen  uolent     2732  nut     2736  conmanden 

RKKAKT      i  30 


466  XI  (Méon  2710i;— 27141) 

Ne  voil  pas  tos  les  mes  conter 
Ne  fere  ci  g-rant  demoree. 

2740    Tant  mangèrent  con  lor  agrée, 
Puis  firent  les  napes  ester. 
Nuis  fu,  si  se  vont  reposer 
Jusqu'à  demein  a  l'esclairer 
Que  se  lèvent  11  chevaler. 

2745    Sitost  con  il  furent  levé. 

Se  sont  de  meintenant  arme. 
Autrosi  s'arme  d'autre  part 
L'enperere  sire  Renart 
Et  ses  dui  filz  et  son  cosin 

2750    Grinbert  qui  molt  fu  cnterrin 
De  loiaute  et  de  valor. 
Congie  prent  nostre  enpereor 
A  la  roïne  simplement 
Et  dit  'dame,  mon  escient 

2705    Encor  anuit  aures  lo  roi 

En  prison,  foi  que  je  vos  doi.' 
Sire'  fait  ele,  'dex  l'otroit 
Que  ce  que  vos  dites  voir  soit. 
Atant  la  besse  au  départir, 

2760    Puis  a  fet  les  portes  ovrir, 
Et  firent  les  pons  avaler. 
Hors  issirent  sans  demorer, 
Si  sont  féru  en  Tost  lo  roi. 
Mes  chascun  ot  poor  de  soi, 

2765    Et  furent  arme  richement. 
Li  rois  m.eïmes  et  sa  gent 
Avoient  lor  garnemens  pris. 
Ne  voloient  estre  sorpris. 
Sitost  con  coisi  cels  de  la, 

2770    Ses  chevaliers  en  apela. 

Segnor'  fait  il,  je  vos  requier 
Que  vos  m'aïdes  a  vencher 
De  cel  traïtor,  cel  laron 


2741  finent       2744    ch'r       2752    noste       2756   je    manque       2767 
les  garnement     2768  sozpris     2770  l'Ii'r 


XI  (Méon  27U2-27178j  467 

Qui  si  a  sesi  ma  meson 
2775    Et  m'a  gerroie  si  a  tort 

Ge  sui  bonis,  se  il  m'estort  : 

Jamais  nul  jor  joie  n  auroie, 

Se  je  de  li  venches  n'estoie.' 

Sire'  font  il,    or  i  parra: 
2780    Honis  soit  qui  vos  en  faudra 

Et  qui  ja  s'en  feindra  nul  jor. 

De  ce  n'aies  onques  poor!' 

Li  rois  les  en  a  mercies 

Conme  cil  qui  molt  en  fu  liez, 
2785        A  tant  asenblent  les  deus  oz 

Qui  molt  estoient  grant  et  forz. 

Molt  fere  mellee  i  comence, 

La  ot  brisiee  mcinte  lance 

Et  meint  chevalier  abatu. 
2790    Renars  escrie  de  vertu  : 

Rois  Nobles,  ou  estes  aies? 

Se  conbatre  a  moi  vos  voles, 

Venes,  que  la  bataille  aurois 

Et  molt  proceinement  saurois 
2795    Que  je  ne  vos  ein  que  rien  vaille. 

Se  me  conqueres  en  batalle. 

Le  castel  et  tote  la  terre 

Vos  lairai  en  pes  et  sans  geire: 

Et  se  tu  es  par  moi  conquis, 
2800    Se  t'en  voisses  hors  du  païs 

Et  me  lesses  la  terre  en  pes.' 

Li  rois  vint  vers  li  a  esles, 

Sitost  con  la  parole  oï. 

Ne  de  rien  ne  s'en  esbahi, 
2805    Ancois  s'escrie  durement 

'Sire  Renart,  par  seint  Climont, 

Je  ne  te  demant  autre  chose  : 

Honis  sui,  s'atendre  ne  t'osse.' 
Adont  prent  a  esporoner 
2810    Li  rois  o  il  n'ot  qu'aïror, 


2774  sise     2778  lui     2782  honquos     27M9  cirr     2802  lui 

30* 


468  XI  (Méon  27179—27216) 

Et  Reuars  d'autre  part  rebroche 
Le  bon  destrer  qui  pas  ne  cloce. 
Les  chevaus  lesserent  aler, 
Grans  cous  se  vont  entredoner 

2815    De  lor  lances  es  fors  escus. 
Percent  le  vernis  et  les  fus: 
Les  lances  convint  a  quasser. 
Li  hauberc  ne  pourent  fausser 
Que  trop  sont  sere  et  tenant. 

2820    Si  s'en  vindrent  esporonant 

Conme  foudre  qui  doit  descendre, 
Que  les  estrers  firent  estendre. 
Li  cheval  s'encontrent  de  front, 
Ambedoi  ceent  en  un  mont. 

28-25    Mes  tost  refurent  sus  sailli, 
Forment  li  uns  l'autre  asailli. 
Et  traient  nues  les  espees. 
Si  s'entredonent  grant  colees 
Desus  les  baumes  de  lor  ces. 

2>i30    Ja  i  fust  trop  grant  li  mescies 
Devers  dan  Noble  le  lion, 
Quant  icil  de  sa  région  144 

S'esmurent  por  li  aïdier. 
Baucent  i  acurut  premer. 

2835    Por  lu  roi  socore  s'esmut 
Baucent,  et  bien  le  socorut 
Et  l'arceprestre  et  Roonel, 
Et  dan  Tiecelin  le  corbel. 
Si  i  vint  mon  segnor  Belin. 

2840    Ja  fust  Renars  en   mal  traïn, 
Quant  Percehaie  et  le  tesson 
Et  Malebrance  a  esporon. 
Et  Tybers  le  chat  et  Rovel 
D'aïder  Renart  sont  isnel. 

2845    Le  chaple  ont  entr'eus  conmencie. 
La  veïst  en  moint  pie  trencie, 


2811  par  r.        2812  q  p.        2815  lances  des  f.        2816  les  uertuz 
2818  faifer     2822  estrer  f.  tendre     2833  lui     2845  Li  conmenciei 


XI  (Méon  27217—27252) 

Tantes  testes,  tant  haterel. 
Merveilles  i  fesoit  Rovel 
Et  cil  qui  furent  de  sa  part. 
2850    Par  force  ont  remonte  Renart, 
Mes  a  peine  et  a  grant  rlolor 
Ont  remonte  Teuporeor. 
Ains  qu'il  poiist  estre  monte 
I  ot  meint  ruiste  cop  done 
2855    Et  molt  en  i  out  receii, 

Molt  par  i  out  le  roi  perdu 
De  ses  homes  des  meus  proissies 
Dont  il  fu  molt  greins  et  iries. 
Et  Renars  refu  molt  dolant, 
2860    Q'un  home  i  perdi  molt  vaillant. 
Ce  fu  Tyberz  qui  fu  ocis, 
Dont  il  furent  voir  molt  pensis. 
Molt  i  perdent  d'anbes  dous  pars. 
Totevoies  sire  Renars 
2865    Est  remontes  a  quelque  force. 
La  maisnie  lo  roi  s'esforce 
De  li  monter  :  monter  l'ont  fet, 
Qui  que  soit  bel  ne  qui  soit  let, 
Le  ront  monte  sor  son  cheval. 
2870    Mes  li  ceoirs  li  fist  grant  mal. 
Estones  fu,  mes  ce  que  vaut? 

Sor  le  cheval  qui  molt  fu  haut 
Fu  montes  et  joste  demande. 

Atant  es  vos  parmi  la  lande 
2875    Renart  qui  out  son  cuer  repris 

Conme  cil  qui  fu  d'ire  espris: 

Sus  se  corurent  de  rechef. 

Sor  le  roi  torna  le  meschef 

Molt  grant,  se  ne  fussent  sa  gent 
2880    Qui  le  rcscoscent  bel  et  gent, 

Qui  tuit  se  ferirent  entr'eus. 

Mes  il  nel  tindrent  mie  a  jeus 


469 


2855  ont  2857  des  J  le  2861  fu  que  t.  fu  2868  dou  2867  lui 
2868  ne  que  que  s.  1.  2870  cehoirs  2872  q  2877  cororent  2879  g. 
serent  sa  2880  Quil  rescostent  et  b.  2882  tindren 


470  XI  (Mcon  •27-J53-27288) 

Ne  ne  lor  en  fii  mie  bel. 
Atant  esporone  Rovel 

2885    Le  destrer  qui  tost  se  remue, 
En  son  poing  tint  l'espee  nue. 
Roonel  en  fiert  durement, 
La  teste  jusqu'es  dens  li  fent. 
Mort  le  trebuce  de  la  sele  : 

•2890    Et  prent  le  destrer  de  Castele. 
Mener  Fen  quide  a  sauvete. 
Quant  Bricemer  l'a  encontre 
Qui  li  crie   n'enmenres  mie 
Tant  con  me  bâte  el  cors  la  vit 

•2895    Rovel  entondi  Bricheraer, 
Tantost  let  le  cheval  aler 
Que  il  on  destre  en  ramenoit, 
Et  voit  Brichemer  qui  venoit 
L'espee  traite  contre  li. 

2900    Rovel  molt  bien  le  recuilli, 
L'espee  trete  le  requiert. 
Molt  vertueusement  le  fiert 
Parmi  le  baume  si  grant  cox 
Que  tôt  li  est  ploie  li  cox. 

2905    Si  forment  le  fort  et  demeine, 
A  poi  que  il  ne  pert  l'aleine: 
Ne  il  n'a  pas  tant  de  vertu 
Qu'il  git  devant  li  son  escu, 
Ains  est  autres!  conme  pris, 

2910    Quant  il  le  voit  si  entrepris. 
Si  li  a  si  grant  cop  done 
Que  trestot  l'a  escervele. 
Son  cop  estort,  que  del  destrer 
Le  fet  a  terre  trébucher. 

2915    A  tere  chaï  tôt  envers 
Mesire  Bricemer  li  cers. 
Li  rois  a  veû  son  damache, 
Por  un  petit  que  il  n'enrage, 


2885  que    2890  Desor  le    2891  le  q.    2895  entent  brchemer 
lui     2901  requier     2907  il  nen  a     2908  lui     2917  danache 


XI  (Méon  272«y— 27324)  471 

Tant  fu  pleins  de  coios  et  d'ire 
2920    'He  dex!'  dist  il    que  porrai  dire 

Des  ces  larons  de  maie  gent 

Qui  si  me  meinent  malement? 

Brichemer,  por  vos  sui  iries. 

Mes  vos  seres  par  tens  venches, 
2925    S'il  plest  a  deu  en  qui  je  eroi.' 
Atant  esporone  lo  roi. 

Vers  Rovel  broce  le  destrer, 

Et  cil  con  hardis  chevalier 

Le  reçut,  si  s'entreferirent 
2930    Tex  cous  que  li  escu  croissirent. 

Rovel  a  brisie  son  espie 

Dont  il  fu  auques  enpirie 

Et  molt  li  desplut,  ce  saches. 

Mes  tost  refu  ses  brans  saches. 
2935    Mes  li  rois  avant  le  feri 

De  l'espie  qui  estoit  forbi, 

L'escu  li  perce  et  le  hauberc, 

El  coste  li  a  fet  un  merc, 

Trois  doie  en  la  char  li  enbat. 
2940    Rovel  ciet  a  terre  tôt  plat, 

Estordiz  et  mal  atomes. 

Et  H  rois  se  rest  retornes 

L'espee  trete,  si  s'areste. 

.Ta  li  oiist  cope  la  teste 
2945    Et  ocis  l'oiist  meintenant, 

Quant  Baucent  vint  esporonant. 

'Sire'  fet  il,    merci  vos  quer 

Que  vos  l'envoies  prisonier: 

Que  se  vos  ici  l'ociez, 
2950    Saches,  blâme  en  seriez. 

Mes  metes  le  en  vo  prison! 

C'est  le  filz  Renart  le  laron, 

Et  por  li,  se  vos  l'enmenes, 

Tos  quites  vos  prisons  raures 


2928  connie  h.  cli'r      2929    requiert      2937    pence      2953    lui      lo 
menés 


472  XI  (Méon  27825—27359) 

2955    Que  Renars  a  mis  en  sa  tor. 

Se  vos  l'ocies,  sans  retor 

Saches  que  pendu  en  seront 

Vos  deus  prisoners  ca  amont. 

Mes  s'il  vos  plest,  si  l'en  menés .' 
2960    Li  rois  respont  'bien  dit  aves  : 

A  vostre  plesir  sera  fet.' 

Tôt  meintenant  mener  l'en  fet. 
Li  rois  en  fet  mener  Rovel. 

A  Renart  ne  fu  mie  bel, 
2965    Ains  li  anuie  durement, 

Mes  il  ne  pot  estre  autrement. 

Molt  fu  dolens,  molt  fu  iries. 

Ses  barons  en  a  aresniez 

'Seigneur'  fet  il,  'car  retournons!   D  150» 
2970    Rouvel  mon  fil  perdu  avons, 

Li  rois  si  l'en  maine  en  prison.' 

Atant  retournent  li  baron, 

Chascuns  forment  se  desconforte. 

Ou  chastel  entrent  par  la  porte, 
2975    Les  pons  font  après  euls  lever. 

Atant  se  courent  desarmer, 

Puis  en  montèrent  ou  pales. 

Et  la  roïne  a  grant  ellais 

Vint  encontre,  si  les  conjoie. 
2980    'Dame,  dame,  n'ai  seing  de  joie' 

Fait  soi  Renart,   foi  que  vous  doi: 

Car  ainsi  conme  je  le  croi, 

Rouvel  ai  perdu,  qu'eu  prison 

L'enmaine  Noble  le  lion.' 
2985        Quant  la  roïne  entent  Renart, 

A  poi  que  li  cuers  ne  li  part. 

'Ahi  lasse,  que  pourrai  faire? 

Lasse!  con  ci  a  mal  repaire, 

S'ainsi  avons  perdu  Rouvel! 


2955  la  2957  en  manque  29(32  le  f.  2966  p.  tstrement  Les  vv. 
2969—3103  manquent  dans  le  insc.  A,  qui  a  perdu  ici  un  feuillet;  ils 
sont  donnés  d'après  le  msc.  D.      2975  fermer     2979  Dit     2989  Se  ainsi 


XI  (Méon  27at;0-273i)5)  473 

2990    Miex  Yousisse  que  cest  cliastel 

Fust  mis  en  charbon  et  en  cendre. 

Faites  vos  deus  prisonniers  prendre 

Et  puis  si  envoiez  en  l'ost, 

S'il  ne  vos  rendent  Rouvel  tost, 
2995    Que  vous  ferez  pendre  Brun  l'ours 

Et  Bruiant,  n'en  auront  secours.' 
'Dame'  fait  il,    bien  avez  dit. 

Je  meïsmes  sanz  contredit 

Irai  dessus  le  mur  crier.' 
3000    A  tant  vait  sur  le  mur  monter, 

Et  s'escria  que  bien  l'ot  on 

'Entent  ca.  Noble  le  lion:  / 

Tu  as  en  prison  mon  enfant, 

Et  je  rai  Brun  l'ours  et  Bruiant. 
3005    Or  fai  lequel  que  tu  voudras: 

Ou  tu  Rouvel  mon  filz  rendras 

Ou  tu  verras  Brun  sanz  demour 

Pendre  la  amont  sus  la  tor. 

Si  i  sera  pendu  Bruiant.' 
3010    Li  rois  respont  'ce  est  noient. 

Que  jamais  nul  jour  nel  verras. 

Or  y  parra  que  tu  feras.' 

Atant  est  Renars  descendu, 

A  poi  qu'il  n'a  le  sens  perdu. 
3015    As  prisonniers  en  vint  errant, 

Si  les  fist  prendre  maintenant. 

Puis  les  fist  en  la  tour  mener. 

Si  leur  a  fait  les  iex  bender 

Et  puis  el  col  mettre  la  hart. 
3020    'Seigneur'  ce  leur  a  dit  Renart, 

'Hui  est  adjourne  vostre  jour. 

Proiez  Noble  l'empereour 

Qu'il  me  rende  mon  fil  Rouvel, 

Ou  foi  que  je  doi  saint  Marcel 
3025    Ja  serez  ambedui  pendu.' 


2990  M.  amasse  q.  ce  2994  Se  il  ne  u.  rent  ;JUOO  m.  ester  3009 
Et  manque  Si  i  s.  3016  fait  3017  fait  3018  a]  y  3019  es  coulx 
3023  Que  me       filz 


474  XI  (Môon  27396—27431) 

Quant  li  baron  l'ont  entendu, 
Chascuns  ot  grant  paour  de  soi. 
Meintenant  escrient  au  roi 
'Sire,  pour  dieu  et  por  son  non, 

3030    Nous  sommes  mort  sanz  raancon, 
Se  vous  n'aves  de  nous  merci.' 
Li  rois  les  barons  entendi 
Et  bien  les  vit  les  iex  bendez. 
Ses  barons  en  a  apelez. 

3035     Seigneur'  fait  il,  'que  m'en  loez? 
Ja  seront  au  vent  encroez, 
Se  nous  Rouvel  ne  leur  rendon.' 
'Sire'  ce  dient  li  baron, 
'Fêtes  li  Rouvel  envoier 

3040    Et  si  li  faites  fiancier 

Que  vos  prisoniers  maintenant 
Vos  rendra  et  sain  et  vivant 
Tût  einsi  conme  il  furent  pris, 
Armez  sus  les  destriers  de  pris.' 

3045     Vos  dites  moult  bien'  dist  li  rois. 
Lors  le  fait  venir  demanois 
Devant  li,  et  sanz  atargier 
Li  fist  meintenant  fiancier 
Que  si  tost  con  laiens  sera, 

3050    Les  prisonniers  deliverra. 
'Sire'  fait  il,  'ainsi  l'ottroi.' 
Atant  a  pris  congie  au  roy. 
Et  li  rois  li  baille  conduit 
Que  de  sa  gent  ne  fust  sousduit, 

3055    Sel  conduisent  vers  le  chastel. 
Renart  se  sist  lez  un  quernel, 
Si  a  veii  Rouvel  venir. 
Tantost  fist  les  portes  ouvrir. 
Si  le  recurent  a  grant  joie. 

3060    Le  conduit  arriéres  envoie 

Et  puis  sont  monte  ou  palais. 


3039  lui  3042  sainz  et  uiuaiis  3044  les  manque  3045  dit  3046 
font  3047  lui  3054  sousdi  3055  condisent  3056  s.  uers  un  3060 
arrière     3061  montez 


XI  (Méon  274H2-274H7)  ^75 

Onc  si  grant  joie  ne  vi  mais 

Conme  son  père  li  a  faite. 

N'i  ot  mie  gvant  noise  faite 
3065    Ne  n'i  ot  parle  fors  de  joie. 

Je  ne  cuit  que  jamais  tele  oie, 

Nou  fera  nul  honme  vivant. 

Monseigneur  Brun  l'ours  et  Bruiant 

En  fist  remener  conme  ber, 
3070    Tantost  les  a  fait  desbender. 

A  grant  joie  et  a  grant  leesce 

Issirent  de  la  forteresce 

Dessus  les  destriers  Arrabis, 

A  leur  costez  les  brans  forbis. 
3075    En  l'ost  sont  venuz  sanz  desloi 

Très  devant  la  tente  le  roi 

Sont  andui  descendu  a  pie. 

Durement  en  fu  li  rois  lie  : 

Il  les  acole  et  si  les  baise 
3080    Et  dist  'moult  estoie  en  mesaise 

Pour  vous  deus,  mais  la  dieu  merci 

Moult  sui  lie,  quant  je  vous  voi  ci 

Devant  moi  et  sainz  et  haitiez.' 

Durement  refu  Renars  liez 
3085    Pour  son  fil:  mais  Rouvel  s'esmaie, 

Que  moult  li  deult  et  cuit  sa  plaie. 

Desarmer  le  font  meintenant, 

Si  li  vont  sa  plaie  cerchant. 

Bons  mires  ot  et  bien  senez. 
3090    Tant  sont  de  li  garir  penez 

Que  ainz  que  passast  la  semaine, 

Fu  sa  plaie  garie  et  saine, 

Et  bien  pot  ses  armes  porter. 

Renars  qui  moult  fist  a  doubter, 
3095    En  a  apele  ses  barons. 

'Seigneur'  fait  il,   quel  la  ferons? 

Il  nos  convient  aler  la  hors. 


3072  Isserent     3076  deuan     3085  filz     sesmoie     3086  d.  encor  sa 
serchant     3090  lui     3097  c.  armer  n.  cor' 


476  XI  (Méon  27468— 275U2J 

Il  n'i  a  que  d'armer  noz  cors 
Pour  noz  anemis  esmaier.' 

3100    Atant  s'arment  sans  delaier. 

Par  dessus  le  pont  tuit  ensemble 
S'en  issirent,  si  con  moi  semble. 
Qu'iroie  lonc  conte  faisant? 
En  l'ost  se  fereiit  meintenant.       A 145 

3105    Mes  nés  trovent  pas  desarmes, 
Mes  bien  garnis  et  aprestes 
Conme  de  défendre  lor  cors. 
La  ot  de  tabors  et  de  cors 
Grant  noisse  fête  et  grant  esfrois. 

3110  Devant  les  autres  vint  li  rois 
Trestos  armes  sor  son  cheval: 
Molt  ot  en  li  noble  vassal. 

Quant  Renart  vit  lo  roi  venir, 
Envers  li  broche  par  aïr 

3115    Quanque  cheval  puet  randoner. 
Les  lances  brisent  au  joster, 
Ambedui  tôt  conmunaument 
Outrepassent  isnelement, 
L'un  a  l'autre  plus  ne  forfist. 

3120    Ysengrins  sor  un  ceval  sist 

Qui  bien  valoit  cent  besans  d'or. 
Il  broche  vers  Bruiant  le  tor 
La  lance  droite  au  fer  trenchant. 
Bruiant  revint  esporonant, 

3125    Si  tost  con  il  le  vit  venir. 
Grans  cox  se  vont  entreferir 
De  lor  lances  de  meintenant. 
Ysengrins  qui  molt  fu  vaillant 
Le  feri  de  si  grant  vigor 

3180    Que  de  la  lance  travers  d'or 
Li  mist  el  cors  et  le  fer  tout. 
D'autre  part  en  parut  li  bout. 


3098  que  daler  la  Ii.  3099  delaier  3103  Que  iroie  3104  le  msc. 
A  recoumence  3112  lui  {de  même  3114)  3115  pot  3121  Que  .c.  3124 
reuient  3128  Ysengrins  illisihU  3130  travers  dor  illisible  3130  Vers 
corrompu.     3131   es  c.     3132  but 


XI  (Méon  27503-27539)  477 

Del  destrer  a  tere  le  mei". 

Cil  trébuche  et  si  gete  un  bret 
3135    Si  grant  que  tôt  l'ost  en  frémi. 

Li  rois  l'oï  ot  enteudi, 

Celé  part  vint  esporonant. 

Si  a  trove  Bruiant  gisant 

Tôt  estendu  enmi  la  pree, 
3140    L'ame  li  ert  del  cors  sevrée: 

Iloques  se  gist  estendu. 

'Las!'  dit  li  rois   qu'ai  atendu 

Que  ne  vois  vencher  mon  baron 

Que  m'a  mort  cel  quivert  félon? 
3145    Qu'aten  ge  que  nel  vois  vencher? 

Il  m'amoit  tant  et  tenoit  cher.' 

Lors  point  le  destrer  de  Castele, 

La  lance  ou  le  penon  ventele 

A  déploie  de  meintenant. 
3150    Poignant  s'en  vet  devant  sa  gent 

Tos  hors  del  sens,  toz  enragies. 

Un  des  autres  s'est  desrengies 

Qui  contre  le  roi  esperone. 

Mes  li  rois  si  grant  cop  li  done 
3155    De  la  lance  parmi  le  cors, 

Li  fers  en  parut  par  defors 

Ge  cuit  plus  de  demie  toise. 

A  ce  que  la  lance  pendoise 

L'a  mort  trebucie  enz  el  pre. 
3160    Malebranche  en  a  molt  pesé 

Qui  l'ot  esgarde  et  veii, 

Tantost  est  celé  part  venu, 

Malebranche  fu  tôt  desve, 

Quant  vit  son  ome  mort  gite: 
3165    Molt  en  fu  dolans  et  iriez. 

Envers  le  roi  s'est  eslessie, 

Et  li  rois  qui  bien  l'aperçut 

Meintenant  celé  part  corut 

Quanqu'il  pot  trere  del  destrer. 


31.34  Si  t.  et   cil    g.      3135  fermie      313(5    lot      3138   par      3141 
estendus    3144  quert    3156  La  lance  p.    3158  pendie    3159  trebuci  enz  es 


478  XI  (Méon  27540—27575) 

;^170    Bien  fu  afiche  eu  l'estiier. 
Et  Malebraiiche  d'autre  part 
S'eslesse  parmi  uu  essart: 
Si  tost  comne  a  veû  lo  roi, 
L'escu  enbrace  par  desroi 

3175    D'ire  et  de  maltaleut  espris. 
Li  rois  revint  maltalentis  : 
Doner  se  vont  mervellos  cox 
Desus  les  escuz  de  lor  cox 
Se  ferirent  sanz  deuiorance. 

31H0    Malebrance  brise  sa  lance. 
Et  li  rois  le  fiert  a  bandon. 
Que  sa  lance  jusqu'au  penon 
Li  fist  parmi  le  cors  glacer. 
Mort  le  trébuche  del  destrer. 

8185    A  le  rescore  vint  Renart, 

Mes  il  i  est  venus  trop  tart. 
Il  et  sa  gent  i  sont  venu, 
Mes  malement  l'ont  secuiu, 
Qar  iloques  l'ont  trove  mort. 

3190  Ci  n'a'  dist  Renart  nul  confort, 
Mes  or  venai  qui  m'auia  cher, 
Que  je  le   voil  aler  vencher.' 

Sire'  ce  dient  li  baron, 
'Volontiers  vos  i  aideron.' 

3195    Lors  reconmence  la  niellée. 
Meint  cop  i  a  féru  d'espee, 
Molt  veïssies  bestes  morir, 
Onques  nus  ne  se  pot  tenir 
Encontre  l'espee  Renart. 

320()    Quant  Ferant  s'en  vint  celé  part, 
ïex   vint  mile  en  sa  conpaignie 
Qui  au  roi  firent  grant  aïe. 
En  l'ester  se  feront  errant. 
Des  genz  Renart  ont  ocis  tant 

3205    Que  nus  n'en  sot  le  conte  dire: 


3170  el  destre  3172  Sesse  lieise  3175  de  mavqtie  estpris  3177 
meru'  los  3178  D.  lor  e.  3190  dit  3191  ore  3195  Adoiit  oonnience 
319*;  fure     3203  ernaiit     3204  gent 


XI  (Méon  27576—27(311) 

Lors  n'ot  Renart  talant  de  rire. 
Qui  donques  veïst  Percehaie 

Parmi  l'ost  con  il  se  desraie  ! 

îsus  ne  pot  a  son  cop  durer. 
3210    Belin  prent  a  esperonor, 

Percehaie  l'a  si  féru 

Que  il  li  a  percie  l'escu. 

Ou  li  pessast,  ou  bel  li  fust, 

Que  de  la  lance  et  fer  et  fust 
3215    Ne  li  passast  parmi  le  foie. 

Mort  le  trebuce  enmi  la  voie. 

Puis  sache  del  fore  l'espee, 

A  Ferrant  done  tel  colee 

Que  li  fist  la  teste  voler: 
3-220    D'eus  deus  fist  la  guerre  finer. 

Renart  s'eslesse  d'autre  part, 

Grant  cop  vet  ferir  le  lepart 

De  son  gleive  parmi  le  cors, 

Que  li  fers  en  parut  defors: 
3225    Tant  con  la  lance  li  dura, 

A  la  terre  le  trebuca. 

Molt  i  ot  grant  caple  et  félon. 

Estes  vos  Noble  le  lion 

Arme  sor  son  cheval  ferrant, 
32;;o    La  lance  en  son  poing  paumoiant. 

0  li  ot  meint  duc  et  meint  conte, 

Tant  en  i  a,  n'en  sai  le  conte. 

0  li  fu  li  conte  Frobert 

Et  l'escoufle  sire  Hubert 
3235    Qui  heent  Renart  durement: 

Vers  li  vienent  ireement. 

Sire  Frobert  le  gresillon 

Plus  tost  que  un  alerion 

Vint  poignant  encontre  Renart. 
o240    Renart  le  voit  qui  molt  fu  tart  146 

Que  il  se  fust  a  lui  mesle. 


479 


3218  Au  3220  De  .x.  a  3229  soz  3230  poig  3231  lui  3233  lui 
323-,  hent  3236  lui  3240  que 


480  XI  (Méon  27612—27049) 

Del  fore  tret  le  brant  letre, 
Et  Fiobert  avoit  le  suen  tret. 
Li  uns  pies  de  l'autre  se  tret, 

3245    Grans  cos  se  ferent  de  manois. 
Des  brans  qui  sont  sarasinnois 
Si  merveilles  cox  s'entredonent 
Que  totes  les  testes  estonent. 
Et  si  giant  cop  se  sont  féru 

3250    Qu'a  terre  se  sont  abatu: 
Andoi  cient  enmi  la  voie. 
Estes  vos  poignant  Percehaie, 
0  lui  meint  vaillant  bacheler. 
A  force  font  Renart  monter, 

3255    Puis  retornerent  a  itant 
Vers  le  castel  esporonant. 

Meintenant  montent  el  pales 
Qui  riches  estoit  et  bien  fez. 
Molt  las  et  molt  travellie  sont, 

3260    Si  se  désarment  la  amont 

En  la  tor  qui  est  bêle  e  blance. 
Molt  font  grant  dol  de  Malebrance, 
'Las!'  dist  Renart  'maloiire! 
De  mal  ore  fu  ouques  ne 

8265    Quant  g'ai  Malebrance  perdu 
Par  qui  dui  estre  secoru. 
Or  n'aten  ge  mes  nul  socors. 
Dame  Fere,  les  voz  amors 
A  ge  conparees  molt  cher. 

3270    Mes  foi  que  je  doi  seint  Richer 
A  qui  je  n'en  doi  neïs  point, 
Li  rois  Nobles  est  en  mal  point. 
N'en  puet  partir  en  nule  guise 
Que  de  ses  seges  ne  se  cuise.' 

3275    Dist  Rovel  'or  lessies  ester! 
Yos  n'i  poes  rien  conquester.' 
Tos  dites  voir,  sire  Rovel, 


3253  uallet  b.     3263  dit     3270  je  manque     doi  a.  s.     3271  ne  d. 
3272  ert     3273  pot  partin     3275  Dit     3277  uor 


XI  (Méon  27(i50— 27685)  481 

Mes  foi  que  je  doi  seint  Marcel 

Que  je  n'ains  que  vaille  un  deuier. 
3280    Li  rois  le  coupera  molt  cher: 

Ainz  que  cist  castax  soit  rendus, 

Sera  il  as  forces  pendus.' 
Atant  ont  lessie  le  pledier. 

Li  rois  Nobles  se  fist  loger 
3285    Enmi  le  pre  desoz  la  tor, 

Et  jure  deu  le  creator 

Que  James  ne  s'en  partira 

Tant  que  Renais  pendus  sera. 

Einsi  se  sont  a  grant  leece 
3290    Tendu  devant  la  forterece, 

A  grant  joie  et  a  grant  baudor 

Furent  iloc  trestote  jor 

Et  grant  partie  de  la  nuit, 

Et  tant  qu'il  se  dormirent  tuit. 
3295    N'en  i  ot  nul  qui  ne  dormist. 

Renart  qui  onques  bien  ne  fist. 

Se  mal  non  et  desloiautez, 

En  a  ses  deus  filz  apeles 

Et  Ysengrin  son  conpaignon. 
3300    Scgnor'  fet  il,  'queil  la  feron? 

Il  se  dorment  trestuit  en  Tost  : 

Fêtes  et  si  vos  armes  tost, 

Ses  irons  la  hors  estormir. 

Se  poons  au  roi  avenir, 
3305    Ja  dex  n'ait  de  m'ame  merci, 

Sel  puis  tenir,  se  ne  l'oci.' 

'Sire   font  il,  'bien  aves  dit.' 

Adont  s'arment  sans  contredit 

Tuit  quatre  c'onques  n'i  ot  plus. 
3310    Le  pont  ont  fet  avaler  jus. 

Tôt  bêlement  et  tôt  soef 

(Jnt  entr'eus  le  pont  avale. 

S'en  isscnt  sans  noisse  et  sanz  cri, 


3278  je   manfjiie      a.  fileb't      3279  nai     d'     3290  le  fortrcce     3300 
ferqj     3313  san  cri 

RENART     I  31 


482  XI  (Méon  27686—27729) 

Durement  ont  l'ost  estormi. 

3315    Quatre  en  ont  mort  au  premer  saut. 
L'ost  estormist  et  bas  et  haut. 
Vers  la  tente  lo  roi  en  vont, 
Les  cordes  coupées  en  ont: 
La  tente  ciet,  li  rois  s'esveille, 

3320    La  noisse  entent,  molt  se  merveille. 
As  armes  corent  et  molt  tost 
Se  furent  arme  cil  de  l'ost. 
Mes  cil  se  sont  mis  el  retor, 
Grant  caple  ont  fet  devant  la  tor. 

3325    Mais  la  gent  lo  roi  tant  s'esforce 
Que  Renart  i  pristrent  a  force, 
Et  li  autre,  qui  que  soit  bel. 
Si  se  ferirent  el  castel. 
Et  Renars  par  molt  grant  desroi 

3330    Fu  amenés  devant  le  roi, 

Tôt  corocie  et  tôt  plein  d'ire. 
Li  rois  li  commença  a  dire 
'Ha  punes  rox  de  maie  part, 
De  ma  gent  m'as  fet  grant  essart. 

3335    Mes  molt  cher  te  sera  rendus, 
Que  orendroit  seras  pendus: 
Ne  t'i  vaudra  engin  ne  lobes.' 
'Merci'  fet  il,  'gentix  rois  Nobles, 
Pardones  moi  a  ceste  foiz, 

3340    Si  abessies  vostre  bufoiz  ! 
Se  ceste  fois  me  pardonez, 
Adonc  m'ert  bien  gerredones 
Le  service  que  je  vos  fis 
Quant  de  la  fevre  vos  garis, 

3345    Quant  je  fui  por  vos  en  Palerne, 
En  Romanie  et  en  Salerne. 
Outre  mer  en  Sarazinois 
Fu  je  por  vos  plus  de  set  fois 
Por  querre  vostre  garison. 


3314  Dorement      3329  desre      3332  Et  li  q.  li  a  pris  a     3334  as 
f.  g.  e.  illisible      3336    seras   pendu    illisible      3339   ceste   foiz  illisible 
3340  uostre  bufoiz  illisible    3341  me  par  illisible 


XI  (Méon  27730—27765)  483 

;5350    Or  m'en  rendes  le  guerredon  : 

Et  danile  deus  et  nostre  dame 

Guerredon  vos  en  rende  a  l'ame!' 
Li  rois  qui  fu  pleins  de  savoir, 

Ot  le  service  amentevoir 
3355    Que  Renart  li  ot  fet  jadis. 

Adonc  a  porpenser  s'est  pris. 

Et  quant  il  ot  pense  grant  pose, 

Si  dit  'ore  oes  une  cosse, 

Segnor  baron  !'  dit  l'enperere 
3360    'Ves  ci  Renart  qui  meint  contrere 

M'a  fet:  or  me  reproche  ci 

Ce  que  de  mon  mal  me  gari. 

Il  le  me  doit  bien  reprocher, 

Orendroit  li  aura  mester  : 
3365    Que  por  tôt  l'or  qui  el  mont  soit, 

Ne  li  mefferoie  orendroit, 

Ainz  li  pardoinz  tôt  le  mesfet 

Que  il  m'a  en  cest  monde  fet, 

Trestot  li  quit  orendroit  ci.' 
3370    Renars  respont  'vostre  merci'. 
A  icel  mot  fu  la  pes  fête. 

Li  rois  fet  corner  la  retrete: 

Cels  qui  asaillent  a  la  tor 

Renart,  fet  mètre  el  retor. 
3375    Et  li  rois  sans  plus  arester 

A  fait  ses  pavellons  oster.  1-47 

Trestot  meintenant  s'en  retorne, 

Jusq'a  son  castel  ne  sejorne. 

Tantost  au  perron  descendi. 
3380    L'empereriz  vint  contre  li 

Qui  a  grant  joie  le  reçut 

Si  con  son  segnor  fere  dut. 

Durement  son  segnor  conjoie. 

El  pales  monte  a  grant  joie 
3385    Li  rois  que  sa  feme  decoit 


3356  se  p.      3361  me  porchace  ci      3369  cuit      3377  se  r.      3378 
c.  ne  retorne     3380  lui     3884  montent 


484  XI  (Méon  '2nm— 27782) 

Si  que  il  point  ue  s'aperçoit 
Que  lienart  l'oust  esposee: 
iN'onques  n'en  fu  aresonee, 
Ne  il  n'en  fu  parole  puis. 

3390    Renars  ala  a  Malpertuis 

Ou  a  grant  joie  le  reçurent 

Si  filz  si  corne  il  faire  durent, 

Et  avec  rai  sire  Ysengrin  D  152^1 

Qui  l'aime  de  cuer  enterin 

3395    Et  puis  fu  si  bien  du  roi  Noble 
Que  tuit  cil  de  Constantinoble, 
Par  parole  ne  par  mesdit, 
Einsi  con  l'escripture  dit, 
Nel  feïssent  au  roi  meller 

3400    Por  rien  qu'il  seiisseut  parler  : 

Mes  entr'euls  moult  grant  amor  ot. 
Li  contes  fenist  a  cest  mot. 


La  fin  des  vv.  3388  à  3392  ciiiisi  que  les  vv.  3393  à  3402  ont  été 
arrachés.  Voici  les  lettres  et  les  mots  qui  manquent:  3388  ce  3889  e 
puis  3390  tuis  3391  le  recurent  3392  il  faire  durent  On  Ut  au  v.  3390 
au  Les  vers  3393  ss.  soit  tirés  du  msc.  D.  3399  Ne  le  feist  3400 
quil  sen  seust  pener 


LE  ROMAN 


DE 


REPART 

PUBLIÉ 

PAR 

ERNEST  MARTIN 


DEUXIEME  VOLUME 


SECONDE   PARTIE   DU  TEXTE:    LES   BRAXCHES   ADDITIONNELLES 


STRASBOURG 
K     .1.    T  R  i:  P.  N  E  K  ,    É  D  I  T  E  U  R 

PARIS 
ERNEST    LEIiOfX 

INS,-) 


linprimfirie  de  O.  Otto  à  Darmala.lt. 


XÏI 

(Méon  20491—20517) 

Oez  une  novele  estoire  A  f.  59 

Qui  bien  devroit  estre  eu  mémoire. 

Lontans  a  este  adirée  : 

Mes  or  l'a  un  mestres  frovee 
5    Qui  l'a  translatée  en  ronianz. 

Oez  comment  ge  la  comanz. 
Ce  fu  en  mai  au  tens  novel 

Que  Renart  tint  son  fil  Rovel 

Sor  ses  genolz  a  un  matin. 
10    Li  enfes  ploure  de  grant  fin 

Por  ce  qu'il  n'aveit  que  mangier. 

Renart  le  prist  a  apaier. 

Si  li  a  dit  'filz  cuer  de  roi, 

Ge  vois  el  bois  de  Yeneroi 
15    Porchacer  a  ton  cors  viande'. 

Atant  s'en  ist  parmi  la  lande 

Et  s'en  entre  en  la  voie  errant 

Et  molt  sovent  vet  coloiant 

Savoir  s'il  poïst  acrocher 
20    Qui  a  son  filz  oust  mester, 

Coc  ou  jeline  ou  oison. 

ilester  en  aureit  en  mason 

Que  il  n'i  a  point  de  cuisine, 

Et  sa  ferae  gist  de  gisine, 
25    S'est  molt  ses  osteus  desgarniz. 

Atant  li  sont  devant  sailliz 

Cinc  que  jelines,  que  chaponz. 

1  estoro     10  fein     16  sen  mist     22  auret 
HENART     II.  1 


XII  (Méon  20518-20553) 

Et  Renart  se  mist  es  trotons 

Tôt  droit  vers  els  giaiit  aleûre 
30    Tant  qu'il  vit  venir  l'ambleuro 

Iluon  l'abe  et  sa  mesniee. 

Kenart  maudit  sa  chevauchiee 

Qui  sor  lui  a  hui  fet  teil  taille. 

Fuiant  s'en  torne,  si  baaille, 
35    Qu'il  n'i  ose  plus  demorer 

For  les  levrers  qu'il  veit  mener. 

Vers  la  forest  s'en  va  corant 

Et  Huon  l'abe  dévorant. 

'Ahi'  fait  il,  'Huon  l'abe, 
40    Mal  jur  vos  seit  hui  ajorne  ! 

Molt  m'as  hui  fait  grant  desturber, 

Qu'entre  ma  boce  et  ma  cuillier 

As  hui  proie  sor  mei  sesie. 

Maudite  seit  la  toue  vie! 
45    Que  trop  me  par  as  hui  grève. 

(l'en  oiisse  ja  un  levé, 

Se  ne  fusses  sitost  venu. 

Et  quant  ne  m'as  aperceû, 

Ge  m'en  irai  que  bien  que  mal. 
50    Meuz  m'en  vient  partir  paringal 

Trestot  sanz  perte  et  sanz  mehaing, 

Que  recovrer  mortel  gaaing'. 
Atant  s'en  veit  toz  eslessez, 

Molt  est  dolanz  et  corochez 
5,-)    De  ce  qu'il  n'a  rienz  conqueste 

(^u'a  son  ostel  eiist  porte 

Por  sa  mesnie  desjunier. 

Tote  jur  ne  fina  d'errer 

Jusqu'à  tant  que  vint  vers  midi 
(jo    Que  il  garda,  si  a  coisi 

Tibert  le  chat  qui  se  giseit 

Sor  une  roche  et  rostisseit 

Sa  pance  au  chaut  del  soleil. 


28    el    trotans      33    Quo     tailloo     37  fores      41    niaiies    fait    liui 
49  bien  ]  mal     (52  rostission 


XII  (Méon  20554—20590) 

Ce  dist  Renart  'molt  me  merveil, 

65    Se  c'est  Tybert  qui  la  s'acoste'. 
'Oïl  voir,  ce  sui  ge,  bauz  hoste'. 
"Et  por  ce  que  ci  estes  vos, 
Ge  me  voil  desresner  o  vos' 
Ce  dist  Renars  'et  reposer: 

70    Que  je  ne  final  Imi  d'aler'. 
'Si  alez  dormir  en  un  angle  ! 
N'ai  que  fere  de  vostre  jangle 
Ne  de  vos  falordes  oïr  : 
Fuiez,  si  me  laissez  dormir! 

75    Ge  n'ai  or  de  noise  mester. 
Fuies  de  ci,  aies  biller'. 
'Avoi,  sire  Tybert  li  chaz, 
Por  ce  s'ore  aves  voz  degraz 
Et  se  vostre  pance  est  or  pleine, 

80    Ne  durra  mie  la  semeine 

Cist  orgoulz  que  vos  or  avez. 
Por  ce  s'or  estes  saolez, 
Si  me  faites  chère  lovine. 
Ge  conterai  a  Hermeline 

85    La  foi  et  la  reconnissance 

Dont  vos  estes  et  la  provance. 
Et  ge  l'ai  en  meisson  laissée: 
Tôt  de  novel  est  achociee 
D'un  molt  bel  filz  et  d'une  fille'. 

90    'Par  fei,  n'i  donreie  une  bille' 
Ce  dit  Tybert  'en  els  n'en  toi'. 
'Avoi,  sire  Tybert,  par  foi, 
Ge  n'en  puis  mes,  se  me  dément, 
Que  desgarnis  sui  malement. 

95    Ge  ne  laissai  hui  a  l'ostel 
Ne  pain  ne  vin  ne  car  ne  sel. 
Dont  ele  se  poïst  disner. 
Si  m'avint  hui  a  rencontrer 
Huon  l'abe,  un  vis  diable. 
100    Renart  doit  il  donc  dire  fable, 

73  uo  f.     79  ore     80  dura     8G  la  connissance 


XII  (xMéon  20591— 20R26) 

Qui  jeiine  et  feit  penitance? 

'Nenil,  mes  estre  en  repentance. 

Si  deit  aler  paissiblement 

Ne  mie  ganler  a  la  gent 
105    Quïl  trovera  par  les  cemins  : 

Ainz  se  deit  tenir  toz  enclins, 

Quant  il  vait  en  pèlerinage, 

Ne  deit  mie  démener  rage'. 
'Avoi,  Tybert,  or  est  asez. 
110    N'estez  vos  mie  encor  lassez' 

Fet  sei  Renart  'de  mei  gaber  ? 

Ja  nel  vos  doiissez  penser. 

For  ce  se  je  sui  or  frarinz, 

Ases  set  deu  quex  pèlerins 
11')    Nus  somes'  Renart  li  a  dit. 

Et  Tybert  dist  'se  dex  t'aït, 

Renart,  di  moi  ou  est  l'iglise 

Ou  tu  vas  oïr  le  servise. 

Ja  ne  ses  tu  pas  messe  entendre. 
120    ^«e  t'ai  veii  carite  prendre 

Deus  fois  sans  aler  au  moster. 

Molt  es  religieus  des  er 

En  petit  d'ore  devenu. 

Conment  dont  t'est  ice  venu?' 
125    'Far  deu,  Tybert,  vos  aves  tort. 

Tex  est  febles  qui  devient  fort. 

Tybert'  ce  dit  Renart,  'merci! 

Au  besoin  voit  on  son  ami. 

Mes  feites  le  conme  corteis, 
130    Venes  o  mei  en  cel  defois 

El  plaissie  Guillaume  Bacon 

Savoir  se  ja  troverion 

Aucune  chose  a  os  ma  feme'. 

'Nofferai'  dist  Tybert,  'par  m'ame, 
135    N'ai  or  mester  de  traveller'. 

'Gel  di  por  vos  esbanoier 


110  encore     115  dist     116  dit     126  quil  d.      131 


XII  (Méon  20627-20663) 

Et  por  mei  feire  conpaingnie.  60 

Si  feres  molt  grant  cortoisie 

Se  vos  venes  o  moi  esbatre'. 
140    'Voire  mes  se  tu  me  fez  batre 

Par  ton  engin  et  fere  honte'. 

'Avei,  Tybert,  ice  que  monte  ? 

Par  la  fei  que  je  dei  Rovel, 

Ne  voudroie  por  le  mantel 
145    Qui  orendreit  au  col  me  pent. 

Qu'en  vos  i  forfeïst  neient, 

Ne  que  eiissies  se  bien  non 

Tant  con  serion  conpaingnon'. 

Et  puis  dist  en  bas  bêlement 
150    'Tybert,  dex  t'enveit  marement, 

Que  molt  m'auras  hui  ramprone. 

Mes  il  t'ert  bien  gerredone 

Se  je  puis  et  engin  i  vaut'. 

Et  après  a  parle  plus  haut. 
155    'Sire  Tybert'  Renart  a  dit, 

'Ge  vos  aim  molt,  se  dex  m'aït'. 

Ce  dit  Tybert  'bien  vos  en  croi'. 

Atant  sont  essu  del  Moloi 

Vers  le  Vernoi  tuit  esleisse, 
160    Si  se  feront  enz  el  plaisse 

Loing  del  castel  desos  la  vile. 

Et  Renart  qui  molt  sout  de  gile, 

Aveit  Tybert  mis  a  raison. 

'Tybert,  par  ta  confession 
165    Fet  soi  Renart   di  moi  verte, 

S'or  venoient  ci  arote 

Tuit  li  chen  Guillaume  Bacon, 

Se  dex  te  face  veir  pardon, 

Quar  me  di  or  que  tu  feroies, 
170    Fuiroies  tu,  si  me  lairoies?' 

Ainz  m'en  monteroie  lasus' 

Ce  dist  Tybert,  'n'i  auroit  plus. 

Si  esgardoroie  lor  force, 
14S  seron    161  caste     107  guill'  {de  même  18H)    169  ore     170  Fui- 
roimes     173  esgarderoi 


XII  (Méon  20(jG4 -2070  1) 

Se  je  trovoie  crues  n'escorce 
175    <^^u  ge  me  pousse  mocier, 
S(is  laireie  outre  chevacer  : 
()ue  trop  par  est  ma  pance  plene, 
Au  core  me  faudroit  l'aleine. 
Et  vos,  Renart,  que  ferees? 

180    l'ien  sai  que  vos  fuïreez, 
Si  me  laireez  covenir'. 
Atant  voient  avant  venir 
Guillaume  Bacon  o  ses  clionz. 
'Ici  ne  voi  ge  nul  des  miens, 

185    Sire  Tybert'  ce  dist  Renarz. 
'Or  face  chascun  de  ses  arz 
Et  tôt  au  mouz  que  il  porra, 
Que  Renart  plus  n'i  demorra. 
Sire  Teberd,  or  del  monter, 

190    Ne  vos  tiengne  pas  de  gaber. 
N'estes  or  mie  sor  la  roche 
Ou  ore  me  dist  vostre  boce 
Ijcs  foies  paroles  cuisanz. 
La  parlerez  avoc  ces  genz, 

195    11  vos  voudront  ja  detroer, 
Si  conmenchez  a  sarmoner. 
Se  vos  lor  i  treez  sarmon, 
Vos  vos  i  tendres  a  bricon  : 
(^ue  ja  ne  monteres  si  haut 

200    Que  a  terre  de  l'eschafaut 

Ne  vos  metent  de  lor  bastons, 
De  lor  arz  et  de  lor  bozons. 
Et  se  vos  estes  entrepris, 
Ja  par  moi  ne  seres  requis: 

205    N'il  n'en  prendront  ja  reencon. 
S'il  n'ont  vostre  gris  pelicon'. 

Lors  se  mist  Renart  au  travers. 
Et  Tybert  s'est  au  cenne  aers. 
Si  est  montes  sans  demorance, 

210    Qui  au  core  n'aveit  fiance, 


191  ore     197  i  manque    2rX)  a  la  t.     202  Et  de     206  Sil  ueent 


XII  (Méoii  20701—20737) 

Trop  se  senteit  pesans  et  lenz. 
Sovent  disoit  entre  ses  denz 
Sa  credo  et  sa  paternostre: 
'Ha  dex'  fait  se  il,   père  nostre, 

215    Abandone  a  totes  genz, 

Garissies  mes  pies  et  mes  denz 
Et  ma  santé  et  ma  proece, 
Que  ge  n'i  muire  par  perece, 
Mon  chef,  mes  euz  et  ma  feture. 

220    Et  si  dones  maie  aventure 
Renart  qui  ca  m'a  amené!' 
Atant  ont  Renart  escrie 
Li  braconnier  qui  l'ont  veii. 
Et  li  bracet  sont  esmeii, 

225    Si  vienent  sos  le  cesne  droit 
Ou  dan  Tybert  li  chas  esteit. 
Hoc  conmencent  a  glatir, 
Ne  s'en  volent  por  rien  partir 
Devant  que  tuit  li  ponneor 

230    Sont  venu  et  li  coreor. 

Merveillent  soi  que  li  chen  ont 
Tant  qu'il  gardent  el  caine  amont, 
Si  ont  choisi  Tybert  le  chat. 
S'or  ne  li  a  mester  barat 

235    Ja  i  porra  tost  escoter, 

Quar  il  conmencent  a  giter 
Que  pieres  que  bastons  en  haut: 
Et  il  lor  guencist  et  tressant, 
Si  li  est  bien  de  ce  venu 

240    Que  il  n'i  ont  nul  arc  oii. 
Mes  0  les  bastonz  en  gitant 
Le  font  sovent  saillir  avant. 
Mes  il  ne  l'en  est  a  neent, 
Ainz  les  tient  a  mavaise  gent: 

245    Ne  prise  rien  tôt  lor  ruer. 
Il  ne  s'en  faiseit  que  gaber, 
Que  ja  par  oulz  n'oiist  nul  mal, 


221  ame     223  que     225  drot     228  uoloient 


»  XII  (Méon  20738— -20772) 

Qnant  uns  prestres  vint  a  cheval 

Qui  ses  livres  ot  fet  troser 
250    Por  ce  que  il  deveit  chanter 

A  Blaangni  por  le  proveire 

Qui  esteit  aies  a  la  feire. 

Xe  saveit  d'autres  livres  rien. 

N'i  coneiist  ne  mal  ne  bien. 
255    Ce  qu'il  en  set.  set  par  anui, 

Por  ce  les  porteit  avoc  lui. 

Le  prestre  del  Breil  aveit  non. 

Celé  part  vint  a  esperon 

Ou  vit  cels  qui  gitent  au  chat. 
260    Tôt  prestement  sor  euls  s'enbat. 

Cil  li  dient  'se  dex  vos  voie, 

Danz  prestrez,  ou  en  ert  la  voie  ?" 

A  Blaanni  voloie  aler, 

Mes  0  vos  voudrai  demorer 
265    Tant  que  cis  chaz  seit  abatuz". 

Lors  est  li  prestres  descenduz 

Tôt  meintenant,  e  met  le  frein 

Desor  le  col  de  son  polein, 

Sel  laisse  tôt  sanz  atachier. 
270    Bastonz  aquelt  fort  a  trenchier. 

Et  Tebert  li  chaz  se  regarde. 

'Ha  prestres,  maie  flambe  farde!' 

Ce  dist  Tybert  'de  ton  venir  61 

Me  pousse  ge  bien  sofrir'. 
275        Atant  vient  li  prestres  au  cène. 

Et  danz  Tybers  li  chaz  l'arenne 

Sire  prestre,  que  me  volez? 

Sachez  bien  que  pas  ne  venez 

Vers  moi  a  reison  ne  a  droit 
280    Si  conme  prestres  fero  doit 

A  doner  moi  confession. 

Ja  ne  sui  je  mie  laron 

251  prouore  258  par  259  ?.  enliaut  263  uoloi  267  nieitenanf 
269  atoch'e  272  f.  darde  278  que  manque  279  moi  ^iii"  a  dreit  „" 
reison 


XII  (Méon  20773-20807)  » 

Qu'en  doie  asallir  ne  tuer. 

Je  me  voloie  confesser, 
•285    Se  vos  eusses  vostre  estole. 

Mes  vostre  feme  n'est  pas  foie, 

Que  en  a  lie  son  veel. 

Mes  foi  que  doi  seint  Ysrael, 

Vos  faites  molt  grant  vileinie 
•jyo    Qui  venes  par  tele  estotie 

Vers  moi  qu'en  veut  ici  dcstruire: 

Il  vos  porroit  encor  bien  nuire. 

Or  doûssez  avoir  proie 

A  cous  qui  m'ont  ci  asegie 
•295    Que  il  se  tressissent  arere 

Tant  qu'oiissiez  a  cest  pechere 

Priveement  un  poi  parle 

Et  que  m'oûssies  confesse'. 

A  cest  mot  li  prestres  pris  a 
800    Un  des  bastons  que  il  trencha, 

Si  fert  Tybert  desor  l'eschine 

Que  sor  une  brance  l'encline. 

'Avoi,  dan  prestres'  dit  Tybert, 

'Féru  m'aves  a  decovert. 
305    Vos  n'estes  mie  loiau  prestre. 

Pastor  d'ames  doùssez  estre, 

Mes  vos  estes  le  plus  rapax 

Qui  fet  a  tôt  son  pooir  maux. 

Se  fussiez  pastor  ovium, 
310    Ne  me  feïssies  se  bien  non. 

Pou  entendez  de  l'escriture. 

Que  dex  li  doinst  malaventure, 

Qui  a  prestre  vos  ordena, 

Qu'en  sa  vie  tant  ne  fola. 
315    Danz  prestres,  fuies  vos  de  ci! 

Par  vos  sera  dex  bien  servi. 

Uaheit  ait  qui  poor  en  a!' 

287  Que  ele  en  289  Qui  uos  molt  maïKjue  2fil  ci  292  encore 
294  asogei  296  que  eussiez  309  anium  312  li  ]  nos  313  manque 
314  Que-  sa     315  vos  manque 


10  Xir    Méon  20808—20842) 

A  tant  li  prestres  régi  ta, 

Et  Tybert  molt  bien  li  guencliist 

320    Et  puis  après  itant  li  dist 

'Por  quoi  me  voles  vos  abatre? 
.Ja  vois  je  jus  ma  corpe  batre. 
11  a  en  vos  mal  confesser'. 
Et  li  prestres  rejeté  oncor 

325    Un  des  bastons  qui  est  coûz. 
Et  Tybert  est  aval  venuz 
De  brance  en  bran  ce  bêlement. 
Âpensez  s'est  d'un  hardement: 
S'il  pooit  sallir  el  cheval 

330    Au  prestre  qui  tant  li  fet  mal, 
Qui  ses  livres  avoit  trossez, 
Lors  auroit  de  ses  bonz  asez: 
Aler  l'en  fereit  a  ses  piez. 
Tant  par  est  Tybert  abaissiez 

335    Que  tuit  quident  qu'a  terre  veisse. 
Lor  chens  huient  et  font  grant  noise 
Qu'il  quident  qu'il  voille  descendre, 
Mes  il  voudra  a  el  entendre. 
Tant  se  trait  envers  le  polein, 

340    Qu'il  ot  bien  veii  que  le  frein 
Ot  sor  le  col  tôt  a  délivre. 
Li  prestres  s'en  tendra  por  ivre 
De  ce  qu'il  n'i  ert  atachez. 
Et  Tybert  s'est  tant  aprochez 

345    Et  tant  trez  envers  le  roncin. 
Et  li  provoire  Mauvoisin 
Son  chen  apele  'or  ca.  or  ca! 
Ja  a  cestui  n'eschapera' 
Fet  soi  li  prestres,   gel  vos  di, 

350  Puis  qu'a  la  pel  l'aura  saisi. 
Or  l'abatou  entre  les  chens, 
Si  vorron  que  fera  li  miens'. 


319  guenchit      322  cope      324  se  ieto      330  que      334  t.  baissie 
337  Que  il     342  po  iure     348  a  muiiqiie     352  uenron 


XII  (Méon  20843-20878)  H 

Lors  ont  tuit  de  rechef  hue. 

Et  Tybert  s'est  tant  avale, 
355    Quant  il  ruèrent  lor  bastons, 

(ju'il  sailli  entre  les  arçons 

Del  polein  qui  fu  esfrees. 

T. es  granz  galoz  s'en  est  tomes 

Tôt  le  chemin  de  Blaaignie. 
36(1    Et  li  braconnier  tôt  ire 

l'or  le  chat  qu'il   orent  perdu, 

Ont  le  provoire  bien  batu. 

Puis  apelent  lor  chens  bâtant. 

Et  li  prestres  s'en  vait  plorant 
365    Apres  Tybert  tôt  le  chemin, 

Toz  soûl  fors  que  de  Mauvoisiu 

Son  chen  qui  après  vait  trotant. 

Et  Tybert  veit  esporonant 

Et  galope  et  retient  son  frein  : 
370    Molt  par  siet  bien  sor  le  polein. 

Tybert  le  prestre  regarda 

Qu'après  lui  vient,  tôt  tressua. 

'Avoi,  dan  prestres'  dit  Tybert, 

'Tex  cuide  gaaigner  qui  pert, 
375    Et  autre  enborse  le  gaain. 

^[al  dol  li  sorde  et  mal  mahain 

De  son  catel  et  de  son  cors 

A  proveire,  quant  il  vet  fors 

Por  le  mester  damledeu  fere 
380    Qui  vout  les  bestes  contrefere  ! 

Dahez  ait  prestre  veneor  ! 

Il  doit  vivre  d'autre  labor, 

Puis  qu'il  est  a  prestre  sacrez 

Et  tant  fet  q'il  est  ordenez, 
38.')    Del  mester  damledeu  doit  vivre. 

Et  vos.  danz  prestre,  esteez  ivre 

Qui  laisseez  vostre  mester 

Por  aler  un  chat  dechacer. 


357  qui     35'J  baaignie     361  que  il     367  que    370  plein    374  que 
386  prostroz 


12  -  XII  (Méon  20879-20912) 

Mes  c'ert  por  mètre  cl  pelecon 
300    A  vostre  putein  de  meison. 

Vos  ne  feïstes  pas  que  sages 

Or  en  est  vostre  li  damages 

Et  la  perte  et  le  mescehance. 

Et  je  siii  en  ferme  créance, 
395    S'irai  mes  oan  au  moster  : 

Por  vos  fere  or  le  mester. 

Molt  vos  en  est  bien  avenu: 

Tôt  vostre  sen  aves  perdu, 

Vos  livres  avez  adirés. 
4tX)    Molt  estes  or  maloûrez, 

Ne  saves  mes  plus  une  letre. 

D'el  vos  convendra  entremetre 

Que  de  cures  d'ames  tenir. 

Bien  vos  devoit  mesavenir 
405    Qui  derere  aviez  trosses 

Et  a  vostre  dos  adossez 

Les  seinz  livres  nostre  seignor 

Dont  on  le  sert  et  nuit  et  jor. 

Mes  por  ice  le  fesiez 
410    Qu'en  autre  rien  ne  saviez.  62 

Vos  n'estes  pas  de  mon  savoir, 

Quar  je  cuit  autretant  savoir 

En  trestot  le  peior  qui  soit, 

Conme  en  cous  que  j'ai  orendroit'. 
415    'Haï,  Tybert'  ce  dist  li  prostrés, 

Baux  dous  amis  et  bau  dous  mestres, 

Rent  moi  mes  livres:  je  t'afi, 

Contendrai  moi  eu  ta  merci. 

Si  me  rendes  mon  palefroi!' 
420     Or  n'en  soiez  ja  en  esfroi' 

Ce  dit  Tybert,  'par  seiut  Martin, 

Anchois  m'ares  dit  en  latin 


;394  soie  crance  396  or  mauquc  399  Puisqiiaues  vos  liures  a. 
400  ore  405  d.  uos  a.  407  Les  einz  1.  n.  scingor  409  feeiz 
410  sauieez     413  qui  i  s.     416  b.  do  m.     421  matin 


XII  (Méon  20918- 2U947)  13 

Con  l'en  dit  fable,  se  voles'. 

'Faba'  dist  li  prestre,  'or  l'aves'. 
425    Ce  dist  Tybert   ce  ue  puet  estre. 

Faba  c'est  fève  sanz  areste, 

Et  fabula  ice  est  fable. 

Alez,  fou  prestre,  au  deable 

Qui  vos  puisse  le  col  briser, 
480    Si  apernes  autre  mester: 

Que  la  premere  question 

M'avez  sause  conme  bricon. 

Mes  dites  mei  ici  endroit, 

Se  saves  par  ont  cevre  poit'. 
485    'Par  le  cul  quant  il  est  overt'. 

'Mes  par  la  corne'  dit  Tebert. 

'Or  me  respondes  de  gramaire! 

Saves  nient  de  celi  faire 

Que  li  prestre  font  as  clercons 
440    Quant  il  lor  pernent  lor  leçons?' 

'Par  fei,  j'en  soel  savoir  ases'. 

'Bien  vos  en  croi,  mes  trop  venez 

Si  près  de  moi  que  il  m'ennuie. 

Mes  savez  vos  nule  alleluie 
445    '^0  douz  chant  por  moi  endormir? 

Vos  me  voureez  or  tenir 

Parmi  les  rennes  de  cest  frein. 

Lessier  m'estovroit  le  polein 

Et  trestote  le  trosseiire. 
450    Mes  dex  li  doinst  malaventure 

Qui  le  vos  en  verra  mener!' 

Lors  aquelt  a  esporoner 

Tant  que  de  lui  pert  la  veiie. 

Lors  a  Tybert  grant  joie  hoiie, 
455    Et  le  prestre  tristre  et  dolans 

Va  après  demandant  as  genz 

Qu'il  encontre  parmi  la  voie, 


423  se  uos  u.  425  pot  428  deible  432  sause  J3S  a  faire 
439  d'oTis  444  alciue  445  moi  manque  446  ore  448  me  coniifiiiroit 
451  Quil  uos  laira  hui  m.     452  aqult     455  ot  manque    457  Que  il 


14  XII  (Méon  20948-20982) 

'Dites'  fait  il,  'se  dex  vos  voie, 
Yeïstes  vos  par  ci  mener 

460    Un  cheval  et  esporoner 
Qui  or  se  départi  de  nos?' 
'Cist  prestres  qui  ci  vent  si  sous 
Font  soi  cil  a  qui  il  parole, 
'Bien  puet  estre  que  il  afole 

4G5    Ou  il  a  espoir  trop  boii'. 

'Seignor'  dist  il,  'einz  m'a  tolu 
Mon  cheval  a  trestot  mes  livres'. 
'Oez'  font  il,  'est  il  dont  ivres? 
Dan  prestre,  il  est  la  feste  as  fox. 

470  Si  fera  len  demein  des  chox 
Et  grant  départie  a  Baieus: 
Aies  i,  si  verres  les  jeus'. 

Li  prestre  ot  q'il  li  vont  gabant, 
Si  s'en  est  retornes  atant, 

475    II  e  son  chen  droit  en  mason. 
Et  Tybert  s'en  vait  le  troton 
Et  les  galoz  et  l'anbleiire 
Tant  qu'il  garde  par  aventure 
Lez  une  haie  entre  deus  blez. 

480    Si  veit  Renart  qui  fu  lassez, 
Tant  par  aveit  le  jor  coru, 
Et  de  la  fein  qu'il  ot  oii  : 
Si  n'aveit  en  li  qu'aïrer. 
Et  Tybert  prist  a  dévaler 

485    Le  val  et  Renart  l'aperceit. 

Trois  feiz  se  seinne,  quant  le  voit, 
Molt  le  regarde  apertement, 
N'osse  pas  croire  fermement 
Que  ce  fust  Tybert  qu'il  voit  la. 

490    Et  Tybert  qui  bien  veii  l'a, 

Ne  fet  pas  semblant  qu'il  le  voie, 
Ainz  chevace  molt  bel  sa  voie. 


463  cil  manque      464  pot      469  la  manque      470  fosta      47(; 
droit  le     481  par  manque     486  in.      q.  il  le     489  fu     490  que 


495 


500 


XII  (Méon  20983-21018) 

Einsi  s'en  vait  molt  cointement, 
Ses  piez  regarde  molt  sovent 
Et  puis  son  cors  de  chef  en  chef. 
Un  capel  ot  mis  en  son  chef 
Qa'ert  d'eglenter  et  de  cherfueil. 
Et  Renart  regarde  a  un  ueil, 
Bien  veit  tote  sa  contenance. 
Et  dit  Renart   par  la  membrance, 
i'ar  les  plaiez,  par  la  mort  beu, 
Ne  sai  ou  sui  ne  en  queil  leu, 
Ne  sai  que  c'est  que  je  voi  la. 
Se  c'rst  Tybert,  qui  l'adoba? 
505    II  me  resemble  chevalier: 

Yois  por  le  cuer  beu,  mes  cloistrer 
De  livres  porte  a  grant  plente, 
li  est  esleûz  a  abe. 
lie  dex,  et  de  queile  abeïe? 
510    De  Clervauz  ne  sereit  ce  mie? 
Nenil,  mes  il  i  a  abe. 
Molt  sui  bonis,  par  le  cuer  be, 
Que  je  n'en  osse  a  lui  parler. 
Il  me  fereit  tost  afoler 
515    Et  leidir  a  son  palefroi. 

Il  le  meine  par  grant  esfroi, 
Ce  soit  par  sa  malaventure! 
8i  sera  ce,  g'i  raetrai  cure, 
S'a  lui  me  puis  acompainner. 
520    Mes  nel  sai  conment  areisnier. 
Gel  corrocai  jeui  matin, 
Por  ce  ne  m'os  en  son  cemin 
:Metre  n'a  lui  abandoncr'. 
Et  Tybert  conmence  a  chanter 
525    Une  chancon  tote  de  Rome, 
Onques  si  bêle  n'oï  home. 
Et  quant  laissie  ot  a  chanter, 
Si  conmenca  a  rcgreter 


15 


501  mor     505  chlr.'     519  acongpaiuer     522  mon     528  conmence 


XII  (Méon  21019—21053) 

Renart  que  hiii  mein  Tôt  laisse. 
530     Dex  !'  fefc  il  'tant  sui  corocie 

De  Renart  que  ne  puis  trover. 

Se  ge  le  poisse  encontrer, 

Molt  le  meïsse  ore  en  grant  pes, 

Mes  escuiers  fust  oan  mes'. 
535        Lors  se  raquelt  a  estargir, 

Son  cheval  fet  avant  saillir 

Et  dist  'qu'est  Renart  devenus? 

Ce  poise  moi  qu'il  est  perduz'. 

Et  Renart  qui  bien  l'ot  oï 
540    Est  meiutenant  en  pies  salli 

Et  dist  'gie  ne  sui  pas  perduz, 

Sire,  que  bien  soies  venuz 

Et  que  beneoit  jor  aiez!' 

Et  Tybert  s'est  lors  afichiez 
545    Sor  les  estriers,  si  le  regarde, 

Et  de  parler  un  pou  se  tarde.  63 

Et  Renart  est  avant  venuz 

Et  li  dist   sire,  bons  saluz 

Et  bon  jor  vos  soit  hui  douez!' 
550     A   qui  es  ce  que  vos  parlez?' 

Fet  soi  Tybert   a  vos  qu'ateint?' 

'Sire,  je  di  que  dex  vos  meint 

Et  doint  goie  et  bone  aventure!' 

De  vostre  salu  n'ai  ge  cure' 
555    Fet  soi  Tybert:  'ce  que  ge  vueil 

Ai  ge  trestot.  et  si  me  doil 

De  Renart  que  ne  puis  trover. 

(Je  le  voloie  o  moi  mener 

A  seint  Martin  a  Blaengnie: 
5(iO    Que  g'ai  de  li  molt  grant  pite. 

Et  ge  vois  la  messe  chanter: 

L'iglise  m'estuet  déporter 

Jusqu'à  huit  jors  por  le  provoire 


537  que  est      543  benoir      559   baensiii      561  li  m.      502  mestot 
563  Jus  a 


XII  (Méon  21054—21089)  17 

Qui  est  aies  a  une  foire 
ôGô    A  Dol,  ce  dient,  en  Bretaingne. 

Ja  dex  ne  doint  que  il  reviengne! 

Robe  va  querre  a  sa  putein. 

Si  m'estuet  la  chanter  demein 

Et  ge  n'ai  clerc  qui  me  respoingne'. 
570    'Ge  ferai  bien  ceste  besoingne, 

Le  mester  sai  de  chef  en  chef. 

Bien  vos  aiderai,  par  mon  chef 

Fet  soi  Renart,  'se  vos  volez. 

Ge  sui  celui  que  vos  querez, 
575    Renart  vostre  bon  conpaingnon'. 

'Va  ta  voie'  fet  il,  'bricon! 

Tu  es  Renart?'   Yoire  par  foi'. 

'Mentiroies  en  tu  ta  foi?' 

'Oïl  voir'  ce  a  dit  Renart. 
580    'Ya  ta  voie'  fet  il,    musart! 

Renart  ne  s'osereit  veoir 

Devant  moi  por  nul  estovoir, 

Quar  il  m'a  hui  molt  ranprone 

Et  molt  corocie  et  gabe.' 
585    'Ja  n'i  ot  se  paroles  non.' 

'Si  ot.  il  fist  grant  mesprison 

Qui  iloc  me  laissa  par  moi 

Ou  iere  alez  en  bone  foi 

0  li  esbatre   en   eonpainnie. 
5!)n    II  ne  fist  mie  cortoisie. 

Mes  or  me  di,  se  dex  te  gart, 

Se  tu  me  veïs  hui  Renart'. 

'Neuil  certes  jor  do  ma  vie, 

Ge  ne  vos  en  mentisse  mie' 
595    Ce  li  a  Renart  rospundu. 

'Mes,  Tybert,  vos  ai  ge  voii'. 

'Avez  oï,  par  le  cucr  be. 

Con  m'a  or  cil  vileins  gabe!' 

'Gabe  ?  de  quoi  ?  oncor  i  pert. 

ÔiHi     leuieng:*'         584    coiicie        587    lassa       588   Oui)(|iih    li    niai 
597  oil 

liENAUT     II.  -J 


XII  (Méon  21090-21125) 

600    Dout  n'estes  vos  mie  Tybert'. 
'Oïl  voir'.     'Et  je  Renart  sui, 
A  cez  enseinnes  que  je  hui 
Vos  trovai  sor  la  roche  en  haut 
Ou  vos  vos  tostissiez  au  chaut'. 
{J05    Tybert  respont   tu  as  voir  dit. 
Mes  or  me  di,  se  dex  t'aït, 
Se  ge  t'enmoin  avocques  moi, 
Seras  me  tu  de  bone  foi?' 
'Certes  oïl'  ce  dit  Renart. 
610    'Mes  or  me  dites  par  quel  art 
Vos  avez  tel  harnois  conquis.' 
'Ja  me  cuidoient  avoir  pris 
Li  garchon  Guillaume  Bacon, 
Quant  un  prostrés  a  esporon 
615    I  vint  sor  son  cheval  ambiant. 
Et  il  descendi  meintenant 
Et  cuilli  ne  sai  quans  bastons. 
Si  m'asailli  conme  dragons. 
Et  ge  vi  en  près  le  cheval 
620    Desoz  l'arbre  tôt  a  estai. 
Conmcncai  moi  a  dévaler. 
Et  il  me  pristrent  a  huer 
Lor  chiens  qu'il  me  voloient  prendre. 
Mes  je  n'oi  cure  de  descendre, 
G25    Ainz  sailli  entre  les  arçons, 
Et  il  con  uns  esmerillons 
S'en  va  a  tôt  moi  meintenant. 
Quant  ge  m'aloic  regardant, 
Vi  le  prestre  dolant  et  las 
630    Qui  me  sivoit  plus  que  le  pas; 
Toz  lez  os  li  orent  quasses 
Por  ce  que  lor  ère  escapes. 
Apres  moi  vint,  si  m'arainna 
Et  son  polein  me  demanda. 
635    Et  ge  si  le  questionai, 


606   teit       609   oi        612    ciiidorent        613   ffuill'.        619  en  pes 
621.  (i22  manquent       523  Et  li  ciiion  me       630  suoit       631  erent 


XII  (Méon  2112G-21I01)  19 

De  gramaire  li  demandai, 

De  soffime  et  de  question  : 

Ne  me  sot  respondre  un  boton. 

Quant  ge  Toi  fait  de  tôt  conclus, 
640    Ge  m'en  parti,  il  n'i  ot  plus, 

Et  sil  rovai  aler  aprendre 

Et  a  autre  mester  entendre.' 
'Sire  Tybert'  ce  dit  Renart, 

'S'ore  i  estoient  li  set  art 
G45    En  ces  livres  que  vos  aves, 

Bien  nos  auroit  dex  asenez. 

Escoles  porreen  tenir 

Et  riches  homes  devenir.' 

'Par  foi'  dit  Tybert,  'ge  ne  sai  : 
650    Qu'onques  es  livres  ne  gardai.' 

'Non?'  dit  Renart  'or  i  gardons, 

Descendes  et  si  destrossons,' 

'Non  ferai,  quar  il  est  trop  tarr. 

Mes  alez  en'  fet  il,   Renart, 
65Ô  -  Bone  aleiire  a  Blaainnie.' 

'Conment!  iroie  ge  a  pie?' 

'Bien,  si  vendres  encontre  moi. 

Si  recevrez  mon  palefroi 

Et  as  genz  ires  demander, 
fiOO    S'il  i  a  cors  a  enterrer 

Ne  nul  enfant  a  batizier, 

Que  tost  l'aportent  au  moster. 

Et  ge  i  serai  orendroit.' 

Renart  dit  qu'aler  ne  porroit, 
663    Que  trop  a  les  piez  dépeciez. 

Si  est  lasses  et  travelliez. 

Ne  manga  hui,  ne  puet  aler 

S'il  ncl  laissoit  un  pou  monter. 

'Montez'  fet  Tybert,  'vistement,' 
670    Atant  vet  Renart,  si  se  pront, 

Si  est  montez  derere  lui  : 


638  set  04-1  Se  oro  650  Q'onques  1.  652  Dezoendes  6ri5  blennie 
656  iroi;2;e  657  uenes  659  domandiint  664  qiio  :\]or  (l(i5  dopiciez 
667  pot    668  laissoi     t.  1.  p. 

2* 


20  XII  (Méon  211<;2-21197J 

Il  li  (lira  par  tens  anui. 
Or  sont  li  baron  a  cheval, 

Si  chevacerent  contreval. 
675    Si  s'en  fuient  grant  aleûre 

Parmi  le  val  d'une  cuture  : 

Tybert  devant,  Renart  derere. 

Qui  se  porpensse  en   qel  manere 

Il  metreit  Tybert  a  raison. 
080    'Tybert,  par  ta  confession, 

Di  que  do  cest  cheval  feras. 

Donras  le  tu,  ou  le  vendras  ?' 

Ge  le  vendrai'  Tybert  a  dit. 

Et  por  conbien,  se  dex  t'aït, 
08j    Le  donras  tu?  va,  di  le  moi.'  64 

'Gel  te  dirai,  et  ge  por  coi  ? 

Yoldroies  le  tu  acater?' 

Oïl,  se  tu  le  vous  douer 

A  raison  et  a  dioit  esgart: 
mi)    Por  conbien  aura  ge  ta  paît?' 

Fet  soi  Renart.     'Or  di  reison, 

A  i  dont  nus  part  se  ge  non  ?' 

Ce  dit  Tybert  'gel  gaaingnai." 

'Et  ge  por  quoi  n'i  partirai, 
{iS)5    Sire  Tybert  ?'  ce  dit  Renai  t. 

T'ar  foi  tu  n'i  auras  ja  part' 

Fet  soi  Tybert  'maie  no  bouc' 

Si  aurai,  se  raisson  le  done.' 

Et  dit  Renart  'por  le  cuer  be, 
700    Ne  sui  ge  autresi  monte 

Con  vos  estes,  sire  Tybert? 

Trop  est  vostre  barat  apert 

Qui  me  voles  de  conpaingnie 

Giter  par   vostre  trecerie. 
70;')    Et  os  livres  et  el  clieval 

i'artira  ge  tôt  par  igal 

Et  mot  a  mot  et  foil  a  fuoil.' 

07")  nlcoro    (18"  ii  est  ajouté  tV nue  atitrc  iiuiin    002  ]K^v    701  Connio 
.11    .,tic'C'frii''   uie      700  parc  igal 


XII  (Méon  21198-21233)  21 

'Maie  gote  te  cret  ainz  l'eil. 
Diable,  Renart,  es  tu  ivres? 
710    Que  feroie  tu  de  mes  livres? 
Ja  n'i  ses  tu  ne  q'une  chèvre.' 
'Si  te  puisse  tornoier  fièvre 
Con  rien  n'i  sai  !'  ce  dit  Renarz 
tîe  sai  plus  de  toi  les  trois  parz.' 
715    'Ses  tu  rien  de  dialetique?' 

Oïl,  tote  qiqueliquique.' 

Respondras  moi  se  ge  t'opos?' 
'Oïl,  par  derere  mon  dos.' 
'Or  antent  dont  a  l'argument! 
720    Ge  di,  pain  d'orge  et  de  forment. 

Si  di,  pain  de  forment  et  d'orge.' 
'Maie  aventure  ait  einz  ta  gorge 

Que  pain  d'orge  soit  de  forment.' 

Tu  l'as  entendu  malement' 
725    Fet  soi  Tybert,  'ce  n'i  a  mie: 

Tu  sez  trop  pou  d'estrenomie. 

Se  l'argument  te  puis  prover, 

Leras  m'en  mon  cheval  mener?' 

'Oïl  et  se  tu  pues  faillir, 
730    Dont  ne  ra'i  lairaz  tu  partir?' 

Oïl  voirs,  lors  i  partiras.' 

Or  orrai  dont  que  tu  diras.' 

Ge  dirai  dont,  por  estre  quite, 

Que  cil  n'abat  pas  qui  ne  luite. 
735    Or  entent  dont  a  la  provance, 

Si  apareille  ta  faillance. 

J'opos  cest  point  que  de  forment 

Fet  en  un  pain  tant  seulement, 

N'i  a  orge  ne  autre  ble.' 
740    'Gel  point  m'avoes  tu  enble' 

Ce  dit  Renart:  'or  di  avant!' 

'Beax  amis,  et  puis  si  di  tant 

Que  l'en  feit  d'orge  unautr  e  pain 


708  cote  7l2choure  714  lezVII.  716  liqueque  7l7tai)08  720 
est  721  est  726  tro  727  Sa  1  729  Se  ie  puis  734  lite  785  enten  737  poin 
(de  même  740) 


22  XII  (Méon  21-2;34-2l-269) 

Trestot  pur  et  sans  autre  grein  : 
745    Sont  ce  deus  pains?  Que  t'est  avis? 

Nenil  certes,  tu  as  mespris, 

Il  ne  puet  estre  que  un  pain. 

Dont  n'est  il  q'un  filz  a  putein' 

Fet  Tybert  'en  trestot  le  monde." 
750    'Tu  menz.'     'Mes  tu,  dex  le  confonde  !' 

Ce  dit  Tybert  apertement. 

'Parmi  la  veue  qui  ment 

Decoûz  es  par  ta  faillance, 

Tu  as  fet  trop  ppvre  semblance. 
755    Dont  ne  sera  que  unes  meins. 

Sanz  dis  blez  ne  puet  on  dis  pains 

Fere,  de  chascun  un  par  soi? 

Sont  ce  dis,  par  la  toe  foi? 

Or  garde  con  tu  ses  les  arz.' 
760    'Va  ta  voie'  ce  dit  Renarz. 

'Dont  n'est  blez  blez,  dont  n'est  pain  pain?' 

'Oïl,  e  vos  fil  a  putein' 

Fet  Tybert.     'par  ceste  reson 

N'i  a  nule  desfension, 
765    Mes  entr'auz  a  grant  difcrance.' 

'Avoi!  vos  aves  mange  tence' 

Fet  Renart,   si  voles  tencer 

Et  niellée  a  moi  conmencer.' 

']*^on  faz,  mais  vos  n'estes  pas  saje, 
770    Et  itel  gre  a  qui  chien  nage. 

Quant  je  vos  oi  par  bone  foi 

Monte  desor  mon  palefroi, 

A  chalenger  le  conmeucbastes, 

Meintenant  que  vos  i  montastes. 
775    Vus  ne  feïstes  pas  savoir. 

Si  ne  conquert  om  pas  avoir' 

Ce  dist  Tybert  'par  sou  genler.' 

'Bien  le  poes  laisser  ester' 

Fet  soi  Renart,  'go  me  jooie.' 


744   et   trestoz  s.      752    ueu      756    pot       757    uii   manque     759 
conme     774  Meitenant        montasses       777  dit     geler  779  ioie 


XII  (Méon  21270-21305)  23 

780    Puis  dist  en  bas  's'en  ceste  voie 

Ne  vos  fas  annui  et  pesance, 

Dont  sa  ge  poi  de  nigromance. 

Se  anchois  que  nos  departoms 

N'est  reraendez  cist  pelicons, 
785    Ja  dex  ne  me  leist  jor  plus  vivre.' 

Tant  ont  chevauce  a  délivre 

Et  tant  ont  entr'eus  despute 

Qu'il  sont  en  Blaeigni  entre. 
Desoz  la  vile  enmi  les  près 
790    Si  ont  lor  livres  destrossez. 

Lor  cheval  laisseront  aler 

A  l'erbe  pestre  et  saouler, 

Si  s'en  tornent  vers  le  raoster. 

Près  estoit  ja  de  l'anuiter, 
795    Si  s'en  erent  alez  lez  gens. 

Au  moster  vieuent,  s'entrent  ens: 

Les  lampes  furent  alumees 

Et  lez  genz  s'en  furent  alees. 

Ce  dit  Renart   or  comenchez! 
800    Par  deu,  trop  vos  estez  targiez: 

Sanz  vespres  oïr  s'en  vont  tuit.' 

'Sire  Renart,  ne  vos  anuit, 

Il  lor  avespirra  asez. 

Mes  cez  chandelez  alumez' 
805    Ce  dit  Tybert,  'que  le  service 

Doit  l'en  dire  a  treit  en  l'iglise 

Et  fere  le  raester  molt  bel. 

Ovrez  les  huis  de  cou  chancel, 

Nos  i  verrou  oncor  molt  cler. 
810    As  antiencs  m'estuet  torner, 

Et  vos  repernes  cou  sauter. 

Si  tornez  a  vostre  mester, 

A  ces  versez  et  a  ces  saumes!' 

Et  Ronart  aquelt  a  ses  paumes 
815    Plus  menu  ces  fous  a  torner 


787  ont  manque    788  bl.  ucnu     791  lassèrent     79G  Si  entret     800 
cargiez    804  alomez    807  moster     808  ces  h.     809  ueron     810  mestot 


24  XU  (Méun  21:J0G  --21341) 

Que  vos  ne  poïssiez  conter. 
Quant  a  lor  mester  sont  torne, 

Si  se  sont  amedoi  levé. 

Tybert  vesti  le  sorpelis, 
820    Apres  est  vers  l'autel  sailliz. 

Tybert  son  capelet  esta,  65 

En  tel  mauere  conmença 

'Domine,  labia  mea'  .  . 

'Si  t'aït  dex,  con  ce  i  a' 
825    Ce  li  a  respundu  Renart. 

'Ce  sont  matines,  fol  musart. 

Que  tu  nos  vous  por  vespres  dire.' 

Et  Tybert  conmença  a  rire, 

Si  li  a  dit  'que  i  a  dont?' 
830    'Deus  in  adjutoriura' 

Fet  Renart  'el  conmencement 

Doit  en  dire  premerement. 

Dant  Tybert,  ou  vos  estes  ivres. 

Ou  rienz  ne  savez  en  cez  livres. 
835    Ahi!  que  ne  vos  ont  oï 

Ou  Farceprestre  ou  dant  Davi, 

Ou  le  prestre  de  la  folie  ! 

Quidiez  qu'il  no  risissent  mie, 

S'il  vos  oïsseut  autresi 
840    Con  moi  e  vos  avom  oï 

En  tel  manere  conmencer?' 

'Fox,  jel  fis  por  toi  essaier. 

Ge  ne  quidoie  pas  por  voir 

Que  tu  fusses  de  tel  savoir. 
845    Mes  or  t'a  ge  bien  esprove. 

Se  remeindre  vous  cest  este 

En  ceste  vile  et  sejorncr, 

Molt  te  ferai  garbes  doner.' 

'Ja  est  ce  bien'  ce  dit  Renart. 
850     Mes  dites  vespres,  qu'il  est  tart.' 
Lors  aplagno  Tybert  son  chef. 


816  ne    manque       \).  tonuM-  oontcr       819  sujiHa       830  adutorurii 
833  iure       838  que  il 


25 


XII  (Méon  21342—21377) 

Si  reconmence  de  rechef. 
Deus  in  adjutoriura  dit, 
Et  Renart  les  antenes  lit, 

855    Si  ont  chante  salmes  et  vers 
Molt  hautement  a  deus  envers, 
Les  antienes  moût  hautement: 
Le  capitre  dist  simplement 
Sire  Tybert,  et  dan  Renart 

860    Redit  le  verset  a  sa  part. 

Si  ont  chante  ensamble  a  ligne, 
Tôt  mot  a  mot  et  tôt  a  ligne. 
Sire  Renart  les  versez  dist 
Et  dant  Tybert  lez  responz  fist. 

865    L'antiene  del  Mangnificat 

Celé  dit  dant  Tybers  li  chaz, 

Et  Renart  l'a  bien  entone 

Et  gloriosement  chante. 

Apres  chantent,  si  con  moi  semljle, 

870    Lor  antiene  ambedui  ensanble. 
Tybert  a  dit  après  le  vers, 
Renart  li  respont  a  envers. 
Puis  dit  Tybert  en  sa  reison 
Moult  bel  Dominas  vobiscum. 

875    Renart  li  respont  hautement, 
L'oroison  dist  apertement 
Tybert  et  le  per  omnia. 
Devant  l'autel  s'agenoilla. 
Et  Renart  respondi  amen, 

880    Puis  li  a  dit  'levés  vos  en 
Et  si  aies  clore  ces  huis. 
Ge  dirai  benedicamus.' 

Atant  a  Renart  envaï 
Un  benedicamus  farsi 

885    A  orgue,  a  treble  et  a  deschant, 
Que  il  n'a  home  si  vaillant 
El  mont,  ne  si  mesaaise, 


854  antener     863  le      869  chanter     876—879  manquent     880  lo 
u'  en  "  ues     884  benediccamus     886  Quil  ni  a     887  na  si  mesaise 


26 


XII  (Méon  21378—21413) 

De  soi  n'oiist  gregnor  pitié, 
S'il  oïst  Renart,  que  de  lui. 

890    Tôt  le  mont  repeiist  d'ennui 
Renart  de  son  seri  chanter. 
Deus  liues  poissiez  aler 
Ainz  que  il  l'oiist  parfine. 
Et  Tybert  si  a  l'uis  ferme 

895    Qui  molt  esteit  de  chanter  las, 
Si  dist  le  Dec  gracias. 

Apres  ont  conplie  chantée, 
Et  quant  Torent  tote  finee 
Si  prist  l'un  l'autre  a  aresner, 

900    Et  Renart  a  parle  premer. 
'Sire  Tybert'  ce  dist  Renart, 
'Ge  voudroie  savoir  quel  part 
Ge  aurai  de  tôt  le  gaaing, 
S'en  ceste  vile  o  vos  remeing. 

905    lie  la  disme  de  ces  porceax, 
De  ces  brebiz,  de  ces  veax. 
De  cez  pocins,  de  ces  oisons, 
Dites  conment  les  partirons. 
De  l'oblacion  et  dez  leiz, 

910    Dites  et  devises  en  pas 

Conbien  j'en  aurai  a  ma  part.' 
'Vos  en  aures  trestot  le  quart* 
Ce  dit  Tybert,  's'on  le  me  loe.' 
Et  Renart  li  a  fet  la  moe. 

915    'Conment'  fait  il,   por  le  cuer  bo 
N'ai  ge  autresi  bien  chante 
Anuit  a  vespres  conme  vus? 
Et  autant  sui  religions 
Et  nez  et  prodom  de  ma  mein. 

920    Sera  ge  plus  filz  a  putein 

Que  vos,  que  n'aurai  de  la  dime 
Autretant  cume  vos  meïme, 
Et  de  tote  l'oblacion?' 


888  gregnoz     894  luis  bifin  f.     8!)()  dit     899  desrainor     903  gainf 
905  dissime      cest      911  ie  aurai     919  i)rodomo 


XII  (Méon  21414-21449)  27 

'Renart,  tu  me  tienz  a  bricon' 
925    Fet  soi  ïybert,  'ge  le  t'afi. 

Ne  m'as  oncor  gaires  servi 

Et  si  veuls  ja  a  moi  partir.' 

'Partir?  nun  voil,  ainz  voil  oïr, 

En  quoi  ge  m'i  porrai  fier, 
930    Se  ci  me  siet  a  demorer.' 

Ja  se  tu  es  de  bone  foi, 

Te  plivis  loiaument  ma  foi, 

L'une  moitié  te  partirai 

De  ce  que  je  gaengnerai 
935    De  morz,  de  viz  et  d'aventures, 

D'offrandes  et  de  sépultures, 

Et  tu  me  soies  bon  ami.' 

'Ge  l'otroi'  dist  Renart  'ensi, 

Mes  certes  ge  ai  molt  grant  fein.' 
940    'Se  tu  voloies  mangier  pain, 

Ves  en  la  un  les  cel  autel.' 

'Gre  n'en  mangai  onques  de  tel' 

Fet  Renart,  'a  jor  de  ma  vie. 

Mes  de  formage  auroit  i  mie?' 
945    'Par  foi,  ne  sai'  Tybert  a  dit. 

Atant  garda  avant,  si  vit 

Une  toueille  envolepee 

En  une  fenestre  botee: 

Deus  en  i  ot  entorteilliez, 
950    Li  uns  fres  et  li  autrez  viez. 

Tybert  les  trait  de  la  toaille. 

'Dex  aïde  !  ce  n'est  pas  faille 

Que  chascun  aura  ja  le  sien.' 

'Par  foi'  dit  Renart,  'ce  est  bien. 
955    Meis  dones  moi  cel  blanc,  cel  mol.' 

'Conment  voles  vos  sambler  fol' 

Ce  dit  Tybert,  'sire  Renart? 

Cest  dur  aures  a  vostre  part: 

Que  il  est  bon  a  cuer  tenir. 


929  gi  mi      933  Le  m.      934  gaongrai      936  Doffrandc     939  gai 
948  Ens      953  suen 


28  XII  (Méon  21450—21485) 

%0    Et  qui  le  voudroit  départir, 

A  ses  durroit  plus  que  cestui.'  66 

'Yoles  le  vos  mètre  en  estui?* 

F  et  Renurt  'celui  me  dones.' 

Ma  par  mon  chef  n'en  mangerez' 
965    Ce  dit  Tybert  'grant  ne  petit.' 

'Par  le  cuer  be'  Renart  a  dit, 

Dont  estes  vos  vers  moi  trichere.' 

'Or  va  ta  voie,  fol  licherre  ! 

Demein  au  soir  auras  cest  mol.' 
i)7{)     Or  m'aves  entercie  a  fol' 

Fet  Renart,  'en  la  moie  foi. 

Et  si  me  mentez  vostre  foi, 

Si  vos  en  apel  a  Ruen 

Ou  devant  Huon  le  doien 
975    Au  couvent  a  la  confrarie'. 

Que  que  Renart  Tybert  envie. 

Si  a  Tybert  tant  esploitie 

Qu'il  a  le  formache  mangie, 

S'en  a  Renart  ou  grant  doil. 
980    Tl  en  oiist  ou  son  voil, 

Mes  ne  puet  ore  estre  autrement. 

Entre  ses  denz  dit  bêlement 

'Se  hui  ne  siii  de  toi  vengiez, 

Molt  en  sera  mes  cuers  iriez.' 
985    Lors  a  son  forraace  entame, 

Que  il  estoit  molt  afame. 

Si  en  manja  tant  con  il  pot. 

Et  quant  asez  mange  en  out, 

L'autre  lia  en  son  giron, 
990    Que  il  portera  en  maison. 

]Mes  entretant  con  il  manja, 

Totes  voies  se  porpensa 

Conment  Tybert  conchiereit 

Qui  si  mal  parti  li  avoit. 
995    Lors  a  Tybert  a  raison  mis 


968  uoi 


XII  (Méon  21480-21522)  29 

'Sire,  se  g'ai  vers  vos  mespris 

De  ce  que  ge  vos  ledenjai. 

Onques  mes  de  tel  ne  manjai. 

Molt  a  este  bon  le  formage, 
1000    Et  vos  partistes  conme  saje 

Quant  vos  me  donastes  cestui. 

Mes  il  me  torne  a  grant  anui 

Qu'anuit  nos  somes  oblie 

Que  nos  n'avom  mie  sone 
lOOô    As  vespres  ne  a  la  vigille.' 

'Vos  me  dites  voir,  par  seint   Gile' 

Ce  dit  Tybert,  'car  i  alons 

A  ces  cordes  et  si  traions!' 
Atant  sont  as  cordes  venu. 
1010    Renart  qui  plus  voiziez  fu, 

Dist  que  il  sonereit  avant. 

As  cordes  s'aert  meintenant, 

Mes  ne  pot  de  terre  soner, 

Sor  un  banc  le  convint  monter: 
lOif)    Des  cordes  fist  un  las  corsor, 

A  son  col  le  mist  tôt  entor 

Et  ses  deus  pies  avec  devant, 

Tybert  le  va  molt  regardant. 

Et  il  prent  les  cordes  as  denz, 
!()2()    Si  rione  tant  que  neiz  lez  genz 

Qui  dormoient.  sont  esvello. 

Mes  le  las  ot  si  adrece 

Qu'il  ne  pooit  mes  corre  aval. 

Mes  trop  savoit  Renart  de  mal 
1025    Qui  as  denz  les  cordes  osteit. 

Tybert  de  ce  ne  s'en  gardeit, 

Ancois  quidoit  q'o  les  deus  piez 

Sonoit,  qu'avoit  avec  leiez. 

Et  quant  il  ot  ases  sono, 
hW    Si  s'est  molt  bien  del  laz  ostc 

Et  dit  Tybert   or  est  il  droiz 

Que  je  sone  la  moie  foiz.' 

KXiti  disips       1011)  que       1025  core       1(>32  rcsone 


30  XII  (Méon   21523—21558) 

Et  dit  Renart  'par  seint  Riclier, 
Gel  veil,  et  que  boive  un  sester 

1035    De  vin  cil  qui  pis  sonera.' 
'Dahez  ait  qui  le  voiera' 
Ce  dit  Tybert  :    or  seit  einsi.' 
Atant  s'en  est  eu  piez  sailli. 
Si  est  desus  le  banc  montes 

1040    Et  el  laz  a  ses  piez  botes 
Et  après  i  bota  son  col, 
Je  cuit  qu'il  s'en  tenra  a  fol. 
Les  cordes  a  prises  as  denz. 
Lors  primes  le  voient  les  genz 

1045    Qui  vindrent  au  moster  garder 
Qui  ce  est  qui  tant  puet  soner. 
Atant  Renart  Tybert  aresne: 
'Buer  montastes'  fait  il,  'el  chesne 
Ou  le  provoire  vos  trova 

1050    Qui  en  cest  leu  vos  envoia. 
Ice  dites,  ne  vos  plaist  il?' 
Si  con  Tybert  vout  dire  'oïl,' 
Et  conme  il  la  boche  ovri, 
Li  laz  par  le  col  le  sesi. 

1055    Quant  les  denz  de  la  corde  osta, 
Li  las  entor  le  col  serra 
Et  avec  furent  li  dui  pie 
A  quoi  auques  est  aligie, 
Que  meintenant  fust  estrangle 

1060    Se  li  pie  estoent  este, 

Quar  0  les  piez  li  laz  eslesse. 
Et  dit  Renart  'estes  aese? 
Ne  saves  mie  bien  soner. 
Estes,  je  vos  irai  oster.' 

1065    Tybert  quide  qu'il  die  voir. 
Et  Renart  qui  onviz  dit  voir, 
Quant  du  laz  le  dut  délivrer, 
Si  li  ala  le  banc  oster 


1034  et  ]  aiiiz       10:56  qiio       10:5!)  monte       1040   bote     104(;    (juo 
1048  Ber       1059  nicntonaiit       1001  li  1. 


XII  (Méon  21059-^2 1594 j 

Que  il  aveit  desus  ses  piez. 
1070    Or  est  Tybert  plus  enlaciez. 
Or  ne  s'a  il  sor  quoi  ester, 
Et  tôt  jors  fait  les  seins  soner. 
Et  quant  il  s'en  quide  escaper, 
Renart  le  conmence  a  gaber. 
1075    Envers  lui  est  avant  passez, 
'Ha  ha!'  fait  il  'ore  est  ases. 
Sire  Tybert,  ce  est  anui. 
Conment  ne  finereiz  vus  hui  ?' 
Et  Tybert  conraenca  a  grondre. 
108'J     Conment,  ne  me  denuiez  respondre?' 
Ce  dit  Renart  'orgoil,  orgoeil. 
Maie  aventure  aient  mi  oil 
Se  ge  ne  vus  faz  sorde  oreile  : 
Vos  me  faites  or  la  dorveille 
1085    Qui  ici  vos  vois  aresnant. 

Ne  ne  me  proisiez  mie  tant 

Que  vos  vueilliez  a  moi  parler. 

Conment?  volez  vos  ja  monter 

Lasus  amont  a  damledeu? 
1090    Avoi,  Tybert,  ce  n'est  pas  jeu. 

L'en  ne  monte  pas  si  as  nues: 

Dont  vos  sont  ces  folors  venues? 

Quidiez  vos  ja  estre  si  seinz 

Que  vos  ailliez  avec  lez  seinz, 
1095    Et  moi  voles  gerpir  insi? 

Pou  avos  oncor  deu  servi 

Por  aler  ja  lasus  en  gloire. 

Yos  ne  fcïstcs  pas  mémoire 

Ersoir  as  vespres  de  la  feste. 
1100    Molt  vos  devroit  doloir  la  teste 

Que  toz  jors  contremont  gardes. 

Et  a  moi  por  quoi  ne  parlez? 

Por  quoi  m'avez  si  enhaï? 

Ja  n'ai  ge  mie  deu  trahi 


31 


1084  ore      108G  Ne  manque       mi  t.      1088  uoleues      1000  Anois 
1096  encore 


32  XII  (Mt'ot.  '21595-216:30) 

1105    Que  ne  degniez  parler  a  moi. 
Vos  me  mentez  la  vostre  foi. 
Or  le  m'avez  deus  feiz  meutie: 
Une  ore  et  autre  a  la   partie, 
Quant  vos  partistes  le  formage. 

1110    Vos  ne  feïstes  pas  que  saje. 

Si  vos  di  bien  par  seint  Sanson, 
Que  ge  vos  en  tieng  a  brieon. 
Ne  me  semblez  pas  insi  mestre 
Con  vos  doûssiez  erseir  estre, 

lllf)    Quant  vos  me  trovastes  el  val 
Ou  chevauciez  le  cheval 
Qui  portoit  les  livres  trosoz 
Que  aviez  au  prestre  eniblez, 
Et  son  polein  par  trahison. 

1120    Or  en  pendez  conme  laron 
Et  si  avez  or  bon  chapel. 
Et  que  ert  il  or  de  l'apel 
Que  j'avoie  envers  vos  fet? 
Conment  ert  del  aler  a  plet? 

1125    Vos  n'i  porrez  or  pas  aler. 
Fêtes  le  vaux  contremander 
A  la  confrarie  as  noneinz 
Trois  semeinez  ou  un  mois  meinz. 
Or  me  ditez,  que  ferois  vos? 

11-30    Par  deu,  trop  estes  ornellox 
Por  estre  mestre  a  povro  gent. 
Vos  les  menrieez  malement, 
Se  sor  euls  aviez  baillio. 
Ne  place  deu  le  filz  Marie 

11H5    Que  en  vos  aient  lor  atente: 
Que  il  auroient  maie  rente, 
Ne  voudreez  a  ouïs  parler 
Ne  seul  de  droit  oeil  esgarder 
Ge  vois  ore   les  huis  ovrir, 

1140    Que  j'ai  oï  lez  gcnz  venir 


1118  Qni  1121  ore     1122    ore     1127  as  ]  doz     1181  genz  IKM  lo 
mumjuc       IVM  uculdrecz 


XII  (Méon  21631-216(56)  33 

Qui  voeleut  entrer  el  inoster. 

Or  doûssiez  vostre  sauter 

Tenir  overt  sus  voz  jenolz, 

Et  vos  vos  estes  a  trois  uouz 
1145    Loiez  as  cordez  par  la  gole. 

La  solistes  vos  pou  de  bole. 

Que  dirunt  ore  li  prodome? 

Or  ne  chantez  vos  pas  de  Rome 

Si  con  vos  feïstez  ersoir. 
1150    Vos  doûssiez  si  bien  savoir 

Les  set  arz,  ce  deseez  ier: 

Or  ne  vos  saves  dezlier. 

Folie  vos  fait  tant  soner, 

Vos  doiissiez  laissier  ester 
11Ô5    Le  debateïz  de  cez  clochez. 

Meuz  vos  venist  pescher  as  lochez 

Qu'entremetre  de  tel  mester 

Dont  vos  ne  savez  prou  aider. 

Ne  vos  en  saves  entremetre, 
1160    Mes  en  pris  vos  voleez  mètre 

De  tenir  la  marruglerie, 

Yos  feïstes  molt  grant  folie. 

Ge  vos  di  bien  tôt  a  estrox, 

Certes  trop  estes  orgellox. 
1165    Ge  quidoie  par  seint  Guion 

Q'a  la  purification 

Yenist  ma  feme  a  vos  demein. 

Mes  ne  porroit  a  vostre  mein 

Ateindre  s'ofïrande  a  baillier 
1170    Ne  vostre  bêle  mein  baissier, 

Que  trop  vos  estez  haut  levé. 

Si  vos  tendreit  a  fol  deve 

Et  en  auroit  trop  grant  poiir. 

Et  quar  me  changies  par  amor 
1175    Deus  maailles  por  un  denier, 

Qu'allors  les  voldrai  envoler. 

1143  SOS        1151   fl.  or  soir        1157  Que   troinotro        1165  quidoi 
1172  toiidret      1175    11-  O-       in6  la 

HKNAUT     11.  '^ 


34  XII  (Méon  21067—21703) 

Que  dites  vos?  aurai  les  mie? 
Voiz  por  le  cors  seinte  Marie, 
S'il  deingne  a  moi  parler  encor. 

1180    Malement  parlerees  or 

A  un  povre  home,  qant  a  moi, 
A  qui  vos  estes  par  vo  foi 
De  mener  loiau  conpaingnie, 
Ne  deingnicz  encor  parler  mie. 

1185    Mes  avant  volez  oïr  tôt. 

Or  me  respondes  mot  a  mot 
Espoir  de  ce  que  je  vos  di! 
Mes  por  deu,  sire,  je  vos  pri, 
Ne  metez  rien  a  vostre  cuer, 

1190    Que  go  nel  voudroie  a  nul  fuer 
Que  vos  en  eussiez  nul  mal. 
Parmi  tôt  ce  que  el  cheval 
Ne  voussistes  que  ge  partisse, 
Si  volées  que  je  preïsse 

1195    A  porter  Hermeline  a  messe. 
Ne  vos  fu  onques  felonesse: 
Yolenters  li  devez  prester 
Et  de  vos  chandeilles  doner. 
Aura  le  ele,  baux  douz  sire  ? 

1200    Oïl,  damledeux  le  vos  mire. 

C'est  bon  gre  deu  et  raaugre  vostre, 
Ele  dira  sa  patrenostre, 
Que  dex  vos  doinst  honte  en  cest  an 
Ainz  que  vienge  la  seint  Johan, 

1205    Si  aures  vos  encor  anuit. 

Por  deu,  sire,  ne  vos  anuit, 
(le  paroi  volenters  a  vos, 
Et  vos  estez  trop  ennuioux. 
Et  a  moi  ne  volez  parler: 

1210    Yoldriez  vos  tôt  jors  soner? 
(îe  vos  di  bien,  ce  est  folie, 
1  sanble,  ce  seit  estoutio'. 
Atant  let  Renart  le  gangler 


179  a  moi  J  bioii       1204  lo         218  oHtoit  de 


XII  (Méon  21701—21740) 

<iui  a  l'uis  vit  abooter 
1213    l'n  fort  vilein  fel  et  enrievres, 

llardiz  autresi  co?j  un  lèvres. 

Au  coste  ot  s'espee  ceinte 

Qui  tote  esteit  de  roïl  teinte, 

Qu'il  ne  pooit  issir  des  es, 
1220    Ne  ja  par  lui  n'en  istra  mes. 

Et  quant  il  vit  Tybert  le  chat 

Qui  si  fort  les  cloces  débat. 

Et  Renart  vit  ester  les  lui, 

Tel  poor  ot  et  tel  ennui 
1223    Que  raeintenant  li  pristrent  fevres 

Et  il  s'en  fiiï  con  un  lèvres. 

Et  Renart  est  avant  passez. 

Si  li  a  dit  'estes,  estes, 

Fox  vileins,  par  ci  cierois.' 
1230    A  dont  fu  li  vileins  dcstroiz. 

Quant  vit  que  Renart  l'escria, 

Einsi  très  grant  poor  en  a 

Qu'il  dut  estre  del  sen  issu.  68 

One  ne  fina,  si  est  venu 
1233    Lasus  amont  enmi  la  vile. 

Et  Renart  qui  molt  sout  de  gile, 

S'en  est  retorne  au  moster. 

Si  esraehe  un  fuel  del  sauter. 

Si  l'a  dedens  son  sein  bote. 
12-10    Et  Tybert  a  araisone. 

Sire  Tybert'  Renart  a  dit, 

'Ge  vos  di  bien,  se  dex  m'aït, 

Que  je  ne  demor  plus  o  vus, 

Que  trop  estes  religions. 
1245    Trop  poes  por  deu  traveller. 

Ge  ne  porroie  tant  veiller. 

Ge  m'en  irai,  vos  remanez, 

Et  vostre  offrande   rechevez 

Tel  con  ele  ert,  ou  mole  ou  dure: 
1230    Que  bien  sachez,  je  n'en  ai  cure 

1015  en  liourcs     1220  lui  nistiii     1223  \>'h  \  uois     I2r.0  s.  qm^ 


35 


36  XII  (Méon  21741— 2177ti) 

Ne  de  la  moitié  ne  du  quart.' 
Atant  Renart  de  lui  se  part, 
Si  s'en  vait  droit  a  une  haie. 
Et  Tybert  de  soner  s'esmaie, 

12;");')    Qui  de  soner  fu  si  ateinz, 

A  bien  pou  que  il  n'est  esteinz, 
Ne  ne  se  pot  mes  preu  eider. 
Et  li  vileins  qui  du  moster 
Estoit  devant  Renart  torne, 

12()n    Si  avoit  tantost  encontre 

Plus  de  dis  vileins  toz  pleinz  d'ire 
Qui  tuit  li  conmencent  a  dire 
'Et  fûtes  vos  a  cel  moster?' 
Oïl'  fet  il,   un  aversier: 

12()5    I  ai  veii,  jel  vos  afi. 

N'alez  pas  en  avant  d'ici, 
Que  as  cordes  a  un  diable. 
Ne  quidiez  pas  que  ce  seit  fable! 
Et  uns  autres  s'esta  les  lui. 

1270    Saches  que  il  m'ont  fait  anui. 
Et  quant  je  voil  laicns  entrer. 
Si  me  pristrent  a  escrier. 
Et  je  m'en  fuï  conme  lèvres. 
Si  m'en  sunt  ja  prises  les  fevres 

1275    Et  autre  mal  encore  asez. 
Si  ai  este  espoentez 
Que  grant  poor  ai  de  mon  cors. 
Molt  a  anuiz  lor  sui  estors, 
Et  encore  me  sivent  il.' 

1280    'Venez  ent  arere'  font  il. 
Atant  retorne  li  vileins 
Qui  de  la  fevre  estoit  ja  pleins, 
S'en  va  avec  ous  au  moster 
Et  si  lor  dit  'par  seint  Richer, 

128.")    Si  m'en  créez,  n'i  entreroiz: 
Quar  li  deables  peut  tôt  drois 


1253  s'  manque     1256  quil     1257  ji  eid"      1201  v.  trostoz     1265 
Gelai    1267  cor  do    1275  oncorre    1279  suent    1285  enteroiz    1286  debles 


XII  (Méon  21777-21812) 

Et  par  le  col  et  par  les  piez. 
As  cordes  est  bien  atachez.' 
'C'est  neent'  li  uns  respondi. 
1290    'Or  tost'  fait  il,  'baroç  hardi!' 
Atant  sont  au  moster  venu. 
Li  vileins  qui  fu  esperdu 
S'en  vait  toz  jors  traiant  arere. 
Molt  fu  coarz  de  grant  manere: 
1295    Les  autres  let  aler  avant. 

Dant  Tybert  trovercnt  pendant 
As  cordes,  molt  l'ont  conjure 
Que  il  lor  die  vérité, 
Se  il  est  bone  chose  ou  non. 
1300    II  ne  respont  ne  o  ne  non. 
Et  il  l'en  ont  entreparle 
Et  autre  foiz  reconjure. 
Il  ne  respont  ne  que  devant. 
'Tierce  feiz'  font  soi  li  auquant, 
1305    'Le  convient  encor  conjurer, 
Et  se  a  nos  ne  vont  parler. 
Si  Tasaillon  hardiement.' 
Lors  le  conjurent  erraument. 
Un  bachelers  prou  et  hardi 
1310    Plein  pie  est  devant  euls  salli, 
Si  li  a  dit  'tu  qui  la  pens, 
Ge  te  conjur  de  totes  genz 
Et  de  l'apostoile  de  Rome, 
Que  je  ne  sai  nul  si  haut  home 
1315    Fors  que  sous  nostre  sire  dex, 
Ge  te  conjur,  se  tu  es  tex 
Que  tu  doies  parler  a  gent, 
Parole  a  moi  isnelement  ! 
De  ta  foi  et  de  ta  créance 
1320    Te  conjur  et  del  roi  de  France 
Et  de  trestote  la  maisnie 
Qu'il  meine  o  lui  en  chevaucie, 


37 


1289   rien   H    uilein    r.        1290  tôt        1305   encore        1317    doie 
1319  crance 


38  XII  (Méon  21813-21848} 

Et  de  par  le  roi  d'Eng-le terre, 
De  bois,  de  pre,  de  tote  terre 

1325    Et  de  trestote  créature, 

De  tes  eus  et  de  ta  faiture. 
Que  me  diez  s'es  de  par  de 
Ou  par  celui  qui  me  fist  ne. 
Ja  te  verras  tôt  detrencher, 

1330    Ne  vois  tu  ci  mon  branc  d'aeher?' 
'C'est  noent'  cil  ont  respondu. 
'Avant'  font  il,   baron  cremu, 
Assaillon  a  destre,  a  senestre  !' 
Atant  vint  la  mescine  au  prestre, 

1335    Si  li  passe  conme  devee  : 
Avez  vos'  fait  ele,  'rovee 
Ceste  iglise  par  pute  estreine? 
Ja  est  el  mon  seignor  demeine. 
Ja  conperrez,  se  dex  me  saut, 

1340    Se  ma  conoille  ne  me  faut,' 
Lors  li  passa  a  sa  quenoille 
Et  cruelraent  le  dos  li  roille. 
Et  Tybert  durement  tressant: 
Et  por  neent,  rien  ne  li  vaut, 

1345    Que  il  ne  lor  puet  escaper. 
Lors  saut  le  quointe  bacheler. 
Celui  qui  s'espee  avoit  traite, 
Fiere  envaïe  li  a  faite. 
Celui  qui  tant  l'ot  conjure 

1350    Est  meintenant  vers  lui  aie: 
Enter  son  braz  torelle  a  masse 
Son  mantel,  et  puis  si  li  passe. 
Segnies  s'est  et  puis  veit  avant. 
Un  coup  li  done  en  reculant, 

1355    Que  les  mailles  de  la  police 
Li  freint  et  délace  et  délice. 
Si  le  feri  de  grant  aïr  : 
A  terre  en  fait  un  pan  venir. 
Mes  ne  l'a  en  char  adese 


1333  d.  et  a     1337  est'ne     1338  denicno     1342  rooillo     1345  pot 
1350  nientenîint     1353  p.  si  u.     1355  maies 


XII  (Méon  21849—21885)  39 

1360    Q'el  poin  li  est  lo  bran  torne. 

En  tornant  descend i  aval, 

Ne  li  a  fet  gairez  de  mal. 

'Ves'  fait  il,  'con  trenche  m'espee  ! 

S'el  ne  ine  fust  cl  poing  tornee, 
1365    Ja  en  eusse  pris  venjance.' 

Lors  vint  un  vilein  o  sa  lanche, 

Se  li  refet  une  envaïe. 

A  deux  meins  l'a  forment  brandie, 

Parmi  le  cors  le  vont  ferir.  69 

1370    Et  Tybert  li  sont  bien  gueuchir. 

Et  li  vileins  outre  passa, 

A  une  piere  s'acopa: 

Saches  que  la  lanche  a  brisée 

Et  une  coste  a  pechoiee, 
1375    Et  le  bacheler  o  l'espee 

Qui  ot  s'aleine  recovree 

Et  tôt  repris  son  hardement, 

Li  est  passes  hardiement. 

Li  bacheler  ot  non  Guillame 
1380    Ferir  le  quida  sor  son  haurae, 

ISIes  a  cestui  coup  a  failli, 

Que  Tybert  li  a  bien  guenci  : 

Ne  l'a  mie  a  cel  coup  ateint, 

L'espee  entre  ses  poins  li  freint. 
1385    Et  il  li  passe  o  le  tronçon, 

Si  le  feri  el  chaaingnon 

Que  les  las  ou  il  ert  laciez 

A  a  cel  coup  outre  trenches. 

Et  Tybert  qui  molt  esteit  laz, 
1390    S'en  vait  fuiant  plus  que  le  pas. 

l*armi  l'uis  s'en  esteit  sailhz, 

Et  li  vileins  fu  esbaïz 

Qui  de  lui  ocire  ert  engrez, 

Si  lor  escrie   or  tost  aprez!' 
1395    Si  l'enchaucent  molt  durement. 

Et  il  nés  dote  de  noient 

1364  pOg       1374  jjocheoie 


40  XII  (Méon  21886^21924) 

Que  la  nuit  qui  esteit  oscure 
Loi'  a  fait  perdre,  et  l'aventure 
Qui  li  estoit  a  avenir, 

1400    Qu'il  ne  deveit  mie  morir. 

Li  vilein  s'en  tornent  atant. 
Et  Tybert  s'en  vait  dévorant 
Les  vileins  et  la  pute  au  prestre, 
3Iolt  les  maudit  et  tôt  lor  estre, 

1405    Et  puis  Renart  et  s'ataïue. 

Que  que  Tybert  einsi  cemine, 
Li  est  venus  Renart  devant 
En  sa  voie  parfont  clinant: 
Hahi'  fait  il,  'bons  ordenez, 

1410    Por  amor  deu  car  me  donez, 
Que  dex  li  père  le  vos  mire. 
De  vostre  offrande,  bauz  doz  sire! 
Et  si  me  contes  de  vostre  estre 
Que  de  vostre  Ofdre  voudroie  estre, 

1415    Que  molt  vos  siet  bien  celé  estole 
Qui  le  vostre  bel  col  acole. 
Et  por  deu,  sire,  qui  l'i  mist 
De  grant  folie  s'entremist, 
Qu'ele  resemble  chaagnon 

1420    A  quoi  l'en  ait  pendu  laron.' 
'Hahi'  ce  dit  Tybert  li  chaz, 
'Maie  aventure  ait  tis  baraz 
Et  trestote  la  toe  foi!' 
'Dites  vos'  fait  Renart,  'a  moi  ?' 

1425    'Oïl  voir'  Tybert  respondi. 

'De  quoi  vos  a  ge  mal  parti, 
Sire  Tybert'  Renart  a  dit. 
'Trestot  avez  sanz  contredit, 
Vostre  offrande  tote  l'aiez! 

1430    Estes  vos  ore  bien  paiez? 
Anuit  aves  parti  et  pris. 
Et  d'itant  avez  vos  mespris 
Que  cil  n'en  a  noient  oii 
Qui  a  la  vigile  o  vos  fu. 


1421  Tybert  manque. 


Xir  (Méon  219-25-21960)  41 

1435    Renart  vostre  bon  conpaingnon. 

Mes  tenez  vos,  si  oiez  mon, 

Que  dedenz  cesfc  brief  ici  a. 

Que  orendroit  le  m'envoia 

Mi  sire  Huon  le  deien, 
1440    Et  si  vos  mande  qu'a  Roein 

Soiez  lundi  devant  manger 

Tôt  prest  a  ore  de  plaider 

Encontre  le  prestre  del  Brueil 

Qui  a  escrit  dedenz  cest  fueil 
1445    Trestot  quanque  il  i  vont  mètre. 

Orendroit  le  me  fiât  tremetre. 

Et  se  vos  bien  ne  m'en  créez, 

Venez  avant,  si  i  gardez! 

Et  plus  i  a  encore  el  bref, 
1450    Qu'il  vos  contredit,  par  mon  chef, 

Le  moster,  et  met  en  defois. 

Vos  n'i  chanterez  mes  des  mois, 

Ne  mes  ouan  de  si  que  la 

Que  aures  de  fide  lésa 
1455    Respundu  devant  l'archevesque; 

Ou  a  la  cort  devant  l'evesque 

Mon  seignor  Ganter  de  Costances, 

Avon  nos  mises  noz  sentances, 

Li  prestres  et  je  sanz  mentir, 
1460    Ensamble  vos  volom  tenir' 

Fet  soi  Renart,    se  vos  volez.' 

Lors  par  fu  Tybert  adolez, 

Tristres  et  doleros  et  laz. 

Que  por  les  cox,  que  por  le  gaz. 
1465   -Si  s'en  vait  droit  a  sa  m  es  on. 
Si  départent  li  conpaingnon, 

Ce  dit  l'estoire  qui  ci  fine. 

S'en  vait  Renart  a  Hermeline. 

Si  encontra  un  cras  oison 
1470    Qu'il  enporta  en  sa  maison. 

14:59  Iierbet  1440  que  a  room  1443  brol  1451  m.  en  m.  en 
defrois  1452  nehanterez  1456  a  manque  1458  no  s.  1459  ean  ra. 
1462  engolez     1464  le  c.     1467  que     1470  sa  manque 


42  XII  (Méon  219G1— 21976) 

A  sa  feme  atornc  a  manger 
Qui  molt  en  avoit  grant  inester, 
Et  si  li  a  trestot  conte 
Conment  Tybert  l'avoit  mené, 

1475    Conment  le  prist  a  aclioisson. 
(/C  vos  dit  Ricliart  de  Lison 
Qui  conmenclie  a  coste  fable 
Por  doner  a  son  conuostablc  : 
Se  il  i  a  en  rien  mespris, 

1480    il  n'en  doit  ja  estre  repris, 
Se  il  i  a  de  son  langaje: 
Que  fox  naïs  il  n'iert  ja  sage 
N'il  ne  vont  gerpir  sa  nature, 
Que  dex  nostre  sire  n'a  cure. 

1485    Toz  jorz  siet  la  pome  el  pomer. 
Ne  vos  veil  avant  rimoier. 


1471  atornor       1475  Et  c.       a  iiiaiiquc       1479   Et    nos   dit  sil 
mesprist       1482  il  manque 


XIII  (Méon  21977-21999)  48 


Xlll 

Une  estoire  voil  conmencier  93 

Qui  durement  feit  a  proisier  : 

Et  grant  bien  i  porroiz  aprendre, 

Si  il  vos  i  plest  a  entendre. 
5    Or  m'escotes  sans  noise  fere, 

Que  nus  contes  ne  porroit  plcre 

A;  home  qui  est  trop  noisouz: 

Mes  de  l'oïr  soit  covoitous, 

Ccli  qui  oïr  la  voudra, 
lu    Or  oez  que  l'en  vos  dira. 

Il  avint  ja  qu  uns  chevalers, 

Qui  molt  esteit  prous  et  légers, 

Fist  fere  un  castel  bel  et  noble: 

N'ot  tel  jusqu'en  Costentinoble. 
15    Li  castax  fu  molt  bien  séant 

Desor  une  roche  pendant, 

Et  si  estoit  bien  conpassez. 

Clos  fu  de  mur  et  de  fessez 

Dont  l'eve  coroit  tôt  entor, 
20    Un  pont  torneïs  par  desor. 

Trop  par  fu  bien  fait  le  castel, 

Onques  nul  om  ne  vit  si  bel. 

Or  vos  en  ferai  le  devis. 


1   Une  iicstoire        conieclicir       2  (lorernoiit       4  iiKini/uc      11   qiio 
ui;s  chV       14  t,  (le  qucn       15  tastax       ItJ  rcclie 


44  XIII  (Méon  22000—22035) 

Desur  une  eve  fu  asis 

25    Qui  grant  ert  et  porte  navie. 
Par  l'eve  vint  marcheandie 
Tôt  contreval  jusq'a  la  mer. 
Molt  fait  cel  païs  a  amer. 
La  praerie  fu  selonc 

30    Qui  duioit  deus  liues  de  lonc 
Et  quatre  de  le  sans  faillancc. 
Les  vinnez  (teloz  n'ot  en  France) 
Si  firent  forment  a  chérir. 
Et  si  vos  di  bien  sanz  mentir 

35    Que  forest  i  ot  bêle  et  grande: 
Il  n'ot  tele  jusqu'en  Ilande, 
Plus  bêle  ne  plus  avenable, 
Ne  a  franc  home  delitable. 
Cent  arpens  bien  en  i  avoit. 

40    Mes  nule  beste  n'i  avoit 

Que  molt  n'en  i  ot  grant  plente. 

Un  jor  fu  li  sire  monte 
Desur  un  bon  coraut  destrer, 
Et  dit  qu'il  vont  aler  chacer 

45    Por  veneison  en  la  forest. 
Les  chens  acople  sanz  arest 
Li  escuier  et  li  sergant, 
Et  li  venerres  vait  devant 
Sor  un  grant  chasceor  liart. 

50    Atant  ont  levé  dan  Renart. 
Quant  li  vénères  veû  l'a, 
Les  chenz  apele  'or  ca,  or  ca  !' 
Quant  Renart  vit  les  chenz  venir, 
Vers  le  castel  prist  a  foïr  : 

55    Li  chen  le  sivent  a  ellez, 
Et  tuit  li  veneor  aprez. 
Et  Renart  qui  fu  esbaïz. 
Sailli  sor  le  pont  torneïz 
Et  s'en  va  parmi  la  porte  enz. 


2B  raarcliâdie     36  ius  en     41  n'  majirjuc     43  dest's    48  uenerrees 
50  danj.l.     .11'.     52  ape  or     54  jiris     55  suent 


XIII  (Méon  •2i03G-22071)  45 

60    Del  trovcr  est  il  mes  noienz. 

Con  il  fu  entres  on  la  porte, 

Dit  li  chevalier  'il  est  nostre.' 

Lors  s'eslaissent  sans  atarger. 

El  castel  est  entre  premer. 
65    Puis  descendi  de  son  cheval:  94 

L'estrer  li  tint  le  senescal. 

Apres  sont  li  autre  venu, 

Enmi  la  cort  sont  descendu. 

Le  gorpil  vont  partot  querrant, 
70    ISTel  troverent  ne  tant  ne  quant. 

Par  cuisines  et  par  estables 

Et  el  paleis  desoz  les  tables 

!Ne  laissèrent  que  reverser: 

Mes  onques  nel  porent  trover. 
75    Par  les  chambres  et  par  soliers 

Le  fist  querre  li  chevaliers: 

Neïs  es  celers  le  vont  querre. 

One  n'i  remeist  pièce  de  terre 

Ne  en  celier  ne  fors  celier, 
80    ^e  cognet  nul  a  reverchier, 

Ke  rien  née,  bien  le  saches, 

Que  li  gorpilz  n'i  fust  cochez. 

Onques  n'i  remest  banc  ne  huce, 

Neïs  desos  une  viez  ruche 
85    Dont  l'en  avoit  le  mel  oste: 

Mes  il  ne  l'i  ont  pas  trove. 

'Dex!'  font  il  'qu'est  il  devenu, 

Quant  nus  de  nos  ne  l'a  veû? 

Par  foi  or  nel  savom  ou  querre, 
90    Ne  sai  s'il  est  entres  en  terre.' 

Li  chevalier  dist  'je  ne  sei. 

Mes  quant  ne  puet  estre  trove, 

Si  le  laissons  atant  ester. 

Que  caiens  le  vi  ge  entrer.' 
95    Par  foi,  sire'  ce  dient  tuit. 


62  ii*er     63  Lor  salaissont    77  querrant     79  ne  defors      80  Ne 
manque  c  nuit  a     84  desus     fruohe     87  que  ost     92  pot  pas  e. 


46  XIIT  (iléon  22072-22107) 

'Ainz  le  querron  jusq'a  la  nuit. 

Que  por  maveis  nos  tendra  l'on 

Se  nos  si  le  gorpil  perdon.' 

Or  le  queres  donques  ades' 
100    Fet  li  sire,  je  le  vos  les  : 

Sachez,  je  nel  querrai  plus  hui. 

Atant  s'en  va  de  fin  auui. 

Lors  reconmencent  de  rechef. 

Et  chascuns  a  jure  son  chef 
105    Que  del  querre  ne  se  feindra 

-lusqu'a  tant  que  la  nuit  vendra. 

Trestote  jor  l'ont  quis  insi, 

One  ne  finerent,  gel  vos  di, 

Soz  bans,  soz  hz  de  reverser. 
liO    S'oïrent  covrefeu  soner  : 

Et  con  il  l'orent  entendu, 

Onques  n'i  ont  plus  atendu 

Et  dient  que  nel  querront  plus. 

El  palais  en  montèrent  sus, 
Uf)    Si  sont  venu  a  lor  seignor. 

Trestuit  li  dient  par  iror 

'Bau  sire,  par  seint  Lienart, 

Bien  nos  a  conchie  Reuart.' 

'Qu'est  ce?'  fet  il.     'Ne  l'avom   mie. 
120    Ge  ne  sai  que  ce  senefie. 

C'est  aucune  senefiance: 

Damledex  nos  fait  demostrance, 

Mien  escient,  d'aucune  chose. 

Noter  vos  volt  une  autre  glose, 
12;')    Et  si  ne  sai  que  ce  puet  estre. 

Neporquant  Renart  est  si  mestre, 

Il  n'est  beste,  ce  sa  ge  bien, 

Qui  encontre  lui  soiist  rien: 

Meinte  foiz  nos  a  deceûs, 
130    Toz  nos  capons  nos  a  toluz. 

Or  le  quidai  bien  avoir  pris, 

97  lor  09  querres  101  8.  qup  ^•('  104  oli.  en  a  110  Si  o. 
114  en  manque  115  a  son  s.  121  coM.  aueiiture  s.  123  esoienee  125 
pot       128  sont   rcien       I.'ÎO  nas 


Xril  (Méon  22108— ■2-2143)  47 

Mes  ne  sai,  dex  ou  en  émis 

Le  nos  a  tolu  sans  dotance. 

Mes  par  sein  Denisse  de  France 
135    A  qui  ge  me  sui  otroiez, 

Il  sera  autre  fois  chacez. 

Renart,  se  ge  ne  muir  de  mort, 

Il  est  arives  a  mal  port: 

Que  demein  sanz  nul  delaier 
140    Iron  en  la  forest  chacer. 

Et  se  nos  prendre  le  poon, 

Sa  pel  ert  en  mon  pelicon, 

Que  caiens  en  a  d'autreteles. 

Mes  ore  alumes  les  candelez. 
145    Si  nos  aseon  au  manger, 

Que  le  gorpil  voil  oblier, 

Qui  tant  nos  a  fet  demorer. 

Maie  mort  le  puisse  acorer 

Que  por  lui  jeiine  avoms!  / 

150    Or  ca,  de  Teve  et  si  lavoms.' 

Lors  conmencerent  a  laver, 

A  tant  aseent  au  soper 

Li  chevalier  et  sa  maisniee, 

Et  sa  feme  joiant  et  liée 
155    Si  s'estoit  delez  lui  asise. 

Ne  vos  fas  ci  nule  devise 

De  sa  baute  ne  de  son  estre, 

Mes  ainz  plus  bêle  ne  pot  estre. 

Dejoste  son  seignor  se  sist 
1(50    Au  manger  et  meintenant  rist 

De  Renart  qui  les  a  moquiez. 

A  tant  vindrent  richez  deintez. 

Lardes  de  cerf  et  de  sengler 

Ot  li  chevalier  au  soper. 
165    Et  si  burent  bon  vin  d'Angou, 

De  la  Recelé  et  de  Poitou. 

Ne  vos  ferai  ci  longe  fable, 

135  otroi«ez     142  p.  sera  en  m.  pilicon      143  delez     144  les  |  de 
149  iuene     161  a  demoquiez     165  daiiffo     166  poutou 


48  XIII  (Méon  22144-22179) 

Mes  quant  orent  mange,  la  table 

Conmauderent  que  l'en  ostast 

170    Por  ce  que  il  estoit  trop  tart. 

Quant  la  table  lor  fu  ostee, 

Atant  est  la  dame  levée. 

A  son  seignor  vint,  si  Tacole 

Et  dit  'sire,  par  seint  Nichole. 
175    Se  vos  me  créez,  vos  iroiz 

Cocier,  si  vos  reposerois, 

11  en  est  bien  tens  mes  anuit  : 

Car  il  est  près  de  mieuuit, 

Et  vos  en  aves  grant  mester. 
180    Hui  ne  finastes  de  chacer 

Le  gorpil  qui  vos  a  mal  fet.' 

Dame'  fait  il,   ci  a  mal  plet, 

Del  gorpil  ne  m'est  il  a  rien. 

Alon  dormir,  je  le  voil  bien, 
185    Se  il  vos  vient  a  volonté.' 

Adonc  est  li  sires  levé 

Et  est  entres  dodenz  sa  cambre 

Qui  tote  estoit  ovree  a  l'anbre. 

N'a  el  monde  boste  n'oisel 
190    Que  n'i  soit  ovres  a  cisel 

Et  la  procession  Renart 

Qui  tant  par  sot  engin  et  art,  95 

Que  rien  a  fere  n'i  laissa 

Cil  qui  si  bel  la  conpassa, 
195    Q'en  li  soiit  onques  nomer. 

Mes  or  le  voil  laissier  ester, 

Que  le  conte  voil  abréger. 

Meintenant  se  fist  deschaucer 

Li  chevalier  et  si  se  chouce. 
200    La  dame  ne  fu  pas  faroche, 

Ains  se  rest  autresi  cochie. 

En  après  choce  la  mainie, 
•       Mes  en  la  chambre  ardant  laissèrent 


169  len  lostast       170  qiiil       tro  t.       171  lor  manque       172  leue 
174  s.  a  par       180  fiiiasto       188  tôt       203  aidant  manque 


XIII  (Méon  2-2 180— 22215)  49 

Deus  cierges  qui  clarté  geterent. 
205    Ases  granz  erent  par  raison, 

Bien  en  vit  om  par  la  meson. 

Cil  qui  orent  velle  la  nuit, 

Furent  molt  tost  endormi  tuit. 

Onques  nus  ne  s'en  esvela 
210    Tant  que  li  baus  jors  esclaira 

Qui  lor  a  rendu  grant  clarté. 

Lors  se  sont  meintenant  levé 

Li  escuier  et  li  sergant. 

Et  li  vénères  tôt  errant 
215    S'en  est  dedenz  la  chambre  entre. 

Li  sires  estoit  ja  levé, 

Et  cil  li  a  ore  bon  jor. 

Apres  s'estoit  mis  el  retor, 

Et  li  chevaliers  erraument 
220    Se  chauce,  que  plus  n'i  atent. 

Puis  est  eu  la  sale  venus 

Ou  hautement  est  receiis. 

Tuit  se  sont  levé  contre  lui. 

'Baux  sire,  bon  jor  aies  hui!' 
225    Ce  li  ont  tuit  dit  li  valet. 

Met  tost  ma  sele'  fait  il,  'met 

Sor  mon  cheval  sans  atarger: 

Le  gorpil  voil  aler  chacer.' 
Celui  cui  il  ot  conmande, 
230    A  tost  le  cheval  ensele, 

Et  puis  au  degré  li  ameine. 

Et  li  vénérez  molt  se  peine 

De  ses  levrers  apareller. 

Lors  montèrent  sans  atarger, 
235    Si  sont  parmi  la  porte  issu, 

Mes  il  n'orent  gaires  curu, 

(Ice  vos  di  par  vérité) 

Que  il  ont  le  gorpil  levé 

Qui  se  gisoit  soz  un  pomer. 


204  q.  grant  c.  gérèrent     206  uut     211   charte     225  dit  eut  éffitcé 
229  C.  quil  ot    238  Qiiil     239  Que 

RKXART   II.  4 


50  XIII  (Méon  2-2-2 16— 22251) 

240    Tantost  font  les  chens  délier 
Et  li  vénères  si  les  hue. 
Quant  Renart  entent  lor  venue, 
Saches  que  forment  l'en  pesa. 
Tantost  par  la  forest  s'en  va 

245    Que  onques  ne  dist  'cul,  suif  moi! 
Et  li  levrer  sans  nul  deloi 
L'enchaucerent  grant  aleiire. 
Et  Renart  s'en  fuit  l'ambleûre 
Qui  de  lor  enchaus  n'est  pas  bel. 

250    Parmi  la  porte  entre  el  castel, 
Onques  n'i  ot  cil  qui  nel  voie. 
Et  Renart  tantost  se  desvoie, 
Nul  ne  sot  qu'il  est  devenu. 
Et  li  levrer  sont  arestu 

255    Qui  en  ont  perdue  la  trace. 
Atant  est  remese  la  cliace 
Que  nus  n'en  sot  ne  vent  ne  voie. 
'Par  deu,  seignor,  bien  nos  desvoie 
Renart'  fait  soi  le  chevalier. 

260     Quant  nos  ne  le  poon  baillier, 
Bien  nos  tient  ore  a  maveiz. 
Or  del  corre  tôt  a  eslez 
Savoir  se  le  porrien  trover.' 
Lors  conmencent  a  remuer 

205    Desoz  huchez  et  desoz  liz. 
Onques  a  la  foire  a  Senliz 
N'ot  tel  huée  ne  tel  ton, 
Quant  en  meine  pendre  laron, 
Con  font  tuit  cil  qui  sont  laienz. 

270    Li  chevalier  dit  'c'est  noienz. 
Lèses  a  mal  oiir  ester! 
Ne  veil  hui  pas  si  jeûner 
Conme  ge  fis  er.  par  seiut  Jaque. 
Mes  alez,  si  metez  la  nape  ! 

275    Si  nos  aserrons  au  manger.' 


246  délai      250  on  ol      251  que      255  perdu      262  core       260 
la  la  f.  de  a.     269  qiio 


XIII  (Mcon  2-2-232-'2-2-288)  51 

Ataiir  laissèrent  le  cerclier, 

Que  veer  ne  l'osèrent  pas. 

El  palais  vont  plus  que  le  pas, 

Sans  atargier  les  tablez  mctent: 
280    Cil  qui  sevent  s'en  entremetent. 
Atant  sont  au  manger  asis. 

Mes  il  n'i  orent  gueres  sis, 

Qu'il  voient  venir  par  la  porte 

Deus  escuiers:  cliascons  aporto 
•2S>:>    Derere  lui  une  grant  flice 

Ne  sai  de  sengler  ou  de  biche, 

Et  si  furent  il  bien  monte. 

Sitost  con  vindrcnt  au  degré, 

Sont  andui  descendu  a  pie 
25)0    Et  puis  sont  el  paleis  puie. 

Quant  il  sont  el  paleis  entre, 

Au  chevalier  ont  encline 

Et  li  dient  'Dex  beneie. 

Sire,  la  vostre  conpaignie!' 
2i)5    Li  chevalier,  con  bien  apris, 

Li  respont   Dex  vos  saut,  amis, 

Et  bien  soiez  vos  arives! 

Mes  or  lavez  et  si  seez 

Ci  avecques  nos  au  manger  !' 
•500     Sire'  dient  li  escuier, 

'Ainz  vos  conteron  en  avant 

Ice  que  nos  alon  querant: 

Ja  parole  n'en  ert  teûe. 

Vostre  père  si  vos  salue 
305    Et  vos  deus  frères  autresi 

Qui  le  matinet  seront  ci, 

Ensi  le  vos  mandent  par  nos.' 

Il  dit  'bien  viennant  soie/  vos!' 

Fet  li  chevalier  en  riant. 
310    De  la  table  salli  errant. 

11  les  conjoit,  si  les  acole 


289  decendii     2i)7  soie  uos     298  or  seez  et  si  lauez     299  Et  nos 
aseoz  au     H02  quorrant     îiOfi  Qun     308  soie  uos     311   noniioist 

4* 


52  XIII  (Méon  22289-2^324) 

Conme  prodom  de  sa  parole, 

Que  molt  liez  et  joianz  en  fu. 

A.tant  sont  deus  valiez  venu 
315    Molt  bel  enfant  sans  nule  faille. 

Li  uns  aporte  une  toaille 

Et  li  autres  prist  deus  bacins 

Qui  toz  sont  d'argent  bons  et  fins. 

Si  en  empli  l'un  de  fonteine 
320    Qui  molt  estoit  et  clere  et  seine: 

De  l'eve  done  as  escuers 

Et  il  la  pristrent  volontiers. 

Con  il  orent  andui  lave,  96 

Un  des  valiez  ont  apele 
325    Et  li  dient  tôt  sanz  tencon 

'Alez  querre  la  veneison 

Qui  est  as  piez  de  ces  degrez, 

Et  de  nos  deus  chevauz  pensez 

Que  il  aient  fein  et  aveine!' 
.330    Li  vf^lez  s'en  torne,  si  meine 

Avec  li  un  autre  vallet. 

De  la  veneison  s'entremet 

De  porter  en  sauf  por  garder. 

Et  li  autres  meine  establer 
335    Les  deus  chevauz  sanz  demoree. 

Si  lor  a  aveine  donee 

E  del  fein  a  molt  grant  plente. 

Si  est  arere  retorne 

En  la  sale  sanz  atarger 
340    Ou  estoient  li  escuier 

Qui  se  sont  au  manger  asis 

Delez  la  dame  o  le  cler  vis 

Qui  molt  lor  a  grant  joie  fête. 

Li  sires  durement  se  haite 
345    Por  la  novele  que  il  set 

De  son  père  que  pas  ne  het, 

Et  de  ses  deus  frerez  avec 
.    Qui  le  matin  seront  ilec, 


319  en  maïuiiie    329  e  a.    331   Aue  li    337  molt  manque   347  auoc 


XIII  (Méon  2>3-25-22360)  53 

Si  en  est  molt  joiant  et  lie. 
350    Quant  il  orent  asez  mangie, 

Si  conmande  la  table  ester 

Que  durement  se  veut  haster 

D'aler  en  la  forest  chacer 

Por  venoison  apareller 
355    Contre  cous  qui  durent  venir. 

Il  ne  se  vont  mie  tenir. 

Tantost  conmande  a  amener 

Son  cheval  sanz  plus  deraorer, 

E  que  li  chen  soient  tuit  prest. 
360    Li  vénères  sans  plus  d'arest 

A  fait  acopler  les  levrers. 

Si  est  montes  li  chevalers, 

E  tuit  li  autre  sont  monte. 

Onques  n'i  out  plus  reconte, 
365    Einz  s'en  issent  parmi  la  porte 

Sor  les  chevaus  qui  tost  les  porte. 

En  la  forest  en  sont  entre, 

Mes  il  n'orent  gères  erre 

Qu'il  ont  levé  un  cerf  brancu 
370    De  quatre  branches  et  menbru, 

Qui  molt  tost  lor  a  gerpi  place. 

Le  chen  se  sont  mis  a  la  trace 

Qui  le  sivent  de  grant  randon, 

Et  cous  après  a  esperon. 
375    Et  li  cherf  s'enfoï  lez  sauz 

Qui  n'est  pas  bel  de  lor  encauz, 

Juenes  estoit  il  et  ligier. 

A  tant  estez  vos  un  archer 

Qui  une  fiece  a  encochiee, 
380    Envers  le  cerf  l'a  descochiee, 

Que  il  l'avoit  bien  avise: 

Sel  fiert  très  parmi  le  coste 

Que  la  flece  el  cors  li  enbat. 

Li  cerf  ciet  a  terre  tôt  plat 


374  après  de  graiit   randon       377  et]    est      379  Que     eRcochice 
384  tere 


54  XIII  (Méon  22361-22396) 

385    Qui  ot  eii  un  cop  félon. 
Li  levrer  vienent  environ 
Qui  l'ont  saisi  en  eslepas. 
Li  vénères  plus  que  le  pas 
Et  tuit  li  autre  sont  venu  : 

390    Ensi  fu  li  cerf  retenu. 

Adonc  ont  repris  les  lévriers. 
Au  cherf  laissent  deus  escuiers 
Qui  molt  l'orent  bien  afaitie, 
Si  l'ont  au  castel  envoie, 

395    Si  se  remetent  en  la  broce. 
Li  chevaliers  tint  une  croce 
Dont  il  va  les  boissons  bâtant. 
E  li  vénères  va  cornant 
Si  hautement  et  issi  cler, 

400    Tôt  le  bois  en  fait  retinter 
Del  cler  son  que  li  cor  rendi. 
Atant  est  un  sengler  sailli 
Del  boisson,  qu'a  la  noisse  oïo. 
Meintenant  est  torne  en  fuie 

405    Par  la  forest  quanque  il  puet. 
Apres  lui  un  levrer  s'esmuet 
Qui  molt  estoit  grant  et  corsu. 
Le  sengler  a  aconseii 
Qui  s'en  fuioit  tôt  enbroncie. 

410    Loing  des  autres  plus  d'un  archie 
Le  suit  li  levrers  et  le  prent 
Par  l'oreille,  pas  ne  mesprent 
Que  il  le  cuida  retenir. 
Li  porz  escout  la  dent  d'aïr, 

415    Si  a  si  le  levrer  féru 
Que  le  coste  li  a  fondu. 
Si  H  cort  sus  et  si  le  prent 
As  denz  molt  aïreement, 
A  un  cesne  l'a  si  hurte 

420    Que  trestot  l'a  esccrvele, 


391  leuis      399  e  i.       403  le       404   es  t.      405    f.  ce  que  il    pot 
406  scsmor     414  denz 


XIII  (Méon  22397-224321  ^^ 

E  que  les  boiaus  li  saillirent. 
Atant  li  autre  chen  saillirent 
Vers  le  sengler  qu'il  volent  prendre: 
Et  il  ne  les  volt  pas  atendre. 
425    Einz  s'en  fuit  sanz  plus  demorer 
Quanque  pies  le  porent  porter. 
Li  levrer  le  sivent  après 
Et  tuit  11  veneur  de  près 
Si  s'eslaisserent  de  randon. 
430    Par  la  forest  tôt  a  bandon 

Le  vont  chacant  sans  demorer. 
Li  pors  vit  qu'il  nel  pot  durer: 
Il  li  anuie,  ce  saches. 
Fors  del  bois  estoit  desbuchiez 
435    E  s'en  fuit  vers  l'eve  corant. 
Li  chevalier  esporonnant 
Le  suit  après  ce  que  il  puet, 
Que  molt  anuie  qu'il  se  muet 
De  la  forest,  et  molt  li  poise. 
440    E  li  pors  vint  a  la  faloise 
A  l'eve  qui  molt  haute  fu. 
Dedenz  est  sailli  par  vertu: 

Lors  quida  il  estre  a  repos. 

Un  levrer  li  saut  sor  le  dos, 
445    Sel  prent  as  dens  parmi  le  col, 

Li  autre  vindrent  de  plein  vol 

Apres  por  lor  conpaing  aidier 

Que  il  en  avoit  grant  mester. 

Et  einz  qu'il  l'oiissent  ateint 
450    L'avoit  le  sengler  si  ateint 

Que  desos  lui  l'avoit  noie. 

Li  autre  en  furent  esmaie: 

Neporquant  pas  ne  s'aresterent, 

Tojors  après  le  porc  noerent. 
455    Et  li  chevalier  et  li  autre 

Vienent  après  lance  sor  fautre, 

"^  424  E  425  pas]  plus  427  suent  429  selaisserent  432  Lo  plus 
u.  quel  434  deboissiez  437  pot  438  anuie]  li  poise  se  mot 
440   falee     441  A]  En     446  a.  qui  u.     451  desus     456  feutre 


56  XIII  (Méon  22433-22468) 

Qui  molt  sont  de  lor  chens  dolant  97 

Que  li  porc  lor  va  ociant. 

Tant  ont  parmi  l'eve  noe 
460    Que  d'autre  part  sont  arive, 

Li  pors  avant  e  puis  li  chen  : 

Mes  por  noient,  ne  lor  vaut  rien. 

Li  pors  s'en  fuit  a  grant  aleine, 

Que  il  n'en  auront  point  sanz  peine, 
465    Par  la  campaigne  qui  est  grant. 

E  li  chen  vont  après  corant, 

Qui  ne  se  feinent  pas  de  corre. 

Et  li  vénères  por  rescorre 

Feri  après  des  espérons, 
470    Et  li  pors  s'en  fuit  les  trotons 

Qui  durement  va  recréant. 

Un  levrer  est  sailli  avant 

Qui  le  porc  a  pris  par  la  cuisse. 

Or  crient  que  remanoir  l'estuisse, 
475    Con  il  se  senti  entrepris. 

Le  levrer  a  as  denz  repris 

Que  longues  avoit  et  agues, 

Qu'en  haut  le  jeté  jus  as  nues. 

Au  caoir  li  done  tel  flat 
480    Que  tôt  le  cerveau  lui  abat. 

Li  autre  qui  le  regardèrent, 

Onques  por  ce  nel  redoterent: 

Einz  s'en  vont  a  lui  sanz  targer. 

Et  il  se  remist  au  fraper, 
485    Que  il  ne  lez  vont  mie  atendro. 

Li  chevalier  prist  a  esprendre 

Molt  durement  do  mautalant, 

Et  a  jure  son  serement 

Que  de  chacer  ne  finera 
490    Tant  conme  chen  vif  i  aura, 

Se  il  n'est  retenus  avant. 

E  li  pors  s'en  vait  randonant 

457  chen  462  par  467  core  471  dorement  474  criem  Vinanqxe 
477  e  478  Quant  h.  480  ceruaeu  481  que  484  E  487  Jorement 
488  E     490  i  manque 


XIII  (Méon  22469-22504)  57 

Qui  de  corre  fu  toz  sulenz: 

A  l'eve  revint  et  saut  ens, 
495    E  puis  li  levrer  après  tuit 

Et  tuit  li  veneor  abruit, 

Que  onques  n'i  firent  regart: 

Ainz  sunt  arive  d'autre  part 

E  furent  durement  haste. 
500    Li  pors  est  en  fuie  torne 

Qui  n'avoit  cure  de  targer, 

E  tojorz  après  li  levrer 

Qui  molt  estoient  travelliez. 

El  bois  s'estoit  li  porc  fichiez 
505    Dont  il  estoit  parti  avant, 

E  li  veneor  apoinnant 

Sor  les  chevaus  plus  que  le  pas 

Qui  molt  sont  travellie  et  las. 
Li  pors  s'en  fuit  sans  demorance, 
510    Molt  tost  par  la  forest  se  lance, 

Et  li  levrer  vienent  après 

Qui  del  prendre  sont  molt  engres. 

Uns  des  chens  s'est  adevancis, 

Le  porc  aert  parmi  le  pis 
515    Que  bien  le  quida  arester. 

Li  pors  le  prent  sans  demorer 

As  denz  parmi  la  peu  do  cou, 

Si  l'a  si  hurte  a  un  fou 

Que  les  deus  euls  li  fist  voler 
520    Et  tos  les  boiaus  traîner: 

Mort  le  laissa  e  torne  en  fuie. 

Et  li  vénères  crie  et  huie. 

Li  chevalier  fu  molt  iriez 

(Juant  vit  ses  chens  si  dépeciez: 
525    De  quatorze  n'en  a  que  dis, 

Quatre  l'en  a  li  pors  ocis. 

Par  un  senter  s'en  est  torne, 

Au  devant  le  porc  est  aie 


497  f.  agart     501  Que     504  s'maïKjtie      por      508  Que      512   de 
prends  le  sont  e.     515  le  manque    518  hurtu     528  es  t. 


58  XIII  Oléon  22505-22540) 

Largement  une  arbalestee. 

530    Li  pors  li  vint  gole  baee. 
E  li  chevalier  tint  l'espie  : 
A  un  cesne  s'est  afiche. 
Li  pors  qui  tant  curu  avoit 
Que  trestot  avegles  estoit 

535    De  lassete  et  de  corrot, 
En  l'espie  se  feri  debot. 
Et  li  chevaliers  le  tint  si 
Qu'en  l'espaule  le  consuï. 
Li  pors  li  vint  de  tel  redor, 

540    El  cors  li  mist  conine  rasor: 
Toz  li  a  les  boiaus  perciez. 
La  hante  vole  en  deus  moitiés, 
Et  le  fers  est  remis  el  cors. 
Adonques  est  coiis  li  pors 

545    Tos  mors,  plus  ne  se  desfendi. 
E  li  chevalier  decendi 
De  son  cheval  et  sans  demor 
Lors  sont  venu  li  veneor 
Qui  furent  las  et  travellie, 

550    Doucement  ont  deu  mercie. 
Li  vénères  prist  un  cotel 
A  un  manche  d'argent  molt  bel, 
Si  en  a  le  sengler  overt 
Que  tôt  estoit  de  sanc  covert. 

555    Tost  Tout  afaitie  a  son  droit, 
As  levrers  a  done  lor  droit, 
Et  le  pomon  et  la  coraille. 
Il  n'i  a  chen  qui  ne  baaille 
De  la  grant  lassete  qu'il  ont. 

560    Si  en  mangèrent  que  fain  ont. 
E  quant  mangie  orent  asez, 
Si  est  li  chevalier  montes, 
E  tuit  li  autre  sont  monte. 
Sampres  ont  le  sengler  trosse 


531  espee     537.  538  manquent    543  Et  inawjKc    550  D'autre  part 
ont     555  Tant     557  lo  c.     558  quo  il  ne 


XIII  (Méon  '2-2541—22578) 


59 


5f55    Soi-  un  roncin  qui  molt  fors  est. 
Si  chevaucent  par  la  forest 
Li  chevaliers  et  sa  mesniee 
Qui  estoit  lasse  et  travelliee. 
N'ourent  mie  granment  coru 
570    Que  il  sont  au  castel  venu. 
Parmi  la  porte  sont  entre, 
Si  en  vont  descendre  au  degré. 
Li  chevalier  entre  en  la  sale, 
De  laste  est  devenu  pale. 
575    E  li  vénères  prent  la  beste 
Qui  estoit  et  grant  et  oneste. 
Del  fou  conmande  a  aporter 
Et  del  fore  por  bien  bruller. 
Le  porc  cochèrent  a  la  terre, 
580    Desoz  li  font  un  feu  de  fuerre, 
E  quant  bien  l'orent  conree, 
Devant  lor  seignor  l'ont  porte 
Qui  molt  fu  de  bêle  veiie. 
La  dame  i  est  corant  venue. 
585    Que  vos  iroie  racontant? 
Les  tables  metent  a  itant. 
Que  li  sire  l'avoit  rove. 
Fait  fu  con  il  l'ot  conmande. 
Deus  escuiers  l'eve  aporterent, 
590    La  dame  et  li  sire  lavèrent, 
E  tuit  li  autre  sanz  targier, 
Si  se  sunt  asis  au  mangier  98 

E  mandèrent  tôt  a  loisir 
De  ce  que  lor  vint  a  plaisir. 
595    Quant  mangie  orent  a  plente, 
De  la  table  se  sont  levé. 
Si  se  vont  esbatre  en  la  tor, 
As  fenestres  vont  tôt  entor. 
Asis  se  sont  por  esgarder 
6(X)    Par  les  chans  et  por  aviser 

565  qui     566  cheuaucerent     570  Quil      571  tnanque     576  grande 


011   a  manque 


5S0  Desus  lui  fiin     forre     597  iib.itre 


60  XIII  (Méon  22579-22614) 

Les  vingnes  et  les  praeries, 
Et  les  bêles  gaagueries 
Dont  il  i  avoit  a  plente. 
Lors  virent  venir  abrevie 

605    Liemers,  levrers  e  bradiez 
Que  raenoient  quatre  valiez. 
Vers  le  cbastel  vindrent  le  trot. 
L'un  d'aus  a  son  col  un  cor  ot 
Qu'il  vet  menuement  cornant. 

610    Apres  li  vont  deus  chars  corant 
Qui  tuit  sont  de  vitaille  plein. 
E  dui  escuier  et  un  nein 
Les  conduient  sans  plus  de  jent, 
Asses  venent  et  bel  et  gent. 

615    Apres  les  chars  vienent  sanz  dote 
Plus  de  quatorze  en  une  lote 
Qui  tuit  sont  cargie  de  richece  : 
Chascun  vers  le  castel  s'adrece. 
Quant  li  sire  a  ce  regarde, 

620    S'a  lez  escuiers  apele 

Que  li  out  envoie  son  père. 
'Or  me  dites'  fait  il,  'bau  frère. 
Est  ce  le  harnois  mon  seignor?' 
'Oïl,  se  dex  me  doinst  onor' 

625    Font  cil,  'sire,  n'en  dotes  pas'. 
E  cil  vienent  enneslepas 
E  sont  dedens  la  porte  entre 
Li  uns  après  l'autre  arote. 
De  destorser  se  vont  hastant 

630    Que  la  nuit  les  vait  aprocant. 
E  quant  tôt  orent  destrose. 
En  la  sale  s'en  sont  monte 
Tôt  contremont  par  les  degrez. 
Li  sires  est  jus  dévalez 

635    E  s'estoit  asis  sor  un  doiz, 

Einz  si  baux  n'out  prince  ne  roiz. 


602  ganeries     604  Lor     606  ont     611  Que     615  uient     619  sires 
632  entre 


XIII  (Méon  22615-22651) 

Uesor  le  dois  fii  en  séant. 
lA  chevalier  li  vient  clinant 
E  li  ont  dit  ensemble  tuit 

640     Sire,  dex  vos  doinst  bone  nuit  !' 
Li  sires  lor  salu  lor  rent 
Molt  bel  et  molt  cortoiseraent 
Conrae  cortois  et  bien  apris. 
Apres  sont  au  manger  asis 

6-15    Li  vallet  e  li  escuier: 

Bien  furent  servi  sans  danger. 
Quant  ont  mangie  sans  demoree. 
Si  lor  a  l'en  la  table  ostee. 
E  li  sires  s'ala  cocher 

650    En  un  lit  qui  est  bel  e  cher. 
Apres  sunt  li  autre  coche, 
Qui  le  jor  orent  travelle, 
E  se  dormirent  sans  fauser 
Tant  que  li  baus  jors  parut  cler 

655    Qui  lor  a  rendue  loor. 
Adonc  se  levé  le  seignor, 
Chance  soi  et  vest  sauz  targer. 
Si  vait  messe  oïr  au  moster, 
Et  avoques  ala  la  dame: 

660    Messe  oïrent  de  nostre  dame. 
Quant  le  service  fu  fine. 
Si  sont  arere  retorne 
E  la  dame  et  le  chevalier. 
Tantost  conmande  apareller 

665    Les  chevax  et  tost  enseler, 
Contre  son  père  vont  aler: 
Puis  conmande  que  l'en  atort 
Bel  e  cortoisement  la  cort. 
Quant  il  out  tôt  ce  conmande, 
(370    Si  est  tôt  meintenant  monte 
Et  avocques  li  de  sa  gent 
Tant  qu'il  s'en  va  et  bel  e  gent. 
De  la  porte  issent  sans  tencon 


61 


640  tint     642  Mit','  et  mit,'  bel     659  K  a.     666  son     671  K 


62  XIII  (Méon  22()5-2 -2-2687 j 

Et  chevaclient  le  grant  troton, 

675    Grant  eire  le  cemin  ferre. 
Mes  il  n'orent  gères  erre 
Que  demie  liue  sanz  dote, 
Quant  il  ont  oïe  la  rote 
De  gent  molt  bien  enchevauche. 

680    Devant  venent  vallet  a  pie, 

Quatre  qui  vont  hors  de  la  presse. 
Chascuns  tint  en  sa  mein  sa  lesse 
Ou  de  levrer  ou  de  braeet. 
Eusi  s'en  vieneut  li  vallet, 

685    Outre  s'en  vont  sans  atarger. 
Lors  s'avança  li  chevalier, 
Si  corut  son  père  acoler 
Que  durement  devoit  amer: 
Molt  l'a  baissie  et  conjoï 

690    E  ses  deus  frères  autresi. 
Hoc  se  sont  grant  joie  fête, 
Mainte  parole  i  ont  retraite 
E  contée  tôt  en  alant. 
Del  castel  se  vont  aprocant. 

695    Et  ensi  con  il  s'en  aloient. 

Vers  la  forest  gardent,  si  voient 
Un  gorpil  qui  s'en  fuit  le  pas 
Por  aus,  et  si  n'en  dotez  pas 
Qu'il  n'ait  les  chens  aperceii. 

700    Quant  li  chevalier  la  veù, 
Si  se  rist,  si  a  dit  'par  foi 
Ce  gorpil  que  je  ici  voi, 
Si  m'a  il  ja  gabe  deus  fois. 
Ce  est  il,  bien  le  reconnois.' 

705    'Gabe!  et  cornent?'  font  se  il. 
'.Tel  vos  dirai  bien'  fait  se  il. 
Tar  deus  fois  l'a  ge  fait  chacer, 
Si  ne  le  poi  onques  bailler. 
E  cum  il  vit  les  chens  venir, 


675  tere  G78  oi  683  leures  ou  braces  684  uallos  687  non  p. 
688  Qui  694  caste  695  Et  manque  i  sen  697  se  f.  698  ne  totes 
703  il   manque     704  ronois     705  et  manque 


XIII  (Méon  22688-22724)  03 

710    Vers  le  castel  piist  a  foïr, 

E  puis  que  il  i  t'u  entre, 

Ne  pout  par  nul'  estre  trove, 

Si  ne  sai  ou  il  se  repont.' 

Tantost  ses  pères  li  respont 
715    'Par  foi,  amis,  vos  saves  bien, 

Enginneus  est  sor  tote  rien, 

Moult  par  est  forz  a  enginner. 

Mes  faites  ces  chens  deslier' 

Fait  li  sires  :  'chacez  sera. 
720    Or  pas  ne  nus  escapera'. 

Lors  laissierent  les  chens  aler  99 

Li  valet  sanz  plus  deraorer, 
\        Puis  si  lez  ont  rais  a  la  chace. 

Meintenant  ont  sentu  la  trace. 
725    E  quant  Renart  les  voit  venir. 

Si  s'en  foï  de  grant  aïr 

Vers  le  castel  ce  que  il  pot. 

ïote  la  rote  après  s'esmot, 

N'i  a  cil  qui  uel  voist  huant. 
730    E  Renart  s'en  va  randonant, 

Quanque  il  onques  pot  s'en  fuit, 

E  li  bracet  glatissent  tuit 

E  corent  tuit  sanz  atarger. 

Mais  Renart  n'a  nul  desirrer 
735    De  lor  venue,  mes  dolenz 

Sor  le  pont  saut  voiant  lez  genz 

Et  s'est  en  la  porte  embatu. 

Ad  onques  sont  tuit  acuru 

Li  escuier  e  li  vallet, 
740    Chascuns  de  querre  s'entremet. 

Par  trestot  ont  il  reverse. 

Mais  il  ne  pot  estre  trove. 

Del  querre  se  sont  entremis, 

Ases  i  ont  joe  et  riz 
745    Trestuit,  n'i  a  celi  n'en  rie. 

Et  li  sires  tantost  s'escrie 

728  a.  lui  sesmot     IM  geiit     787  f'sbatu      738  E  rlonquos  i  sont 


64  XIII  (Méon  227-25-227t32) 

'Seingnors'  fait  il,   par  seint  Lambert, 
Tôt  en  toi  manere  me  sert 
Lo  gorpil  con  vus  ci  vees. 

750    Mes  faites  et  si  descendes.' 
Lors  descendirent  il  a  pie, 
N'i  a  celi  ne  soit  haitie. 
Lors  s'entrepristrent  par  les  meinz 
Le  père  et  les  frères  germeins. 

755    Les  degrés  contremont  montèrent, 
En  la  sale  séant  troverent 
Le  nein  par  desus  une  table 
Qui  trop  bien  resemble  diable. 
Onques  ne  fu  si  contrefez, 

760    11  sambloit  qu'il  fust  d'enfer  trez, 
Torz  fu  et  de  piez  et  de  hances: 
Et  si  vos  di,  en  ses  deus  manches 
N'avoit  pas  deus  aunes  de  drap. 
Ses  bras  sembloit  boce  de  sap. 

765    Une  boche  out  contre  le  cuer 
Molt  très  hiduso  de  grant  fuer. 
Et  une  en  out  enmi  le  piz. 
Toz  est  ses  visagez  sarciz 
E  boce  out  lede  et  mau  fête. 

770    E  la  lèvre  out  contremont  trete, 
Bien  i  entrast  un  pie  de  bof. 
Ses  denz  resemblent  moious  d'of. 
E  si  vos  di  par  seinte  Agnes, 
11  n'a  pas  plein  pouce  de  nés. 

775    Lez  euz  out  gros  conme  une  lische, 
Des  oreilles  resembloit  bische, 
Chevous  out  noirs  conme  arrement. 
Molt  se  deduisoit  cointement. 
Un  capel  ot  fait  de  fenoil. 

780    Cens  qui  venent  regarde  a  l'oil. 
'Nein,  dex  te  gart!'  ce  dit  li  sire. 
Onques  cil  ne  donna  mot  dire 


749  gopil     754  ses    758  Que     764  Ces     767  E  manque    773  seint 
tannes     774   na  mie  pi.     776  reserablent     777  arrernenz     779  feaol 


XIII   i'Méon  2-2761—22796)  65 

Ne  a  son  salu  ne  respont, 

Einz  ci'olle  le  chef,  si  se  gront. 
785        Li  chevalier  se  sont  asis 

Dejoste  le  bocu  naïs 

Qui  a  si  bêle  la  veiie. 

Adonc  est  la  dame  venue, 

Les  chevaliers  a  saluez 
790    E  conjoïs  et  onorez. 

Ensi  s'esbatent  sanz  danger 

Tant  qu'il  fu  ore  de  manger 

E  que  les  napes  furent  mises, 

Et  desus  les  tables  asises 
795    Et  les  salières  et  li  pains. 

De  Teve  lor  done  a  lor  meins: 

Lave  ont,  si  se  sont  asis. 

Ne  vos  ferai  pas  lonc  devis 

De  lor  manger  ne  de  lor  boivre. 
800    Del  sengler  mangèrent  au  poivre 

E  del  cerf  firent  bons  lardez, 

Et  des  capons  firent  pastez. 

Yin  burent  d'Aucorre  e  d'Orlienz. 

De  totes  pars  lor  sort  li  bienz. 
805        Endementres  que  il  mangoient, 

Deus  braces  vinrent,  si  abaient. 

Durement  glatissent  les  bestes 

E  contremont  lèvent  les  testes. 

Li  sire  les  a  regarde, 
810    Son  veneor  a  apele 

E  si  li  a  meintenant  dit 

Diva'  fait  il,  'se  dex  t'aït, 

Quantes  paux  avom  de  gorpil?' 

'Nos  en  avom  nuef  ce  fait  il. 
815    'Nuef,  dieble  !  J'en  i  voi  dis  : 

De  ces  braces  sui  esbaïs 

Que  issi  les  vont  abaiant.' 

Lors  saut  li  chevalier  avant, 

783  Na  786  neis  787  Que  789  ch'r  790  conioist  791  sabutcnt 
794.  795  manquent  8u0  poure  805  quil  m.  807  lez  bestez  808  testez 
815  -IX-  fait  il  d.    817  uait 

HENART     II.  5 


66  XIII  (Méon  22797-22833J 

Sor  les  paux  les  vit  arester, 
820    E  vit  le  ventre  sospirer 

Del  gopil  qui  pendus  estoit: 

A  la  hardere  molt  estroit 

Se  tint  et  as  denz  et  as  piez. 

Li  vénères  s'est  merveilliez 
825    Qui  bien  l'avoit  reconeii: 

'Seignors'  fait  il,    aves  veii? 

Par  mou  seignor  saint  Lienart, 

Li  gorpilz  se  peut  a  la  hart 

A  celé  perce  avec  ces  paux. 
830    For  ce  glatissent  les  chaiax. 

Mes  or  estes,  je  Tirai  prendre, 

Yos  le  me  verrois  ja  descendre.' 
Adonc  est  revenu  arere  : 

Vit  Renart  pendre  a  la  hardere, 
835    Les  meins  jeté,  prendre  le  veut, 

Et  Renart  envers  li  s'aqueut. 

Au  hardel  par  lez  piez  se  pent. 

Celui  par  le  poinc  as  denz  prent, 

Si  le  mort  et  si  le  destreint, 
840    L'ongle  en  la  goule  li  remeint. 

Quant  ce  out  fait,  si  sailli  jus, 

Foïz  s'en  est,  n'atendi  plus, 

Parmi  la  porte  el  bois  entra. 

One  puis  laiens  ne  retorna, 
845    Or  en  a  perdu  le  repère. 

Fuiant  s'en  va,  ne  set  que  fere. 

Endementers  que  fuit  s'apense 

Que  el  bois  n'a  poiot  de  desfense. 

Durement  démentant  s'en  vet, 
850    Vers  la  praerie  se  tret. 

Enmi  le  pre  un  tas  avoit 

De  fein  qu'aiine  i  avoit 

For  esventer  et  por  fener:  100 

La  se  vait  Renart  reposer. 
855    Desor  le  fein  monta  en  haut, 

821  que   824  hardrere   835  uout   83S  pone   848  de  manque 


XIII  (Méon  22834-22869)  07 

Riens  fors  a  manger  ne  li  faut. 
Or  fu  Renart  desor  le  fein, 

Si  prie  deu  e  seint  Gerniein 

Que  il  li  envoit  a  manger, 
860    Car  il  en  auroit  grant  niester. 

En  tant  con  il  se  dementoit, 

Lieve  sa  teste  et  venir  voit 

Une  eornaille  a  la  volée. 

Renart  l'avoit  bien  esgardee, 
865    Cum  il  la  vit,  et  il  s'apense 

Que  il  en  fera  sa  despenso, 

E  si  li  fera  grant  engin. 

Lors  se  laisse  chaoir  sovin 

Le  dos  desoz,  les  piez  desus, 
870    La  langue  traite,  n'i  ot  plus  : 

Hoc  se  gisoit  estendu. 

La  corneille  Ta  perceii 

Qui  grant  fein  en  son  cuer  avoit, 

(De  tôt  le  jor  mangie  n'avoit) 
875    E  dit  'venue  sui  a  port, 

Quant  j'ai  trove  ci  Renart  mort. 

Or  en  mangerai  a  plente, 

Que  je  ai  hui  trop  geûne.' 

Si  s'asiet  sor  le  fein  en  haut, 
880    Onques  ne  li  dit  'dex  vos  saut', 

Einz  li  cort  sus  le  bec  haucie. 

Ja  li  oust  fors  l'oil  sachie 

E  bien  l'oiist  tenu  por  fol: 

Renart  l'a  saisi  par  le  col. 
885    Con  il  la  tint,  si  en  fu  lies, 

De  lui  a  ses  gernons  torchez. 

Si  en  a  fait  ses  joes  bruire, 

Einz  ne  tant  ne  quant  n'en  mist  cuire. 

Quant  mangie  out,  si  fu  aese. 
890    Son  lit  a  fait  que  qu'en  deplese: 

Si  est  choce  desor  le  fein. 

869  desoue  870  La  manque  878  Que  876  ci  mangue  881  soz 
882  sache  888  le  premier  ne  manque  quan  nen  piist  cure  890  que 
que  d.     891  Si  ç  est       desoz 

5* 


68  XIII  (Méon  22870-22906) 

Tôt  maugre  le  nés  au  vilein, 

Qui  iloc  l'avoit  aiine, 

S'est  Renart  iloc  repose 
895    E  dormi  dusqu'en  lendemein. 

Quant  il  s'evella,  si  vit  plein 

Le  pre  d'eve  entor  le  muilon. 

Ha  dex'  fait  Renart,  'que  feron? 

Con  par  est  celé  eve  creiie! 
900    Ainz  que  ele  soit  descreùe, 

Serai  ci  (je  cuit)  morz  de  fein'. 

Atant  voit  venir  un  vilein 

Qui  ameine  une  nef  aval. 

'Dex'  dit  Renart  Tesperital! 
905    Iceste  nef  me  gitera 

A  celé  rive  par  delà'. 
Li  vileins  a  Renart  veû. 

Sitost  con  l'a  aperceii, 

'Dex'  fait  il,  'quel  beste  est  cela 
910    Qui  desor  cou  muilon  esta?' 

Con  il  fu  un  pou  avale, 

Si  li  a  Renart  escrie 

'Vilein,  vilein'  ce  dit  Renart, 

'Ameine  ca,  se  dex  te  gart, 
915    Celé  nef,  si  me  met  dedenz.' 

'Volenters,  Renart,  par  mes  denz' 

Fait  li  vileins,  'je  la  vos  meing. 

Mes  venes  jus  desus  ce  fein.' 

Tant  a  le  vilein  governe 
920    Que  au  mollon  est  arive. 

Or  venez  jus'  fait  il,  'Renart'. 

'Sire,  ne  puis,  se  dex  me  gart. 

Je  ne  porroie  pas  descendre. 

Car  je  ne  puis  le  pie  estendre. 
925    Car  une  gote  me  prist  er. 

Si  ne  me  puis  prou  aïdier. 

Il  covient  que  vos  mi  aidies 

Et  que  fors  de  la  nef  issiez. 

89b  Que       894  iloques       897  derbe  e.       900   quele      910   desoz 
918  ce]  le     921  ues     923  p.  desdescendre 


XIII  (Méon  22907-22943)  69 

E  si  venes  par  ca  entor 
930    Ou  il  a  molt  bon  monteor 

Par  ou  vos  porrois  bien  monter 

Por  moi  en  celé  nef  porter.' 

Cil  quide  que  il  voir  li  die, 

Lors  est  issus  de  la  navie, 
935    Entor  le  muellon  est  aie. 

E  Renart  est  tant  avale 

Que  il  saut  en  la  nef  abrive 

Si  l'a  escipe  de  la  rive: 

Si  s'en  vait  aval  durement. 
940    E  Renart  le  governail  prent. 

Si  conmenca  a  governer. 

E  Renart  prent  a  apeler 

Le  vilein  qui  sus  le  fein  monte. 

'Yilein'  fait  il,  'dex  vos  doinst  honte! 
945    Se  vos  me  poussiez  tenir, 

Yos  geuz  me  feïssiez  sentir. 

Or  vos  sees  desor  ce  fein, 

Que  mal  jor  aies  vos  demein! 

Gardes  bien  que  nul  ne  l'enport! 
950    Je  saurai  governer  a  port. 

Gardez  le  en  bien  et  en  pes. 

Que  je  m'en  vois  et  si  vos  lais.' 

Renart,  Renart'  dit  li  vilein, 

Tien  ca,  je  t'afi  en  ta  mein 
955    Que  je  nul  mal  ne  te  ferai, 

Mes  la  otre  te  passerai 

E  bien  e  debonairement,' 

'Daheit  ait'  dit  Renart,  'qui  ment! 

Puisque  tu  ne  me  feras  mal, 
960    Or  descent  de  ce  fein  aval, 

Vien  avant,  je  t'atendrai  ci.' 

Dit  li  vileins    vostre  merci.' 

Lors  descent,  plus  n'i  demora. 

E  dan  Renart  se  porpensa 
965    Cum  il  le  porra  cunchier. 


ya7  abreuo     939  dûment    942  p.  le  gouorner    943  que     944  bote 
946  gouz   949  bien  manque   ne  manque   950  serai   956  métrai  963  p.  que  p. 


70  XIII  (Méon  22944-22979) 

S'il  puet,  il  le  fera  pescher, 

Car  il  fait  bien  molt  a  envis. 

En  une  fosse  s'estoit  mis 

Qui  estoit  grant  et  bien  parfonde. 
970    Si  a  dit,  que  dex  le  confonde 

S'il  ne  fait  le  vilein  banner. 

E  li  vileins  prist  a  huclier 

■Renart,  ca  amener  l'estuet'. 

E  Renart  dit  que  il  ne  puet, 
975    Que  sor  un  graver  est  asis, 

Que  devant  le  jor  del  joïs 

N'en  seroit  ostee  par  li. 

E  li  vilein  avant  sailli 

Qui  de  l'engin  ne  se  garda. 
980    A  une  perre  s'acopa, 

Si  chet  en  la  fosse  tôt  plat. 

Renart  del  governal  le  bat, 

Molt  grant  coup  fiert  parmi  le  doz, 

Que  tôt  li  a  froissies  les  os.  101 

985    Que  que  il  en  doiist  peser, 

Estut  le  vilein  afondrer. 

El  fons  de  l'eve  deus  fois  fu. 

E  Renart  qui  vengie  se  fu 

E  qui  l'ont  atorne  si  mal, 
990    S'en  vait  a  tôt  la  nef  aval. 

De  si  grant  force  governa. 

Que  totes  les  meins  s'escorca 

Au  governail  que  il  tenoit. 

Et  li  vileins  qui  se  bainnoit 
995    En  l'eve  ou  Renart  Tout  frape, 

A  grant  peine  en  est  escape. 

Tote  voies  s'en  issi  fors, 

Mes  molt  fort  se  doloit  ses  cors. 

Renart  voit  que  la  nef  anmeine, 
1000    N'ira  après  mais  de  semeine. 

A  deable  l'a  conmande, 


966  pot  967  molt  bien  970  le]  uos  972  pris  974  pot  979  gar- 
dea  983  fiert  maiiqtte  984  ous  985  Qui  que  992  meins  eserca  996  en 
manque    997  uoies  est  escape     998  fort  manque     ses]  en     1001   debles 


XIII  (Méon  22980-23016)  71 

Puis  est  arere  retorne, 

Si  s'en  reveit  en  sa  raeson. 

E  Renart  s'en  vait  de  randon 
1005    A  tote  la  nef  au  vilein. 

Le  governail  tint  en  sa  mein 

Dont  il  governe  et  aprent. 
A  tant  a  veùe  Hersent 

Sa  conmere  et  dant  Ysengrin 
1010    Qui  venoient  tôt  le  chemin. 

E  quant  Renart  veû  les  a, 

De  grant  engin  se  porpensa. 

Car  il  dit  que  il  se  teindroit, 

Ja  Ysengrin  nel  connoistroit. 
1015    Une  erbe  avoit  en  s'auraosnere 

Qui  molt  ert  pressiose  et  chère. 

(Bien  set  que  il  le  het  de  mort. 

Lores  est  arives  au  port.) 

Renart  en  a  molt  tost  frotee 
1020    Tote  sa  chère  et  noirciee 

E  tôt  son  cors  delivrement: 

Lors  fu  plus  noir  que  arement. 

Con  il  se  fu  si  atorne, 

Si  est  vers  Ysengrin  torne 
1025    Et  a  dit   ca  venes,  prodom! 

S'il  vos  plest,  si  vos  paseron 

Por  amor  deu  et  seint  Richer, 

N'en  quer  maaille  ne  denier.' 

Ysengrin  l'en  a  mercie. 
1030    Puis  sont  dedens  la  nef  entre 

Entre  lui  e  dame  Hersent. 

Ysengrin  au  nager  se  prent: 

Il  nage  et  Renart  governa. 

Que  qu'il  governe  il  se  pensa 
1035    D'un  piège  que  il  bien  savoit 

Qu'a  l'entrée  d'une  ille  estoit: 

Se  enz  le  puet  fere  caoir, 

De  Hersent  fera  son  voloir. 


1009  dant  manque     1015  annonere      1020  est     1025  E      1026  Si 
1028  maille     1030  pus     1036  Ca       dun  ille     1037  pot 


72 


XIII  (Mcon  23017-23052) 


Tant  ont  nagie  et  governe 

1040    Qu'a  celé  ille  sont  arive, 

Sitost  cum  il  vindront  a  terre, 
E  Renart  le  governal  serre, 
Si  l'a  bien  a  terre  apoie. 
Et  Ysengrin  mist  hors  le  pie 

1045    E  de  son  cors  la  nef  alege. 
Meintenant  est  caiet  el  piège 
()ui  molt  durement  le  destreint. 
E  Renart  en  l'eve  s'enpeint, 
0  lui  Hersent  que  il  enmeine. 
Ysengrin  remeist  en  la  peine, 
Dedens  le  piège  son  pie  tient. 
E  Renart  vers  Hersent  en  vient, 
*jSi  racole  et  si  l'enbrace, 
iLa  boce  li  baise  et  la  face 
|E  dit  'douce  amie  Hersent, 
Je  sui  Renart  veraiement.' 
Celé  l'entent,  si  ot  grant  joie, 
Ses  deus  bras  au  col  li  envoie. 
Molt  très  grant  joie  s'entrefont. 
E  Renart  lieve  contremont 
Dame  Hersent  le  pelicon, 
Si  li  bota  le  vit  el  con 
E  conmenca  fort  a  croller. 
Que  tote  la  nef  fait  branler. 

1065    Quant  il  out  fait  sa  volente, 
Si  est  au  governail  torne 
E  conmenca  a  governer 
Tant  que  la  nef  fist  ariver 
A  terre  molt  bel  et  molt  gent. 

1070    Si  s'en  issi  dame  Hersent, 
S'a  Renart  a  deu  conmande. 
N'a  gères  d'Isengrin  parle 
Qui  remest  en  la  fosse  pris 
Ou  molt  se  senti  entrepris. 


1050 


1055 


1060 


1040  Ca  un  i.  1049  enmeno  1051  tint  1052  R.  enuers  uint 
1056  uraiement  1061  A  à.  1062  les  derniers  mots  ont  été  en  partie 
effacés     1068  aruiur     1069  mot  <;;. 


XIII  (Méon  23053—23087)  73 

1075    Hoc  fu  Ysengrin  sanz  faile 

El  piège  ou  durement  baaille. 

Si  i  fu  tôt  le  jor  enter, 

Tant  que  ce  vint  a  l'anuiter 

Que  cil  qui  le  piège  ot  tendu 
1080    Vint  celé  part  son  arc  tendu. 

0  lui  vindrent  quatre  vilein, 

Chascun  un  baston  en  sa  mein. 

Ysengrin  ont  dedenz  trove, 

Si  l'ont  et  batu  et  frape. 
1085    Tant  l'ont  bote  et  desache 

Qu'Ysengrin  i  laissa  le  pie. 

Fuiant  s'en  va,  ne  set  que  fera, 

Or  li  covient  eschace  fere, 

Autrement  ne  porroit  aler. 
1090        E  Renart  prent  a  dévaler 

A  tôt  sa  nef  molt  durement. 

De  ce  q'out  fait  ne  se  repent. 

Aval  Teve  s'en  vet  abrive. 

Atant  a  garde  vers  la  rive 
1095    E  vit  un  vilein  qui  l'aceine: 

Si  li  a  dit   amis,  ca  meine 

Celé  nef,  se  vendre  la  veus  : 

Je  l'achaterai,  par  mes  eus.' 

'Par  foi'  fait  Renart,  'volonters 
1100    La  vos  vendrai,  baus  amis  chers. 

Foi  que  doi  seint  Piere  l'apostre, 

Por  quatre  capons  sera  vostre, 

Ja  certes  por  meins  ne  l'aurois.' 

Dit  le  vilein   vos  les  aurois, 
1105    Je  n'en  ferai  mie  lonc  plet.' 

Tantost  a  sa  maison  s'en  vet, 

Trois  capons  a  pris  raentenant. 

I*uis  revint  arere  corant. 

Si  les  a  a  Renart  bailliez, 


1075  San  f.  1079  auoit  1080  sans  atendu  1084  et  batu  et] 
durement  1089  poroit  1091  dorement  1092  ne]  re  1093  abreue 
1096  Sli  1097  U0U8  1098  lachatrai  se  tu  uoiis  IIOI  lapostle 
1107  Faudrait  il  lire  Por  trois  capons  sera  ja  vostre? 


74  XIII  (Méon  23088—23123) 

1110    Et  il  les  a  molt  gufachiez, 

E  si  estoient  bon,  ce  cuit. 

Au  vilein  a  dit  je  vos  cuit 

La  nef,  bien  l'en  poes  mener: 

Que  je  m'en  vois  sans  demorer 
1115    Mais  c'aie  mange  cest  capon.'  102 

Li  vileins  s'en  va  de  randon 

0  tôt  la  nef  que  il  enmeine. 

E  Renart  de  mangier  se  peine 

Le  chapon  qui  est  gras  et  gros. 
1120    Les  autres  a  mis  sor  son  dos, 

Si  en  va,  que  plus  n'i  demore. 

Molt  li  avint  bien  a  cel  ore, 

Que  de  tôt  le  jor  n'ot  mangie 

E  si  avoit  molt  travellie. 
1125        Renart  s'en  vet  les  granz  trotonz. 

Desor  son  dos  deus  graz  caponz. 

Si  s'en  va  par  la  tere  gaste. 

Tôt  bêlement  et  tôt  sanz  haste 

S'en  va  tant  qu'il  fu  près  de  nuit, 
1130    Un  capon  manja  tôt  descuit 

Enmi  les  chans  desoz  un  tell. 

Onques  la  nuit  ne  clôt  son  oil 

Por  le  grant  travail  qu'ot  ou. 

Et  quant  le  jor  esclarci  fu, 
1135    Si  se  mist  tantost  el  troton. 

Mes  ancois  manga  son  chapon 

Tôt  bêlement  e  tôt  en  pes, 

Et  puis  s'en  va  a  grant  esles 

Trestot  contreval  un  prael. 
1140        Atant  a  trove  Roenel 

Le  mastin  qui  va  querant  proie. 

Renart  le  voit,  molt  s'en  esmoie, 

E  neporquant  molt  s'aficha, 

Ja  Roonel  nel  conoistra. 
1145    Vers  lui  s'en  va  grant  aleiire, 

1110  E  il     1119  que      grous      1123  nauoit  m.     1125   Rerant     le 
grant     1129  tan     1141  que 


XIII  (Méon  23124-23159)  75 

Mes  de  noient  ne  s'aseiire. 

E  quant  Roonel  l'a  veii, 

Ne  l'a  raie  reconeû 

For  la  grant  neirte  qu'il  avoit, 
1150    Ains  quide  que  deables  soit. 

Senne  soi  et  si  torne  en  fuie, 

E  Renart  après  lui  s'escrie 

'Venes  arere  por  seint  Leu! 

Ja  su  ge  cosse  de  par  deu. 
1155    Ne  vos  en  fuies  pas  issi!' 

E  quant  Roenel  l'entendi, 

Si  est  arere  retornes, 

Mes  toz  estoit  desconfortes. 

E  Renart  qui  plus  hardi  fu 
1160    Li  a  dit  'bien  soies  venu!' 

'Dex  vos  saut'  fait  soi  le  mastin. 

'Dont  estes  vos,  por  seint  Martin, 

Qui  si  aves  noir  pelicon?' 

E  Renart  dit  'par  seint  Simon, 
1165    Sire,  je  fui  nés  a  Amiens. 

Mes  quanqu'il  i  a  n'est  pas  miens.' 

'Conment  aves  non?'  dit  le  chen. 

'Par  foi,  ce  vos  dira  ge  bien. 

Quant  je  fu  sor  fon  relevés, 
1170    Chufles  par  non  fui  apeles. 

Choflet  ai  non,  si  nomes  sui. 

Mes  dites,  se  mangastes  hui.' 

'Naie  voir'  ce  dit  Roenel, 

'De  fein  m'en  trencent  li  boiel. 
1175    Je  manjasse  molt  volontiers: 

Ne  mangai,  deus  jors  a  entiers.' 

'Merveille  est'  dit  Coflet,  'par  de. 

Je  sai  de  reisins  a  plente 

En  une  vine  près  de  ci: 
1180    Manjeroies  en,  ce  me  di?' 

'Oïl,  molt  bien'  dit  Roenel, 


1149   que   il       1150   deblea       1159   qui   los   h.       1166   q'nque    il 
1170  fu     1171    a    non     1173   reonel      1176  ors  manque      1181  b.  ce  d. 


76  XIII  (Méou  23160—23194) 

'Mes  je  me  dot  molt  de  la  pel.' 
'Tu  es  coart'  ce  dit  Coflet. 
Je  ne  ti  mesferai  un  pet, 

1185    Ice  te  di  por  vérité.' 

'Alons'  dit  li  chens,  'de  par  de.' 

Atant  se  metent  el  cemin 
Entre  Coflet  et  le  mastin, 
E  sont  en  une  vingne  entre 

1190    Ou  un  vilein  avoit  plante 
Un  pocon  conme  trebucet. 
Molt  très  bien  l'i  savoit  Coflet, 
Et  dit,  si  voie  il  noel. 
Il  fera  prendre  Roenel, 

1195    Se  il  onques  puet  esploiter. 
Jjors  cemine  par  un  senter 
Bonne  aleiire  le  troton 
Tant  qu'il  sont  venu  au  ponchon 
Qui  bien  aparellieiz  estoit. 

1200    Grant  pièce  de  car  i  avoit, 
Li  vileins  ne  fu  mie  eschar. 
Deu   fait  il,  'qui  or  mangast  car, 
Molt  li  seroit  bien  avenu. 
Mal  soit  or  mercredi  venu, 

1205    E  li  prestre  si  soit  boni 

Qui  m'encharga  le  mercredi: 
îse  mangerai  devant  noël 
Char.'   Dieble'  dit  Roenel, 
'J'en  mangeroie  volenters.' 

1210     Vien  dont  avant,  baux  amis  chicr! 
Grant  pièce'  fet  Coflet  'i  a. 
Dahait  qui  car  me  devea, 
Quant  ore  manger  n'en  oson.' 
Roenel  s'en  vint  au  pocon, 
^  1215    Qui  molt  liez  et  joiant  en  fu, 

E  dit,  bien  li  est  avenu. 


1183  corard  1189  ungne  1190  a.  troue  1191  trebucez  1193  ail 
u.  il  1194  reonel  1195  pot  1197  Bon  aleo  uore  le  trocon  1199  Que 
1202  mangant  1204  oremprcrede  1205  si  max^we  1210  ch'ir  1212  Dalieit 
jera        1213  Q'oïit  ore 


XIII  (Méon  53195-23230)  77 

Chuflet  li  dit   manger  poez 

Tant  que  bien  soies  saolez,' 

Roenel  a  jeté  les  denz, 
1220    La  teste  met  au  panchon  enz, 

Dont  par  tens  se  tendra  por  fol. 

Le  laz  l'a  saisi  par  le  col 

E  li  pancon  est  destenduz. 

Roenel  i  reraest  penduz. 
1225    Par  le  col  est  bien  au  laz  bris. 

Quant  Coflet  le  vit  entrepris 

Et  en  haut  le  vit  encroe,     ^ 

Meintenant  li  a  demande 

'Qu'est  ce,  congpainz,  ou  alez  vos? 
1230    Geste  car  lairois  la  me  vos? 

Je  n'en  mangu  pas,  ce  vos  di: 

Car  en  veu  l'ai  au  mercredi. 

Venes  jus  e  si  la  mangies! 

Yos  deïstes  que  fein  aviez, 
1235    Et  or  ne  volez  pas  descendre, 

Einz  vos  voi  a  ce  panchon  pendre 

Ausi  con  se  fussiez  laron. 

Vos  ne  faites  mie  raison, 

E  sachez,  blâmes  en  serois. 
1240    Quant  a  la  cort  le  roi  irois, 

Vos  seres  bien  reconeiis 

Que  vos  avez  este  pendus: 

Il  quidera,  bien  le  devin. 

Que  c'ait  este  por  larecin 
1245    Que  vos  aies  este  penduz. 

Ne  vos  n'en  seres  pas  creûs, 

Ainz  le  quideront,  sanz  mentir.'  103 

Atant  vit  le  vilein  venir 

Qui  les  vignes  devoit  garder. 
1250    Quant  il  vit  le  panchon  lever 

Et  il  i  vit  Roenel  pendre, 

Le  grant  val  conmence  a  descendre 

1224  E  si  r.  r.  p.  25  b.  a  col  p.  1230.  31  intervertis,  mais 
le  scribe  a  corrigé  la  faute  en  ajoutant  les  lettres  b  a  en  marge 
1231  ne  m.     1235  E     1239  s.  que  b.     1244  par     1251  i  manque     1252  uel 


78  XIII  (Méon  23231-23265) 

Et  ot  un  baston  en  sa  mein. 
0  lui  estoient  troi  vilein, 

1255    Chascuns  tenoit  hace  ou  baston, 
Si  s'en  vienent  droit  au  ponchon. 
E  quant  Renart  les  a  veii, 
N'i  a  pas  granment  atendu, 
Ains  s'en  fuï  sans  demorer 

1260    Quanque  pie  l'en  porent  porter, 
Que  grant  poor  ot  de  sa  pel. 
Et  cil  vienent  a  Roenel. 
Li  premer  hauche  le  baston, 
Roenel  fiert  sor  le  crépon 

1265    Tel  cop,  c'a  poi  ne  l'a  tue. 
Li  autre  a  son  baston  levé, 
Sel  quide  ferir,  mais  il  faut: 
•   Que  Roenel  a  fait  un  saut, 
Con  il  vit  le  baston  venir. 

1270    Li  cox  descent  de  grant  aïr, 
Que  il  l'avoit  de  force  enpeint, 
S'a  si  son  conpaigoon  ateint 
Qui  devant  le  cop  a  este: 
A  pou  ne  l'a  escervele. 

1275        Cil  qui  out  le  cop  receii, 
Chiet  a  terre  tôt  estendu 
Tôt  autres!  con  s'il  fust  mort. 
Or  est  Roenel  a  mal  port 
Arives,  de  voir  le  sachez. 

1280    Un  des  autres  s'est  avanches 
Qui  estoit  son  germein  cosin. 
Et  fiert  Roenel  le  mastin 
Si  grant  cop  très  parmi  le  flanc. 
Que  trestot  l'a  covert  de  sanc. 

1285    Li  quars  i  vint  sans  atarger. 
Son  conpaignon  voudra  venger: 
Une  hache  hauce  d'air, 


1254  .III.  1258  groment  1259  fuia  s.  1262  reonel  1264  Roenel] 
Le  prem'  cropon  1273  Que  a  le  cop  a  gite  1275  c.  estendu  1276  Chai  a 
1278  reonol       1279  le  chez       1282   rienel       1283   blanc       1287    maclie 


XIII  (Méon  23266-23301)  79 

Roenel  en  quide  ferir 

Grant  cop  parmi  le  haterel. 
1290    Et  il  faut,  si  fiert  le  hardel 

De  la  hace  de  mein  esclenche 

Si  grant  cop  que  le  hardel  trenche. 

S'est  li  chens  a  terre  choûs. 

Fuiant  s'en  va  tus  esperdus, 
1295    Que  durement  fu  esbaïs. 

E  cil  ont  lor  conpaignon  pris 

Qui  fu  navrez  molt  durement, 

Si  l'en  portent  isnelement 

A  lor  ostel,  si  l'ont  choce. 
1300    De  tôt  le  mois  ne  fu  haitie. 
Roenel  einsi  escapa. 

Fuiant  par  les  vignes  s'en  va 

Molt  durement,  et  si  s'esmaie. 

E  Renart  jut  en  une  haie 
1305    Mucie  ou  il  ot  tôt  veii, 

Con  il  ont  Roenel  batu, 

Si  en  a  eue  grant  joie. 

Et  Roenel  s'en  va  sa  voie, 

Ainz  ne  fina,  foi  que  vos  doi, 
1310    Tant  qu'il  vint  a  la  cort  le  roi 

Trestot  issi  mal  atorne. 

Devant  le  roi  cbaï  pâme 

E  dit  'sire,  merci  por  deu, 

Ice  ne  tenes  mie  a  geu! 
1315    Je  me  plein  a  vos  d'un  laron 

Qui  m'a  fait  pendre  a  un  panchon 

Par  traïson,  par  fausete. 

Ou  quatre  vilein  m'ont  trove 

Qui  m'ont  batu  a  reposées: 
1320    Totes  les  reins  en  ai  enflées, 

A  pou  que  il  ne  m'ont  tue.' 

Li  lions  est  en  pies  levé, 

D'ire  e  de  mautalent  fromie, 

1288  reonel  1294  se  m  a  1291  manque  1298  porteront  il  nelement 
1302  se  ua  1305  il  lot  test  1307  eu  1310  que  il  1313  por  de 
1315  pleii       1318  mont  tue       1322  pie 


80  XIII  (MéoM  23302-23337) 

A  Roenel  rove  qu'il  die 

1325    Qui  ensi  Tôt  mal  atorne. 
'Sire,  l'en  l'apele  Chufe. 
Issi  me  dit  qu'il  a  a  non, 
S'a  vestu  un  noir  pelicon.' 
'Noir  diable'  dit  li  lions, 

1330     II  n'est  pas  de  nos  régions. 

Tantost  e  sans  plus  demorcr 
A  fet  li  lois  son  ban  crier 
Que  qui  porra  Coflet  tenir 
Que  il  le  face  a  cort  venir, 

1335        Ici  de  la  cort  vos  lairons 
Et  a  Renart  retornerons 
Qui  est  en  la  haie  muciez. 
Molt  fu  ses  cuer  joiant  e  liez 
D'Ysengrin  e  de  Roenel 

1340    A  qui  a  fait  batre  la  pel, 
Qui  estoient  ses  enemis. 
Si  se  rest  a  la  voie  mis 
Et  a  erre  la  matinée 
Tant  que  ce  vint  a  l'avespree 

1345    Qu'il  est  en  la  forest  entres 
Ou  auques  est  asoiires. 
Parmi  la  forest  cemina 
Grant  pas,  que  il  ne  s'aresta. 
Et  chevauce  grant  aleiire 

1350    Tant  que  il  vit  la  nuit  oscure. 
Il  se  dote  de  Roenel. 
Lors  s'asist  desoz  un  ormel 
Qui  grant  ombre  li  a  rendu. 
Devant  lui  est  Rossel  venu 

1355    L'escurel  au  pilicon  rox, 
Et  dit  'bone  nuit  aies  vos!' 
Et  Renart  le  regarde  a  l'oil. 
Et  dit  'Dex  te  gart,  escuiroil! 
Vien  toi  deles  moi  reposer! 


1324  roonel  1325  Que  1326  chupe  1338  cuerr  1339  yseng'. 
1340  le  p.  1341  Que  1346  asoure  1347  ce  mira  1350  il  manque,  uint 
1351  reonel     1352  desus     1353  rodu 


XIII  (Méon  23:538— 2.J377)  81 

13ti0    Noveles  te  voil  demander, 

Se  tu  les  ses,  si  les  me  di.' 

Li  escuireil  li  respondi 

'Si  m'aït  dex,  se  je  les  sei, 

Moût  volenters  les  vos  dire.' 
1365        Atant  s'est  deles  lui  asis, 

E  Renart  l'a  par  la  raein  pris. 

'Amis'  dit  Renart,  'di  moi  voir, 

Ses  tu  ci  entor  nul  manoir 

Ou  je  trovasse  que  manger? 
1370    Je  ne  manjai  très  avant  er: 

Je  sui  venus  d'estrange  terre. 

Si  ne  sai  ma  viande  ou  querro.' 

'Sire'  dit  Rosel  l'escuiroil, 

'Je  vos  enseignerai  mon  voil. 
1375    II  vos  est  molt  bien  avenu: 

Que  la  maison  a  un  rendu 

Sai  en  eeste  forest  ci  près 

Ou  il  a  de  capons  grant  fes: 

Je  cuit  plus  en  i  a  de  trente.  104 

1380    Je  sai  bien  par  ou  l'eu  i  entre. 

Je  vos  i  menrai  sans  mentir, 

Se  avoc  moi  voles  venir.' 

Renart  l'oï,  s'en  a  grant  joie, 

Un  de  ses  bras  au  col  li  ploie 
1385    Et  dit  'vos  estes  mes  acointes. 

Por  moi  vos  ferois  oncor  cointez. 

Que  moi  e  vos  amis  seron: 

Or  en  alon  a  la  meson.' 
Atant  s'estoit  mis  a  la  voie 
1390    Renart,  et  Rossel  le  convoie, 

Onques  n'i  sont  aresteii 

Tant  qu'a  la  maison  sont  venu 

Qui  bien  estoit  close  de  mur 

Dont  li  quarrel  estoient  dur. 
1395    En  la  paroi  un  trou  avoit. 


1363  mai  d.        1364  le  uos        1366  sa        1376    Queii        1378  des 
gran  ses     1379  c.  quo  p. 


82  XIII  (Méon  '23378-23409) 

Que  Rossel  molt  bien  i  savoit. 
Au  pertuis  sont  venu  errant, 
Rossel  i  entre  tôt  avant, 
Et  Renart  est  après  entre, 

1400    Mes  n'a  pas  le  trou  estope. 
Atant  en  vont  au  geliner. 
Renart  comence  a  orellier, 
S'il  oroit  rien  qui  li  desplese. 
Et  Rossel  a  overt  la  hese 

1405    Qui  fu  fermée  a  un  baston. 
Si  se  metent  onz  a  bandon. 
Onques  n'i  ot  noise  ne  cri, 
Renart  a  un  chapon  saisi, 
Et  Rossel  conmence  a  monter. 

1410    Une  geKne  oï  cover 

Qui  desoz  lui  avoit  douze  oes. 
Ceus  retint  Rossel  a  son  oes 
Trestos  que  nul  n'en  i  laissa. 
L'un  après  l'autre  les  huma, 

1415    Et  Renart  manja  son  capon. 

Atant  estes  vos  un  garçon 

Qui  relevé  fu  a  pissier, 

Si  a  oï  Renart  rongier. 

Quant  il  l'oï,  il  escota, 

1420    Tôt  meintenant  Puis  estopa: 
Puis  est  arere  repairies, 
Ses  conpaingnons  a  esvelliez. 
'Or  sus'  fait  il,  'seingnor  baron! 
Que  ne  sai  gorpil  ou  tesson 

1425    Est  avec  les  capons  enclos. 
Or  tost,  si  li  bâtons  les  os.' 
Adonc  sont  li  frère  levé, 
Au  gelinier  en  sont  aie 
Chascuns  un  baston  en  sa  mein, 

1430    L'uis  ont  overt  trostot  de  plein. 
Li  un  un  grant  tortis  tcnoit. 


1396  mot      i]  le       1403    que       1407  c'r       1408   a   manque       saai 
1416  Atant  ozes  nos     1419  Vmavquc     1422  osnielliez     1424  sa     1426  ous 


XIII  (Méon  23410—23445)  B3 

Il  entra  ens,  garde,  si  voit 

Renart  qui  fu  plus  noir  que  mure  : 

Et  Renart  tantost  H  cort  sore 
1435    Ausi  con  s'il  le  voussit  prendre. 

Et  li  frères  sans  plus  atendre 

Let  le  tortis  caoir  a  terre, 

Tôt  meintenant  le  guicet  sere, 

Puis  s'escria  'aïe!  aïe! 
1440    Douce  dame,  seinte  Marie, 

Aidies  et  si  me  secorez! 

Por  pou  n'ai  este  dévorez. 

Ce  n'est  pas  gorpil,  eins  diable, 

Seignors,  nel  tenes  mie  a  fable. 
1445    Tôt  meintenant  con  il  me  vit, 

Sus  me  corut  que  mot  ne  dit. 

Estrangle  m'oûst  sans  mentir, 

Mes  tantost  con  jel  vi  venir, 

Trestot  corant  sui  retorne, 
1450    Bien  ai  l'uis  après  moi  ferme. 

Onques  mais  hom  ne  vit  tel  beste. 

Or  tost,  si  esveillez  le  prestre!' 
Le  prestre  esveillerent  errant. 

Et  il  est  levés  meintenant. 
1455    N'i  remeist  clerc  ne  capelein 

Qui  n'ait  seintuaire  en  sa  mein  : 

Et  li  prestres  l'estole  prist, 

Meintenant  a  son  col  la  mist. 

Si  se  sont  a  la  voie  mis. 
14H0    Or  est  Renart  molt  entrepris. 

Chantant  s'en  vont  a  haute  vois, 

L'eve  beneïte  et  la  crois 

Ya  tôt  devant,  n'en  dotes  pas. 

A  l'uis  vienent  plus  que  le  pas: 
14(55    Si  entrent  ens  a  une  hie. 

Meintenant  est  tome  en  fuie 

Rossel,  si  a  Renart  laissie. 


1430  p.  (latendre    1443  pal  g.  ciiis  ost  dicblo     1450  a    1451  liome 
1452  esvuiellez     14(50  mot     14fi5  a  huno  hie 

6* 


84  XIII   (Méon  •2344(5-23481) 

Lors  est  le  prestre  avancie, 
Si  a  veû  trestot  debot 
1470    Renaît  qui  eu  un  angle  crot. 
Con  il  vit  le  prestre  venir, 
Il  ne  se  pot  mie  tenir 
Que  a  rencontre  ne  venist. 
Li  prestre  l'estole  saisist 
1475    Qui  ne  fu  esbaïs  ne  fol, 
Rcnart  enlace  par  le  col, 
Si  le  mist  hors  de  sa  maison. 
Autresi  con  s'il  fust  laron 
Le  vait  traînant  par  la  cort. 
1480    Meintenant  un  yilein  acort 

Qui  en  sa  mein  tint  une  mace. 
Ou  vit  Renart,  molt  le  manace  : 
Ferir  le  quide  sor  le  dos. 
Et  Renart  qui  dote  ses  os 
1485    Et  qui  se  sentoit  nialbailli, 
Si  est  de  l'autre  part  sailli 
Molt  très  durement  et  a  plein. 
Li  coux.  fiert  le  prestre  en  la  meiu 
Que  l'estole  li  fist  laissier, 
1490    Et  Renart  se  mist  au  frapier. 

Par  le  pertuis  s'en  va  corant. 
Dehors  trova  Rossel  plorant 
Qui  il-ec  dehors  l'atendoit. 
Dit  avoit  que  ne  se  movroit, 
1495    Si  revendroit  son  conpainnon 
Qui  leenz  estoit  en  prison. 
Einsi  meine  son  dol  Rosel, 
Et  Renart  saut  par  le  boel 
Par  la  ou  il  entres  i  fu. 
1500    Iloques  a  Rossel  veû 

Qui  demeneit  issi  fet  duel. 
Lors  li  dit  Renart  'Escuiruel, 
Por  qu'est  ce  que  plorer  te  voi?' 


1470  en]  seur     1475  Que     1482.  1487  mot     1484  les     1486  par  s. 
1489  lestoillti     1493  Quiloques     1499  i  manque 


XIII  (Mcon  2348'2-2H5l7)  85 

Lors  li  dit  l'escuireil  'por  toi, 
1505    Que  je  vi  caiens  atrape. 

A  pou  que  ne  vos  ont  tue, 

Que  bien  quidai  que  raorz  fussiez.' 

Dit  Renart  'ne  vos  esmaiez, 

Je  me  soi  d'au  s  bien  eschiver: 
1510    Mes  or  nos  alons  reposer,  105 

Qu'il  en  est  ore  bien  saisons.' 

Atant  s'en  vont  tôt  les  trotons, 

Onques  n'i  ot  rien  délaie, 

Soz  un  chaîne  se  sont  coche. 
1515    Bien  orent  este  conree. 

La  se  sont  andoi  repose 

Et  si  dormirent,  jel  vos  di, 

Tant  que  li  baus  jors  esclarci 

Et  par  la  contrée  luist  cler. 
1520    Lors  se  lèvent  li  bacheler. 

Tost  furent  vestu  et  chance. 

Rossel  a  Renart  areinnie. 

Si  li  a  dit  'bau  conpaignon, 

Encor  ne  sai  pas  vostre  non: 
1525    Vos  le  me  dires,  se  voles.' 

Dist  Renart  'Cuflet  sui  clamez, 

Et  tu  es  mes  cosins  germeins, 

Mes  ore  alon  laver  nos  meins 

A  celé  eve  laïs  aval.' 
1580    Chascuns  monte  sor  son  cheval 

Que  il  ont  innel  et  corant. 

A  l'eve  vindrent  meintenant, 

Lor  meins  lavèrent  et  lor  vis. 

Rossel'  dit  Renart,  'baus  amis, 
1535    II  est  huimes  très  bien  seisons 

D'aler  querre  noz  garisons 

Et  ce  dont  nos  devon  disner.' 

Lors  montèrent  li  bacheler 

Et  chevauchent  sanz  demoree 


lôUei  essmaiez     1511  en  manque       raisons     1514  Sor      1518  iors 
aclarci     1519  contre     1531  Quil     1535  hui  manque     1537  dont]  que 


86  XIII  (Méon  23518-23553) 

1540    Tant  que  près  fii  de  l'avespree. 
Tôt  le  jor  ne  finent  d'aler. 
Onques  ne  porent  rien  trover. 
En  la  forest  entrent  atant, 
Partot  vont  vitaille  querant, 

1545    Mes  rien  ne  troverent,  ce  qiiit, 

Ainz  chevauchent  dusqu'a  la  nuit: 
Mes  ne  troverent  qui  lor  vaille. 
Dant  Renart  durement  baaille 
Qui  bien  quide  de  fein  morir. 

1550    Tôt  sans  manger  se  vont  gésir. 
Renart  et  Rossel  sont  coche. 
Mes  il  sont  durement  irie 
Que  si  les  detreinnoit  la  feins, 
Por  pou  ne  mangèrent  lor  meins. 

1555    Renart  a  porpenser  s'est  pris, 
E  dit  que  il  est  fox  naïs. 
Se  einsi  se  let  aliver: 
Meus  li  vient  Rossel  estrangler 
Que  il  de  fein  morir  se  let. 

1560    Tôt  meintenant  vers  lui  se  tret. 
Si  l'a  si  sache  par  la  coue, 
A  pou  del  cul  ne  li  dénoue. 
Dist  l'escuireil  'vos  me  blechez. 
Bau  conpaignon,  mar  i  sachez, 

1565    Voles  vos  ma  queue  csracher?"' 
Dist  Renart  'ains  vos  voil  mangier 
Que  je  ne  puis  plus  endurer: 
En  ceste  nuit  t'estuet  finer, 
Tu  ne  pues  aler  en  avant.' 

1570    Dit  Rossel  'a  deu  me  conmant.' 
Renart  tint  la  ceue  Rosel 
As  denz,  ne  l'en  est  mie  bel. 
De  si  grant  redor  l'a  sachee 
Que  tote  li  a  escorciee. 

1575    Escapes  s'en  est  a  grant  peine, 


1540  la  uespree     1544  querrant     1547  que     1548  baille     1553 
1559  mori     1565  que  e.     1569  ne  pot  a.     1570  .R'.     1571  ceue 


XIII  (Méon  23554  -23589)  87 

Fuiant  s'en  va  a  grant  aleine, 

Et  dit  qu'il  s'en  ira  charaer 

Au  roi  Noble  sans  demorer. 

Ainz  ne  fina  d'esporoner 
1580    Tant  qu'il  aperçut  le  jor  cler. 

Droit  a  la  cort  s'en  est  venu. 

Sitost  con  a  le  roi  veii, 

Si  se  lesse  a  ses  pies  caïr. 

Sire'  fait  il,   fai  moi  oïr, 
1585    Por  deu  entent  moi  a  parler.' 

Quant  li  rois  voit  Rossel  plorer, 

Molt  li  anuie,  ce  saches  : 

Meintenant  est  levés  en  pies 

Et  dit  'Rossel,  dire  poez, 
1590    Que  vos  serois  bien  escotez.' 

'Sire'  fait  il,   a  vos  me  cleira 

De  Coflet  mon  cosin  germein: 

Mes  cosins  dit  que  il  estoit, 

Mes  ersoir  manger  me  voloit. 
1595    Einsi  a  ma  coe  atornee 

Que  James  ne  sera  sanee, 

Dont  j'ai  le  cuer  dolant  et  noir. 

Vestu  a  un  pelicon  noir, 

Mes  il  est  félon  e  puant.' 
1600    Atant  saut  Roenel  avant. 

Si  a  dit  au  roi   n'est  pas  jent 

Qu'  il  a  damage  si  ta  jent: 

Moi  e  Rosel  a  ja  tenu.' 

Atant  est  Ysengrin  venu, 
1605    Que  quida  que  celui  i  fust, 

Si  aporta  un  pie  de  fust. 

Con  il  ot  entendu  Rossel 

Et  le  mastin  dant  Roonel 

Qui  se  sont  clame  de  celi, 
1610    Tantost  devant  le  roi  sailli 

Et  a  ses  pies  s'agenoilla. 

1577  que  il  1578  rois  1580  que  il  1583  caoir  1586  ot 
1587  anui  1592  coflet  et  m.  1595  c.  tornee  1600  reonel  1603  a 
retenu     1604  es     160:3  celui 


88  XIII  iMéon  28590-23621)) 

Li  rois  Ysengrin  regarda 

Et  vit  qu'il  ot  le  pie  perdu, 

Durement  en  fu  espcrdu. 
I(il5    Tôt  meintenant  l'a  arainie 

Ysengrin,  ou  est  vostre  pie? 

Dites  par  qui  l'aves  perdu! 

As  furches  en  sera  pendu.' 
'Sire'  dit  Ysengrin,  'merci! 
1620    Vos  vees  con  sui  maubailli: 

Ensi  m'a  Coflet  atorne. 

James  a  cort  n'ere  onore. 

Ce  n'est  pas  cose  covenable 

Que  laissies  vivre  cou  diable, 
1625    II  doiist  bien  estre  afînes.' 

Lors  s'est  li  rois  en  pies  levés 

Par  fin  mautalant  et  par  ire, 

Si  conmenca  un  pou  a  rire. 

Puis  a  regarde  entor  li, 
1630    Si  a  Tibert  le  chat  coisi. 

'Tibert'  fait  il,  'avant  venes, 

Geste  besoigne  fornires. 

Aler  vos  covient  Coflet  querre. 

Ja  n'iert  en  si  estrange  terre 
1635    Que  nel  vos  covienge  amener: 

Ou  mar  vos  verrai  retorner, 

Se  vos  en  retornes  sanz  li.' 

Meintenant  Tibert  respondi 

'Sire,  mon  pooir  en  ferai. 
1640    Sel  puis  trover,  je  l'amenrai. 

S'il  velt  por  moi  venir  a  cort.' 

Tantost  conmande  qu'en  atort  106 

Son  palefroi  sans  demorer, 

Que  il  ne  vont  plus  arester. 
1645    Fait  fu  con  il  l'ot  conmande. 

Li  singes  li  a  amené 

Qui  de  lui  servir  n'ot  pas  honte. 

1612  Le  roi  1624  dieblo  1628  rie  1629  lui  1637  san  lui  Le 
V.  1639  est  ajouté  au  bas  de  la  inanje  1640.  1641  inanquciit  1646  ame 
1647  Que 


XIII  (Méon  23627-23662)  89, 

Et  dant  Tibert  meintenant  monte, 

Puis  a  pris  congie,  si  s'en  part. 
1650    Mes  or  li  pri  que  il  se  gart, 

Que  se  Renart  le  pu  et  tenir, 

Il  ne  s'en  saura  revenir. 
Tibert  s'en  vait  a  esperon, 

Molt  ot  en  lui  noble  baron. 
1655    Parmi  la  fovest  s'achemine. 

Trestote  jor  d'errer  ne  fine 

Tant  qu'il  est  venuz  a  l'oissue. 

Une  praerie  a  veûe 

Qui  molt  estoit  et  grant  et  bêle: 
1660    Enmi  out  une  fontenele 

Qui  molt  estoit  et  clere  et  seine. 

Si  corne  aventure  le  mené 

Est  Tibert  venu  celé  part. 

A  la  fontaine  vit  Renart 
1665    Qui  estoit  plus  noir  que  maufez. 

Or  quide  bien  estre  asenez, 

Bien  set  que  ce  est  que  il  quert. 

Le  cheval  des  espérons  fiert 

Tant  que  il  est  a  lui  venu. 
1670    Si  dist  'sire,  je  vos  salu 

De  la  part  mon  seignor  le  roi 

Qui  vos  mande  que  avec  moi 

Vegnez  a  cort  sanz  nul  regart, 

Entor  vostre  col  une  hart.' 
1675     Baux  sire'  dist  Renart,  'por  quoi? 

Se  le  saves,  dites  le  moi'. 

E  dit  Tibert  'bien  le  saurois, 

Quant  a  la  cort  venus  serois. 

Que  bien  vos  di  par  seint  Mande, 
1680    Je  n'en  sai  pas  la  vérité: 

Mes*  ce  que  encarche  me  fu 

Vos  ai  ci  iloc  coneù. 

Or  me  dites  ce  que  voudrois. 

Se  me  crées,  a  cort  vendrois.' 

1648  mente    1651  pot    1654.  1659  Mot     1659  grant]  chère    1661  mot 
chère     1678  Con  a     1679  die     1680  nés.     1681  encherce     1682  ai  ci]  ici 


90  XIII  (Méon  23668- 


1685    Dist  Renart  'volenters  ire. 
Mais  eins  serai  desjeiine  : 
Encor  hui  ne  mangai  ne  bui. 
Se  il  ne  vos  tome  a  ennui, 
Je  vos  voudroie  ore  proier, 

1690    Avoc  moi  venissies  manger 

En  ma  meson  qu'est  près  de  ci.' 
Tibert  respont  'vostre  merci. 
Alons  en  donques  sans  targer, 
Que  je  n'ai  soing  de  delaier.' 

1695    Renart  monte  sor  son  cheval: 
Che vacant  va  le  fons  d'un  val 
Entre  lui  e  Tibert  le  chat. 
Bien  le  decoit  par  son  barat. 
Tant  ont  le  droit  cemin  tenu 

1700    Que  en  la  forest  sont  venu 
Par  devant  Puis  au  forester, 
Ja  esteit  près  de  l'anuiter. 
Un  pertuis  dedens  l'uis  avoit 
Qui  por  Renart  fait  i  estoit, 

1705    Par  ou  aloit  au  geliner: 
Mes  meïsmes  le  forester 
I  ot  tendu  un  laz  de  corde. 
Or  gart  Tibert  que  il  n'i  morde; 
S'il  i  va,  ce  n'est  pas  savoir. 

1710    Et  mon  seignor  Renart  le  noir 
Descent  de  son  cheval  premier. 
Et  sesist  Tibert  a  l'estrier. 
Si  dist   baus  sire,  descendes, 
Et  dedens  ma  meson  entres, 

1715    Et  j'atacerai  nos  chevaus 
Ci  iloc  a  ces  arbrissaus. 
Et  le  matin  sans  nul  deloi 
En  irons  a  la  cort  le  roi.' 
Tibert  nul  mal  n'i  entendi. 

1720    Meintenant  a  pie  descendi 


1686  desiuene     1688  tor  a     1689  or      1691  ques  p.      1700  Quen 
furent     1704  Que     1708  gar     11  12  Et  matujue     1716  arbrcaus     1717  dlai 


Xiri  (Méoi.  23699-23734) 

Et  le  cheval  li  a  lessie, 
Si  s'est  enmi  Puis  esleisse. 
Tôt  meintenant  dedens  se  niist: 
Li  las  par  le  col  le  saisist. 

1725    Et  Renaît  qui  bien  le  vit  pendre, 
S'en  foï,  que  ne  volt  atendre: 
Malement  l'a  fait  herbergier. 
Lors  est  sailli  le  forestier 
Qui  a  oï  grocier  Tibert. 

1780    II  fu  sages  et  bien  apert 

Qu'en  lui  n'ot  point  de  mesprison, 
Et  dit   nos  avon  un  prison.' 
Vers  lui  s'est  venus  meintenant, 
Si  a  trove  Tibert  pendant. 

1735    Meintenant  a  un  baston  pris. 
Et  Tibert  qui  fu  entrepris, 
A.  molt  grant  poor  de  sa  pel. 
Et  il  li  aune  son  borel, 
Sovent  va  le  baston  haucant, 

1740    Et  Tibert  va  le  laz  rongant 
Qui  entor  le  col  li  tenoit. 
Au  vilein  dit  qui  le  feroit, 
'Vos  ne  faites  pas  bien,  ce  croi. 
Que  je  sui  mesager  le  roi: 

1745    En  son  message  m'envoia. 
Mes  celui  qui  ca  m'avoia. 
Me  dit  que  c'estoit  sa  maison. 
Vos  ne  faites  mie  raison, 
Si  me  laissies  ester  atant.' 

1750    Et  li  vileins  saut  meintenant, 
S'a  amont  le  baston  hauce. 
Tibert  qui  ot  son  las  rongie, 
N'a  mie  le  coup  atendu, 
Ainz  s'en  fuit  a  col  estendu. 

1755    Parmi  le  pertuis  s'est  ficies, 
Fuiant  s'en  va  tos  eslessiez, 


91 


1724  saisi       1726  ne  pot       1730  bn   t  apert        1743  pas   manque 
1746  menuoia     1748  rason     1751  anion 


92  XIII  (Méon  2373.')  -23770) 

Mes  il  estoit  mal  atomes, 

Li  sans  li  saut  parmi  le  nés 

Et  par  la  boce  de  randon. 
1760    Fuiant  s'en  va  tôt  le  troton, 

Jusqu'à  la  forest  n'aresta, 

Soz  un  arbre  Renart  trova. 

Renart  qui  l'a  aperceii, 

Li  dist    bien  soies  vos  venu! 
1765    Venes  vos  les  moi  reposer, 

Puis  en  iron  sans  demorer 

Entre  moi  et  vos  a  la  cort.' 

Mes  Tibert  fîst  senblant  de  sort 

Qui  de  son  solas  n'avoit  cure. 
1770    Fuiant  s'en  va  grant  aleûre 

Tant  qu'il  vint  la  ou  le  roi  set. 

Tôt  meintenant  as  pies  li  cet 

E  dit  'Sire,  or  sui  retorne. 

Mes  n'ai  pas  Coflet  amené:  107 

1775    Ce  m'a  fait  que  poes  veïr.' 

Li  rois  croie  le  chef  d'aïr, 

Quant  vit  Tibert  qui  fu  sanglanz. 

De  mautalant  estreint  lez  denz. 

'Tibert'  fait  il,   tu  es  bleches. 
1780    Pendus  iert,  n'en  iert  respities 

Cil  qui  t'a  si  mal  atorne.' 

Atant  a  li  rois  apele 

Le  moton  mon  segnor  Belin 

Qui  a  Renart  n'est  pas  cosin. 
1785        'Sire  Belin,  avant  venez, 

Et  tost  querre  Coflet  alez 

Et  si  li  dites,  a  cort  vienne, 

Que  nus  essoignes  ne  le  teine.' 

Dit  le  moton  's'il  vos  plaisoit, 
1790    Bauz  sire,  uns  autres  i  iroit.' 

Dist  li  rois  'n'ira  se  vos  non.' 

Atant  s'en  torne  le  moton. 


1771   quo  il       1774   c.  encontre       1775  ueoir       1780  iert 
1791  nira  nus  se 


XIII  (Méon  23771-23806) 

Del  aler  bien  s'aparella. 

Quant  monte  fu,  si  s'en  torna. 
1795    Con  il  out  pris  du  roi  congie, 

Yers  la  forest  s'est  eslesse 

Et  s'en  vait  a  molt  grant  aleine. 

Mes  s'or  ne  set  garder  sa  leine, 

Saches  qu'il  s'en  repentira. 
1800    Parmi  la  forest  cemina 

Molt  bon  oire  sans  arester. 

Renart  vit  soz  un  horme  ester. 
Sitost  con  Belin  l'a  veii, 

'Coflet'  fait  il,   mal  avenu 
1805    Vos  est,  ce  saches  sans  mentir. 

A  la  cort  vos  covient  venir 

Orendroites  avoques  moi, 

Et  si  ne  dites  ja  "porquoi", 

Mes  venes  en  delivrement.' 
1810    Renart  a  porpen^er  se  prent, 

Conment  porra  Belin  servir. 

'Sire'  fait  il,  'vostre  phiisii' 

Ferai  certes  molt  volenters. 

Mes  s'il  vos  plaist,  baus  ainis  chers, 
1815    Un  petit  avant  mangeroie  : 

Il  a  jusqu'à  la  cort  grant  voie. 

Et  se  vos  moi  en  croïez, 

Un  petitet  mangeriez. 

Une  aveine  ai  ici  delez 
18J0    Dont  vos  aurois,  se  vos  voles. 

Tant  con  voudiois  con  je  devin. 

Aveine?  sire'  dit  Belin, 

'Par  seint  Tomas  le  bon  martir, 

J'en  voudroie  mon  ventre  enplir  : 
1825    S'il  vos  plest,  enseigniez  la  moi.' 

'Sire'  dit  Renart,  'par  ma  foi, 

Molt  volenters  vos  i  menre.' 

Atant  se  sont  achemine 


93 


1795  prs     1801.  1813  Mot     1807  orendrotes  iiuoc     1818  mart^oroinz 
ISH)  ai  ci     1823  8.  ce  «1.     1825  Si  uos  p.  ensionniea  lo  m.     1827  menreie 


94  XIII  (Méon  2;5807-2B84->) 

Et  chevauchèrent  le  troton 

1830    Entre  Renart  et  le  moton. 
Jusqu'à  l'aveine  sont  venu 
Ou  li  vilein  mucie  se  fu 
Qui  ot  avec  lui  un  mastin. 
Sitost  con  a  veii  Belin 

1835    En  l'aveine,  son  chen  li  huie, 
E  Renart  est  tome  en  fuie 
Et  laisse  Belin  en  la  frape. 
Li  chen  li  decire  sa  cape, 
As  denz  le  prent,  que  pas  ne  faut: 

1840    Li  flocel  en  volent  en  haut. 
De  sa  leine  bien  l'a  plume, 
M  oit  par  a  Belin  malmené. 
Et  li  vilein  li  escria, 
'Certes  mar  nos  escapeia. 

1845    Tien  le  bien,  gar  que  ne  t'estorde! 
Se  gel  puis  tenir  en  ma  corde. 
Je  l'enmenre  en  ma  meson, 
Si  li  ostere  sa  toison.' 
Belin  a  le  vilein  oï. 

1850    'Ha  las'  fait  il,  je  sui  huni. 

Chuflet'  fait  il,  'ce  m'as  tu  fet. 
Yers  le  roi  te  ferei  tel  plet. 
Se  dex  me  lesse  retorner.' 
Et  li  chens  le  prist  a  peler, 

1855    Tote  la  leine  li  esrace. 

En  son  dos  remeint  meinte  place, 
Le  poil  en  errache  et  le  cuir. 
'Ha  las'  fait  Belin,  'je  me  muir: 
Moût  par  sui  or  mal  atornez. 

1860    Sire  dex,  car  me  secores, 

Car  ore  en  ai  je  grant  mester.' 
Et  li  vileins  prent  a  hucier, 
'Tien  le,  di  va!  tien  le,  di  va!' 
Atant  le  chen  se  regarda. 


\bà2  Au  lu      se  manque     1835  huo     1841  la     1812  Mot    mal  ino 
1844  vos     1845  garde     1859  oie 


XIII  (Méon  23843-t?3878)  95 

1865    Qu'il  quida  que  celui  venist. 

Et  Bclin  a  fuir  se  prist, 

Quant  il  se  senti  délivre. 

Fuiant  s'en  va  parmi  un  pre. 

Onques  tant  ne  quant  n'aresta 
1870    Tant  qu'a  la  cort  le  roi  trova. 

Si  li  estoit  as  pies  cous 

E  dist  'Sire,  mal  sui  venus. 

Por  amor  de,  or  esgardes. 

Cornent  je  sui  entrepeles. 
1875    Tôt  ensi  m'a  Coflet  servi.' 

Et  dit  li  rois  'bien  sui  boni. 

Si  ne  sei  que  je  puisse  fere 

De  ce  traïtor  deputere 

Qui  se  fet  apeler  Coflet 
1880    Et  einsi  ma  jent  me  maumet 

Et  si  les  a  torne  a  mal.' 

Lors  vit  parmi  la  sale  aval 

Venir  dant  Bernart  l'archeprestre, 

Et  tint  Brun  l'ors  par  la  mein  destre, 
1885    Et  avocques  fu  sans  fauser 

Misire  Baucens  le  sengler. 

Tuit  troi  sont  ensemble  venu. 

Et  quant  li  roi  les  a  veii, 

Si  lor  a  dit  'venes  avant, 
1890    Seignors,  que  bien  soies  venant. 

De  vos  avoie  je  mester, 

Que  je  vos  voudrai  envoler 

Entre  vos  trois  querre  celi 

Qui  si  a  Belin  maubailli. 
1895    Aies  et  si  le  m'amènes. 

Gardes  sans  lui  ne  revenes, 

Mes  amenés  moi  le  laron  !' 

'Sire'  ce  dient  li  baron, 

Nos  feron  ce  que  vos  plera: 
1900    Honis  soit  qui  ja  s'en  feindra.  108 


ISm  fuur  1868  se  ua  1876  honis  1878  traître  1882  uint 
1885  fauxser  18S6  baueos  1888  uens  1893  celui  1897  aines  1898  ce 
ci  ont  li 


96  XIII  (Méon  '23879 --23914.) 

Plus  ne  nos  verrois  deniorer, 
Nos  en  iron  sans  arester.' 
Bau  seignor,  a  deu  vos  conmanc/ 
Et  cil  montèrent  meintenant 

1905    Et  s'acheminent  sanz  noisier, 
Tuit  troi  prennent  a  chevacer 
Trestot  coste  a  coste  et  a  destre. 
'Seignor'  dist  Bernart  l'arclieprostre, 
'Sajement  nos  covient  ovrer 

1910    Que  il  ne  nos  puisse  eschaper. 
Li  un  de  nos  s'en  voist  devant 
Trestot  bêlement  chevaucant: 
S'il  ne  voit  c'un  de  nos  ensanhle, 
N'aura  pas  poor,  ce  me  semble.' 

1915     Par  foi'  font  il,  'vos  dites  voir. 
Mes  or  voudrion  nos  savoir 
Liquiex  sera  ce  qui  ira.' 
'Seignors,  lequex  que  vos  plaira. 
Ge  irai,  se  vos  conmandes. 

19-20     Sire'  font  il,  'bien  dit  aves. 
Et  damledeu  a  son  plaisir 
Yos  en  laist  a  bon  chef  venir, 
Qui  le  vos  doinst  par  tans  trover, 
Que  au  roi  le  puissonz  mener.' 

1925        Atant  Tarcheprestre  s'en  part 
E  chevauche  tôt  un  esart. 
Auques  loing  de  ses  conpaignonz 
S'en  vait  Bernart  tos  les  trotonz 
Bien  entor  une  arbalestee. 

1930    Si  est  entre  en  une  pree 

Et  va  chevaucant  sanz  arest 
Tant  qu'il  fu  outre  une  for  est 
Qui  moût  estoit  grant  et  foillue. 
Desuz  une  coudre  menue 

1935    A  trove  dant  Coflet  gisant. 
Con  il  l'ot,  si  saut  en  estant, 


1902  demorer       1907   o.  a  c.  ;i  d.       1909   c  a  o.       1910  Qui    il 
1913  quo  un     1917  qui  i  ira     19'20  Soi','nor  fait  il     1928  les  iniiuque 


XIII  (Méon  23915-23950)  97 

Si  li  dit  'sire,  bien  yiengniez!' 

Et  Bernart  qui  fu  avanchez, 

Li  dit  je  ne  vos  salus  pas, 
1940    Au  roi  vendrois  plus  que  le  pas. 

Saches,  il  ne  vos  aime  mie. 

Que  sa  gent  avez  maubillie. 

Et  mal  atomes,  che  saciez. 

De  ses  barons  serois  jugiez: 
1945    Quant  la  cort  jugie  vos  aura, 

Li  rois  tel  justice  en  fera 

Con  li  baron  esgarderont.' 

Meinteuant  Renart  li  respont 

'Sire,  par  seinte  Charité, 
1950    Vos  n'estes  pas  bien  asene. 

E  bien  sachez,  se  dex  m'ait. 

Que  onques  li  rois  ne  me  vit 

Ne  moi  ne  demande  il  pas.' 

'Par  foi'  fait  dant  Bernart,  'c'est  gas. 
1955    II  ne  demande  se  vos  non.' 

Atant  vienent  li  conpaignon, 

Mesire  Brun  l'ors  et  Baucent 

Qui  chevaucent  isnelement. 

Puis  descendent  andui  a  pie, 
i960    Si  ont  Choflet  pris  e  lie 

Desoz  le  ventre  du  cheval. 

Si  chevacent  le  fons  d'un  val. 

Onques  n'i  sont  aresteû. 

Si  en  sont  a  la  cort  venu. 
1965    Tuit  troi  descendent  au  degré, 

Si  ont  lor  prison  détresse 

Et  puis  sont  monte  el  palais. 

Li  rois  se  seoit  tôt  en  pais 

Et  ot  avec  lui  meint  baron. 
1970    Atant  voit  venir  le  laron. 

Quant  Ysengrin  le  vit  venant, 

Meintenant  sailli  eu  estant 


1940  pa     1941  S.  que  il     1945  cor  1947  comanderont     19.V2  ni 

me       1959  descent       1961  le  le  u.       1962  cheuacerent       1967   Si  sont 
1969  boroii     1970  baron 

liENAKT  II.  7 


98  XIII  (Méoii  23951—23987} 

E  dit  'Sire,  vees  celui 

Qui  si  m'a  del  pie  maubailli, 

1975    Bien  saches  que  je  ne  ment  pas.' 
Et  cil  vienent  plus  que  le  pas, 
Si  tenent  Renart  trestuit  troi, 
'Sire,  sire'  font  il  au  roi, 
Vez  Coflet  que  vos  amenom. 

1980    Ce  que  vos  plaira  en  feron,' 
E  li  rois  respont  tôt  errant 
'Seignor,  bien  soies  vos  vennant 
Tuit  troi,  mais  ne  le  salu  mie.' 
Et  Coflet  meintenant  s'escrie 

1985    'Bons  rois,  cis  sires  qui  ne  ment 
Il  gart  vostre  cors  de  torment, 
Plus  bel  ne  vos  puis  saluer. 
Vos  m'aves  fait  a  cort  mander: 
Or,  si  vos  plaist,  si  me  dirois 

1990    Tôt  ce  que  vos  conmanderois.' 
Li  rois  dit  'mal  soiez  venus  ! 
Je  conmanc  que  soies  pendus. 
Mes  avant  te  dirai  por  quoi. 
Ysengrin  si  se  pleint  de  toi 

1995    E  le  mastin  dant  Roenel, 
Et  l'escuirel  sire  Rossel, 
Tybert  le  chat  et  le  moton 
Qui  a  pelée  la  toison. 
Se  de  ce  ne  te  pos  deffendre, 

2000    Je  te  ferai  ardoir  ou  pendre.' 
'Sire'  dit  Renart,  'entendez! 
Se  il  vos  plaist,  si  escotez. 
Par  tes  les  seins  qu'en  prie  a  Liège, 
Se  Ysengrin  caï  el  piège 

2005    Et  il  i  a  le  pie  perdu, 

Doi  ge  por  ce  estre  pendu? 

Dex  m'en  défende  e  seint  Martin! 

Et  se  Roenel  le  mastin 

A  del  penchon  le  lart  mangie. 


1980  en]  nos      1983  nel  s.      2000  a.  en  cendre      2003  pri      lege 
2009  magie 


XIII  (Méon  23988-24023)  99 

2010    Je  n'i  ai  gaires  gaïnie 

Ne  perdre  n'i  redoi  ge  mie. 

Foi  que  je  doi  seinte  Marie 

N'i  ai  gaïnnie  ne  perdu. 

Se  li  vilein  l'i  ont  batu, 
2015    Ai  ge  forfait  que  l'en  me  pende? 

Nenil,  sire,  deu  m'en  défende! 

Et  se  Tibert  que  la  veom 

Fu  entre  en  autrui  maison 

Tos  sous  sans  demander  ostel, 
2020    Et  l'en  li  a  batu  la  pel, 

En  ice  que  ai  ge  mesfet? 

Quant  li  fez  par  moi  ne  fu  fet, 

Je  n'en  doi  avoir  se  bien  non.  109 

E  se  dan  Belin  le  moton 
2025    A  au  vilein  mangie  s'aveine 

Et  il  li  a  oste  la  leine, 

Bau  dous  sire,  qu'en  puis  je  mes? 

S'il  vos  plaist,  si  nos  tenes  pes. 

De  Rossel  l'escuiroil  vos  di, 
2030    Onques  a  nul  jor  ne  le  vi, 

Onques  par  toz  les  seinz  de  Rome 

Rien  ne  forfis  onc  a  nul  home, 

Et  s'il  en  vont  son  escu  prendre 

Je  sui  tos  prest  de  moi  defïendre 
20!5    Contre  lequeil  que  voudrez  d'euz.' 

Chuflet'  fait  li  rois,  'par  mes  euz. 

Ce  que  vos  dites  ne  vaut  rien.' 

Atant  saut  Roenel  le  chen. 

Si  a  dit  au  roi  conme  prouz 
2010    'Vees  ci  mon  gage  por  toz, 

Por  Tybert  et  por  Ysengrin 

E  por  Rossel  et  por  Belin 

Et  por  moi  oncor  tôt  avant.' 

Lors  se  vet  Renart  defripant, 
2045    Quant  vit  celui  sou  gaige  tendre. 


2010  Nonil  2020  patu  2023  ne  d.  auor  2031  manque 
2UoJ  uoudioz  douz  2040  Ves  2041  et  mcoique  2042  roenel  2044  vet 
manque      defripons     2045  vi 


100  XIII  (Méon  24024—24059) 

Bien  sout  qu'il  le  covint  défendre: 
Durement  en  est  esbaïs. 
Et  li  rois  a  les  gages  pris, 
Puis  a  ostages  demandez. 

2050    Meintenant  est  en  pies  levés 
Sire  Frobert  le  gressillon 
Et  dant  Tardis  le  limaçon. 
Au  roi  dient  'ostages  somes 
Por  Roenel  contre  toz  omes.' 

2055    Dist  li  rois  'bien  estes  créant.' 
Lors  est  Coflet  venus  avant 
E  dit  au  roi  'veis  ci  mon  gage. 
Onques  nul  hom  en  mon  aage 
Ne  meffis  ne  ne  meffere, 

20ti0    Mes  cestui  recréant  rendrai.' 

Li  rois  dist  'dones  est  li  gages. 
Or  n'i  faut  mes  que  les  ostages, 
Vos  les  donrois,  foi  que  vos  doi.' 
Et  Renart  regarde  entor  soi 

2065    Trestot  contreval  la  meson. 
S'a  choisi  Grinbert  le  tesson. 
'Grinbert'  fait  il,   avant  venes. 
Et  por  moi  ostages  seres: 
Et  vos  avec,  dan  Brichemer! 

2070    Vos  me  solies  tant  amer 
Entre  vos  et  sire  Grinbert. 
Or  verrai  qui  ami  m'i  ert. 
Or  en  est  venus  li  besoing.' 
Et  Grinbert  dit,  qu'il  n'en  a  soing, 

2075    Que  cil  que  il  ostegera. 

Moût  meuz  de  lui  le  conoistra. 
Et  Renart  est  vers  lui  alez, 
Si  li  dit  'sire,  a  moi  parles! 
Bien  sai  se  me  conissies 

2080    Que  meintenant  m'ostagissiez.' 
'Amis'  dit  il,   qui  estes  vos?' 


2048  prist  2049  a  les  o.  2051  robert  2057  gege  2058  âge 
2060  recrant  2061  guibert  (de  même  2067.  2071.  2074.  2086)  2072  Ore 
uenrai     2080  mo  ostagissiez 


XIII  (Méon  24060-24095)  101 

"Sire,  je  sui  Renaît  le  ros. 

Si  vos  di  bien  de  vérité 

Que  Roenel  sera  mate, 
2085    Car  il  a  tort  et  je  ai  droit.' 

Et  quant  dant  Grinbert  l'aperçoit, 

A  son  dit  l'a  reconeii: 

Devant  le  roi  en  est  venu. 

Ostage  por  Renart  livra, 
2090    Et  dant  Brichemer  i  entra. 
Quant  li  gage  furent  done. 

Si  sont  a  lor  ostex  aie: 

Répit  ont  pris  de  la  bataille 

Jusqu'à  huit  jors  sanz  nule  faille, 
2095    Et  tandis  se  sont  porchache, 

S'ont  lor  barnois  aparellie. 

Et  sire  Roenel  porquiert 

Tel  escu  cum  a  lui  afiert, 

Bone  cuiree  et  bon  baston 
2100    Qui  bien  fu  frète  environ. 

Et  Renart  s'est  bien  entremis, 

Et  bien  a  son  barnois  porquis 

E  porchacie  son  este  voir. 

Un  escu  tôt  roon  et  noir 
2105    A  aparellie,  jel  vos  di, 

Et  un  baston  noir  autresi. 

Le  baston  estoit  de  pomer, 

Et  bien  l'ot  fait  estroit  lier. 

Il  fu  molt  bien  aparellie. 
2110    A  la  cort  vint  joiant  e  lie 

Renart  le  jor  de  la  bataille. 

Et  Roenel  i  fu  sans  faille 

Tôt  aparellie  por  conbatre 

E  por  l'orgoil  Renart  abatre. 
2115    Devant  le  roi  fu  en  estant. 

'Sire,  ma  bataille  demant' 

Ce  a  dit  Roenel  au  roi. 


2085  ai  le  d.  2086  lapercot  2087  dit  a  Les  vv.  2093.  2094  sont 
intervertis  dans  le  nisc,  tuais  les  lettres  b  a,  qui  précèdent  les  deux  versi 
corrigent  l'erreur  2098  lui  fiert  2102"„qs'i«.  2108  estorlier  2\\1  &  manque 


102  XIII  (Méon  24096—24132) 

Et  il  H  respont  je  l'otroi. 

Et  saches,  se  m'en  creïes, 
2120    Entre  vos  deus  pais  feries: 

Et  saches  qui  sera  veincus, 

Tôt  meintenant  sera  penduz, 

Que  ja  raencon  n'en  aura.' 

Dist  Roenel  ja  n'avendra 
2125    Que  si  s'en  voist  li  leres  quites. 

Ancois  li  rendrai  ses  mérites 

Et  de  la  honte  et  de  l'ennui 

Que  nos  a  fait  ici  enqui.' 

Lors  dist  Renart  'par  seint  Denis, 
2130    N'en  prendroie  de  paresis 

Un  somier  chargie,  nun  pas  deus, 

Que  n'en  soion  andui  as  jeus, 

Et  je  et  vos  sans  arester. 

Trop  poent  li  seint  demorer: 
2135    Si  m'en  poise,  par  seint  martir. 

Sire  rois,  faites  lez  venir!' 
Li  rois  fait  les  seinz  aporter. 

Quant  en  aus  ne  pot  pes  trover. 

Ses  aporta  Tibert  li  chat. 
2140    Ce  fu  le  chef  Pelé  le  rat 

Sor  quoi  le  serement  fera. 

Roenel  s'i  ajenoilla, 

Si  a  dit,  que  l'oïrent  meint, 

'Issi  m'aït  dex  et  cist  seint, 
2145    Que  Coflet  a  ice  mesfet 

Dont  il  doit  avoir  honte  e  let, 

Et  d'Isengrin  et  du  moton 

E  de  moi  qu'il  prist  au  penchon,  110 

Et  de  Rossel  tôt  en  apert, 
2150    Et  de  vos,  mon  seignor  Tibert, 

Qui  cest  seintuaire  tenes.' 

'Par  foi'  fait  Renart,  'vos  mentes. 

De  trestot  i  aves  menti.' 

Lores  l'a  par  le  poing  sasi 


2118  E     21 19  mec.     2120  „'  feries  ,'  paia     2021  que     2135  martin 
3137  seint       2146  hôte       2148  pris       2150  siegnor  ,t. 


XIII  (Méon  21133-24169)  103 

2155    Et  si  l'en  a  fait  redrecier, 

Mes  ancois  ofri  un  denier. 

Lors  s'est  Renart  ajenollies 

Et  dit  'seignors,  or  vos  taisies! 

Par  les  seins  que  je  voi  ici, 
2160    Roenel  a  del  tôt  menti, 

Que  onques  un  mot  voir  n'i  ot.' 

Il  baise  les  seins  a  ce  mot 

Si  a  un  paressis  ofert. 

'Or  le  verron'  ce  dit  Tibert, 
2165    'Come  vostre  droit  i  parra. 

Quant  ce  au  grant  besoing  venra.' 
Quant  li  serement  furent  fet, 

Si  se  sont  a  une  part  tret, 

Et  li  rois  tôt  sans  plus  d'espace 
2170    Les  fait  amener  en  la  place. 

Renart  de  nient  ne  s'esmaie, 

En  son  doi  lace  la  coroie. 

Roenel  ne  redote  mie, 

Car  ases  set  de  l'escermie, 
2175    Car  en  enfance  en  ot  apris, 

N'ot  si  bon  mestre  en  son  païs. 
A  cest  mot  furent  mis  ensemble. 

L'un  et  l'autre  de  poor  tremble. 

Roenel  bien  son  escu  sere, 
2180    Jentement  va  Renart  requerre. 

Un  cop  li  a  jeté  d'aïr, 

Et  Renart  se  sont  bien  covrir 

Qui  l'escu  encontre  gita. 

Renart  grandime  cop  frapa. 
2185    Renart  ne  fu  pas  a  aprendre, 

Vers  le  chen  se  voudra  deffendre. 

Le  baston  drece  et  tint  l'escu, 

Si  a  si  Roenel  féru 

Del  baston  par  deles  l'oïe, 
2190    Que  tote  a  la  teste  estormie. 

Atant  s'en  sont  arere  trait 

2156  ancois  i  o.     2158  siegnors     2164  uonron     2169  tôt  manque 
2173  nel  r.     2184  Et  R.    2185  p.  a  prendre    2187  tin 


104  XIII  (Méon  24170-24205) 

Onques  n'i  ot  duI  semblant  fet 
Se  de  bien  non,  et  s'entrevienent, 
Les  escus  devant  lor  pis  tenent, 

2195    Grans  cous  se  vont  entreferir. 
Renart,  qui  bien  sont  escrimir 
Et  bien  sont  jeter  entredeus, 
Fiert  Roenel  enmi  les  euz, 
^  A  pou  que  ne  l'a  afronte. 

2200    Lors  dist  Renart  'fel  parjure, 
Moût  par  vos  est  mal  avenu. 
Se  dex  plaist,  vos  serois  pendu, 
Ja  autre  merci  n'en  aurois.' 
Roenel  l'ot,  si  fu  destrois. 

2205    Si  a  son  escu  enbracie 

E  tint  le  baston  enpoingnie. 
Ferir  le  quide,  mes  il  faut, 
Que  Renart  d'autre  part  li  saut. 
Li  cox  descendi  par  vertu, 

2210    Si  l'a  si  sor  l'escu  féru 
Que  pie  et  demi  en  abat. 
De  son  baston  vole  un  esclat 
Et  est  par  mi  outre  brisie. 
Molt  en  fu  Roenel  irie. 

2215    Con  il  ot  son  baston  perdu, 
A  deus  meins  a  saisi  l'escu, 
Encontre  Renart  l'a  jeté: 
Si  l'a  si  forment  escrie 
Qu'il  le  fit  voler  tôt  envers. 

2220    Roenel  saut  sus  en  travers, 

Del  poing  li  done  enmi  lez  denz 
Si  que  Renart  est  tôt  sanglans  : 
De  son  poing  li  débat  les  joes. 
N'a  or  talant  de  fere  moez 

2225    Renart,  ce  vos  di  sans  f alliance. 
Roenel  li  foie  la  pance 
Et  de  ses  dens  sovent  le  mort, 


2192  nus  2194  e.  par  d,  2195  entreferrir  2198  le  euz  2205  enbracies 
2210  Si  a  sor  2220  sus  manque  2223  poig  2224  ore  Les  vers  2225.  2226 
sont  intervertis;  rnais  l'erreur  est  corrigée  par  les  signes  h  a 


XIII  (Méoa  24206-24240)  105 

Et  Renart  un  petit  s'estort, 

Tant  que  il  out  sa  destre  mein. 
2230    Moût  delivrement  et  a  plein 

A  son  baston  en  haut  levé, 

Si  a  si  Roenel  fiape 

Enmi  le  vis  sans  demorer, 

Que  li  fist  un  des  euz  voler. 
2235    Si  l'enpeint  de  si  grant  aïr 

Que  d'autre  part  l'a  fait  caïr. 

Et  Renart  est  sailli  en  pies, 

Son  baston  tint,  si  en  fu  liez, 

Roenel  molt  sovent  en  frape. 
2240    Meintenant  li  bastons  escape. 

Con  il  ot  son  baston  perdu, 

Sor  Roenel  ciet  estendu, 

Del  poing  le  fiert  menuement. 

Et  Roenel  bien  son  cuer  sent 
2245    Que  toz  est  seins,  mes  il  s'esraoie. 

De  son  oil  que  si  le  desvoie 

Durement  li  anuie  e  grieve. 

Un  tor  a  fait  et  puis  se  leva, 

Renart  a  jeté  desoz  lui, 
2250    Ja  li  fera,  s'il  puet,  anui. 

Or  refu  desus  Roenel, 

A  Renart  a  faite  sa  pel, 

As  dens  le  mort  et  fiert  del  poing 

Moût  menuement  sor  le  groin, 
2255    E  li  dit  si  que  chaquns  l'ot 

'Coflet,  car  dites  le  mau  mot! 

Se  ne  le  dis,  je  t'ocirai.' 

'Ja  voir'  dist  Renart,  'nel  dirai, 

Por  tant  puis  estre  mort  ici.' 
2260    Et  Roenel  fiert,  ge  vos  di, 

Grant  cop  con  il  pout  de  son  pie. 

Que  tôt  a  le  vis  camoisie. 


2236  par  2237  rart  2238  bastoton  2241  perde  2242  So  roenel 
c.  tôt  e.  2243.  2253  poi?  2245  so  maie  2250  pot  2251  Or  fu  desore 
2256  Cenart  Au  bout  de  li(jiie  il  y  a  un  r  isolé.  2257  nel  dites  ie 
uos  tuereie     2258  diroie     2261  son  manque 


106  XIII  (Méon  24241—24277) 

Que  molt  durement  le  destrent. 

Et  Renart  a  jeté  un  pleint 
2265    Et  estreint  les  meins  et  les  pies, 

Conme  mors  s'est  aparelliez. 

Roenel  prent  a  apeler 

Ceus  qui  durent  le  champ  garder 

Siegnor'  fait  il,    avant  venes, 
2270    Je  cuit  cest  camp  est  afines: 

Que  je  vos  di  par  seint  Germein, 

Choflet  ne  muet  ne  pie  ne  mein.  111 

Je  cuit  que  li  champ  est  veinqu.' 

Atant  i  sont  corant  venu 
2275    Et  ont  trove  Coflet  gisant, 

Si  le  prennent  de  meintenant. 

Qant  Renart  sent  qu'il  l'ont  levé, 

Meintenant  a  un  pleint  gite 

Et  dit  'haï!  dex,  je  me  muir, 
2280    Tôt  ai  perdu  et  car  et  cuir. 

Damledeu  a  son  plaisir  fet. 

Que  rien  n'i  avoie  mesfait.' 

Les  gardes  n'ont  plus  demore. 

Devant  le  roi  l'en  ont  mené. 
2285    Sitost  con  li  rois  l'a  veii. 

Si  demanda  'est  il  vencu?' 

'Sire'  font  les  gardes,  'oïl. 

Mes  dites  que  en  sera  il.' 

Li  rois  respont  'ne  delaiez 
2290    Qu'il  ne  soit  pendus  ou  noies. 

Jamais  ma  gent  ne  honira. 

Tôt  meintenant  pendus  sera: 

Car  insi  le  voil,  par  seint  Jac, 

Que  il  soit  botes  en  un  sac, 
2295    Sel  jetés  en  l'eve  del  pont.' 

Tantost  en  un  sac  bote  l'ont 

Si  que  onques  confes  ne  fu, 

Yers  l'eve  s'en  sont  acuru. 

Grinbert  qui  estoit  corocies, 

2266  Con      2270  afnes       2272  mot       2282  forfait       2283  ni  ont 
2290  Qui  n.î  s.       2293  .iaq     2294  Quil     2298  se  8. 


XIII  (Méon  24278-24313)  107 

2300    Desos  le  pont  estoit  muces, 

Que  por  Renart  estoit  ire. 

E  cil  sont  sor  le  pont  monte, 

Si  n'i  ont  pas  molt  délaie, 

Renart  ont  en  l'eve  lance, 
2305    Au  parchaoir  un  escrois  fist, 

Et  Grinbert  tantost  le  saisist 

Et  si  Tavoit  del  sac  oste. 

'Renart'  fait  il,   mal  as  erre, 

Or  quident  il  que  ci  mors  soiez.' 
2310     Sire'  fait  Renart,   totes  voies 

M'en  aves  vos  ore  rescos. 

Quant  je  voudrai,  je  serai  ros 

Ausi  con  j'estoic  devant.' 

Lors  dit  Grimbert  'se  dex  m'amant, 
2315    Se  tu  le  pues  fere,  si  fe. 

Ou  autrement  tu  es  aie, 

Et  je  meïmes  sui  boni.' 

'Par  foi'  fet  Renart,  'jel  vos  di. 

Car  orendroit  sans  ar ester 
2320    Me  verrez  la  nerte  ester.' 

Lors  comence  ses  horoisons, 

Ses  proieres  e  ses  sarmons 

Qu'il  avoit  en  enfance  apris. 

Si  fu  toz  ros,  jel  vos  plevis, 
2325    Et  a  dit  'cosin,  or  vees! 

Dont  ne  sui  ge  bien  atomes?' 

'Oïl  certes'  ce  dist  Grinbers, 

Tu  es  plus  bel  et  plus  apers. 

Mes  or  te  sie,  si  ne  t'anuit. 
2330    Ici  serons  jusqu'à  la  nuit, 

Que  se  l'en  nos  savoit  ici 

Moi  e  toi  seremes  boni, 

Ja  n'en  areen  raencon.' 

'Sire'  fait  il,  'si  nos  teson.' 
2335    Desoz  le  pont  sont  hostele, 

2302  il  2303  nont  pas  ci  mot  d.  2305  par  manque  esfroia 
2:U4  2:rinnbert  mauent  2315  pos  2319  orendroites  2320  uenre? 
23-28  bkns 


108  XIII  (Méoii  24814—24346) 

Et  li  autre  sont  retorne 
En  la  sale  devant  le  roi, 
Et  li  dient  'sire,  par  foi, 
De  cestui  estes  délivres, 

2340    Par  lui  n'iert  mes  home  grèves.' 
'Par  foi'  fet  li  rois,  'ce  m'est  bel. 
Lors  vait  chascuns  a  son  ostel. 
Bien  cuident  estre  a  sauvete. 
Mes  il  sont  en  mal  an  entre, 

2345    Se  dant  Eenart  puet  esploiter. 
Lui  e  Grinbert  sans  delaier 
S'en  sont  desoz  le  pont  issu: 
Yers  le  palais  en  sont  venu, 
Mes  ne  sont  mie  entre  dedenz. 

2350    Départis  sont  lieiz  et  joianz 
Entre  Renart  et  le  tesson. 
Grinbert  s'en  va  en  sa  meson. 
Et  mesire  Renart  s'en  torne 
Vers  Maupertuis,  pas  ne  sojorne. 

2355    Menaçant  s'en  va  Roïnel 
Et  l'escuirois  sire  Rossel, 
Tibert  le  chat  et  Ysengrin, 
Et  le  moton  sire  Belin, 
Et  dit  bien  que  il  lor  nuira, 

2360    Ja  en  tel  leu  nés  trovera. 
Atant  entra  en  Malpertuis 
E  après  lui  referma  l'uis, 
Et  saches  que  ce  fu  savoir. 
Ci  vos  lais  de  Renart  le  noir. 

2365    En  son  castel  est  enfermes. 
Atant  est  li  contes  fines. 


2336  son  2340  ihgb]  hore  23U  manque  2345  pot  2347  deuers 
le  2352  Ginbert  2355  Meintenant  2360  cel  2361  en  tome  en 
2365  ch.  en  est  fermes 


XIV 

(Méon  2661-2086) 

Ce  fu  en  mai  au  teus  novel  Sô' 

Que  li  tans  est  seriz  et  bel, 

Si  com  estoit  l'Asension, 

Que  Renart  ert  en  sa  meson 
5    Sanz  garison  et  sanz  vitaille. 

Si  grant  fein  a  que  il  baaille. 

De  la  feim  li  delt  molt  li  cors. 

De  Malpertuis  s'en  issi  hors 

Grant  oire  trestot  eslaissies. 
10    Si  se  feri  en  un  plaissie. 

Tôt  coroce  est  enz  entre: 

S'a  Tibert  le  chat  encontre. 

Meintenant  l'a  a  raison  mis. 

'Tibert'  fait  il,  'bau  duz  amis, 
15    Dont  venes  vos?  dites  le  moi.' 

'Sire'  dit  Tebert,  'par  ma  foi, 

Gie  avoie  enprise  ma  voie 

Chiez  un  vilein  les  celé  haie 

Qui  est  iloqes  devant  nos. 
20    Li  vileins  a,  foi  que  doi  vos, 

Une  feme  qu'il  aime  tant 

Que  rien  qu'el  voille  tant  ne  quant 

Ne  li  contredit,  tant  soit  let. 

Celé  a  mucie  plein  pot  de  let 
25    En  une  huce:  et  la  m'en  vois 

Tôt  eslessie  parmi  cest  boia, 


6  il  matique     8  issoit     10  sen     19  liloqes     22  quele 


l\ 


110  XIV    (Méon  ibSl-'Il-iÔ) 

Savoir  se  poiroie  avenir. 
Se  tu  en  vels  o  moi  venir, 
Ge  t'en  menrai  vers  la  mesoû. 

30    Mes  par  foi  soiom  conpaingnon! 
Gelines  et  capons  y  a.' 
Renart  respont   ya,  ya  : 
Gie  t'en  asoùr,  volentiers.' 
Atant  se  metent  es  senters 

35    Grant  aleiire  et  le  troton 

Tant  qu'il  vindrent  a  la  meson, 
Qui  tote  estoit  close  de  piex. 
Dex'  dit  Renars  'bauz  sire  dex, 
Conment  porrons  entrer  dedenzP 

40    Ces  piex  sont  si  entretenanz 
Que  n'i  porrons  mètre  lez  piez.' 
Dist  Tebert  'ne  vos  esmaiez! 
Molt  bien,  ce  croi,  vos  i  metron.' 
Lors  s'en  vont  entor  la  meson 

45    Tout  bêlement  le  pas  soe 

Tant  qu'il  trovent  un  pel  froe. 
Ens  se  metent  sans  atargier. 
Puis  s'en  vont  vers  le  jelinier. 
Que  molt  savoient  de  barat, 

50    'Renart'  ce  dit  Tibert  le  chat 
'Bauz  doz  amis,  sez  que  feras? 
En  la  meson  o  moi  venras. 
Que  se  ta  t'en  vas  as  chapons. 
Tant  a  caenz  de  teus  gaingnons, 

;)5    Se  il  crient,  il  t'asaudront, 
Tost  pris  et  retenu  t'auront: 
Et  g'i  perdrai  le  mien  afere. 
Mes  vien  ens,  se  tu  vels  bien  fere, 
Aveuques  moi  tant  qu'aion  fet. 

60    Et  se  tu  veils  avoir  du  let, 
Tu  en  mangeras  grant  pleute.' 
Dist  Renars   ce  me  vient  a  gre.' 
Atant  s'en  sont  a  l'uis  venu. 


28  o]  a      3.Ô  trotons      46  troueront      50  T.       54    caeenz    de   tus 
58  Meus  uient  et  se      60  se  tueils      61  plete 


/ 


XIV    (M6on  2746—2794)  Hl 

Tybert  qui  molt  voiziez  fu, 
65    S'en  est  entres  la  teste  avant. 

Puis  dist  'Renart,  se  dex  t'avant, 

Vien  enz,  ai  susleve  la  huce! 

Del  leit  i  a  pleine  une  cruche.' 

'Par  foi'  dist  Renart,    volentiers 
70    T'eïderai,  baus  amis  chers.' 

Atant  en  vont  la  hocce  ovrir. 

A  Renart  la  lait  sustenir 

ïibers,  si  est  dedens  sailli. 

Au  pot  en  vint,  n'a  pas  failli. 
75    Sa  teste  a  bien  dedens  botee. 

Au  let  boivre  a  mis  sa  pensée. 

Tybert  durement  hume  et  boit. 

Renart  qui  la  huce  tenoit, 

Esteit  durement  a  malese. 
80     Tybert'  dist  il,  'ies  tu  a  ese? 

Hume  tantost  et  si  t'en  is! 

Car  foi  que  je  doi  seint  Denis, 

Geste  huce  forment  me  grève: 

Car  par  un  pou  que  je  ne  crevé.' 
85    Tibert  entent  tant  a  humer. 

Conques  ne  li  vout  mot  soner.  86 

'Tybert'  dit  Renart,  'haste  toi, 

Ou  la  huce  carra  sor  toi.' 

Tibert  entendi  molt  petit 
90    A  ce  que  Renart  li  a  dit. 

Au  manger  a  s'entente  mise. 

Tant  en  manga  con  il  devise. 

Quant  tant  ot  mange  con  il  pot, 

Tôt  a  jus  trebuce  le  pot 
95    Et  le  let  espandi  trestot. 

Ce  dist  Renart  'tu  es  trop  glot. 

Por  quoi  as  cel  pot  abatu  ? 

Meus  amasse  estre  bien  batu. 

Et  ne  por  quant  fai,  si  sail  hors. 
100    Je  sui  molt  travelles  du  cors 


79  mal  l'sese      95  let]  pot       97  a 


112  XIV    (Méon  2795- 


De  ceste  hoce  sostenir. 
Il  te  covient  hors  a  venir.' 
Tibert  s'est  acorsei,  si  saut: 
Et  Renart  tint  la  huce  haut. 

105    Tiberz  desus  le  bort  sailli: 
Et  Renars  la  huce  Hati, 
Qui  li  peseit,  et  si  Tenpeint. 
Tibert  a  en  la  coe  ateint 
Si  grant  coup,  que  ce  n'est  pas  jex. 

110    La  eoue  li  trenca  en  deus: 
Li  bouz  en  la  huce  chaï. 
Et  Tibert  a  terre  est  sailli  : 
Si  a  Renart  areisonne 
'Renart,  molt  m'as  mal  atorne 

115    Que  tu  m'as  la  coue  trenchie: 
Si  en  ai  sofFert  grant  hachie. 
Coupée?'  dist  Renart   par  foi, 
Ce  n'a  je  pas  fait".     'Qui  donc?'     Toi' 
'Je  non  ai,  par  seint  Lienart.' 

120    'Diva,  tais  toi'  ce  dist  Renart. 
'Tu  en  ies  asses  plus  ligier.' 
'De  ce  n'avoie  je  mester.' 
Dit  Tebert  'ce  saches  por  voir. 
Nel  vousisse  por  grant  avoir.' 

125    Dit  Tibert  'tu  es  trop  musart.' 
'Di  va  or  di'  ce  dit  Renart, 
'N'en  estas  tu  legier  assez?' 
Ce  dit  Tibers   vos  i  gabez.' 
'Gabe?'  dit  Renart  'a  quoi  fere? 

130    Que  as  tu  de  te  coue  a  fere? 
S'en  te  chacoit,  se  dex  m'ament, 
Plus  corroies  légèrement. 
Ce  poise  moi,  par  seint  Amant 
Que  la  moe  coe  est  si  grant. 

135    Ge  voudroie  qu'el  fust  coupée.' 
Dist  Tibert  'bone  Tas  trovee. 


110  couue       116  hache        118    fait   foi    que    doi    toi        121   res 
123  .Teb't.     128  Tibers]  Renart     135  quele 


XIV    (Méon  •2S6y-2i)l6)  IV 

Mes  or  laissons  atant  ester. 

Si  en  alons  sans  demorer. 

Car  foi  que  ge  (loi  seint  liicher, 
140    Je  voil  que  aies  a  manger.' 

Atant  s'en  oissirent  de  l'uis 

Tôt  bêlement  par  un  pertus. 

Si  s'adrecent  vers  les  capons. 

Tôt  bêlement  et  toz  enbrons 
145    S'en  sont  au  geliner  venu. 

Tyberz  qui  porpense  se  fu, 

En  a  Renart  a  raison  mis. 

'Renart'  fait  il,   bau  doz  amis, 

Les  capons  sont  ici  dedenz. 
150    Mes  se  tu  m'en  crois,  par  mes  denz, 

As  jelines  ne  toceraz. 

Eins  te  dirai,  conment  feraz. 

Tu  prendras  le  coc  raeintenant, 

Qui  est  et  bon  et  cras  et  grant. 
155    Car  les  gelines,  par  mon  front, 

Trestotes  escouees  sont. 

Tout  ce  te  di  ge  bien  de  voir.' 

Renart  quide  qu'il  die  voir: 

Mes  non  fet,  aincois  le  gaboit. 
160    Renart  s'en  vait  au  coc  tôt  droit 

Qui  deles  Pinte  fu  a  destre. 

Si  l'a  saisi  parmi  la  teste. 

Quant  il  le  tint,  grant  joie  fet. 

Tibert  qui  esteit  en  agait, 
165    Li  demande  'tiens  le  tu  bien? 

Garde  ne  t'escape  por  rien. 

Dont  nel  tiens  tu  bien,  di  le  moi.' 

"OiT  dist  Renart,   par  ma  foi.' 

Si  con  Renart  ovri  la  boco, 
170    Et  li  cos  mcintenant  en  toche. 

Si  conmence  a  chanter  si  haut 

Que  li  vileins  sire  Gonbaut, 


137  or  le  1.     142  par]  a     144  enibrons     146  se  manque     159  ainz 
165  tien  les     172  ganbaut 

RENART    II.  8 


114  XIV    (Méon  2917—3003) 

Qui  se  dormoit,  s'en  esvella. 
Meintenant  ses  chens  apela 

175    Et  il  meïsme  sailli  sus. 
El  geliner  entre  par  l'uis. 
Si  tost  con  Tibert  l'a  veii, 
Fuit  s'en  (n'i  a  plus  atendu) 
Tôt  coiement  et  a  celo. 

180    Renart  rest  en  fuie  torne 

Parmi  els:  molt  tost  l'aperçurent 
Li  chen  et  après  lui  corurent. 
Mes  Renart  se  met  a  la  fue. 
Et  li  Yileins  ses  chens  li  hue 

185    Et  cil  se  metent  en  la  trace. 
Tibert  qui  fu  de  maie  estrace, 
Sali  hors  par  le  pel  froe 
Par  la  ou  il  esteit  entre. 
Renart  après  lui  de  randon. 

190    Mes  li  chen  par  le  pohcon 
L'aerdent,  si  l'ont  jeté  jus. 
Ambedui  li  saillirent  sus. 
Molt  l'atornerent  malement. 
Mes  Renart  ne  fu  mie  lenz. 

195    Einz  se  redrece,  si  s'en  fuit. 
Nel  bailleront  hui  mes,  ce  quit. 
Fuiant  s'en  vait  sanz  demoree: 
Et  li  chen  font  la  retornee. 

Renart  s'en  fuit  de  grant  randon 

200    Trestot  pongnaut  a  esporon. 
Tant  con  pies  le  porent  porter. 
Or  vos  doi  d'un  prestre  conter, 
Qui  passoit  de  travers  un  plein. 
Une  boiste  avoit  en  sa  mein, 

205    Qui  tote  estoit  d'oulees  plene. 
Li  prestres  passa  a  grant  peine 
Une  soif  que  a  passer  ot: 
Et  la  boiste  qu'onques  nel  sot, 
Li  chet  qu'  eins  ne  s'en  aperçut. 


178  Fuiait     179  oelon     183  a]  on      18-1  li  manque     187  To     191  Ion 
209  que  oins       porcut 


XIV    (Méon  ;^()()4-3055)  Hô 

210    Renart  qui  celé  part  curut, 

Trove  la  boiste,  si  s'en  fuit. 

Tôt  coiement  que  mot  ne  dit 

L'a  overte,  puis  si  manja. 

Les  ouleez  que  enz  trova 
215    Totes  fors  deus  que  il  en  porte. 

En  tost  aler  molt  se  déporte. 

En  sa  boce  tint  les  oulees 

Qui  furent  en  deus  plois  doblees. 

Atant  monte  en  un  tertre  haut. 
220    Hoc  a  encontre  Primaut 

Le  leu  qui  fu  frère  Ysengrin,  87 

Qui  venoit  corant  le  cemin 

Et  de  tost  aler  s'esvertue. 

Ou  voit  Renart,  si  le  salue. 
2-25    'Renart'  fait  il,  'bien  yienes  vos!' 

'Primant,  dex  beneïe  vos' 

Fet  Renart  'et  bon  jor  aies! 

Dont  venes  vos  si  eslaissies?' 

'Par  ma  foi'  fait  il,  'de  cest  bois.' 
230     Ou  alez?'     'Porcacer  m'en  vois. 

Por  manger  sui  ci  atrotes. 

Mes  que  est  ce  que  vos  portes?' 

'Par  ma  foi'  fait  Renart,  'gatax 

De  mostier  que  sont  bons  et  bax.' 
235    'Dones  les  moi,  bauz  amis  cherzl' 

'Par  foi'  fet  Renart,  'volonters.' 
Atant  li  a  Renart  donees 

De  meintenant  les  deus  oulees. 

Si  les  a  mangées  Primaut. 
240    'Renart'  fait  il,  'se  dcx  to  saut, 

Ou  les  preïs?  en  as  tu  mes?' 

'Nenil'  fet  Renart,  'mes  ci  près 

Les  pris  je  dedens  un  moster.' 

'Molt  par  sont  bones  a  manger' 
245    Fet  Primaut:  'se  plus  on  avoie, 

Molt  volenters  les  mangeroie. 

Car  par  foi,  ge  ai  si  graut  foin, 
210  que     par    215  porta    219  A  tost    221  que    234  Do    239  mangea 


116  XIV   (Méon  3056-3116) 

Ne  mangai  Imi  ne  char  ne  pain.' 

Dit  Renart  'tôt  ce  n'a  mester. 
250    Tien  t'en:  si  irons  au  moster, 

Ou  il  en  a  encor  ases.' 

Renaît'  fait  il,    gari  m'aves.' 

Atant  se  metent  a  la  voie, 

Renart  et  Primant  a  grant  joie. 
255    Bien  ont  lo  droit  cemin  tenu 

Tant  qu'il  sont  au  moster  venu, 

Dont  li  prostrés  est  capeleins. 

Soz  le  seuil  as  piez  et  as  meins 

Font  une  fosse,  ens  sont  entre 
260    Trestot  bêlement  de  lor  gre. 

Si  en  venont  detrers  l'autel. 

Une  aumaire  ovrent,  n'i  ot  el. 

A  grant  plente  i  ot  oulees 

Qui  bien  furent  envolopees 
265    En  une  molt  bêle  toaille. 

Primant  qui  dorement  baaille 

De  fein,  s'en  fu  tost  délivre. 

'Renart'  fait  il,  'bien  as  ovre, 

Que  tu  nias  ma  volonté  fête. 
270    Mes  cest  manger  trop  me  deliaite. 

Car  con  je  plus  en  mangeroie, 

Et  je  voir  grenuor  fein  auroie. 

Mes  je  voi  une  huce  la: 

Espoir  aucune  chose  y  a, 
275    Qui  nos  seroit  bon  a  manger. 

Alons  la  huce  dépêcher!' 

Alon   dit  Renart,  'de  par  de! 

Ce  qu'aves  dit,  me  vient  a  gre.' 

Lors  sont  a  la  huce  venu. 
280    Primauz  qui  plus  voiziez  fu, 

Prist  la  huce,  et  a  queilque  peine 

En  a  brisie  la  moreine. 

La  huce  ont  overtc  tantost. 
Dedenz  ont  li  prestres  repost 

254  prninut      256  su      250  son       2G2  oure  ni    ot  tel      266   qu( 
281  a  manque 


XIV   (,Méon  3117—3157)  117 

285    Pain  et  vin  et  car  a  foison, 

'Renart'  dist  Primant,   or  avom 

Ases  a  manger,  deu  merci. 

Mes  estent  la  toaille  ici! 

Si  mangeron  de  ceste  car. 
290    Li  prostrés  n'estoit  pas  escar 

Qui  ici  mucie  l'avoit. 

Or  manjoDs  que  dex  nos  avoit 

Trestot  estoe  cest  bienfait.' 

Trestot  l'a  de  la  huce  trait 
295    Et  lo  pain  et  lo  vin  avec. 

Ambedui  s'asient  iloc. 

Si  mangèrent  andui  ensanble 

Pain  et  vin  et  car,  co  me  samble, 

A  grant  plente  et  a  foison. 
300    Que  s'il  fussent  a  lor  maison, 

N'i  oust  il  pas  grennor  joie. 

Renart  dit  soef  qu'il  ne  l'oie, 

'Primauz,  molt  es  ore  haities. 

Mes  se  dex  ait  de  moi  pitiez, 
305    Ge  saurai  molt  petit  d'engin, 

Se  ne  t'en  dels  a  la  parfin. 

G'i  métrai  engin  et  entente. 

Primant'  fait  il,   molt  m'atalente 

Que  si  estes  bien  conrees. 
310    Verses  de  cest  vin,  si  beves. 

Dist  Primant  'sachez  sanz  mentir 

Que  nos  en  bevron  par  leisir: 

Car  ases  en  avon,  ce  croi, 

Se  nos  esteon  oncor  troi, 
315    A  grant  foison  et  a  plente.' 

Tant  burent  a  lor  volente 

Q'a  Primaut  le  cervel  bolut. 

Renart  qui  très  bien  l'aperçut 

Li  dit  un  petitet  en  haut 
320    'Car  beves  de  cest  vin,  Primant!' 

'Si  fa  je'  fet  Primaut,  'par  foi, 

286  .prmaut    292  no    296  sasent    302  soif    303  prmauz    3l8  que 
320  b,  ce  dit  uin 


118  XIV    {Méou  3158- 32-23) 

Et  tu  Renart,  verse,  si  boi.' 

'Si  fa  ge'  dist  Renart  'ases: 

Mes  vos,  sire  Primaut,  bevez': 
325    Fet  Renart  'que  trop  estes  lent. 

Beves  un  pou  plus  dorement! 

De  boivre  vos  voi  recreii.' 

Dit  Primaus  'je  boi  plus  que  tu.' 

'Non  fez'  ce  dit  Renart,  'par  foi.' 
330    J'en  ai  molt  plus  boii  que  toi, 

Qui  vaut  la  moitié  d'un  ferlinc.' 

'Et  tu,  Renart,  tien,  hâve,  drinc!' 
Primaut  boit  et  Renart  li  done. 

Por  noient  fust  delez  la  tone: 
335    Si  bevoit  Primaut  dorement. 

Et  Renart  l'en  force  sovent 

Ausi  conme  s'il  fust  a  feste. 

Li  vins  li  monta  en  la  teste, 

A  Primaut,  tant  en  a  boii. 
340    'Renart'  fait  il,  'aves  veii, 

Com  dex  nos  a  amené  ci? 

Molt  avom  bien  este  servi, 

La  merci  deu,  a  cest  soper. 

Se  nos  fessons  major  ou  per, 
345    Ne  poosson  pas  estre  meus. 

Et  ge  vos  di  bien  par  mes  eulz, 

Que  je  voil  orendroit  aler 

A  cel  autel  messe  chanter: 

Que  je  voi  tôt  prest  sor  l'autel 
350    Le  vestement  et  le  messel.' 
Quant  Renart  la  parole  oï, 

Dedenz  son  cuer  s'en  esjoï. 

'Bien  porras'  fet  il  'tel  chant  fere 

Qui  te  tornera  a  contraire. 
355    Chanter  ne  doit  nus,  bien  le  sez. 

Devant  que  il  soi  ordenes. 

Nus  ne  doit  estre  chapeleins,  88 


324  nos      325  Fet  i  R.      331  forrile      333  et  maucpie      345  pas 
manque     354  a  niaiiijue 


XIV  (Méon  3224-3302)  119 

Se  il  n'est  corones  au  meins.' 

'Par  la  foi  que  doi  seiiit  Renaut 
360    Vos  dites  voir   ce  dit  Primant. 

'Bien  sai  e  voi  que  dites  voir. 

Mes  or  voudroie  je  savoir, 

Qui  me  porra  corone  fere. 

Car  conment  que  or  tort  l'afere, 
365    Ma  parole  voil  bien  sauver. 

Vespres  m'estot  ici  canter, 

Si  truis  qui  corone  me  face.' 

Renart  dit  'se  dex  bien  me  face, 

Se  ge  puis  un  rasoir  trover, 
370    Go  vos  vourai  ja  coroner.' 

'Vos  dites  molt  bien'  dit  Primant. 

Tôt  meintenant  en  estant  sault. 

Si  com  nos  trovom  en  l'estoire, 

Tantost  troverent  un  aumoire. 
375    S'ont  dedenz  un  rasoir  trove 

Bien  trencant  et  bien  afile 

Et  uns  cisaux  et  un  bacin 

D'un  cler  leiton  et  bon  et  fin. 

Meintenant  l'a  saisi  Penart. 
380    Si  se  retorne  d'autre  part, 

Si  que  Primant  n'i  entendi. 

Dedenz  le  bacin  a  pisi, 

Si  c'onques  Primant  ne  le  sot. 

Or  esgardes,  con  il  fu  sot: 
385    Onques  garde  ne  s'en  dona. 

'Primant'  fait  il,  'esgarde  ca! 

Tôt  nos  est  venu  en  sohet.' 

'Dex'  fet  Primant,  'graut  part  i,eit!' 

Or  n'i  a  donques  plus  a  fere, 
390    Mes  vien  moi  la  corone  fere.' 

Adonques  s'est  a  terre  asis. 

Et  Renart  l'a  entre  meins  pris 


358  Sil  nait  corone  365  bien]  ore  367  truis  qui]  que  la  368  d. 
que  se  me  bien  374  aumare  375  "„  troue  ./."  rasoir  380  r. 
meitenant  382  puisie  383  qnqs  nol  soit  387  sahat  388  pteiet 
390  ui.  tost  la     391  sos 


120  XIV   (Méon  3308-8340) 

L'eve  sor  la  teste  li  rue. 
Primaus  ne  se  muet  ne  remue: 

395    Einz  se  tint  tôt  cois  et  en  pes. 
Et  missire  Renart  l'a  res, 
A  qui  il  n'en  est  pas  deus  billes. 
La  corone  dusqu'as  orelles 
Li  a  fête,  puis  li  a  dit: 

400    'Primant'  fait  il,  'se  dex  t'ait, 
N'ies  tu  ores  bien  atorne? 
Tu  m'en  dois  savoir  molt  bon  gre. 
'Si  fa  je,  foi  que  gie  te  doi. 
A  ge  corone?'     'Oïl,  par  foi. 

405    Se  ne  m'en  crées,  tastes  i!' 

'Molt  volenters,  par  seint  Rémi' 
Fet  Primant  trestot  soavet, 
Que  meintenant  sa  mein  i  met. 
La  corone  a  bien  detastee. 

410    Adonc  a  grant  joie  menée. 

Si  li  a  dit  'Renart,  bau  mestre. 
Par  ma  foi,  or  sui  je  bon  prestre. 
Or  ne  voil  je  plus  demorer: 
Einz  irai  orendroit  chanter. 

415    Ja  n'i  aura  plus  atendu.' 
Et  Renart  li  a  respondu 
'Primauz  bauz  amis,  non  feras. 
Les  seins  tôt  avant  soneras: 
Que  nus  ne  doit  vespres  chanter 

420    Devant  qu'ait  fait  les  seins  soner. 
Sones  les,  si  ne  vos  soit  gref!' 
'Vos  aves  bien  dit,  par  mon  chef 
Fet  Primaus.  'ge  les  sonere 
Et  puis  après  si  cantere.' 

425  Adonc  s'en  est  venu  as  seins 
Si  bone  oire  con  il  pot  ainz. 
Les  cordes  cort  tantost  saisir. 
Les  seins  sone  de  grant  aïr. 


394  ne  mue  402  d.  oro  sauor  b.  g.  407  saouet  40'J  biem 
410  mee  415  atende  417  b.  doz  a.  no  fras  420  que  ait  f.  le  seins 
427  tanstot 


XIV   (Méon  3:M  1-3402)  121 

A  glas  sone  et  a  quareignon. 
430    Et  Renart  a  de  son  giron 

La  boche  estopee  du  pan. 

Puis  si  a  dit  enhan,  enhan! 

Sachez  bien  ces  cordez,  sachez!' 

'Si  fa-ge'  fet  il,  'ce  sachez. 
435    Onques  mes  par  prostré  ordene 

Ke  furent  seint  si  bien  sone 

Come  cil  seront,  se  je  puis.' 

Et  Renart  respont  'plus  ne  ruis. 

Lessics  ester  :  que  trop  sones.' 
440    Dit  Primaut  'quant  vos  le  voles. 

Il  me  vient  molt  bien  a  plaisir.' 

Atant  a  fait  le  glas  fenir. 

Molt  avoit  sone  longement. 

Vers  l'autel  s'en  vet  erraument, 
445    Au  plus  tost  que  il  pot  venir. 

Del  vestement  se  va  vestir. 

•L'aube  a  vestu  sans  atargier, 

Et  Renart  li  curut  aidier. 

Molt  ferement  li  aïda. 
450    La  caisuble  tantost  pris  a. 

Tôt  meintenant  l'a  endossée. 

La  eorone  qu'iert  granz  et  lee 

A  aplanoie  a  sa  mein. 

Puis  en  vient  a  l'autel  a  plein. 
455    Tôt  meintenant  que  n'i  ot  el, 

A  Primaut  overt  le  messel. 

Puis  a  pris  les  foulz  a  torner. 

Renart  se  mist  el  retorner: 

Car  il  ot  de  la  gent  peor. 
460    Envers  l'uis  s'est  mis  el  retor. 

Par  la  ou  il  entres  i  fu, 

S'en  estoit  meintenant  issu. 

La  fosse  qui  ert  grant  et  lee, 

A  tôt  meintenant  estopee. 


429  quarereignon     447  atagier     453  a  as  m.     454  1  autos    455  me- 
tenât    457  les  mangue    45ÎÎ  gfit 


122  XIV    (Méon  ;340;3-3488) 

465    Et  la  terre  a  arere  mise. 

Et  Primaut  remest  a  l'église 

Devant  l'autel  tôt  esteste. 

A  chanter  a  mis  son  pense. 

Durement  brait  et  uUe  et  crie. 
470    Li  prestres  a  la  vois  hoïc 

Et  si  avoit  les  seins  oïs. 

Tantost  est  de  son  lit  sailliz. 

Si  a  une  cbandoille  prise. 

Au  fu  en  vient,  si  l'a  esprise. 
475    Puis  a  pris  la  clef  do  moster 

Et  en  sa  mein  un  grant  levier. 

Puis  est  de  son  ostel  issu, 

Droit  au  moster  en  est  venu. 

Par  un  trou  prist  a  regarder. 
480    Si  a  veii  Primaut  chanter: 

As  eulz  qu'il  ot  clerz  le  conut. 

Tantost  par  les  rues  corut. 

Si  escria  'seignors,  or  tost! 

Li  leus  s'est  el  moster  repost.' 
485        Qui  donc  veïst  vileins  venir 

Et  envers  le  moster  saillir! 

Chascun  porte  baston  ou  mace. 

N'i  a  celi  ne  le  manache. 

A  l'uis  sont  venu  li  cuivert. 
490    Et  li  prestres  a  l'uis  overt. 

Si  entrent  ens  a  une  bie. 

Primauz  qui  la  noisse  a  hoïe, 

Se  merveille,  plus  n'arestut.  89 

Meintenant  au  pertuis  corut 
495    Et  vit  qu'il  fu  de  terre  plein. 

Yers  l'autel  s'en  revint  a  plein 

Corne  cil  qui  fu  esgarez: 

Si  a  les  vestemenz  estez. 

Puis  s'en  vint  parmi  le  moster. 
500    Li  prestres  qui  tint  un  levier 


466  laglise     468  m.  sentento     471   les  s.  ois     475  cleif     484  set 
485  uen'     489  lui     493  nuis     497  esra'Mcz 


XIV   (Méon  3-189-85:37)  123 

Le  consuï,  si  le  feri 

Que  por  un  pou  no  Tabati. 

Quant  Primant  so  senti  féru, 

Envers  le  prestre  en  est.  curuz 
505    Tôt  hors  du  sens  et  erragiez. 

S'il  fust  sous,  ja  l'oûst  mangie. 

Mes  li  vilein  si  li  anuient 

Que  trestuit  ensamble  li  huent, 

Si  li  douent  des  cous  asez. 
510    A  pou  que  n'a  les  os  qassez. 

Primant  vit  que  ne  pot  durer 

Ne  por  fuïr  ne  por  aler. 

Molt  amast  ore  ou  bois  a  estre. 

Lors  a  veû  une  fenestre 
515    Bien  haute  dis  piez  et  demi. 

Il  s'acorse,  si  est  sailli 

Molt  dolent  et  molt  corocie. 

A  pou  que  n'a  le  coul  brisie. 

Con  il  fu  horz,  grant  joie  ot. 
520    Fuiant  s'en  va  plus  que  il  pot. 

Vers  le  bois  trestot  eslaissie 

S'en  va  fuiant  le  col  baissie. 

Ne  s'est  gueres  arresteii 

Tant  qu'en  la  forest  est  venu. 
525    Si  tost  con  il  i  fu  entre 

S'a  son  conpaingnon  encontre, 

Renart,  que  molt  d'engin  savoit. 

Si  tost  conme  Primauz  le  voit, 

Si  li  dist  'Renart,  dont  viens  tu? 
530    Di  moi,  por  qoi  me  lassas  tu 

Dedenz  le  moster  ensere? 

J'ai  trove  le  trou  bien  serre. 

Tu  l'cstopas,  si  con  je  croi.' 

Dit  Renart   nol  fis,  par  ma  foi. 
535    Mes  li  prestres,  qant  il  t'oï, 

Si  l'estopa  que  je  le  vi, 

De  la  terre  que  fu  en  haut.' 


501  coiisuit    .508  furu     522  fuant     523  gucro     533  le  croi 


124  XIV   (Méou  353S-4165J 

'Jo  t'en  croi  bien    ce  dit  Primant. 
'Mes  je  me  muir  ici  de  faiu. 

510    Qu'est  ce  que  tu  tiens  en  ta  moin?' 
'C'est  un  lierane'  ce  dit  Renart. 
'Mangie  en  ai,  se  dex  me  gait, 
A  grant  plentc  et  a  foison: 
Que  je  trovai  un  careton 

545    Qui  en  meinc  une  caretee, 
Ou  j'ai  bien  ma  pance  force  : 
Que  j'en  ai  mangie  a  plente, 
Tant  con  moi  vint  en  volonté.' 
A  tant  li  tendi  le  lierong. 

550    Primauz  le  prist  ot  dist   aliène, 
Bien  puisses  tu  ore  venir, 
Que  molt  avoie  grant  désir 
De  manger,  que  je  fein  avoie. 
Cesti  mangerai  tote  voie.' 

555    Quant  il  ot  lo  herenc  mangie. 
Si  en  a  Renart  aresnie. 

'Renart"  fait  il,  'enseinnc  moi. 
Por  deu  et  por  l'ame  de  toi, 
]\Ie  di,  conraent  tu  les  eus? 

560    Sans  engin  avoir  nés  poiis. 
Que  certes  s'ancore  en  avoie, 
Que  volenters  en  mangeroie.' 
Dit  Renart  saches  sans  mentir, 
Quant  vi  la  carate  venir 

565    Tote  soef  et  tote  quoie. 
Je  me  chocai  enmi  la  voie 
Et  la  teste  tenoie  entort 
Ausi  con  se  je  fusse  mort. 
Si  tost  conme  li  caretier 

570    Me  virent  jesir  ou  senter. 
Si  quiderent  a  escient 
Que  je  fusse  mort  vraiement. 
Il  me  pristront  que  n'i  ot  el. 


539  issi  542  grat  548  moi  plut  et  a  plente  550  pris 
554  mangera  ge  t.  557  noi  559  Meis  di  561  Q.  c.  que  sa.  aoie 
563  San      565  soif      568  se  manque      569  caretier 


XIV   (Méon  416G-4214)  125 

Que  il  dessirroient  ma  pel. 
575    Et  meintenant  me  pristrent  il, 

Si  me  jetent  el  caretil. 

Et  je  conme  prous  et  ligiers 

En  ving  meintenant  as  paners. 

Si  en  mangai  tant  con  je  poi. 
580    Et  quant  ases  mange  en  oi, 

Si  sailli  jus  a  tôt  cesti, 

Que  je  t'ai  aporte  ici. 

Et  se  tu  en  vous  plus  avoir, 

Ya  après,  si  feras  savoir, 
585    Et  si  t'apareille  autresi.' 

Meintenant  Primant  respondi 

'Par  ma  foi,  Eenart,  ge  i  vois. 

Mais  atendes  moi  en  ce  bois.' 

'Je  volenters,  se  dex  me  saut.' 
590    Atant  s'en  est  aie  Primaut 

Et  corant  que  plus  n'i  délaie. 

La  charete  vit  en  la  voie, 

Qui  vint  decendant  d'un  laris 

Tote  cargie  de  plaïs. 
r)95    Con  il  la  vit,  si  en  fu  liez. 

Enmi  la  voie  est  chocez. 

Tôt  estendu  iluec  se  tint, 

Tant  que  la  charete  i  vint. 

Quant  cil  l'a  veii,  si  s'escrie 
600    'Ha  ha,  le  leu!  aïe,  aïe!' 

Li  marcheant  estoient  loing 

Et  quiderent  qu'il  ait  besoing. 

Quant  il  l'oïrcnt  si  crier. 

Lors  prennent  a  esporener. 
GO')    Iloques  vienent  les  granz  salz. 

Mes  onques  ne  se  mut  Primauz. 

Si  se  sont  sor  lui  enbatu 

La  ou  se  gist  tôt  estendu. 

'Il  est  mors'  fait  li  uns.     'Non  est.' 
()10    'Par  la  cervcle  deu,  si  est.' 


57G  ieterent    587  f^uouois     590  sercri     fi04  preniiot     (¥)S  ou  il 


126  XIV    (Méon  4-215— 4'2()0) 

'Folz'  fait  li  autres,  'il  se  feint.' 

Adonc  l'a  du  baston  enpeint 

Durement,  et  il  ne  se  mut. 

Li  careters  i  accrut 
615    A  tôt  un  lever  en  ses  meins. 

Si  l'a  féru  parmi  les  reins 

Si  grant  coup,  a  po  ne  l'a  mort. 

Primauz  le  sent,  si  a  gient  fort. 

Mes  onques  ne  se  remua. 
620    Uns  des  marcheanz  l'ezgarda, 

S'a  veii  sopirer  Primaut. 

Meintenant  a  l'espee  saut: 

Si  l'a  traite,  sel  vont  ferir. 

Conme  Primauz  le  vit  venir, 
625    Si  joint  les  pies  et  torne  en  fuie. 

Li  chareters  forment  le  hue. 

Primauz  s'en  fuï  tôt  dolenz. 

Bien  est  batu  por  les  lierons  90 

Dont  il  quida  avoir  sa  part. 
630    Ne  fina,  si  vint  a  Renart 

Qui  se  jut  SOS  un  arbre  haut. 

Devant  lui  est  venu  Primait. 

'Renart'  fait  il,  'mal  sui  bailis.' 

'Coninent?'  fet  il  'as  tu  failli? 
635    N'as  tu  pas  des  lierons  mange?' 

Dist  Primaut   ains  sui  mahanne. 

Si  m'a  batu  le  careton 

Très  parmi  le  dos  d'un  baston, 

A  pou  que  il  ne  m'a  tue, 
640    Se  ne  me  fusse  remue. 

Uns  marcheant  qui  trait  s'espee 

La  le  m'oiist  ou  cors  botee. 

Mes  si  tost  con  traite  la  vi, 

Je  sailli  sus,  si  m'en  fuï 
G45    Au  plus  que  je  poi  durement. 

Il  m'atorncrent  malement,' 


611    Folz]    Non    est       631    sor      635    du    herenc       640    relorne 
643  trate     645  A 


XIV    (Méon  4271-4364)  127 

Dit  Renars    ue  vos  esmaies! 

Quant  vos  en  estes  reperies, 

Vos  en  deves  deu  aorer. 
650    Mes  or  vos  venes  reposer 

Un  petitet,  puis  si  irons 

Porchascer  que  nos  mangerons.' 

Primauz  respundi   amis  cliers, 

Ce  fera  ge  molt  volenters,' 
655    Lors  s'est  asis  joste  Renart 

Tôt  soef  a  senestre  part. 

'Renart'  fait  il,  'car  me  conseille! 

Par  quel  engin,  par  quel  merveille 

Je  pousse  avoir  a  mangier: 
660    Que  je  en  ai  grant  dessirrer. 

Dist  Renars  'foi  que  je  vos  doi, 

Yos  en  aurois  par  tans,  ce  croi, 

A  grant  plente  et  a  foison: 

Que  ci  près  a  une  meson. 
665    Chies  un  vilein  la  de  delez 

A  trois  bacons  molt  bien  sales, 

Dont  tu  auras  en  moie  foi, 

Se  tu  voulz  venir  avec  moi.' 

Dit  Primaus  'la  vostre  merci. 
670    Or  vos  levés  donques  de  ci' 

Fet  Primauz,  'et  si  en  alon.' 

'Je  volenters  par  seint  Simon' 

Fet  Renars:  meintenant  se  levé 

Et  saches  que  pas  ne  li  grève 
675    De  Primaut  que  si  tost  decoit. 

A  la  maison  vont  a  esploit 

Andoi  ensemble  les  a  lez. 

Par  un  pertuis  i  sont  entrez 

Qui  estoit  petiz  et  estroit. 
680    Et  Primaus  de  fein  se  moroit. 

Si  i  entra  a  grant  destrece. 

Tantost  vers  les  bacons  s'adreco 


653  r.  m...  oli.     656  soif     G6G  moU  maii/jiie     675    qiinalot  se  d, 
678  i  manque 


128  XIV   (Ucon  43GT-4428) 

Delez  Renart  qui  sages  fu. 
'Primauz,  il  t'est  bien  avenu 

685    Fet  soi  Renars:   manger  poez 
Tant  que  bien  soiez  saolez.' 
Primauz  manjue  d'une  part 
Et  d'autre  mesiro  Renart 
Qui  ases  savoit  plus  engin 

690    Que  Primauz  le  frère  Ysengrin. 
Durement  manjuent  et  tost; 
Que  il  le  firent  en  repost 
Por  le  vilein  dont  orent  dote. 
Et  Renars  durement  escote: 

695    A  l'escoter  fu  ententis 

Que  ne  vont  pas  estre  sorpris. 
Tant  manga  Primaus  des  bacons 
Qu'il  fu  ausi  gros  conme  Ions. 
'Renart'  fait  il,   qant  vos  voudrois, 

700    Fors  de  ceens  nos  geterois: 

Que  tant  ai  mangie,  ne  poi  plus.' 
Meintenant  en  venent  a  l'us. 
S'est  Renars  tantost  issu  hors 
Et  Primaus  si  estoit  si  gros 

705    Que  il  ne  pot  onques  oissir. 
'Ha  dex,  que  porrai  devenir' 
Fet  Primaus   et  que  porrai  fere?' 
Dist  Renars  'que  as  tu,  bau  frère?' 
'Que  j'ai,  Renart?  par  seint  Richer, 

710    Je  ne  m'en  puis  ici  ficher.' 

'Ficher?  si  pos,  se  dex  me  saut' 
Par  ma  foi,  non  pois'  dit  Primant. 
'Je  ne  pois  issir,  je  te  di.' 
'Or  bote  ta  teste  par  ci 
715    Por  savoir  et  por  essaier 
Se  tu  ti  porroies  ficher.' 
Primaus  n'i  entendi  a  mal. 
Adonques  s'eslaissa  a  val 


683  que  684  tes  b.  089  Que  693  don  696  sopris  698  au  g. 
699  uoudroit  701  m.  que  ne  704  si  après  Primaus  manque  712  no 
714  ici     718  se  laissa 


XIV    (Méon  4429—4483)  129 

Et  el  pertus  sa  teste  mist. 
7-20    Renars  as  orreilles  le  prist 

A  deus  meins  et  si  sache  et  tire, 

A  pou  le  cuir  ne  li  descire. 

Et  onques  ne  sot  tant  tirer 

Que  d'iloc  le  poùst  oster. 
7*25    'Renart'  fait  Priniaus,  'sache  fort! 

Se  ne  me  aides,  je  sui  mort: 

Que  je  te  di  sans  décevoir, 

Se  li  vileins  pooit  savoir 

Que  je  fusse  si  ensere, 
730    II  m'auroit  meintenant  tue 

Que  ja  raencon  n'en  auroie.' 

Dit  Renars  'or  ne  ti  esmaie! 

Que  je  te  di,  se  onques  puis, 

Tu  en  istras  par  cest  pertus.' 
735    Atant  s'en  est  torne  Renart. 

D'un  plancon  a  fet  une  hart. 

Si  est  arere  repaires 

Con  cil  qui  est  joians  et  liez. 

Si  l'avoit  Primant  el  col  mise. 
740    'Primant'  fet  il,   en  nule  guise, 

Saches,  ne  vos  lairoie  ci.' 

Primauz  respont  'vostre  merci!' 

Renars  sache  ce  que  il  pot 

Et  Primaus  onques  ne  se  mot. 
745    Mes  por  pooir  que  poïst  fere 

Hors  de  laenz  ne  le  pot  trere: 

Et  de  sacher  ne  se  recroit. 

'Dex'  dit  Renars   ice  que  doit 

Que  nel  puis  avoir?  que  feron? 
750    Leirai  je  ci  non  conpaignon? 

Nenil,  que  je  puisse  par  de.' 

Tant  a  et  sache  et  tire 

Que  du  col  dosqu'au  haterel 

Li  a  reborsee  la  pel. 
755    II  l'a  escorche  entresait 


722  ceuer      726  aide      731  r.  nauroie      741    lairoi       742    respon 
745  ferre 

RENART  II.  9 


130  XIV   (Méon  4484-4521) 

Et  Primaut  a  gite  un  brait 

Et  a  si  durement  crie 

Que  li  vileins  est  esvelle. 

Tantost  est  sailli  de  son  lit. 
760    Primaut  aura  ja  mal  délit,  91 

Se  li  vileins  le  pot  tenir. 

Quant  Primaut  l'a  veii  venir, 

Adonques  ot  poor  de  soi. 

Renart,  baux  amis,  laisse  moi!' 
765    Fet  Primaus   ne  voil  ci  atendre: 

Vers  le  vilein  m'estot  desfendre 

Ou  il  m'aura  ja  maenne.' 

Renars  l'oï,  si  l'a  laissie 

Conme  cil  qui  en  fu  dolant. 
770    Atant  s'en  va,  plus  n'i  atent. 

Primaut  reraest  eu  meves  leu. 

Li  vileins  est  corus  au  feu 

Et  aluma  une  chandeille. 

Li  vileins  a  pris  une  astele, 
775    Si  en  est  venu  a  Primaut. 

Con  Primauz  l'a  veii,  si  saut 

Un  petitet  ensus  de  lui. 

Et  li  vileins  le  consuï, 

Desor  le  dos  un  coup  l'ateint. 
780    A  itant  la  candeille  esteint. 

Con  la  chandeile  fu  esteinte, 

Primaus  qu'a  oii  peine  meinte, 

Est  au  vilein  sore  coru. 

Li  vilein  est  au  feu  coru 
785    Por  sa  chandeile  alumer. 

Primauz  ou  il  n'a  que  irer 

Le  vit  bouteculer  au  feu. 

Atant  li  corut  sus  li  lou: 

Par  les  naches  du  cul  l'a  pris. 
790    Et  cil  a  escrier  s'est  pris 

'Aïde,  aïde.  boue  gent!' 


759  T.  en  est     763  at     772  v.  alunie  le  f.     776  Conme     783  oorou 
787   FA  uit  le  uilpiii  au   f.     IW  ao  prist 


XIV  (Méon  4522-45B9)  131 

Sa  feme  sailli  erraument, 

Si  tint  un  baston  en  sa  mein. 

Et  Primant  si  tint  le  vilein. 
795    La  feme  hauce  le  baston 

Et  fiert  Primant  sor  le  cropon. 

Mes  por  ferir  ne  por  blecer 

Ne  le  voloit  Primaulz  laissier, 

Einz  le  teneit  et  bel  et  gent, 
800    'Suer'  fait  il,  'apele  la  gent, 

Que  je  plus  endurer  nel  puis.' 

Et  celé  çorut  ovrir  l'uis. 

Con  il  fu  overt,  si  escrie 

'A  bone  gent,  aïe,  aïe!' 
805    Quant  Primaus  choisi  l'uis  overt 

Et  le  vilein  fel  et  cuivert 

Tint  si  par  les  naches  as  denz 

Que  totes  li  enbati  ens 

(Et  saches  que  la  pièce  enporte): 
810    Meintenant  issi  par  la  porte. 

La  feme  a  sor  le  sueil  trovee, 

Si  l'a  en  la  boe  botee 

Et  est  en  la  forest  entre. 

Si  a  tantost  Renart  trove 
815    Qui  en  la  foiest  l'atendoit 

Et  durement  se  dementoit 

Par  tiaïson  et  par  envie. 

Neporquant  saches  que  sa  vie 

N'eime  il  geires  ne  n'a  chère 
820    Et  si  li  fesoit  bêle  chère. 

Que  ne  voult  que  s'en  aperçoive  : 

Et  je  crien  que  il  n'en  reçoive 

Maies  désertes  en  la  fin. 

Et  Primant  onques  ne  prist  fin 
825    Tant  qu'il  est  arere  venu 

A  Renart  que  l'avoit  veii 

Pensif  et  si  décolore: 


809  p.  porte     811  trouo      812  botft      815  ladontoit      810  dément 
toit     819  ne  a     822  il  ne     S'2'à  Maie  désertée 

9* 


132  XIV  (Méon  4570—4606) 

Chère  fesoit  d'ome  adole. 
Priraaut  le  curut  arainier. 

830    'Renart'  fait  il,  'vous  tu  mangier?' 
'Manger?'  fait  il,  'par  le  cuer  be, 
Tu  as  bien  le  vilein  gabe. 
Or  me  di  par  l'ame  de  toi, 
Se  bleche  t'a?'  'nenil  par  foi' 

835    Fet  Primaus,  'ce  saches  de  voir. 
Et  si  pos  bien  de  fi  savoir 
Que  je  li  ai  fait  grant  damage. 
J'ai  une  pièce  de  sa  nage 
Que  je  t'ai  ici  aportee.' 

840    Lors  li  a  el  giron  getee. 

'Renart'  fet  Primaus,  'or  mangies! 
Char  de  vilein  si  est  deinties. 
Ele  vaut  plus  que  je  n'espel.' 
'Primaut'  dit  Renars,  'par  ma  pel 

845    Et  foi  que  je  doi  Malebranche, 
Char  a  vilein  noire  o  blanche 
Si  n'est  prous  en  nule  seison. 
J'ameroie  plus  un  oison 
Que  a  manger  char  de  vilein  : 

850    Que  ja  ne  voie  je  demein. 
Qui  la  mangera  que  je  seie. 
Car  il  a  la  lez  celé  haie 
Que  vos  veez,  lez  ce  plaissiez 
Un  tropel  d'oisons  encrassies 

855    Qui  trestuit  sont  et  grous  et  gras. 
'0  est  ce,  por  seint  Nicholas?' 
Fet  Primaus,  'ensengne  le  moi!' 
'Volenters,  foi  que  je  te  doi' 
Fet  Renars,  qui  fu  plein  de  mal. 

860    'Delez  celé  haie  cl  val 
En  poes  trover  une  tropo. 
Il  n'i  a  borgne  ne  esclope 
Et  sont  granz  et  gras  et  pesanz: 
Si  les  i  garde  uns  païsanz. 


829  anainier     854  tropo  doison     857  eiisen     859  fu  manque 


XIV   (Méon  4607-4642)  133 

865    II  t'est  bien  avenu  sanz  faille.' 

'Par  foi,  g'irai,  conment  qu'il  aille. 

Ja  ne  finere  jusqu'à  ex: 

S'en  aporterai  un  ou  deus, 

Qu'entre  moi  e  toi  mangeron 
870    Et  atent  moi  les  ce  boisson.' 

'Molt  volonters'  ce  dist  Renart, 

'Par  mon  seignor  seint  Lïenart' 

Fet  Renars  :  'or  saches  de  fi 

Que  je  ne  me  movrai  de  ci 
875    Por  nule  chose  que  je  voie, 

Et  t'atendrai  en  celé  voie.' 

Primant  s'en  va,  Renars  remeint. 

Ne  quit  mie  que  se  demeint 

Con  esbahi  ne  conme  fol 
880    Et  sovent  en  jure  son  col 

Que  Primaus  sera  mal  venus, 

Se  il  i  puet  estre  tenus. 

Atant  s'asist  enmi  la  voie. 

Et  Primaus  s'en  va  tote  voie. 
885    Con  il  fu  près,  celé  part  saut: 

Un  en  a  pris  que  pas  ne  faut. 

Il  s'en  voloit  mètre  a  retor: 

Mes  tost  l'aperçut  le  pastor 

Et  li  a  hue  deus  mastins. 
890    Primant  li  frère  Ysengrin 

Les  aperçut,  et  si  s'en  fuit. 

Et  li  chen  corent  après  tuit  92 

Tuit  esleissie  et  si  l'ateinent: 

Por  un  petit  que  nel  mahanent. 
895    A  molt  grant  peine  i  estort, 

Fuit  s'en  delivrement  et  tost. 

Tant  que  li  chen  l'orent  perdu. 

Droit  a  Renart  en  est  venu. 

Renart'  fait  il,  par  le  cuer  be, 
'.m    Tu  m'as  hui  honi  et  gabe, 


866  conmen      867  que  a      868  Sin      870   aten      891    et  manque 
893  laelnent 


134  XIV  (Méon  4643-4679) 

Que  tu  m'envoias  o  les  chens. 
Il  ne  t'en  puet  venir  nus  biens 
Et  grant  mal  t'en  pot  avenir.' 
Aclonques  le  corut  saisir 
905    Et  li  a  dit  'sire  Renart, 

Yos  saves  trop  engin  et  art, 
Se  je  ne  vos  reng  entreset 
Le  mal  que  l'en  m'a  par  vos  fet. 
Vos  m'envoiastes  as  oisons: 
910    Vos  i  savees  les  gaingnons. 
Por  ce  n'i  volées  venir.' 
A  icest  mot  le  va  ferir 
De  la  pâte  delez  la  face. 
Dit  Renars  'se  dex  bien  me  fâche, 
915    Vos  n'estes  mie  bien  senes 
Qui  ci  ilueques  me  bâtes 
Sans  forfet:  ce  est  mesprison. 
Por  ce  se  je  sui  petis  hom, 
Si  me  bâtes  et  ledengies. 
920    Si  m'aït  dex,  ce  est  pèches. 
Et  par  la  foi  que  je  vos  doi, 
Je  m'en  irei  clamer  au  rei 
Et  a  la  roïne  et  a  touz. 
Por  quoi  estes  vos  si  estos 
925    Et  qui  vos  a  forfeit  neent? 
Vos  me  vendes  le  mautalant. 
Pieches  est  et  desloiaute.' 
'Se  damledex  me  doinst  santé' 
Fet  Primaus,  vos  estes  bonis. 
930    Par  vos  ai  este  escharnis 
Et  batu  et  mal  atorne. 
Ja  ne  vos  sera  pardone. 
Ja  ne  morres  que  par  ma  mein, 
Se  dex  me  doint  veoir  demain.' 
935    Renars  li  respondi  en  haut 

'Par  ma  foi,  monseignor  Primant, 
Ce  seroit  folie  et  tort. 


901  Qui  menuoias     902  nus  manque     920  mai  d.     923  roiine 


XIV    (Méon  4680—4717)  135 

L'en  vos  demanderoit  ma  mort, 

Se  vos  m'avies  ore  ocis. 
940    Je  ai  enfans  et  de  grant  pris 

Qui  bien  tost,  se  il  le  savoient, 

L'ame  de  ce  cors  vos  trairoient. 

Se  hors  du  païs  ne  fuieez, 

Ja  raencon  n'i  aurees.' 
945        Quant  Primaut  s'oï  manecher, 

Lors  n'ot  en  lui  que  corocher. 

Par  la  ehevechaille  l'a  pris 

Come  cil  qui  est  d'ire  espris. 

Contre  terre  la  trébuche. 
950    Sor  le  ventre  h  a  marche: 

Durement  li  foie  la  pance. 

Or  est  Renars  en  grant  dotance. 

Molt  ot  grant  poor  de  morir. 

Et  Primauz  conmence  a  ferir 
955    Durement  qu'il  ne  se  feint  mie. 

Et  Renars  doucement  li  crie 

Merci  por  de  et  por  son  non 

(Si  me  doinst  dex  confession) 

Que  onques  rein  ne  li  forsfist. 
960    A  Primaut  grant  pite  en  prist: 

De  ce  qu'ot  fet  molt  se  repent. 

'Renart'  fait  il,  'a  moi  entent! 

Tu  m'as  fet  molt  mal  atorner. 

As  mastins  m'as  fet  retorner 
965    Primes  aval  et  puis  amont. 

Mes  par  trestos  les  seinz  do  mont, 

Quant  vos  de  moi  escaperois 

James  autre  ne  gaberoiz.' 
Sire'  dit  Renars,  'saches  bien 
970    Que  je  n'i  savoie  nul  chen 

Ne  rien  née  fors  le  vilein. 

Se  dex  me  doinst  veoir  demein, 

N'i  savoie  nul  destorbier 


944  rencon      948  es      955  que  il      958  conffession      959  nen  li 
960  pieté    965  p.  mont 


136  XIV    (Méon  4718-4753) 

Par  quoi  me  doussiez  tocher. 

975    Mes  se  de  ci  puis  escaper, 
Ge  m'en  irai  au  roi  clamer 
Et  a  mes  filz  et  a  ma  feme 
Et  a  la  reïne  ma  dame.' 
Quant  Primauz  l'a  oï  parler 

980    Del  roi  a  qui  s'ira  clamer, 
Durement  en  fu  esfree. 
'Renart,  or  te  seit  pardone' 
Fet  Primant  'ce  que  tu  m'as  fet. 
Je  te  pardoins  le  tuen  mesfet, 

985    Et  je  te  1ère  ore  atant. 

Se  ja  dex  a  nul  bien  m'avant, 
Se  icestui  m'est  pardone, 
James  jor  ne  te  mesfere. 
Ice  te  di  je  tôt  por  voir.' 

990    'Se  je  ce  pooie  savoir, 

Que  james  ne  me  forferoies, 
Certes  mes  bons  amis  seroies 
k  trestos  les  jors  de  ta  vie.' 
'G'en  ai"  dit  Primaut  'grant  envie 

995    Et  bien  t'en  asoiirere. 
Un  serement  te  jurere 
Par  quoi  tu  a  itant  me  croies.' 
'Se  tu  ce'  dit  Renars   fesoies. 
Bien  t'en  seroies  aquite.' 
1000    Foi  que  doi  seinte  Charité' 

Fet  Primaus,  'je  molt  volenters. 
Ou  sera  trove  li  mosters. 
Ou  ge  fere  le  serement?' 
Renars  respont  par  seint  Climent, 
1005    Je  vos  métrai  bien  a  la  voie, 

Se  dex  bien  et  conseil  m'envoie.' 
Atant  s'est  pris  a  porpenser 
Conment  il  le  puist  vergonder. 
Lors  se  pense  qu'il  le  menra 


977  as  mes      978  reiine     991  forferoiee      992  seree     995  asour 
rere    998  teu  ce     1009  que  il  le  m. 


XIV    (Méon  4754-4789)  137 

1010    A  un  piège  que  grant  pieca 

Savoit  en  ce  plaissie  laenz. 

Soavet  dit  entre  ses  denz 

Que,  se  iloc  prendre  le  pot, 

Donc  a  il  ce  que  li  estot, 
1015    Que  ne  demande  autre  rien  née. 

'Primaut'  dit  Renars,  'bien  m'agrée 

Que  l'acordance  sera  fête.' 

'Renart'  dist  Primaus,  'molt  me  haite 

Qu'el  sera  fête  demanois. 
1020    Or  en  alon  donc  en  ce  bois: 

Si  sera  fet  le  serement. 

'Molt  volenters,  se  dex  ra'ament' 

Fet  Primaus,  'et  a  liée  chère: 

Que  vostre  amor  ai  ge  bien  chère.'  93 

1025    A  tant  se  metent  a  la  voie 

Renars  et  Primaus  a  grant  joie, 

Tôt  bêlement  et  tôt  en  pes, 

Renart  devant,  Primaut  après. 

Tant  ont  aie  qu'il  sont  venu 
1030    La  ou  li  pièges  fu  tendu. 

Iloc  sont  venu  meintenant. 

'Primant'  fet  Renars,   vien  avant! 

Ci  iloques  gist  uns  cors  seinz 

Qui  est  el  ciel  avec  les  seins 
1035    Buens  martirs  et  bon  confesors. 

Ci  iloques  en  gist  li  cors: 

L'ame  est  en  l'angle  conpaignie. 

Il  fu  prodom  de  bone  vie. 

Il  a  toz  jorz  deu  onore, 
1040    De  bon  cuer  servi  et  ame. 

Hermites  a  este  lonc  tens. 

Ci  fu  rais,  quant  feni  son  tens. 

Ci  gist  et  molt  fet  a  amer. 

Se  ci  iloques  vous  jurer, 
1045    Que  par  toi  n'iere  plus  batu, 

1011  plaissiez       1012  Si  auoit       1027.  28  manquent      1035   mar- 
tires    1038  prodome     1042  Si  i 


138  XIV   (Méon  4790-4841) 

Bon  ami  seron  je  et  tu. 

Se  tu  ne  vous,  je  n'en  puis  mes.' 

Tar  la  foi  que  doi  seinte  Anes' 

Dit  Primaus   ce  fera  ge  bien. 
1050    Ne  t'en  estuet  doter  de  rien. 

Trestot  vraiement  le  saches!' 
Dit  Renars   or  vos  abaissiez!' 

Atant  s'estoit  agenolliez 

Sire  Primaus  d'andox  les  piez, 
1055    Et  mist  sor  le  piège  sa  mein 

Et  dit  'si  voie  ge  demein 

Que  jamais  jor  de  mon  ae 

A  dan  Renart  ne  mesfere 

N'a  ome  que  soit  de  sa  part.' 
1060    'Si  t'aït  dex!'  ce  dit  Renart. 

Atant  est  Primaus  abaissiez, 

Sor  le  piège  est  apoiez 

Tôt  soavet  et  bêlement. 

Et  la  clef  do  piège  destent, 
1065    Si  a  pris  par  le  pie  Primaut. 

Quant  Renars  l'a  veii,  si  saut 

D'autre  part,  et  il  li  escrie 

'Sire  Renart,  aïe,  aïe! 

Aïdiez  por  seint  Lïenartl' 
1070    'Tu  es  parjure'  dit  Renart: 

'Por  ce  li  cors  seins  te  détient. 

De  toi  aidier  a  moi  ne  tient.' 
Atant  s'en  va  delivrement 

Et  Primaus  remeint  o  torment, 
1075    Et  saches  que  peine  sosfri, 

Quant  le  pie  iloc  li  porri. 

Et  Renars  s'en  rêva  arere 

A  Malpertuis  en  sa  taisnere. 

Encontre  est  venu  Hermeline 
1080    Qui  l'eime  d'amor  enterrine. 

Grant  joie  li  font  si  enfant, 

1048  que  ie  d.     1051  Tôt     1059  Ne  a     1060  teidex     1062  siège 
1073  se     1078  en]  a       taisnere]  mainie 


XIV  (Méou  4842-4850)  139 

Receii  l'ont  lie  et  joiant 
0  lui  sa  feme  e  sa  menie 
Molt  se  repent  et  s'omelie. 
1085    De  ce  que  a  Primaut  a  f et 
A  damledeu  se  rent  mesfet. 
Do  mal  qu'a  fet,  molt  se  repent, 
Sa  vie  amende  durement. 


XV 

(Méoii  2103-2138) 

Renars  qui  moult  sot  de  treslue  N  32  "J 

Et  qui  avoit  grant  faim  eiie, 

Se  met  baaillant  au  frapier. 

Si  conme  il  erroit  son  sentier, 
5    One  n'en  sot  mot  Tybers  li  chas 

Tant  que  il  se  vit  en  ses  las. 

Renars  le  voit,  si  li  fremie 

Toute  la  char  de  lecherie. 

Grant  talent  a  de  lui  mengier: 
10    Et  si  se  voldroit  revengier 

De  ce  qu'el  broion  le  bouta. 

Mays  ja  samblant  ne  l'en  fera 

Que  il  li  voeille  se  bien  non. 

Lors  l'a  mis  Renars  a  raison. 
15         Tybert'  fait  il,  'quiex  vens  vos  guie?' 

Et  Tybers  s'est  mis  a  la  fuie. 

'Avoi,  Tibert'  ce  dist  Renart. 

'Ne  fuiez  pas,  n'aies  resgart! 

Arrestes,  si  parles  a  moy! 
20    Souviengne  vous  de  vostre  foy! 

Que  cuidies  vous  que  je  vous  face? 

Ne  cuidies  pas  (ja  dieu  ne  place!) 

Que  ja  nul  jour  ma  foy  vos  mente. 

Je  n'entrasse  hui  en  ceste  sente, 
25    Se  ne  vous  cuidassc  trouver: 

Quar  ma  foy  voloie  acquiter. 
4  Et  c.  il  estort     7  uit     9  veiigier     10  Mes  il  se     11  Por     19  A. 


T08   p. 


XV  (Méon  2139-2176)  Ul 

Dant  Tybert,  de  la  vostre  foy 

N'estes  vous  mie  en  grant  effroy.' 

Tybers  se  tourne,  si  s'arreste. 
30    Vers  Renaît  a  tome  la  teste, 

Ses  ongles  va  fort  aguisant.  N  33 

Bien  s'appareille  par  samblant 

Que  forment  se  vouldra  deffendre, 

8e  Renars  li  veult  le  doi  tendre. 
3;')    Mais  Renars  qui  de  faim  baaille. 

N'a  cure  de  faire  bataille: 

Tout  autre  chose  a  empense. 

Moult  a  Tybert  aseiire. 

'Tybert'  fait  il,   estrangement 
40    A  en  ce  siècle  maie  gent. 

Li  uns  ne  veult  a  l'autre  aidier, 

Chascuns  se  paine  d'engignier. 

.L'en  ne  trueve  mais  vérité 

En  nul  homme  ne  loyauté. 
45    Et  si  est  il  chose  prouvée    •' 

Que  cilz  emporte  la  colee 

Qui  s'entremet  d'autre  engignier. 

.Tel  vous  di  pour  un  sermonnier: 

C'est  nostre  compère  Ysengrins, 
50    Qui  de  nouvel  a  ordenes  prins. 

N'a  encor  gueres  qu'il  cuida 

Tel  engignier  qui  l'engigna. 

Pour  ce  ne  voeil  estre  traîtres, 

Que  tuit  en  ont  maies  mérites. 
55    De  losengier  et  de  mal  faire 

Ne  voi  je  nul  a  bon  chief  traire. 

Mal  chief  prennent  li  traytour, 

Qu'il  n'auront  ja  nul  jour  honnour. 

De  tant  me  sui  aparcheûs 
60    Que  moult  est  vils  et  mal  venuz 

Qui  de  riens  ne  se  puet  aidier. 

Tost  m'eiistes  guerpi  l'autrier, 

30  a  leue  la    31  Va  ses  onj^les     39  dist  il     45  il]  bifn     49  Ce 
est  mon  c,     50  ordes     59  me  manque       sui  bien  a. 


142  XV    (Méon  2177—2214) 

Qant  veïstes  bien  près  ma  mort. 
Et  non  pourquant  si  ai  je  tort: 
65    Que  certes  il  vous  en  pesa. 
Honnis  soit  qui  vous  mescroira! 
Mais  non  pourquant  en  loyauté 
Me  cognoissies  la  vérité  : 
N'eiistez  vous  grant  marrement, 
70    Qant  me  veïstes  u  tourment 
Et  je  fui  cheiis  u  broyon, 
Ou  me  destraindrent  li  gaignon, 
Et  li  vilains  avoit  hauchie 
Pour  moy  occirre  sa  coingnie? 
75    Bien  cuida  sor  moi  escoter. 
Mais  il  ne  sot  preu  assener: 
Encor  port  je  sus  moy  ma  pel.' 
Tybert  respont  'ce  m'est  moult  bel.' 
'De  ce  sui'  dist  Renars  'tout  cert. 
80    Que  pot  ce  estre,  dant  Tibert? 
Vos  -m'i  botastes  tout  de  gre. 
Mais  or  vous  soit  tout  pardone. 
Je  nel  di  pas  par  felonnie. 
•  Certes  vos  nel  fesistes  mie, 

85    Ne  quit  que  nus  le  poïst  faire. 
Ne  fait  ore  mie  a  retraire.' 

Tybers  s'excuse  molement 
Que  vers  lui  coulpables  se  sent. 
Mais  Renars,  ou  il  voeille  ou  non, 
90    Le  conduit  par  grant  trayson. 
Tybers  ne  scet  que  il  li  die. 
Renars  de  rechief  li  affie 
Foy  a  porter  d'ore  en  avant. 
Et  Tybers  refait  son  créant. 
95    Bien  ont  la  chose  confermee. 
Mais  n'aura  pas  longue  durée: 
Ja  Renars  foy  ne  li  tendra, 
Ne  Tibert  plus  fol  ne  sera 


(54  oi  65  Quar  C^9  Mais  n.  70  Q.  ie  fu  cheus  v.  75  B.  me  o.  la 
acorer  80  Voua  dites  voir  co  dist  t.  81  manque  82  Des  or  tout 
manque  \t.  sire     84—86  manquent     87  durement      88  Qui      90  conduist 


XV  (Méon  221Ô— 2258)  143 

Que  il  n'y  ait  merel  mestrait, 
100    Se  il  voit  chose  qui  li  hait. 

Andui  s'en  tournent  une  sente. 

Ni  a  celui  qui  son  cuer  sente, 

Que  faim  avoient  forte  et  dure. 

Mes  par  mervilleuse  aventure 
105    Une  grant  andoille  ont  trovee 

Les  le  chemin  en  une  aree. 

Renars  Ta  premerains  saisie. 

Et  Tybers  a  dit  'diex  aye, 

Biaus  conpains  Renart,  g'i  ai  part.' 
110    'Et  comment  donc   ce  dist  Renart, 

'Qui  vous  en  veult  tollir  partie  ? 

Ne  vous  ai  je  ma  foy  plevie?' 

Tybert  moult  poi  s'i  aseiire 

En  ce  que  dant  Renart  li  jure. 
115    'Conpains'  dist  il,  'qar  la  menjons  !' 

'Avoi'  dist  Renart,  'non  ferons. 

Se  nous  yci  demeurions, 

Ja  en  pais  n'y  esterions. 

Porter  la  nous  convient  avant.' 
120    Ce  dist  Tybers  'je  le  créant', 

Qant  il  vit  que  el  ne  pot  estre. 

Renart  fu  de  l'andoille  mestre: 

Par  le  milieu  aus  dens  la  prent 

Que  de  chascune  part  li  peut. 
12.')        Qant  Tybers  vit  que  il  l'enporte, 

Moult  durement  s'en  desconforte. 

Un  po  de  lui  s'est  approchies. 

'Or  est'  dist  il  'grans  malvaistiez. 

Conment  portes  vous  celle  andoille? 
130    Ne  vees  vous  conme  elle  souille? 

Par  la  poudre  la  traynes 

Et  a  vos  denz  la  debaves. 

Tout  le  cuer  m'en  va  ondoiant. 

Mais  une  chose  vous  créant, 


99  Quil  merole  mestraite  100  haito  101  Ambdoux  104  Quar  p. 
106  ch.  (lelez  la.  107  R.  si  la  premiers  110  dont  118.  114  manquent 
115  le     119  vous     121  il  manque     quil  no  \).  outre  estre     133  ordoiant 


144  XV  (Méon  2259-2296) 

135    S'ainsi  la  portes  longuement, 

Je  la  vos  lairai  quitement. 

Moult  la  portasse  ore  autrement.' 

Ce  dist  Renart   et  vous  conment?' 

'Mostres  la  cha!  si  le  verrois' 
140    Ce  dist  Tybert,   ce  est  bien  droiz 

Que  je  la  vous  doie  alegier: 

Que  vos  la  veïstes  premier.' 

Renart  ne  li  quiert  ce  veher, 

Quar  il  se  prent  a  pourpenser: 
145    Que  se  cilz  ert  auques  chargies, 

Tant  seroit  il  plus  tost  plessies 

Et  mains  se  porroit  il  desfendre. 

Pour  ce  li  fait  l'andouille  prendre. 

Tybers  ne  fu  pas  petit  lies. 
150    L'andouille  prent  conme  afîaities. 

L'un  des  chies  en  met  en  sa  bouche, 

Puis  la  balance,  si  la  couche 

Dessus  son  dos  conme  affaities,      \ 

Puis  s'est  envers  Renart  drecies. 
155    'Conpains'  dist  il,  'ainsi  ferois 

Et  tout  ainsi  la  porterois, 

Que  elle  a  la  terre  ne  touche. 

Ne  je  ne  la  souil  a  ma  bouche  : 

Ne  la  port  pas  vilainement. 
IfiO    Moult  vault  un  po  d'affaitement. 

Mais  ainsi  or  nous  en  irons 

Tant  que  a  ce  tertre  viengnons 

Ou  je  voi  celle  crois  fichiee. 

La  soit  nostre  andouille  mengiee, 
165    Ne  voeil  que  avant  la  portons,  N  34 

Mais  illec  nous  en  délivrons. 

La  ne  poons  nous  riens  cremir, 

Que  de  partout  verrons  venir 

Iceulz  qui  nous  voudront  mal  faire. 
170    Pour  ce  nous  y  fait  il  bon  traire.' 

136  Jel  u.  1.  certainement     142  Quar  la     147  iniex  le     162  qiia  ce 
hault  t.     168  Que  mainpie     v.  bien  v. 


XV   (Méon  2297--234G)  U[ 

Renart  de  tout  ce  n'eûst  cure: 

Mais  Tibert  moult  grant  aleiire 

Se  met  devant  lui  au  chemin. 

Onquez  de  courre  ne  prist  fin 
175    Tant  qu'il  est  a  la  crois  venus. 

Renart  en  fu  moult  irascus 

Qui  s'apparchut  de  la  boidie. 

A  plaine  bouche  li  escrie: 

'Coinpains'  dist  il,  'quar  m'attendes.' 
180    'Renart'  dist  il,   ne  vos  doubtes: 

Ja  n'y  aura  riens  se  bien  non. 

Mais  siuez  moi  a  esperon!' 

Tybers  ne  fu  pas  a  apprendre, 

Bien  sot  monter  et  puis  descendre. 
185    Aus  ongles  a  la  crois  se  prent, 

Si  rampe  sus  moult  vistement, 

Desus  un  des  bras  s'est  assis. 

Renart  fu  dolens  et  pensis. 

Qui  de  voir  scet  que  moquie  l'a. 
190    'Tybert'  fait  il,  'ce  que  sera?' 

'N'est  riens'  dist  Tibert  'se  bien  non. 

Mais  venes  sus,  si  mengeron.' 

'Ce  seroit'  dist  Renart,  'grant  mal. 

Mais  vous  Tybert,  venes  aval! 
195    Car  trop  me  poroie  grever. 

S'il  me  convenoit  sus  monter. 

Car  faites  or  grant  cortoisie. 

Si  me  jetés  jus  ma  partie: 

Si  s  ères  de  vostre  foi  quites.' 
200    Renart,  que  est  ce  que  vos  dites? 

Il  semble  que  vos  soies  ivres. 

Je  nel  feroie  por  cent  livres. 

Vous  deiissiez  moult  bien  savoir 

Que  ceste  andouille  doit  valoir: 
205    Que  c'est  chose  saintefiee: 

Si  ne  doit  pas  estre  mengiee 


181   Ja  I  Quar       182   M.  uones  sus    si  tneng^eron       190   fait  ]  dist 
195— 202  mmiqueiit    204  d.  sauoir    203  c'est  jtel       saintofyo     20<j  mengie 
RENART    II.  10 


146  XV  (Méon  2347—2382) 

Se  sus  crois  non  ou  sus  moustier: 

Moult  la  doit  l'en  bien  exauchier.' 

'Biau  sire  Tybert,  ne  vos  chaut  : 
210    Petit  de  place  a  la  en  haut, 

N'i  porrions  ensemble  ester. 

Mes  or  le  faites  conme  ber, 

Puis  q'aval  venir  ne  volez. 

Conpains  Tybert,  bien  le  savez, 
215    Vos  m'avez  vostre  foi  plevie 

De  porter  loial  compaingnie  : 

Et  conpaingnon  qui  sont  ensemble, 

Se  il  trovent  rien,  ce  me  semble 

Que  cascuns  d'iaus  i  doit  partir. 
220    Se  vo  foi  ne  volez  mentir, 

Partez  celé  andoille  la  sus, 

Si  m'en  getez  ma  part  cha  jus! 

J'en  prendrai  le  pechie  sor  moi.' 

Non  fere'  dist  Tibers  'par  foi. 
225    Conpains  Renart,  merveilles  dites. 

Pires  estes  que  uns  hérites, 

Qui  me  rouves  chose  geter 

Que  l'en  ne  doit  deshonnourer. 

Par  foy,  ja  n'aure  tant  beii 
230    Que  je  a  terre  la  vous  ru. 

Mentir  en  porroie  ma  foy. 

Ce  est  saintisme  chose  en  loy: 

Andouille  a  nom,  bien  le  saves, 

Nommer  l'aves  oy  asses. 
235    Or  vous  dirai  que  vous  ferois  : 

Vous  souferres  or  ceste  fois. 

Et  je  vous  en  doing  ci  le  don: 

La  première  que  trouveron. 

Que  elle  iert  vostre  sans  partie, 
240    Ja  mar  m'en  donres  une  mie.' 

'Tybert,  Tibert'  ce  dist  Renarz, 

'Tu  cherras  encore  en  mes  las. 

208  l'en  manque  209—220  manipient  221  Ce  dist  R.  or  ny  a 
plus  222  Getos  mont  dont  ma  223.4  manquent  225  Tvbers  rosponf, 
ni.     229  f.  ie  nai  pas  t. 


XV  (Méon  2383—2419)  147 

Se  veulz,  quar  m'en  gietes  un  poi.' 

'Merveillez'  ce  dist  Tibers   oi. 
245    Ne  poes  vous  dont  tant  attendre 

Qu'aus  poins  vous  en  viengne  une  tendre 

Qui  sera  vostre  sanz  doubtance? 

N'estes  pas  de  bone  abstenance.' 
Tybers  a  laissie  le  plaidier, 
250    Si  aqeut  l'andouille  a  mengier. 

Qant  Renart  vit  qu'il  la  mengue, 

Si  li  tourble  auques  la  veûe. 

'Renart'  dist  Tybers,  'moult  sui  lies 

Que  vous  pleurez  pour  vos  pechies. 
255    Diex  qui  congnoist  ta  repentance, 

T'en  aliege  la  penitance.' 

Ce  dist  Renart  'or  n'y  a  plus. 

Mais  tu  venras  encor  cha  jus. 

A  tout  le  mains  qant  auras  soy, 
260    Te  convendra  venir  par  moy.' 

'Ne  saves  pas'  ce  dist  Tybert, 

'Conment  diex  m'est  amis  apert. 

Encore  a  tel  crues  deles  moy 

Qui  m'estanchera  bien  ma  soy. 
265    N'a  encor  guieres  que  il  plut, 

Et  de  l'yave  assez  i  estut 

Ou  plus  ou  mains  d'une  jaloie 

Que  je  buvrai  conme  la  moie.' 

'Toutevoies'  ce  dist  Renart 
270    'Yenres  vos  jus  ou  tost  ou  tart.' 

'Ce  n'iert'  ce  dist  Tybert  des  mois.' 

'Si  sera'  dist  Renart,  'anchois 

Que  set  ans  soient  trespasse.' 

'Et  quar  l'eiisies  vous  jure!' 
275    Ce  dist  Renart  'je  jur  le  siège 

Tant  que  je  t'aurai  en  mon  piège.' 

'Or  serois'  dist  Tybert  'dyables, 

Se  cils  seremens  n'est  estables. 

Mais  a  la  crois  quar  l'affiez: 


250  aqeut  j  va  tost     a  mampie     251   uit  R.     256  ta     278  tenables 

10* 


148  XV  (Méon  24-20—2453) 

280    Si  sera  dont  miex  affermes.' 
Ce  dist  Renart  'et  je  l'affi 
Que  je  ne  me  mouvrai  de  cy 
Tant  que  li  termes  soit  venus, 
Si  en  serai  dont  miex  creuz.' 

285    'Asses  en  aves'  dist  il  'fet. 
Mais  d'une  chose  me  dehet 
Et  si  en  ai  moult  grant  pitié, 
Que  vos  n'aves  encor  mengie, 
Et  set  ans  deves  jeûner: 

290    Porres  vous  dont  tant  endurer? 
Ne  vous  en  poes  ressortir, 
Le  serement  convient  tenir 
Et  la  foy  que  plevie  aves.' 
Ce  dist  Renart   ne  vos  tames.' 

295    Respont  Tybert   et  je  m'en  tais. 
Certes  je  n'en  parlerai  mais. 
Taire  m'en  doi  et  si  est  drois, 
Mais  gardes  que  ne  vos  mouvois.' 
Tybert  se  taist  et  si  mengue. 

300    Et  Renart  fremist  et  tressue 
De  lecherie  et  de  fine  ire. 
Que  que  il  est  en  tel  martyre, 
Si  ot  tel  chose  qui  l'esmaie  : 
Quar  uns  chaiaux  de  loing  l'abaye 

305    Qui  en  avoit  senti  la  trache. 
Or  li  convient  guerpir  la  place, 
Se  il  n'y  veult  lessier  la  pel: 
Que  tuit  s'en  viennent  li  chael 
A  celui  qui  avoit  la  queste. 

310    Li  venerres  illec  s'areste: 

Aus  chiens  parole,  sels  somont. 
Et  Renart  garde  contremont: 
'Tybert'  dist  il,  'qu'est  ce  que  j'oy?' 
'Attendes'  dist  Tybert  'un  poi, 

315    Et  si  ne  vous  remues  raie.  N  35 


304   r  manque     309  la  traco      310  i.  sen  p.isso      311  sels 
312  R.  pense     que  faire  puot 


XV    (Méon  2454-2489)  149 

C'est  une  douce  mélodie: 

Par  ci  trespasse  une  corapaingne 

Qui  vient  parmi  ceste  champaingne. 

Par  ces  buissons,  les  ces  espines 
320    Vont  chantant  messes  et  matines  : 

Apres  pour  les  mors  chanteront 

Et  ceste  crois  aoureront. 

Or  si  vous  y  convient  a  estro, 

Qu'aussi  fustez  vous  jadis  prestre.' 
325        Renart  qui  sent  que  ce  sont  chien, 

S'apparchut  que  n'est  mie  bien  : 

Mettre  se  veult  au  desares. 

Qant  Tybert  vit  qu'il  ert  levés, 

'Renart'  fet  il,  'pour  quel  mestier 
330    Vous  voy  je  si  apparillier? 

Que  est  ce  que  vous  voles  faire?' 

'Je  me  voeil'  fet  il  'en  sus  traire.' 

'En  sus?  pour  dieu,  et  vous  conment? 

Souviengne  vous  du  serement 
335    Et  de  la  foy  qui  est  plevie! 

Car  certes  vous  n'en  ires  mie. 

Estez  illec,  je  le  conmant. 

Par  dieu,  se  vos  alez  avant, 

Vous  en  rendres  (ce  est  la  pure) 
340    En  la  court  dan  Noble  droiture. 

Quar  la  seres  vous  appelés 

De  ce  que  vous  vous  parjures. 

Et  de  plus  que  de  foy  mentie: 

Si  doublera  la  felonnie. 
345    Set  ans  est  li  sièges  jures, 

Par  foy  plevis  et  affies  : 

Com  mauvais  vous  en  deduies, 

Qant  au  premier  jour  en  fuycs. 

Moult  par  sont  bien  de  moi  li  chien: 
350    Se  vos  ja  les  doutez  de  rien, 

Ains  que  vous  faciez  tel  outrage. 


323   A.u8si      329   fet  J  dist      332  fet  J  dist      336  Par  raison   uous 
337.8  manquent    349.50  manquent 


150  XV  (Méon  2490—2525) 

Donroie  je  pour  vous  mon  gage 
Et  vers  eulz  trieves  en  prendroie.' 
Renart  le  laist,  si  va  sa  voie. 

355    Li  chien  qui  l'ont  apparceii, 
Se  sont  après  lui  esmeu. 
Mais  pour  nient,  que  le  païs 
Sot  si  Renart,  que  ja  n'iert  pris: 
Bien  s'en  eschapa  sans  morsure. 

360    Moult  menace  Tybert  et  jure 
Qu'a  lui  se  vouldra  acoupler, 
Se  jamais  le  puet  encontrer. 
Esfondree  est  entr'eulz  la  guerre, 
Ne  veult  mais  trievez  ne  pais  querre. 

365        Tybers  li  chas  dont  je  ai  dit, 
Doubte  Renart  assez  petit. 
Ne  quiert  avoir  trievez  ne  pais. 
Es  vous  deus  prostrés  a  eslais 
Qui  en  aloient  au  saint  senne. 

370    Li  un  ot  une  hiue  bauchenne, 
Et  li  autrez  ot  desouz  soy 
Un  souef  ambiant  palefroy. 
Cilz  a  l'iue  a  Tybert  choisi. 
Conpains'  dist  il,   estes  yci. 

375    Quel  beste  est  ce  que  je  voy  la?' 
'Cuivert'  dist  li  autres,  'esta. 
C'est  uns  mervilleus  chat  putois.' 
'He  diex,  com  je  seroie  roys. 
Se  jel  pooie  aus  mains  tenir 

380    A  mon  chief  pour  le  froit  couvrir, 
Pour  ce  que  bonne  pel  avoit! 
Bon  chapel  et  grant  y  auroit. 
Certes  grant  mestier  en  avoie. 
Diex  nous  amena  ceste  voie 

385    Qui  bien  savoit  le  grant  mestier. 
Ore  en  ferai  apparillier 
Tout  a  vostre  los  un  chapel, 


354  si]  et     357  M.  cest  por     358  Scet    iamais  p.     359  Ne   sera 
par  nulle  auenture     370  Lun     huie     372  anabloit  luie     376  Or  tost  d. 


XV    (Méon  2526-2561)  151 

Et  pour  agensir  le  plus  bel 

Me  sui  appenses  d'une  rien, 
390    Se  vous  loes  que  ce  soit  bien: 

Que  g'i  voeil  la  queue  lessier 

Pour  le  chapel  agrandoier 

Et  pour  mon  col  couvrir  derrière. 

Vees  conme  est  grans  et  pleuiere  !' 
395    Dist  li  autres    cy  a  bon  plait. 

Pour  amour  dieu,  q'ai  je  fourfait 

Ne  mesfait  en  nulle  baillie, 

Qu'en  doie  perdre  ma  partie?' 

Ce  dist  li  autres   non  aves. 
400    Mesire  Torgis,  ne  saves 

Que  je  en  ay  moult  grant  mestier. 

Pour  ce  la  me  deves  lessier.' 

'Lessier?'  fet  il  pour  quel  servise? 

Quel  bonté  ay  je  de  vous  prise? 
405    Pour  quel  bonté,  pour  quiex  mérites 

La  vous  lairoie,  ce  me  dites?' 

'A  mal  eûr'  dist  Rufrangier, 

'Trop  estez  tous  jours  manuier. 

Ja  mar  du  vostre  y  aura  rien. 
410    Or  soit  partie,  jel  voeil  bien. 

Mais  de  tant  sui  je  esbahis, 

Conment  il  doit  estre  partiz.' 

'Je  le  sai  moult  bien,  par  ma  foy, 

Ja  mar  en  seres  en  effroy: 
415    Que  se  faire  en  voles  chapel, 

Si  en  faisons  prisier  la  pel. 

Et  de  la  moitié  le  vaillant 

Faites  en  après  mon  créant.' 

Dist  Rufrengier  faisons  le  bien! 
420    Le  chat  voeil  je  tout  quitte  mien: 

Et  nous  alons  au  senne  ensamble. 

Et  si  mengerons,  ce  me  samble, 

(Que  ce  ne  poons  nous  veher 


394  grande  396  P.  lamour  397  mespris  398  Pour  quon  ma 
manque  400  Monsigneur  403  dist  il  407  mal  eur  ce  d.  frogier 
411  de  ce  s.  trop  e.    416  faites    419  rufengier    421  ensamble  au  senne 


152  XV  (Méon  2562-2507) 

Qu'il  ne  nous  conviengne  escoter)  : 
425    Por  moy  et  pour  vous  paierai, 

Par  tout  vous  en  acquiterai. 

Et  vous  m'affiez  loyaument 

Que  vous  nel  feres  autrement, 

Mais  le  chat  quite  me  lares 
430    Que  jamais  part  n'y  clameres.' 

'Honte  ait  quil  vehe'  dist  Torgis. 

'Tenes,  sire,  jel  vous  plevis 

Et  loyaument  le  vous  affi.' 

'Bien  est'  dist  Rufrengiers  'ainsi. 
435    Mais  liquelz  de  nous  le  prendra?' 

Ce  dist  Tourgis   qui  il  sera. 

Je  n'y  claim  riens  ne  riens  n'y  ai. 

Ne  ja  ne  m'en  entremettrai 

Ne  par  moy  n'y  aurez  aye.' 
440    'Pour  ce  ne  remaindra  il  mie' 

Dist  Rufrengier  :  'quar  il  est  mien.' 

'Or  vous  en  conviengne  dont  bien.' 

Rufrengier  de  la  crois  approuche. 

Que  riens  plus  au  cuer  ne  li  touche 
445    Fors  Tybert  le  chat  traire  a  soy. 

Mes  trop  ot  petit  palefroy, 

Si  n'y  pot  attaindre  en  séant:  N  36 

Sus  la  selle  monte  en  estant. 

Qant  Tybers  vit  qu'il  est  drecies, 
450    Par  maltalent  s'est  herichies: 

Escopi  l'a  enmi  le  vis. 

Puis  done  un  saut,  sel  fiert  des  gris, 

La  face  li  a  gratinée. 

Jus  l'abati  teste  levée, 
455    Si  que  li  hateriaus  derrière 

Li  est  férus  en  la  quarriere: 

Par  poi  qu'il  n'est  escherveles. 

Deus  foyees  s'estoit  pasmes. 
Li  prestres  jut  en  pasmoisons, 


428  ne  f.     431  quel     434.441.443  rufengior      449  voit      451  li  e. 
452  P.  fiât  un  s.  si  f.  tourgis 


XV   (Méon  2598—2633)  153 

460    Et  Tybers  sailli  es  archons 

Qui  vuidie  erent  du  prouvoire. 

Li  chevaux  s'en  tourne  grant  oirre 

Qui  avoit  este  efFiaes, 

Tant  fuit  par  champs  et  par  ares, 
J65    Et  tant  a  erre  qu'il  vint  droit 

A  l'ostel  dont  tournez  estoit. 

La  femme  au  prouvoire  seoit 

Enmi  sa  court,  si  buchetoit: 

Ne  vit  pas  le  cheval  venir. 
470    Et  il  vint  ens  de  grant  aïr, 

Tel  cop  li  donne  en  la  poitrine 

Qu'il  l'a  getee  sus  l'eschine. 

Blechie  fu,  si  ot  paour, 

Conme  elle  ne  vit  son  seignor. 
475    En  la  selle  ou  il  seult  seïr 

Vit  dant  Tybert  dessus  croupir  : 

Bien  cuida  ce  fussent  dyable. 

Li  chevaux  va  droit  en  l'estable, 

Et  dant  Tybert  tous  jours  en  son, 
480    Qui  bien  congnissoit  la  maison. 

Moult  li  estoit  bien  avenu. 

Quant  ne  l'ont  mort  ne  retenu. 

Le  cheval  lessa  estrayer, 

Puis  s'en  est  aies  pourchacier. 
485        Li  prostrés  qui  jut  contre  terre, 

Ne  sot  son  palefroy  ou  querre. 

Son  compaignon  appelle  a  soy 

'Amenés  moy  mon  palefroy, 

Biaux  conpains,  quar  le  m'enseigniez.' 
490    'Estes  vous'  dist  Tourgis  'blechies?' 

'Blechies?'  dist  il  'ains  sui  tues. 

Ne  fu  pas  chas,  einz  fu  mauffoz 

Qui  nous  a  fait  ceste  envaye. 

Dyables  fu,  n'en  doubtes  mie. 
495    Ice  sai  je  de  vérité, 


462  tourna    475  sale     477  cuida  que  ce  fnst  d.      482  lot    492  Ce 
ne      ch.  mais  m. 


154  XV   (Méon  2634-'2660) 

Que  nos  sommes  enfantosme, 
Ne  ja  de  cest  an  n'en  istron 
(Ce  sachies)  que  nous  ne  muiron. 
Ne  sui  pas  aseiir  de  moi, 

500    Qant  ay  perdu  mon  palefroy.' 
Lors  conmence  une  kyriele, 
Son  credo  et  sa  miserele, 
Pater  noster,  la  letanie: 
Et  sire  Torgis  li  aye. 

505    Souvent  gardent  se  il  veïssent 
Ains  qu'a  la  voie  se  meïssent, 
Tibert  et  le  cheval  ensamble. 
Mais  nel  virent  pas,  ce  me  samble. 
Qant  point  nel  virent,  si  s'en  vont, 

510    Chascuns  si  fait  signe  en  son  front. 
Ore  est  li  saines  respities, 
Que  Eufrangier  est  moult  blechies. 
A  son  hostel  en  est  venus. 
Moult  fu  dolens  et  irascus. 

515    Sa  femme  li  a  demande 

'Quel  vent  vous  maine  et  quel  ore?' 
'Péchiez'  dist  il  'et  enconbrier. 
J'encontrai  hui  un  adversier 
Entre  moy  et  mon  conpaignon 

520    Seigneur  Torgis  de  Lonc-Buisson, 
Qui  nous  a  tous  enfantosmes: 
A  paine  en  sui  vis  eschapes. 


497  an  nous  nistron    501  Mesire    505  gardent  sillo  u.    512  ruffen- 
gier     513  b.  sen     522  en  sonmes  e. 


XVI 

(Méon  4851-4876) 

Pierres  qui  de  Saint  Clost  fu  nez,         N  41 

S'est  tant  traveilliez  et  penez 

Par  prière  de  ses  amis 

Que  il  nous  a  en  rime  mis 
5    Une  risée  et  un  gabet 

De  Renart,  qui  tant  set  d'abet, 

Le  puant  nain,  le  desereû, 

Par  qui  ont  este  deceii 

Tant  baron  que  n'en  sai  le  conte, 
10    Des  or  conmencerai  le  conte, 

Se  il  est  qui  i  veille  entendre. 

Sachiez,  moult  i  porra  aprendre, 

Si  con  je  cuit  et  con  je  pens, 

Se  a  l'escouter  met  son  sens. 
15        Ce  fu  en  mai  en  cel  termine 

Que  la  fleur  monte  en  l'aube  espine, 

Prez  reverdissent  et  li  bos, 

Et  oissel  chantent  sanz  repos 

Et  toute  nuit  et  toute  jour. 
20    Et  Renart  estoit  a  séjour 

A  Malpertuis  sa  forteresce. 

Mes  molt  estoit  en  grant  destrecc, 

Quar  de  garison  n'avoit  point. 

Sa  mesniee  ert  en  si  mal  point 
25    Que  de  fain  crient  durement. 

Sa  famé  Hermeline  ensement 

7  descoru      18  Et  ]  Cil     20  as  s.     24  estoit     si    manque    25  Qui 
crioit 


156  XVI  (Méon  4877-4813) 

Qui  estoit  de  nouvel  encainte, 
Estoit  si  fort  de  fain  atainte 
Que  ne  se  savoit  conseillier. 

30    Lors  se  prent  a  appareillier 
Renart  pour  querre  garison. 
Touz  seulz  s'en  ist  de  sa  maison 
Et  jure  qu'il  ne  revenra 
Jusqu'à  tant  qu'il  aportera 

35    Viande  a  sa  mesnie  pcstre. 

Le  grant  chemin  tourne  a  senestre 
Et  vet  en  travers  la  for  est, 
Que  il  ne  li  siet  ne  ne  plest 
A  tenir  chemin  ne  sentier. 

40    Bien  savoit  le  bois  tout  entier, 
Quar  maintez  foiz  l'avoit  aie. 
Tant  vet  que  il  est  avale 
Souz  le  boiz  en  la  praierie. 
'Diex'  dist  Renart,  'sainte  Marie! 

45    Ou  fu  trouvez  ainssi  biax  estrez? 
Je  cuit,  c'est  paradis  terrestrez. 
Ici  feroit  bon  herbergier, 
Qui  auroit  assez  a  mengier. 
Vez  ci  le  bois  et  le  ruissel  ! 

50    Ouques  mes  ne  vi  voir  si  bel: 
Veez  con  est  vert  et  floris! 
Ainsi  m'aït  sains  esperis, 
Que  moult  volontiers  m'i  geiisse, 
Se  je  si  grant  besoing  n'eusse. 

55    Mais  besoing  fet  vieille  troter.' 
A  cest  mot  prent  a  galoper, 
Si  s'en  part  tristres  et  dolans. 
Mes  la  fain  qu'il  avoit  aus  dons, 
Qui  enchace  le  leu  du  bois, 

(iO    L'en  fait  partir  outre  son  pois. 
Par  les  prez  s'en  vet  contreval, 
Moult  regarde  amont  et  aval 
Por  savoir  se  il  y  veïst 


29  Quel    38  Quil    no  ne  li  p.    55  Mais  ]  Car    62  Et  r.   62  P.  ueoir 


XVI   (Méon  4814—4949)  157 

Chose  qui  au  cuer  li  seïst, 
65    Oisel  ne  lièvre  ne  connin. 

Tant  vet  qu'il  entre  en  un  chemin 

Qui  envers  une  vile  aloit.. 

Le  chemin  suit,  et  quant  il  voit    • 

La  vile,  si  jure  son  chief, 
70    Oui  qu'il  soit  bel  ne  cui  soit  grief, 

Droit  a  celé  vile  en  ira. 

Bien  cuide  qu'il  y  trovera 

Chose  qui  li  aura  mestier. 

Let  le  chemin  et  le  sentier, 
75    Qant  venuz  est  près  de  la  vile, 

Cil  qui  savoit  assez  de  guile: 

Qu'il  ne  volt  pas  estre  veiiz. 

Par  ces  boissons,  par  cez  seiiz 

S'en  vet  le  pas  le  col  bessant. 
80    Durement  vet  dieu  reclament 

Qu'il  li  gart  son  corps  de  prison 

Et  li  envoit  tel  garison 

Dont  il  face  sa  famé  liée 

Et  ses  enfans  et  sa  maisniee. 
85        Or  ne  me  veil  pas  de  ce  taire, 

Que  en  la  vile  ot  un  repaire 

A  un  vilain  riche  d'avoir: 

Que  se  li  livres  nous  dit  voir 

Ou  je  trouve  l'istoire  escrite, 
90    De  ci  a  Troie  la  petite 

N'ot  un  vilain  si  aesie. 

Sa  meson  sist  joste  un  plessie 

Qui  estoit  richement  garnie 

De  tôt  le  bien  que  terre  crie, 
95    Si  con  de  vaches  et  de  bues. 

De  brebiz  et  de  lait  et  d'oes. 

D'unes  et  d'autres  norriscons. 

De  gelines  et  de  chapons, 

De  ce  i  avoit  a  plante. 


65  ne  —  ne  ]  ou  —  ou  70  qui  s.  b.  on  71  a  la  v.  son  82  Et 
quil  li  tel  manque  89  jai  t.  escripto  92  sist  ]  fu  i>4  tons  Ifs  bien 
95  conme  et  manque    96  ces     99  ce  ot  il  a  grant  p. 


158  XVI   (Méon  4950-4i)85) 

100    Or  aura  ja  sa  volente 

Renart,  s'il  puet  entrer  dedenz. 

Mes  je  cuit  et  croi  par  mes  denz 

Qu'il  fera  par  dehors  sejor, 
'Que  clos  estoit  trestout  entour 
105    Et  li  jardins  et  la  mesons 

De  piex  aguz  et  gros  et  Ions  : 

Si  couroit  entor  un  ruissiaux. 

La  dedenz  avoit  arbruissiaux 

De  maintes  guises,  ce  sachiez, 
110    Qui  tuit  erent  de  fruit  charchiez. 

Moult  par  estoit  biax  li  repères. 

Sire  en  estoit  Bertolz  h  Mères, 

Uns  vilein  entulles  et  riches 

Qui  moult  estoit  avers  et  chiches, 
115    Car  de  despendre  n'avoit  cure: 

En  amasser  metoit  sa  cure. 

Ainz  lessast  plumer  ses  grenons 

Qu'il  menjast  un  de  ses  chapons, 

Ne  qu'il  eûst  au  feu  cuisine 
120    Ne  de  chapon  ne  de  gehne, 

Ainz  les  fesoit  au  marchie  vendre. 

Se  Renart  y  vuet  la  main  tendre, 

Je  cuit  bien  que  il  en  aura: 

Ja  si  garder  ne  les  saura. 
125        Li  vileins  fu  en  sa  meson 

Ou  n'avoit  home  se  lui  non. 

Sa  famé  fu  son  file  vendre, 

Li  autre  furent  pour  entendre 

A  lor  afere  trestuit  fors.  N  42 

130    Renart  vint  celé  part  le  cours. 

Qui  bien  pensoit  (n'en  doutez  mie) 

Que  la  mesou  ert  bien  garnie 

De  ce  dont  il  avoit  mestier. 

Entre  deus  blez  par  un  sentier 
135    S'en  est  venuz  jusqu'à  la  haie. 

100  Or  en  aura  sa  103  sera  le  jour  107  missel  108  d.  erent 
arbriiissel  112  ert  113  artilleus  120  chapons  122  Se  manque  vorra 
126  O  lui  nauoit  liom     127  f.  estoit  son     12S  autre  estoient  p.  apredre 


XVI  (Méon  4986-5021)  159 

De  leanz  entrer  moult  s'esmaie: 

Quar  les  chapons  vit  au  soleil, 

Et  Chantecler  qui  cligne  l'ueil, 

Et  ses  poucins  et  ses  gelines 
140    Qui  erent  lez  un  tas  d'espines 

En  un  paillier  ou  il  gratoient. 

De  tout  ice  ne  se  gardoient, 

Bien  cuidoient  asseûr  estre. 

Mes  Renart  qui  fu  pute  beste, 
145    De  lecherie  frit  et  art: 

Bien  voit,  par  engin  ne  par  art 

N'i  entrera,  c'est  por  noiant. 

Entour  vet  et  vient  coloiant 

Pour  veoir  et  pour  esprouver 
150    Se  ja  peûst  partuis  trouver 

Par  ou  il  se  peûst  enz  mètre. 

Tant  vet  a  destre  et  a  senestre 

Renart  li  rous,  li  maleïs, 

Que  par  devers  le  plesseïs 
155    Trouva  un  pel  par  aventure 

Qui  ert  use  de  pourreture. 

Par  la  ou  li  regorz  couroit 

Du  jardin  quant  pieu  avoit: 

Par  la  s'en  est  entrez  dedenz 
160    Tout  souef,  et  jure  ses  denz 

Que  a  cui  que  il  doie  nuire 

Y  fera  il  ses  grenons  bruire 

Ou  de  chapon  on  de  geline. 

Tapiz  s'est  desoz  une  espine, 
165    Que  ne  volt  mie  estre  veûz. 

Ne  s'est  crolez,  ne  s'est  meûz. 

Touz  coiz  se  tient  et  si  escoute. 

Chantecler  qui  point  ne  se  doute 

Et  qui  bien  cuide  estre  asseiir, 
170    S'en  vet  en  non  de  maleûr 

Parmi  le  jardin  pourchacent 


147  noiant      151  manque.  Après     le  r.      152  on  lit     Ro.  li  mus 
la  maie  beste     153  Renart  manque     li  traitres  li      165.()  manquent 


160  XVI  (Méon  50-22 -505fi) 

Et  ses  gelines  apelant. 

Et  tant  se  pourquiert  et  porchace 

Qu'il  est  veauz  devant  la  place 

175    La  ou  Renart  se  fu  muciez. 
Qant  Renart  le  vit,  si  fu  liez. 
Si  jure  que,  se  diex  le  saut, 
Il  li  fera  un  mauves  saut. 
Que  que  cil  a  grater  entent, 

180    Renart  se  lieve,  si  descent 

Vers  lui  pour  prendre:  mes  il  faut, 
Quar  Chantecler  en  travers  saut. 
Or  est  Renart  moult  malbailli. 
Quant  il  voit  que  il  a  failli. 

185    Si  n'ot  en  lui  que  correcier: 
Le  coc  a  pris  a  dechacier 
Et  ca  et  la  et  sus  et  jus. 
Chantecler  voit  qu'il  n'i  a  plus, 
A  crier  conmence  a  haut  ton. 

190    Bertolz  qui  fu  en  sa  mesou. 
Saut  pour  veoir  que  ce  estoit 
Qui  ses  gelines  tanpestoit. 
L'uis  a  ouvert  de  son  courtil. 
S'a  veû  Renart  le  gourpil 

195    Qui  einsi  les  va  dechascent. 
En  sa  meson  repère  atant, 
Si  prent  deus  resiaux  enfumez 
Que  maufe  li  orent  donnez. 
Et  dist  que  se  Renart  l'ateut, 

200    Moult  iert  iriez,  s'il  ne  le  prent: 
Diable  li  ont  amené 
Cil  qui  bien  semble  forsene. 
S'en  revint  en  son  courtil  droit: 
Et  Renart  qui  veii  l'avoit, 

205    Desouz  un  chol  muciez  se  fu  : 
Et  cil  qui  pas  apris  ne  fu 


173  t.  ala  et  se  et  porchace  manque  174  Et  se  pourchaoe  que 
il  ert  Après  ce  v.  on  lit  venuz  au  lou  et  aprochiez  177  Et  si  que 
manque  178  Qui  li  180  1.  et  si  184  quil  y  a  192  if.  deciiacuir  195 
Qui  eiiisi  manque     Ses  gelines  uet  d.     199  dit 


XYI   (Méon  5057-5002)  161 

Ne  d'oiseler  ne  de  chacier, 

Seur  les  cholz  a  pris  a  couchier 

Les  resiax  trestouz  de  travers, 
210    Et  jure  les  os  et  les  ners 

Que  Renart  sera  engingniez. 

Lors  s'escrie  con  esragiez 

Et  en  aventure  buie  et  crie, 

Ja  soit  ce  qu'il  nel  voie  mie. 
215    'Haha!'  fet  il  'niar  i  venistes, 

Filz  a  putain,  lierres  traïstres. 

Par  ca  saudroiz  par  saint  Germain.' 

Un  baston  tenoit  en  sa  main, 

Dont  il  a  les  cbols  reverehiez 
220    Tant  que  touz  les  a  detranchiez. 

Si  les  revercbe  sus  et  jus. 

Quant  Renart  voit  qu'il  n'i  a  plus 

Et  que  n'i  a  mestier  celée. 

Un  saut  a  fet  a  la  volée: 
225    Si  se  fiert  en  un  des  roiseus. 

Or  li  croist  et  anuiz  et  deus. 

Maufez  l'ont  en  ce  point  tenu 

Que  moult  li  est  mal  avenu. 

S'il  eschape,  ce  ert  merveille. 
280    La  roiz  entour  lui  s'entourteille: 

Pris  est  et  par  col  et  par  piez. 

Or  est  il  moult  bien  eugigniez. 

Ne  li  a  riens  valu  sa  guile. 

Mielx  li  venist  que  en  la  vile 
2;î5    Ne  fust  venuz  ne  entrez  ja. 

Tourne  et  retourne  ca  et  la. 

Quant  plus  tourne  et  plus  s'enlace. 

Toutesvoies  tourne  et  rebrace 
Pour  issir,  mes  riens  ne  li  vaut: 
240    Quar  li  vilainz  a  fet  un  saut, 
Qui  bien  l'avoit  aparceù. 
Et  dist  qu'or  li  est  mescheù. 


210  erragiez     213  Et  en  oiant  forment  le  huie     214  ueoit    223  Ne 
quil  ni     2.37  s'manque     2.39  i.  hors  r.     240  a  fort  y  s.     242  dit 
RENART  ir.  11 


162  XVI  (Méon  5093-5128J 

Quant  il  est  cheiiz  en  sa  trape: 

Merveilles  ert  s'il  li  eschape 
245    Que  del  corps  ne  soit  empiriez. 

Vers  lui  s'adresce  touz  iriez: 

Si  avoit  haucie  le  pie  destre, 

Desus  la  gorge  li  voult  mètre, 

Quar  mielz  l'en  cuidoit  mestroier. 
250    Mes  Renart  nel  voult  otroier, 

Que  tost  l'auroit  espoir  bleeie. 

Si  con  cil  rabessoit  son  pie, 

Renart  l'a  pris  par  mi  aus  denz 

Si  que  toutes  li  embat  enz: 
253    Serre  les  denz  aprez  la  bouche 

Si  que  l'une  a  l'autre  touche. 

Moult  les  a  bien  Renart  serrées, 

Que  d'outre  en  outre  sont  passées.        N  48 
Quant  li  vilainz  se  sent  bleeie 
2()0    Et  vit  son  pie  par  mi  percie, 

Li  sans  li  mue  et  pert  couleur, 

Pasmez  chaï  de  la  doulour. 

Et  Renart  le  tint  toutevoie. 

Qui  a  son  cuer  avoit  grant  joie 
265    De  ce  qu'il  l'avoit  si  a  main, 

Et  jure  dieu  et  saint  Germain 

Que  il  ne  li  eschapera 

Devant  que  son  plesir  fera: 

Que  bien  scet  qu'il  seroit  frapez, 
270    Se  il  li  estoit  eschapez: 

Que  ne  porroit  ester  son  corps 

Du  roisel,  s'il  n'en  est  mis  fors 

Par  tel  qui  sceiist  la  manière. 

Pour  ce  dist  que  la  mort  le  fiere, 
275    S'il  li  este  del  pie  les  denz. 

Li  vileinz  qui  se  jut  adenz 

Tout  ainsi  con  il  estoit  Ions, 

Est  revenuz  do  pâmoisons. 


244  sil  en  e.  247  poing  d.  252  con  raettoit  auant  s.  254  les 
257  serres  259  sent]  uit  260  parmi  percie  son  pie  271  Quil  ne  272  r. 
ne  mètre  soi  hors     273  quil  s.     276  uit 


XVI   (Méon  5129—5164)  168 

De  Renart  se  cuide  eschaper, 
280    Si  li  prent  le  groing  a  taster  : 

Que  la  bouche  li  voult  ouvrir. 

Mes  Renart  ne  le  volt  soufrir, 

Eincois  li  vet  moult  anoiant. 

Et  li  vilainz  le  vet  baillant 
•28.1    Aus  pouces  qu'il  a  durs  et  gros. 

Toutes  voies  n'est  pas  tant  os 

Que  a  la  bouche  li  adese. 

Et  Renart  qui  jut  a  malese, 

Quant  voit  que  durement  le  taste, 
•290    Si  giete  les  denz,  si  le  hape 

Ovec  le  pie  par  la  main  destre. 

Or  est  le  vilain   bien  a  mestre, 

Bien  le  vet  Renart  mestroiant: 

N'eschapera.  c'est  pour  noiant. 
295    11  eùst  fet  greigneur  savoir, 

S'eûst  lessie  (ce  sai  de  voir) 

Renart  en  pes  querre  sa  vie: 

Moult  ot  empense  grant  folie 

Quant  le  volt  prendre,  mar  le  iist. 
3'.K)    Tant  grate  chievre  que  mal  gist. 

Bien  se  cuida  de  lui  vengier: 

Or  est  cheû  en  son  dangiei-, 

Quar  il  n'en  aura  ja  pitié. 

A  tout  le  mainz  n'a  il  c'un  pie 
;}(i5    Et  une  main  en  sa  baillie. 

Renart  a  sa  geule  sesie 

Del  pie  destre  et  de  l'autre  main. 

Moult  vet  menaçant  le  vilain. 

Et  dist  qu'il  li  torra  la  vie 
;J10    Del  corps,  foi  que  il  doit  s'amie, 

Que  ja  n'en  aura  reancon: 

Mielz  li  venist  estre  a  Lançon 

Que  il  fust  cheuz  en  ses  mainz. 

Grant  paour  en  a  li  vilainz, 


284  luet  baaillant  287  osf  29(5  Sil  oust  i-o  saoliiez  do  298  M. 
tost  empensa  g.  299  mal  306  R.  sa  u:-  en  a  s.  309  dit  312  e.  en 
meson 


164  XVI   (Méon  5165-5201) 

315    Ne  scet  que  fere  ne  que  dire. 
Des  ielx  pleure,  du  cuer  souspire 
Et  maine  ileuques  moult  fort  vie. 
Tout  en  plorant  merci  li  crie. 
'Sire  Renart'  fait  il,  'merci! 

320    Lessiez  moi,  por  dieu  vos  em  pri 
Conmandez  moi  ce  que  voudroiz, 
Et  jel  ferai,  quar  il  est  droiz. 
Et  vostre  hora  sere  tous  jours  mes.' 
Filz  a  putain,  vilain  punes' 

325    Fet  Renart,  'qu'aies  vos  disant? 
Moult  m'aliez  hui  despisant, 
Et  moult  me  cuidiez  bien  prendre. 
Quant  vos  roiseus  alastes  tendre 
Parmi  le  jardin  conme  foux. 

330    Mes  si  me  puist  aidier  saint  Lox, 
Vous  le  conparroiz  hui  moult  chier.' 
Et  cil  qui  ne  se  pot  venchier. 
Crie  et  se  plaint  et  fet  son  duel. 
'Sire'  fet  il,  'a  vostre  vueil 

335    Ferai  quanque  conmanderez.' 
'Tesiez'  dist  Renart,  'ne  jaugiez, 
Filz  a  putain,  traîtres  sers! 
Que  par  mes  doiz  et  par  mes  ners 
Je  vous  métrai  en  maie  paine. 

340    Ne  m'eschaperez  des  semaine. 
Bien  me  cuidiez  avoir  pris: 
Mes  je  vous  ai  mieuz  entrepris. 
Ore  estes  vous  mis  en  prison: 
Ja  n'aie  je  mes  garison, 

345    Se  ne  vous  faiz  moult  grant  anui. 
Au  mainz  y  serez  vous  meshui, 
N'avez  pooir  de  vous  mouvoir. 
N'en  prendroie  pas  tout  l'avoir 
L'empereour  Otevien, 


316  p.  et  du  317  ileuo  m.  fort(3  3l!)  R.  pour  tlieu  m.  320  m. 
quar  ie  uous  321  uoudrez  ;}23  Et  manque  hoiiine  32(i  »MouIt]  Qui 
330  M.  ainsiques  maist  .s',  leux  3.U  hui  manque  333  se  mani/tie 
336  «lit     342  Mieuz]  bien     343  vo3  mis  on  ]>.     ;]45  foiz 


XVI  (Méon  5202-5237)  165 

350    Foi  que  je  doi  saint  Julien, 

Que  je  ne  vous  face  contraire.' 

'Renart,  pour  amour  dieu,  non  faire, 

Ne  me  fai  ore  pas  del  pis 

Que  tu  porras!  se  j'ai  mespris 
355    Envers  toi,  que  bien  m'i  acort. 

Certes  j'en  ai  eu  le  tort. 

Mes  je  sui  prest  de  l'amender 

Einsi  con  vorras  conmander: 

Ja  n'irai  contre  ton  conmant. 
SHO    Et  sachiez  bien  veraieraent 

Que  je  le  veil  et  si  l'otroi, 

Que  moi  et  tôt  le  mien  metroi 

De  tout  en  tout  en  ton  esgart. 

Ne  devez  pas,  se  diex  me  gart, 
365    Refuser  ainsi  bêle  amende, 

Et  je  sui  garniz  de  viande 

Tele  conme  vos  a  mestier, 

Ge  vous  en  verrai  aesier. 

Plus  en  ai  c'onme  ci  entour. 
370    Pour  dieu  fêtes  moi  ceste  amour! 

Vostre  honme  lige  devandrai. 

James  voir  en  lieu  ne  serai 

Dont  vous  doie  venir  domage. 

Pour  dieu,  quar  prenez  cest  hommage, 
375    Pour  dieu,  ne  soiez  si  crueuz! 

Liex  puez  estre,  qant  uns  bons  tiex 

Qui  est  si  poissanz  et  si  riches, 

Yeult  devenir  vostre  homme  liges.' 
Quant  Renart  le  vilain  entent 
380    Qui  si  fort  pleure  et  se  repent. 

Et  dit  que  il  a  grant  pesance 

De  l'outrage  et  de  la  viltance 

Et  de  la  honte  qu'il  li  fist: 

Pitié  l'en  prent  et  si  li  dist 
385     Tes  toi,  vilain,  ne  pleure  pas! 


359  Jaurai  coutemant  360  uraiemeiit  362  m.  pour  toi  le  m. 
métrai  .363  De  366  de  lamende  367  c.  el  uous  376  Liex  tiex 
382  greuance    383  qui  li 


1()6  XVI   (Méon  5238—5273) 

A  ceste  foiz  mal  ni  auras.  N  44 

Mes  garde  toi  de  rencheoir! 

Que  si  puisse  je  mes  veoir 

Ne  ma  famé  ne  mes  enfanz, 
390    Nulz  bons  ne  te  seroit  garanz, 

Nel  te  feïsse  comparer. 

Mes  eincois  que  t'en  les  aler, 

Vileinz,  me  bailleras  ta  foi 

Que  de  par  les  tiens  ne  par  toi 
395    N'aurai  ne  honte  ne  domage, 

Et  que  tu  me  feras  hommage 

Si  tost  conme  lessie  t'aure, 

Et  que  tôt  a  ma  volonté 

Métras  et  ton  avoir  et  toi.' 
400    Dist  li  vilainz  'et  je  Totroi 

Tout  ainsi  conme  vous  le  dites. 

Einsi  m'aïst  sainz  esperites 

Que  riens  nule  tant  ne  désir 

Con  a  fere  vostre  plesir.' 
405    A  icest  mot  sa  foi  li  tant 

Li  vilainz  et  Renart  la  prent. 

Or  sachiez  que  bien  le  puet  croire 

Tout  aussi  bien  conme  un  prouoire: 

Quar  li  vilainz  estoit  entiers, 
410    Si  ne  mentoit  pas  volantiers. 

'Vilainz'  ce  dit  Renart,  'entent! 

Tu  m'as  fiance  loyaument 

Que  tu  feras  a  mon  esgart.' 

Voire,  si  ait  diex  en  moi  part 
415    Con  je  volantiers  le  ferai: 

Que  ja  pour  nului  nel  lairai, 

Ainz  le  fere  dou  tout  en  tout.' 

Puis  que  dit  l'as,  je  pas  n'en  dont' 

Fet  Renart,  'quar  tu  es  preudom. 
420    Au  mainz  en  as  tu  le  renon. 

Moult  ai  01  de  toi  parler.' 

387  del  encheoir  388  ie  dieu  v.  396  Et  si  me  f.  ci  h.  398  tu 
400  dit  417  de  418  je  manque  ne  œen  d.  420  tu  biî  le  non  421 
manque 


XVI  (Méon  5274-5309)  167 

A  cest  mot  l'a  laissie  aler. 

Cil  qui  avoit  este  grevez, 

A  grant  paine  s'en  est  levez, 
425    Et  puis  devant  lui  s'agenoille. 

De  ses  lermes  les  piez  li  moille 

Si  li  fist  hommage  en  plorant, 

Qu'il  n'i  ala  plus  demourant. 

Envers  le  moustier  sa  main  tant, 
4H0    Si  li  a  fet  le  serement 

Tel  con  estuet  fere  a  hommage. 

Et  si  li  amende  l'outraje 

Que  il  ri  avoit  fet  devant. 

Bien  li  a  tenu  son  créant 
435    Con  cil  qui  estoit  peouros. 

Puiz  li  dist  'sire,  or  direz  vous 

Trestot  ice  qui  vous  plera. 

Et  je  sui  cil  qui  le  fera 

Si  con  vous  verrez  a  devise, 
440    A  mon  pooir  et  sanz  faintise.' 

Or  dont'  dist  Renart  'vien  avant! 

Si  me  deslace  tout  avant 

De  ton  roisel  qui  trop  me  grieve.' 

Maintenant  li  vilainz  se  lieve, 
445    Si  li  a  fet  a  sa  devise. 

Et  Renart  qui  en  mainte  guise 

Engingne  la  gent  et  decoit, 

Desliez  est,  si  le  conjoit. 

Encor  n'a  il  pas  oublie, 
450    Ainz  li  dist   tu  m'as  afie. 

Amis,  que  trestout  mon  vouloir 

Feras  tu  selonc  ton  pooir. 

Mes  certes  tu  en  seras  quites 

Por  mainz  assez  que  tu  ne  cuides. 
455    Ge  te  fere  bien  ton  feret. 

Aporte  moi  ton  coc  veret 

Que  j'ai  hui  toute  jour  gaitie, 


422  manque  423  q.  estoit  ml'l  a  greuez  424  sestoit  1.  427  Se 
432  li  a  amende  435  q.  moult  e.  preudons  436  li  manque  dit  437  Tout 
i.  que  il  u.  p.     441  dit      vien]  tout      442  d.  maintenant     445  Ift 


168  XVI  (Méon  5310—5349) 

Se  tu  veus  avoir  m'amistie, 

Si  le  me  baille  par  le  col! 
460    Par  la  foi  que  je  doi  saint  Pol, 

James  riens  plus  ne  te  querrai: 

Ainz  te  di  que  je  te  ferai 

Seigneur  de  moi  et  de  ma  terre.' 

Bertolz  qui  ne  voult  pas  la  guerre, 
465    Li  dist  'sire,  vos  dites  mal: 

Que  par  le  père  esperital 

Li  coc  est  trop  dur  a  menger. 

Se  le  voliez  eschanger? 

Quar  il  a  bien  deus  anz  touz  plainz. 
470    Mes  je  vous  baudrai  de  mes  raainz 

Trois  poucins  tendres,  se  voulez. 

Dont  vous  serez  bien  saoulez, 

Et  vous  feront  a  vostre  cuer 

Greigneur  bien,  foi  que  doi  ma  suer 
475    Dame  Haouis  de  la  Monjoie. 

Qar  le  coc  a,  se  diex  me  voie. 

Les  ners  et  la  char  forment  dure.' 

'Vileinz'  fet  Renart,    n'en  ai  cure 

De  tes  poucins:  tuit  soient  tien. 
480    Mes  se  tu  veuz  fere  mon  bien, 

J'aurai  le  coc  que  je  demant.' 

'Sire'  fet  il,  'vostre  conmant 

Ferai  je  sanz  nule  achoison, 

Quar  je  sui  devenuz  vostre  hom. 
485    Par  mon  chief  orendroit  l'aurez. 

Des  que  vous  tant  le  desirez.' 

Atant  let  li  vilains  le  plet 

Et  maintenant  au  coc  s'en  vet. 

Si  l'a  chacie  par  le  porpris. 
490    Et  tant  chaca  que  il  l'a  pris. 

Vient  a  Renart  et  si  li  baille. 

Tenez,  sire,  se  diex  me  vaille. 

Ge  vousisse  mielz  par  saint  Gile, 

Qu'eussiez  deus  de  mes  gelines, 
495    Qar  je  l'amoie  durement 
465  Li  manque     D,  ma]  dites  par  saint  tyrail     479  tien     490  ala 


XVI   (Méon  5350-5386)  169 

Pour  ce  que  menu  et  souvent 

Les  mechauchoit  l'une  après  l'autre. 

Mes  puis  que  vous  ne  voulez  autre, 

Il  est  bien  droiz  que  vous  l'aiez.' 
500    'Vileinz,  or  ne  vous  esraaiez! 

Que  par  mon  ehief  bien  l'avez  fet. 

L'ommage  que  m'aviez  fet. 

Vous  claim  orendroit  trestout  quite.' 

'Sire'  fet  Bertolz,  'la  mérite 
505    Vos  en  puisse  diex  rendre  a  l'ame, 

Et  sainte  Marie  ma  dame!' 
A  ces  paroles  se  départ 

Bertolz  et  mesires  Renart, 

Si  le  conmande  moult  a  de. 
510    Et  Renart  qui  bien  l'a  gabe 

A  pris  le  coc  et  si  s'en  vet 

A  Malpertuis  a  son  recet. 

Bien  en  cuide  runger  l'eschine 

Entre  lui  et  dame  Hermeline, 
515    Sa  famé  que  il  tant  amot. 

Mes  encore  ne  scet  il  mot  N  45 

De  ce  que  il  li  peut  a  l'ueil. 

Si  con  il  vint  desouz  un  tueil 

Qui  ert  lez  le  chemin  a  destre 
520    Delez  une  ville  champestre, 

Garde  et  voit  le  coc  qu'il  porte 

Qui  durement  se  desconforte. 

Des  iex  pleure,  moult  fu  dolant, 

A  Renart  grant  pitié  en  prent, 
5-25    Si  li  a  dit,  pour  quoi  il  pleure. 

'Pour  quoi?  maleoite  soit  l'eure' 

Fet  le  coc,  'que  onques  fu  nez! 

Moult  m'est  or  bien  guerredonnez 

Li  servises  que  je  ai  fet 
580    A  Tort  vilein  mesel  deffet 

Que  j'ai  si  longuement  servi. 

Mal  soit  l'eure  c'onques  le  vi! 

497  me  wanque     511  A]  Et    521  et  voitj  avoit    527   que  ie  o. 


170  XVI   (Méon  5387-5423) 

Qar  ja  n'en  aurai  fors  la  mort.' 
'Par  dieu   fet  Renart,  'tu  as  tort, 

iïHô    Quant  pour  ce  te  vas  démentant. 
Par  l'ame  ton  père  ore  entent  ! 
N'est  il  bien  droiz  en  toute  place 
Que  li  sires  par  reson  face 
Ue  son  serjant  sa  volente? 

.•)40    Oïl,  par  ma  crestiente, 

Il  se  doit  bien  lessier  morir 
Pour  son  bon  seigneur  garantir 
De  mort,  se  il  est  a  meschief. 
Or  n'aies  paour,  par  mon  chief, 

54.')    Ne  puez  avoir  anor  greigneur 
Con  de  morir  pour  ton  seigneur. 
Malbailliz  fust  et  malmenez, 
Se  il  ne  se  fust  rachetez 
Envers  moi  de  toi  seulement. 

550    Quar  si  aie  je  amendement, 
Je  l'eusse  occis  tout  froit  mort. 
N'aies  paour,  pren  bon  confort, 
Qu'ainsi  avoies  a  mourir  : 
Nus  bons  ne  t'en  pooit  garir. 

5r).T    II  te  vient  mielz  morir  ainsi 
Que  autrement,  saches  de  fi. 
Quar  qant  pour  ton  seigneur  menas. 
Saches  de  voir,  tu  t'en  iras 
Lassus  en  la  dieu  compaingnie 

.'ieo    Ou  auras  pardurable  vie. 

'Sire'  dit  le  coc,    bien  le  sai. 
Ne  sui  pas  pour  mort  en  esmai 
Que  je  doie  avoir,  ce  sachiez. 
Mes  de  ce  sui  je  correciez 

ÔB5    Que  les  chapons  et  les  gelines. 
Que  veïstes  lez  les  espines. 
Seront  a  grant  joie  mengiees. 
S'en  seront  leur  âmes  plus  liées 
Et  du  solaz  et  de  la  feste. 


XVI  iMéon  5424-5459)  171 

570    Et  j'aurai  croissue  la  teste. 

Moult  grant  solaz  me  feïssiez, 

Se  une  chancon  chantissiez. 

Ne  me  chausist,  qant  je  morusse. 

Bien  sai  que  plus  souef  en  fusse 
57â    Lassus  en  la  dieu  compaignie." 

Et  dist  Renart  'voir  par  ma  vie, 

Est  ce  pour  ce  que  tu  ploroies? 

Et  pour  qoi  ne  le  me  disoies? 

Ja  pour  ce  ne  fai  laide  chiere! 
580    Foi  que  je  doi  ma  famé  chiere, 

Orendroit  je  vous  en  dire 

Del  meilleur  endroit  que  saure 

Sanz  plus  pour  toi  reconforter.' 

Lores  conmenca  a  chanter 
585    Une  chanconnete  nouvele. 

Et  qant  cil  qui  par  sa  favele 

L'amusoit,  vit  la  bouche  ouvrir. 

Des  eles  commence  a  ferir 

Et  a  batre  et  vint  volant 
590    Deseur  un  orme  haut  et  grant 

Qui  devers  l'autre  part  estoit. 

Et  quant  dant  Renart  ice  voit. 

Bien  voit  que  il  est  deceii. 

Desouz  l'orme  est  acoru, 
595    Si  dist  sire,  guile  m'avez.' 

'Renaît'  dist  il,   or  le  savez, 

Devant  ne  le  saviez  pas: 

Foi  que  je  doi  saint  Nicolas 

Mielz  vous  venist  estre  teiis. 
600    Se  vous  estes  or  deceiis 

Par  trop  chanter,  si  vous  tesiez, 

Qant  vous  en  serez  aesiez 

Une  autre  foiz,  s'on  vos  en  proie: 

Si  alez  or  querre  autre  proie, 
605    Qar  a  ceste  avez  vous  failli.' 


576  voiz  pour      587  Lamusoit  ]   Lot    deceu       595   guyle    mauuez 
603  con 


172  XVI  (Méon  5460-5496) 

Renart  se  tint  pour  escharni, 
Ne  scet  que  dire  ne  que  fere. 
Bien  voit  que  mielz  li  venist  tere 
Qu'avoir  chante  a  celé  empainte. 

610    'Lierres'  fet  il,  'foi  que  doi  sainte 
Agnes  qui  fu  de  bonne  vie, 
Bien  voi  que  bel  chanter  anuie 
Et  nuist  aucune  foiz  ensemble. 
Voir  dist  li  vilainz,  ce  me  semble, 

615    Qui  dist  qu'entre  bouche  et  cuillier 
Avient  souvent  grant  encombrier. 
Ore  en  sui  bien  certainz  et  fiz. 
Sages  fu  Chatons  et  recuiz, 
Qui  enseigna  son  fil  petit 

6-20    Q'a  son  menger  parlast  petit. 
Mes  je  ne  l'ai  pas  retenu. 
Bien  voi  que  mal  m'est  avenu 
De  trop  parler  a  ceste  foiz. 
Or  m'en  irai,  quar  il  est  droiz, 

6-25    En  autre  lieu  moi  pourchacier, 
Que  ne  puis  ci  riens  gaaingnier.' 
'Ha  puanz  roux  de  pute  estrace, 
Alez  vous  en!  ja  dieu  ne  place' 
Fet  soi  li  coc,   ne  ses  vertuz, 

630    Que  ne  soiez  ars  ou  penduz 
Encois  que  li  mois  soit  passez, 
.la  m'eussiez  les  os  quassez 
Moult  putement.  jel  sai  de  voir, 
Se  par  engin  ou  par  savoir 

635    Ne  me  fusse  de  vous  esters. 
Alez  vous  en  :  que  par  le  corps 
Saint  Marcel,  se  plus  attendez, 
Vo  pelicon  ert  ramendez. 

Que  que  il  vont  ainsi  parlant, 

640    Quatre  lévrier  viennent  bruiant 
Apres  un  porc  a  grant  alaine 
Tout  contreval  par  la  champaigne. 


615  dit     619  filz     638  reuidoz 


XVI    (Méon  5497—553-2) 


173 


Et  deus  brachez  aprez  eulz  viennent 
Et  li  veneour  leur  cors  tiennent,  X  46 

(;j5    Dont  il  vont  durement  cornant. 
Tout  le  païs  vont  estonnant 
De  lor  huier,  de  lor  corner. 
Tant  entent  au  coc  a  parler 
Renart  li  roux  que  maufeus  arde, 
(i5i)    Que  onques  ne  se  doua  garde: 
Ainz  li  sont  sus  le  col  cheû. 
Lors  se  tint  il  a  deceii. 
Aval  les  chanps  s'en  vet  fuiant. 
Li  veneour  li  vont  huiant  : 
(i55    'Aha,  aha   font  il,  'Renart! 

Ja  diex  n'ait  en  vostre  arae  part! 
Se  ne  fusson  si  emblae, 
Ja  vous  eûsson  effrae. 
Ja  si  bien  ne  vous  gardissiez 
660    Que  la  cote  n'i  lessissiez. 

Trop  convenist  savoir  de  frape, 

Se  ne  nous  lessissiez  la  chape. 

Mes  or  n'avez  garde  de  nous.' 

Et  cil  s'en  va  touz  poourous 
(iHô    Qui  n'a  cure  de  lor  acost. 

Dedenz  un  terrain  s'est  repost 

Tant  que  li  chien  s'en  sont  outre. 

Et  cil  s'en  vont  tout  aroute 

Apres  courant,  et  font  grant  noise: 
670    Ne  finerent  de  courre  a  toise 

Tant  que  il  sont  en  la  forest. 

Qant  ce  voit  Renart,  si  11  plest, 

Et  si  dit,  foi  qu'  il  doit  s'amie. 

Que  cela  part  n'ira  il  mie, 
675    Que  il  puist,  ne  que  bel  li  soit. 

Bien  scet  se  uns  d'eulz  le  tenoit, 

Il  li  donroient  el  que  pain. 

A  cest  mot  est  venuz  au  plain 


649    maufez       650    donne       654    lo    v.    bruiant       657    enil)lj 
658  efifrilez      660  coste      666  se  r.       677  li  couuenroit 


174  XVI   (Méon  5533—5569) 

Et  let  le  coc  dont  moult  li  poise, 

()S()    Si  s'en  vet  fuiant  a  grant  toise 
Par  un  sentier  entre  deus  blez. 
Encor  se  crient  d'estre  encontrez 
Ou  de  lévrier  ou  de  gaignon. 
Del  ble  s'en  ist  le  grant  troton 

685    Si  se  fiert  enz  en  la  forest: 
Ce  est  li  leuz  qui  plus  li  plest 
Et  ou  il  a  mainz  de  peiir. 
Ore  est  aese  et  asseiir, 
Se  ne  fust  la  tain  qui  le  grieve. 

61)0    Souvent  regarde,  s'il  voit  lièvre 
Ne  connin  que  il  peûst  prenre. 
Moult  est  iriez,  qant  il  li  membre 
Du  coc  qui  si  l'a  deceii, 
Et  dit  que  mal  li  est  cheû. 

695    Ne  prise  tout  son  sens  un  œf, 
Fait  il,  's'il  fussent  dis  et  nœf. 
Si  les  deiisse  engignier  touz. 
Chascun  dit  que  je  sui  si  preuz 
Et  que  j'ai  tant  senz  et  savoir: 

700    Certes  il  ne  dient  pas  voir. 

N'ai  pas  grant  sapience  enclose 
En  moi,  qant  si  chetive  chose 
Conme  un  cochet  qui  m'a  boule. 
Mielz  vousisse  que  afole 

705    M'eiist  en  d'un  pie  ou  d'un  oeil. 
Mes  si  puisse  je  mes  le  sueil 
De  ma  meson  passer  a  joie. 
Se  diex  donne  que  ja  mes  voie, 
Je  li  fere  chier  comparer. 

710    Ja  disoie  que  buef  d'arer 

Ne  savoit  tant  con  moi  de  guile, 
Et  un  petit  cochet  de  vile 
M'a  engignie  et  deceii! 
Ne  vorroie  qu'il  fust  sceii 

715    Pour  l'avoir  de  Costantinoble 

680  Si  ]  Et     687  paour     698  preiiz     704  que  ]    estre 


XVI  (Méon  5570-5607)  175 

Dedenz  la  court  raesire  Noble. 

Foi  que  je  doi  touz  mes  enfanz 

Que  j'en  seroie  moult  dolanz, 

Se  nus  bons  le  me  reprocboit. 
720    Nel  vorroie  pour  riens  qui  soit.' 
Einsi  s'en  aloit  démentant, 

Et  toutevoies  esgardant, 

Savoir  se  ja  chose  veïst, 

Dont  sa  famé  liée  feïst 
7-25    Qui  en  sa  meson  se  démente 

Pour  la  fain  qui  si  la  tormente: 

Et  il  meïsmes  en  baaille. 

Mes  n'i  voit  cbose  qui  li  vaille, 

Dont  il  est  moult  forment  iriez. 
780    N'est  mie  un  arpent  alez 

De  terre,  ce  sacbiez  de  voir, 

Qant  il  prent  a  aparcevoir 

Monseignor  Noble  et  Ysengrin 

Qui  venoient  tout  le  chemin 
735    Et  parmi  le  bois  deduiant. 

Et  Renart  celé  part  en  vient. 

Et  dit  et  pense  en  son  courage 

Qu'il  fera  Ysengrin  domage 

S'il  puet  en  aucune  manière. 
740    Atant  s'en  vint  a  bêle  chiere 

Devant  le  roi,  si  le  salue. 

'Or  ca  que  bien  soit  hui  venue' 

Fet  Renart  'ceste  compaignie  !' 

Li  rois  ne  puet  muer  ne  rie, 
745    Qant  vit  Renart  de  devant  lui. 

'Bon  jour'  fet  il  'aiez  vous  hui, 

Renart  barat,  qu'aies  querant?' 

Sire,  je  me  voiz  pourquerant,' 

Fet  se  il,  'par  ici  entor. 
751)    Ne  final  des  le  point  du  jour 

Pour  ma  famé  qui  est  enceinte. 

Et  ge  n'ai  mie  encore  ateinte 

Chose  que  li  puisse  porter 


749  ci 


176  XVI  (Méon  5608-5645) 

Dont  la  puisse  reconforter 
753    Pour  la  fain  qui  la  destraint  fort.' 

'Renart"  dit  Nobles,  'par  la  mort, 

Bien  fez  tes  aferes  sanz  nous.' 

'Sire'  fet  il,  'foi  que  doi  vous, 

Je  ne  vous  os  m'aïde  offrir. 
760    Que  ne  daiugneriez  souffrir 

Que  si  petix  homs  con  je  sui 

De  force  et  de  cors  autresi, 

Alasse  o  vous  en  compaignie. 

Mielz  amez  la  grant  baronie 
765    De  vostre  court  avecques  vos. 

Aussi  con  or  est  Bruns  li  ours. 

Baucenz  et  Rooniax  li  viautres, 

Seigneur  Ysengrin  et  ces  autres. 

N'avez  cure  de  povre  gent.' 
770    'Renart'  fet  li  rois,    bel  et  gent 

M'alez  gabant,  si  con  moi  semble. 

Mes  or  vendrez  o  nous  ensemble,  N  47 

Se  il  vous  plest  et  il  vous  siet, 

(Et  si  vous  pri  qu'il  ne  vous  griet) 
775  Tant  que  puissons  proie  trouver, 

Dont  nous  puissons  desjeiiner 

Entre  nous  trois,  se  diex  me  voie.' 

'Sire'  fet  il,  'je  n'oseroie 

Pour  mesire  Ysengrin  le  leu 
78U    Qui  est  0  vous,  que  par  saint  Leu, 

Bien  sai  que  il  m'a  contre  cuer: 

Ne  ne  m'ameroit  a  nul  fuer. 

Mes  onques  ne  fis  par  mon  chief 

Nule  chose  qui  li  fust  grief. 
785    De  sa  famé  m'a  mescreii. 

Mes  par  dieu  et  par  sa  vertu, 

Onques  encor  jour  de  ma  vie 

Ne  li  requis  je  vilenie 

Ne  nule  chose  a  ma  comere 
790    Que  je  ne  feïsse  a  ma  mère. 

Si  ne  le  cuideroit  il  pas.' 


7yi  ilj  nen 


XVI    (Méon  :j()47-ô681)  177 

'Renart'  fet  li  rois,    c'est  tout  gas. 

Si  ne  puet  pas  estre  avère 

Qu'il  ne  vos  i  eiist  trouve, 
795    Se  tant  l'eussiez  maintenue. 

Or  n'i  ait  point  desconvenue, 

Orendroit  la  pais  en  feson.' 

'Sire'  fet  il,   le  guerredon 

Vos  en  puist  rendre  diex  a  l'ame  ! 
80:i    Que  foi  que  je  doi  a  ma  famé, 

Il  a  tort  et  je  ai  grant  droit.' 

'Ysengrin  amis,  ce  que  doit' 

Fait  li  roiz,    que  Renart  haez? 

Par  dieu,  fox  estes  qui  créez 
805    Tel  vilenie  de  Renart. 

Se  dame  diex  ait  en  moi  part, 

Je  ne  cuit  pas  qu'il  le  feïst 

Qu'en  nule  guise  requeïst 

Vostre  femme  de  vilenie. 
810    Quar  fêtes  ore  courtoisie, 

Pardonnez  li  vo  mautalent! 

Si  ferez  senz  mien  escient. 

Que  par  mon  chief,  grant  tort  avez. 

Quant  de  ce  que  vous  ne  savez 
815    Fors  seulement  par  oïr  dire, 

Li  portez  et  courrouz  et  ire: 

N'est  pas  manière  de  sage  homme. 

Foi  que  doi  saint  Père  de  Romme, 

Je  connois  bien  Renart  a  tel 
820    Que  nel  feïst  pour  le  chatel 

L'empereeur  Otevien.' 

'Sire,  par  foi,  je  le  croi  bien' 

Fet  il,  'quant  vous  le  tesmoignez.' 

'Or  donques  si  ne  porloingniez, 
825    M^es  de  bon  cuer  li  pardonnez 

Le  mautalant  qu'a  lui  avez!' 

'Sire'  fet  il,   et  je  l'otroi. 


791  il  J  on     794  Que  il     ne  manque     814  de  ^  uons 
RENART  II. 


178  XVI  (Méon  5682-5718) 

Je  li  pardoing  en  bonne  foi 
Ici  iluec  par  devant  vous. 

830    James  n'iere  vers  lui  irons 

Jour  que  la  vie  el  cors  me  soit, 
Ainz  voeil  que  mes  bons  conpainz  soit.' 

Apres  ce  mot  s'entrebeserent 
Cil  qui  onques  ne  s'entramerent, 

835    Ne  ja  mes  ne  s'entrameront. 
Dire  pueent  ce  qu'il  vorront: 
Por  ce  ne  se  remue  droit. 
Pes  ont  fête  quele  qu'el  soit: 
Devant  le  roi  l'ont  afiee. 

840    Mes  moult  aura  corte  durée, 

Quar  il  ne  puet  estre  a  nul  fuer 
Que  l'uns  n'ait  l'autre  contre  cuer. 
Ne  ja  ne  seront  sanz  rancune. 
Ne  donroie  pas  une  prune 

845    En  la  pes:  quar  se  diex  me  gart, 
Voirs  est  que  c'est  la  pes  Reuart 
Qui  einz  ne  fina  de  trichier, 
Encor  ne  le  veult  pas  lessier. 
Einsi  ont  fet  pes,  ce  me  semble, 

850    Renart  et  Ysengrins  ensemble. 
Apres  se  sont  mis  au  chemin 
Nobles  avant  et  Ysengrin, 
Et  puis  après  vet  dant  Renars 
Qui  moult  est  plaiuz  de  maies  ars. 

855    'Renart'  dit  Nobles,  'que  ferons? 
A  ton  conseil  nous  maintendrons. 
A  cest  point  seras  nostre  mestres, 
Quar  bien  sai  que  scez  touz  les  estres 
De  cest  bois  et  toutes  les  sentes. 

860    Mes  garde  que  tu  ne  me  mentes! 
Se  tu  scez  nul  lieu  ci  entour, 
Pre  ne  pasture  ne  destour 
Ou  nous  peiissons  trouver  proie: 
Quar  nos  y  maine  droite  voie, 


858  touz  scez     862  no  d.  ]  en  cl. 


XVI  (Méon  5719-5755)  IT^ 

865    Se  tu  le  scez.  que  diex  t'avoit 

Chose  qui  le  tien  cuer  convoit. 

Lors  m'auras  a  mon  gre  servi.' 

Et  dit  Renart  'par  saint  Davi, 

Je  ne  sai  pas  certainement, 
870    En  quel  pasture  ne  conment 

Nos  truisson  proie  qui  riens  vaille. 

Mes  de  tant  me  recort  sanz  faille 

Que  il  a  ca  une  valee 

Entre  deux  mons  en  une  pree, 
875    Ou  l'eu  amaine  souvent  pestre 

L'aumaille  de  ceste  champestre 

Vile  qui  est  ici  delez. 

Alons  celé  part,  se  voulez, 

Por  savoir  et  pour  esprouver, 
880    Se  porrions  chose  trouver 

Que  peiissons  menger  tuit  troi.' 

Par  foi'  fet  Noble,  je  l'otroi.' 
A  tant  s'en  tornent  celé  part 

Entre  seignor  Noble  et  Renart 
8SÔ    Et  Ysengrin  son  bon  ami. 

Mes  se  dieu  plest  et  saint  Rémi, 

L'amor  aura  corte  durée. 

Si  s'en  vont  la  voie  ferrée 

Et  tant  ont  lor  chemin  tenu 
890    Qu'il  sont  dedenz  le  pre  venu 

Que  dant  Renart  lor  avoit  dit. 

Ysengrins  regarde,  si  vit 

El  chief  du  pre  moult  bêle  proie. 

Or  sachiez  que  il  ot  grant  joie, 
8%    Que  moult  estoit  de  fain  grevez. 

Or  cuide  bien  estre  arrivez 

En  lieu  ou  il  emple  sa  pance. 

Mes  ja  n'en  soit  il  en  beance: 

Que  se  l'estoire  ne  nous  ment, 
900    Je  cuit  qu'il  ira  autrement.  N  48 

Lors  a  aresonne  le  roi. 


866  cuer  torioit     877  ici  ]  la 


180  XVI  (Méoii  5756-579-2) 

Sire'  fet  il.  'foi  que  vous  doi, 
Nous  avons  bon  chemin  tenu. 
Je  cuit,  bien  nous  est  avenu, 

905    Quar  je  voi  si  conme  il  me  semble 
Un  tor  et  une  vache  ensemble 
Qui  a  avec  lui  son  veel 
La  jus  el  chief  de  ce  prael. 
Ces  auron  nous  qui  que  il  griet. 

910    Mes  je  vous  lo,  se  il  vous  siet, 
Ainz  que  nous  aillons  celle  part, 
Que  nous  i  envoions  Renart 
Por  veoir  et  pour  espier. 
S'il  y  a  mastin  ne  bovier, 

915    Ne  chose  qui  nous  puist  mal  fere. 
Bien  porrions  avoir  contrere, 
Se  nous  einsi  despourveû 
Estions  seur  eulz  embatu. 
Mes  il  est  grelles  et  menuz, 

920    Si  n'iert  mie  si  tost  veiiz 
Si  comme  nous  i  serions.' 
'Vous  dites  voir'  fet  li  lions. 
Il  est  sages  et  veziez. 
Si  les  aura  tost  espiez.' 

925        Atant  en  aresne  Renart, 

'Renart'  fet  il,   se  diex  vous  gart. 
Sages  estez  et  decevanz 
Et  de  touz  maux  aparcevanz. 
Quar  i  alez,  si  espiez 

930    Savoir  se  la  jus  verriez 
Bovier  ne  vilein  deputere 
Dont  nos  peiist  venir  contrere: 
Quar  pour  noiant  nous  irions, 
Se  nostre  preu  n'i  fesions.' 

985    'Sire'  fet  Renart,  'volentiers.' 
Atant  s'estoit  mis  es  sentiers 
Grant  aleûre  aval  le  pre. 
Tant  avoit  coru  et  trote 


909  Geste  921  i  manque     933  nous  manque 


XYI  (Méon  5793-5829)  181 

Qu'il  est  venuz  au  leu  tôt  droit. 
940    Tout  entor  lui  garde,  si  voit 

El  chief  du  pre  delez  l'oraille 

Le  vilein  qui  gardoit  l'aumaille, 

Qui  se  dormoit  desoz  un  orme. 

Maintenant  celé  part  s'en  torne 
945    Trestout  le  pas  le  col  bessant. 

Durement  se  va  pourpensant 

Dedenz  son  cuer  que  il  fera 

Et  conment  il  l'engingnera 

Le  vilain  qu'il  ne  l'aparcoive. 
950    Soef  estuet  qu'il  le  déçoive  : 

Quar  il  scet  bien,  s'il  le  tenoit, 

Que  malement  l'atorneroit, 

Sel  feïst  volontiers  cheoir 

En  lieu  dont  ne  peiist  mouvoir, 
955    Et  n'ait  pooir  en  nule  guise. 

Lors  avoit  une  branche  prise 

De  l'orme,  et  saut  isnelement 

Desus  ainsi  très  bêlement. 

Que  onques  cil  ne  s'esveilla. 
960    Et  danz  Renart  qui  tant  mal  a 

Pense  et  fet  puis  qu'il  fu  nez. 

S'en  est  de  branche  en  branche  alez 

Tant  qu'il  vint  endroit  le  vilain. 

Si  jure  dieu  et  saint  Germain 
965    Que  il  H  fera  encui  honte. 

Que  vous  feroie  plus  lonc  conte? 

Renart  fist  conme  pute  beste: 

Quant  il  li  fu  desus  la  teste, 

Drescc  la  queue,  aler  lesse 
970    Tout  contreval  une  grant  lesse 

De  foire  clere  a  cul  ouvert, 

Tout  en  a  le  vilain  couvert. 

Cil  qui  l'a  sentue,  s'esveille, 

Taste  a  son  vis  et  se  merveille, 
975    Que  ce  est  qui  si  li  chiet  chaut 


940  8il  u.    949  qui  ne     969  a.  li  1.     973  Et  il 


182  XVI  (Méon  5830—5866) 

Sus  son  vis  de  lassus  en  haut. 
Si  prent  a  regarder  amont, 
N'i  voit  nule  chose  del  mont, 
Quar  li  arbres  ert  trop  fueilliez, 

980    Et  Renart  si  s'estoit  muciez 
Es  fueilles  si  qu'il  n'i  paroit. 
Et  quant  li  vilains  riens  ne  voit, 
Si  cuide  que  ce  soit  fantosme. 
Lors  taste  a  sa  main  et  si  osme 

985    Et  sent  que  c'est  merde  qui   put. 
Ne  fu  pas  liez  quant  l'aperçut, 
Ainz  li  anuie  fort  et  grieve. 
Tout  maintenant  d'iluec  se  lieve 
Et  s'en  cort  droit  a  un  fosse 

990    Qui  iluec  fu  au  chief  du  pre 
(Si  ot  bien  vint  piez  de  parfont, 
Et  fu  pleinz  d'eve  jusqu'amont) 
Et  jure  et  dit,  se  diex  le  saut, 
Qu'il  saura  qui  est  la  en  haut 

995    Sitost  con  il  ert  revenuz. 
Quant  il  fu  a  l'eve  venuz, 
Si  s'acroupi  pour  lui  laver. 
Renart  qui  bee  a  lui  grever, 
Saut  jus  a  terre  au  mielz  qu'il  pot. 
1000    Vers  lui  en  est  venuz  le  trot 
Par  derrier  qu'il  ne  l'aparcoive, 
Que  talant  a  qu'il  le  déçoive 
A  ceste  foiz  moult  malement, 
Et  si  le  veult  si  soutilment 
1005    Fere  que  il  ne  puist  foïr. 
Si  con  il  vint  de  grant  air, 
Li  est  desus  le  dos  sailliz. 
Ore  est  li  vileinz  malbailliz, 
Quar  ainz  qu'il  fust  aparceiiz 
1010    Est  il  dedenz  l'eve  cheiiz. 
Il  ot  grant  paour  de  noier: 
Si  conmenca  a  patojer. 


992  iusquii  fons      1001  derrières 


XVI  (Méon  5867-5902)  183 

Quar  volantiers  en  issist  hors. 

Mes  ainz  aura  anui  du  corps, 
1015    Se  Renart  puet  en  nule  guise. 

Il  est  venuz  a  son  joïse, 

N'en  istra  mes  sanz  beste  vendre. 

Enmi  le  pre  cort  Renart  prendre 

Une  pierre  qu'il  a  veûe 
1020    Grant  et  quarree,  si  li  rue 

Desus  le  col  par  tel  aïr 

Conques  cil  ne  se  pot  tenir 

Que  il  ne  soit  au  fons  alez. 
Ysengrins  qui  se  jut  delez 
1025    Monseignor  Noble  enmi  le  pre, 

L'a  veii,  si  li  a  mostre, 

Con  se  délite  la  aval. 

Non  mie  pour  bien,  mes  pour  mal.        N  49 

Quar  onques  ne  le  pot  amer: 
1030    Son  ami  le  puet  il  clamer, 

Mes  ja  du  cuer  ne  l'amera. 

Biau  semblant  espoir  li  fera. 

Si  vorroit  il  qu'il  fust  lardez. 

'Sire'  fet  il,  'or  esgardez 
1035    De  Renart  con  est  maux  voisins! 

Bien  nous  tient  or  pour  ses  cousins, 

Qui  tant  nous  fait  ci  acorber. 

Deablez  le  puist  assorber 

Quant  il  nous  fet  tant  de  mal  trere, 
1040    Que  il  ne  vient  ne  ne  repère! 

En  lui  auroit  bon  messager 

Por  querre  la  mort  et  cerchier, 

Quar  il  revenroit  moult  a  tart. 

Quar  alons  ore  celé  part, 
1045    Si  saurons  pour  quoi  il  ne  vient 

Et  quiex  essoines  le  détient. 

Je  le  voi  la,  ce  m'est  avis, 

Lez  le  fosse  tout  ademis 


1025  A  mo.sire  noblo  le    monstre     1026  Que  il  ni   avoit  denioure 
1034  fait  ]  dist     1037  vous     104V  ce  vous  plovis      1048  f.  ce  raest  avis 


184  XVI   (Méon  5903—5939) 

Ou  il  se  jeue  et  court  et  saut. 
1050    Moult  petitet  de  nous  li  chaut. 
Il  a  espoir  trouve  pasture 
A  son  oes,  si  n'a  de  nous  cure, 
Puis  que  il  est  bien  saoulez. 
Alons  celé  part,  se  voulez! 

1055    Si  saurons  qu'il  fet  et  pour  quoi 
Il  est  remes.'     'Et  je  l'otroi' 
Pet  Nobles,  'vous  dites  moult  bien. 
Foi  que  je  doi  saint  Julien, 
Je  li  fere  comparer  chier 

1060    Ce  qu'il  nous  fet  ici  juchier: 
Se  il  le  fet.  pour  nul  despit, 
Ja  n'en  aura  point  de  respit. 
Ne  nus  ne  l'en  sera  garant 
Se  il  n'i  a  cause  apparant.' 

1065        Atant  se  sont  d'iluec  torne. 
Celé  part  s'en  vont  abrive 
Plainz  d'ire  et  de  maltalent. 
Et  li  vileinz  qui  vet  balant 
En  l'eve,  que  Renart  destraint, 

1070    Avoit  ja  le  cuer  si  ataint: 

Tant  l'avoit  dant  Renart  batu, 
Qu'il  n'avoit  force  ne  vertu. 
Ja  ot  deus  foiz  au  fons  este. 
Et  Renart  qui  onc  n'ot  bonté, 

1075    Se  barat  non  et  triciierie, 
S'apense  que  moult  li  anuie 
Que  tant  le  fet  iluec  atandre. 
(rarda  entor  lui,  si  va  prendre 
Des  motes  tout  plain  son  giron, 

1080    Si  li  rue  tout  environ. 

Et  desus  le  dos  et  en  coste. 
Li  vilains  a  en  lui  mal  este 
Qui  moult  durement  li  meffet. 
Que  vous  diroie?  Tant  a  fet 

1085    Renart,  et  tant  li  a  gete 


1055  et  ]  ne     1060  Ci     imchier     1073  II     1078  va  ]  cort     1080  Se 


XVI  (Méon  5940-5977)  185 

Et  pierres  et  motes  de  pre  : 
Que  qui  que  soit  bel  ne  qui  gronde, 
Tierce  foiz  ou  fosse  afonde. 
Ore  est  mors,  bien  s'en  puet  vanter. 
1090    N'en  orra  mes  nus  bons  chanter 
Maie  chancon  d'ore  en  avant. 
Renart  que  li  corps  dieu  cravant, 
S'en  est  délivrez  en  tel  guise. 
Or  puent  fere  a  lor  devise 
1095    De  la  proie  tout  sanz  peur. 
De  cestui  sont  il  asseiir 
Que  James  mal  ne  lor  fera 
Ne  riens  ne  lor  contredira. 

Quant  Renart  ot  fet  ce  qu'il  quist, 
1100    Si  conme  il  li  plot  et  sist, 
Et  ot  feni  tout  son  estour, 
Lors  se  voult  mètre  au  retour. 
Quant  voit  dant  Noble  le  lion 
Et  dant  Ysengrin  le  félon 
1105    Qui  vers  lui  tout  droit  s'en  venoient. 
Yoie  ne  sentier  ne  tenoient, 
Par  les  prez  viennent  a  travers. 
Et  il  fu  sages  et  apers: 
Sitost  con  les  a  parceiiz, 
Il  10    Encontre  vet  les  sauz  menuz, 
Si  les  salue  gentement. 
'Bien  vieingniez,  sire,  voirement' 
Fet  il,   et  vostre  compaignie!" 
'Renart,  je  ne  vous  salu  raie. 
1115    Renart,  l'en  vous  deiist  bien  pendre. 
Quant  vos  m'avez  fet  tant  atendre 
Sanz  venir  et  sanz  reperier.' 
'Sire,  foi  que  doi  ma  moillier' 
Fet  soi  Renart,  'je  n'en  puis  mes. 
1120    Quar  j'ai  eii  un  entremes 

D'un  vilein  qui  gardoit  l'aumaille 


1087  que     ne  ]  ou      1089  se      1090   mes   manque      homes      1095 
peeur       1109  c.  il  1.  aperçut        1114  salue 


186  XVI   (Méon  5976-6012J 

Que  j'ai  trouve  la  en  l'oraille 

De  ce  pre  dormant  conme  loir. 

Si  ra'apense  et  soi  de  voir, 
1125    Que  s'il  nous  savoit  ne  veoit, 

Qu'il  nous  nuiroit  se  il  pooit. 

Si  l'ai  tant  mené,  dieu  merci, 

Par  mon  engin  qu'ancor  sui  ci 

Tous  sains  et  hetiez  et  tous  forz, 
1130    Et  il  gist  en  ce  fosse  morz 

Tous  estenduz  conme  une  raine. 

Moult  en  ai  este  en  grant  paine. 

Mes  toutevoie  ai  tant  ouvre 

Que  nous  en  sommes  délivre. 
1185    Se  d'atendre  estes  anoies, 

Ne  m'en  merveil  (ice  sachiez), 

Que  demore  ai  longuement: 

Et  moult  an  oie  qui  atent. 

Ce  dit  l'eu,  et  il  est  bien  voirs. 
1140    Mes  foi  que  je  doi  a  mes  oirs, 

Se  la  vérité  saviez, 

Ja  mal  gre  ne  m'en  sauriez^ 

Encoiz  m'en  émissiez,  ce  croi. 

Or  escoutez,  je  vous  diroi 
1145    De  chief  en  chief  le  voir  parconte.' 

Et  il  adonques  li  raconte, 

Conment  il  monta  sus  l'ormel, 

Conment  chia  sus  le  musel 

Au  vilain  tant  qu'il  s'esveilla, 
1150    Et  puis  conment  il  s'en  ala 

Laver  a  l'eaue  du  fosse. 

'Et  il  ot  son  penel  trousse. 

Et  je  sailli  a  terre  aprez: 

Si  conme  je  ving  a  eslez, 
1155    Sailli  sus  lui  a  quatre  piez 

La  ou  il  estoit  abessiez  N  50 

A  l'cve  por  son  vis  laver, 

Si  qu'el  fosse  le  fis  aler 


1138  mot     1143  me  émissiez 


1160 


1165 


XVI  (Méon  6013-6048)  187 

La  teste  avant,  le  cul  desus. 

Que  vous  diroie'  fet  il  'plus? 

Quant  Toi  dedenz  l'eve  enbatu, 

Tant  le  feri,  tant  l'ai  batu 

Que  il  n'en  lèvera  james. 

De  lui  avons  ore  tel  pes 

Que  james  mal  ne  nous  fera, 

Ne  chose  ne  nous  desdira, 

Que  weillons  fere  de  l'aumaille.' 

Li  rois  l'escoute  et  se  merveille, 

Et  bat  ses  paumes  et  fet  feste, 
1170    Et  jure  ses  ielx  et  sa  teste 

Qu'ainz  mes  ne  fu  veuz  tiex  gieus. 

'Par  foi'  fet  Ysengrin  li  leus, 

'Tel  bourde  ne  fu  mes  oïe, 

Ne  je  ne  le  creroie  mie, 
1175    Certes,  se  je  ne  le  veoie.' 

Et  dit  li  rois  'se  diex  me  voie, 

Renart,  dis  le  me  tu  pour  voir?' 

'Il  n'i  a  tel  con  del  veoir' 

Pet  il:  'se  vous  ne  m'en  créez, 
1180    Alez  la  et  si  le  veez.' 

'Dahait'  dit  Noblez,  'qui  ira 

Et  qui  ja  tant  s'en  lassera! 

Je  n'ai  mie  vilain  tant  chier. 

Autant  ameroie  a  touchier 
1185    A  un  ort  vessel  de  ma  main 

Conme  je  feroie  a  vilain. 

Or  soit  iluec  et  si  se  gise! 

Et  nous  ferons  a  nostre  guise 

Le  nostre  preu,  se  nous  savon, 
1190    De  la  proie  que  nos  avon. 

Certes  moult  grant  tort  en  avons: 

Moi  et  Ysengrin  disions 

Que  vous  nous  vouliez  tricher: 

Mes  or  vous  voil  bien  aficher 


1161  abatu     1174  querroie      1181  Daheait     .lit  manque     1190 
nos  sauons     1194  Mes  sor 


188  XVI   (Méon  6049-6085) 

1195    Qu'il  n'a  si  loial  ue  si  sage 

A  ma  court,  de  vostre  corsage  : 
Ne  ours  ne  leu  ne  autre  beste. 
Bien  avez  la  besoingne  fête, 
Et  mielz  assez  que  ne  diroio. 

1200    Mes  ore  alons  a  nostre  proie, 
Si  soit  partie  maintenant. 
Ysengrins,  or  venez  avant, 
Si  faites  ceste  partison! 
Trop  y  auroit  grant  mesprison 

1-205    Se  chascun  n'en  avoit  sa  part.' 
Et  dit  li  leus  'par  saint  Maart, 
Sire,  quant  vous  vient  a  plesir. 
Il  n'est  riens  que  je  tant  désir: 
Que  je  ai  au  cuer  fain  moult  grant. 

1210    Et  il  me  semble  tôt  avant 
Que  nous  avons  ci  un  torel 
Et  une  vache  et  un  veel: 
De  ce  devons  partison  fere.' 
Lors  prent  en  son  cuer  a  retrere 

1215    Ce  que  l'en  dit  auques  souvent, 

Que  cil  qui  bien  voit  et  mal  prent, 
S'il  s'en  repent,  c'est  a  bon  droit. 
Et  puis  dist  que  il  mielz  vorroit 
Qu'il  fust  penduz  a  une  hart 

1220    Que  ja  Renart  i  eiist  part. 
S'il  puet,  du  tout  l'en  getera 
Si  que  il  ja  n'i  partira. 
Si  s'aut  pourchacier  autre  part! 
'Sire   fet  il,  'se  diex  me  gart, 

1225    Le  mielz  si  est  que  je  i  voie, 
Que  vous  de  ceste  bêle  proie 
Reteigniez  a  vostre  oes  cest  tor 
Et  celle  genicete  encor: 
Quar  a  ma  dame  l'Orgueilleuse 

1230    Sera  bonne  et  savoureuse, 

Quar  elle  est  bonne,  crasse  et  tendre. 


1210  Et  sachiez  bii  vraiement      1211  Et  v.     1218  dit     1227  cest 
tor]  trestout     1228  genice  et  cel  tor 


XVI   (Méon  6()86— 6121)  lo^ 

Et  ge  qui  ne  veil  pas  tout  prendre, 

Si  aurai  sanz  plus  cel  veel. 

Et  cil  garz  roux  de  pute  pel 
l'235    Si  n'a  mes  de  viande  cure, 

Si  aut  ailleurs  querre  pasture  !' 

Moult  a  grant  chose  en  seigneurie, 

Quar  tôt  veut  fere  a  sa  devise. 

De  riens  ne  veut  a  part  venir, 
1240    Tout  veut  a  son  hues  retenir. 

A  ce  deûst  avoir  garde 

Ysengrin,  foi  que  je  doi  de, 

Ainz  qu'en  eiist  partison  fête. 

Nobles  croulla  un  pou  la  teste, 
1245    Quant  la  parole  a  entendue. 

Ne  li  fu  pas  a  gre  venue: 

Quar  bien  savoit  trestout  de  voir, 

Tout  vouloit  a  son  hues  avoir, 

Que  que  il  eiist  dit  avant. 
1250    Deus  pas  avoit  passe  avant, 

Si  a  haucie  la  destre  poe 

Et  fiert  Ysengrin  lez  la  joe 

Si  durement  que  le  cernai 

L'en  a  abatu  contreval, 
1255    Si  l'a  fet  durement  seingnier. 

Renart  emprist  a  aresner. 

Si  li  a  dit  'vous  partiroiz, 

Ore  orrons  que  vous  en  diroiz. 

Sire  Renart,  qui  tant  savez.' 
1260    Sire  fait  Renars,   ne  devez 

Tel  chose  dire:  en  vérité. 

Foi  que  doi  sainte  Charité, 

Vers  vous  ne  doi  je  part  avoir. 

Mes  prenez  a  vostre  vouloir 
1265    Et  nous  donnez  ce  que  voudroiz: 

Quar  bien  savez,  et  si  est  droiz 

Que  toute  la  proie  soit  vostre.' 

1253  cerual      1258  en  tnanqiie     ferez      1260  Or  i  para  que  voua 
direz     1261  Et  dit  R.  en 


190  XVI  (Méon  (512-2-6157) 

Foi  que  doi  sainte  Paternostre,' 

Fait  Nobles,   ainsi  n'ira  mie. 
1-210    Je  veil  que  ele  soit  partie 

Encoiz  que  de  ci  vous  mouvez.' 

'Sire,  puis  que  vous  le  voulez' 

Fet  Renart,  je  la  partirai. 

11  m'est  avis,  au  sens  que  j'ai, 
1275    Et  si  conme  Ysengrins  disoit. 

Que  ce  est  le  mielz  qui  i  soit 

Que  ce  tor  a  vostre  oes  aiez. 

Mielz  sera  eu  vous  emploiez 

Que  il  ne  seroit  en  nule  ame. 
1280    Et  la  vache  aura  ma  dame. 

Qui  est  et  crasse  et  tendreté. 

Et  vostre  iilz  qui  mes  n'alete, 

Et  qui  oan  a  este  nez, 

Aura,  se  ainssi  le  voulez,  N  51 

1285    A  son  raenger  ce  veelet, 

Qui  est  et  tendres  et  de  let: 

N'aura  encor  huit  jourz  demain. 

Et  entre  moi  et  ce  vilain 

Irons  en  autre  lieu  chacier 
r29()    For  nostre  vie  pourchacier.' 

Li  rois  l'entent,  si  li  fu  bien: 

Quant  oit  et  voit  que  tout  fu  sien, 

S'en  a  de  joie  fet  un  saut. 

'Renart'  fet  il,  'se  diex  te  saut, 
1295    Or  me  di  voir,  ne  me  mentir. 

Qui  t'aprist  primes  a  partir?' 

'Sire'  fet  il,  'par  sainte  Luce, 

Cel  vilain  a  la  rouge  aumuce. 

Je  n'en  oi  onques  autre  mestre. 
1300    Ne  sai  s'il  est  ou  clerc  ou  prestre 

Qui  si  porte  rouge  couronne, 

Mes  bien  semble  haute  personne, 

Qui  soit  ou  pape  ou  cardinax.' 


1277  Que  vous  toute  a  v.  o.  laiez  1281  fit  après  est  manque 
1282  mes  n']  eiioor  1285  se  v.  1287  <>.  que  h.  1298  rouge |  grosse 
1303  carrlinal 


XVI  (Méon  6158-6194)  191 

'Renart'  fait  Nobles,   moult  es  max, 
1305    Tu  scez  plus  que  ton  pain  menger. 

Fox  est  qui  de  toi  fet  berchier. 

Que  par  mes  iex  ne  par  ma  teste 

Il  n'a  plus  veziee  beste 

Que  tu  es  dedenz  mon  empire. 
1310    Bien  retiens  ce  que  tu  os  dire. 

Et  cil  si  prent  la  meilleur  voie 

Qui  par  autrui  bien  se  chastoie. 

Et  tu  as  bien  fet,  ce  me  semble. 

Or  remanez  ici  ensemble 
1315    Entre  vous  deus,  que  je  m'en  part. 

Di  Ysengrin  que  il  se  gart 

Que  une  autre  foiz  parte  droit: 

Qu'espoir  a  tel  afere  auroit 

Qui  li  feroit  encore  pis. 
1320    Or  demorez  (que  je  ne  puis 

Demeurer  ici,  si  m'en  voiz) 

Et  vous  pourchaciez  par  ce  boiz. 

Se  vous  voulez,  vostre  disner: 

Quar  ma  proie  en  veil  je  mener. 
1325    Vous  et  Ysengrin,  sanz  mentir, 

Par  mon  chief  bien  savez  partir; 

Et  bien  m'acort  a  vostre  dit. 

Vous  n'i  aurez  ja  contredit 

De  nul  homme  que  bel  me  soit. 
1330    Ore  alez  querre  que  que  soit. 

Se  voulez,  que  vous  mengerez. 

Que  ja  de  ceulz  ne  gousteroiz.' 

Ha  sire'  fet  cil,   ne  le  dites! 

Seront  ce  donques  les  mérites 
1335    De  ce  que  ci  vous  amenai? 

Certes  s'aucun  petit  n'en  ai. 

Pou  me  porrai  de  vous  loer. 

Se  vous  ne  m'en  voulez  donner. 

Sire,  a  cel  vilain  en  donez 
1340    Tant  que  il  soit  desgeùnez. 


1304  f.  il  tu  sppz  m.  mal       1316  Dit 


192  XVI  (Méon  6195-6-231J 

Quar  il  est  si  mal  atornez 
Qu'a  paines  se  puet  il  ester. 
Mielx  li  venist  que  l'eiissiez 
Fet  eschacier  d'un  de  ses  piez. 

1345    Si  le  lessiez  si  fameilleus, 

Ce  poisse  moi,  si  m'aïst  diex: 
Quar  je  ne  li  ai  que  donner 
Dont  le  face  desjeiiner. 
Je  li  donnasse  volantiers,  - 

I3j0    Quar  moult  en  est  mes  cuers  tandrien 
Por  ce  que  si  le  voi  blecie. 
Moult  li  avez  mal  despecie 
Son  chaperon  delez  la  joe.' 
A  cest  mot  li  a  fet  la  moe 

I35J    Si  que  ne  l'aparcut  ne  vit. 
Nobles  Tesgarda,  si  s'en  rit 
Et  dit  'Renart,  moult  scez  de  boule. 
Tu  es  issus  de  mainte  foule. 
Diex  scet  bien  par  quel  convenant 

1360    Tu  me  vas  ainsi  sermonant: 
Plus  le  dis  pour  pitié  de  toi 
Que  ne  fes  pour  lui,  par  ma  foi. 
Quar  je  sai  bien,  se  j'en  lessoie, 
Ja  si  tost  tornez  n'en  seroie 

1365    Que  tu  li  torroies  sa  part 
Et  l'en  monsterroies  la  hart. 
Qu'il  ne  se  porroit  revenchier. 
Se  il  en  devoit  errager, 
N'en  aroit  il  point,  par  mes  iex. 

1370    Mes  je  le  fere  assez  miex. 

Que  foi  que  doi  saint  esperit, 
Ja  n'en  métrez  la  ou  chiens  chit 
Ne  pour  vos  fez  ne  pour  vos  dis. 
Ainz  vous  en  ferai  si  onnis 

1375    Que  ja  l'un  de  vous  par  reson 
N'en  gabera  son  corapaignon 
D'espaule,  de  pie  ne  de  cuisse, 


1345  Ci    1346  86     1355  qui     1363  j'en]  len     1367  R.  ne  se  pot  r. 


XVI    (Méon  6232     6207) 


193 


Ne  d'un  ne  d'el  que  j'onques  puisse.' 
A  icest  mot  Nobles  s'en  part 
1380    Et  lesse  enmi  le  pre  Renart 

Qui  moult  fesoit  le  correcie 

Por  Ysengrin  qu'il  vit  blecie: 

Et  si  en  avoit  il  grant  joie. 

Puis  li  a  dit  'se  diex  me  voie, 
1385    Compère,  bien  sommes  guile. 

Bien  vous  a  li  rois  afole 

Trestout  sanz  droit  et  sanz  reson. 

Si  voie  je  dieu  et  son  non, 

Grant  mal  a  fet  et  grant  outrage. 
1390    Bien  i  porra  avoir  domage 

Espoir  encore  en  aucun  temps. 

Et  qui  vorroit,  selonc  mon  sens, 

Encontre  lui  du  tout  ouvrer, 

Il  le  porroit  bien  comparer, 
1395    Je  cuit,  ou  au  près  ou  au  loing. 

Son  ami  doit  en  au  besoing 

Au  mielz  que  l'en  puet  conseillier. 

Et  je  m'en  veil  bien  traveillier 

Por  tant  que  vengiez  en  soiez. 
1400    J'en  seroie  certes  moult  liez 

Se  li  veoie  anui  avoir. 

S'en  lui  avoit  point  de  savoir 

Ne  de  bien  ne  de  cortoisie, 

N'eiist  pas  la  proie  sesie 
1405    Si  toute  que  n'en  eiissou. 

Honi  sommes,  se  nous  lesson 

A  lui  einsiques  défouler. 

Quar  tost  nos  porroit  afoler, 

Se  nos  ne  l'osion  desdire. 
1410    Si  lo,  ainz  que  la  chose  empire. 

Que  nous  querons  et  art  et  guile 

Par  quoi  la  venjance  en  soit  prise         N  52 

Por  vous  trestout  premièrement 


1378  Ne   del   ueel    ne   de    la   cuisse       1395    ou  .  .  ou]    et  . 
1396  dont  en  a  b.     1397  quen  le     1409  nous  lessons  défouler  sire 
RENART  n.  13 


.94  XVI  (Méon  6268-6302) 

Qu'il  a  mené  si  malemenfc 

1415    Par  la  force  que  il  a  fête, 

Que  nostre  part  nous  a  tolete  : 
Quar  la  proie  estoit  conmune. 
Ne  se  deiist  faire  si  prune, 
Pour  ce  s'il  est  par  desus  nous. 

1420    Que  par  la  foi  que  je  doi  vous 
Qui  estes  mon  compère  chiers, 
Ne  §era  si  max  ne  si  fiers 
Que  bien  n'en  aions  la  venjance.' 
Ysengrins  ot  la  couvenance 

1425    Que  Renart  li  offre  et  présente, 
Que  se  il  veult  selonc  s'entente 
Ouvrer  et  selonc  son  savoir. 
Il  li  fera  venjance  avoir 
De  ce  que  il  l'a  mal  mené: 

14H0    Et  il  le  het  plus  qu'homme  ne 
Pour  le  mal  que  il  li  a  fefc. 
Et  si  ne  li  a  pas  meffet 
Chose  pour  quoi  il  le  deûst 
Si  mal  mener:  se  il  peûst, 

1435    II  li  feïst  volantiers  fere 

Chose  qui  li  peiist  desplere 
En  tel  guise,  gel  sai  de  voir, 
Ne  s'en  peiist  aparcevoir 
Devant  que  la  chose  fust  fête. 

1440    II  s'apense  que  sa  retrete 
Ne  sera  a  fin,  n'acomplie 
Sa  pensée,  s'il  n'a  aïe 
D'aucun  qui  soit  plus  de  lui  sage. 
Nelui  ne  scet  qui  son  corage 

1445    Puist  descouvrir  seûrement. 
'Voir'  fet  se  il,  je  me  dément 
De  néant  :  je  voi  mon  compère 
Qui  plus  m'aime  ore  que  son  frère. 


U18  prime  1419  ce  quil  1430  que  home  1432  se  1433  par 
1436  m.  ne  ne  deuat  1441  Sa  pensée  nert  a.  1442  Ou  en  pensée  ou  en 
aie  1443  Et  durement  ne  sen  porchace  1444  A  un  home  qui  auques 
sache     1445  Pour  d.    1446  se  manque      je  ne  dont  néant 


XVI   (Méon  6308—6338)  195 

Et  plus  set  de  barat  tous  seuz 
1450    Voir  que  ne  scevent  vint  et  deus 

Des  meilleurs  de  la  court  le  roi, 

Et  je  pas  ne  descouverrai 

A  lui  mon  cuer?  que  n'oseroie. 

Paour  ai,  se  je  li  disoie, 
ïAôD    Qu'il  ne  m'encusast  au  lion, 

Que  en  lui  a  maleïcon. 

Si  dit  l'en  par  tout  le  païs 

Que  il  est  traïstres  naïs. 

Pour  ce  si  ne  m'i  os  fier. 
I4ik)    Mes  ne  cuit  pas  qu'il  aut  crier 

A  court  ce  que  j'ai  em  pense. 

Or  ai  je  voir  moult  fol  pense 

Envers  mon  compère  Renart. 

Je  ne  cuit  pas,  se  diex  me  gart, 
U6o    Que  il  me  mesfeïst  pour  rien. 

Il  est  preudons,  ce  sai  je  bien. 

Pieca  que  je  l'ai  esprouve, 

Et  encore  l'ai  je  trouve 

Jusques  ici  moult  loyal  homme, 
1470    Foi  que  doi  saint  Père  de  Romme 

A  son  conseil  me  maintendrai, 

Ja  est  il  mon  compère  en  loi,  ' 

Si  pens  qu'il  ne  me  mefferoit, 

Ne  nul  mal  ne  pourehaceroit.' 
1475    Einsi  a  lui  meïsmes  tance. 

Et  en  la  fin  de  sa  sentence 

S'acorde  a  ce  qu'il  li  dira 

Et  a  son  conseil  en  fera 

Conment  que  l'aferes  en  aut. 
1480    Quar  nus  tant  ne  scet  ne  ne  vaut 

A  nul  besoing  conme  Renart. 

Lors  conmence  a  dire  par  art 

Et  bel  conme  bien  afetiez, 

Et  si  a  dit  par  amistiez 


1453  A  luij  Autrui       1454    se  Jo    li|    que    se    le       1457    dit|    ait 
1457  dit]  ait     1459  se     1460  quil  laut 

13* 


196  XVI   (Méon  6339—6360) 

1485    'Biax  douz  amis,  biax  douz  conpere, 
Conseilliez  moi  si  qu'il  i  père, 
Que  vostre  conseil  m'ait  mestier. 
Je  ne  verrai  ja  l'anuitier 
Se  de  Noble  ne  sui  vengiez, 

1490    Qui  si  m'a  le  vis  escorchie 

Que  le  cuir  en  est  moult  maumis. 
Pour  ce  le  vous  di,  biax  amis, 
Que  pour  moi  tant  vous  traveilliez 
Qu'en  bonne  foi  me  conseilliez.' 

1495    'Si  ferai  je'  ce  dit  Renart, 
'Par  le  baron  saint  Lienart. 
Mes  orendroit  n'en  est  seson. 
Mes  alez  en  vostre  meson, 
Et  si  lessiez  ester  huinies.' 

1500    Atant  est  le  conseil  remes. 
Si  vet  Renart  a  son  repère, 
Et  Ysengrin  son  chier  compère 
S'en  est  tornez  a  son  manoir. 
Ici  fet  Pierres  remanoir 

1505    Le  conte  ou  se  voult  traveillier, 
Et  lesse  Renart  conseillier. 


1487  ma  m.     1491  cuer 


XVll 

(Méon  28665-28690) 

Ou  mois  de  mai  qu'este  conmence,      N  52^ 

Que  cil  arbre  cueillent  semence, 

Que  cler  chantent  parmi  le  gaut 

L'oriol  et  le  papegaut: 
3    A  ice  temps  que  vous  dison 

Estoit  Renart  en  sa  meson, 

Qui  pour  le  biau  temps  qui  revint, 

Moult  liez  et  moult  joianz  devint, 

Que  moult  ot  l'iver  mal  souffert. 
10    De  son  chastel  vit  l'uis  ouvert: 

Si  s'en  issi  sanz  demouree 

Et  regarda  aval  la  pree, 

Se  nus  vendroit  de  nule  part. 

Atant  de  sa  meson  se  part, 
15    Que  nule  ame  a  dieu  ne  conmande: 

Poignant  s'en  vet  parmi  la  lande 

Pour  sa  viande  pourchacier. 

Il  ne  fu  ne  clop  n'eschacier, 

Ainz  s'en  vet  poignant  tous  les  sans. 
20    Parmi  un  plesseïs  de  sans 

S'en  vet  Renart  tout  eslessie, 

Esperonnant,  le  col  bessie. 

Dedenz  cel  plesseïz  avoit 

Un  parc  qui  noviaus  i  estoit: 
25    Dedenz  avoit  a  granz  foisons 

Ces  et  gelines  et  chapons, 


3  chante    26  Connins  g. 


198  XYII  (Méon  28691—28727) 

Qui  sont  d'une  abaïe  blanche. 

Renart  monte  par  une  branche 

Sor  les  pieus  et  sor  le  paliz. 
30    ïantost  est  en  la  cort  sailliz 

Des  pieus  a  terre  qui  sont  haut. 

As  chapons  vient,  si  les  assaut 

Conme  desvez  et  enragie.  N  53 

Un  chapon  prent,  si  l'a  niengie  / 
Hô    A  grant  lieesse  et  a  grant  ese. 

Puis  s'en  issi  par  une  hese. 

Mes  ainssi  con  il  s'en  issoit, 

Uns  des  blans  moines  l'aparcoit: 

S'a  pris  un  baston  en  sa  main. 
40    Apres  Renart  s'en  vet  au  plain, 

Tout  correcie  et  tout  plain  d'ire. 

Maintenant  li  a  pris  a  dire 

'Renart,  vous  estes  atrape.' 

Lors  l'a  si  du  baston  frape 
45    Que  toute  l'eschine  li  ploie. 

En  Renart  n'ot  ne  ris  ne  joie. 

Vers  le  randu  s'en  est  alez. 

Entre  ses  jambes  s'est  coulez 

Conme  cil  qui  fu  d'ire  espris. 
50    Renart  l'a  par  la  coillé  pris 

As  denz  et  si  forment  le  sache 

Que  uns  des  pendenz  li  arrache. 
Li  moines  fu  moult  esperduz, 

A  la  terre  chiet  estanduz. 
55    Et  Renart  torne  les  talons, 

Del  paliz  ist  a  reculons: 

A  la  fuie  se  met  le  trot. 

Le  moine  a  bien  tenu  a  sot, 

Qu'il  li  ot  la  coille  tolue  : 
60    Si  en  a  moult  grant  joie  eue. 

Mes  n'a  mie  granment  aie 

Que  il  a  Couart  encontre 

Qui  venoit  desor  son  destrier. 


32  si  I  et     35  aese     58  a  J  ot     59  Qui  Ji     60  avoit  g. 


XVII  (Méon  28728-28764)  199 

Sor  son  col  tint  un  peletier 
(i.)    A.  qui  il  ot  tolu  s'espee. 

Par  les  jarrez  li  a  boutée 

Une  verge  d'un  vert  plancon. 

Vers  Renart  vint  sanz  contencon. 

Sitost  con  Renart  l'aparcut, 
70    Merveilla  soi,  si  s'arestut 

Et  le  regarda  une  pièce. 

Oui  que  il  desplcse  ne  siece, 

L'a  salue  et  dit  itant 

'Coart,  bien  soiez  vous  venant! 
75    Dites  moi,  se  vous  conmandez, 

Qui  cist  hom  est  que  vous  portez? 

Savoir  le  veil  sanz  nule  faille. 

Avez  le  vous  pris  en  bataille? 

Et  conmant  et  par  quel  raison 
80    Li  faites  vous  tel  mesprison? 

Savoir  le  veil,  que  il  est  droiz.' 

Coarz  respont  'bien  le  sauroiz 

Moult  volantiers,  puisqu'il  vous  siet.' 

Atant  le  met  jus,  si  s'asiet, 
85    Et  Renart  s'assist  joste  lui. 

'Sire'  fet  il,    il  m'avint  hui 

Matin  que  joer  m'en  aloie 

Par  cel  bois  si  con  je  souloie: 

Si  encontrai  par  aventure 
90    Cest  vilain  qui  me  fist  ledure 

Moult  grant,  que  s'espee  sor  moi 

Sacha,  par  la  foi  que  vous  doi. 

Et  sachiez  que  féru  m'eûst 

Moult  volantiers,  se  il  peiist. 
95    Quant  je  le  vi  vers  moi  venir, 

Adonques  ne  me  poi  tenir, 

Ainz  ving  a  lui  touz  ademis. 

Si  li  crachai  enmi  le  vis 

Et  escopi  par  grant  vertu. 
100    Li  vilainz  en  fu  esperdu, 


66  le  iarrct     97  a]  vers     99  espissaj 


200  XVII  (Méon  28765-28801) 

De  paour  a  terre  chaï: 

Et  je  maintenant  li  sailli 

Sor  le  vantre  sanz  demorer. 

L'espee  li  alai  oster 
105    Hors  de  la  main  moult  vistement. 

Ore  en  voiz  querre  jugement, 

Pour  savoir  que  de  lui  feron, 

A  la  court  Noble  le  lion.' 

Renart  qui  la  parole  oï, 
110    Moult  durement  s'en  esjoï. 

Si  li  respont  sanz  demoree 

'Coart,  folie  avez  pensée, 

Ce  seroit  folie  et  outrage. 

N'afiert  a  homme  de  parage, 
115    Puis  que' il  tient  honneur  et  terre, 

Que  ailleurs  aut  jugement  querre. 

Mes  s'il  prent  homme  en  son  forfet. 

Il  meïsmes  justise  en  fet. 

S'il  m'eiist  meffet,  par  ma  foi, 

120    Yenjance  en  preïsse  par  moi.' 

'Sire'  dist  Couarz,  'entendez! 

Or  sai  de  voir  que  vous  m'amez. 

Mes  s'il  vous  estoit  a  plesir, 

A  court  iroie  pour  oïr 
125    Le  jugement  et  pour  savoir 

Quele.  amende  j'en  doi  avoir. 

Se  il  vous  plest,  o  moi  vendroiz.' 

'Par  foi'  dit  Renart,  'ce  est  droiz 

Que  g'i  voise,  puisqu'il  vous  siet.' 
180    Lors  se  lieve  de  la  ou  siet 

Renart  et  Coarz  a  grant  joie. 

Atant  se  metent  a  la  voie, 

Et  Coarz  son  peletier  porte. 

Ne  finerent  jusqu'à  la  porte 
135    Mon  seigneur  Noble  le  lyon, 

Endui  i  viennent  li  baron 

Sanz  dejïenz  et  sanz  contredit.     "^ 

105  moult  J  et         ;^15  Pour  . .  ,  tiegne         116  aut  uianque         116 
Quaillei^rB  aille 


XVII  (Méon  28802—28837)  201 

Coarz  si  a  a  Renart  dit: 

'Renavt'  dit  il,  'biax  douz  amis, 
140    Le  vilain  que  je  port  m'a  mis 

En  grant  travail,  et  en.  grant  paine. 

Diex  le  mette  en  maie  semaine 

Qui  en  avant  le  portera! 

Ore  orrons  que  li  rois  dira 
145    Et  li  baron  du  jugement, 

A  quel  paine  et  a  quel,  tormént 

Nous  ferons  le  vilain  morir.' 

Et  dit  Renart   moult  le  désir 

Que  vous  soiez  de  lui  vengie.' 
150    Maintenant  montent  le  planchie 

Li  dui  baron  sanz  nul  délai. 

En  la  sale  truevent  le  roi, 

Et  ot  entor  lui  tante  beste. 

Le  jour  celebroit  une  feste 
155    D'une  haute  dame  honorée, 

La  suer  Pinte,  dame  Coupée 

Qui  fu  ocise  en  traïson. 

Le  jour  en  fesoit  mencion 

Li  rois  Nobles  et  son  barne, 
160    Qui  iluec  erent  assemble. 

Maint  prince  i  ot  et  maint  baron:         N  54 

Il  n'i  ot  se  hauz  hoinmes  non 

Qui  estoient  (ce  -vous  devis) 

Vestuz  ou^  de  vair  ou  de  gris. 
165    Li  rois  qui  fesoit  bêle  chiere, 

Seoit  joste  ma  dame  Fiere 

Et  li  baron  environ  eulz. 

Es  vous  les  conpaiguons  ondeus, 

Renart  et  Coart  qui  aporte 
170    Le  vilain  ou  il  se  déporte. 

Mesire  Renart  vint  devant: 

Le  roi  salue  tout  avant 

Con  cil  qui  bien  fu  enseigniez 

141  et  manque       paine]  ahan     142  Et  d.  1.  ni.  hiii  en  inalan     144 
orront     147  ce     148  m.  de  lesir     172  s.  hautement 


202  XVII  (Méon  28838-28874) 

S'est  devant  lui  agenoilliez. 

iTn    Et  li  rois  qui  moult  chier  l'avoit, 
Le  redresce,  con  il  le  voit, 
Et  dit  'bien  soiez  vous  venuz! 
■  Amis,  bien  vous  estez  tenuz 
De  moi  veoir  :  ne  vous  vi  mes 

180    Puis  que  nous  formâmes  la  pes 
Entre  vous  et  vostre  conpere. 
Foi  que  je  doi  l'ame  mon  père, 
Or  sui  je  moult  hetie  et  liez, 
Quant  a  moi  estes  repériez. 

185    Sachiez  que  bon  gre  vous  en  sai.' 
Renart  ne  fu  pas  en  esmai 
De  respondre,  si  dit  briefment 
'Sire  rois,  cil  diex  qui  ne  meut 
Vous  otroit  de  vostre  vouloir 

190    La  moitié,  que  je  sai  de  voir 

Que  vous  m'amez  :  et  je  vous  aim, 
Foi  que  je  doi  a  saint  Germain. 
Mes  d'un  afere  vous  requier 
Conseil,  qar  bien  en  ai  mestier 

195    Moi  et  mon  conpaignon  Coart.' 
Diex  aïde,  sire  Renart' 
Fet  li  rois,   qu'est  ce  que  vous  dites? 
Ainsi  m'aïst  sainz  esperites. 
Conseil  vous  donrai  volantiers. 

200    Mais  or  me  dites,  amis  chiers, 
De  quoi  vous  demandez  conseil.' 
'Sire'  fet  il,  'dire  vous  veil.' 

A  cest  mot  appela  Couart 
Qui  s'estoit  trez  a  une  part, 

20  ■)    Qui  encore  le  vilain  tint, 

Et  maintenant  au  roi  en  vint 
Iriez  et  de  corrouz  espris. 
Et  Renart  par  la  main  l'a  pris 
Et  li  fist  geter  erraument 

210    Le  vilain  sor  le  pavement 


194  ait     200  me  manque     d,  biax 


XVII  (Méon  28875—28910)  203 

Qui  n'estoit  mie  granment  mol.  • 

A  poi  ne  li  a  rout  le  col, 

Si  en  fu  le  vilain  plain  d'ire. 

Et  Renart  li  a  pris  a  dire 
21.')     Biau  sire,  conseil  vous  queron, 

Que  nous  de  cel  vilain  feron 

Qui  vostre  baron  assailli. 

Ferir  le  cuida,  si  failli.' 

'Sire'  dit  Coarz,   entendez, 
220    Se  je  di  mal,  si  m'amendez. 

J'ai  cel  vilain  ci  pris  de  guerre: 

Si  en  vieng  ci  jugement  querrc. 

Je  le  vous  rent  conme  larron  : 

Esgardez  que  nous  en  feron.' 
225        Quant  li  vilainz  ot  et  entent 

Que  l'en  demande  jugement 

De  lui,  si  fu  moult  esbahiz. 

Maintenant  est  em  piez  sailliz 

Et  dist  au  roi  'Sire,  merci! 
230    A  vous  me  rent  jointes  mainz  ci. 

Sachiez  que  je  sui  loiaus  hom. 

S'il  vous  plest,  bon  renon  avon 

De  mes  voisins  des  plus  feaus 

Qui  diront  que  je  sui  loiaus. 
235    Des  plus  preudommes  de  la  terre. 

Si  les  fêtes  envoler  querre  !' 

Li  rois  respont  'moult  volantiers. 

Que  il  vous  en  est  granz  mestiers.' 

Mander  les  fist  sanz  plus  atendre. 
240    Dis  et  huit  furent  mainz  de  trente. 

Douze  vinrent  pour  tesmoignier: 

Tuit  loial  homme  peletier 

Estoient,  a  court  sont  venuz. 

Quant  li  vilainz  les  a  veiiz, 
245    Si  ot  grant  joie  et  grant  lieesce. 

Maintenant  en  estant  se  dresce 


212  pou     220  laracndez     221  si     229  dit      23:^  DeR    m.  v.  d.  p, 
loyaus     289  le 


204  XVII  (Méon  28911-28947) 

Et  dit  au  roi  sanz  delaier 

'Cist  ci  me  viennent  tesmoigner.' 

'Sire'  font  il,  'vous  dites  voir. 

250    Se  vérité  voulez  savoir, 

Par  tens  vous  sera  enseignie. 

Il  avoit  un  œf  gaaignie 

Ou  il  nous  fist  moiller  ensemble 

Tous  treize:  pour  ce  si  nous  semble 

255    Qu'il  est  loiaus  homs  et  de  foi.' 
Quant  ce  ot  entendu  le  roi, 
Moult  durement  s'en  esjoïst 
Et  maintenant  au  vilain  dist 
Qu'il  s'en  alast,  il  n'avoit  garde. 

260    Et  li  vilainz  plus  ne  se  tarde, 
Si  s'en  revêt  o  ses  vilainz. 
Li  rois  remest  de  joie  plainz, 
Tuit  firent  joie  par  la  sale. 
Renart  n'ot  pas  la  couleur  pale. 

2(35    Dejoste  le  roi  s'est  assis, 
Ne  fist  pas  chiere  de  pensis. 
Li  rois  a  dit  aus  connestables 
Que  il  facent  mètre  les  tables, 
Et  il  si  firent  sanz  targer. 

270    Si  assistrent  li  chevalier, 

Delez  le  roi  sistrent  maint  conte. 
Des  mes  qu'il  orent  ne  faiz  conte: 
Mes  qant  mengie  orent  assez, 
Jeuent  as  tables  et  as  dez. 

275        Au  chief  du  pales  d'une  part 
S'asist  Ysengrins  et  Renart, 
Devant  eulz  deus  un  eschequier. 
Lor  gieu  prennent  a  arengier. 
Et  dist  Renart  a  Ysengrin 

280    Que  venir  face  un  marc  d'or  fin 
A  mètre  au  jeu:  et  il  si  fist, 
Tantost  sor  l'eschequier  le  mist. 
Un  autre  en  i  a  mis  Renart, 


262  remet     270  clilr*     272  foiz     278  gieu]    gent 


XYII   (Méon  28948—28984)  205 

Si  jouèrent  par  grant  esgart. 
285    Ysengrin  fu  du  jeu  apris, 

Del  paonnet  a  un  roc  pris: 

Apres  le  roc  a  pris  la  fierce. 

Tant  jouèrent,  ainz  qu'il  fust  tierce, 

Gaaigna  Ysengrins  cent  livres:  N  55 

290    Dont  Kenart  se  tint  bien  pour  yvres, 

Que  il  n'ot  mes  que  mètre  au  jeu. 

Il  en  a  appelé  le  leu. 

'Ysengrin   fet  il,  'entent  moi! 

Par  celé  foi  que  je  te  doi, 
29.')    Je  n'ai  de  quoi  mon  jeu  envit, 

Se  n'i  met  ma  coille  et  mon  vit. 

Encor  jouerai  volentiers, 

S'encontre  veuz  mètre  deniers.' 

"Si  ferai'  fet  il,  'par  mon  chief.' 
300    Lors  reconmencent  de  rechief 

A  jouer  et  tout  erranment 

Perdi  Renart  son  garnement. 

Ysengrins  qui  ot  gaaignie 

En  fu  joiens  et  forment  lie. 
305        Tantost  sanz  plus  de  demourer 

A  fait  un  grant  clo  aporter, 

Parmi  la  coille  li  ficha 

Et  a  l'eschequier  l'atacha. 

Puis  s'en  torna  et  si  le  let. 
310    Renart  remaint  qui  crie  et  bret 

Touz  correciez  et  touz  plainz  d'ire. 

Que  il  souffroit  si  grant  martire. 

Ma  dame  Fiere  oï  le  cri, 

Maintenant  celé  part  guenchi. 
315    Quant  vit  Renart,  si  fu  marrie: 

Celé  part  vient,  si  li  aïe: 

A  grant  paine  d'iluec  l'estort. 

Dedenz  sa  chambre  le  repost 

Et  le  coucha  dedenz  un  lit. 
320    Mes  il  n'i  ot  point  de  délit, 


29(3  otjou     297   Encore     308  la  tailla 


206  XVII   (Môon  28985-29018) 

Que  de  doulor  est  si  destroit, 
A  pou  le  cuer  ne  li  partoit. 
Del  courrouz  qu'il  ot  sanmella: 
Malades  fu,  si  se  pasma. 

.•i-25    En  pâmoisons  jut  longuement, 
Qu'ele  cuidoit  veraiement 
Que  il  fust  mort,  si  s'escria 
'Sire  Renart,  ce  que  sera, 
Me  voulez  vous  ainsi  guerpir?' 

um    Adonques  a  fait  un  souspir. 
Renart  qui  le  soupir  oï, 
Un  petitet  les  iex  ouvri, 
Si  parla  et  dist   a  quoi  fere, 
Dame,  vous  voi  je  tel  duel  fere? 

335    Faites  un  baing  appareillier 

Que  je  me  veil  un  pou  baignier.' 
'Sire'  fet  ele,  'volantiers 
Vous  ferai  ce  qui  est  mestiers.' 
Atant  conmande  qu'en  li  face 

340    Un  baing  chaufer,  et  sanz  espace 
Fet  fu  qant  il  l'ot  conmande. 
Mon  seigneur  Renart  ont  porte 
En  la  cuve  et  dedenz  l'ont  mis. 
Dame  Fiere  li  dist  'amis, 

•m6    Conme  vous  est?  dites  le  moi! 
.Pour  vous  sui  forment  en  esmai. 
Lors  dist  Renart  'n'en  cuide  avoir 
Respit:  ce  ai  par  non  savoir 
Dont  je  crieu  morir  a  douleur. 

;)50    Si  m'en  poise  pour  vostre  amor, 
Que  je  cuit  de  vous  départir. 
Je  ne  verrai  ja  l'asserir.' 
Dame  Fiere  l'ot  et  entent, 
A  pou  que  li  cuers  ne  li  fent, 

355    Tant  est  dolante  et  correciee. 
'Lasse!  james  ne  serai  liée.' 


323  samesna  326  vraiement  341  e]  345.6  manquent  347  Lors 
dist  Renart  manque  Ja  nen  quiert  raancon  avoir  348  Rospit  manque 
C'est  mal  ai  ie  p.  n.  s.     350  me  p. 


XV  11  u«fon  }iy019-29055)  20  < 

A  icest  mot  sanz  autre  plet 

Ont  Renart  de  la  cuve  tret, 

En  un  lit  l'ont  couchie  et  mis. 
3U0    Conme  cil  qui  moult  est  malmis 

Demande  a  confession, 

S'aura  s'ame  remission. 

'Sachiez'  fet  il,    que  moult  m'est  tart. 

Faites  moi  parler  a  Bernart 
;îG5    L'arceprestre,  si  me  ferai 

Confes  et  mes  péchiez  dirai.' 

La  dame  respundi  atant 

Que  ele  fera  son  talent. 

Maintenant  a  Bernart  mande 
;^70    Et  il  n'i  est  pas  demore, 

Ainz  i  vint  sanz  plus  atarger 

0  tout  ce  qui  li  ot  mestier. 

Desus  un  banc  as  piez  Renart 

Avoient  assis  dant  Bernart, 
87 j    Si  a  Renart  mis  a  reson. 

'Renart,  voulez  confession? 

Se  vous  vous  voulez  repentir, 

A  bonne  fin  poez  venir. 

Lessiez  ester  les  mauvestiez 
380    Et  les  vices  dont  entechiez 

Avez  este  si  longuement: 

Que  sages  est,  qui  se  repent.' 

'Sire'  fet  Renart,  entendez! 

Se  vous  a  droit  m'amonnestez, 
38.")    Que  preudon  ferez  et  loiaus. 

Vous  m'alegerez  de  touz  maus, 

Que  je  n'ai  pas  meffet  granment. 

Se  je  croissi  dame  Hersent 

Ma  comere,  ne  mespris  rien, 
390    Encoiz  li  fis  lieesce  et  bien. 

Quant  je  croissi  ma  dame  Fiere, 

Qui  si  est  orgueilleuse  et  fiere, 

Ne  mespris  pas  envers  ma  dame 


360  C'on  liome  .j.     ."Ki?  d.  li  r.     3G8  ntainjue 


208  XVII  (Méon  ZJ.UU,,-  -^r..,f)2) 

Que  je  avoie  prise  a  famé 

S95    Et  espousee  par  soulaz, 

Li  prestres  fu  Tibers  li  cliaz 
Qui  volantiers  la  m'espousa, 
Et  a  tieus  i  ot  qui  pesa. 
Que  diroie?     de  voir  sachiez: 

^00    Je  ne  fis  onques  nus  péchiez 
Fors  qant  je  donnai  garison 
Mon  seignor  Koble  le  lion. 
Mes  bien  sai  que  lores  péchai, 
Quant  je  garison  li  donnai.' 

405    'Renart,  Renart'  ce  dit  Bernart, 
'Par  mon  seignor  saint  Lienart, 
Moult  es  ore  de  pute  orine. 
Quant  tu  connois  que  la  roïne 
As  croissue,  tu  as  mespris. 

410    S'a  bonne  fin  veus  estre  pris, 
A  forjurer  la  te  convient.' 
'Coument'  fet  Renart,  's'il  avient 
Que  je  aie  respassement, 
Je  fausserai  le  serement, 

415    Et  vous  poez  de  fi  savoir 
Que  pour  la  repentance  avoir 
Le  serement  otroi  je  bien. 
Mes  pour  ce  n'en  ferai  je  rien 
Se  je  del  mal  puis  respasser. 

420    Mes  pour  ce  que  ne  veil  passer     N  56 
Voz  conmandemenz  ne  deffere, 
Veil  je  bien  le  serement  fere.' 
Tout  maintenant  sanz  plus  d'espasce 
Firent  aporter  en  la  place 

425    Les  sains,  si  a  jure  Renart 
Devant  l'arceprestre  Bernart 
Tout  ce  qu'il  li  ot  devise. 
Quant  le  serement  ot  jure, 
Renart  remest  qui  moult  se  plaint, 

430    Que  l'angoisse  moult  le  destraint. 


429  plainst 


XVII  fMéon  29093-2912!!)  209 

Un  plaint  a  gete,  si  se  pasme. 
Dame  Fiere  d'un  pou  de  basme 
Li  frote  le  poux  et  le  vis. 
Si  conme  je  pens  et  devis, 
-i;^5    Del  froter  durement  s'esforce. 
Mes  Renart  avoit  si  sa  force 
Perdue,  c'onques  ne  se  mut. 
Mes  ainssi  en  pâmoisons  jut 
Si  que  tuit  cuident  qu'il  soit  mors. 
440    Lores  fu  granz  li  desconfors. 
Ma  dame  Fiere  la  roïne 
Pour  Renart  fet  chiere  lovine, 
Dolante  et  mal  aventurée. 
.    Li  rois  a  la  noise  escoutee, 
445    Si  est  tout  maintenant  venu 
En  la  chambre,  si  a  veii 
Renart  qui  fu  en  pâmoisons. 
Moult  se  merveilla  li  lions: 
Qui  li  donnast  trestout  l'avoir 
450    Que  rois  ne  quenz  peûst  avoir, 
Ne  se  peiist  sor  piez  ester: 
Eincoiz  le  convint  adenter. 
Et  dist  'Renart,  perdu  vous  ai  : 
James  si  bon  baron  n'aurai.' 
455    Adonc  sanz  plus  de  delaier 
A  fait  toute  la  gent  huicher, 
Qui  le  confortent  durement. 
Et  dient  que  n'est  mie  gent 
A  homme  de  si  grant  renon 
460    Que  tel  duel  face  d'un  baron. 
'Mes  qant  mors  est,  sanz  détenir 
Faites  sa  mesniee  venir.' 

Tout  maintenant  et  sanz  targer 
A  fait  venir  un  messager, 
465    Si  a  Hermeline  mandée 

A  Malpertuis  sanz  demoreo. 

Et  ses  troiz  filz  qui  grant  duel  ont. 


44b  maie     447  pâmoison     448  le  lion     450  quoinz     453  dit 
RENART  11.  .. 


210  XVII  (Méon  29130-29174) 

Quant  le  mesage  entendu  ont, 
Tant  ont  aie  qu'il  sont  venu 

470    Au  chastel  ou  li  lions  fu. 

Quant  Hermeline  en  la  chambre  entre, 
Tout  li  fremist  li  cuers  el  ventre 
Et  conraenca  un  duel  si  grant 
Que  l'en  n'i  oïst  dieu  tonnant. 

475    Et  disoient  a  haute  alaine 
'Sire,  n'a  pas  encor  quinzaine 
Que  de  Malpertuis  vous  partistes 
Liez  et  joianz,  puis  n'i  venistes. 
Or  a  ci  grant  duel  et  apert. 

480    Encore  nel  scet  pas  Grinbert, 
A  fere  li  convient  savoir 
Yostre  mort,  si  sera  savoir.' 
Fet  li  rois  'si  soit  dont  mande.' 
Un  mesager  a  appelé, 

485    Et  cil  est  venuz  maintenant. 
Ta'  fet  il,  'n'i  va  demeurant, 
Droit  a  Malbuisson,  si  me  di 
Grinbert  que  il  viengne  a  moi  ci, 
Et  si  li  conte  l'aventure.' 

490    Cil  s'en  tome  grant  aleûre. 
Dedenz  la  court  de  Malbuisson 
Se  seoit  Grinbert  le  tesson. 

Quant  le  message  entre  en  la  court, 
Grinbert  a  l'encontre  li  court 

495    Et  dit  'que  alez  vous  querant? 
Amis,  bien  soiez  vous  venant! 
A  qui  estes?  dites  le  moi.' 
'Sire'  fet  il,  'je  sui  au  roi. 
Qui  de  par  moi  saluz  vous  mande 

500    Et  encor  vous  prie  et  conmande 
Que  a  lui  vegniez  sanz  délaie.' 
Grinbers  l'oï,  moult  s'en  esmaie, 
Si  a  dit  'g'irai  volentiers. 
Or  me  dites,  biaus  amis  chiers, 


472  Tout]  Si 


XVir  (MéoM  2917J--29-J11)  211 

505    Pourquoi  me  mande  l'emperere.' 

'Sire'  fet  li  mes,  'par  saint  Père, 

Mors  est  Renart  vostre  cousin. 

Yos  n'aviez  meilleur  voisin.' 

Quant  Grinbert  entent  la  nouvele, 
510    Sachiez  ne  li  fu  mie  bêle, 

Ainz  en  ot  a  son  cuer  grant  ire. 

Au  mesager  a  pris  a  dire 

'Amis,  par  cel  dieu  qui  ne  ment. 

Ici  a  mauves  mandement, 
515    Quant  morz  est  mes  cousins  germainz. 

Du  plus  estoie,  or  sui  du  mainz  : 

Que  par  lui,  ce  sachiez  de  voir, 

Estoie  montez  en  avoir.' 
A  icest  mot  s'en  sont  torne 
520    Endui  et  sont  achemine  : 

Tant  ont  aie  qu'a  la  court  vindrent. 

De  lor  venue  lie  devindrent 

De  tiens  ot  a  la  court  assez. 

Grinbers  qui  si  estoit  lassez, 
525    Si  s'est  delez  la  bière  assis. 

Moult  estoit  dolanz  et  pensis. 

Son  visage  enbrunche  tenoit, 

Lez  le  cors  moult  li  avenoit 

La  chiere  qu'il  fet  et  la  lipe. 
530    D'eures  en  autres  se  defripe. 

Il  crie  et  pleure  durement. 

Si  le  regrete  doucement 

Que  nus  ne  le  pot  conforter. 

Et  li  rois  fist  le  corps  porter 
535    En  la  sale  par  grant  déduit: 

Iluec  furent  jusqu'à  la  nuit. 

Dame  Fiere  par  grant  afere 

Fist  cierges  aporter  et  fere, 

A  grant  plente  et  a  foison 
540    Les  alument  par  la  meson. 

Tant  en  i  ot,  n'en  sai  le  conte, 

525  Si  manque    sestoit    526  M.  par  est 

14* 


212  XVII   (Méon  2921-2—29248) 

Onques  mes  pour  roi  ne  pour  conte 

Ne  fu  tel  luminere  fet. 

Grinberz  qui  avoit  son  duel  fet, 
545    S'estoit  delez  la  bière  assis, 

Et  dit  au  roi  par  saint  Denis 

Ne  foi  que  vous  devez  saint  Gile, 

Quar  faites  chanter  la  vegile  N  57 

Orendroites  et  sanz  délai.' 
r)50    Li  rois  respont  'par  saint  Eloi, 

Grinbert,  vous  avez  bien  parle.' 

Lors  en  a  Bernart  apele  : 

'Bernart'  fet  il,   avant  venez 

Et  voz  conpaignons  amenez  ! 
555    Si  chantes  vegiles  des  mors 

Por  Renart  qui  ici  est  mors, 

Dont  je  sui  iriez  durement.' 

'Sire,  a  vostre  conmandement' 

Ce  li  a  respondu  Bernart. 
5{î()    Tout  maintenant  du  roi  se  part. 

S'en  a  o  lui  mené  Tibert 

Le  chat  et  mon  seigneur  Hubert 

L'escoufle  et  mon  seigneur  Tardis 

Qui  moult  fu  pour  Renart  pensis. 
565    Ceulz  amena  o  lui  Bernart. 

Et  li  hericons  d'autre  part 

Qui  moult  est  ceintes  et  apers, 

Et  li  grésillons  dans  Frobers 

Si  en  a  mené  Chantecler 
570    Tout  pour  les  vegiles  chanter. 

Et  dant  Roonel  le  mastin. 

Et  sire  Ferrant  le  roncin, 

Et  Brun  l'ours  et  Bruiant  le  tor. 

Et  si  fu  avec  eulz  encor 
575    Ysengrins  et  dant  Brichemer 

Et  sire  Baucent  le  senglier. 

Revestu  sont  et  atourne. 

Puis  sont  arrière  retourne 


546  pour     548  Ifiuangile 


XVII  (Méon  29249-29285)  213 

Devant  le  cors  enmi  la  sale. 
580    Grinbers  ot  le  vis  taint  et  pale 

Pour  E,enart  que  forment  amoit. 

Lui  et  ceulz  que  il  amenoit 

Ont  les  vegiles  conmenciees. 

Maintes  temples  i  ot  sachiees 
585    Et  maint  poing  ensemble  féru. 

Roonel  qui  sages  bons  fu, 

A  leii  la  leçon  première, 

Mes  pour  Renart  fist  laide  chiere. 

Le  respons  dit  le  limaçon 
591)    Trestout  sanz  noise  et  sanz  tencon. 

Puis  distrent  eulz  deus  le  verset, 

Li  uns  en  gros,  l'autre  en  fauxet. 

La  seconde  leçon  après 

A  leii  Brichemer  li  cers, 
595    Le  respons  a  chante  Tiebert 

Entre  lui  et  sire  Frobert. 

Et  puis  ont  le  verset  chante 

Doucement,  ne  sont  pas  haste. 

Et  puis  lut  la  tierce  leçon 
6U0    Sire  Espinart  le  hericon 

Bêlement  et  sanz  contencons. 

Et  Grinbers  chanta  le  respons, 

Et  après  le  verset  andeus  : 

Ysengrins  lor  aida  li  leus. 
HOô    Puis  a  la  quarte  leçon  dite 

Ysengrins  qui  bien  s'en  aquite, 

Et  Baucenz  le  respons  chanta 

Tout  souef,  pas  ne  se  hasta. 

Et  Brun  l'ours  chanta  le  verset. 
610    Quant  il  l'ot  dit,  si  fist  un  pet. 

Et  après  lut  la  leçon  quinte 

Dant  Chantecler  le  mari  Pinte, 

Et  le  respons,  con  nous  lisons, 

Chanta  Frobert  li  grésillons. 
615    Le  vers  chanta  Pelez  li  raz, 

594  sers     603  empres      un  dcnlz     613  li      615  Li 


'^'^  XVII   (Méon  29286-29324) 

Et  mesire  Tibert  li  chaz. 
Brun  li  ours  qui  s'en  efforça, 
La  siste  leçon  conmenca: 
Bien  la  conmenca  et  feni. 
620    Et  maintenant  avant  sailli 
Rousel  l'escuirel  qui  chanta 
Le  respons,  biau  se  déporta. 
Le  verset  chanta  simplement 
Petitpourchaz  et  doucement. 
625    La  septisme  leçon  conmence 
Doucement  par  grant  sapience 
Le  paon  sire  Petitpas. 
Et  sachiez  qu'il  ne  failli  pas, 
Ancoiz  la  lut  et  bien  et  bel. 
630    Le  respons  chanta  Roonel, 
Et  le  verset,  par  grant  déport 
Chanta  pour  celui  qui  est  mort 
Droïn  le  moisnel  a  grant  joie 
Si  haut  que  il  veult  que  l'en  l'oie. 
635    L'uitiesme  leçon  sanz  desroi 
Lut  dant  Ferrant  le  palefroi, 
Et  Coarz  chanta  le  respons 
Qui  0  les  autres  fu  espons. 
Li  connins  sire  Sauteret 
640    Conmenca  l'uitiesme  verset. 
La  nuesme  leçon  lut  Bernart 
Qui  estoit  dolanz  pour  Renart: 
Le  respons  chanta  Brichemer 
Et  le  vers  Baucent  le  sanglier. 
645        Quant  les  leçons  furent  chantées 
Et  vegiles  furent  finees, 
Desvestir  se  vont  maintenant 
Tuit  arengie  en  un  tenant. 
Quant  il  furent  desvestu  tuit, 
650    En  la  sale,  qui  qu'il  anuit, 

S'en  sont  venu  trestuit  ensemble. 
Devant  le  corps  si  con  moi  semble 


que  ne     641  niioviesme 


XVII  (Méon  29325 -293iil)  215 

Furent  assis  conmuneraent. 

Luminere  et  bel  et  gent 
655    Avoit  laiens  a  tel  foisson 

Que  toute  en  reluist  la  meson. 

Icele  nuit  j&rent  il  joie 

Gre  ne  cuit  que  james  tele  oie  : 

Non  feront  il,  si  con  je  cuit. 
600    As  plantées  jeuent  la  nuit. 

Le  pie  leva  premièrement 

Ysengrins  moult  joieusement, 

Et  Tieberz  li  chaz  i  feri 

Si  doucement  et  si  seri, 
665    Que  d'autre  part  le  fist  chaoir. 

Lors  s'est  Tiebers  alez  seoir, 

Dont  retendi  Primant  le  pie. 

Mes  onques  n'ot  de  lui  pitié 

Brichemer  qui  tel  li  assist 
67»)    Que  trestout  li  piez  li  fremist: 

Vousist  ou  non,  d'autre  part  chiet. 

Et  Brichemers  tantost  s'assiet. 

Si  a  le  pie  en  haut  tendu, 

Adonc  a  son  cop  estandu 
675    Bruiant  li  tors  et  si  s'efforce 

De  ferir,  que  toute  sa  force  N  58 

I  mist,  mes  pour  ce  ne  se  mut: 

Quant  ce  vit,  la  color  li  mut, 

Brichemer,  et  fu  si  destroiz: 
680    Mes  il  se  tint  a  celé  foiz 

Qu'il  ne  se  mut  pour  cop  qu'il  doinst: 

Ne  quit  mie  qu'il  li  pardoinst. 

Mesire  Frobers  qui  se  test 

A  veii  le  cop  qu'il  a  fet: 
685    Envers  Bruiant  vint  aire. 

Et  cil  li  a  le  pie  haucie 

Tout  ainssi  conme  a  lui  affiert, 

Et  Froberz  un  grant  cop  i  fiert: 

A  pou  le  cuir  ne  l'en  a  tret. 


6H7  primat     669  quo     689  fret 


216  XVII   (Méon  29362-29398) 

G9()    De  maintenant  arriers  se  tret 
Bruiant  le  tor  tout  esbahi, 
Et  danz  Froberz  le  pie  tendi. 
A  grant  joie  et  a  grant  leesce 
De  maintenant  a  lui  s'adresce, 

B95    Quanqu'il  onques  puet  i  a  point 
Baucens  li  sangliers  a  cel  point, 
Et  fiert  Frobert  le  gresillon 
Que  il  l'abat  a  genoillon. 
Mes  tost  en  estant  resailli 

700    Et  dit  Vos  n'avez  pas  failli, 
Sire  Baucent'  ce  dit  Frobert, 
'Foi  que  je  doi  frère  Hubert: 
Moult  durement  vous  lo  et  pris, 
Quant  vous  tel  chevalier  de  pris 

705    Avez  devant  moi  abatu. 

Moult  en  sui  de  joie  esbatu.' 
'Sire  Frobert'  ce  dit  Baucens, 
'Par  la  foi  que  doi  saint  Laurens, 
Riens  se  jeu  non  n'i  entendi.' 

710    Lors  s'assist  et  le  pie  tendi. 
Si  a  féru  sanz  demeurée 
Tardiz  qui  a  sa  chape  ostee. 
A  ferir  mist  tout  son  pooir  : 
Et  a  bien  son  cop  aseoir 

715    L'a  féru  si  très  durement 
Qu'il  l'abat  sus  le  pavement. 
Le  vis  et  la  couleur  mua. 
Plus  tost  qu'il  pot  se  remua, 
Qu'il  estoit  dolanz  et  plainz  d'ire. 

720    Et  Tardis  li  a  pris  a  dire 

'Baucent,  ne  vous  courrouciez  pas. 
Atant  vint  avant  Petitpas 
Li  paons  a  qui  il  dessiet. 
Et  Tardiz  maintenant  s'assiet 

725    Qui  lor  courrouz  petit  redoute. 
Li  paons  mist  sa  force  toute 
A  ferir,  et  si  s'esvertue. 


710  sassiet      714  o.  empleoir      725  le  c. 


XVII   (Mèoii  29399—29431) 

Mes  pour  le  cop  ne  se  remue 
Mesire  Tardiz  de  la  place. 

730    Toute  li  vermeillist  la  face 
Pour  le  cop  qu'il  ot  receû. 
Li  paons  s'est  aparceû 
Qu'il  l'ot  blecie,  si  li  escrie 
'Tardif,  ne  vous  correciez  mie  ! 

735    Mes  bevez,  si  ne  vous  anuit. 

Encore  est  moult  longue  la  nuit, 
Si  joueron  plus  liement.' 
'Sire,  vostre  conmandement' 
Fait  Petitpas.    Lors  fist  venir 

740    Du  vin,  si  burent  a  loisir, 
Et  autresi  i  ot  cervoise: 
Tant  ot  beii  que  il  s'envoise. 

Quant  beû  ont  a  lor  vouloir. 
Si  ala  Petitpas  seoir. 

745    Pelez  li  raz  s'est  avant  tret 
Tout  bêlement  et  tout  a  tret. 
Et  fiert  Petitpas  sanz  attendre 
Tout  bêlement  sanz  pie  estandre. 
Sa  force  i  a  trestoute  mise. 

750    Li  bastons  en  deus  tronçons  brise 
En  deus  moitiez  par  le  milieu. 
Cel  cop  vit  Ysengrin  le  leu: 
Si  li  anuie,  ce  sachiez. 
Envers  le  rat  s'est  avanciez 

755    Et  li  a  dit  par  grant  desroi 
Si  que  bien  l'entendi  le  roi  : 
'Sire  Pelez,  grant  tort  avez 
Que  vous  si  durement  ferez  : 
Grant  ire  en  ai  eue  au  cuer, 

760    Je  ne  lesseroie  a  nul  fuer 
Que  n'i  fiere,  se  diex  m'ait.' 
Et  mesire  Pelez  li  dist 
Sire  Ysangrin,  sachiez  de  voir 
Que  blecie  nel  vorroie  avoir 

765    Pour  la  pelice  de  mon  dos. 


217 


732  cest      736  moult  J  bien 


218  XVII    (Méon  29440-29476) 

Mielz  vorroie  que  trusqu'a  l'os 
Me  fusse  tranchiez  en  un  doit. 
Dist  Ysengrin  'vous  avez  droit. 
Or  lessiez  le  jeu  a  itant!' 

770    Maintenant  est  sailliz  avant 
Petitpourchaz,  si  li  escrie 
'Ysengrin,  si  n'ira  il  mie: 
Ainz  jouerons  jusques  au  jour 
Tout  souavet  et  par  amour.' 

775    'Pelez'  fet  il,  'avant  venez: 
Asseez  vous  et  si  jouez!' 
Il  tent  le  pie  sanz  demeurée. 
Atant  es  vous  de  randonnée 
Mon  seignor  Pourchaz  sanz  atendre, 

780    Et  vit  Pelez  le  pie  estandre 
Et  li  a  si  grant  cop  donne 
Que  il  l'a  trestout  estonne. 
Que  vous  iroie  je  contant? 
Tant  vont  lor  euvre  démenant 

785    Que  le  jour  vint:  adonc  finerent 
Lor  jeu  et  le  ferir  lessierent. 

Sitost  conme  il  lor  adjourna, 
Li  jouers  maintenant  fina: 
Et  l'arceprestre  dant  Bernart 

790    Fist  les  sainz  sonner  pour  Renart. 
Au  sonner  sont  moult  déporte. 
Le  cors  ont  au  mouster  porte: 
Asis  Forent  devant  l'autel, 
Ne  cuit  qu'el  siècle  eûst  autel. 

795    L'autel  ma  dame  Pinte  estoit 
Qui  en  fiertre  illuec  gisoit, 
Qui  a  grant  dolor  fu  ocise. 
Iluecques  fu  soz  l'autel  mise 
Le  jour  que  ele  dévia, 

800  Dont  tel  i  ot  grant  anui  a 
Qu'el  fu  mise  si  richement. 
Chanteclers  ovra  sagement, 


773  jusques  ]  de  si     780  uint     787  lor  manque     794  que  s.     798 
sor     802  erra 


XVII  (Méon  29477     'J9513i  219 

Quant  en  itel  leu  fist  poser 

Le  cors  et  mètre  et  reposer:  N  59 

805    Ce  fu  par  le  congie  le  roi 

Qu'ele  i  fu  mise  sanz  desroi. 

Miracles  apertement  fet 

Pour  li,  si  que  tuit  li  contret 

Garissent  qui  entrent  laiens, 
810    Et  autrez  de  goûte  et  de  denz: 

Maint  très  bel  miracle  i  avint. 

Quant  leanz  Renart  adonc  vint. 

Devant  l'autel  fu  mis  a  terre, 

Et  li  rois  a  envoie  querre 
815    Touz  les  barons  de  son  empire. 

Tuit  i  vindrent  meillor  et  pire, 

Que  ne  l'osèrent  refuser. 

Maintez  foiz  les  ot  fet  muser 

Celui  pour  qui  il  sont  venu. 
820    Devant  l'autel  paisible  et  mu 

Se  sont  entor  le  roi  assis. 

Revestir  s'en  alerent  sis 

Qui  estoient  riche  et  greigneur 

Pour  faire  au  corps  Renart  honneur. 
825    Li  un  fu  Bernart  l'arceprestre 

Qui  de  la  court  fu  sire  et  mestre, 

Bruiant  le  tor  et  le  roncin  : 

Li  quarz  Roenel  le  mastin, 

Brun  l'ours  et  le  cerf  Brichemer 
830    Qui  moult  souloit  Renart  amer. 

Revestu  furent  a  devise 

Cil  sis  por  faire  le  servise 

De  Renart  qui  gist  en  la  bière. 

Hermeline  et  ma  dame  Fiere 
8.35    Meinent  grant  cri  et  grant  douleur. 

Bernart  qui  pale  ot  la  couleur 

De  jeûner  et  de  mal  trere, 

Lors  prist  un  sarmon  a  retrere 

Un  petit  devant  l'évangile. 


817  le  80rent        826  Que 


220  XVII  (Méon  29514-29550) 

840    'Biaus  seigneurs'  fet  il,   par  saint  Gile, 
Forment  me  puis  esmerveillier  : 
Renart  estoit  touz  hetiez  hier, 
'  Et  or  est  alez  a  sa  fin. 

Bien  devroit  estre  net  et  fin 

845    Qui  voudroit  estre  en  ceste  vie 
Ou  chascun  se  muert  et  dévie, 
Cist  example  devroient  prandre 
Cil  qui  ades  weulent  emprandre 
Les  mauvestiez  et  les  malices. 

850    Ja  ne  les  garra  tour  ne  lices, 
Ne  forteresces  ne  mesons. 
Chascun  morra,  c'est  l'achoisons 
Por  quoi  chascun  se  doit  pener    • 
De  bonne  vie  démener. 

855    Renart  qui  la  vie  a  finee, 
Si  a  en  son  temps  démenée 
Vie  de  martyr  et  d'apostre  : 
Autel  fin  aient  tuit  li  nostre 
Et  aussi  bonne  repentance, 

8o0    Que  de  lui  ne  sui  en  dotance 
Qu'il  ne  soit  en  bonne  fin  pris. 
Onques  ne  fu  Renart  repris 
Nul  jour  a  nule  vilanie. 
Il  a  este  sanz  felonnie 

805    Et  sanz  malice  et  sanz  orgueil. 
Onques  jour  ne  virent  mi  œil 
Prince  qui  fust  de  sa  vertu. 
Se  il  a  volantiers  foutu, 
L'en  n'en  doit  tenir  plet  ne  conte. 

870    II  n'a  ou  monde  roi  ne  conte 
(De  ce  ne  sui  je  pas  en  doute) 
Qui  n'ait  foutu  ou  qui  ne  foute. 
Foutre  convient,  si  con  moi  semble. 
Pour  ce  vous  di  a  touz  ensemble 

875    Que  foutre  n'iert  ja  deffendu. 
Pour  foutre  fu  le  con  fendu. 


847  examples     850  touz     853  ch.  deuroit 


XVII   (Méoii  29551-29587)  221 

Si  conmant  a  touz  orandroit 

Que  qui  a  le  vit  dur  et  roit, 

S'il  a  le  con  abandonne, 
880    Le  foutre  li  est  pardonne, 

Que  ja  ne  li  ert  reprochie. 

Ne  il  n'est  de  foutre  pechie 

Pour  que  vit  soit  parti  de  eoilles, 

Ne  que  il  fait  de  faire  endoilles 
885    Qu'en  met  de  bouel  en  bouel. 

Tuit  se  jeuent  de  ce  jouel. 

Renart  a  foutu  volantiers. 

A  Hersent  a  este  entiers 

Ses  cuers  et  a  ma  dame  Fiere. 
8W    Mors  est,  n'ai  paour  qu'il  me  fiere 

Pour  chose  que  je  racont  ci. 

Biau  sire  roi.  pour  dieu  merci! 

Fêtes  crier  par  vostre  empire, 

Que  qui  foutra  ja  n'en  iert  pire. 
895    Le  pechie  en  weil  pardonner, 

Et  se  lor  pooie  donner 

Rantes,  volantiers  lor  donroie. 

Et  lor  péchiez  lor  pardonroie. 

Ne  lor  pramet  pas  en  pardon 
900    Ci  et  devant  dieu  lor  pardon 

Quenque  pour  foutre  mesprandront. 

Tele  penitance  emprandrout 

Qu'il  en  mengeront  a  estraine 

Chat  touz  les  jors  de  la  semaine. 
905    Et  qui  de  mon  conmant  istroit 

Et  qui  volantiers  ne  foutroit, 

Soit  homme,  soit  femme  ou  soit  beste. 

Et  piez  et  mainz  et  corps  et  teste 

Li  soit  de  chaennez  de  fer 
910    Lie  es  granz  tourmenz  d'enfer. 

Et  cil  qui  mon  conmant  feront, 

A  joie  en  paradiz  seront.' 
Quant  l'arceprestre  ot  afiue 


891  raconte 


222  XVII  (Méon  29588—29024) 

Tout  son  sarmon  et  termine, 
915    De  son  servise  s'avança. 

Son  confiteor  conmenca 
,  Le  bon  arceprestre  Bernart, 

Puis  dist  l'oroison  pour  Renart. 

'Ahi  Renart'  fist  il,   amis! 
920    En  maint  péril  vous  estes  mis 

En  bois,  en  forest  et  en  plain 

Pour  avoir  vostre  vantre  plain, 

Et  pour  porter  a  Hermeline 

Vostre  famé  coc  ou  geline, 
925    Chapon  ou  oe  ou  cras  oison. 

Touz  jorz  estoient  en  seson, 

Quant  les  poïez  or  tenir. 

Or  estuet  a  néant  venir 

Les  granz  hardemenz  qu'avez  fez 
930    Et  les  bienz  dont  estes  refez. 

James  tel  baron  ne  morra. 

Sire  Renart,  or  demorra  N  60 

Hermeline  povre  esgaree. 

James  n'aura  de  bien  denrée. 
935    Bien  le  saviez  procurer. 

Or  li  convient  mètre  curer 

Et  tremper  son  ventre  et  ses  mainz. 

Du  plus  estoit:  or  est  du  mainz. 

N'ara  mes  vaillant  une  alie, 
940    Quant  vostre  amour  li  est  faillie.' 
Quant  Bernarz  ot  en  sa  reson 

Bien  definee  s'oroison 

Et  aproprie  son  chapistre, 

Brichemer  conmenca  l'epistre 
945    Que  bien  l'oïrent  touz  et  toutes. 

Renart'  fet  il,  'sanz  nules  doutes 

Pour  vous  ont  este  esbaïes 

En  grandies  et  en  abaïes 
Mainte  geline  et  mainte  oe. 
950    Maintez  foiz  vous  en  est  la  joe 


925  ore     i»-J3.  914  manquent 


XVII  (Méon  29620-29661)  223 

Remuée  et  le  grenon  tors. 

Maint  cop  en  avez  sor  le  dos 

Et  sus  le  crépon  receii. 

Meint  blanc  moine  avez  deceû 
955    Et  fet  (dont  moult  lor  doit  grever) 

Tart  coucher  et  matin  lever 

Pour  agaitier  ton  larrecin. 

Meinte  geline,  maint  poucin 

Lor  as  emble  conme  felou. 
960    Mes  de  tout  ice  fasolon. 

De  tout  quanque  tu  as  tolu. 

Renart,  soiez  tu  absolu. 

Li  péchiez  en  soit  seur  moi  mis, 

Ainssi  absoil  je  mes  amis.' 
965        Brichemer  l'espitre  fina 

Et  Ferrant  le  roncins  qui  n'a 

Conpain  qui  tant  sache  de  guille, 

Conmenca  en  haut  l'evaugile, 
Et  a  dit   vescoi  grascia 
970    Euvangile  sequencia 

Secondum  le  gorpil  Renart! 
Entendez  i,  sire  Bernart, 
Arceprestre  estez  et  seignor, 
Et  vous  après,  grant  et  menor, 
975    Le  roi  et  trestous  les  barons. 
Renart,  que  de  voir  le  savons, 
Est  morz,  vez  le  ci  en  présent. 
Dolante  en  est  dame  Hersent, 
L'espousee  Ysengrin  le  leu, 
980    Que  maintez  foiz  en  prive  lëu 
L'a  Renart  tenue  adossée. 
Meint  grant  cop  et  mainte  dossee 
Li  a_fVope  sor  sa  crevace. 

Ot  apareipit  celé  fendace 

Qui  mouÙ  part  que  l'en  i  fiere. 
1060    Le  cors  oi^a  dame  Fiere 

Qui  couverèt  batu  son  tro, 

\ci     982  granf  manque      cos     985  face 
1042  sien     1048  .s.     1055\ 

JKNAK'r      11.  \ 


224  XVII  (Méon  29662-22698) 

Il  ne  li  poise  fors  du  po. 
Onques  son  con,  s'entendu  l'as, 
990    Pour  cop  de  coille  ne  fu  las. 
Le  cul  deûst  avoir  coupe, 
Quant  ele  a  le  roi  acoupe! 
Et  Hersent  a  la  croupe  lee 
Deûst  la  keue  avoir  ullee. 
995    Renart,  n'en  soit  nus  en  doutance, 
En  a  fête  sa  penitance. 
L'ame  en  ira  a  reculons 
En  paradis  o  les  muions 
Iluec  ou  les  asnes  iront, 

lOno    Quant  de  cest  siècle  partiront. 

Renart,  je  l'en  faz  bien  promesse, 
Sera  assis  delez  l'arnesse 
A  grant  joie  et  a  grant  délit. 
Les  gelines  feront  le  lit 

1005    En  coi  il  devra  reposer. 

Mes  itant  vous  veil  je  gloser, 
Ja  n'i  osera  le  doit  tendre 
A  oison  n'a  geline  prandre. 
Autre  penitance  n'aura, 

1010    Pour  ce  qu'en  sa  vie  en  ara 
Meinte  occise  par  son  pechie. 
Pour  c'iert  en  paradiz  trichie.' 

L'arceprestre  sire  Bernart 
Chanta  la  messe  pour  Renart. 

1015    Quant  ele  fu  toute  finee, 
Li  rois  par  bonne  destinée 
En  haut  devant  trestouz  parla. 
Et  Bruns  l'ours  a  soi  apela 
Et  li  dist   amis,  vous  iroiz 

1020    Desouz  ce  pin  et  me  feryg„ 

La  fosse,  biaus  très  do»^„ 
'  les 

Ou  le  cors  Renart  ser^ 

A  grant  honor  iert  m^g^  j^'j^^ 

Si  vous  weil  prier  e<" 

989  cul     991  cospe     999  o     101 


XVII  (Méon  29695)-  29735) 

1025    Que  vous  faciez  isnelemeot 

Mon  bon  et  mon  conmandement.' 
Et  cil  respont   vostre  vouloir, 
Quiconques  s'en  doie  doloir, 
Ferai,  que  ne  le  voeil  lessier.' 
1030    'Chanteclers,  prenez  l'encensier 
Dont  vous  le  cors  encenseroiz! 
Brichemer  et  vous  porteroiz 
La  bière  au  baron  de  franc  lin, 
Et  vous,  le  mouton  dant  Belin. 
1035    Ysengrin  se  déportera 

En  la  croiz  que  il  portera. 
Chascun  fera  de  son  labour. 
La  chievre  prandra  un  tabour, 
De  quoi  ele  ira  tabourant, 
1040    Et  le  roncin  sire  Ferrant 

Harpera,  tiex  est  mon  plesir, 
L^n  son  galois  tout  a  loisir: 
Ne  veil  pas  que  se  voist  tardant. 
Les  cierges  porteront  ardant 
1045    Couart  li  lièvres  et  Tibert 
Li  chaz  et  l'escoufle  Hubert. 
Quant  le  cors  enterrer  iront, 
Les  souriz  les  sains  sonneront 
Ainssi  con  mon  conseil  le  loe, 
1050    Et  li  singes  fera  la  moe. 

Bernart  metra  le  cors  en  terre. 
Meilleur  de  li  n'i  convient  querre.' 

Ainssi  con  li  rois  le  conmande 
Le  font,  nus  respit  n'i  demande: 
1055    Le  cors  aportent  a  grant  feste 
Qui  descouverte  avoit  la  teste. 
Brun  Tours  qui  la  poe  avoit  grosse, 
Ot  apareilliee  la  fosse. 
Qui  moult  bien  i  ot  entendu. 
1060    Le  cors  ont  iluec  descendu 

Qui  couvert  iert  d'un  paile  vert. 


1042  sien     1048  .s.      1055  apoi-toient 

liKNAK'r     II. 


15 


226  WII  (Méon  29736—29774) 

Et  quant  il  Torent  descouvert,  N  61 

Brichemer  par  le  chief  le  prist, 
Ainsi  con  Bernarz  li  aprist, 

10()5    Que  maint  mis  en  terre  en  avoit. 
A  Belin  que  devant  lui  voit, 
A  fet  Renart  par  les  piez  prendre. 
En  la  fosse  sanz  plus  atendre 
L'ont  mis  et  concilie  doucement, 

1070    Et  l'arceprestre  isnelement 
Geta  sus  Teve  beneoite 
Pour  ce  que  chose  maleoite 
Ne  se  peiist  au  cors  bouter. 
Quant  vint  a  la  terre  giter 

1075    De  coi  Brun  l'ours  le  voult  couvrir, 
Renart  prist  les  iex  a  ouvrir. 
Merveilla  soi  que  ce  estoit, 
Paour  ot  et  si  se  doutoit 
Qu'en  la  terre  ne  fust  enclos. 

1080    II  ne  tint  mie  les  iex  clos, 

Que  tens  n'en  estoit  ne  seson. 
Moult  ot  jeii  en  pâmoison, 
Ne  sot  ou  il  avoit  este, 
Moult  cuida  bien  estre  enchante. 

1085    Quant  vit  le  roi  et  le  barnage, 
Cuer  prist  en  soi  et  vasselage, 
A  li  garir  mist  cuer  et  cors  : 
Joinz  piez  saut  de  la  fosse  hors. 
Chantecler  qui  tint  l'enceusier, 

1090    Prist  as  dens,  ne  le  volt  lessier. 
A  tout  s'en  va  tout  eslessie 
Et  se  feii  en  un  plessie. 

Quant  li  rois  a  aparceû 
Que  Renart  l'avoit  deceii, 

1095    Corroucie  en  fu  et  plain  d'ire. 
Tout  maintenant  a  pris  a  dire 
'Ore  après,  franche  gent  loee  ! 
S'il  estoit  loins  une  loee, 
J'aroie  perdu  mon  baron. 

1100    Qui  porra  prendre  le  larron, 


XVII  (M.'on  29775—29811)  22  < 

A  touz  joiirz  mes  aura  m'amour.' 

Adont  s'eslescent  sanz  demour 

Tretuit  a  grant  esperonnee 

Apres  Renart  de  randonnée 
1105    Qui  Chanteeler  en  va  portant. 

Ja  ot  erre  et  fouï  tant 

Quel  plessie  se  fu  embatu. 

'Vi  chetis,  laz!  pour  coi  fuis  tu?' 

Fet  Chanteeler  Vest  grant  outrage. 
1110    Di  leur  que  tu  emportes  gage 

Du  tort  que  l'en  t'a  fet  a  court. 

Il  ne  te  tiennent  pas  si  court 

Que  tu  ne  lor  puisses  moustrer 

Et  tout  apertemant  conter 
1115    Que  maugre  eulz  m'enporteras 

Et  de  moi  ton  vouloir  feras 

Maugre  toute  la  conpaiguie. 

Te  font  ore  grant  vilanie, 

Quant  ainssi  me  veuUent  rescorre. 
1120    Nus  d'eulz  ne  t'aprendroit  a  corre, 

Tant  seiist  bien  du  pie  aler. 

Di  lor,  ne  lor  dois  pas  celer, 

Que  pour  néant  te  vont  sivant.' 

Renart  qui  fu  aparcevant 
1125    De  Chanteeler  qui  l'aparole, 

Que  par  engin  et  par  parole 

L'avoit  autre  foiz  engingnie, 

Si  a  a  parler  resoingnie. 

Ne  voult  mot  dire,  et  cil  s'escrient 
1130    Que  tuit  de  la  court  le  deffient. 

Se  il  ne  lor  rant  Chanteeler. 

'Certes  moult  te  deûst  grever' 

Fet  Chanteeler  'ceste  huée. 

Di  leur  sanz  nule  demeurée 
1135    Qu'il  s'en  retournent  orandrort: 

Tu  iras  a  cort  faire  droit 

De  ce  qu'en  te  demandera. 


1132  se 


15« 


228  XVir  (M.'on  29812--29850) 

Que  que  li  rois  conmandera 
Feras  de  gre  et  volantiers 

1140    Connie  cil  qui  est  siens  entiers. 
Ainssi  les  feras  remanoir, 
Puis  t'en  iras  a  ton  manoir 
Ou  tu  te  porras  déporter, 
Et  moi  avecques  toi  porter 

1145    A  anuit  a  bonne  cuisine. 
Se  ta  famé  fust  en  gesine. 
Si  eusses  tu  pour  vitaille.' 
Lors  choissi  un  vilain  qui  taille 
Ramille  pour  son  four  chaufer: 

1150    A  une  chaaine  de  fer 
Ot  a  sa  coroie  lie. 
Dont  li  cloet  sont  délie. 
Un  gaignon  grant  et  merveilleus. 
Meigres  estoit  et  fameilleus. 

1155    Le  vilein  qui  le  chien  tenoit, 
Choissi  le  gorpil  qui  venoit: 
Le  chien  deslace,  si  li  huie. 
Renart  le  voit,  moult  li  anuie: 
Tant  fu  courouciez  et  plain  d'ire, 

1160    Ne  sot  que  faire  ne  que  dire. 
Il  n'ose  vers  le  chien  tourner 
Ne  vers  les  reaus  retourner. 
Que  grant  pas  le  vionent  sivant, 
Tardiz  u  premier  chief  devant, 

1165    Qui  tint  la  baniere  levée. 
Adonc  a  sa  règne  tournée 
Renart  au  travers  d'un  plessie. 
Ne  n'a  pas  Chantecler  lessie, 
Ainz  l'emporte  moult  esmaiez. 

1170    Li  mastins  ne  s'est  delaiez, 

Aincoiz  le  suit  de  grant  esles. 
Lors  pense  Renart  'se  je  les 
Chantecler  aler,  que  ferai? 
Car  anuit  mes  ne  trouverai 

1175    Chose  dont  me  puisse  souper. 
Et  se  cil  me  puet  acouper 


XVII  (Méon  29851-29887J  229 

Qui  si  me  chace  pour  moi  prendre, 

Il  me  fera  encui  aprendre 

Conme  ses  denz  savent  trancher. 
1180    Je  ne  doi  pas  avoir  tant  chier 

Ce  coc  conme  mon  cors  déracine. 

D'autre  part  vient  Tardis  qui  meine 

Un  moult  grani-  peuple  a  sa  baniere. 

Et  se  il  me  meinent  arrière, 
1185    Je  serai  moult  mal  atirie, 

Que  li  rois  iert  vers  moi  irie 

Pour  Chantecler  qu'il  aime  et  prise. 

Moult  me  poise  de  ceste  prise: 

Seur  moi  en  venra  le  meschief,' 
1190    Lors  dit  'Chantecler,  par  mon  chief,      N  62 

A  force  convient  que  vous  lesse. 

Cist  mastin  a  este  en  lesse, 

Que  trop  me  suit  delivrement. 

Va  t'en  tost  et  isnelement. 
1195    Je  ne  t'ai  blecie  ne  malmis, 

Et  se  tu  viens  a  cort,  amis, 

Ne  me  soies  par  ton  desroi 

En  nuisance  devers  le  roi.' 

'Non  ferai  je'  fet  il,  'biau  mestre.' 
1200    Lors  saut  desus  un  arbre  a  destre. 

Si  a  grant  joie  démenée, 

Et  Renart  de  grant  randonnée 

S'en  va  fuiant  et  a  grant  corse. 

Mes  li  chiens  saut  qui  li  rebourse 
1205    La  pel  du  dos  jusqu'au  crépon. 

Ja  fust  en  maie  souspecon 

Li  gorpilz  de  perdre  la  vie. 

Quant  Tardiz,  qui  a  grant  envie 

De  lui  prandre,  i  est  seurvenu. 
1210    De  ce  li  est  bien  avenu 

Que  il  l'a  au  mastin  rescous. 

Mes  ain/  i  ot  féru  mainz  cous 

Que  il  en  eiist  la  baillie. 


1182  vint     1192  matin     1197  8oies|  sage 


230  XVII  (Méon  29888  -29924) 

Tantost  est  entor  lui  saillie 
1215    La  conpaignie  bêle  et  noble 

Que  li  riche  empereres  Noble 

I  envoia  pour  Renart  prandre. 

Pris  et  lie  l'ont  sanz  atandre. 

Si  l'ont  devant  le  roi  mené,   , 
1220    Qui  aussi  conme  forsene 

Jure  qu'il  le  fera  deffaire, 

Ardoir,  escorchier  ou  detraire, 

Ou  livrer  a  cruel  tormant. 

Et  Chantecler  isnelement 
1225    Se  plaint  de  la  desconvenue 

Qui  li  est  par  li  avenue. 

Li  rois  dit  que  droit  en  aura 

Tel  con  il  demander  saura, 

Que  trop  li  fist  grant  mesprison. 
1230    'Ja  ne  sera  mis  en  prison, 

Aincoiz  le  ferai  cscorcher. 

Ne  m'en  porrai  plus  bel  venger.' 

'Sire'  fet  Renart,    entendez! 

Jugement  de  moi  entendez  : 
1235    Au  jugement  me  contendrai 

Et  vostre  merci  atandrai. 

Onques  ne  fu  nul  homme  ne 

Sanz  leal  jugement  mené. 

S'en  puet  en  vostre  court  trouver 
1240    Nus  qui  veille  vers  moi  prouver 

Que  j'aie  fet  desleaute 

Ne  traïson  ne  fausetc, 

Aprestez  sui  de  moi  deffandre. 

Trop  voldrent  envers  moi  mesprandre 
1245    Cil  qui  en  terre  me  raetoient. 

Mon  sens  espoir  petit  doutoient. 

Pour  quel  forfet,  ce  veil  oïr, 

Me  faisoit  l'en  vis  enfoïr  ? 

Or  me  dites  vostre  semblant, 
1250    Estoie  je  pris  en  emblant? 


1216  riches     124(1  Mon  espérance  p.     1250  en  manque 


XVII  (Méon  29925-29961)  231 

La  court  en  fet  moult  a  blasmer. 

Bruiant  li  tors  et .  Brichemer, 

Et  les  autres  que  j'aim  et  prise, 

Seront  blasme  de  ceste  emprise. 
1255    Chantecler,  n'en  sui  pas  en  doute, 

Avoit  ceste  traïson  toute, 

(Ce  m'est  vis)  quise  et  pourchaciee. 

Mainte  mauvestie  a  braciee: 

Ceste  li  doit  l'en  reprouver. 
1260    Encontre  son  cors  veil  prouver  . 

Que  par  lui  m'est  hui  avenue 

Iceste  grant  desconvenue 

De  moi  tout  vif  en  terre  mètre. 

Ja  ne  s'en  deiist  entremetre 
1265    De  moi  faire  honte  et  anui. 

Se  recréant  ne  l'en  rant  hui, 

A  qui  que  il  doie  grever, 

Fêtes  moi  les  deus  iex  crever.' 

'Renart'  dit  Chantecler,  'Renart, 
1270    Par  la  foi  que  je  doi  Bernart 

L'arceprestre  que  je  voi  la, 

Onques  en  tel  guise  n'ala 

Li  afaires  con  vous  le  dites. 

Ne  vos  en  iroiz  pas  si  quites 
1275    De  cest  jour  d'ui  con  vous  cuidiez. 

Ahi!  sainte  Pinte,  or  m'aidiez 

Si  voire  ment  con  je  recort 

Que  Renart  vous  ocist  a  tort, 

Et  si  conme  je  n'i  ai  coupe 
1280    Du  blasme  de  coi  il  m'encoupe.' 

'Vous  mentez'  fet  Renart,  'traïtrez! 

Par  vostre  menconge  feïstes 

Qu'enterre  fui:  ce  vous  créant, 

Si  vous  en  rendre  recréant 
1285    Aincoiz  que  li  jours  soit  passez, 

Ou  a  mort  plaiez  et  quassez. 

Ne  poez  faillir,  ainssi  n'aille.' 


1256  avez      ceste  .Wo«  ]  trete     1258  as     1282  Pour      1286  Faut 
il  lire  Ou  a  mort  serez  vos  plaiez? 


232  XVII  (Méon  29962—30000) 

'Sire,  otroiez  moi  la  bataille' 

Fet  Chantecler  a  l'emperere, 
1290    Et  celi  qui  recréant  ère 

Faites  ou  pendre  ou  desmembrer. 

Il  vous  devroit  bien  remembrer 

Des  anuiz  que  il  vous  a  fez. 

Par  dieu,  penduz  iert  ou  deflFez 
1295    Iceli  qui  vaincu  sera, 

Ja  autrement  n'en  passera. 

Et  c'est  droiz  et  reson,  me  semble. 

Maintenant  les  mettent  ensemble, 

N'i  vont  plus  d'aloigne  querant. 
1300    Tardif,  l'escoufle  et  Ferrant, 

Le  gresillon  et  le  fourmi 

Qui  moult  estoient  bon  ami 

Et  preuz  et  vaillanz  sanz  desroi, 

Cil  gardèrent  de  par  le  roi 
1305    Moult  très  bien  et  moult  sagement. 

Quant  fet  furent  li  serement, 

Si  les  ont  ensemble  lessie. 

Lors  s'est  l'un  vers  l'autre  eslessie. 

Et  Renart  qui  premier  l'assaut, 
1310    Enpres  Chantecler  fet  assaut. 

Granz  cos  li  donne  de  la  poe. 

Et  Chantecler  delez  la  joe 

Li  fet  de  son  bec  une  roie 

Si  grant  que  li  clers  sans  en  roie, 
1315    Que  jusqu'au  talon  va  la  goûte, 

Et  des  iex  ne  vit  nule  goûte 

De  l'erreûre  d'une  live. 

11  pert  bien,  la  char  avez  vive'  N  63 

Fet  Chantecler  qui  le  tint  cort, 
1320    'Que  li  sans  touz  vermaus  en  cort. 

Folie  vous  fist  a  moi  prandre. 

Je  vous  ferai  encui  aprandre, 

Conment  je  me  sai  maintenir. 

Se  pour  outre  te  veulz  tenir, 
1325    Je  lo  que  te  cleimes  vaincu. 

Pandre  te  fai,  trop  as  vescu.' 


XVII  (Méon  30001-30037)  233 

Renart  qui  entent  la  menace, 

Tert  le  sanc  contreval  sa  face 

Que  les  iex  li  avoit  couvers. 
1330    Lors  a  les  iex  andeus  ouvers, 

Et  dit  a  Chantecler  'traîtres, 

Si  ni'aïst  diex,  mar  le  déistes 

Que  je  recréant  me  rendisse. 

Se  sein  ne  sauf  de  cest  jour  isse, 
1335    Je  vous  cuit  encui  donner  tele, 

Mes  ne  métrez  en  fu  atele.' 

Lors  li  cort  viguereusement. 

Si  le  feri  irieement 
De  la  poe  parmi  la  hanche, 
1340    Qu'i  li  derompi  la  char  blanche. 
Trop  li  a  fet  doulereus  merc. 
Parmi  la  plume  del  aubère 
Fist  de  sanc  saillir  plein  boisel. 
Par  le  champ  en  court  le  ruisel 
1345    Si  c'un  moulin  en  peiist  moldre, 
Kes  bien  le  cuide  rendre  et  sodre 
Chantecler  iceste  bonté. 
Lors  li  est  sus  le  dos  monte, 
Si  le  fiert  des  espérons  fort, 
1350    Et  de  son  bec  le  pince  et  mort, 
Que  jusques  au  test  li  embat. 
La  destre  oreille  li  abat, 
Et  l'ueil  senestre  li  creva. 
Puis  li  dist   malement  vous  va, 
1355    Sire  Renart,  au  mien  avis. 

Ja  de  cest  champ  n'estordrez  vis. 
Que  il  du  cors  ne  vous  meschiee. 
Bien  est  dame  Pinte  vengiee 
Et  dame  Coupée  s'entein. 
1360    De  lancelee  et  de  plantein 

Se  voudra  en  vos  plaies  mètre, 
S'Epinart  se  veult  entremetre 
Qui  est  fisicien  le  roi, 


1330  as  1.  i.  as  denz       1342   aubert       1357    meschiee    ,Wo«  |  mo. 
schiece     1361  Faut  il  lire  voudrez? 


234  XVII  (Méon  30038-30073) 

Bien  vous  garra  :  mes  le  derroi, 

1365    Qui  en  vous  est  vous  honnira. 
Quant  la  bataille  fenira 
De  vous,  et  vengiee  arai  m'ire, 
N'arez,  ce  croi,  mester  de  mire.' 
Kenart  qui  la  response  entant, 

1370    Au  miex  que  il  set  i  antent 
La  grant  honte  et  la  vilenie 
Que  Chantecler  par  felonnie 
Li  fet:  n'encor  n'en  est  lassez. 
Adonc  s'est  Renart  pourpensez 

1375    Que  la  morte  vieille  fera. 
N'a  Chantecler  n'adesera 
Que  tant  li  fet  et  honte  et  let. 
Atant  seur  li  cheïr  se  let: 
Et  Chantecler  le  pince  et  mort 

1380    Et  Renart  fet  semblant  de  mort, 
Qu'il  ne  se  crolle  ne  remue. 
Ainz  tint  la  bouche  close  et  mue 
Que  voiz  n'aleine  n'en  issi. 
Quant  Chantecler  le  vit  ainsi, 

1385    Lors  l'a  conme  lierre  repris, 
,  Au  bec  parmi  la  keue  pris, 
En  un  fosse  le  traîna. 
Or  voit  bien  Renart  que  il  n'a 
De  nului  secours  ne  aïe: 

1390    Car  c'est  la  beste  plus  haïe 
Du  monde  et  de  toute  gent. 
Bien'  set  pour  or  ne  pour  argent, 
Pour  promesse  ne  pour  avoir 
Ne  pourroit  raencon  avoir, 

1395    Se  il  estoit  aparceû. 
Par  son  savoir  a  deceû 
Chantecler  qui  por  mort  le  lesse. 
Entour  lui  ot  aussi  grant  presse 
Conme  se  il  fust  gent  develle. 


1364  m.  ie  doroi      1380  manque.,   ce   vers    serait-il    inferpoîé  par 
Méon?     1385  Vu  manque     1399  Faut  il  lire  d'esveille? 


XVII  (Méon  30074-30110) 

1400    Rohart  et  Brune  la  corneille 
Vindrent  au  roi  tôt  pie  estant 
Et  li  distrent  'Sire,  a  itant 
Lessiez  Renart!  mors  iert  sanz  faille. 
Moult  li  est  de  ceste  bataille 

1405    Hui  vilainement  mescheii. 
Or  est  en  ce  fosse  cheii 
Tout  mort  aussi  conme  une  coche. 
Blasme  i  auriez  et  reproche, 
Se  l'en  metoit  plus  seur  li  mein. 

1410    Maies  choses  l'aront  demein 
Tout  despecie  et  devoure. 
Et  vous  avez  ci  demoure 
Que  son  conpaignon  a  outre.' 
Li  rois  Nobles  vint  a  son  tre 

1415    Et  li  barnages  s'en  tourna 

En  son  hostel.     Cil  qui  tourna 
S'en  entra  joie  démenant. 
Renart  lessierent  remanant 
U  fosse  la  gueule  baee, 

1420    Si  con  l'ame  s'en  fust  alee, 
Que  ses  anemis  en  fu  bel. 
Du  roi  se  départ  le  corbel 
Et  la  cornille  dame  Brune, 
Conques  nel  sot  beste  nesune. 

1425    U  fosse  s'en  vindrent  courant, 
Ou  Renart  iert  de  fein  mourant 
Qui  l'orille  ot  perdue  et  Tueil. 
'Rohart'  fet  la  cornille,  'or  veil 
Que  nous  aillons  veoir  Renart 

1430    Encore  anuit,  ce  famelart. 

Par  les  sainz  qu'en  quiert  en  Galice, 
Li  afaiterons  sa  pelice. 
Mors  est,  nous  n'avons  de  li  garde.' 
Renart  les  ot  et  les  regarde, 

1435    Que  blecie  fu  et  se  feingnoit 
Ne  a  elz  parler  ne  daignoit: 


235 


1420  fu  {corriyf^  par  Méon?)     1431 


XVII  (Méon  30112-30147) 

Tant  se  cuidoit  iluec  tenir 

Que  il  veïst  la  nuit  venir. 

Mes  cil  souffrir  nel  voldrent  pas 
1440    Que  li  vindrent  plus  que  le  pas, 

Qui  de  noient  ne  se  doutèrent. 

Ambedui  desus  lui  montèrent. 

Rohart  premerainz  s'avança, 

Le  bec  avant  primes  hauca, 
1445    En  la  char  li  embat  dedenz. 

Et  Renart  a  gete  les  danz  : 

Si  le  prist  par  la  cuisse  et  tret  N  64 

A  soi  si  con  l'escrit  retret, 

Que  il  li  a  loquee  toute 
1450    Et  la  cuisse  empres  le  cul  route. 

Vileinement  l'a  afole. 

Rohart  est  d'autre  part  vole 

Seur  le  fosse  moult  angoisseus. 

La  cornille  vit  Renart  seus, 
1455    Avecques  li  tressailli. 

Et  Renart  est  en  piez  sailli, 

La  cuisse  prant,  a  tout  s'en  torne,  • 

Et  Rohart  lessa  tristre  et  morne. 

Aussi  conme  beste  esperdue, 
1460    Fuiant  s'en  va  sanz  atandue 

L'ueil  crevé,  l'oreille  copee. 

Il  ne  trouva  pas  estoupee 

La  porte  de  sa  forteresce, 

Ainz  s'i  feri  a  grant  destresce. 
1465        Quant  Hermeline  le  choisi, 

Qui  li  donnast  quite  Choisi, 

N'eiist  tel  joie  ne  tel  feste. 

Quant  ele  a  parceii  la  teste, 

Qu'il  avoit  si  mal  atournee, 
1470    Adonc  a  grant  doulour  menée. 

Ausi  firent  les  Renardiax. 

Grant  fu  la  criée  et  li  diax. 

En  un  lit  l'ont  couchie  et  mis. 


1447  et  le  t.     1449  cil      lobée     1455?     14H1  co?pee     1468aaparceu 


XVII  (Méon  30148-30181)  231 

Et  Rohart  qui  moult  fu  mauinis, 
1475    A  la  cornille  se  demante: 
'Dites'  fet  il,   amie  gente, 
Conment  porrai  aler  a  cort? 
Trop  durement  m'a  tenu  cort 
Renart,  ne  sai  que  j'en  ferai.' 
1480    "Entre  mes  braz  vous  porterai' 
Fet  la  cornille,  'par  mon  chief. 
De  l'anui  et  du  grant  meschief 
Sui  moult  dolante  et  correciee.' 
Atant  s'est  Brune  rebraciee, 
1485    Si  s'en  ala  triste  et  dolante 
Au  roi  qui  se  sist  en  sa  tante. 
Criant  'A  sire  roi,  merci. 
Tout  mahaignie  vous  aport  ci 
Rohart,  vostre  ami,  le  corbel. 
1490    Et  si  ne  m'est  mie  encor  bel 
Du  larron  Renart  deputere 
Qui  a  Malpertuis  son  repère 
S'est  mis  et  a  ferme  sa  porte, 
Que  la  cuisse  Rohart  emporte. 
1495    Mengiee  l'a  et  devouree. 

Frans  rois,  ne  fêtes  demouree, 
Vengiez  la  honte  et  la  laidure 
Que  Renart  vous  fet,  qui  trop  dure. 
Yostre  baron  a  desmembre. 
1500    Se  vous  estes  bien  amembre, 
Destroiz  quatre  foiz  vos  a  fez. 
Detranchiez  sera  et  defFez 
Li  traîtres  de  ceste  emprise.' 
Rohart  a  la  parole  emprise 
150Ô    Et  dist   Sire,  merci  aiez 

De  moi,  car  a  mort  sui  plaiez. 
Le  pie  et  la  cuisse  ai  perdue 
Dont  j'ai  la  pensée  esperdue, 
Morir  en  cuit  procheinement. 
1510    Mes  se  je  n'en  ai  vengement 


149"2  sen      1501   a  J/«-'o// 1  ai 


238  XVII  (Méon  30185-30221) 

Du  desleal,  du  traïtour 
Par  qui  sui  en  ceste  tristour, 
Blasme  en  seroiz  et  a  droit.' 
Li  rois  se  leva  en  piez  droit, 

1515    Quant  la  parole  ot  et  entant, 
Et  respont,  que  plus  n'i  atant. 
Rohart,  vous  estes  mehaingnie. 
Ne  cil  n'i  a  riens  gaaingnie, 
Qui  ainsi  vous  a  atorne.' 

1520    Tantost  conmande  qu'atourue 
Soient  si  baron  et  si  homme, 
'Que  par  les  sains  qui  sont  a  Romme, 
Ne  m'i  tandra  yver  n'este 
Tant  qu'aie  a  Malpertuis  este. 

1525    A  terre  abatre  le  ferai 

Et  Renart  par  force  eu  trerai: 
Pendu  sera  conme  larron, 
Si  que  le  verront  mi  baron. 
N'en  puet  partir  par  autre  pas.' 

1530    'Biau  sire,  si  n'ira  il  pas' 
Fet  le  tesson  sire  Grinbert. 
Entre  moi  et  frère  Hubert 
Iron,  mes  qu'il  ne  vous  desplese. 
De  Malpertuis  passer  la  hese. 

1535    Et  a  Renart  conme  homme  sage 
Raconterons  vostre  mesage 
Et  li  dirons,  sel  conmandez, 
A  vous  viengne,  ce  li  mandez. 
Et  selonc  ce  que  entendon 

1540    Response  de  li  vous  randon.' 
Li  rois  qui  fu  em  piez  drecie, 
Respondi  conme  courroucie 
Alez  i  tost,  ainssi  le  voeil, 
Et  li  dites,  seur  son  destre  œil, 

1545    Qu'il  me  viengne  randre  reson 
Pour  coi  et  pour  (|uele  achoison 
Il  a  mon  baron  mehaignie.' 


1513  seroiz    Méon]  seroit     1532   guibert 


XVn  (Méon  30222-30258)  239 

Cil  n'ont  le  coumant  desdaingnie, 

Ainz  s'en  tornent  sanz  plus  atandre. 
1550    Au  devant  pour  bon  hostel  prandre 

Ala  li  limaçons  Tardis.     . 

Cil  chevauchent  après  tandis 

Qui  ne  s'i  voldrent  arrester. 

Ne  vous  veil  toutes  aconter 
1555    Lor  journées,  ne  qu'il  devindrent. 

Tant  errent  qu'a  Malpertuis  vindrent 

Ou  Renart  jut  sanz  nul  délit 

A  grant  dolor  dedanz  son  lit. 

Hubert,  qui  le  mesage  aporte, 
1560    Et  Grinbert  vindrent  a  la  porte. 

Si  huchierent  par  grant  desroi 

Ouvrez  au  mesage  le  roi.' 
Renart  qui  entendi  la  noise, 
Conmande  qu'a  la  porte  voise 
1565    Li  portiers  qui  n'est  pareceus, 
Et  maintenant  parole  a  ceus 
Qui  si  huch oient  fièrement. 
Li  portiers  vint  isnelement 
Qui  torse  et  velue  ot  la  |ceue, 
1570    D'en  haut  desus  la  barbakeue 
Lor  escria  con  preu  et  sage 
Qui  estes  vous?'  'Sommes  mesage 
Mon  seigneur  Noble  le  lion. 
Que  Renart  parler  voulion.' 
1575    Quant  li  portiers  l'ot,  de  volée  N  65 

La  porte  qui  estoit  coulée, 
Amont  a  trere  conmenca. 
Grinbert  qui  d'antrer  s'avança, 
I  est  a  reculons  entre. 
1580    Quant  le  premier  huis  ot  outre. 
Si  dist  a  l'escoufle  Grinbert 
Tenez  avant,  sire  Hubert! 
Bessiez  vous,  que  basse  est  l'entroo.' 
Dit  Hubert  je  dout  que  vantree 


1548  Sil     1571  coiinip  (con:  par  Méuii)      1579  arreculons 


240  XVII  (Méon  30259—30295) 

1585    Ne  face,  par  saint  Lienart, 
De  moi  encore  anuit  Renart. 
Ici  iluecques  me  tendre: 
Tant  que  vous  viengniez  atandre. 
Miex  meing  au  large  qu'a  l'estroit.' 

1590    A  Grimbert  convient  qu'il  otroit 
Ce  que  frère  Hubert  conmande. 
Ainz  vint  et  Renart  li  demande, 
Conme  cil  qui  moult  se  doloit, 
Que  il  queroit  et  qu'il  vouloit. 

1595    Grinbert  li  a  dit  'Biau  voisin. 
Je  sui  vostre  germain  cousin, 
Si  vous  devroie  moult  amer. 
A  court  vous  est  venuz  blasmer 
Mon  seignor  Rohart  le  corbel. 

1600    De  son  domage  n'est  pas  bel 
Au  roi  ne  a  sa  baronnie. 
Ne  le  tenez  a  vilanie, 
Par  moi  vous  mande,  et  il  a  droit, 
Que  viengniez  a  li  orandroit 

1605    Pour  vous  de  ce  blasme  escuser. 
Ne  devez  mie  refuser 
Qu'a  court  ne  viengniez  pour  droit  faire. 
Cousin,  de  ce  n'ai  je  que  faire. 
Ne  veil  or  plus  aler  a  court, 

1610    Que  trop  m'i  a  l'en  tenu  court. 
Ceste  parole  me  randroiz 
Au  roi,  quant  devant  li  vendroiz. 
Qu'a  la  mort  m'a  mis  le  corbel. 
Et  la  dehors  souz  ce  tombel, 

1615    A  celé  croiz,  soyz  celé  espine 
Me  fist  enfouir  Hermeline 
Yostre  amie,  vostre  parente 
Qui  iriee  en  est  et  dolante. 
Quant  hors  de  la  porte  seroiz, 

1620    Un  tombel  iluec  trouveroiz 

D'un  vilain  qui  Renart  ot  non. 


1616  Hermeline  Méoii]  ameline 


XVII  (Méon  30-296—30332)  241 

Desus  verrez  escrit  le  non: 

Et  ainsi  au  roi  le  diroiz, 

Quant  de  ci  vous  departiroiz. 
1625    Hermeline  vos  menra  droit 

Veoir  le  tombel  orandroit 

Qui  est  tout  fres  et  tout  nouvel: 

0  lui  ira  mon  filz  Rovel." 

'Ausi'  fet  Grinbert,    l'otroi  je: 
1630    Si  m'en  voiz  a  vostre  congie.' 

Atant  s'en  départi  Grinbert, 

Et  avec  l'escoufle  Hubert 

Et  Tardis,  plus  conpaignous  n'a. 

Tout  droit  au  tombel  les  mena 
1635    Hermeline  et  Rovel  son  filz, 

Et  distrent  'Renart  le  gorpilz 

De  qui  il  ne  vous  est  pas  bel, 

Biaus  seignor,  gist  soz  ce  tombel. 

Lisiez  les  letres  et  l'escrit, 
1640    Et  si  priez  a  Jhesu  Crist 

Que  il  ait  de  s'ame  merci. 

Lasse  esgaree  remein  ci, 

Et  mi  enfant  sont  orfelin. 

N'ai  robe  lange  ne  de  lin, 
1645    A  grant  povrete  sui  remese.' 
Atant  est  entrée  en  la  hese 
De  Maupertuis,  et  cil  s'en  tournent. 
Qui  de  ci  au  roi  ne  sejornent. 
Trouve  l'ont  en  ses  paveillons. 
1650    De  devant  lui  a  genoillons 
S'est  maintenant  agenouille 
Grinbert  qui  le  vis  ot  moillie 
Du  plorer  que  il  fet  avoit. 
Et  quant  li  rois  Nobles  le  voit 
1655    Plorer,  si  en  fu  touz  pleinz  d'ire. 
Et  l'escoufle  li  prist  a  dire 
'Sire,  de  Malpertuis  venons 
Dont  a  engingniez  nous  tenons. 


1632  guibort     1647  tourne     1648  seiourne     1654  le  Méon]  ce 
RENART   II.  1(J 


242  XVII  (Méon  30333-30362) 

Renart  est  morz  et  enfoui. 

1660    Quant  Rohart  ceanz  a  fuï, 
Si  durement  estoit  malmis 
Renart,  qu'il  est  en  terre  mis. 
La  fosse  et  le  tombel  avons 
Veûe,  tout  de  voir  savons 

1665    Que  le  corbel  le  par  tua 
Qui  ore  pou  de  vertu  a. 
Mehaingnie  en  est,  et  periz 
Est  Renart.     Li  sainz  esperiz 
De  la  seue  ame  s'entremete 

1670    Tant  qu'en  paradouse  la  mete, 
Deus  liues  outre  paradiz 
Ou  nus  n'est  povre  ne  mandis.' 
Quant  li  rois  oï  la  nouvele. 
Tout  son  courrons  li  renouvelé. 

1675    De  Renart  fu  moult  courrouciez. 
Tantost  s'est  en  estant  dreciez 
Et  dist  dolanz  et  esperdu 
'Par  grant  pechie  avons  perdu 
Le  meilleur  baron  que  j'avoie. 

1680    Ne  ne  cuit  mie  que  ja  voie 

Que  je  venjance  en  puisse  avoir. 
Pour  la  moitié  de  mon  avoir 
Ne  vousisse  qu'il  fust  ainssi.' 
Atant  fors  de  son  tref  issi 

1685    Et  s'en  monta  en  son  pales. 
Ici  luec  de  Renart  vous  les 
La  vie  et  la  procession. 
Ci  fine  de  Renart  le  non. 

1660  a  estui 


XVIIT 

(Méon  7383—7406) 

Seignor,  ce  dient  li  devin,  B  127'^ 

Si  est  escrit  en  parchemin 
Que  cil  a  sovent  mau  matin 
Qui  près  de  lui  a  mau  voisin. 
5    Je  le  vos  di  por  Isangrin 

Et  por  un  prestre  dant  Martin. 
Viellarz  estoit  auques  li  prestres, 
Ne  fu  onques  de  letres  mestre: 
Plus  savoit  de  truie  enfondue 

10    Que  de  letre  deporveiie. 

Prestres  Martins  estoit  moult  sages 
De  bien  norrir  par  ces  erbages 
Brebis  dont  il  pt  maint  fromage. 
Mais  moult  li  fist  plusors  domage 

15    Li  leus,  mal  ait  toz  ses  lignages! 
Près  de  lui  menoit  es  boscages, 
Si  li  a  fait  souvent  anui: 
Car  il  menoit  moult  près  de  lui, 
Sovent  li  faisoit  ses  oailles 

20    Non  per,  s'eles  erent  parailles: 
Et  sovent  les  rapareilloit. 
Se  non  pareilles  les  trovoit. 
Moult  ert  dolanz  prestres  Martins 
De  ce  dont  iert  liez  Isengrins. 


2  II     8.   10  lestre     15  uisages     l(i  ou  bosfag*'      17  II  li      19  ces 
21  rapareillot    22  trovot 

16* 


244  XVIII  (Méon  7407—7442) 

25    Prestre  Martin  se  porpansa 
C'une  grant  fouse  chevera. 
Qant  faite  fu  a  sa  devise, 
Une  perche  a  par  desus  mise: 
Sus  la  perche  met  une  cloie, 

30    Toute  a  conpas  la  contremoie. 
A  la  perche  l'a  bien  fermée, 
La  fouse  a  tote  acovetee. 
Un  aignel  lia  sor  la  perche, 
Se  Isaugrin  par  la  s'adresce 

35    Et  l'angnel  en  voille  porter. 
De  la  cloie  l'estuet  tumer: 
Et  ja  si  tost  n'i  montera 
Con  il  en  la  fouse  cherra. 
Qant  il  l'ot  bien  apareilHe, 

40    Alez  s'en  est,  si  l'a  laissie. 
Ysengrin  qui  grant  fain  endure 
Se  lieve  a  mie  nuit  oscure,  B  128 

Qant  toute  gent  se  dort  seiire, 
Et  est  veuuz  grant  aleûre 

45    La  ou  sieut  panre  sa  pasture. 
L'angien  trueve  par  avanture. 
Qant  vit  l'aignel,  s'en  fait  grant  joie 
De  ce  qu'il  a  encontre  proie: 
Or  n'a  paor  que  nus  le  voie, 

50    Seûrement  s'en  va  sa  voie. 
Sitost  con  monta  sor  la  cloie, 
Chaûz  est  anz,  qar  ele  ploie. 
Ysengrin  voit  que  il  est  pris, 
De  l'eschaper  n'est  il  pas  fis, 

55     Ha!  las'  fait  il,  'dolenz,  chaitis, 
Com  covoitise  ma  sorpris! 
Or  puis  je  bien  dire  et  jurer 
Que  de  ci  ne  puis  eschaper. 
Or  m'estovra  chier  comparer 

60    Les  berbiz  que  m'en  vit  porter. 


37  Et  ausi  tost   remontera      41    q.  maint    fainz       42   Sest  levez 
48  qui  a  enconcontre  p.     51  en  m.     52  plaie 


XVIII  (Méon  7443-7478)  245 

Ce  dist  moult  bien  qui  set  conter 

C'une  foiz  viaut  le  pot  verser.' 

Li  prestres  fu  toz  trespansez 

Et  celé  nuit  toz  esgarez, 
65    Conques  la  nuit  ne  pot  dormir. 

Sitost  con  il  vit  esclarir, 

Il  lieve  sus  isnelement, 

Une  macue  en  sa  main  prant, 

A  la  fouse  vint,  par  le  treu 
70    Si  a  dedenz  veii  le  leu. 

Qant  il  le  voit,  grant  joie  en  fait, 

La  perche  et  la  cloie  sus  trait, 

Puis  se  desfuble  par  grant  ire, 

A  Tsengrin  conmence  a  dire 
75     Sire  Ysengrin,  or  vos  vendrai 

Ce  que  je  tant  pramis  vos  ai: 

Apanrai  vos  a  cest  baston 

Conment  prestre  Martin  a  non.' 

Li  prestres  lieve  la  macue, 
80    Et  Ysengrin  l'a  bien  veûe: 

En  la  teste  le  vost  ferir. 

Et  Ysengrin  sot  bien  gauchir. 

A  celé  foiz  nou  tocha  mie, 

Car  il  set  trop  de  l'escremie. 
85    Prestres  Martins  est  aïriez, 

En  autre  sens  s'est  porpansez  : 

En  avalant  le  baston  mist 

Desor  le  leu  et  si  li  dist 

'Enz  en  mon  cuer  forment  me  doil, 
90    Se  a  cest  coup  ne  vos  crief  l'oeil'. 

Qant  ofc  ce  dit,  le  bâton  boute. 

Ysengrin  qui  le  coup  redoute, 

Garde  a  son  euel,  le  baston  prent. 

Et  li  prestres  vers  lui  le  tent, 
95    A  ses  deus  mains  le  sache  fort. 

De  ca  en  la  li  leus  s'estort, 


70  denz     79  sa     80  veu      89  Enz  enz  cest  c.      90  loiM     91  dist 
95  A  andeus 


246  XVIII   (Méon  7479-7514) 

Le  baston  li  cuide  esforcier. 
Qui  donc  veïst  prestre  enforcier 
Por  bien  tenir  celé  macue! 

100    Li  leus  d'autre  part  s'esvertue. 
Moult  s'esforcoient  enbedui 
Chascuns  dou  baston  traire  a  lui. 
Si  con  nos  conte  l'escripture, 
Au  prestre  avint  une  avanture, 

105    Que  la  terre  est  soz  lui  fondue, 
Desoz  les  piez  li  est  cheue. 
Il  s'en  vet  enz  o  le  baston, 
Or  a  Ysengrin  conpaignon. 
L'uns  fu  de  ca,  l'autre  de  la, 

110    De  paor  l'un  l'autre  esgarda. 
Moult  ot  Ysengrin  grant  paor, 
Mais  li  prestre  ot  asez  graignor. 
Il  a  conmencie  son  sautier 
Par  toz  les  moz  a  verseillier, 

115    Et  puis  dist  conmendacion 

Que  diex  le  giet  de  sa  prison. 
Geste  sept  siaume  disoit  plus, 
Miserere  mei,  deus  : 
Pater  noster  disoit  enclin. 

120    Sor  le  col  li  saut  Isangrin: 
Li  prestres  cheï  demi  morz. 
Et  Ysengrin  s'en  va  moult  test, 
Par  bois  et  par  chans  si  s'en  fiche. 
Li  prestres  remest  en  la  briche: 
*125    Prestre  Martins  ne  rit  ne  muit. 
Et  Ysengrin  moult  tost  s'en  fuit: 
A  lui  meïmes  rit  assez 
De  ce  qu'il  est  si  eschapez 
Et  qu'il  li  sailli  sus  le  dous, 

130    Qant  en  la  fouse  l'ot  enclous. 
Si  sergent  l'en  orent  tost  trait, 
Puis  se  rient  de  ce  qu'a  fet. 


102   basions       103   dist   li    escriture       107   II    en   va       116  gart 
117  Geste  se  s.     124  Le  prestre  chei  en     126  Mais  y. 


XVIII  (Méon  7515-7520)  247 

Bien  vos  puis  dire  et  aconter 
Que  onques  messe  ne  sautier 
135    Ne  chanta  puis  de  bon  entent 
Ne  par  si  bon  entendement 
Com  il  fist  ovec  Ysengrin, 
Tant  con  il  fu  en  son  enging. 


134  Conques  puis  mese 


XIX 

(Méon  7521-7545)  . 

Or  vos  dirai  con  il  avint  B   128'^ 

A  Ysengrin,  qant  la  nuit  vint. 
Parmi  ces  bos  s'en  va  corant, 
Et  si  aloit  ce  porpensant 
5    Que  fous  est  li  hom  et  li  leus 
Qui  onques  va  nule  part  seus, 
Puis  qu'il  puist  avoir  compaignie, 
Que  mestier  a  souvent  d'aïe: 
Et  tel  puet  on  aconpaingnier 

10    Dont  l'en  a  puis  grant  enconbrier. 
Qant  ce  pansoit  en  son  corage, 
Atant  issi  de  cel  boscage: 
Une  jument  vit  en  un  pre 
Ou  ele  pessoit  près  d'un  ble. 

15    Li  leus  s'en  va  grant  aleûre 
Droit  au  jument  par  la  costure: 
Qant  a  lui  vint,  si  la  salue. 
'Diex  saut'  fait  il,  'Eainsent  ma  drue!' 
'Et  dex  vos  saut,  sire  Ysengrin  ! 

20    Dont  venez  vos  si  très  matin?' 
'Dame'  dist  il,  'eschapez  sui 
De  maies  mains  ou  anuit  fui:  B  129 

Prestre  Martins  un  angin  fist 
Por  prandre  moi  et  si  me  prist: 

25    Toute  une  nuit  fui  en  prison. 

4  porpensent     8  daide     12  bouchaigo     21  il  manque 


XIX  (Méon  7546-7582)  249 

Se  i  eiisse  un  conpaingnon, 

D'ileuc  m'eiist  il  bien  gite. 

Por  ce  le  vos  ai  raconte  : 

Se  volez  estre  en  ma  conpaingne, 
30    Nos  ferions  moult  grant  gahaigne. 

Assez  vos  donroie  a  mangier 

De  quel  que  auriez  plus  chier, 

Ou  bon  froment,  ou  bone  avaine, 

Ou  bone  orge  a  quel  que  paine. 
35    Vos  m'auriez  moult  grant  mestier, 

Car  je  iroie  porchacier: 

No  compaignie  esteroit  bêle. 

Car  vos  porpansez,  damoisele, 

De  ce  vilain  qui  si  vos  tue 
40    Et  vos  fait  traire  a  la  charrue: 

Vos  gaaingniez  trestot  son  bien, 

Ne  vos  n'en  aurez  ja  rien 

Fors  le  nouau  que  il  aura 

Et  ce  dont  il  cure  n'aura. 
45    Haï,  Rainsant,  ma  douce  amie, 

Qar  venez  en  ma  conpaignie! 

Si  serez  fors  d'autrui  dangier. 

Ne  vos  estovra  charrier 

Ne  ca  ne  la  porter  nul  fais: 
50    A  toz  jorz  mes  vivroiz  en  pais. 

'Sire  Ysengrin,  se  je  peiisse, 

Vo  compaingnie  chier  eiisse. 

Mes  je  ne  puis  corre  n'aler, 

Por  ce  voil  ici  pasturer. 
55    De  mon  pie  destre  par  deriere 

Passai  ier  en  une  charriere, 

Une  espine  me  feri  enz: 
Se  la  me  traissisiez  as  danz, 
A  nul  jor  ne  seroit  partie 
60    De  vos  la  moie  conpaignie. 

Grant  mestier  vos  porroi  avoir, 

Car  je  ferai  tout  vo  voloir: 


34  bon    44  dom     45  Ha  r.    59  ior  restroie  p. 


250  XIX  (Méon  7583—7610) 

Car  s'en  vos  viaut  gaingnons  huer, 
Je  saure  moult  bien  rejeter, 

65    Mordre  des  danz,  ferir  des  piez. 
Qui  consuivrai,  touz  iert  jugiez: 
Qui  ge  porrai  bien  assener. 
N'aura  talent  de  regiber.' 
Dist  Ysengrin  'le  pie  montrez, 

70    Celui  ou  l'espine  sautez! 
Tost  la  vos  aurai  ja  sacliie: 
Ja  mar  i  aura  autre  mire.' 
Le  pie  li  lieve,  et  cil  s'acrout, 
0  ses  ongles  le  voido  tout. 

75    Que  qu'Isangrins  a  voidier  bronche 
Et  il  le  pie  nestie  et  fourche, 
Rainsent  le  pie  a  destandu 
Et  Ysengrin  a  si  féru 
Entre  le  piz  et  le  musel, 

80    Tout  coi  le  gita  ou  prael. 
Rainsent  s'en  torne  regibant. 
Queue  levée  va  fuiant. 
Et  Ysengrin  toz  coi  se  gist 
Grant  pièce  après  et  puis  si  dist 

85    Ahi,  maleûreus  chaitis! 

Se  ier  oi  mal,  or  ai  hui  pis. 
Ne  me  sai  mes  en  qui  fier, 
Ne  puis  en  nuli  foi  trover.' 
Issi  se  demante  Ysangrin. 

90    Ici  prant  ceste  branche  fin. 

73  li  manque     82  peant     86  m.  encore  ai  p. 


XX 

(Méon  6361-6385) 

Or  vos  redirai  d'Isengrin,  B  45'' 

Qui  se  remist  en  son  chemin  : 

Car  il  s'en  voloit  reperier. 

Qant  il  s'ala  esbenoier, 
5    Les  berbiz  oit  ou  ebanp  bélier: 

Celé  part  emprent  a  aler. 

Si  con  il  fu  dou  bois  issuz, 

Deus  moutons  a  es  chans  veûz  : 

L'un  fu  Belins,  l'autre  Bernart. 
10    Molt  les  amoit  sire  Tieharz. 

Au  chief  dou  chanp  s'esbeneoient 

Et  de  lor  cornes  se  hurtoient. 

Que  qu'il  fesoient  lor  mellee, 

Lor  bergiere  s'en  iert  alee, 
15    Li  bergiers  let  ot  obliez: 

Iluec  s'en  ierent  outre  alez. 
Li  vilains  qui  molt  par  sot  peu, 

La  maie  garde  pest  le  leu, 

3i  entre  Bernart  et  Belin 
20    Ne  se  gardent  voir  d'Isangrin. 

Se  cil  ne  sont  et  sage  et  cointe, 

Mar  i  fu  faite  ceste  pointe. 

Belins  si  fu  li  plus  coarz. 

Premièrement  parla  Bernarz 
25    'Bien  vaingniez  vos,  biau  sire  lous!' 


10  MU  (17)      15  oubliez     19  Sontre     22  painte 


252  XX  (Méon  6386-6422) 

'Je  ne  vos  salu  mie  endous. 
Ja  beste  ne  saluerai 
Puis  que  je  mangier  la  vodrai.' 
'Sirè  Ysangrin,  nos  savons  bien 

30    Que  nos  somes  enbedui  tien 
Et  que  endeus  nos  mengeras 
De  quele  eure  que  tu  vodras. 
Mais  se  toi  plest  par  ta  franchise, 
Primes  nos  fai  tant  de  servise: 

35    Entre  nos  deus  met  acordence, 
Sel  tenra  l'en  a  grant  vallance. 
Car  il  dist  que  cist  chans  est  siens 
Et  je  redi  que  il  est  miens. 
Sire,  se  vos  le  partiez 

40    Et  el  chanp  bien  nos  meïssiez. 
Si  que  g' en  eiisse  ma  part, 
Et  l'autre  an  donisiez  Bernart, 
Dont  poez  faire  vo  plaisir 
De  nos  deus  et  vostre  désir.' 

45    Dist  Ysengrins  'raolt  volentiers. 
Or  me  dites  conment  premiers.' 
'Sire,  saiez  a  la  foriere! 
Chascuns  de  nos  se  traie  arrière: 
Ci  devant  vos  venrons  corant. 

50    Cil  qui  plus  tost  venra  avant, 
De  tant  con  il  plus  tost  corra, 
La  greignor  part  ou  champ  aura.' 
Dist  Ysengrins   et  je  l'otroi. 
Or  vos  traiez  ensus  de  moi! 

55    Belins  ira  de  ca  a  destre 
Et  Bernart  ira  a  senestre.' 

Belins  estoit  li  plus  iniaus, 
Q'il  estoit  li  plus  joveniaus. 
Mais  Bernart  estoit  plus  senez 

60    Por  ce  qu'il  estoit  li  ainz  nez. 
Comunement  sont  esloingnie 
Si  con  li  lous  l'ot  deresnie. 


28  Todroi     42  aidonisier     43  voz    49  corent    50  auent     62  la 


XX  (Méon  6423—6454)  253 

Il  lor  a  dit  'saignor,  movez! 

Faites  le  mieuz  que  vos  povez!' 
65    Belins  s'esmuet  de  grant  ravine. 

Qant  vient  au  leu,  ses  cornes  cline: 

Par  grant  vertu  fiert  Ysengriu 

Si  qu'il  le  giete  tout  sovin 

Tout  estandu  de  l'autre  part. 
70    Au  relever  es  vos  Bernart 

Qui  le  fiert  en  l'autre  coste: 

Devers  Belin  le  ra  gite. 

Quatre  costes  li  ont  brisie, 

A  bien  petit  l'ont  mort  laissie. 
75    Puis  si  s'en  tornent  a  itant: 

De  loing  le  vont  escharnissant. 

Il  se  pâme  plus  de  cent  foiz, 

Si  est  engoiseus  et  destroiz. 

Li  sans  li  saut  par  grant  randon 
80    Parmi  le  nés  et  a  foison. 

Qant  il  fu  un  poi  acoisiez, 

De  paumaison  est  repériez: 

'Ha  las'  dist  il,  'dolenz  chaitis, 

Con  sui  mal  eiirez  tout  dis! 
85    La  costume  ai  a  l'esprevier 

Qui  l'aloe  va  tant  chacier 

Que  il  la  prant  par  tost  voler 

Et  puis  si  l'en  relaist  aler. 

Li  vif  daiauble,  li  saignor 
90    M'avoient  fait  partiseor. 

Et  que  devoit  a  moi  tenir  B  46 

De  terre  doner  et  partir?' 

Geste  branche  est  bone  et  petite 

Et  bien  faite,  s'ele  est  bien  dite. 


63  dist     64  sauez     65  se  muet     ()6  uint     68  qui     69  par     74  gite 
75  itent     76  escharnisent     79  sens     86  tout 


XXI 

(Méon  7027-7051) 

Ge  vos  voil  uns  vers  comencier,      B  46* 

Mais  je  vos  criem  molt  auoier. 

Se  vos  volez,  je  me  tairai. 

Et  se  vos  plaist,  je  vos  dirai 
5    Conment  avint  a  Isengrin 

Qui  se  leva  par  un  matin. 

Dame  Hersent  l'ot  bien  garde 

Et  de  ses  dolors  respasse. 

Or  iert  toz  gras  et  revelous, 
10    Fel  et  hardiz  et  orgaillos. 

Grant  aleiire  s'en  aloit 

Par  mi  ce  bois  ou  il  estoit. 

Enmi  sa  voie  a  encontre 

Un  vilain  qui  avoit  trove 
15    Un  bacon  qui  estoit  cheiiz 

De  la  charreste  a  deus  reclus. 

Il  le  tenoit  devers  la  hart. 

Ysengrin  vint  de  l'autre  part. 

'Ou  vas?'  dist  il    esta  ileuc!' 
20    'A  qoi?'  fait  il.  'Par  foi  por  eue: 

Ou  as  tu  ce  bacon  enble?' 

'Par  foi'  fait  il,  'ainz  l'ai  trove.' 

'Trove?  dont  i  aurai  ge  part 

D'outre  en  outre  jusq'a  la  hart,' 
25    Dist  li  vilains   en  moie  foi, 


1.  un  main  m.     17  hai 


XXI  (Méon  7052—7086)  255 

Sire  Ysengrin,  et  je  l'otroi.' 
Acompaignie  sont  li  baron 

Am  poi  d'eure  por  le  bacon. 

Endementres  que  il  parloient 
30    Et  que  il  départir  voloient, 

Este  vos  d'autre  part  un  ors 

Qui  lor  est  venuz  de  plain  cors. 

Si  com  il  fu  ileuc  venuz, 

Sor  le  bacon  s'est  arestuz. 
35    'Et  qui  est  cist  bacon,  danz  lous?' 

'Sire'  dist  il,    c'est  a  nos  dous.' 

'J'en  voir  dist  il,   ma  part  avoir 

Par  amistie,  non  par  pooir.' 

Dist  li  vilains   et  je  l'otroi.' 
40    Et  je'  ce  dist  li  lous,  'par  foi. 

Or  en  soiora  domques  tuit  troi 

Compaignon  et  par  bone  foi.' 

'Seignor   fait  il,    vostre  merci. 

Conquis  m'avez  a  vostre  ami. 
45    Or  le  metez  ci  sor  mon  dos: 

Je  l'enporterai  en  cest  bos, 

Car  tez  porroit  ici  venir 

Qui  tost  le  nos  voroit  tolir.' 

Atant  li  ont  sor  le  dos  mis, 
50    Ou  bois  se  sont  arrière  mis: 

Sor  l'erbe  gitent  le  bacon. 

S'en  parolent  li  conpaignon 

Conment  il  soit  partiz  a  droit. 

Li  ors  qui  plus  sages  estoit, 
55    Lor  dist  que  ni  est  arestez: 

Seignor,  se  mon  conseil  créez, 

A  nuit  mes  le  leron  pandant 

A  cest  fol  qui  est  bel  et  grant. 

Et  le  matin  ci  revenron, 
60    Et  trestuit  troi  noz  eus  moutron. 


29  Entrementrea  31  vos  maintenant  .1.  37  Je  u.  40  Ce  d. 
1.  1.  et  ie  p.  f.  49  dous  54  Li  l^us  qui  56  S.  dist  il  car  me  c.  Aprèa 
ce  V.  le  nisc.  ajoute  Se  mon  conseil  croire  uolez  Ja  uoir  de  riens  ne 
mesferez    57  laison     58  f.  que  uez  ci  g.     60  troi  manque  mouterron 


256  XXI  (Méon  7087-7122) 

Et  cil  qui  graingnor  cul  aura, 
Le  bacon  tôt  en  portera.' 
Ce  dit  li  leus   et  je  l'otroi.' 
'Et  je'  fait  li  vilains,  'par  foi.' 

65    Le  bacon  ont  en  haut  levé, 
Et  puis  s'en  sont  tuit  troi  aie. 

Li  bons  hom  vint  en  sa  meson 
Ou  l'atendent  si  enfancon. 
'Ou  estes  vos'  dist  il,   dame  Ame?' 

70    'Je  sui  ci,  sire'  dist  sa  famé, 
For  coi  aves  tant  demore?' 
'Suer'  dist  il,   qar  je  ai  trove 
Un  bon  bacon  enz  en  cest  bos, 
Einz  de  mes  iaulz  ne  vi  si  gros. 

75    Mais  nos  somes  troi  conpaignon: 
Sez  conment  nos  le  partiron? 
Le  matin  irons  la  tuit  troi, 
Si  mouterrons  noz  eus  tuit  troi: 
Qui  graingnor  cul  porra  moutrer, 

80    Le  bacon  en  porra  porter.' 

Seignor,  famé  est  et  foie  et  sage, 
Et  molt  changanz  de  son  corage. 
Foie  est,  quant  ne  se  set  partir 
D'une  chose  qu'a  en  désir  : 

85    Et  sage  est,  car  qant  en  li  rueve, 
Tost  a  trovee  une  contrueve, 
Et  vérité  dit  por  menconge, 
S'ele  en  a  mestier  et  besoigne. 
Ce  nos  dient  cil  fol  musart, 

90    Flus  que  deables  a  un  art: 
Mais  je  di  ce  en  ma  partie. 
Que  sage  et  foie  est  par  maistrie. 
Moult  fu  sages  cil  qui  ce  dist 
Et  qui  en  son  livre  le  mist: 

95    Selonc  les  eures  et  le  tens 
A  bien  mestier  folie  et  sens. 


73  bois     74  gérais     75  some     82  m.  est  foie  de  c.     85  car  manque 
87  (liât    91  ma  manque    94  son  sonet  le 


XXI  (Méon  7r2;;-7i58)  257 

Moult  est  famé  de  parfont  sens. 

Et  ceste  prist  molt  bon  porpans. 

Si  a  raconte  son  saigner 
100    Que  se  il  vient  demain  au  jor, 

Que  ses  garnemenz  vestira 

Et  por  le  bacon  s'en  ira: 

Et  se  ce  vient  au  cul  mostrer, 

Grant  fandace  porra  mostrer. 
105    Li  vilains  l'ot  et  puis  s'en  rit, 

'Par  dieu   fait  il,   moult  bien  as  dit.' 

Qant  vint  au  jor,  levez  se  sont 

Et  par  le  bois  endui  s'en  vont. 

Molt  bien  li  ensaigna  la  voie 
110    Jusqu'à  l'aistre  parmi  l'arbroie. 

Et  qant  el  i  est  parvenue, 

Por  le  vilain  l'ont  coneûe 

Li  dui  baron  qui  l'atandoient 

Desoz  le  fou  ou  il  estoient.  B  47 

115    II  li  ont  dit  'sire  vilain. 

Dame  dieu  vos  doint  hui  bon  main  !' 

Primes  parla  Patous  li  ors. 

Seignor'  fait  il,  ja  est  granz  jorz: 

Faites  tost  ce  que  vos  devez. 
120    Sire  Yseugrin,  vo  cul  mostrez!' 

'Sire'  dist  il,    molt  volontiers. 

Or  me  dites  conment  premiers.' 

'Son  cors  estent  on  par  devant.' 

Puis  par  derrière  en  estupant 
125    Lieve  sa  qeue,  le  cul  bee: 

Jusques  leanz  parmi  l'antree 

Li  puet  on  veoir  es  boiaus. 

Tant  par  est  larges  li  tuiaus. 

'Sire  Ysengrin    ce  dit  Patous, 
130    'Molt  est  voz  eus  granz  et  estouz. 

Vilains'  fait  il,  'or  estupez! 

Le  vostre  cul  remosterrez.' 


97  manque     104  porroi     110  lorboio     117  jiatou  li  rous    128  douent 
126  parmi]  dodanz     128  longos     129.   147.   155  P'^ti'^ 

RENART    II.  17 


258  XXI   (Méon  7159— 718«) 

Celé  a  ses  braies  avalées 
Qu'ele  avoit  a  son  cul  fermées. 

135    Ele  a  fait  large  enforchevire, 
Por  bien  mostrer  celé  nature 
Son  chief  mist  bas  por  estuper. 
Cil  la  prenent  a  regarder: 
Tant  s'en  est  Patous  merveilliez, 

140    De  son  pie  désire  s'est  saigniez. 
•  'Nomini  dame'  dist  li  leu, 

A  ce  cul  devisent  tuit  treu. 
Se  ice  la  est  trestout  eus, 
A  icestui  ne  se  prant  nus. 

145    II  m'est  avis'  ce  dist  li  leus, 

'Par  foi  que  g'i  voie  deus  treus.' 
Ce  dist  Patous   garde  de  près, 
Se  del  veoir  es  si  engres! 
Je  n'i  ai  soing  d'aboester, 

150    Ne  m'i  estuet  point  alumer.' 
Celé  lor  dist   or  escoutez, 
Mes  eus  est  touz  acostumez 
Sovent  de  sou  col  afichier: 
Por  ce  l'ai  ge  tout  tens  plus  chier. 

155    Ce  dist  Patous  'Ysengrin,  fuite! 
Alon  nos  an,  clamons  li  quite. 
Bons  hom'  fait  il,    pren  le  bacon 
Et  si  l'en  porte  en  ta  meson.' 
Ele  si  fist  et  lieve  sus. 

160    De  ceste  brandie  n'i  a  plus. 


133  Cel  a    134  Qe  lea  a.  au  c.  f.     139  patus     141  leus     142  treus 
145  le  li  a  respondu  li     146  f.  dist  il  gi  uoi  tent  t. 


XXII 

(Méon  19769—19793) 

^fainz  hon  puet  tel  chose  tesir  B  116' 

Qui  autrui  venroit  a  plesir, 

S'ele  ert  conue  et  descoverte. 

Por  ce  est  fous  qui  done  a  perte 
5    Bêle  avanture,  quant  il  l'ot. 

Estraire  en  doit  aucun  bon  mot 

Dont  il  puise  ces  resbaudir 

Qui  son  conte  volent  oïr. 

G'en  di  por  ce  une  avanture 
10    Ou  ge  ai  mis  toute  ma  cure. 

Ge  l'oï  dire  a  un  veillart 

Qui  sages  iert  et  de  grant  art. 

Li  contes  est  traiz  dou  gorpil, 

Ne  l'aiez  pas  por  ce  plus  vil: 
15    Car  toute  en  est  l'estoire  voire 

Si  conme  en  le  nos  fait  acroire. 
Ce  fu  li  voirs  que  Chanteclers 

Et  Ysengrins  et  Brichemers 

Et  dant  Benart,  si  con  moi  sanble, 
20    Firent  un  grant  essart  ensanble. 

Brichemers  as  cornes  agues 

En  a  les  coiches  esmeiies, 

Chanteclers  grata  les  racines, 

Et  Ysengrin  as  forz  eschines 
25    Et  as  espaules  qu'il  ot  forz, 


3  est  cil  f.     5  Moue     10  con     22  esnieus 


260  XXII  (M.'-on  l9794-198-2i)) 

En  a  gite  les  coiches  hors. 
Renart  qui  tôt  le  mont  decoit, 
Qui  de  mal  faire  ne  recroit, 
Esta  selonc,  si  les  semont. 

30    'Or  tost,  saignor,  faites  grant  mont! 
Je  garderai  que  nus  ne  veingne 
Qui  baston  ne  espee  taingne 
Dont  il  nos  puisse  faire  mal.' 
Lors  garda  amont  et  aval, 

35    Bien  sot  son  cul  ariere  traire, 
Que  il  n'ot  cure  d'ovre  faire. 

Qant  il  orent  par  lor  pechie 
Le  bois  deront  et  despecie, 
Renart  parla  tout  premerains 

40    Qui  n'estoit  pas  fous  ne  vilains. 
'Seignor,  ci  a  grant  chanp  de  terre. 
Or  avons  mestier  de  bien  faire: 
Or  devons  panre  tel  porpens 
Chascuus  de  nos  selon  son  sens, 

45    Que  nos  tel  chose  i  semisiens 
Dont  nos  raparisent  fusions. 
Qu'en  dites  vos,  dant  Brichemer, 
Et  vos,  biau  sire  Chantecler? 
Dites  que  vos  en  est  avis.' 

00    Chantecler  en  gita  un  ris, 
Si  respondi  assez  briement 
'Sire  Renart,  mien  escient, 
Moult  drue  chanvre  i  croistroit 
Qui  chanevis  i  semeroit. 

55    Li  grainz  en  est  douz  a  mengier. 
Maintes  foiz  m'a  eii  mestier. 
Et  de  la  tile  a  on  argent.' 
Brichemer  dist  par  maltalent 
Que  ja  chanvre  n'i  ert  semée. 

60    'La  terre  est  de  novel  sartee: 
Bien  i  puet  on  orge  semer, 


33  puissent     43  deurions      47  Quant     53  crostroit      50  Mainstes 
58  dit     59  semence 


XXII  (MéoM  19830-19866)  261 

Se  vos  le  volez  crcanter, 

Et  je  l'otroi  de  moie  part.' 

Ysengrin  l'en  fist  un  regart, 
65    Si  li  a  dit  irieement 

'Dant  Brichemer,  a  vo  talent, 

Ce  sachiez  vos,  n'ira  il  mie. 

Maudahez  ait  qui  si  l'otrie! 

Q'ainz  celé  foiz  ne  mengai  d'orge 
70    Que  n'eusse  mal  en  ma  gorge. 

Mes  se  Renart  de  ca  l'otroie, 

Semons  froment  en  ceste  roie: 

C'en  est  le  mieuz,  quar  toute  rien 

Vit  de  froment,  ce  set  l'on  bien.' 
75    Renart  respont  'biauz  douz  conpere, 

Bien  ait  l'ame  de  vostre  père! 

Ja  n'en  seroiz  par  moi  desdiz, 

Ce  est  le  mieuz,  jel  vos  pleviz. 

Or  pansons  donc  de  tost  semer. 
80    J'ai  oï  les  grues  chanter 

Qui  nos  tesmoingnent  par  raison 

Que  de  semer  avons  saison.' 

Qui  dont  veïst  gens  esploitier, 

L'un  semer  et  l'autre  hercier, 
85    L'autre  ces  coiches  aiiner 

Et  les  ramilles  fors  porter, 

Et  puis  après  bien  rasteler, 

De  bons  sergenz  li  puet  menbrer. 

Tost  fust  la  chose  a  droit  point  mise 
90    Qui  de  tel  gent  fust  entreprise. 

Qant  semez  fu  toz  cil  essarz 

Et  bien  enclous  de  toutes  parz, 

Renart  qui  moult  estoit  soutis. 

Sus  un  estoc  s'estoit  asis  : 
95    Dont  apele  ses  conpaignons 

Et  si  fu  tele  sa  raisons. 
'Seignor,  ceste  gaaignerie 

Ne  sera  ja  par  nos  partie. 


80  oies     83  manque     87   rçteler     8S  bon  sergent     91  cist     96 


262  XXII   (Méon  19867  —  19902) 

Tuit  ensenble  la  cuellerons 
100    Et  ensenble  la  mengerons 

En  iver,  qant  il  gèlera, 

Qant  viende  ne  trovera 

A  chanp  n'en  bois  oisiaus  ne  beste.' 

Ysengrin  a  jure  sa  teste 
105    Que  ja  par  lui  n'iert  destorne  : 

Lors  l'ont  li  autre  créante. 
Dant  Brichemers  grant  aleûre 

S'en  repéra  en  sa  pâture. 

Et  Ysengrin  s'en  est  tornez, 
110    En  la  forez  s'en  est  entrez 

Nuit  et  jor  por  querre  viende, 

Car  autre  déduit  ne  demande. 

Et  Chanteclers  revint  volant 

A  ses  gelines  maintenant 
115    Qui  moult  l'avoient  atendu, 

Ne  l'avoient  pieca  veû. 

D'autre  part  vint  Renart  sa  voie, 

Par  ces  essarz  va  querant  proie. 

Si  départent  li  conpaignon 
120    Sanz  mautalent  et  sanz  tancon. 

Qant  vint  en  guing  qu'il  fait  grant  cbaut, 

Que  cil  ble  sont  creii  en  haut  B  117 

Et  espie  et  tuit  grenu, 

Et  Ysengrin  qu'ot  poil  chenu 
125    S'en  vint  traiant  a  un  mainil, 

Bestes  vit  paitre  en  un  cortil. 

Tresaut  la  haie,  s'en  prent  une. 

Mes  il  li  a  fait  tel  rancune 

Et  si  la  va  esperonnant, 
130    La  pel  dou  dos  li  va  estant, 

Car  il  ne  volt  laissier  sa  proie. 

Tant  a  aie  que  toutevoie 

Parvint  la  nuit  a  son  recet. 

Qant  il  fu  enmi  la  forest. 


98  ia  a  droit  p.     99  cueudrons     lOl  galera     104  guree     107  Qant 
122  blei     125  traient     127  voie     131  vost     133  recest     134  emi 


XXII  (Méon  19903-19938)  263 

135    La  a  sa  proie  descliargie, 

Isnelement  l'a  despecie 

Qu'il  n'i  laissa  ne  pel  ne  os. 

Si  fu  enflez,  bargis  et  gros 

Q'a  poine  puet  un  pas  passer. 
140    Lors  se  conmence  a  porpanser, 

Ja  ne  porroit  dou  pas  issir, 

Se  besoing  avoit  de  fouir. 

Tout  souavet  ist  dou  bouchel, 

Par  une  sente  d'un  vaucel 
145    S'en  vint  tout  droit  a  cel  essart 

Ou  il  avoit  la  quart  part. 

Porpensa  soi  qu'en  cel  froment 

Prendra  il  son  reposement 

Tant  que  la  chaleur  soit  cheiie 
150    Et  la  viande  descreûe 

Dont  il  avoit  si  plain  le  ventre. 

Ala  avant,  ou  froment  entre, 

Si  se  coucha  enz  el  plus  dru: 

Defole  l'a  et  abatu, 
155    Lors  conmenca  haut  a  uller. 

Atant  este  vos  Brichemer, 

Moult  se  merveille  qui  c'estoit. 

Celé  part  est  venu  tout  droit, 

Ala  avant,  si  l'aresna 
160    Por  le  cuer  bieu  qui  voi  ge  la? 

Sire  Ysengrin,  par  qui  congie 

Avez  cest  ble  si  despecie? 

Est  ce  donc  chose  abandonee?' 

Li  leus  a  la  teste  levée, 
165    Si  respondi  en  soupirant 

Biau  conpere,  venez  avant 

Et  si  veez  ma  maladie: 

Je  sui  touz  plains  d'itropisie. 

Se  m'orine  aviez  veiie 
170    Et  m'anfermete  conneue, 

143  bouchet     148  il  manque     153  couche  toz  estando     158  Cela 
160  (lieu 


264  XXII  (Méon   Hn);39-U)i)74) 

Yos  savez  tant  de  la  fisique, 
Bien  me  guerrez  d'estre  itropiquc. 
Brichemer  respont  maintenent 
'Ja  dame  dex  mon  cors  n'ament, 

175    Se  je  soi  onques  riens  d'ourine, 
Ne  ne  sai  rien  de  médecine 
Ne  de  plaie  ne  de  poison 
Don  donne  a  autrui  garison. 
Ja  par  moi  garison  n'aurez. 

180    Mes  s'iere  un  poi  desgeiinez, 
Plus  en  seroie  un  poi  haitiez.' 
Ysengrin  dist   alez,  paissiez 
De  cel  froment  enz  ou  plus  dru. 
Ja  ne  sera  par  moi  seii 

185    Que  ja  i  aiez  atouchie, 

De  moi  avez  vos  bon  congie.' 
Lors  en  menja  tant  Brichemer 
Que  il  fu  grous  et  bien  enflez, 
Puis  vint  gésir  lez  Isangrin, 

190    Qui  n'avoit  pas  ventre  frarin. 
Cel  jor  avint  par  avanture 
Que  Chanteclers  queroit  pasture. 
Celé  part  vint  tout  droit  volant, 
Ysengrin  a  veû  gisant 

195    Et  Brichemer  dejoste  lui. 

Moult  par  li  vint  a  grant  anui, 
Et  plus  li  fu  de  son  domage: 
Car  il  n'avoit  plus  d'eritage 
Q'an  icel  essart  seulement. 

200    II  lor  a  dit  par  maltalent 

'Seignor,  ce  n'est  mie  par  moi 
Ne  par  Renart,  si  con  je  croi, 
Que  vos  avez  fait  cest  outrage  : 
Onques  mes  jor  de  mon  aage 

205    Ne  vi  faire  tel  desraison. 
Erre  avez  conme  larron 


171  fuisie     172  guerriez       dedropisie     178  Don  domne      gairison 
}80  Sun  poi  iere     190  Quil     193  tpu  droit  yo}ei}t     194  gisent    202  conme 


XXII  (Méon  19975-20010)  265 

Yers  moi,  dehaiz  vo  conpaignie  ! 

Yos  i  avez  vo  foi  mentie. 

Se  je  les  cous  tant  ne  doutasse, 
210    De  traïson  vos  apelasse:. 

Certes  bien  l'avez  deservi 

Selonc  l'uevre  que  je  voi  ci.' 

Ysengrin  l'ot,  si  s'aïra, 

De  maltalent  se  herica, 
215    Qant  il  s'ot  tenir  por  pargure. 

Entre  ses  denz  forment  en  jure, 

S'il  puet  as  mains  le  coc  tenir, 

Il  li  fera  les  denz  santir. 

Ne  mostra  pas  son  mautalent, 
220    Einz  respondi  seneement. 

'Chantecler   fait  il,   par  saint  Jorge, 

Je  ne  voil  pas  que  'nus  s'amorge 

A  moi  reter  de  félonie. 

Se  vos  avez  dit  vo  gorgie. 
225  ^liauz  vos  venist  par  saint  Omer 

Q'ancore  fust  a  porpanser. 

Bien  le  vos  cuit  encor  merir. 

Se  je  en  puis  en  leu  venir. 

Mais  or  n'avez  vos  de  moi  garde  : 
2.30    Maus  feus  et  maie  flambe  m'arde, 

S'onques  vers  vos  ne  vers  Renart 

Quis  tricherie  ne  barat, 

Desloiaute  ne  traïson. 

Mais  por  itant  que  conpaignon 
235    Avons  este  de  cest  essart. 

Or  en  prenez  vo  droite  part 

Endemantiers  que  il  vos  loist: 

Ne  quidiez  pas  que  il  m'en  poist." 

Lors  descendi  li  cocs  a  pie, 
240    Qui  dou  froment  a  tant  mengie 

Q'ainz  ne  se  pot  d'ileuc  partir. 

Lez  Ysengrin  s'ala  gésir.  B  118 


209  C08  213  sen  ira  220  seurement  222  ne  manque  samorde 
224  voz  227  vo8  manque  encore  235  esarz  '237  nos  laist  239  cois 
240  mengier 


266  XXII  (Méon  20011—20046} 

Atant  es  vos  Renart  traiant 
Parmi  la  sente  d'un  pendant: 

245    Ses  conpaignons  cuidoit  noncier, 
Qant  lor  blez  seroit  a  soier. 
Qant  il  le  vit  si  défoule 
Et  abatu  et  estrepe, 
(D'autre  part  veoit  caus  gésir, 

250    L'un  delez  l'autre  fer  dormir) 
Iriez  en  fu,  maz  et  dolenz, 
En  bas  a  dit  entre  ses  denz 
'Se  vis  eschaper  en  cuidasse 
Et  que  dou  mien  plus  n'i  laissase 

255    Que  de  mes  quises  les  braons, 
Je  oceïsse  cez  gloutons 
Qui  vers  moi  se  sont  parjure.' 
Ysengrin  a  le  chief  levé, 
Si  a  Renart  aparceii 

260    'Willecome,  bien  veignes  tu! 
Renart,  quar  vos  venez  seoir, 
Moult  vos  desirroie  a  veoir.' 
Renart  ne  pot  un  mot  soner, 
De  maltalent  prist  a  tranbler 

265    Et  dist  je  ne  vos  salu  pas, 

Sire  Ysengrin,  par  saint  Tomas, 
Ne  ces  autres  qui  ici  sont 
Qui  domage  et  honte  me  font. 
Menti  m'avez  de  covenance 

270    Et  trespase  vostre  fience, 

Fiz  a  putains,  desloiaus  cous.' 
'Renart,  ce  n'est  mie  de  vous' 
Dist  Ysengrin,  'que  cous  soie. 
Un  serement  vos  en  feroie 

275    Que  a  Hersant  ma  douce  amie 
N'eûstes  part  ne  conpaignie. 
Si  vos  en  lestes  vos  vantez. 
Mes  par  mon  chief  vos  i  mantez  : 


243  traiant]  atant     244  pundant     250  ?     253  vif  o.  men     256  Ja 
260  Taie  ne     271  Fil    278  Tois 


XXir    (Méon  20047-20082)  267 

Q'an  ceste  terre,  dieu  merci, 
280    N'a  plus  loial  dame  de  lui: 

Ele  en  a  bien  le  tesmoignage. 

Mais  se  je  vos  ai  fait  dômage, 

Si  en  querez  vostre  droiture 

Isnelement  grant  aleûre. 
285    Je  ne  sui  pas  en  voz  dangier 

Ne  ne  vos  ai  mie  tant  chier 

Que  vos  en  face  droit  n'amande, 

Ne  nul  escondit  vos  en  rende, 

Foi  que  doi  Noble  le  lion. 
290    Ne  Maupertuis  ne  fort  donjon 

Yers  moi  ne  vos  garentiroit. 

Se  por  la  pes  ne  remeuoit 

Que  li  rois  m'a  fait  fiencier. 

Se  ne  li  quidasse  anuier, 
295    Dou  plicon  n'enportisiez  mie. 

Mar  m'apelastes  foi  mentie, 

Filz  a  putain,  rous  venimeus. 

Mes  anemis  iestes  mortieus, 

Onques  n'aiez  vers  moi  fience. 
300    Foi  que  je  doi  Hersant  la  franche, 

Je  vos  ferai  un  saut  saillir, 

Ainz  que  voiez  aoust  venir.' 
Renart  voit  Ysengrin  irie 

Et  de  maufere  encoragie. 
305    Si  respondi  asez  par  sen 

'A  letare  Jérusalem 

Je  vos  envi,  sire  Isangrin, 

Droit  a  la  cort  le  roi  Conin 

Vos  et  voz  autres  conpaignons  : 
310    La  nos  départira  raisons.' 

Ysengrin  dist  'maldahez  ait 

Cil  qui  cest  enviai  vos  lait. 

Por  droit  faire  et  por  prendre  droit 

Yoil  ge  bien  que  chascuns  i  soit.' 


280   laial     286  tant]  si      288  esconduit     299   narez     302   uaiez 
310  raiesons 


268  XXII  iMéoii  -JOUcSS— -21)118) 

315    Einsi  l'ont  tuit  acreente. 

Es  vos  Renart  d'ileuc  torne. 
Einz  puis  n'ot  gaires  de  sejor, 
Ne  ne  fina  ne  nuit  ne  jor 
Tant  qu'il  vint  a  la  cort  le  roi. 

320    La  trova  il,  si  con  je  croi, 
Ysengrin  et  sa  conpaignie 
Qui  la  defors  s'estoit  logie  : 
Onques  un  soûl  n'en  salua. 
Par  un  guichet  leanz  entra. 

325    Le  roi  salue  hautement 
Si  conme  cil  qui  sagement 
Savoit  bien  dire  sa  raison. 
'Sire  rois,  grant  beneïcon 
Yos  doint  li  filz  sainte  Marie 

330    Et  toute  vostre  conpaignie! 

Li  rois  ne  tint  mie  peresce, 
Contre  JRenart  moult  tost  se  dresce, 
Si  l'a  dejoste  lui  asis. 
Car  il  estoit  moult  ses  amis. 

335    Li  rois  une  bêche  tenoit 

Qui  d'autre  mestier  ne  servoit 
Que  de  cons  faire  seulement. 
Mais  nés  fesoit  ne  bel  ne  gent. 
Que  qant  la  ploie  avoit  fandue 

340    De  la  bêche  grant  et  molue, 
Si  remenoit  hideuse  et  grant: 
Ne  ja  ne  reclousit  nul  tens, 
Que  demie  aune  a  grant  mesure 
Ne  parut  bien  la  fandeûre. 

345        Renart  moult  s'en  esmerveilla. 
Le  roi  Connin  en  apela, 
Demanda  de  celé  overture 
Qui  si  estoit  laide  et  oscure: 
Por  coi  l'avoit  faite  si  grant, 

350    Qar  onques  mes  a  son  vivant 


316  .Jileui     319  Des  q.      328  Si  r.    .329  le  fil    331  mi     388  nais 
346  Li  rois 


XXII  (Méon  20119-20IÔ4)  269 

N'avoit  veii  plaie  sanz  fonz, 
Ne  ne  resanbloit  mie  cons. 
'Renars'  ce  respondi  li  rois, 
N'iestes  pas  sages  ne  cortois 
355    Qui  blâmez  ce  que  toz  li  monz 
Sert  et  requiert  a  genoillons  : 
Ce  est  uns  cons  que  j'ai  ci  fait.' 
'Sainte  Marie,  sont  si  lait 
Tuit  li  autre  conme  cist  est?' 
360    'Oïl,  se  diex  santé  me  prest. 
Car  tuit  sont  en  une  coing  féru 
Et  de  ceste  bêche  fandu.'  B  119 

Renart  respont  en  souriant 
'Sire,  je  m'en  terai  atant, 
365    Que  nus  hom  ne  doit  con  blâmer. 
Mes  moult  i  porroit  amander, 
Sire,  se  vos  m'en  créiez.' 
'Conment,  Renart?'  'Vos  preïssiez 
Un  col  de  cerf  fort  et  tenant 
370    Qui  escorchiez  fust  maintenant. 
Sel  meïssiez  tout  au  travers 
A  poiz  et  a  gluz  bien  aers. 
Quant  la  ploie  fust  départie 
Et  de  cest  cuir  estroit  lacie, 
375    Ne  fussent  mie  si  hideus 

Li  dui  pertuis  con  li  un  sens. 
Cil  de  deseure  fust  li  cons 
Et  cil  desoz  li  plus  reonz 
Fust  eus  par  autele  manière 
380    Que  li  eus  doit  aler  derrière.' 
Li  rois  se  tut,  si  l'esgarda, 
Enz  en  son  cuer  se  porpansa 
Que  se  li  cons  aloit  desus, 
Par  coi  desoz  refust  li  eus 
385    Si  com  Renart  li  enseignoit, 
La  chose  moult  amanderoit. 


352  resanblo    363  sourient    S66  Uom  manque      porrioz    3G9  tendent 
37G  Lun  des  p.  conme  li  deua     381  r.  estut     384  desus 


270  XXII  (Méon  20155-20190) 

'Renart'  dist  il,  'tu  me  diz  voir, 
Moult  par  ies  plains  de  grant  savoir  : 
Qantque  tu  diz  est  veritez. 

390    Mes  je  ne  sai  ou  fust  trovez 
Li  cous  de  cerf  qui  la  fust  mis, 
Q'ainz  n'en  vi  nul  en  cest  païs.' 
Renart  l'entent,  moult  en  fu  liez. 
'De  folie  vos  esmaiez. 

395    A  celé  porte  la  defors, 

En  vi  ge  un  et  grant  et  gros. 
Pieca  qu'il  fust  ceenz  entrez. 
Se  li  postiz  fust  desfermez.' 
Li  rois  meïsmes  se  dreca 

400    Vers  le  postiz  moult  tost  ala, 
Si  l'a  overte  isnelement. 
Bricliemer,  qui  son  plait  atent, 
Voit  que  délivre  estoit  l'entrée. 
Leenz  se  fiert  taiste  levée, 

405    Ainz  conpaingnon  n'i  atendi. 
'  Li  rois  les  trives  li  rendi, 

Par  les  cornes  as  mains  le  prent: 
Une  grant  macue  destent, 
Si  l'en  dona  parmi  la  teste. 

410    Renart  li  rous  en  ot  grant  feste, 
Qant  il  le  vit  agenoillier. 
'Tuez'  dist  il,  'cest  pautonier: 
Que  onques  jor  de  son  aage 
Ne  vesqui  sauz  autrui  domage. 

415    Pieca  qu'il  deûst  estre  ocis, 
Se  droiz  alast  par  cest  pais.' 
Li  roiz  tint  un  coutel  a  pointe, 
Dou  col  a  la  teste  desgointe, 
S'antailla  fors  dou  chaaiguou, 

420    A  travers  l'a  mis  sor  le  con. 
Bien  l'atacha  a  fort  ciment. 
Bien  est  mestier  que  toujorz  tent 


399  m.  tost  se       400  Et  v.  la  porte    en   a.       404   Se    fiert    leenz 
412  ce 


XXII  (Méon  20191—20226)  271 

Si  durement  que  par  un  pou 

Ne  reviegnent  a  un  li  trou. 
425        'Renarz'  fait  li  rois,  'biaus  amis, 

Fait  ai  ce  que  tu  m'as  apris. 

Or  sai  de  voir  qu'en  mon  vivant 

Ne  fis  chose  qui  vausit  tant.' 

Qant  Renart  vit  que  au  roi  plot, 
430    Dedanz  son  cuer  grant  joie  en  ot 

De  ce  que  li  rois  s'acordoit 

A  ce  que  il  li  ensaingnoit. 

'Sire,  bien  avez  esploitie, 

Qant  vos  avez  estroit  lacie 
435    Le  cuir  a  la  forte  corroie. 

Or  n'est  mie  si  grant  la  roie 

Ne  si  hideuse  a  esgarder. 

Por  ce  poez  vos  bien  prover 

Q'ovre  avez  moult  sagement. 
440    Fait  avez  le  conmencement 

Del  con,  mais  moWt  i  a  a  faire 

Encore  eincois  que  cist  conpere. 

La  fouse  en  est  grant  et  parfonde, 

N'a  si  hideuse  en  tôt  le  monde. 
445    Qui  orandroit  desor  vanroit 

Et  dedanz  aboesteroit, 

N'i  a  chose  ne  destornast 

Que  de  ci  au  fonz  ne  gardast, 

Se  il  le  fonz  poïst  veïr. 
450    Mes  ce  ne  porroit  avenir. 

Sire,  ce  n'est  marliere  viez 

Ne  grant  fousez  ne  parfont  biez, 

Ainz  est  abimes  vroiement, 

Car  nule  chose  fonz  n'i  prent. 
455    Je  ne  sai  que  je  vos  en  die: 

C'est  li  goufres  de  Satenie 

Qui  tout  englout  et  tout  reçoit. 

Mais  or  sachiez  qui  prenderoit 


423  peu     424  reuiont  a  .|.  le  partren     429  plue!     430  eut     443  en 
manque      grande    446  aboostcroit     458  veroiement 


272  XXII   (Méou   20227-20-262) 

Une  creste  de  coc  vermeille, 
460    Si  l'atachast  en  celé  raille 

Que  vos  avez  ileuques  mise, 

Qui  le  cul  et  le  con  devise, 

Un  poi  estouperoit  l'entrée. 

Dont  ne  seroit  pas  si  baee 
465    Celé  fouse  qui  toujors  ovre 

Por  ce  que  nule  riens  nel  cuevre: 

Wi  osera  nus  aprochier, 

Car  il  cuideroient  noier.' 

Li  rois  Connins  entent  et  voit 
470    Que  Renart  bien  le  conseilloit. 

Merveilla  soi  moult  durement 

En  quel  manière  ne  conment 

Renart  se  puet  de  ce  manbrer: 

Car  toujorz  poïst  il  panser 
475    Que  il  de  ce  s'aparceiist, 

Se  li  consauz  Renart  ne  fust. 

'Renart'  fait  il,  'moult  par  ies  sages. 

Je  sai  de  voir  que  mes  ovrages 

Amenderoit,  se  c'iert  tenu 
480    Que  tu  m'as  ci  amenteû. 

Mais  je  ne  sai  ou  prenderoie 

La  creste,  que  point  n'en  auroie,  B  120 

Ne  je  ne  la  sauroie  ou  querre: 

Q'ainz  ne  vi  coc  en  ceste  terre.' 
485    Renart  parla  qui  fu  senez 

'Sire,  se  croire  me  volez, 

De  ce  bon  conseil  vos  donrai. 

Hui  main  quant  je  ceenz  entrai, 

Vi  Chantecler  la  fors  logier 
490    Desor  la  branche  d'un  pomier: 

Durement  coloioit  ceenz. 

Sire,  je  sai  de  voir  et  pens 

Que  volontiers  i  enterroit, 

Qui  la  porte  li  overroit.' 


463  éstouperez     475  Qant     4SiM:ie  nuDique     486   .lonroi     492  Sire 
manque       pt  pon<!]   a  esoiont 


XXII  (Môon  202G3— 20298)  273 

4it5     llenart,  va  li  donques  ouvrir, 

Et  se  il  viaut  ceenz  venir. 

Garde  que  n'i  soit  destorne, 

(iu'il  n'i  entre  a  sa  volente.' 

Maintenant  saut  Renart  en  piez 
ôOO    Qui  moult  en  fu  joient  et  liez, 

Q'adonc  sot  il  bien  sanz  faillance 

Quauroit  de  Chantocler  vengeneo. 

Lou  postiz  va  desverroillier. 

Et  Chantecler  cuida  plaidier: 
ôOf)    Voit  que  la  porte  estoit  o verte, 

Ne  s'aparcut  point  de  sa  perte. 

Laienz  se  fiert  tout  a  bandon, 

N'atendi  per  ne  conpaignon. 

Renart  a  le  postiz  reclos. 
510    Dont  primes  s'aparcut  li  cos 

Que  traïz  iert,  qant  Brichemer 

Vit  à  la  terre  peester. 

Autretel  atandi  de  lui. 

Bien  set  de  voir  que  sanz  anui 
51.')    Ne  partira  de  cort  huimais: 

Car  il  n'auroit  trives  ne  pais 

De  Renart  qu'a  ileuc  veû 

Qui  tout  cest  plait  li  a  meii. 

De  morir  a  moult  grant  peiir. 
520    Ne  Renart  n'iert  mie  aseûr 

Qui  se  doute  de  l'eschaper. 

Volontiers  li  alast  douer 

Un  coup  ou  deus  de  livroison 

Parmi  la  teste  d'un  baston, 
525    Car  moult  doute  chose  volant. 

Li  rois  s'est  dresciez  en  estant, 

(.'hantecler  par  la  teste  prent. 

Vasal'  fait  il,  'sanz  jugement 

Ferai  de  vos  ma  volonté, 
5B0    Quant  je  vos  ai  si  près  trove  : 


49()  ('.  ouiirir     497  qui      518  le  p.      518  paor      525  uolont      526 
se  dresea 

RESART  H.  18 


274  XXII  (Méou  20299-'20334) 

S'il  VOS  en  poise,  ne  m'en  chaille.' 
Renart  un  rasouer  li  baille 
Dont  il  a  la  creste  coupée 
Qui  grant  estoit  et  cretelee. 

535    Enmi  le  con  asise  l'a 
Si  coni  Renart  li  devisa. 
Et  qant  il  l'ot  ileuc  assise 
Par  grant  sen  et  par  grant  devise, 
Si  fu  la  creste  grant  et  lee 

540    Qu'ele  estoupa  toute  l'entrée. 
Vos  qui  en  con  veû  avez 
Et  de  con  vos  entremetez, 
Savez  bien  que  ce  senefie. 
Les  dames  l'apelent  lendie 

545    Por  ce  qu'ele  est  enmi  le  con. 
Encore  adonc  n'avoit  nul  non, 
Mais  puis  li  ont  les  dames  mis 
Qui  le  non  nos  en  ont  apris. 
Moult  fu  li  rois  Connins  haitiez, 

550    Qant  li  cens  fu  apareilliez 

De  la  creste  et  du  chaaignon, 
Qu'adonc  primes  senbla  ce  con. 
Renart'  dit  il,  'en  tôt  le  monde 
Qui  cercheroit  a  la  raonde, 

555    N'i  troveroit  home  si  sage 
Conme  tu  ies  de  ton  aage. 
Moult  me  mervoil,  dont  si  grant  sens 
T'est  venuz  no  si  grant  porpens 
Conme  je  t'oi  ci  deviser.' 

560    'Sire,  tout  ce  laissiez  ester, 
Qu'asez  avez  de  ce  plaidie. 
Un  con  avez  ci  conmencie, 
Mais  il  n'est  mie  encore  faiz.' 
'Conment,  Renart,  n'est  il  donc  faiz?' 

5(55    'Nanil  d'assez.'     Di  moi  por  coi.' 
'Volontiers,  sire,  par  ma  foi. 


531  Si  V.      mo  c.     545  ntiiiujHe     54()  nus  lion    551  oliaicifnon    55"2 
senble     551  Quel     557  uervoil     5(51  parle 


XXII  (Méon  20335-20370) 

Barbe  li  faut:  se  barbe  eûst, 
Plus  biaus  et  miauz  .seenz  eu  fust. 
Or  me  di  donques  que  vaudroit 
570    La  barbe  qui  la  li  mestroit.' 
'Sire,  ele  coverroit  le  cou 
Cou  Yoit  enmi  tout  a  bandon, 
Et  celé  creste  et  cel  coueigno. 
Sire,  conment  que  il  avaingne, 
575    Se  mes  consauz  en  iert  creiiz, 
La  barbe  iert  mise  par  desus. 
Yilain  qui  ne  s'i  connoistroit, 
Por  sa  barbe  bieu  cuideroit 
Que  ce  soit  d'un  haut  puis  l'entiff 
580    Qui  d'un  buison  soit  estoupee. 
Car  mainte  foiz  avons  veii, 
Qant  en  un  puis  est  on  cheii, 
Li  païsant  d'entor  le  liaient 
Que  les  bestes  dedenz  ne  chaient. 
585    Autel  quideroit  ci   trover, 
Ja  n'i  oseroit  abiter. 
Cortoise  gent  qui  ce  sauront, 
Ja  por  la  barbe  nel  leront, 
Einz  l'en  auront  assez  plus  chier 
590    Clers  et  borjois  et  chevalier.' 

'Renart,  je  voi  bien  et  entent 
Que  me  conseilles  loiaument. 
Or  saches  bien  de  vérité 
Que  ainz  m'aura  dou  cors  oste 
595    La  barbe  qu'ele  n'i  soit  mise, 
En  quel  terre  qu'ele  soit  prise.' 
'Se  la  barbe  volez  avoir, 
Ja  ne  vos  en  covient  movoir 
De  ci  dedanz  vostre  maison, 
G10    Se  croire  volez  ma  raison. 

Foi  que  je  doi  Hersent  m'amie, 
Caienz  einz  eure  de  conplie 


569  que    570  la  manque    572  oini     583  paisont     584  loonz    585 
quidnront     580  ospioni     590  l,inn|  iiinuK     594  Cnrc    598  on  iiunKjiie 


276  XXII  (Méon  20371—20405) 

Vos  amenroi  dant  Isangrin.  B  121 

Je  le  vi  seoir  hui  matin 
C05    La  defors  devant  celé  porte. 

Une  grandime  hure  aporte, 

Bone  esteroit  a  cel  mestier.' 

'Diex'  dist  li  rois,  'quel  conseillier! 

Eu  tôt  le  mont  ne  sai  son  per. 
nio    Va  li  la  porte  deffermer.' 

Volontiers,  sire'  dist  Renart 

Qui  niert  mie  lenz  ne  coarz: 

Lors  li  desserre  le  postiz. 

Ysengrin  n'iert  pas  endormiz, 
015    Saut  sus,  ne  fist  pas  chiere  morte  : 

Qant  vit  qu'overte  fu  la  porte, 

Laienz  se  fiert  tôt  a  eslais, 

Devant  le  roi  vient  ou  palais. 

Qant  sanz  creste  vit  Chantecler 
fi20    Et  sanz  chaaignon  Brichemer, 

Paor  ot  grand,  n'en  dotez  mie. 

Por  tôt  l'or  qu'eiist  en  Pavie 

N'i  vosist  il  estre  enbatuz. 

Miauz  vosist  estre  avec  les  Turs 
625    Qu'avec  Renart  son  anemi. 

Renart'  fait  il,  'tu  m'as  traï 

Et  toz  ces  autres  que  ci  vol. 

S'or  ne  dotasse  autre  que  toi. 

Foi  que  je  doi  dame  Hersent, 
630    II  alast  ja  tout  autrement. 

Ta  traïson  ferai  paroir. 

Ce  vos  lairai  ge  bien  savoir.' 

Par  ma  teste,  dant  Ysengrin, 

Vos  parlerez  d'autre  Martin 
035    Aincois  que  vos  nos  escbapez  : 

Celé  hure  que  vos  portez 

Nos  lairez  vos  au  mains  en  gage.' 


605  devent  607  cest  609  monde  iia  s.  616  (pip  o.  620 
chaignon  624  voisist  621)  je  manque  631  feroie  aparoir  633  t.  dist  y. 
635  Ainzcois     eschapeiz 


XXII  (Méon  20406—20442)  277 

'Renart,  j'auroie  grant  domage, 

Si  je  la  hure  ici  laissoie. 
640    Mais  a  Hersent  ne  parleroie: 

Bien  quideroit,  jel  vos  plevis, 

Qu'a  larrecin  fusse  repris.' 

'Sire  Ysengrin,  de  A'ostre  honte, 

Por  le  cuer  bien,  a  moi  que  monte? 
645    Se  vos  estiez  vis  escorchiez 

Des  les  oreilles  jusqu'as  piez, 

N'esteroit  mie  asez  vangance, 

Tant  m'avez  fait  duel  et  pesance. 

Ne  sai  beste  fors  que  Brun  Tors 
650    Que  je  tant  hee  conme  vos. 

Mais  vos  hai  ge  de  fine  mort.' 

'Avoi,  Renart!  vos  avez  tort. 

Ai  ge  dont  riens  vers  vos  mespris? 

Je  cuidoie  estre  vostre  amis.' 
655    'Mes  amis?  diex,  et  vos  conment? 

Par  vos  perdi  ge  mon  froment 

Ou  j'avoie  la  quarte  jarbe. 

Mais  par  iceste  moie  barbe, 

J'en  auroi  encor  hui  tôt  droit, 
660    Ou  mal  vos  sache  ou  bien  vos  poit.' 

Par  saint  Romacle  ou  ainz  ne  fui, 

Renart,  se  j'ai  par  vos  anui 

Et  je  vos  puis  tenir  ca  fors, 

Je  pranderai  de  vostre  cors 
665    Tel  vengance  qui  grèvera 

Celui  qui  miauz  vos  amera.' 
'Moult  par  iestes  outrecuidiez, 

Isengrin,  qui  me  menaciez 

Devant  le  roi  enz  en  sa  cort: 
670    Je  cuit  qu'autre  bien  vos  acort.' 

Non'  dist  le  roi  'par  saint  Senson, 

Ainz  que  il  part  de  ma  maison 

Laira  il  moult  de  son  genglois. 

Ce  n'est  pas  la  première  foiz 


648  pesence    650  hace    655  Mais     665  veiiî^ence 


278  XXII   (Méon  20443-20478) 

675    Qu'il  s'est  ventez  et  aatiz 
De  faire  honte  a  mes  amis.' 

A  ccst  mot  saut  li  rois  en  piez, 
Yers  Ysengrin  vint  touz  iriez. 
Si  li  saicha  par  les  oreilles 

680    Si  que  totes  les  fist  vermailles: 
Enpaint  et  fiert  et  sache  et  boute, 
La  couleur  li  fuit  tantost  toute. 
Puis  le  prent  par  le  tribunel. 
La  hure  avec  toute  la  pel 

1385    Li  a  de  la  teste  sevrée, 
Et  antor  le  con  si  plantée 
Q'ainz  puis  ne  la  pot  nus  ester 
Por  engin  c'on  peiist  trover. 
Ne  gluz  ne  chauz  ne  poilecon 

(jDO    iX'i  valent  mie  troi  boston. 
Mesleiire  n'autre  pelains, 
Que  mètre  i  vuelent  ces  putains, 
Ne  lor  vaut  riens  :  que  touz  jorz  croit 
Plus  dru  après  qu'avant  n'estoit, 

695         Seignor,  einsi  fu  atornez 
Li  cens,  com  vos  dire  m'oez. 
Par  le  conseil  Renart  le  sage. 
Bien  se  venga  dou  grant  domage 
Que  li  firent  si  moitaier. 

700    Moult  lor  en  fist  grant  enconbrier 
A   toz  troi  (premier  Brichemer 
Et  Ysengrin  et  Chantecler) 
Renart  al  estorer  le  con. 
Brichemer  mist  le  chaaignon, 

705    Et  la  landie  i  mist  li  cos  : 

La  barbe  qui  croist  par  defors, 
Qui  i  fu  mise  au  daerains, 
I  mist  Y''sengrin  li  farains 
Qui  toz  en  fu  deaornez: 

710    II  ne  sera  mes  onorez. 


682    fait  t.  trouble       683    cribunol       6'JO  mie  .i.  b.       6'J4    avent 
707   i  manque 


XXII  (Méon  20479-20490)  279 

Li  rois  esgarde  son  ovrage. 

Moult  li  plesoit  en  son  corage, 

Conques  nule  chose  n'i  mist 

Que  par  raison  n'i  covenist 
715    Sanz  plus  mètre  ne  rien  ester. 

Ici  puis  ge  bien  oposer 

Et  laissier  le  conte  dou  con. 

Nus  n'en  doit  dire  se  bien  non, 

Qu'el  monde  n'a  si  douce  rien 
720    Com  est  li  cens,  ce  set  l'en  bien. 

Ici  parfine  la  chancon, 

Conme  Renart  parfist  le  con. 

711  regardoit     715  mustro  et  r.     716  oposcer     717  lej  dou 


XXIII 

Seigneurs  barons,  or  entendez,  M  72' 

Qui  de  lienart  oï  avez: 

S'orrez  une  molt  grant  voisdic, 

Qui  a  Eenart  fist  grant  aïe. 
5    Renars  li  rous  s'est  porpensez 

Que  tant  estoit  au  roi  mêliez: 

Ne  puet  a  nul  jor  pes  avoir. 

Se  ce  n'est  par  molt  grant  savoir. 
'Sire,  sire   Renars  a  dit, 
10     Vers  vos  n'ai  ge  nul  contredit 

De  quanque  vos  demanderez. 

Vostre  plaisir  de  moi  ferez. 

Je  sui  venuz  a  vostre  mant. 

Si  fêtes  tôt  vostre  commant. 
15    Se  tant  fusse  vers  vos  mesfaiz 

Que  j'en  deiisse  estre  desfaiz, 

Tresisse  moi  de  vos  ensus. 

De  mon  chastol  ne  fusse  issuz  : 

Ainz  atendisse  guerre  et  ost. 
'20    Que  au  mal  vient  en  assez  tost. 

A  vos  sui  venuz  volontiers  : 

Que  tant  me  sant  sans  et  entiers 

Que  sui  sanz  nule  forfeture 

Et  bien  m'offre  a  vostre  droiture. 
•25    Je  vos  ai  servi  mainte  foiz, 

Si  m'aïst  diex  en  bone  foiz! 

S'en  seriez  molt  avilliez, 

Se  ge  estoie  cssiliez 

Sanz  jugement  et  sanz  reson 


XXIII  281 


30    El  conduit  de  vostre  meson. 
Mes  je  sai  bien  de  vérité 
Qu'en  vos  a  tant  de  charité, 
Encor  soiez  vos  forz  et  fiers, 
Que  vos  estes  bons  droituriers. 

35    Ne  feriez  tort  a  nul  home 
Por  trestot  le  trésor  de  Rome. 
De  ce  sui  ge  tôt  asseiir, 
Por  quant  se  j'ai  maves  eiir, 
(Que  bons  rois  estes  et  loiaux, 

40    N'estes  mie  simoniaux) 

Que  vos  por  or  ne  por  argent 
Faciez  mal  mener  vostre  gent. 
Sire,  s'il  vos  vient  a  plaisir, 
Que  faites  ces  crieurs   taisir 

J5    Et  ceste  grant  noise  abessier. 
Apres  qui  nel  voldra  îessier 
Face  son  claim  a  vos  de  moi 
Et  vos  i  entendez  por  coi 
Et  por  quel  mesfet  il  se  claiment. 

50    Cist  haut  baron  qui  ensus  mainent, 
Die  chascuns  que  vodra  dire. 
Se  ge  ne  m'en  puis  escondire 
Et  ge  n'en  sai  mon  droit  mostrcr. 
Dont  me  doit  on  fere  lier 

55    A  la  queue  d'un  viel  jument. 
Faites  m'avoir  droit  jugement!' 

'Cist  a  bien  dit'  fet  l'empcrere. 
'Foi  que  je  doi  l'ame  mon  père. 
Je  ne  vueil  pas  le  los  avoir 

60    Que  je  face  tort  por  avoir 
Ne  que  ma  cort  soit  loonice: 
Ainz  vueil  estre  loial  justice. 
Qui  riens  velt  Renart  demander. 
Si  se  viegne  de  lui  clamer. 

1)5    Et  il  de  ce  soit  touz  certains, 
Se  il  de  ces  plez  est  atains, 

46  quil    54  licrj  mostrer    61  ? 


282  XXIII 

Que  ja  vis  n'en  eschapera: 

A  molt  grant  honte  fenira.' 
Isengrin  s'est  en  piez  dreciez, 
TU    Qui  encor  ert  molt  corrouciez 

Por  ce  qu'il  velt  son  sairement 

Selon  l'esgart  du  jugement 

Que  11  baron  li  orent  fait 

En  amendise  du  meflFait. 
75    Devant  le  roi  s'est  aprouchiez, 

Dist  'rois,  ne  vos  en  corrouciez, 

Se  ge  me  reclaim  de  Renart, 

Yo  baron  firent  un  esgart 

Qu'il  se  duit  vers  moi  escondire 
80    Par  serement  de  l'avoutire 

Qu'en  li  raist  sus  de  m'espousee, 

Dont  ele  a  molt  este  blasmee.  M  73 

De  ce  me  plaing  qu'il  se  quati 

En  ma  loviere  et  si  bâti 
85    Mes  loviaux  et  les  conpissa: 

Aine  nus  d'euls  ne  s'en  revenja. 

Ce  savons  nos  bien  vraiement 

Que  il  vint  jusqu'au  serement. 

Il  quida  que  je  tant  l'amasse, 
90    Espoir  que  je  li  pardonasse. 

Quant  vit  qu'il  li  convendroit  fere, 

Molt  tost  se  sot  arrière  trere: 

Si  s'en  foï  en  sa  meson. 

Ce  sevent  bien  tuit  cist  baron, 
95    Que  nel  porroient  consentir, 

S'il  n'en  voloient  bien  mentir. 

Or  en  prenez  bien  vo  droiture 

Por  moi  de  ceste  forfeture. 

Fêtes  tant  que  gre  vos  en  sache. 
100    Bien  doit  avoir  ce  qu'il  porchace. 

Espoir  Renars  est  trop  voiseus. 

Encor  ne  soit  il  pas  noiseus. 
Qu'il  dira  ja  par  mesprison 

83  (]ui  30 


XXIII  283 


Qu'ainz  ne  porchaca  traïson. 

105    Mes  tôt  ce  li  met  ge  bien  sus. 
Par  cel  scignor  qui  meint  lasus 
Bien  en  ferai  quanqu'en  voudra, 
Si  con  la  cort  esgardera. 
Bien  m'en  acort  au  jugement, 

110    Et  l'on  le  face  loiaument.' 

Renart  rospont   Ysengrin,  sire, 
Avez  tôt  dit?  volez  plus  dire? 
Dist  Ysengrins  j'ai  dit  assez. 
De  tant  serez  vos  toz  lassez, 

115    Ainz  que  vos  en  soiez  délivres. 
Je  ne  bui  hui  dont  je  soie  ivres.' 
Renars  respont  'sire,  entendez! 
Selonc  l'un  droit  l'autre  prenez! 
De  ce  qu'Ysengrin  me  met  sus, 

120    Le  métrai  ge  du  tôt  ensus. 

Ce  fu  voirs  que  vos  me  mandastes 
Et  par  Grimbert  me  conmandastes 
Que  devant  Roonel  venisse 
Et  a  son  los  me  déduisisse. 

125    Apres  trovai  en  vostre  escrit 
Ce  ne  sai  ge  quel  chose  escrit. 
Que  por  quanqu'a  cest  mont  apeut 
Ne  feïsse  je  serement. 
Por  tant  en  devroie  estre  quitcs. 

130    Et  quant  je  oi  les  letres  lites, 
Près  fui  de  mon  sairement  faire 
Et  Roonel  dut  estre  maire. 
Je  ving  a  cort  près  et  garniz 
Par  vo  conmant:  mes  escharniz 

185    I  dui  estre  mT)lt  malement. 
Et  si  vos  conterai  conment. 
Quant  je  fui  venuz  a  mon  jor 
Sanz  contremant  et  sanz  sejor, 
Ysengrin  me  fist  a  entendre 

140    Con  cil  qui  me  voloit  sorprendre, 
Que  Roonel  iert  enossez. 
A  un  tonbel  ert  adossez. 


284  xxm 

Illec  devoit  il  estre  morz. 
Esgarderent,  fiist  droit  ou  torz, 

145    Sor  la  dent  Roonel  jurasse 
Et  mon  serement  aquitasse. 
One  n'en  foï:  ainz  m'avanchie, 
Encor  en  fusse  ge  irie. 
8i  Yoil  fere  mon  serement, 

150    Por  pes  avoir  a  lor  talent. 
Je  ving  au  dent  toz  rebraciez. 
Molt  en  dui  estre  corrouciez. 
Se  ne  me  fusse  aperceiiz, 
J'eusse  este  molt  deceiiz. 

155    Je  li  vi  la  teste  lever 
Et  a  s'alaine  molt  pener. 
Bien  apercui  la  vilanie, 
Qu'en  i  entendoit  félonie. 
Et  se  je  quis  ma  guerison 

l()0    Que  ne  cheïsse  en  lor  prison, 
De  ce  ne  me  doit  nus  blasmer. 
Que  tost  m'eussent  fet  basmer. 
Morz  devoit  estre  Rooniaux: 
Mes  après  moi  fu  toz  isuiaux. 

1(55    II  me  sivi  grant  aleiire 

Et  si  me  fist  mainte  laidure 
Entre  lui  et  ses  conpaignons. 
Bien  i  avoit  cinc  cens  gaignons 
Qui  laidement  me  démenèrent, 

170    Mon  pelicon  me  despanerent. 
Sire,  si  fui  ge  maubailliz 
Et  en  vo  conduit  assailliz. 
Vostre  est  la  honte  et  miens  li  maux 
Par  vo  justisier  qui  fu  faux. 

175    Ce  fist  Roonel  par  haïne 

Por  ma  famé  dame  Hermeline 
Qui  nu  volt  aaisier  d'amors. 
L'autrier  en  furent  les  claraors 
De  la  honte  qu'il  vos  a  faite. 


163  roonel     174  iustisiers  177  aisicr     179  Que  la 


XXIIl  285 

180    Qu'il  jut  issi  la  langue  traite  : 

Bien  en  devez  justise  prendre 

Et  plus  haut  qu'autre  larron  pendre. 

Ce  vit  danz  Frimaux   li  putois 

Et  Grimbert  qui  molt  est  cortois 
185    Et  tuit  li  baron  qui  la  vindrent 

Et  molt  loiaument  se  contindrent. 

Se  diex  plest,  le  voir  en  diront 

Que  ja  por  moi  ne  mentiront. 

Bien  sevent  tuit  que  je  di  voir. 
mO    Et  ne  porquant  por  pes  avoir 

Feroie  je  le  serement 

Ci  devant  vos  molt  loiaument. 

Je  n'auroie  raestier  de  guère 

Que  pes  vodroie  estre  en  la  terre  : 
inô    Si  juroie  tôt  le  mener 

Et  porteroie  grant  honor. 

S'en  dient  ces  barons  droiture, 

N'averoie  de  plaider  cure. 

Molt  volontiers  sivrai  lor  dit, 
2œ    Ja  n'i  meterai  contredit.' 

'Or,  por  les  sainz  de  Biauliant!' 

Respont  Nobles  en  sorriant, 

'Renaît,  se  tu  dis  vérité, 

Dont  sont  il  tout  déshérite. 
205    S'en  mon  conduit  fus  deceùz, 

Ge  meïsme  i  sui  receûz. 

Seignors,  oez  que  dit  Renart! 

Ci  afiert  un  molt  grant  esgart. 

Facent  li  autre  lor  clamor. 
210    Vos  i  entendez  par  amor, 

Metez  i  vostre  entendement 

Por  faire  loial  jugement!' 

Chantecler  est  sailli/  en  place 

Touz  corrouciez,  molt  se  rebracp, 
215    Au  bec  ses  pennes  aplanoie 

Et  de  bien  parler  s'amanoie. 

195  Suroie     203  dit     204  tout]  dont 


286  XXIII 

Sire,  sire,'  dist  Chanteclers 

Onques  mes  eu  ers  ne  fu  puis  clers 

Que  morte  fu  dame  Coupée, 
•220    Que  Renart  dut  avoir  soupee. 

Por  dieu,  sire,  fêtes  m'en  droit 

Yoiant  voz  homes  orendroit 

De  Tomicide  que  il  fist, 

Quant  il  dame  Coupée  ocist. 
2-20    Por  dieu  vos  en  ven  ge  prier. 

Que  ce  ne  puet  il  pas  noier  : 

Vez  dame  Pinte  le  tesmoigne 

Qui  avec  fu  en  la  besoigne.  M  74 

'Voire,  sire'  ce  dist  la  dame. 
230    'Dame  diex  ait  merci  de  l'ame! 

Au  lieu  fui  ge  ou  il   Tocist 

Li  sire  qui  grant  pechio  fist.' 
Li  cos  a  si  son  claim  fine 

Et  Renarz  a  son  cliief  cline, 
235    Vers  terre  un  poi  ses  eulz  bessa. 

La  parole  atant  ne  lessa, 

Ainz  respondi  molt  sagement  : 

Si  se  contient  hardiement. 

Sire'  fet  Renarz,   'or  oez, 
240    Por  dieu  ne  vos  en  gramoiez: 

Que  je  n'ai  mie  si  grant  tort. 

Se  g'en  dévoie  avoir  la  mort, 

S'en  irai  ge  parmi  le  voir  : 

Bien  le  vos  doi  fere  savoir. 
245    Quant  je  vos  oi  l'autre  an  guéri 

Du  mal  dont  vos  vi  esmari, 

Yostre  merci  molt  me  amastes. 

En  baillie  me  conmandastes 

Que  garde  fusse  de  vo  terre, 
250    Penasse  moi  de  vo  preu  querre. 

Ge  porchacoie  vo  besoigne. 

Je  m'en  issi  fors  de  vergoigne 

Touz  fameilleus  et  alassez, 


219 


XXIII  287 


Que  meinz  pas  oi  ce  jor  passez: 

255    Ving  a  l'ostel  Gonbert  du  Fraine, 
Qui  meint  mal  porchace  et  amaine. 
De  vostre  part  bel  li  priai, 
Conques  ne  le  contraliai, 
Qu'ilec  me  lessast  osteler: 

'200    Nuiz  ert,  ne  savoie  ou  aler, 
Por  vos  me  donast  a  menger. 
Il  me  fist  molt  mon  sens  changer, 
Molt  m'en  escondist  laidement 
Et  molt  contralieusement 

205    Dist,  u'àmoit  tant  ne  vos  ne  moi, 
Que  por  vos  feïst  ce  ne  quoi. 
Un  poi  vers  lui  me  redrecai. 
De  vostre  part  le  menaçai. 
Dis  li  qu'a  vos  me  clameroie, 

270    Ne  James  jor  ne  l'ameroie  : 
Ainz  li  querroie  son  damage. 
Mes  il  ot  molt  félon  corage 
Et  dist  "por  ton  seignor   anuit 
Te  liverrai  si  mal  conduit 

275    Que  tu  seras  bien  chapigniez." 
Touz  ses  gaignons  a  apelez, 
Ses  me  hua  après  la  queue. 
Chacer  me  durent  maie  voie. 
Je  ne  me  poi  pas  retorner. 

280    Bon  pas  me  firent  retorner: 
Ainz  fu  sailli  sor  une  roche. 
La  fui  toz  quoiz  a  close  bouche. 
Onques  n'osai  un  mot  tentir 
Duques  les  chiens  vi  départir. 

285    Si  se  râlèrent  en  maison. 
Celé  nuit  oi  maie  saison. 
Por  vos  me  fist  on  tant  de  biens, 
Que  de  cort  fu  chaciez  a  chiens. 
Honte  m'a  fet  et  vos  greignor, 

290    Qui  reclamoie  a  seignor. 

254  passe 


288  xxui 

Volenters  li  feïsse  ennui, 
Venjasse  vos  du  cors  de  lui 
Plus  volenters  que  de  Favoir, 
Se  g'en  peiisse  leu  avoir. 

20")    Et  lendemain  la  matinée 
Encontrai  ge  dame  Coupée, 
Que  danz  Gonberz  avoit  molt  ohi 
Ele  meïsme  estoit  fiere. 
Vilainement  me  ramposna. 

300    Apres  a  moi  s'abandona, 
Se  ge  mal  li  osoie  fere. 
Ge  ne  m'en  pooie  retrere.* 
Por  son  seignor  s'aseûroit, 
Ca  defors  la  cort  pasturoit. 

305    Mes  maltalent  m'ot  sormene 

Por  Gonbert  que  m'ot  mal  mené. 
Por  fornir  vostre  mandement 
Cueilli  ge  greignor  liardement. 
Un  petit  venjoi  vostre  honte. 

310    De  ce  que  amendise  monte. 
Se  riens  i  a  de  mesfaiture, 
Vostre  est  la  cort  et  la  droiture. 
Se  vos  por  ce  me  fêtes  mal, 
N'aurez  serjant  ne  seneschal 

315    Qui  per  vo  prou  a  porchacier 
Osast  un  vilain  corroucier. 
Ne  Chantecler  ne  lie  je  mie. 
S'il  prent  sor  lui  la  felonnie. 
Bien  l'en  ferai  amendement 

320    Au  los  de  toute  vostre  gent.' 

'Par  mon  cliief  le  lyon  a  dit, 
'Or  me  regrieve  du  despit 
Que  li  vilains  ne  me  douta. 
Qui  mon  serjant  me  débouta, 

325    Et  volt  fere  a  ses  genz  menger. 
Auques  me  deiist  resoigner. 
Viiv  ma  barbe,  se  g'en  ai  aise. 


301   frère     30G  jjronhert 


XXIII  289 


Je  l'en  ferai  estre  a  malaise. 
Mes  Chantecler  par  tel  déserte 

3:30    N'en  deûst  pas  avoir  la  perte. 
Barons,  s'en  faites  vostre  esgart, 
Comment  li  amende  Renart,' 
Dient  li  autre  'nous  feron. 
Baron,  entendez  que  diron.' 

iW)        Bruns  li  ours  est  en  piez  levez, 
A  poi  qu'il  n'est  de  duel  crevez. 
Quant  li  rois  ne  destruit  Renart 
Et  qu'il  est  auques  de  sa  part. 
'Sire,  sire'  dist  Brun  li  ours, 

340    'De  dieu  soit  guérie  vo  cors 
Et  li  sires  qui  la  maintient, 
Quant  si  bone  justice  tient. 
S'il  vos  plest,  sire,  or  me  vengiez 
De  ce  que  si  fu  ledengiez, 

.340    Quant  m'envoiastes  por  Renart 
A  Malpertuis  a  son  essart. 
Par  lui  fui  ge  tel  conreez 
Con  vos  veïstes  et  veez. 
Ce  ne  porroit  il  pas  noier  : 

350    Ja  m'en  verroit  gage  ploier. 
Envers  son  cors  le  mosterrai 
Que  vif  ou  mort  le  requerrai.' 
'Mostrez'  dist  Renart,  'diex  i  vaille 
Ci  auroit  ja  povre  bataille  : 

.3.')')    Que  vos  estes  et  granz  et  fors 
Et  ge  ai  ci  molt  petit  cors. 
Si  sui  molt  povres  et  menuz 
Et  si  sui  toz  viex  et  chanuz. 
Ja  qui  cest  plet  vos  loeroit, 

nfiO    Certes  vo  pris  n'i  acrestroit. 
Ne  ving  pas  por  bataille  faire, 
Restroie  en  Roonel  le  maire. 
Ge  vieug  parler  a  monseignor. 
Por  dieu  li  pri  et  por   s'amor 


333  nou  f.     335  runs     362  Reateroi 

RENART  n.  19 


290  XXIII 

365    Qu'il  me  mainteigne  a  feeute 

Et  qu'il  i  g-art  sa  loiaute.' 

'Renart,  Renart'  ce  dist  li  rois, 

'Par  mon  chief,  ce  fu  grant  desrois, 

Quant  mon  mesage  laidenjastes. 
870    Lez  et  seignanz  les  m'envoiastes, 

Brun  l'ours  et  dant  Tybert  le  chat. 

Je  n'en  prendroie  nul  rachat,  M  75 

Se  par  nos  avoit  este  fait, 

Que  morz  ne  fussiez  entresait.' 
375        'Ostez,  sire  :  ne  créez  onques  !' 

Por  amor  deu,  créez  vos  donques 

Que  je  fusse  si  forsenez 

Ne  par  deable  si  menez 

Que  ne  servise  jusqu'as  piez 
380    Message  que  m'envoissiez? 

Je  vos  dirai  une  reson. 

Yoirs  fu.  Bruns  vint  en  ma  meson, 

Si  dist  que  vos  me  mandiez 

Et  a  vo  cort  m'atendiez. 
385    Ce  ne  sai  ge,  se  voir  m'a  dit  : 

Onques  ne  vi  seel  n'escrit. 

Puis  me  proia  por  dieu  du  ciel. 

Se  ge  Savoie  point  de  miel, 

Que  je  un  petit  l'en  douasse 
390    Ou  la  ou  il  est  le  menasse. 

Je  l'i  menai  molt  volenters 

Et  par  broces  et  par  senters, 

Tant  que  venimes  a  chatoire 

Ou  Bruns  devoit  menger  et  boivre. 
395    Espoir,  si  le  poindrent  les  es  : 

C'ainc  par  moi  ne  fu  adesez.' 

'Bruns'  fet  li  rois,  'toucha  vos  il?' 

'Il  me  toucha  certes  nenil. 

Mes  il  sot  bien  la  traïson 
400    Dont  remanoir  dui  en  prison.' 

'Qui  deable'  dist  Renart,  'ge? 


dessrois    370  le     386  ne  escrit 


.KXTIT  291 

Dan  Brun,  por  quoi  dites  vos  ce? 

Quant  vos  vodrez,  vos  direz  miex. 

Maie  honte  li  doint  hui  diex 
405    Et  mal  flambe  le  cors  arde 

Qui  aine  de  ce  se  donoit  garde.' 
l^ar  foi'  dist  Bruns,  'merveilles  dites. 

Et  por  ce  quidez  estre  quites  ? 

Yos  deïstes  du  tronc  fendu 
410    C'un  vilain  i  avoit  tendu, 

Que  ce  estoit  une  chatoire.' 

'Vos  ot  il  ce  fet  a  acroire  ?' 

'Cou  ert  un  trons  ou  miel  avoit. 

Sire,  Lanfrois  bien  l'i  savoit 
41.')    Par  qui  fustes  contraliez. 

Plus  en  fui  ge  dolenz  que  liez, 

Et  se  ge  aider  vos  peiisse. 

Gel  feïsse,  se  jel  seiisse. 

Mes  por  aquerre  vostre  amor 
420    Yos  en  ferai  ge  tant  d'onnor, 

Yolenters  jurerai  tos  sainz 

Que  par  moi  nu  sot  li  vilains  : 

Ainz  me  poise  de  vostre  ennui. 

Sachiez  que  toz  honteus  en  sui, 
42')    Por  ce  que  je  vos  i  menai, 

Mavesement  vos  assenai. 

Yos  aiderai  bien  a  venger. 

Se  le  vilain  puis  laidenger. 

Apres  esgardent  cil  seignor 
4.^0    Et  li  petit  et  li  greignor, 

Qui  preudome  sont  et  loial 

A  droit  siéent  el  banc  roial. 

Comment  jel  vos  amenderai, 

.Ta  contredit  n'en  esserai.' 
48;')         Brun'  fet  Frumanz,  'il  dit  assez. 

Et  vos  estes  toz  respassez. 

Ne  prenez  chose  si  en  grief, 

Que  puist  torner  a  grant  meschief. 

Qui  toz  ses  deuls  venger  voudra, 
440    Ja  ce  sache,  bien  n'eu  vendra. 

19* 


292  XXIII 

Si  vos  a  trop  coste  au  mire, 

Si  vos  aïst  d'une  paitie. 

Ferme  conseil  et  bon  prenez, 

Que  touz  mesfaiz  soit  pardonez. 
44;')    Si  vos  rnetez  en  nostre  esgart.' 

'Voir  ge,  sire:  de  vostre  part, 

Frumans'  fet  Bruns,  'molt  estes  preus. 

Si  je  le  tenoie  a  ces  greus, 

Por  qu'il  noiast  la  traïson, 
450    N'auriez  pris  a  terre  un  tison 

Si  tost  con  je  l'auroie  mort,' 

'Bruns'  fet  Frumans,  'vos  avez  tort, 

Qui  tel  parole  maintenez  : 

Que  de  tel  chose  vos  penoz 
43.')    Qui  devant  aoust  n'avendra. 

Renart  a  la  pes  se  rendra. 

Il  n'est  mie  si  desreez 

Ne  por  cest  plet  si  effreez 

Qu'il  face  bataille  envoisie 
400    Qui  encor  ne  li  est  jugiee. 

Trop  malement  en  artilliez. 

Avez  tesmoinz  apareilliez 

Qui  de  ce  porteront  tesmoing 

Que  vos  veïssent  au  besoing 
4(;r)    Ou  Renart  vos  fist  ceste  lionte?' 

'Quels  tesmoinz'  respont  Bruns  'i  monte? 

Dont  ne  fu  li  sanz  aparanz 

Qui  par  tesmoing  me  soit  guaranz?' 
'Bruns'  dist  le   singes  Cointeriaus, 
470    'Dont  est  bien  vostre  li  meriaus. 

Se  por  ce  desresnie  avez, 

Por  neent  vos  estes  levez, 

A  dieu  beneïcon  ce  soit! 

Vos  me  barrez  de  quoi  que  soit, 
475    Puis  vos  serez  ensanglantez 

Ou  vos  meïsme  esgratinez  : 

Puis  direz  que  je  l'aurai  fet. 


464  besoig    468  tesmoig     477  lauen 


XXIII  293 

S'en  amenderai  le  mesfet 

De  chose  qui  n'est  conneiie 
•ISO    Ne  de  nus  fors  de  vos  seiie? 

Lessiez  ester,  qu'estre  ne  pu  et. 

Autre  parole  vos  estuet. 

Rcnarz  s'en  est  bien  deschargiez, 

Qu'ainz  par  U  ne  fustes  touchiez 
J85    Et  bien  l'avez  en  cort  connut.' 

A  ces  paroles  Bruns  se  tut. 

Pensa,  ne  puet  avoir  durée. 

Sa  raison  a  amesuree. 

'Biau  seignor'  fet  il.    or  m'oez. 
490    Por  ce  que  si  biau  m'en  proiez, 

Et  a  graut  honte  morir  doit 

Qui  a  la  foiz  conseil  ne  croit, 

Ne  vucil  vers  vos  tant  estriver 

Ne  mon  mautalent  alever: 
4ÎI5    Que  en  vostre  esgart  me  métrai 

Et  a  vo  los  me  contendrai.' 
'Bien  est  ainsi'  fet  li  lions. 

'Renart,  se  nos  vos  afions 

Et  vos  les  raaus  nos  porchaciez, 
ôW    Nos  vos  en  béons,  ce  sachiez. 

A  vos  tramis  Tybert  le  chat. 

M  oit  se  plaint  de  vostre  barat. 

Par  vos  fu  il  au  laz  penduz 

Que  ne  sai  ou  estoit  tenduz. 
505    Encore  en  est  toz  corrouciez.' 

Lors  s'est  Tybert  en  piez  dreciez, 

Puis  que  li  rois  por  li  parole. 

Vers  Renart  a  la  teste  mole: 

Molt  durement  le  redouta 
010    Por  l'escharpel  ou  le  bouta. 

Ne  ja  se  li  rois  s'en  teiist, 

La  parole  n'en  osmoiist. 

Que  j'ai  oï  et  escoute 

C'on  a  tant  sachie  et  boute 
515    Que  Renart  s'en  va  au  deseure. 

Bon  taire  feïst  a  ccle  eure.  M  70 


294  XXIII 

En  piez  est  enmi  la  meson, 
Si  a  conmencie  sa  reson. 
'Sire   ce  dist  Tybert  au  roi, 

5-2U    'Molt  par  fist  Renart  grant  desroi, 
S'il  savoit  la  descovenance, 
La  ou  me  fist  la  mesestance: 
Que  par  son  conseil  i  alai^ 
Ou  trou  conmc  fox  avalai 

5-J5    Ou  je  fui  pris  au  laz  corant. 
Mes  le  prestre  lessai  constant. 
Sanz  m'envie  se  degratoit 
Et  sa  putain,   qui  me  batoit 
A  deus  mains  de  sa  grant  quenoille. 

53U    Por  ce  q'as  denz  tranchai  la  coille, 
Tôt  lessai  le  prestre  effree. 
Tel  fussent  ore  conree 
Tuit  li  prostrés  qui  famés  ont, 
S'en  lor  ostex  lor  dames  sont. 

535    Renart  me  het  de  viez  haïne. 
Molt  est  dure,  encore  ne  fine: 
S'est  la  rete  por  un  charpel, 
Ou  l'autrier  dut  lessier  la  pel: 
Par  maie  aventure  i  cheï. 

540    Sus  me  mist  que  je  le  traï. 

Mes  voir,  non  fis,  se  diex  me  voie. 
Onques  n'en  soi  ne  vent  ne  voie. 
Cist  mesfait  soit  contre  celui: 
Sel  me  pardoint  et  je  a  lui. 

545    S'einsi  le  voloit  otroier, 

Sire,  vos  en  vueil  ge  proier 
Que  vos  le  conmandez  de  bot,    • 
Que  cist  baron  l'en  prient  tôt.' 
Or  entent  Renart  ceste  pes 

550    Li  torne  auques  a  la  pais. 
Or  est  si  liez  q'ainz  ne  fu  si. 
'Renart,  loez  le  vos  ainsi' 
Ce  dist  li  rois,   con  Tybert  fet? 


527  mëniese  d,   537  par    538  dui    54'J /««<  il  lire  que  cest  plais  V 


xxm  295 

Je  vos  pardone  le  mesfet. 
555    N'ai  soing  a  tendre  a  desreson 

Sus  vos  ne  sor  autre  baron.' 

'Faites,  Renart!'  tuit  11  escrient. 

Ne  puet  muer  que  il  n'en  rient. 
'Sire,  sire'  Renart  respont, 
560    Qui  sa  parole  bien  cspont, 

Tybert  a  molt  vers  moi  mespris. 

S'il  m'avoit  fet  encore  pis, 

Si  le  voussisiez  bien  a  certes, 

S'en  soufferroie  gc  les  pertes. 
565    Biau  sire,  vostre  loement 

Vueil  ge  fere  molt  bonement 

Et  ce  que  cist  baron  m'en  prient.' 

'Voire  voir,  Renart'  cil  escrient. 

'Seignor,  n'auroie  soing  de  guerre  : 
570    Ainz  vodroie  la  pes  a  querre. 

Si  ostroie  très  bien  la  pes. 

Et  loez  vos  que  je  le  bes';^' 

'Oïl,  oïl,  tôt  pie  estant!' 

Entrebesie  se  sont  atant. 
575    La  pes  est  fête  de  ces  deus: 

Entre  autre  gent  la  mete  dex! 
Or  sont  et  claim  et  respont  fait. 

Li  rois  a  respitie  le  plait. 

'Seignors'  fet  il,  'or  m'entendez, 
580    Qui  les  droiz  fêtes  et  prenez, 

Et  ceus  qui  doivent  atirier. 

Je  ne  vos  veil  pas  empirier. 

Alez,  fêtes  primes  esgart 

D'entre  Ysengrin  et  Renart. 
585    Vis  m'est,  Renart  en  sa  raison 

Reste  Ysengrin  de  traïson, 

Et  Ysengrins  lui  de  faillance 

Qui  li  failli  de  covenance. 

Partissiez  si  bien  l'aventure 
5yo    Que  chascuns  en  ait  sa  droiture, 

563  le  v'ioussisiez    575  deuls 


XXIII 

Ap«'ez  jugiez  do  Chantecler, 
Con  Renart  li  doit  amender 
La  moït  de  ma  dame  Coupée, 
Qui  l'autre  jor  fu  enterrée. 

ô!)5    Et  s'esgardez,  comment  soit  prise 
Por  Brun  de  Renart  l'amendise. 
Fêtes  cest  esgart,  dan  Platcl, 
Et  vos,  misire  Cointerel! 
Avec  soit  Brichemer  li  cers 

(iOO    Et  li  taisons  sire  Grinberz. 
Si  voil  que  i  voist  le  liepart. 
Si  faites  si  loial  esgart 
Que  chascun  ait  bien  sa  raison 
Selonc  le  droit  de  ma  mesou. 

600    Je  vos  conjur,  le  serement 
Que  me  feïstes  loiaument. 
Faites  si  q'ennor  en  aiez 
Et  que  nos  aions  bone  pcs. 
Et  s'il  i  a  controuverie, 

610    Sivez  en  la  greignor  partie.' 
Atant  li  cinc  s'en  lievent  sus. 
En  une  chambre  vont  ensus. 
S'or  estoit  creiiz  Brichemers 
Et  que  de  toz  en  fust  loez, 

615    La  corroie  seroit  vengie 

Qui  sor  le  dos  li  fu  tranchie. 
Seignors'  ce  dist  Platiaus  li  dains, 
'Oï  avez  respons  et  clains. 
Li  rois  vos  aime  tant  et  prise, 

6-_'0    Sur  vos  a  la  parole  assise. 
Or  i  esgardons  nostre  honor! 
A  l'onorance  no  signer 
Faisomes  tant  qu'en  nos  en  lot: 
Que  qui  soi  pert  d'autrui  ne  jot. 

625    Yscngrins  s'est  plains  voirement 
De  ce  qu'il  velt  son  serement 


51)1   jugiez  manque      601    lici)iirz       602  osgarz      6"25  s'  manque 
cel 


xxiii  297 

Esgardous,  se  vos  le  loez 

Et  por  voir  dire  le  pocz, 

Qu'il  li  face  devant  le  roi 
630    Tôt  sanz  orgueil  et  sanz  desrui. 

Si  soit  la  pes  sanz  contredit,' 

Dist  Brun   Platiaus,  bien  avez  dit.' 
Ce  dist  li  singes  Cointeriaus 

'Cist  jugemenz  est  trop  isniaux. 
635    Que  direz  vos  dont  de  la  reste 

Que  Renart  sor  Ysengrin  giete? 

Je  di  par  droit  que  premerains 

Li  escondie  cil  as  sainz: 

Que  traïson  c'est  lede  chose, 
640    Molt  est  hardiz  qui  faire  l'ose.' 

'Par  mes  ieulz'  ce  dist  li  lieparz, 

'Miex  me  contieng  que  cist  esgarz 

Et  je  le  lo  très  bien  ainsi.' 

Dist  Grinbert  'et  je  autresi.' 
645    A  ce  dit  se  tienent  li  troi 

Et  li  dui  sivent  lor  ostroi. 

Ce  dist  li  cers  'gardons  après, 

(Si  m'aïst  diex,  il  se  va  près, 

Puis  que  nos  somes  ci  ensenble, 
650    Que  je  ne  di  ce  que  moi  senble) 

Cornent  Renarz  doit  amender 

La  mesfaiture  Chantecler'. 

Respont  Grinbert  'dites  le,  sire  ! 

Autresi  l'avez  vos  a   dire.' 
655     Dont  di  ge  por  bien  et  por  droit 

Que  tôt  sanz  respit  orendroit 

Devroit  estre  Renarz  desfait 

Por  l'omicide  qu'il  a  fait. 

As  forches  en  doit  penduz  estre 
660    Au  meins  ou  perdre  le  pie  destre  M  79 

Que  connut  a  la  felonnie. 

Apres  le  clain  nel  noia  mie. 

Molt  me  senble  qu'il  s'est  mcsfaiz. 


632  PlatiausJ  Renart    639  Icdcdo    660  prendre 


298  XXIII 

Ensorquetot  il  a  la  pais, 

665    Que  11  rois  a  jurée,  enfraite.' 
Li  singes  a  la  langue  traite. 
Si  li  fait  moe  par  derrière. 
Puis  parole  en  tel  manière 
'Danz  Bricheraer,  loez  le  yoz?" 

67U    'Oïl,  voir,  Cointerel;  et  vos?' 
'Or  me  senble  que  soiez  yvres. 
Qui  me  donroit  deus  mille  livres, 
Ne  diroie  je  tel  parole 
Devant  le  roi,  que  ele  est  foie, 

675    Qu'en  jugera  si  haut  baron 
A  pendre  con  autre  larron, 
Nis  mesmement  serjant  le  roi. 
Ja  qui  devant  lui  tel  desroi 
Dira,  ja  gre  ne  l'en  saura 

68U    Ne  ja  miex  ne  l'en  amera. 
Dont  n'oï  ge  que  Renarz  dist 
Que  por  le  roi  venger  le  fist. 
En  quel  servise  est  ledengiez? 
Droiz  est  que  miex  l'entegniez. 

685    Bien  me  senble  que  se  soit  droiz 
Ce  que  Renarz  fist,  port  li  rois, 
Puis  qu'en  son  servise  le  fist. 
Se  plus  grant  merveille  feïst, 
Dont  on  li  deûst  fere  anui, 

690    Doit  li  sires  prendre  sor  lui. 
Si  ne  jugiez  mes  del  desroi. 
Li  jugemenz  iert  sor  le  roi. 
Bien  me  senbleroit  a  droiture 
Que  por  ceste  mésaventure 

695    Por  Chantecler  qui  m  oit  est  preuz 
Et  por  la  pes  mètre  entr'eus  deus, 
Que  Renart  l'en  feïst  homage 
En  l'onorance  del  damage. 
La  pes  me  senble  ainsi  plus  biax.' 

700    'Dant  Cointerel'  ce  dist  Platiax, 


672  m  ft-    683  cstj  fu     684  Icntt-giez     686  por 


XXIII  299 


'Vo§  alez  auques  près  de  bien. 
Mes  ce  ne  loe  ge  de  rien, 
Que,  se  li  rois  a  son  serjant 
Un  petitet  maliciant, 

705    S'aucuns  n'a  son  aaisemout 
De  faire  son  comandement, 
Que  li  vassaus  por  ce  l'ocie 
Par  le  pooir  de  sa  mesnie. 
Mes  s'aucun  li  fait  deshonor, 

710    Mostrer  le  doit  a  son  seignor: 
Li  sires  preigne  la  venjance 
A  son  gre  de  la  mesestance. 
Issi  me  senble  la  droiture.' 
Grinbert  qui  de  ce  n'avoit  cure 

715    Et  ot  este  a  bone  escole, 
Li  a  rescousse  la  parole. 
'Avoi'  dist  il,  'sire  Platel! 
Un  poi  nos  prestez  le  batel 
Et  vostre  parole  avalez. 

720    De  tant  selonc  l'araisonez 
Que  nului  ne  doit  on  tuer. 
Amors  de  seignors  puet  muer. 
Mes  on  dist  (si  le  savez  bien) 
Qui  moi  honore,  et  mon  chien. 

7'25    Or  por  les  sainz  qui  sont  a  Rome, 
S'iere  serjanz  a  un  riche  home, 
Sa  terre  m'aura  conmandee 
Qui  par  moi  soit  très  bien  gardée. 
Et  se  nus  i  fait  mesprison, 

730    Ne  remaigne  sanz  venjoison. 
Puis  me  fera  aucun  laidure 
Qui  de  m'amor  n'avéra  cure, 
Moi  et  mon  seignor  dcspira 
Et  moi  noient  ne  prisera, 

735    Je  porrai  venger  le  médire. 
Puis  si  Icre  monscignor  dire. 
Dont  sui  gc  por  noient  assis. 
N'est  sages  hom,  ce  m'est  avis, 
Et  la  pais  garder  de  la  terre 


300  xxili 

740    Et  a  l'onor  mon  seignor  querre, 
Qui  me  dit  honte  ne  mesfait, 
Monseignor  meïsmes  le  fait. 
Et  Chantecler  n'en  noia  mie 
Que  li  \ilains  par  félonie 

745    Et  Coupée  tôt  sanz  respit 
N'eussent  le  roi  en  despit.' 
Dist  Brichemcr   de  ce  le  vi 
Ne  trait  noient  chascuns  a  lui, 
Li  sires  son  talant  fera, 

750    For  son  home  nel  lessera.' 

Grinbert  respont  Voir  dites,  sire. 
Mes  vos  avez  bien  oï  dire, 
La  truie  fet  sovent  les  maus 
Dont  les  pucelcs  sont  novaus. 

755    For  mon  haterel,  se  ge  puis, 
N'en  iert  oan  serjanz  destruiz 
Par  mon  dit  ne  par  mon  otroi. 
Qui  soit  ou  servise  le  roi, 
Tant  i  face  ne  droit  ne  tort. 

760    Li  rois  nel  het  mie  de  mort. 
Qui  l'a  toz  jorz  molt  bien  servi. 
Ne  doit  mie  avoir  deservi 
C'en  le  destruie  por  tel  fet. 
Autres  afaires  i  estuet, 

765    Autre  conseil  vos  convient  prendre. 
Que  de  Renart  jugier  a  pendre.' 

Seignor,  seignor'  dist  li  lieparz, 
'Ci  affiert  auques  grant  esgarz. 
Molt  vos  ai  oï  estriver 

770    Et  vo  mautalanz  aviver. 

N'ose  Renart  sauver  de  bout 
N'a  mort  jugier  du  tôt  en  tout 
Por  ce  qu'il  est  serjanz  le  roi. 
Et  por  l'omicide,  ge  croi, 

775    Qui  a  la  pais  le  roi  despite. 
Ne  l'ose  fere  du  tôt  quite. 

747  ?      754  Faut  il  lire  1).  1.  porcels  sont  tôt  novaus? 


XXIII  301 

Si  vos  dirai  c'on  en  puet  faire. 

Metons  sor  le  roi  cest  afaire 

Qu'il  en  face  le  sien  talant. 
780    Si  n'aurons  pas  son  mautalent. 

De  Brun,  qui  de  Renart  se  plaint, 

Molt  le  veïsraes  pale  et  taint  : 

Il  li  met  sus  qu'il  le  trahi 

Au  tronc,  quant  il  li  mescheï, 
785    Ou  sire  Renart  le  mena. 

Por  ce  que  il  tesmoinz  n'en  a, 

Renart  li  escondit  as  sainz: 

Si  soient  ami  conme  ainz. 

Ce  est  li  miex  que  ge  i  voie. 
790    Sivrez  me  vos  de  ceste  voie  ?' 

Dist  Brichemer   nos  le  loons. 

Puis  qu'amender  ne  le  poons. 

Alons  avant:  sire  liepart. 

Devant  le  roi  dites  l'esgart!' 
793        Repairie  sont  ou  mandement 

Ou  li  rois  tient  son  jugement. 

Li  liparz  enmi  la  meson 

A  conmenciee  sa  reson. 

'Sire  rois'  fet  il,   or  oiez  ! 
800    Je  dirai,  se  vos  l'otroiez, 

Les  esgarz  que  nos  avons  faiz 

Au  conformément  de  la  pais.' 

Respont  li  rois  jel  vos  otroi. 

Bien  le  voil  et  conmant  et  proi.'  31  78 

805    Esgarde  avons  voirement, 

Renarz  face  le  serement 

Ysengrin  si  con  il  dut  faire 

Conme  Roonel  en  fu  maire. 

Mes  por  le  roi  asseiirer 
810    Convient  ainz  Ysengiin  jurer, 

La  traïson  ne  fist  ne  seut, 

Dont  Renart  maie  aventure  eut. 

De  maufaire  sont  arrarai, 

804  conment 


302  XXIII 

D'ore  en  avant  soient  ami. 

815    Et  de  Renart  que  dans  Bruus  rete 
Et  traïson  sor  lui  degiete, 
Renart  as  sainz  escondira 
Qu'il  ne  le  sot  ne  atira. 
Si  soit  d'ans  deus  faite  la  pais 

820    Qu'el  ne  renouvelé  jamais. 
Mes  de  l'afaire  Chantecler 
Vos  di,  ne  veons  mie  cler 
Ne  n'osons  dire  (ce  sachiez) 
Que  Renart  soit  a  mort  jugiez 

825    De  l'omicide  qu'il  a  fait, 

Por  ce  qu'a  garant  vos  en  trait. 
D'autre  part  ne  poons  trover 
Sa  délivrance  ne  prover 
Por  la  pes  que  il  a  faussée, 

8.S0    Qu'avez  plevie  et  affiee. 
Atant  nos  en  volons  taisir 
Et  vos  en  faites  vo  plaisir.' 

'Nos  em  parlerons'  fet  li  rois  : 
'Que  tant  est  Chantecler  cortois 

8B5    Qu'il  en  esgardera  mesure 

Et  par  raison  prendra  droiture. 
Ce  sachiez,  por  nului  tenser 
Ne  vueil  mon  serement  fausser. 
Sus  Chantecler  met  cest  afaire, 

840    Qui  en  soit  justicier  et  maire 
Et  il  regart  que  tant  en  face 
Dont  moi  et  autre  gre  l'en  sache. 
Très  bien  li  affi  loiauraent 
Qu'en  en  fera  son  bernent. 

845    Or  se  conseult  de  l'amendise, 

Conment  il  velt  qu'ele  soit  prise. 
Si  façon  ci  les  sainz  venir, 
Et  li  autre  por  pais  tenir 
Soient  prest  de  lor  serement 

850    Et  sivent  lor  ostroiement.' 


840  iusticiere 


xxiri  308 

Li  cos  a  la  parole  oie. 

De  ce  qu'il  ot,  le  roi  mercie, 

La  teste  en  a  vers  lui  clinee. 

Dame  Pinte  a  apelee 
855    Et  ma  dame  Rosse  acenee: 

A  son  conseil  andeus  les  maine. 

Aporte  sont  li  saint  atant. 

Et  li  baron  sont  en  estant, 

S'ont  lor  pais  faite  et  atiree 
860    Si  con  on  lor  ot  esgardee. 

Chantecler  est  a  son  conseil 

Qui  molt  en  est  en  grant  esveil. 

Pinte'  fet  il,  'que  me  loez 

De  cest  conseil  que  vos  oez? 
805    Que  diron  nos  de  l'amendise 

Qui  de  Renart  est  sor  nos  mise? 

Morte  est  vo  suer  dame  Coupée. 

Mort  ne  puet  estre  recovree. 

Pardonons  li  la  mort  por  l'ame, 
870    Que  diex  ait  merci  de  la  dame.' 

'Coi'  dist  Pinte,   quel  la  ferez? 

La  mort  ma  seror  pardonrez. 

Que  tant  amai,  dame  Coupée? 

Ja  me  verrez  de  duel  pasmee.' 
875         'Pinte'  fet  Rosse,  'or  m'entendez  ! 

Por  dieu,  bon  jugement  prenez 

De  Coupée  vostre  seror. 

Puisqu'avons  le  gre  du  seignor, 

Nos  le  devons  molt  bien  grever, 
■  880    Pesons  au  moins  ses  eulz  crever 

Ou  il  perde  les  piez  andeus. 

En  toutes  corz  soit  mes  honteus.' 

Fait  Pinte  'Rousse  dit  merveille 

Qui  en  tel  guise  me  conseille 
885    Con  de  Renart  desfigurer. 

James  ne  nos  lairoit  durer. 

S'il  sanz  mort  remanoit  en  vie  : 


852  li  rois     855  Ma  d.  r.  et  a.     864  De  co  cest 


304  XXIII 

Que  molt  est  fel  et  plains  d'envie. 

S'est  molt  sages  et  veziez  : 
890    Tost  se  seroit  de  nos  vengiez. 

Par  mon  chief,  ce  n'est  pas  mes  los. 

11  a  trait  le  plus  cort  des  loz, 

Si  est  cheiiz  en  no  manede. 

Bien  li  devons  or  fere  lede. 
89.')    Je  l'otroi  bien  qu'il  soit  penduz, 

Por  prière  ne  soit  reuduz. 

Par  le  haut  seignor  qui  ne  ment, 

Se  vos  le  fêtes  autrement, 

James  mes  amis  ne  serez 
900    Ne  ma  croupe  ne  chaucerez.' 

Or  ot  Chantecler  que  s'amie 

A  Renart  ne  pardonra  mie 

La  laidure  qu'il  lor  a  faite. 

Tel  parole  li  a  retraite 
90j    Que  James  jor  ne  l'amera 

Tant  conme  Renart  vivera. 

Miex  li  vient  il  que  Renart  muire. 

Quant  s'amie  le  velt  destruire, 

Qu'il  la  perdist  d'ore  en  avant. 
910    Bien  ont  famés  les  dez  avant: 

Otroiez  li  quanqu'ele  velt. 

Mes  neporquant  le  cuer  en  deuU. 

Atant  ont  lor  conseil  fine. 

Renart  i  ont  mal  encline 
9ir)    Qu'il  cuidoit  avoir  bone  pais. 

Mes  autrement  torne  li  plais. 

Du  conseil  repèrent  tuit  troi 

Si  sont  venu  devant  le  roi. 

Molt  se  tint  enbruns  Chanteclers. 
9-20    Piteus  fu  molt  li  bachelers. 

Les  larmes  li  moilleut  la  face, 

Desous  ses  ielz  i  pert  la  trace. 

As  piez  le  roi  s'est  aploiez. 

Puis  est  li  conseulz  desploiez. 


922  Desus 


XXIII  305 

925    Ce  co vient  il  que  devant  viegne. 

'Sire'  fait  il,  'diex  vos  maintiegne, 

Que  grant  honor  m'avez  portée. 

Dame  Pinte  est  molt  amortee 

Por  sa  seror  qui  est  occise 
930    Et  velt  que  venjance  en  soit  prise. 

Volons  que  Renart  soit  penduz  : 

Trop  est  il  assez  atenduz. 

Mort  a  donnée,  mort  reçoive!' 

Or  trenble  Renart  plus  que  fueille, 
935    Quant  de  sa  mort  oï  plaider. 

Nus  ne  l'en  pooit  mes  aider. 

Li  rois  ot  fet  son  sairement. 

Qu'il  sivroit  lor  atirement. 

Nobles  s'en  est  en  piez  dreciez. 
940    Molt  durement  s'est  corrouciez. 

'Chantecler'  fait  il,  'tu  m'as  mort. 

S'as  vers  Renart  molt  félon  tort 

Qui  maint  biau  servise  m'a  fait, 

Mau  guerredon  l'en  ai  retrait. 
945    Ne  fausere  mon  serement, 

Que  trop  le  jure  asprement, 

Que  plus  te  quidai  debonaire. 

Si  feras  ce  qu'aras  a  faire.  M  79 

Mon  serement  aquiterai, 
950    Que  je  le  te  deliverrai.' 

Li  rois  a  apele  Renart, 

Si  li  a  livre  par  la  hart. 

Lors  voit  Renart,  qu'il  est  jugiez, 

Ne  puet  mais  estre  ostagiez. 
955    De  mort  ne  puet  avoir  treslue, 

Se  son  engin  ne  li  aiue. 

Porpensez  s'est  de  grant  voidic: 

Ne  lessera  qu'il  ne  le  die. 

Se  il  li  puet  valoir,  si  vaille. 
900    Senblant  a  fet  qu'il  ne  l'en  chaille. 
Rois'  fet  Renart,  'antent  a  mi. 


933  Fuiit  a  lire  reoueille? 
RENART   II  20 


306  XXIII 

Por  dieu,  parole  a  ton  ami 
Qui  servi  t'a  si  bonement 
Sanz  tricherie  loiaument. 

965    Bien  ai  porchacie  vostre  preu 
Tôt  la  ou  je  fere^  le  peu. 
Mon  vueil  fuisse  pieca  finez. 
Puis  que  si  mal  sui  destinez. 
Tant  ai  veseu,  toz  sui  chanuz. 

970    Or  sui  a  maie  fin  venuz. 
Se  morusse  de  bêle  mort, 
M'ame  en  eûst  plus  grant  confort. 
Ne  puet  estre  autresi  espris. 
Par  grant  pecliie  sui  entrepris. 

975    Se  g'eiisse  de  vie  espace, 
Molt  richement  vos  mariasse. 
Mes  soufrir  m'estuet  cest  martire. 
Ainz  que  ge  muire,  vos  vueil  dire 
Ce  que  rois  Yvoris  vos  mande. 

980    Molt  a  grant  chose  en  sa  conmande. 
Plus  a  de  terre  a  manburnir 
Dis  tanz  que  n'en  poez  fornir. 
Une  fille  a  molt  précieuse, 
Douer  la  vos  veult  a  espeuse. 

985    N'a  plus  hoirs,  sa  terre  avérez. 
Or  i  parra,  quel  la  ferez. 
Bien  vos  sai  dire  tel  novele, 
Q'en  tout  le  monde  n'a  si  bêle. 
N'est  beste  tant  con  terre  dure, 

990    Dont  ne  puist  prendre  la  figure. 
Molt  par  se  set  bien  tresmuer, 
Quant  ele  se  veult  remuser. 
Sire,  pensez  de  cest  afaire 
Que  cest  honor  puissiez  atraire. 

995    Se  bien  n'en  pensez  de  l'ovrer, 
Ja  tel  ne  porras  recovrer. 
S'il  n'i  avoit  autre  eritage, 
Mes  que  son  déduit  et  sa  rage, 
Sire,  si  t'en  doiz  tu  pener 

1000    Que  ci  la  puisses  amener. 


XXIII  307 


Por  quant  se  cloi  estre  essilliez, 
De  vosh'e  honor  seroie  liez, 
Pren  ton  mesage,  si  l'envoie, 
Ainz  qu'autre  se  mete  a  la  voie. 

1005    Se  encore  demain  vesquisse, 

Cest  porchaz  très  bien  vos  feïsse. 
Mes  fet  avez  vo  seremeut, 
Sel  tenez  trop  entièrement. 
Que  ce  nos  dit  sainte  escriture, 

1010    Qui  la  vérité  nos  espure  : 

On  fait  le  mal  por  pis  lesser, 
Por  bien  se  doit  la  lois  plessier. 
Et  si  trovons,  ce  m'est  avis, 
Que  meïsmes  li  rois  David 

1015    Qui  diex  ama  parfitement, 
Par  ire  fist  un  sairement 
C'un  home  ocirroit  sanz  respit: 
Ne  sai  s'il  l'avoit  en  despit 
Ne  por  quel  chose  il  le  haoit. 

1020    Mes  diex  li  dist,  péchiez  feroit: 
Qu'omicide  en  nule  mesure 
Ne  doit  estre  fet  sanz  droiture. 
Cil  crut  ce  que  diex  li  ot  dit 
Et  selonc  son  conseil  le  fist. 

1025    De  ce  que  diex  loe  un  afaire 
Qui  de  toz  est  sires  et  maire, 
Ce  doit  estre  m  oit  bien  tenu. 
Or  sommes  a  cest  point  venu, 
Se  ma  vie  vos  a  mestier, 

1030    Bien  poez  ma  mort  respitier. 
Péchiez  est  il  de  parjurer, 
Graindre  est  de  moi  deffigurer.' 

Quant  li  rois  oï  la  novele, 
Sachiez  que  auques  li  fu  bêle. 

10.35    De  tant  seulement  qu'il  oï, 
Molt  durement  s'en  esjoï. 
Or  parlera,  s'il  en  a  aise, 

1023  dist 


20" 


XXIII 

Qui  que  soit  let  ne  cui  il  plaise. 
Seignors'  ce  dist  Nobles  li  rois, 

1040    'Bien  esseroit  resons  et  drois 
Que  li  plus  grant  et  li  menor 
Par  tôt  porchasacent  m'onor. 
Tel  chose  m'a  Renart  ci  dite, 
S'en  cest  an  la  puis  avoir  quite  : 

1045    Et  se  ge  n'ai  ce  qu'il  m'a  dit, 
Dont  pris  ge  m'anor  molt  petit. 
Or  set  Renart,  ne  puet  durer. 
Que  je  ne  m'en  vueil  parjurer: 
Quel  de  vos  fera  la  mesage 

1050    A  Yvoris  du  mariage. 

De  par  moi  die  la  novele 

Qu'a  moillier  me  doint  la  pucele  ?' 

Mal  de  celui  qui  aine  deïst 
Du  mesage  qu'il  le  feïst  ! 

1055    Que  Yvori  ne  connoissoient, 
De  sa  terre  point  ne  savoient. 
Ne  sai  comment  il  la  seiissent 
Ne  quel  raalfe  dit  lor  eussent. 
Renart  meïsmes  nu  savoit, 

1060    Mes  le  roi  amuse  avoit: 
Tel  chose  li  faisoit  acroire 
Qui  ne  pooit  pas  estre  voire. 
Mes  si  le  vol  oit  enivrer 
Que  il  se  peûst  délivrer. 

1065        'Seignors'  fet  Nobles,   or  oiezl 
Molt  vos  ai  semons  et  proiez 
Que  me  feïssiez  cest  mesage. 
Mes  n'en  i  voi  un  seul  tant  sage 
Qui  du  fere  s'en  ost  vanter. 

1070    Et  vos  que  direz,  Chantecler? 
Se  vos  Renart  me  destruicz, 
Ou  mes  conseulz  est  apuiez, 
Cest  mesage  ferez  le  vos?' 
Tor  dieu,  sire,  gabez  me  vos? 

1038  let  manijne       1060  li  rois 


XXIII  309 

1075    Aine  ne  soi  ou  mest  Yvoris. 

Mes  Renart  qui  n'est  esbahis, 
^   Vos  fet  acroire  ce  qu'il  veult 

Issi  faitement  con  il  seult.' 
Renart  a  son  conte  abessie. 
1080    Le  parler  eiist  ja  lessie: 

Mes  nel  lera  si  faitement. 

'Sire'  fait  il,  'sanz  doutement 

Créez  ce  que  je  vos  ai  dit: 

Que  ge  ferai  sanz  contredit 
1085    Que  rois  serez  delà  la  mer 

Si  con  vos  estes  deçà  mer. 

Et  si  auroiz  feme  nobile: 

N'a  tant  bêle  jusqu'à  Sezille. 

S'ainsi  nel  faz,  se  ge  ai  vie, 
1090    Dedenz  cest  an  sanz  felonnie, 

Ostroi  que  je  soie  deffez. 

Ja  mar  en  ert  jugemenz  fez.'  M  80 

Ce  dist  Grinbert   il  dit  bien,  sire. 

Ja  ne  le  devez  escondire. 
1095    Je  le  preing  bien  por  lui  en  main. 

Mar  me  lerez  mie  de  pain 

Ne  fiez  ne  terre  a  tenir. 

Que  que  je  doie  devenir, 

Moi  meïsmes  metez  avant, 
1100    Se  Renart  ne  vos  tient  covant. 

Prenez  sor  vos  sa  forfaiture. 

Que  chaut,  s'en  vos  tient  a  parjure? 

Que  ja  ne  porriez  trover 

Qui  le  vos  doie  reprover.' 
1105    Li  rois  ot  le  besoing  estroit. 

Que  li  rois  li  conseille  a  droit. 

'Chantecler'  fet  il,  je  commant 

Et  si  vos  pri  con  mon  amant 

Que  ceste  mort  me  pardonez, 
1110    Tant  que  je  soie  coronez 

De  tel  honor  con  je  porchace. 


1106  Faut  il  lire  Que  Grimbcrs? 


310  XXIII 

Mes  une  chose  por  voir  sache, 
Se  mes  de  riens  vos  desdisoit, 
Touz  li  os  dieu  nel  gueriroit.' 

1115         Chantecler  ot  la  conmandie, 
Ne  set  conment  il  escondie 
Ce  que  li  rois  prie  et  conmande: 
Que  l'amendise  est  molt  grande, 
Puis  que  li  rois  le  velt  a  certes  : 

1120    Et  souffrir  li  convient  ses  pertes. 
Otrie  li  a  son  talant. 
Mes  tel  i  a  qui  sont  dolent. 
Qui  que  fu  lait,  Renart  fu  bel 
Et  le  singe  dant  Cointerel. 

11 '25    Mes  Pinte  en  fu  tote  dolente 
Et  Ysengrins  molt  se  démente. 
Mes  li  rois  Chantecler  mercie, 
Quant  il  a  sa  parole  oïe. 

'Grez  et  merciz'  ce  dist  li  rois. 

1130    'Renart,  Renart,  or  est  bien  droiz: 
Quant  de  mort  estes  aquitez, 
Vos  et  vostre  plege  aquitez  ! 
Si  porchaciez  bien  vostre  afaire.' 
Ce  dist  Renart  'bien  est  a  faire. 

1135    Mes  vo  letres  m'estuet  avoir 
Et  vo  seel,  que  por  avoir 
Nel  lerai  ge  que  je  n'en  quiere, 
Se  diex  done  que  je  ne  muire.' 
Li  rois  fet  ses  letres  escriro 

11 40    Et  fait  mètre  quanqu'il  vuelt  dire 
En  un  parchemin  de  veel. 
Renart  les  charge  o  son  seel, 
De  la  besoigne  molt  li  prie. 
Renart  quanqu'il  veult  li  otrie 

1145    Bien  alast  la  on  len  l'envoie: 

Mes  il  n'en  set  ne  champ  ne  voie, 
Tant  a  fait  qu'il  est  eschapez. 
S'il  puet,  il  n'iert  mes  atrapez 


1114  ors      1138  faut  il  lire  je  repère? 


XXIII 

En  cort  a  roi  jusqu'à  celé  eure 
1150    Que  il  iert  auques  au  deseure 

Et  qu'il  porra  chose  trover 

Dont  ses  anemis  puist  grever 

Et  en  la  cort  faire  tesanz 

Si  que  il  soit  au  roi  plesanz. 
1155         Atant  toute  la  cort  départ. 

Renart  s'en  torne  d'une  part 

Qui  a  cort  dut  estre  traïz. 

Revenuz  est  en  son  païs 

A  sa  famé  prendre  conseil 
1160    Qui  por  lui  est  en  grant  esveil. 

Por  lui  a  grant  joie  menée. 

Mes  molt  li  a  corte  durée, 

Que  tôt  li  a  conte  l'afaire. 

Ne  sevent  preu  a  quel  chief  trere. 
1165    Ce  dist  Renart,  guérir  ne  cuide, 

Se  trestot  le  païs  ne  wide. 

Porpensa  soi  dame  Hermeline, 

Qui  molt  par  fu  sage  meschine. 

Loe  li  a  que  s'escience 
1170    'V'elt  aprendre  de  nigromance: 

'Jusqu'en  Espaigne  vos  lassez. 

A  Tolete  en  set  on  assez. 

Ce  est  uns  ars  de  tel  manière 

Que  qui  bien  en  set  la  manière, 
1175    Tôt  fait  a  son  commandement. 

Que  ce  est  l'art  d'enchantement. 

Se  de  cel  art  apris  avez 

Et  de  l'enchantement  savez, 

Par  vostre  enchant  le  roi  ferez 
1180    Quanque  fere  li  deverez.' 

Renart  sot  que  s'amie  dist 

Qui^  de  bon  conseil  le  garnist. 

'Dame  fet  il,  'vos  me  loez 
Du  mieuz  que  vos  fere  savez 
1185    Et  je  irai  puis  qu'il  vos  grée. 

1170  Foui  il  lire  Metc  a  prendre?     1183  me  manque 


311 


312  XXIII 

Mes  je  vos  les  molt  esgaree. 

Or  pensez  de  vostre  mesnie 

Que  richement  soit  amanie. 

Vostre  terre  soit  bien  tenue 
1190    Que  ne  sai  de  ma  revenue, 

En  quel  termine  le  ferai 

Ne  quels  merveilles  troverai.' 

Atant  s'en  va,  sa  feme  lesse. 

Molt  doucement  Tacole  et  bese 
1195    De  son  travail  molt  li  ennuie. 

Si  prie  dieu  qu'il  le  conduie. 

Va  s'en  Eenart  au  miex  que  puet 

Si  corne  fere  li  cstuet. 

Passe  les  monz  et  les  valees 
1200    Et  les  forez  larges  et  lees 

Et  les  destroiz  et  les  passages 

Si  conme  veziez  et  sages. 

Les  nuiz  va  molt  sovent  en  proie, 

Que  il  n'a  cure  c'en  le  voie. 
1205    Tant  a  tenues  ses  jornees 

Et  les  granz  terres  trespassees, 

Entrez  est  en  terre  d'Espaigne. 

Lieve  son  pie,  sa  teste  saigne. 

En  Espaigne  ert,  bien  le  savoit. 
1210    Or  prie  dieu  que  il  l'avoit. 

La  trace  suit  d'une  charrete. 

Par  nuit  est  venuz  a  Tolete. 

Amont  en  va  parmi  les  rues 

Ou  les  mesons  sont  granz  et  drues. 
1215    Molt  se  demuce,  près  se  tient, 

Que  molt  se  doute  et  molt  se  crient 

Que  chiens  ou  beste  ne  l'asaille. 

Tel  fain  a  que  molt  en  baaille. 

Cerche  citieres  et  cuisines, 
1220    Volontiers  goutast  de  gelines 

Et  s'en  preïst  a  son  souper. 

Engin  savoit  a  destouper 

Trous  de  jaioles  et  de  toiz. 

Muce  par  haies  et  par  soiz. 


XXIII  313 

1225    Par  aventure  est  enbatuz 

En  tel  ostel  ou  ert  batuz, 

A  l'ostel  le  mestre  de  l'art 

Qui  ne  se  gardoit  de  Renart: 

Mestre  Henriz  avoit  a  non. 
1230    S'estoient  mis  si  gras  chapon 

Eu  une  cage  lez  le  fu. 

Aine  mes  tele  voie  ne  fu. 

Renart  a  flairie  e't  senti. 

Ainz  de  grater  ne  s'alenti 
1235    Desus  le  sueil  de  la  meson, 

Que  volentiers  queroit  reson,  M  81 

Conment  il  fust  laienz  entrez 

Tant  que  des  chapons  fust  ventrez. 

Il  i  a  tant  grate  a  preu 
1240    Que  fet  i  a  un  petit  treu. 

A  par  soi  s'est  tant  avanciez 

Qu'il  s'est  en  la  meson  fichiez. 

Molt  l'angoisse  la  lecherie 

Et  si  n'a  pas  voie  marrie. 
1245    Que  li  flairiers  l'en  fesoit  sage. 

Venuz  est  tôt  droiz  a  la  cage. 

Li  un  des  piex  brise  a  ses  denz 

Tant  que  son  chief  a  mis  dedenz. 

Puis  i  entre  de  tôt  son  cors. 
1250    Mes  ja  aincois  n'en  istra  fors^ 

Qu'il  en  sera  molt  entrepris. 

L'un  des  chapons  a  aus  denz  pris. 

Lors  s'escria  de  tel  randon 

Que  les  serjans  de  la  meson 
1255    Por  la  noise  se  sont  levé. 

Durement  ont  Renart  grève, 

Que  li  maistres  lor  cscria 

'Por  les  sainz  deu,  gorpil  i  a. 

Filz  a  putain,  alcz  a  Tuis. 
1260    Desouz  le  sueil  est  le  pertuis: 


1244  voe  marie     1246  jjage 


314  XXIII 

Très  bien  l'ai  veii  en  mon  sort. 
Honniz  somes,  s'il  nos  estort.' 
Il  meïsmes  saut  de  «on  lit 
Veoir  la  chace  et  le  déduit 

1265    Que  si  vallet  font  a  Renart 
Qui  de  la  cage  issi  a  tart: 
Que  grant  clarté  fet  la  lumière, 
Si  ont  estoupe  sa  toviere. 

Or  est  Renart  en  maie  paine. 

1270    Au  comencier  a  maie  estraine. 
Chascuns  tient  pesteil  on  macue. 
De  la  poor  Renart  tressue. 
Qui  primes  vint,  primes  i  fiert. 
'Las'  pense  Renart,   ce  que  iert? 

1275    List  on  ainsi  de  nigromance? 
Trop  en  ai  ja  grief  penitance. 
Encor  n'en  ai  gueres  ouvre, 
S'en  ai  ja  maint  cop  recouvre.' 
Qu'en  diroie?  tant  l'ont  batu, 

1280    Por  mort  l'ont  a  terre  abatu. 
Renart  se  gist  gueule  baee, 
Auques  a  celé  gent  gabee. 
N'estoit  pas  mort  du  tôt  en  tôt, 
Ainz  prenoit  bien  a  euls  escot. 

1285    Oïr  voloit,  que  il  diroient 
Et  que  de  lui  deviscroient. 
'Prenons  en'  dist  li  uns  'la  pcl. 
Je  li  tondrai  a  un  coutel.' 
Mal  avons  fet'  ce  dist  li  mcstre: 

12'J0    'Que  tôt  vif  le  peiisson  pestre 
Jusqu'à  yver  après  este, 
Se  vif  l'eussons  arreste. 
Adont  fust  sa  seson  venue 
Et  sa  gorge  blanche  et  chanue. 

12'J5    Miex  vausist  que  no  fet  assez. 
Que  fust  il  ore  respassez! 
Si  m'aïst  diex,  mes  ne  morroit, 
Tant  con  ici  vivre  porroit.' 
Quant  Renart  ot  q'ainsi  puet  vivre, 


XXIII  315 


1300    De  mort  ne  le  fera  nus  cuivre, 
Aincois  le  tendront  em  prison 
Tant  que  sa  pel  soit  en  seson. 
Or  est  si  lies  q'ainz  si  ne  fu. 
Un  petit  s'estent  vers  le  fu 

1305    Et  a  gite  un  grant  soupir. 
Li  mestres  jure  saint  espir: 
'K'est  mie  morz:  or  li  aidons!' 
Let  li  gietcnt  a  granz  randons 
En  la  gueule  tôt  eschaufe. 

1310    Si  respasserent  le  maufe. 
D'une  chaane  l'ont  lie. 
Le  mestre  a  ses  serjanz  prie 
Qu'a  menger  li  doingnent  assez 
Tant  que  il  soit  toz  respassez. 

1315    II  si  firent  tant  qu'est  gueriz. 
Or  ne  fu  fel  ne  esmarriz: 
Ainz  se  contient  molt  simplement 
En  l'ostel  et  molt  bonement. 
Or  puet  aprendre  nigromance, 

1320    Que  assez  li  font  de  pitance. 
Chascun  jor  en  l'escole  gist 
Et  ot  quanque  le  mestre  dist. 
Molt  fu  sages  et  entendanz, 
îs'ot  pas  les  oreilles  pendanz, 

1325    Ainz  les  tient  droites  et  escoute 
Molt  parfont  pense  que  il  doute. 
Tant  en  aprist  que  toz  fu  sages. 
Si  n'estoit  pas  entr'eus  sauvages: 
Ainz  estoit  molt  aprivoisiez. 

1330    Par  l'ostel  aloit  desliez. 

Une  nuit  se  leva  de  l'estre. 
Si  s'en  ala  après  le  mestre 
En  une  voûte  desouz  terre, 
Ou  il  aloit  son  savoir  querre 

1335    A  une  grant  teste  cavee, 
Qui  estoit  de  cuivre  gitee: 


1301  cuire      1306  saintj  s.     1319  digromàce      1328  erre' 


316  XXIII 

A  celé  prenoit  ses  conseulz 
Les  plus  privez  et  les  plus  seus. 
'Baron'  dist  le  mestre,  'que  doit, 

1H40    Meint  conpaignon  ai   orendroit 
Qui  assez  sevent  de  vostre  art. 
Ne  lor  vault  denrée  de  lart 
Et  non  fet  il  demie  d'oint, 
Qu'il  ne  pueent  savoir  un  point: 

1345    S'en  sont  dolent  et  confondu.' 
La  teste  li  a  respondu 
'Mestre,  meint  jor  lit  en  avez, 
Et  plus  encor  si  n'en  savez 
Ne  ne  poez  par  vos  trover 

1350    Que  doit  qu'il  n'en  pueent  ovrer. 
Or  m'entendez,  gel  vos  dirai, 
Que  ja  ne  vos  en  mentirai. 
Qui  bien  velt  ovrer  de  cest  art. 
Venir  l'estuct  ou  tempre  ou  tart 

1355    Au  trou  d'une  chambre  privée. 
Croiz  ne  soit  fête  ne  nomee. 
Mes  si  se  velt  en  nos  fier, 
Illeques  doit  sacrefier 
D'un  coc  raarchois  ou  d'un  noir  chat. 

1360    Qui  nel  puct  enbler,  si  l'achat. 
Aprez  die  sanz  autre  fable 
"Oiez,   d'enfer  tuit  li  deable! 
De  ceste  ocvre  soiez  seignor 
Et  si  soit  fet  en  vostre  honor!' 

1365    La  dedenz  giet  son  sacrefice: 

Apres  s'il  velt,  de  la  chambre  isse. 
Ja  mar  fera  autre  proiere. 
Tôt  puct  faire  son  majetiere.' 
Ne  volt  plus  dire,  si  se  tut. 

1370    Renart  retint  ce  que  il  put. 
Li  mestres  sanz  arrestoison 
Est  revenuz  en  sa  meson. 
Un  petitet  s'est  tret  ensus 
Tant  que  le  mestre  en  fu  issus. 

1375    De  son  acostement  n'a  cure. 


xxm  317 

Fet  i  a  maie  norreture, 

Qu'il  a  pris  le  coc  de  l'ostel. 

N'en  savoit  nul  ci  près  ne  tel. 

Atant  s'en  va  a  la  longaigne. 
1380    Ilec  a  fet  sa  barbacane  M  82 

Si  con  la  teste  l'ot  apris. 

Puis  s'en  va,  congie  n'i  a  pris. 

Fist  ses  charmes  et  ses  caraudes, 

Ses  conjuremenz  et  ses  laudes. 
1385    Ainz  puià  ne  pot  estre  tenuz. 

Avec  le  vent  s'en  est  venuz 

A  Malcrues  en  une  seule  eure, 

Ou  sa  famé  trova  qui  pleure 

Par  la  dolor  de  son  mari, 
1390    Qu'en  envoia  si  esmarri. 

Mes  il  l'a  bien  réconfortée. 

S'aventure  li  a  contée. 

Dit,  bien  aura  toz  ses  ators. 

D'enchantement  set  toz  les  cors. 
1395    Or  se  gart  bien  que  il  harra, 

Qu'assez  tost  li  en  mescherra. 

Grant  joie  ont  ensenble  menée 

Tant  que  ce  vint  a  la  jornee. 

Congie  prent  Renart  a  s'amie 
1400    Et  dist  qu'il  ne  lessera  mie. 

Qu'au  roi   ne  se  voise  aquitier. 

James  n'en  quiert  jor  respitier. 

Renart  vot  a  la  cort  le  roi 

Par  chauciees  et  par  perroi 
1405    En  la  forest  Broceliande. 

Illec  le  trova  sanz  demande. 

Por  Renart  ert  en  grant  abo, 

Cremoit  qu'il  ne  l'eùst  guabe. 
Atant  ez  vos  Renart  en  place 
1410    Que  il  velt  bien  que  on  l'i  sache: 

Que  il  aporte  tel  novele 

Qui  as  rausarz  essera  bêle. 

ÎO  Faut  il  lire  fête  su  biirgaigiift?     1410  que  manque 


318  XXIII 

Li  rois  estoit  bauz  et  hetiez. 
Renart  parla  con  afetiez 

1415     Rois,  toz  jorz  soies  tu  sauvez! 
Molt  ai  este  por  vos  grevez. 
Passe  en  ai  mainte  contrée. 
Bone  aventure  en  ai  trovee, 
Bien  ai  esploitio  mon  travail 

1420    Et  s'ai  prove  conbien  je  vail.' 
Or  le  sert  bien  de  la  treslue 
Renart  qui  tôt  le  mont  argue. 
'Rois  est  d'Arcade  et  de  Celdone. 
Meint  riches  hom  treû  li  done. 

1425    Jusqu'as  bones  qu'Artus  les  fit 
Est  il  sire,  si  con  il  dist: 
Tôt  vos  donne  son  héritage 
Avec  sa  fille  en  mariage, 
Si  fait  de  vos  son  eritier. 

1430    Viex  est,  ne  puet  mes  ostoier. 
A  famé  vos  done  sa  fille.' 
'Renart'  fet  li  rois,  'ou  est  ille?' 
'Sire,  ele  vient  a  grant  empire: 
Avant  le  vos  sui  venuz  dire. 

1435    Or  mandez  tote  vostre  gent. 
Sel  recevez  honestement 
Et  apareilliez  tel  conroi 
Tel  con  convient  a  noble  roi 
Et  que  nos  i  aions  honneur.' 

1440    'Renart'  fet  li  rois,   a  beneur! 
Ya  par  la  dame,  si  l'amoine 
Et  je  dedenz  ceste  semaine 
Ferai  ma  gent  toute  venir 
En  ma  sale  por  cort  tenir,' 

1445        Atant  Renart  s'en  est  tornez 
Et  li  rois  s'est  bien  atoruez. 
Mande  ses  genz  granz  et  menors 
Que  tuit  viegnent  a  ses  honors. 
Tuit  i  aqueurent  volentiers, 

1450    Ni  quierent  voies  ne  sentiers, 
Mes  par  broces  et  par  essart, 


XXIII  319 


Veoir  les  merveilles  Renart. 
Tant  en  i  vient,  la  cort  fu  plaine. 
Ne  finerent  d'une  semaine 
1455    De  venir  d'amont  et  d'aval. 
Estanchie  i  ont  meint  cheval. 
Li  rois  atorne  son  afaire: 
Que  granz  voies  vodra  il  faire. 
De  venoison  i  a  molt  prise 
1460    Et  volille  de  mainte  guise. 
Du  tôt  me  penasse  a  nomer, 
Mes  ceste  oeuvre  vueil  achever. 
Li  rois  ses  menestreus  assist 
Et  a  chascun  son  mestier  dist. 
1465    Roonel  met  a  la  cuisine 

Qui  de  l'aparailHer  ne  fine: 
Et  dit  Tybert  qu'il  li  aïs  t. 
Bruns  li  ors  a  loe  et  dist, 
Bien  set  mengier  asavorer. 
1470    Tybert  i  va  sanz  demorer. 

Platiaus  conmande  pain  livrer 
Et  molt  largement  délivrer. 
De  Brichemer  fet  bouteillier, 
Le  vin  li  rueve  apareillier. 
1475    Et  Brun  preigne  garde  des  mes, 
A  la  table  les  face  près. 
'Ysengrin,  pensez  de  taillier 
Et  de  la  coupe  apareillier 
Devant  vo  dame  la  roïne.' 
1480    Ysengrin  parfont  l'en  encline, 
Li  rois  a  bien  tôt  devise 
Et  Renart  a  tôt  avise 
Qui  ert  en  aise  de  la  cort. 
Or  le  convient  qui  se  ratort. 
1485    II  fet  ses  ynvocations 

Et  ses  forz  conjurations: 

As  maufez  fet  d'un  chat  présent 

Por  bien  fere  l'enchantement. 

1487   A  mauuez 


320  XXIII 

Par  eD  chant  a  fet  meintes  bestes, 
1490    De  tex  i  a  qui  ont  vint  testes. 

Et  plus  assez  de  tex  i  a. 

Bestes  fait  q'ainz  dex  ne  cria, 

Et  molt  de  diverse  manière 

Et  aussi  con  devant  derrière. 
1495    Puis  que  Renart  les  a  charmez, 

Gietent  par  bouches  et  par  cies 

Feu  et  flambe  par  tel  ravine, 

Avis  est  que  tôt  le  mont  fine. 

Et  quant  il  velt,  si  les  racoise 
l'ôOO    Que  ja  ne  feront  point  de  noise. 

Renart  vient  a  joie  et  a  feste, 

Mes  molt  demoine  grant  tempeste. 

N'est  merveille,  se  noise  font 

Bestes  qui  tant  de  testes  ont. 
1505    La  noise  iert  a  merveille  grande. 

Puis  que  danz  Renart  le  commande, 

Ullent  et  cornent  etbuisinent: 

Cil  qui  l'oent,  s'en  adevinent 

Que  ce  sont  deable  qui  vienent. 
1510    A  poines  de  poor  se  tienent. 

En  guise  d'une  lionnesse 

Anmaine  au  roi  sa  promesse. 
Ainsi  s'en  vint  Renart  a  cort. 

Nobles  encontre  lui  acort. 
1515    'Renart,  bien  soiez  vos  venuz  ! 

Por  ce  se  tu  es  viex  chanuz. 

N'a  il  bachelier  en  ma  terre 

Qui  mex  i  sache  mon  preu  querre. 

Est  ce  ma  famé  qui  m'amaines, 
1520    Dont  tu  as  eu  si  granz  paines?' 

Oïl'  ce  dit  Renart,  'biau  sire. 

Je  la  vos  rent  a  tôt  Tempiro.' 

'Yostre  merci.'     Li  rois  l'embrace, 

La  keue  li  met  sor  la  macc.  M  83 

1525    'Dame,  bien  soiez  vos  venue  !' 


1505  a  manque     1512  Aumaine 


XXIII  321 

Celé  a  sa  parole  tenue, 

Que  dant  Renaît  li  a  fet  signe: 

Mes  parfondement  li  encline. 

Nobles  la  va  molt  atouchant, 
1530    Sa  barbe  en  va  delechant 

Et  saut  en  piez  :  tel  joie  maine, 

Qu'il  est  tenuz  a  molt  grant  paino 

Que  voiant  toz  ne  l'a  saillie. 

Si  espris  fu  de  la  folie 
1535    Por  ce  que  si  belc  la   voit. 

Mes  dant   Renart  qui  molt  sa  voit, 

Toz  les  enraaine  el  pales 

Et  si  fet  fere  molt  grant  pes. 

Chascuns  s'est  assis  a  la  table. 
1540    Or  poez  oïr  bêle  fable. 

Tuit  servirent  de  lor  mestier, 

Serjanz,  valiez  et  bachelier. 
La  dame  sist  el  mestre  dois 

Et  li  sires  Nobles  li  rois, 
1545    Et  Ysengrins  devant  euls  taille, 

Qui  lor  apreste  lor  vitaille. 

Il  fu  autrefois   esco reliiez 

Des  le  haterel  jusqu'es  piez 

Por  le  roi  Noble  le  lyon, 
1550    C'on  fist  de  sa  pel  guerison. 

Ses  cuirs  li  estoit  revenuz. 

Li  peuls  ert  juenos  et  menuz. 

Les  piez  avoit  ja  toz  veluz: 

Mes  li  chics  estoit  toz  chanuz 
1555    Por  les  viex  peuls  qui  i  remestrciit. 

Mes  je  crien  que  il  ne  couperont: 

Que  Renart  s'en  est  garde  pris. 

Qui  mointes  fois  l'a  entrepris. 

Or  so  porpense  li  maufoz, 
15()0    Qui  do  grant  mal  fu   eschaufcz, 

En  quel  manière  li  nuira: 

Que  s'il  puet,  il  le  destruira. 

Et  si  ne  volt  plus  demorer. 

La  lionesse  fet  plorer, 

UliNAlir    II  "' 


322  XXIII 

1505    Soupirer  et  color  changer. 
De  tôt  en  laisse  le  menger. 
Li  rois  la  voit,  si  li  en  grieve, 
Renart  apele  et  cil  se  lieve. 
'Renart'  fait  il,  'qu'a  ceste  dame? 

1570    Arde  le  feus  et  raale  flambe 
Qui  la  vérité  n'en  dira, 
Et  qui  ja  li  escondira 
Chose  qu'el  vueille  conmander, 
Por  quoi  on  le  puist  amender.' 

1575    Or  ot  Renart  c'en  en  fera 
Tôt  ce  que  il  commandera. 
Ysengiin  voudra  ennuier. 
S'a  son  droit  se  puet  apuier. 
Si  ne  li  set  que  demander, 

1580    Fors  tant  qu'a  cort  le  fist  mander 
Por  sa  famé  dont  le  bani. 
Que  fox  fist,  quant  il  en  groinni. 

'Sire'  ce  dist  Renart,  'moi  poise, 
(Ma  dame  est  molt  franche  et  cortoise), 

1585    Quant  ele  tel  senblant  vos  fait. 
Ne  sai  s'on  li  a  riens  forfait.' 
Renart  la  dame  dist  et  prie. 
Que  a  son  seignor  Noble  die, 
De  quoi  tel  mautalent  avoit. 

1590    Porquant  Renart  bien  le  savoit: 
Mes  du  blasme  se  velt  geter, 
C'on  ne  l'en  puist  de  riens  rester, 
'Dame,  dites  vostre  voloir! 
Ja  ne  vos  en  convient  doloir  : 

1595    Que  j'en  ferai  vostre  plaisir.' 
Or  ne  s'en  puet  ele  teisir. 
Des  que  Renart  l'ot  conmande 
Et  li  rois  li  a  demande. 
Un  petit  a  crolle  la  teste, 

1600    Ja  parlera  con  fiere  beste. 

'Renart,  qui  tôt  le  mont  traïs, 


1592   peust 


xxrii  323 


Quant  m'amenas  en  cest  païs, 
Je  ne  quidai  mie  trover 
Beste  que  on  peiist  prover 

1005    De  si  aperte  vilenie, 

(Ne  sai  se  c'est  par  felonnie) 
Que  cist  vassaus  qui  ci  nos  sert. 
Je  le  voi  molt  d'orgueil  apert. 
Nis  un  seul  point  ne  sui  decute, 

IfiiO    Ainz  me  sui  très  bien  apereute. 
Il  deûst  moi  et  son  seignor 
Servir  a  joie  et  a  honor: 
Et  il  est  de  félon  apel. 
Hui  tote  jor  a  son  chapel 

1615    Ferme,  qu'oster  ne  le  deigna. 
Mal  dahez  ait  qui  l'engendra. 
Se  ce  feiist  en  ma  contrée, 
S'aumuce  li  fust  tost  ostee 
Si  bêlement  qu'il  le  sentist. 

1620    Ne  trovast  qui  le  consentist. 
Ce  ne  sai  ge,  s'il  est  tigneus: 
Que  je  le  voi  molt  rechigneus. 
Encor  voi  autre  raesfeture, 
Dont  au  cuer  ai  greignor  ardure  : 

1625    Que  tote  jor  devant  nos  taille 
Mouffles  chauciees  no  vitaille. 
Dont  il  tert  son  nés  et  sa  bouche; 
Espoir  en  plus  ort  leu  l'atouche, 
Quant  il  fet  le  vilain  afaire. 

1630    Onques  por  nos  nés  deigna  traire. 
S'en  ai  eii  grant  mal  au  cuer. 
Sire,  bien  vos  ai  dit  le  fuer, 
Que  ja  ne  gerrez  a  ma  coste, 
S'on  ci  devant  moi  ne  li  oste 

1635    Chapel  et  mouffles  a  rebors.' 
Isengrin  fu  fel  et  rebors. 
Ja  parlast  felenessement. 
S'il  en  eiist  consentement 
Et  li  rois  nel  deûst  hair: 

1640    Que  il  cremoit  en  pis  chaïr. 


21' 


324  XXIII 

N'ose  mot  dire,  aincois  se  taist, 

Un  petit  arrière  se  traist. 
Nobles  ot  que  sa  famé  dist 

Que  son  gésir  li  contredist, 
1645    Se  Ysengrin  n'est  desmoufflez. 

Un  petit  en  est  bouronflez. 

Voit  Ysengrin  qui  se  demuce. 

'Ostez  en  maleur  vostre  aumuce. 

Sire  Ysengrin   ce  dist  li  rois. 
1650    'Ja  n'estes  vos  Escos  n'Irois. 

Guidiez  estre  enchapelez? 

Estes  vos  tigneus  ne  pelez? 

De  ces  moufles  vos  deschauciez!' 

Lors  s'est  Ysengrin  haut  dreciez. 
1655    'Sire,  merci!  por  dieu,  nu  faites! 

Ne  seroient  de  léger  traites. 

Ja  me  verrez  ici  pasmer. 

Porquant  ne  me  devez  blasmer, 

Que  n'i  ai  moufle  ne  chapel, 
1660    Ainz  est  remenant  de  ma  pel 

Dont  vos  feïstes  pelicon, 

Quant  Renart  vos  dona  poison.' 

Renart  l'ot  qui  de  ce  n'a  cure, 

Entre  ses  dens  la  reconjure, 
1665    La  roïne  parler  refet. 

Dist  ele  'cist  set  molt  de  plet, 

Foi  que  je  doi  l'ame  ma  mère! 

Se  ce  fust  en  la  cort  mon  père,  M  84 

Ja  tant  plaider  ne  li  leiist, 
1670    Mes  maugre  sien  este  l'eûst. 

Ne  je  ne  sai  quel  roi  vos  estes 

Qui  n'estes  doutez  de  voz  bestos.' 

Ot  le  li  rois,  molt  li  en  grieve. 

Et  ce  qu'il  voit  qu'ele  se  lieve, 
1675    Dist  qu'ele  ne  remaindra  mes. 

'Dame'  fet  li  rois,   or  a  pes. 

Que  par  mon  chief  on  li  trera.' 

Quant  li  leus  ot  q'ainsi  ira, 

Il  prent  un  saut,  foïr  s'en  cuide. 


XXIII  325 


1680    Mes  la  sale  n'est  mie  wide. 
Li  rois  le  conraande  a  tenir. 
Ainz  qu'il  peiist  a  l'uis  venir, 
Le  saisissent  de  totes  parz. 
Or  est  bien  seur  ses  oes  Renarz, 
IfiSS    Quant  voit  Ysengrin  entre  piez. 
Tôt  li  escorchcnt  chief  et  piez, 
Chapel  et  moufles  ont  ostees. 
Bien  a  les  noces  achetées, 
Aval  se  prent  a  avaler. 
1690    II  l'ont  atant  lessie  aler. 

Il  n'ont  plus  que  fere  de  lui. 
Li  chael  li  font  grant  ennui. 
Renart  deus  de  ses  gas  li  done 
'ConperC;  vos  avez  coronne! 
1695    Vos  porrez  bien  chanter  la  messe. 
Quant  vostre  dame  ira  a  messe. 
Rouche  chapel  a  mes  conperes: 
Ce  quit  bien  qu'il  est  empereres.' 
Fuit  Ysengrin,  n'a  cuir  en  teste, 
1700    Mar  vit  ajostee  la  feste. 

A  table  siet  Nobles  li  rois 
Et  la  roïne  au  plus  haut  dois. 
Molt  furent  servi  noblement. 
Mes  les  bestes  d'enchantement 
1705    N'i  gastent  gueros  de  pasture. 
Deables  n'a  de  menger  cure. 
Quant  li  mengers  fu  toz  passez 
Et  il  orent  mengie  assez, 
Beii  tant  qu'il  ne  vodrent  mes, 
1710    Lors  rouva  li  rois  fere  pes. 
Renart  apele  qu'a  lui  viegne 
Et  sa  convenance  li  tiegne. 
'Renart,  tu  m'eiis  en  covent 
Et  le  me  deïs  molt  sovent 
1715    Que  ma  feme  savoit  jocr 
Et  sa  figure  tresmuer 
En  senblance  de  toutes  bestes: 
Aquitez  vos  que  que  ci  estes.' 


326  XXIII 

'Sire'  dist  Renart,  'il  est  voirs. 

1720    En  11  est  molt  granz  li  savoirs. 
Si  li  priez  qu'ele  le  face.' 
Bien  fet  Renart  ce  qu'il  porchace. 
Entre  ses  denz  l'a  conjurée 
Qu'ele  parolt  sanz  demoree 

1725    Et  si  agence  sa  parole, 

Que  Renart  nel  tiegne  por  foie 
Devant  le  roi  et  son   barnage. 
Ele  si  fait  que  plus  n'atarge. 
'Renart,  bien  vos  poez  seoir, 

1730    Que  je  voudrai  primes  veoir, 
Conment  set  joer  ma  mesnie 
Que  vos  avez  ci  amenie. 
Vos  me  deïstes  en  ma  terre. 
Quant  vos  me  venistes  requerre, 

1735    Voz  bestes  savoient  chanter 

Et  sor  chevans  molt  bien  monter 
Et  s'ierent  bones  tumberesses 
Et  parmi  cerciaus  sailleresses 
Et  savoient  molt  bien  joer 

1740    C'on  ne  pooit  lor  pers  trover, 
Miex  que  celés  de  ma  contrée. 
Or  soit  la  menconge  provee. 
Face  li  rois  joer  les  sienes 
Et  je  ferai  joer  les  mienes. 

1745    Se  les  vostres  i  sont  vaincues 
Qu'eles  soient  taisanz  et  mues, 
Mon  maj étire  vos  ferai 
Du  miex  que  faire  saverai.' 
'Sire'  dist  Renart,  'bien  a  dit. 

1750    Ja  mar  i  aura  contredit. 

Conmandez  que  voz  bestes  jeuent, 
Conques  vers  elles  ne  detrieuent. 
Nos  les  vaincrons  tôt  sanz  faillance, 
Ja  mar  en  avérez  doutance.' 

1755    Renart'  ce  dist  Nobles  li  rois, 


1743  sens 


XXIII 

'Molt  par  es  sages  et  cortois. 
Ge  met  sor  toi  tôt  cest  afere, 
Gardes  qu'en  saches  m'onor  trere. 
Assie  les  giex  a  ton  talant, 

1760    Et  jel  conmant  sanz  mautalant 

Qu'en  sivent  trestuit  vostre  asise.' 
Or  est  la  parole  ainsi   prise 
Conrae  Renart  le  velt  li  faux. 
Encui  fera  fere  biax  saux. 

1765    Renart  conmande  faire  parc 
Enmi  la  sale  grant  et  lare, 
Et  viengnent  les  b estes  seoir 
Por  plus  plenierement  veoir. 
Brun  apele  tôt  premerain, 

1770    Ne  veoit  plus  léger  ferain. 

'Brun   fet  Renart,  'venez  avant! 
De  par  le  roi  je  vos  conmant 
Que  vos  tumbez  por  sa  proierc: 
Tôt  en  savez  le  majestiere.' 

1775    Bruns  ot  que  tumber  li  estuet, 
Que  escondire  ne  s'en  puet 
Que  totes  voies  ne  le  face. 
Yenuz  en  est  enmi  la  place. 
Molt  s'acesme,  molt  s'aplanie 

1780    Et  de  bien  tumber  s'amanie. 
La  teste  lesse  a  terre  aler 
Et  puis  lesse  le  cul   aler. 
Si  durement  vient  a  la  terre, 
Le  pertuis  eslesse  et  desserre: 

1785    Que  si  ert  plain,  par  poi  ne  crieve. 
Et  li  tumbers  si  fort  li  grieve, 
Maugre  sien  li  estuet  peoir, 
Si  que  tuit  le  porent  veoir. 
Toute  la  sale  en   rebondist, 

1790    Chascune  des  bestes  en  rist. 

'Cist  tumbe  bien'  fet  la  roïnc, 
'Que  au  tumber  du  cul  buisinc.' 
Lors  a  fet  lever  une  beste  : 
Bien  avoit  vint  et  une  teste: 


327 


328  XXIII 

17iJ5    CoDmauclc  qu'oie  face  un  tor. 

Celé  apareille  son  ator. 

Voiant  toz  en  la  place  vient. 

Si  fet  son  tor  que  bien  revient. 

Molt  par  le  fist  legierement, 
1800    Puis  s'est  assise  bonement, 

Tuit  la  tesmoignent  entresait 

Que  miex  de  Brun  a  le  tor  fait. 

Renart  li  rous  qui  en  mal  veille, 

Quatre  cerciaus  lor  apareille, 
1805    Les  deus  larges  et  deus  estrois: 

Li  un  fu  plus  petit  des  trois. 

En  la  place  les  a  assis, 

L'un  avant  l'autre  les  a  mis. 

Il  les  a  couchie  roidement. 
1810    II  voit  très  bien  entièrement 

Que  pas  ne  charront  por  le  saut. 

Se  l'un  saut,  li  saillieres  faut.  M  85 

Renart  apele  Brichemer, 

For  saillir  le  rueve  aoesmer. 
1815    N'en  i  choisi  nul  si  saillant 

Ne  a  celé  euvre  si  vaillant. 

Le  saut  face  devant  le  roi. 

Danz  Brichemer  tôt  sanz  desroi 

Du  saillir  s'est  apareilliez. 
1820    Mes  plus  en  fu  dolonz  que  liez. 

La  teste  et  le  col  avant  tent. 

Sa  queue  sor  son  dos  estent. 

Vient  aus  cerciaus,  les  deus  en  passe. 

Mes  au  tiers  durement  se  lasse. 
1825    Li  quarz  le  pardestraint  si  fort 

Que  bien  en  cuide  avoir  la  mort. 

Si  le  destraint  qu'il  en  baaille. 

Trop  se  fu  empliz  de  vitaille. 

Molt  fu  Brichemer  a  malaise. 
18;30    Ventres  cstraint  et  trou  eslesse. 

Renart  le  semont  par  derrière. 


181H  eui-Q 


XXlli  329 

Li  boillons  saut  de  la  doiere 

Qui  Renart  fiert  enmi  le  vis. 

A  grant  peines  et  a  envis 
1835    Est  Brichemer  outre  glaciez. 

Mes  Kenart  fu  toz  conciliez 

Que  liouteus  en  est  et  dolenz. 

Mes  molt  en  i  a  de  joianz. 

Grant  joie  en  mainent  et  grant  feste. 
1840    La  roïne  apele  une  beste, 

Si  li  conraande  qu'ele  saille: 

Très  bien  s'i  gart  qu'ele  n'i  faille. 

Celé  saut  acesmeement, 

Outre  s'en  va  legiereraent. 
1845    Tuit  s'esorient  'mi ex  a  sailli, 

Que  cil  qui  Renart  mesbailli.' 
Renart  apele  Cointerel 

'Metez  la  sele  en  Roonel, 

Si  nos  ferez  ci  un  esles. 
1850    Assez  est  larges  li  pales.' 

On  li  aporte  frain  et  sele 

Tote  a  or  painte.  molt  fu  bêle. 

Si  ont  Roonel  ensele. 

Et  quant  li  singes  fu  monte, 
1855     Or  i  parra,  dant  Cointerel. 

Vengiez  moi  bien  de  ce  wadel! 

Coitiez  le  bien  des  espérons 

Si  que  le  sente  li  gaignons.' 

Li  singes  très  bien  s'aparaille. 
1860    Renart  uns  espérons  li  baille 

Qui  sont  agu  de  bon  acier. 

En  ses  talons  li  a  fichiez. 

Son  escucel  a  lion  prent, 

A  senostrc  a  son    col  le  peut. 
1865    Met  Roonel  le  frain  el  chief 

Qu'il  le  puist  tenir  a  meschief. 

Cointeriaux  monte  a  son  destrier: 

Ne  se  deigna  prendre  a  estrier. 

A  son  coste  ceint  a  l'espee. 
1870    Galopant  va  lance  levée 


330  XXIII 

Par  la  sale  fait  son  eslais. 
A  Roonel  fu  cist  gieus  lais: 
Que  danz  Cointeriaus  l'esperoune. 
Des  espérons  granz  cops  li  done 

1875    Que  il  en  fet  voler  le  sanc. 
Il  avoit  molt  farsi  le  flanc, 
Que  tant  a  beii  et  inengie: 
Vis  est  c'on  l'eûst  enpreignie. 
Danz  Cointeriaus  si  fort  le  grieve, 

1880    Par  un  petit  que  il  ne  crieve: 
Et  sachiez  que  morir  i  cuide. 
Vilainement  du  cul  se  wide. 
Cil  fiert  devant  et  fiert  derrière 
Et  retire  le  frain  arrière. 

1885    Toute  la  gueule  li  desfait: 
Si  ne  li  avoit  riens  mesfait. 
Danz  Cointeriaus  sa  lance  besse, 
Par  grant  aïr  forment  s'eslesse. 
Durement  fiert  par  grant  aïr. 

1890    Mes  molt  estoit  près  de  cheïr. 
Sa  lance  brise,  puis  repaire. 
Son  eslais  reconmence  a  faire, 
Des  espérons  fiert  Roonel, 
En  meint  leu  li  perce  la  pel. 

1895    Le  sanc  on  vole  fils  a  fils 

En  plus  de  vint  et  quatre  lius. 
Quant  il  a  ses  eslais  renduz, 
De  son  cheval  est  descenduz. 
Tuit  dient   cist  n'est  pas  vilains  : 

1900    Mais  ses  chevaus  estoit  trop  plains. 
Deus  des  bestes  d'enchantement 
Sont  remontées  erranment 
Desor  deus  de  lor  autres  bestes. 
Molt  demenoiont  granz  tempestes 

1905    Et  jostent  bien,  lor  lances  brisent. 
A  lor  leus  vont,  si  se  rasisent. 
Ce  dist  Nobles   cist  jostent  bien. 


1896  .xxiiij.     1906  rasient 


XXIII  331 


Renart,  nos  ne  wenchons  de  rien. 
Prenez  garde  de  nostre  honeur.' 

15)10    'Sire'  dist  Renarz,  'a  beneur.' 
Renart  issi  hors  de  la  sale. 
Parmi  les  degrez  en  avale, 
En  la  cort  entre  en  une  borde. 
Par  enchant  i  fet  une  corde, 

1915    Un  vilain  i  eiist  son  fais, 
A  tôt  est  venuz  el  palais. 
'Tybert'  ce  dist  Renarz,  'ca  vien! 
En  toi  a  molt  proesce  et  bien.' 
(Or  oez  conment  il  l'adorde.) 

1920    'Portez  moi  la  sus  ceste  corde 
En  haut  la  vos  estuet  lier.' 
Qui  le  d(!ust  pendre  ou  noier, 
Ne  l'i  portast  il  par  son  cors: 
Que  il  n'estoit  mie  si  fors. 

1925    Mes  Renarz  l'en  a  fet  aiue 
Qu'il  en  tendra  mavese  feue. 
Sor  les  trez  l'ont  lie  amont. 
Renart  dit  Tybert  et  semont, 
Qu'il  la  queure  de  chief  en  chief: 

1930    Ainsi  quite  tendra  son  chief. 
Tybert  quide  estre  respassez: 
Que  de  cest  gieu  set  il  assez, 
Se  la  corde  fust  bien  ovree, 
Que  par  enchant  ne  fust  trovee. 

1935    Tybert  fu  sus  les  trez  montez 
Qui  de  ramper  fu  bien  dantez. 
Sus  la  corde  cuide  saillir: 
Mes  maugre  sien  l'estut  faillir 
Et  cheoir  molt  vilainement. 

1940    De  cul  et  de  pointe  descent, 

Merveilleus  flat  prist  a  la  terre. 
D'angoisse  eschigne,  les  dcnz  serre. 
Por  poi  n'est  crevée  sa  maie. 


1908  vonchons     l'J09  Faut  il  lire  l'aborde?      192(J  ?      1937  saill' 
faill* 


332  XXIII 

Toz  pasmez  chiet  enmi  la  sale. 
1945    A  grant  malaise  Tybert  gist. 

Une  beste  que  Renart  fist, 

Que  bien  ot  aprise  et  dantee, 

Sus  le  travers  en  est  montée. 

Apres  sor  la  corde  sailli, 
1950    Cort  et  racort:  ainz  n'i  failli. 

Voit  le  Roussiaus  li  escureus. 

Toz  fu  honteus,  si  ot  granz  deuls 

Por  ce  que  danz  Tybert  cheï. 

'Sire  Renart'  dist  il,    oï! 
1955    Laissiez  me  corre  la  deseure.' 

Taisiez  vos'  dist  il  'en  maloure  !  M  86 

Vos  vos  présentez  de  folie." 

Roussiaus  entent  qu'il  le  chastie, 

Atant  se  taist,  n'ose  plus  dire. 
1960    Et  Nobles  li  lions  s'aïre. 

Par  mautalent  Renart  apele, 

Jure  le  cuer  et  la  boele: 

Renart,  ti  gieu  m'ont  hui  traï, 

Onques  bien  ne  nos  en  chaï, 
1965    Mes  par  mon  chief,  très  bien  le  saches! 

Je  vueil  que  tu  un  gieu  me  faces 

Du  cors  de  toi  sanz  delaier, 

Dont  tu  les  faces  esmaier.' 

Renart  ot  que  ses  sires  jure, 
1970    Si  l'en  convient  garder  mesure, 

Et  dit,  s'il  puct,  qu'il  le  fera, 

A  son  voloir  se  maintenra. 

Montez  en  est  en  son  pales, 

Il  fera  ja  un  de  ses  lais. 
1975    Sus  la  feste  se  va   seoir. 

Tuit  en  issent  por  li  veoir. 

Ses  conjures  dist  mot  a  mot, 

Et  apele  que  nus  ne  l'ot, 

Les  vis  deables  qu'a  lui  viegnent 
1980    Et  si  bêlement  le  sostiegnent 

1972  niaintora 


XXIII  333 

Que  il  n'i  soit  un  point  grevez. 

Puis  est  Renarz  en  piez  levez, 

Un  petit  siffle  sor  le  feste: 

Voit  venir  une  noire  beste. 
1985    Or  est  seûrs  de  son  afaire, 

Qu'il  en  porra  a  bon  chief  traire. 

Venir  s'en  lesse  trébuchant 

Et  a  plaine  gueule  huiant 

Et  crie   ce  desouz  deseure!' 
1990    Et  Grinbert  ses  cousins  en   pleure, 

Qu'il  crient  qu'il  ne  soit  afolez. 

Mes  par  deable  estoit  volez, 

Si  que  toz  sainz  en  piez  remaint. 

N'i  a  celi  qui  ne  s'en  saint. 
1995    Devant  la  dame  vint  arrière. 

Puis  parole  en  tel  manière 

'Dame,  fêtes  fere  cest  saut!' 

'Renart'  fet  ele,  'ne  me  vaut, 

Moi  meïsmes  convient  joer: 
2000    Je  ne  vueil  pas  ma  gent  tuer.' 

La  lionnesse  s'est  crestee. 

En  une  autre  beste  muée. 

Ne  sai  qu'aconte  vos  en  face. 

Il  n'est  beste  c'on  nuncer  sache 
2005    Dont  ele  n'ait  senblance  prise. 

En  lionnesse  se  rest  mise. 

Li  rois  a  bien  tôt  avise. 

Et  Renarz  li  a  devise: 

'Sire'  dist  Renarz,  'or  me  dites, 
2010    Que  vos  senble?  sui  ge  bien  quites?' 
Ce  dist  Nobles   raolt  est  cortoise. 

Mes  d'un  poi  de  chose  me  poise. 
S'ele  pooit  estre  amendée, 

Molt  seroit  bien  l'uevre  fondée. 
2015    Si  vos  en  convient  prendre  esgart.' 

Lors  li  a  respondu  Renart 

'Dites  le,  sire,  s'il  vos  plaist.' 

Li  rois  a  un  conseil  le  trait. 

'Renart,  ge  te  dirai  mon  sens, 


334  XXIII 

2020    Que  molt  par  ies  de  grant  porpens. 
Ta  dame  ai  fait  son  sens  muer, 
Por  ce  que  je  quidai  trover 
Une  beste  par  aventure 
Qui  ne  fust  de  tele  nature 

2025    Que  li  cons  fust  ensus  du  cul. 
Mes  par  ma  foi,  n'en  i  voi  nul. 
S'en  sui  a  molt  très  grant  malaise: 
Que  eus  est  chose  molt  punaise 
Et  cons  est  une  douce  chose 

2030    Et  soef  flerant  conme  rose 
Et  que  on  volontiers  manie. 
S'est  mauvese  lor  conpaignie. 
Qui  sage  home  trover  peiist, 
Qui  entre  eslongnier  le  seiist 

2a35    Et  l'un  ensus  de  l'autre   trere, 
Geste  chose  fust  bone  a  fere.' 
Renarz  ot  que  ses  sires  dit. 
Si  s'est  porpensez  un  petit. 
Porpense  a  molt  grant  boidie. 

2040    Con  cil  qui  molt  est  plains  d'envie 
Grever  voudra  ses  anemis, 
Por  ce  s'en  est  bien  entremis. 
'Rois'  fet  Renarz,  'si  grant  afere 
Ne  puet  on  sanz  grant  paine  fere. 

2045    Mes  qui  poine  i  vodroit  mètre. 
On  s'en  porroit  bien  entremetre. 
J'en  sauroic  molt  bien  ovrer, 
Se  ge  pooie  ce  trover, 
A  ceste  oevre  tôt  l'estovoir.' 

2050    'Renart'  dist  11  rois,  'dis  tu  voir? 
'Sire,  ja  mar  le  mescroirez: 
Que  vos  meïsmes  le  verrez, 
Se  ge  ai  ce  qu'il  i  estuet.' 
'Renart,  s'on  recouvrer  le  puet, 

2055    Par  mes  deus  eulz,  vos  l'averez 
Et  toz  dis  mes  amis  serez.' 
Or  ot  Renarz  ce  qu'il  li  plaist 
Qui  de  musage  le  fol  paist. 


XXITI  335 

'Sire'  fait  Renarz,  'entendez  ! 
2060    Huit  jorz  de  respit  me  donez 

Et  fêtes  feste  a  la  roïne. 

G'irai  parler  a  Hermeline 

Ma  famé  qui  mult  set  de  bien. 

De  ce  me  conseillera  bien, 
2065    Qu'ele  set  molt  de  cileurgie, 

Et  des  cens  set  bien  la  mestrie.' 

Li  rois  respont  'dont  vos  hastez 

Et  de  tost  revenir  pensez!' 
Atant  a  Renarz  congie  pris 
2070    Et  s'en  issi  par  un  postis 

Que  ne  le  vit  home  de  char. 

Ainsi  fet  du  roi  son  eschar 

Et  par  dcspit  le  fet  muser, 

Et  a  granz  despens  sejorner. 
2075    Qar  ainz  que  revoie  Renart, 

Fera  il  un  molt  grant  essart 

Ou  il  sèmera  son  froment, 

Dont  il  fera  aucun  dolent. 

Si  en  porrez  oïr  parler, 
2080    Se  il  vos  plest  a  escouter. 

(Le  msc.  fait  suivre  la  branche  XXII,  avec  des  variantes  qui  la 
rattachent  à  la  XXIII"").    « 


XXIV 

(Méon  23-48) 

Or  oiez,  si  ne  vos  anuit!  B  32'' 

Je  vos  conterai  par  déduit 

Conment  il  vindrent  en  avant, 

Si  con  je  l'ai  trouve  lisant, 
5    Qui  fu  Renart  et  Ysengrin. 

Je  trovai  ja  en  un  escrin 

Un  livre,  Aucupre  avoit  non: 

La  trovai  ge  mainte  raison 

Et  de  Renart  et  d'autre  chose 
10    Dont  l'en  doit  bien  parler  et  ose. 

A  une  grant  letre  vermeille 

Trovai  une  molt  grant  merveille. 

Se  je  ne  la  trovasse  ou  livre, 

Je  tenisse  celui  a  ivre 
15    Qui  dite  eiist  tele  aventure: 

Mes  l'en  doit  croire  l'escriture. 

A  desonor  muert  a  bon  droit 

Qui  n'aime  livre  ne  ne  croit. 
Aucupres  dit  en  celé  letre 
20    (Bien  ait  de  dieu  qui  Ti  sot  mètre!) 

Corne  diex  ot  de  paradis 

Et  Adam  et  Evain  fors  mis 

Por  ce  qu'il  orent  trespasse 

Ce  qu'il  lor  avoir  conmande. 
25    Pitié  l'en  prist,  si  lor  dona 

Une  verge,  si  lor  mostra, 

1  8>l     ailuist     8  trouoi  (12)     12  ;;rani  matique    21   Je]  en     25  U  u. 


XXIV  (Méon  4<)-84)  .337 

Qaut  il  de  rien  mestier  auroieût, 

De  celé  verge  en  mer  feroient, 

Adams  tint  la  verge  en  sa  main, 
30    En  mer  feri  devant  Evain  : 

Sitost  con  en  la  mer  feri, 

Une  brebiz  fors  en  issi. 

Ce  dist  Adam  'dame,  prenez 

Geste  brebiz,  si  la  gardez  : 
.15    Tant  vos  donra  lait  et  fromaclie. 

Assez  i  aurons  conpenage. 

Eve  en  son  cuer  se  porpensoit 

Que  s'ele  une  encor  en  avoit. 

Plus  bêle  estroit  la  conpaingnie. 
40    Ele  a  la  verge  tost  saisie, 

En  la  mer  fiert  moult  roidement: 

Un  leus  en  saut,  la  berbiz  prent. 

Grant  aleiire  et  grant  galos 

S'en  va  li  leus  corant  as  bos. 
4ô    Quant  Eve  vit  qu'ele  a  perdue 

Sa  brebiz,  s'ele  n'a  aiue, 

Brait  et  crie  forment  'ha  ha!' 

Adam  la  verge  reprisse  a, 

En  la  mer  fiert  par  maltalant, 
50    Un  chien  an  saut  hastivemant. 

Quant  vit  le  leu,  si  laisse  corre 

Por  la  berbiz  qu'il  vost  rescorro. 

Il  li  requeut:  moult  a  enviz 

La  laissa  li  leus  la  berbiz, 
55    Si  feroit  il  encor  demain. 

S'il  la  tenoit  n'a  bois  n'a  plain. 

Por  ce  que  meffait  ot  li  leus. 

Au  bois  s'en  foui  tout  honteus. 
Adams  ot  son  chien  et  sa  beste, 
60    Si  en  fait  grant  jmo  et  grant  festo. 

Selonc  la  santance  dou  livre 

Ces  deus  bcstes  ne  puent  vivre 

44  corent    46  eiue     49  fior     50  Si  lo     ô6  mosfaiz     50  Quant  A. 
62  baistos  ne  pooient 

REVAKT  n  22 


338  XXIV  (Méon  85-121) 

îfe  durer  mie  longement, 

S'eles  n'estoient  avec  gent. 
65    Ne  savez  beste  porpenser 

Miauz  ne  s'em  puisse  conserver. 

Toutes  les  foiz  c'Adens  feri 

En  la  mer,  que  beste  en  issi, 

Celé  beste  si  retenoient, 
70    Quel  que  iert,  si  l'aprivoisoient. 

Celés  que  Eve  en  fist  issir, 

Ne  pot  il  onques  retenir: 

Sitost  con  de  la  mer  issoient, 

Apres  le  leu  au  bois  aloient. 
75    Les  Adam  bien  aprivoisoient. 

Les  Evain  asauvagisoient. 

Entre  les  autres  eu  issi 

Le  gorpis,  si  asauvagi: 

Rous  ot  le  poil  conme  Renarz, 
80    Moult  par  fu  ceintes  et  gaingnarz: 

Par  son  sens  toutes  decevoit  B  33 

Les  bestes  qantqu'il  en  trovoit. 

Icil  gorpis  nos  senefie 

Renart  qui  tant  sot  de  mestrie: 
85    Tôt  cil  qui  sont  d'anging  et  d'art 

Sont  mes  tuit  apele  Renart. 

Por  Renart  et  por  le   gorpil 

Moult  par  sorent  et  cil  et  cil. 

Se  Renart  sot  gent  concilier, 
90    Li  gorpix  bestes  engingnier.' 

Moult  par  furent  bien  d'un  lignage 

Et  d'unes  meurs  et  d'un  corage. 
Tôt  ensement  de  l'autre  part 

Ysengrin  li  oncle  Renart, 
95    Fu  (ce  sachiez)  moult  fort  roberre. 

Et  par  nuit  et  par  jor  fort  lerre. 

Icelui  leu  senefia, 

Qui  les  berbiz  Adam  roba  : 

Tôt  cil  qui  sorent  bien  rober 

66  conscrrer     70  eront     84  minstrie     87  lej  son 


XXIV  (Mt-un   I-2-2-l-llr<)  339 

l(X)    Et  par  uuit  et  par  jor  emblnr, 

Sont  bien  a  droit  dit  Ysengrin. 

Cist  furent  bien  endui  d'un  lin, 

Et  d'un  panse  et  d'un  corage. 

Larron  furent  tuit  d'un  aage, 
105    Et  Ysengiin  apele  l'on 

Le  leu  par  iceste  acoison. 

Dame  Hersant  resenefie 

La  louve  qui  si  est  haïe, 

Que  si  par  est  aigre  d'anbler, 
110    Bien  puet  celé  Hersent  senbler: 

Celé  Hersent  la  lentilleuse. 

Qui  famé  ert  Ysengrin  espeuse. 

La  gorpille  le  senefie, 

(Car  moult  set  d'art  et  do  mestrie: 
115    Se  l'une  iert  mestre  abaeresse. 

Et  l'autre  mestre  lecharesse, 

Moult  furent  bien  les  deus  d'un  cuer, 

L'une  fu  l'autre,  ce  cuit,  suer) 

Por  Richout  la  famé  Renart, 
120    Por  le  grant  engin  et  por  l'art 

Est  la  gorpille  Richeut  dite: 

Se  l'une  est  chate,  l'autre  est  mite. 

Moult  a  ci  bone  conpaignie. 

Et  l'une  et  l'autre  senefie. 
125    Cist  quatre  sont  bien  asanble, 

Eiuz  ne  furent  mes  tel  trove. 

Se  Ysengrin  est  mestre  lerre, 

Ausi  est  li  rous  forz  roberro: 

Si  Richeuz  est  abaiaresse, 
130    La  gorpille  est  fort  lecharesse. 

Por  ce  qu'erent  si  d'un  traïn, 

Estoit  Renart  nies  Isengrin. 

Por  ce  que  si  bien  s'entramoient 

Et  qu'ansanble  sovent  aloient, 
135    Lo  leu  du  gorpil  fait  neveu 

Et  li  gorpiz  oncles  dou  leu. 

101   (list     111  mintric     125  sont  |  furent 


340  XXIV  (Méon  149— li)4) 

Si  faitement  con  je  vos  di, 
Sont  enti-'aus  parent  et  ami: 
Ne  s'apartienent  autrement, 

1 JO    Se  mes  bons  livres  ne  me  ment, 
Por  ce  que  le  gorpil  disoit, 
Qant  il  avec  le  leu  aloit, 
'Biaus  oncles,  que  volez  vos  faire?' 
Le  voloit  a  s'amor  atraire. 

145    Li  lous  disoit  par  amor  fine 
Au  gorpil  vers  qui  n'ot  haïne. 
Par  amistie  s'entrapeloient 
'Oncles,  neveu,'  quant  se  veoient. 
A  Renart  puet  on  bien  aprandre 

150    Grant  sen  qui  bien  i  viaut  entendre; 
Car  cil  Renart  nos  senefie 
Caus  qui  sont  plain  de  félonie, 
Qui  ne  finent  del  agaitier 
Con  puissent  autrui  engingnier. 

155    Ne  ja  le  fel  liez  ne  sera 

Le  jor  q'autrui  n'engingnera. 
A  engingnier  11  sont  onni 
Prive  ou  estrange  ou  ami: 
Ja  un  seul  n'en  esparnera, 

160    Ja  si  chier  ami  ne  sera. 
Et  avec  celé  félonie 
A  il  le  cuer  tout  plain  d'envie, 
Et  envie  est  celé  racinne 
Ou  tout  li  mal  prenent  orine. 

1G5    Avec  félonie  et  envie 
Escharsetez  est  lor  amie. 
Et  escharsetez  est  tel  chose 
Que  toz  tens  a  la  borse  close. 
Escharsetez  est  une  vice 

170  Qui  forment  aime  avarice: 
Avarice  a  le  mont  sorpris. 
Cil  est  clamez  dolanz  chaitis. 


138  parant      139  niapartionont      148  iioloionl;     lfi7   telo     KiS  ait 


XXIV  (Méon  195-230)  341 

Se  rante  n'a,  se  il  n'usure. 

Or  ai  parle  outre  mesure, 
175    Car  cil  qui  les  granz  rantes  ont 

Ce  sont  cil  qui  mainz  maus  en  font. 

Moult  en  puet  l'en  vilment  parler, 

Mes  je  n'ai  soin  de  plus  conter. 
Une  riens  vos  voil  acointier  : 
180    Ne  vous  devez  esmerveillier, 

Se  j'ai  mis  en  cest  mien  traitie 

Que  de  Renart  ai  commencie, 

Si  com  l'en  parole  d'autrui, 

Con  vos  porrez  oïr  ancui 
185    De  dant  Renart  et  d'Ysangrin. 

Car  ce  content  nostre  voisin 

Que  une  anesse  parla  ja 

Que  un  profete  chevaucha: 

Balaam  l'oï  apeler, 
190    Por  ce  le  sai  ainsi  nomer. 
'  Balaac  un  rois  l'out  mené 

(Tant  li  ont  promis  et  done) 

Par  maltalent  et  par  grant  ire 

Tout  le  pueple  Israël  maudire. 
195    Nostres  sires  nou  vost  soufrir. 

Son  ange  fist  devant  venir, 

A  une  bien  tranchant  espee 

A  la  voie  celui  veee. 

Cil  point  l'asne  del  aguillon 
200    Par  derrière  sor  le  crépon. 

Des  espérons  le  destraingnoit,  B  34 

Et  du  chevestre  le  feroit. 

L'ane  n'osoit  avant  aler. 

Par  force  le  covint  parler, 
205    Et  diex  le  volt  qu'cle  parla 

Et  le  profete  raconta: 

'Diva'  fait  il,  'laisse  m'ester, 

Diex  ne  me  laisse  avant  aler.' 


173  sa  il      176  maint      177  uilmen      181  Se  11  ions  en     182  Qui 
ait     183  S    com      184  oir  dancui     196  cnge     198  uce     204  les 


342  XXIV  (Méon  231—266) 

Cil  diex,  si  li  vient  a  plaisir, 

210    Puet  encore  bien  consentir 
A  parler  les  bestes  sauvages, 
Et  les  usuriers  faire  larges. 

Or  avez  bien  oï  a  tant 
Conment  sont  venu  on  avant 

215    Renars  et  Ysengrins  li  leus. 
Or  redevez  oïr  des  deus. 
Si  vos  conterai  de  lor  vie 
Ce  que  j'en  sai  une  partie. 
Toz  malades  plain  de  raoncle 

220    Vint  Renart  un  jor  a  son  oncle, 
Dist  Ysengrin  'biaus  nies,  q'as  tu? 
Moult  te  voi  ore  confondu.' 
Ce  dist  Renart   malades  sui'. 
'Voire,  cheles,  manjas  tu  hui? 

225     Nenil,  sire,  ne  n'ai  talent.' 
'Levez  vos  sus,  dame  Hersent, 
Fêtes  li  une  petite  haste 
De  deus  roignons  et  d'une  rate  !' 
Renart  si  se  tut  toz  ombrons, 

230    Pansa  qu'il  eiist  faiz  bacons. 
Un  petitet  leva  la  teste, 
Troi  bacons  vit  pandre  a  la  feste. 
En  sorriaut  as  bacons  dist 
'Moult  par  est  fox  qui  la  vos  mist. 

235    Ahi,  biaus  oncles  Ysangrin, 
Ja  sont  il  tant  malves  voisin, 
Tex  puet  la  voz  bacons  veoir 
Qui  en  vora  sa  part  avoir. 
Isnelement  les  despandez, 

240    Dites  c'en  les  vos  a  enblez!' 
Dist  Ysengrin    n'en  goûtera 
Tex,  com  je  cuit,  qui  le  saura.' 
Dont  conmenca  Renart  a  rire. 
'Nel  porrez'  dist  il   escondire, 


225  Nai      22<3  vosj  moi       233  sérient       dit     237  Tez  (242.  288) 
243  rirre 


XXIV  (Méon  267-302) 

245    Tes  hom  vos  en  porroit  rover.' 
Dist  Ysengrin  'laissiez  ester  ! 
Je  n'ai  frère,  neveu  ne  nièce 
Qui  j'en  donasse  une  pièce.' 
Por  lui  le  dist  et  por  son  père, 

250    Et  por  sa  famé  et  por  sa  mère. 
Ne  demora  mie  grantment 
Que  Renart  vint  tout  coioment 
En  sa  meson,  qant  il  dormi, 
Sus  el  feste  la  descovri. 

255    Par  tel  vertu  assaut  ses  cors, 
Les  trois  bacons  en  sacha  fors. 
En  sa  meson  les  enporta. 
Et  par  pièces  les  despeca, 
En  son  lit  les  mist  en  l'estrain. 

260    Ysengrin  s'est  levez  par  main: 
Il  vit  sa  meson  descoverte 
Et  de  ses  troi  bacons  la  perte. 
'Ahi'  dist  il,  'dame  Hersent, 
Concilie  somes  laidement.' 

265    Ele  saut  sus  conrae  desvee 
Toute  nue  et  eschevelee. 
'Diex'  dist  ele,  'qui  a  ce  fait  ? 
Ci  a  estout,  domage  et  lait.' 
Ne  le  sevent  sor  qui  souchier, 

270    N'a  entr'aus  deus  que  corrocier. 
Conme  ce  vint  après  meugler. 
Renart  s'en  vint  esbenoier 
En  la  meson  moult  lieement, 
Son  oncle  trueve  moult  dolent. 

275    'Oncle'  dit  il,  'que  avez  vos  '? 
Pensis  vos  voi  et  corrocous.' 
'Biauz  niez'  fait  il,    bien  sai  de  coi. 
Perdu  sont  mi  bacon  tuit  troi, 
S'en  ai  au  cuer  corrouz  et  ire.' 

280     Oncles'  dit  il,  'or  devez  dire. 


343 


247  neue     251  grantmant     255  v.  i  seut    273  sa    277  niezj  fiuz 


344  XXIV  vMôon  1503-33(3) 

Se  vos  dites  aval  la  rue, 
Que  celé  char  aiez  perdue, 
Puis  ne  vos  en  rovera  mie 
Paranz  ne  ami  ne  amie.' 

285     Biau  niez'  fait  il,  'por  voir  te  di, 
Perduz  les  ai,  ce  poise  mi.' 
Renart  respont  'onc  n'oï  tal: 
Tex  se  plaint  n'a  mie  de  mal. 
Bien  sai  qu'en  sauf  les  avez  mis 

auu    Por  voz  paranz,  por  vos  amis.' 
Diva'  fet  il,    es  tu  gabierre? 
Foi  que  tu  doiz  l'ame  ton  père, 
Et  ne  croiz  tu  ce  que  je  di?' 
'Toz  tens  dites'  dist  Renart  'si.' 

295    'Renart'  ce  dist  dame  Hersens, 
'Je  cuit  vos  estes  hors  dou  sens. 
Se  nos  nés  eiissons  perduz, 
Ja  esconduiz  n'en  fust  randuz.' 
'Dame'  dist  il,  'je  le  sai  bien 

300    Que  moult  savez  d'art  et  d'augien. 
Nequedant  tant  i  a  de  perte, 
Vo  meson  avez  dcscoverte, 
Or  dites  par  la  en  sont  trait.' 
'Par  dieu,  Renart,  si  sont  il  fait.' 

305    Respont  Renart  'ce  devez  dire.' 
Renart,  n'en  ai  talent  de  rire: 
Ce  poise  moi  qu'il  sont  perdu, 
Grant  domage  i  avons  eu.' 
xVtant  Renart  s'an  vait  joiant, 

310    Et  cil  remestrent  tiiit  dolant. 
Ce  fu  des  anfances  Renart. 
Tant  aprist  puis  d'angin  et  d'art. 
Que  il  en  fist  puis  maint  ennui 
Et  a  son  oncle  et  a  autrui. 


281  la  uile  284  P.  amis  nami  namie  285  niers  il  iminque 
287  or  noi  289  sanz  295  lursans  296  hor  302  Uoz  307  poise 
moise  moi     310  remédient 


XXV 

Signor,  oï  aves  asses,  H  74 

Et  ans  et  jors  a  ja  passes, 

Les  aventures  et  le  conte 

Que  Pierres  de  Saint  Cloot  conte 
5    De  Renart  et  de  ses  affaires. 

Tels  i  a  qu'il  ne  prise  gaires 

Ne  l'aventure  ne  le  conte: 

Car  il  ne  sevent  que  ce  monte. 

Mais  qui  bien  i  vorroit  entendre, 
10    Grant  savoir  i  porroit  aprendre 

Et  oïr  mainte  bone  exemple: 

Car  la  matere  est  large  et  ample. 

Tout  cil  qui  en  content  sans  rime 

Ne  sevent  pas  vers  moi  la  dime: 
15    II  le  vous  content  a  envers, 

Mais  jel  cont  par  rime  et  par  vers. 
Jadis  avint  en  Engleterre 

Que  Renars  s'ert  aies  pourquerrc. 

Un  jour  s'estoit  levés  bien  main, 
'20    Dou.  bos  iert  venus  a  un  plain. 

De  gaaignier  moult  s'aparelle 

Renars,  et  si  n'iert  pas  mervelle, 

(iu'il  ot  moult  jeune  le  jour. 

Por  cou  n'a  cure  de  sejor: 
25    Cort  et  racort  les  sans  menus. 

Et  a  tant  fait  qu'il  est  venus 


16  ie  1  uous  conte 


346  XXV 

Tôt  droit  sor  Teur  d'une  rivière. 

Lors  s'en  revolt  aler  arrière 

Cius  qui  de  tous  baras  est  mestre, 

30    Quant  il  regarda  sor  senestre 
Par  desous  l'ombre  d'un  carbon: 
Si  vit  dan  Pincart  le  hairon 
Qui  en  la  rivière  pescoit, 
Et  les  poissons  au  bech  chercoit. 

dô    Renars  le  vit,  la  teste  abaisse, 
A  la  terre  cheoir  se  laisse 
Et  se  porpense  qu'il  fera 
Et  conment  il  l'engignera. 
A  soi  meïsme  se  démente 

40    Por  le  fain  qui  molt  le  tormente. 
'Diex'  fait  Renars,  'que  porai  faire? 
Par  quell  engien  le  porai  traire? 
Se  je  atent  tant  que  ci  vegne, 
Por  coi  folement  se  contiegne, 

45    Espoir  jel  poroie  bien  prendre. 
Mais  longeraent  i  puis  atendre 
Ancois  qu'il  viegne  ci  peschier. 
Et  sel  puis  comparer  molt  chier: 
Car  se  je  sui  aperceûs, 

50    Des  mastins  troves  ne  veiis, 
Il  me  feront  lor  jeu  puïr 
Se  je  ne  m'en  puis  bien  fuïr. 
Et  s'il  me  voit,  il  s'en  ira 
Et  de  l'ewe  se  partira: 

55    Si  aurai  perdu  mon  travail. 
Et  diex,  que  ferai,  se  g'i  fail  ? 
Et  se  je  sui  ci  toute  jour 
Quel  preut  aurai  en  mon  sejor? 
Se  preut  n'ai  par  mon  travillier, 

60    Toute  jour  i  puis  baaillier. 
Tels  est  li  siècles,  dont  rien 
Sans  travail  n'a  on  gaires  bien.' 
Sor  la  rive  s'est  adentes, 


59  preut  C    (=^  Chabailh)]  painc     61  Faut  il  lire  est  or  li? 


XXV  347 

Quant  asses  se  fu  démentes. 
65    Sovent  regarde  le  hairon. 

Moult  est  plains  de  grant  traïson. 

As  deus  esraiche  la  feuchiere 

Dont  plente  a  sor  la  rivière: 

Une  grant  bracie  en  a  prise 
70    Renars,  et  entor  soi  l'a  mise  : 

Tout  contreval  la  lait  aler, 

Et  sor  le  hairon  avaler. 

Et  li  hairons  dreee  la  teste, 

Le  peschier  lait  et  si  s'areste, 
75    Un  petitet  se  trait  arrière, 

Et  quant  il  vit  que  c'est  feuchiere, 

Aval  l'enpoint  et  puis  repesche. 

Renars  seoit  sor  l'erbe  fresche, 

Si  a  a  ses  dens  esrachie 
80    De  la  feuchiere  une  brachie  : 

Il  la  gete  en  l'ewe  courant. 

Et  si  ne  va  pas  demorant. 

Li  hairons  se  rest  tressallis, 

Qui  bien  cuide  estre  malbaillis: 
85    De  la  fouchiere  se  raproche, 

Des  pies  et  de  son  bec  l'atouchc 

Et  reverse  en  mainte  manière. 

Et  quant  il  voit  que  c'est  fouchiere. 

Do  rechief  conmence  a  peschier 
90    Et  les  poissons  al  bec  cerchier. 

Renars  estoit  en  son  agait, 

Bien  a  veii  quanqu'il  a  fait: 

De  lecherie  se  debrise 

Et  se  porpense  en  mainte  guise, 
95    Conme  il  le  puisse  damagier 

Et  de  la  rivière  sachiei*. 

Mais  il  dist  qu'en  l'ewe  enterra 

Et  en  aventure  se  mctra  H  75 

Envolopes  en  la  fouchiere: 
100    Si  flotera,  qu'ele  est  ligiere. 

grans 


348  XXV 

Asses  porront  bien  estre  ensamble, 
Car  la  fouchiere  le  resamble  : 
N'ert  pas  ligiers  a  apercoivre. 
Ensi  le  porra  bien  decoivre. 
105    Lors  aracha  une  grant  masse 
De  la  fouchiere,  et  si  l'amasse: 
Et  quant  il  l'a  mis  en  reorte, 


Entrer  i  voet,  mais  il  ne  l'ose. 

110    Diex,  tant  par  est  couarde  cose! 
'Par  dieu'  fait  il,   g'i  enterrai, 
Et  se  je  puis,  je  le  ferrai.' 
A  ces  mos  s'est  Renars  couchies 
En  la  fouchiere  et  enbussies. 

115    La  rivière  ert  auques  estroite  : 
Renars,  qui  le  hairon  convoite, 
S'enpaint  en  l'ewe  de  la  rive. 
Onques  diex  ne  fîst  riens  qui  vive 
Qui  apercoivre  le  peuïst, 

120    Tant  fust  saiges  ne  tant  seuïst, 
Se  il  ne  11  fust  dit  avant, 
Par  derrière  ne  par  devant. 
L'ewe  tôt  contrevaî  le  mainne 
Vers  le  hairon  qui  moult  se  painue 

125    De  porcachier  sa  garison: 
Ne  se  gardoit  de  traïson, 
Ancois  entendoit  al  peschier 
Et  a  poissonnes  acrochier. 
Et  si  veoit  bien  la  fouchiere 

130    Floter  contrevaî  la  rivière 
Et  venir  vers  lui  durement. 
Moult  se  contient  seiirement. 
Si  conme  cix  qui  ne  savoit 
Qui  dedens  la  fouchiere  avoit, 

135    Et  qui  nulle  cose  ne  doute. 

Mais  Renars,  qui  ne  l'aimme  goûte 
Et  qui  maint  home  desavance, 


109  il   ne  l'osej  no  parole      VIA  baron     132  C  cointient 


XXV  349 

Se  trait  vers  lui  sans  deinorance. 

Et  quant  il  voit  qu'il  ne  prent  garde, 
140    Jeté  les  dens,  plus  ne  se  tarde: 

Vers  soi  parmi  le  col  le  saiche 

Si  que  la  teste  li  escaiche. 
E  vous  finee  ceste  guerre. 

Atout  lui  va  Renars  a  terre, 
145    Jusqu'à  un  buisson  le  traîne 

Qui  ert  desous  une  aube  espine. 

Et  li  haïrons  comence  a  braire. 

Renars  n'a  seing  de  noise  faire: 

Dou  buisson  le  trait  en  un  angle, 
lôO    La  le  tient  tant  que  il  l'estrangle. 

Quant  estrangle  l'ot,  sel  menja 

Ensi  que  point  n'en  i  laissa  : 

N'en  volt  longue  parole  faire. 

Renars  s'en  va  a  son  repaire, 
155    Ce  fu  en  fauquison  de  près: 

Li  jors  iert  auques  avespres. 

Lors  s'aresta  enmi  un  pre. 

Le  solel  vit  bas  avespre: 

Iluec  atendra  le  serain. 
100    Très  desous  un  mule  de  fain 

Se  va  dormir  et  reposer. 

Apres  raengier  fait  mal  aler. 

Ce  nous  font  acroire  li  mire: 

Maintes  fois  l'aves  oï  dire. 
1G5    Sor  le  mullon  s'est  endormis. 

Mais  par  tens  sera  estormis  : 

L'ewe  iert  desrivee  et  creiie. 

Onques  si  grans  ne  fu  veiie 

Com  elle  fu  en  cel  saison  : 
170    Desrivee  iert  outre  raison. 

Toute  iert  couverte  la  contrée 

De  l'ewe,  qui  ert  grant  et  lee: 

Jusqu'au  mulon  iert  ja  venue. 

Couverte  en  iert  l'erbe  menue, 


loi)  setain     17.S  .Tusqiia  m. 


350  XXV 

175    Et  li  flos  si  venoit  montant. 
Que  vous  iroie  jou.  contant? 
Tout  contreval  o  la  crétine 
S'en  va  li  muions  de  ravine 
U  Renars  s'ert  aies  dormir. 

180    De  poiir  comence  a  frémir, 
Et  puis  après  s'est  esvillies. 
Estrangement  s'est  mervillies, 
Quant  il  voit  que  li  flos  l'enporte, 
Qui  durement  le  desconforte. 

185    'Ha  las'  fait  il,    malaeures, 
Chetis  folz  et  desmesures, 
Pereceus,  mal  vais,  plains  d'outraige! 
Ja  me  suet  on  tenir  por  saige: 
Mais  onques  voir  n'oi  point  de  sens, 

190    Ne  ne  fis  de  nul  biens  porpens. 
Dyauble  me  fist  ci  couchier 
Desus  le  fain  et  embussier, 
Quant  je  m'en  deùsse  estre  aies. 
Et  en  ma  taisniere  avales. 

195    Près  sui  de  mort,  or  le  sai  bien. 
De  l'escaper  n'i  a  mais  rien. 
Car  li  flos  se  retrait  en  l'ombre 
Qui  maint  home  noie  et  encombre. 
Se  je  saut  jus,  je  noierai, 

200    Ja  autre  cose  n'en  ferai. 

N'i  os  salir,  n'i  os  remaindre: 
La  menre  poor  est  la  graindre: 
Qar  s'on  me  puet  apercevoir, 
Icou  sai  ge  trestot  de  voir, 

205    (Que  d'un  que  d'el  ai  grant  fricon) 
C'on  me  torra  mon  pelicon.' 

Endementres  que  se  démente 
Renars  en  celé  grant  tormente, 
Atant  estes  vous  un  vilain 

210    Najant  vers  le  mullon  de  fain 
D'un  grant  aviron  qu'il  tenoit. 


190  fui      191  fironf      199  ius  quo  n.      202  ost]  on      211   naviron 
(248.  252). 


XXV  351 

De  la  pescherie  venoit. 

Mainte  aventure  aviont  ou  mont. 

Najant  s'en  venoit  coutremont, 
215    L'aviron  tenoit  en  sa  main. 

Quant  fu  près  dou  mulon  de  fain, 

Si  vit  Renart  cropir  deseure. 

Quant  il  le  vit,  plus  n'i  demeure  : 

Celé  part  vint  grant   aleiire 
220    Con  cix  qui  point  ne  s'aseûre. 

Or  est  Renars  en  grant  barate, 

Qui  tantes  gens  a  mis  en  flate, 

Et  qui  les  plus  cointes  assote. 

Sor  le  mullon  de  fain  qui  flote 
225    Se  siet  dolans  et  esbahis; 

Bien  cuide  estre  mors  et  trahis. 

He  diex'  fait  il  vilains,  'bial  sire, 

Si  sui  haities,  ne  sai  que  dire. 

Saint  Juliens,  quel  troveûre! 
230    Quel  dos  et  quele  engorgeùre! 

Or  est  Renars  bien  atrapes. 

Se  je  puis,  il  sera  hapes. 

.Ta  li  ferai  le  col  estendre 

Et  senpres  le  porterai  vendre. 
235    A  que  que  soit  le  dos  vendrai, 

Et  la  gorge  si  retendrai: 

Orle  en  ferai  a  mon  mantel. 

Il  me  covient  avoir  sa  pel. 

Cou  est  la  fine  vérité. 
240    Puis  sera  en  l'ewe  gete. 

Qu'il  n'a  vers  moi  point  de  desfense.' 
Moult  remaint  de  cou  que  fols  pense: 

Tout  autrement  ira  la  cose. 

Cil  ne  fine  ne  ne  repose 
245    Trusqu'il  vint  au  mullo  tout  droit 

Ou  Renars  estendus  estoit. 

Moult  le  manace  li  vilains  : 

Son  aviron  prent  as  deus  mains, 

227  li]  il     244  Cil  |  Qui     245  C  vint  manque 


352  XXV 

Ferir  le  volt,  mais  a  faili, 
250    Car  Renars  d'autre  part  sali. 

Li  vilains  li  cort  environ, 

Et  lait  corre  son  aviron  : 

Ferir  le  cuida  en  la  teste. 

Mais  Renars,  qui  pas  ne  s'arcste, 
25;')    De  l'autre  part  guencist  et  saut 

En  tel  manière  que  cil  faut 

Qui  moult  durement  le  manace. 

Renars  fuit,  li  vilains  le  chacho: 

Cliace  de  ca,  chace  de  la: 
2G0    Moult  iert  corochies  s'il  ne  l'a. 

Mais  asses  se  puet  travillier 

Ancois  qu'il  le  puisse  baillier. 

Li  vilains  voit,  prendre  nel  puet, 

Bien  voit  que  monter  li  estuet  H  76 

265    Sor  le  mullon,  si  l'en  voet  traire: 

Car  ne  li  puet  damaige  faire 

Ne  ferir  en  nulle  manière 

Ne  par  devant  ne  par  derrière. 

Les  le  mullon  de  fain  s'areste, 
270    Et  por  ramper  ses  sollers  este. 

Que  vous  feroie  jou  lonc  conte? 

Sor  le  mullon  li  vilains  monte, 

Et  li  batiaus  dou  fain  s'eslonge. 

Renars,  qui  le  vilain  resoigne, 
275    Quant  il  le  vit  vers  lui  venir. 

Et  le  grant  aviron  tenir. 

As  joins  pies  ou  batel  sali. 

E  vous  le  vilain  esbahi 

Par  convoitise  et  par  outraige  ! 
280    Por  cou  nous  retraient  li  saige 

Que  tels  cuide  bien  son  prou  faire 

Qui  quiert  son  honte  et  se  contraire. 

Icou  suet  on  dire  en  respit: 

Por  le  vilain  le  vous  ai  dit. 
285    Or  est  remes  en  grant  péril 


253  C  Ronara  iD/inqur.     (' :  Lf.t  rrj-s;  263.  264  sont  iutrrvfrti 


XXV  H53 

Par  convoitise  d'un  houpil: 

Or  est  sor  le  mullon  renies. 

Atout  Renart  s'en  va  la  nés. 

L'onde  s'en  part,  l'onde  là  serre. 
290    Ains  ne  fina  trusqua  la  terre. 

Puis  s'en  va  en  sa  forterece. 

Et  li  vilains  est  en  destrece. 

De  toute  pars  l'ewe  le  molle. 

De  poor  oste  sa  despoille 
295    Con  cius  qui  bien  cuide  noier. 

Li  vens  le  i'ait  moult  esmaier, 

Sa  colpe  batoit  moult  sovent. 

Lors  vint  une  wague  levant 

Qui  sor  le  raullon  l'acravante. 
3(M)    Li  flos  l'enporte  et  la  tormente 

Vers  un  pel,  par  poi  nel  tua. 

Mais  li  vilains  s'esvertua 

Con  cius  qui  bien  savoit  noer: 

De  cou  fist  il  moult  a  loer. 
305    Tant  s'est  ploncliies,  tant  se  demainne, 

Qu'a  terre  vint  a  quelque  painne. 

Et  quant  il  fu  venus  a  rive, 

Si  dist,  jamais  jor  que  il  vive 

A  houpil  plait  nul  ne  tenra, 
.'^lO    Xe  par  lui  niaus  ne  li  venra. 

289    Faut  il  lire    La  nés  s'en  part?     Au  lieu  de  serre  //  ij  avait 
'abord  reste      309  nu 


RENART   II  23 


XXVI 

Or  vos  traiez  ca  d'une  part,  L  62' 

Un  fauble  dirai  de  Renart, 

Qui  de  Hersent  s'est  departiz. 

Il  s'an  torna  par  un  larriz 
5    Tant  qu'il  vint  a  une  grant  voie, 

Entre  un  champ  et  une  moie. 

Garda  avant  et  se  remire 

Tant  que  il  vit,  ce  oï  dire, 

Une  croiz  desus  un  chemin 
10    Qui  moult  estoit  près  d'un  sapin. 

D'un  home  qui  i  fu  murtriz. 

De  ses  ennemis  desconfiz: 

Tue  l'orent  si  ennemi. 

Cil  parant,  li  plus  près  voisins, 
15    Celé  croiz  firent  landemain  : 

Ne  tardèrent,  mais  main  et  main 

Li  assistrent  desus  son  chief 


Ont  a  terre  a  lor  piez  botee 
20    Et  une  plainche  bien  dolee 

Ont  entre  les  deus  croiz  assise: 
Et  bien  les  tient  et  fait  jostise. 
Sor  la  pierre  ot  un  marreglor 
Qu'entaillie  i  ont  11   bergier. 
25    La  se  seoient  per  a  per 


7    a.  ce  oï  dire      8    uit   l't  se  remiro      18    //  >iifni(jiip  in'  un  vers 
lu  moins.     22  bie 


XXVI  355 

Que  je  vos  sai  moult  bien  nommer. 

Li  uns  est  li  fiemiz  Fremonz, 

Blans  li  hermines  li  seconz, 

Et  li  tiers  fu  Thieberz  li  chaz, 
80    Et  Ros  li  esquiriaux  li  quarz. 

S'orent  une  andoille  trovee 

Qui  moult  estoit  bien  conraee. 

îfe  sai  cui  ele  fu  cheue, 

Mais  cist  quatre  l'ont  receûe. 
35    En  poinne  sont  et  en  tormant 

Que  la  partissent  igalmant. 

Enmi  est  grosse  et  graille  au  chief. 

De  ce  est  moult  granz  li  meschief: 

Quar  s'ele  fu  partot  honie, 
40    Legieremant  fust  départie. 

Tant  ont  dit  et  tant  ont  parlé 

Que  tuit  ensanble  ont  esgarde: 

As  marrelles  la  jueroit 

Li  quex  d'aux  trestote  l'auroit. 
45    Entre  Ros  et  Thiebert  le  chat 

Andui  estoient  d'une  part, 

Si  que  l'uns  l'autre  ensoigneroit 

Se  nus  d'aux  mestraire  voloit. 

Fromonz  et  Hermine  la  blanche 
50    Ont  andui  d'une  part  la  planche  : 

Bien  puet  li  uns  l'autre  ensoignier 

Quanqu'il  porra  au  marregher. 

11  l'avoient  trestot  en  peis, 

Et  marrelles  i  avoit  près. 
55    Mes  encor  ne  se  vent  a  dire 

Qui  dou  geu  soit  miadres  ne  pire, 

Quant  lor  danz  Renars  aparut. 

Si  comme  Faisius  traire  dut, 

Garda  avant  par  aventure, 
00    Yit  le  venir  grant  aleiire. 

Il  lor  crie  'Fuiioz,  fuiiez! 


.31   troup       .%  |»aitissnnf       .'îi)  oole      51   pnoiit      57  danz  Renars 
n  été  ajouté  iCitite  main  /j/iis  récente. 

23* 


356  XXVI 

Fil  a  putain,  ne  vos  targiez!' 
Si  con  ce  ot  dit  li  Faissiax, 
Et  li  chaz,  qui  moult  fu  isneax, 

(),')    L'andoille  prant,  sor  la  croiz  monte  : 
Il  ne  dote  ne  roi  ne  conte. 
Et  tuit  li  autres  compaignons 
S'anfiiirent  tuit  a  g-arison. 
Renars  a  Thiebert  esgarde, 

70    Et  cil  li  a  le  dos  torne. 

Thiebert'  dit-il,  'es  tu  ce  la?' 
Adonc  primes  le  regarda. 
'Et  dont  vienz  tu  or,  Renardin?' 
'De  cest  bois  ci,  biaux  douz  cosin. 

7ô    Porquoi  es  tu  laissus  montez?' 
Quar  plus  seûrs  en  sui  assez.' 
'Cornant'  fait  il,  'doutez  nelui?' 
Oïl.'     'Et  cui?'     'Toi  et  autrui.' 
Porquoi?'   'Quar  tel  chose  teing  ci 

80    Dont  j'auroie  le  cuer  marri, 
Se  par  malveste  le  perdoie.' 
'Ha,    ce  que  est?   a  hi  dont  proie?' 
Oïl.'     'Si  ne  le  puis  savoir?' 
Oïl:  mes  n'an  puis  riens  avoir.' 

85     Di,  va,  ce  qu'est  :  comant  a  non, 
Di,  va!'     'Andoille  Tapelle  on.' 
'Comant'  dit  il,  'et  par  quel  art?' 
'.Ta  voir  n'en  goteras,  Renart, 
Quar  autres  compaignons  hi  a.' 

5)0    'Ou  sont?'  dit  il.     'Très  bien  le  sa.' 
Aussinc  i  aurai  je  ma  part.' 
Renart,  trop  i  es  venuz  tart.' 

Renars  se  fist  moult  corrociez, 
Sovant  a  ses  grenons  léchiez. 

90    Li  angoissus  moult  se  defripe. 

Moult  art,  moult  frit,  moult  se  delippe. 
Sovant  ses  yeuz  laissus  rehuille  : 


66  rois 
94  grenos 


OS  ficfiit    69  a|  Z  =  et  ;  rofi-fcllou  de  Cliahaii 


XXVI 


357 


Sor  lui  n'a  mambre  ne  se  duille. 
L'andoille  iert  un  poi  entamée, 
100    Plus  l'esgarde,  plus  li  agrée. 

Bien  voit  Renars,  n'an  aura  mie, 
Se  granz  baraz  ne  li  ayie. 
De  grant  engin  s'est  porpanssez. 
Desor  la  plainche  en  est  montez: 
105    N'i  a  gaires  este  en  pais, 

Quant  resaut  jus  tôt  a  un  fais  : 
Ses  piez  bota  en  l'erbe  drue. 
Thiebert'  dit  il,    havez  veue?' 
'Et  qu'est  ce,  Renart,  qu'avez  pris?' 
110     Par  deu,  ci  a  une  soriz.' 

(]uant  Thiebers  oï  ce  nommer, 
La  riens  que  il  puet  tant  amer, 
A  la  soriz  tant  entandi 
Que  l'andoille  mit  en  obli. 
115    Au  retorner  son  pie  remue. 
Et  l'andoille  li  est  cheue. 
Renars  l'ahert  ysnelement, 
Et  l'andoille  tantost  s'estant. 
Thiebers  fait  duel  sor  la  croiz  maire 
lio    Que  nus  ne  poïst  plus  grant  faire. 
■Renart'  dit  il,  'dex  fu  trahiz  : 
Qui  vos  croit,  moult  par  est  honiz.' 
'Thiebert'  dit  il,  'lai  moi  ester! 
;N'ai  cure  de  ton  sarmoner. 
1-J5    Plus  est  fox  qui  en  vos  se  fie. 
Moult  vos  criai  orainz  aye, 
Ne  me  doignates  regarder. 
:Meis  orandroit  me  puis  vanter,  I^  63 

Je  hai  l'andoille  a  tôt  la  liart. 
lao    Plus  ni  auroiz  ne  hart  ne  part: 
Ne  me  tieng  pas  a  vo  cosin.' 
Ici  prant  ceste  branche  fin. 


108   hauo      HT    lahort,    corriyé  pur  Chahaillc. 


XXVII 


D'uiia   festa   de   1  Asansion 
Che   raonsignor  sire   lion 
Vol   gran   cort   tenir   de   so    bornazo 
De   bestie   demestege   e  salvaze. 
5  Non   c  grande  ne  menor 
Che   totc  no  vegna  a  lo  segnor: 
Che   lo   segnor  vol   corte  tenir 
E  raxon  far  e   pla  oldir. 
Le  bestie  ben  le  sete  conte  parte 

10  Totc  se  lomeiita  de  Raynald  : 
Un   Chantacler   molvolenter, 
E  Lesengrin   de  soa  moier. 
'Nobel  lion,  ^er  deo  mcrze, 
De  Raynaldo  fa  raxon  a  mi, 

15  De   quel   sperzora   enganaor: 
Ch  e  palexe  laro   e   traytor. 
El  fio   ten  ne   fe  ne  sagramento 
Ni  lealta  per  nesun  tenpo  : 
Ma  d  ogna  cosa  fa  felonia. 

20  El  speza  tiita  la  oonpagnia.' 
E  Lisengrin,   ch  el  re  no  1  anaa, 
Davanti   lo  lion  si   se  regama. 
'Nobel  lion,   per   deo  merci, 
De  Raynaldo  fa  raxon  a  mi. 

25  Ch  el   m  a  boni   de  mia  muier, 
De  Lesengra  ch  e  mi  river. 
A   Malpcrtuso  che  la  trova 
A  mal  so  gra  che   la  slbrza.' 
'Se   deo   m  ai'  dis   lo   lion, 

30  'Questa  c  grande  ofension  : 
Chi  onis  1  altru  muier. 


Srgnori   e   done   che  se  qui,    [50] 
Plas   ve   intendcr   ec   aldir 
Un   sermon   de  grant   sobic, 
A   chi   intendcr   si  li   plas. 
El   e   sermon   de   grande   festa  5 

A   chi  intendre  se   deleta, 
E  sciencia  s  en  po  trar 
Chi   in   bona   part  la  vol   rctrar. 
Clie   bein   dise   la   scritura: 
Tute  cosse   vul  mesura.  10 

Chi   altri  briga   de   inganar, 
L   ingano   in   lui   sol   retronar: 
E   chi   per  altri  fa  la  fossa, 
Entro  cl  cace  con  soa  volta  : 
E  1  omo   che  pensa  vadagnar,  15 

Con   malicia   avoir   trovar, 
El  ge   perde  quel  et  altro 
Et  e  fora  dol  so  salto. 
Nui   om   no   diga   mal  d  altrui, 
Che  altri   diga   bein  de  lui.  20 

Chi   vol    dir   mal   del   so   visin, 
Inpriraa   inpense   pur   de   si 
E  soa  rason  si   de   cercar, 
E  postra  diga  de  altri   mal. 
Chi   de   altri   dise   vilania  25 

Ella  retorna  in  soa  camissa^ 
Or,  perce  cho  lo  mondo  se  de  mal  afar 
Et  ogn   omo   briga  de   far   mal, 
Imperco  Xristo  veras  signur        [51] 
Si  ne  a  dado  cotai   rason,  30 

Che  tuta  cente  al  mont  vivent 


8  T{eza)  farj  fa    15  eganaor     26 
T  che  manque 


16  P(iUelli)  malicia]  malcia     21 


XXVII 


359 


E  son   tegn,u   de    iostixier.' 
Un   Cantacler  si  s  aprexcnta 
Davant  lo  lion,   si  se  lamenta. 

35 'Nobel   lion,   per   deo   marci, 
De  Raynald  fa  raxon  a  mi. 
Che  g  era  ben  con  sete  cento. 
Ma  un   gc   n  era  sanguenente 
CheHaynald  trovo  la  noite  col  dente: 

40  Si  ge  trase  1  ala  dentro  cl  ventre 
D  un  pal  ge  vedo  che   non  ave  un 

oltro.' 
De  quel  tb  grarao  Raynaldo  a  la  mort. 
E  quel  ch  era  navra  e  sangucnent, 
Davant  lo  lion  si  va  plurando. 

iô'Xobcl  lion,  per  deo  merci, 
De  Raynaldo  fa  raxon  a  mi  1 
Da  che  1  onci  1  orden  sagre, 
Vu  si  tignu  de  iustixier. 
Ben  sa  tu  che  son  Chantacler: 

50  Li  previi  deo   chauto   hi   mcstcr. 
Ben  sa  tu  che  sun  cantaor,^ 
Li   previi  deo  chante  li  ore.' 


E   tute  bestie  curent, 

Viva  soto  segnoria 

Che  li  demene  per  dreta  via, 

Che  tuti  aibia  soa  rason  '- 

A   soa  dreta  doraandason. 

E  si  plasete  a  leshu  Xristo, 

Che  del  mondo  fo  magistro, 

Clie  lo  lion  fosse  podesta 

E   signor  e  re  clama 

De  tute  bestie  che  al  mondo  son, 

Fer  far  a  lor  soa  rason. 

Or    sta   lo   lion    su   in   una  grant 
raontagna 
Cou  moite  bestie   in  soa  compagna, 
Et  avea  soi   conscieri, 
Quant  li   fasea  mesteri, 
E  comandadori  e  scrivan 
Si   aveva  d  ogna  man. 
Elo  tegniva  pledo   e  rason 
Si  com   re  e    grant  signor  : 
Tute  le  besti  fese  adunanca 
E  si  fese  grant  lementanca 
Sovra  Reinaldo  comunament 
De  li  soi  grandi  offendiraent. 
Li  Cantacler  orden  segra 
Si  se   comenca  a  lementar. 
Or  dise  quelli  'miser  lion, 
Vui  se  re  e  bon  signor  : 
Nui  ve  pregemo  fortement, 
Entendi  nostro  lementament, 
Et  a  dreta  demandason 
N  avrei  ne  in  nostra  rason. 
Dananti  vui  fasemo  reclamo 
De  Raynaldo  to  vasallo, 
Che  sempre  ne   va  mal  metant 
Lo  orden  segre  e  la  nostra  cant. 
Nui  cantemo  li  officii  e   li  maitin 
Et  el  no   cessa  de  nui  alcir. 
Ancora  non  e   tropo  tenpo 
Che  de  nui  a  morti  bein  cinque  cento, 
Cenca  queli  ch  ell  a   inavra 
E   poco  vivi  li  a  laga. 
E  questa  se  cosa  manifesta 
Ch  io  d  ai  perclada  la  ala  dreta. 


Le  V.  40  se  trouve  au  dessous  du 
T.   42   cp.   306.      Corrigé  par    T. 


55  P  catiicler     60  F  leraentumet 


860 


XXVII 


'Se   doo   m  ay'   dis   lo   lion, 
'Quobfa   e   grande   ofension  : 

55  Da  che  1  onci  1  orden  sagre 
E   son   tignu   de   iostixier. 
Anda,   Busnardo   lo   criaor, 
Si   me  1   meti   in   bando   inortor  ! 
E   Boclia  move   isncllamenl, 

60  Si   me  I   scrivi  in   lo   livro   deiitio. 


Or    parla    Gilberto    li    tason 
Cl'.e   de   Kaynaldo   c   eonpagnon. 


'Nobel  lion,   per  deo  merzo, 
Vu   dovi  ben   intender  mi. 
65  Moite   false  lamentaxon 
Fi   tate  davant  vu,   baron. 
Tal  so   lamcnt   de   Kaynaldo, 

S  cl   t'ose   qui  in  questa  parte, 
Za  no   avrisi   ste  parole  crcere, 
70  Ch  cl   son   avrave   ben   ascoder, 
Mo   si   dis   pur   a   la   soa   parte 
Perche  1   non   e   qui   lo   Kaynaldo. 


E   digo  a   Yoi,   chotal  segnor, 
No  me  1  meti  in  bando   mortor  ! 

75  Che  voio  essere  so  churaor, 
Davanti   voi  manlevaor. 
De   qui   a   tri   zorni   lo   f'aro   venir 
A   raxon  l'ar   e  pla  oldir. 
A  sa  a  1  plu  a  domandar 

80  Ch  cl  no   de  ad  altru  dare.' 
Dis   lo   lion   'A   bona   or  : 


Or,   mesier,   per   vostro   honor  75 

De  qucsto   vui   ne  fai  rason.' 

'Si   deo   m  ai'  dis   lo   lion,  [52] 

'Questa   se   grande   offension 

Ad   alcir  1  orden   segre. 

Eo  son  tegnu  de   custisier.  «o 

Or   andei,   Busnard   lo   criador, 

E   i   me   1   cridai   in   bant   mortor  ! 

E   vui,    siraia,   scrivan   faccnt, 

Scrivc   me   1  ordenamcnt, 

Si   che   per  scrito   sempre   se   trova     85 

E  bein  ne  sia  in  memoria, 

Che   in   bant   mortor   sia  crida 

Quel  malvasio   omicidial.' 

E  la  simia  si  se   aprestava 

A  far  00   che  lo  lion   comandava.      <jo 

Or  e   vegnu   Cilbert  lo  tason 
Che   de  Kainaldo  se    compagnon. 
Si  venue  dananti  lo  lion 
E   si  disse  saviamentre 
Dananti  lo  lion  so  parlaraent.  95 

'0   Nobel  lion,   per  deo  marce^ 
Vui   deve  intender  me. 
Moite   false  lementason 
Se  fa  davanti  vui,   baron, 
Incontra  Kainaldo  loro    vasalo  luo 

Che  sovra  tuti  li  altri  val. 
Ma  se  Kainaldo  fose    qui, 
Ch  el  soa  rason  podese  dir, 
Bein   vederis,   Nobel   lion. 
Ora  non  e   qui  Rainald,  105 

Ch  el  e  anda  in  altra  part, 
A  feste  0  a  predicacion. 
Ter  inparar  cant  e  ferm. 
Eo   V   en   prego,   centil   signor. 
No  me   1  mete   in  bant  mortor,         no 
Che  eo   voio  eser  so  curador 
E  dananti  vui    manlevador. 
De  qui  a  trei  corni  ve  1  faro  vegnir 
A  rason  far  e  pleido  aldir.' 


'In  bon 


dis  lo  lion. 


Da/t^  les  vv.  53  ss.  les  initiales  ne 
sont  pas  tout  à  fait  lisibles.  6Q 
crivi       64   ï'  intcder 


XXYll 


3«1 


Da  clie  1   trova  reteneor, 


Oima  no  avra  1  bando   mortor: 
E  ve  comando  ben,  Zilbcito  li  tassuii, 

85  Che  voe  anda  per  voslio  conpagiion. 
Tra  qui   a   tri   zorni   me  1   fa   venir 
A  raxon  far  e  pla  oldir.' 
E  Zilbcrto   dis  che   ben   lo   tara. 
l'artc  se  da  la  corte  e  si  son   va. 

90       Fin    al   chastol   de    Raynald 
Va  Zilbcrto  senza  reguardo. 
E  Raynaldo  era  in  una  montagna 
Che  de  le  altre   bcstie  no  se  lagna. 
Quindexe  porte  a  per  entrer 

95  E   altretante  per  eschanper. 
El  e  ben  perchaza  la  noite 
De  manzer  a  gran  desdoit 
Sete  galine  e  un   chapon 
E  un   chantaclcr  ch  e  bel  e  bon. 


100  E  Zilberto  tb  a  le  porte, 
Si  comenzo  a  crier  a  oit  : 
'0   e  tu  anda,  chonpare  Raynald?' 
'Chi  e  tu,  che  soni  en  quelc  part? 
'E  son  Zilberto  li  tassun.' 

105 'Che.  \o  tu  far,  bel  conpagiion '?' 
'E   te  vorave  parole  dir, 
Che  noe  avemo  entrum  a  partire  : 
E  vegno  da  la  corte  del  lion 
Ch  e  inperero  et  c  baron. 

llOLe  bestic  ben  le  sete  cento  parte 
ïutc  se    loraenta  de  vu,  Raynaldo. 
Un   Chantacler  molvolenter, 
E  Lcsengrin  de  soa   moier. 
L  e  vegnu  a  lo   segnor, 

115  Si  ve  faxea  mctcre  en  bando  mortor. 
E  son  stato   curaor, 
Davanti  lu  manlevaor: 
Da  che  sum  sta  curaor 
No  me  lasa  en  dexenor.' 

120 'Car  conpaguon'  zo  dis  Raynald, 
'Quand  eo  ve  prego  en  mille  part, 


'Da  poi  ch  eo   trovo  curador 

E  per  lui  manlevador, 

Non  e  dreto  ni  rason 

De  cridar  lo  in  bant  mortor. 

Or  andai,   Cilbert  le  tason,  120 

Ter  Rainald  vostro  compagnon  : 

De   qui  a   trei  corni  me  1  fai  vegnir 

A  rason  far  e  pleido  audir.' 

Dis   Cilbert  che   bein  lo  fara. 

Parti  se  de  la  cort  e  si   s  en  va.    125 

Dreto  al  castello  de  Rainald 
S  en   va  Cilbert  cenca  revart. 
Rainald  era  in  una  montagna,   [5i3J 
De  le  altre  bestie  no  se  da  lagna. 
Bein  XV  porte  elo  a  d  andar  130 

E  bein  quaranta  onde  el  po  scanpar  : 
El  e   bein  percaca  la  noit 
Del  mancar  a  grant  déport, 
Scttc  galline,   cinque  caponi 
E  doi  Cantacler  grosi  e   boni,  135 

Ch  el  aveva  porta  de  la   noit 
Per  aver  so   grant   secorn. 
E   Cilbert  fo   a  le  porte 
E   si  clama  Rainaldo   molt  c   forte. 
E  Rainaldo  respose  in  ait  140 

'Chi  e  tu  che  ses  vegnu  in  questa  partV' 
'Eo  son  Cilbert  le   tason.' 
'E   que  voi  tu  far  bel  compagnon?' 
'Eo   te  voi  parlar  e  dir.' 
Dis  Rainaldo  'che  avem  nui  a  partir  ?'  145 
'Eo  vegno  da  la  corte  do  lo  lion 
Che  se  imperer  e  baron. 
Eo  te  digo  novella  tal, 
Che   li   Cantacler   orden   sogra 
Dananti  nostro  re  lion  150 

Do  ti  a  fat  lemcntason 


Et  co  per  ti  son  curador 

E  a  lo  lion  manlevador. 

De   qui  a  trei  corni  ti   prcscntar 

A   rason  e  pleid  menar.  155 

De  co  no  sia  in  ti  rancura, 

Che   nui  semo  si  savi  de  scritura 


1-21    T  Qund 


130  pertaça 


362 


XXVII 


E  quand  "e  ve  vcgno  ben  a  pragai- 

Che   vu  m  entres!  a  manlevar, 

E   quand  e  prego   per   grande   amor, 

125  Ko  no  porave   trovar  manlevaor. 
Se  me  voli  a  forza  far  manlevaxon, 
Si   ve  romagno  1  obligaxon. 
Ben   oe  fato  tante  otcnsion, 
S  eo  Yolese  ben  trar  raxon, 

130  Con   drito  me  dovrave  lo  lion  pren- 
dere. 
Si  me   dovrave  in   torche  apendere. 
Clii   a  si   tegna'   zo   dis   Raynald, 
'Che  110   viro   en    quela  parte." 


'Car  conpagnon'  zo   dis   tassum, 

135'Vigni  a  la  cort  del  lion! 
Da  ch  eo   son  sta  curaor, 
No   me  lasa  en   dexenor. 
Ch  eo   c   ti,   senza   mentir, 
Sen   ben   per   undexe   palain. 

140  Ben  avesemu  el  palexe  torto, 
Si  vinziramo  el  pla  per  volte.' 
'Char  conpagnon'   zo  dis  Raynaldo, 
'Nu  saven  tanto  e  1  un   e  1  altro 
Ch  i  corerave   tuti  a  uno   remor 

145  A  una  vosa  e  a  un  crior: 
Remor  de  povol  m  a  oncir, 
Ch  eo   no  porave  mia  raxon  dir.' 
'Char  conpagnon'  zo  dis  tassun, 
'Vigni  a  la  cort  de  lo  lion! 

150  Che   deo  n  a  da  si  bon  signer 
Che  1   no   si   osa   levar   remor, 
Ne   burzela  aparir, 
E   ne   no   si   osa  parole   dir.' 

Dixc  Raynaldo   'E  ge  viro. 
155  Me   cre  che   raay   non   tornaro. 

E  ve  comando  ben,  Zilberto  li  tassun, 
No  me   fai  may  manlevaxon  : 
No  m  entra  ma  a  malevare. 
Se  no  ve  vegno  ben  a  pregare.' 


E  si   doti  in  la  rason, 
Che,   s  el  torto  fose  de  nui, 
Bein   saveremo   nui   si   far 
Cil  el  pleido  avère    vadagnar.' 


'Chi  a  si  tegiia'  co  dis  Rainald. 

'Eo   no    vegno   in   quella   part: 

Clie  remor    de    povol    bein    m  afraf 

alcir, 
Ch  eo   no  porave   mia   rason   dir.'       165 
'Char   compare'   dis   lo   tason, 
'Vegni   a  la  corte   de   lo   lion  : 
Da  che  eo  son  stado   to  curador, 
No   me  lasar  iu  desenor, 


Che   deo   ne   a  dado   si   bon    signor,  170 
Ch  el   no   sen   ausa   far   remor 

Ni  parola  alsa  dir, 
Se   no  a  chi  el  fa  mestier.' 
Dis  Rainald  'eo  vegiiero. 
Eo  creco  che  mai  no  tornero.  175 

Eo  ven  prego,   Cilbert  le  tason, 
No  m  intrei  a  far  manlevador 
E  non  m  intrei   a  manlevar, 
Se  eo  no   von  vegno  bein  a  prcgar. 
Eo  vel  voio  paleismentre  dir,  180 


134   T  Ca       186  T  Da  heo 


159  P  d  nui 


XXVII 


363 


160  E  Zilberto  dis  che  ben  lo   tara 
En  tuto  1  tenpo   chc  1   vivo   sera. 
Oima  se  raixe  en  lo  viazo 
L  un   6  I  altro   a  franco  chorazo. 
La  mula  de  Zilberto  ben  trota, 

165  Quela  do  Raynaldo  va  zopa. 
La,  mula  de  Zilberto  ben  anbla, 
E  quela  de   Raynaldo  si  e  staneha. 

O  i  t "g  a  la  cort  de  lo  lion, 
Cil  e  inperero  e  baron, 

170  Le  bestie  ben  le  zete  zeiito   part 
Tute  comenza  a  crier  a  olto 
'De   za  ven   Raynaldo  e  lo   tassun  : 
Anda  chorando   a   lo   lion  : 
O   sia   drit   o   sia  a   torto, 

l'a  Si  li  faren  douer   la  morte.' 

'Char   coupagnon'   zo   di   Raynaldo, 
'Tu  m  a  conduto  en  raala  parte. 
Ben  ti  1   vign  eo  per  tenpo   a  dir, 
Remor  de  povol  m  a  onzir. 

180  No   oldi   tu   con   gran   rcmoi  ? 
F,   nu   aven   zi   gran   paura.' 
Dixe  Zilberto    'No   temi  miga  ! 
Vigni  siguramente   en    questa   via 
D  en   davanti  lo   lion, 

185  Ch  e  enperer  et  e  baron.' 


'Sire  lion'  dis  lo  tassun, 
'Vei  Raynaldo  meo  conpagnon. 
Vu  no  avi  si  bon  vasallo 
Che  ve   ténia  un  batistallo, 

190  Xe    che    sapia  si  bon    portare    una 
mcsazo, 
Con   sa  Raynald,   sire   lion. 
Si   mel   tigni  ben   a  raxon, 
Che  1  incontra  a  meza  via: 
Senza  comando  a  cortc  venia.' 

195      E  lo  lion  Raynaldo  guarda 


licin  ven  porave  mal  avegnir, 
Quando   eo   to   vcgno   a   pregar, 
Che   tu   mcn   entresi   a  manlcvar. 
Quant  prega  1  om  per  grant  amor  [54] 
No   po  el  trovar  manlevadur.'  185 

Or   dis   Cilbert  ch  el   bein   l'ara. 
Parti  se  intrabi  e   si   scn  va. 


La  mula  de  Cilbert  bcin  trota 

E  quclla  de  Rainald  e  cota. 

La   muUa  de   Cilbert   bcin   anibla      190 

E   quela  de   Rainald   c   staneha. 

Or  son  après  de  la  cort  de  lo  lion 
Che   se  inperier  e  grant  baron. 
Quando   le   bestie   li   vête  vognir, 
Tute  si  scumenca  a  dir  195 

'De   qua   ven  Rainald   e   lo   tason. 
Andemo  a  corte  de  lo  lion, 
O   sia   dret    o   sia   tort, 
Si  li   farem  donar  la   mort.' 
'Compare   Cilbert'   co   dis   Rainald,     200 
'Tu  m  ai  conduto  in   mala  part. 
Bein   tel  vegni  per  tempo  a  dir, 
Remor  de  povelo  me  ave   alcir, 
Ch  eo   no  porave   mia   rason 
Dir   ananti   lo   lion.  205 

Or  semo  apresso  de  la  cort, 
Grant  paura  ai  de  la  mort. 
In   corte   semo   de   lo   lion 
Che  se  imperier  e  grant  baron,' 

Or  intranbi   doi  se   aprcsenta        210 
E  lo   tason  preis  parlar. 
'Sire  lion'  co  dis   lo   tason, 
'Vedi  Rainald  meo   compagnon 

Che   sovra   tuti   li   altri   val. 
Ni   che   aibia   si   franc   coraco  215 

De  bein   portar  un  mesaco, 
Cum   fu  Rainald,   sire  lion. 
Si   me  1  tegni   bein  a  rason, 
Ch  eo  1  incontrai  a  meca  via, 
Cenca  demora  ch  el  vigniii.'  220 

Lo  lion  Rainaldo   varda,        [55] 


186  riio 


193  F  Ce  se  imprier    213  F  com- 
pagno 


364 


XXVII 


Avre  la  boca  e  si  ge  parla. 
'Bestia  malvasia  de  natura, 
Con  tua  pesima  figura, 
Con   po   tu  tante  guère  finir 

200  E   tanti   to   inimixi   guarir  ?' 
'Sire  lion'  zo  dis  Raynaldo, 
'E  0  raxon  in  ogna  part: 
Per  zo  m  a  manda  deo  creator 
Che   0  rason  e  noite  e  zonio.' 

205      E  Lixengrin,  ch  el  re  nol  1  ama, 
Uavanti  lo  lion  si  se  regama. 
'Nobel  lion,  per  deo  merze, 
De   Raynaldo  fa  raxon  a  mi! 
Ch  el  m  a  boni  de  mia    muier, 

210  De  Lexengra,   ch  e   qui  river  : 
A  Malpcrtus  ch  el  la  trova 
A   mal  so  gra  ch  el  la  storza.' 
'Se   deo  m  ai'  dis  lo  lion, 
'Questa  e  grande  ofension  : 

215  Chi  bonis  1  altru  muier, 
E  son  tignu  de  iostixier. 
Com  e  zo,  sire  Raynaldo, 
Che  vu  si  tanto  ardi  e  baldo 
Che  vu  oni  1  altru  muier  ? 

220  E  ve  son  tignu   de  justixier.' 
Or  parla  Cilberto  li  tassun, 
Che  de   Raynaldo  e  conpagnon: 
'Nobel  lion,  per  deo  merzc, 
Vu  devi  ben  intender  mi. 


225  Per  raeo  compare  voio  parlare, 
En  soa  raxon  voio   curare  : 
De  (|uello  che  ge  dobia  zoare  a  Ray- 
naldo 
Digo  per  lu  en  questa  part: 

230  De  quel  che  ge  dovese  jiosere 
Per  te  nol  digo  per  lu,  e  anzi  per  mie. 
Questa  si  e  falsa  lamentaxon 
Ch  e  fata  davanti  vu,  baron. 
Con  drito   dovrisi  Lixengrin  prender 

235  E  si  1  dovrisi  in  forche  apendere: 
E  la  putana  de  soa  moier 
Dovristu  far  arder  e  broxer. 


Avri  la  boca  e  si  parla. 
'Bestia  mala  de  natura, 
ïu   ei  de  si  picola  figura, 
Com  poi   tu  tante  vere  far 
E  tante   brige  demenar?' 
Dis  Rainald  'miser  lo  lion, 
Imperco  ch  eo  ai  rason.' 


Et  Isengrin,  che  Rainaldo  non  ama,  230 
Dananti  lo  lion  se  reclama. 
'Nobel  lion,  per  deo  marce  ! 
De  Rainald  t'ai  rason  a  me, 
Ch  el   m  a   uni   da   niia  muier, 
De  Isigrina,   ch  e   qui  a  river.  235 

Ad  un  pertus   el  1  a   trova, 
A  mal  so  gra  si  1  a  força.' 
'Si  deo   m  ai'   dis  lo  lion, 
'Questa  fo  grant  oflension 
A  forcar  1  altrui  muier:  240 

Eo  son   tegnu  de  custiser.' 


Responde   Cilbert  lo   tason 
Che  de  Rainald  e   compagnon: 
'Sire  lion,  per  deo  merce  ! 
Vui  deve  bein  intendre  me. 
Moite  falsc  lementason 
Se  fai  ananti  vui,    baron. 
Per  meo  compare  voio   parlar 
E   voio  soa  rason  cuiter. 
Quel  che  de  coar  a  Raynald 

Digo  per  lui  in  questa  part. 
Quel  che  li  dcvese  noser  per  se 
No  digo  per  lui,  anci  per  me. 


Con  dret  devercs   tu  Isigrin 
Far  condur  a  mala  fin, 
E  la  putana  de  soa  muier 
Far  la  arder  e  brusicr. 


■218  T  blando 


244  Sire  bon 


XXVII 


365 


Corne  I  porave  ma  a  me  segnor  dir, 
Ne  com   e  ma  sta  cosa  da  crecre, 
Che   Raynaldo,   ch  e   qui  river, 

240  Poesse  mai  Lesengra  sforzer  ? 
Ne,   s  t  ame   deo,   d  esto   claraor 
L'an   de  gran  pena  e  gran  remor. 
Anch  e  Lisengra  si  forte 
Che  la  n  porave   onzir  quatordoxe, 

245  E  la  gel  de  per  bon   convento. 
Del  bando  no  de  1  pagar  niente: 
Da  che  1  no  fe  sego  tenzon, 
Tu  no  i  di  far  condanaxon.' 
'Se  deo  m  ai'  dis  lo  lion 

250  'El  par  che  Raynaldo  abia  raxon. 
Bestia  malvaxia  de  re  pensero, 
Con  te  laxavi  tu  a  Raynaldo  sforzer  ? 
Ben  e  tu  si  grande  e  si  forte 
Che  tu  en  porisi  ancir  quatordexc. 

255  Tu  gel  dexi  per  bon  convento, 
De  bando  no  de  1  pagar  nient  : 
Da  che  tu  no  fisi  sego  tezon, 
Eo  ne  ge  do  far  condanaxon.' 
'Sire  lion'  co   dis  Lexengra, 

260 'Vu  no  savi  de  latro  e  de  la  puta 
strena. 
E  vidi  e  latro,  si  vel  vosi  première, 
Che  vel  volea,  mesegnor,  r.ondere, 
Con  de  far  spercuraor 
E  bandezao  a  segnor. 

265  Raynaldo  fuzi  in  una  chosta, 
A  una  tana  entro  una  posta  : 
Et  eo  ze  dreo,    che   vosi  prendere, 
Che  vel  volea,  mesegnor,   rendere. 
Si  me  caze  en  le  reie  parte, 

270  Che  de  fora  me  roraaxe  le  quarte  : 
Dentro  e  no  poti  entrere 
Ne  de  fora  poti  torner. 
Raynaldo  ensi  da  1  altre  part 
De  dreo  me  venc  senza  reguart: 

275  A  mal  mec  grao  ch  el  me  sforza, 
Trea  via  mego  che   se   conza. 
Peroh  eo  no  me  poti  acholeger, 
Per  zo  sofri  grève  mester.' 
Pris  a  crior  lo   Lion  a  olto: 


Com  poraf  eo  a  meo  signor  di 
Parole  che  non   e  de  crer, 
Che   Raynald,   ch  e   qui    river, 
Podes  Isigrina  a  forcer  ? 


Che   Isigrina  se  si  forte 

Che  a  dodese  darave  la  morte. 

Or  vel  digo  per  convont 

Del  bant  no  de  1  pagar  nient, 

E  fai,  mesier,   comandason 

Che   de  co  plu  no  sia  tenenn.' 


'Se  deo  m  ai'  dis  Isigrina, 
'Eo   me  lemento  de  puta   ostrina 


De   un  falso  spercurador,  [56]  270 

Che  e  bandeca  de  so  signor. 
Rainald  se  caca  in  una  tana. 
Et  entro  la  tana  se  aposta  : 


Eo  me  cacai  entro  la  terca  part. 

De  fora  romas  la  quarta  part: 

Uncha  no  poti  dentro  entrar 

Ni  de  fora  no  poti   tornar. 

Fora  ensi  Rainald   da  1  altra  part. 

De   dreto  me   venne  cenca  rcvart. 

A  mal  moo  gra  si  m  a  força, 

Entro  la  via  se  acolega, 

Eo   no  me  podeva  corler, 

Per  co  sofri   quel  gref  mestier.' 


•273   T  latre     279   T  ton 


279  ma 


366 


XXVII 


28o'Fisi  vu  zo,  sire   Raynaldo?' 
'Se  deo  m'ai'  dis  Raynaldo,  'altri 
Qui  110  rcspondera  nesuii  per  mi: 
E   se  1   ge   rcspondera  nexon, 
E  nol  tegno  per  rexoncion. 

28n  E   ve   digo   che   no   fi  miga: 
Me   la   ve  dixe  gran  folia. 
Forsi  fo  la  altra   rea  chosn, 
V  altra  rea  pesima. 
Me  me  lamento  de  1  asolto, 

290  Che  la  me   volse  prendere  a  lorto, 
Corne  la  confessa  denanzi  da    ti. 
Si  1  abia  ben  a  lermo  re.' 
Dis   lo   lion   "Voli   vo   mostrer?' 
'No   voio,  eh  eo   no  poso,  nieser.' 

295 'Se  deo  m  ay'   dis  lo  lion, 

'El   par   che   Raynaldo   abia   raxon  : 
E  V  asolvo  ben  de  questo  pla,  Ray- 
naldo.' 
Dis   lo   tassun   'Si   fari  vo   dl   altri.' 
Un   Cantacler  si  s  apre.xenta 

.■^00  Davanti  lo  lion  si  se   lamenta. 
'Nobel  lion,   per  deo  merze, 
De  Raynaldo  fa  raxon  a  mi  ! 
Che  g  era  ben  con  sete  cento, 
Ma  un   ge  n  era  sanguenent, 

30.")  Che  Raynaldo  trovo  la  noitc  col  dent  : 
Si  ge  trasse  1  ala  dentro  1  ventre  : 
D  un  pal  ge  vedo  ch  el  non  ave  un 

oltro.' 
De   quel  fo  grarao  Raynaldo  a  mort. 
Quel   ch  era   navra   e   sanguenent 

310  Davanti   lo   lion   s  un   va   plurando; 
'Nobel  lion,   per   deo   merze, 
De  Raynaldo   fa   raxon   a    mi  ! 
Da  che  1   onci  1  orden  sagre 
Vu   si  tignu   de   iostixier..' 


315      'Se  deo   m  ai'  dis  lo   lion, 
'Questa  e  grande   oftension  : 
Da  che  1  onci  l'orden  sagre 
E  son  tignu  de  iustixier. 
Ben  soc,  tu  e  raeo  chantaor, 


Dis  Rainald  'questo  no  fes  on  miga. 

Ella  ve  dise  grant  folia. 

Ella   fo  altra  mala  bestia, 

0   altra  mala  cosa  pessima 

Che  li  1  feis   intro  la  tana. 

S   ert  ela  e  paleîs  putana.' 


'Se   dio   m  ai'   dis   lo   lion, 

'El   par  che  Rainald  aibia  rason  :      ^oo 

Da  che  1  se  po  con  dret    defender, 

A    tort   non  li  voio  la  morte  rendor.' 

Li  Cantacler  si  s  apre.=enta, 
Davanti  lo  lion  si  s  aleraenta. 
'Saipia  bona  cent, 

Che  i  era  bein   seto  cent.  29S 

Un  si  n  era  sanguanent 

Che   Rainald  trova  la  noit  : 

Con  li   dent  li  trase  1  alla  del  corp, 


Ont  el  parea  ch  el  fosse  mort.         ^oo 
Quel  ch  era  inavra   e  sanguannent, 
Davanti  lo  lion  si  veni   plancent: 
Nobel  lion,  per  deo  merce! 
De  Rainald  fai  rason  a  me, 
Che  1  m  alci  1  orden  segre  :  305 

Tu  ei  tegnu  de  custiser. 
Bein  sai  tu   ch  eo  son  to  cantador 
E   prevede  de  cantar  le  ore.' 
'Se  deo  m  ai'  dis  lo  lion, 
'Questa  fo  grant  offension  310 

Ad  alcir  1  orden  segre, 
Eo   son  tegnu  de  custiser.' 
'Se  deo  m  ai'  dis  Rainald, 


309  P  Seo  deo    311  P  loden    312 
P  custier 


XXVII 


367 


320 Li  previi  deo  chanti  li  or: 

Ben  soe  che  tu  e  me  Chantacler, 
Li  previi  deo  chanti  i  mester. 
Raynaldo,  quan  tu  t  a  de  qua  partir, 
Za  no  avra  taleuto  de  rier: 

325  Quan  tu  t  avra  partir  de  questa  parte 
Porave  valer  enzigna  e  art.' 
'Sire  lion'  zo  dis  Raynaldo, 
'E  son  qui  alo  en  questa  part. 
Si  va  credeva  un  drito  signor, 

330  Mo  vu  si  fato  plazaor  : 

Da  che  tu  plaizi  per  1  altra  part, 
Segnor,   e  de  malvaxia  arte. 
Le  poesta  dovrave  intendere, 
E  le  apresn   dovrave  responderc, 

335  E  le  rexocion  scolter, 
E  le  sentencie  débuter. 

Se  no  me  voli  tignir  ben  a  raxon, 
E  no  ve  prexio    miga  un  speron. 
Che  di  Cantacler,  a  mi  siente  : 

340  Eo    ne    manza  za    in    tri    mixi  ben 
sete  cent. 
Mo  son  tôt  veclo,   no  posso  ander 
Ch  e  0  ben  doxento  agni  passe. 
El  no  serave  vignu  el  meo  tenpo, 
Ch  eo  dovese  far  sagramento  : 

345  Ni  anche  dovese  a  cort  vegnir. 
Se  vu  lo  volissi   sofferrir. 
Mo  da  che  voli  ch  eo  ge  vegna, 
Ben  e  che  1  vostro  comando  tegna  : 
E  si  ve  digo  ben,  meser, 

350  Che  no  vosi  uncha  ingicsia  entrer, 
Per  mesa  ne  per  maitin    scolter, 
Se  no  ge   ze  per  grasa  galina  o  per 

'chapon  prenderc. 
Xo  0  grida,  zentil  signor, 
Che  volese  scoltar  so  ore 

355  Che   i  no  e  de  nostra  religion. 
Nu  semo  bestie  et  el  e  osello: 
El  sa  volar  e  ben  e  bello  : 
E  no  me  recordo  in  nesun   tenpo 
Che  vu  me  fisi  coraandamento, 

360  Se  deo  me  de  che  poti  prendere, 


De   queste  parole  eo  son  ben   calt. 
De  co  no  responda  negun  per  mi   315 
Ch  eo  no  li  prego,  si  deo  m  ai: 
S  el  de  responder  algun  baron, 
Eo   no   la   fegnaro   per  responsion. 
A   vui   digo,   meser   lion, 


Eo  ve   credeva  un  bon   signor:         320 
Vui  se  spercuro  per  tute  part, 

Mal  de  andar  tute  le  art. 

La  podesta  de  bein   intender      [57] 

E  1  apelason    inprendre 

E  la  rason  bein  ascoltar  325 

E  dreta  sentencia  debia  dar. 

Ancora  te  digo,  miser  lion. 
Se  tu  no  me  teines  bein  in  rason, 
Eo  no   te  presio  un   speron. 
De  li  Cantacler  a  mi  sicnt  330 

Eo  n  ai  manca  bein  einquo   cent.      » 

Eo  son  veglo,    non   poso   cir, 


No   devcrave  a  cort  vognir, 

Mai  vos   tu  pur  ch  eo  devogna 

E  1   to  comandamcnt  mantegna.         335 

Eo   non   volsi   mai   in   glesia   infrar 
Per  messa  ni  per  maitin   scoltar, 
Se  no  andai  per  galine   prender 

Et  a  lo  meo  corpo  grant  asio  render 

0   per  galine  o   per  capon  340 

Ond  eo   me  les   de  gros   bocon. 

Eo   son  bestia  per  andar 

E   li   auselli   sa   bein   volar. 

Chi  non  vol  lo  mal  fucir, 

De  rason  lo   de    padir.'  345 


322  T  chati  337  no  manque   340  T  to 


86S 


xxvn 


Clie   no   dovese  a  mou  asio  renderc. 

'So   deo  m  ai'   dis   lo   lion, 
"El   par  che  Raynaldo   abia    la.xon  ; 
A  tort  no  voie   Raynaldo    prendcre 

365  E  no   gc  voie  la  mort  rondere, 
E  no  me  recordo  per  nesun   tempo 
Che  ge  fesse  comandamento  : 
E   da  che  no  ge  fi  comandare 
A   tort  no  1   voia  justixiar. 

370  Ma  el  zurara  in  ogna  parle 
De  tegnir  fe  tregua  e  paxo.' 
E  Raynaldo  tôle  e  si  zura   hi  co- 

mandament  del  lion, 
Ch  e   inperer  e  baron. 
Li  aloga  Cilberto  pregasse 

375  Che  diil  re  lo   manlevaso. 

'Reten   te,  Raynaldo,   de  lavorer 
E  laga  star  li  re  mester  : 
Reten  te,  Raynaldo,  de   to  siinr 
E  no  siar  may  chacaor. 

380  S  tu    me    falasi   may,  Raynaldo,    e 
t  avi   prendero, 
Si   te   farave   in  forche  apenderc.' 
E  Raynaldo   dis,   che  ben   lo  fara. 
Parte  se  de  la  corte  e  si   scu   va. 
Quando  Raynaldo  e  parti  dai  oltri, 

385  Si  a  grau  zoia  e  gran  confort. 
Dixe  Raynaldo  'Deo  creator, 
Che   m  a   fato   zurar   sto   signer, 
Che  me  retegna  de  lavorar 
E  lagar  star  li  re  mester  ; 

390  E  no  so  arar   ni  zapar, 
Somenar  ni  crpegar, 
Far  vigna  ne  far  fossa 
Ne  far  queste  lavorar  ; 
E  no   so  far  tore  ni  soler, 

595  Chanbiar  or  ni  diner  : 

E   no   so  far  nave  ne  sandon, 
Ne  so  far  queste  lavnraxon  : 


E  cre    ch  eo  me  n  sperzuraro 
Ni  sagraniento  eo  non  tiro. 


'Si   deo   m  ai'    dis   lo   lion, 
'El  par   che   Rainald  aibia  rason, 
Da  poi  ch  el  se  po  con  dret  defcnder, 
A   tort  no   li   voio   la  morte  reudcr.' 
Dis   Rainald   'grant  marcc,   miser  lo  3.50 

lion.' 
Dis   Gilbert  'miser  fase   li  don.' 
Dis  lo  lion  'vole  vui  mestier?' 
Dis  Rainald    'no   voil   mestier, 
Trop   son   vetran,   nol   pos   durer.' 
Or  a  fato   comandament  3.55 

Lo   lion   incontinent 
A  Rainald  bel  e  cent, 
Sota  peina  de    sagrament. 
'Eo  ve  comando,   Rainald, 
Treva  e  pas  in  ogna  part.  sfio 

Retei  te,  Rainald,  de  lavorer 
E  lasa  star  lo  reo  mestier! 
Retei  te,  Rainald,  de  te  lavor 
E  non  eser  plu   scacador! 
Se  plu  mal  fasi,    eo  te  faro  prendor  365 

E  la  morte  te  farai   render.' 

Da  la  cort  Rainald  s  en   part 
Con  reo   incegno   c  cou   mal  art, 


E   va  digaud  'deo   criator, 

Que  m  a  fato  curar  lo  meo  signor  !  aîO 

Ch  eo  me  mantegno  de  lavorer 

E  lasa  star  li  rei  mestier! 

Eo  non  sei  arar  ni  capar. 

Ni  sachi  adoso  no  sai  portar. 

Ni  travesar  vin  in   vecol,  375 

Ni  capar  fava  ni  fasol, 

Ni  cambiar  or  ni  arcent, 

Ni  far  nisun  lavoranient, 

Ni  far  nave  ni  sandon. 

Ne  alguna  lavorason,  380 

Ni  menar  morcadantia 

Ni  lavorer  ch  al  mondo  sia. 

Eo  crcco  bein  ch  eo  me  spercurero 

E  l  sagraniento  no  tegnero. 


m-2   T  Ion     '365   T  r.  a  tort     372 
T  comandamit     H87    T  na 


.'],')8  mesier     372  P  nioscier     880 
P  lauorauorason 


XXVII 


369 


400  A   mal   nioo   gra  luel  fc   zurar  :         , 
Se  nien  sperzmo,  el  no  e  pécha. 
In   una   bradia   Raynaldo   intra, 
Una  grassa  cavra  ch  cl  ge  trova. 
'Deo   te  salvi'  zo  dis  Ilaynaldo. 

405  'Comadre,  chc  fa  tu  en  questa  part  ?' 
La  cavra  ge  dis  senza  rancura 
'Raynaldo,  deo  te  dia  mala  vcntiira  ! 
Unda  si  vu   meo   conpadre  ? 
Unda  vu  me  clama  comadre  ?' 

410  Dixe   Raynaldo   'De  lo  cavrco, 
Clie  ge   mis   nom   1  Agnelo. 
lîen  te  dovrave  a  recordare : 
Tu  sa  che  1  tigni  al  batezare.' 
La  cavra  dixe  'De  puta  fe, 

41.")  K  cre  che  1  me  1  recordo  raci, 

L'onpatre  Raynaldo,  che  volivu  farc?' 
'Ohomadre  chavra,  e  me  voio  consier. 
En   vpgno   da  la   corte   do   lion, 
Cil  e   onperer   c   baron, 

420 

E   si   m  a  ftito  zurarc  en  ogna  part 
Che  debia  tegnir  tregua  e  paxe. 
E  no  so  menar  merchaandia, 
Ne   far  lavor  ch  al  raondo   sia. 
E  cre  ch  eo  men  sperzuraro, 

42r>  Ni  sagraraento   e  non  tiro. 

A  mal  meo  gra  me  1  fe   zurare: 
Se  me  sperzuro,   el   no   e  pécha.' 
'Conpadre  Raynaldo'  la  chavra  dis, 
'Vu   no   si  savio   ni   cortis. 

430  Vu  perderisi  deo  onipotente 
A   sperzurar  ve  de  sagramento. 
E  si   avrisi  bando  mortor 
Da  lo  lion,  ch  e  inperaor. 
Mo  mi  e  vu  coraunamente 

435  Somenaren  sta  bradia  de   formcnto. 
Deo  ne  porave  far  gran  ben  : 

D  un  gran  nen  porave  rcnder  zento.' 

E  Raynaldo  un   piteto   pensa 
E  dixe  'Comadre  cavra,   nu  no  aven 
somcnte  : 


Fe  mel  curar  a  mal  meo  gra,  385 

S  eo  me  spercur  non  e  1  peca.' 
In   una  braida  Rainald   intra, 
Una   cavra   si   ne   trova. 
'Deo  te  salve,   comarc  cavra. 
Que   fas   tu  in   tjuosta  braida  V'  ?'90 

Dis   la   cavra   ccnca   rancura 
'Deo   ve   dia  mala   ventura! 
De   qui  se  vui  mia  compare, 
Che  vui    m  apelai  vostra  comare  ?' 
Dis   Rainald  'del  cavriel  3;).'> 

Cil  eo  te  baticai  1  autrer  : 
Bcin  te   devres   tu  arecordar 
Ch  eo  tel  teni  a    baticar.' 
La  cavra  li  dise  in  quela  ora 
'Bein   creco  eh  eo  mel  recorda.  loo 

Car   conpare,   que   vole  vui   far? 
Or  mel  dise,  se  1  ve  plas.' 
'Eo  vegno  de  la  corte   de  lo  lion 
Che   se  imperer  e  grant  baron, 
Ela  m  a  comanda  per  so  art  405 

Treva  e  pas  in  ogna  part, 
I']   ch  eo  me  tegno   de  lavorer 
E  lasse  star  li  rei   mestier. 

Eo  creco  bein  che  men    spcrcurero 
Ne   1  sagrament   no   tegnero:  410 

Fe  mel  curar  a  mal   moo   gra, 
S  eo  me  specuro   non   e   peca.' 

La  cavra  responde  e  si  11   dis 
'Vui  no  se  savio   ni  corteis 
A  sporcurar  ve   del   sagrament.         415 
Partirese   ve  da  deo  omnipotent 
E  averase  bando  mortor 
Da  lo  lion  ch  e   inperer  e  baron. 
Or  mi   e  vui   coraunamcnt 
Semenemo  questa  braida  de  furment.  420 
Grant  bein   ne  porave  deo  far, 
Se  nui  scumencemo  a  lavorar. 
D  un  gran  ne  dara  bein  cent 
Lo  vero  deo  omnipotent,' 
E  Rainald  un  poco  se  inpensa:        425 
'Comare,   nui  non  avemo    semenca  : 


404  T  8,  comadre  chavra  zo    434 
comunanente 


KENART  H 


404  P  grat     408    P  lieri 


24 


370 


xxvir 


440Arar  tera  senza  somener, 

Ora   ne  poravemo  poca  asenbler!' 


Dixe  la  cavra  'Lo  meo  scgnor  lo  vilan 
Si   n  a   una   tina   plena. 
En  sta  noyte  i  andiron  : 
445  Assa,  asa  n  involaron, 

Si  ne  avron  ben  a   somener, 
E  sin  dovraverao  ben  asenbler.' 
Dixe  Raynaldo  'A  bona  hor, 
Da  che  1  va  plax,   che  1  e  1  mior. 


450  Me  staro  for   da  luitan, 

Che   0   tropo   gran  giiera  co  hi  can  : 
Entro  1  logo  no   voio   entrer, 
Che  hi  cani  e  tuti  me  guirer.' 
Dixe  la  cavra   'A  bona  or, 

455  Or  i  andaro  per  vostro  amor.' 
Oima  se  mise  en  lo  \iazo 
L  un  e  1  oltro   a  franco  corazo. 
La  cavra  entro  la  vila  entra, 
Raynaldo   de  fora  da  la  .vila  sta. 

460  Dixe  Raynaldo   'Qui   alo  no  la  voio 
atendere, 
Che  la  me   porave  trair  o  prendere. 
Tor  moe  nia  possa  per   fe, 
No  trovara  la  miga  mi  qui.' 
La   cavra  ze,   si  sen  carega, 

465  Fora  de  la  villa  si  torna, 
E  vignua  en  quella  part, 
E  DO  trova  miga  Raynaldo. 
Per  lo  camin  si  se  driza, 
Raynaldo  la  corando  ge  va. 

470  Sin  a  aduto  dcl  formento, 
Sin  soraeno  e  bene  e  gento. 
Con  le  grasspe  si  graspa, 
E   si  1   crovi   si  como   i   sa. 
Raynaldo  se  colego  sovina, 

475  Come  vel  digo  per  dotrina. 


Arar  tera  senca  semenar 

Poco  ne  pora  covar.' 

Dis  la  cavra  'bein   la    trovcremo 

E  tosto  la  recovrerremo.  ■iSO 

Un   vilan  de  quella  villa 

Si  n  ge  n  a  plena  una  tina. 

Doraan  per  tenpo  nui  anderemo 

E  asai  nui  de  involeremo  : 

Si  la  voremo  semenar,  435 

Grant  bein  ne  poremo  trovar.' 

Dis  Rainald  'a  la  bon   ora, 

Deo  ne  faca   far  bona  ovra.' 

La  cavra  inver  la  villa  va 

E  Rainald   con  si  mena.  440 

Dis  Reinald  per  lo  primer 

'In   la  villa   no   voio   intrier, 

Che  tuti  li  e  mei  verier. 

Eo  me  staro  pur  da  lutan, 

Ch  eo  ai   vere  con   li   can.'  445 


La  cavra  inver  la   villa  vi 
E  de  forment   se  carega. 


Dis  Rainald   'per  mia  fe, 
La  cavra  qui   no  trova  me. 
Ella  vein  de  forment  cargada 
E   Rainald  non  a  trova  : 
Et  e  alegra,  ananti  sen  va 
E  Rainald  si   trova. 
'Or  semenemo  lo  forment 
Tntrabi   doi   cumunament. 


440   T  somtener 


XXVII 


371 


La  cavra  ge  vene  molto  corente, 
A  la  coa  ge  mixe  el  dent. 
La  cavra  e  1  bo  che  de  ander, 
Raynaldo  e  1  erpexe  che  de  erpegcr. 
480  Tanto  cercho   e  -valle  e  dosso, 
Che  1  no  ge  romaxc  de  pel  adosso. 


Dixe  Raynaldo  'Deo   crcator, 
Con  mala  cosa  e  a  far  lavor 


Atant  che  1  forraento   e   naxu, 
485  E  una  spana  1  e  crexu, 

La    cavra  en  zencha  qiian    d  el  ge 

plax, 
E  raanduga  quel  che  plu  ge  plaxe. 
'Comadre  cavra'  co  dis   Raynaldo, 
'Vu  m  en  fari  mollo  mala  parte. 
490  Vu  savi  ben  1  erba  manzer, 

E  no  me  n  posso  miga  sozorner.' 


'Conpadre  Raynaldo'  la  cavra  dis, 
'Vu  no   si  savio  ni  cortexe. 
Vu  no  si  uso  de  lavor, 

4"J5  E  per  zo  fa  vu  cotai  remor. 
Per  manzer  1  erba  e  be   e  bello, 
Za  non  sera  el  formento  de  pezo. 
Per  manzer  1  erba  e  ben   e   zent 
Za  non  sera  de  pezo  el  formentor. 

500       Atant   che  1   formento   e   cresu, 

Et  0  raeij,  et  e  batu, 
E  amontona  e  aparecla, 
Et  entro   1  ara  c  ben  conza  : 
'Comadre  cavra'  zo   dis  Raynaldo, 
505 'E   toi  formento  en   qucsta  parte: 
Or  scravc   bon   partir, 
Se  1  fosse  vostro  plaxir.' 


La  cavra  fo  bo  per  arar 
E  Rainald  preis   a  semenar. 
Tant  cercha  Rainald  val  e   dos, 
No  li  remase  pcl  a  dos. 

'Si  deo  m  ai'  dis  Rainald,  < 

'Eo  son  conduto  in  mala  part. 
Alto  pare  creador, 
Com  mala  cosa  fo  lavorason  ! 
Eo   creco  bein  ch  eo  me  spercurero 
Ne  1  sagrament  no  tegnero  : 
Fe  mel  curar  a  mal  meo  gra. 
S  eo  me  spercuro,  non  e  1  peca.' 

Or  e  semena  lo  furment 
In  la  braida  bel  e  cent. 
Tant  che  1  furment  e  cresu 
E  grant  bein  li  e    devegnu. 
La  cavra  va  per  lo  furment 

E  manca  la  erba  e  bein  e  cent. 

'Se  deo   m  ai'  dis  Rainald, 

'Vui  men  fare  mala  part. 

Bein  save  1  erba  mancar  : 

Eo  d  ai  dura  fadiga  e  pensier, 

Tant  ai  cerca  e  val  e  dos 

No  me  remas  pel  a   dos.' 

'Si  deo  m  ai'  la  cavra  dis, 

'Vui  no  se  savio  ni  cortes. 

Vui  non  se  uso  de  lavorason, 

Per  co  parla  vui  contra  rason. 

An  me  te  cretev  eo  servir, 

Bein  sai  a  lavor  che  fai  mistier.' 


Atant  ch  el  furment  c  cresu, 
E  raadur  el  e   vegnu, 
El  a  medu  e   taia, 

P^t  al  ara  e  1  porta, 

De   un   granel  liiid  a  rendu  cent      490 

Lo   vero  deo  omnipotent. 

Amantenent  Rainald  si  dis 

'Questo  furment  se  vol  partir. 


487   r  qui      497   T  fomenta 


466  ma     476  P  lebar 


24^ 


372 


XXVII 


Dixe  la  cavra  'A  bon  hora, 
Or  partirerao   a  grande   araor.' 

Slo'Comadre  cavra'    zo   dis   Raynaldo, 
'E  faro   la  jeta   e   \n   tori  la   part.' 
Dixe   la   cavra   'A   bon   or, 
Me   no   me   piaro   al  pezor. 
No   parti  par   zo   falsamente 

5in  Clie   piaro   pur   lo   formcnto.' 

'Comadre   cavra'   zo   dis   Raynaldo, 
'E  ve  voio   tare  cotai  parte 
Che  voe   avri  la  pagla  e  1  loglo 
Et   co   avro   lo   forraento   tuto. 

620  E   se   questa   no  voli  prendere, 
Un  altra  ve   n  voio  metere. 
Che  voe  avri  o  1  loglo   e  la  paia, 
Etre  avro  cl  formento,  a  eu  son  caia.' 
'Conpadre  Raynaldo'  la  cavra  dis, 

525  *Voi   no  si  savio  ne  cortexe  : 
Che  voe  parti  malvaxiamente 
Che  voe   voli  pur  lo   Ibrinento. 
Ma  se  voi  voli  bon  far  rason 
E   no  aver  nicgo   tenzon, 

530  Tremo  alo   de  sto  lavor 
La  somente   del  meo   spgnor, 
Foe   meti  del  grano  e   de  la  pagla: 
E  quel  che   de  valer,  si  vaia  : 
E  no  m  entradi  a  inganare, 

535  Che  voio  inanci  plaezare.' 

Dixe  Raynalde  'El  sol  va  a  monte: 
A  pladezar  de  noite  no  e   ora. 
Ma   demaytina   ie   vigneron^ 
S  a   dco   plaxp,   si   s  aeordaron.' 

540  Dixe  la  cavra  baldamentc 

'Mai  domatina  ge  saremo  per  ton[)0.' 
Raynaldo   se   driza  per   un  caniin, 
E  zura  a  dco  e  a  san  Martino 
De   menar  sego  Lcxcngrino. 


Del   partir   bein   e   rason 
La   soa   part  eiba   cascadun. 
Eo   faro   la   partita'   dis   Rainald, 
'E    vui    tore   la    vostra    part; 
Lo   strau   a   la   paia   toi   a   ti, 
E   lo   frumcnto   eo   voio   a   mi.' 
'A   chl   cl   doia'    co   dis   la  cavra, 
'La   mia  part  avérai   co   a   casa, 
E   la   mia   parte   bel  e   cent 
Intregaraentre   dcl   furment, 


E   la   semcnca   dcl  meo   signer 
Tuta   dananti   a  lo   lion.' 


Dis   Rainald   lo   sol   tir   a   monta, 
Plaicar   de   not   me   fai   grant  onta. 
Doman   per   tenpo   qua   vegneremo. 
Se  a  dco  plas,  si  s  acordcremo.' 


La   cavra  son   va   per    un   camin,  ôio 
E   cura   deo   e   sant   Martin 
'Rainald,   tu  me   voi   incegncr  : 
Eo   tel  faro  bein   conprer. 
Se  eo  non  demeino  intrabi  li  mastini 
A   qacsto   furment   partir,  ôl5 

Samai  no  voio  deo  orer, 
Ne  1  Creator  che  ferma  lo   cel. 
Se  tu  veines,  Rainald,  a  la  tencon, 
Se  tu  no  .ge  lasses  lo  pilicon, 


518  T  e  logo    520  T  avri  o  logo 
533  T  qui     541  T  samo 


508  P  tepo 


XXVII 


373 


545  'E   se  toe  veni,  cavra,  a  la  tcnzone, 
S  tue  nu  ge  lasi  el  pilizone, 
Eo   no   voio   mai   manzar  caponc' 
Et   andando  Raynaldo  per  lo  camino 
El  guarda  e  vede  Lesengrino. 

5"0  E  lo  Lesengrino  no  disea  niente, 
Como  homo  ch  era  molio  dolentre  : 
Che  1  era  ben  tri  zorni  passa 
Ch  el   no  avea  raandega. 

Dixe  Raynaldo  'Yen  za,  baron, 

j.jj  Che  te  daro  de  venason. 
E  0  domane  a  partir  blava 
Cou  essa  mia  coraadre  cavra. 
Vcn  t  en  mego  domatiua: 
Si  avéra  la  bona  strcna.' 

5fiO  Lesengrin  dise   'Volcntera: 
Che  1  me  fa  lo  gran  raestero. 
Pure  che  la  sia  ben  grassa: 
Si  avro  la  bona  passqua.' 

Dixe  Raynaldo  'No   domandaro, 

jf)5  Ch  elle  si  grassa,  zo  me  parc; 
Ch  clla  no  se  po  portarc, 
E  tu  nol  la  pora  pur  mandegare.' 
La  cavra  en  ver  la  via  sen  va 
E   dui  mastini  cJl  a  trova. 

565  Dixe  la  cavra  'Fiioli  mastini, 
Fin    che  vo   cri   pizini, 
E   ve  fo  morta  vostra  madrc, 


Samai  no  voio   deo  orer,  520 

Ni  1  Creator  che  ferma  lo  cel.' 

A   li  cagnoni  la  cavra  anda 

E  si  li  parla  com   clla   fa. 

'Dont  vcgui  vui,  mare  V'  dis  li  cagnon, 

'Fioli,   de  raolto   mala  tciicon  :  525 

Ch  eo   semenai   furment 

Con   Rainald   comuiiament, 

E  lo  traditor  Rainald 

No  me  vol   dar  la  mia  part. 

Fioli,  eo  voleva  del  gran,  530 

Ch  eo  ve  voleva  far  del  pan, 

E  si  ve  voleva  dar  raancar, 

Unde  ch  eo  ve   voleva  alevar.' 

Dis   Fortinel  'mare,   intendi   mi, 
Mcnei  me  a  quest   furment    partir  !  535 
Se  1  vein  Rainald  a  la  teucon. 
Se  1  no  ge  lasa  lo   pilicon, 
Camai   no   voio   dco   orer. 
Ni  1   Creator   che   ferma  lo   cel.' 

Dis  Bonapresa  'mare,  intendi  me,  540 

Da  che  mco  frer  vol  lo  pilicon, 

Sego  no  voio  far  tencon. 

Ma  in  tanti  logi  lo    scuracero 

E  si  1  ai  romper  e   forer, 

Che  non  pura  nul  bein  aveir.'  5  45 

Dis  la  cavra  'a  bon  ora, 

Eo   ven   prego,  fioli   cagnon, 

Che  vui  vigne  a  la   tencon.' 

A  la  maitina  la  cavra  s  a  leva, 

Intranbi  li  mastin  si  trova,  ^ô" 

Si  scn  va  bel  e  cent 

0   e  la  paia  e  1  furment  : 

Soto  la  paia  li  cani  s  acolega, 

La  cavra  la  paia  su  li  cita  : 

Si  li  covri  e  bein  e  cent,  "''^^ 

Uncha  no  par  che  sia  nient. 

E  Rainald  sen   va  per  un  cainin, 
E   cura  deo  e  saint  Martin 
'Cavra,   tu   me   voi   incegner  : 
Eo   tel   faro   bein   conprer.  îJ^O 

S  co   non   dcmcin    Isigrin 
A  questo  frument  partir. 


552  T  zoni    557  easo    567  El 


545  nui     562  F  patir 


374 


XXVII 


Et  eo  ve  voisi  nudrigare 
E  fi  ve  asa  bene  a  raxone. 

575  Mo   men  rendi  bon   guierdone  : 

Che   0  a  partir  blava  cum  Raynaldo, 
Et   el   me   \a   pur   inganando  : 
Che  I   me   vol   pur   dar   lo   stramc, 
E   vol   per   lui   lo   formento    tulo. 

580  Ma   doman   lo   voie   partire. 
Si  ve  coven  mego  vignirc, 
E  stare  en  1  ara  soto   la  paia, 
Fin  che  Raynaldo   sera  in  1  ara: 
E  s  el  vira  per  lo  gran  partire, 

585  Voe  savi  ben  chen  se  vol  dire.' 
Li  cani  dixe  'Be  ne   plaxe. 
Noi  gin  darerao  niala  parte.' 
E  la  sira  in  l'ara  andono 
E  in  la  paia  s  aplatono. 

5!^0  E  la  cavra  sta  dal  grano, 
E  aspeta  pur  Raynaldo. 
Raynaldo  vignia  per  una  via 
Cun   Lesengrin   in   conpagnia. 
E  vignando  Raynaldo  per  una  costa, 

595  El  guarda  in   1  ara  e  vcde  la  paia 
mosa, 
K   stare  in  un  altra  guisa, 
Ch  el  no  la  laso  la  sira. 

Dixe  Raynaldo   'E  o  panra 
Ch  eo   avro   rnala  ventura, 

600  Se   vo   a   partire   lo   formento, 
E  avro  mal  partimento  : 
Chel  la  cavra  avea  er  sira 
Del  formento  molto   grand  ira, 
Che  1   tignia   pur  per  mi 

605  E   la  paia  dava  a  si. 
Ond  eo  crezo  per  viretae 
Ch  ella  me  vol  inganar. 
Che   crezo  che  1  abia  conpagnia, 
E  no  per  mi  che  bona  sia. 

610  Und  co   no   voio  cire  a  1  ara, 
Ch  eo  la  poravi  ben    aver  cara, 
Ch  eo   m  infingiro   d  aver  maie 
E  diro   ch  co  no  poso  andare  : 
E   pregaro   Lixengrino   tahto, 

615  Ch  el  andara  a  partir  lo  formento: 


Camai  no   voio  deo   orcr, 

Ni  1  Creator  che  ferma  lo  ccl. 

Se   tu  no  gen  lases  lo  pilioon,         565 

Camai  no   voio   deo   orer, 

Ni  1  Creator   che   fermo   lo   cçl.' 

Tant  k  el   trova   Isigrin 

Ch  el   nol   tein   per   bon   visin. 

'Deo   te  salve'  co  dis  Rainald.  570 

Isigrin  senca  rancura: 

'Deo  te  dia  mala  ventura  ! 

Per   qui   m  intrei   vui   ad   apelar, 

Ch  eo   non  anio  d  un   dinar? 

Tu  credi  eser  verament  575 

A  la  caneva  del  vilan  : 

Tu  menassi  a  carn  salea  mancer, 

Foi   me  fasisti  bein  fruster.' 

'Se  deo  m  ai'  dis .  Rainald, 

'Eo  ve  menei  in  bona  part.  580 

E  1  cra  asai   carne  salca, 

Vui   ne   mancasse   oltra   mesura. 

Si  ve   fo  streto  lo  capel, 

Che  1   ve   trova   lo   vilan 

Ch  aveva  lo  baston  in  maa  :  ôsô 

Per  la  carn  che  aveva  mancca 

El  ve  de  una  mala   copea. 

Eo  ai   semena  furment 
Con  una  cavra  grossa  e  cent  : 
Voi  pori  la  cavra  prender,  590 

Al   Yostro  corpo  grant  asio  rcndcr. 
Dis   Isigrin   'or   sia  in   bon   or, 
Eo  ve  apello  per  meo  signor.' 
Si  se  mete  allô   viaco 
L  un  e  1  altro  a  franc  coraco,  595 

Si  se  mette  amatinent 
Ad  andar  la  ch  e  1  furment, 
Amantinent  si  sen  va 
E  la  cavra  si  a  trova. 
Quant  la  cavra  ve   Isigrin,  €00 

Cclla   nol  tein  per   so   bon   visin, 
No   a  paura  ne  vol  fucir, 
Anci  sta  ardida  e   balda. 


580  T  vie     585  T  vl     595  T  vdo 


577  a  cansalear    579  de 


XWII 


375 


Et  eo  nie  staro  quen  de  via, 
E  parera  eh  eo  infermo  sia. 
E  se  Lescngn'no  conze  la  cavra, 
Et  ella  no   e    aconpagnada, 

f)20  Tncontenente   la  piara, 
E  si   se  la  mandcgara. 
Et   eo   andaro  poe  plue  seguramonte 
Et  andaro   per  lo   fbrnieiito.' 
Or  se  laso  Raynaldo  chaer, 

(525  E   par  pur  chc  1   voia   morir. 
Dise  Lescngrino   'Conpagno  men^ 
Che  a  tu,  si  t  ai  1  alto  deo? 
El  par  che  toe  \oi  morir. 
Mo  corao  pora  tu  vignire 

630  A  partir  lo  formento   con  la  cavra, 
Che  t  aspeta  e  quela  ara?' 
Dixe  Raynaldo  '£  o  tal  maie, 
Ch  eo  no  poso  per  via  andare. 
Ma  nue  s  cnduxiarcmo, 

g35  E  si  ie  poravemo,  tornaremo  : 
Se   nui  li   trovaremo   la   cavra, 
Si   avra  la   bona    maytenaa. 
Me  crezo  bene  ch  ela    no  ge  vira: 
Si  c  eo  portaro  el   formento  a  cha. 

g4Q  E  se  1  dovese  cosi  avignire, 
Che   no  avesa  briga  de  partiro, 
E  ne  séria  molto  alegro, 
Si   oncha  m  ai   1  alto  deo.' 

DIxe  Lesengrino  'Bello  Raynaldo, 

g45  Qui  no  avrav  eo  guadagnao, 
Ne  no  me  sta  ben  a  talento 
Che  toe  abii   lo  formento, 
E  la   cavra  posa  scanpare 
Che   no  la  dubia  mandegare. 

g5Q  Mo  s  tue  Yoi,  eo  g  andaro  aloe, 
E  la  cavra  piaroe, 
E  faro  mia  volentae. 
E  posa  ge  tornaren  domanc 
E  aduremo  lo  formento, 

655  Se  1  sera  to  plasiraento. 

E  prego   te  che  toc  me  lasi  fare, 
Che  toe  no  avra  penser  domane 
Che  la  cavra  dubia  vignire 


Con  le  graspe  comenca  graspar 

E   con  le   corne  a  manecar:  f,05 

'Se   tu   vcns,   Rainald,  a  la  tencon, 

Se  tu  no  ge  lasses  lo  pilicon, 

Camai  no  voio  deo  orer 

Ne  Creator  che  ferma  lo   col.' 

Rainald  varda  per   val  in    perdos,    ciO 

E  varda  per  lute  part, 

E  lo  stalo  Rainald  varda  : 

Ad  una  volta  de  via 

La  paia   cresuda  li   paria. 

'Si  deo  m  ai'   co   dis  Rainald,  f.is 

'La  cavra  se  de  mala  art: 

Qucsta  note  fo  rosea 

E   la  paia  me  par  basea. 

Vede  lo  furment  in  quella  part. 

Andai,   compare,  in  quella   part        fi20 

E  si  tolère  la  vostra  part. 

A   mi   se   près   grant  mal  de  ventre, 

E  sapiai  ch  eo  ai   reo  talento, 

Grant  mal  me  farave  intro  1  era  star.' 

E  Rainald  intro  un  boscelo  se  caca,  625 

Su  in   un   arbor   si   monta. 

Si  chel  ve  e  bel  e  cent, 

La  0   e  la  paia  e  1  furment. 

Dis   Isigrin   a  grant  baldor 

'Eo  son   gastaldo  e  partidor  C30 

De  Rainald  ch  e  meo  signer.' 

Dis  la  cavra  'a  mi  siente. 


622  T  segumente  631  urara  rp. 
686  6:^5  r  tornare  6^8  T  chola 
T  vra 


376  XXVII 

Fer   lo    formento   partirc' 
660      Dixe  Raynaldo  'El   me   parc 

Ch  eo   farave  tropo  maie  : 

E  srria  mal   merchao 

S  ro   fpsse  cotai  pecato  : 

Chc   la  cavra  m  e   sta   bona   amiga, 
6f,5  E   si   m  ha  fato   bona  conpagnia, 

E  a  me  insigna  de  guadagnare 

E  reteger  me  de  lavoro. 

Und  00   nol   porave  conportare 

Che  tu   a  la  cavra  fisi  maie. 
670  Ma  domatina  g  andaremo 

E  llo   formento   partirrmo 

Si  ch  eo  te   sodesfaro, 

S  tue  avra  rezcvu  briga 

Fer  farme  conpagnia.' 
675       Dixo  Lesengrino   'Raynaklo  ladio, 

A  me  tu  chusi  inganao? 

Tue   disivi,   s  eo   vignise   a   1  ara, 

Ch  eo  me  mandogaravc  la  cavra. 

Mo  par  che  toe  me  voi  altro  faro, 
680  E  ella  no  porave  andar  «K)sio. 

Me  te  prego    ben,   Raynaldo, 

E  che  toe  me  tegni  cl  pato  saldo. 

Et  eo  te  voio  perdonare, 

Si  tu  me  fisi  ni  ira  ne  maie. 
fiS")  S  tu  me  la>i  andare  da  la  cavra, 

Che   t  aspeta   in   quella  ara, 

Et  eo  te  prometo  de  far  sic 

Che  la  cavra  no  vira  plue  a  ti 

Fer  far  pato  ne  convento,    ^ 
CSG  Ne   per  partirc   lo   formento.' 
Dixe  Raynaldo  'Or  va  via. 

Me  o  te  prego  per  cortexia, 

Quando  te  avra  mandoga  la  cavra, 

Chovri  lo  formento  con  la   paia: 
695  E  posa  dobii  a  mi   tornare 

Ch  eo  te  voro  favelare.' 

Dixe  Lesengrino  'Ben  lo  faro. 

Alo  a  ti  me  tornaro.' 

Or  sen  va  Lesengrino, 
700  Como  fose  un  pelegrino. 

La  cavra  sta  a  pe  del  formento, 


675  T  ixe  {l'initiale  manque  encore 
danf!  les  vers  691.  697.  712.  718. 
741.  767.  775). 


XXVII 


377 


E   vede  benc  lo  parlamento 

Che  fa  Raynaldo   e  Leseugrino. 

Et  ella  dixe  ai  so   mastini 

Tioli,  e  vegoLesengrino  ellaynaldo, 

Et  ano  gran  peza  conseiao, 

E  Lesengrino  par  che  vegna  ca, 

E  crezo  ch  el  vegna  per  farme  maie. 

El  ve  covene  ben  guardare 

Che  voe   no  stesi  tropo  a  vignire 

Ch  el  me  porave  tosto  ancidere.' 

Dixeno  i  mastini  'Xo  abia  paura, 
Che  noe  ne  daremo  mala  ventura, 
l^rese  Lesengrino  a   la  cavra  dire 
'E  son   vignu  per  lo   gran   partire. 
Raynaldo  e  fato  meo  signore: 
Sun  castaldo,  sun  fato  partior.' 

La  cavra  ge  dixe  senza   rancura 
'Lisengrino,  deo  te  dia  mala  ventura! 
Eo  no  ve  vidi  unca  lavorare: 
Per  che  voli  vo  parte    domandare  ? 
Per  deo  veraxio  onipotente, 
Voi  no  portari  un  sol  grano  de  for- 

mento. 
Lasa  vignire  meo  conpadre  Raynaldo, 
Si  rezevera   la  soa  parte.' 
E   Lisingrino   si  sen  n  ira, 
Ver  la  cavra  corando  sen  va. 
Al  colo  lo  dente  g  a  butao  : 
La  cavra  trase  un  gran   crio  : 
Da  1  aguaito  i  mastini   intranbi  iu- 

sino. 
Quando  Lisengrino  i  mastini  vide, 
Si   ave   gran   paura   de   morir. 
Lasa  la  cavra  e  fozir  volse  : 
E  Bonaprexa  in  prima  el  conse, 
Del  peto  gi  dona  zoxo  e  1  buta: 
E  Fortinello  si  lo  pilucha. 
Or  1  asaie  1  uno  e  1  altro 
E  per  tera  el  buta  stravolto: 
Or  no  se  po  lo  da  lor  partire, 
Ben  e  ello  zerto  de  morir. 

'Se  deo  ra  ai'  dise  Raynaldo, 
La  cavra  e  plena  de  maie  artc. 
Se  fosse  andao  per  lo  formento  partire. 


Vui  no  portiri  gran  del  furraent: 

Vegna  meo  conpare  Rainai, 
Si  tora  la  soa  part.' 
Isigrin   tost  sen    va, 

Lo  dent  a  col  si  li  caca. 
Intranbi  li  mastin  su  leva, 
Fortinel  lo  pia  fort. 


Per  1  ara  lo  getta  stravolt. 
Bonapressa  lo   scuarca  fore, 
Tanto  li  tira  si  che  1  e  mort. 
"Si  deo  m  ai'  co   dis  Rainald, 
'La  cavra  se  de  mal   art. 
S  eo  fos  anda  al  furment  parti 


731    T  Qundo 


645  P  patir 


378 


XXVII 


Ben   era  eo   zerto   de   raorir. 

745  Ma  meo  conpadre  Lesengrino  valcnte 
A   conparao   ben   1  ondexcna.' 
E   Lesengrino    zaxe   stravolto 
E   par  pui'C   cli  cl   sia   morto. 
Et  eco   vignando   dui   vilani, 

750  Ch  avea  dui  bastoni   in   mane. 

Li   cani  cazono  do  sovra  Lesengrino, 
Clie  i  nol  \olea  lasar  anzidere. 
Dixe   1  unu   vilano   a   1  altro 
'A   quela   costa   sta   Raynaldo  : 

755  Como   1  e   alegro   de   Lesengrino, 
Ch  el   no  1   tene   per   bon   vixino  !' 
Qnando  li  eani  1  ave  oldio  menzonare, 
In   quela  parte   prese   a  guardare  : 
E  avelo  sgosio  da  delonzc  Raynaldo, 

760  Oima  se  mixc  en  quella  parte. 
Li  cani  vano  de  toslo  in  tosto 
E   Raynaldo    sen    l'uze    de   bosco   en 

bosco. 
In   quella  parte   si   niisono   andare, 
Clie  i  lo  volea  prendere  e  afogare. 

765  Quando  Raynaldo  li  vede  vignire. 
Si  e  ben  zerto  de  morire. 

Dixe  Raynaldo  'Deo  creatore, 
Como  mala  cosa  e  a  far  lavoro! 
Uncha  no   so   del  gran   mangare  : 

770  Perche  intrave  a  la vo  rare 
E   poe   partiva  a   tradimento, 
Non  e   raeravia  s  eo  raen    repento.' 
Si  se  mixe  a  fuzire  et   andare, 
Et   i   chani   a   incalzare. 

775       In  uuo   broilo  Raynaldo   intro, 
Ad   uno   grande  ramo   si  s  apicho. 
E  con  le  granfe,  e   cou  li  denti 
Se  ten  Raynaldo   lizeramente. 
Driza  la  coa  incontra  el  monte 

780  Ch  el  no  la  lasa  pendcre  zoxo. 
E  li  chani  e  1  uno  e  1  altro 
Dise  'E  cre  che  1  e  scanpa  per  arte, 
Da   qui   inanzo   no   e   andao, 
Ne   onqua   indreo   no   e   tornao.' 

785  Per  tanto  perde  li  cani  Raynaldo, 
Ch  ili  no  sapeno  guardare  inn  alto. 


Bein   m  averave   condut   a   fin. 
Mai   meo   compare   Isigrin 
Bein   a   conpra   lo   desin.' 


De  la  pasava  doi  vilan 

Che  aveva  doi  forche  in   man. 


'Deo'  dis  1  un   incontr  a  1  altro, 

'Varda  la  che   sta  Rainaldo. 

Com   el   e   venca   de   Isigrin 

Che  1   nol  tcin   per  bon    visin.' 

E  li  cagnon  si  1  aldi;  655 

Entro   lo  bosca  cli  sali, 

E   Rainald   se   mete   de  1  altra  part. 

E   li   cagnon   si   sailuto, 

Si   che   non   1  a  miga  vecuto. 

Dis   1  un   incontr  a   1  altro  CCO 

'Eo   crcco   che   1  sia   scampa   per  ria 

art. 
Ananti   non   e  1  anda, 
Ni   în   dreelo   non   e  1   trôna  : 


El  e   scampa  per  art, 
Sin   nol   trova  in   nula   part. 
Rainald  se  pia  ad  una  rama, 
Dreca  la  coda  inver  la  montagna. 
E  li  cagnon   oltra  se  torna. 


764  Tatofti 
T  andandiire 


ra    772  Tpento    773 


654  F  toin  manque    (i64  P  scarap 
per        6(J5  nuia 


XXVII 


379 


,Kaynaldo  serave  ben  preso  e  raorto, 
S  ili  in   quela  ora  1  avesse  colto. 
E   li   cani  si  se   tornano, 

790  Driti  a  la   cavra   si   seii   vano. 
E   Raynaldo   se   dispico 
A  plue  tosto  che  1  po 
E  in   lo   bosco   si   sen  ando. 
E  zuro  a  deo  lo  criatorc, 

795  Ch  el  no  mai  fâra   lavor. 
'Senpre  mai  sero  schacaor, 
Chomo   foe   i   mai   antcsori.' 
E  li  cani  a  la  cavra  veneno 
Si  g  a  contao   1  aconvenente. 

80o'Matre,  Lesengrino  e  morto, 

E    Raynaldo    chazono    fina    al  terzo 

salto. 
Nui    credemo    ben    che  1  scanpasse 
per   arte.' 


Dise  la  cavra,  ch  e  ben  usata, 
'E  j  avellQ  arbori  en  quela  parte? 

805  'Si  era,  raadre,  plue  de  cento, 
Pizoli  e  grandi  spesamente.' 
'Fioli  mei,   vi  no  guardesivu  in  alto, 
Che  a  una  rama  pendea  Raynaldo.' 
A  cui  sen   pisi   e   a    cui   sen    caia, 

810  La  chavra  si  s.  lo  grano  e  la  paia. 
E  meo  conpadre,   lo  Lesengrino  va- 
lente, 
Si  conparo  ben  1  ondesena  : 
E  Raynaldo  per  soa  forza 
Si  scanpa  al  dreano  salto. 


'Marc,    Isigriii    e   mort, 

E   Rainald   concessemo   in   lo  bosco,  670 

E   se  anda  de  tosto   in  tosto  : 

Om   cre  ch  ei   sia  scampa  per   art, 

Avanti  non  e  1  anda, 
Xi   ananti  non   e  1   torna.' 

Dis  la  cavra  mal  usada  675 

'Se  1  era  arbor  in  la  contrada?' 
'Si  era  bein  seto  cent 
Fetiti  e  grandi  comunamentre.' 
'Vui  non  vardalle  ad  oltoRainald,[64] 
Bein   sa  1   montar   in   rama  ad   ait.'  680 
A  chi  1  peis  et  a  chi  e  sen  caia,  ■ 
La  cavra  a  1  furment  e  la  paia 
E  la  semenca  del  so  signor 
ïuta  dananti  a  lo  lion. 
E  Rainald  se  caca  inn  un  bosco,    685 
E  si  sen  va  de  tosto  in  tosto, 
E  gura   deo  lo  creator, 
El  camai  no  fara  lavor: 
Ananti  vol  eser  scacador 
Si  com  fo  li  soi  macor.  690 

'Eo  non  era  use  de  gran  mancer. 
Ni  de   far  nisun   lavorer. 
Eo  partiva  falsament. 
Non  e  meraveia  se  1  mal  men  prent. 
Li  mal  incegni  sol  mal  fenir.  695 

Chi  altrui  mantcl  vol  retenir, 
Lo  so  ne  sol  bein  reraagnir. 
Chi  altrui  mantel  vol  incegner 


698  r 


trui 


380 


XXVII 


Lo  so  ne  sol  bein  laser: 
Si  com  fo  quel  de   Isigrin, 
Che  de  soa  muier  fo  oni, 
E  si  fo  avergonca, 
E  si  perdi  tuto  1  so  plaid. 


699  P  0  so 


O 


BiNDiKc  sicr,  F£e  1 7  ©s. 


PQ       Romar  de  Renart 

1507        Le  Roman  de  Renart 

Al 

1882 

v.l 

cop.2 


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