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Full text of "L'orfèvrerie française aux XVIIIe et XIXe siècles: 1700-1900"

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1 700-1 900 

L'ORFÈVRERIE 
FRANÇAISE 

AUX   XVIir   &   XIX-  SIÈCLES 


PAR 

HENRI  BOUILHET 

ORFÈVRE 


r 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2015 


https://archive.org/details/lorfvreriefran03boui 


(17  00-19  00) 


L'ORFÈVRERIE  FRANÇAISE 

aux  XVIIP  et  XIX^  siècles 

d'après  les  documents  réunis 

AU 

MUSÉE  CENTENNAL  DE  1900 


EXEMPLAIRE  IMPRIMÉ 

POUB 


ARTHUR  MARTIN 


(1700-1000) 


L'ORFÈVRERIE  FRANÇAISE 

aux  XVIIP  et  XIX'=  siècles 


l'AR 


HENRI  BOUTLHET,  mg  e  c 

ORFÈVRE 

l'UÉSIUENT    OE    l'union    CENTIIAI.E    UES   AllTS    UÉCOIl  ATIFS 

PRÉSIDENT    DU    JURY    DE  L'ORFÈVRERIE 
EN  1900 


PARIS 

H.  LAURENS,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

6  ,    HUE    DE    T  O  U  R  N  O  X ,  6 


1912 


Tous  droits  de  leproduc.tiou  et  de  traduction  réservés, 


\>1 


LIVRE  TROISIÈME 


L'ORFÈVRERIE  FRANÇAISE 

AU 

X  I  X'^  siècle 


Deuxième  période 

(1860-1900) 


VII 


Ileuri  lîouillicl  lUms  son  cabim'l  de  truxail. 


PRÉFACE 


La  vie  et  l'œuvre  de  Henri  BOUILHET 

(1830-1910) 

L'auleur  du  présent  ouvrage  sur  YOrfèvrerie  fr;inç\'ti.se  mix  di.r-hai(ième 
et  dix-neuvième  siècles,  notre  cher  Henri  Bonilhet,  est  mort  le  21  sep- 
tembre 11)10,  avant  qu'aient  pu  paraître  les  deux  derniers  volumes  de  l'œuvre 
à  lacpielle  il  consacra  les  meilleurs  loisirs  des  nllimes  années  de  sa  belle  vie 
laborieuse.  Il  en  avait  corrigé  toutes  les  éprenves,  et  il  ne  retardait  le  tirage 
de  l'imprimeur  que  pour  les  reviser  une  fois  de  plus  avec  l'extrême  conscience 
et  le  sérieux  qu'il  apportait  à  tout  ce  qu'il  entreprenait.  Puis,  l'esprit  en 

a 


repos,  lieiu'eux  de  la  làclie  Lerniinée,  mais  coniine  s'il  eûl  voulu  fuir  iiiodes- 
lement,  à  son  ordinaire,  les  louanges  qu'il  allail  en  recueillir,  il  se  coucha  el, 
s'endormit  du  dernier  sommeil,  laissant  à  son  fils  hien-aimé  le  soin  de 
mettre  an  jour  ce  qu'il  restait  du  livre  à  publier. 

Henri  Bonilhet  venait  d'atteindre  ses  quatre-vingts  ans,  quand  la  mort 
l'enleva.  Mais,  à  le  voir  toujours  si  vigoureux  et  actif,  supportant  sans  faiblir 
le  poids  des  affaires,  gardant  jusqu'à  la  suprême  minute  sa  merveilleuse  luci- 
dité d'intelligence,  et  cet  esprit  de  méthode  qui  lui  avait  permis  durant  toute 
sa  vie  de  mener  de  front  avec  aisance  tant  d'occupations  diverses,  on  n'eût 
jamais  pu  croire  sa  fin  si  proche.  Président  de  la  Société  de  l'Union  cen- 
trale des  Arts  décoratifs,  à  lacjuelle  depuis  quarante  ans  il  s'était  donné  de 
toute  son  âme,  gérant  de  la  célèbre  maison  d'oi'fèvrerie  Chrislofle,  de- 
venue sienne,  pour  ainsi  dire,  par  ses  liens  de  parenté,  et  où,  pendant  plus 
d'un  demi-siècle,  il  joua  le  rôle  le  plus  brillant;  enfin,  membre  du  Conseil 
supérieur  des  Beaux-Arts,  Henri  Bonilhet  restait  solide  sur  la  brèche,  non 
comme  un  chef  fatigué  qu'on  garde  par  déférence  à  un  poste  d'honneur,  mais 
comme  un  militant  sur  lequel  on  pouvait  compter  toujours  pour  les  direc- 
tions viriles  et  décisives. 

Homme  de  résolution,  en  effet,  d'initiative  et  de  haut  idéal,  il  avait  prouvé 
qu'il  l'était. 

Sa  carrière,  si  bien  remplie,  peut  être  envisagée  sous  deux  aspects  dis- 
tincts, soit  qu'on  considère  en  lui  l'orfèvre,  soit  qu'on  envisage  son  rôle 
considérable  à  l'Union  centrale.  Comme  orfèvre,  il  a  grandement  contribué 
à  l'évolution,  je  dirai  aussi  aux  progrès  de  son  ai't  par  son  goût  ingénieux, 
j)ar  ses  qualités  d'homme  de  science,  habile  à  adapter  les  procédés  de  l'outil- 
lage mécanique  à  la  ])roduction  moderne.  Comme  protagoniste  de  la  Société 
de  l'Union  centrale,  il  a  aidj  puissamment  au  mouvement  d'alfranchissement 
de  nos  industries  de  luxe  qui  restaient  enlizées  dans  les  sempiternels  pastiches 
des  slylc's  anciens.  Sa  mémoire  mérite  de  survivre  à  l'un  comme  à  l'antre  de 
ces  litres. 

Un  criliipu'  autorisé,  AI.  (îabriel  Mourey,  écrivait  au  lendemain  de  sa 
nioi  l,  dans  la  Bévue  Les  Ar/s  (I),  les  lignes  <pie  voici  : 

<<  Il  n'est  |)('isoiuic,  (111  |)(Mil,  le  dire,  piU'iiû  ceux  (|ui  coniKiis.st'iit  riiisloin;  dos 
)»  ;ii  ls  (!(■■( oi'jil  ils  l'ran<,'ais  dut-uit 'ces  ciiKniMutc  dernières  années,  vu  la  niénioire  de 
"  qui  le  nom  de  Henri  l'xinilliel  n'éveilh^  un  souvcMiir.  l/lionnne  (|ni  le  porta  ot 


(1  ;  NiiiiMM'ii  il  ^vril  r.M  I ,  |i.  I  >; 


—  XI  — 


»  l  ennoblit  fut  en  elTet  étroitement  mêlé  à  toutes  les  nianiieslalions  de  notre  vie 
»  artistique  au  cours  du  demi-siècle  qui  vit  la  rénovation  de  nos  arts  industriels, 
»  tombés  en  désuétude  depuis  la  lin  du  premier  Empire.  » 

La  constatation  est  des  plus  justes.  Et  il  me  sera  permis,  à  moi  qui  fus 
pendant  près  de  trente  années  un  fidèle  compagnon  de  lutte  aux  côtés  de  ce 
chef  respecté,  d'ajouter  qu'il  est  infiniment  regrettable  qu'on  n'ait  pu  le 
décider  à  accepter  au  moment  opportun,  dans  le  Conseil  d'administration  de 
l'Union  centrale,  la  première  place,  au  lieu  de  la  seconde  dont  il  se  contenta. 
En  s'effaçant  trop  modestement  devant  les  deux  hommes  politiques,  Antonin 
Proust,  puis  Georges  Berger,  qui  occupèrent  successivement,  de  1882  à  1910, 
la  présidence  de  la  Société,  il  est  bien  certain  que  Henri  Bouilhet  crut  avec 
sincérité  mieux  servir  la  cause  à  laquelle  il  s'était  voué.  Manqua-t-il  de  con- 
fiance en  lui?  Craignait-il  de  se  laisser  trop  absorber  au  détriment  de  sa 
maison  d'orfèvrerie  par  une  fonction  qui,  grâce  à  la  façon  dont  il  la  compre- 
nait, serait  devenue  une  lourde  charge?  C'est  probable.  Il  était  de  ceux  qui 
ne  se  poussent  pas  d'eux-mêmes  au  pouvoir.  Quoi  qu'il  en  soit,  par  son  exces- 
sive réserve,  il  se  condamna  lui-même  à  ne  point  fournir  sa  mesure.  Dans  la 
main  d'un  tel  pilote,  le  gouvernail  du  navire  sur  lequel  nous  combattions 
pour  une  noble  cause  aurait  pris  une  route  plus  sûre.  Point  de  tâtonnements 
ni  de  fausses  manœuvres.  Les  destinées  de  notre  moderne  art  décoratif  fran- 
çais eussent,  je  le  crois,  sensiblement  gagné  en  direction  ferme  et  heureuse. 

Mais  nous  reviendrons  tout  à  l'heure  sur  ce  sujet,  et  nous  dirons  quelle 
fut  la  part  exacte  de  Henri  Bouilhet  dans  l'œuvre  de  l'Union  centrale.  Aupa- 
ravant, il  convient  de  remonter  à  ses  débuts  dans  l'industrie,  et  d'indiquer 
comment  il  s'y  signala,  par  quelles  qualités  de  nature,  par  quelle  puissance 
de  travail  il  parvint  à  y  jouer  le  rôle  remarquable  que  nous  allons  essayer  de 
définir, 

I 

L'œuvre  de  l'orfèvre. 

Né  en  1830,  Henri  Bouilhet  devint  orphelin  à  l'âge  de  huit  ans.  C'était  un 
enfant  très  doux,  assez  taciturne,  d'une  conduite  exemplaire,  qui  eut  de  bonne 
heure  le  goût  de  l'étude,  et  s'astreignit  sans  peine  à  cette  discipline  intellec- 
tuelle par  laquelle  s'affirment  les  volontés  précoces.  iVdmis  comme  boursier 
au  collège  Sainte-Barbe,  il  passait  avec  succès  en  1848  le  double  examen  des 
baccalauréats  ès  lettres  et  ès  sciences,  et  entrait  avec  le  sixième  rang,  par 


—  X[I  — 


voie  de  concours,  comme  boursier  de  la  \'ille  de  Paris,  à  l'J'^cole  ceulrale  des 
Arts  et  Manufactures.  Il  en  sortit  second  en  1851,  avec  le  diplôme  d'ingé- 
nieur chimiste. 

Son  maître,  l'illustre  chimiste  Jean-Baptiste  Dumas,  qui  tenait  le  jeune 
homme  en  particulière  estime,  aurait  souhaité  le  voir  se  consacrer  unique- 
ment à  la  science.  Il  le  poussa  à  collaborer  au  Dictionnaire  de  Chimie  indus- 
trielle de  Bareswill  et  Aimé  Girard,  et  l'engagea  à  faire  des  conférences,  ce 
à  quoi  Bouilhet  s'essaya,  non  sans  succès,  à  la  Société  d'encouragement,  à 
l'Observatoire  et  aux  Arts  et  Métiers,  sur  différents  sujets,  tels  que  les  Ori- 
gines de  la  galvanoplastie,  ses  progrès;  les  Nouvelles  pâtes  de  la  Manufac- 
ture de  Sèvres Reproduction  des  objets  cïart  en  métal  et  leur  vulgari- 
sation dans  les  musées,  etc.,  etc. 

Mais  Henri  Bouilhet  avait  sa  voie  toute  tracée  auprès  de  son  oncle, 
Charles  Ghristofle,  qui  lui  servait  de  père,  et  dont  la  sollicitude  avait  su  lui 
faire  place  à  ses  côtés  dans  la  manufacture  d'orfèvrerie,  fondée  par  lui,  à 
laquelle  il  commençait  alors  à  donner  le  développement  colossal  qu'elle  a  pris 
par  les  applications  d'argenture  électro-chimique.  Précisément,  à  cette  date, 
c'est-à-dire  vers  l'année  1852,  le  promoteur  de  l'industrie  nouvelle  de  l'orfè- 
vrerie argentée  voyait  enfin  s'aplanir  les  difficultés  inouïes  qu'il  avait  ren- 
contrées dans  le  début  de  sa  tentative  audacieuse,  difficultés  qu'ont  presque 
toujours  à  vaincre  les  grands  novateurs,  quand  il  s'agit  de  triompher  de  la 
routine.  Par  bonheur,  Charles  Ghristofle  était  un  de  ces  lutteurs  énergiques 
au  caractère  fortement  trempé,  qu'aucun  «découragement  ne  pouvait  abattre. 
Depuis  1844,  il  avait  démontré  par  une  production  intelligente  les  avantages 
de  l'invention  qui  ouvrait  à  l'orfèvrerie  des  horizons  imprévus,  et  l'Académie 
des  Sciences,  par  la  voix  autorisée  de  J.-B.  Dumas,  avait  signalé  les  consé- 
quences merveilleuses  au  double  point  de  vue  hygiénique  et  économique  du 
procédé  (pii  allait  supprimer  les  ateliers  si  dangereux  de  la  dorure  au  mer- 
cure, lia  plupart  des  fabricants,  après  être  restes  incrédules  (exception  faite 
pour  Odiot  et  Thomire),  consentaient  enlin  à  se  laisser  convaincre,  et  se 
il  répandre  dans  leur  clientèle  un  genre  de  production  accueilli 
loiil  d  idtord  sans  laveur,  ou  |)i'ul  dire  pres(|iie  avec  dédain.  Ia'  succès  s'aKirma 
siirloiil  ;i  |);irtir  de  ri']\|)()siti()ii  de  ISi*.),  et  les  ateliers  de  (Charles  (llirislolle, 
|M)iir  r''|)oii(lre  aii\  besoins  d'nne  l'ahricii I ion  devenue  intiMisive,  dureni,  non 
seidcinenl  |treinlre  des  |)ro|)orl  ions  jnsipi'alors  inconnues,  mais  aussi 
se  pourvoir  d'un  oui illagc^  n)éeaiii(pie  (pi'il  s'agiss.'iil  d'iincnterà  peu  prî's  de 
tontes  pièces.  I/élecI rieilé  el  la  \a|)eur  l'aisani  leur  apparition  dans  l'art  de 


—  XIII  — 


Torfèvrerie,  Lransronnaiil  l'échoppe  de  jadis  en  usines  grondantes  el  fiévreuses, 
quelle  révolution  dans  l'industrie  ! 

Il  y  avait  là,  on  le  conçoit,  un  rôle  séduisant  à  jouer  pour  un  ingénieur 
de  vingt  ans,  enclin  aux  recherches  sérieuses,  ayant  cet  esprit  d'initiative  qui 
est  le  propre  de  la  jeunesse,  et  dont,  bien  souvent,  dans  le  train  ordinaire  de 
l  industrie,  il  arrive  (pi'on  tend  plutôt  à  retenir  qu'à  exciter  l'ardeur. 

Admirablement  dirigé  par  son  oncle,  Henri  Bouilhet  put  donner  libre 
essor  à  ses  qualités.  Qnel  champ  n'avait-il  pas  devant  lui,  d'ailleurs,  puisque 
son  elforl  de  création  allait  devoir  s'étendre  dans  les  sens  les  plus  divers,  et 
que,  pour  satisfaire  au  programme  magnifique  de  Charles  Cliristofle,  il  con- 
venait de  mettre  au  service  de  l'Art  toutes  les  ressources  de  la  science? 

Il  commença  par  s'initier  aux  détails  compliqués  du  métier  de  l'orfèvre, 
et  se  forma  le  goût  tout  en  apprenant  à  se  plier  à  la  discipline  commerciale. 
En  même  temps,  il  s'efforçait  d'utiliser  ses  talents  de  chimiste  et  d'ingénieur 
dans  les  applications  de  la  galvanoplastie,  ainsi  que  dans  l'installation  d'un 
matériel  de  machines  de  plus  en  plus  variées.  Parmi  les  multiples  innovations 
qu'il  réalisa  à  cette  époque  ou  auxquelles  il  prit  une  part  des  plus  actives,  je 
rappellerai  celle  qui  consiste  à  remplir  les  coquilles  galvaniques  par  un  métal 
dur  tel  que  le  laiton,  et  permet  d'obtenir  une  «  galvanoplastie  massive  »,  c'est- 
à-dire  des  reproductions  en  une  seule  pièce  de  figures  ronde-bosse,  de  motifs 
architecturaux  ou  décoratifs  de  grande  dimension ,  et  même  des  statues 
entières.  D'intéressantes  applications  en  furent  faites,  non  seulement  dans  la 
fabrication  courante,  mais  encore  dans  des  œuvres  destinées  à  rester  comme 
des  spécimens  de  l'art  de  la  ciselure  :  les  appartements  de  l'Impératrice,  aux 
Tuileries,  décorés  par  Lefuel,  présentaient  de  véritables  chefs-d'œuvre  en  ce 
genre,  rivalisant  avec  les  plus  fines  ciselures  du  dix-huitième  siècle.  Le  revê- 
tement du  wagon  du  Pape,  exécuté  sous  la  direction  d'Emile  Trelat,  en  1859, 
les  portes  de  l'église  Saint- Augustin,  reproduites  sur  les  dessins  de  Victor 
Baltard,  les  chapiteaux  de  l'Opéra  de  Garnier,  furent  également  obtenus  par 
ce  procédé. 

On  peut  se  faire  une  idée,  par  ce  seul  exemple,  de  la  diversité  des  travaux 
auxquels,  dans  l'usine,  devait  tenir  tête  notre  jeune  ingénieur.  Chaque  jour, 
c'était  quelque  nouveau  problème  à  étudier  et  à  résoudre.  Aux  questions  de 
mécanique  et  de  chimie,  d'installation  d'outillage,  qui  étaient  plus  particu- 
lièrement de  son  ressort,  s'ajoutaient  toutes  celles  de  la  pratique  commerciale 
dans  une  vaste  entreprise.  Il  fallait  tantôt  s'occuper  de  la  direction  des  ate- 
liers, dont  on  ne  cessait  d'augmentei^^  nombre,  tantôt  imaginer  des  modèles 


—   XIV  — 


inédits  pour  celte  orfèvrerie  galvanique  qui  faisait  alors  son  entrée  sensation- 
nelle dans  le  monde,  et  les  approprier  aux  conditions  spéciales  de  la  fabri- 
cation. Par  surcroît,  il  fallait  encore  dresser,  avec  mille  peines  et  tâtonnements, 
tout  un  personnel  d'ouvriers  aux  opérations  d'un  métier  d'autant  plus  com- 
pliqué qu'il  était  encore  inconnu.  Il  fallait,  enfui,  préparer  projets  sur  projets 
pour  une  clientèle  qu'il  s'agissait  de  conquérir  à  force  de  diplomatie,  en 
luttant  contre  les  préjugés  hostiles  aux  nouveaux  procédés.  Tâche  énorme  ! 
Labeur  considérable  !  et  qui  n'exigeait  pas  seulement  une  activité  très  grande, 
mais  qui  obligeait  en  outre  aux  méditations  sans  trêve,  aux  expériences 
incessantes  de  laboratoire,  à  une  perpétuelle  tension  de  toutes  les  facultés 
du  cerveau. 

Quelle  école  ce  fut  pour  Henri  Bouilhet,  durant  cette  période  qui  va  de 
1852  à  1863,  que  cette  collaboration  si  féconde  avec  Charles  Christofle  et  son 
gendre,  Ernest  de  Ribes,  qu'il  avait  associé  à  la  direction  de  sa  maison. 

Pénétré  qu'était  Henri  Bouilhet  d'admiration  pour  les  qualités  supérieures 
de  son  oncle,  gagné  par  l'exubérance  et  l'enthousiasme  de  ce  tempérament  de 
flamme,  lui,  le  disciple  moins  audacieux  et  plus  calme  en  apparence,  se  donna 
tout  entier,  sans  réticence  ni  réserve,  avec  un  dévouement  absolu,  une  totale 
abnégation  de  soi-même  à  l'œuvre  qui  allait  absorber  sa  vie.  Doué  d'une  santé 
remarquablement  robuste,  la  fatigue  ne  semblait  pas  avoir  jirise  sur  lui.  Tout 
son  temps  était  consacré  au  travail.  Point  de  distractions  mondaines,  de  rares 
soirées  au  théâtre,  jamais  de  sorties  en  dehors  de  celles  que  réclamaient  les 
affaires.  Dans  ce  Paris  qui,  alors  comme  aujourd'hui,  olTrait  à  foison  ses  ten- 
tations à  la  jeunesse,  dans  ce  monde  de  la  haute  bourgeoisie  où  il  voyait  s'ou- 
vrir devant  lui  tant  de  brillantes  relations,  Henri  Bouilhet  évitait  tout  amuse- 
ment, restait  à  l'écart  et  se  concentrait  dans  son  rôle.  Même  les  dimanclies, 
dans  les  réunions  de  famille,  aux  heures  où  les  plus  laborieux  se  laissent  aller 
à  une  délenle  aimable,  on  le  voyait  dans  un  coin  du  salon  s'absorber  en  quel- 
(juc  pr()l)lème  ardu,  chercher  en  dessinant,  le  galbe  d'une  pièce  d'orfèvrerie  ou 
bien  grill'onuer  silencieusement  des  notes  de  prix  de  revient.  Tel  il  éhiit  h  cette 
éjxxpic,  le!  il  resla  toujoui's  :  grave,  réfléchi,  luélhodicpie,  jamais  in()ccu[)é. 

I*;ii  iui  les  installations  les  plus  iiuporlautes  dont  Henri  Bouilhet  eut  à 
s'occii |)i  r  pciidaiil  ses  années  (le  début,  il  faut  incnlionucr,  à  pai  l  celles  des 
ateliers  (h;  doi'urc  cl  d'argenturi',  l'oulillage  aduiiraMe  (|ui  anii'ua  une  révo- 
bilion  dans  in  In ion  des  coiiveris  de  table.  Depuis  le  milieu  du  dix- 
liniliciiK^  siècle,  ces  usiensiles  étaicMit  exéi'ulés,  on  le  sail,  au  balanciei-  et  au 
UMMilon  «loul  l'aclion  puissante  donnail   sa   (orme  aux  fonrelielies  ou  aux 


—  \v  — 


cuillères,  el  imprimaienl  les  ornements  au  moyen  de  deux  matrices  d'acier 
superposées  exactement.  Mais,  pour  rapide  et  économicpie  que  fût  ce  pro- 
cédé, il  était  ])ien  loin  encore  de  répondre  aux  besoins  de  la  fabrication  verti- 
gineuse de  nos  jours. 

Ce  lut  seulement  (pielcpies  années  plus  tard  (pi'un  ingénieux  inventeur, 
II.  Levallois,  par  la  Iranst'ormation  du  laminoir  à  rouleaux  circulaires  en  ma- 
chine à  va-el-vieul,  mue  par  une  bielle  opérant  la  pression  sur  des  matrices  en 
forme  de  segments  de  cylindre,  parvint  à  décupler  la  ra[)idité  de  production, 
tout  en  réalisant  le  travail  en  perfection,  ce  cpii  amenait  une  énorme  dimi- 
nution du  prix  de  revient.  Levallois,  malgré  la  brillante  réussite  de  ses  essais, 
ayant  été  exploité  par  des  capitalistes,  allait  sombrer,  et  il  serait  peut-être  mort 
dans  la  misère  s'il  n'avait  rencontré  en  ISIH  la  maison  Ghristofle,  qui  comprit 
tout  le  parti  qu'il  y  avait  à  tirer  du  procédé.  Grâce  à  elle  fut  montée  alors  la 
grandiose  usine  de  Saint-Denis,  où  se  fabriquent  maintenant  chaque  jour  des 
centaines  et  des  centaines  de  couverts  en  métal  argenté.  Là  encore,  il  y  eut 
pour  Bouilliet  une  belle  besogne  ! 

Dans  un  ordre  d'idées  tout  différent ,  vers  1853,  c'est-à-dire  à  l'époque  de  ses 
débuts,  Henri  Bouilhet  eut  à  prendre  part  à  une  entreprise  qui  favorisa  grande- 
ment son  éducation  d'orfèvre;  je  veux  parler  du  monumental  surtout  de  table 
que  Napoléon  III  commanda  à  Ghristofle  en  1853,  pour  le  palais  des  Tuileries, 
et  qui,  en  introduisant  au  sein  du  luxe  impérial  l'orfèvrerie  argentée,  devait 
être  pour  celle-ci  une  consécration  éclatante  et  lui  servir  de  passeport  défi- 
nitif dans  tous  les  milieux  sociaux.  De  la  part  du  souverain  l'acte  était 
méritoire  et  gros  de  conséquence.  G'était  d'abord  l'affirmation  solennelle  de 
cette  profonde  vérité  esthétique  qu'en  art,  la  beauté  est  indépendante  du  prix 
de  la  matière  qui  l'exprime.  G'était  en  outre  un  hommage  formel  rendu  à  une 
des  découvertes  qui,  en  contribuant  puissamment  à  démocratiser  le  luxe,  fut, 
comme  l'a  dit  Gharles  Blanc,  «  un  des  bienfaits  les  plus  signalés  dont  nous 
soyons  redevables  à  la  science  » . 

On  comprend  aisément  l'importance  capitale  attachée  par  la  maison 
Ghristofle  à  une  pareille  commande.  Aussi  mit-elle  tout  en  œuvre  pour  que 
l'exécution  dépassât  ce  qu'on  en  pouvait  attendre.  Le  surtout  comprenait 
15  pièces  principales  formées  de  groupes  allégoriques,  plusieurs  grandes 
coupes,  des  candélabres  avec  figures  ef  emblèmes,  ainsi  qu'une  quantité 
d'accessoires:  casseroles,  réchauds,  saucières,  comjjotiers,  cloches,  etc.;  le 
tout  en  métal  argenté.  Le  sculpteur  Gilbert  s'était  chargé  des  modèles.  L'élite 
des  ornemanistes  et  des  ciseleurs  de  l'époque  avait  été  recrutée  dans  les  plus 


—  XVI  — 


célèbres  ateliers  parisiens,  pour  mener  à  la  pcrfecLion  ce  Iravail  exceplionnel 
qui  exigea  plusieurs  années  d'un  labeur  assidu,  hérissé  de  diiïicultés. 

Henri  Bouilhet  se  plongea  à  fond  dans  l'étude  technique  de  cette  fabrica- 
tion. Il  y  déploya,  on  peut  le  dire,  autant  de  goût  que  de  force  de  volonté. 
Un  point  d'abord  fut  à  fixer.  Quel  thème  adopter  pour  la  décoration  générale 
des  pièces  du  surtout?  Les  ornemanistes  de  cette  époque  tenaient  en  grande 
faveur  les  imitations  de  la  nature,  les  fleurs  des  champs  qu'ils  allaient,  durant 
les  jDromenades  des  dimanches,  mouler  sur  place  dans  la  campagne  environ- 
nante. Mais  ces  copies  littérales,  sans  l'adaptation  préalable  des  formes  végé- 
tales à  la  matière  traductrice,  n'étaient  pas  acceptables  avec  leur  brutalité 
désordonnée.  On  en  avait  trop  abusé.  Il  fallait  prendre  un  autre  parti  et 
suivre  un  meilleur  principe.  Bouilhet,  s'inspirant  des  beaux  modèles  du 
passé,  conseilla  à  ses  habiles  collaborateurs  le  retour  à  une  discipline  orne- 
mentale plus  discrète  et  plus  savante.  Gomme  il  avait  la  passion  des  fleurs, 
il  donna  plus  d'une  fois  lui-même  des  croquis  d'idées  qui  lui  passaient  par 
l'esprit.  Il  en  eut  d'excellentes.  Sur  les  cloches  du  surtout  impérial,  on  fit 
courir  des  frises  formées  avec  la  fleur  du  fuchsia,  d'un  charmant  effet;  sur 
d'autres  pièces,  des  épis  de  blé,  des  chardons,  des  fruits  et  des  légumes  furent 
disposés  en  capricieuses  volutes.  x'Vinsi  on  devançait  le  mouvement  qui,  qua- 
rante ans  plus  tard,  devait  entraîner  nos  arts  décoratifs  aux  emprunts  à 
outrance  de  la  nature  végétale. 

On  sait  ce  qu'il  advint  de  cette  œuvre  considérable  et  qui  marque  une  date 
dans  l'histoire  de  l'orfèvrerie  moderne.  Lors  de  l'incendie  du  palais  des  Tuile- 
ries, en  1871,  elle  fut  anéantie,  et  l'on  n'en  retrouva  parmi  les  décombres, 
(jue  quelques  débris.  Mais  elle  évoquait  un  tel  passé  de  travail  et  d'initiatives, 
elle  rappelait  tant  d'efforts  couronnés  de  succès  de  la  période  des  débuis 
d'une  maison  parvenue  au  faîte  de  la  renommée,  que  ces  pauvres  restes  de 
métal  tordus  et  corrodés  parle  feu,  Henri  Bouilhet  n'hésita  pas  à  les  recueillir. 
Avec  une  sorte  de  piété,  il  s'appliqua  à  rassembler  ces  fragments  informes, 
à  rétablir  ce  (pii  maïujuait  des  décors  façonnés  jadis,  et  à  faire  revivre  les  plus 
iiii|)()i'laiHcs  |)ièc('s  (\v  vv  surtout  fameux  de  Na])oléon  III. 

J'eus  l'occasiou  de  voir  l'émineut  ingénieur  dans  ses  alehers  de  la  rue  de 
liondy,  alors  (pTil  |)rési(lait  à  celle  palieiile  et  minutieuse  reconslil.ution. 
(Télail  cuNirous  de  l'armée  1*.)00.  Il  élail  tout  rayonnant  de  celle  làelie 
(|ui  lui  i;i|)|)el;iil  ses  ai'deurs  de  la  vinglièine  aimée.  Ses  yeux  noirs  si 
l)i  ill;iieul  de  |)l;iisir,  et  lui,  (|ui  (riiabilude  u'élail  guère  lo([uaee ,  trouvait 
des  mois  ;i)(lenls  el  colorés  pour  uTex |»li(|uer  de  s;i  \()i\  gra\'e  et  bien  lind)rée 


~  Wll  — 


la  genèse  première  de  Tcruvre  de  jeunesse,  qu'il  s'amusail  à  l'aire  renaître. 
Il  me  racontait  les  emportements  (pi'avait  eus  autrefois  (lilbert,  le  créateur 
de  toute  la  partie  sculpturale,  et  les  visites  de  l'Empereur  à  l'alelier,  au  fur 
et  à  mesure  de  l'avancement  du  travail.  Il  disait  les  trouvailles  des  décorateurs, 
le  mérite  des  ciseleurs  célèbrc^s  (pii  avaient  fait  les  douze  cents  pièces  du 
surloul,  la  lenteur  si  consciencieuse  des  Fannière,  le  coup  d'outil  si  nerveux 
de  Poux,  improvisant  parfois  à  même  le  métal,  les  délicatesses  du  scrupuleux 


Henri  Bouilhet  à  l'atelier,  entouré  de  ses  collaborateurs. 
Marié,  directeur  de  la  fabrication  ;  Gervaisot,  chef  des  ateliers  de  ciselure. 


Honoré  et  d'antres  encore,  également  disparus,  ayant  laissé  une  réputation, 
tous  virtuoses  du  repoussé,  cet  art  suprême  de  l'orfèvrerie. 

—  «  Ah!  mon  cher  ami,  ajoutait  Bouilhet  avec  un  soupir,  comme  en  ce 
temps-là  on  avait  de  l'enthousiasme  au  travail  !  » 

Ce  cri  de  regret  était  vite  étouffé.  A  ses  côtés,  en  effet,  ne  retrouvait-il  pas 
plusieurs  des  anciens  compagnons  de  la  première  heure,  le  chef  de  fabrication, 
M.  Marié,  son  fidèle  collaborateur  depuis  trente  ans,  et  Gervaisot,  son  chef 
de  la  ciselure,  dont  les  débuts  comme  apprenti  dans  la  fabrique  remontaient 
à  plus  d'un  quart  de  siècle?  Ceux-ci,  gardant  pour  leur  chef  une  affection 
respectueuse,  l'entouraient  de  ce  dévouement  qu'il  savait  si  bien  susciter. 
C'était  un  réconfort  pour  la  philosophie  un  peu  désabusée  de  sa  vieillesse. 
Je  n'entreprendrai  pas  de  suivre  Henri  Bouilhet  dans  toutes  les  étapes  de  sa 


—  XVIII  — 


longue  carrière  d'orfèvre.  On  trouvera  d'ailleurs,  épars  dans  le  troisième 
volume  du  présent  ouvrage,  de  nombreux  détails  concernant  l'histoire  de  la 
célèbre  maison  dont  il  fut  l'àme  pendant  plus  de  soixante  ans,  ainsi  que  le 
récit  de  ses  participations  aux  Expositions  universelles  durant  cette  période. 
Bien  que  son  nom  apparaisse  très  rarement  dans  ces  bulletins  de  victoire,  et 
soit  remplacé  par  celui  de  la  «  raison  sociale  » ,  le  lecteur  saura  reconnaître 
l'auteur  sous  le  voile  de  modestie  qui  le  dissimule. 

Charles  Chrislofle  et  Ernest  de  Ribes  étant  morts  tous  deux  dans  la  même 
année,  en  1863,  la  direction  de  ses  établissements  échut  à  son  fds  Paul  et  à 
son  neveu  qu'un  double  lien  du  sang  unissait,  car  le  défunt,  qui  avait  épousé  la 
sœur  aînée  d'Henri  Bouilhet,  se  trouvait  à  la  fois  oncle  et  beau-frère  de 
celui-ci.  Les  deux  jeunes  gens  s'entendaient  à  merveille,  quoique  d'un  tempé- 
rament absolument  dissemblable,  et  l'attribution  de  leur  rôle  dut  à  coup  sûr 
s'établir  naturellement  d'après  le  caractère  de  chacun  ;  Bouilhet,  homme  d'ac- 
tion, en  même  temps  que  technicien,  eut  le  gouvernement  intérieur  et  la 
conduite  des  ateliers  de  fabrication;  Paul  Christofle  qui,  sous  ses  airs  de 
colosse,  possédait  l'âme  tendre  et  délicate  d'un  rêveur,  des  goûts  fins  de  pen- 
seur qu'attirent  les  lectures  au  coin  du  foyer,  se  chargea  des  questions  admi- 
nistratives et  de  la  partie  commerciale,  où  il  fit  preuve  des  qualités  les  plus 
hautes.  Le  même  bureau  directorial,  dans  l'usine  de  la  rue  de  Bondy,  était 
occupé  parles  deux  cousins,  qui  se  tenaient  assis  en  face  l'un  de  l'autre;  pendant 
un  demi-siècle,  jamais  le  moindre  nuage  ne  vint  gâter  leur  douce  amitié.  Entre 
eux,  peu  de  paroles  ;  ils  n'avaient  besoin  que  de  se  regarder  pour  se  comprendre. 

Ils  se  marièrent.  C'est  à  peine  si  leur  existence  parut  changée;  les  deux 
familles  habitaient  l'une  à  côté  de  l'autre  dans  les  vastes  bâtiments  de  la 
fabrique,  et  vivaient  discrètement  dans  la  plus  parfaite  harmonie.  Paul 
(Ihristolle  n'eul  [)as  d'enfant,  ce  qui  fut  la  grande  mélancolie  de  sa  vie.  Quanl 
à  Henri  Bouilhet,  il  avait  épousé  la  fille  (hi  littérateur  Sainliiie,  l'auteur  de 
ii()nd)i'euses  j)ièces  de  théâtre  et  de  ces  récits  du  genre  sensible,  tels  que 
Picriolu ,  (pii  firent  les  délices  de  \i\  société  du  temps  de  Louis-Philij)pe 
(;!.  (pie  PyVcadémie  couronna.  b]lle  fui  l'ange  de  son  foyer,  une  de  ces 
Icmmcs  simples  cl  bonnes,  de  ces  mères  idéales,  intelligentes  et  dévouées, 
(loiil  la  \i('  s'absorlxï  loiil  enlière  entre  l'amoiii'  de  leur  nuiri  cl  celui  de 
leurs  cnlanls.  'IVois  lilles  et  un  lils  lui  inupiirenl.  (Télait  une  famille 
délicieuse.  Mon  \ieil  ami  Hossigueux ,  l'éminent  architecte-décorateur, 
qui  travailla  l){'aucou[)  |)our  la  maison  Chiistolle,  et  (pii  vit,  grandii"  tout 
ce  jx'tit  nu>nde,  m'a  l'ail  bien  souvent  le  tableau  de  ce  bonheur  donu'sti([ue 


—  MX  — 


(lonl  il  lui  (luraiil  des  années  le  témoin  charmé  el  charmeur.  Cha(|ue 
été,  la  famille  Bouilhel  déserLail  Tapparlemenl  de  la  rue  de  Bondy,  et  allait 
s'installer  à  Marly-le-Roi,  dans  la  champêtre  maison  héritée  de  Saintine  — 
piu'vit  damas  muijiui  quics  —  où,  parnii  les  meubles  et  les  livres  poudreux 
laissés  par  le  grand-père,  semblaient  flotter  encore  des  parfums  de  bucoliques. 
Là,  au  milieu  de  la  verdure  et  des  fleurs,  Henri  Bouilhet  venait,  le  soir, 
respirer  les  senteurs  des  lilas  et  des  glycines.  Goûtait-il  pleinement  le 
charme  de  ces  rares  luoments  arrachés  à  sa  vie  fiévreuse?  La  plupart  du 
temps,  aussitôt  après  le  souper,  on  le  voyait  se  précipiter  sur  la  serviette 
bourrée  de  papiers  qu'il  avait  emportée  de  l'usine,  alin  de  s'offrir  encore,  dans 
le  calme  de  la  nuit,  quelques  bonnes  heures  de  travail  supplémentaire.  «  Ce 
sont  les  seuls  instants  qu'on  ait,  disait-il,  pour  réfléchir  avec  tranquillité  aux 
alfaires  sérieuses.  Le  reste  du  temps,  le  tourbillon  nous  emporte  !  » 

Il  m'a  été  donné  de  voir  Henri  Bouilhel,  sur  la  fin  de  sa  vie,  dans  le  cadre 
aimable  de  celle  intimité  familiale  ;  alors,  ce  n'étaient  plus  seulement  ses 
enfants  qui  se  trouvaient  réunis  autour  de  la  table  qu'il  présidait  comme  un 
patriarche,  mais  toute  une  jolie  collection  de  petits-enfants,  dont  les  frais 
éclats  de  rire  égayaient  l'habitation  de  Marly-le-Roi.  Il  avait  fallu  successive- 
ment l'agrandir,  l'ancienne  maison  du  vieux  papa  Saintine,  devenue  trop 
étroite,  et  le  modeste  jardin  d'autrefois  s'était  changé  presque  en  un  parc. 
Mais  Bouilhet,  qui  ramenait  toutes  choses  à  l'idée  fixe  de  sa  besogne  cou- 
tumière,  y  gardait  son  coin  préféré,  son  «  coin  d'orfèvre  »,  comme  il  disait, 
celui  où  il  s'occupait  de  la  culture  des  fleurs  de  pleine  terre  qu'il  aimait  à 
prendre  comme  modèles. 

«  Il  n'y  a  que  celles-là,  affirmait-il,  qui  conviennent  à  notre  profession,  et 
à  tous  les  arts  en  général.  Au  moins,  elles  ne  sont  pas  truquées  ;  elles  gardent 
leur  caractère  originel  et  leurs  qualités  de  terroir.  C'est  sain  et  franc.  Ne  me 
parlez  pas  ce  ces  fleurs  rares  et  tourmentées  que  la  fureur  de  l'exotisme  met 
à  la  mode  !  » 

C'est  dans  cette  vie  de  foyer,  au  milieu  des  siens,  qu'on  pouvait  vraiment 
apprécier  l'homme  qu'était  Henri  Bouilhet,  la  droiture  de  son  cœur  généreux, 
l'étendue  et  la  solidité  de  ses  connaissances,  le  charme  de  sa  conversation 
nourrie  de  faits  toujours  précis,  émaillée  d'observations  judicieuses  ou  de 
remarques  savantes.  Ce  n'était  plus  l'homme  un  peu  fVoid,  d'un  abord  assez 
distant,  sur  la  réserve,  qu'on  trouvait  à  l'usine  ou  ailleurs.  Sa  gravité  habi- 
tuelle semblait  se  fondre  dans  un  sourire  d'une  singulière  douceur.  Sans  être 
un  causeur  enjoué,   qui  se  met  en  frais  pour  briller,  il  savait  pourtant 


—  XX  — 


séduire,  quand  il  le  voulait,  son  inlerlocuLeur.  Il  avail  vu  lanL  de  choses  et 
connu  tant  de  gens  célèbres,  qu'il  lui  suffisait  de  puiser  parmi  ses  souvenirs 
pour  intéresser.  Ce  n'était  pas  son  fort  que  les  anecdotes  et  les  descriptions 
pittoresques,  mais,  par  le  fond  des  idées,  il  s'imposait.  Parler  pour  ne  rien 
dire,  pour  lancer  des  mots  à  facettes,  ou  pour  faire  de  l'esprit  aux  dépens  d'un 
absent,  cela  lui  paraissait  inconcevable  et  le  mettait  mal  à  l'aise.  Il  avait  en 
sainte  horreur  ce  qu'on  nomme  le  cabotinage.  Par  ce  trait,  on  reconnaîtra  qu'il 
était  bien  un  homme  d'une  autre  époque  et  qu'il  n'avait  guère  les  goûts  «  d'un 
Parisien  du  boulevard  » .  Il  restait  le  type  de  ces  grands  bourgeois  d'autrefois, 
d'allure  si  particulière,  et  que  la  génération  actuelle  n'a  pas  connus.  Depuis 
l'Exposition  universelle  de  1889,  qui  avait  été  l'occasion  d'un  de  ses  plus 
brillants  succès  d'orfèvre,  Henri  Bouilhet  s'était  placé  à  la  tête  des  industriels 
ennemis  de  la  routine  qui  s'efforçaient  résolument  d'orienter  les  arts  décoratifs 
français  vers  des  horizons  nouveaux.  Contribuera  l'éclosion  d'un  art  moderne, 
renoncer  à  l'imitation  exclusive  des  styles  anciens,  devint  une  de  ses  idées 
favorites  et  le  but  de  ses  efforts.  Ce  n'est  pas,  d'ailleurs,  un  des  traits  les 
moins  curieux  du  caractère  de  l'homme  dont  nous  résumons  ici  la  vie  que 
son  goût  persistant  pour  les  tentatives  audacieuses  et  pour  sortir  des  sentiers 
battus.  Innover  toujours  et  quand  même  semble  avoir  été  sa  règle,  la  ten- 
dance constante  de  son  esprit.  Chez  lui  s'alliaient,  en  un  rare  équilibre,  deux 
qualités  contraires,  la  prudence  du  commerçant  et  la  hardiesse  de  l'inventeur. 
C'est  à  quoi  est  due,  il  n'en  faut  pas  douter,  la  fortune  des  établissements 
Christofle.  Supposons,  un  moment,  le  dosage  différent  entre  ces  deux  facultés 
qu'eut  Henri  Bordlhet,  c'est-à-dire  un  peu  trop  de  prudence,  pas  assez  de 
hardiesse  :  dans  le  ])remier  cas,  c'était  la  production  de  l'usiue  eulizée  dans 
les  succès  avérés,  et  se  bornant  à  rester  fidèle  aux  premiers  triomphes;  dans 
le  sec(Mul,  c'était  commettre  la  grave  faute  de  ne  point  teuir  constamment  en 
éveil  l'atlcnlion  du  pul)lic  pav  des  créalious  iu)uvelk's.  Or,  si,  en  matière 
politi(jue,  ta  devise  est  vraie  (jui  dit  cpu'  ((  gouveruer  c'est  prévoir  »,  il  faut 
se  i'a|)peh'i'  (pie,  |)our  les  in(histries  d'art,  couiuie  un  dilemme  redoutable 
l'cste  toujours  cette  parole  de  Michelet  :  ((  hneuter  ou  |)érir!  » 

Vaiueuu  iit,  objecterail-ou  (pie,  n'ayant  pas  réalisé  de  ses  mains  les  orfè- 
vreries a  II \<|iicllcs  il  est  l'ait  \c\  allusion,  Henri  j)ouillu't  ne  saurait  pi'étendre 
à  iiii  autre  méi  ilc  (|ue  eeliii  d'éditeur,  et  (|iu^  t'  est  seulement  sur  ses  coUabo- 
lalciirs  :  sculpteurs,  dessinatciii's,  éniailleiirs,  etc.,  (|ue  riionneiii'  doit  en 
re);iillir.  Nous  toiielioiis  ici  à  la  (pieslion  (pii  <le\inl  un  luoineni  hrùlanli',  il  y 
a  line  viiii^laine  (raniiécs,  et  dont  ou  se  servit  comme  d'un  brandon  de  dis- 


—  XXI  — 


corde  dans  les  aleliers  parisiens  afin  d'exciler  contre  certains  chels  d'indus- 
trie les  colères  des  artistes,  leurs  collaborateurs.  «  De  quel  droit,  disait-on,  les 
patrons  d'une  maison  d'orfèvrerie,  de  bijouterie,  de  meubles  ou  de  céramique, 
mettent-ils  leur  marque,  leur  r.-ii.son  .sociale  sans  autre  désignation,  sur  les 
œuvres  produites  dans  leurs  ateliers?  C'est  frustrer  ceux  qui  en  sont  les 
auteurs  véritables  de  la  part  de  réputation  à  laquelle  ils  ont  droit.  »  —  <<  Mais 
nos  collaborateurs  sont  légion!  répondaient  les  intéressés.  Pour  faire  un 
simple  bracelet,  on  en  compte  parfois  buit  ou  dix,  depuis  le  dessinateur  qui 
a  eu  la  première  idée  jusqu'au  plus  bumble  ciseleur.  »  —  «  Peu  importe! 
répondaient  leurs  adversaires.  Nommez-les  tous!  »  —  La  querelle  s'envenima, 
prit  des  proportions  inattendues,  si  bien  que,  lorsque  l'Etat  acbeta,  pour  le 
Musée  du  Luxembourg,  en  1892,  le  buste  de  la  Gallia,  à  l'orfèvre  L.  Falize, 
celui-ci  fut  invité  à  inscrire  sur  le  socle  la  liste  des  divers  coopérateurs  de 
l'œuvre.  Il  en  désigna  une  douzaine.  Sur  quoi  l'excellent  critique  Arsène 
Alexandre  écrivit  plaisamment  :  «  M.  Falize  a  oublié  de  nommer  l'éléphant 
auquel  il  doit  le  bel  ivoire  dont  a  été  fait  le  buste  de  sa  Gallia  !  »  La  saillie 
fit  rire,  et,  du  coup,  apparut  le  ridicule  des  exagérations  de  la  campagne 
entreprise.  D'un  principe  juste  et  équitable,  on  tombait  dans  l'impossible. 

Certes,  ce  n'était  pas  un  chef  d'industrie  comme  Henri  Bouilhet  que  pou- 
vaient viser  des  revendications  de  ce  genre.  J'ai  dit  plus  haut  quelle  aversion 
il  avait  pour  toutes  les  espèces  de  cabotinage.  Ce  n'est  pas  lui  qui  eût  jamais 
songé  à  se  parer  des  plumes  de  paon,  et  à  tirer  vanité  des  œuvres  d'autrui. 
Loin  de  se  mettre  en  avant,  il  s'oubliait,  et  disparaissait  en  toutes  circons- 
tances, derrière  la  façade  de  la  maison  Christofle.  Un  des  premiers,  il  prit 
soin  de  mentionner  sur  les  catalogues  d'expositions  les  noms  des  artistes  ou 
artisans  ayant  participé  d'une  façon  quelconque  aux  œuvres  dont  il  avait 
dirigé  l'exécution.  Même  lorsque  l'idée  initiale  lui  appartenait  en  propre  — 
et  c'était  souvent  le  cas,  —  il  ne  manquait  jamais  à  cette  règle.  Il  s'effaçait. 
N'est-ce  pas  de  lui,  cependant,  qu'émanait  l'initiative  de  cette  résurrection  des 
émaux  cloisonnés  à  la  manière  chinoise  qui  fut  si  remarquée  à  l'Exposition  de 
Vienne  en  1873?  N'est-ce  pas  également  à  ses  recherches  savantes  qu'on  dut 
le  procédé  du  a  damasquinage  galvanique  par  incrustation  »  et  celui  du 
((  guillochage  électro-magnétique  »  obtenu  par  un  cylindre  en  cuivre  sur 
lequel  est  disposé  un  dessin  à  réserve  et  qui,  mis  en  contact  avec  une  pointe 
de  platine  communiquant  à  un  électro-aimant,  se  trouve  gravé  électrique- 
ment? N'est-ce  pas  lui  encore  qui  établit  le  premier  projet  de  ces  meubles  si 
curieux,  d'une  richesse  féerique,  qu'on  vit  à  l'Exposition  de  1878,  et  dans 


—   XXII  — 


rexécution  desquels  fîgiiraienl  les  spécimens  de  toutes  les  ressources  que  l'art 
de  l'orfèvrerie  moderne  possédait  alors,  comme  ciselure,  incrustation  et 
damasquinure  galvanique,  émail  cloisonné,  émail  translucide  en  couleur 
et  bronze  patiné?  Pour  chaque  exposition  universelle,  soit  à  Paris,  soit  à 
l'étranger,  Henri  Bouilhet  s'ingéniait  à  présenter  quelque  nouveauté  sensa- 
tionnelle. On  en  verra  le  détail  dans  le  courant  de  ce  troisième  volume  de 
VHistoire  de  VOrfèvrerie  française.  Sans  doute,  presque  toujours,  ces  pièces 
importantes  étaient  exécutées  par  les  plus  célèbres  artistes.  Mais  qui  en  sus- 
citait la  création,  qui  les  mettait  en  œuvre,  si  ce  n'est  lui,  attentif  comme  un 
chef  d'orchestre  à  conduire  sa  phalange  de  collaborateurs,  qu'il  conseillait, 
guidait  et  stimulait,  inventant  pour  eux  les  instruments  dont  ils  avaient  à 
jouer,  c'est-à-dire  les  procédés  d'une  orfèvrerie  scientifique  prêtant  à  des 
effets  nouveaux? 

Dans  son  remarquable  Rapport  sur  l'Orfèvrerie  a  V Exposition  de  1889, 
qui  fait  autorité,  Lucien  Falize  a  indiqué  avec  sobriété  et  justesse  le  rôle 
qu'a  exercé  Henri  Bouilhet  entant  qu'orfèvre  novateur.  ((  Il  n'estpas  seulement, 
a-t-il  dit,  l'associé  de  M.  Christofle,  le  chimiste  et  l'ingénieur  de  la  grande 
usine;  c'est  l'homme  de  goût,  le  chercheur,  dont  l'esprit  s'arrête  aux  moindres 
détails...  »  Et  Falize  signale,  en  passant,  une  de  ses  idées  les  plus  charmantes, 
«  fraîche  en  son  invention,  surprenante  et  presque  incroyable  en  sa  simpli- 
cité de  fabrication  »,  laquelle  consistait  à  imprimer  directement  les  plantes 
les  plus  ténues  et  les  plus  fragiles  dans  le  métal,  à  estamper  sur  une  plaque 
d'argent  ou  de  cuivre  les  nervures  d'une  feuille  séchée,  le  gracile  décor  des 
fines  graminées,  puis  à  peindre  par  épargne  avec  des  dorures,  des  argentures 
ou  des  patines  de  bronze,  les  couleurs  des  plantes.  «  Cette  décoration  nou- 
velle, ajoutait  Falize,  n'est  pas  un  emprunt  fait  au  Japon,  c'est  un  retour 
à  la  nature,  la  grande  inspiratrice,  et  nous  signalons  ce  procédé  curieux 
comme  la  découverte  la  plus  nouvelle  et  la  plus  extraordinaire  de  l'orfèvrerie 
à  cette  Exposition.  Du  resie,  la  persévérance  qu'apporte  M.  Henri  Bouilhet 
à  chercher  des  procédés  pour  décorer  l'orfèvrerie  est  connue  de  tous;  il  y  a 
vingt  ans  qu'il  s'applique  à  orner  le  mêlai;  il  a  été  lui  des  premiers  à  suivre  le 
courant  Japonais,  il  a  osé  cloisonner  et  êmailler  les  vases,  alors  que  ce  pro- 
cédé était  c^ucoi  e  ignoiê  de  ses  conIVères. . .  iMilin,  cette  année,  il  est  parvenu 
i'i  apj)li(jnei'  à  Torlrv rcric^  le  mode  de  gravure  ([u'emploient  les  graveurs  en 
nu'idailles...  » 

Il  n'est  |)as  besoin  d'insislci'  davantage  el  d'enlrei'  |)lus  avant  dans  les 
(|ucstioiis  l((  luii(Hi('s  pour  (iiToii  eoniprcMue  bien  (|uelle  place  Irès  grande 


—    X\lll  — 


occupe  Henri  Bouilhel.  dans  riiisloire  de  Torlèvrerie  au  dix-neuvième  siècle, 
grâce  surtout  à  ce  don  d'initiateur  et  (rinvenleur  qu'il  eut  toujours  en  lui. 
Ses  confrères,  (|ui  rendaient  justice  à  sa  haute  valeur,  Télurent  à  l'unanimité 
Président  du  Jury  de  leur  classe  à  l'Exposition  universelle  de  1901).  11  l'iil 
très  touché  de  cet  hommage,  et  il  me  semhle  entendre  encore  sa  voix  un  peu 
tremblante  ce  jour-là,  et  comme  étranglée  par  l'émotion,  quand  il  se  leva 
pour  remercier. 

«  Messieurs,  il  y  a  cinc[uante  ans  que  je  suis  orfèvre...  » 

Son  allocution  fut  écoutée  avec  sympathie,  mais  ceux  des  membres  du  Jury 
qui  voyaient  Henri  Bouilhet  pour  la  première  fois  ne  purent,  à  ce  premier 
contact,  se  faire  inie  idée  de  l'homme  qu'il  était.  Comme  toujours,  il  avait 
trop  de  réserve,  il  ne  se  livrait  pas  assez,  il  se  retranchait  derrière  sa  modestie 
incurable.  Ce  ne  fut  que  lorsqu'on  le  vit  à  l'ceuvre  qu'on  le  jugea  à  sa  mesure, 
et  que  les  plus  chauds  témoignages  d'alTection  et  de  respect  lui  furent  pro- 
digués. Ah!  ce  Jury  de  l'Orfèvrerie  de  l'Exposition  de  1900!  Avec  quelle 
ardeur  et,  j'ose  dire,  avec  quelle  conscience  il  poursuivit  sa  tâche  sous  le 
soleil  de  plomb,  qui,  durant  les  mois  de  juin  et  de  juillet,  changea  en  une 
gigantescpie  étuve  l'espace  où,  de  l'Esplanade  des  Invalides  au  Trocadéro, 
nous  devions  évoluer  !  La  mort  a  fauché  depuis  lors  plus  d'un  de  nos  col- 
lègues :  Armand-Calliat,  Thesmar,  l'Anglais  Philippe,  et  combien  d'autres  !... 
Ceux  cpii  restent  témoigneront  avec  moi  du  sentiment  d'admiration  que  tous 
éprouvèrent  pour  leur  Président,  pour  son  endurance  à  la  fatigue,  malgré 
ses  soixante-dix  ans,  pour  son  érudition  et  les  c[ualités  merveilleuses  de  son 
jugement.  Arrivé  le  premier  à  nos  réunions,  il  partait  le  dernier.  Ce  qui 
était  surtout  remarquable,  c'est  que,  lorscpi'une  séance  s'était  terminée  sur  une 
discussion  un  peu  orageuse  et  confuse,  on  le  voyait  le  lendemain,  reprenant 
tranquillement  l'ordre  du  jour  au  point  interrompu,  ouvrir  ses  dossiers 
grossis  de  documents  suggestifs,  de  statisticjues  péremptoires,  de  notes  topi- 
ques :  il  avait  passé  une  partie  de  sa  nuit  à  amasser  pour  nous  de  la  lumière  ! 

Qu'un  tel  homme  n'ait  pas  reçu  à  cette  époque  la  récompense  c|ue  tous 
les  bons  juges,  d'avance,  lui  avaient  décernée,  c'est  là  un  de  ces  paradoxes 
qui  ne  saurait  étonner  quiconcjue  sait  de  quelle  étrange  manière  tombe  la 
pluie  capricieuse  des  honneurs  à  la  suite  des  Expositions  universelles.  La 
croix  de  Commandeur  de  la  Légion  d'honneur  qu'il  avait  méritée  à  tant  de 
titres  ne  lui  échut  pas.  De  cette  petite  déception,  s'il  l'éprouva,  notre  ami  ne 
laissa  rien  paraître  ;  il  avait  l'àme  trop  haute.  Simplement,  il  redoubla  d'ac- 
tivité et  de  zèle  pour  les  diverses  besognes  cju'il  assumait  et  dont  cpielcjues- 


—  XXIV  — 

unes  réclamaieiiL  son  dévoiienienL  le  ])liis  désintéressé.  Aucinie  iassiliide 
n'apparut  clans  son  effort  quotidien,  toujours  égal. 

Certes,  parvenu  à  celte  période  de  son  existence,  il  auiaiL  pu  s'accorder 
quelques  loisirs.  Son  cher  fds  André,  qu'il  avait  associé  à  ses  travaux  d'or- 
fèvre, et  préparé  de  longue  date  à  la  tâche  difficile  de  lui  succéder,  était  désor- 
mais capalîle  de  le  suppléer.  D'autre  part,  son  cousin,  M.  Paul  Christofle, 
après  avoir  ménagé  à  son  neveu,  Fernand  de  llibes-Chrislofle,  Ingénieur 
des  Arts  et  Manufactures,  la  place  occupée  autrefois  par  son  père,  l'avait 
adopté  à  la  fm  de  sa  vie.  Les  deux  chefs  vieillis,  ayant  ainsi  sagement  assuré 
l'avenir,  pouvaient  donc  en  toute  tranquillité  abandonner  les  rênes.  Mais 
Henri  Bouilhet  n'était  pas  homme  à  se  résigner  au  repos  ;  jusqu'au  bout,  il 
resta  le  conseiller  vigilant  et  toujours  présent,  ayant  l'd'il  à  tout,  conduisant 
tout,  allant  d'un  pas  qui  n'était  nullement  alourdi  de  son  bureau  de  la  rue  de 
Bondy,  jusque  dans  le  dédale  des  ateliers,  heureux  quand  il  rencontrait  sur 
son  passage,  parmi  les  ouvriers  qui  l'accueillaient  d'un  salut  à  la  fois  déférent 
et  affectueux,  quelque  collaborateur  d'autrefois,  un  de  ces  vétérans  qui  sem- 
blaient être  pour  lui  comme  un  symbole,  et  l'incarnation,  pour  ainsi  dire 
vivante,  des  établissements  Christofle. 

«  Les  établissements  Christofle!  »  De  quel  ton  Henri  Bouilhet  pronon- 
çait ces  deux  mots,  avec  quel  mélange  de  respect  et  de  fierté  !  Ils  résumaient 
pour  lui,  on  le  sentait,  tout  l'idéal  réalisé  de  sa  longue  vie  d'efforts,  ce  que  sa 
pensée  pouvait  concevoir  de  noble  et  de  grand,  c'est-à-dire  le  succès  obtenu 
à  force  de  volonté,  de  droiture  et  d'honneur,  des  années  de  lutte  opiniâtre,  le 
prestige  conquis  à  la  maison  créée  par  son  oncle  vénéré,  enfin,  quelque  chose 
de  mieux  encore,  peut-être,  ou  qui  portait  plus  loin,  je  veux  dire  une  (cuvre 
de  |)rogrès  pour  l'arl  et  pour  l'industrie  de  la  France! 

II 

Son  rôle  à  l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs. 

Après  avoir  nii>iitr(''  ce  (iiic  lut  foi-l'èvre,  il  uous  i-cste  à  indiipier  l'onivrc^ 
;i('i  (»iii|»lic  pur  Henri  IJouillu^t  à  rUniou  (•cnlralc  des  Aris  (h'coral ils,  de  l87.'-5  à  1910. 

Ici,  le  l)i(i;^r;iitlic  pn'cis  (pic  je  urenorce  (rêfr(^  se  double  d'un  témoin  (pii, 
ayant  ('ti''  nièh'  peniliuit  près  de  I  renie  ;uis  de  la  l'acon  la  pins  étroite  à  la 
vie  (l(!  (■(■Ile  s()ci(''l('  ci''lèl)re,  ('prouve  (pichpu'  ci'ainte  de  se  laisser  entraîner  à 
l'évocation  de  souNcnirs  personnels  ti'op  ahondaids  on  (pii  scnnhlcM'aient  hors  de 


—  wv  — 


propos.  Elle  est  si  mal  comme,  l'Iiistoire  de  rUnioii  centrale,  siirtoul.  pour  répo(|ne 
(le  ses  débuts,  qu'il  serait  fort  tentant,  en  vérité,  d'en  remettre  avec  exactitude 
les  principales  phases  sous  les  yeux  de  la  génération  actuelle,  en  rectifiant  les 
erreurs  commises  à  son  sujel.  Ce  serait  pour  beaucoup  une  leçon  utile,  à  l'heure 
où  se  dresse,  encore  plus  redoutable  qu'alors,  le  danger  (pii  menace  l'art  décoratif 
français!  C'est  un  chapitre  qu'il  faudra  tôt  ou  tard  qu'on  écrive  avec  les  dévelop- 
pements nécessaires  pour  bien  faire  comprendre  l'action  exercée  par  l'Union 
centrale  sur  l'éducation  du  goût  dans  la  société  contemporaine,  et  le  genre  de 
services  ([u'elle  a  rendus  ou  ceux  (ju'elle  aurait  pu  rendre.  Mais,  de  ce  chapitre,  je 
ne  détacherai  anjom'd'hni  que  ce  qui  a  trait  particulièrement  à  l'homme  distingué 
qui  fait  l'objet  de  notre  étude. 

On  sait  à  quelles  sortes  de  préoccupations  obéirent,  dans  les  dernières  années 
du  Second  Enq^ire,  les  fondateurs  de  V Union  centrale  des  Beaux-Arts  appliqués  à 
l'industrie.  Les  succès  que  notre  pays  avait  remportés  aux  Expositions  univer- 
selles, notamment  en  1851,  avaient  ouvert  les  yeux  des  étrangers.  Ceux-ci  s'étaient 
dit  :  «  La  supériorité  artistique  de  la  France  n'est  pas  simplement  le  résultat  d'un 
don  de  nature  ;  ce  n'est  pas  seulement  affaire  de  territoire  et  de  climat  :  c'est 
affaire  d'études  et  de  traditions.  Le  goût  s'acquiert  par  le  travail  ;  les  bons  ouvriers 
s'obtiennent  par  l'enseignement  du  dessin.  11  s'agit  donc  avant  tout  de  créer  des 
écoles  et  des  musées  pour  lutter  contre  la  France  !  »  C'est  ce  qu'on  fit  en  Angle- 
terre, puis  ailleurs,  et  le  résultat  des  efforts  de  nos  rivaux  ne  se  fit  pas  attendre. 
Les  progrès  réalisés  par  eux  en  fort  peu  de  temps  furent  signalés,  on  n'ignore 
pas  avec  quelle  éloquence,  par  le  comte  de  Laborde  et  par  le  grand  écrivain 
Mérimée,  dans  des  rapports  admirables,  qu'on  aurait  profit  à  relire,  même  à 
l'heure  présente. 

C'est  alors  qu'au  milieu  de  l'indifférence  générale  du  public  français  pour  ces 
graves  questions  apparurent  ces  hommes  d'initiative  et  de  foi  qui  eurent  l'idée  de 
créer  la  nouvelle  société  à  laquelle  ils  donnèrent  pour  devise  le  Beau  dans  l'utile. 
Ce  n'étaient  pas  des  politiciens  en  quête  d'un  tremplin  pour  s'élancer  dans  l'arène, 
ni  des  ambitieux  guettant  l'occasion  de  se  produire  :  c'étaient  de  simples  artisans 
de  Paris,  quelques  fabricants  du  faubourg  Saint-Antoine,  ayant  à  leur  tête  un 
architecte-décorateur,  nommé  Guichard,  tous  gens  de  cœur  et  de  dévouement, 
sortes  d'apôtres  passionnés  pour  l'art,  et  qui  ne  demandaient  qu'à  se  consacrer, 
sans  aucune  arrière-pensée,  pour  leur  seule  satisfaction,  à  une  cause  grande  et 
belle.  Un  article  de  leurs  statuts  disait  :  «  Tous  les  membres  du  comité  feront 
gratuitement  les  avances  nécessaires  à  l'organisation  de  tout  ce  que  celui-ci  se 
donne  la  tâche  de  fonder.  »  Une  somme  de  cinquante  mille  francs  fut  ainsi  consa- 
crée, de  1864  à  1870,  à  leur  œuvre  par  ses  généreux  promoteurs.  En  ce  temps-là, 
travailler  pour  la  gloire  était  une  de  ces  naïvetés  dont  certains  enthousiastes 

pouvaient  encore  s'offrir  le  luxe  sans  redouter  les  railleries.  Ces  premiers  créa- 

b 


—  XXVI  — 


leurs  de  !'«  Union  cenirale  des  Beaux-Arts  appliqués  à  l'irjduslrie  »  eurent  tout  de 
suite  l'intuition  de  la  lâche  immense  à  accomplir.  Avec  ime  audace  tranquille,  ils 
entrèrent  dans  le  feu  de  l'action  sans  perdre  une  minute,  montrant  une  sûreté  de 
coup  d'œil  étonnante  à  envisager  toutes  les  faces  du  problème  compliqué  qu'ils 
ambitionnaient  de  résoudre.  Quand  on  relit  aujourd'hui  leur  programme  de  4863, 
on  admire  avec  quelle  précision,  quelle  ampleur  et  quelle  justesse  ils  l'avaient 
conçu.  Leurs  successeurs  n'y  ont  rien  ajouté.  Reconnaissons  même  en  toute  fran- 
chise qu'ils  l'ont  plutôt  quelque  peu  diminué. 

La  guerre  de  4870  n'interrompit  qu'un  moment  leur  effort,  et  dès  1874  la  jeune 
Société  reprenait  son  élan  avec  un  comité  composé  de  quelques  éléments  nouveaux, 
ayant  comme  président  Edouard  André,  l'amateur  bien  connu,  collectionneur 
émérite,  et  comme  vice-président  Henri  Bouilhet,  dont  l'activité,  l'esprit  pratique 
et  la  puissance  de  travail  allaient  trouver  largement  à  s'exercer  dans  cette  noble 
entreprise.  A  côté  d'eux,  Louvrier  de  Lajolais,  esprit  ardent,  lutteur  énergique, 
entamait  une  rude  campagne  en  faveur  de  la  réforme  de  l'enseignement  du  dessin, 
et  s'employait  corps  et  âme  à  propager  par  tous  les  moyens  les  doctrines  de  la 
petite  phalange  qui  aurait  été  galvanisée  par  l'exemple  de  cet  entraîneur,  si  elle 
n'avait  pas  été  animée  du  même  feu  sacré.  En  même  temps,  pour  agir  sur  le 
publie  et  former  le  goût  de  la  foule,  furent  organisées  coup  sur  coup  les  expo- 
sitions de  Y  Histoire  du  cosliime,  en  1874,  et  de  Y  Histoire  de  la  tapisserie,  en  1876, 
qui  attirèrent  par  centaines  de  mille  les  visiteurs,  véritable  phénomène  à  cette 
époque.  Henri  Bouilhet  s'y  montra  administrateur  de  premier  ordre.  Ce  fut  une 
manière  pour  lui  de  se  faire  la  main  en  attendant  les  remarquables  expositions 
technologiques  dont  il  va  être  question  plus  loin. 

Précisément  à  cette  date  se  produisit  un  événement  qui  eut  sur  l'avenir  de  la 
«  Société  des  Beaux-Arts  appliqués  à  l'industrie  »  des  conséquences  graves  :  je 
veux  parler  de  la  l'ondation  de  la  Société  du  Musée  des  arts  décoratifs  qui  se  dressa 
tout  à  coup  av(M'.  des  allures  insidieuses  de  rivale  en  face  de  la  première.  Quel 
besoin  avait-on  de  cette  nouvelle  association  qui  annonçait  à  peu  près  le  même 
programin(!  (pie  son  aînée,  et  comment  avait-elle  pu  surgir,  puisqu'elle  paraissait 
faire  d()ul)l(i  emploi?  De  cette  concurrence  singulière  n'allait-il  pas  résulter  un 
coiillir,  en  tout  cas  un  malentendu,  une  dispersion  d'elforts,  par  conséquent  un 
alVaililisseirieiil  (liiiis  l(!S  moyens  poiu- arri vei' au  but? 

(leliii  (|iii  ('■(•rit  ces  lignes  s(!  doit  à  lui-m(''m(î  d(^  foui'uir  ici  une  explication  res- 
seiriMaiil  à  un  aveu,  car  le  premier  coupable  en  cette  alfaire,  ce  fut  lui.  Voici 
cDinnienl.  Va\  1 87(),  j'ignorais  tolalement  l'existence  de  l'Union  centrale  des  beaux- 
arts  ap|)li(pi(!s  à  l'industrie.  Mon  ex('us(!  est  (|ue  j'avais  alors  vingt-(|uatre  ans. 
.I(!  venais  (r(Mre  ii()iinn(''  se('r(''taire  d(!  la  r(''(la('tion  d'une  fastueuse  revue, /'/Ir/,  et 
j'r'lais  iin|ialieiil  de  l'aire  nies  preuv(!S.  Or,  ayani,  ('•t(''  envo_y(''  en  mission  à  Londres, 
j  y  fus  l'bldiii  pai-   les  rii  lirsses  du  Smilh  hriisiiK/to/i  !\liisci//>i .  (le!  admirable 


—  xwir  — 


musée,  n'était-ce  pas  à  l'initiative  pi-ivée  qu'on  le  devait?  «  Pourquoi,  me  dis-je, 
ne  ferions-nous  pas  eu  France  ce  qu'avaient  su  faire  les  Anglais?»  Avec  une 
ardeur  de  néopliyte,  je  demandai  au  directeur  de  l' Art  l'autorisation  de  inener 
une  campagne  et  de  provoquer  une  Souscription  pour  la  création  cfun  South 
Kr/isinf/ton  Muséum  français.  Tel  fut  le  titre' —  détestable,  il  faut  en  convenir  — 
sous  lequel  parurent  nos  premiers  articles.  Mon  directeur,  non  seulement  acquiesça 
à  l'idée,  mais  se  mit  de  la  partie.  Les  adhésions  ne  tardèrent  pas  ù  arriver.  Ce 
fut  surtout  dans  le  monde  des  grands  collectionneurs  de  Paris  qu'on  répondit  à 
notre  ai)pel,  et  aussi  dans  l'aristocratie  du  faubourg  Saint-Germain,  parmi  les 
ducs  et  paii's,  les  attachés  d'ambassade  mis  en  disponibilité  par  la  République, 
lesquels  cherchaient,  en  bons  patriotes,  un  élément  nouveau  à  leur  activité.  Ah! 
que  de  visites  il  fallut  faire  avant  de  constituer  notre  comité  de  patronage,  qu'ac- 
cepta de  présider  le  duc  d'Audiffred-Pasquier  !  Mais  aussi  que  de  paroles  cour- 
toises, que  de  précieux  encouragements  nous  furent  prodigués  !  Le  jeune  duc  de 
Chaulues,  vrai  grand  seigneur,  simple,  aimable,  bri^ilant  de  marcher  sur  les  traces 
de  son  aïeul,  le  duc  de  Luynes,  ce  brillant  Mécènes,  nous  écrivit  une  lettre  élo- 
quente, que  je  voudrais  avoir  la  place  de  citer  ici,  et  qu'accompagnait  un  chèque 
de  ^0000  francs.  Le  marquis  de  Biencourt,  le  duc  de  Sabran,  le  comte  de  Ganay, 
Alfred  Darcel,  directeur  du  musée  de  Cluny,  l'éditeur  Didot,  Paul  Dalloz,  du 
3Inniteur  nniverse/,  ceni,  autres  hommes  distingués  s'inscrivirent,  et,  en  quelques 
semaines,  notre  chilTre  de  souscription  dépassa  100000  francs.  C'était  un  beau 
début.  J'aurais  souhaité  que  Gambetta  se  mît  avec  nous,  pour  bien  marquer  que 
notre  œuvre  planait  au-dessus  de  la  politique  et  s'adressait  à  tous  les  partis. 
J'allai  le  voir,  mais  ne  rencontrai  que  Spuller  qui,  après  avoir  jeté  les  yeux  sur  la 
liste  de  nos  premiers  adhérents,  me  la  rendit  précipitamment,  en  s'écriant  d'un 
ton  bourru  :  «  Je  ne  travaille  pas  avec  les  ducs  !  »  Il  ne  voulut  rien  entendre. 
Quinze  ans  plus  tard,  il  se  mit  à  sourire  quand  je  lui  rappelai  cette  boutade  : 
c;  Aujourd'hui,  fit-il,  je  vous  répondrais  ;  je  travaille  avec  tous  les  bons  Français  !  » 

Un  jour,  au  cours  de  ces  visites,  je  tombai  sur  L.  de  Lajqlais,  qui  venait 
d'être  récemment  chargé  des  fonctions  de  directeur  de  l'Ecole  à  laquelle  il  fit 
donner  lui-même  le  titre  d'Ecole  nationale  des  Arts  décoratifs.  11  me  toisa  avec  ce 
balancement  des  épaules  qui  lui  était  particulier,  et  tel  que,  dans  l'impétuosité  de 
son  abord,  on  ne  savait  pas  si  c'était  pour  vous  étreindre  affectueusement  ou 
pour  vous  terrasser.  Avec  sa  barbiche  grise,  les  cheveux  courts,  le  teint  haut  en 
couleur,  il  ressemblait  à  un  colonel  en  retraite  : 

«  Ah!  c'est  vous,  s'exclama-t-il,  qui  faites  la  guerre  à  l'Union  centrale,  qui 
voulez  nous  supplanter,  qui  vous  imaginez  pouvoir,  comme  cela,  créer  en  cinq 
minutes  un  musée  sur  le  type  du  Kensington  ! .. .  Laissez-moi  rire  !  » 

11  ne  semblait  pas  en  avoir  envie.  J'essayai  de  le  calmer  et  le  persuadai  de  la 
pureté  de  mes  intentions,  en  lui  confessant  que  je  ne  connaissais  l'existence  de 


—  XXVIII  — 


l'Union  centrale  que  depuis  quelques  jours  à  peine.  Ma  candeur  le  désarma,  et, 
après  m'avoir  écouté,  sa  colère  du  premier  moment  fit  place  à  un  tout  autre  sen- 
timent. 11  vint,  à  quelques  jours  de  là,  nous  trouver  à  la  rédaction  de  l'ArL  Ses 
collègues  du  Comité  de  l'Union  centrale,  dont  il  était  un  des  inemljres  les  plus 
justement  influents,  avaient  été  par  lui  rassurés  au  sujet  de  notre  souscription. 
Avec  beaucoup  de  bon  sens,  il  les  avait  convaincus  que,  loin  d'êlre  pour  eux  des 
adversaires,  nous  arrivions  comme  dos  alliés  inattendus.  L.  de  Lajolais  nous 
apportait,  en  somme,  l'adhésion  précieuse  de  ses  amis. 

«  Seulement,  ajouta-t-il,  changez  votre  titre  ;  il  est  exécrable.  A-t-on  idée  de 
cela!  Souscription  pour  la  création  d'u)i  South  Kcnsing  ton  Muséum  français...  C'est 
à  faire  fuir  les  mieux  intentionnés  ! 

—  Mais  quel  litre  adopter?  Préféreriez-vous  celui-ci  :  Pour  la  création  d'un 
musée  somptuaire  ! 

—  Pas  ça  non  plus  !  » 

11  réfléchit  un  moment,  puis  sa  physionomie  s'épanouit  : 

«  Dites  :  Pour  la  création  cïun  musée  des  Arts  décoratifs.  Voilà  le  vrai  titre 
qu'il  vous  faut.  » 

Ce  fut  un  baptême  heureux,  et,  bien  que  L.  de  Lajolais  n'ait  jamais  songé  à 
revendiquer  ce  parrainage,  il  est  juste  de  lui  en  restituer  l'honneur.  L'expression 
vient  de  lui;  elle  a  fait  fortune  et  reste  depuis  universellement  adoptée.  A  partir 
de  ce  moment,  les  membres  de  l'Union  centrale  ne  firent  aucune  difficulté  de  se 
joindre  à  nous,  et  la  «  Société  du  Musée  des  Arts  décoratifs»  fut  promptement 
constituée  avec  le  duc  de  Chaulnes  comme  président.  On  choisit  pour  vice-prési- 
dent Henri  Bouilhet,  pour  bien  indiquer  dans  quel  esprit  d'alliance  nous  agissions 
avec  l'Union  centrale.  En  qualité  de  secrétaire  général,  je  fus  chargé  de  m'oc- 
cuper  des  premiers  détails  de  l'installation.  Nous  avions  conquis  à  notre  cause  le 
directeur  des  Beaux-Arts,  le  spirituel  marquis  de  Chennevières,  que  je  voyais 
presque  ch;u(ae  jour  à  cette  époque,  et  qui  nous  fit  la  grande  faveur  de  nous 
accorder  la  concession  du  Pavillon  de  Flore  pour  l'organisation  de  notre  futur 
musée.  Une  aile  entière  du  i^alais  des  Tuileries  !  Tous  les  élagcs  de  cette  partie  du 
monument  (|ui  borde  la  Seine,  du  pont  des  Saints-Pères  au  pont  Uoyal  !  On  juge 
de  iHttre  joif^.  I)(''jà  nous  dr(\ssions  des  plans,  nous  disposions  en  imagination  les 
splciididcs  collections,  dont  (l(>.  nombreux  et  généreux  bienfaiteurs  n'allaieni  pas 
miiiiipici'  sans  doiit(^  dii  dol,er  promptement  woivv  musée...  Ilélas!  nous  élions 
loin  (lu  liul  ! 

Si  je  viens  d(!  me  laisser  alUu'  à  cette  digi'ession  sur  l'origine  exacte  de  la 
Soi  i(''t(''  du  Mus('e  des  Aris  (h'coratifs,  i\\u'  si  peu  de  p(>rsonn(>s,  probablenuMil , 
coiiiiaisseiil  iNioin-d'Iiiii,  c'est  poiu'  bien  uiaripier,  dans  ses  miances  et  ses  demi- 
li  iiiles,  le  lùle  | i;i il ic ( d ie re IN e M I  dil'Iicile  (pi'eid,  à  jouer  Henri  Boiiilliet  au  sein 
d  ini  coiiiil(''  iliiccleiir  coiisIKik''  dans  les  coiidilions  (pii  vieinient  d'èire  diles,  et  où 


—   XXI\  — 


se  formèrent  deux  courants  très  distincts,  l'un  venant  de  rUnion  centrale,  l'autre 
de  la  Société  nouvelle.  Les  deux  associations  eurent  beau  consacrer,  en  1882,  leur 
fusion  définitive  sous  l'unique  titre  d'I'/u'on  coitrale  des  Arts  décoratifs^  qui  emprun- 
tait, dans  un  esprit  tVatcrnel  à  chacune  d'elles  la  moitié  de  son  appellation  primi- 
tive, malgré  tout  et  toujours  subsistèrent  certaines  divergences  de  vues  et  comme 
une  flottante  ligne  de  démarcation  entre  ces  éléments  disparates.  La  cohésion 
manquait  aux  membres  de  ce  comité,  tous  hommes  distingués,  assurément,  et 
fort  instruits,  mais  qui  se  trouvaient  aux  antipodes  les  uns  des  autres  par  leur 
situation  sociale,  leurs  habitudes  intellectuelles,  leur  manière  de  sentir  et  de 
goûter  les  arts.  D'un  côté,  il  y  avait  les  représentants  de  la  Société  du  Musée  des 
Arts  décoratifs,  c'est-à-dire  de  brillantes  personnalités  mondaines,  la  fine  fleur  du 
faubourg  Saint-Gei-main,  des  amateurs  et  quelques  hommes  de  finance.  D'un  autre 
côté,  étaient  les  gens  de  métier  et  d'étude,  des  fabricants,  des  critiques  d'art,  des 
professionnels,  en  un  mot  la  bourgeoise  et  solide  petite  phalange  sortie  des  rangs 
de  l'Union  centrale  des  beaux-arts  appliqués  à  l'industrie,  en  minorité,  il  faut  le 
dire,  et  un  peu  intimidée,  au  premier  abord,  par  l'aristocratique  contact,  mais  qui 
s'efforçait  de  rester  fidèle  à  ses  origines  et  à  son  drapeau. 

Chacun  de  ces  deux  groupes  avait  ses  tendances  secrètes.  Le  premier,  pour 
régénérer  les  arts  et  le  goût  en  France,  ne  voyait  que  l'établissement  du  musée 
annoncé  et  promis  au  public.  Il  le  fallait  imposant  et  fastueux,  dans  un  beau 
quartier,  à  la  portée  de  la  classe  riche,  celle  des  consommateurs.  Le  second  joi- 
gnait à  la  question  du  musée  celles  de  l'enseignement  du  dessin,  des  concours 
entre  artistes,  des  conférences,  des  expositions  circulantes  dans  toute  la  France, 
enfin  des  encouragements  pratiques  aux  productetirs.  Dans  le  premier  groupe, 
qui  comprenait  les  serviteurs  passionnés  de  la  religion  du  bibelot,  on  semblait 
imbu  de  l'idée  que  les  chefs-d'œuvre  du  passé  suffiraient  pour  fournir  tous  les 
modèles  nécessaires  aux  industries  modernes.  Dans  le  second,  où  dominaient  les 
fabricants,  on  s'inquiétait  plutôt  des  travailleurs,  d'un  musée  qui  serait  fait  sur- 
tout pour  eux,  ouvert  le  soir,  en  plein  faubourg  Saint-Antoine,-  très  simple  et 
commode  ;  on  se  montrait  de  ce  côté  plus  précis  et  plus  réaliste. 

Ainsi,  les  membres  des  deux  camps  obéissaient  d'instinct  aux  influences  et 
aux  affinités  mystérieuses  qui,  dans  toute  assemblée,  gouvernent  les  hommes 
souvent  à  leur  insu.  Les  collectionneurs  avaient  leur  idéal,  les  professionnels  un 
autre,  et  quand  une  question  de  principe  surgissait,  sans  qu'ils  s'en  rendissent 
compte  la  plupart  du  temps,  ils  se  trouvaient  séparés.  On  les  eût  à  coup  sûr 
étonnés  en  leur  signalant  les  causes  profondes  qui  créaient  entre  eux  une  ligne 
de  partage  d'opinions,  car  jamais  n'éclataient  de  discussions  de  doctrines  qui  les 
eussent  opposés  ouvertement  les  uns  aux  autres,  et  divisés  en  petites  coteries. 
C'est  par  le  fonds  des  idées  qu'ils  différaient,  et  ils  s'en  apercevaient  à  peine, 
tant  il  y  avait  d'exquise  urbanité  dans  leurs  rapports,  tellement  ils  s'appliquaient 


—  xx\  — 


par  des  concessions  récipro((ues  à  se  maintenir  dans  une  atmosphère  de  bonne 
compagnie.  En  vérité,  c'était  bien  une  «  académie  du  goût  '>  qu'allait  devenir  peu 
à  peu  le  Comité  de  l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs,  et  oîi  le  plaisir  d'être 
toujours  d'accord  devait  finalement  amènera  beaucoup  de  sacrifices.  Mais,  au 
moment  de  la  fusion  dont  je  parle,  le  Comité  ne  donnait  pas  tout  à  fait  l'impres- 
sion d'un  lac  paisible  dont  les  eaux  limpides  n'ont  plus  rien  du  bouillonnement 
des  torrents  d'où  elles  sont  descendues  :  il  y  avait  parfois  à  la  surface  des  entre- 
clioquements  de  vagues,  des  coulées  d'ondes  plus  sombres  trahissant  çà  et  là  leur 
provenance,  et  qui  gardaient  un  peu  d'impétuosité  et  de  couleur  avant  leur  absorp- 
tion définitive  dans  la  masse  ondoyante. 

Henri  Bouilhet,  lui,  dans  le  Comité  de  la  Société,  représentait  manifestement 
les  idées  de  l'ancienne  Union  centrale.  Ses  prédilections  restaient  attachées  au 
programme  du  début,  plus  vaste  et  de  plus  longue  portée.  Il  ne  croyait  pas  à  la 
seule  vertu  d'un  musée  des  Arts  décoratifs  pour  provoquer  l'évolution  heui'euse  de 
nos  industries  et  pour  galvaniser  la  torpeur  du  public  qui  persistait  à  se  con- 
tenter des  plus  affreux  pastiches  des  styles  anciens.  Profondément  pénétré  des 
conseils  donnés  par  le  comte  de  Laborde  dans  son  fameux  Rapport  de  l'Exposition 
de  1851  —  vrai  livre  de  chevet  à  cette  époque  pour  bon  nombre  d'entre  nous  — 
il  aurait  volontiers  poursuivi  l'application  du  système  qui  s'y  trouve  développé, 
du  commencement  à  la  fin  de  ses  onze  cents  pages,  avec  toute  la  rigueur  d'auto- 
ritarisme qu'il  comporte.  Puisqu'il  n'y  avait  plus  en  France  ni  monarque  pour 
donner  aux  arts  l'impulsion  vigoureuse  qui  manquait,  ni  l'influence  d'une  cour 
élégante  pour  régler  les  manifestations  du  goût;  puisque  l'Etat,  au  nom  du  prin- 
cipe de  liberté,  érigeait  désormais  en  maxime  sa  neutralité  en  ces  matières,  eh 
bien  !  pourquoi  une  association  comme  celle  des  Arts  décoratifs  n'aurait-elle  pas 
essayé  de  saisir  le  gouvernail  abandonné  par  des  mains  défaillantes  ?  Dans  ce  cas, 
ce  n'était  plus  seulement  un  musée  qu'il  convenait  de  créer,  mais  toute  une 
puissante  organisation  capable  de  suppléer  à  l'inertie  gouvernementale, de  faire 
face  aux  dangers  les  plus  immédiats,  de  combler  les  lacunes  par  trop  désas- 
treuses. Par  ce  moyen,  à  peu  de  frais  et  surtout  par  influence  morale,  son  action 
se  ferait  sentir  avec  méthode  partout  à  la  fois,  dans  les  milieux  mondains,  dans 
les  <!r()l(!s,  (l;nis  les  atelici's,'  dans  les  nianufactures,  à  Paris  conutu'  en  |)ro- 
vinc,(;,  auprès  des  cliambi'cs  de  coniinerce  connue  dans  les  musées,  siu'  toute  la 
surfac(!  du  Icrri! oir-c.  N'avail-ou  pas  c-()n(iuis  déjà  la  collaboration  des  plus  hautes 
intelligences,  dans  tous  les  milieux  sociaux?  N'était-on  pas  assuré  des  plus  puis- 
sants coiicoiii's  dans  les  sjihères  oflicielles,  dans  les  ministèi'es,  et  au  Parlenu'ut  ! 
Il  ne  lalhiil  (ju'iiii  plan  de  |ii-()pagan(le  uetlt'in(  iit  délini,  et  ce  |)lan,  il  suffirait  de 
i'e.iipniiilei'  an  ciiMite  de  baliorde  ! 

A  pai'Iei-  liane,  je  ne  crois  pas  (pTune  telle  conception  de  l'ellbrl  à  Icnler,  et 
qui   lelli  lc  sin  loni  le-,  idi'cs  (pie  nous  ('lions  (piehpies-iiiis  seiilenieiil,  à  soul(Miir, 


—   XXXl  — 


aurait  eu  la  moindre  chance  d'être  approuvée  par  le  Comité  de  la  Société  du 
Musée  des  x\rts  décoratifs,  si  ce  n'est  peut-être  entre  les  années  1878  et  1882, 
c'est-à-dire  durant  la  période  oii  la  présidence  appartint  au  duc  de  Chaulnes, 
puis,  à  titi'c  intéi'imaii'c,  au  marquis  de  Chennevières  et  à  Paul  Dalloz.  Il  est  vrai 
qu'alors  on  avait  bien  d'autres  sujets  de  préoccupations,  car  on  dut  lutter  contre 
maints  assauts,  et  pour  l'existence  même  de  la  Société.  A  partir  du  moment  où 
Autonin  Proust  fut  placé  à  la  tête  du  Comité,  ce  fut  un  esprit  tout  différent 
qui  dès  lors  l'anima.  Vainement  on  avait  pressé  Henri  Bouilhet  d'accepter  cette 
présidence.  11  avait  résisté  aux  plus  affectueuses  sollicitations,  même  à  celles  de 
son  vieil  ;imi  Lajolais,  qui,  api-ès  ce  refus,  ne  voulut  plus  paraître  à  l'iînion,  ce 
qui  priva  le  Conseil  d'un  guide  excellcnl,  aux  allures  d'enfant  terrible  parfois, 
mais  ([ui  était  homme  de  caractère  et  de  con)bat,  voyant  clair  et  de  haut. 

On  crut  évidemment  faii-e  acte  d'habile  diplomatie  en  confiant  les  destinées 
de  la  Société  à  un  homme  politique,  car  on  avait  besoin  de  l'appui  des  ministres 
et  de  se  créer  des  intelligences  au  Parlement.  En  réalité,  on  se  diminua.  Les 
politiciens,  en  général,  se  servent  d'une  cause  bien  plus  qu'ils  ne  la  servent.  Ils 
l'absorbent  dans  leur  personnalité,  et  elle  subit  le  sort  de  leur  fortune,  grandis- 
sant ou  se  rapetissant  selon  les  hasards  de  leur  succès  du  moment  et  selon  le 
plus  ou  moins  de  prestige  ou  déconsidération  qu'ils  acquièrent.  Devenant  seule- 
ment l'auréole  d'un  homme,  cette  cause  perd  de  son  caractère  propre  et  de  sa 
force.  Avec  Henri  Bouilhet  comme  président,  l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs 
eût  conquis  moins  de  panache,  mais  plus  d'autorité.  Elle  n'aurait  pas,  cela  est 
probable,  réalisé  les  six  millions  de  la  fameuse  loterie  ;  mais  d'autres  horizons 
se  seraient  ouverts  devant  elle  dans  une  orientation  différente,  avec  un  idéal 
plus  rapproché  de  celui  de  l'ancienne  Union. 

Malgré  sa  situation  au  Parlement,  Antonin  Proust  ne  réussit  pas  à  liàter  l'ins- 
tallation du  musée,  pour  lequel  on  cherchait  toujours  un  local  sans  le  trouver 
jamais.  En  1881,  il  avait  fallu  quitter  le  Pavillon  de  Flore,  repris  par  l'Etat,  pour 
aller  s'échouer  dans  un  des  côtés  de  l'ancien  Palais  de  l'Industr.ie,  aux  Champs- 
Elysées.  Ce  n'était  toujours  que  du  provisoire.  Les  années  s'écoulèrent  en  négo- 
ciations laborieuses  et  inutiles,  en  projets  tour  à  tour  adoptés  puis  abandonnés. 
La  question  d'installation  n'était  guère  plus  avancée,  lorsqu'en  1891  Antonin 
Proust  fut  remplacé  comme  président  de  la  Société  —  à  défaut  de  Henri  Bouilhet 
qui,  cette  fois  encore,  déclina  la  fonction  —  par  Georges  Berger.  Celui-ci  fut  assez 
heureux  pour  voir  enfin  aboutir  la  convention  longuement  préparée  avec  l'Etat 
et  qui  permit,  à  partir  de  1900,  l'organisation  définitive  du  musée  et  de  la  biblio- 
thèque de  l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs  dans  le  palais  des  Tuileries,  au 
Pavillon  de  Marsan.  On  avait  mis  vingt  ans  pour  arriver  à  ce  résultat. 

Durant  ce  long  espace  de  temps,  la  Société  ne  resta  pas  inactive,  on  le  sait. 
Je  n'ai  pas  à  entrer  ici  dans  des  développements  étendus  sur  les  diverses  phases 


—  XXXII  — 


de  son  histoire,  ni  sur  les  tentatives  multiples  par  lesquelles  elle  s'efi'orça  d'affir- 
mer sa  vitalité.  Ce  qu'il  faut  dire,  parce  que  c'est  une  vérité  que  j'ai  constatée, 
c'est  que  chaque  fois  que  des  paroles  on  passait  aux  actes,  quand  le  «  Comité  direc- 
teur», à  la  suite  de  maintes  délibérations,  s'était  prononcé  pour  l'exécution  de 
tel  ou  tel  projet,  il  se  trouvait  un  homme,  presque  toujours  le  même,  qui  était 
chargé  de  conduire  l'affaire  dans  tous  ses  détails,  et  qui  la  prenait  en  mains  ;  cet 
homme,  c'était  Henri  Bouilhet.  La  confiance  qu'on  avait  en  son  savoir,  en  son 
activité,  en  son  esprit  lumineux  et  prompt  était  sans  bornes.  S'agissait-il  de 
discourir?  11  cédait  volontiers  le  pas  aux  autres.  Le  moment  de  l'action  arrivait- 
il  ?  D'instinct,  chacun  se  tournait  vers  lui.  11  devenait  le  chef  véritable,  d'un 
consentement  tacite  et  unanime. 

Ce  fut  surtout  aux  grandes  Expositions  teclniologiques  organisées  par  l'Union 
centrale  à  cette  époque  que  l'on  put  juger  ce  dont  Henri  Bouilhet  était  capable. 
Quelle  somme  énorme  de  labeur  il  y  consacra  avec  un  dévouement  absolu  et  une 
virtuosité  magistrale!  Ce  n'était  point,  en  efïét,  des  entreprises  faciles  que  ces 
expositions  établies  sur  un  plan  complètement  neuf,  extrêmement  ingénieux,  et 
consacrées  non  plus  à  des  productions  artistiques  de  tous  genres,  comme  dans 
les  expositions  habituelles,  plus  ou  moins  chaotiques,  mais  exclusivement  à  une 
industrie  à  la  fois,  en  prenant  comme  base  la  matière  mise  en  œuvre.  Bouilhet 
pensa  avec  raison  que  ce  serait  pour  le  public  une  leçon  esthétique  plus  saisis- 
sante si  on  limitait  la  démonstration  à  des  objets  rationnellement  classés  par 
séries  d'après  la  nature  des  matériaux  dont  ils  sont  constitués.  Par  cette  méthode, 
il  fit  de  chacune  de  ces  expositions  technologiques  l'histoire  complète  d'une 
industrie  déterminée,  en  montrant  d'abord  la  matière  brute,  à  titre  d'échantillon, 
puis  celle-ci  transformée  par  la  main  de  l'ouvrier,  les  outils,  instruments  ou 
procédés,  et  même,  dans  certains  cas,  les  métiers  en  mouvement;  puis  venaient 
les  dessins  ou  maquettes  qui  servent  de  modèles  pour  l'exécution  des  objets  ; 
enfin  l'duivre  parachevée,  ennoblie  par  le  goût  et  sur  laquelle  l'Art  imprime  sa 
mar-que  souveraine. 

C/(^sl,  d'après  ce  programme  ([ue  sutu'.essivement  Henri  Bouilhet  organisa,  au 
Palais  (le  l'Industrie,  les  quatre  expositions  suivantes  : 

En  ISHO  —  Les  Industries  du  Métal  ; 

Kn  \)m  —  Le  Bois,  le  Tissu,  le  Papier; 

Kii  ISS;  —  La  Terre  et  le  Verre  ; 

Mn  ISXT  —  Kxp(tsili()n  r(''capil  niai  Inc. 

Il  laiil  ;iv(»ir  \ii  de  près  la  pr(''paral i(in  de  ces  nianilVslal idus  grandioses  et 
rciii;ii  qii;d)li's,  pour  se  i'('|»i'(''S('iilcr  ce  (|tr('llcs  exigeaient  de  soins  et  d'intelligence 
di'  la  piiil  de  celui  (|iii  les  dirigeait.  Lue  fois  le  p|;ni  bien  ('liidié  et-  arrêt/»,  il  fallait 
a^.'ir   ii\ee  une  rapidil(''  IV'liiile,  e;ii'  hi  eoncessidii  dn   l*al;iis  de  l'induslrie  dans 


—   XWIII  — 


toulc  son  étendue  n'était  accordée  qu'à  partir  du  15  juillet,  c'est-à-dire  après  que 
la  fermeture  du  Salon  annuel  des  Beaux-Arts  eut  laissé  le  terrain  libre.  L'instal- 
lation devait  donc  èire  achevée  en  un  mois  à  peine.  On  s'imagine  le  nombre  de 
commissions  qu'il  y  avait  à  mettre  en  mouvement,  et  dont  il  était  indispensable 
que  Boiiilhet  suivît  les  travaux.  Pour  chaque  industrie,  on  s'adressait  aux  person- 
nalités les  plus  éminentes,  aux  spécialistes  les  plus  érudits,  et  c'était  un  charme 
de  voir  avec  quel  entrain,  quel  zèle  chacun  apportait,  à  l'heure  dite,  l'appoint  de 
sa  collaboration  effective  et  de  sa  compétence  particulière.  Quelles  réunions 
d'hommes  d'élite  !  Comme  il  y  avait  |)laisir  et  profit  à  écouter,  dans  ces  séances 
de  comités,  (juelque  illustre  maiti'e  qui,  dans  la  cordialité  d'une  atmosphère  sym- 
pathique, où  il  n'y  avait  rien  de  solennel  ni  de  gourmé,  s'abandonnait  parfois  à 
une  de  ces  improvisations  savoureuses  dans  lesquelles  les  intelligences  supé- 
rieures se  plaisent  souvent  à  livrer  le  mei'leur  d'elles-mêmes  !  On  recueillait  là 
de  merveilleuses  leçons.  Parfois  éclataient  des  controverses.  Un  jour,  Charles 
Garnier,  l'architecte  de  l'Opéra,  était  venu  écouter  en  petit  comité  la  lecture  du 
Rapport  général  fait  à  l'occasion  de  l'Exposition  de  1884  concernant  les  industries 
de  la  «Terre  et  du  Verre».  Ce  Rapport,  dû  à  M.  L.  de  Fourcaud,  aujourd'hui 
professeur  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  chef-d'œuvre  de  dialectique  vigoureuse  et  de 
haute  critique,  émettait  sur  l'influence  de  la  Renaissance  italienne  des  idées  qui 
firent  bondir  le  fougueux  architecte.  On  eut  toutes  les  peines  du  monde  à  le 
CAlmer.  Mais  que  d'éclairs  jaillirent  durant  ce  rapide  orage  ciui  prit  fin  d'ailleurs 
au  milieu  des  sourires  apaisants  ! 

Une  autre  fois  — «  c'était  encore  à  cette  même  exposition  de  1884  —  les  jurys 
eurent  à  trancher  une  question  un  peu  délicate.  Parmi  les  œuvres  exposées  dans 
la  section  contemporaine  (car  il  y  avait  toujours,  dans  ces  manifestations,  à  côté 
de  la  section  rétrospective  qui  montrait  l'histoire  de  chaque  industrie,  une  section 
moderne),  se  trouvait  un  grand  vitrail  fort  admiré  et  discuté,  qu'on  avait  proposé 
pour  une  récompense  exceptionnelle.  Mais,  si  ce  vitrail  avait  ses  partisans,  il  avait 
également  des  détracteurs  :  ceux-ci  reprochaient  a  la  composition  de  manquer 
d'originalité,  et  mâms  d'être  copiée  littéralement,  pour  la  partie  ornementale,  sur 
une  œuvre  connue  de  style  ancien.  On  discutait  depuis  assez  longtemps  sans 
résultat,  chacun  restant  ferme  dans  son  opinion,  quand  Henri  Bouilhet  arrive, 
sortant  sans  doute  de  quelque  autre  commission.  Il  écoute  un  instant,  ne  prononce 
pas  un  mot,  sort  pour  revenir  presque  aussitôt  avec  un  gros  volume  in-folio  qu'il 
dépose  ouvert,  et  toujours  sans  rien  dire,  sur  la  table  du  jury.  C'était  un  recueil 
de  gravures  d'après  de  vieilles  tapisseries.  On  l'ouvre,  et  qu'y  trouve-t-on?  Le 
modèle  original  sur  lequel  avait  été  copié  exactement  le  vitrail  en  question.  Du 
coup,  la  cause  était  jugée. 

Cette  scène  curieuse  m'est  toujours  restée  dans  la  mémoire  comme  caractéris- 
tique du  tempérament  et  des  allures  de  notre  cher  président.  Point  de  verbiage; 


—    XXXIV  — 


mais  l'acte  décisif  qui  éclaire,  tranche  ou  résout.  Sa  devise  aurait  pu  être  :  Droit 
au  but. 

Je  n'entreprendrai  point  de  suivre  année  par  année  Henri  Bouilliet  dans  le  rôle 
si  actif  de  sa  collaboration  précieuse  à  l'Union  centrale.  Toules  les  fois  qu'il 
entrevoyait  quelque  entreprise  utile  à  tenter,  on  le  retrouvait  avec  ces  qualités 
pratiques  de  direction  et  son  besoin  d'entrer  dans  le  vif  des  choses.  Hien  ne  lui 
pesa  comme  la  longue  période  d'attente  et  d'indécision  pendant  laquelle  la 
Société,  en  quête  d'un  local  pour  le  musée  projeté,  s'épuisa  en  projets  avortés. 
Pour  tromper  son  impatience,  il  s'occupa  de  réaliser  tout  ce  qui  fut  possible  de 
l'ancien  programme  de  l'Union  centrale  tendant  à  stiniulei*  l'effort  des  artistes  de 
l'industrie  et  à  trouver  des  formes  décoratives  nouvelles.  Un  atelier  de  moulages 
fut  constitué,  qui  bientôt  mit  à  la  disposition  du  public  une  quantité  de  modèles 
choisis  avec  un  goût  parfait  parmi  les  chefs-d'œuvre  de  nos  collections  nation9les. 
En  outre,  de  nombreux  concours  furent  organisés  sous  son  impulsion  entre  les 
ornemanistes  modeleurs  ou  dessinateurs,  et  aussi  entre  les  meilleurs  fabricants 
de  Paris.  Ils  s'adressaient  aussi  bien  à  l'artiste  qui  imagine  et  crée  une  maquette 
qu'à  ceux  qui,  dépassant  le  domaine  du  rêve,  réalisent  leur  idéal  dans  une  œuvre 
entièrement  exécutée.  Quelques-uns  de  ces  concours  eurent  un  grand  rctentisse- 
nient  et  provoquèrent  dans  les  ateliers  d'orfèvres,  de  bronziers,  d'ébénistes,  de 
céramistes,  des  dessinateurs  de  tissus,  etc.,  l'émulation  la  plus  salutaire.  Us  firent 
sortir  de  l'ombre  un  certain  nombre  de  jeunes  décorateurs  qui  leur  durent  le 
commencement  de  leur  réputation.  Gomme  les  programmes  étaient  étudiés  de 
telle  sorte  que  les  concurrents  devaient,  sous  peine  d'exclusien,  ne  présenter  que 
des  œuvres  franchement  dépouillées  de  tout  caractère  de  pastiche,  et  se  recom- 
mander par  des  qualités  originales  d'invention,  on  favorisait  ainsi  le  mouvement 
d'alïranchissement  de  nos  arts  du  décor,  ce  qui  était  le  but  précis  qu'on  se  propo- 
sait d'atieindre.  Propagande  anodine  que  tout  cela  !  dira-t-on  peut-être.  Quoi  faire 
d3  mieux?  Quelques  vives  critiques  s'élevèrent  à  un  certain  moment  pour  réclamer 
do  la  part  de  l'Union  centrale  une  action  plus  énergique.  C'était  en  1894.  Brave- 
uKMit,  la  Société  organisa  cette  même  année,  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  un  grand 
congrès  au(|U(îl  furent  convoqués  tous  ceux  (|u'on  supposa  être  en  situation 
d'étnetire  une  idée,  im  projet  utile,  une;  indication  sur  l'orientation  à  prendre. 
lîicH  n'en  sorlil. 

Quand  rUnion  ccntrahi  des  Arts  (h'coratifs  fut  mise  eiilin  v\\  possession  du 
Pavillon  (h;  Marsan  pour  y  pi-océdei-  à  son  aménagcnuMit  délinitif,  et  prendi'c  là  un 
nouvel  (îssor,  c(i  fut,  on  p(!ut  le  croire,  un  jour  d'immcnsi»  joie  pour  tous  les 
uicnibrfîs  du  (lomité  dircM-tcui'  i\v  la  Socit'lé,  et  surtout  pour  les  r'ares  survivants 
di's  bons  ouvriers  dr  la  pr<'nii('r(^  heure  qui  avai(^nt  assiste''  à  tant  de  péripéties 
avani  «l'ai  Icindrc  a  celle  r(''alisalion  de  leur  rêve  si  souvent  (h'-eu  !  Mais  le  |)lus 
lienienx,  a  conp  sûr,  lut  Henri  Itouilliel.  Avec  (|uelle  ardeiu' juv('Miile  il  s(>  mit  à 


—  X.WY  — 


travaillei' à  celte  installalioii  coinijliqiiée  !  Cliaqiie  jour,  on  le  voyait  arriver,  d'im 
pas  agile,  grimpant  aux  étages,  circulant  allègrement  dans  les  innombralDles 
salles  encombrées  de  matériaux,  franchissant  les  amas  de  plâtras...  Il  prenait 
des  mesures  avec  les  architectes,  les  conservateurs  des  musées  et  de  la  l)iblio- 
thèque,  prévoyait  la  place  de  chaque  chose,  donnait  des  ordres  nets  et  brefs. 
Ceux  de  ses  collègues  qui  avaient  aussi  leur  part  dans  la  besogne,  s'émerveillaient 
de  voir  ce  robuste  vieillard  de  près  de  quatre-vingts  ans  fournir  ainsi  l'exemple 
d'une  endurance  vi'aiment  extraordinaire  et  d'un  pareil  dévouement. 

C'est  que,  pour  Henri  Bouilhet,  l'œuvre  de  l'Union  centrale,  à  laquelle  il  s'était 
donné  de  toute  son  àme,  représentait  quelque  chose  de  mieux  qu'une  de  ces 
entreprises  vaguement  philanthropiques  ou  sociales  qu'on  encourage  par  sno- 
bisme, qu'on  sert  par  ambition  ou  simplement  parce  que  cela  est  de  bon  ton. 
Lui,  il  y  consacra  bien  plus  que  ses  loisirs,  des  heures  et  des  heures  du  plus 
opiniâtre  labeur,  connue  un  mercenaire  à  la  tâche,  et  cela  pendant  trente-cinq 
ans,  avec  un  oubli  si  total  de  ses  intérêts,  une  si  complète  abnégation  qu'il  ne 
semble  pas  qu'un  pareil  désintéressement  puisse  être  surpassé.  Il  croyait  à 
l'utilité  de  cette  rouvre.  Il  avait  foi  en  sa  grandeur.  A  travers  celle-ci  il  voyait  la 
patrie  elle-mèuie  dont  l'Art  est  le  patrimoine  sacré  et  qu'<à  tout  prix  il  fallait 
défendre. 

Dans  un  discours  prononcé  par  lui  en  1880,  il  disait  : 

«  ...  Il  ne  faut  pas  l'ouljHer,  c'est  en  propageant  chez  eux  nos  méthodes  d'enseignement, 
»  c'est  en  s'inspirant  des  vérités  que  l'Union  centrale  a  proclamées  que  les  étrangers  se  sont 
»  armés  contre  l'industrie  française. 

»  C'est  une  ligue  qu'il  faut  créer  contre  l'envahisseur.  Pour  ne  pas  porter  les  armes  sur 
»  notre  territoire,  l'étranger  n'en  est  pas  moins  redoutable  lorsqu'il  arrive  avec  les  mains 
))  pleines  de  produits  séduisants.  Ce  n'est  pas  trop  de  tous  nos  eiï'orts,  ce  n'est  pas  trop  du 
n  puissant  appui  de  l'I^tat  pour  repousser  l'invasion.  » 

Nobles  paroles  qui  trahissaient  les  pi'éoccupations  du  pati'iote  et  ses  inquié- 
tudes ! 

Henri  Bouilhet,  avec  la  pudeur  farouche  de  ceux  qui  ne  veulent  tirer  aucun 
avantage  personnel  de  la  cause  à  laquelle  ils  se  sont  voués  avec  amour  et  du  fond 
du  cœur,  avait,  on  l'a  vu,  par  deux  fois  refusé  la  présidence  du  Comité  de  l'Union 
centrale.  Elle  lui  fut  offerte  une  troisième  fois  à  la  mort  de  Georges  Berger, 
en  1910.  Pour  le  coup,  il  accepta.  C'est  qu'il  se  sentait  arrivé  au  terme  de  sa 
laborieuse  carrière,  et  qu'il  pensait  bien  que  le  titre  enfin  accepté  par  lui  ne 
pouvait  plus  être  désormais  considéré  que  comme  un  hommage  suprême  rendu 
à  ses  services  passés. 

Il  mourut,  en  effet,  peu  de  mois  après.  Pour  tous  ceux  qui  l'ont  connu,  pour 
tous  ceux  qui  savent  quelle  fut  en  réalité  sa  tâche  à  l'Union  centrale  des  Arts 
décoratifs,  de  1873  à  1910,  il  reste  comme  l'incarnation  même  de  cette  Société 


—  XXXVI  — 


dont  il  fut  l'âme  vivante  et  l'un  des  chefs  qui  ont  le  plus  de  droits  à  la  recon- 
naissance publique. 

Lorsqu'on  écrira  dans  cent  ans  l'histoire  du  style  français  à  la  tin  du  dix-neu- 
vième siècle,  Henri  Bouilhet  méritera  d'y  tenir  une  belle  place  à  la  fois  comme 
orfèvre  et  comme  l'un  des  plus  perspicaces  promoteurs  de  l'art  décoratif  dont  nous 
voyons  aujourd'hui  l'aurore. 

Victor  ClIAMPIKR. 


Juin  1913. 


LIVRE  PREMIER 

L'ORFÈVRERIE  FRANÇAISE 

au  XVII F  siècle 

(1700-1789) 


3 


TABLE  DES  MATIÈRES 

DU  LIVRE  PREMIER 

Avant-propos  ;  .  .  .  .  vu 

Liste  des  amateurs  et  des  orfèvres  exposants   xt 

INTRODUCTION 

Chapitre  1".  Origine  des  expositions  rétrospectives.  Le  Musée  centennal  de  1900.  .  l 
Chapitre  H.  Coup  d'œil  sur  l'Orfèvrerie  française  depuis  les  Mérovingiens  jusqu'à 

kl  mort  de  Louis  XIV'   25 


LE  DIX-HUITIÈME  SIÈCLE 

CHAPITRE  PREMIER.  —  L'Orfèvrerie  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV.  —  Les 
ateliers  des  Gobelins.  —  La  destruction  par  les  édits.  —  Ce  qu'elle  était  à  la 
Cour  et  dans  la  bourgeoisie   43 

CHAPITRE  DEUXIÈME.  —  Le  réveil  de  la  Régence,  1715-1723.  —  Ce  qu'était  le 
service  d'argenterie  dans  les  maisons  princières.  —  Caractère  des  œuvres  de 
cette  époque   65 

CHAPITRE  TROISIEME.  —  Epanouissement  du  style  rocaille.  Ses  excès  et  ses 
chefs-d'œuvre,  1725  à  1750.  —  Les  orfèvres  Meissonnier,  Delaunay  et  Rallin 
le  neveu.  —  Grande  renommée  de  Thomas  Germain.  —  Influence  de  la  Cour 
sur  le  goût  ,   79 

CHAPITRE  QUATRIÈME.  —  La  corporation  des  orfèvres  et  ses  règlements.  — 
Maîtres  et  apprentis.  —  Conditions  du  travail.  —  Poinçons  de  garantie.  — 
Orfèvres  connus  de  1720  à  l75o.  —  Les  «  Eléments  d'orfèvrerie  »,  composés 
par  Pierre  Germain  (dit  le  Romain).  —  Spécialité  des  boîtes  et  tabatières  à 
portraits,   loi 


GIIAPITllE  CINQUII']ME.  —  Apo-ée  de  l'orrèvrerie  du  slyle  Louis  W.  —  Clicls- 
d'œuvre  exposés  au  Musée  centeunal.  —  Les  orfèvres  l''rançois-'l"lionias  Oer- 
main  et  Jacques  Roëttiers  

CHAPITRE  SIXIEME.  —  La  marquise  de  Pompadour  el.  son  iniluence.  — 'J'out  à 
la  Grecque.  —  Avènement  du  style  Louis  XVI.  —  M""^  du  Barry  et  ses  pro- 
digalités. —  Ses  commandes  à  roj'l'èvre  Roëttiers.  —  Les  boîtes  et  les  menus 
objets  de  style  Louis  XVI.  —  La  catastrophe  de  lyofj.  —  Concurrence  faite 
à  Farg^enterie  par  la  porcelaine.  —  Les  industries  du  similor  et  du  doublé. 
—  La  poterie  d'étain  

CHAPITRE  SEPTIÈME.  —  L'orfèvrerie  pendant  le  règne  de  Louis  X\T.  —  Les 
phases  de  la  transformation  :  nouveaux  décors  ;  nouvelles  méthodes.  —  Les 
ornemanistes  et  les  décorateurs.  —  I^es  ciseleurs  et  les  orfèvres.  —  Robert- 
Joseph  Auguste,  orfèvre  du  roi.  —  Conséquences  de  la  Révolution.  —  La 
(in  d'un  art  •  


LIVRE  DEUXIÈME 


L'ORFEVRERIE  FRANÇAISE 

au  XIX'  siècle 

(1800-1860) 


1 


TABLE  DES  MATIÈRES 

DU  LIVRE  DEUXIÈME 


LE   DIX-NEUVIÈME  SIÈCLE 


PREMIÈRE  PÉRIODE 

(1800- 1860) 

CHAPITRE  PRKMIKH.  —  La  Révolution  et  l'Empire  (1800  à  1815).  —  L"a- 
néantissenient  de  l'Orfèvrerie  sous  la  Terreur.  —  Pillages  et  ventes.  —  Le 
pseudo-luxe  du  Directoire.  —  Exposition  de  l'an  X  et  de  i8(i6.  —  I/arf^en- 
terie  de  l'Empereur.  —  Le  service  de  vermeil  de  Napoléon  1"'.  —  Le  nou- 
veau style.  —  Les  architectes  Percier  et  Fontaine.  —  La  toilette  de  ITnipcra- 
trice.  —  Le  berceau  du  roi  de  Home,  par  Prudhon.  —  Les  orfèvres  Auguste, 
Odiot,  Biennais  


CHAPITRE  DEUXIÈME.  —  La  Restauration  (de  1815  à  1830).  —  A  la  Cour  de 
Louis  X\T1I  :  ni  fêtes,  ni  art. —  La  duchesse  de  Berr}-.  —  L'Orfèvrerie  aux 
Expositions  de  l'industrie,  1819  et  1828.  —  Odiot  père.  —  Cahier  et  Faucon- 
nier. —  Sacre  de  Charles  X.  —  Faux  gothique  et  fausse  renaissance.  —  Le 
succès  du  «  plaqué  »,  Exposition  de  1827.  —  Odiot  fds  et  le  goût  anglais.  .  . 

CHAPITRE  TROISIÈME.  —  Le  règne  de  Louis-PMlippe  (1830-1848).  —  L'in- 
fluence bourgeoise  de  la  Cour  et  des  salons.  —  Le  romantisme.  —  Collabo- 
ration des  sculpteurs  :  Jean  Feuchères,  Klagmann,  Geoffroy  de  Chaume, 
Charles  Odiot,  le  décorateur  Chenavard,  le  ciseleur  Antoine  Vechtc.  — 
Expositions  de  l'induslrie  de  i834,  18^9  et  184^4.  —  Vogue  des  formes  an- 
glaises.—  Les  élèves  d'Odiol  :  Lebrun  et  Durand,  Wagner  et  ses  nielles.  — 
Les  succès  de  Froment-Meurice.  —  Débuts  de  Christofle  et  décadence  du 
«  plaqué  ». —  L'ne  statistique  des  orfèvres  en  18^7  •  .  .  . 

CHAPITRE  QUATRIÈME.  —  La  deuxième  République  et  le  second  Empire 
(r«  période,  1848-1860).  — ■  Le  contre-coup  d'une  révolution  :  les  artistes 
français  en  Angleterre.  —  Influence  du  duc  de  Luynes  sur  l'orfèvrerie  fran- 
çaise. —  L'Exposition  de  18(^9.  —  Les  orfèvres  Froment-Meurice  père,  Du- 
ponchel.  Ch.  Christofle.  --  La  première  Exposition  universelle  à  Londres, 


en  i85i,  ses  conséquences.  —  I/orl'èvrerie  sous  le  second  l"]mpire.  —  Les 
goûts  de  Napoléon  III  et  de  l'Impératrice.  —  Pastiches  du  style  Louis  XVI. 

—  L'Exposition  de  i855.  —  Le  service  des  cent  couverts  de  Napoléon  III. 

—  Le  néo-grec.  —  Influence  du  prince  Napoléon.  —  Développement  de  l'or- 
fèvrerie argentée  et  de  la  production  des  couverts.  —  Les  procédés  méca- 
niques  


2 


CHAPITRE  CINQUIÈME 

LE  SECOND  EMPIRE 

(de  1860  à  1870) 

Essor  (le  rorfovi'crie  d'égliso.  —  L'architecte  Viollet-le-Diic.  —  Pous- 
sielgue-Rusand  et  Armand  Calliat.  —  Les  arands  travaux  d'orfè- 
vrerie civile.  —  Le  berceau  du  prince  impérial,  par  Froment-Meu- 
rice.  —  Les  orfèvreries  des  Famiière.  —  Le  grand  surtout  de  la  Ville 
de  Paris,  par  (Ju'istolïe.  —  Les  Expositions  de  1863  et  1867.  —  In- 
lUience  de  l'Union  centrale  des  beaux-arts  applicfucs  à  l'industrie.  — 
Le  beau  dans  l'utile.  —  L'Exposition  de  1869  au  Palais  de  l'Industrie. 

Kiis  cette  époque,  l'orfèvrerie  .d'église  mettant  à  profit 
les  découvertes  d'Elkington,  et  substituant  l'emploi 
du  cuivre  doré  au  vermeil,  se  reprenait  aux  grands 
travaux  qui  depuis  plus  d'un  siècle  étaient  devenus  de 
moins  en  moins  fréquents,  et  commençait  à  prendre 
un  élan  inespéré. 

Un  homme,  surtout,  contribua  à  ce  mouvement, 
ce  fut  Poussiclgue-Rusand.  Jeune  encore,  il  n'avait 
que  vingt-quatre  ans,  quand  il  ouvrit,  en  1848,  un 
petit  atelier  sur  le  quai  des  Orfèvres.  Fils  du  libraire 
f[ui  éditait  les  Mélanges  d" arcltéologie,  du  R.  P.  Martin, 
c'est  de  ce  puissant  recueil  que  l'orfèvre  est  sorti  tout  entier.  En  1849,  Léon 


—  12  — 


Cahier,  qui  avait  succédé  à  Biennais,  voyant  ses  affaires  péricliter,  céda  sa  n)ai- 
son  à  Poussielgue,  lui  apportant,  en  môme  temps  que  ses  modèles,  son  expé- 
rience et  la  passion  de  son  art.  Cahier  avait  fait  beaucoup  d'orfèvrerie  d'église, 
et,  sur  les  dessins  de  Lafitte,  avait  exécuté  les  vases  destinés  aux  cérémonies  du 
sacre  de  Charles  X.  Ses  œuvres  se  ressentaient  toujours  du  style  de  Percier, 
et  montraient,  dans  leur  prétendue  imitation  de  l'antique,  une  raideur  de  formes 
et  une  sécheresse  de  profils  qui  ne  se  conciliaient  guère  plus  avec  les  exigences  du 
culte  que  les  orfèvreries  à  grand  fracas,  que  Claude  Ballin,  Germain,  Meissonnier 
avaient  exécutées  au  dix-huitième  siècle,  et  comme  elles,  détonnaient  dans  les  nefs 
des  églises  du  Moyen  Age  dont  elles  troublaient  la  sérénité. 

Sur  les  conseils  de  son  frère  le  R.  P.  Cahier,  qui,  avec  le  R.  P.  Martin  et 
Didron  l'aîné,  avait  remis  en  honneur  les  études  archéologiques,  il  avait  com- 
plètement modifié  sa  manière  et  renoncé  aux  froides  imitations  de  l'antique.  Il 
apportait  donc  à  Poussielgue  des  idées  nouvelles  qui  allaient,  dans  son  atelier, 
avec  l'appui  et  les  conseils  des  architectes  épris  d'archéologie,  comme  Viollet- 
le-Duc,  Lassus,  et  tant  d'autres,  lui  permettre  de  renouveler  le  mobilier  des 
églises  et  de  le  mettre  en  rapport  avec  l'architecture  des  édifices  qu'ils  étaient 
chargés  d'entretenir  et  de  réparer. 

A  cette  époque,  cet  art  d'église  n'existait  pour  ainsi  dire  plus  :  «  Nous  étions 
tombés  peu  à  peu,  a  dit  Armand  Calliat,  dans  la  pratique  d'un  art  innomé  où  tout 
était  perverti,  ornements,  profils  et  proportions  (i).  » 

Sans  doute,  sous  la  Restauration,  Cahier  avait  su  exécuter  quelques  œuvres 
de  mérite,  comme,  par  exemple,  la  châsse  de  la  Sainte-ïunique  qui  est  à  Argen- 
tcuil;  il  avait  fait  les  premières  pièces  émaillées  et  filigranées  rappelant  les  pro- 
cédés de  la  Renaissance.  Après  lui,  Duponchel,  Rudolphi,  Froment-Meurice 
avaient  fait  admirer  des  croix,  des  ciboires,  des  ostensoirs,  dans  le  goijt  un  peu 
trop  librement  interprété  de  la  Renaissance.  Mais  c'étaient  des  morceaux  d'excep- 
tion et  qui  restaient  isolés.  Poussielgue-Rusand,  entraîné  par  des  ai'chéologues 
très  savants,  le  père  Martin,  VioUet-le-Duc,  Lassus,  l'abbé  ïexier,  le  baron  de 
Cuilhermy,  évocateurs  du  Moyen  Age,  se  mit  à  étudier  sous  leur  direction  les 
[)rocéd('!S  des  orfèvres  qui  avaient  rempli  nos  cathédrales  gothiques  de  leurs 
clicfs-d'd'iivre.  Les  occasions  n'étaient  pas  fré((uentes,  vers  1850,  (rentre|)rendre 
(les  travaux  de  c(î  genr'c;  la  clientèle  ('cclésiastique  se  contentait  alors  d'objets 
siiiis  goùl,  sans  styh;  et  de.  la  plus  aboniiiiahb^  facture  (|ui  se  Irouvaient  dans  le 
foinnicrcc.  line  circonslance  licureuse  s'oll'ril,  à  Poussielgue-Rusand  pour  sa  [ire- 
miè,r(!  tiMitative.  Un  (îlient  de  son  pèr(î  le  libi-aii'c,  h;  marcjuis  de  Dreux-Rrézé,  vint 
à  être  nommé  évoque;  c'était  un  prêtre  grand  seigneur,  gardant  dans  l'exercice 


Ij  Ai'iii.'iiiil  (l.iMiiit,  /' ()r/?i'rrr/i'.  DirtCdiii'H  ilc  l'rci'pl ion  à  l'Acailrinii'  di^s  sriciuîi'S,  licllrs-lcltrcs  cl,  , ■iris, 
ili'  l,>..ii  WJ.  lu  IN,  ISHl-lUSS,  \t:\nr  \"<j. 


p.  l'OLlSSIKIAU  E-lUiSAND 
(i8-24-iS8y). 


Chapelle  de  Monseiyucur  de  Drcux-Brczé. 
[Orfèvrerie  de  P.  Poussieljjue-Rusand.) 


—  17  — 


de  son  ministère  l'amour  du  luxe  et  de  l'élégance;  il  voulut  que  sa  boite  de  cha- 
jDelle,  c'est-à-dire  l'ensemble  des  objets  du  culte  nécessaires  auxévêques,  crosse, 
aiguière,  calice,  burette,  patène,  anneau,  etc.,  fût  exécutée  avec  un  soin  spécial  en 
dehors  des  modèles  courants,  et  le  jeune  orfèvre,  charge  de  cette  commande 
inusitée,  s'en  tira  si  fort  à  son  honneur  que  la  boîte  de  chapelle,  exposçe  à  Lon- 
dres en  1851,  lui  valut  les  encouragements  les  plus  vifs  et  lui  attira  aussitôt  toute 
une  clientèle.  Poussielgue-Rusand  avait  eu  l'heureuse  chance,  et  il  n'eut  point  à 
s'en  repentir,  de  lier  à  sa  fortune  un  orfèvre  de 
premier  ordre,  Léon  Cahier,  frère  du  père  Ca- 
hier, l'archéologue,  qui  lui  fournissait  des  com- 
positions que  le  P.  Martin  corrigeait,  épurait  et 
ramenait  au  caractère  des  œuvres  du  Moyen  Age 
qu'il  connaissait  si  bien.  Un  des  ouvrages  ty- 
piques produit  avec  cette  collaboration  fut  le 
calice  aux  Oiseaux,  exécuté  à  cette  date,  et  qui 
a  servi  de  modèle  pour  des  milhers  d'exemplaires 
analogues.  «  Alors,  comme  l'a  dit  M.  Victor 
Champier  (1),  ce  fut  dans  les  églises,  dans  les 
sacristies,  dans  les  chapelles  de  châteaux  en- 
vahies par  l'orfèvrerie  aimable,  coquette,  mi- 
gnarde,  théâtrale,  d'un  caractère  mondain  et 
fade  qui  avait  été  à  la  mode  au  dix-huitième 
siècle,  un  changement  à  vue.  Plus  de  ces  osten- 
soirs aux  formes  compliquées  et  bizarres,  plus 
de  ces  ornements  tourmentés,  plus  de  ces  anges 
dont  l'extase  évoquait  moins  des  pensées  reli- 
gieuses que  de  profanes  langueurs  d'amour.  Le 
matériel  des  églises  fut  entièrement  renouvelé, 
conformément  aux  idées  du  jour,  et  M.  Pous- 
sielgue-Rusand profita  de  cette  révolution  qu'il  avait  contribué  à  faire  naître. 
Habile  commerçant,  il  sut,  par  des  sacrifices  faits  à  propos,  exciter  le  besoin 
d'une  perfection  dont  on  avait  perdu  la  tradition  dans  la  fabrication  des  objets 
du  culte.  C'est  ainsi  que  le  curé  de  l'église  de  Saint-Martin  d'Ainay  —  la  première 
église  où  le  culte  de  l'Immaculée  Conception  ait  été  établi  —  lui  ayant  demandé 
un  maître  autel  de  la  somme  de  20000  francs,  jugée  alors  très  élevée,  Pous- 
sielgue-Rusand n'hésita  pas  à  dépenser  de  son  chef  près  de  60000  francs  pour 
son  exécution,  sans  savoir  si  son  audace  serait  approuvée.  De  même  pour  la 


(>alicc  aux  oiseaux. 
(Orfèvrerie  de  Poiissielgue-Biisinul.) 


(1)  Etiulft  sur  Pous?ielgue-Rusnnil  et  l'orfèvrerie  religieuse,  dans  la  Revue  des  Arls  décoratifs,  tome  X, 
page  2f)(l. 


—  18  — 


restauration  de  la  fameuse  statue  en  or  de  sainte  Foix,  de  l'rglise  de  Conques, 
ce  chef-d'œuvre  de  Torfèvrerie  du  Moyen  Age,  que  lui  avait  confiée  l'évéquc  de 
Rodez;  il  n'eut  point  de  repos  qu'il  n'eût  livré  une  reproduction  minutieuse, 


Miiil  rv  .luli-l  ,1c  Siiiiil  M.irl  m  ,1  Aniii^  ,        1,n  ,mi 
ifjiicnirl ,  iirrhili'vir.       Or/rrrcric  ilc  /'.  l'i)iissicl(iiiC'l!tis:iiiil.] 

dressant  ses  ouvriers  à  mi  maniement  nouveau  des  oulils,  reprenant  le  procédé 
du  re|)ouss(',  au  uiarteaii,  ahandonnaid,  les  malriees  en  fonic  qui  ne  donnaient  que 
des  modeh'S  ell'iie('s  el,  veules,  jtour  ailopicr  les  malriees  en  aei(M'  au  moyen  des- 
ipiellcs  on  olilieiil  im  tr;iv;iil  plus  d('lic;d  el  plus  lin.  »  Le  succès  ohlenu  à 
ri'A|iosil ion  de  p;ir  l*onssiel^iie  liusjind,  avec  mi  aulel  de  grande  dimension, 


19 


VIOLLi:T-LE-l)rC 


—  23  — 


Pi'cmicr  projet. 


fut  le  signal  qui  provoqua  la  réfection  générale  du  mobilier  sacré  d'an  nombre 
incroyable  d'églises.  Il  eut  à  faire  les  mobiliers  do  la  plupart  des  églises  de  Paris, 
ceux  de  la  Trinité,  de  Saint-François- 
Xavier,  de  Saint-Paul-Saint-Louis,  de 
Sainte-Clotilde,  du  Val-de-Gràce,  de 
Notre-Dame  des  Victoires,  les  grands 
bronzes  de  Saint-Sulpice  et  de  Saint- 
Eu  s  tache,  ceux  de  la  chapelle  de  Ver- 
sailles, sans  compter  les  ornements 
de  chapelle  de  nombre  de  couvents 
et  de  châteaux. 

Un  architecte  de  haute  valeur, 
VioUet-le-Duc,  donnait  à  cette  époque 
des  conseils  à  M.  Poussielgue,  et  lui 
faisait  exécuter  sur  ses  dessins  des 
travaux  importants.  Il  le  chargeait  de 
restaurer  entièrement  les  trésors  des 
cathédrales  de  Paris  et  d'Amiens,  et  lui 
fournissait  les  dessins  de  nombreuses 
pièces  d'orfèvrerie  d'église  dont  sa  re- 
nommée grandissante  lui  attirait  la  com- 
mande. Sous  la  direction  d'un  tel  maitre, 
qui  surveillait  avec  un  soin  extrême  les 
moindres  détails  d'exécution,  il  était  im- 
possible de  ne  pas  se  perfectionner. 

Les  iiniombrables  dessins  d'orfèvrerie 
signés  par  VioUet-le-Duc  appartiennent  à 
la  maison  Poussielgue,  et  constituent  une 
partie  importante  de  son  ccuvre  dans  la- 
quelle il  est  resté  jusqu'à  ce  jour  un 
maitre  inimitable. 

Ces  dessins  ont  été  mis  sous  les  yeux 
du  public  après  sa  mort,  en  1879,  au  Musée 
de  Cluny,  et  l'année  suivante  à  l'Exposi- 
tion des  Arts  du  métal  que  l'Union  centrale 
avait  organisée  au  Palais  de  l'Industrie, 
et  ont  laissé  un  souvenir  inoubliable  dans 
l'esprit  de  ceux  qui  les  ont  visités. 

D'une  précision  remarquable,  ces  dessins  sont  exécutés  par  le  même  procédé 
qu'il  employait  dans  ses  dessins  de  construction  et  avec  la  même  méthode  qui  lui 


Projet  ext-cuté. 
Ufliqiiairc  de  la  Vraie  Croix  eL  du  Saint  Clou. 

[Dessin  oriçjinal  de  XioUel-le-Duc.) 


—  24  — 


Feuille  elc  oai'otlc  saiivii.yo. 
(Dessin  <le  VinlIel-lc-Diic.) 


servait,  h  tracer  les  ôpiires  fiiril  fonniissail,  aux  apparcilloiirs.  Délaissant,  lo  rlossin 

g('omfHral,  si  clier  aux  arcliiLoctes, 
il  aimait,  par  des  vues  perspectives, 
donner  une  physionomie  plus  pré- 
cise à  sa  pensée,  et  mettre  ses  con- 
ceptions à  la  portée  de  tous,  sous 
une  forme  dont  la  compréhension 
n'exige  aucun  effort  comme  con- 
naissance spéciale,  et  permet  au 
sculpteur  qui  l'emploie,  h  l'orfèvre 
qu'il  dirige,  au  public  qu'il  séduit, 
de  se  rendre  compte  des  dilTérenls 
aspects  de  l'oeuvre  conçue  par  le 
maître,  et  ne  laisser  aucun  doute 
sur  l'effet  qu'elle  produira  après 
avoir  été  exécutée. 

Cette  exposition  avait  mis  en 
lumière  l'attrait  qu'avait  exercé  sur 
son  esprit  la  flore  de  notre  pays, 
dont  il  avait  noté  les  formes  dans  une  série  de  dessins  et  de  croquis  reproduisant 
les  espèces  multiples  des  plantes  les  plus  vul- 
gaires, depuis  le  moment  où  elles  se  déve- 
loppent, où  les  feuilles  sortent  à  peine  de  leurs 
bourgeons,  où  les  fleurs  apparaissent  et  se 
fanent  en  laissant  une  graine  dont  la  forme  le 
séduisait. 

Ce  goût  délicat,  cette  passion  charmante 
n'avaient  fait  que  s'accroître  à  mesure  qu'il 
constatait  l'ai^plication  habile  et  ingénieuse 
que  les  artistes  du  Moyen  Age,  sciilpteiii's, 
[)eintres  ou  oi-fèvrcs,  avaient  su  faire  delà  flore 
dans  la  décoration. 

Son  ('h'-ve  et  ami,  CJaude  Sauvageot-,  dans 
une  ('(udc  rpi'il  lit  parnifi'c  sur  Viollel-lc-Duc 
an  moment  (I(î  sa  mort,,  disait  :  «  Nous 
»  n'onhIicroMs  jamais  l'enlhousiasme  avec  \v- 
«  (|ii('l  Vi<)ll(!t-I('-I)iic  parlait  la  lloi-e  vulgaire 
»  cl  dédaignée  (le  notre  sol ,  fpi'il  aimail  d('me- 
)'  sm'é'iiieni  e(  iloni  il  coiiiKiissail,  tontes  les  lieaul(''S,  lout  ce  (pi'il  croyait  (l(''Cou- 
»  vrir  dans  les  plus  informes  prodiiel ions  v(''g(''lales,  l'ardeur  avec  hnpK^ile  il  (Ml 


Itoui'j^'coiis  (le  rdii^'i'i'cs. 
IDrusiiis  ilr  \  idilcl  lc-l)iif.) 


»  recommandait  l'étude,  et  les  projets  qu'il  méditait  à  ce  sujet.  Il  avait  fait  école 
»  sur  ce  point  comme  sur  tant  d'autres;  il  eut  des  émules  et  non  des  moindres 

»  assurément.  M.  Ruprich-Robert,  qui  lui  avait  succédé 
»  comme  professeur  à  l'école  des  Arts  décoratifs,  a  dû 
»  puiser  dans  les  conversations  de  son  prédécesseur,  dans 
»  l'examen  de  ses  modèles,  ce  goût  pour  l'étude  des 
»  plantes  et  des  fleurs  qu'il  a  eu  l'occasion,  lui  aussi,  de 
»  résumer  sous  un  jour  nouveau  et  dans  un  esprit  mo- 
»  derne  (1).  » 

En  cela,  il  a  été  un  précurseur,  et  sa  passion  pour 
l'étude  de  la  fleur  n'a  été  que  le  point  de  départ  des 
efforts  qu'à  la  fin  du  dix-neuvième  siècle  la  génération 
nouvelle  allait  faire  pour  la  création  d'un  nouveau  style, 
par  un  retour  à  l'étude  de  la  nature,  et  par  la  recherche 
des  éléments  d'un  art,  dans  les  productions  infimes  sur 
lesquelles  la  nature  semble  avoir  jeté  ses  plus  doux 
regards. 

Ce  n'est  pas  à  dire  que  les  orfèvres  soient  obligés  à 
nifaire  ce  qu'on  avait  fait  dans  les  siècles  précédents.  Mais, 
quand  on  a  eu  la  bonne  chance  de  trouver  des  maîtres 
connue  Viollet-le-T)uc,  on  a  prétexte  à  refaire  les  chefs- 
d'œuvre  passés  ;  et  on  peut  encore,  comme  Poussielgue,  y 
mettre  son  individualité.  Il  ne  fut  pas  seul  à  profiter  des 
leçons  du  passé,  et  Chertier,  un  maître  aussi  parmi  les  orfèvres  qui  consacraient 
leur  talent  à  la  décoration  des  objets  destinés  au  culle,  eut  une  semblable  fortune 
quand  il  eut  à  refaire  les  portes  de  la  cathédrale  de 
Strasbourg.  C'est  bien  une  œuvre  d'orfèvre,  ces 
immenses  panneaux  de  bois  revêtus  d'un  réseau  de 
bandes  de  cuivre  qui  se  croisent  en  losanges  et  se 
relient  an  moyen  de  rosaces  ;  dans  les  ajours  s'ins- 
crivent des  plaques  de  même  métal  repoussées  au 
ciselet  et  décorées  de  plantes  et  de  figures  alternées. 
Le  travail  en  est  gras,  l'exécution,  sans  sécheresse, 
rappelle  les  œuvres  du  treizième  siècle  et  fait 
autant  d'honneur  à  l'orfèvre  qui  l'a  exécuté  qu'à 
l'architecte  Klotz,  au  sculpteur  Geoffroy-de-Chaume 

et  au  ciseleur  Richard-Désandré,  qui  lui  ont  prêté  l'éclat  de  leur  talent. 


Fleuron  du  porclic  de  I.t  e.il  lié- 
(Iriile  fie  (^lermoni-Fcri'iUKl. 
{Dessin  de  Mollet-  le- Duc.) 


Chapileau  de  l'Église  collégiale  d'Eu. 
(Dessin  de  Viollel-le  Duc.) 


(1)  ViuUet-lp-Duc.  Son  œuvre  dessinée  par  Clainlo  Saiivapreot.  Eiin/clnpe'die  d'Arcliiteclurr,  août  et  sep- 
tembre ISSij. 


Chertier  ne  se  doutait  {•iièrc  que  celt((  œuvre  si  remarquable,  ex(''(;utée  à  la 
veille  de  la  guerre  de  1870,  allait  laisser  dans  notre  vieille  Alsace  urj  souvenir  de 
la  patrie  perdue,  et  un  admirable  spécimen  de  l'habileté  de  nos  orfèvres  pari- 
siens. 

D'autres  fabricants  de  l'époque,  les  Trioullier,  les  Bachel(;t,  continuant  à  Paris 
les  traditions  archéologiques  rénovées  par  Poussielgue  avec  le  concours  de  l'ar- 
chitecte Viollet-le-Duc,  et  à  Lyon  l'orfèvre  Armand  Calliat,  dans  une  autre  voie, 
guidé  par  l'architecte  Bossan,  eurent  leur  part  dans  les  travaux  considérables 
qu'on  entreprit  alors  dans  le  monde  ecclésiastique. 

Armand  Calliat,  comme  son  confrère  Poussielgue-Rusand,  tient  une  grande 
place  dans  l'orfèvrerie  religieuse  de  la  fin  du  dix-neuvième  siècle.  La  maison  était 
ancienne;  fondée  en  1820  par  François  Calliat,  élève  d'Odiot,  elle  ne  tardait  pas  à 
prendre  une  place  enviable  dans  l'orfèvrerie  lyonnaise,  mi-partie  civile,  mi-partie 
religieuse.  Ce  qu'il  fit,  on  s'en  doute,  c'était  la  période  obscure  entre  le  slyle 
Empire  et  la  Renaissance  librement  interprétée,  qui  devait  marquer  les  dernières 
années  du  règne  de  Louis-Philippe.  La  mort  le  surprit  en  1851,  laissant  sa  mai- 
son à  ses  deux  filles,  dont  l'une  épousait  en  1853  M.  Armand  qui,  résolu  <à  ne 
s'occuper  que  d'orfèvrerie  religieuse,  allait  conduire  la  maison  Armand-Calliat 
vers  ses  nouvelles  destinées. 

Débarrassé  de  la  grosserie,  il  se  présentait  aux  Expositions  de  1862  et  de  1867. 
C^était  un  orfèvre  épris  de  son  art  et  un  passionné  qui  accepte  l'archéologie 
comme  une  science,  mais  non  comme  une  formule  à  copier;  il  est  jaloux  de  son 
œuvre  et  v«ut  en  être  le  maître  ;  il  n'est  pas  seulement  un  artiste  délicat  qui  sait 
ce  qu'il  veut,  épris  des  fines  ciselures,  des  émaux  aux  tons  clairs,  des  bleus  tur- 
quoise, des  verts  d'émeraude,  des  rouges  rubis,  qu'il  emploie  à  propos  pour 
faire  chanter  ses  orfèvreries,  mais  c'est  aussi  un  homme  de  lettres  qui  sait  au 
besoin  écrire  un  discours  de  réception  à  l'Académie  tles  Sciences  et  Arts  de  Lyon, 
et  un  rap|)ort  sur  une  Exposition,  comme  celui  de  1900,  où  il  montre  que  l'art  de 
bien  dire  n'est  pas  si  éloigné  de  l'art  de  bien  faire,  et  qu'un  orfèvre  habile  peut 
être  aussi  un  écrivain  de  race. 

A  l'Exposition  de  1867,  Armand-Calliat  avait  apporlé  unv  conli'ibulion  inipoi'- 
tante.  En  [)r('mière  ligne,  il  nous  faut  ciler  l'oslcnsoir  de  Notre-Danu'  de  la  Cai'de 
doni,  il  avait  (l(Mnan(l('  le  modèh^  à  rai'cliitecle  Uossan,  (pii  fut  pour  i'orfèvi'e  un 
guide  ('clairé  au  connnencemenl  de  sa  cai'rière.  La  chapelle  épiscopale,  (|u"il 
('\|K)sait  égahimeni ,  c()uq)rend  l'ostensoir,  le  calice,  le  cihoiri»,  la  crosse  et  la 
croix  processioniKille.  VAk'  est  dans  le  style  du  dou/.iènu^  siècle.  Le  ciboire,  (|ue 
nous  j-eproduisons,  chante  U'  [)oème  (Micliaristicpie.  A  la  base  sont  quatre  dragons 
vaincus;  sur  h;  meud,  des  anges  agenouilh's,  et,  sur  le  couvercle,  l'agneau  du 
sacrifice. 

L:i  (  r(ii\  liroccssiomiellc  est  imc  pièce  capilale.  Le  Christ  en  ivoire  se  (l(''lache 


—  27  — 


sur  un  fond  d'émail,  et  deux  anges  en  vermeil  tiennent  la  coupe  qui  reçoit  le 
sang  qui  coule  des  blessures  du  divin  Maître.  Le  bâton  est  couvert  d'arabesques 
émaillées. 

[1  a  adopté,  dans  presque  toutes  ses  œuvres,  le  style  roman  dont  il  ne  s'écarte 
jamais.  De  patientes  études  l'ont 
armé  de  toutes  les  ressources  du 
métier.  Les  émaux,  les  nielles,  les 
ivoires  qu'il  sait  allier  à  l'œuvre 
du  métal  sont  toujours  à  leur 
place,  et  n'ont  plus  de  secrets 
pour  lui.  On  sent  dans  les  corn 
positions  de  ses  œuvres  la  foi  qui 
l'anime  et  qu'il  a  su  inspirer  à 
ses  collaborateurs. 

Le  maître  a  formé  des  ouvriers 
émérites,  il  en  a  fait  une  famille 
qui  demeure  fidèle  à  l'atelier  de 
Kourvicreset  qui  travaille  comme 
on  travaillait  il  y  a  cinq  siècles, 
unie  sous  la  direction  du  clief 
dans  la  même  foi  religieuse  et 
artistique. 

On  n'en  pouvait  dire  aulant  de 
l'orfèvrerie  civile,  de  cette  belle 
argenterie  opulente,  cossue,  de 
ces  morceaux  de  grande  déco- 
ration, sans  destination  précise, 
uniquement  honorifique,  comme 
on  en  avait  vu  en  France  jadis, 
et  même  sous  la  Restauration  et 
sous  Louis-Philippe,  et  comme 
il  s'en  faisait  abondamment  eu 
Angleterre.  S'il  y  avait  encore 
des  amateurs  délicats  pour  com- 
mander aux  orfèvres  parisiens,  à  Froment-Meurice,  à  Duponchel,  à  Odiot,  à 
Bachelet,  de  temps  à  autre,  quelque  service  d'argent  massif;  s'il  se  trouvait  des 
Mécènes  comme  le  duc  de  Luynes  qui,  pour  empêcher  des  artistes  tels  que  les 
frères  Fannière  de  se  laisser  aller  au  découragement,  leur  fournissait  le  pro- 
gramme d'un  bouclier  auquel  ceux-ci  devaient  travailler  pendant  plus  de  vingt 
ans;  enfin,  si  de  riches  financiers  ou  des  grands  seigneurs,  le  prince  Demidoff, 


Oslensoir  clc  Xotre-Dnmc  de  la  Garde. 
(  f  h'I'L'i'reric  d'Arum  n  <I-Cnlll;i  I . 


—  28  — 


les  Rolliscliild,  les  Pércirc,  d'illuslres  personnages  fies  diverses  ronrs  de  rKurope 
ou  simplemenl  une  élite  rarissime  de  la  bourgeoisie  de  Paris  faisaioit  parfois 
exécuter,  pour  l'auiour  des  belles  choses,  certaines  pièces  précieuses  de  vaisselle 
de  table,  il  faul  bien  reconnaiire  que  ce  n'(''l;iit  que  par  capr-ices  phis  ou  inoins 
espacés,  par  fanlaisie  personnelle  ou  par  occasion  spéciale  :  rentraînement  man- 
quait. Le  courant  général  des 
idées  emportait  la  société  de 
l'Empire  à  un  désir  eiïréné  de 
luxe,  niais  d'un  luxe  frelaté, 
(out  d'apparence,  et  non  aux 
raffinements  de  l'élégance.  Le 
surintendant  des  beaux-arts, 
le  comte  de  Nieuvverkerke, 
aurait  pu  assurément  impri- 
mer une  direction  utile  à  la 
phalange  des  artistes  déco- 
rateurs dispersés  dans  les 
ateliers;  il  aurait  pu,  en  les 
appelant  à  collaborer  à  quel- 
que vaste  entreprise  conçue 
sur  un  plan  d'unité  comme  on 
en  avait  eu  sous  Louis  XIV, 
stimuler  les  imaginations,  ra- 
viver le  sentiment  du  beau, 
fournir  aux  industries  de  luxe 
un  idéal,  des  exemples,  un 
encouragement,  et  coordon- 
jier  en  un  mot  les  efforts  trop 
éparpillés  de  gens  de  talent 
qui  n'auraieni  pas  demandé 
mieux  (pie  d'échapper  au  joug 
déprimant  du  pastiche  et  de 
l'imitation  des  anciens  styles. 
Ce  n'est  ni  l'aulorité,  ni  riniclligence  (pii  lui  manquaient,  pas  i)lus  (pic  le  désir 
(Ut  prouver  son  inlluencc  sur  l(^  monde  des  arts  (pii  appréciait  son  affabilité 
accueillanl,(î  et  ses  allures  (k;  gentillioinme.  Mais  la  compréhension  lui  faisait 
(léfaul  des  besoins  v('ritables  de  l'art  décoratif  cl  de  ce  qu'il  convenait  de  faire 
pour  le  pousser  l'oi  tcmciil  vers  une  oricnlalion  nouv(dlc.  Peut-('^trc  aussi,  dans 
celle  cour  iinp(''riale  paiiag('c  enlr<'  lani  de  volontés  diverses  cl  où  il  élait  si 
diriicile  d'.qiporler  ini  espril  de  siiile  cl  de  m('llio(l(\  maïupia-l-il  loul  simple- 


C.ilxiirc. 

{Orfèrrcric  ilW  riii:i  iid-Ciii .   -  Oitllcrl ion  du  Miisi'c 
(les  Ai'ls  il('-c()i-:(li/'s.) 


Croix  processionnelle. 

{Orfèvrerie  d'.[rin;ind-C:illi/il .) 
(Trdsor  de  la  chapelle  Sixiine  ;iu  Vnlinm. 


—  31  — 


mciit  (le  la  décision  nécessaire.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que,  pour  l'orfèvrerie, 
il  ne  commanda  aucun  projet  d'ensemble,  pas  un  ouvrage  réellement  important. 
Il  ne  sut  pas  même  retenir  en  France  un  artiste  de  premier  ordre,  Morel-Ladeuil, 
élève  de  Veclite,  et  comme  lui  exécutant,  par  le  procédé  du  repoussé  sur  des 
feuilles  d'or  ou  d'argent,  des  compositions  magistrales.  Léonard  Morel,  connu 
sous  le  nom  de  Morel-Ladeuil  (il  avait  joint  le  nom  de  sa  femme  au  sien),  était 
né  à  Clermont-Ferrand  en  18'20.  Doué  d'une  imagination  très  vive,  créant  lui- 
même,  dessinant  ou  modelant  les  sujets  qu'il  ciselait,  il  fut  chargé  en  1851 
d'exécuter  pour  Napoléon  III  un  bouclier  en  argent  repoussé,  dont  le  thème 
devait  être  une  allégorie  apologétique  du  régime  nouveau.  Au  milieu  du  bouclier, 
une  figure  en  ronde-bosse  représentait  la  Force  terrassant  l'Anarchie;  trois  bas- 
reliefs  symbolisaient  la  fuite  de  rx\narchie,  le  retour  de  la  Prospérité  dans 
l'Agriculture,  le  Commerce  et  les  Arts,  enfin  le  navire  de  l'Etat  ayant  pour  pilote 
l'Empereur  et,  pourrameurs,  la  Prudence,  la  Loi,  la  Piété,  l'Ordre.  Cette  œuvre, 
placée  dans  le  cabinet  de  travail  de  Napoléon  III,  aux  Tuileries,  resta  inconnue 
du  public  (l)  ;  mais  elle  aurait  dû  suffire  pour  assurer  au  jeune  artiste  la 
protection  du  gouvernement  impérial.  Il  n'en  fut  rien,  et,  las  de  végéter,  ne 
trouvant  pas  dans  son  propre  p;iys  l'emploi  de  son  merveilleux  talent,  Morel- 
Ladeuil  finit  par  accepter  en  1859  les  propositions  séduisantes  de  la  maison 
Elkington,  qui  s'était  déjà  assuré  le  concours  de  l'artiste  français  Willms,  et  qui 
se  préparait  à  frapper  un  grand  coup  à  l'Exposition  de  Londres  de  186:2.  Désor- 
mais, Morel-Ladeuil  était  perdu  pour  la  France.  Toutes  ses  œuvres  appartiennent 
à  l'Angleterre,  où  il  allait  bientôt  acquérir  la  considération  et  la  haute  renommée 
qu'une  suite  d'œuvres  remarquables  ne  devait  pas  tarder  à  lui  apporter. 

La  France,  cependant,  n'allait  pas  rester  en  arrière.  La  naissance  du  Prince 
impérial,  en  1856,  fut  l'occasion,  pour  la  Ville  de  Paris,  d'oflrir  à  l'Empereur  un 
berceau  en  argent.  On  voulait  un  chef-d'œuvre  comparable  au  berceau  du  Roi 
de  Rome,  exécuté  autrefois  par  Odiot  et  Thomire  sur  les  dessins  de  Prudhon. 
L'architecte  Raltard  fut  chargé  de  la  composition;  aussi,  ne  crut-il  pas  devoir 
mieux  faire  que  de  s'inspirer  de  Prudhon.  La  France,  accostée  de  deux  génies 
ailés,  se  tenait  debout  à  la  tète  de  la  l)ercelonnette  et  supportait  une  couronne 
impériale  d'où  tombaient  les  rideaux.  Simart  en  avait  sculpté  les  figures,  la  fonte 
et  les  ciselures  en  avaient  été  données  aux  frères  Fannière,  et  le  travail  d'orfè- 
vrerie avait  été  confié  à  Froment-Meurice.  Le  berceau  (Hait  en  forme  de  nef,  la 
nef  des  armes  de  Paris,  arrangée  à  la  mode  du  jour,  arrondie,  ballonnée;  elle 
était  terminée  en  proue,  et  les  pieds  supportaient  un  aigle  que  Jacquemart  avait 
modelé.  A  l'arrière,  au-dessous  de  la  figure  principale,  le  navire  portait  un  bouclier 


(l)  Elle  a  été  dunuée  depuis  par  l'impéi'ali'ice  Eugénie  ii  l'Angloterre,  et  se  trouve  aujourd'hui  dans  la 
grande  salle  du  mess  des  Ofticiers  d'artillerie  de  Woohvicli. 


—  32  — 


aux  armoiries  de  la  Ville.  Sur  les  lianes  du  bereeau,  des  eartouclies,  reliés  par 
des  guirlandes  de  fleurs,  servaient  d'encadrement  à  des  plaques  d'émail  en  grisaille 
exécutées  à  Sèvres  sur  les  dessins  d'Ilippolyte  Flandrin.  On  y  voit,  dans  le  style 
habituel  de  l'artiste,  la  Force,  la  Justice,  la  Vigilance  et  la  Prudence.  Quant  au 
choix  de  Froment-Meurice  pour  l'œuvre  générale,  il  avait  été  imposé  par  l'Empe- 
reur lui-même  qui  tenait  à  contre-balancer  une  ci'iante  injustice  du  Jury  en  1855. 
L'œuvre,  somme  toute,  d'un  caractère  officiel  trop  affecté,  était  froide;  qu'on 
était  loin  de  la  grâce  aisée  et  charmante  de  Prudhon  ! 

D.-F.  Froment-Meurice  était  mort  en  1855.  (^e  fut  son  lils  Emile  qui  dirigea  ce 
travail  et  qui  allait  bientôt  donner  sa  mesure  dans  des  œuvres  plus  personnelles, 
et  montrer  qu'il  était  digne  de  faire  revivre  la  tradition  paternelle. 

Mais  il  s'était  recueilli  pendant  de  longues  années,  et  il  attendait  l'ouverture 
de  l'Exposition  de  1867  pour  donner  sa  mesure  en  ne  présentant  que  des  œuvres 
d'une  inspiration  nouvelle.  Un  tel  début  veut  qu'on  s'y  arrête. 

Sans  oublier  le  passé,  M.  Emile  Froment-Meurice  semblait  vouloir  s'inquiéter 
de  nouveautés  intelligentes,  de  la  recherche  de  faits  inédits  ou  tout  au  moins 
renouvelés  des  époques  glorieuses  de  la  Renaissance. 

Dans  une  pareille  recherche,  il  y  a  place  pour  l'invention.  L'erreur  est  pos- 
sible, mais,  si  l'invention  est  heureuse,  le  succès  vous  en  récompense. 

Le  dessus  de  cheminée  que  la  Ville  de  Paris  lui  commandait  pour  l'Hôtel  de 
Ville,  et  pour  l'exécution  duquel  M.  Emile  Froment-Meurice  allait  donner  libre 
cours  à  son  esprit  d'invention,  devait  consacrer  sa  jeune  renommée  d'orfèvre. 
Cette  œuvre  magistrale  fut  exécutée  comme  un  bijou,  et  toutes  les  ressources  de 
l'orfèvrerie  et  de  la  taille  des  pierres  dures  furent  employées  habilement  pour  lui 
donner  un  caractère  de  grandeur  et  de  préciosité. 

La  composition  en  avait  été  demandée  à  l'architecte  Baltard,  et  la  sculpture 
des  figures  avait  été  confiée  à  Maillet  qui  travaillait  déjà,  à  cette  époque,  au 
grand  surtout  de  la  Ville. 

Sur  un  socle  de  por|)hyre  d'une  longueur  de  près  de  deux  mètres,  orné  de 
moulures  à  godrons  et  feuilles  d'acanihe,  le  buste  de  l'Empereur,  sculpté  dans 
une  aiguci-marine,  se  détachait  sur  une  auréole  en  jaspe  rouge,  ornée  de  rin- 
ceaux à  rosaces  d'amétliyste  et  d'étoiles  en  topazes,  surmontés  de  la  couronne 
impéi-ialc.  En  avant,  un  aigle  aux  ailes  déployées  était  relié  par  des  guirlandes  de 
chêru;;  d(î  clnKiue  (■ôl('',  assises  sur  dcîs  socles  en  |)oi'phyre,  deux  femmes  accos- 
tées (le  deux  g(ini(!s  personniliaient  la  Paix  et  la  (îiierre.  IjCS  nus  élaienten  cristal 
d(!  roclu!,  et  les  draperies  vu  argenl. 

C(!  grand  morceau,  d'inie  soniplnosili-  exceplionnelle,  ne  devait  pas  être  une 
d(ïs  moindres  cnriositf's  de  l'Hôtel  de  Ville;  mais,  comme  tant  d'(xnivres  d'art  de 
haute  valeur  (|ui  (huoraieiil  le  palais  numicipal  ;i  cetle  épo(|ue,  il  a  disparu  dans 
les  iiiceiidies  de  bST  I  . 


Berccilu  du  Princo  Impérial.  —  Arclutcclc  BulLurd. 
[Orfècrurie  de  FruineiiL-Miiurice.) 


33 


—  39  -r- 


Malgré  le  grand  effort  de  l'orfèvre  et  l'habileté  du  scidpteur,  des  graveurs  en 
pierres  fines  et  des  joailliers,  cette  pièce  n'a  pas  réussi  à  plaire  à  tous  les  juges. 
Nous-mêmes,  ne  l'acceptons  que  sous  réserve.  M.  Paul  Mantz,  auquel  j'emprunte 
cette  appréciation,  regrette  que  cette  œuvre,  à  laquelle  tant  de  mains  habiles  ont 
travaillé,  ne  satisfasse  pas  complètement  le  regard.  L'effet  général  est  luxueux  et 
riche.  L'aigle  qui  décore  le  piédouche  est  d'un  beau  dessin.  Quant  à  la  couleur, 
le  monument  n'a  pas  dans  sa  richesse  toute  l'harmonie  désirable.  Le  buste  de 
l'Empereur,  sculpté  dans  une  aigue-marine  d'un  beau  vert  dont  l'intensité  s'avive 
sous  une  couronne  d'or,  reste  isolé  de  l'ensemble. 

Une  autre  objection  se  présente  :  le  cristal  de  roche,  alors  même  qu'il  est 
enfumé,  l'aiguë  marine,  alors  même  qu'elle  n'est  pas  polie,  sont  des  matières  plus 
ou  moins  transparentes.  Convient-il  de  les  appliquer  à  la  reproduction  en  ronde- 
bosse  de  personnages  humains?  La  Renaissance,  qui  a  certes  le  droit  d'être 
entendue  sur  toutes  ces  questions,  a  répondu  affirmativement.  Dans  le  centre,  des 
bustes  des  douze  Césars  légués  au  Louvre  par  M.  Dablain,  le  Tibère  est  en  amé- 
thyste ;  Néron  est  en  cristal  de  roche.  De  pareils  exemples  devraient  faire  auto- 
rité. Mais  il  se  trouve  qu'on  voit  au  travers  de  ces  empereurs  (1),  résultat  bizarre, 
puisque  la  personne  humaine  n'est  pas  translucide;  effet  fâcheux  qui,  en  dérou- 
tant l'œuvre,  empêche  de  saisir  exactement  les  forniLS. 

D'autres  travaux  non  moins  considérables  ont,  durant  ces  dernières  années, 
occupé  l'atelier  de  M.  Froment-Meurice.  lisent  paru  pour  la  plupart  à  l'Exposi- 
tion, et  ils  y  ont  fort  réussi.  On  se  rappelle  la  pendule  monumentale  en  pierres  du 
Jura,  ornée  de  bronzes  dorés,  accostée  de  deux  figures  couchées  dans  une  atti- 
tude empruntée  à  des  déesses  de  la  Renaissance.  Le  modèle  de  cette  pendule, 
simple  et  de  grand  goût,  a  été  dessiné  par  Emile  Froment-Meurice.  Les  deux  dor- 
meuses ont  été  taillées  dans  l'ivoire  par  un  sculpteur  habile,  M.  E.  Carlier.  C'est 
à  la  collaboration  des  deux  mêmes  artistes  que  sont  dus  une  coupe  et  deux  can- 
délabres exécutés  pour  l'Empereur.  Nous  reproduisons  cette  coupe  qui  se  com- 
pose d'une  vasque  de  cristal  de  roche  enguirlandée  de  violettes,  dont  la  principale 
fonction  est  de  dissimuler  les  joints  d'assemblage  des  morceaux  de  cristal  dont 
est  composée  la  coupe.  Un  faune  et  une  faunesse  en  argent  ciselé  supportent  la 
vasque  et  jouent  avec  des  petits  amours  qui  voltigent  autour  d'eux.  De  la  coupe 
s'échappe  un  bouquet  de  couronnes  impériales.  Une  amphore  en  cristal,  portée 
par  des  centaures  et  des  centauresses,  sert  de  base  à  la  tige  des  candélabres. 


(1)  Pour  rrtiicclier  ;i  cet  iaconvénient,  M.  Fromuiit-.Meurice  s'e^t  bien  gardé  de  faire  polir  ses  aigues- 
murlnes  et  son  cristal.  Ces  lualières  conservent  encore  néanmoins  une  Iransparence  relative:  mais  l'œuvre 
est  ftiitc,  liinie  discussion  serait  hors  de  pro}ios.  L'ilôlel  de  Ville  possédera  un  monuuient  d'orfèvrerie  et 
de  joaillcrir  iloiit  la  parlii'  principale  est  une  aigue-marine.  Or,  on  sait  que,  dans  les  vieilles  croyances, 
l'aigue-mariiic  [)urte  bonheur.  Robert  de  Berkuen  nous  apprend  qu'elle  rend  la  navigation  heureuse  à 
celui  qui  l'a  sur  soi,  pour  grand  et  périlleux  que  soit  son  voyage.  Ainsi  lesté  du  précieu.x  talisman,  le 
vaissiNui  Muuiicipal  voguera  désormais  sur  des  mers  clémentes. 


—  40  — 


Co  sont  de  belles  [)ièces  de  goùl  nouveau  cl.  d'invention  cliarniante.  Elles  so))t 
aujoui'd'luii  exposées  au  Musée  des  Arts  décoratifs. 

Dans  un  autre  genre  de  travail,  M.  Emile  Froment-Meurice  a  trouvé  en  M.  II. 
Cameré  un  collaborateur  excellent.  C'est  à  l'associalion  de  leui-  habileté  qu'on 
doit  l'aiguière  de  crislal  de  roche  inci-ustée  d'émaux  bleus  et  verts,  qui  appartient 

au  duc  de  Montpensier,  et  dont  nous  donnons 
ici  la  gravure.  Le  type  de  cette  ravissante 
pièce  est  encore  emprunté  à  la  Renaissance, 
l'époque  heureuse  où  le  génie  italien  trans- 
forma tous  les  arts  du  luxe  etdeladécoration. 

Pour  obtenir  la  parfaite  adhérence  de 
l'émail  dans  les  creux  du  cristal  entaillé,  il  y 
avait  à  vaincre  de  grandes  difficultés  :  elles 
ont  été  admirablement  résolues.  Rien  ne 
sent  la  peine  ou  l'hésitation  dans  ce  char- 
mant travail  et  l'on  n'y  voit  que  de  la  grâce. 
Au  moins,  dans  cette  pièce,  le  cristal  de 
roche  est  à  sa  vraie  place,  et  sa  transparence 
ajoute  un  charme  de  plus  à  l'aspect  de  l'objet. 

Nous  rappelons  encore  une  pièce  intéres- 
sante exposée  par  M.  Froment-Meurice  :  c'est 
la  coupe  offerte  à  Ponsard  par  les  habitants 
de  Vienne,  sa  ville  natale.  Trois  figures, 
portées  sur  un  trépied,  supportent  une  coupe 
en  vermeil,  et  représentent  trois  des  oeuvres 
principales  du  poète  :  Ag7iès  de  Méranie,  Lu- 
crèce, rHonnem'  et  l'argent. 

L'Exposition  de  1862  approchait,  et  Chris- 
tofle,  qui  avait  terminé  le  grand  service  des 
Tuileries  qiii  avait  figuré  à  l'Exposition  de 
I8.')a,  préoccupé  de  maintenir  sa  réputation, 
de  tenir  en  hahîine  les  ouvriers  qu'il  avait 
l'orni('-s  cl  de  pr(''parer  des  ouivres  iu)uvelles  pour  l'Exposition  de  Londres,  avait 
lait  conqioscr  dans  ses  ateliers  res(iuisse  d'un  surtout  pour  l'ilùlel  de  Ville,  qu'il 
|)r(''senlnil  au  baron  llaussinann.  Celui-ci,  (pii  tenait  à  endxillir  le  palais  municipal, 
cl  a  nieltre  le  mobilier  en  rapport  avec  la  décoration  de  la  salle  des  fêtes  qu'on 
vcnail  (le  terminer,  et  (pTil  destinait  aux  fêtes  (pie  la  Ville  allait  donner  aux  souve- 
rains (pie  rEmpei-(!ur  invilail  au.x  grandes  solennil('s  (pii  se  préparai((nt,  fut  sédnil 
parle  projet  (pie  lui  |ti(''sentait  (-hrislolle.  Il  demanda  à  rarchil(>cte  Haltard,  (pii 
était  le  grand  ordoniiateur  de  Ions  les  travaux  d'art  de  la  Ville,  d'en  suivre  l'exé- 


Ai}iuièrc  en  crislul  de  iviclic  iiu-i'iisLi'  (rviiiauv 
lOf/rrrcrir  ilv  /■'rdiiicni-Mctiricf.) 


\ 


—  /il  — 


cution.  Le  projet  fut  repris  sous  sa  direction,  et  la  sculpture  fut  confiée  aux 
artistes  que  Cliristolle  employait  alors  et  dont  les  noms  seuls  suffisent  à  montrer 
quels  allaient  être  l'intérêt  et  la  valeur  d'art  de  ce  grand  travail.  La  sculpture 
des  figures  fut  confiée  à  Dieboldt  et  Gumery,  à  Maillet  et  Jules  Thomas,  tous  grands 
prix  de  Rome,  Matluirin  Morcau  et  Rouillard.  L'ornemaniste  Madroux  et  le  sculp- 


Coiipe  oflcrlc  an  poùte  Ponsarcl  par  les  hubitants  de  Vienne. 
[Orfèvrerie  de  Froment-Mearice.'^ 


teur  Capy,  attachés  à  la  Maison  Ghristofle  depuis  longtemps  et  qui  avaient  fait  les 
premières  esquisses,  exécutèrent,  sous  la  direction  de  Ghristofle  et  de  son  neveu, 
toute  rorncmentation  de  ce  grand  travail.  Auguste  Madroux  était  un  des  plus 
habiles  modeleurs  de  l'époque;  il  avait  été  employé  par  F.  Gilbert  à  l'ornementa- 
tion du  service  de  l'Empereur,  et  avait  pris  à  son  contact  le  sentiment  de  la 
décoration  des  œuvres  d'orfèvrerie.  En  quittant  Gilbert,  il  était  entré  dans  les 
ateliers  de  sculpture  de  MM.  Ghristofle.  D'un  goût  très  fin  et  d'une  habileté 

3 


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grande,  il  modelait  à  mecveille  et  est  resté  jusqu'à  sa  mort,  en  1870,  le  collabora- 
teur attitré  de  toutes  les  créations  de  Cliristotle,  pendant  près  de  vingt  années. 

Cet  important  ouvrage,  comme  le  dessus  de  cheminée  de  Froment-JVleuricc, 
disparut  dans  l'incendie  allumé  par  la  Commune  en  1871.  Quand  on  fouilla  les 
décombres,  on  ne  trouva  rien  de  toutes  ces  merveilles.  Avaient-elles  été  volées 
avant  l'incendie?  Allait-on  les  retrouver  à  l'étranger?  Uien,  jusqu'ici,  n'a  pu  être 
découvert.  Il  est  aujourd'hui  certain  que  le  feu  l'a  complètement  détruit. 

La  pièce  de  milieu  se  composait  d'un  grand  plateau  en  glace  dont  l'encadre- 
ment était  relevé  par  une  riche  moulure  à  frise  nuancée  d'or  de  dittérentes  cou- 
leurs; quatre  grands  candélabres,  enchâssés  dans  cette  moulure,  en  reliaient  les 
parties  principales.  Le  centre  était  occupé  par  le  navire  symbolique  des  Armes  de 
la  Ville  de  Paris.  Sur  le  pont  du  navire,  la  statue  de  la  Ville,  modelée  par  Gurnery, 
était  élevée  sur  un  pavois  que  supportaient  quatre  cariatides  modelées  par  Die- 
boldt,  représentant  les  Sciences,  les  Arts,  l'Industrie  et  le  Commerce,  emblèmes 
de  sa  gloire  et  de  sa  puissance.  A  la  proue  était  un  aigle  entraînant,  vers  ses 
destinées  futures,  le  navire  dont  la  marche  était  éclairée  par  le  génie  du  Progrès; 
la  Prudence  était  à  la  poupe  et  tenait  le  gouvernail.  Tout  autour,  se  jouaient  dans 
les  eaux  simulées  par  une  glace,  des  groupes  de  tritons  et  de  dauphins,  tandis 
qu'aux  deux  extrémités  de  la  composition,  des  chevaux  marins,  modelés  par 
Uouillard,  se  cabraient  sous  l'effort  des  tritons  qui  cherchaient  à  les  dompter. 
L'ensemble  était  d'une  noblesse  et  d'une  ampleur  saisissatites.  Lorsque  cette 
pièce  parut  à  l'Exposition  de  Londres  en  1862,  elle  obtint  un  grand  succès,  et 
on  en  loua  hautement  la  puissante  simplicité,  la  beauté  des  figures,  la  piu'eté  de 
l'ornementation  et  la  parfaite  exécution  des  détails.  Le  rapporteur  Fossin,  au 
milieu  des  éloges  que  sa  plume  autorisée  ne  ménagea  pas  à  cette  œuvre,  pré- 
senta une  seule  observation  :  «  Si  une  critique  était  permise,  dit-il,  il  faudrait 
regretter  que  le  vaisseau  et  les  tritons  soient  placés  sèchement  sui'  un  fond  de 
glace  destiné  sans  doute  à  imiter  les  eaux  de  la  Seine.  Nous  aurions  préféré,  en 
restant  dans  le  système  polychromique,  que  ces  divei-s  groupes  fussent  assis  sur 
un  marbre  d'Alger  d'un  ton  très  clair,  ou  sur  un  fond  de  métal  légèrement  ondulé 
|)ar  la  ciselure  et  conventionnellement  teinté,  comme  le  reste  de  l'œuvre;  c'eût 
été  [tins  harmonieux,  et  l'ensemble  du  sui'tout  en  aurait  eu  plus  de  charme,  plus 
d'animation  cl  même  plus  de  richesse.  » 

Nous  n(î  saurions  aCIirmei-  (|U(î  le  Uap|)orteur  avail  raison,  car  celte  lu'éoccu- 
patioM  avait  hant  '  l'iîsprit  des  aulcurs,  et  les  (essais  (|ui  avaient  été  faits,  soit 
d  aiilrcs  matières  transpar(Mit(is  ou  ojjaques,  soit  de  Ilots  modelés  sin-  une 
sm-lac(î  m(''talli(pie,  n'avaient  |)as  donné  de  résultats  meilleurs  (pie  la  glace 
étaméc...  lia  glace  réilécliissait  la  lumière  et  éclairait  les  |)ièces  d'orfèvi'ericMiui 
dcNcnaicnt  ('■tincclaiilcs.  liC  joui'  oii  le  sm-tout  s(>rvit  poni'  la  pi'emière  fois,  le 
baron  llaiissniaiin  (pii  pr(''sidait  à  sa  mise  en  place  lit  un  essai  (pii  enleva  tous 


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les  suffrages.  Il  fit  apporter  des  roses,  les  fit  effeuiller  sur  la  glace,  semant  tout 
autour  des  branches  fleuries  qui  encadraient  le  surtout  dans  un  parterre  embaumé. 

Ce  travail  important  ayant  pu  être  terminé  au  moment  de  l'ouverture  de 
l'Exposition  de  1867,  MM.  Christofle  obtinrent  du  préfet  de  la  Seine,  le  baron 
Haussmann,  l'autorisation  d'y  exposer  dans  son  ensemble  ce  surtout  dont  la  pièce 
ceutrale  avait  seule  paru  à  l'Exposition  de  Londres  en  1862.  11  était  alors  terminé 
et  devait  être  inauguré  à  l'occasion  des  fêtes  que  la  Ville  allait  donner  aux  sou- 
verains invités  par  l'empereur  à  visiter  l'Exposition. 

Le  surtout  figura  donc  dans  son  ensemble  à  l'Exposition  de  1867.  Il  se  com- 
posait alors  de  la  pièce  de  milieu,  de  deux  pièces  latérales,  dont  le  centre  était 
occupé  par  deux  groupes  de  Saisons  modelés  par  Maillet,  exécutées  dans  le 
même  ordre  d'idée  que  la  première,  et  de  deux  pièces  de  bout  destinées  à  sym- 
boliser la  Seine  et  la  Marne,  les  deux  rivières  dont  les  eaux  réunies  en  aval  tra- 
versent la  ville  dans  toute  sa  longueur...  Vingt  candélabres,  quatre  grands  vases 
en  porcelaine  de  Sèvres  exécutés  sur  les  dessins  de  Diéterle,  et  cent  vingt  pièces 
destinées  à  contenir  des  fleurs,  des  fruits  et  le  dessert,  complétaient  cet  en- 
semble. Le  service  de  dessert  avait  été  modelé  par  Auguste  Madroux,  qui  fut  pen- 
dant vingt  ans  le  collaborateur  de  Christofle.  Le  style  qui  avait  été  adopté  par 
l'architecte,  était  celui  de  la  Renaissance  française  en  harmonie  avec  les  sculptures 
de  la  façade  du  Boccador,  et  cadrait  admirablement  avec  la  grande  salle  des  fêtes 
pour  laquelle  il  avait  été  conçu. 

Ce  n'est  pas  celui  qui  allait  être  suivi  par  les  orfèvres,  car  l'engouement  pour 
le  style  Louis  XVI,  que  favorisait  l'impératrice  Eugénie,  commençait  à  se  généra- 
liser, et  h  se  remarquer  nettement  dans  l'orfèvrerie  dès  1860.  La  souveraine  n'en 
était  plus  à  ses  indécisions  et  à  sa  timidité  des  débuts  en  fait  de  luxe,  lorsqu'elle 
refusait  le  magnifique  cadeau  qu'avait  eu  l'intention  de  lui  offi'ir  la  Ville  de  Paris 
à  l'occasion  de  son  mariage.  Elle  s'était  habituée  au  faste,  et  c'est  en  argent  massif 
qu'elle  voulut  le  service  de  toilette  qu'Aucoc  père  exécula  pour  elle  dans  le  style 
Louis  XVI.  On  l'a  revu,  ce  service,  à  l'Exposition  centennale,  où  il  ne  faisait  pas, 
en  vérité,  trop  mauvaise  figure,'  montrant  les  premiers  essais  d'adaptation  des 
formes  du  temps  de  Marie-Antoinette  qu'entreprirent  les  décorateurs  de  l'Empire 
désireux  h  la  fois  de  s'en  inspirer,  de  les  faire  revivre  sans  se  contraindre  à  une 
copie  littérale.  L'Impératrice,  alors,  s'entourait  des  bibelots  de  cette  époque, 
bonbonnières,  miniatures,  coffrets.  Elle  se  laissait  aller  surtout  à  son  penchant 
favori  dans  ce  qui  lui  appartenait  en  propre,  dans  les  objets  destinés  à  son  usage 
personnel,  dans  les  petits  appartements  des  Tuileries  où  elle  se  sentait  tout  à 
fait  chez  elle,  comme,  par  exemple,  dans  ce  fameux  salon  bleu  et  le  cabinet  qui  y 
faisait  suite,  où  M'""  Caret  te  (1)  nous  l'a  montrée  en  son  intimité  élégante,  entourée 


(1)  Mm'î  Curolle,  Mémoires. 


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de  fleurs,  de  vitrines,  et  où  Octave  Feuillet  pénétra  un  jour  avec  une  sorte 
d'extase  qu'il  a  traduite  en  une  lettre  émue  (1).  L'Empereur  lui-même  n'était  plus 
tout  à  fait  l'homme  totalement  indiflércnt  qu'il  avait  été  des  choses  d'art  et  de  la 
pompe  extérieure.  Pour  son  usage  particulier  et  ses  réceptions  diplomatiques,  il 
accepta  fort  bien  que  Christofle  lui  fabriq.uât,  non  plus,  cette  fois,  en  niélal 
argenté,  mais  en  vermeil,  un  grand  service  de  table  très  complet,  avec  réchauds, 
plats,  casseroles,  cloches,  salières,  coupes  à  fruits,  étagères,  compotiers,  etc., 
pendant  qu'Emile  Froment-Meurice  lui  en  composait  un  autre  en  argent  qui  devait 
être  plus  somptueux  encore.  Tandis  qu'aux  Tuileries  on  était  tout  au  Louis  XVI, 
par  une  sorte  d'opposition  qui  se  manifestait  dans  les  moindres  détails,  on  restait, 
à  la  cour  du  Palais-Royal,  c'est-à-dire  chez  le  prince  Napoléon,  toujours  au  néo- 
grec. Entre  autres  ouvrages  dessinés  pour  lui  par  Ch.  Rossigneux,  nous  avons 
signalé  dans  les  chapitres  précédents' un  surtout  de  table  reconstitué  avec  les 
moulages  qu'il  avait  rapportés  de  son  voyage  à  Naples,  et  qu'il  avait  fait  exé- 
cuter en  orfèvrerie  argentée  et  dorée  par  Christofle.  Comme  conception,  il  était 
impossible  de  pousser  plus  loin  l'abus  du  goût  archéologique.  Qu'on  imagine  une 
sorte  de  pilastre  formant  candélabre,  dont  le  chapiteau  se  terminait  par  quati'e 
enroulements  auxquels  étaient  suspendues  de  petites  lampes  étrusques  à  deux 
lumières.  Autour  de  ce  pilastre  et  sur  le  plateau  qui  lui  servait  de  suppoi  t,  on 
voyait  des  figurines  montées  sur  des  socles  en  ivoire  qui  représentaient  les 
Muses,  et,  aux  extrémités,  des  autels  chargés  de  bois  enflammé,  avec  un  Racchus 
chevaucliant  une  panthère.  De  telles  œuvres,  destinées  uniquement  à  satisfaire 
quelques  dilettantes  saturés  d'archaïsme,  n'exercèrent,  par  bonheur,  qu'une  in- 
signifiante influence  et  ne  devaient  pas  avoir  de  lendemain. 

L'Exposition  universelle  organisée  à  Londres  en  1862  montra  plus  encore  que 
celle  de  1835  les  progrès  réalisés  par  les  orfèvres  anglais  au  point  de  vue  du 
goût,  et  avec  quelle  rapidité  ils  mettaient  h  profit  les  leçons  que  nous  leur  avions 
domiées  à  cet  égard  en  1851  et  en  1855.  Déjà  ils  devenaient  pour  nous  des  rivaux 
redoutables.  Du  côté  de  la  France,  les  productions  en  ouvrages  d'argenterie 
étaient  nombreuses  et  remarquables.  Pour  ne  mentionner  que  les  principales,  on 
admii-a  surtout  celles  de  Froment-Meurice,  des  frères  Fannière,  de  Chi-istofle,  de 
Wièse,  (le  Cueyton,  d'Odiot,  d'Aucoc,  les  belles  décorations  d'églises  de  Rachelet, 
de  Poussielgue-liusand  et  d'Armand-Calliat ;  les  Fannière,  disait  le  rapporteur 
Fossin,  «  auront  contrihui'  i\v.  tous  leurs  eflbrts  à  faire  (pie,  clu^z  nous  comme  chez 
les  anci(!ns,  l'art  soit  appli(pié  aux  objets  de  l'usage  le  pUis  journalier.  Leur 
th(;i(!re,  leur  sucrier,  l(!ur  saucière,  leurs  salières  nous  représentent  ce  que  le 
goût,  au  s(Mzième  siècle,  avait  (l(i  plus  délicat  et  de  plus  pur.  Dans  les  bas-reliefs 
(le  style  anti(pje,  (pii  décorent  leui's  seaux  à  glace,  les  figures  sont  modelées  avec 


(1)  .M""'  OcIjivc  l'ViiilIcl,  (Jiich/iivs  (iiiik'c.s  di:  ma  vie. 


—  55  — 


souplesse,  posées  avec  grâce,  expressives,  et  parlout  l'ornementation  est  traitée 
avec  simplicité  et  avec  ampleur.  »  La  maison  Christofle  avait  envoyé  à  Londres  un 
ensemble  imposant  d'objets  divers  et  notamment  la  pièce  de  milieu  du  surtout  de 
table  commandé  par  la  Ville  de  Paris,  ainsi  que  certains  fragments  du  service  de 
vermeil  de  l'Empereur,  et  le  surtout  pompéien  du  prince  Napoléon  dont  il  a  été 
question  plus  haut.  En  outre,  pour  donner  une  preuve  éclatante  de  toutes  les 
ressources  que  l'art  pouvait  tirer  des  procédés  de  la  galvanoplastie,  elle  avait 
exposé  deux  statues,  le  Faune  au  chevreau,  de  Fesquel,  en  bronze,  et  la  Prima- 
vera  délia  vita,  de  Maillet,  exécutée  en  galvanoplastie  dorée  et  argentée.  Comme 
récompense  de  ses  beaux  travaux,  Charles  Christofle  reçut  la  croix  d'officier  de 
la  Légion  d'honneur.  Parmi  d'intéressants  ouvrages  produits  par  Gueyton  figu- 
raient un  bouclier  allégorique  de  la  guerre  de  Crimée,  d'une  composition  éner- 
gique, une  aiguière  dorée,  genre  mauresque,  un  service  de  thé  émaillé,  genre 
étrusque,  et  une  statue  de  Minerve,  dont  la  tête  était  en  ivoire  et  le  corps  en  bronze 
doré.  Mais  les  trois  œuvres  qui  firent  peut-être  le  plus  d'effet  à  Londres  furent, 
d'une  part,  les  candélabres  et  le  baptistère  qu'avait  exécutés  Bachelet  sur  les 
dessins  de  Viollet-le-Duc,  et,  d'autre  part,  le  reliquaire  en  argent  repoussé  et 
doré,  enrichi  de  pierres  fines,  destiné  à  renfermer  la  relique  de  la  Vraie  Croix 
conservée  à  Notre-Dame  de  Paris,  fabriqué  par  Poussielgue-Rusand,  d'après  les 
modèles  du  même  architecte.  Une  autre  pièce  capitale,  sortie  également  des 
ateliers  de  cet  orfèvre,  et  ayant  pareille  destination,  était  un  grand  reliquaire  en 
argent  doré,  orné  d'une  quantité  de  diamants  fins,  de  pierres  précieuses,  et 
décoré  de  nombreuses  figures  dues  à  Geoffroy-Dechaume.  La  beauté  de  ce  travail 
le  classait  hors  de  pair. 

Du  côté  des  Anglais,  encore  une  fois,  l'effort  avait  été  énorme.  Il  apparaissait 
surtout  avec  un  éclat  extraordinaire  chez  quatre  orfèvres,  MM.  Elkington,  Ilunt 
et  Ruskell,  Hancock  et  Garrard,  dont  les  ouvrages  purement  artistiques,  il  faut 
bien  le  dire,  avaient  été  faits  par  des  mains  françaises.  Chez  Elkington,  on  admira 
les  magnifiques  travaux  que  Morel-Ladeuil  avait  exécutés  depuis  les  deux  ans  qu'il 
était  attaché  à  cette  maison,  et,  en  première  ligne,  la  Table  des  songes,  sorte  de 
plateau  circulaire  de  75  centimètres  de  diamètre,  surmonté  d'une  statuette  me- 
surant 28  centimètres  de  hauteur,  que  supporte  un  pied  de  80  centimètres  de 
hauteur,  le  tout  en  argent  repoussé.  La  statuette  placée  au  centre  de  la  compo- 
sition figurait  le  Sommeil  répandant  ses  pavots  sur  trois  dormeurs,  un  soldat,  un 
laboureur,  un  trouvère,  au-dessus  desquels  étaient  représentés  en  bas-relief  su  ' 
le  plateau  les  songes  de  chacun  d'eux  :  Honneur,  Victoire,  Gloire  et  Titres; 
Abondance  et  Prospérité;  Fortune,  Gaîté,  Génie  et  Amour.  Dans  l'ornementation 
du  cadre  de  ce  plateau,  des  monstres  rappellent  les  cauchemars  qui  se  mêlent  aux 
rêves  heureux.  Des  louanges  unanimes  accueillirent  cette  œuvre  d'une  conception 
très  neuve  et  d'un  sentiment  d'extrême  distinction;  elle  valut  du  premier  coup,  à 


—  5()  — 


son  auteur,  la  célébrité  en  même  temps  (ni'iine  récompense  bien  méritée  (1). 
Parmi  les  autres  travaux  présentés  par  Elkiiigton,  les  plus  intéressants  avaient 
é(é  dessinés  et  composés  par  notre  compatriote  Willms.  C'étaient  :  un  service 
d'orfèvrerie,  émaillé,  genre  étrusque,  d'un  eflét  original;  un  vase  consacré  à 
l'Amour,  très  gracieux  de  forme  et  de  silhouette;  un  bouclier  où  l'Agriculture,  le 
Commerce,  les  Sciences  et  les  Arts  étaient  représentés  en  bas-relief;  un  seau  à 
glace  d'une  ornementation  sobre  et  d'un  beau  galbe,  etc.  Chez  Ilunt  et  Ruskell, 
c'était  encore  un  Français,  Antoine  Yechte,  qui  triomphait  avec  ses  ouvrages  en 
repoussé,  où  il  montrait  ses  qualités  et  ses  défauts,  sa  fougue  et  ses  incorrections 
de  dessin  :  le  bouclier  Shakespeare,  Newton  et  Milton,  le  vase  d'une  composition  si 
énergique  des  Centaures  et  des  Lapithes,  et  l'autre  vase  décoré  d'une  frise  repré- 
sentant Thétis  qui  présente  à  Achille  les  armes  forgées  par  Vulcain,  tous  deux 
commandés  par  le  prince  Albert;  le  vase  des  Titans  foudroyés  par  Jupiter,  belle  et 
grande  œuvre  dans  le  caractère  anatomique  des  compositions  de  Michel-Ange.  Il  y 
avait  aussi  quelques  objets  dus  à  un  artiste  anglais,  Armstead,  auteur  du  bouclier 
Pakington,  composition  hardie  à  laquelle  manquait  la  correction  du  style,  du 
bouclier  Outram,  montrant  en  bas-relief  des  scènes  de  la  guerre  de  l'Inde  pleines 
de  mouvement,  enfm  d'un  service  otîert  à  l'acteur  Kean,  d'une  forme  originale, 
mais  d'un  etïet  par  trop  théâtral.  Chez  l'orfèvre  Hancock,  c'est  un  sculpteur  ila- 
lien,  nommé  Monti,  qui  avait  composé  la  plupart  des  ouvrages  qui  attirèrent 
l'attention,  c'est-à-dire  un  vase  Shakespeare,  d'une  belle  allure,  la  coupe  Milton, 
la  coupe  Byron,  les  coupes  de  Burns  et  de  Moore,  d'une  fantaisie  extrêmement 
poétique,  etc.  Enfin,  on  trouvait  à  l'exposition  de  M.  Garrard,  fabricant  de  Londres, 
non  plus  la  note  moderne,  mais  la  réunion  imposante  de  pièces  d'orfèvrerie  d'ar- 
gent, statues,  groupes  équestres,  faits  historiques,  scènes  de  chasse,  allégories 
mythologiques,  donnant  l'idée  de  la  splejideur  métallique  que  les  grandes  fortunes 
de  l'Angleterre  aiment  à  entasser  sur  leurs  dressoirs  et  sur  leurs  tables,  sans 
grand  souci  de  la  délicatesse  du  goût,  mais  avec  une  ostentation  de  richesse  qui 
est  l'expression  des  traditions  nationales.  Le  rapporteur  du  Jury,  Fossin,  en 
comparant  les  travaux  d'orfèvrerie  anglais  et  français  exposés  en  186S2,  ne  niait 
pas  ((ue,  pour  le  goût,  la  forme  et  l'exécution,  nous  gardions  encore  un  certain 
avantage,  mais  (|ue  sous  le  rapport  du  chifl'rc  de  production  nous  étions  in- 
comparablement inférieurs.  Il  rendait  hommage  en  ces  termes  aux  progrès 
<\i'  nos  voisins  :  «  Quels  (ifforts  ne  devons-nous  j)as  faire  pour  ai'river  à  cou- 
sc.vwv  i-v,\U',  supériorité  dont  la  nuance^  est  si  légère,  et  (publie  récompense 
pour  hîs  «'llorts  de  l'Augletcirre  d'avoir  pu,  eu  dix  années  de  travail,  de  persévé- 
rance et  de  sacrilices  bien  entcMidus,  égalei-,  dans  les  travaux  les  plus  précieux  de 


{ij  l.ii  l'a/i/c  lies  sdiii/i'fi  l'iil  H(:(|iiiw(!  piii'  ninisr,i'i|)l  ion  (in.'iOd  IV.  i  p.'ir  l;i  Vilhi  ili'.  Iliriiiin^li;iiii  l'I  donii^i' 
«Ml  IHliltiiii  iil'iMc.i;  lin  (i/illi^a  il  l'(»;(',iini(Hi  ili;  son  rtiiii'iM;.!!^.  Vny.  VOICiirrc  dr  !\l ai  rl  iiidciii! ,  |Mililii'  p;ir  le  liU 
<li' riirlii*lo  l'.io'i,  1  vcil.  iii-'i",  p.  1<>). 


~  57  — 


l'art,  la  nation  qui,  sur  ce  terrain,  se  croyait  jusqu'à  ce  jour  sans  rivale  possible  !  » 

Cette  constatation  des  résultats  incroyables  auxquels  étaient  parvenus  les 
Anglais  en  un  temps  si  court  fut,  pour  la  France,  le  fait  le  plus  saillant  de  l'Expo- 
sition de  1862.  Elle  s'imposait  avec  une  telle  évidence,  qu'il  était  impossible  de 
n'en  être  point  frappé.  Dans  l'Introduction  qu'il  plaça  en  tète  des  Rapports  publiés 
à  cette  occasion,  le  président  de  la  Section  française  des  jurys,  Michel  Chevalier, 
s'étendit  longuement  sur  ce  sujet.  Il  monira  quel  danger  il  y  avait  pour  nos  indus- 
tries à  laisser  grandir  sans  essayer  de  la  combattre  une  concurrence  aussi  mena- 
çante. Mais  comment  y  rép(>ndre?  Tout  simplement,  disait-il,  en  usant  des  moyens 
que  les  Anglais  avaient  employés.  Aussitôt  après  l'Exposition  de  1851,  les  Anglais 
s'étaient  dit  que  la  supériorité  du  goût  français  n'était  qu'une  affaire  d'éducation, 
et  avec  cette  persévérance  qui  leur  est  habituelle,  ils  organisèrent  chez  eux  l'en- 
seignement des  beaux-arts  en  vue  de  l'avancement  de  leur  industrie.  Tout  le 
monde  y  concourut  :  l'Etat,  par  la  branche  d'administration  publique  qui  porte  le 
nom  de  «  Department  of  science  and  art  »  ;  les  localités  directement  intéressées, 
par  des  votes  annuels  de  fonds;  les  associations  spéciales  et  les  particuliers,  par 
de  généreuses  souscriptions.  On  puisa  aussi  largement  dans  le  reliquat  considé- 
rable laissé  par  l'Exposition  de  1851 .  Le  principal  résultat  de  ces  elforts  combinés 
fut  le  Musée-Ecole,  le  Sotilli  Kenshujion  Muséum^  vaste  établissement  où  un  grand 
nombre  de  jeunes  gens  des  deux  sexes  viennent  se  former  dans  les  arts  du  dessin, 
en  même  temps  que  des  cours  bien  faits  et  des  collections  heureusement  dispo- 
sées les  initient  aux  sciences  appliquées.  A  cette  école-type,  on  ajouta  de  nom- 
breuses succursales  dans  les  villes  manufacturières.  C'est  ainsi,  ajoutait  Michel 
Chevalier,  que  les  Anglais,  qui  étaient  jusque-là,  il  faut  le  dire,  plutôt  renommés 
pour  leiuMiiauvais  goût,  ont  pu  faire  les  progrès  (|ui  ont  été  si  remarqués  à  l'Expo- 
sition de  1862,  dans  le  dessin  des  étolîes  et  la  distribution  des  couleurs,  ainsi 
que  dans  la  ciselure,  la  sculpture,  et,  en  général,  dans  les  arts  d'ameublement* 
Donc,  concluait  le  rapporteur,  répandons,  nous  aussi,  dans  notre  pays,  l'ensei- 
gnement des  beaux-arts  parmi  la  population  ouvrière.  «  11  est  indispensable  que 
les  ouvriers  d'une  partie  au  moins  de  nos  manufactures  soient  initiés  aux  arts  de 
la  forme,  du  dessin  et  de  la  couleur,  par  des  cours  appropriés.  C'est  une  néces- 
sité pour  la  France,  parce  qu'une  bonne  partie  de  nos  succès  industriels  tient  à 
la  supériorité  du  goût  français,  et  qu'il  est  de  son  devoir  de  le  cultiver.  Il  est 
donc  essentiel  que  l'enseignement  des  beaux-arts  soit  mis  à  un  niveau  élevé  dans 
celles  de  nos  cités  qui  en  sont  déjà  pourvues,  et  qu'on  l'étende  à  d'autres  villes 
où  les  manufactures  ont  acquis  une  grande  importance  depuis  un  quart  de  siècle, 
et  qui,  néanmoins,  sont  encore  privées  de  cette  éducation  spéciale  (1).  »  Dans 


(1)  Rapports  du  Jurij  inLernational  de  1862,  par  M.  Michel  Chevalier., — 
page  CXI. vin. 


Paris,  Chaix,  1862,  vol.  1", 


lin  autre  rapport,  qui  est  devenu  célèbre,  le  délicat  écrivain  Mérimée  (1)  déve- 
loppa la  même  théorie  avec  une  hauteur  de  vues  et  une  précision  des  plus  fortes. 

tl  est  à  remarquer  que  ces  idées  étaient  celles-là  mêmes  que  le  comte  de 
Laborde  avait  exprimées  au  lendemain  de  l'Exposition  de  1851,  avec  une  vision 
profonde  de  l'avenir.  11  avait  annoncé  ce  qui  allait  arriver.  Poussé  trop  tôt,  son 
cri  d'alarme  ne  fut  point  entendu.  Après  l'Exposition  de  1862,  il  fallut  bien  se 
rendre  à  l'évidence.  Mais  le  gouvernement  ne  comprit  pas  [mieux  alors  la  lâche 
qu'il  aurait  eu  à  accomplir.  On  opéra  quelques  réformes  peu  importantes  dans 
l'enseignement  de  l'Ecole  des  beaux-arts  et  ce  fut  tout.  Quant  à  créer  une  solide 
organisation  pour  l'enseignement  pratique  des  arts  industriels,  on  n'y  songea 
même  pas. 

C'est  ici  que  commence  à  entrer  en  scène  une  association  qui  a  exercé  depuis 
quarante-deux  ans,  pour  le  développement  des  arts  dans  notre  pays,  une  influence 
directrice  considérable,  je  veux  parler  de  l'Union  centrale  des  Beaux-Arts  appli- 
qués à  l'industrie,  dont  l'action,  d'abord  lente  et  incertaine,  ne  tarda  pas  à  se 
faire  sentir  de  la  façon  la  plus  heureuse  et  la  plus  efficace.  Je  ne  veux  pas,  dans 
ces  pages  consacrées  uniquement  à  l'histoire  de  l'orfèvrerie,  me  laisser  entraîner, 
au  gré  de  souvenirs  trop  personnels,  ni  insister  plus  qu'il  ne  conviendrait  sur  la 
propagande  d'une  société  à  laquelle,  dès  ses  débuts  —  quorum  pars  parva  fui!  — 
j'ai  donné  toutes  les  forces  de  mon  ardente  conviction.  Mais  comment,  d'autre 
part,  expliquer  les  progrès  réalisés  chez  nous  dans  l'orfèvrerie  aussi  bien  que 
dans  les  autres  branches  des  industries  d'art,  si  l'on  ne  montre  pas  quels  liens  les 
relient  à  la  création  de  cette  société? 

11  est  utile  de  remarquer  ici  que  les  idées  auxquelles  l'Union  centrale  allait 
rattacher  son  action  avaient  été  émises  par  un  groupe  d'artistes  dont  nous  avons, 
dans  les  pages  précédentes,  rappelé  les  œuvres  et  la  collaboration  utile  qu'ils 
avaient  apportée  aux  orfèvres  de  leui"  temps.  C'étaient  Feuchère  et  Klagmann, 
auxquels  s'étaient  joints  d'autres  artistes  dessinateurs  pour  l'industrie,  Chabal- 
Dussurgey  et  Clerget.  Dans  un  mémoire  adressé  par  eux,  en  novembre  'l8o;2,  au 
prince  Louis-Napoléon,  alors  président  de  la  Répul)lique,  et  dont  l'original  est 
conservé  dans  les  archives  du  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers,  ils  demandaient 
(pie  les  artistes  industriels  fussent  autorisés  à  organiser  des  expositions  péiio- 
diques,  analogues  aux  Salons  où  les  peintres  et  les  sculpteurs  exposaient  leurs 
(ïMivrcs  tous  l(!s  ans.  Ils  insistaieni  en  inênu"  temps  sur  la  fondation  d'un  Musée 
et  d'une  Ecole  centrale  des  Arts  industriels. 

«  L'Exfiosition,  disaien(-ils,  sera  l'arène  où  ceux  qui  imaginent,  créent  et 
»  ajjpliquent  ulih^nnmt,  pourront  se  monti'er  au  grand  joiu'  sous  le  contrôle  de 
»  tous,  de  ceux  qui  achètent  les  (nuvres  comme  de  ceux  qui  les  produisent.  » 


I    />''.y  .  l//////(7(/i(,/(;:  ilr  l'ail  il  I'IikIiisI  rie,  piil'       I'nis|ii'r  Mrrillirr.  dliissi'  \X\,  section  I,  vol.         [l.  201. 


Cette  démarche  ne  fut  pas  sans  effet.  Deux  ans  et  demi  après  l'Elxposition 
universelle  de  J855,  une  galerie  particulière  recevait  les  ouvrages  des  artistes  de 
l'industrie,  formant,  pour  la  première  fois,  un  groupe  distinct  des  productions 
purement  industrielles. 

Si  nous  avons  tenu  à  rappeler  le  passage  du  mémoire  rédigé  par  Klagmannet 
adressé  au  Président  de  la  République,  c'est  qu'il  nous  a  paru  utile,  après  avoir 
parlé  plus  haut  de  la  collaboration  éminente  que  Klagmann  apportait  aux  orfèvres, 
de  dire  aussi  qu'avec  la  haute  conception  qu'il  avait  de  son  art,  il  était  en  même 
temps  animé  de  l'ardeur  généreuse  qu'il  mettait  à  faire  triompher  ses  idées  et  à 
faire  valoir  les  travaux  des  sculpteurs,  ses  émules,  et  des  artistes  de  l'art  décora- 
tif, ses  élèves  et  ses  amis. 

L'Union  centrale,  qu'il  avait  aidé  à  fonder,  lui  avait  donné  une  place  prépon- 
dérante dans  sa  Commission  consultative,  et  l'avait  nommé  conservateur  de  ses 
collections.  Elle  s'en  est  souvenue  en  1868,  au  moment  de  sa  mort,  et  avait 
ouvert  une  souscription  pour  lui  élever  un  monument  au  Père-Lachaise,  et  confié 
au  sculpteur  Aimé  Millet  le  soin  de  reproduire  ses  traits  dans  le  médaillon  en 
haut  relief  qui  décore  son  tombeau. 

C'est  de  cette  initiative  qu'est  née  l'Union  centrale  des  Beaux-Arts  appliqués  à 
l'industrie,  fondée  en  mars  1864,  en  dehors  de  tout  appui  officiel,  par  un  groupe 
d'artistes  et  d'industriels  qui,  ayant  foi  dans  l'initiative  privée,  avaient  mis  leur 
fortune  et  leur  énergie  au  service  d'une  idée  généreuse.  Elle  avait,  avant  sa  cons- 
titution définitive,  fait  une  exposition  l'année  précédente,  où  sans  bruit,  sans 
solennité,  elle  avait  essayé,  dans  le  Palais  de  l'Industrie,  l'application  de  ses  doc- 
trines. Ces  doctrines,  elles  étaient  toutes  puisées  dans  le  rapport  du  comte  de 
Laborde,  dont  j'ai  déjà  si  souvent  parlé,  et  aboulissaient  à  une  refonte  générale 
de  l'enseignement  des  arts  industriels,  airjsi  qu'à  la  formation  d'un  Musée  sem- 
blable au  «  South  Kensington  Muséum  »  de  Londres.  L'accueil  qui  fut  fait  à  cette 
idée  nouvelle,  l'empressement  que  mirent  les  meilleurs  et  les  plus  intelligents  des 
fabricants  et  des  artistes  parisiens  à  aider  à  sa  naissance,  encouragèrent  les 
débuts  de  l'Union,  et  c'est  avec  un  capital  modeste,  mais  avec  une  foi  et  une 
confiance  surprenantes,  que  la  Société  fit  ses  premières  manifestations.  Elle  ne 
réclamait  de  l'Etat  aucune  sulivention,  et,  fière,  comme  prétendait  l'être  un 
grand  pays  voisin,  de  ne  devoir  tout  qu'à  sa  propre  valeur,  elle  proclamait  aussi 
son  «  fara  da  se  »  ne  procédant  que  de  l'initiative  individuelle  :  elle  prenait  pour 
devise  :  «  Le  Beau  dans  l'Utile  »,  et  choisissait  pour  emblème  un  rameau  de  chêne 
avec  ces  mots  :  «  Tenues  grandia  ». 

En  1865,  l'Union  donna  le  premier  modèle  des  expositions  rétrospectives  en 
France,  et  elle  y  réussit  à  tel  point  que,"  deux  ans  après,  M.  Le  Play  calquait  son 
programme,  et  que  la  fameuse  galerie  de  l'Histoire  du  Travail,  en  1867,  formée 
des  merveilles  anciennes  de  tous  les  pays,  ne  dépassait  pas  en  richesses  ce  que 


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nous  étions  parvonus  h  rassembler  au  Palais  des  Champs-Elysées.  Les  objets  d'or- 
fèvrerie moderne  qui  s'y  trouvaient,  mettaient  en  relief,  outre  les  fabricants,  leurs 
collaborateurs  généralement  inconnus  du  public.  Je  n'entrerai  pas  dans  plus  de 
détails  ([ui  m'exposeraient  <à  des  redites,  et  je  renverrai  les  lecteurs  qui  vou- 
draient connaître  les  travaux  exposés  alors  par  Emile  Froment-Meurice,  les  frères 
Fannière  ou  Emile  Philippe,  au  livre  :  Le  Beau  dans  l'Ud/r,  publié  h  celte  occa- 
sion (i). 

Les  idées  de  l'Union  ont  fait  leur  chemin;  elles  se  sont  introduites  dans 
les  écoles  de  dessin  avec  la  haute  approbation  du  Ministre  de  l'Instruction  pu- 
blique, dans  les  ateliers  et  dans  les  galeries  d'art  et  de  curiosités  avec  l'aide  et  le 
concours  de  tout  ce  que  les  lettres,  les  arts  et  l'industrie  comptent  d'esprits  géné- 
reux. Sous  l'impulsion  de  Guichard,  son  premier  président,  puis  d'Edouard  André, 
qui  lui  succéda,  elle  donna  à  sa  propagande  les  formes  les  plus  intelligentes, 
ajoutant  à  ses  expositions  l'organisation  de  conférences  dont  quelques-unes,  telles 
que  celles  d'Eugène  Guillaume,  notre  grand  statuaire,  sur  la  Réforme  de  l'ensei- 
gnement du  dessin,  eurent  alors  un  grand  retentissement.  Il  ne  faut  pas  oublier 
de  citer  parmi  ces  pionniers  infatigables  et  dont  le  concours  fut  infiniment  pré- 
cieux, M.  Louvrier  de  Lajolais,  l'ami  de  tous  les  travailleurs  et  de  tous  les  artistes, 
de  qui  l'ardeur  anima  l'Union  comme  le  fait  dans  une  horloge  le  ressort  qui  met 
tout  en  mouvement. 

L'Exposition  universelle  de  1867  fut  pour  le  régime  impérial  le  décor  de  féerie 
après  lequel  la  toile  tombe,  l'apothéose  qui  précède  les  sombres  cataclysmes. 
Ses  vastes  proportions  dans  la  plaine  du  Champ-de-Mars,  son  éclat  magnifique, 
l'empressement  des  nations  à  répondre  à  l'appel  de  la  France,  la  joie  de  tout  un 
peuple  en  cette  année  de  triomphe,  font  de  cette  manifestation  une  date  glorieuse 
dont  le  souvenir,  en  dépit  des  revers  qui  devaient  suivre,  évo(pie  encore  les  vic- 
toires du  génie  français.  L'orfèvrerie  y  parut  extrêmement  brillante  et  abondante, 
avec  des  recherches  d'applications  nouvelles,  une  exécution  prescpie  ti'op  poussée 
dans  1(>  rendu  des  ornements  et  de  la  statuaire.  La  part  faite  par  les  fabricants 
aux  s(Milpteurs  restait  aussi  grande  que  jamais,  avec  le  souci  visible  de  l'efCet  un 
peu  tlK'àtral.  Que  de  dieux  et  de  déesses,  de  nymphes  et  de  satyres!  Mais  cette 
(collaboration  ajoutait  un  intérêt  plastique  aux  grandes  pièces  d'argenterie  si  elle 
leui-  eni(ïviiit  plus  (pTil  n'aurait  fallu  leur  caractère  d'objets  d'usage  prali(|ue. 
SoiiiiiK'  toute,  on  pouvait  l'aire  à  celt(>  industrie  les  mêmes  crilifpies  générales  que 
(iuicliard,  |)résident  «le  l'Union  cenlrah^  chargé  d'un  rap|)ort  sur  les  Arts  in- 
duslri(;ls,  adr(^ssait  à  r(Miseml)l('  des  prodiiclions  décoratives,  et  (pi'il  résinnait 
dans  les  cinq  propositions  suivantes  :  h^s  ouvrages  exposés  décèlent,  sauf  (pu'l- 


'  I  1  /.'■  Ilr/iii  iliiiix  l'IUili'  :  liisidirc  siMiiiiiall'i'  ilc  riliiiciii  cciil nilc,  suivie  îles  i'a|i|iiii'l.s  du  .liii'V  de  ri'A"|H)- 
iliMij  ilr  l,S(;;i  i^-r.  iii  S",  l'arin,  IHiUli. 


—  01  — 


ques  exceptions  :  l."  une  liabileté  de  main  poussée  à  l'extrême;  2"  des  industries 
d'art  puisant  tout  aux  sources  anciennes  avec  peu  de  discernement  et  vivant  sur 
le  capital  laissé  par  nos  pères,  sans  y  ajouter  rien  ou  à  peu  près;  3° l'absence 
d'invention  ou  de  style  propre;  4°  des  œuvres  conçues  en  général  en  dehors  des 
convenances  de  leur  destination  et  des  lois  harmoniques  des  ensembles;  5"  l'art 
trop  souvent  négligé  non  par  l'artiste,  mais  par  la  mode  aveugle,  par  les  goûts 
despotiques  d'une  clientèle  souvent  ignorante,  par  la  nécessité  de  vendre,  ce  qui, 
aux  défauts  déjà  signalés,  ajoute  encore  la  banalité  prétentieuse,  et  le  luxe  de 


Joseph  Fanniùrc.  Auguste  Fanuièrc. 

1820- 1897.  1818-iijoo. 


mauvais  aloi,  Ces  observations  étaient  justes.  Ilélas!  la  plupart  ne  le  seraient- 
elles  pas  encore  pour  les  œuvres  d'à  présent? 

Le  rapport  sur  l'orfèvrerie  fut  confié  à  M.  Paul  Christofle,  fils  de  Charles  Chris- 
tofle,  mort  en  1863,  et  qui  partageait  avec  le  neveu  du  fondateur  de  la  maison  le 
poids  énorme  de  cette  succession.  Ce  document,  net  et  concis,  analyse  avec  clarté 
les  productions  des  exposants  classés  par  ordre  de  mérite.  Pour  la  France,  il  men- 
tionne en  première  ligne  les  frères  Fannière,  qui  seuls  aujourd'hui  sont  à  la  fois 
dessinateurs,  sculpteurs,  ciseleurs  et  orfèvres. 

Les  deux  frères  Fannière,  comme  leur  oncle  Fauconnier,  étaient  nés  à  Longwy, 
en  Lorraine. 

Auguste  Fannière,  l'ainé,  né  en  1818  et  mort  en  1900,  était  sculpteur. 
Joseph  Fannière,  né  en  1820,  mort  en  1897,  était  ciseleur. 
Tous  deux,  élevés  par  leur  oncle,  l'orfèvre  de  la  Restauration,  Fauconnier,  ils 
avaient  reçu  de  lui  les  traditions  d'un  travailleur  loyal,  appliqué,  follement  amou- 


—  62  — 


reux  de  son  art.  Sacrifiant  tout  à  l'honneur  de  remplir  leur  tâche,  ils  n'auraient 
jamais  laissé  sortir  de  leurs  mains  une  œuvre  dont  ils  n'auraient  pas  été  complè- 
tement satisfaits. 

Les  Fannière  composaient  et  modelaient  leurs  œuvres.  Le  travail  était  presque 
toujours  exécuté  par  eux-mêmes.  Ils  n'avaient  d'autres  collaborateurs  que  les 
ouvriers  nécessaires  pour  compléter  ou  monter  leurs  ouvrages. 

Comme  orfèvres,  ils  étaient  des  artistes  complets;  ils  n'avaient  pas  de  rivaux. 
Toute  leur  œuvre  est  d'une  beauté  large  et  souple,  d'une  parfaite  exécution,  d'une 
grâce  d'invention  toujours  saine,  toujours  appropriée  au  but  qu'ils  se  proposaient 

d'atteindre.  Leur  œuvre  appartient 
à  l'époque  du  second  Empire  à  la- 
quelle ils  ont  donné  une  empreinte 
ineffaçable,  procédant  plutôt  de  l'é- 
cole de  noblesse,  de  grâce  et  d'élé- 
gance qu'on  trouve  dans  Pradier. 
Il  semble  que,  tout  en  étant  eux- 
mêmes  de  leur  propre  temps,  ils 
sont  reliés  à  la  chaîne  des  maîtres 
glorieux  qui  illustrèrent  le  seizième 
siècle. 

A  la  mort  de  Fauconnier,  n'ayant 
pu  trouver  dans  sa  maison,  qu'il 
avait  été  obligé  de  liquider,  la  pos- 
sibilité de  continuer  son  œuvre,  ils 
ouvrirent  un  petit  atelier  de  ciseleur 
qui  fut  bientôt  célèbre  et  eut  pour 
clientèle  tous  les  orfèvres  de  l'é- 
^poque.  Lebrun,  Duvau,  Duponchel,  Odiot,  Froment-Meurice,  Christofle,  ne  le 
laissaient  pas  chômer  de  travail.  C'est  h  l'Exposition  de  1862  qu'ils  paraissent 
pour  la  première  fois  avec  quelques  objets  dans  le  style  Renaissance  qu'ils  affec- 
tionnaient. L'Exposition  de  1867  les  mettait  tout  à  fait  en  lumière.  A  côté  du 
bouclier  du  duc  de  Luynes,  ils  présentaient  un  autre  bouclier  en  argent  repoussé, 
représentant  le  héros  de  Roland,  pièce  qui  avait  été  modelée  par  Auguste,  et  ciselée 
par  .l()S(q)h;  un  s(M'vice  de  table  en  argent  pour  le  prince  de  Ilohenlohe,  dont  nous 
îivons  r('tr()uv(''  dans  la  vitrine  du  Musée  centennal  les  pièces  principales. 

I/étagère  surmontée  d'une  gracieuse  figure  '<  A  l'écharpe  volante  »,  sur  la 
])ase  deux  figm-es  accostées,  un  faune  et  une  bacchante  délicieusenu^nt  ciselés;  la 
saucière,  très  élégante  de  forme,  avec  un  triton  qui  formait  l'anse;  une  salière 
(Idiililc,  "  la  Naissance  de  V('iuis  »,  et  (Milin,  un  seau  à  ralVaicliir  dont  la  panse 
('•(ail  (|(''C()r('e  d'une  l'risc  en  rep(tnss(''  repi-('sen(ant  un  «  Trionqtlie  de  llacchus». 


Candélaljres.  —  UEuvre  des  Fnnnière. 
(Musée  centennal.) 


\ 


63 


Service  exécuté  poiu-  le  Prince  de  llulienlulie. 
Candélabres.  —  Etagère.  —  Sucriers.  —  Seau  à  ral'raichir. 

{Œuvre  des  Fannière.) 


—  63  — 


Toute  cette  mythologie,  d'une  composition  élégante,  était  exécutée  avec  une 
rare  perfection,  peut-être  même  trop  précieuse  pour  des  pièces  destinées  à 
l'usage  de  la  table,  mais  on  ne  pouvait 
en  vouloir  au  Mécène  qui  les  avait  com- 
mandées pour  parer  ses  vitrines  et  dé- 
corer sa  table  les  jours  où  il  y  rece- 
vait les  amateurs  de  belle  orfèvrerie. 
S'adresser  à  Fannière,  c'était  exiger  la 
perfection  de  la  main-d'œuvre. 

Le  repoussé  était  leur  travail  fa- 
vori. La  «  Léda  »  qu'ils  exposaient  en 
18G2  avait  été  modelée  par  Auguste, 
et  Joseph  l'avait  exécutée  au  repoussé 
d'une  façon  délicieuse.  Un  pot  à  bière, 
en  forme  de  tonnelet  sur  lequel  s'en- 
roule le  houblon  d'une  manière  char- 
mante, était  exécuté  de  même  façon. 
Un  lézard  et  un  écureuil,  spirituellement  modelés,  complétaient  le  décor. 

A  la  fin  de  l'Empire,  c'est  à  lui  que  s'adressait  l'impéralrice  Eugénie  pour 
faire  exécuter  la  trirème  (|u'elle  voulait  offrir  à  M.  de  Lesseps  à  l'occasion  de 
l'inauguration  du  canal  de  Suez. 

Nous  verrons  dans  le  chapitre  suivant  les  œuvres  qu'ils  ont  exécutées  pour  un 


Saucière  du  service  du  Princ2  de  llohcnlolic. 
{OEiivre  des  Fnnnière.) 


Salière  "  La  naissance  de  ^'cnus.  »  —  Service 
du  Prince  de  Ilohenlohe. 
[OEnvre  des  Fannière.) 


Salière  du  service  du  Prince  de  Ilolicnlolie. 
(UEiivre  des  Fannière.) 


amateur  éclairé,  M.  Teyssier,  qui  voulait  que  son  service  fût  exécuté  par  les 
frères  Fannière. 

Le  duc  de  Luynes,  à  une  époque  où  leur  atelier  chômait  d'ouvrage,  leur  avait 


—  OG  — 


commande  un  bouclier  en  fer  repoussé,  «  la  Cliulc  des  Anges  »  ;  ils  y  Iravaillcrcnt 
toute  leur  vie.  Ce  bouclier  était  toujours  sur  l'établi,  et,  quand  on  entrait  dans 
leur  atelier,  on  le  voyait  fixé  par  le  ciment  sur  le  boulet  de  travail.  Mais,  débordés 
par  les  commandes,  ils  le  laissèrent  inachevé. 

Il  est  aujourd'hui  au  Musée  des  Arts  décoratifs,  et,  si  l'on  regrette  de  le  voir 
dans  cet  état  inachevé,  il  est  tellement  bien  mis  en  place  et  fait  tant  d'effet  qu'on 
le  trouve  encore  digne  de  figurer  dans  un  musée. 

Les  neveux  de  Fauconnier  avaient  gardé  aux  doigls  cette  vertu  des  fées  qui 
ennoblit  l'argent  et  lui  donne  la  valeur  de  l'or.  Si  leur  ciselure  court  sur  la  panse 
d'une  cafetière,  ils  y  laissent  un  charme  délicat  comme  l'épiderme  d'un  fruit  et 


(Iroupc  II  La  Li'da  »,eii  argeiil  repoussé. 
{OEiivve  des  Fnnnière.) 

adoucissent  le  métal  sous  une  caresse;  ce  <|u'ils  cherchent  avant  tout,  c'est  la 
perfection;  leur  oncle  leur  a  laissé  son  talent,  mais  il  ignorait  l'art  de  faire 
fortune;  il  s'est  borné  à  leur  apprendre  l'amour  absolu  du  Hcau  (1). 

D'autres  pièces  d'une  exécution  hors  ligne  étaient  également  ])résentées  par 
ces  émincnts  artistes  :  un  vase  en  argent  repoussé,  (h'  leur  style  coutumicM-,  rpii 
avait  (Mé  connuandc' par  l'I^^niperem' pour  le  (Irand-Prix  de  Paris,  en  18(57.  Sur  la 
piinsi-,  une  Kenonnnée  dislribuanl  des  couronnes,  et ,  pour  remplacer  les  anses, 
des  clnivanx  nuiitrisés  par  des  géni(is,  dont  le  poitrail  faisait  corps  avec  la  forme 
du  vase.  On  wc.  pouvait  trouver  im  plus  bel  enscMnble. 

b;i  uKiison  Odiol,  s'(''tiiil,  signah'e  par  le  nombre  de  ses  envois  d'une  grande 
riclicssc  cl  d  inic  e\('CMl  ion  extrènienient  soign(''e.  I*'ille  montrait  notannnent  :  un 


1j  Kin  ini  l'iliiili'  sur  li'^^  IrriT.-*  |i'aiiiiii''i'r,  l  ilr  liSS'.l. 


—  67  — 


service  de  table,  aveC/  grand  surtout  sculpté  par  Gilbert,  dont  le  décor  sym- 
bolisait le  travail  à  la  forge,  et  f[ni  appartenait  au  grand  industriel  M.  Pétin;  un 
prix  de  course  commandé  par  le  Jockey-Club,  c'était  une  élégante  figure  de  la 
Renommée  posée  sur  un  socle  dont  le  cartouche  était  accosté  par  deux  têtes 
de  chevaux  reliés  par  une  guirlande;  une  importante  pièce  de  milieu,  exécutée 
pour  le  comte  de  Chévigné,  dans  le  style  qui  marque  la  transition  de  Louis  XV  à 
Louis  XVI  ;  un  surtout  ap- 
partenant au  duc  de  Gal- 
liéra,  et  une  foule  d'autres 
ustensiles  de  vaisselle  de 
table.  Le  rapporteur  du 
Jury  citait  encore  Dupon- 
chel,  pour  un  surtout  de 
table  sculpté  par  Gilbert, 
une  jardinière  Louis  XVI, 
et  un  joli  réchaud  de 
même  style  composé  par 
Klagmann  et  ciselé  par 
Honoré  ;  une  coupe  en 
jade  oriental,  plusieurs 
services  à  thé,  etc.  ;  puis 
Uudolplii  pour  ses  objets 
d'art,  prix  de  courses, 
buires,  boucliers,  vases 
ornés  de  lapis  et  de 
pierres  diverses,  d'un 
genre  un  peu  démodé.  11 
donnait  les  plus  grands 
éloges  aux  orfèvreries  re- 
ligieuses de  M.  Poùs- 
sielgue-Rusand,  dont  le 
maître  autel  de  la  cathédrale  de  Quimper,  d  après  les  dessins  de  rarchitecte 
Boeswilwald,  les  pièces  du  mobilier  de  Notre-Dame  de  Paris  exécutées  sous  la 
direction  de  VioUet-le-Duc,  défiaient  la  critique,  et  il  signalait  encore  les  envois 
de  Bachelet,  de  TriouUier,  et  surtout  d'Armand-Calliat,  de  Lyon,  qui,  pour  la 
fabrication  des  ornements  et  mobiliers  du  culte,  se  révélait  en  maître  par  des 
qualités  d'originalité  absolument  personnelles. 

De  l'exposition  de  Christofte,  pas  un  mot;  le  rapporteur  avait  pensé  que  son 
rôle  officiel  lui  imposait  une  réserve  totale.  Cependant  elle  offrait  un  intérêt  trop 
grand,  non  seulement  à  cause  des  pièces  d'argenterie  de  grand  luxe  en  métal 


Pot  à  bière. 

[OEuvre  des  Fnnnière.) 


—  GS  — 


argenté  qu'elle  comprenait,  mais  surtout  par  la  nouveauté  des  procédés  divers 
qui,  pour  la  première  fois,  s'y  montraient  applitiués  à  rorncmentation  de  l'orfè- 
vrerie, pour  que  nous  croyions  de  notre  devoir  d'historien  de  ne  pas  la  laisser 


Uduclii'i'  "  I.a  cliuU'  (li's  Allées  ».  —  Olùirrc  des  F.in  m'en', 
{('.otliu  lioii  'lu  Miist'C  lies  .l/7s  ihu oriilifs.) 


dans  l'ondirc,  (lonnnc  ouvraj^cs  d'art,  c'claicnt  les  l*ri\  de  courses  :  la  Victoire, 
prix  du  .locKcy-Clul),  gagni'c  par  au  c(Hnl('  de  Lagrange,  représentait 

niir  Vii  loirc,  niudch'c  par  Maillet,  sous  les  (rails  d'une  jeune  lillc  (pii,  lialelaute 


—  69  - 


encore  do  la  course  qu'elle  vient  de  faire,  élève  au-dessus  de  sa  Lête  la  palme 
qu'elle  a  remportée;  1' «  Education  d'Achille»,  vase  à  panse  plate  modelé  par 
Mathurin  iMoreau,  avec  un  bas-relief  représentant  le  Centaure  Chiron  exerçant  le 
jeune  Achille  à  la  course.  C'était  un  testimonial  :  la  «  Navigation  »,  par  Carrier- 
Belieuse,  offert  par  le  gouvernement  français  à  Laskins  Esq.  du  Board  of  Trade, 


Vase  cxéci-.t  •  pour  le  (îrand  Prix  de  Paris  en  18,  7,  olTcrt  par  rEnipcreur  Xapolcon  I!I. 

(OEnvre  cli's  Fannidre.) 


en  souvenir  des  services  rendus  de  concert  avec  M.  Sallandrouze  de  Lamornaix. 
Deux  salières,  les  «  Ondines  »,  une  des  dernières  œuvres  de  Klagmann  ;  un  service 
à  café  de  style  Louis  XVI  modelé  par  J.  Chéret,  ciselé  au  repoussé  par  Michaut. 
Nous  donnons  la  reproduction  de  ces  deux  œuvres  imporlantes,  dont  l'une  d'elles 
appartient  au  Musée  des  Arts  décoratifs.  Enfin,  un  guéridon  de  style  pompéien 

4- 


—  70  — 


avec  service  à  the  en  argent  repoussé,  composé  par  Uossi-neiix.  !.(;  i)lal('au  du 
guéridon  était  décoré  d'une  incrustation  d"or  et  d'argent  sur  fond  de  cuivre  patiné 


Surloul  o\i''('ul(''  pniir  M.  l'iMiri. 
{(Irfih'i'fii'f  il'OilidI.) 


rouge  hriiiiic.  ('/('lait  lui  sp(''cini('n  Irès  n'ussi  d'ini  nouveau  procédé  de  danias- 
(juinc  par  voie  galvanlipu'  <pM-  MM-  (liirisldllc  venaicid,  d'invenler.  Mais  la  |)ièce  la 
plus  iiiipi.rlanlc  ('tail  inic  lalilc  de  toilcilc  à  coilTcr  avec  tous  ses  accessoires  en 
ar;M:nl  rcpoiissi' de  >|_vic  Louis  \VI,  ('Xt'riih'S  avec  Idiilc  la  |tr('ciosilé'  des  (ruvres 


71 


La  Renommée. 
Prix  de  course  du  Jockey-Club  gagné  par  Nélusko. 

(Orfèvrerie  de  Cli.  OdioL.) 


—  73  — 


de  l'époque  et  ciselés  par  Gouthière  :  coupes  à  bijoux,  flacons,  boîtes  à  poudre  et  à 
pommade,  aiguière  et  cuvette.  La  table,  dont  le  dessus  était  en  jaspe  encadré  par 
une  frise  en  lapis  incrusté  d'or, 
était  soutenue  par  des  cariatides 
en  bronze  doré  modelées  par 
Carrier-Belleuse  ;  le  cadre  de 
glace  était  accompagné  de  deux 
figures  modelées  par  Gumery  et 
représentant  l'Art  et  la  Nature. 
Cette  table,  qui  appartient  au- 
jourd'hui à  M'""  Isaac  Péreire, 
figurait  au  Musée  ccntennal  du 
Mobilier. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que 
Klagmauji  était,  avec  Clei'get  et 
Cliabal-Duàsurgey,  le  rédacteur 
d'un  mémoire  adressé  en  1852 
au  prince  Louis-Napoléon  pour 
la  création  d'une  Ecole  et  d'un 
Musée  des  Arts  décoratifs  et  l'un 
des  fondateurs  de  la  Société  de 
l'Union  centrale  des  beaux-arts 
appliqués  à  l'industrie,  mais  nous 
avions  laissé  dans  l'ombre  sa  car- 
rière d'artiste  industriel,  et  la 
part  importante  qu'il  avait  prise 
à  cette  époque  dans  le  mouve- 
ment de  l'art  décoratif. 

Klagmann,  né  en  1810,  appar- 
tenait à  une  modeste  famille  d'ar- 
tisans; il  était  de  ceux  pour  qui 
le  travail  quotidien  est  la  pre- 
mière loi  de  la  vie.  Entré  à  l'Ecole 
des  Beaux-Arts  à  dix-huit  ans,  il 
suivit  les  leçons  d'un  maître  or- 
thodoxe, Ramey  fds.  De  bonne 
heure,  il  connut  Jean  Feuchère, 
qui,  compromis  au  service  des  idées  nouvelles,  exerça  sur  son  jeune  esprit  une 
influence  salutaire.  Klagmann  réussit  peu  à  l'école,  et,  comme  il  fallait  vivre,  il 
fut  obligé  d'accepter  de  menus  travaux  qui  n'avaient  avec  l'art  que  des  rapports 


(".andùlabre  e.NCJiilo  pcnir  M.  Pctiii. 
(nc/ec/vr/e  d'Odiol.) 


—  7i  — 


loiiilaiiis.  Engage  dans  Técolc  i'Oiiiaiili(iii(!,  il  exp()sail  au  Salon.  S(mi  nom  se 
trouve  rareineuL  dans  les  eoiupLes  rcudus  des  expositions,  et  e'est  la  sculpture 
décorative  qu'il  a  le  mieux  i(''ussie.  Il  es(  l'auteur  de  la  fontaine  de  la  piaee 
Louvois,  dont  Visconli  avait  donné  le  dessin;  (ies  boiseries  sculptées  de  la  salle 
des  séances  du  Sénat;  des  grandes  figures  de  la  façade  de  raneien  Théâtre  His- 
torique, et  de  l'ornementation  du  théâtre  d'Avignon. 

Mais  c'est  surtout  les  travaux  d'ai't  industriel  qui  ont  rempli  sa  vi(î.  Dés  sa 
jeunesse,  Klagmann  avait  mis  son  talent  au  service  des  industries  de  luxe,  et, 
jusqu'à  son  dernier  jour,  son  concours  est  demeuré  fidèle  à  ceux  qui  mettent  en 
œuvre  le  bronze,  le  fer  et  les  métaux  précieux.  11  est  peu  d'ateliers  qui  n'aient 
profité  de  ses  inspirations  ;  depuis  la  fontaine  monumentale  jusqu'à  la  pendule  de 


.lardiiiici'c  Louis  X\'L 
[Orfèvrerie  de  I)ii];oniliel .) 


salon,  Klagmann  a  tout  essayé;  il  a  eu  pour  la  décoration  des  jardins  comme 
pour  les  meubles  du  foyer  d'inépuisables  inventions.  Il  a  travaillé  pour  Sèvres, 
et,  lorsque  la  faïence  revint  à  la  mode,  il  a  fourni  des  modèles  aux  céramistes. 

L'orfèvrerie  a  particulièrement  intéressé  Klagmann  ;  il  eut  sa  part  dans  les 
travaux  du  fameux  surtout  exécuté  sur  les  dessins  d'Aimé  Chenavard  pour  le  duc 
d'Orléans.  C'est  lui  qui,  en  1842,  donna  le  modèle  de  l'épée  offerte  au  comte  de 
Paris  et  tlu  surtout  de  M.  Isaac  Pércire,  exposés  en  '1862. 

Dans  ies  dernières  années  de  sa  vie,  il  travaillait  pour  Christolle,  (pii  exposait 
en  1807  la  salière,  le  ('offi-ct  et  le  suci'icr  que  nous  avons  reproduits.  Au  moment 
où  cett(!  exposilion  se  pri'-parait,  il  avait,  à  la  demande  de  MM.  Christofle,  com- 
posé' un  siu'lout  d(!  table  et  en  avait  fait  tons  les  dessins;  mais  sa  mort  l'empêcha 
de  rex('M'ui(!r.  (^es  dessins,  signés  de  lui,  n'auraient  probablenient  pas  vu  le  jour 
s'il  m;  s'(';tait  trouvé  un(!  occasion  les  li'aduire  en  relief  d'une  manière  digne  de 
lui.  MM.  (vhi'istode  ('onlièrent  la  scidptnre  à  l'im  de  ses  élèves,  M.  Eudes,  et  son 
;inii  l)i(''l,erle,  artiste  d'un  goût  sûr  et  lin,  voidul  bien  suivre  l'exécution  dc  ce  grand 
travail.  L'ensemble  ('lait  conçu  dans  le  gofd,  du  sei/iènu!  siècle,  mais  avec  cet 
îici'.eiit  nimlerne  (|im!  Klagmann  a|ip;)rtait  à  toutc!S  ses  (euvres.  La  pièce  principale 


était  Line  jardinière  avec  deux  figures 
extrémités.  Aux  parois  de  la  corbeille 
court  une  frise  au  centre  de  laquelle 
un  petit  Bacchus  est  porté  en  triomphe 
par  deux  enfants.  Des  figurines  aux 
mines  réjouies  portent  dans  leurs 
bras  des  victuailles  appétissantes,  des 
fruits  et  des  flacons  pleins  de  pro- 
messes. Elles  forment  une  sorte  de 
Panathénée  moins  solennelle  que  celle 
de  la  frise  du  temple  immortel,  mais 
spirituelle  et  tout  à  fait  décorative  et 
charmante. 

Les  compotiers,  dont  nous  don- 
nons le  dessin  original  de  Klagmann, 
sont  décorés  de  panthères  qui  se 
dressent  et  s'allongent  avec  des  mou- 
vements pleins  d'une  grâce  féline, 
comme  pour  atteindre  les  fruits  qu'ils 
contiennent. 

Les  candélabres  sont  formés  par 
une  colonne  enguirlandée  qui  sup- 
porte les  lumières  et  repose  sur  une 
base  égayée  par  une  ronde  d'enfants 
la  main  dans  la  main.  Telle  est  la  der- 
nière œuvre  à  laquelle  Klagmann  a 
attaché  son  nom.  Ce  surtout,  exécuté 
par  Mi\l.  Christofie,  est  aujourd'hui  la 
propriété  d'un  riche  banquier  de  Co- 
logne, et  n'a  jamais  été  reproduit. 
Klagmann  aimait  ces  travaux  d'orfè- 
vrerie; il  s'intéressait  à  toutes  les 
transformations  du  métal;  il  en  par- 
lait en  artiste  qui  sait  les  lois  des 
formes,  et  en  ouvrier  qui  connaît  le 
maniement  des  outils.  11  a  été  un  des 
premiers  à  qui  cette  pensée  est  venue 
de  réconcilier  l'art  et  l'industrie;  il 
a  prêché  tant  par  la  parole  que  par 
l'exemple. 


ailées  :  la  Fécondité  et  l'Abondance  aux 


«  La  A'ictoirc  ». 
Prix  de  course  du  Jockey-Club,  j;agné  par  GUidialenr. 
Sculpture  de  Maillet.  {Orfèvrerie  de  Chrislojle.) 


MM.  Clii-islone  avaient  r'igale- 
mcnt  exposé  deux  salières  en  argent 
«  Les  Otidines  »  d'une  cornposilion 
élégante,  un  eoffret  "  l'enlèvement 
(le  Déjanire  »,  et  un  sucrier  de  table 
en  argent.  Ces  pièces  étaient  aussi 
les  œuvres  de  Klagmann. 

L'Empereur  avait  aussi  com- 
mandé un  service  de  table  de  ver- 
meil et  un  surtout  de  bronze  doré 
qui  figurait  à  l'Exposilion.  Le  ser- 
vice de  table,  qui  était  resté  aux 
Tuileries,  comprenait  les  assiettes, 
plats,  casseroles,  etc.,  en  argent 
doré,  et  ne  pesait  pas  moins  de 
780  kilos. 

La  liste  civile  n'en  paya  qnc  la 
façon.  Le  Mobilier  de  la  Couronne 
possédait  dans  ses  magasins  des 
pièces  d'argenterie  datant  du  pre- 
mier Empire,  des  torchères  de  2'",o0 
de  hauteur,  de  grandes  corbeilles 
supportées  par  des  cariatides,  dont 
le  travail .  précieux  aurait  dû  les 
préserver  de  la  destruction.  Mais 
c'étaient  des  pièces  un  peu  dé- 
modées qui,  depuis  longtemps, 
étaient  restées  sans  usage.  On  les 
remit  à  l'orfèvre  qui  les  fit  fondre 
dans  son  alelier,  en  présence  d'une 
commission  spéciale.  Le  procès - 
verbal  de  l'opéi'alion,  par  un  eu- 
phémisme administratif  destiné  à 
dissimuler  l'acte  de  vandalisme 
(|u'on  allail  connnetli'e,  était  inli- 
tulé  :  T/'d/is/omiation  de  vieux  tiia- 
tériel...  (i'était  la  destruclion 
d'oeuvres  de  lîiennais  qui  n'étaient 
pas  sans  nu'rite,  que  ('hrislolle  al- 
lail transformer'  en  un  service  de 


Table  à  thé. 

{Modèle  de  Hossiffneu.i.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


Table  de  toiletle  à  eoiller  de  s(,\'le  Louis  X^'l. 
Composiliou  de  E.  Heiber.  —  Sculpture  de  Carrier-Belleuse  et  Gumei-v. 

[Ôrf'éi'rerip  (le  Chrixtolle.) 


Pot  à  eau  et  cuvette  de  style  Louis  XM. 

{Coinposilioii  d'Emile  Reiher.  —  Sciilpliire  de  Currier-Belleuse. 
[Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


—  83  — 


Yermeil,  assiettes  de  table  (il  y  en  avait  500),  plats,  casseroles,  soupières,  etc..., 
pour  les  grands  jours  de  réception.  Dix  ans  plus  tard,  le  Gouvernement  de  la 
Défense  nationale  les  envoyait  fondre  à  la  Monnaie. 


("ilace  à  main  et  flacons  de  toilclte  de  style  Louis  X^'I. 
{Orl'èvrevie  de  Cliristofle.) 

Le  surtout  était  en  bronze  doré  et  avait  été  composé  spécialement  pour 
rappeler  le  style  qui  avait  précédé  le  premier  Empire  et  qui  avait  les  prédi- 
lections de  l'Impératrice;  il  comprenait  sept  jardinières  et  vingt-deux  candélabres. 
La  pièce  du  milieu  était  formée  par  une  nef  à  deux  proues  sur  lesquelles  s'ap- 
puyaient quatre  figures,  emblèmes  du  Commerce  maritiuie,  reliées  à  l'Aigle  impé- 


$ 


—  Si 

l'ial  par  des  guirlandes  de  chêne.  Les  anlrcs  jardinières  étaient  ornées  de  groupes 
d'enfanis  symbolisant  les  quatre  éléments,  la  Terre  el  TKaii,  FAir  et  le  Feu.  La 
sculpture  avait  été  faite  par  Maillet,  Malliui-in  Moreau  et  Aimé  Millet;  les  orne- 
ments modelés  par  Auguste  Madroux. 

Nous  laissons  de  côté  les  pièces  d'usage,  service  à  tin',  |)laleau,  couverts  de 
table  des  modèles  les  plus  variés  et  les  mieux  étudiés,  qui-  représentaient  sa 
fabrication  courante. 


Cou|)e  à  l)ijou\  c(  hoi(es  à  pdiulre  et  à  poniniaile  do  slvlc  Louis  X\'I. 
[Orfèvreriv  de  Chrislojh'.) 


La  maison  Clii-istotle,  continuant  sa  niarclie  ascendanle  dans  la  voie  des  pro- 
grès industriels,  avait  trouvé  le  moyen  d'exéculci',  avec  son  inv(Md,ion  de  la  «  (îal- 
vanoplastie  ronde-bosse  »,  de  grandes  statues  do  bronze  oblenues  sans  sou- 
dures et  sans  retouches,  comme  la  statue  colossale  do  Notre-Dame  de  la  Garde, 
à  Marseille,  qui  ne  mesure  pas  moins  de  neuf  mèti-es  de  hauteur,  ou  comme 
les  figiM'cs  fpii  di'corcnt  la  façade  du  nouvel  Opéra,  à  Paris,  dont  la  dinu'usion 
allfiiit  ciuii  mclr(!s.  IVIais  ce  (pii  dislinguail  particidicrcumut  sa  parlicipalion  à 
rj*ÎX|)osil iou  de  IS()7,  c'('lait  l'emploi  de  r(''niail  cloisonn(''  ;i  la  manière  des  (Ihinois 
ou  des  Japonais,  t(ud,ativ(!  des  plus  ciu'ieuses  (pii  devait  eniraîuer  par  la  suite 
lonle  line  si'rie  de  recherches  inl(''ressan(('S  et  alioulir  aux  plus  brillants  l'ésultals. 

I' •ipl''"  '' I ''mail  dans  l'orfèvreiae — ou  pliilôt  la  r('apparil ion,  |)uisque 
depuis  le  Moyen  A^c  cl  |;i  Heiiaissa née  on  l'avait  à  peu  près  abandount"  —  l'ut. 


—  85  — 


ea  effet,  une  des  surprises  de  l'Exposition  de  18BT.  Elle  s'imposa  si  vivement  à 
l'attention  qu'un  rapport  spécial,  confié  à  M.  P. -H.  Delarociie,  sembla  nccessa're 
aux  jurés  pour  signaler  les  œuvres  de  ce  genre  qui  se  trouvaient  éparses  chez 
divers  exposants  français. 

Depuis  plusieurs  années,  un  artiste  de  très  grand  talent,  Charles  Lepec,  à  la 
suite  de  longues  et  patientes  recherches,  ayant  retrouvé  les  procédés  de  l'art  des 
émailleurs  limousins,  avait  offert  à  l'attention  des  amateurs  quelques  morceaux 
de  sa  main  qui  furent  tout  de  suite  très  admirés.  En  1867,  il  exposait  notam- 
ment un  superbe  vase  en  or 
émaillé  dont  le  corps  était  en 
émail  de  Limoges,  c'est-à-dire 
d'un  fonds  sombre  avec  re- 
hauts blancs,  dont  le  pied,  le 
balustre,  et  le  bord  étaient  en 
émaux  «  champ-levés  »,  c'est- 
à-dire  avec  des  émaux  posés 
sur  le  métal  préalablement 
creusé  en  cloisons  au  moyen 
du  ciselet;  enfin,  les  feuilles 
et  les  autres  ornements  étaient 
en  émaux  translucides  sur  flin- 
qué.  11  avait  envoyé  également 
une  gracieuse  aiguière  avec 
son  plateau,  quelques  portraits 
remarquables,  un  coffret,  des 
bijoux,  des  coupes,  etc.,  tout 
cela  émaillé  avec  une  habileté  et  un  goût  parfaits.  Les  tentatives  de  Charles  Lepec 
eurent  aussitôt  leur  répercussion  dans  quelques  ateliers  d'orfèvres  entreprenants, 
qui  essayèrent  de  faire  concourir  la  beauté  et  l'éclat  des  couleurs  de  l'émail 
à  la  richesse  des  objets  d'or  et  d'argent.  Froment-Meurice,  Dotin,  Robillard, 
Dupônchel,  et  surtout  les  fabricants  d'orfèvrerie  religieuse  Poussielgue-Rusand 
et  Armand-Calliat,  présentèrent  quelques  pièces  émailiées  dont  le  charme  fut 
très  goûté. 

Très  différent  était  le  procédé  d'émaillage  sur  métal  avec  cloisons  l'apportées, 
dont  la  maison  Christofle  exposait  pour  la  première  fois  des  spécimens  qui  avaient 
coûté  d'infinies  recherches.  On  sait  que  ce  procédé  consiste  à  contourner  à  la 
main  de  petites  bandelettes  de  cuivre  minces,  et  à  les  appliquer  par  la  soudure  sur 
les  formes  à  décorer,  en  remplissant  ensuite  les  intervalles,  c'est-à-dire  les  cloi- 
sons ainsi  obtenues,  avec  de  l'émail  fondu.  11  offre,  dans  l'application,  des  diffi- 
cultés extrêmes  et  bien  plus  grandes,  on  le  comprend,  que  pour  les  émaux  à  cloi- 


KLAGMAXN  (iSio-1869). 


sons  fondues  qui  sont  toujours  forcénnent,  les  mêmes,  tandis  qu'ici  le  dessin  doit 
être  refait  à  chaque  exemplaire  de  la  même  pièce.  Pour  ne  pas  imiter  servilement 
les  artistes  de  l'Extrême-Orient,  MM.  Christotle  s'étaient  jjornés  à  emprunter  leur 
méthode  d'émaillage  et  leur  coloration,  mais  en  les  appliquant  à  des  décors  li- 
brement interprétés  d'après  nature.  Les  coupes,  petites  tasses,  cafetières,  qu'ils 
exposèrent,  réjouirent  tous  les  yeux. Dans  le  même  orrlrc  d'idée,  cl  pour  ajouter 


SulicTf  tkiuhle  «  Les  Ondineis  ». 
[Sriilpliive  (le  Khifiiitnnn.  —  Orfèvrerie  de  Clirislolle.) 


de  la  gaieté  à  l'orfèvrerie  d'argent  ou  de  métal  argenté,  MM.  Clirislofle  imagi- 
tu'îrcnl  un  autre  pi'océdé,  le  «  guillochagc  électro-magnétique  »,  qui  permet 
d'oMcuir  uK'canifpiement  le  délicat  travail  de  burin  du  plus  habile  ouvrier.  Ennn, 
ils  uiouli-èrcut  les  premiers  résultats  de  leur  «  damascpiinage  galvaui(pi(>  par 
incrnstiilioii  »,  sorte  d'iniitMlion  des  damasquinages  d'or  et  d'argent  (|ue  l(>s 
(lliiuois  el  siu  loiil  les  .lapouais  ont  exécutés  si  adroitement,  avec  ccitle  dilléreuce 
i|iM'  la  oii  les  < )rieulaux  inc,isai(wit  et  marlelaient  dîuis  h^  bron/(>,  suivant  le  dessiu 
il  iiii  olqel,  les  parti(!S  d(i  mélîuix  j)récieiix  (pi'il  s'agissait  d'y  incorpoi'er,  on  arri- 
vail .  par  les  moyens  galvani(|ues,  à  insérer  ces  uK'Iaux  précieux  exaclemeni  selou 
l'i'paisseiu'  voulue  e(  an  iiièuie  plan  (pie  le  brou/e.  (lolorisie  avant  bml,  la  maison 
< llu'i^l ollc  a\ail  voulu  nenpre  avec  celte  noie  lilaiiclu'  ou  grise  de  l'argent,  avec 


—  87  — 


les  richesses  criardes  de  la  dorure  neuve.  L'émail,  la  damasquine,  les  patines  de 
Tor,  de  l'argent  ou  du  cuivre  donnaient  à  son  orfèvrerie  une  saveur  inattendue  et 
agrandissaient  le  cercle  étroit  dans  lequel  se  mouvaient  les  orfèvres.  Par  ces  mul- 
tiples inventions,  les  jeunes  directeurs  de  la  maison  fondée  par  Charles  Christofle 
attestaient  qu'ils  n'entendaient  pas  rester  sur  les  succès  passés  et  qu'un  désir 
.  ardent  de  perfection  animait  leurs  elTorts. 


Sui-ricr  de  lablc  en  argent. 
[SculiAiire  de  Klafjmann.  —  Orfèvrerie  de  Chrislojle.) 


L'orfèvrerie  étrangère  offrait  un  tableau  assez  complet  de  la  production  chez 
presque  tous  les  peuples  et  donnait  lieu  à  ces  comparaisons  tout  à  notre  avantage. 
Chose  curieuse,  l'Angleterre  qui,  en  1862,  avait  provoqué  l'étonnement  par  les 
progrès,  l'actualité  d'art  et  de  goût  de  son  argenterie,  n'envoya  en  1867  qu'une 
exposition  assez  pauvre  en  œuvres  nouvelles;  sauf  EIkington,  les  orfèvres  de  ce 
pays  se  bornèrent  à  des  redites.  On  retrouva  dans  la  vitrine  de  Hunt  et  Roskell 
les  magnifiques  ouvrages  en  repoussé  de  notre  Vechte,  mais  rien  d'inédit;  chez 
Hancock,  son  vase  de  Shakespeare,  les  coupes  de  Milton,  Moore  et  Burns  qu'on 
avait  déjà  vus,  beaucoup  de  prix  de  course  et  «  testimonial  ».  Seuls.  MM.  EIkington 
présentèrent  des  ouvrages  inédits  du  plus  grand  intérêt,  comme  le  «  Bouclier  de 
Milton  »  (I),  de  Morel-Ladeuil,  en  argent  et  acier  avec  riches  incrustations  d'or. 


(1)  Il  apparlient  actuellement  au  .Musée  de  South  Kensinglon,  ;i  Londres,  pour  lequel  le  gouvernement 
anglais  l'acquit  au  prix  de  7.'j  000  francs.  Voy.  VŒhivre  de  Morpl-Ladetiil  ([9lOi,  chez  Lahure%  p.  19. 


—  88  — 


figurant,  en  repoussé,  trois  épisodes  du  Paradis  perdu, véritable  dief-d'œuvre,  qui 
est  devenu  populaire  en  Angleterre,  grâce  à  la  reproduclioii  galvatioplasiique 
qu'ils  en  ont  fait;  une  aiguière,  le  Jour  et  la  Nuit,  dessinée  par-  Willms,  ciselée 
par  Morel-Ladeail  ;  un  pot  à  bière  avec  médaillons;  deux  coupes,  la  Musique  et  la 
Poésie,  en  argent,  reponssées  j^ar  Morel-Ladcuil  ;  un  gr-and  bouclier  de  six  pieds  de 


(jillVcl  "  L"Eiil(''\piiirnt  de  Dc'Jiiniri'  ». 
{Sciiljiliiri'  (le  I\t:iii  iii:inn .  —  Orfvvrcrir  i/c  C7wi'.s7i)//('.) 


Iiaul  en  1er,  repoussé  d'après  une  ('onq)o^ilion  de  Willms,  e(  représenlani  «La 
(Iraïule-Iiî'etagrH!  ('nl(iur(''e  des  Volontaires  anglais  el  écossais»;  plnsiein-s  sei'- 
viccs  de  lahic  (huis  le  slylc  grec  cl  gr(''co-r()niain  ;  des  seaux  à  cliampagn(>,  d'une» 
ii^'ri'alile  di'coral ion  ;  une  paire  de  lr(''pieds  supporlani  de  grands  vases  ri(duMm'nl 
décor(''S  d'or  el  d'argent  oxydc' dans  le  style  pei'san,  elc. 

IVlais  le  pays  (pii  nutulrail  l'orlèvrerie  la  plus  originah^  ('lait  la  Uussi(>,  oii  le 
goût  I r-adil ionnel  des  ('maux,  des  nielles,  de  la  damas(piine  se  Iradnisail  sur  (l(>s 
loruu's  ^'(•ik'tiiIciiiciiI  ini  peu  trop  vulgaires  poiu'  lani  de  pr('ciosi((''  dans  le  rendu, 
l'iiui  l.Mil .  <l;iiis  les  (T'uvres  exposi'rs  par  Sa/ikolV  el  AleliiuuikoiV,  ligiu'aienl  des 


89 


91 


Service  de  table  de_rinipéraLrice. 
Corbeille  à  lumières  :  l'Agriculture,  par  Aimé  Millet. 
[Orfèvrerie  de  Clirislofte.) 


—  93  — 


pièces  d'un  réel  intérêt  artistique.  Le  premier  avait  un  grand  bas-relief  en  argent 
repoussé,  un  service  à  thé  en  argent  complètement  noirci,  orné  de  branches  et 
roseaux  ciselés  en  demi-rehef  et  dorés,  d'une  composition  originale,  ainsi 
qu'une  série  de  vases,  de  coupes,  d'usten- 
siles de  table  décorés  selon  l'esprit  na- 
tional et  tout  rutilants  de  couleurs.  Le 
second  exhibait,  à  côté  de  quelques  spé- 
cimens soigneusement  faits  d'orfèvrerie 
religieuse,  un  groupe  allégorique  de 
«  L'Avenir  du  peuple  affranchi  »  don!  la 
ciselure  était  poussée  à  ce  point  de  fi- 
nesse excessive  qu'on  y  pouvait  distin- 
guer la  trame  des  différeutes  espèces 
d'étoffes.  Quant  à  la  Prusse,  elle  ne 
montrait  pas  d'orfèvrerie  d'art  à  pro- 
prement parler,  en  dehors  de  quelques 
morceaux  d'un  certain  intérêt  des  fabri- 
cants Sy  et  Wagner,  et  Wollgold  fils,  de 
Berlin;  sa  spécialité  élait  une  argenterie 
légère,  de  titre  inférieur,  obtenue  au 
moyen  de  l'estampage  dans  des  condi- 
tions de  bon  marclié  extraordinaire. 
L'Italie,  qui  possédait  en  Castellani  mi 
bijoutier  dont  l'érudition  accomplissait 
des  merveilles,  n'avait  pas  d'orfèvres 
dignes  de  ce  nom;  l'Espagne,  pas  davan- 
tage. En  Belgique  et  en  Hollande,  sauf 
pour  l'argenterie  d'église,  qui  commen- 
çait à  y  renaitre,  c'était  également  le 
néant.  Du  Danemark,  on  pouvait  voir 
(pielques  ouvrages  indiquant  que  les 
anciennes  qualités  de  facture  des  or- 
fèvres du  temps  passé  n'étaient  point 
perdues;  malheureusement  elles  étaient 
employées  presque  exclusivement  à  des 
interprétations  assez  anodines  du  style 
greç.  Bien  à  dire  des  objets  de  filigranes  de  la  Turquie.  Pour  finir  cette  nomen- 
clature rapide,  notons  ce  fait  :  les  débuts  de  l'orfèvrerie  des  Etats-Unis  et 
l'apparition  de  Tiffany  aux  Expositions  universelles. 

Aux  derniers  jours  de  l'Exposition  de  1867,  en  vit  apparaître  deux  pièces  inté- 


Candi-labrc  Louis  XXl. 
Service  de  rimpcratrice. 

[Orfèvrerie  de  Chrislofic. 


—  94  — 


ressantes  et  dignes  de  fixer  l'attention  du  public.  C'était  la  gracieuse  trirème 
exécutée  par  les  frères  Fannière  et  le  grand  prix  de  l'Agriculture.  Après  l'inau- 
guration du  canal  de  Suez  par  l'Impératrice,  l'Empereur  décida  d'offrir  à  Ferdi- 
nand de  Lesseps  un  souvenir  destiné  à  conserver  dans  sa  famille  la  grande 
œuvre  qui  avait  immortalisé  son  nom.  Ce  fut  aux  Fannière  qu'elle  fut  demandée. 
Ce  fut  pour  eux  l'occasion  défaire  un  chef-d'œuvre.  Une  coupe  en  forme  de  tri- 
rème sur  les  flancs  de  laquelle  deux  bas-reliefs  représentent,  d'un  côté  les  tra- 
vaux du  canal,  et  de  l'autre  la  cérémonie  de  l'inauguration,  portant  h  la  proue  une 
ligure  volante  symbolisant  la  Renommée  surmontée  de  la  couronne  impériale;  à 
la  poupe,  un  Génie  accosté  de  deux  figures,  le  Commerce  et  la  Richesse. 

L'ensemble  était  supporté  par  deux  gracieuses  naïades  posées  sur  un  pied 
décoré  d'algues  et  de  coquilles.  La  composition,  la  sculpture,  l'orfèvrerie  étaient 
des  deux  frères. 

Aujourd'hui,  cette  pièce  figure  au  Musée  des  Arts  décoratifs  auquel  elle  a  élc 
donnée  par  Charles  de  Lesseps,  le  fils  du  promoteur  du  canal  de. Suez,  qui  devait 
avoir  sur  les  relations  des  peuples  une  influence  si  heureuse. 

Au  cours  de  l'Exposition,  M.  Le  Play,  l'organisateur  de  cette  grande  manifes- 
tation, commanda  à  MM.  Christofle  l'objet  d'art  qui  devait  être  offert  comme  grand 
prix  de  l'Agriculture.  Ce  fut  à  M.  Decrombecque,  de  Lille,  qu'il  fut  décerné. 

Christofle  fit  faire  dans  ses  ateliers  la  maquette  qui  fut  acceptée  par  le  Com- 
missariat et  demanda  à  Gumery  de  faire  les  figures  qui  devaient  êlrela  partie  prin- 
cipale du  testimonial.  Gumery,  ancien  prix  de  Rome,  a  laissé  des  œuvres  qui  ont 
fait  école.  C'est  à  lui  que  Charles  Garnier  avait  co:nmandé  les  deux  grands  groupes 
eu  bronze  de  la  façade  de  l'Opéra. 

Sur  une  sphère  en  émail  symbolisant  la  Terre,  et  entourée  de  quatre  Génies 
rcprésentatit  les  quatre  Saisons,  se  tient  une  élégante  figure  de  Tryptolème.  L'ar- 
tiste a  mis  dans  cette  œuvre  tout  son  talent.  Ce  fut  sa  dernière  œuvre.  Fail)lc  de 
sanL('",  il  resta  à  l*aris  pendant  le  siège,  et  les  privations  achevèrent  le  grand 
artiste,  et  c'est  au  bruit  des  canons  qui  bombardaient  Paris  que  ses  amis  le  con- 
duisirent ù  sa  dernière  demeure. 

Chi'istolle  exécuta  cette  pièce  dans  la  perf(u;tion  et  confia  aux  fi-ères  Fannière 
la  fisclurc  de  la  figure  principale. 

l'în  i-r-suMif',  l'Exposition  d(!  18!)7  ('-lail:  un  trionq)lie  pour  la  {'"'rance,  bien  fail 
iiDii^    li-(»m)ici'   rious-inr'nii's  sur  iiol.i'c  supi'riorilé  à  l'égard  (h^s  autres 
ii;ili(tiis  (hiiis  le  (loiniiiiic  (les  iiidiisl rics  d'art!  Connncnl  l'ainour-pi'opre  national 
n Cil  aiii  ait-il  pas  vlr  Uwiir  ?  Coiniiiciil  pri'voir  les  orages  qui  allaieni,  biciilôt  écla- 
(  i  r  ;i  riioi  i/oii  cl  nous  ;itl ri  iidrc  dans  notre  exisliMiccMuèine  ?. . . 

I.li  ipioi  I  Tous  ces  pcii|»lcs  ('1  i'iiiigci's  «pii  venaieni  de  se  niesurer  avec  nous 
dans  le  |)|ii<  vasl(!  loiinioi  i ii I cnia I ioiial  ipiOn  ait  vu  jiisipi'alors  avaieiil  contilalé 
avr'c  line  surprise  jalouse  ipic  depuis  H!)  nous  avions  su  reprendre  nos  traditions 


La  TrirOmc. 

OlVerle  par  rinuK'i'atricc  Eugénie,  ù  l'occasion  de  l'ouvertiu'e  du  cunal  de  Suez, 
à  Fci'dinand  de  Lcsseps. 

[Sculpture  el  orfèvrerie  des  frères  Funnière.) 


Grand  Prix  do  l'Agriculture  eu  1S67. 
(Modèle  de  Guinerij.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


-  99  — 


de  goûl  supérieur,  tandis  qu'ciix-mêmes  avaient  oublié  les  leurs!  Ils  n'avaient 
pas  su  profiter  de  leurs  ressources  et  de  notre  exemple  pour  reprendre  sur  nous 
l'avance  et  nous  arraclier  le  sceptre  de  l'élégance,  le  secret  de  notre  génie? 
Etait-ce  donc  qu'eux  tous,  Anglais  et  Allemands,  Italiens  et  Espagnols,  avaient 
été  plus  ébranlés  que  nous-mêmes  par  nos  propres  révolutions;  puisqu'ils  n'étaient 
pas  parvenus  à  se  ressaisir?  Voilà  les  réflexions  que  faisait  naitre  notre  prodi- 
gieux succès,  et  avec  lesquelles  nous  nous  abandonnions  aux  illusions  cares- 
santes qui  nous  empêchaient  de  lire  dans  l'avenir. 

L'Empire  louchait  à  son  déclin.  Un  an  avant  sa  chute,  le  1"  aoiit  1869,  eut 
lieu  au  Palais  des  Champs-Elysées  une  Exposition  des  Beaux-Arts  appliqués  à, 
l'Industrie,  organisée  par  l'Union  centrale.  Les  salles  du  premier  étage  étaient 
occupées  par  uu  musée  couiplet  de  l'Art  oriental,  et  c'est  de  là  qu'il  faut  dater 
l'influence  définitive  du  goût  japonais  dans  l'art  décoratif  français.  On  y  revit  les 
grands  émaux  à  cloison  de  Christofle,  qui  avait  ouvert  la  voie;  Emile  Froment- 
Meurice  y  (nivoya  d'importants  travaux  qui  lui  valurent  alors  la  croix  de  la  Légion 
d'honneur.  Emile  Philippe,  qui  commençait  à  produire  ces  interprétations  de  l'art 
égyptien,  Veyrat  et  plusieurs  autres  y  montrèrent  également  des  œuvres  de 
valeur. 

Ce  fut  la  dernière  manifestation  de  l'orfèvrerie  sous  le  régime  impérial. 


C(3iipe  à  IViiils. 
[Dessin'uriyinul  de  Kb<iiiuinn.  —  Urfvrrcric'  ilc  Chrhlojle. 


En-téLc  des  EvniKjilcs  de  Iluchelte. 
{Dessin  de  Ch.  Bossigneiix.) 


CHAPITRE  SIXIÈME 


La  Troisième  République 

(de  1870  à  1878) 


Expositions  diverses  :  à  Londres  en  1871  et  1872,  à  Vienne  en  187î{, 
à  Philadelphie  en  1870.  —  Influence  de  l'art  ja])onais.  —  L'Expo- 
sition de  1878  à  Paris.  —  I-es  artistes  Emile  Reiber  et  Charles 
Kossig-neux.  —  Les  orfèvres  :  Fannière  frères,  Guslave  Odiot,  Fro- 
ment-Meurice,  Lucien  Falize,  Christofle,  Ancoc.  —  Les  orfèvres 
d'église  Poussielgue-Rusand,  Armand-Calliat.  —  L'Américain  Tilï'any. 

I  ux  sourds  grondements  du  canon  et  au  crépitement  aigu 
des  mitrailleuses  sur  les  champs  de  bataille,  faire  suc- 
céder les  bruits  cadencés  des  marteaux  dans  la  forge, 
le  ronflement  des  tours  et  des  transmissions  dans  les 
ateliers,  chercher  la  consolation  de  la  défaite  dans  les 
travaux  de  la  paix,  travailler  au  relèvement  de  la  patrie 
par  le  développement  des  arts  qui  furent  jadis  sa  gloire, 
tel  fut  le  mot  d'ordre  auquel  la  France  obéit  après  1870. 

Ce  sera  un  des  étoimements  de  l'histoire  que  la  pro- 
digieuse rapidité  avec  laquelle  elle  se  releva  des  dé- 
sastres de  l'Année  terrible.  Les  catastrophes  s'étaient 
accumulées.  Aux  ruines  et  aux  deuils  de  la  plus  ef- 
froyable des  guerres,  s'ajoutaient  les  pires  fléaux  :  le 
déchirement  des  luttes  intestines,  l'angoisse  profonde 

LcLtre  oi-uéc  par  llossigneiix.      ,  .  i.         /       n  i      i     i         i  • 

de  1  occupation  par  I  armée  allemande  de  la  patrie  mu- 
tilée, l'obligation  de  payer  au  vainqueur  une  énorme  indemnité  de  cinq  milliards, 


—  102  — 


enfin  les  agitations  des  paiiis  politiques  qui  ne  pouvaient  se  résoudre  à  ac- 
cepter la  République,  comme  régime  de  gouvernement  succédant  ii  l'Empire. 

Au  milieu  d'une  situation  aussi  troul^lée,  on  vit,  comme  par  enchantement, 
refleurir  les  industries  de  luxe.  Dans  les  ateliers,  oii  les  artisans,  revenus  des 
champs  de  bataille,  reprirent  en  hâte  leurs  outils,  ce  fut  une  véritable  fièvre 
d'activité.  Paris  redevint  la  ruche  bourdonnante  des  beaux  jours.  De  toutes  parts, 
les  étrangers  nous  adressèrent  leurs  commandes  qui  prouvaient  à  la  France 
qu'elle  restait,  après  la  tempête,  la  directrice  du  goût  et  la  grande  pourvoyeuse 
du  monde  pour  les  choses  de  l'élégance.  Orfèvres  et  bijoutiers,  ébénistes  et  bron- 
ziers,  tapissiers  et  modistes  durent  suffire  à  une  incroyable  besogne.  Ne  fallait-il 
pas  regagner  le  temps  perdu  d'uae  année  entière  durant  laquelle  toute  vie  com- 
merciale avait  été  arrêtée?  Les  épreuves  n'avaient  point  enlevé  à  nos  artistes 
leur  verve  ni  leur  ingéniosité.  Les  décorateurs,  dans  toutes  les  branches  de  l'in- 
dustrie, reprirent  leur  manière  habituelle  de  composer,  sans  qu'il  y  eût  apparence 
tout  d'abord  que  le  mobilier  de  la  troisième  République  dût  se  distinguer  sensi- 
blement du  mobilier  du  second  Empire.  On  en  restait  toujours  au  système  de  la 
copie  servile  ou  des  interprétations  plus  ou  moins  libres  des  styles  des  dix-sep- 
tième et  dix-huitième  siècles.  Mais  cela  allait-il  durer?  IN'avait-on  pas  à  craindi-e 
certaines  conséquences  déprimantes  du  nouveau  gouvernement  démocratique  sur 
les  arts  décoratifs?  Plus  de  souverain  désormais,  en  France,  pour  s'intéresser  à 
la  prospérité  des  manufactures  et  aux  grâces  somptuaircs!  Plus  d'aristocratie 
pour  offrir  ses  fêtes,  plus  de  cour  pour  diriger  le  goût  et  inspirer  l'élan  à  la  mode! 
Les  appréhensions  à  cet  égard  se  donnèrent  carrière.  Mais,  il  faut  l'avouer,  elles 
auraient  pu  se  produire  plus  tôt,  car  de  tous  les  souverains  qui  depuis  la  Restau- 
ration s'étaient  succédé,  aux  Tuileries,  quel  est  celui,  au  fond,  qui  avait  exercé 
sur  les  arts  une  influence  heureuse,  et  comparable,  même  de  loin,  à  celle  de  l'an- 
cienne cour  de  France?  En  réalité,  à  ce  point  de  vue,  il  n'y  avait  rien  de  changé 
dans  Moti'C  |)ays  après  la  chute  de  Napoléon  111.  Les  industries  d'ai't,  livrées  à 
ellcs-iiiêiiies,  sans  guide,  supc'rieur  et,  sans  auli'e  inij)ulsi()n  (\uc  l'instinct  de 
s'ailapler  aux  caijriccs,  aux  Ixîsoins,  aux  lents  progrès  d(\  rédiicalion  des  géné- 
r.ilions  ni)iiv(!ll<'s,  allaient  c(tnlimn'i'  l()gi(|uement,  pai'  des  (du'uiins  difficiles,  leur 
évolution  (hiiis  le  sens  de  la  vie  modenu',  ('volulion  (|iii  uc  saurait,  sans  doute, 
faire  rciiail rc  irs  pcrfcci ions  disparues,  niais  «pii  n'en  a  |tas  moins  son  cai'actère 
di'  ^^randenr  el  de  I»c;miI(''  propre,  ipi'il  serai!  pui-ril  de  nier.  Nous  nous  expliipie- 
ron-.  tiMil  ;i  l  licnre  sur  ce  point . 

l/oife\ I  (  l  ie  IVaiieai'^e,  pi'cisipie  ail  h^ndeniaiii  de  la  conclusion  de  la  paix,  en 
ISTI,  a  l  lieiiic  inrine  où  les  convulsions  de  la  (Commune  (Misanglantaicmt  Paris, 
eut  rocc;isi()ii  de  se  ma  ni  l'ester  brillaiiiineiil  ;i  Lomlres,  à  l'Exposition  organisée 
au  Sunlli  Kciisiii;.'|()ii  Muséum.  Le  prograinme  iniagiiK'  par  le  gouvernement 
u:iglins  (;tait  iii;.;<''iiieu\  :  essayant  d'une  clussilical ion  nouvelle,  la  commission 


—  103  — 


royale  avait  résolu  d'ajouter,  dans  les  galeries,  certaines  industries  artistiques 
aux  produits  des  beaux-arts  et  de  l'horticulture;  mais,  par  un  perpétuel  roule- 
ment, elle  voulait  ramener  de  cinq  ans  en  cinq  ans  les  mêmes  industries  et  les 
mêmes  métiers  sous  les  yeux  du  public.  C'eut  été  une  école  mobile  où  l'Angle- 
terre, à  l'esprit  toujours  pratique,  eût  profité  des  progrès  et  des  découvertes  du 
monde  entier,  et  cela  sans  qu'il  lui  en  coûtât  rien,  car  c'est  avec  leurs  propres 
deniers  que  les  nations  invitées  devaient  aménager  leurs  expositions  spéciales,  et, 
en  outre,  la  commission  royale  ne  donnait  pas  d'autres  récompenses  qu'un  certi- 
ficat d'admission.  La  France  prit  part  en  1871,  1872  et  1874  à  ces  exhibitions  dont 
l'histoire  complète  est  relatée  dans  les  trois  volumes  que  publièrent  nos  commis- 
saires généraux,  MM.  du  Sommerai^d  et  Ozenne.  Les  rapporteurs  (1)  —  qui  furent 
M.  A.  Gruyer,  en  1871,  M.  Octave  Lacroix,  en  1872,  et  M.  Lix,  en  1874  —  signa- 
laient avec  de  vifs  éloges  les  œuvres  envoyées  par  nos  principaux  orfèvres, 
MM.  Christofle,  Poussielgue-Rusand,  Em.  Philippe,  Falize  aîné  et  fils,  Philippi, 
Rouvenat,  Fannièrc  frères,  Froment-Meurice,  et  Duron.  Le  bronzier  Barbedienne, 
faisant  en  cette  occasion  besogne  d'argentier,  s'était  joint  à  ce  groupe  qui 
recueillit  tous  les  suffrages  de  Londres.  Quant  aux  orfèvres  anglais,  ils  ne  mon- 
trèrent pas  un  grand  empressement  pour  ces  expositions,  et  ils  y  firent  si  mau- 
vaise figure  que,  dans  un  des  rapports,  M.  A.  Gruyer  les  traite  avec  beaucoup  de 
sévérité. 

L'Exposition  internationale  ouverte  à  Vienne  par  le  gouvernement  autrichien, 
en  1873,  eut  un  tout  autre  intérêt  et  fournit  quelques  symptômes  significatifs  sur 
les  influences  qui  commençaient  à  apparaître  chez  nos  meilleurs  décorateurs  dans 
leurs  efforts  de  nouveauté.  Les  arts  de  l'Extrême-Orient  y  figurèrent  avec  un  éclat 
inattendu  et  furent  pour  beaucoup  de  fabricants  européens  une  éblouissante  révé- 
lation. Jamais  on  n'avait  vu,  en  telle  abondance,  pareille  variélé  de  productions, 
d'une  invention  prestigieuse,  d'une  exécution  déconcertanle  à  force  d'habileté 
artistique.  Les  bijoux  émaillés  de  l'Inde,  les  porcelaines  de  la  Chine,  les  bronzes, 
les  orfèvreries,  les  broderies,  les  ivoires  et  les  laques  du  Japon  furent  étudiés  à 
Vienne  avec  une  curiosité  passionnée  par  les  gens  de  métier,  comme  par  les  cri- 
tiques professionnels  (2),  et  l'admiration  des  visiteurs  ne  tarda  pas  à  avoir  une 
universelle  répercussion.  Certes,  on  n'avait  point  été  jusqu'alors  sans  apprécier 
les  chefs-d'œuvre  de  cet  art  japonais  si  profondément  imprégné  du  sentiment  de 
la  nature,  mais  on  n'en  avait  jamais  si  bien  compris  les  délicatesses  exquises,  les 
étourdissants  tours  de  force  de  sa  main-d'œuvre.  A  partir  de  cette  date,  on  en 


(1)  Voy.  li's  lîapporls  do  la  C()niiins^i<in  ri\-iii(;ai.-;o  ;  I  vol.,  1.S72,  rlioz  (Haye;  1  vol  ,  IS"):!,  I  iiiprlmorie 
nalionalc;  1  vol.,  1815,  linpriniorio  nationale. 

(2)  Enlre  maintes  et  maintes  études  publiées  à  celle  époque  sur  ee  sujet,  d;uis  les  revues  et  journaux, 
je  signalerai  d'une  façon  toute  particulière  eelle  qui  fut  publiée  dans  le  BulleLm  de  la  SocicLé  de  l'Union 
Centrale  du  li^r  avril  187G,  consacré  à  l'intluencc  de  l'art  oricutal  sur  notre  art  moJcriiC.  Cette  élude  est 
signée  de  Lucien  Falize. 


—  104  — 


pénétra  mieux  les  secrets,  on  s'appliqua  à  entrer  dans  le  détail  de  son  histoire, 
à  deviner  la  pratique  des  procédés.  Ce  fut  une  bonne  leçon  et  qui  porta  ses  fruits. 

La  participation  française  à  l'Exposition  de  Vienne  valait  plus  par  la  qualité 
que  par  la  quantité.  On  y  remarquait  notamment  dans  la  section  du  métal,  les 
productions  de  Barbedienne,  Boucheron,  Christofle,  Durenne,  ïhiébaut,  à  qui 
furent  réservés  des  diplômes  d'honneur.  Les  orfèvres  des  divers  pays  étaient 
d'ailleurs  peu  nombreux  et  les  rapporteurs  du  jury,  Fontenay  et  Rouvenat,  les 
classèrent  en  trois  catégories  :  1°  ceux  qui,  vivant  sur  le  passé  et  s'inspirant  de 
types  d'un  caractère  tout  local,  ne  font  que  reproduire  éternellement  les  mêmes 
modèles;  2°  ceux  qui  vont  de  l'avant  et  cherchent  à  inventer  en  s'aidant  de  l'étude 
des  styles;  3"  ceux  qui,  n'ayant  en  vue  que  le  côté  mercantile  de  leur  industrie, 
ne  se  donnent  pas  la  peine  de  créer  eux-mêmes,  mais  copient  plus  ou  moins  gau- 
chement les  dessins  des  autres.  Dans  cette  classification  assez  ingénieuse,  on 
signalait  dans  la  première  catégorie  :  l'Italie,  où  M.  Castellani  montrait  des 
reproductions  de  l'antique  d'une  exécution  supérieure;  l'Espagne,  ([ui  possédait 
en  M.  Zuloaga  un  orfèvre  émérite,  dont  les  boucliers,  vases,  coupes,  brûle-par- 
fums, en  fer,  incrustés  et  damasquinés  d'or  et  d'argent,  semblaient  appartenir  à 
la  belle  époque  des  rois  maures;  le  Danemark,  dont  les  œuvres  restaient  excel- 
lentes quand  elles  observaient  les  formes  simples,  traditionnelles,  mais  devenaient 
inférieures  quand  elles  prétendaient  sortir  des  habitudes  nationales;  la  Russie, 
qui  présentait  une  orfèvrerie  de  bonne  fabrication,  exécutée  au  repoussé,  et 
décorée  de  ces  nielles  dans  lesquelles  elle  est  sans  rivale;  l'Orient,  enfin,  l'Inde, 
la  Chine  et  surtout  le  Japon  qui  exposait,  entre  autres  petits  chefs-d'œuvre,  de 
très  jolies  |)laquettes,  de  formes  rondes  ou  carrées  et  de  la  grandeur  d'une  pièce 
de  cin(|  francs  en  argent,  dans  le  centre  desquelles  étaient  figurés,  à  l'aide  de 
juxtaposition  de  métaux  divers,  des  motifs  variés,  tels  que  :  arbres,  plantes, 
animaux  ou  personnages  en  relief,  le  tout  ciselé,  disaient  les  rapporteurs  meii- 
tioniK's  plus  haut,  «  avec  une  perfection  do  travail  cxtraordinaii'c,  et  dessiné 
avec  un  espril  (pii  rendait  merveilleusement  l'allure  et  l'expression  propre  à 
(•har|U('  sujet  ». 

Dans  la  catégorie  des  nations  citées  pour  leui's  qualités  non  de  copistes,  niais 
créatrices,  le  document  au(|u(^l  nous  eni|)runtons  ces  appréciations  mettait  la 
l''r;iMC('  iiii  iiiicr  riuig.  Oiiant  à  l'Allemagiu^  à  l'Angleterre,  à  l'Autriclic,  à  la 
Suisse,  a  la  Hcigifpic,  leur  liroduci ion  en  orfèvrerie,  sinon  en  bijouterie,  n'alVec- 
tail  guère  en  g('n(''riil  ipTun  caractère  pin'cnient  comniercial,  excciplion  failc 
cej)eiidMnl  pour  la  Maison  l'^lkington,  {\c  Londres,  (|ni  exposait  à  Vienne  les  admi- 
rables d'iivres  (le  (jeux  l''raneais,  Mor(^l-bad(Mnl  e(  Willnis,  notammeni  h^  fameux 
iioiiriier  fin  l'nrtidis  jicnhi^  doiil  il  a  (''t('!  (piestion  dans  noil'e  précéd(>nl  chapitre. 

La  Maison  ( llnisi olli' ,  a  peu  |»ies  a  elle  loiilc  seule,  r<'|»r(''seiilait  l'orlèvrerie 
l'raneaise,  mais  l'on  e  nous  esl  de  dire  ipie  par  la  vari(''l(''  e(  l'iniporlance  des 


-  103  — 


œuvres,  la  diversité  des  recherches  et  des  applications,  l'originalité  réelle  des 
formes  et  du  décor,  elle  avait  réuni,  ainsi  que  le  déclaraient  Fontenay  etRouvenat, 
«  tout  ce  que  pouvait  produire  l'industrie  la  plus  raffinée  dans  son  exécution,  aidée 
de  toutes  les  puissances  de  la  science  moderne  ».  Les  rapporteurs  ajoutaient: 
«  C'est  une  des  faces  les  plus  extraordinaires  du  degré  de  perfection  industrielle 
auquel  a  pu  atteindre  l'Occident  dans  ces  dernières  années.  »  Pour  l'explication 
de  cette  phrase  qui,  par  une  allusion  discrète  au  triomphe  de  l'art  oriental  à  l'Ex- 


Emaux  cloisonnés  par  Christofle. 
{Dessin  de  E.  Reiher.) 


position  do  Vienne,  mettait  en  regard  les  progrès  de  l'art  occidental,  disons  tout  de 
suite  que  MM.  Christofle,  devançant  de  f|uclques  années  l'engouement  (|ui  allait  se 
produire  en  faveiu' de  l'art  japonais,  venaient  précisément  de  réaliser,  avec  la  colla- 
boration d'un  artiste  éminent,  Emile  Rciber,  des  œuvres  inspirées  entièrement, 
pour  le  décor  et  la  technique,  des  maîtres  du  Nippon.  Les  métaux  cloisonnés  sur 
forme  en  métal  et  à  cloisons  rapportées  qu'ils  envoyèrent  à  Vienne,  en  1873,  pro- 
voquèrent l'étonnement  des  connaisseurs.  «Ils  rivalisent  de  caractère,  d'origina- 
lité et  de  perfection,  disait  le  rapport,  avec  les  plus  beaux  cloisonnés  japonais.  Le 
ton  mat  légèrement  velouté  de  l'émajl  est  admirablement  réussi,  et  les  couleurs 
sont  fraîches  et  éclatantes,  très  bien  harmonisées  entre  elles.  Ces  produits  révèlent 
la  connaissance  d'une  série  de  procédés,  nous  pouvons  dire  secrets,  qu'il  a  fallu 


—  jOfi  — 


pénétrer  et  s'approprier  pour  obtenir  d'aussi  beaux  résultats.  »  Il  convient  de 
faire,  dans  ces  éloges,  la  part  de  la  surprise  causée  par  une  tentative  aussi 
imprévue  qu'audafieuse.  Mais  pourquoi  n'avouerions-nous  pas  en  toute  franchise 

le  vif  plaisir  que  nous  fit  éprouver 
à  cette  époque  la  pleine  réussite 
de  ces  œuvres  véritablement  char- 
mantes que  Reiber  avait  composées 
avec  un  talent  remarquable  et  dont 
l'exécution  coûta  des  peines  in- 
finies? 11  y  avait  par  exemple  à 
Vienne,  dans  cette  série  de  pièces 
en  émaux  cloisonnés,  une  garni- 
ture de  trois  vases,  dont  le  décor 
de  glycines  et  de  fleurs  d'acacias, 
en  émail  rose  et  violet,  s'accusait 
sur  un  fond  rouge  du  meilleur  effet. 
11  y  avait  un  autre  vase  de  60  cen- 
timètres de  hauteur,  figurant,  sur 
un  fond  céladon,  une  cigogne,  un 
faisan  doré  et  des  oiseaux-mouches, 
dans  un  paysage  égayé  par  des  ro- 
seaux, des  iris  et  des  pêchers  en 
fleurs.  Nous  citerons  encore  une 
autre  garniture  de  trois  vases,  de 
style  persan,  à  fond  d'émail  jaune; 
un  miroir,  dont  le  revers  émaillé 
représentait,  deux  canards  nageant 
au  milieu  de  nénuphars  et  d'iris 
sur  fond  bleu;  un  coffret,  orné 
d'émaux  et  d'incrustations;  un  ser- 
vice de  labk^  jardinières,  lampes 
et  compotiers,  avec  ornenuMils  de 
fleurs  sur  émail  à  fond  noir  mou- 
clielt'  ;  dans  un  autre  genr-e,  un 
vase  monumental  haut  de  \"\Çà), 
d'une  décoration  magistrale,  inspirée  par  une  ode  (rAnacréon. 

L'habile  décorateur  (\\\\  avait  composé  ces  difft'rents  objets,  a  exercé,  non  scu- 
leuieiil  \'(>vl'i'\'v('y\r ,  mais  sur  toutes  les  industriels  de  son  temps,  une  influence 
ti'0[)  liiiilc  |ioiir  <\\\r  nous  m»  lui  rendions  pas  ici  la  justice  qui  lui  est  due.  Alsa- 
cien d'origine,  l'jnile  Iteiher  r'l;iil  parvenu,  ;i  l'or<'e  de  Iravail,  à  ae(|U(''r'ir  une  con- 


^'ns(•  en  ('jiiall  cliiisoiliK''. 
UfHsiii  (II-  /■,'.  Ilcibcr.  —  Oiivvixjp  de  (Uirishillc 


Vusc  d'AiiacjvdU  incruslo  d'or  cL  d'argeul  par  (^hristolle. 
fioinposilion  de  E.  lieiher.) 


Croquis  orij;in;uix  de  E.  Reibor 
{CoUeclion  Chrislojle.) 


Vase  cachc-pot  en  émail  cloisonné. 
Composilion  de  E.  Reihcr.  —  Ouvrnçje  de  Chrislofle 


—  113  — 


naissance  des  plus  étendues  de  lous 


Dessin  orif;inal  de  E.  Rciber. 
{Collection  Chrislofle.) 


son  origine  l'avaient  peut-être  familia- 
risé un  peu  trop  avec  la  Renaissance 
allemande;  mais,  lorsque  MM.  Christofle 
l'eurent  attaché  à  leur  maison  en  qua- 
lité de  directeur  des  ateliers  de  dessin, 
il  dut  se  transformer  et  élargir  son  ho- 
rizon. 

Sa  fécondité,  grâce  aux  études  qu'il 
avait  faites,  et  dont  il  avait  conservé  un 
souvenir  fidèle,  était  vraiment  extraor- 
dinaire; lorsqu'on  lui  donnait  un  pro- 
gramme, il  ne  se  contentait  jamais  de  la 
première  idée  et  donnait  à  sa  pensée 
les  formes  les  plus  variées  et  rendait  le 
choix  difficile.  Nous  avons  conservé  de 
lui  un  grand  nombre  de  dessins  qui  n'ont  pas 


îs  genres,  de  tous  les  styles,  et  il  savait, 
-dans  ses  compositions,  s'assimiler  avec 
une  singulière  souplesse  et  une  rare 
sûreté  de  goût  les  éléments  qu'il  mettait 
à  profit.  Il  dirigeait  l'Art  potir  tous,  ce 
recueil  qui  a  rendu  tant  de  services  dans 
les  ateliers  et  qu'il  avait  fondé  après 
s'être  formé  une  bibliothèque  où  les 
documents  d'art  décoratif  de  tous  les 
temps  se  trouvaient  réunis  et  classés 
avec  une  méthode  d'une  rare  sagacité, 
ce  qui  lui  permit  de  faire  de  cette  publi- 
cation une  véritable  encyclopédie.  Il  en 
avait  meublé  sa  mémoire,  heureusement 
pour  lui,  car  cette  bibliothèque  disparut 
dans  les  incendies  allumés  par  la  Com- 
mune, en  1871.  Les  études  de  Reiber  et 


Vase  incrusté, 
{Dessin  de  E.  Beiber.) 


été  exécutés,  mais  qui  montrent 


—  114  — 


bien,  par  leur  variété,  de  quelle  souplesse  et  de  quelle  facilité  d'adaptation  il 
avait  fait  preuve. 

L'art  japonais  avait  exercé  sur  lui  un  vif  attrait,  et  au  moment  où  M.  Cer- 

nuschi,  revenant  de  son  voyage  en  Extrême-Orient 
peu  de  temps  après  la  guerre,  ouvrit  au  Palais  de  l'In- 
dustrie l'exposition  des  objets  qu'il  en  rapportait,  nul 
plus  que  Reiber  ne  s'en  montra  plus  enthousiaste  et 
ne  s'appliqua  avec  plus  d'ardeur  à  en  faire  une  étude 
approfondie. 

Pendant  plus  de  quinze  jours,  il  passa  toutes  ses 
matinées  à  dessiner  au  Palais  de  l'Industrie,  et  rap- 
portait de  ses  séances  les  plus  savoureux  croquis  qui 
devaient  lui  rendre  tant  de  services  dans  les  adapta- 
tions qu'il  allait  en  faire  dans  la  maison  Christofle.  De 
retour  à  son  atelier,  dans  l'après-midi,  il  traduisait  ses 
impressions  dans  une  série  de  croquis  qui  démon- 
traient qu'il  ne  se  contentait  pas  de  ses  copies,  mais 
qu'il  était  habile  à  les  transformer  en  inventions  nou- 
velles admirablement  adaptées  à  nos  goûts  et  à  nos 
usages.  Nous  avons  conservé  de  lui  une  série  d'albums 
de  ces  croquis,  retour  de  ses  visites  à  la  collection 
■  Cernuschi,  qui  montrent  bien  l'impression  qu'elle  avait 
produite  sur  son  esprit. 

C'est  cette  exposition  qui  fut  le  point  de  départ 
initial  de  l'influence  du  goût  japonais  sur  la  production 

!y"^4?S^H  I  en  France,  princijxilement  dans  l'orfèvrerie  chez  Ghris- 
I '^É^^B  I  tofle,  dans  la  bijouterie  chez  Falize.  Grâce  à  elle, 
Reiber  se  ti'ouva  arnu''  de  pied  (mi  cap  pour  la  besogne 
que  les  ('('lèbi'cs  manufacturiers  do  la  rue  de  lîondy 
avaient  résolu  de  tent(M'.  On  verra  pins  loin  ce  cpii  fut 
l'ail-  par  la  suite  dans  ce  nu'Mne  genre.  A  Vienne,  outre 
les  ohjels  (\uc  nous  avons  (MiunK'ri's,  et  (pii  avaient 
compdsf's  par  Keilx'r,  se  Irouvaieiit-  encoi-e  (piatrc! 
gniiiils  v;is('s  en  ('maux  à  cloisons  rapportées,  exécnl(''S 
|)ar  (llirislollc  poiu'  M'""  de  Paiva,  cl  (pie  celle-ci  dcsti- 
iinil  il  son  lintcl  (le  riivciiiic  des  Olianips-FI_ys(''es. 

Un  auli'c  artiste  de  l'iirc  laleiil,  et  dont  l'action 
s"ex('ir;iil  iiloi's  iiNfc  ;iiil;inl  d  act i vit (''  que  de  siii'crs  siii'  Idiitcs  les  branches  (h^ 
nos  iimIii-Imc  i\c  |ii\c,  ci  m  I  ril  iiiii  iiiissi  gra  ihIciiiciiI-  à  rcliausscr  IV'clal  de  la 
|t.iil  iiip:il  ion  i\r  l;i  iii.iison  (  ili  ris!  ollc  il  ri']\posilioii  de  Vienne  :  c'est  Oliarles  Uos- 


VuHl'H  iiiiTiisI ('s  (l'/irf;i'iil . 

'  I  hnr:iijc  ilr  <  !  Ii  ri  sloflf . 

Iir::nr.  ,lr  /■  Itriliri-. 


-  115  — 


signeux.  Nous  avons  déjà  mentionné  dans  un  précédent  chapitre  quelques-unes 
de  ses  oeuvres  les  plus  remarquées  sous  le  second  Empire.  Ce  fut  après  la 
guerre  de  1870  qu'il  donna  toute  sa  mesure.  L'ancien  architecte  décorateur  du 
prince  Napoléon  était  devenu  le  conseiller  écouté,  le  collaborateur  recherché  de 
tous  les  fabricants  qui  rêvaient  de  faire  œuvre  de  goût  et  de  belle  tenue  dans 
n'importe  quel  métier.  Quand  il  n'avait  pas  quelque  hôtel  à  édifier  ou  à  décorer, 


Clinrlos  nOSSKiXEUX,  i.Sifi-i.jo;. 
ArchilccLc  décora  leur. 

Rossigneux  donnait  aux  bronziers,  aux  bijoutiers,  aux  ébénistes,  aux  céramistes 
des  modèles  dessinés  à  miracle,  du  goût  le  plus  fin  et  le  plus  châtié,  toujours  à 
base  de  style  connu,  mais  témoignant  d'une  scrupuleuse  étude  des  ressources  de 
chaque  métier  et  de  qualités  remarquablement  inventives  pour  adapter  l'art  au 
joug  de  l'industrie  sans  que  l'union  parût  jamais  mal  assortie.  Ancien  élève  du 
lycée  Condorcet,  grandi  au  milieu  du  cénacle  littéraire  de  l'Arsenal,  que  présidait 
Charles  Nodier,  puis  familier  de  l'entourage  de  la  princesse  Mathilde  et  du  monde 
officiel  de  l'Empire,  Charles  Rossigneux  jouissait  à  cette  époque  —  il  avait  alors 


—  ik;  - 


cinquante-cinq  ans 


-M 

M 

l'illllll'llll  (l^'Jllllil  (lu  IIU'lll)l(!  M  l)i,i<IU\ 

[DcHHin  lie  lliiHHifincii.r.  —  thivviiijc 
de  ChrihlDlIc, 


d'une  considérai  ion  mérilée  dans  le  monde  des  aris  et  de 
^^^^^^  l'industrie.  Esprit  cultivé,  causeur  spirituel  el 
ayant  du  fond,  on  le  recherchait  non  seule- 
ment pour  ses  talents,  pour  ses  sérieuses  et 
exceptionnelles  facultés  d'assimilation,  mais 
pour  la  grâce  de  sa  personne  et  la  séduction 
de  ses  manières.  La  librairie  Hachette  lui  avait 
confié  l'ornementation  du  livre  des  Evan- 
giles, magnifique  publication  qui  demanda 
onze  années  de  travail  et  d'efforts  aux  édi- 
teurs. Pour  Froment-Meurice,  il  exécutait  des 
dessins  de  bijoux.  Pour  les  relieurs,  qui  cher- 
chaient à  appliquer  ces  nouveaux  procédés 
mécaniques,  il  créait  des  types  de  plaques 
appropriés  aux  conditions  de  l'outillage  et  que 
M.  Henri  Béraldi,  dans  sa  brillante  Histoire 
de  la  reliure  au  dix-neuvième  siècle  (l),  décrit 
avec  les  plus  grands  éloges.  Pour  le  céramiste 
Hache,  à  Vierzon,  il  inventait  des  services  de 
porcelaine,  trouvait  des  formules  inédites 
d'engobes  et  d'émaux,  arrachait  aux  Ciiinois 
des  secrets  de  fabrication  dont  il  dotait  l'in- 
dustrie française.  Un  tel  artiste,  aux  dons  si 
multiples,  chez  qui  l'imagination  était  tou- 
jours tenue  en  bride  par  l'érudition,  devait 
nécessairement  se  rencontrer  avec  l'orfèvre 
Chrislotle,  en  quête  de  toutes  les  origina- 
lités, et  qui  s'elVorçail  de  capter  dans  sa  ma- 
nufacture les  genres  les  plus  divers  et  les  ta- 
lents les  plus  assouplis  pour  les  faire  con- 
coin  ir  \\  ses  vues.  C'est  ce  qui  se  produisit, 
nous  I'mvous  dit  précédemment,  dès  les  pre- 
mièi'cs  aimées  du  règne  de  Napoléon  Hl.  Mais 
à  Vienne,  la  coliaboriilidn  dc^  Uossigneux, 
toujours  très  variée  et  j)récicuse,  se  signala 
par  une  pièce  de  haut  intérêt  et  l'on  peut  dire 
caractéristique,  (Vêlait  un  meuble  à  bijoux, 


I  ,  Vmv.  Ili'lil'l  lli  r.ilili  :  ///v,'(///  f  ilr  lu  rrliiirc  un  ili.r  nrni'iihiir  .v/i'c/c  ( 'i  viil.  il)  H",  clu'Z  ('.(ill(|uel), 
tiJllICt»  Il  '  I  l\  ,  /"'  n//. 


Meuble  à  bijoux. 
[Ouvrage  de  Clirislullc.  —  Dessin  de  Itossifjneux.) 


—  lUI  — 


conçu  dans  le  style  Renaissance  française  qui  était  familier  à  l'artiste,  et  dans 
l'exécution  duquel  MM.  Christofle  avaient  voulu  résumer  les  spécimens  des  diffé- 
rents procédés  de  décorations  luxueuses  du  métal  propres  à  leur  maison,  c'est- 
à-dire  les  émaux  cloisonnés  et  translucides,  les  incrustations  et  les  damasquines. 


[Modèle  de  Ilossiuneux.  —  Orfèn-erie  de  Chrislolle.) 

les  dorures  de  couleur,  les  patines  les  plus  variées.  Ce  meuble,  en  forme  de 
cabinet,  est  monté  sur  deux  colonnes  et  deux  pilastres  ornés  de  chapiteaux  et 
appliques  en  bronze  doré.  Il  est  fermé  par  une  porte  ornée  d'un  panneau  de 
bronze  ajouré  cfTCadrant  un  émail  translucide,  et  recouvrant  un  coffret  en  acier 
damasquiné  et  des  tiroirs  incrustés  d'ivoire.  Sur  le  côté  sont  deux  panneaux 


—  120  — 


formant  deux  armoires  à  secret.  Le  sculpteur  Mathurin  Moreau  avait  modelé  les 
deux  figures  du  cartouche  et  c'était  le  peintre  Frédéric  de  Courcy,  un  des  réno- 
vateurs de  l'art  de  l'émail,  qui  avait  exécuté  la  figure  de  V Amour  vainqueur  sur 
fond  violet,  placée  au  centre  du  panneau  central.  De  Rossigneux,  également, 
était  une  table  en  bronze  avec  dessus  en  incrustation  d'or  et  d'argent,  commandée 
par  M"""  de  Païva  pour  son  hôtel  des  Champs-Elysées. 

Nous  ne  parlons  pas  de  quantité  d'autres  œuvres  exposées  par  la  maison 
Christofle;  surtouts  de  table;  garnitures  de  toilette;  fontaine  à  rafraîchissement 


Plciloau  iiHTUsU'  d'or  cl  d'arf^ciit. 
[Modèle  de  UossUjneu.r.  —  Oiivraç/e  de  Chrislolle.) 


r('f)résentatit  une  amphore  autour  de  laquelh^  s'enroule  une  branche  de  lierre,  e( 
soiit(;mi('  par  deux  figures  de  femmes,  traitée  en  tons  d'argent  éteint,  avec  ses 
[)àh's  rappels  d'or  elïacé  dans  les  profondeui's  du  modèle;  des  groupes  de  figures 
alli'^orifpics  (•(  d'animaux;  un  miroir  Louis \VI  avec  ligur(>s  ;  des  plateaux  repré- 
sciihiiil  des  sujets  iiicnish's  cl,  grav(''s,  eu  ors  jaunes,  veris  e(  r()ug(^s,  et  eu 
argeiil,  avec  des  eiitremêlemenis  de  hrcui/es  de  patines  dilVérentes  dans  les 
fonds,  ele.,  elc.  Ce  pi-('cè(le  siil'lit  à  (lémontr(^r  (|ue  dès  187.')  l'orlevi'erie  fran- 
eaise,  de\;iii(;.in(  d  jinlres  imliislries  et  (h'jà  gagiKM-  au  charme  des  colorations 
|)i)l> rliroiiies,  ('Inil  orieiih'e  diiiis  des  voies  nouvelles  o(i  elU^  n'allait  pas  tarder  à 
n'ali'-er  de  iinhililes  progrès. 

A  ri'Aposil KHI  ;iiii('i  i(  ;iiiie  de  IMiiladelpliie,  eii  ISTli,  oii  l'orCèvivu'ie  (Miropéonne 


n'envoya  rien  de  bien  neuf,  les  fabricants  français  s'abstinrent  complètement. 
L'éloignement,  les  difficultés  du  voyage,  et,  plus  encore,  la  rigueur  des  douanes 
américaines,  les  conditions  onéreuses  qui  rendaient  tout  commerce  impossible, 
l'absence  de  protection  pour  la  propriété  des  modèles  et  des  brevets,  tout  tendait 
à  faire  de  cette  exposition  une  opération  sinon  absolument  dangereuse,  du  moins 
improductive  pour  nos  nationaux.  En  revanche,  l'orfèvrerie  des  Etats-Unis  s'y 
révéla  au  monde  pour  la  première  fois, 
et  avec  assez  de  succès  pour  faire  com- 
prendre qu'au  point  de  vue  de  la  con- 
currence commerciale,  il  y  aurait  lieu 
bientôt  de  compter  avec  cette  nation  si 
énergique  et  si  active,  si  prompte  à  tirer 
de  la  mécanique  des  ressources  prodi- 
gieuses, et  où  le  luxe  se  développait 
d'une  façon  fabuleuse.  Le  rapporteur  de 
la  section  française  à  l'Exposition  de 
Philadelphie,  M.  G.  RouUeaux-Dugage, 
sut  très  bien  voir  et  dire  les  progrès  des 
orfèvres  américains,  leur  engouement,  à 
eux  aussi,  pour  l'art  japonais.  La  des- 
cription de  certains  procédés  nouveaux 
de  travail,  la  formule  de  curieux  al- 
liages, l'avertissement  bien  net  qu'il 
donnait  aux  orfèvres  en  leur  signalant 
certains  décors  et  certaines  formes 
qu'ils  savaient  employer  non  sans  quel- 
que originalité,  tout  cela  se  trouvait 
dans  ce  document.  S'ils  l'avaient  lu  au 
moment  de  la  publication,  nos  orfèvres 
français  eussent  été  mis  en  éveil  et 
n'auraient  pas  laissé  à  un  fabricant  de 
New-York  l'attrait  de  nouveauté  qui,  deux  ans  plus  tard,  à  Paris,  valut  à  celui-ci 
une  vogue  subite  auprès  des  amateurs  du  monde  entier. 

Ce  qui  apparaissait  tout  d'abord  dans  l'orfèvrerie  naissante  des  Etats-Unis  et 
au  milieu  d'un  étalage  brutal  de  richesse,  c'était  l'incohérence  des  formes,  le 
mélange  de  tous  les  styles,  le  désir  d'étonner  par  l'imprévu,  la  bizarrerie,  la 
dimension  colossale  ou  l'abus  désordonné  des  ornements.  C'était  aussi  la  ten- 
dance à  un  naturalisme  criard,  d'où  l'art  était  absent.  Par  exemple,  on  voyait 
exposer,  comme  objet  d'art  à  offrir  dans  un  bel  écrin,  une  bouteille  de  vin  de 
Champagne  en  argent,  avec  capsule  en  or,  ficelée  de  cuivre  oxydé,  étiquette  en 


Couvert  Peau  de  lion. 
(Dessin  de  Rossigneux.—  Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


—  122   


émail,  des  bateaux  avec  voiles  imitées  en  métal,  gonflées  par  le  vent,  sous  les- 
quels l'eau  se  frise  et  clapote;  des  voitures  attelées  et  autres  enfantillages.  Mais 
il  y  avait  aussi,  chez  les  deux  fabricants  les  plus  en  faveur,  la  maison  Gorliam  et 
la  maison  ïiffany,  dont  la  réputation  commençait,  des  œuvres  soignées,  origi- 
nales, la  plupart  calquées  sur  les  productions  européennes,  des  pièces  en  métaux 
de  couleurs  diverses,  rouge,  noir  et  argent,  dont  la  facture  et  le  dessin  étaient 
empruntés  aux  artistes  japonais  ;  Tiffany,  qui  ne  reculait  devant  aucun  sacrifice, 
avait  engagé  des  ciseleurs  du  Nippon  qui  lui  avaient  livré  leui's  secrets.  Gorbam 
s'était  attaché  dès  cette  époque  un  artiste  français,  G.  Heller,  habile  graveur  sur 
acier,  qui  fournit  à  cette  maison  des  matrices  gravées  comme  des  médailles.  C'est 
de  cette  époque  que  date  toute  cette  jolie  orfèvrerie  estampée,  ces  couverts  oii 
la  flore  américaine  et  les  types  des  Sioux  et  des  peuplades  du  Colorado  étaient 
reproduits  avec  une  rare  perfection.  Pour  les  objets  d'orfèvrerie  à  bon  marché, 
les  fabricants  américains  employaient  le  procédé  mécanique  suivant  qui  leur  per- 
mettait de  répéter  indéfiniment  toutes  sortes  d'ornements  :  le  dessin  adopté 
étant  gravé  sur  les  cylindres  d'un  petit  laminoir,  les  lames  d'argent  qu'on  y 
passait  reproduisaient  les  détails  les  plus  fins  du  modèle.  Il  n'y  avait  ensuite 
qu'à  courber  les  feuilles  d'argent  ainsi  imprimées  à  la  forme  voulue  :  c'était 
encore  plus  expéditif  que  nos  estampages.  Chez  Tiiïany,  on  remarqua  surtout, 
parmi  des  œuvres  d'une  exécution  compliquée  et  d'un  goût  franchement  détes- 
table, comme  le  vase  en  l'honneur  du  poète  Bryant,  en  argent  repoussé,  un  très 
original  service  à  thé  en  cuivre  rouge  avec  des  ornementations  en  argent  dé- 
posé par  l'électricité  ;  en  outre,  un  service  de  dessert,  style  Renaissance,  avec 
ornements  or  et  argent,  «  conq)arable,  dit  M.  RouUeaux-Dugagc  dans  son  rap- 
port (1),  à  ce  qu'il  y  a  de  mieux  (iliez  MM.  Elkington  »  ;  un  autre  service  en  ar- 
gent repoussé  d'un  travail  remarquable;  enfin,  un  surtoul  orné  de  figures  in- 
diennes où  il  n'y  avait  rien  à  reprendre.  8i  l'on  ajoule  (pi'une  autre  maison  d'or- 
fèvrerie, /il  Mrr/i/i'/i.  Ihitannia  C",  montrait  ses  premiers  essais  d'iuie  invention 
(In  iiroCcsscni'  Scligman  |)()nr  donner  aux  objets  (!n  élain  une  sonoi'ilé  com])a- 
i'al)l(!  à  celle  (pi'ils  auraient  eue  s'ils  avaient  été  faits  en  argciut  massif,  on  recon- 
nailra  qiu;  r()rl'èvreri(^  américaine  n'en  était  plus  aux  balbutiements  incertains 
(les  premiers  (N'hiils:  sans  ('aracl('re  (uicore  bien  (ranché,  empruntani  à  lort 
(ît  il  travers  ses  UK'I  liodes  et  ses  (b'cors,  elle  jetait  sa  goui'me,  en  atlendani 
niieiiN . 

L'i imIiisI rie  (l(in(  n<Mis  essayons  d'esiinisser  riiisloir(^  et  les  Ilucliialions  ilepuis 
deux  siècles  rellele  plus  (pi'iuicune  autre;  peul-èire  la  pliysionomie  et  l'viid  d'i'une 
des  g('MM'ra( ions  successives  donl  (ille  sei'l  les  besoins,  l/arl  ('(anl  le  phare  |)uissanl 
qui  illiunim;  sa  r()ut(!,  elle  r(!gl(!  siu'  lui  ses  ('volutions  et  se  I  ransfoi'uu!  selon  l'idéal 


I     /l'/yi//'/; /■,  (///!'//■/   \in  i'  E  I  ii<i:iliiiii  dr  l'Ii  ilinlr/ /i/i  if .  l'ii  IS/l'i    I  vol.,  I  il  i      liir  l'ir  llilli  i  HIM  II'),  p.  .'11* 


—  123  — 


mobile  des  sociétés.  Ceci  est  l'évidence  et  n'est  pss  contesté.  Mais  outre  les  causes 
générales  qui  influent  sur  le  goût  et  sur  les  modes,  et  qui  déterminent  le  carac- 
tère principal  de  l'art  décoratif  d'un  temps,  il  faut  ajouter  une  quantité  de  petits 
phénomènes,  de  causes  secondes,  pour  ainsi  dire,  dont  la  succession  ou  la  réu- 
nion créent  peu  à  peu  un  mouvement  d'ensemble  et  provoquent  parfois  des 
impulsions  inattendues  et  décisives.  Ce  sont  ces  menues  indications  que  l'histo- 
rien doit  se  garder  de  négliger,  s'il  prétend  démêler  avec  quelque  chance  de  jus- 
tesse les  véritables  motifs  de  l'évolution  d'une  industrie,  car  bien  souvent  les 
résultats  dépassent  les  relations  ordinaires  entre  la  cause  et  l'effet. 

11  est  certain  que,  pour  la  période  qui  va  de  1870  à  1889,  une  multiplicité 
d'efforts  se  sont  produits  qui  ont  contribué  à  donner  à  l'orfèvrerie  un  aspect  spé- 
cial qu'il  est  facile  de  distinguer.  En  premier  lieu,  les  Expositions  universelles, 
de  plus  en  plus  fréquentes  dans  les  divers  pays,  ont  eu  leur  grande  part  d'action 
(pas  toujours  excellente,  il  faut  le  dire)  sur  cette  industrie.  Les  expositions 
rétrospectives  de  tous  genres,  organisées  en  maintes  occasions,  et  surtout 
celles  de  l'Union  centrale,  ont  puissamment  aidé  à  l'éducation  du  public  et  des 
artistes.  Mieux  instruits  des  merveilles  du  passé,  plus  diflicilcs  à  contenter,  les 
acheteurs  en  venaient  à  exiger  autre  chose  que  des  imitations  médiocres.  Un  assez 
grand  nombre  de  collectionneurs  érudits  se  mirent  à  guider  les  orfèvres,  et 
ceux-ci,  éclairés  par  les  recherches  des  savants  archéologues,  apportèrent,  plus 
de  discernement  et  d'habileté  soit  dans  l'application  d'anciens  procédés  retrouvés 
—  comme  celui  de  l'émail,  —  soit  dans  l'emploi  du  nouveau  matériel  mécanique. 
Il  faut  noter  encore  quelques  autres  circonstances  accessoires  qui,  à  cette  date, 
ne  furent  pas  sans  influence  sur  l'orientation  de  l'orfèvrerie  :  telle  fut  l'habitude 
prise  par  le  Jockey-Club  d'offrir  des  prix  de  course,  ou  encore  celle  du  Ministère 
de  l'Agriculture  de  distribuer  des  objets  d'art  aux  lauréats  des  concours  agri- 
coles. Nous  verrons  tout  à  l'heure  comment  ces  innovations  si  simples,  en  appor- 
tant aux  orfèvres  des  programmes  inédits  avec  la  collaboration  de  sculpteurs 
éminents,  provoquèrent  des  inventions  nouvelles,  et  favorisèrent,  en  des  œuvres 
expressives  et  fortes,  un  retour  à  la  nature  qui  fut  des  plus  heureux. 

L'Exposition  universelle  ouverte  à  Paris  en  1878  montra  le  cheniin  parcouru 
en  moins  de  dix  ans  par  la  France  dans  ses  arts  du  décor.  Le  succès  en  fut  très 
grand  et  dépassa  celui  de  1807.  A  l'étonnement  du  monde  entier  de  voir  notre 
pays,  après  ses  désastres  de  1'  a  Année  terrible  »,  dans  un  effort  de  redresse- 
ment superbe,  attester  avec  tant  d'éclat  sa  vitalité  et  son  énergie,  s'ajouta  la  plus 
vive  admiration  pour  les  progrès  accomplis  dans  un  intervalle  si  court.  Le  gran- 
diose spectacle  du  Trocadéro,  les  musées  rétrospectifs  ([u'on  y  avait  rassemblés, 
où  les  magnificences  de  l'argenterie  et  du  mobilier  de  l'ancienne  France  voisinaient 
avec  les  chefs-d'œuvre  des  arts  orientaux,  l'éblouissante  leçon  qui  s'en  dégageait, 
augmentèrent  encore  l'impression  des  visiteurs.  Dans  les  sections  des  produits 


—  124  — 


de  l'industrie  moderne,  réunis  au  Champ-de-Mars,  l'orfèvrerie  tenait  une  place 
extrêmement  brillante.  Pour  notre  pays,  aux  fabricants  de  renommée  illustre  et 
ancienne,  qui  tous  s'étaient  piqués  d'émulation,  étaient  venues  se  joindre  de 
jeunes  recrues  comme  Lucien  Falize,  lequel,  du  premier  coup,  s'affirma  comme 
un  maître.  Parmi  les  étrangers,  ce  fut  l'Américain  Tiffany  qui  remporta  la  palme. 
Le  rapporteur  du  Jury,  Baclielet,  orfèvre  de  talent,  n'a  malheureusement  consacré 
à  cette  manifestation  si  intéressante  que  quelques  courtes  pages,  dans  lesquelles 
il  ne  faut  aller  chercher  ni  considérations  générales,  ni  descriptions  détaillées  des 


l'cndiilc  on  lu))is  ul  iiryciil,,  par  l'"<uiiii(''i'i'  l'roros. 


(XMJvres  exposées.  Mais  on  peut  suppléer  à  cette  lacune  par  les  études  ci-itiques 
publiées  alors  dans  les  revues  spéciales.  Nos  souvenirs  personnels  sont  d'ailleurs 
ass(!Z  pi'écis  |)our  nous  pcirmeltre  de  i"ap|H'ler  à  grands  traits,  d'après  des  cai'nets 
(le  noies  conservés,  l'aspect  (l(!s  |)rincipales  pièces  d'orrèvrerie  (jui  fin'cnt  alors  \c 
|)lns  rcMiarqiK'cs. 

Dans  l;i  seclioii  française,  an  premier  rang,  l(\s  frèi'es  Fannièro  conlinuaient  à 
s'imposer,  non  par  la  nouv(Niul(''  des  id('es  on  l'abondance  de  leurs  |)rodu('lions, 
mais  |i;ir  un  choix  l'csire.ini  d'd'iivres  poussives  ;i  la  perfection,  raeonné(>s  avec 
amonr  cl  s;iiis  li.'ilc  d';i|iics  les  honnêtes  forninles  de  leur  atelier,  oii  ils  se  nniin- 
len;iienl  lidiirmcnl  d;ins  les  I  niilil  ions  (pii  lein'  ('(nient  chères. 

Tr;i\;iillenrs  niodcsies  el   ;icharn(''S,  ainn's  de  cpii  les  connail,  respectés  de 


—  125  — 


tous,  ils  vivent  retirés  dans  leur  quartier  tranquille,  loin  des  concurrences  tapa- 
geuses, créant,  et  faisant  tout  par  eux-mêmes.  Orfèvres  tous  deux,  Fun,  Auguste, 
est  le  sculpteur,  l'autre,  Joseph,  est  le  ciseleur.  Leur  œuvre  déjà  considérable 


Bellci'ophon  terrassant  la  Chimère. 
Prix  de  course,  par  Fannièrc  frères. 


reflète  bien  leur  nature  sérieuse,  sans  grand  élan,  mais  sans  faiblesse.  Tout  ce 
qui  vient  d'eux  est  marqué  au  coin  de  riionnétcté,  de  la  bonne  foi;  leurs  œuvres 
sont  pures  comme  le  métal  qu'ils  emploient  (1).  Au  milieu  de  leur  vitrine,  on 

(i)  L.  Falize.  Voir  Gazelle  des  Bcaux-Afls,  tome  XVIII,  page  221. 

6 


—  126  - 


admirait  la  belle  pendule  faite  de  lapis  et  d'argent,  conçue  dans  le  style  de  la 
Renaissance,  et  qui  appartient  à  M"*  Blanc.  Surmontée  d'un  génie  qui  tient  un 
flambeau  et  une  couronne,  elle  est  accostée  de  deux  figures  assises  dont  les 
nobles  attitudes  rappellent  le  mouvement  des  statues  du  Jour  et  de  la  Nuit  que 
Michel-Ange  modela  pour  le  tombeau  de  Laurent  de  Médicis.  Nous  l'avons  retrouvée 
dans  les  vitrines  du  Centennal,  ainsi  que  l'épée  en  forme  de  claymore  offerte  au 
général  Charette,  qui  est  ingénieusement  composée  avec  les  attributs  et  la  légende 
de  la  vieille  Bretagne;  enfin,  un  groupe  de  Bellérophon  combattant  la  Chimère, 


Conipolior  du  surtout  de  Flore  et  Zéphyr. 

{Orfèvrerie  de  Guslnve  Odiol.) 


prix  (1(!  (îoursc  gagné  par  le  comte  de  Lagrange.  Cette  ingénieuse  compo- 
silioM  (!sl  un  exemple  de  grâce  noble,  et  l'exécution,  bien  que  délicate  et  minu- 
ti(Misc,  n'enlève  rien  à  la  sculpture  de  son  accent  et  de  sa  verve. 

On  i-aconte  (|ue  h'  groupe  «  le  Bellérophon  »,  prix  de  course  gagné  par  le 
coin  le  (II!  Lagrange,  qui  n'avait  pu  être  terminé  à  temps  pour  l'époque  de  la 
course  cl  qui,  (-.(speiKhint,  était  au  dire  des  connaisseurs  une  œuvre  remarquable, 
ne  les  salisfaisail  [loint.  Ils  demandèrent  au  comle  de  Lagrange  de  leur  remettre 
leur  (I  II vie  |iiiiii'  l:i  parachever;  mais  ils  s(^  laissèrcMil,  enli'aînei',  et  s'apen^urent 
les  rclonclies  (ju'ils  venaient  de  l'airi!  (I('>passaieiit  de  beaucoup  le  prix  (|ui 
Iciic  avilit  r\r  payi'i.  Mais  l'ii'uvre  était  parfailc  et  satisfaisait  leui'  conscieuce 
d'arlislc;  iK  n'i'l iiicnt  pas  riclics,  mais  ils  avaient  l'amour  de  leur  art;  ils  se 
ciiiili'iili'i'i'iil  du         (|iii  leur  avait  r\,r  pay('. 

A  coli'  de  ces  pièces  cxccplionnclh^s  et  uni(pu's  se  Ir'oiivaicnt  (pichpics  pièces 


127 


Candcilabre  du  siii'Loul  «  Flore  cl  /épi 
(tvf'Éi'ri'i'ie  (le  (iiislurc  OdiuL- 


Prix  de  course  do  1877. 
{Orfèvrerie  de  GusIhcc  Odiol. 


—  135 

fit'  services  de  table  exécutées  une  à  une  avec  une  lenteur  méticuleuse,  et  sans 
aucun  souci  du  gain  à  réaliser,  mais  toujours  avec  la  même  conscience.  Jusqu'à  la 


Le  Ccnlaurc  couronné  par  la  V'icloire.  —  Prix  de  course. 
{Orfèvrerie  de  Fromenl-Meurice.) 


fm  de  leur  existence,  les  Fannière  ont  eu  la  même  application  consciencieuse  et 
patiente  qui  donne  à  leurs  rares  ouvrages  un  caractère  particulier  qu'on  ne 
retrouve  pas  ailleurs.  Ciseleurs  incomparables,  ils  ont  poussé  jusqu'à  l'excès 


—  13G  - 


celte  virtuosité  de  l'outil  qui,  manié  par  des  mains  moins  habiles,  aurait  pu 
amollir  les  formes  de  la  sculpture  et  leur  enlever  trop  d'accent. 

La  maison  Odiot,  parle  vaste  espace  qu'occupaient  à  l'Exposition  de  1878  ses 
massives  Yaisselles  d'argent,  ses  surtouts,  ses  candélabres,  etc.,  attestait  que  le 
luxe  de  la  table  n'était  pas  prêt  de  disparaître  en  France,  même  sous  le  régime 

républicain,  et  qu'à  l'exemple  de  la  haute 
société  anglaise,  quelques  familles  ont  en- 
core gardé,  dans  notre  pays,  le  goiit  de  cette 
coûteuse,  mais  solide  vaisselle  plate. 

Nous  avons  déjà  cité  le  nom  d'Odiot  :  le 
grand-père,  Claude,  s'était  illustré  sous 
l'Empire  et  la  Restauration.  Charles,  son  fils, 
avait  tenu  le  drapeau  de  la  famille  sous 
Louis  -  Philippe  ;  et  depuis  1860,  Gustave 
Odiot  avait  montré  sous  Napoléon  III  et  la 
^wjk  m^t  'LiaMM  t^épublique,  que  l'héritage  était  resté  intact 
^^^h^  entre  les  mains  d'un  Odiot  qui  serait  l'ar- 

gentier du  roi,  s'il  y  avait  encore  des  ar- 
gentiers et  des  rois.  Quelques  esprits  cha- 
grins prétendent  qu'en  dépit  des  artistes 
qu'elle  emploie,  des  talents  de  ses  sculp- 
teurs, Gilbert  et  Récipon,  malgré  toute  l'ha- 
bileté de  son  ciseleur,  Diomède,  la  produc- 
tion de  cette  maison  ne  s'inspire  que  de  son 
passé  et  redoute  les  innovations.  Elle  aime 
ses  vieux  modèles  et  s'attache  à  ses  tradi- 
lioiis;  mais  c'est  précisément  ces  vieux  mo- 
dèles que  sa  clientèle  aime  et  recherche. 
D'ailleurs,  ne  fait-elle  pas  preuve  de  sagesse, 
et  (levons-nous  nous  plaindre  si  elle  résiste 
aux  iuipatienc(!s  (hî  la  mode,  dont  les  per- 
p(''luels  changements  font  ressembler  la  vie 
(rnnc  société  à  un(^  iiu*essante  métamor- 
aclics  avec  le  passé  et  sa  fidélité  à  ses  ori- 
11       iimiiis  le  \t\ry\\c  de  i-iiii'  (le  glorieuses  ! radil ious. 

iiil'iiil  <lr  l'Iorc  cl  Z<''pliyr,  (l()nt  nous  reproduisons  un  des  caiulélabrc's, 
Me       iM'  d  liici';  mais  sa  composil ion  l'ait  honneur'  au  sculpteur  Gilberl, 
(•t  S(»ii  cM'ciil  ion         rmCcvi  »'  csl  digne  de  lou^;  les  (''loges. 

Gusla\r  (l'Iiiil  |)n''  ,rnl;iil  ('^Mlcnicnt  des  prix  de  coiu'ses.  Vases  ou  piècos 
(h'cfiralivcs.  'loiil  il  ('l  iil  le  roin'nissciu'  altitr(!  pour  le  Jockey-Club,  dans  leipiel 


Ai^iiii'i''       i  i'i^hil  ilr  l'iiclic,  iii(iiil(''c  cil  iir 
gciil  i:l  riiiail  p.ii'  I'!.  l'  riiiiicpilMcui'icc. 


pllOS( 

;.'incs 
L. 

ne  se 


La  maison  Odinl ,  par  ses 


il  ne  comptait  que  des  amis.  Le  vase  pour  le  prix  de  Gladiateur,  en  1877,  élait 
somptueux  et  rappelait  par  son  ordonnance  et  son  ajustement  un  vase  de  Le  Brun 
ou  de  Lepautre.  Modelé  par  Récipon,  nous  en  donnons  un  dessin  qui  en  montre 
l'opulence. 

A  l'exposition  de  l'orfèvre  Fro- 
ment-Meurice,  au  contraire,  beau- 
coup de  variété,  des  tentatives 
curieuses  de  polychromie,  l'asso- 
ciation de  l'émail  et  de  marbres 
précieux,  de  l'ivoire  à  l'argent, 
un  goût  alerte  et  délicat,  bien  au 
fait  du  mouvement  de  l'art  con- 
temporain. A  côté  d'un  service 
Louis  XV,  commandé  par  la  prin- 
cesse Mentschikoff  d'après  les 
types  de  Roetliers,  ou  d'une  .gar- 
niture de  toilette  Louis  XVI,  mo- 
delée par  Carrier-Belleuse,  et 
commandée  pour  la  baronne 
douairière  de  Rothschild,  ou  re- 
marquait des  œuvres  d'un  carac- 
tère tout  moderne  :  une  garni- 
ture de  cheminée,  pendule  et 
candélabres  en  argent  et  ivoire, 
d'après  les  dessins  de  l'architecte 
Daumet,  et  destinée  au  château 
de  Chantilly;  un  prix  de  course, 
le  Centaure  et  la  Victoire,  doni 
la  sculpture  fort  ingénieuse  était 
d'Emile  Cartier,  et  que  l'orfèvre 
avait  exécuté  au  coquillé;  un  cof- 
fret élégant  où  les  gemmes  trans- 


Ostcnsoir  oITci 


'éylise  Xoli-p-Dame  du  Saciù-Ccfiir 
d  lssoiiclun  par  la  comtesse  de  Bardi. 
[Orfèvrerie  d'Emile  Froment- Meiirice.) 


parentes  se  mariaient  harmonieu- 
sement aux  entrelacs  d'argent 
émaillé  inscrits  dans  les  cadres 
de  vermeil;  une  chai'mante  ai- 
guière en  cristal  appartenant  au  roi  d'Espagne,  dont  la  monture  en  vermeil, 
perles  fines  et  émaux,  formait  comme  une  guirlande  de  feuillages  et  de  fruits 
négligemment  jetée  sur  la  panse  d'où  elle  retombait  gracieusement;  enfin,  une 
série  d'objets  de  fantaisie,  un  th'^  persan,  une  reproduction  de  la  lampe  du 


-  i;m  - 

Saint-Sépulcre,  de  petites  salières  portées  par  des  enfants  d'une  espièglerie  dé- 
licieuse, et,  pour  finir,  quelques  belles  pièces  d'orfèvrerie  religieuse,  telles  qu'un 


l'ciiiliilc  il'l  li'iniic  : 
Itjis  l'i'lici'  cimiliK'iPiiinil  il'  (le  Mnrf^iicrilc  ilc  Niiv  iiri'c. 

(  dr/riTcrii'  de  I ..  h'nUzc.) 

o^lciisoir  i'ciii;ii(pi;iltlc  ollcrl  |»;ir  l;i  conilcssr  de  Uai'di  à  l^'glise  N()(.ro-l)amo  du 
S;icr'('-(',(i'iir  irissoiidiin.  Celle  (Iciiiirrc  (imivi'c  avait.  ('((!  coniposi'c  pai'  un  dessi- 
iKilfiir  df  ;.'raiiil  l;ilciil,   llniii  pciidani  des  aiiiK-cs  rcsia  (Idèlc- 


La  Pcndulefd'Uranic  (figures  en  ivoire). 
[Orfèvrerie  rie  L.  Falize.) 


—  141  — 


ment  attaché  à  la  maison  Froment-Meurice  :  nous  aurons  à  en  reparler  plus 
loin  (1). 

Emile  Froment-Meurice  montrait  dans  ses  œuvres  les  fines  élégances  des  orfè- 


Pendulc  d'Uranie  : 
Bas-relief  commémoratif  de  Gaston  de  Foix. 
[Orfèvrerie  de  L.  Falize.) 

vreries  de  la  Renaissance,  la  recherche  raffinée,  auxquelles  l'avaient  soumis  les 


(1)  Henri  Cameré,  né  en  1830,  est  mort  en  1894.  M.  Emile  Froment-Meurice  a  consacré  à  son  collabo- 
rateur une  élude  nécrologique  très  substantielle,  qui  a  paru  dans  la  Revue  des  Arts  décoratifs,  tome  XV, 
page  100. 


—  142  — 


traditions  paternelles.  S'il  n'avait  pu  recevoir  do  son  père  cette  éducation  de 
l'outil  qui  devient  rare  chez  les  maîtres  orfèvres,  il  excellait  dans  la  conduite  de 
ces  symphonies  de  ciselure,  il  était  toujours  ce  chef  d'orchestre  dont  parle  Théo- 
phile Gautier  quand  il  écrivait  :  «  Froment-Meurice  n'a  pas  beaucoup  exécuté  par 
»  lui-même,  quoiqu'il  maniât  avec  beaucoup  d'adresse  l'ébauchoir,  le  ciselât  et  le 
»  marteau.  Il  inventait,  il  cherchait,  il  dessinait,  il  trouvait  des  combinaisons 
»  heureuses.  Il  excellait  à  diriger  ses  ateliers,  à  souffler  son  esprit  aux  ouvriers. 
»  Son  idée,  sinon  sa  main,  a  mis  un  cachet  sur  toutes  ses  œuvres.  Comme  un 
»  chef  d'orchestre,  il  inspirait  et  conduisait  tout  un  monde  de  sculpteurs,  de 
»  dessinateurs,  de  graveurs  et  de  joailliers;  car  l'orfèvre  d'aujourd'hui  n'a  plus 
»  le  temps  de  ceindre  le  tablier,  et  de  tourmenter  lui-même  le  métal  pour  le  forcer 
»  à  prendre  des  formes  diverses  (1).  » 

Lucien  Falize,  nous  l'avons  déjà  dit,  conquit  à  l'Exposition  de  4878  ses  pre- 
miers succès.  Tout  jeune  encore,  élevé  dans  le  métier  par  son  père  qui  s'est 
adonné  surtout  à  la  bijouterie  et  fut  un  des  artistes  professionnels  les  plus  distin- 
gués de  son  temps,  Falize  était  déjà  en  possession  de  la  plupart  des  qualités  qui 
devaient  lui  valoir  bientôt  une  place  éminente  et  tout  à  fait  à  part  parmi  les 
orfèvres  de  son  époque.  Doué  d'une  imagination  poétique,  nourri  de  bonne  littéra- 
ture, aimant  à  écrire  et  écrivant  d'une  plume  savoureuse  et  pittoresque  sur  les 
sujets  de  sa  profession,  il  se  plaisait  dans  les  recherches  historiques,  tout  en 
ayant  le  sens  aigu  de  l'art  moderne,  et  il  puisait  dans  la  fréquentation  des  artistes, 
des  savants,  des  musées  et  des  ateliers,  des  connaissances  approfondies  dont  il 
savait  admirablement  tirer  parti  pour  les  créations  qu'il  mettait  en  œuvre.  Pour 
lui,  toute  pièce  d'orfèvrerie  devait  être  un  poème,  un  thème  à  développements 
d'idées,  de  souvenirs,  de  pensées  gracieuses  ou  profondes.  Dans  ses  œuvres  de 
début,  ce  fut  son  goût  pour  l'archéologie  et  les  motifs  littéraires  qui  se  manifesta. 
La  pièce  la  plus  importante  de  son  exposition  de  1878,  comme  valeur  et  comme 
travail,  était  l'Horloge  d" Uranie,  exécutée  dans  le  style  du  seizième  siècle,  pour 
un  liclic  innalein- anglais.  Cette  horloge  repose  sur  un  socle  de  lapis-lazuli  orné 
de  feuillage  d'or.  Six  s|)hinx  d'or,  parsemés  d'émaux  translucides,  soutiennent  les 
signes  des  planètes  dans  des  écussons.  Au-tl(>ssus,  Hi-anic,  avec  deux  enfants, 
suppoi't(!  une  s{)hère  dc^  crisl,al  d(^  roch(\  dans  huiuelle  évoluent  les  figurines  d'or 
des  dieux,  modelées  par  CarrifM'-HcMeuse  eloi'févi'ées  par  (îlachant.  On  reprocha 
a  cetti;  siiv;iiilc  (•(tiiiposil ion  (piel(|ii('  lourdeur  rc'snltiint  des  ivoires  associés  aux 
grâces  plus  souples  des  seidptiwes  ni(''(;illi(pies  {"î).  Mais  les  (pialre  panneaux  à 
bas-r'elii'C  d',! !■;.'( 'ni  ciseh'  cl  d'or,  dan:-;  les(|iiels  l*'alize  avait  r("pr('senté  d(^s  por- 
traits liis|(,iii|iirs,  (i;isloii  de  lii'Mrii,  (lasl(»N  de  l''oi\,  IVlargiieril e  de  h'oix  el  Mar- 


l\)  niizrllf  iloK  lli-tll/.i-ii  /\,  lipiiii   W  III,  im^i' 

12)  Voir  llotiiiiiiiicill  l'c-liliii'  ilr  \|.  |,.jiiiH  (idlicc,  ilair  la  Cxi  rllr  <lrs  llriiii.f  .ir/s  ilii        scpiciiilil't'  tSlH. 


—  143  — 


guérite  de  Navarre,  parurent  de  véritables  chefs-d'œuvre  dignes  des  honneurs 
d'un  musée.  Dans  celui  de  Gaston  de  Foix,  dont  la  statuette  équestre  était  du 
sculpteur  Frémiet,  l'or,  l'argent,  le  bronze,  le  fer  damasquiné,  l'ivoire  et  l'émail 
avaient  été  simultanément  employés;  pour  les  autres,  Chédeville  en  avait  modelé 
les  ornements;  Claudius  Popelin  avait  peint  l'émail  figurant  Gaston  de  Foix;  la 
ciselure  était  de  J.  Brateau. 

L'Exposition  de  1878  fournit  encore  à  Falize  l'occasion  de  faire  un  aussi 
remarquable  chef-d'œuvre  d'orfèvrerie  et  d'émail,  c'est  le  testimonial  offert  par 
les  Comités  de  l'Exposition  à  M.  Teisserenc  de  Bort,  alors  ministre  du  commerce, 
qui  avait  présidé  à  l'organisation  de  cette  Exposition.  Nous  en  reparlerons  au 
chapitre  suivant. 

Dans  ces  différentes  pièces,  véritables  chefs-d'œuvre  de  maître,  Lucien  Falize 
montrait  qu'il  avait  la  noble  ambition  de  rapprocher  le  plus  possible  le  métier  de 
l'art,  de  confondre  l'ouvrier  et  l'artiste  et  de  conquérir  les  qualités  qu'il  admi- 
rait chez  les  frères  Fannière.  Nous  la  retrouvons  chez  lui,  jeune,  ardente,  con- 
vaincue. Ce  qu'il  demande  aux  autres,  il  l'exige  d'abord  de  lui-même.  Sa  façon  de 
s'exprimer  sur  le  travail  d'autrui  nous  fait  voir  ce  qu'il  pensait.  Ayant  toujours 
présent  ce  qui  peut  lui  manquer,  il  travaille,  il  étudie  et  il  cherche  sans  cesse, 
profitant  avec  bonne  foi  de  ses  propres  erreurs.  En  cela,  il  continue  l'œuvre  com- 
mencée par  son  père. 

L'orfèvrerie  reste  une  de  nos  gloires  incontestées,  mais,  si  quelques  symptômes 
nous  indiquent  qu'elle  pourrait  un  jour  déchoir,  nous  n'avons  rien  à  craindre  si 
nos  orfèvres,  plus  souvent  marchands  qu'artistes,  se  mettent  à  suivre  les  exemples 
donnés  par  les  Christofle,  Froment-Meurice  et  Falize. 

L'exposition  de  la  maison  Christofle,  d'une  ampleur  et  d'une  variété  extraor- 
dinaires, résumait  à  elle  seule  les  progrès  de  l'orfèvrerie  française,  dans  tous  les 
genres  et  sous  tous  ses  aspects,  montrant  l'esprit  d'initiative  d'une  direction  tou- 
jours en  haleine  et  cherchant  incessamment  du  nouveau.  Un  juge  compétent  entre 
tous,  Lucien  Falize  (1),  en  a  publié  une  appréciation  dont  voici  les  principaux 
passages  :  «  Il  convient  de  rendre  aux  chefs  de  cette  importante  usine  un  éloge 
bien  dû;  plus  que  d'autres,  ils  répondent  à  ce  désir  que  nous  manifestions  en 
commençant  :  ils  appellent  l'artiste,  l'aident,  lui  apprennent  à  aimer  l'art  du  métal, 
font  avec  lui  des  échanges  d'idées,  et,  artistes  eux-mêmes,  ils  contribuent  à  cette 
conversion  des  maîtres  et  du  public,  non  seulement  par  leurs  travaux,  mais  en- 
core par  le  concours  qu'ils  donnent  aux  sociétés  d'art  et  d'industrie.  »  Puis  venait 
la  description  des  ouvrages  exposés  par  MM.  Christofle,  et,  en  premier  lieu,  celle 
d'un  grand  surtout  en  argent  exécuté  pour  le  duc  de  Santonia,  auquel  avaient  col- 


(11  Lucien  Falize  :  L'art  moderne  à  l' Exposition  de  1878,  L'orfèvrerie  et  la  bijouterie,  dans  le  volume 
publié  par  la  Gazelle  des  Beaux-Arls  (1878,  in-8»),  pages  310-318. 


—  144  — 

laboré  des  sculpteurs  de  premier  ordre;  la  pièce  du  milieu,  petit  chef-d'œuvre, 
dû  à  Autonin  Mercié  et  Mathurin  Moreau,  représente  le  triomphe  d'Amphitrite;  les 
deux  bouts  de  table  —  une  Néréide  soutenant  un  vase  —  étaient  de  HioUe;  les 
Saisons,  modelées  par  Gautherin,  ornaient  les  candélabres;  deux  jardinières,  ser- 
vant d'appui  aux  figures  couchées  de  l'Europe,  de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  de  l'Amé- 
rique, étaient  de  Lafrance.  «  C'est  un  délicieux  poème,  disait  Falize,  que  conce- 
vront et  goûteront  les  gens  doués  de 
quelque  entendement.  »  Néanmoins, 
le  critique,  «  en  dépit  de  ces  figures 
charmantes  et  des  délicates  colora- 
tions de  l'argent,  dont  l'éclat  blanc 
est  adouci  par  des  frottis  d'or  aux 
douceurs  estompées  »,  trouvait  à  cet 
ensemble  un  aspect  solennel.  Un 
autre  surtout,  dû  à  la  verve  facile 
de  Carrier-Belleuse,  modeste  en  ses 
visées,  montrait  des  groupes  de 
bacchantes,  d'enfants  et  de  silènes, 
d'une  vie  étonnante,  «  d'une  amu- 
sante compagnie  à  table  »,  et  dont  les 
cristaux  formaient  avec  l'ornementa- 
tion  Louis  XV  un  contraste  étince- 
lant.  Du  môme  style  et  du  môme 
sculpteur  étaient  «  trois  jolies  pièces 
d'un  service  à  café...  C'est  une  cohue 
(le  bambins,  jolis  comme  les  Amours 
du  siècle  dernier,  remuant,  grouil- 
lant, agissant,  vivant  de  la  vie  des 
Arts.  »  Dans  ce  môme  ordre  d'idées, 
Falize  citait  encore  deux  autres  sui-touts  de  Carrier-Belleuse,  un  de  Mathurin 
Moreau,  des  faunes  d'Eug.  Piat,  un  service  à  déjeimcr  dessiné  par  Ch.  Rossigncux 
"  où  la  peau  du  Lion  de  Némée  jouait  un  rôle  iuû(|ue  et  pourtant  point  nu)no- 
loiic  »,  (;M(iu,  il  faisait  rc^ssortir  la  nouveauté  et  l'intérôt  des  énuiux  cloisonnés 
et  des  meubles  du  goût  japonais  ex(''cut('s  sous  la  (lircclion  de  Heibcr,  vases, 
torclicrcs,  jardinières,  collrcls,  pialcaux  de  lable,  etc.,  (|ui,  soit  par  les  couleurs 
de  r('iiiail,  soit  piw  les  patiiu's  varic'cs  des  hrouzcs  incrustés  d'oi-  et  d'ai'gimt, 
:M;(|uicn'nl  iuh;  d('c,oi alioii  si  int(;iis(!  et  si  varié(>.  Il  ajoulait  «  (|ue  dans  l'intro- 
>,  ductioM  dans  nos  nio-urs  i\v  c(!  gofil  japonais,  (|ui  depuis  (pu^hpie  dix  ans  a  si 
«  pforoïKli'iiii  iil  niodili»'  nos  id(''es  (h'coralives,  soil,  IxuMU'  ou  mauvaise,  profi- 
I;d)lc  ou  daugcn-iisc,  il  l'an!  dire  que  MM.  Clu  islollc;  et  Uouilhet  s'y  sont  livrés 


Sci'vice  lie  vorroiic  pour  le  duc  de  Sanlonin. 
(])i:ssiii  or'ujimd  d'Einih'  Itcihcr.) 


Jardinières  et  Ijoiils  de  table  du  service  du  duc  de  Saidonia. 
[Orfèvrerie  de  Chrislofh'.) 


—  147  — 

»  les  preniiers  et  que  c'est  chez  eux  qu'il  faut  chercher  le  grand  prêtre  du  japo- 
»  nisme  en  la  personne  de  Reiber  ». 


Milieu  de  table  du  surtout  du  duc  de  Santonia. 
{Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 

Mais  l'œuvre  capitale  de  l'exposition  Christofle  —  dessinée  également  par 
Reiber  —  était  la  bibliothèque  du  Vatican,  destinée  à  contenir  les  traductions  en 
toutes  langues  de  la  bulle  proclamant  le  dogme  de  l'Immaculée-Conception,  tra- 


-  l'iH  — 


duction  faite  par  les  soins  de  l'abbé  Sire,  du  diocèse  de  Paris.  Nous  en  empruntons 
encore  à  Falize  la  description  (1)  :  «  C'est  un  immense  cabinet,  long  de  six  mètres, 
et  que  soutiennent  trente-six  pieds,  aux  chapiteaux  de  bronze  ciselé,  que  relient 
entre  eux  des  entretoises  du  même  métal,  et  que  surmonte  une  statue  d'ivoire  et 
d'argent  de  la  Vierge  de  Lourdes.  Des  vitrines  en  glace,  inclinées  en  manière  de 
pupitre,  protègent  les  manuscrits;  une  longue  ceinture  d'émail  cloisonné,  aux 
guirlandes  d'églantine,  enserre  la  table,  tandis  que  la  frise  supérieure  porte  une 
magnifique  composition  dessinée  et  peinte  sur  cuivre  par  Ch.  Lameire,  représen- 
tant les  nations  du  monde  apportant,  en  une  marche  triomphale,  au  chef  de 
l'Eglise,  les  titres  écrits  de  la  gloire  de  Marie.  Dire  ici  la  profusion  des  ciselures, 


Surtout  Bacchus. 
(Sciilpluve  de  Civvier-BeUeime.  —  (h-fèrrerie  tie  Chrislo'Ie.) 


les  détails  de  fine  sculpture,  la  douceur  et  le  charme  des  émaux  de  F.  de  Courcy, 
serait  empiéter  sur  la  place  qui  m'est  accordée.  Ce  meuble  extraordinaii'c  au- 
quel avaient  collaboré  des  sculpteurs  comme  Lafrance,  Jacquemart,  Carrier- 
Belleuse,  des  ornemanistes  comme  Mallet,  des  peintres  comme  Ehi'marni,  Ch.  La- 
meire, Frédéric  de  Courcy,  l'auteui-des  vingt-deux  médaillons  en  émail  limousin 
placés  au-dessous  de  la  fi'ise  sui)éri(>ui'e,  les  ciseleurs,  les  émailleiu-s  et  les  orfèvres 
les  plus  habiles,  ce  nuïubh^,  disons-nous,  n'avait  pas  coûté  moins  de  (piatre  années 
de  li-avail.  Il  l'cste  un  inoiuunent  ('ai-acléi'isli(pu>  de  la  (jualité  de  ])r()(lu('tion  à  la- 
(picllc  pouvail  allcindrc  une  maison  d'oiièvreric^  coniinc  celh^  d(>  (ihristofle,  oil 
hiiil  (!<■  colhilHiriilciu's,  lanl  d'(''l(''int'Mls  divers,  appelés  à  concourir  à  ime  oMivre 
(je  (■(■Ile  soric,  olH'issiiiil  à  imr  seule  voloiib'  direclrice,  |)arvenaient  à  l'elVet 
rriiiiili'  (pii  esf  |;i  graude  loi  de  l'art.  » 

La  SeetioM  française  de  rdil'èvrerie  à  l'Lxposilion  de  IS78  contenait  encore 
des  (1  livres  iiitér(!ssaiites  et  typi(pies  de  quel(|iies  fal)i'i('ants  (ni'il  serait  injuste 


'I,  l.'Ail  iiiniliu  ,ir  ,1        rpiiulifili  ih'  \H1H  (viil.  ill  H".  l.iliriHl'ir  .le  lll  i:(l:.rl/r  ih'X  ItniHX- .\ils).  pilfiC  \\\\ 


149 


—  151  — 


de  passer  sous  silence.  Ainsi,  M.  Louis  Aucoc,  père  d'André  Aucoc  qui  devait 
faire  preuve,  à  la  fin  du  dix-neuvième  siècle,  d'une  maîtrise  incomparable  dans 
l'interprétation  des  œuvres  du  dix-huitième  siècle  par  des  adaptations  d'une  fidé- 
lité de  facture  qui  nous  semble  ne  pouvoir  être  surpassée,  continuait  sa  spécialité 


Bibliotliéque  du  X'ulican,  vue  de  profil. 
[Dessin  d'Emile  Jleiber.  —  Ouvrage  de  Chrislofle.) 


qui  avait  fait  le  succès  de  la  maison  fondée  par  son  père,  la  fabrication  des 
nécessaires  et  des  services  de  toilette  en  argent,  Il  montrait  également  des  ser- 
vices à  thé,  des  services  de  table  d'une  bonne  fabrication,  et  soutenait  vaillam- 
ment la  réputation  de  son  ancienne  maison. 

Un  autre  orfèvre,  dont  le  nom  allait  apparaître  comme  l'un  des  apôtres  les 
plus  convaincus  de  la  renaissance  du  style  Louis  XV  et  conquérir  rapidement  une 


—  152  — 


juste  renommée,  M.  Georges  Boin,  gendre  de  M.  Taburet,  exposait  pour  la  pre- 
mière fois.  11  exposait  un  pot  à  eau  et  une  cuvette  dont  il  avait  trouvé  les  éléments 
dans  l'œuvre  de  P.  Germain,  et  avait  complété  le  service  de  toilette  par  des  acces- 
soires qui  s'adaptaient  bien  au  style  de 
Germain;  puis  également  des  services 
à  thé  et  une  jardinière  et  ses  candé- 
labres, qui  faisaient  pressentir  le  re- 
nouveau du  style  du  dix-huitième  siècle 
dont  il  était  le  mieux  préparé  pour  en 
faire  revivre  les  charmantes  inventions. 
On  remarquait  chez  M.  Eugène  Fonte- 
nay,  plus  bijoutier  qu'orfèvre,  un  brûle- 
parfums  d'or  ciselé,  décoré  de  filigrane 
et  d'émail,  d'une  rare  et  précieuse  exé- 
cution; chez  M.  Boucheron,  un  somp- 
tueux service  à  bière;  chez  Sandoz, 
une  jolie  pendule  émaillée  par  Meyer, 
un  des  artistes  qui,  avec  Claudius  Po- 
pelin,  de  Courcy  et  Grandhomme,  tout 
jeune  encore,  apportait  alors  aux  or- 
fèvres la  plus  précieuse  collaboration. 
Deux  ciseleurs  des  plus  habiles,  J.  Bra- 
teau  et  Michaud,  exposaient  aussi  en 
leur  nom,  en  dehors  des  fabricants  à 
qui  ils  ont  prêté  leur  concours  et  leur 
talent. 

Signalons  encore,  chez  M.  Fray,  des 
pièces  d'une  agréable  fantaisie,  un  ser- 
vice à  thé  d'un  bon  style;  chez  M.  Me- 
gcmont,  une  vaisselle  du  goût  le  meil- 
leur et  d'une  fabrication  excellente; 
chez  MM.  Mérite,  Ycyrat,  Cosson-Gorby, 
certaines  tentatives  dignes  d'arrêter 
l'atlcnlion. 

Les  orfèvres  dv.  nom  et  de  méli(M' 
n'étaient  pas  seuls  à  signer  des  œuvres 
exé<'ulé('S  en  ai';:('nl.  lin  bronzicr,  (|ni  a  laissi'  dans  son  art  un  nom  qui  ne  pi-rira 
pîis,  |{;iilM  ili('iii)i',  a  p(  ns(''  (pic  (ravaiMcr  l'argent  ne  dcvail  pas  être  indilVi'i'cnl  à 
fi  liii  nu  l  le  liion/c  en  (riivrc,  et  s'est  cssayi'i  dans  des  |)ièc('s  (\c  haut  goût 
(pu-  les  artistes  et  les  (tiivricrs  habiles  (pi'il  dirigeait  (levaient  exécuter  à  ravir. 


licijiii;  «lu  V'nliciiM.  1,11  N'ii'i'nc  de  Lourdes 
10.V(;ciit('e  cil  ivoire  cl  iir(jrnl  rc|i(iiiss('  |iin'  (  '.lirisloll 


Écliciile  central  de  la  Bibliothèque  du  Vatican. 
Myi'  Lanj^cuicux  et  l'aishé  Sire  présentant  un  exemplaire  des  Bulles  au  Saint-Père  Pie  IX. 


157 


—  139  — 


Déjà,  en  1862,  il  avait  montré,  dans  une  admirable  pendule  dont  l'ornementation 
inspirée  de  ces  maîtres  qui,  à  l'époque  de  Henri  II,  ont  laissé  de  la  Renaissance 
française  des  types  accomplis,  ce  qu'il  pouvait  faire  avec  des  artistes  comme 
Constant  Sevin,  des  ciseleurs  comme  Désiré  Attarge,  dont  le  nom  mérite  d'être 
honoré  à  côté  de  celui  de  Vechte  et  des  Fannière.  En  4878,  il  présentait  une 


Amphores  en  argent  repousse. 

{Modèles  de  Constant  Sevin.  —  Ciselures  de  Désiré  Attarge. 
Œuvre  de  F.  Barbedienne.) 


coupe  d'argent  repoussé  avec  branche  de  mûrier  et  une  autre  enguirlandée  de 
branches  fleuries  qui  sont  par  leur  délicatesse  d'exécution  une  réminiscence  heu- 
reuse du  vase  d'Alise-Sainte-Reine,  retrouvé  dans  les  fouilles  d'un  camp  romain, 
et  dont  Barbedienne  reproduisait  la  copie  exacte  exécutée  par  Attarge  en  cise- 
lure repoussée;  trois  flambeaux  dont  l'un  de  style  Louis  XVI  avait  montré,  avec 
la  maestria  dont  il  est  coutumier,  qu'il  n'est  pas  d'outil  qui  ait  caressé  comme  le 
sien,  le  grain  du  métal,  et  qu'aucun  ciselet  n'a  donné  à  l'argent  une  peau  plus 
soyeuse,  un  chairé  plus  délicat. 


—  160  — 


Si  le  nom  de  Barbedienne  figure  au  milieu  des  orfèvres,  c'est  que  le  grand 
bronzier  du  dix-neuvième  siècle  fit  aussi  des  œuvres  en  argent  que  n'auraient 
pas  reniées  les  orfèvres  les  plus  célèbres  de  notre  temps.  Il  avait  groupé  autour 
de  lui  une  pléiade  d'artistes  sculpteurs  et  ciseleurs  de  talent  :  Constant  Sevin  et 
Denis  Attarge  furent  ses  collaborateurs. 

C'est  à  Constant  Sevin  que  l'on  doit  le  modèle  de  cette  horloge  dans  le  style 
de  la  Renaissance.  Élégante  et  fine,  sa  silhouette  se  dresse  entre  quatre  co- 
lonnes qui  encadrent  un  bas-relief  des  chanteurs  florentins  de  Lucca  délia  Robia. 


C'est,  à  Attarge  qu'on  doit  la  ciselure  de  ces  coupes  dont  l'une,  imitée  d'un 
vase  anti(|ue,  est  décorée  d'un  masque  tragique  reposant  dans  une  gorge  et  ac- 
(•()nq)agiié  grapi)es  de  raisin  et  de  feiiiU(>s  de  vigne.  Les  deux  autres,  de 
formes  élancées,  emi)rnntent  aux  |)lantcs  des  haies  de  nos  ciiamps  leurs  motifs 
décoi'atifs;  rime  avec  des  nuM'cs  sauvages,  Taulre  avec  de  la  bryone  semblent 
préluder  aux  adaptations  (h\s  éléments  (|ue  iournit  la  nature,  inépuisable  source 
de  |;i  (l(''coc;ilion.  C(!s  (U)upes  sont  en  argent  repousse'",  ainsi  que  les  deux  am- 
pliores  aux  formes  svelles  et  (''légalités  doiil,  i'nn(\  (h'corée  de  coquillages  et 
d  algues  iiiai  iiies  et  r.MiiIre  de  br;inelies  (le  vigne,  rappellent,  leur  destination. 
C'est  lui  ;iiissi  (pii  jivail,  ciseh'î  ces  ilanibeaiix  dont  les  détails  |)récieux  rappc- 
l.'iieiil  \:i  nieilleiire  cpoipie  de  la  ciselure  IVancaise. 

M.   |{ailie(liriine  avait  (''galenK.'iit  ex(''ciil i'  pour  le  duc  de  Cliailres  un  surtout 


(]:uitli!U'e  bacclii(|UL'. 
{Ciselure  rej)()iissi'('  du  I).  Alliir(jc. —  OEnvru  de  F.  Ikirbedieniw.) 


161 


N"  1.  —  CuLipc  aux  BrN  oucs  des  liaics. 
N"  2.  —  Coupe  aux  Mures  sauvages. 

[OEiiure  de  F.  Bnrbedienne.) 


163 


-  IGo  — 


de  style  Louis  XIV  dont  les  extrémités  sont  accostées  de  quatre  figures  déco- 
ratives qui  dégagent  la  partie  centrale  qui  reste  libre  pour  permettre  aux  convives 
de  se  voir  facilement  au  travers  des  fleurs  qui  ornent  la  table. 

L'orfèvrerie  religieuse  était  représentée  par  deux  maîtres,  MM.  Poussielgue- 
Rusand  et  Armand-Galliat,  de  tempéraments  très  opposés,  mais  tous  deux  d"uu 
talent  supérieur.  Le  premier,  nous  l'avons  dit  dans  un  chapitre  précédent,  guidé 
par  les  architectes  les  plus  éminents  qui  travaillaient  à  reconstruire  le  mobilier 
des  églises,  et  se  faisant  l'exécuteur  attentif  des  modèles  qu'ils  lui  fournis- 
saient, avait  composé  quantité  d'ouvrages,  maitre  autel,  ostensoirs,  calices. 


Sui'toul  du  duc  de  CliarU'cs. 
(Bronze  nrç/enlé  de  Bnrhedienne.) 


châsses,  crosses,  de  quoi  suffire  à  composer  le  trésor  de  plusieurs  évêchés. 
Tout  cela  était  d'une  exécution  qui  se  rapprochait  à  ce  point  de  celle  des  orfèvres 
du  Moyen  Age  ou  de  la  Renaissance  que,  si  ce  n'avait  été  l'éclat  des  ors  trop 
rutilants,  on  aurait  pu  les  croire  d'un  travail  ancien. 

Parmi  les  pièces  à  noter  dans  l'œuvre  de  M.  Poussielgue,  il  faut  citer  en 
première  ligne  l'autel  en  bronze  doré  exécuté  pour  l'Eglise  de  Saint-Martin 
d'Ainay,  dans  le  style  du  quinzième  siècle,  et  dont  les  frises  et  les  clo- 
chetons, déjà  si  légers,  prendront,  lorsque  la  dorure  en  sera  ternie,  une  tout 
autre  délicatesse,  nous  en  avons  déjà  donné  la  reproduction  au  chapitre  pré- 
cédent; puis  l'autel  de  la  Vierge,  pour  l'église  d'Yvelol,  dans  le  slyle  Louis  XII, 
conçu  et  dessiné  par  M.  Roguet  et  modelé  par  Chedevillc.  Parmi  les  pièces  de 
moindre  importance,  il  faut  mentionner  un  ciboire,  dont  les  justes  proportions 
conviennent  si  bien  à  l'usage;  ce  n'esl  plus  la  masse  pesanle  que  porte  avec 

7 


—  166  - 


angoisse  roriiciaiil;  la  béiiédicLioii  sera  dunnée  sans  elTurl  et  réléjianle  propor- 
tion de  l'objet  ajoute  encore  à  sa  légèreté;  puis  deux  crosses  d'un  dessin  élégant 
dont  Poussielgue  avait  demandé  le  modèle  à  son  maître  favori,  l'architecte 
Viollet-le-Duc. 

Chez  Armand-Calliat,  dont  la  personnalité  s'affirma  à  partir  de  cette  date  avec 
une  force  de  plus  en  plus  grande  et  qui,  établi  dans  la  ville  de  Lyon,  devait 
atteindre  à  la  célébrité  sans  vouloir  quitter  jamais  sa  colline  de  Fourvières,  l'im- 
pression était  toute  différente.  Ce  n'était  plus  seulement  l'orfèvrerie  religieuse  à 


l''l;iiiil)cim\  d'ai^^ciil  cisclrs  |)iir  Di'sirc'  Atl.ii'^i'. 
(Ol'htvrc  (/('  /•/)('(//('» (ic.) 


griiiid  cllrt  uioMuniental.  piiissanuMcnt  décorative  (|uand  elle  apparaît  de  h)in 
dans  les  vastes  n('fs  de  nos  cal  liédrales  ;  c'était  {)lutf)l  un  arl  de  chapelle,  précieux 
et  lin,  à  (.'xamiiuîr  de  près  dans  les  écrins  de  velours  de  révè(|ue,  comme  on 
regarde  les  manuscrits  où  les  nu'rveilleux  enlumineurs  du  Irei/.iènu^  siècle  ont 
ra<  <iMt(''  en  scèiuîs  (Muoiivanles  les  légendcîs  sacrées.  Kntoiu'é  d'ouvriers  énu'riles 
tuniK's  pur  lui-même,  armé  par  ses  fortes  étnd(>s  de  toutes  les  ressources  du 
iiii'lier,  (■•lciMl;inl  cl  di vei'siliani  l'einploi  des  ('maux,  des  nielles,  (U^s  ivoires, 
\rni;uiil-Calli;il  ('lail,  parli  d'iuie  idi-e  lorl,  simple;  au  lieu  de  réduire  rdriUMiU'il- 
l.iliini  ijr  .  i)|i|r|  ilii  (  iille  a  des  uiolil':.  loiiiom-s  les  um'-uics,  il  peilsail:  rpi'il 
iim  n\  (iiiM  ii  l;i  I /r  des  Sf/iii/s  et  puiser  a  ccltt.!  S()Ui'( c  intai'issable  les 
liiiii  liiiiilcs  liistoncs  (pi'il  dé'roiderait  sm'  les  r(di(|uaires,  les  caliees  (•('h'branl 
l;i  j:l(iire  des  bienlieureiix  ;iii\<piels  ses  orfev  rei'ies  sei  aieni  d(''di(''es.  On  peut 
\nir  en  \H1H  ee  (|ir;i\,iil  pi'ddiiil    r,qi|ilir;il  ion  de  ce  pi'iiicipe.  ('J'admire,  ilisail 


167 


—  169  — 


Lucien  Falize  (J),  ces  formes  châtiées,  ces  délicatesses  d'outiJ.  L'ostensoir  de 
Noire-Danie  de  Lourdes  est  une  pure  merveille...  »  Entre  toutes  les  richesses 
exposées  par  l'artiste,  rappelons  le  calice  de  Mgr  de  Fréjus,  les  reliquaires  de  la 
Sainte-Epine  et  du  Saint-Mors  de  Carpentras,  le  magnifique  rétable  du  maître 
autel  de  Notre-Dame  de  Bourg-en-Bresse,  chef-d'œuvre  dans  toute  la  force  du 
terme,  enfin  la  crosse  du  cardinal 
Pétra,  sur  laquelle  étaient  repré- 
sentées, au  milieu  des  armes,  des 
attributs,  des  emblèmes  et  des  or- 
nements, trois  légendes  religieuses  : 
saint  Pierre  dans  sa  prison,  saint 
Benoît  se  précipitant  sur  un  buisson 
d'épines  et  saint  Jean-Baptiste  pre- 
nant entre  ses  bras  l'agneau  sans 
tache. 

Les  nations  étrangères,  dont  plu- 
sieurs au  surplus,  telles  que  l'Alle- 
magne, s'étaient  totalement  abste- 
nues de  prendre  pai't  au  tournoi  de 
1878,  restaient  fort  loin  de  la  France 
au  point  de  vue  de  l'industrie  de 
l'orfèvrerie.  Aucun  pays  ne  présen- 
tait un  ensemble  d'ouvrages  indi- 
quant pareil  mouvement  de  progrès 
dans  les  arts,  ni  un  effet  analogue 
dans  le  sens  du  goût  de  la  recherche 
de  la  beauté  ainsi  que  pour  la  déli- 
catesse du  travail.  Des  symptômes 
précurseurs  annonçaient  cependant 
çà  et  là  les  concurrences  qui  se  pré- 
paraient. 

Le  Japon  obtint  le  même  succès 
de  curiosité  qu'il  avait  eu  à  Vienne, 
en  1873,  et  les  amateurs  se  dispu- 
tèrent ses  bibelots.  Nos  orfèvres  étudièrent  de  plus  près  les  procédés  de  ce 
peuple  si  prodigieusement  adroit  à  travailler  le  métal,  à  le  damasquiner,  à  l'en- 
richir d'incrustations,  à  l'émailler,  etc.  Nous  nous  rappelons  un  panneau  japonais 
composé  de  douze  plaques  de  bronze,  d'argent  et  d'or,  qui  offrait  comme  une 


Ostensoir  de  Xotre-Dame  de  Lourdes. 
{Orfècrerie  d'Arniiiiul-CnUInt.) 


(1)  Kilizo,  ouvi'ugc  citû,  page  310. 


—  no  — 


m.. 


l{cli(|ii:iiru  du  Sainl-Mors. 
[Or/'ècrerie  irAvinnml-Cnll in I . ) 


soi-te  de  résumé  de  tous  les  tours  de  force  qiii 
sont  familiers  aux  artisans  du  Nippon;  il  fut 
acquis  par  notre  Musée  des  Arts  décoratifs, 
dont  la  création  venait  d'être  décidée  quelques 
mois  avant  l'ouverture  de  l'Exposition  et  qui 
préludait  à  son  installation. 

L'Angleterre  était  représentée,  au  point  de 
A'ue  artistique,  par  la  maison  Elkington,  qui 
exposait  un  nouveau  bouclier  de  Morel-Ladeuil, 
emprunté  au  poème  mystique  de  Bryan,  T/te 
Pi/grim's,  et  par  quelques  émaux  cloisonnés 
dans  le  genre  japonais,  timide  imitation  des 
émaux  de  la  maison  Christofle.  La  surprise  et  le 
succès  des  sections  étrangères,  à  l'Exposition 
de  1878,  c'était  chez  l'Américain  Tillany  qu'on 
les  rencontrait.  Voici  ce  que  disait  à  ce  sujet 
Lucien  Falize  (l)  :  «  Ayant  eu  la  bonne  for- 
tune d'étudier 
à  Philadel- 
phie, deux  ans 
avant  nous, 
les  procédés 
des  Japonais, 
comme  il  nous 
est  donné  de 


le  faire  aujourd'hui  dans  leur  iiiléressante  expo- 
sition, Tillany,  de  New- York,  a  mis  à  profit  cette 
avance.  Il  délaisse  rénniii,  il  ne  s'applique  pas  à 
(•o|ii(  r  les  fines  et  capricieuses  ciselures  de  Ka- 
nasawa  et  de  Takaola;  (•(!  (|n'il  enq)runte  au 
ila|)on,  (-'(îsl  '^on  d(''c(>r  le  plus  franc:  des  plantes 
aux  larges  Icnilles,  des  oisciuix,  des  poissons; 
ee  (pTII  :i  snrloiil  immu'I r(',  c'est  h^  scîcret  d(î 
SOS  alliages.  Il  ;i  luerveilleusenienl  hien  iniilé 
h-  Mfil.diniu' ,  nK'Iange  de  l;inies  d'oi",  d'argent, 
'le  (  iiiNie  iiin-on  allié,  brasc'cs,  repliées,  forgées 


ilil  rniii'iiiKi-iiil  Cl'  ^l'iii'i-  lie  iIiii'iiiiii'IiIh  livre,  niiii 

plillMllIliti'  |)iiiir  r)Mii|iii'.  i'iiir';.'iirii'  il'illilllrll  il',  lu  ('l'i  iimiiliir,  li'K 
lil*|lli<t),  lil<'. 


1   ft  f 


■  A-  - 


ltrli(|iiiiii'('  de  la  Sliiiilc  i'!|iiii('. 
[I Iffi'^i'ri'rii'  ilW  i  iitiiiiil  Ciilliiil.j 


—  171 


et  laminées  ensemble  de  façon  à  imiter,  comme  l'exprime  le  mot  indigène,  les 
veines  du  bois;  le  Sc/takondo,  alliage  de  bronze  et  d'or  aux  retïels  sombres;  le  Si- 
boiihilchi,  antre  alliage  aux  tons  gris.  Le  nielle  des  Russes  et  les  dépôts  incrustés 
de  cuivre  fin  complètent,  avec  l'or  et  l'argent,  cette  nouvelle  palette  de  l'orfèvre, 
et  c'est  avec  cette  palette  que  l'Américain,  dédaignant  les  réactifs  chimiques, 
parvient  à  ses  effets  variés,  dont  la  solidité  des  Ions  ne  redoute  pas  l'usure. 
C'est  là  un  progrès,  mais  ce  n'est  pas  le 
seul.  ïiffany  s'est  appliqué  à  répandre  ces 
décors  sur  les  formes  les  plus  pratiques, 
les  plus  logiques,  les  plus  simples  :  il  a 
revêtu  d'un  martelage  doux  et  régulier  la 
surface  de  l'argent,  feignant,  par  un  ingé- 
nieux artifice,  d'avoir  obtenu  les  rondeurs, 
non  plus  avec  le  tour,  mais  avec  le  marteau 
à  rétreindre.  L'effet  en  est  harmonieux  à 
l'œil,  l'argent  n'a  plus  cet  aspect  sec  et 
froid,  dont  le  brunissage  augmentait  en- 
core la  fade  apparence  ;  on  ne  craint  plus 
de  poser  les  doigts  sur  les  surfaces  polies, 
elles  ont  les  fines  craquelures  de  la  peau, 
les  nervures  de  la  feuille,  les  mailles  et  le 
tissu  de  certains  fruits,  et  de  suite  les  gens 
de  goût  se  sont  pris  à  aimer  cette  char- 
mante nouveauté,  qui  n'est  qu'un  renou- 
veau de  procédés  primitifs.  Tiffany  nous 
étonne  encore  par  l'habileté  de  ses  cise- 
lures. Certain  service  à  thé  de  forme  in- 
dienne, tout  couvert  de  fleurs  repoussées 
sur  argent,  est  un  pur  chef-d'œuvre,  et  son 
grand  vase  dédié  à  Bryant,  le  poète  jour- 
naliste, a  de  sérieux  mérites;  les  pièces 
du  surtout,  aux  figures  de  Sioux  et  de  De- 
lawares,  se  peuvent  comparer  à  celles  qu'a  jadis  modelées,  pour  le  comte  Kou- 
cheleff,  Emile  Cartier,  et  dont  Cailar-Bayard  expose  une  reproduction  satisfai- 
sante, inférieure  cependant  en  ciselure  aux  pièces  américaines.  Enfin,  rien  n'est 
plus  parfait  que  la  gravure  des  couverts  de  table  présentés  par  la  maison  de  New- 
York;  je  signale  en  première  ligne  le  service  oriental  et  le  service  si  varié,  si  fin, 
où  sont  représentés  tous  les  dieux  de  l'Olympe;  je  doute  que  nous  ayons  en 
France  un  graveur  capable  de  faire  des  matrices  aussi  parfaites,  depuis  qu'Heller 
est  passé  aux  Etats-Unis. 


(_^rossc  du  cardinal  l'ùtra. 
[Orfèvrerie  d'Armand-CaUiat ,  I87S,) 


—  17^2  — 


Si  nous  nous  sommes  laissé  entraîner  à  parler  un  peu  lonji'uement  de  l'Exposi- 
tion de  1878,  c'est  que  celle-ci  marque  une  étape  très  particulière  dans  l'évolution 
de  l'orfèvrerie  au  dix-neuvième  siècle.  De  notables  changements  dans  les  idées  et 
aussi  dans  la  fabrication  se  sont  opérés  depuis  1867.  Une  génération  nouvelle  d'ar- 
tisans a  pénétré  dans  les  ateliers  et  y  a  apporté  l'atmosphère  d'une  jeunesse  dé- 
sormais plus  instruite  des  choses  de  l'art,  grâce  aux  écoles  qui  se  multiplient  et 
aux  exemples  du  passé  dont  on  arrive  à  mieux  comprendre  les  chefs-d'œuvre. 
Ce  qui  domine  toujours  assurément,  ce  sont  les  pastiches  des  styles  anciens,  car 
on  ne  voit  encore  rien  au  delà;  mais  quels  progrès  accomplis  dans  l'exécution  et 
combien  sont  plus  judicieusement  choisis  les  modèles  dont  on  s'inspire.  Pour  être 


juste  et  mcsiu-er  avec  exactitude  l'étendue  de  la  route  parcourue  depuis  les  der- 
nières années  du  second  l']m|)ire,  (|ii'on  se  rappelle  les  conceptions  souvent 
bizancs  et  prf'iciil icuscs  de  Torfèvrcric  de  luxe  à  cette  époque,  la  profusion  de 
(lieux,  (le  scènes  d'amours,  de  sphinx  et  de  sirènes  ([u'on  accumulait  sur  un  llam- 
bi-an,  snr  iiii  surloiil,  dans  un  service  à  tlié,  les  niaises  inventions  de  la  mode 
Iradniles  duns  le  nn'lai  el  Ira nspori ('cs  sur  les  tables  sous  prétexte  de  les  orner! 
\]\\  I87X,  on  \i(  en  heaiieoiip  moins  grand  nond)re  toutes  ces  choses  naïves,  ridi- 
enles  on  li;ii()(|nes.  Le  goni  s"(''pin'anl ,  on  connnenea  à  discerner  (|ue  h^s  lois  ([ui 
régisx  ni  ToiTevrerie  \enlenl  (|ne  la  l'orme  d  un  vase,  d'une  tlK'ière,  d"un  objet 
i|iie|coni|iie,  ne  soil  piis  (■eras(''e,  d(''nalnr('e  par  l'excès  de  rornemeulal ion,  par 
les  reliefs  (ïxagé'ri's  d'une  scnlplnre,  par  l'abus  d(!  la  statuaire,  ('/est  p()ur(pioi  les 
oi'l'èvr'es,  se  pi' ni'l  i  ,i ni  )ien  a  pen  de  res  principes,  se  conlinèreni  de  plus  en  plus 
d;Miv  l  iniilalion  «In  di\  liuiliènie  siècle.  (',;ir,  remar(pions-le  une  l'ois  de  plus,  ce 
qui  di-lin;jiH'  les  ;ir;.'en!eries  de  bonis  \V  et  de  b(»nis  \VI,  c'esl  la  pr(''dominanco 
de  hi  toiini'.  <hi;Miil  Tlionuis  (ieimani  lais.iil  entrer  des  ligiu'es  dans  ses  c(Mn|io- 


(^al'ol iiTOs  ù  ri'licl's  (riir^onl  pol ychronu'. 
{Oiii'rnfic  lie  Ti/funi/.) 


sitions,  elles  n'avaient  que  de  petites  proportions;  qnand  son  fils,  François- 
Thomas,  appelait  à  son  aide  un  sculpteur  comme  Pigalle,  il  ne  le  laissait  pas 
empiéter  sur  le  rôle  de  l'orfèvre;  la  partie  décorative,  quelque  riche  et  tumul- 
tueuse qu'elle  fût,  ne  nuisait  pas  à  la  forme  des  récipients,  soupières  ou  pots  à  oil, 
et  ne  contrariait  pas  la  valeur  expressive  de  ses  lignes  essentielles.  Je  ne  veux 
pas  dire  que  l'Exposition  de  1878  ait  attesté  la  compréhension  complète  de  ces 
règles  parfaites,  dont  la  plupart  de  nos  industries  avaient  perdu  le  sens  depuis 
1789,  mais  elle  prouva  qu'on  y  revenait,  qu'on  était  à  un  art  plus  simple,  plus 
vrai,  plus  nature.  L'influence  du  Japon,  d'autre  part,  favorisait  cette  tendance, 
et  la  renaissance  de  l'émail,  l'association  de  la  couleur  aux  blancheurs  de  l'ar- 
gent, les  procédés  d'oxydation  devenaient  autant  de  ressources  dont  on  profitait 
pour  décorer  le  métal. 


Flamboau  des  Ei\tn(iiles  de  Ilachellp. 

{Dessin  de  Ch.  Rossiçjneu.x.) 


Prix  de  Concmirs  agricoles  régionaux  présentés  en  1887  au  Ministère  de  l'Afiriculture. 

(Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


CHAPITRE  SEPTIÈME 

La  Troisième  République 

(de   1878  à  1889) 


InflnoïK^o  do  l'Union  contr.alo  des  Arts  décoratifs  snr  rOrfèvroric.  — 
Expositions  ot  Concours.  —  Objets  d't^rt  du  Ministère  de  l'Ag-ricui- 
lure.  —  Expositions  technologiques  organisées  par  l'Union  centrale. 
—  Les  Arts  du  Métal  en  1880.  —  Les  Concours. 

EL  est  le  tableau  que  nous  avons  tracé  dans  les  pages 
précédentes  et  qui  constate  par  les  descriptions  que 
nous  avons  données  des  œuvres  exposées,  quelle  im- 
portance tout  à  coup  avait  prise  la  collaboration  des 
sculpteurs  chez  les  orfèvres.  Ce  n'étaient  plus,  comme 
sous  le  règne  de  Louis-Philippe,  quehjues  rares  ar- 
tistes, à  la  fois  statuaires  et  ornemanistes,  tels  que 
Feuchères  et  Klagmann,  qui  apportaient  leur  contri- 
buliou  aux  argentiers  de  l'époque.  Les  plus  éminents 


maîtres  de  l'école  française,  Falguière,  Mercié,  Cliapu,  riiimcry,  (îaiiUieriii,  €on- 
tîin,  Roty,  Hiolle,  Lafrance,  Delaplanche,  Barrias,  Mathurin-Morcau,  Carlier, 
Rouillard,  Carrier-Belleuse,  etc.,  etc.,  venaient  mettre  à  leur  tour  le  prestige 
de  leur  renommée  et  le  concours  de  leur  imagination  et  de  leur  talent  à  notre 
industrie.  C'est  Chrislofle  qui,  avec  sa  hardiesse  coutiimière,  avait  ouvert  plus 


(I  l  iiciii'  lies  ('.(iiicimi's  rof^idiiiiu \ . 

[(h'I'vrrrric  de  l'riinifiil  Mfiiricc.) 


l;ir;jciiiciil  ses  pdilrs  a  ces  lU'tistcs  l(»i'S(Hi'il  s'(''liiit  at;i,  sous  !N;ipol('on  III,  de 
rcx('c.iil  ion  (lu  siirloul  des  Tiiilcrirs  cl,  du  service  de  l'IhMel  de  Ville.  Depuis,  le 
iiioiixeiiieiil  n'iixnil  l;nl  (|iie  s'iieceid uer,  el  (■"('•hiieul  uiiiiuleiiaul  les  sculpteurs 
(pu  ic(  |iei  (  li;iieiil  les  orlV'N  res  (iU  leiu' avouant  (pi'ils  ('prouvaieiil  ;iulaid  de  joie  à 
r;iiic  des  li^iires  (rarf;eul  (pi'à  les  fîiire  de  inarhre  ou  de  hroii/e.  Il  y  avait,  à  coup 
^ûi  ,  un  diui^'cr  .1  liiisser  une  .lussi  e()nsid(''i'altle  piii'l  aux  sl;ilu;iii'es  dans  l'indus- 

liie  de  l'diTeM'e,  el  ce  (pic   is  vciKiiis  de  (lire  sur  l;i  siihoi'diiialion  (pi'on  admire 

diuis  les  (l'iivres  du  (li\  Iniilieiiie  siècle,  cl  (pii  doil  l(iui<)iirs  e\islcr  cuire  l'ouvrier 


-  177  — 


qui  construit  la  vaisselle  d'argent  et  celui  qui  la  décore,  le  fait  suffisamment 
pressentir. 

Ce  danger,  qui  ne  fut  pas  évité  par  les  orfèvres  de  cette  époque  qui  n'avaient 
pas  d'autorité  suffisante  pour  rester  «  les  maîtres  de  l'œuvre  »,  ne  parut  qu'avec 
trop  d'évidence.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  cette  collaboration  active 
des  grands  sculpteurs  du  temps  à  l'orfèvrerie  rendit  à  celle-ci  un  inappréciable 
service.  D'abord,  elle  la  débarrassa  de  cette  infinité  d'horreurs,  dé  figures  sym- 


Pri.v  d'honneur  des  Concours  régionaux. 
[Orfèvrerie  d'Odiol.) 


boliqucs  modelées  comme  par  des  maçons,  qui  la  déshonoraient.  Elle  habitua 
le  public  à  des  formes  plus  justes,  à  des  modelés  plus  délicats  et  mieux  ressentis. 
En  outre,  elle  introduisit  l'habitude  de  décors  nouveaux,  de  figures  humaines 
observées  directement  d'après  nature,  remplaçant  les  froides  et  sempiternelles 
images  de  la  mythologie. 

Un  fait  contribua  h  ce  résultat,  dont  nous  devons  dire  un  mot,  car  il  prouve 
combien  une  initialive  intelligente  peut  avoir  d'utiles  conséquences  pour  le 
développement  d'une  industrie.  Le  ministère  de  l'Agriculture  avait  institué, 
depuis  1870,  un  concours  qui  devait  avoir  lieu  tous  les  cinq  ans  entre  les  orfèvres 
pour  la  création  d'objets  d'art  devant  être  donnés  en  prix  aux  lauréats  des  expo- 
sitions agricoles.  Les  fabricants  désireux  d'obtenir  d'être  chargés  de  l'exécution 


—  178  — 


de  ces  prix  eu  demandèrent  les  maquettes  aux  sculpteurs  les  plus  en  renom. 
Les  modèles  à  choisir  à  chaque  concours  étaient  au  nombre  d'une  vingtaine, 
parmi  lesquels  celui  de  la  prime  d'honneur  de  la  grande  cullnre,  groupe  en  ar- 
gent d'une  valeur  de  3500  francs;  le  prix  spécial  des  écoles praliqiies  d'agriculture 
et  des  fermes-écoles,  groupe  en  argent  d'une  valeur  de  2000  francs;  et  les  prix 
spéciaux  de  la  grande  et  de  la  petite  culture,  de  l'arboriculture  et  de  l'horti- 
culture ;  puis,  des  ensembles  d'animaux  d'espèces  bovine,  ovine  et  porcine, 
groupes  en  bronze  argenté  d'une  valeur  de  150  à  500  francs.  Chacun  de  ces 
modèles  devant  être  reproduit  à  un  assez  grand  nombre  d'exemplaires  par  les 
orfèvres  concurrents  pour  le  compte  du  gouvernement  pendant  une  durée  de 
sept  années,  il  s'ensuivait  qu'au  point  de  vue  pécuniaire  le  concours  offrait,  en 
définitive,  d'assez  grands  avantages  pour  qu'on  se  résolût  à  en  tenter  les  chances. 
C'est  ainsi  que  les  frères  Fannière,  Christofle,  Froment-Meurice,  Odiot,  etc., 
eurent  à  exécuter  de  belles  œuvres  d'argent,  comme  la  Prime  d'honneur  de  la 
grande  culture,  le  Semeur,  dont  le  modèle  avait  été  demandé  par  Christotle  au 
sculpteur  Lafrance. 

Sur  une  sphère  en  marbre  rouge  antique,  Lafrance  avait  placé  le  Semeur  au 
geste  large  et  puissant,  lançant  la  poignée  de  grains  qui  doit  germer  dans  le  sillon. 
La  sphère  était  accostée  de  quatre  petits  génies  symbolisant  les  saisons.  Le  prix 
des  fermes-écoles  était  de  Delaplanche;  au  centre  d'une  coupe,  sur  un  socle  où 
s'inscrivaient  les  noms  des  savants  auxquels  on  doit  les  progrès  des  sciences 
agronomiques,  une  paysanne  appuyée  sur  un  bâton  tient  un  livre  qui  symbolise 
la  science  agricole. 

En  1887,  le  mouvement  provoqué  par  ces  concours  fut  tel  (plus  de  150  pro- 
jets étaient  présentés,  tous  signés  des  plus  éminents  sculpteurs,  Barrias, 
Falguière,  Delaplanche,  Jacquemart,  GauHierin,  Mathurin-Morcau,  Coutan, 
Kolyj,  qu'un  écrivain  autorisé  en  signalait  la  porlée  en  ces  termes  :  «  Ce 
qui  a  donné  à  ce  concours  une  signification  inattendue  et  un  caractèi-e  par- 
ticulier, ce  qui  l'a  signalé  aussitôt  à  l'attention  des  amateurs  et  des  critiques, 
ce  (pii  l'a  fait  saluer  par  tous  les  connaisseurs  comme  un  gage  heureux  de 
r('nouv(;au,  d'esix'rance  et  d(^  progrès,  c'est  l'esprit  de  résolution  et  d'ensemble 
avfc  l('(|uel  les  ar-tisles  ont  [)uisé  les  motifs  de  leurs  coujpositions  dans  les  scèiK^s 
d(;  la  i(''alit('.  Il  y  a  dix  ans,  un  sculpleur  à  <|ui  l'on  eiU  demandé  un  modèle 
destin*':  ;i  s<'rvir  de  prix  d'Iionncui'  aux  laurt-als  du  concours  d'arboriculture,  par 
exemple,  ou  dr  l'cspccc  bovine,  on  de  la  séricicnll nre,  cùl,  été,  à  coup  sùr,  l)ien 
(■ml)arrass<!,  il  eût  ch(;rché  av(îc  conscience  dans  les  dictionnaires  de  mytho- 
logie qnell(!  figure,  quelle  divinili'  anlicpie  aurait  bien  pu  se  pr(M,er  à  la  fonction 
eofdpj.iisaiile  (h;  symboliser  solemnilleinenl,  les  diverses  sciences  agrouomi(|ues, 
cl  il  eiil  mis  tout  son  savoir  à  exécnler  (pn'l(|ue  grou|)((  bien  abstrait,  bien  froid, 
(jeul-êli-e  d'une  ^'rande  él(''gauce,  mais  d'uiu'  signilicalion  complèlemctut  obscure, 


179 


Le  Soiiicur,  pur  LalVanco. 
Prime  crilonneur  des  Concours  agricoles  régionaux,  on  argent. 

{Orfèvrerie  île  Chrislofle. 


—  181  — 


qui  serait  resté  lettre  morte  pour  le  destinataire  de  l'objet...  Depuis  dix  ans,  les 
idées  ont  changé  et  l'art  décidément  prend  un  autre  courant...  Heureuse  évolu- 
tion de  l'heure  actuelle  et  que  nous  voyons  s'accomplir  dans  l'art  avec  une  joie 
profonde,  nous  qui  avons  combattu  de  toutes  nos  forces  pour  la  déterminer! 
Heureuse  victoire  de  la  vérité  et  de  la  franchise,  de  la  sincérité,  de  la  droiture, 
qui  peut  donner  à  l'a  t  une  vie  nouvelle  et  faire  refleurir  dans  nos  industries  les 


«  La  Science  agricole  »,  par  Delaplanche,  prix  d'honneur  des  Fermes-écoles. 
{Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


abondantes  perfections  d'autrefois!...  L'élan  est  donné.  jNos  artistes  ne  s'arrête- 
ront pas  là,  car  ils  ont  compris  de  quelle  ressource  est,  pour  eux,  l'inspiration  de 
la  nature  vivante.  Il  leur  a  suffi  de  regarder  autour  d'eux,  de  s'intéresser  à  ce 
qu'ils  voient,  pour  retrouver  ce  riche  lilon  dans  lequel  les  imagiers  du  moyen 
âge  ont  puisé  tant  de  motifs  de  décor  !  Voici  l'homme  des  champs  qui  détrône 
aujourd'hui  les  dieux  et  les  déesses,  jusqu'ici  les  seuls  héros  en  faveur  auprès 
de  l'orfèvrerie!  Demain,  d'autres  sujets  tout  aussi  peu  solennels  viendront  à 
leur  tour  prendre  leur  part  au  soleil  et  ne  paraîtront  pas  indignes  d'inspirer  nos 


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sculpteurs.  Applaudissous  à  ces  tentatives.  C'est  dans  cette  voie  rpi'est  le  mys- 
tère de  l'avenir  et  peut-être  le  secret  des  cliefs-d'œuvrc  futurs  (1).  » 

A  ce  concours  de  1887^  auquel  prirent  part  les  orfèvres  les  plus  renommés 
de  l'époque  :  Christofle,  Fannière,  Falize,  Frornent-Meurice,  Odiot,  vingt  projets 
furent  choisis  et  la  Commission  chargée  de  les  juger,  par  l'organe  de  son  rap- 
porteur, M.  Georges  Berger,  constata  avec  satisfaction  le  succès  de  cette  tentative. 
Sur  les  vingt  projets  acceptés,  seize  avaient  été  présentés  par  MM.  Christoile,  et 
se  trouvaient  réunis  au  centre  de  la  Galerie  de  l'Orfèvrerie.  Ils  firent  sensation. 
Nous  ne  saurions  résister  au  plaisir  de  reproduire  l'impression  qu'ils  firent  sur 
le  jury,  et  les  phrases  élogieuses  que  L.  Falize  leur  consacra  dans  son  rapport  : 

«  C'étaient  jadis  des  vases,  des  coupes,  des  groupes  d'une  allure  assez  ordi- 
naire, oii  la  valeur  du  métal  l'emportait  de  beaucoup  sur  le  modèle  et  la  façon. 
On  a  eu  la  pensée  d'ouvrir  des  concours  entre  les  artistes  et  les  orfèvres,  et  nul 
n'a  fait  un  effort  comparable  à  celui  de  MM.  Christoile  et  Bouilhet;  au  lieu  de 
prendre  à  la  fable  ses  mythes  et  ses  dieux  symboliques  :  Cérès,  Bacchus,  Ver- 
tumne  et  Pomone,  ils  ont  voulu  faire  raconter  le  poème  de  la  terre  par  ses 
acteurs  réels,  par  nos  paysans.  Ils  ont  dit  aux  sculpleurs  :  «  Faites  comme  les 
»  peintres,  imitez  Troyon  et  Millet;  prenez  le  laboureur,  le  vigneron  ;  ils  ont  des 
»  attitudes  aussi  belles  et  plus  justes  que  vos  modèles  d'ateliers,  et  du  moins 
»  vos  œuvres  seront  comprises  par  ceux  pour  qui  vous  les  faites.  » 

»  Y  a-t-il  au  monde  une  école  qui  soit  comparable  à  notre  Ecole  de  sculpture? 
X  Les  artistes  à  qui  M.  Bouilhet  s'était  adressé  acceptèrent  l'idée  d'enthousiasme, 
»  et  je  me  souviens  de  l'impression  de  surprise  et  d'admiralion  qu'on  éprouva 
»  (|uan(l  s  ouvi-il,  l'ue  de  Varennes,  l'exposition  des  n)a(|uettes.  Le  public  parisien 
»  ne  sait  pas  tout  ce  qui  se  dépense  de  talent,  et  ne  voit  pas  toutes  ces  manifesta- 
»  lions  d'art  et  de  goùl  ;  quelques  privilégiés  allèrent  seuls  examiner  ce  concours  ; 
»  et  le  Jury,  s'il  eût  osé,  aurait  attribué  en  bloc  lous  les  prix  et  toutes  les  com- 
»  mandes  à  la  maison  Chrisiolle.  VMv  en  a  (mi  la  plus  grande  pari  ,  et  c'était  justice. 
»  .Nous  avons  relroiivé  à  l'^xposil ion  ces  jolies  compositions  fondues  en  argent. 
»  acluïvées. 

>t  l)('j;i,  le  i'egrcll(''  LalVancc  avait  aulrefois,  à  l'exemple^  de  Mille!,  modelé 
»  pour  Clirislollc  imi  Scuifiir,  au  gesie  large  el  snpei'he,  mais  il  l  avail  fail  nu;  il 
I)  a\:iil  (  Il  peur  (le  l'habiller  (le  la  blouse.  Mathurin  Moreau  a  l'ail  le  lù/ur/iriir  vl  \i\ 
(î/f/ii(!iisr,  Icis  (pi'ilssonl.  (laiil licriii  a  Iradiiil,  comme  l'aurait  l'ait  hastien  Le- 
>i  |»age,  le  Di'ptirl  pour  1rs  clnniips,  cl  Coiihui,  la  lùnicitsc,  la  Dloisson/icusc,  lo 
»  linm/icr  à  /'tilnilluir  cl  le  AW/V  ilr  lu  hn/lc.  iNmr  prix  de  rArbcn'icullure,  fjonge- 
"  pied  a\ail  imagine':  une  jolie  slaluclle,  le  (lrt'//'fi(i\  et  pom-  celui  de  l'Ilorticul- 
"  liir(;,  une  autr(!,  Y Arrosuijc.  C'est  lui  jardinier,  tel  (pie  nous  le  voyons  les  soirs 


'1/  Virlur  (:|llllll|l|iT.  llriKf  lies    U       itt'rni  tll iff,  \<   \  Ml,  JHI^^i'H  S'i  llll. 


183 


183 


—  187  — 


d'été;  coilïé  du  chapeau  de  paille,  les  pieds  chaussés  de  sabots,  et  les  lourds 
arrosoirs  en  mains,  il  donne  à  la  terre  l'eau  qu'elle  boit  avec  ivresse.  Falguière 


Vase  de  la  ViticiiUui'C,  par  Levillaiii. 
{Orfèvrerie  de  Clirislofle.) 


a  fait  le  Conducteur  de  taureau,  et  Jacquemart,  X Attela(je  de.  bœufs  ;  ces  petits 
groupes  sont  beaux  comme  de  grands  morceaux  de  sculpture;  et  quand  je 
voyais,  dans  la  section  belge,  le  grand  bronze  de  Mignon,  je  n'éprouvais  pas 
plus  de  |)Uiisir  qu'à  voir  ces  délicieuses  créations.  Gautherin  a  représenté  la 


-  188  — 


Toute  des  moulons,  de  façon  pittoresque  ;  c'est  joli  à  ravir.  Mallet  et  Levillaiii 
oi)t  fait,  pour  la  viticulture  et  la  sériciculture,  des  vases  décoratifs  où  la  Ven- 
dange et  VElevage  des  vers  à  soie  sont  racontés  avec  autant  de  charme,  d'esprit 
et  d'art  que  dans  un  bas-relief  antique.  Hiolle  a  été  un  poète,  et  a  bien  sym- 
bolisé, dans  la  Source,  le  prix  de  l'irrigation.  Il  n'est  pas  jusqu'à  l'animal 
immonde  et  délicieux  qu'a  si  gaiement  chanté  Monselet,  que  n'aient  illustré 


Vase  (le  la  ScpiciciiKnro,  i)ar  Mullol 
[Orfèvrerie  île  Clirislojle.) 


nos  artistes.  Koiiillai'd  a  fait  la  Porcherie,  et  Matlinrin  Moreau  a  pris  sin*  le  vif 
h'  Conduclcur  (/ni  mène  /es  porcs  au  marché. 

•>  Tout  à  riiein*(!,  je  disais  (|u'il  ap|)arti(Mit  aux  graviuu'S  (mi  médailles,  de 
r<''iio\ iT  iOrlcvriiric,  <'(  j  ai  dit  (HiehpKiS  mois  des  nuxlèlcs  créc'S  pai- Levillain, 
pftiir  MM.  (llii-istollc  ;  mais  c'c^st  l'd'uvic  de  \{ol\  (pi  il  (au!  voir.  (\v\  artiste  a 
compose'-,  [Miiir  deux  des  prix  d  agricullurc,  des  liMS-rcliefs  Irt's  r<Mnarquables. 
Si,  dans  les  groupes  (pie  nous  v(îiioiis  de  noiimicr,  le  sculpleiir  avail  rcMidii  le 
gesti!,  le  «•-aractère,  la  vt'rité  du  personnage,  il  n'avail  pas  eu,  connue  le  |)eiiilre, 
le  cadre  qui  est  si  iK'ccssairc  au  siijcil,  le  |)aysage,  le  ciel,  qui  soul  les  décors 
r(U  se  tiH'iil  le  p;iNs;iM. 


—  189  — 


)'  Roty  garde  cette  ressource;  il  peint  avec  l'ébauchoir;  quand  il  modèle 
»  la  cire,  il  y  met  riliusion  des  horizons  des  prairies,  des  arbres;  sa  Ber- 
»  (jère,  debout,  tricotant  au  bord  du  chemin  pendant  que  le  troupeau  broute, 
»  remplit  le  tableau;  il  y  a  de  l'air  autour  d'elle.  La  Vachère  assise,  accablée 
»  sous  la  chaleur  lourde,  fait  songer  à  l'orage  qui  pèse  sur  le  paysage.  Ces 
»  deux  adorables  plaquettes  occupent  le  fond  de  deux  plateaux  oblongs,  dont 
»  les  bords  sont  ornés  de  plantes  aux  doux  reliefs,  et  dont  les  anses  sont 
»  faites  de  têtes  de  béliers  et  de  mufles  de  vaches. 


»  L'artiste  et  l'orfèvre  se  sont  souvenus  des  modèles  retrouvés  à  Hildesheim; 
»  ils  n'ont  rien  copié  des  orfèvreries  gréco-romaines,  mais  ils  ont  égalé,  dans 
»  ces  deux  œuvres  exquises,  les  types  parfaits  de  l'art  antique  (1).  » 

Coutan  avait  lui  aussi  composé  une  coupe  dont  le  sujet  était  traité  avec  autant 
de  bon  goût  et  d'habileté  que  Roty  en  avait  apporté  à  l'exécution  de  ses  plaquettes. 
Sa  Fille  de  Ferme  jetant  le  grain  à  toute  la  basse- cour  qui  se  presse  à  son  appel, 
est  un  sujet  rempli  de  charme  et  le  décor  du  fond  y  est  bien  à  sa  place. 

En  historien  fidèle  et  respectueux  de  la  chronologie,  hâtons-nous  de  rappeler 
que  le  concours  qui  suscitait,  à  son  apparition,  les  excellentes  rétlexions  du  direc- 
teur de  la  Revue  des  Arts  décoratifs  que  nous  venons  de  rappeler  plus  haut,  allait 
se  reproduire  en  188";  et  le  Rapport  qui  en  traduisait,  dans  un  style  imagé,  les 
impressions  produites  sur  le  Jury  par  la  traduction  des  mafpiettes  en  pièces  d'or- 
fèvrerie, était  écrit  en  1889. 

(1)  Rapport  (le  M.  L.  Falize  sur  l'Orfcvrcrit'  à  l'Exposition  de  ISSit. 

.S 


-  190  — 


Or,  depuis  l'Exposition  universelle  de  1878,  une  impulsion  énergif(ue,  partie 
de  divers  points,  et  qui  se  traduisait  par  la  propagande  la  plus  active  en  vue  du 
développement  du  goût  et  du  relèvement  de  nos  industries  d'art,  avait  manifeste- 
ment et  très  heureusement  commencé  à  porter  ses  fruits  dans  l'esprit  du  public 
et  dans  les  ateliers.  Cela  peut  faire  comprendre  les  tendances  signalées  plus  haut. 
Il  y  avait  eu  depuis  1874,  à  la  tête  de  l'Administration  des  Beaux- Arts  en  France, 
an  homme  de  premier  ordre,  le  marquis  Ph.  de  Chennevières,  profondément  ins- 
truit de  tout  ce  qui,  dans  le  passé,  avait  pu  contribuer  à  la  gloire  de  nos  industries, 
et  qui,  résolument,  avec  une  précision  de  coup  d'oeil  remarquable,  avait  entrepris 
les  réformes  destinées  à  leur  rendre  cet  éclat.  C'est  lui  qui,  par  ses  commandes, 
restitua  leur  dignité  et  leur  prestige  aux  arts  dits  mineurs,  relégués  depuis  un 
siècle  sans  raison  dans  on  ne  sait  quelle  sorte  de  hiérarchie  inférieure.  C'est  lui 
qui,  malgré  les  résistances  académiques,  installa  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts  l'en- 
seignement de  la  composition  décorative  dont  il  chargea  comme  professeur  un 
maître  distingué,  P.-V.  Galland,  et  remit  en  honneur  la  doctrine  de  Ytatilé de  l'art 
trop  longtemps  oubliée.  C'est  lui  encore  qui  ramena  à  un  goût  plus  sûr  la  produc- 
tion de  nos  manufactures  nationales  de  céramique  et  de  tapisserie.  C'est  lui, 
enfin,  qui  prépara  de  toutes  pièces  l'importante  réforme  de  l'enseignement  du 
dessin  introduit  à  partir  de  1880  dans  les  écoles  primaires,  puis  dans  les  lycées,  et 
placé  à  la  base  de  l'éducation  enfantine,  au  même  titre  que  l'écriture  ou  la  lecture. 
Si  M.  de  Chennevières  eût  été  maintenu  plus  longtemps  directeur  des  Beaux-Arts, 
il  n'y  a  pas  de  doute  que  toutes  nos  industries  somptuaires,  par  une  répercussion 
logique,  recevant  l'élan  d'un  esprit  si  éclairé  sur  leurs  besoins,  n'auraient  bientôt 
montré  les  heureux  effets  de  son  influence. 

Une  direction  ferme,  haute,  clairvoyante,  voilà  ce  qui  faisait  le  plus  gravement 
défaut  aux  arts  du  décor.  Depuis  Napoléon  I",  il  n'y  en  avait  guère  eu.  Mais,  sous 
le  nouveau  régime  républicain  que  la  France  venait  de  se  donner,  il  était  à  craindre 
(prcllc  ni;ui(|iiàt  tout  à  fail.  L"  «  Union  centrale  »,  qui  avait  déjà  rendu  tant  de  sei'- 
viees  ;i  la  caiisi;  de  l'ai't  appTupié  à  l'industrie,  comprit  l(>  péril  et  s'attacha^  à  partir 
de  C(î  iiionieul ,  aver,  une  ai'deur  nouvelle  à  le  conjurer. 

l*(;n(lanL  dix  ans,  elle  lutta,  organisa  des  expositions,  des  ('(jiu'ours,  ouvrit  des 
eoiifVTciicfîs,  publia  des  programmes,  mais  l'argent  lui  maïujuait  pour  les'réaliscr 
d.ins  leur  ensemble  et  elle  diil  ajourner  la  création  de  ce  Muséo  des  Arts  déco- 
l'iilils  (jiii  (lev;ii(  conroiiiier  son  (euM'C, 

A  eoli'  (l'eili'  line  ;iiilr(!  association  d'amateurs  s'('lail  conslilu('(>,  en  1877,  qui 
avail  pl  is  |ioiir  programme  la  <T(''al  ion  à  Paris  d'un  mus('e  des  aris  (h'coi'alifs, 
analo;.Mii'  a  i  i  lni  du  Soiilh  l\ciisiii(/lnii  Miisciiiii  de  liOiidi'cs.  Ues  deux  Sociélés 
('Oiii|)|;iieiil  |i;ii'mi  leiiis  iiiemlires,  d'une  pur!  hi  line  IhMir  de  l'arisloei'atie  fran- 
çaise, le^  rolleci  iiiimeiii-s  les  pliis  i  ('') .il I ('s,  el  (rmilre  pari  les  ffibricaiils,  les 
arlistilH,  (II-  s,i\;iiil>  conservai eurs  de  iiiii-;(';e  et  les  (''cri\aiiis  qui  consacraieiil  leurs 


—  191  — 


efforts  désintéressés  à  la  propagande  des  idées  de  goût.  Pour  avoir  une  plus 
grande  force  d'action,  elles  eurent  la  bonne  pensée  de  se  fusionner  en  une  seule 
Société  qui  prit  le  titre  d'Union  centrale  des  Arts  décoratifs,  et,  dès  lors,  leur  pro- 
pagande se  fit  énergiquement  sentir  sous  les  formes  les  plus  variées.  Tout  en 
poursuivant  le  projet  de  fonder  un  musée  des  Arts  décoratifs  dont  l'installation 
provisoire  fut  faite  à  partir  de  1879  dans  quelques  salles  du  Palais  de  l'Industrie, 
l'Union  centrale  se  mit  à  dresser  ses  batteries  et  à  échafauder  un  formidable  plan 
de  campagne  pour  atteindre  le  but  qu'elle  s'était  fixé.  11  s'agissait  à  la  fois  de 


Prix  d'honneur  des  Animaux  de  basse-cour  :  «  La  Fille  de  ferme  ».  par  J.  C(juliin. 
[Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


faire  la  guerre  au  mauvais  goût,  de  lutter  contre  l'indifférence  du  public  à  l'égard 
des  arts  somptuaires,  ou  contre  son  ignorance,  d'aider  à  la  diffusion  des  saines 
doctrines  esthétiques,  et  de  favoriser  par  des  commandes,  par  des  concours  ou 
autrement,  dans  toutes  les  branches  industrielles,  la  création  de  belles  œuvres,  de 
formes  pures,  d'invention  élégante.  Tâche  énorme,  hérissée  de  difficultés,  et 
dont  pas  même  encore  aujourd'hui  ni  le  public  qui  a  profité  de  l'enseignement 
de  cette  société,  ni  les  artistes  qui  ont  bénéficié  de  son  appui  ne  comprennent 
toute  l'étendue  ! 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  retracer  dans  ses  détails  Thistoire  et  le  rôle  de 
l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs  :  nous  n'avons  à  en  retenir  que  ce  qui  se 
rapporte  expressément  à  notre  sujet.  Parmi  les  moyens  d'action  les  plus  puis- 


—  — 


sants  qu'elle  mit  en  œuvre  furent  les  expositions  technologiques  que  nous  avons 
eu  plus  haut  l'occasion  de  signaler  et  qui,  organisées  successivement  tous  les 
deux  ans  au  Palais  de  l'Industrie  en  1878,  4880,  1882, 1884  et  1886,  par  catégories 
d'industrie,  obtinrent  un  succès  immense. 

Dans  une  de  ces  lettres,  qu'il  écrivait  dans  la  Revue  et  les  journaux  de 
l'époque  avec  ce  style  élégant  et  savoureux  dont  il  avait  le  secret,  M.  Josse, 
pseudonyme  que  l'orfèvre  Falize  avait  adopté,  résumait  les  programmes  de  ces 
expositions  qu'il  avait  conçus  et  qu'il  avait  fait  adopter  à  ses  collègues  du  Conseil 
de  l'Union  centrale,  dans  un  projet  qui  réunit  alors  tous  les  suffrages  :  «  Le  sys- 
tème de  nos  Expositions  modernes  ou  rétrospectives,  disait-il,  repris  et  agrandi 
par  l'Etat  aux  proportions  du  Champ  de  Mars  et  du  Trocadéro,  ne  convenait  plus  à 
nos  modestes  concours.  On  a  cherché,  et  comme  toujours,  on  a  trouvé  la  chose  la 
plus  simple,  qui  est  de  relire  chapitre  par  chapitre,  pour  le  mieux  comprendre, 
le  gros  livre  qu'on  avait  feuilleté  hâtivement;  on  a  classé  toutes  les  industries 
auxquelles  le  goût  peut  apporter  une  modification  aimable,  on  les  a  groupées  dans 
l'ordre  logique  que  désignent  les  matières  qu'elles  transforment,  et  c'est  ainsi  qu'on 
les  a  divisées  en  neuf  chapitres  qui  sont  :  le  Métal  ;  —  les  Tissus  ;  —  le  Bois  ;  —  la 
Pierre;  —  la  Terre;  — le  Verre;  — le  Papier; — les  Matières  animales;  —  la  Fleur. 

»  Le  premier  rang  a  été  accordé  au  Métal,  Pourquoi?  Je  ne  saurais  le  dire,  et 
ceux  qui  s'en  plaignent  ont  tort  assurément;  car  c'est  une  tâche  difficile,  deux  ans 
après  une  Exposition  universelle,  d'attirer  l'attention,  de  forcer  la  résistance 
des  uns,  la  paresse  des  autres,  et  de  rouvrir  à  Paris,  une  ère  d'étude  et  de  tra- 
vail, quand  la  flatterie  des  étrangers  et  l'amour-propre  des  nationaux  proclament 
la  supériorité  de  l'industrie  française  et  l'inutilité  de  nouveaux  efforts. 

»  Le  Métal  ouvre  donc  la  première  Exposition  de  notre  série,  et  cet  honneur 
est  dû  à  son  nom.  C'est  un  titre  qui  sonne  bien  à  l'oreille  et  qui  s'inscrit  noble- 
ment à  la  première  page  d'un  livre,  à  la  porte  d'un  monument.  Le  métal  est  un 
joli  n)ot,  n'est-ce  pas,  bien  trouvé  dans  notre  belle  langue  française,  mot  sonore, 
résistant,  concis,  et  qui  vaut  mieux  ([ue  l'étrange  étymologie  qu'en  donnent  les 
Inillénistes.  On  aurait  fait  à  l'Exposition  du  Métal  un  joli  cadre,  s'il  n'avait  fallu 
compter  avec  l'ai-gcnit,  ce.  métal  (|ui,  en  toutes  choscîs,  est  un  obstacle  en  même 
temps  (ju'un  moyen,  et  vous  imaginez  bien  ce  nos  artistes,  aidés  de  nos 
grands  industriels,  eussent  |iu  rêver  el  construire,  sans  autre  aide  que  \c  i'n\  la 
loiilr,  le  ciiivrr.  le,  zinc  et  \v  plomb;  (juc  de  l'clltits,  (pic  d'c-lranges  elVets,  (|U(î  de 
l  iclicssc,  (lit  lorce,  de  l('gcr('t('\  de  gràc(!.  A  première  vue,  ne  send)le-l-il  |);is  (pic 
!(■  HK'tal  siiflisi;  à  (ont,  à  laboiii'cr  la  terre,  à  la  (h'I'eiidrc,  à  la  couvrir,  à  satisfaire 
a  tous  l<!S  besoins  d(î  l'habitation,  du  mobilier,  à  l(tiis  les  usages  {\v  la  table  et  de 
la  cuisine,  et  pres(|ue  du  costunje  (I)!  » 


{\)  1,1'lllc  cil'  .M,  .luHM',  lirriir  ilrs  iliuniilllfs.  Iiillli'  II,  |l.  '.IHd. 


—  19^  — 


L'Exposition  de  1880  fut  donc  consacrée  au  Métal  et  aux  arts  qui  le  transfor- 
ment, et  présenta,  à  côté  d'une  section  rétrospective  oii  l'on  avait  réuni  les 
trésors  des  collections  les  plus  fameuses  (Spitzer,  G.  de  Rothschild,  baron  Sel- 
liève,  Stein,  Paul  Eudel,  Mannheim,  comte  d'Armaillé,  Chamouillet,  Vassel, 
Francastcl,  Dongé,  etc.),  une  section  moderne  où  les  meilleurs  orfèvres  mon- 


Pot  à  eau  de  style  Louis  XV,  d'après  le  dessin  original. 
{Orfèvrerie  de  Boin-Tnhurcl.) 

Irèrent  des  pièces  de  choix.  La  leçon  fut  lumineuse  qui  se  dégagea  de  ce  contraste 
voulu  par  les  organisateurs  entre  le  passé  et  le  présent.  Eugène  Fontenay, 
l'habile  bijoutier,  se  chargea  de  la  préciser  dans  une  magistrale  étude  publiée 
par  la  Revue  des  Arls  décoratifs  (I)  et  dont  il  convient  de  donner  ici  une  rapide 
analyse.  Le  critique  commence  par  cette  réflexion  que  les  œuvres  d'orfèvrerie 
moderne  donnent  trop  l'impression  d'être  autre  chose  que  de  la  simple  orfèvrerie 


(1)  Revue  des  Arls  décoratifs,  tome  1.  pages  106  à  208. 


—  VM  — 


d'argent  et  d'usage.  «  Tous  les  capi'ioes  de  l'invention  la  plus  originale,  dit-il,  et 
la  plus  varice  se  sont  donné  rendez-vous  là,  si  bien  que  la  couleur  blanehe  du 
métal  qui  nous  occupe  y  apparaît  en  quantité  relativement  restreinte.  Les  récentes 
découvertes  de  la  science  et  leurs  applications,  en  enrichissant  ce  métier,  l'ont 
quelque  peu  fait  dévier  de  sa  voie  traditionnelle.  »  11  signale  néanmoins  avec  éloge 
les  pièces  exposées  par  Fannière  et  Falize,  Mégemond,  qui  avaient  déjà  paru  à 
l'Exposition  de  J878,  et  salue  l'entrée  en  lice  d'un  nouveau  venu,  M.  Boin-Taburet, 
dont  les  pastiches  des  dix-septième  et  dix-huitième  siècles  lui  semblent  déconcer- 
tantes. «  Ce  petit  pot  à  lait  en  argent  repoussé,  dit-il,  ce  service  à  toilette  si 
calme  dans  sa  richesse  et  si  élégant  dans  sa  gravité,  ce  joli  pot  à  eau  tout  uni 

dans  le  centre  de  sa  ronde  cuvette, 
ils  ont  fabriqué  tout  cela  comme  l'au- 
raient fait  les  grands  orfèvres  du  dix- 
septième  siècle.  Ils  ont  reproduit  tout, 
la  simplicité  des  formes,  la  sobriété 
d'ornementation  et  la  coloration  de 
l'argent  par  une  gravure  à  la  fois  lé- 
gère et  nourrie,  dépourvue  de  re- 
coupes ambitieuses,  et  qui  ressemble 
à  des  panneaux  d'étoffe.  Leur  métal 
est  mis  à  point,  à  ce  ton  agréable  qui 
devrait  toujours  être  et  rester  celui  de 
l'orfèvrerie.  »  Parmi  les  nouveautés 
exposées  par  la  maison  Christofle, 
Eugène  Fontcnay  cite  un  mode  de  dé- 
coration obtenu  à  l'aide  de  feuilles 
naturelles  imprimées  sur  la  surface 
du  métal,  (|ui  garde  ainsi  l'empreinte, 
non  seulenuMil  de  leur  silhouette,  mais 
encore  de  leui-  lissu  même  cl  toutes 
les  délicatesses  (h;  leurs  nervures; 
quelipies  plat(Nui\,  ornés  par  ce  pro- 
cédé (le  feuilles  fougèi'c,  étaient 
d'iui  elVel  lori  agrc'able.  Il  nuMitiouni» 
('•galeiiicnl.  des  ohjcls,  a  fonds  mar- 
Ich's,  et  siu'lout  deux  grands  vases 
ii\cc  ('ciissdii  a  Idiid  idiigc  rcpr(''seMlaiir  inic  Icmmc  japonaise  dans  un  jardin. 
Il  l  ui'  s(''i'ic  ilr  I ciil ,il  i \  es  aussi  r('nssi('s  (pic  celle  là,  (h'clarc  l''ontciia_Y,  poiu'rait 
iluimcr  Ini  l  a  cimix  |ii  l'I cikIciiI  i|iic  le  (li\-iieiiviciMc  siècle  n'a  pas  su  se  crc'er 
un    l\le.     Tdiilel'iii^,  en  ri n n | i;i i;n 1 1   les  (ciivrcs  uiodernes  aii\  ancieniies,  il  for- 


jr 


l'hili'ini.  lirnssi'  de  hililc 
ili'-ii  Hi's  (le  Iriilllrs  ijii  1 111 


.'iliilissc  inicllcs, 
les  illipi'iliU'cs. 

{(Irfi'irrrir  ilr  rlirislitllf.) 


mule  à  l'égard  des  premières  quelques  critiques  absolument  justes  et  très  fine- 
ment exprimées.  «  Les  orfèvres  contemporains,  dit-il,  prétendent  trop  faire  un 
objet  cïart;  nos  pères  se  contentaient  de  faire  l'objet  utile.  »  C'est  en  cela  que 
consiste  son  véritable  charme.  11  est  utile  d'abord  et  par-dessus  le  marché 
agréable  toujours,  souvent  même  il  est  beau.  Ne  vous  semble-t-il  pas  qu'ils  ont 
trouvé  la  véritable  formule?  Il  ajoute  :  ((  Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  but  visé  par 
l'Union  centrale  n'est  de  la  sorte 
qu'imparfaitement  atteint.  En  pour- 
suivant la  réalisation  du  beau,  elle 
veut  surtout  que  la  chose  usuelle 
en  soit  spécialement  empreinte,  la 
plupart  des  objets  exposés  (les 
objets  modernes)  sont  et  restent 
exceptionnels,  ils  n'introduisent 
pour  ainsi  dire  rien  dans  la  con- 
sommation générale.  Ce  sont  des 
objets  d'art  enfantés  pour  le  plaisir 
de  quelques  heureux;  ce  n'est  pas, 
à  proprement  parler,  de  l'orfèvrerie 
de  table.  »  L'article  de  Fontenay  se 
termine  par  la  réflexion  suivante  : 
«  Après  avoir  étudié  le  côté  maté- 
riel, la  technique  de  l'art,  oserai-je 
aborder  les  points  délicats  de  l'in- 
vention et  du  style?  Dois-je  exa- 
miner si  nous  sommes  destinés  à 
piétiner  éternellement  sur  place, 
ou  si  nous  allons  enfin  cesser  de  reproduire  et  de  ressasser  tout  ce  qui  a  été  fait 
avant  nous?...  Le  fait  est  que  nous  sommes  trop  savants.  Le  bagage,  les  entas- 
sements du  passé  nous  écrasent  de  leur  poids  énorme  et  paralysent  nos  mouve- 
ments. Car  je  me  refuse  à  croire  que  c'est  par  impuissance  que  nous  n'avançons 
pas.  Il  faudrait...  peut-on  oser  dire  ce  qu'il  faudrait?  Cela  est  si  peu  vraisem- 
blable!... mais 

Le  vrai  peut  quelquefois  n'êt'-e  pas  vraisemblable, 

il  faudrait  que  l'artiste  après  qu'il  aurait  tout  étudié,  et  quand  il  saurait  tout, 
puisse  faire  deux  parts  de  son  savoir  :  la  première,  qui  serait  la  claire  intelligence 
du  beau,  la  sûreté  du  goût,  les  notions  générales  d'esthétique  qu'il  garderait  par 
devers  lui;  la  seconde,  qui  se  composerait  des  formes  et  des  conventions  parti- 
culières à  chaque  style,  qui  ne  sont  que  des  modes  déterminés  de  manifestations 


Plateau  dccoré  de  feuillages  naturels  imprimés. 
{Colleclion  de  Christofle.) 


—  1î)()  — 


ayant  dû  servir  à  l'enseignemenl ,  qu'il  oublierait,  qu'il  jetterait  à  la  mer,  comme 
un  bagage  encombrant.  Et  ensuite,  savant  et  libre,  l'artiste  s'attacherait  à  trouver 
dans  la  nature,  et  dans  la  nature  seule,  par  une  étude  attentive  et  passionnée,  les 
éléments  de  décoration  qu'elle  otTre  à  pleines  mains.  En  un  mol,  il  faut  arriver  à 
supprimer  tous  les  intermédiaires,  toutes  les  interprétations,  et  remonter  le  cou- 
rant et  puiser  à  la  source  mère,  éternellement  féconde  et  \ivace,  la  Nature.  Cela 
se  répète  déjà  beaucoup  et  les  jeunes  l'entendent.  Souhaitons  qu'ils  puissent 
bientôt  jeter  le  bâton  de  vieillesse  sur  lequel  nous  Jious  appuyons  encore  et 
marcher  seuls.  »  Voilà  qui  était  aussi  cruellement  pensé  que  fermement  exprimé, 
et  l'on  verra  plus  loin  que  c'est  à  une  conclusion  identique  que  devait  aboutir 
Lucien  Falize  dans  son  beau  Rapport  sur  l'orfèvrerie  à  l'Exposition  universelle 
de  1889. 

Cette  Exposition  des  Arts  du  Métal,  qui  devait  être  suivie  de  quatre  autres 
Expositions  technologiques  qui  auraient  montré  les  transformations  de  la  matière 
dans  les  mains  de  l'artiste,  eut  un  véritable  retentissement. 

M.  Marius  Vachon,  dans  un  article  qu'il  publia  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts. 
en  a  fixé  les  parties  saillantes  avec  son  autorité  d'homme  de  goût. 

Je  ne  résiste  pas  au  plaisir  de  reproduire  ici  ses  appréciations. 

Bien  que  de  nombreuses  pièces  aient  déjà  figuré  dans  les  précédentes  Exposi- 
tions, il  y  avait  des  efforts  nouveaux,  et  les  noms  de  Christofle,  Falize,  Fannière, 
Froment-Meurice  figuraient  en  première  ligne. 

A  cette  Exposition  de  1880  que  l'ilnion  centrale  avait  consacrée  aux  Arts  du 
métal,  le  pavillon  de  MM.  Christofle  et  présentait  au  visiteur  une  attraction 
très  piquante.  Dans  un  cadre  restreint,  mais  fort  bien  disposé  et  rempli,  il  semble 
résumer,  par  la  variété  des  produits  qu'il  contient,  l'art  de  l'orfèvre  contemporain, 
ses  travaux  divers  et  ses  ressources  multiples.  On  y  peut  étudier  rapidement,  au 
moyen  des  nombreux  spécimens  exhibés,  les  transformations  de  goût  qu'il  a 
subies  ou  imposées  depuis  quelques  années,  les  variations  de  l'inlluence  exercée 
par  l'invasion  (hî  cet  art  exotique  qui  a  modifié  si  sensiblement  nos  idées  françaises 
sur  la  décoration,  U;  japonismc. 

Les  chefs  et  hîs  ouvriers  de  cette  maison  lienneni  dos  uns  el  des  autres  :  et 
qu'il  s'agiss(ï  (Uïs  su[)(!rl)es  vases  émaillésde  Tard,  des  torchères  en  bronze  patiné, 
modfîlés  dans  le,  styl(!  el  avec  la  fantaisie  des  Japonais,  des  plateaux  à  incrusta- 
lions  galvaii(»|tliisli(|iics,  (les  coiriposil ions  |>ittoi'('S(|U(îs  de  Kciber  appliquées  à 
(les  vases  Ik  roïinics,  a  des  coiqx's  japonaises,  à  des  meubles,  ou  sinq)lemenl  des 
services  divers  en  argeni  ou  en  vermeil,  des  marleh's  on  des  palines  métalliques 
de  iM.  (îuignani,  nous  trouvons  eu  loiil  (euvre  d'ai'lisics  amouiM'ux  de  lenrai'l, 
loujoiU'S  en  (|iiè(e  d'oi'iginalil(''  el  de  fantaisie. 

Dans  iji'  li;iuli  s  cl  l;ir;.'('s  vilriiies  ('lablies  e\((''i'ienreiMenl.  sur  le  |>oin'tour",  sont 
lev  pieees  «l'oiTe vrei  ie  nidiii.iiies,  l.i  vaisselle  phile  e(  les  services  de  lable  l,radi- 


Vuso  juponuis  a\  L'c  iucruslulions. 

{Modèle  de  Ileiher.  —  Orfèvrerie  de  Christo/Ie .) 
(Dessin  repi-uduil  d';iprès  In  gravure  de  Biihol.) 


199 


Cafetières  cl  puis  à  eau  cii  ai'fjoiil  inarU'lo,  a\  eu  uriu'injiils  en  reliel'. 
Jtrfèvreric  de  (Uii-isloflc.) 


—  201  — 


tionnels.  De  ce  chef,  ricQ  à  signaler.  A  l'entrée  principale,  qui  fait  face  au  grand 
escalier,  se  dressent  deux  vases  de  style  japonais  en  bronze  martelé,  composés 
par  M.  Reiber  ;  ce  sont  là  deux  pièces  maîtresses,  par  leurs  dimensions  colossales, 
l'importance  de  la  composition  et  le  mérite  du  travail.  Sur  la  panse  est  un  vaste 
médaillon  à  fond  de  patine  rouge  brique,  qui  contient  une  figure  de  femme  japo- 
naise en  relief,  aux  chairs  d'argent,  et  dont  les 
étoffes  pittoresques  sont  formées  par  un  dessin 
d'incrustation  de  métaux  divers.  Cette  figure  de 
femme  est  accompagnée  d'une  figure  d'animal 
traitée  de  la  même  façon.  Des  branches  de  pom- 
miers en  fleurs  et  en  fruits,  aux  tons  naturels,  en- 
lacés, qui  se  déroulent  autour  du  col  du  vase,  et 
retombent  de  chaque  côté  le  long  de  la  panse, 
forment  par  leur  disposition  les  deux  anses.  Sur 
le  socle  en  bronze  doré  est  jetée,  comme  note  de 
rappel,  une  branche  semblable.  Un  semis  léger  de 
fleurs  délicates,  en  repoussé,  décore  la  face  opposée 
au  médaillon.  Le  caractère  général  de  sobriété  dans 
la  composition,  la  recherche  de  la  disposition  des 
membres  du  vase  en  dehors  des  motifs  habituels 
de  l'ornementation  exotique,  semblent  accuser  chez 
le  dessinateur  une  préoccupation  instante  de  créer 
une  œuvre  mixte,  qui  fût  plus  une  adaptation 
qu'une  inspiration  absolue  du  japonisme.  Mais  l'ar- 
tiste n'a  pas  osé  aller  jusqu'au  bout  ;  il  a  fait,  par  le 
médaillon,  amende  honorable  de  son  audace;  et 
c'est  ainsi  que  son  vase  présente  cette  particularité 
singulière  de  n'être  japonais  que  par  la  base  et  par 
un  seul  côté.  Pour  nous,  nous  préférons  l'autre. 
Néanmoins,  tels  qu'ils  sont,  ces  deux  vases  dont 
M.  Buhot  a  gravé  l'un  cà  Teau-fortc  d'une  manière 
très  fine  et  très  exacte,  constituent  de  belles  œuvres 
qui  font  honneur  à  la  maison  Christofle  et  à  M.  Reiber.  Dans  l'intérieur,  nous 
passons  successivement  en  revue  la  série  bien  connue  des  prix  de  cojjcours 
agricoles;  deux  beaux  vases  grecs  de  bronze  à  patine  rouge,  ornés  sur  la  panse 
de  bas-reliefs  représentant  les  travaux  d'Hercule  et  entourés  d'une  ceinture 
de  masques  tragiques  et  comiques  empruntés  à  la  décoration  d'une  pièce  du 
Trésor  d'Hidelsheim  ;  de  grandes  torchères  à  vases  en  cloisonné;  deux  vases  de 
M.  Reiber,  dits  vases  aux  Chats,  inspirés  de  la  fantaisie  japonaise  la  plus  excen- 
trique; la  belle  torchère  dans  le  style  japonais,  modelée  par  M.  Guillemin,  qui  a 


Vase  de  Thésée,  décdi-  i)olychrome 
à  fond  rouf^c. 

{Modèle  (le  Reiber.  —  Orfèvrerie 
de  Chrislofle.) 


—  202  — 


figuré  à  l'Exposition  de  1878;  une  série  de  services  à  tiié  et  <à  café  de  la  plus 
grande  originalité,  en  argent  martelé  et  craquelé,  à  la  décoration  discrète  et  déli- 
cate empruntée  aux  meilleurs  types  du  japonisme,  et  adaptée  avec  un  tact  parfait 
à  notre  goi^it  et  h  nos  habitudes;  une  collection  de  vases  aux  alliages  variés  de  tons 
et  de  dispositions,  combinés  de  manière  à  imiter  pittoresquement  les  veines  du 
bois,  des  marbres  et  les  reflets  d'écaillés  de  poissons  et  d'ophidiens;  des  coupes 
et  des  plateaux  de  style  néo-grec  ou  pompéien,  et  enfin  la  statuette  en  argent 


N'asc's  cil  alliaj^es  \  aric's,  a\  iH"  dccors  on  l'olicf. 
[Orfèvrerie  de  Chrialolle.) 


rnf)(l('lé(!  par  M.  DclMpIanche,  Y  Industrie  fmiiraisc,  oiïerte  à  IVi.  Dietz-Monnin, 
|ir('si(lcnt  (l(!  la  S(!cti()ii  française  à  l'Exposilioii  tniiv(M'selle  de  1878,  par  les 
iiiciMbres  des  jurys  des  Ciomilés  d'admission.  Heaucoup  de  c(>s  objets  sont  nou- 
veaux cl  accuscut  (Ml  progr'ès  coiistaiil  dans  les  (ravaux  de  celle  grand**  et  lu^- 
iioralili'  maison. 

M.  l'ali/i'  nous  inoiilrc  ses  lentatives  curiouses  et  intéressantes  de  résurrection 
lie  r('-iiiail  de  l»ass(!  taille  sur  or  (ît  sin*  arg(Mi( ,  d'après  (l(!s  dessins  de  Van  Kyck 
cl  d  Alhcrt  hur-cr;  ses  |)it(orcs(|ii('S  l»i'acelcls  en  email  cloisonui'^  siu' paillons,  où 
]i'9,  (IcviHes,  les  dates  cl  les  inilialcs  ddr  ('clah'nl,  en  leltrcs  iiililanles  ;  ses 
l)i;ii(|(|  ^  li(''r(iï(|iics  (le  rciionnci'ic  du  dix-sepliènie  siècle,  (|iii  scndticnt  crt^'S 


—  203  — 


pour  des  cours  d'ainour  et  des  tournois  guerriers  ;  des  bonbonnières  au  chitlre 
de  Diane  et  de  François  I"  ;  un  pendant  d'or  émaillé  composé  sur  un  dessin 
précieux  d'Etienne  Delaune,  véritable  chef-d'œuvre  de  restitution  artistique,  et  un 
autre  pendant  de  brillants  et  de  perles  violettes  du  goût  le  plus  simple  et  en 
même  temps  le  plus  pur  ;  un  superbe  collier  indien  aux  ciselures  délicates  sur 
fond  d'émail  rouge  étincelant  ;  une  broche  d'une  originalité  audacieuse,  dont  le 
sujet  est  emprunté  au  mythe  hindou  :  —  un  bonze  tenant  entre  ses  mains  une 
perle,  assis  sur  un  nuage  dans  les  replis  d'un  dragon  terminé  par  un  diamant;  — 
de  mignonnes  figurines  en  or  émaillé  (recherches  curieuses  dont  l'auteur  entre- 
tiendra lui-même  prochainement  les  lecteurs  de  la  Gazette  des  Beaxix-Arts);  un 
bracelet  en  or  mat  avec  incrustation  de  fleurs  de  pêcher  en  émail,  nouveauté  très 
piquante  et  d'un  elïet  charmant;  enfin  une  reliure  de  type  byzantin,  avec  lettres 
en  émaux  cloisonnés,  filigranes  d'une  délicatesse  rare  et  bas-relief  en  or  représen- 
tant l'adoration  des  Mages,  reliure  qui  est  un  bijou  précieux.  Quelle  variété  de 
travaux  et  d'œuvres  il  y  a  là  !  Et  nous  ne  parlons  point  de  plusieurs  autres  objets 
aussi,  sinon  plus,  importants,  mais  qui  ont  figuré  à  l'Exposition  de  1878,  et  sur 
lesquels  notre  Directeur  a  longuement  écrit  dans  la  Gazette  :  l'Horloge  d'Uranie, 
le  groupe  en  argent  de  8aint-Michel-du-Mont,  la  Vierge  à  l'Enfant  de  Delaplanche, 
la  merveilleuse  horloge  portative  du  douzième  siècle,  en  ivoire,  or  et  argent,  les 
bas-reliefs  de  Gaston  IV  de  Béarn,  de  Marguerite  de  Foix  et  Marguerite  de 
Navarre,  que  nous  avons  reproduits  dans  le  chapitre  précédent.  Mais  nous  devons 
signaler  ici  la  belle  garniture  de  l'album  offert  par  les  Comités  de  l'Exposition 
universelle  à  M.  Teisserenc  de  Bort,  garniture  d'un  grand  style  et  d'une  exécution 
superbe  dans  les  ciselures  de  l'encadrement  en  argent  formé  de  feuilles  de  laurier 
et  de  lierre  enlacées  par  une  banderolle  couverte  d'inscriptions,  dans  l'émail  de 
M.  Meyer  représentant  la  gravure  du  diplôme  et  dans  la  reproduction  de  la  grande 
médaille  d'or  de  M.  Chaplain.  Tout  cela  ne  constitue-t-il  point  une  exposition  du 
plus  haut  intérêt,  et  qui  prouve  que  M.  Falize  est  un  véritable  et  grand  artiste 
dont  les  hautes  préoccupations  et  les  tentatives  hardies  s'élèvent  bien  au-dessus 
des  questions  commerciales? 

M.  Falize  avait  tenu  à  faire  figurer  à  cette  Exposition  le  plat  à  bordure  de 
céleri  dont  il  avait  présenté  le  modèle  au  concours  ouvert  parle  Ministre  de  l'Agri- 
culture pour  le  prix  à  décerner  dans  les  Concours  agricoles. 

Cette  œuvre  charmante,  je  ne  sais  par  quel  déni  de  justice,  n'avait  pas  été 
choisie.  Peut-être  la  tentative  a-t-elle  paru  trop  osée  ;  peut-être  l'idée  d'un  plat 
d'usage,  même  si  habilement  décoré  qu'il  fût,  ne  parut  pas  au  Jury  un  objet 
d'art  à  décerner  comme  prix  d'agriculture.  Mais  M.  Falize  a  bien  fait  de  l'exé- 
cuter et  de  montrer  à  l'Exposition  de  1880  sa  première  tentative  de  renouvelle- 
ment de  nos  arts  du  Décor,  par  l'introduction  des  éléments  que  la  Nature,  pro- 
digue de  ses  trésors,  oflre  à  l'imagination  de  nos  artistes. 


Tout  auprès  sont  installées  les  vHrines  de  MM.  Faiinièwî  frères,  dont  les 
œuvres  variées  accusent  une  recherche  également  obstinée  et  féconde  d'éléments 
nouveaux,  d'attraction  et  d'originalité.  Nous  y  revoyons  avec  plaisir,  car  ce  sont 
de  belles  choses  et  des  pièces  d'art  du  plus  haut  mérite,  le  Beliérophon  combat- 


l'inl  à  n'il  i'i  iKU'iliirc  ilr  n'ici'i. 
(Irfrrrrrir  dr  /VW/cc.) 


t;iiil  la  Cliimcrc.  le  prix  du  .lockcy-l llul)  de  lu  hclh»  pcMidule  Jean  (îoujon, 

•  •Il  ;irgciil  cl  l;ipis-l;iziili,  appai'lni;inl  à  M [liane,  ;i  voiv.  de  (•(•('ations  plus 
iiTciilcs  :  line  \'icr;.M'  de  Loiiidcs  en  ai';^riit  (l()r('',  d'ini  Iravail  de  cisclin'c  Irès 
(([■('•ciciix  cl  d  iiii  iikmIcIi'  ^ii|)Cflic  ;  un  pcinhiiil  de  col  Kciiaissanec  avec  un  Itean 
Mn'djMlloii  lie  Diiiiic  (le  l'oilicrs  liiiciiicMl  grav('',  garni  de  dianianls  cl  de  r'uhis  : 


203 


Te'sliiiioniiil  oll'crl  à  M.  TcisîL'rcnL'  île  lÎDi'l. 
Couvcrturu  de  l'cidrcsse  en  iu'Il'x  rcrie  cL  L'iiuiil.  [lar  Fiilizc. 


—  207  — 


une  broche  et  une  paire  de  boucles  d'oreilles  fort  pittoresques,  formées  d'une 
petite  figurine  d'argeut  soutenant  des  perles  ;  un  magnifique  vase  en  argent  d'une 
forme  très  élégante  et  d'une  exécution  irréprochable  comme  ciselure  et  hauts- 
reliefs,  le  prix  de  Dangu  de  1879. 

Cette  «  Exposition  des  Arts  du  métal  »  de  1880  —  il  faut  insister  sur  ce  point 
—  avait  été  vraiment  organisée  par  l'Union  centrale  avec  une  ampleur,  un  soin, 
une  intelligence  si  complète  et  si  rationnelle  des  industries  qui  en  étaient  l'objet 
qu'on  peut  la  citer,  aujourd'hui  encore,  comme  un  modèle  du  genre.  Qu'il  soit 
permis  au  signataire  de  ce  livre  d'oublier  le  rôle  et  la  part  qu'il  a  eus  dans  cette 
entreprise,  et  les  analogues  qui  suivirent  (l).  Mais  il  ne  résiste  pas  au  besoin  de 
rendre  pleine  justice  au  dévouement,  à  l'ardeur,  au  savoir,  au  talent  de  la  pha- 
lange d'éminents  collaborateurs  qui  en  assurèrent  l'éclat,  et  écrivirent  à  cette 
occasion  des  rapports  de  haute  tenue  et  de  belle  clairvoyance  qu'on  relit  avec 
autant  de  plaisir  que  de  profit.  L'Exposition  avait  été  divisée  en  quatre  sections 
logiquement  distribuées.  La  première  mettait  en  évidence  —  c'était  une  nou- 
veauté alors  —  les  modèles,  les  projets  modelés  par  les  artistes  et  non  exécutés. 
Le  rapporteur,  qui  ne  fut  autre  qu'Edmond  About,  n'eut  malheureusement  à 
signaler  qu'un  petit  nombre  d'oeuvres  d'un  certain  mérite.  La  seconde  section 
était  affectée  aux  métaux  précieux,  à  l'orfèvrerie,  à  la  bijouterie,  la  lapidairerie, 
la  joaillerie  et  l'horlogerie;  ce  fut  Paul  Mantz  qui  se  chargea  du  rapport,  et  en  fit 
un  petit  chef-d'œuvre  de  critique  courtoise,  fine  et  spirituelle.  La  troisième  section 
était  affectée  aux  métaux  usuels,  bronze,  plomb,  cuivre,  zinc,  fonte  de  fer  déco- 
rative, serrurerie  d'art,  armes  de  luxe,  etc.,  et  la  quatrième  aux  procédés  de 
fabrication,  aux  métiers  annexes  pour  ainsi  dire,  tels  que  la  gravure,  la  ciselure, 
l'émail,  etc.  L'architecte  Corroyer  et  l'écrivain  René  Ménard  en  furent  les  rappor- 
teurs. Comme  corollaire  à  son  exposition,  et  pour  bien  indicfuer  le  but  élevé  qu'elle 
poursuivait,  l'Union  centrale  avait  institué  une  série  de  concours,  d'une  part  entre 
tous  les  élèves  des  écoles  de  dessin  ou  d'art  décoi-atif,  d'autre  part  entre  les 
artistes,  artisans  ou  fabricants  adonnés  aux  multiples  branches  des  industries  du 
métal.  Le  concours  entre  les  écoles  mit  en  valeur  des  jeunes  gens  comme  Rouil- 
lard  —  futur  professeur  à  l'Ecole  nationale  des  Arts  décoratifs  —  auquel  fut 
décerné  un  grand  prix  de  voyage  de  800  francs;  il  donna  lieu  à  un  rapport 
d'Auguste  Racinet  des  plus  intéressants,  où  il  était  constaté  que  «  le  résultat 
surpassait  cei-tainement  les  prévisions  ».  Les  concours  spéciaux  entre  les  artistes, 
artisans  ou  fabricants,  institués,  au  nombre  de  dix-sept  pour  les  maquettes,  et 
pour  les  œuvres  exécutées  d'une  façon  définitive,  attestaient  notamment  qu'aucun 
des  métiers  accessoires  à  l'orfèvrerie  n'avait  été  oublié,  et  que  les  sculpteurs,  les 


(1)  Le  CoiuitL'  (lirecteuf  m'avait  fait  l'iioiiiiuui-  de  aie  clioir-ir  coiniiie  l'rééideiit  de  ces  ExpositioHS.  {Note 
de  l'auteur.) 


—  208  — 


décorateurs,  les  ciseleurs,  les  planeurs,  les  repousseurs,  les  damasrjuineurs,  aussi 
bien  que  les  émailleurs,  les  spécialistes  de  la  glyptique,  graveurs  en  creux  ou  en 
relief,  sur  pierre  dure,  sur  coquille  ou  acier,  étaient  appelés  au  même  titre  et  en 
complète  égalité  à  venir  s'y  mesurer.  Par  une  innovation  ingénieuse,  l'Union 
centrale  avait  décidé  que  ses  lauréats  recevraient  non  une  médaille  mais  une 
plaquette  honorifique,  dans  la  forme  de  celles  de  la  Renaissance,  mise  également 
au  concours  et  qui  ne  devrait  servir  exclusivement  que  pour  cette  exposition. 


PliUjueLLe  du  Concours  dii  nicLul. 
(Modèle  de  Chédeville.) 


Le  sujet  était  «  /«  G/orificalion  des  Arts  du  Métal,  »,  soit  par  une  composition^ 
soit  par  nm  fujurc  symbolique.  Ce  fut  Chédeville,  artiste  de  talent,  que  les  précé- 
dents concours  entre  les  écoles  de  France,  institués  par  l'Union  centrale,  avaient 
mis  en  lumière,  qui  remporta  le  prix.  Dans  une  plaquelte  de  forme  originale,  il 
avait  syinl)()lis(''  l'Arl  du  nu'lal  par  une  ligure  élégante  appuyée  sur  une  enclume 
et  tenant  a  l;i  niaiii  un  |i];ite;ui  de;  métal  précieux  rappelant  par  son  décor  le  plat 
en  ('lain  de  l'V.  l'.riol,  ddul,  le  nom  accoh'  à  celui  (ri*'J.ieuiU'  Delaune  élait  gravé 
sur  le  riii'Ioiii'lii'        le  surmoiitiiil. 

I)i'  iiDiiiliii  iis  (  (iMcuiTenls  s'i'laienl  pr('seiil(''S.  Le  grand  prix  de  l'Union  een- 
lr;dc,  .iiKinrl  ('  hiil  ;d  I  l  iluM'c  ■|iiic  |il;i(|ii('l  le  d  ur  de  10(10  IVanes,  avait  (''l(''  décerne'' 
aux  autfMU's  il  iun'  miel  icrc  ori;.' iii.ilc  cl  d  ime  invenlion  nouvelle  en  erfèvrerie  ; 


209 


Cafclicrc,  modèle  de  Carrier-BcUcuse. 
!"■  l'rix  du  Concours  du  mclal,  eu  i88o. 

Orfvcrerie  île  Brueck  cl  lleiiilze.  —  Ciselure  du  Tvolel  el  lloze.) 


—  211  - 


une  figure,  se  détachant,  en  haut-relief  sur  la  forme,  venait,  par  un  mouvement 
gracieux,  se  rattacher  à  un  rinceau  qui  formait  l'anse.  La  sculpture  était  de  Car- 
rier-Belleuse.  L'exécution  était  due  à  la  collaboration  de  quatre  ouvriers  orfèvres 
et  ciseleurs,  MM.  Broeck,  contremaître  orfèvre,  et  Heintze,  orfèvre,  H.  Trotet, 
contremaître  ciseleur,  et  H.  Roze,  ciseleur.  Ils  s'étaient  associés  dans  ce  travail, 
et  avaient  pris  pour  le  concours,  anonyme  jusqu'au  jour  du  jugement,  la  devise  : 
r  Union  fait  le  svccès. 

C'est  à  partir  de  ce  moment  que  commença  à  renaître  dans  le  public  le  goût 
de  ces  jolies  plaquettes  dont  les  artistes  du  seizième  siècle  nous  ont  laissé  de  si 
déhcieux  spécimens.  L'initiative  de  l'Union  centrale  n'a  certainement  pas  été 
étrangère  à  la  résurrection  de  cet  art  charmant,  dont  nos  modernes  médailleurs 
ont  su  avec  tant  d'éclat  élargir  le  domaine.  Ce  n'aura  pas  été  un  des  moindres 
résultats  de  V Exposition  du  Métal  qui  exerça  la  meilleure  influence,  autant  pour 
l'instruction  des  industriels  que  pour  le  goût  du  public  :  producteurs  et  consom- 
mateurs y  trouvèrent  leur  compte.  Des  artistes  ciseleurs  et  ornemanistes,  inconnus 
jusque-là,  tels  que  J.  Brateau,  Joindy,  etc.,  y  obtinrent  des  récompenses  qui 
attirèrent  sur  eux  l'attention.  Pour  tous  les  orfèvres,  ce  fut  une  excellente  leçon 
de  choses. 

Une  autre  tentative  préparée  soigneusement  parla  Société  de  l'Union  centrale, 
et  qui  aurait  pu  avoir  sur  les  industries  décoratives  et  en  particulier  sur  celle  de 
l'orfèvrerie  une  action  des  plus  heureuses,  c'était  Y  Exposition  de  la  Plante.  Bien 
que,  pour  des  raisons  financières  ou  autres,  on  ait  dû  y  renoncer,  nous  en  dirons 
quelques  mots.  L'idée  première  en  appartenait  à  Lucien  Falize,  un  des  membres 
les  plus  ardents  du  Comité  de  l'Union,  et  qui  mit  à  en  rédiger  les  programmes 
toute  son  érudition  de  lettré,  toute  son  âme  d'artiste.  Ce  ne  devait  plus  être  une 
exposition  purement  technologique,  mais  une  exposition  dont  l'art  décoratif  serait 
le  thème  unique  et  absolu;  on  ne  songeait  plus  à  y  appeler  les  métiers  par  caté- 
gories, mais  on  voulait  les  y  appeler  tous,  en  écartant  seulement  les  éléments 
étrangers  du  sujet  principal.  Le  projet  était  grandiose,  magnifique,  la  démonstra- 
tion aurait  été  à  coup  sur  infiniment  féconde.  Voici  comment  s'exprimait  Lucien 
Falize  dans  l'exposé  de  son  avant-projet  :  «  On  nous  accuse  de  ne  pas  avoir  de 
style  ou  de  mal  appliquer  les  styles  anciens.  Il  nous  paraît  que,  pour  étudier  les 
styles  et  en  retrouver  la  source,  il  faut  reprendre  le  modèle  d'où  presque  tous  sont 
dérivés,  la  Plante...  C'est  la  plante  qui,  dans  tous  les  arts,  chez  tous  les  peuples, 
et  dans  tous  les  temps,  a  servi  de  type  initial  :  arbre  ou  fleur,  feuille  ou  graine, 

fruit  ou  racine,  nous  la  retrouvons  comme  principe  de  forme  et  de  couleur  

Elle  est  l'origine  de  toute  ornementation,  se  décompose  ou  se  complique,  et,  par 
SCS  interprétations  successives,  devient,  pour  l'architecte  et  pour  le  peintre,  le 
céramiste  et  le  tisserand,  l'orfèvre  et  le  verrier,  une  grammaire  qui  a  ses  lois,  ses 
traditions  et  ses  règles...  Revenons,  après  avoir  vagabondé  par  tous  les  chemins, 


—  212  — 


à  la  seule  étude  sage  et  bonne,  à  celle  que  suivaient  nus  pèies,  qu'ont  suivie  tous 

les  peuples,  avec  leur  simple  instinct,  leurs  traditions,  leur  religion,  leur  goût  

Il  faut  apprendre  l'ornement  d'après  nature,  comme  on  apprend  à  peindre  et  à 
modeler  d'après  le  modèle  vivant  (1).  »  Et  Falize  traçait  ainsi  les  grandes  divisions 
de  l'exposition  projetée  :  dans  la  première  partie  serait  la  Plante  vivante,  c'est- 
à-dire  tous  les  végétaux,  arbres,  arbustes,  fleurs,  etc.,  qui  peuvent  servir  de 
modèles  aux  artistes  et  que  les  plus  habiles  pépiniéristes  auraient  groupés  le  plus 
pittoresquement  possible.  Dans  une  seconde  partie,  on  aurait  vu  la  Plante  dans 
les  industries  d'art,  c'est-à-dire  des  objets  exécutés  dans  les  différents  métiers, 

avec  huit  divisions  principales,  les  métaux,  la  terre,  le  verre,  le  papier,  etc  

Une  troisième  partie  aurait  été  consacrée  également  et  parallèlement  aux  produits 
de  l'industrie,  mais  uniquement  aux  œuvres  d'artistes,  peintures  décoratives, 
dessins,  modèles,  maquettes.  La  quatrième  partie  aurait  été  réservée  aux  écoles, 
aux  copies  de  la  plante  vivante  et  son  interprétation  dans  sa  décoration.  Enfin  la 
cinquième  partie  aurait  compris  une  merveilleuse  exposition  rétrospective  de 
chefs-d'œuvre  classés  avec  méthode.  Cette  manifestation,  unique  dans  les  fastes 
de  l'art,  devait  être  organisée  pour  les  années  1891  et  1892.  Malheureusement 
les  difficultés  matérielles  furent  telles  qu'en  dépit  de  tous  les  efforts  du  comité 
de  l'Union  centrale,  il  fallut  y  renoncer. 

«  Entretenir  en  France  la  culture  des  arts  qui  représentent  la  réalisation  du 
Beau  dans  l'Utile  »,  voilà  quelle  était  en  somme  la  partie  la  plus  importante  du 
Programme  des  fondateurs  de  l'Union.  Nombreux  encore  une  fois  étaient  les 
problèmes  à  résoudre,  et  épineux  les  obstacles  à  surmonter.  L'abolition  des  Cor- 
porations en  1789  avait  bouleversé  les  conditions  du  travail,  et  un  des  défauts  les 
I)lus  graves  du  nouvel  état  de  choses  était  peut-être  le  manque  d'équilibre,  dans 
la  plupart  des  ateliers,  entre  l'élément  artiste  et  l'élément  industriel,  celui-ci 
arrivant  fatalement  à  primer  presque  toujours  celui-là.  Mais  comment  remonter 
un  paicil  courant,  dont  la  force  croissante  tendait  de  plus  en  plus  à  entraîner 
ractivit(''  universelle  dans  le  monde  modei'ne?  Sans  nous  faire  illusion  sur  les 
(iirii(  iilt(''s  (le  l'tMitreprise,  nous  pensâmes  qu'il  était  urgent,  en  tout  cas,  d'essayer 
(le  r  ('n(lr(!  plus  étroite,  |)his  familière,  plus  facile,  la  collaboralion  de  l'artiste  et  du 
l'abricani,  de  favoris(îr  rac(U)r(l  des  eiforls  (ît  des  intérêts  de  l'un  el  de  l'autre,  en 
lin  mol  d'associer  la  pens('(!  de;  (-(ilni  (pii  <'onçoit  l'dnrvre  d'art  à  l'expérience  de 
••(■lui  (|iii  rc\('(  iilc.  C'csl  pour(pi(>i  rilnion  ccntrah^  institua,  à  côlé  de  ses  expo- 
silioiis  l('i  |iiiol(»;ji(|iics,  l(!s  ci incoiirs  dont  nous  avons  parh',  et  (pi'elle  nniltiplia, 
fil  icsiaiii  iidclc  a  ce  pi'incipi!  ipic  les  |)roj(!ts  pi'imés,  les  ma(|uettes  d'artistes 
^|•|•(Mll|)l■ll^('■(■s  dcvaiciil  subir  l'(''pr(!ii vc  de  rexi'cnlion  délinitive.  En  I89.'l,  un  de 


(I;  l!iic  IvxpiiHilliHi  ili'  In  l'Iaiilr  ;  l'iiijiil  pi'i'îHiiiili'  Mil  <;<inHi'il  (II'  rHiiiiiii  (•(•iilral((  i)ni'  Lui'it'ii  l'Mlizi' 
ildllii  lu  lln  itr  ilm  Arls  iti'i-m  ni i Is .  Iniiii'  M,  piif/cH  1  i  l  -ii  i  v.iiilrs. 


—  -213  — 


ces  concours  fut  consacré  à  un  objet  d'orfèvrerie  :  il  comportait  l'exéculion  d'une 
coupe,  ustensile  qui  avait  été  jadis  l'orgueil  des  tables  somptueuses  dans  les 
festins  royaux,  les  dîners  de  corporations,  et  dont  l'époque  contemporaine  sem- 
blait avoir  perdu  l'usage,  en  Fi-ance  tout  au  moins.  Ainsi  que  le  disait  Lucien 
Falize,  le  promoteur  du  concours,  est-ce  que  ce  n'était  pas  pour  l'Union  une 
aimable  tentative  que  de  provoquer  la  mode  à  faire  revivre  ces  vases  de  métal  sur 
lesquels  l'art  et  la  fantaisie  se  peuvent  exercer  de  cent  manières,  coupes  d'or, 
gobelets  d'argent,  calices  aux  bosses  rutilantes,  aux  fines  ciselures,  que  l'email 


et  le  burin  ont  tant  de  moyens  de  décorer?  Cent  cii](|uanlc-ncuf  projets  de  coupes 
furent  présentés  par  les  concurrents.  Le  premier  prix  (1500  francs)  fut  attribué 
par  le  Jury  à  M.  Mouchon  pour  un  gobelet  de  forme  simple,  d'une  ornementation 
harmonieuse  et  délicate;  le  deuxième  prix  (500  francs)  à  M.  René  Lalique,  pour 
une  sorte  de  calice,  d'une  originalité  très  grande,  et  qui  faisait  présager  la  renom- 
mée à  laquelle  allait  bientôt  atteindre  le  brillant  artiste.  «  Ce  vase  »,  disait  le 
rapporteur,  M.  de  Fourcaud,  «  ce  vase  d'un  type  religieux,  atteste  en  son  ingé- 
»  nieux  décor,  en  sa  facture  libre  et  nette,  un  talent  sûr  de  soi.  »  Le  concours 
entre  les  élèves  des  écoles  révéla,  d'autre  part,  quelques  jeunes  talents  :  le  premier 
prix  (500  francs)  fut  décerné  à  M.  Rudnicki,  qui  depuis  s'est  fait  un  nom  comme 
dessinateur.  Il  avait  envoyé  le  projet  d'un  vase  en  éujail,  trop  luxueux  à  vrai  dire 
et  rappelant  l'art  oriental,  mais  d'une  belle  coloration,  et  d'un  pittoresque  arran- 
gement avec  de  petits  oiseaux  ouvrant  des  becs  d'alîamés.  D'une  façon  générale, 


Gobclcl  de  Mouchon. 


V  ase  de  Lalique. 
a"  Prix  du  ("ontours  de  l'Union  centrale  de  l8ij3. 


ji-r  p,.jx  du  Concours  de  l'Union  cenliale  de  if-'fjS. 


9 


—  214  — 


les  résultats  du  concours  furent  très  appréciés  des  connaisseurs,  et  ce  n'est  pas 
sans  plaisir  que  nous  évoquons  le  souvenir  de  ce  petit  tournoi  auquel  prirent 
part  avec  entrain,  et  non  sans  profit  pour  les  orfèvres,  des  artistes  de  réelle 
valeur. 

C'est  par  des  efforts  de  ce  genre,  répétés  incessamment,  que  la  Société  de 
l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs  arrivait  à  exercer  une  inllueJicc  incontestable 
sur  le  goût  du  public.  Insensiblement,  par  les  expositions,  son  jugement  se  for- 
mait, s'affinait;  quant  aux  concours,  tels  que  celui  que  nous  venons  de  rappeler,  il 
est  évident  que  le  bénéfice  n'en  pouvait  être  immédiat;  mais  c'était  une  bonne 
semence  qui  ne  devait  pas  être  inutile;  dans  ces  sortes  de  manifestations  en 
commun,  rien  ne  se  perd;  les  idées  se  propagent  et  enrichissent  tous  les  concur- 
rents, les  triomphateurs  aussi  bien  que  les  vaincus.  L'audace  des  uns  stimule  la 
timidité  des  autres;  la  critique  elle-même  s'éclaire  entre  les  extrêmes,  prend 
même  conscience  des  directions  à  suivre,  et  peu  à  peu  se  dégagent  les  voies  de 
l'avenir. 


I.i'  Clii'iii'  l)i'isr. 
l)i'Vi.sc;  ilr  I  liliiiMi  ci'iil  l'jilc  (les  Ai'ls  clrcdl'lll  ll's 


Naïade  sur  un  dauphin,  d'après  Blondcl. 


CHAPITRE  HUITIEME 

La  Troisième  République 

(de  1889  à  1891) 


L'Exposition  Universelle  de  1889.  —  Les  Maîtres  Orfèvres  à  la  fin 
du  dix-neuvième  siècle  :  André  Aueoe,  Armand-Calliat,  G.  Boin, 
Brateau,  Cardeilhac,  Christolïe,  Debaiii,  Falize,  Fannière,  E.  Fro- 
ment-Meurice,  Poussielgue,  G.  Odiot. 

EsuRiiu  l'espace  parcouru  depuis  le  commencement 
du  dix-neuvième  siècle  en  faisant  la  revue  de 
tous  les  arts  qui  transforment  la  matière,  relier, 
chapitre  par  chapitre,  le  gros  livre  des  Expo- 
sitions Universelles,  tel  était  le  programme  que 
l'Union  Centrale  allait  tenter  de  réaliser  dans  les 
trois  expositions  qui  devaient  se  succéder  après 
l'Exposition  des  Arts  dn  Métal. 
C'est  ainsi  que  dans  les  expositions  des  industries  d'art  moderne,  auxquelles 
étaient  annexées  des  expositions  rétrospectives  correspondantes,  les  industriels, 


—  2U)  — 


les  artistes,  le  public,  furent  appelés  à  exaiDiiier-,  étudier  et  aduiirer  les  lucr- 
veilles  des  Arts  du  Bois  et  de  la  Pierre;  des  Arts  du  Papier;  du  Tissu  et  de 
l'Ameublement;  les  Ai'ts  du  Feu:  la  Terre  et  le  Verre. 

L'Union  Centrale  préparait  ainsi  nos  industries  à  soutenir  dignement  le  renom 
de  la  France,  dans  les  arts  du  décor  à  l'Exposition  qui  allait  s'ouvrir  en  1889, 
pour  commémorer  une  date  qui  avait  ouvert  au  monde  de  nouveaux  horizons. 

L'art  de  l'orfèvre  y  brilla  d'une  façon  incomparable.  La  Direction  de  l'Exposition 
avait  donné  aux  orfèvres  une  place  d'honneur  au  centre  du  Palais;  on  trouvait 
dans  la  grande  nef,  à  droite,  l'exposition  des  orfèvres,  à  gauche,  celle  des  bijou- 
tiers, faisant  pendant  à  celle  des  orfèvres.  Ils  étaient  là,  placés  en  tête  des  autres 
métiers,  occupant,  dans  cette  magnifique  revue  du  travail,  le  premier  rang  comme 
autrefois,  au  temps  des  rois,  dans  les  cérémonies  publiques.  Dans  un  cadre  superbe, 
M.  Lorain,  l'habile  architecte  de  la  classe  de  l'Orfèvrerie,  avait  édifié  une  série  de 
salons  ingénieusement  décorés,  où  chaque  exposant  avait  pu  présenter  ses  pro- 
duits d'une  manière  attrayante.  Une  grande  porte  monumentale,  qui  s'ouvrait  sur 
la  nef  principale,  donnait  accès  dans  la  galerie,  rappelant  par  sa  décoration  les 
matières  précieuses  et  les  procédés  si  variés  qui  la  mettaient  en  œuvre.  Dans  une 
niche,  un  grand  vase  en  bronze  argenté  se  détachait  sur  une  drapei-ie  bleue  et 
or.  On  ne  pouvait  mieux  faire. 

Si  les  bâtiments  qu'on  élève  dans  les  expositions  sont  destinés  à  disparailre, 
ne  laissant  qu'un  souvenir  éphémère  dans  l'esprit  de  ceux  qui  les  ont  visités,  il 
n'en  est  pas  de  môme  des  œuvres  qu'ils  ont  abritées,  surtout  lorsqu'elles  ont  été 
décrites,  discutées  et  commentées  dans  un  rapport  comme  celui  (jue  Lucien  Falize 
rédigea  à  la  suite  de  1889. 

Ce  rapport,  un  des  plus  l'cmai'quables  qui  ait  été  écrit  sur  l'orfèvrerie  française 
à  la  fin  du  dix-neuvième  siècle,  restera  comme  le  témoignage  le  plus  éloquent  de 
la  vitalité  d'iuie  industrie  toujours  au  premier  rang.  Nous  ne  saurions  mieux 
faire,  piiiir  en  tracer  un  lablean  (idèle,  f[ue  de  lui  en  empi'unter  les  parties  les 
plus  sailliiiiles  (pii  raviveront  les  souvenii's  de  ceux  (|ni  auraient  pu  l'oublier.  En 
c(!la,  nous  croyons  rendre  un  hounnagc;  à  un  homme  que  nous  avons  bcaucou|) 
connu,  que  nous  avons  ainu',  (l(»nt  les  goùls  se  rapprochaient  des  n(M.res,  doni  les 
as|)iratioiis  vers  l  arl  ('■laient  h's  uièuH's,  (^t  (pii,  dans  les  (jonseils  de  l'Union 
Cenli-aie,  soiilcnail  avec  nous  le  bon  (;ond)at  |)our  \c  perfectionnenuMit  de  nos 
i  ii'hi'-l  ries. 

I>  1)1  iliii.ni'e.  les  rapporis  (|ii'on  l'ail  après  inie  [Exposition  dorment  dans  une 
obx-Niih'  iHdliiiiile.  il  esl  bon  d'en  reeiieillii'  les  ('lénuwd.s  et  d'en  i'('('diter  les 
doeuMii'iil  ~  lU  conI  leiiiieiil  el  les  observations  judicieuses  d'un  maiire  (|ui 
roiniail  Im  ii  h  -,  ressoinci  -,  de  son  nn'tier,  el  sait  en  parler  en  arliste  et  en  lettre. 
C'''st  ee  (|ne  nous  allons  taire. 

l'ji  IVani  e.  l'oiTe\ l'erie  i  o n  1 1 n I i;M 1 1   nne  hadition  ininterrompue  (pii  va  des 


—  217  — 


premiers  temps  de  noire  hisLoirc  jusqu'à  nos  jours,  et  qui  s'est  relevée  si  rapi- 
dement des  entraves  apportées  dans  sa  marche  par  la  crise  révolulionnaire,  a 
gagné  au  dix-neuvième  siècle,  en  force,  en  science,  en  confiance,  ce  qu'on  aurait 
pu  croire  qu'elle  avait  perdu  dans  ces  temps  troublés,  parce  qu'elle  a  su  garder 
des  adeptes  fidèles,  se  perpétuant  dans  les  mêmes  familles  et  s'attachant  à  main- 
tenir la  dynastie  des  maîtres  qui  l'avaient 
illustrée. 

«  L'orfèvrerie  est  un  art  noble,  une 
industrie  riche  et  puissante,  un  com- 
merce florissant  qui,  malgré  la  diffusion 
des  fortunes,  s'étend,  s'épanouit  et  se 
développe  avec  les  ressources  de  la 
science,  en  apporlant  les  jouissances 
du  luxe  dans  toutes  les  classes  de  la 
société,  constituant  à  la  fois  un  bien- 
êlre  et  une  épargne.  »  C'est  ainsi  que 
s'exprimait  Lucien  Falize;  nous  aimons 
h  le  répéter  avec  lui,  et  nous  conti- 
nuerons à  le  suivre  dans  le  tableau  que 
nous  allons  dresser,  de  l'orfèvrerie  fran- 
çaise en  1889. 

«  L'orfèvrerie  religieuse  tient  au  sol 
de  la  France,  dit-il,  comme  la  tlore  de 
pierre  qui  s'épanouit  sur  les  murs  de 
nos  cathédrales.  Elle  est  une  émana- 
tion directe  de  l'architecture  qui,  dès 
le  douzième  siècle,  fait  de  l'art  fran- 
çais un  modèle  achevé  de  grâce  et  de 
force.  »  Puis,  rappelant  les  transforma- 
tions qu'elle  a  subies  depuis  les  ate- 
liers d'orfèvres  travaillant  à  l'ombre 
des  cloîtres,  jusqu'à  ceux  qui,  des  bords  de  la  Meuse  aux  montagnes  du  Limousin, 
propageaient  les  œuvres  françaises,  il  constatait  que  si  l'Italie  et  l'Allemagne 
avaient  des  ateliers  fameux,  si  elles  possédaient  des  artistes  éminents,  elles  su- 
bissaient cependant  la  mode  de  France. 

L'Eglise  resta  longtemps  fidèle  au  style  gothique  et  ne  céda  plus  tard 
à  des  influences  nouvelles  qu'à  l'aube  de  la  Renaissance,  pour  trouver  d'autres 
formules  restées  bien  françaises.  Richelieu  avec  Rallin,  puis  Louis  XIV  avec 
Germain,  Louis  XV  avec  Meissonnier,  se  conformèrent  au  goût  qui  s'imposait  aux 
dix-septième  et  dix-huitième  siècles,  comme  sous  l'Empire,  Biennais,  Odiot  et 


Ostensoir  compose  par  Corroyer. 
(Orfèvrerie  de  Po}issiel(jtie.) 


-  -ils  — 


Cahier  se  plièrent  au  goût  dominant,  de  l'époque;  il  faut  allcndrc  le  milieu  du 
dix-neuvième  siècle  pour  la  voir  retrouver,  sous  la  savante  direction  des  architectes 
diocésains,  la  tradition  longtemps  perdue,  et  refaire  le  mobilier  des  églises  en 
rapport  avec  les  murailles  de  l'édifice. 

Nous  retrouvons,  en  1889,  Poussielgue,  toujours  vaillant,  toujours  à  la  têlc  de 
son  industrie;  nous  avons  dit  déjà  comment  il  s'était  formé  au  contact  des 
archéologues  en  possession  de  l'art  chrétien,  le  P.  Martin,  Dusommerard,  Didron, 
le  R.  P.  Cahier;  nous  avons  dit  de  quel  secours  avaient  été  pour  lui  des  architectes 
éminents  comme  VioUet-le-Duc,  Questel,  Boeswilwald,  Ballu,  Corroyer,  et  les 
œuvres  de  haute  tenue  dont  il  avait  meublé  les  églises  dans  le  monde  chrétien, 
sous  leur  direction. 

En  façade  sur  la  grande  nef,  son  exposition  se  développait  en  retour 
dans  la  galerie  des  orfèvres,  et  le  nombre  de  vases  sacrés,  d'encensoirs, 
de  reliquaires,  de  crosses,  de  lampes,  de  chandeliers  harmonieusement  disposés 
sur  les  estrades,  témoignait  de  son  goût  et  de  la  recherche  apportée  à  leur 
exécution. 

L'ostensoir  monumental  de  Notre-Dame  des  Brébières,  dont  l'architecte  Du- 
thoit  avait  fait  le  dessin,  et  le  sculpteur  Delaplanche  modelé  la  figure  La  Vierge 
aux  Brebis,  était  une  pièce  de  grande  dimension  et  d'un  puissant  effet  décoratif. 
Tout  autre  était  l'ostensoir  dont  Corroyer  avait  composé  la  forme,  et  dont  les 
lignes  s'arrangeaient  ingénieusement  sur  un  profil  bien  accusé.  11  y  avait  aussi 
de  bonnes  copies  classiques,  comme  le  calice  de  saint  Remi  de  Reims,  le  calice 
du  Trésor  d'Oignies,  et  le  joli  calice  du  quinzième  siècle  que  garde  le  Trésor 
d'-Aix-la-Chapelle.  Mais  la  pièce  capitale  de  son  exposition  était  le  grand  autel  de 
l)ronzc  doré  de  l'église  de  Saint-Ouen  de  Rouen,  inspiré  du  quatorzième  siècle, 
comme  la  flèche  de  l'église;  de  grande  dimension,  \\  avait  11  mètres  de  hauteur, 
l'ordonnance  en  était  belle,  les  lignes  pures,  la  silhouette  légère,  hardie.  C'est 
d'après  l(!s  dessins  de  l'architecte  du  gouvernement,  M.  Sauvageot,  ([u'il  avait 
clé  (•x(''cnlé.  (a'  n'était  pas  un  pastiche  d'uiu'  ceuvre  anciemie,  mais  une  inspi- 
i;ili(»ii  de  fart  du  (piatorzit'ine  siècle  (pii  s'harmonisait,  avec  rarchiteclui'c  du 
nioniMn(înt  vX  gardait  raspcci  religieux. 

Tout  aulr(^  ('-lait  l'iixposilion  d'Armand-Callial .  Ce  ne  sont  pas  les  grands 
cnscinitii's  (pi'il  aH'cciionnc  ;  amoureux  du  (h'tail,  il  se  complail,  aux  délicatesses 
(le  l:i  loi  iiic.  (je  la  cisclnic  cl,  (le  r(''niail.  Il  travaille  pour  le  regard  du  prêtre  (pii 
lii'iil  i  ri  iriains  les  ohjels  dn  culte,  ci,  c(innue  tui  Irc'sor,  les  coutie  à  la  garde  des 
\  il  riiic^  de  la  SacrisI  ic. 

\inulireuscs  ('laicnl  les  pièces  (h^  pelile  dinu'usion  (pii  nu)ulraienl  la  maîtrise 
di'  l'itrCevri'  (h'lical  (pM'Iail  .'\rman<l-Callial  ;  il  s'inspire  des  doguu's  du  callioli- 
ci^iiii' cl  Iradiiil  ^cs  croyances  cl  ses  h'gendes  avec  la  loi  d'nn  clir(''lien  et  l'àme 
d  iMi  poi'lc.  liicii  (le  plus  piuTail  que  la  cliapelle  (pi'il  a  e\(''cill  l'C  poiU'  Mgr  (loidlie- 


Ostensoir  monuiiicutal  de  Notrc-Dahic  des  Brcbières,  ù  Albert  (Sumnie). 

{ArchUecle,  Dulhoil.  —  Sculpture  de  Deliiplanche.) 
[Orfèvrerie  de  Poussielgue.) 


Aulcl  en  brou/,e  dore  de  Sainl-Ouen  de  Rouen. 
(Archilecle,  Sinivnueol.  -  UrfèL-rcrie  de  Poussielgi 


-  ±2:\  — 


Soulaid,  archevêque  d'Aix,  comme  le  reliquaire  de  saint  Bernard  de  Menthon 
qui,  pour  n'être  qu'une  restitution  archéologique,  n'en  est  pas  moins  l'œuvre 
d'un  orfèvre  de  notre  temps. 

Son  goût,  ses  idées,  devaient  se  rencontrer  avec  celles  de  Charles  Lameire, 
le  peintre  qui  avait  exposé  en  1867  les  cartons  d'une  peinture  décorative,  le 
CatJiolicon,  qui  l'avait  frappé.  Il  avait  exécuté,  d'après  la  composition  du  peintre. 


A.  AUMAND-CALIJAT 
(  1822-1  t)Ol). 


le  ciborium  qu'il  avait  rêvé  :  debout  sur  quatre  colonnes  de  marbre,  quatre  anges 
aux  ailes  déployées,  constellées  d'émaux  et  de  gemmes,  devaient  tenir  un  voile 
qui,  gonflé  comme  une  coupole  azurée,  aurait  abrité  l'autel  et  le  Saint  des  Saints. 
Réduit  par  l'orfèvie  aux  dimensions  d'un  reliquaire  ou  d'une  monstrance,  il 
résumait  toute  la  technique  de  l'artiste.  Offert,  en  1888,  au  pape  Léon  XIII,  à 
l'occasion  de  son  Jubilé,  puis  donné  par  lui  à  la  basilique  de  Montmartre,  il  est 
aujourd'hui  à  Paris. 

Mais,  la  pièce  la  plus  importante  de  l'exposition  d'Armand-Calliat,  était  le  reli- 


quaire  que  Mgr  Lavigerie  lui  avait  comtnandé  pour  la  cathédrale  de  Carthage  où 

repose  le  cœur  de  Suint  Louis.  L"or- 
lèvre  a  été  bien  inspiré;  il  a  emprunté 
à  la  Sainte-Chapelle  sa  forme  absolu- 
ment exacte,  et  reproduit  l'œuvre  déli- 
cate, le  véritable  bijou  d'orfèvre  que  fit 
Pierre  de  Montereau,  et  dont  la  tlèche 
élégante  s'élance  à  Paris  au-dessus  du 
Palais  do  Justice,  dans  une  superbe  en- 
volée; c'est  le  reliquaire  où  reposera 
le  cœur  du  saint  roi.  Il  est  d'or  et 
d'émail  et  s'élève  vers  le  ciel  comme 
une  apparition;  deux  anges  agenouillés 


Croix  pruccssionncllc  de  M^i'  (îoiillic-Sdiilaid. 
{Orj errer ie  d'A  riiiiiiul-(Uilli;il .) 

le  |ioil<'nl  sur  leurs  bras  tendus;  ils  sont 
l)e;iii\  (•(iiiiiiie  des  reninx'S,  noliles  comnu! 
(les  prciix,  loris  coiiiine  des  in-ros,  ces 
angr's  grandes  iiili's,  re\è(iis  de  l'ar- 
iiiiiri'  des  crdisi's,  el  qui  lieiiueiil  en 
iti;iins  le  scepire  cl  hi  ('(iiiroiiiie  d  épines. 

(]r  ipii  ressorlilil  i\r  celle  e  \  p(  )si  I  ioU , 
(•"('•l.iil  nue  '-()iipl<"-^c  (l  in \  cnl  iiiM .  inie  l'a- 
cilile  ;i  lr;i(|inre  l:i  )irnM'e  direl  ieniie,  une 
illfiénin-ili'   ;i    niudiliii'   les   llicnies   vieillis  el 


('.l'iissc  ili"  Mn'i'  ('miuIIii'  Sdiiliii'il. 

[Itifi'rrrrir  il'  \rni:iiiil  Cnlli;!!.) 

le  iMniai'e  ;i   leiil  oser  connue 


22o 


Chapelle  de  M;;r  riuulliL'-SdLilai'd. 

[Orj'èrrcric  il' A  riiin  nd-'',:i  lli:tl . 


Reliquaire  du  cœur  tic  saint  Louis,  à  Carthagc. 
i  Orfèvrerie  d'.  1  rin:i  n  d-C;i      I .  ) 


—  229  — 


forme  et  comme  couleur.  Armand-Calliat  a  été  un  novateur  en  orfèvrerie  ; 
peut-être  s'est-il  fait,  sans  le  chercher,  le  champion  de  ce  style  nouveau  que 
l'on  réclame,  au  moins  l'a-t-il  fait  avec  sagesse  et  un  goût  bien  personnel. 


Ciboriuni  oll'erl  à  Sa  SaiiUeLc  Léon  XllI. 
(Modèle  de  Cli.  Lumeire.  —  Orfèvrerie  d'Armnnd-C/illinl.) 

Le  rapport  citait  encore  MM.  TriouUier  frères  qui,  s'ils  n'avaient  pas  l'univer- 
selle renommée  de  Poussielgue,  ni  la  précieuse  recherche  d'Armand-Calliat, 
tenaient  une  place  des  plus  honorables,  et  présentaient  des  œuvres  de  valeur.  Ils 
exposaient  deux  autels  importants,  l'un  destiné  à  Notre-Dame  de  Rouen,  exécuté 
comme  celui  de  Poussielgue,  sur  les  dessins  de  l'architecte  Sauvageot  ;  l'antre, 


—  iMO  — 


de  style  roman,  destiné  h  l'église  de  Mcrville  (Nord),  exécuté  sur  les  dessins  de 
l'architecte,  M.  Cordonniei'.  Tous  deux  semblaient  f)erdus  dans  la  jurande  nef; 
tout  autre  doit  être  l'effet  en  place  dans  le  demi-jour  des  cathédrales.  Nom- 
breuses étaient  les  châsses,  les  calices,  les  crosses,  dont  les  architectes  :  Lisch, 
Balln,  Boeswilwald,  Viollet-le-Duc,  hii  avaient  donné  les  dessins  et  pour  l'exé- 
cution desquels  l'orfèvre 
avait  montré  toute  son 
expérience  du  métier. 

Beaucoup  d'autres  or- 
fèvres français  qui  travail- 
laient pour  l'Eglise  au- 
raient pu  figurer  honora- 
blement à  l'Exposition,  et 
le  rapporteur  regrettait 
de  n'y  point  trouver  les 
œuvres  de  Bachelet,  qui 
eut  son  heure  de  célé- 
brité, ni  celles  de  Cher- 
tier  qui,  distrait  par  l'exé- 
cution d'œuvres  impor- 
tantes, n'avait  pu  les  ter- 
miner à  temps  et  n'avait 
pas  exposé. 

Si  nous  avons  parlé  de 
l'orfèvrerie  d'église  tout 
d'abord,  c'est  qu'elle  te- 
nait la  première  place 
alors  (|ne  la  monarchie» 
française»  comnuMiçait  à 
se  constilucr,  et  ([u'avanl 
d'orner  la  tahli;  du  prince, 
on  cherchait  à  décoi'er  la 
maison  de  Dieu,  l/argen- 


( '.;iii(l(.|;il,rc  I.iHiis  W,  (l'iipirs  McissiHiiiicr, 
l'xrcuh'-  |iiiiir  M.  ( îuiislxmrn'. 

{(h-frvrcrir  d'IUliitl.} 


niais  elle  consliluail  en  nicmc  lenq»s,  avec  les  bijoux 
cl  le  Iri'sor;  ;iu jom'd'lnii ,  clic  csl  ini  besoin,  et  la 
:il  ion  s'en  csl  nccrne  r;i|)idcnienl . 

iieeineiil   du    siècle,  les  orfèvres    n'apporlaicul   pas  un  convci'l 


li'l'ie  ci\  ile  ('■hol    lin  lll\( 
d  ue  el    les  joN.ilIV.  r(''|i;ilgll( 
coii-^( 

An 


d';u>'eiil  ;i  ri'Aposil  ion  de  1:111  VI  ;  a  l'^xposilioii  du  (Icnleniiirc,  pins  de 
l\ilo;.'r;iiiiiiics  d  ;ii7.'ciil  ;i\,iieiil         pn'scnl/'S  an  luircau  de  l;i  (laranlie,  don 


deux  liers  îiv.'iieiil  ('■li'  eonxcriis  en  coiiNcils. 


Eli  inscrivant  le  nom  d'Odiot  en  premier,  nous  ne  faisons  que  rendre  hom- 
mage à  un  nom  célèlDre.  Gustave  Odiot  est  le  digne  continuateur  d'une  dynastie 
d'orfèvres,  il  a  le  droit  de  prendre  part  à  la  fôLe  ;  c'est  son  centenaire  à  lui  qu'on 
célèbre.  Nous  avons  dit,  de  Claude  et  Charles  Odiot,  la  part  qu'ils  avaient  eue  au 
commencement  du  siècle  dans 
la  renaissaiu;e  de  l'art  de  l'or- 
fèvre. Nous  allons  retrouver 
avec  le  dernier  survivant,  le 
même  souci,  le  même  respect 
des  traditions  de  cette  maison 
illustre  ;  on  a  pu  s'étonner  de  ne 
pas  trouver  chez  elle  les  mêmes 
efforts  d'invention  qu'on  remar- 
quait chez  les  nouveaux  venus, 
moins  riches  et  plus  jeunes, 
elle  s'attarde  à  son  passé  et 
s'attache  à  ses  traditions. 

C'est  que  l'immense  choix 
de  ses  modèles  est  une  force, 
c'est  parfois  un  embarras;  mais 
comment  s'en  plaindre  lors- 
que l'exécution  est  toujours  si 
parfaite,  et  doit-on  regretter 
l'exemple  que  donne  cette  mai- 
son et  la  sagesse  dont  elle  fait 
preuve. 

Le  service  qu'Odiot  avait 
exécuté  pour  M""  Léopold  Gold- 
schmidt  nous  ramène  au  temps 
du  premier  Empire;  c'est  la 
même  rigidité,  mais  c'est  aussi 
la  même  tenue  et  la  même  sa- 
vante exécution  que  cette  adap- 
tation des  anciens  modèles  de 
Claude  Odiot.  Les  admirables 
candélabres  qu'il  fit  pour  M.  Gunsburg  sont  une  interprétation  d'un  dessin  de 
Meissonnier,  et  les  candélabres  de  style  Louis  XVI,  à  têtes  de  béliers  empreints 
des  éléments  décoratifs  de  l'époque,  sont  deux  modèles  du  genre.  Toutes  ces 
pièces  avaient  été  ciselées  par  Diomède,  l'artiste  qu'Odiot  avait  eu  l'heureuse 
inspiration  de  s'attacher  et  qui  est  resté  toute  sa  vie  son  collaborateur  attitré. 


Candélabre  île  style  Louis  X\'I. 
[Orfèvrerie  d'Odiol.) 


Parmi  les  œuvres  que  cet  arliste  a  exécutées  nous  ne  pouvons  laisser  passer 
inaperçu  le  joli  service  à  thé,  en  vermeil  de  style  Louis  XVI,  f|ui  avait  été  pr(''senté 
par  Odiot  à  l'Exposition  de  1867  et  que  nous  retrouvions  là;  il  donne  la  mesure 
exacte  de  la  grande  habileté  que  possédait  Dioniède  à  manier  le  ciselât. 

D'Odiot  nous  citerons  encore  un  joli  service  à  thé,  en  argent  doré  de  style  persan, 
dont  la  forme  élégante  est  un  clianne  pour  les  yeux  ;  une  série  de  pièces  d'usage 


Service  i'i  llié  I,(iiiis  en  vermeil,  l'i  li:is-rt'liers. 

[Scii Ijil II rc  lie  aillicrl.  —  (Usriiiri'  ili'  I )ii)iii('(l('.) 
lOrfiTi-fi-ii-  il'Oilliil.) 


de  l'iicoii  iii(''|ir(icli;ililc,  Noila  de  la  r(''a('li()n  ('(Hilrc  les  l'ormcs  anglaises  (pi'ou 
Iriii-  i-c|iiitcliail  jiidis,  et  (in  ('lail  heureux  de  ce  retour  des  plus  francs  vers  les 
soui'ces  l'r;incaises. 

Oïlidl,  iiieiiilire  dii  jul'y,  ('lait  hors  c(un'onrs.  Lncien  Fali/e  l'était 
aussi;  r.ipiiorlciir.  il  cliiil  cliarg»'  de  r(''sinner  l'opinion  de  ses  collègues;  mais 
îdl.iil  il,  \i:w  line  ri'servc  el  une  disrrelion  de  circonslance,  passer  sous  silence 
l;i  p.'irl  ini|iorl;nil  I'  <pi  il  a\  ait  prise  à  ri'îx posil  ion ,  el  laisser  ignorer  la  place 
IioimmmI  ili'       il  (M-(  ii|,;iil   iuM'ini   ses  coiirreres.  Ses  collègiU'S  ne  l'on!  pas  voulu. 


—  — 


et  ils  lui  ont.  dciiiaiidc  de  parler  en  toute  IV<ui<-liise  ;  ils  ont  eu  conliance  en  son 
honnêteté  d'orfèvre,  et  sa  bonne  foi  d'artiste,  pour  croire  qu'il  ne  serait  pas  plus 
complaisant  pour  lui  que  pour  d'autres. 

C'est  donc  à  lui  que  nous  emprunterons  son  opinion  sur  lui-même  :  «  La  mai- 
»  son  Falize  n'a  pas  un  passé  lointain;  elle  date  de  1838,  et  a  été  créée  par  mon 


Lucien  FALIZli) 
(1839-1897). 


»  père  Alexis  Falize;  il  a  joué  dans  son  métier  un  rôle  important,  y  laissant  la 

»  réputation  du  plus  habile  dessinateur.  En  outre,  il  a  contribué,  sous  l'anonymat 

»  du  fabricant,  à  la  fortune  et  à  la  réputation  de  plusieurs  de  ses  confrères  mar- 

»  chauds.  On  récompensait  plus  souvent,  alors,  l'éditeur  que  l'auteur  véritable, 

»  mais  depuis,  les  Expositions  ont  considérablement  gagné  en  sincérité;  si 

»  quelques  marchands  accrochçnt  encore  leur  enseigne  au  Champ  de  Mars,laplu- 

»  part  restent  dans  leur  boutique,  et  n'osent  plus  prétendre  à  des  récompenses 

»  qu'ils  n'ont  pas  méritées. 


»  Notre  atelier  n'est  pas,  à  vrai  dire,  un  atelier  d'orfèvre;  on  y  fait  de  fout, 
des  bijoux,  des  émaux,  des  pièces  d'art  et  des  joyaux;  ce  qu'on  y  fait  de 
moins,  c'est  la  vaisselle,  et  nous  avons  recours,  pour  les  ouvrages  de  tour  et 
de  marteau,  à  d'habiles  façonniers  qui  travaillent  au  dehors  comme  nos  cise- 
leurs. C'est  pourquoi  nous  n'avons  rien  dit  de  quelques  services  à  tlié,  de  cafe- 
tières arabes  et  de  certains  modèles  qu'on  aurait  pu  citer.  Nous  n'indiquons  que 
pour  mémoire  la  riche  garniture  de  toilette  en  vermeil  que  nous  avons  faite 
pour  le  mariage  de  la  princesse  La:;titia,  et  le  grand  plateau  d'argent  à  bordure 
de  céleri  qu'a  acquis  le  Musée  des  Arts  décoratifs. 

»  Nous  indiquerons  plus  volontiers  quelques  pièces  de  surtout  (|ui  ont  toutes 


Corbeille  de  table  :  Flore  et  Zéphyr,  à  bas-reliers. 
{Coniposilion  de  Chédeville .  —  Orfèvrerie  de  !..  Fulize.) 


lin  cai'actèi'C!  bien  (iétenniné.  La  table  offre  à  l'orfèvre  un  cliannant  prétexte  à 
(h'^loycr  toutes  les  ressources  de  son  art.  Il  faut  éviter  les  lourdes  et  solennelles 
aicliilci  liircs  oii  des  (igiiiH^s  s'étagent  en  des  éipiilibres  imprévus,  ou  fontd'iin- 
|)()s;iii(cs  pyramides,  il  faiil  cliei'cher  du  pittoresque.  Si  la  ligure  liiiinaine  se 
mêle  aux  fruits,  aux  lleurs,  aux  cristaux,  aux  lumières,  ce  doil  être  |)ar  une 
fanlaisie  sj)iritiielle  (il,  vivaiilc,  connue  si  des  génies  familiers  prenaient  corps 
pour  descendre  an  mili(îu  du  repas,  et  animer  la  fête. 

»  Ainsi  a voiis-iioiis  essa_y(''  île  faire  pour  la  corlieille  à  Meurs  ipie  nous  avait 
i  (iiiiiii;iM(lee  ,M.(iiislave  iN'i'eire.  (l'esl  une  vasipie  ovale  ornée  de  ciselure  et  de 
has-reliels  lloiciiliiis;  sur  le  bord  du  bassin,  une  svelte  ligure  de  femme  est 
assise  ;  e'esl  r'lore;elle  semble  iispirei'  le  |)aiTmn  des  plantes,  tandis  (pie  glis- 
sant d'un  \ol  l(';^(!r,  Z(''pli\r  vient  vers  elle  la  caresser  d'un  souille,  ('/('lait  ('Jm'- 
(IcmIIc        ;i\;iil  poi'-l iipieiiieiil  rendu  la  scène  (pi'Ovidea  (h'erite. 

»  CosI  iiii  lln  iiic  ^('lieiix  ipie  lions  ;i\i(ms  doiiiK'  à  M.  M.  Uarrias,  (piaiid 
iiuii^   r~|  |;i  i'iiiiiiii.'iikIc  irmi  siii'Ioiil  (le  lalile  [loiir  lin  inailic  de  forge. 


235 


N"  3. 


N"  1.  —  Prix  de  course  de  Chaulilly  :  La  Seine  el  l'Oise.  —  [Modèle  île  l>:irri;is.) 
N"  a.  —  Jardinière  :  La  Furj^c.  —  (Modèle  de  Biirriim.) 
N"  3.  —  Prix  de  course  :  Corbeille  de  table. 


[Orfèvreries  de  L.  Falize.) 


ïcstiiiiouial  olVerl  ,à  rarcliitcctc  K.  Coiroycr 
Modèle  d'Aimé  Millul.  —  Orfivrerie  de  L.  Fuli 


J.n  (ialliii. 


{^eulpLure  chrysélé,jh»aUne.) 


—  241  — 


»  Nous  avons  enlacé  des  branches  de  chêne  et  d'olivier  autour  de  la  vasque  d'ar- 

»  gent,  et  nous  avons  assis  sur  les  bords  un  forgeron  de  la  Loire,  trapu,  robuste, 

»  sorte  de  cyclope  moderne,  ayant  à  ses  pieds  la  roue  qui  court  sur  les  rails  de 

»  fer;  de  l'autre  côté,  la  Fortune,  nue,  gracieuse,  que  des  enfants  retiennent 

»  captive,  tandis  qu'un  autre  enfant  lui  dérobe  la  roue  sur  laquelle  elle  pose  son 

»  pied  fin.  Mais  les  figures  d'argent  ne  sont  pas  toujours  faites  pour  la  nappe  d'un 

»  festin.  Barrias  nous  a  modelé  une  Psyc/té  qiù  a  été  donnée  en  prix  par  le  Jockey- 


Prix  de  course  de  yachts  :  Baromètre  en  arycnt  et  email. 
[Orfèvrerie  de  L.  Falize.) 


»  Club  en  1881,  et  Deioye  a  fait  la  jolie  statuette  du  Page  qu'a  gagnée,  deux  ans 
»  avant,  le  cheval  de  M.  Maurice  Ephrussi.  Pour  un  architecte  de  nos  amis,  nous 
»  avons  exécuté  en  argent,  en  or,  en  jaspe  et  en  lapis,  le  testimonial  dont  Aimé 
»  Millet  avait  sculpté  le  modèle.  Une  femme  suspend  à  l'autel  de  Minerve  l'équerre 
»  et  le  compas.  Cette  figure  est  une  des  plus  jolies  ([u'ait  conçues  l'auteur  de 
)>  ï Ariane  et  du  Vercingétorix. 

»  Les  seuls  thèmes  qu'on  propose  à  l'orfèvre  sont  des  pi'ix  de  courses  et  de 
»  régates.  11  devient  assez  difficile  de  renouveler  ces  modèles.  Nous  avons,  pour 
»  notre  part,  essayé  de  symboliser  par  la  sculpture  et  l'émail  peint,  la  Pluie  et  le 
»  Beau  Temps,  dans  un  baromètre  d'argent  offert  en  prix  aux  Régates  de  Nice. 
»  Pour  la  Société  des  Steeple-Chase,  nous  avons  composé  un  grand  cartel  d'ar- 


—  -li:!  — 


»  geiit  de  style  Louis  XIV,  dont  Quiuton  a  modelé  le  sujel  :  /c  Jour  et  la  Nuit. 
»  C'est  à  Barrias  que  nous  avons  demandé  les  deux  figures  qui  décorent  la  grande 
»  jardinière  que  le  baron  G.  de  Rothschild  nous  avait  commandée  pour  le  Jockey- 
')  Club.  Nous  avons  voulu  qu'il  y  représentât  la  Seine  et  l'Oise.  Les  figures  en 
»  haut-relief  s'enlèvent  sur  des  fonds  où  sont  sculptés  en  arrière-plan  les  paysages 
»  de  Longchamps  et  de  Chantilly,  pour  symboliser  les  champs  de  courses  favoris 
»  des  sportmen  français.  » 

L.  Falize  cite  encore  d'autres  pièces  exécutées  pour  des  amateurs  étrangers  : 
deux  horloges  faites  comme  des  bijoux,  l'une  pour  Lady  Scott,  l'autre  pour 
M.  Alf.  Morrisson,  oîi  l'or,  l'émail  et  l'ivoire  tenaient  la  plus  grande  place.  Nous 
ne  nous  attarderons  pas  à  les  décrire,  et  nous  voulons  arriver  à  la  maîtresse  pièce 
de  son  Exposition  à  laquelle  l'ivoire,  les  montures  d'orfèvrerie,  les  damasquines, 
les  ciselures  et  les  chaudes  colorations  des  patines,  donnent  un  accent  très  per- 
sonnel. C'est  la  Gallia  dont  on  a  tant  parlé,  pendant  et  après  l'Exposition.  «  C'est 
»  dans  notre  atelier  que  s'est  faite  entièrement  l'exécution  de  la  Gallia.  et  notre 
»  principal  collaborateur,  c'est  l'artiste  qui  a  modelé  la  tigure  et  taillé  l'ivoire 
»  avec  tant  de  bonheur,  M.  Moreau-Vauthier.  Ce  bloc  d'ivoire  phénoménal  était 
»  déjà  précieux  par  sa  rareté  et  ses  dimensions,  avant  de  devenir  l'admii-able 
»  niorceau  de  sculpture  qui  nous  avait  séduits,  et  que  nous  avons  voulu  habiller 
»  d'or;  nous  avons  obéi  à  un  sentiment  tout  personnel  en  faisant  de  cette  guer- 
»  rièrc  un  peu  triste  et  dédaigneuse,  mais  fière,  résolue,  indomptable,  une  Gallia. 
»  Nous  l'avons  voulue  telle  qu'elle  est,  avec  le  casque  et  la  cuirasse,  avec  les 
»  nuances  assourdies  de  l'or,  les  damasquines  du  fer,  le  cuivre  rougi,  les  mailles 
»  d'argent,  et  le  public  nous  a  donné  raison.  Ce  buste  d'orfèvrerie  a  produit  une 
»  impression  très  profonde  sur  ceux  qui  l'ont  vu;  c'était  l'ixHivre  la  plus  osée,  le 
«  morceau  le  plus  décoratif,  et  nous  avons  senti  vibrer  si  réellement  l'àme  de  la 
»  foule,  ([uc  nous  avons  refusé  l'offre  d'un  étranger;  nous  étions  prêts  à  céder  à 
»  l'Etal  la  Gallia  républicaine,  on  la  voulait  au  Louvre,  à  l'hjlysée;  IVançaise,  on  la 
»  v(Hilail  a  Chantilly.  Llle  est  rtîstée  dans  noire  atelier,  n'ayant  |)as  voulu  changer 
»  son  nom  [tour  synd)olis('r  une  autr(^  nation  que  la  Krance.  Ce  buste  marcpie  un 
"  rcloiir  a  la  sculpl  lU'c  chi-yséléphanline,  au  mélange  de  l'ivoire  et  des  métaux  pré- 
n  cieux,  connue  Simarl  l'avait  essay('  pour  le  duc  de  Luyn(^s  avec  Duponchel.  (ki 
"  n'est  pas  seiilcnicnl  l  ivoirc  (pii  s'allie  au  nu'lal,  c'est  la  pierre  dure,  ce  sont  les 
M  ;.'i'iinnes,  cl  le  l;i|)i(|;i)re  esl  un  de  nos  plus  uliles  ouvriers,  »  t'ali/.e  avait  bien  fait 
uralhinlir  ;  ri;i;il  Ira  mai  s  Ta  aeliel  ('■(•  en  IS!»2  ;  elle  est  aujolU'd'hui  au  Luxendxiurg. 

l/eiiiail  alinail  l'ali/e,  ses  (•Indes  dans  les  nuis('es  d'Europe  lui  avaient  r(''V('l('' 
loiiles  II'  ,  ic  ,-oiiires  de  ccl  ;ii  l  eliamiaul,  et  il  a\ail  monlri',  en  ISS!),  le  parli 
rpie  son  pont  et  son  liJiliilele  en  avaient  Wvv. 

hanv  un  \as(',  Siis^anide  icssuseilani  l'art  assyrien  )>,  il  avait  introduit  tous 
les  proc(''d(''s  lie  i  cnMil    reni;iil  cloisonni',  l'email  elianq>lev('',  l'(''mail  à  taille 


21:! 


—  ^45  — 


d'épargne,  l'émail  translucide  sur  relief,  et  l'émail  à  jour.  Il  ne  mit  pas  moins  de 
trois  ans  à  faire  ce  chef-d'œuvre  pour  lequel  la  collaboration  de  Hirtz  et  Pye, 
Tourrette  et  Routhier,  lui  avait  fourni  un  précieux  concours. 

L'émail  translucide  sur  relief  avait  ses  préférences,  et  Falize  s'était  attaché  à  en 
montrer  toutes  les  ressources  dans  ces  grandes  plaques  d'or  reproduites  d'après 
les  tapisseries  de  Sens,  et  l'émail  commandé  pour  le  Musée  de  Saint-Pétersbourg. 

«  J'ai  pris  au  Louvre  ma  première  leçon,  sous  la  direction  de  M.  Barbet  de 
»  Jouy.  J'ai  vu  les  émaux  de  Londres,  ceux  d'Aix-la-Chapelle,  ceux  d'Orvieto, 
»  ceux  de  Lisbonne  et  de  Munich,  les  pièces  si  admirables  de  sir  Richard  Wallace, 
»  de  Spitzer,  du  baron  A.  de  Rothschild,  et  enfin,  la  fameuse  coupe  du  baron 
»  Pichon.  C'est  par  l'étude  comparée  de  tous  ces  émaux  célèbres  que  j'ai  cru  avoir 
»  rendu  à  l'orfèvrerie  française  un  procédé  d'émail  perdu  depuis  (rois  cents  ans, 
»  et  qui  avait  fait  sa  gloire  la  plus  incontestée.  » 

Les  émaux  de  basse-taille,  exposés  par  Falize,  avaient  impressionné  les 
membres  de  la  Commission  d'achat  du  Musée  des  Arts  décoratifs,  et  leur  avaient 
fait  regretter  de  ne  pouvoir  en  faire  figurer  un  spécimen  dans  les  vitrines  du 
Musée.  Sur  la  proposition  de  l'un  d'eux,  M.  Edmond  Taigny,  homme  d'un  goût 
délicat,  la  Commission  décida  de  commander  à  Falize  une  pièce  qui  rappelât  le 
souvenir  de  ses  tentatives  et  de  leur  réussite.  L'exécution  du  gobelet  d'or  fut 
décidée,  et  il  figure  aujourd'hui,  dans  sa  splendeur  étincelante,  dans  une  vitrine 
spéciale  dont  l'exécution  a  été  confiée  à  ses  fils. 

Falize  citait  ensuite  tous  les  collaborateurs  dont  il  avait  apprécié  le  concours 
et  utilisé  les  talents,  et  terminait  ainsi  la  notice  de  ses  travaux  : 

«  Trente  ans  de  pratique  nous  ont  mis  en  rapport  avec  nos  ouvriers  et  nos 
»  artistes;  nous  savons  les  nuances  qui  spécialisent  le  talent  de  chacun,  et  le 
»  secret  de  l'harmonie  d'une  œuvre  est  souvent  dans  l'emploi  raisonné  des  mains 
»  qui  y  participent.  Combien  de  dessins  et  de  modèles  sont  compromis  par 
»  l'ouvrier,  que  de  projets  charmants  ont  été  mal  exécutés!  11  faut  donc  une 
»  surveillance  incessante,  un  soin  du  détail,  une  direclion  ininterrompue;  l'or- 
»  fèvre  doit  inventer  et  conduire,  il  ne  doit  pas  s'absenter,  il  faut  ((u'il  garde  la 
»  responsabilité  de  son  travail,  surtout  s'il  s'agit  des  œuvres  d'art  dont  nous  par- 
n  Ions;  un  oubli,  une  négligence  peuvent  tout  perdre.  Quelque  excellent  que 
»  soit  le  contremaître,  un  patron  vraiment  soucieux  de  sa  réputation  et  aimant 
»  son  métier,  n'abdique  jamais.  Il  doit  vivre  entre  son  atelier  et  sa  boutique, 
»  dessinant,  étudiant  le  goût  de  sa  clientèle,  et  suivant  à  l'atelier  les  phases  pro- 
»  gressives  de  son  travail.  C'est  ainsi  que  mon  père  m'a  appris  à  faire,  et  c'est 
»  ainsi  que  font  tous  ceux  de  mes  confrères  qui  méritent  d'être  loués.  »  Et  nous 
ajouterons  :  c'est  ainsi  que  Falize  a  conquis  cette  maîtrise,  et  maintenu  des  tradi- 
tions qui  ont  fait  de  lui  un  des  maîtres  de  l'orfèvrerie  d'art  en  France,  à  la  fin  du 
dix-neuvième  siècle. 

iO 


—  246  — 


Après  avoir  parlé  des  deux  exposants  liors  concours  comme  membres  du  Jury, 
nous  allons  passer  en  revue  ceux  auxquels  avaient  été  attribuées  les  récompenses  : 
quatre  grands  prix  furent  décernés  à  MM.  Christofle  eï  C'"  ;  Emile  Fhoment-Meuiuce, 
FanniIsre  FUÈiîEs  ct  Boin-Tabureï. 

«  C'est  dans  l'orfèvrerie  d'imitation  qu'on  a  coutume  de  trouver  le  nom  de 
»  Christolle,  il  est  même  devenu  entre  leurs  mains  l'appellation  de  l'orfèvrerie 
»  argentée  qu'ils  fabriquent.  Mais  MM.  Christolle  ont  droit,  par  quelques  œuvres 
»  de  leurs  produits,  de  figurer  parmi  les  orfèvres,  les  argentiers  et  les  maîtres 
»  qui  ont  leur  poinçon  à  la  Monnaie!  Quand  on  entrait  dans  la  galerie  des  or- 
»  fèvres,  on  trouvait  au  centre  la  magnifique  exposition  de  Christofle;  elle  y  oc- 


SiiupiiM'o  Louis  X\',  on  arjjonl. 
{Modèle  de  Joindi/.  —  Oi-fvi'reriv  de  Clirislolle.) 


»  cupait  la  \>U\cc  la  pbis  considérable,  par  nu  vaste  étalage  de  vaisselle  et  d'objets 
»  (h'-coratiCs.  Au  milieu  et  en  avant  des  aulres  pièces,  était  une  table  à  deux 
»  étages,  en  bronze  (l()r(',  siq)p()rl;uit  lui  service  à  thé  en  argent  re|)Oussé.  ('/était 
.1  le  service  du  //rr  (/c/or/,-  (|iii  a  droil,  aux  honneurs  du  salon,  el,  pour  (|U(>  le  (ont 
»  fui  an  goùl  (lu  jour,  la  lable  conune  le  samovar,  comme  la  théière  et  les  lasses, 
/>  loul  ('lait  (le  styh'  Louis  W;  Louis  XV  aussi,  le  grand  service  de  table,  l'œuvre 
»  la  plus  (•ousi(l('rable  cl  la  phis  imporlantc  ([u'ait  exposée  Christofle.  La  grande 
'<  soupière  o\ale,  sur  ini  plalcaii  dont  la  nHuilnr(^  (>mprunt(''c  à  la  branche  du 
))  e(':lci  i,  aii\  cnU-s  fermes  cl  pnissanics,  lui  donnai!  nue  origiualit(''  vrainuMit  noii- 
"  I,  velle.  La  forme  L(»iiis  W,  ou  c(»urcnl  en  spires  (''l(''gaulcs  de  larges  cannelures, 

('lai!  eiiipiunii'e  a  ini  dessin  sans  signalure,  conservé  à  la  liibliothè(pie  Na- 
n  lionale,  (pn  a\ail  servi  de  llieme  a  loides  les  pièces  (pii  composaient  ce  service, 
»  gii"indolcs  a  si\  Mnincres,  plais,  casseroles,  sanci(''res,  carafes  à  vin,  corbeilles 
»  h  pain,  saladier,  linilier  ci  salières.  Mais,  nialgr('  cette  lendaiice  Louis  W,  il  y 

avail  d'aiilres  essais  iub'ressanls,  car  la  maison  Chrislollc  professe  l'(''clecl  ismc 


247 


—  249  — 


en  orfèvrerie.  C'est  là  qu'a  ileuri 
le  japoiiisme  en  France;  et  le  ser- 
vice à  thé  décoré  de  fleurs  de  chry- 
santhèmes, sans  avoir  la  fantaisie 
et  la  variété  qn'on  trouve  au  Japon, 
était  une  œuvre  charmante.  Plus 
original  était  le  service  à  café  qu'a 
modelé  Chéret,  et  qui,  bien  qu'em- 
prunté au  goût  Louis  XVI,  garde 
une  allure  très  moderne;  la  cise- 
lure exécutée,  au  repoussé  par 
Doussany,  en  est  remarquable.  De 
Chéret  aussi,  un  autre  service  in- 
spiré de  la  Renaissance,  qui  est 
une  des  œuvres  les  plus  exquises 
que  je  sache.  Un  autre  service  au 
décor  trop  osé  de  Carrier-Bel- 
leuse,  qui  a  posé  des  femmes  sur 
la  cafetière  et  la  théière,  tour- 
mentant leurs  corps  nus  pour  en 
faire  des  anses  ;  mais  le  service 
à  café  le  plus  original  était  celui 
qu'avait  modelé  Levillain.  On  y 
retrouvait  un  souvenir  de  ces  or- 
fèvreries romaines  du  quatrième 
siècle  dont  Levillain  s'inspirait; 
avec  des  athlètes  et  des  léopards, 
il  a  composé  tout  un  système  de  dé- 
coration qui  fait  une  broderie  ori- 
ginale et  délicieuse.  C'est  comme 
une  arabesque  en  doux  relief  qui 
s'estompe  dans  un  or  paie.  C'est 
bien  du  Levillain;  c'est  son  style 
délicat  dont  il  a  laissé  l'écriture 
dans  les  bronzes  qu'il  a  composés 
pour  Barbedienne,  et  dont  nous 
retrouvons  la  trace  à  l'Exposition, 
dans  les  lampes  de  Gagneau  et  sur 
les  meubles  de  Damon.  » 
»  Nous  venons  d'apprécier  l'im- 


Sorvicc  à  cale  Renaissance  eu  aryenl. 
iModèle  de  Cliérel.  —  Urfc-crcrie  de  Chrinlolh'. j 


portance  de  la  maison  Clu'istofle  dans  son  opulente  argenterie;  et  laissant  de 
côté,  pour  le  moment,  son  rôle  dans  l'orfèvrei'ie  argentée  et  la  faljrication  des 

»  objets  d'usage,  dans  laquelle  elle  est 
»  passée  maître,  il  nous  reste  à  dire  son  rôle 
»  dans  l'orfèvrerie  d'art. 

»  C'est  d'abord  V AmpJiitrite.  Mercié  l'avait 
»  modelée  en  1878  pour  le  grand  surtout  du 
»  duc  de  Santonia;  elle  était  alors  fondue  en 
»  argent  et  ciselée.  Elle  est  d'ivoire  cette 
»  fois-ci,  et  c'est  Scalliet,  un  des  bons  élèves 
»  de  Moreau-Vauthier,  qui  l'a  sculptée.  Une 
»  draperie  d'or  tin  envolée  ajoute  sa  note 
»  chaude  à  l'ivoire  pâle,  la  déesse  tient  à  la 
»  main  une  branche  de  corail  rose;  elle  a  des 
»  perles  à  sa  ceinture  et  à  ses  pieds.  Ces  ma- 
»  tières  précieuses  ont  une  harmonie  bien 
»  délicate.  » 

»  Déjà,  après  1878,  MM.  Christofle  avaient 
»  exécuté  le  testimonial  qui  fut  offert  à 
»  M.  Dietz-Monnin.  C'est  une  Minerve,  non 
»  plus  la  déesse  connue,  mais  la  Minerve  la- 
»  borieuse;  elle  n'a  gardé  de  ses  attributs  an- 
»  ciens  que  le  rameau  d'olivier  qu'elle  offre 
»  comme  un  gage  de  paix.  M.  Delaplanclie 
»  avait  été  bien  inspiré  en  composant  cette 
>»  figure  qu'il  a  baptisée  Pax  et  Labor.  Deux 
»  enfants  s'appuient  sur  le  socle,  et  tiennent 
»  ouvert  le  plan  de  l'Exposition  de  1878. 
»  C'est  également  à  Dietz-Monnin  que  fut 
))  offert  le  tcsiimonial  de  l'Kxposition  d'Ani- 
»  sterdam  en  1883.  C/cst  un  grand  vase  dé-- 
»  (lié  aux  Arts,  modelé  par  Cai-i-ier-lJcllcusc. 
»  La  l'ornu!  en  csl,  belle,  les  colorations  d'or, 
»  d'argent  et  de  cuivre  rappellent  les  copies 
»  faites  CM  <'c  genre  p(»in-  le  vase  d'Anacréon 
»  (l'Plinilc  Ucibci-,  (|ui  ligurail,  à  Viennes  en 
"  IS7.'i.  D(!U\  prix  de  course  coinmaiHh'S  par 
Il  l'rini  (MUps,  ('taiciit  exposes  en  IS(S!).  l/iiii 


l,Mi„li-lr  ,lr  In  ilhmi. 

'Ir  ClirrJnll 

le    .|()r|\c\ -(  ho 


course 


syinli<)li^;iil  |;i  Vicloii  e  el  ;i|i|iai  lient  nu  haroii  de  liotliscliild ,  l'autre  a  ('le' 
(/iigic  |i;ir  I  l'i  iii  ie  Scliirlvler.  C'csl  iMic  i'.('licic,usc  li.viirc  (|iii,  dans  un  mouvez- 


Aiiipliitrito,  slalucllc  eu  ivoiro,  drapce  d'or,  sui'  socle  ui'j;fiil. 
ilèle  il'Aitloiiiii  Mvrcié.  —  i'c h re  de  ScaUiel.  —  Urfèereria  de  Clirisloflc.) 


Pax  cl^Labor      Testiniouiul  ollert  en  1878  à  M.  Dietz-Momiiu. 
(Modèle  de  Deliiplunclie .  —  Orfèn-erie  de  Chrislofle.) 


Le  \'iiso  clos  Arts. 
{Moilùlc  de  Cnrrivr-JJvlleuse.  —  ExdcuLii  ij;ir  ChrisUtjii:.  en  /lS'<S'.< 


Prix  du  Jockey-Cliilj  :  "  La  Course  ». 
(Modèle  d'Anlvnin  Mercié.  —  Orfèvrerie  de  Clirislojle.) 


* 


—  259  — 


»  ment  élégant,  symbolise  la  Jeunesse,  et 
»  c'est  Anlonin  Mercié  qui  en  est  l'aiiteui". 
»  Ces  pièces  sont  uniques  ;  ce  sont  des  œuvres 
»  originales  dont  les  pLàtres  ont  été  brisés 
»  après  la  fonte. 

»  A  la  précédente  Exposition,  on  avait  pu 
»  constater  le  penchant  que  montrait  cette 
))  maison  pour  l'émail;  elle  semble  se  désinté- 
»  resser  de  ce  mode  de  décoration,  car,  dans 
»  les  cloisonnés  qu'elle  expose,  nous  retrou- 
»  vous  des  pièces  que  nous  avons  déjà  vues. 

»  Ce  n'est  pas  certainement  le  goût  de  l'or- 
)>  fèvre  qui  s'est  modifié;  c'est  parce  que  sa 
»  clientèle  ne  le  suivait  pas  dans  ses  préfé- 
»  rences,  qu'il  a  abandonné  l'émail.  Quel  que 
»  soit  l'avenir  de  ce  mode  de  décor,  il  ne 
»  faudra  pas  oublier  que  c'est  à  MM.  Christofle 
»  et  Bouilhet  qu'appartiennent  les  premiers 
»  essais  de  coloration  de  l'orfèvrerie  par  l'é- 
»  mail,  par  l'incrustation  galvanique,  par  les 
»  patines  métalliques;  ils  datent  de  1867. 
»  C'est  immédiatement  après  qu'ils  ont,  eux 
»  les  premiers  parmi  les  orfèvres,  osé  adopter 
»  la  formule  japonaise.  Si  d'autres  l'ont  co- 
»  piée,  bien  ou  mal,  ce  n'est  qu'ensuite. 

»  Un  grand  goût,  un  souci  constant  d'in- 
»  nover,  une  recherche  des  besoins  modernes, 
»  un  accord  du  métier  et  de  l'art,  telles  sont 
»  les  préoccupations  de  MM.  Christofle  et 
»  Bouilhet;  ils  ont  fait  pour  leur  industrie 
»  beaucoup  plus  que  d'autres  de  qui  on  pou- 
»  vait  tout  attendre  et  qui  ont  trompé  l'impa- 
»  tieuce  du  public.  On  est  surpris  de  trouver 
»  (ant  d'art  dans  une  usine. 

Moins  que  ses  confrères,  M.  Emile  *Fro- 
ment-Meurice  a  sacrifié  au  style  Louis  XV  et 
ne  cherche  à  innover.  Si  les  fils  gardent  quel- 
que chose  de  ce  qu'ils  ont  vu  dans  leur  en- 
fance, si  Odiot  se  souvient  des  préférences 
paternelles  pour  les  réminiscences  de  l'antique 


Service  à  cale  en  iu'fjciit. 

(Modèle  de  Cnri  iev-Iielleiise. 
Orfèvrerie  de  Christofle.) 


-  inu  — 


de  Percier  et  Fontaine,  pour  le  style  de  TEmpu-e  ou  pour  les  iiivenlions  anglaises, 
celui-ci  a  été  bercé  dans  l'amour  de  la  Renaissance. 

Voilà  trente-cinq  ans  que  D.  Froment-Meurice  est  mort;  son  fils  était  bien 
jeune  alors,  mais  il  a  eu  depuis  à  subir  les  caprices  de  la  mode,  et  il  a  pu  oublier 
les  préférences  de  sa  jeunesse  première.  Aussi,  avec  son  goût  fin  et  précieux, 
nous  olTre-t-il  comme  type  de  ce  qu'il  aime,  un  surtout  sobre  et  élégant,  quoiqu'un 
peu  froid  dans  sa  simplicité.  C'est  Le  Chevalier-Clievignard  qui  l'a  dessiné,  et 
Moreau-Vauthier  qui  en  a  modelé  les  figures.  Elles  sont  plus  aimables  que 

l'ornementation;  celle-ci  est  sévère  et 
n'a  pas  de  la  Renaissance  française  l'ir- 
résistible séduction;  puis  un  service  de 
vermeil  de  style  Louis  XV  qui  est  là 
pour  démontrer  que  l'orfèvre  artiste 
est  aussi  un  marchand  orfèvre,  et  s'en- 
tend aux  affaires  comme  il  convient. 

Dans  l'orfèvrerie  d'art,  il  tenait  aussi 
une  place  enviée  ;  lui  aussi,  comme 
Christofle  dans  V Amphitrite  de  Mercié, 
comme  Falize  dans  la  Gallia  de  Moreau- 
Vauthier,  avait  marié  l'ivoire  au  métal. 
La  figure  de  Fm  Fortuné  mi-partie  en 
ivoire,  mi-partie  en  vermeil,  dont  il  avait 
demandé  le  modèle  à  Delaplanche,  a  de 
la  jeunesse,  un  grand  charme,  et  l'opu- 
lence du  décor.  Ces  qualités  ont  séduit 
un  Américain  c[ui  l'a  ravie  à  la  France. 
Vms<.  en  v,  r,r  ,os..  .rKinih'  Ciiir.  L<i  maîtressc  piôcc  (le  son  exposi- 

'\\\i)n{uvc  iMiiis  w.  p.-ir  E.  Fninu-ii i-Mi-iirirc.)  tiou  était  uiic  douvrc  dc  grande  dimen- 
sion, d'une  audace  peu  commune.  C'est 
le  vasr'  d'argent  qui  a  été  exéculé  d'après  les  dessins  de  Sédille.  C'est  un  caprice 
rdviil  qui  rappelle  les  fast(;s  de  V(M'sailles;  quel  est  donc  le  î^ouis  XIV  (jui  peut 
cinoir  iiiciilih  !•  son  i)alais  dc  caissc's  à  orangers  fondues  en  argent.  Ou  l'a  trouvé 
après  rFxpiisiiioii,  cl ,  lors  de  la  visite  du  czar  Nicolas  II  en  I8!)(),  le  (louvcrnement 
rr;iiir;iis  ;i  en  riirurciisc  pciis^'c  (le  le  lui  oll'rir  en  souvenir  de  son  voyag(>  en 
traiicc.  (le  iiia;j iiili(pi('  sp(''ciiii('ii  de  l'art  IVancais  fera  honiu^  ligure  au  palais  de 
(i.ilf  liiii.i,  ;i  (•((((•  (1rs  (irl'cN  rcrics  fie  (Ici'main  (|iie  possède  la  cour  de  Uussie. 

TmiiI  lin,  l(»ul  nii;.Mmn,  loiit  coiiiiel  semble,  auprès  de  ce  vase  colossal,  le  petit 
vave  de  crislal  l'ondii  el  gravi-  par  Calh',  (|ue  M.  l'^roment-lVleurice  a  moult'  en 
\ei  iiicil  ;  (•'(•>«(  lin  verre  l'ose  e\(piis  (le  l'ornie  el  de  (•(MileiH'.  li'artisie  l  a  endirassi'^ 
<l  lin  liiMf.iii  de  s(y|e  Loilis  \V,  si  jnsle  (le  pnqiori  ions,  si  simple  d'ornemenls. 


261 


I.a  Fortune,  par  Dclaplaiichc. 


{Sciilplure  en  ivoire  drnpée  d'or,  socle  dessiné  par  Sédille. 
Orfèvrerie  de  Fromenl-Meurice.) 


205 


Grand  vase,  exécute  pour  l'Expositiuii  de  i86y,  oll'orL  à  l'empereur  Nicolas  II  eu  l8ij2. 
{Composition  de  Sédille.  —  Orfèvrerie  d'Emile  Fromenl-Meurice.) 


—  -mi  — 


que  c'est  peut-être  i'œnvre  la  plus  parfaite  que  nous  ayons  vue  parmi  les  rémi- 
niscences du  dix-huitième  siècle;  le  Musée  des  Arts  décoratifs  Ta  acheté,  il  est 
aujourd'hui  rornement  d'une  des  vitrines  du  Pavillon  de  Marsan. 

L'orfèvrerie  religieuse  l'attirait  également.  Il  avait  composé  un  calice  inspiré 
des  types  les  plus  purs  du  moyen  âge,  dans  lequel  il  avait  fait  un  essai  d'émail 
translucide  sur  relief;  un  grand  ciboire  émaillé  de  rouge  et  de  bleu  qu'enveloppe 
un  réseau  de  filigrane  d'or, 
d'après  un  dessin  de  Lameire. 
Mais  le  collaborateur  attaché  de 
la  maison  était  Henri  Cameré, 
l'auteur  de  la  plus  grande  par- 
tie des  objets  d'orfèvrerie  dont 
nous  avons  parlé;  c'est  lui  qui 
a  dessiné  cette  lyre  d'argent, 
grande  en  sa  simplicité,  tra- 
versée d'une  palme,  offerte  à 
Victor  Hugo  par  les  admirateurs 
du  poète  qui  avaient  été  bien 
inspirés  en  s'adressant  au  fils 
de  celui  qu'Hugo  immortalisa 
dans  ses  vers.  C'est  Cameré  en- 
core qui  a  composé  la  tiare  qui 
fut  offerte  au  pape  Léon  XHl, 
lors  de  son  jubilé  sacerdotal,  et 
qui  lui  fut  portée  par  le  curé  de 
la  Madeleine.  Dans  un  article 
nécrologique  qu'il  a  consacré  à 
un  collaborateur  dont  il  s'était 
fait  un  ami,  M.  Emile  Froment- 
Meurice  raconte  les  phases  de 
ce  travail,  les  nombreux  des- 
sins présentés  à  M.  Le  Rebours,  et  avec  quelle  souplesse  et  quelle  ingéniosité, 
son  crayon  agile  réalisait,  sous  les  yeux  du  vénérable  curé,  les  transformations 
qu'il  demandait  à  l'artiste;  il  prétendait  que  ce  vieux  dicton  :  «  Le  mieux  est 
l'ennemi  du  bien  »  n'est  fait  que  pour  les  paresseux,  et  qu'en  toutes  choses  il 
fallait  chercher  le  mieux.  C'est  de  cette  époque  que  date  l'exécution  de  la  nef 
d'argent  que  les  dames  de  Paris  offrirent  à  la  princesse  Amélie  à  l'occasion  de 
son  mariage,  et  dont  Cameré  avait  fait  le  projet  et  suivi  l'exécution. 

Toute  sa  vie  fut  consacrée  à  l'art  de  l'orfèvrerie.  Entré  très  jeune  dans  l'atelier 
de  Feuchères,  le  bronzier,  il  s'instruisait  au  contact  de  Jean  Feuchères,  Cameré 


Tiare  de  Sa  SaiuU-to  Léon  XIII,  oflcrlc  par  le  diocèse  de  Paris. 

(Composée  et  dessinée  p<ir  H.  Cameré. 
Orfèvrerie  de  Vromenl-Meurice.) 


—  i()8  — 


le  sculpteur,  de  Diéterle,  de  Sechan  et  Desplechin  les  décoraleurs,  amis  de  la  mai- 
son, et  prenait  le  goût  de  la  décoratioii  tliéàli-ale;  il  (ravaillait  en  même  temps  poul- 
ies orfèvres,  et  entrait  en  1865  chez  M.  Froment-Meurice,  chez  lequel  il  resta  long- 
temps, lui  prodiguant  toutes  les  ressources  de  son  talent,  aussi  ingénieux  à  compo- 
ser une  pièce  d'art  en  argent  comme  la  coupe  de  Ponsard,  qu'une  aiguière  de  cris- 


Ni-f  (le  lu  \'illc  .le  l'iiris. 
Siiilipiil  iillVi'l  pur  les  l).'mi('.s  piil'isicniM's  j'i  lu  iirinccssi'  Aiiiolic  (!'( )rl('iiiis, 

I Orft'rrcric  ilf  Fntiiifiil  Mi'ii rire.) 


t.il -de  rodic  (l('c(tr(' (TiMiiMiix  OU  ipriiii  hijoii  lii(''i'al comme  raniicaii  pasioral 
qiK'  !<•  cariiiiial  Mcniiilliod  dcvail  olVrir  a  l'ic  l\  an  nom  du  diocèse  de  (leiiève.  — 
liOl■^(pn'  M.  l'Voiiiciil -Mciii  icc  lui  l'ciidil  sou  iiKh'pcndancc,  c'esl  encore  aux 
orCcvrcs  (ju'il  pi^'-lV-i'ail  a|i|)oi  (cr  sa  cdllaliorafioii.  MlVI.  Aiidri'  Aucoc,  Uoiii-Tahurel 
<•!.  Téliird  racciii'iilaii'iil  avec  plaiî-ir  cl  lui  roiiniissaiciit  roccasioii  de  l'aire  preuve 
<li'  Hr.'s  qualili'-.  Caiiii  Ti'  jdiiissait  vi\cmi'iil  de  ses  succès,  et  ne  poiivail  silKii'e 


-  269  — 

aux  commandes  qui  le  sollicitaient  ;  sa  production  considérable  a  laissé  un  sou- 
venir durable  chez  tous  ceux  qui  ont  eu  recours  à  lui,  et,  lorsqu'il  disparut  en  1896, 


«  La  Flore  »,  surtout  de  table  exécuté  pour  M.  Tcyssier. 
{OEiivre  des  Fnnnière.  —  Musée  centeunni.) 


M.  Emile  Froment-Meurice  écrivait  une  notice  oii  la  vie  de  son  ancien  collabora- 
teur, faite  de  travail  et  de  production  constante,  était  racontée  avec  une  chaleur 
qui  faisait  autant  d'honneur  à  l'artiste  qu'à  l'orfèvre  qui  en  avait  fixé  le  souvenir 
en  termes  empreints  de  la  plus  sincère  émotion. 


—  -270  — 


Comme  on  1867  et  en  1878,  nous  relroiivons  les  frères  Fiiniiièi'e  lonjonrs  au 
premier  rang,  et  s'ils  nous  ramènent  en  4889  f(uelqiies  pièces  qu'on  avait  déjà 
vues  inachevées,  c'est  que  leurs  clients  sont  résignés  et  n'osent  Iroubler  leur 
quiétude  d"ar(istes  par  leur  impatience,  leur  laissant  le  temps  de  parachever 
leurs  œuvres,  et  que  leur  travail,  même  sous  forme  d'ébauche,  a  déjà  de  la 
saveur  pour  les  amateurs;  témoin,  le  bouclier  en  acier  repoussé  que  le  duc 
de  Luynes  lui  avait  commandé  et  que  l'on  rcvoyaii  aujourd'hui  presque  achevé. 


(;iissci-()lc  (•(  r('>cli;iuil  cUi  service  de  (ahle  exéeulé  i)iinr  M.  'l'evssiei'. 

(OEiivrc  (les  l'':iiiiiicr<'.  —  MiiSi'c  ccii  Icu  .) 


T(''ni()in  encore  ce  scrx  icc  du  |)i'in( c  de  llolienlolie  donl  (|uel(|iies  pièces  avaient 
('•h'  \nes,  iiiiiis  qui  a|»|iarail  aujdiu'd'hiii  dans  son  ensend)le  ;  (|uoi(|ue  exéeulé 
poiii'  lin  )ii-iiice  l'I  r.'iiiger,  il  est  revenu  en  l"'i"inee,  el  les  vitrines  du  Musée  cen- 
|i'iiii;il  non- en  mil  iiioiil  n''  les  |iièces  |iriiiei|)ales.  l/('lagère  à  deux  plal eaux  donl 
le  l'iiefl  csl  d(''c()r('  de  deux  jolies  ligures  de  l'anne  el  de  l'aunesse,  el  le  plaleau 
^n|ii-rieiir  siu'nionii'  d'une  svelle  ligure  de  femme  nue  doiil  l^'vdiarpe  llollanle  serl 
de  |ioi;.'ni'e  |ioiii'  la  poser  sur  la  lable;  deux  eandi'lalires  a  six  linuières,  deux 
liouls  dr  l;i|)|r  ;i  deux  lir;ini'lies  donl  les  l'ùls  sont  toniH's  par  deux  ligures  sor- 
lanl  de  ;^';iiiiev  ildriienieiil .  ('.(iiiiiiie  les  pièces  di'coral  i\  es,  l(is  pièces  d'usage 
<  oinine        '-iincieres.  les  sii I ieres ,  les  se;i ii x  a  glai'c .  s( m I  des  merveilles  de  cisc- 


—  211  - 


kire.  Les  gravures  fidèles  que  nous  avons  pu  faire  exécuter  d'après  les  ori- 
ginaux, exposés  au  Musée  centennal,  et  que  nous  avons  placées  en  tête  de  ce 
volume,  nous  dispensent  de  les  décrire.  Les  moindres  images  parlent  mieux 
qu'un  long  texte. 

Fidèles  au  style  de  la  Renaissance  française  qu'ils  affectionnaient,  c'est  par 
la  recherche  de  la  composition,  c'est  par  la  finesse  de  la  ciselure  qu'ils  donnaient 
à  leur  œuvre  cette  qualité  d'art  qui  en  fait  le  prix.  Est-ce  bien  vraiment  de  la 
Renaissance.  Si  on  hésite  sur  l'époque  à  laquelle  ils  se  rattachent,  la  marque  de 
Fannière  y  est  si  personnelle,  que,  dans  cent  ans  comme  à  présent,  on  dira  sans 


Sauciùrc  du  service  de  laljlc  exécuté  pour  M.  Teyssicr. 
[UEuvre  des  Fnnnière.  —  :Vi(se'e  cenlennnl.) 


hésiter  de  cela  et  de  tout  ce  qu'ils  ont  fait  :  «  C'est  du  Fannière  »,  comme  on  dit 
en  musique  :  «  C'est  du  Mozart.  » 

On  retrouvait  également  au  Musée  centennal  un  service  de  table  que  leur 
avait  commandé  un  homme  de  goût  mieux  avisé  que  les  chercheurs  de  bibelots 
anciens  qui  vont  courir  les  ventes  ou  font  faire  des  reproductions.  C'est  M.  Teys- 
sier,  le  beau-père  de  Georges  Hachette.  Pièce  à  pièce,  il  a  demandé  aux  Fannière 
uu  service  de  table  qui  vaut  mieux  qu'un  service  de  roi.  La  corbeille  centrale, 
exposée  en  1889,  n'est  pas  grande  ;  c'est  une  figure  de  Flore  debout  au  milieu 
des  fleurs,  qui  se  dresse  en  une  jolie  attitude.  Elle  est  souple  par  le  modelé, 
achevée  par  le  ciselet  autant  que  par  l'ébauchoir.  Le  réchaud  et  le  légumier,  les 
salières  qui  les  accompagnent,  sont  moins  compliquées  que  la  fameuse  salière  de 
Cellini,  quoique  dérivée  du  même  thème,  pour  l'une  c'est  Amphitrite,  pour 


  27^   

l'autre,  c'est  Neptune,  elles  sont  la  démonstration  de  la  sobriété  dans  la  ligne  et 
dans  l'ornement.  On  s'étonne  que  la  chose  soit  si  jolie  avec  si  peu  de  recliei'clie. 
Un  autre  surtout  du  même  style  qui  appartient  à  M""'  Georges  Hachette, 


Ituiiillciii'c  cvrciili'T  |)(itir  M,  'l'i'v  ssiiT. 
[Ili'.iii'fc  ilfs  l\iiiiiii'Tc.       .Wi/src  i-cii  li'it  .) 


\>\  <>i  ri\f  (|c  |;i  iiiriiic  i 1 1 s { )i l'ii I  i o 1 1 .         gi'oiqtc  (Ic  cnfaiils  jcMianI  avec  un 

i|i(\rcii(i  rdiiiic  le  (•(•iilrc  (riiiic  jardiiiicic  IoIh't  r(''guli(''n'iii('nl ,  r(  dont  la  Irise 
;i|<)iir('c  ('L-iil  lie  l;i  plii'^  line  (■i>cliii'('.  (In  l  a  rclnuivi'  au  Musée  (■«'iilcnnal. 

I  n  iMiiivciHi  \i  iin.  (|ni  s'i'liiil  (|(''i;i  signal»'  en  iScSO  ;i  l'hAposil ion  des  Aris  du 
uir'lal.  apparaissiiil  en  I       ('(inune  l'nn  des  mail  res  (|ui  allaieni  d(unier  à  Tari  du 


213 


—  275  — 


dix-huitième  siècle  toute  sa  saveur  et  tout  sou  esprit.  C'est  M.  Boin-Taburet  qui, 
plus  que  tout  autre  oi'fèvre,  a  contribué  à  ce  retour  au  Louis  XV.  «  Ce  n'est  pas 
w  une  accusation  que  je  formule,  dit  M.  Falize,  au  contraire;  je  constate  seulement 
»  qu'avec  un  goût  très  personnel  et  un  tact  réel,  il  a  compris,  deviné,  senti  ce  que 
»  voulait  sa  clientèle;  il  s'est  hâté  de  lui  offrir  ce  qu'elle  venait  lui  demander.  Et 
»  comme  il  dessine  fort  bien  lui-même,  qu'il  sait  commander  et  faire  travailler, 
»  il  s'est  hâté  de  meubler  son  joli  magasin  de  la  rue  Pasquier  de  corbeilles,  de 
»  théières,  de  flambeaux  de  toilette  dont  la  forme  et  les  ornements  alternaient  du 
»  Louis  XIV  à  la  Régence,  du  Louis  XV  au  Louis  XVI,  tantôt  copiant,  tantôt 
»  inventant,  achetant  des  pièces  anciennes,  rassemblant  des  vieux  dessins,  d'an- 


Salières  «  Naïade  »  et  «  Ti'itons  »,  du  service  de  lable  exécuté  pour  M.  Teyssier. 
(OEiivra  des  Fannière.  —  Musée  cenlennal.) 


»  ciennes  gravures,  reprenant  aux  faïences  et  aux  porcelaines  tout  ce  que  la  céra- 
»  mique  a  emprunté  a  l'orfèvrciwe.  M.  Boin  a  cerlainement  fait  un  travail  consi- 
»  dérable,et  je  sais  de  lui  des  pièces  qu'auraient  signées  avec  orgueil  des  orfèvres 
»  du  siècle  dernier  (1).  » 

Faut-il  s'étonner  de  trouver  le  salon  de  M.  Boin  en  1889  tout  rempli  d'œuvres 
du  dix-huitième  siècle.  11  n'en  pouvait  pas  montrer  d'autres. 

La  principale  pièce  était  un  grand  surtout  repris  à  l'œuvre  de  Meissonnier.  Il 
est  d'un  maître,  et  les  deux  sculpteurs,  MM.  Bonat'et  Peynot,  ont  rétabli  les 
modèles  d'après  les  dessins  de  Meissonnier,  et  en  ont  fait  une  savante  reconsti- 
tution; le  ciseleur,  M.  Moisset,  s'est  associé  à  leur  œuvre  avec  beaucoup  d'intelli- 
gence ;  une  autre  reconslitution  est  sa  grande  soupière  faite  en  1888  pour  le 
Jockey-Club.  C'est  une  pièce  essentiellement  décorative  que  M.  Boin  a  exécutée 
avec  son  grand  plateau,  telle  qu'elle  est  gravée  dans  l'œuvre  de  Pierre  Germain. 


(Ij  Guzuttc  des  Ileaux-Ai  Is,  l'Ovicwavlti  eu  ISSO,  Iroisième  période,  puge  212. 


—  27(i  - 


Ce  qui  la  rend  parliculièreinciil  iiiLéressanLe,  c'est  qu'elle  est  bien  'ruii  oi-fèvi'c, 
et  non  pas  d'un  bronzier.  Tout  est  fait  au  marteau,  sauf  les  anses,  le  bouton  et 
les  bordures  qui  sont  en  fondu. 

Un  autre  surtout  de  style  JAocaille  dans  la  nionièi-e  des  peintures  de  llani- 
bouillet,  faite  de  verve  et  d'esprit,  réjouit  les  yeux  avec  ses  orneriients  capri- 
cieux, ses  singes  et  ses  guenons,  drôles  en  leurs  attitudes,  sérieux  en  leur 
bouffonnerie  comme  leurs  frères  de  vieux  Saxe.  Ce  sera  sur  la  table,  au  mi- 
lieu des  lumières  et  des  fleurs,  une  audace  de  bon  goût,  et  je  crois  que  c'est 
le  rôle  de  l'orfèvre  d'exciter  aux  gais  propos,  et  d'être  le  décor  joyeux  d'un 
bon  repas. 

Comme  contraste,  L.  Falize  signalait,  dans  le  style  Louis  XVI,  un  surtout  aux 
guirlandes  de  fleurs  et  aux  têtes  de  béliers  dont  l'ordonnance,  plus  sage,  repose 
de  ces  audaces. 


Jardinière,  d'après  Meissonaicr. 
{Modèle  de  Bonul  et  Pei/nol.  —  Orfèvrerie  de  Boiii-Tuhnrel.] 


De  même  style,  un  joli  thé  de  vermeil.  La  bouilloire  a  la  forme  d'un  vase,  et 
le  plateau  est  tout  à  fait  charmant.  Un  autre  thé  de  style  Louis  XV  et  un  de  style 
Louis  XIV  complétaient  cette  jolie  exposition  de  M.  Boin-Taburet.  «Elle  est  le 
»  résultat  de  l'effort  d'un  artiste  d'une  réelle  valeur;  elle  résume  l'évolution  de 
»  l'orfèvrerie  en  ces  dernières  années.  Elle  marque  le  courant  du  goût,  elle  a  la 
»  faveur  du  public,  elle  s'inqio&e.  Ses  tendances  vers  le  Louis  XV  ne  sont  pas  une 
»  co|)ie  banah;,  c'csl  chez  lui  une  conviction  bien  airèlée  que  celte  forme  con- 
»  vieni,  mi(Mi\  ii  rai'genteric,  (prcllc  est  la  nieilleuie  façon  d'inie  vaisselle  de 
»  l;d)lc,  lit  plus  spirituelh^  ex|)rcssi()u  du  goût  fraii(;ais.  » 

Un  aulr(!  j(!un(!  orfèvre,  IVl.  André  Aucoc,  apparaissait  pour  la  première  fois 
diins  une  (jxposition.  Fils  et  |)ctil-lils  d'orfèvre,  il  avait  pris  goût  au  métier,  au 
foyer  paternel.  Son  ('duciition  arl isl/Kpie,  il  r;iv;iil  l'aile  dans  sa  famille  où  l'on  est 
f)rfèvre  depuis  iii;iis,  ('pris  de  hi  (h'coral ion  du  dix-huitième  siècle,  rent(Mi- 

iliiiit  avec  inlininienlde  goûl,  il  allait  rencuiveler  le  succès  des  anciens  uiaiiresen 


277 


Candélabre  de  sly\c  Rocaille,  sur  plaleau  de  ^lace. 
[Urfècrerie  de  Ifoin-TnhnreL) 


/ 


—  281  — 


créant  de  uomlireuses  pièces  d'arg-enterie  empruntées  à  cette  aimable  époque.  11 
est  devenu  orfèvre  accompli  et  a  su  maintenir  l'honneur  d'un  nom  qui  s'inscrit 
en  lettres  d'or  au  livre  de  l'Art  du  Métal.  L'exposition  de  M.  Aucoc  était 
encadrée  dans  une  façade  originale,  dont  le  style  du  dix-huitième  siècle  servait 
d'enseigne  à  ses  produits.  Est-ce  à  cela  qu'il  faut  attribuer  le  charme  et  l'at- 
traction qu'avait  cette  exposition  sur  les  visiteurs.  N'est-ce  pas  plutôt  à  la  qualité 
des  œuvres  fort  belles  d'ailleurs  qui  s'inspiraient  de  Germain,  si  souvent  copié. 
C'était  d'abord  l'aiguière  et  le  bassin  exactement  reconstitués  d'après  la  gravure 


Aiguière  et  bassin,  d'après  Germain. 
(Orfccreric  de  A.  Aiirov.) 

que  l'on  trouve  dans  ses  œuvres,  de  même  que  les  deux  grands  candélabres  à 
quatre  branches  dont  les  tiges  nerveuses  et  puissantes  s'élancent  de  la  base,  et 
par  une  torsion  hardie  s'eiu'oulent  et  vont  jusqu'au  sommet  porteries  lumières. 

Si  ces  œ'uvres  étaient  des  reconstitutions  d'après  des  pièces  anciennes,  c'est 
bien  à  M.  Aucoc  qu'appartenait  l'invention  des  candélabres  à  trois  lumières  qui 
enveloppent  de  leurs  branches  un  vase  de  cristal,  en  sorte  que  les  fleurs  qu'on  y 
met  peuvent  se  marier  à  l'éclat  des  bougies.  Tout  cela  est  de  style  Louis  XV. 
Louis  XV  encore  est  la  monture  des  deux  potiches  en  vieux  Chine,  de  même 
qu'une  grande  corbeille  rétreinte  au  marteau,  ciselée  d'un  outil  énergique  et  dont 
les  anses  et  le  pied  seuls  sont  en  londu. 


—  2H2  — 


i 


Un  pelil  service  à  Uié  de  style  Louis  X.I  V,  (iispos(3  ave(;  goùl.  sur  une  lalile  basse 
pour  le  fi'oùter  du  fi ve-o'clock,  est  plus  pcrsounel.  C'esl  parce  que  les  riiodèles 
Louis  XIV  sont  rares,  qu'ils  exigent  |)lus  de  s(;ience  et  plus  de  recherche,  que  pau 
d'orfèvres  s'y  sont  essayés;  les  jolies  formes  à  pans  des  pièces  l^ouis  XIV  agré- 
mentées de  fines  gravures,  ou  reliaussées  de  godrons,  conviennent  mieux  à 
l'orfèvrerie  d'usage  que  les  Rocailles  et  les  exiravagances  du  Uococo.  M.  Aucoc 
a  su  leur  donner  un  accent  plus  moderne. 

On  le  retrouvera  à  l'Exposition  de  1900,  plus  maitre  encore  de  son  atelier  et  de 
son  art:  il  est  devenu  un  orfèvre  accompli. 

Le  Jury  lui  avait  décerné  une  médaille  d'or,  ainsi  qu'à  trois  de  ses  confrères 
qu'on  n'est  guère  habitué  à  rencontrer  dans  les  Expositions.  Leurs  noms  sont 
moins  connus  du  public,  mais  ils  ont  une  grande  notoriété  parmi  les  orfèvres.  Ce 
sont  des  fabricants  qui  se  tiennent  volontiers  dans  l'ombre  pour  des  raisons  de 
convenance  commerciale;  il  en  est  de  l'orfèvrerie  comme  d'autres  industries  où 
le  consommateur  n'a  pas  dii'ectement  affaire  au  véritable  producteur;  des  inter- 
médiaires se  placent  entre  eux  qui  ont  intérêt  à  empêcher  ce  rapprochement. 

Us  représentent  cependant  la  fraction  la  plus  riche  et  la  plus  importante  de 
l'orfèvrerie,  parle  nombre  et  la  qualité  du  produit.  Ils  habitent  le  Marais,  là  où  sont 
concentrées  les  industries  du  métal  et  tous  les  métiers  qui  concourent  à  sa  parure. 
Ils  portent  annuellement  au  Bureau  de  garantie  80000  kilogrammes  d'argent, 
fournissent  la  presque  totalité  des  affaires  de  l'exportation  et  suffisent  à  la  con- 
sommation de  province. 

M.  Té/ard,  qui  avait  succédé  à  Hugo,  était  l'un  des  plus  importants,  mais  à 
l'époque  où  il  entrait  dans  les  affaires,  l'évolution  du  goût  qui  s'était  produite 
dans  la  haute  orfèvrerie,  avait  eu  son  contre-coup  dans  l'orfèvrerie  courante.  Les 
commissionnaires  pour  lesquels  il  travaille  spécialement  en  avaient  assez  des 
formes  vieillies  et  banales  dont  ils  se  contentaient  jadis.  Il  fallait  créer  des 
modèles,  jeter  au  creuset  des  miUiers  de  kilogrammes  que  représentaient  les 
matrices  devenues  sans  emploi.  On  sait  (|ue  c'est  au  moyen  de  matrices 
d'acier  fondu  retouchées  par  le  graveur  et  le  ciseleur,  que  s'obtient  la  plus 
grande  partie  de  cette  orfèvrerie  d'usage,  et,  la  dépense  étant  grande,  un  tel 
changement  de  front  était  une  opération  difficile  et  demande  de  la  hardiesse  et 
du  coiq)  d'o'il.  il  avait  h^s  deux  et  a  l'éussi. 

(jette  fabrication  à  bon  marché  sur  des  lypos  excellents  est  difficile  dans  la 
rc'salisalion,  parce  (pu;  l'artiste  est  rare,  et  qu'ignorant  les  conditions  exigées  par 
l'outillage^,  il  doit  se;  plier  à  des  considérations  matérielles  (pie  lui  impose  l'or- 
fèvre, ("es!  M.  Têtard  qui  a  uiieux  compris  ('(^s  exigences  parce  qu'il  était  le 
inieuN  i(lcnlili('  avec  le  UK'lier  de  l'orfèvre.  C/esl  merveille  de  voir  es(am})ei-  d'un 
seul  coup  ini  coin  de  niiroii',  nue  Ixn'diirc  de  plalcau.  Une  cal'elièr(^  s'oblieni  en 
deu.\  (  (xpiillcs,  luie  assicllc  de  desserl,  sort  avec  ses  reliefs  ornés  sous  l'elTort  du 


1 


—  283  — 


balancier;  avec  des  feuilles  minces  d'argent  laminé,  ce  qui  est  une  condition  pour 
le  bon  marché,  on  produit  une  orfèvrerie  aussi  apparente  que  si  elle  était 
repoussée  au  marteau  et  ciselée  à  grands  frais. 

La  pièce  capitale  qu'il  exposait  était  un  service  de  table  commandé  par  le  duc 


Candélabre  Louis  XV,  à  trois  branches  avec  vase  de  cristal. 
[Orfèvrerie  de  A.  Aitcoc.) 


de  Linarès,  dont  les  figures  avaient  été  modelées  par  Peynot  et  Mathurin-Moreau, 
Très  différent  était  un  surtout  Louis  XV  dont  on  ne  trouverait  pas  l'équivalent 
dans  les  œuvres  des  vieux  maîtres.  C'est  un  sujet  aimable  à  mettre  sur  une  table. 
Mais,  dans  ces  pièces  exceptionnelles,  ne  réside  pas  le  seul  intérêt  de  son 
exposition;  il  était  aussi  dans  les  pièces  d'usage  qu'il  avait  mises  au  goût  du  jour, 
et  dans  l'effort  considérable  qu'il  avait  fait  pour  transformer  sa  fabrication. 

H 


—  28i  — 


M.  Fray  est  un  fabt'icaiiL  de  même  ordre,  il  a  conLiiiuc;  la  maison  de  M.  Jlar- 
leux,  son  beau-père,  et  travaille  surtout  pour  la  consoirimation  parisienne.  Il  fait 
en  grand  la  vaisselle  plate,  c'est-à-dire  les  plats,  les  légumiers,  les  saucières,  les 
pièces  d'argent  qui  constituent  le  grand  luxe  de  la  taljle. 

Il  a  voulu  faire  un  effort  aussi,  et  mettre  à  côté  des  pièces  de  sa  fabrication 
courante,  des  objets  d'un  art  plus  raffiné.  Il  s'est  adressé  à  Joindy,  le  sculpteur 
dont  nous  avons  déjà  cité  le  nom  en  parlant  du  modèle  qu'il  avait  fait  pour  Chris- 
tofle.  Le  grand  surtout  Louis  XV  est  d'une  invention  originale,  il  est  léger  dans 
ses  vastes  proportions.  Du  même  sculpteur  était  une  grande  soupière  rocaille  où 
s'exagérait  la  dureté  de  l'art  du  ciseleur.  Ce  qu'il  faut  louer,  c'est  le  travail  de 
l'orfèvre  et  l'habileté  de  l'ouvrier  qui  a  su  modeler  au  marteau  sur  un  plan  ovale 
les  bords  et  les  courbes  parallèles  d'une  pièce  aussi  grande.  Ce  qu'il  faut  louer 
également,  ce  sont  les  deux  services  à  thé  de  style  Louis  XV,  dans  une  donnée 
sobre  et  voisine  des  bons  modèles  anciens.  Ce  qui  était  absolument  parfait, 
c'était  la  série  des  plats  à  feuilles  de  laurier  d'un  style  et  d'une  exécution  sans 
défauts.  C'est  bien  là  le  caractère  de  la  belle  et  loyale  fabrication. 

M.  Debain,  encore  un  fils  d'orfèvre.  —  Né  et  élevé  dans  l'atelier,  ayant,  comme 
autrefois,  subi  les  épreuves  du  métier,  il  se  trouvait  en  état,  quoique  jeune, 
d'entrer  en  lutte  avec  les  plus  vieux  maîtres.  Sa  pièce  capitale  était  une  toilette 
conçue  dans  le  goût  des  œuvres  de  Germain.  Les  boîtes  de  toilette  étaient  si 
parfaites  que  les  amateurs  d'orfèvrerie  ancienne  sont  tous  venus  les  voir,  et  que 
le  Musée  des  Arts  décoratifs  en  a  pris  une  qu'il  a  mise  en  bonne  place  dans  les 
vitrines  du  Pavillon  de  Marsan.  M.  Debain  avait  aussi  un  surtout  comme  ses 
confrères.  Une  femme  nue,  soulevée  sur  des  flots,  y  symbolisait  «  la  Vague  ». 
Réminiscence  d'un  tableau  célèbre,  il  avait  le  tort  d'être  trop  connu  sous  sa  forme 
première  et  était  considéré  par  quelques-uns  comme  une  faute  de  traduire  en 
argent  ce  qui  n'a  pas  été  conçu  pour  l'orfèvrerie.  Les  pièces  de  fantaisie  et  tous 
ces  menus  objets  que  les  boutiquiers  de  Paris  empruntent  à  cette  fabrique  pour 
la  vente  de  chaque  jour,  étaient  nombreuses,  et  montraient  que  l'orfèvre  était 
capable  de  ces  jolies  inventions  qui  décèlent  le  goût  de  celui  qui  les  trouve. 

M.  Baclielet,  fils  de  l'orfèvre  d'église  qui  avait  été  longtemps  l'un  des  colla- 
borateurs préférés  de  Viollet-le-Duc,  avait  renoncé  à  l'art  qu'affectionnait  son 
père,  vendu  ses  modèles  pour  acheter  l'ancienne  maison  Cosson-Corby,  et  se  livrer 
dès  lors  à  l'orfèvrerie  civile.  L'excellence  de  sa  fabrication  lui  a  valu  une  médaille 
d'or  poui'  lui  service  (pie  le  Jury  avait  apprécié,  et  n'avait  pas  hésité  à  déclarer 
(juc  le  meilleur  service  d'argenterie,  le  |)lus  logicpie  en  sa  forme,  et  cependant  le 
plus  apf)r()f)rié  au  goût  du  joui-,  puis(|u'il  es!  du  plus  pur  Louis  XV,  se  trouvait 
cIkîz  m.  I5acli(!l(^t. 

Nous  citerons  (pic  pour  in('in(tii'(^  les  noms  d'aulrcs  oi'fèvres  tels  que 
M.  Leroy,  Le  C()ut(!li(!r,  .liihîs  Piaiilt,  Tallois  et  Mayence  (pii  coiitiiiueiil 


Serxicc  de  toilette  de  slyle  Louis  X\'. 
N"  1.  —  UoiLc  à  poudre  de  riz.  —  [Ciilleclion  du  Musée  des  Ai  ls  décorulifs.) 
N"  12.  —  Pot  à  eau  cl  cuveltc. 

(Scul})tiire  de  JSoniit.  —  Orfèvrerie  de  Dehnin.- 


—  287  — 


l'ancienne  maison  Lavollée,  MM.  Mérite  et  Relier  frères  qui,  de  valeur  inégale, 
faisaient  cependant  bonne  figure. 

M.  Michaut,  ciseleur  de  talent,  qui  avait  fait  jadis  pour  Christofle  en  ciselure 
repoussée  le  joli  service  à  café  modelé  par  Chéret  et  dont  une  reproduction  existe 
au  Musée  des  Arts  décoratifs,  avait  acheté  la  maison  Turquet  où  il  avait  trouvé  de 
bons  modèles  qu'il  rééditait  en  les  ciselant  à  sa  manière.  Elève  d'Honoré,  ayant 
collaboré  dans  les  grandes  maisons  d'orfèvrerie,  il  avait  apporté  dans  sa  maison 
les  idées  qu'il  avait  puisées  auprès  de  ses  maîtres,  et  avait  su  donner  aux  œuvres 
qu'il  exposait  une  qualité  nouvelle. 

M.  Cardeilhac^  qui  est  coutelier,  et  dont  la  maison  s'est 
transmise  de  père  en  fils  depuis  1801,  fabrique  aussi  des 
objets  d'orfèvrerie;  ses  modèles  de  couverts  ont  un  accent 
très  personnel,  emprunté,  semble-t-il,  à  la  ferronnerie 
d'art,  comme  le  plat  de  style  Renaissance  dont  les  bords 
sont  ajourés.  Cela  nous  change  de  l'orfèvrerie  Louis  XV. 
Il  s'est  attaché  un  ancien  élève  de  l'Ecole  des  x\rts  déco- 
ratifs, M.  Bonvalet,  dont  le  talent  original  et  les  idées 
qu'il  avait  puisées  dans  l'école  rajeunie  par  son  directeur, 
M.  Louvrier  de  Lajolais,  et  l'architecte  Genuys,  allaient 
permettre  à  M.  Cardeilhac  de  prendre  un  autre  thème  et 
de  tenir  une  place  hors  de  pair  en  1900,  en  apportant  des 
orfèvreries  de  style  nouveau  qu'un  homme  de  goût  comme 
il  l'était  devait  rendre  singulièrement  personnel. 

Un  joaillier,  et  non  des  moindres,  M.  Frédéric  Bouche- 
ron, avait  aussi  apporté  sa  contribution  à  la  galerie  des 
orfèvres.  Dans  des  essais  d'argenterie,  il  avait  poussé  aux 
plus  minutieux  détails  la  copie  des  choses  du  dix-huitième 
siècle  et  dépassé  les  audaces  de  ses  confrères  les  plus 
osés  ;  sur  des  fonds  unis,  il  grave  en  taille-douce  des  scènes 
compliquées;  il  prend  à  Marvye,  à  Eisen,  à  Cochin,  leurs 
jolies  gravures  et  les  incruste  d'encre  noire  d'imprimeur,  comme  s'il  voulait  en 
tirer  des  épreuves.  Il  faut  louer  l'habileté  du  graveur;  mais  était-ce  bien  sa  place 
dans  des  pièces  d'usage? Son  imitation  d'une  aiguière  de  Germain  est  excellente; 
mais  ce  qu'il  avait  montré  d'absolument  nouveau,  c'était  une  série  de  plats 
Louis  XIII  dont  les  bords  sont  enrichis  d'ornements  bouterolés  qui  accrochent  la 
lumière  de  la  manière  la  plus  neuve  et  la  plus  ingénieuse. 

Mais  là  oi-i  il  retrouvait  toutes  les  qualités  de  l'art  du  bijoutier  oii  il  excelle, 
c'est  dans  une  crosse  d'évêque  aussi  fine,  aussi  élégante  qu'un  bijou  de  femme. 

Le  saint  Michel  qu'il  y  a  placé  n'a  pas  le  caractère  religieux  qui  lui  convient; 
plus  gracieux  que  fort,  plus  joli  que  saint,  il  s'encadre  dans  une  couronne  de  fleurs 


Couvert  Renaissance  ajouré. 
{Modèle  de  CardeiUiac.) 


—  288  — 


émaillées  trop  fragile  pour  uu  bâton  pastoral  qui  est  un  soutien  pour  la  marche, 

et  qui  seraient  mieux  à  leur  place 
sur  un  diadème  dans  les  cheveux,  ou 
sur  le  devant  d'un  corsage  d'une  jolie 
femme.  Tout  autre  est  le  vase  de 
cristal  orné  d'un  dragon  d'or  émaillé; 
Honoré  l'a  composé  et  modelé;  c'est 
une  pièce  d'art  admirable  de  travail; 
c'est  un  chef-d'œuvre  qui  n'est  ni 
d'un  bijoutier,  ni  d'un  orfèvre,  mais 
des  deux  à  la  fois.  C'était  une  des  jo- 
lies pièces  de  l'exposition  de  M.  Bou- 
cheron. 

Antonin  Mercié  avait  modelé  pour 
lui  un  jeune  enfant  qui  tient  à  la  main 
un  coquillage  en  émail  transparent  et 
se  complaît  à  regarder  les  jeux  de 
lumière  qui  le  traversent.  La  sta- 
tuette de  grandeur  naturelle  est  fon- 
due en  bronze  argenté.  Le  coquil- 
lage est  un  travail  de  bijouterie  d'or 
d'une  extrême  délicatesse.  Les  al- 
véoles sont  remplies  d'émaux  trans- 
parents où  la  lumière  passe  et  se  joue 
en  renvoyant  des  reflets  de  pierres 
précieuses.  C'est,  là  encore,  l'art  du 
bijoutier  se  confondant  avec  l'art  de 
l'orfèvre. 

Un  autre  bijoutier,  qui  excelle 
dans  la  fabrication  de  ces  menus  ob- 
jets de  toilette  ou  de  poche  que  les 
petits-maîtres  du  dix-huitième  siècle 
avaient  mis  à  la  mode,  dans  ces 
boîtes,  ces  bonbonnières,  ces  taba- 
tières, et  tous  ces  jolis  ustensiles  de 
dames  dont  i-affolaient  les  élégantes 
du  siècle  dernier,  c'est  M.  Emile  Cail- 
lai'd  qui  en  est  l'habile  continuateur. 
Les  objets  (|u'il  fabrique  sont  tous 
d'arg(!nt,  (|u'il  l(!s  nielle,  ou  ([u'il  les  émaille,  qu'il  les  dore,  quMl  les  patine  ou  les 


fli'ossc  ('|)isc'i)|)ali'  cil  (II-,  iirn'ciil,  <■(,  émail. 

{Mixlrlc  lie  J,vijv:\n(l.  --  h'iijiin'  de  il.  l'nsrnl. 
l'I.ivviilrr  /iiir  lloiiflicnni .) 


—  289  — 


polisse,  il  obtient  des  effets  nouveaux,  il  impose  une  mode,  il  charme,  et  cette 

séduction  est  tellement  évidente  qu'il  a  remporté 
un  des  plus  grands  succès  de  l'année. 

Il  a  modifié  avec  un  goût  très  personnel  les 
formes  que  nous  imposent  les  Anglais;  admira- 
teur passionné  de  l'art  japonais,  il  a  longtemps 
marché  en  demandant  à  Christofle  le  concours 
de  ses  procédés  et  de  son  expérience;  mais  de- 
puis peu  il  a  conquis  une  originalité  plus  grande, 
il  a  cessé  de  copier  les  dessins  japonais  mais  en 
s'assimilant  la  technique  des  artistes  du  Nippon; 
il  invente  des  formes  et  des  décors  où  l'argent 
trouve  un  charme  nou- 
veau. Comme  M.  Bouche- 
ron, il  obtient  des  décors 
par  la  gravure  en  taille- 
douce  ou  par  la  gravure  à 
l'eau-forte,  au  moyen  de 
procédés  nouveaux  dont 
il  réclame  le  mérite  de 
l'invention. 

Nous  retrouvons  Lucien  Gaillard  en  1900,  continuant 
la  fabrication  paternelle  et  lui  donnant  une  oi'ientation 
nouvelle  qui  lui  assurera  la  première  place  parmi  les 
orfèvres  qui  s'ingénient  à  produire  ces  fantaisies  et  ces 
bibelots  d'étagère,  si  répandus  dans  le  monde  élégant. 

Deux  artistes  d'allure  différente  tenaient  une  place 
importante.  C'étaient  M.  Dufresne  de  Saint-Léon  et 
M.  Jules  Brateau.  Le  premier  n'est  ni  un  orfèvre,  ni  un 
ouvrier.  M.  Dufresne  de  Saint-Léon  est  un  homme  du 
monde  qui  reste  artiste  et  s'est  fait  ouvrier  par  passion, 
line  vend  pas  ses  œuvres;  il  a  consacré  une  partie  de 
sa  fortune  à  exécuter  les  pièces  qu'il  avait  dessinées 
et  modelées,  et  s'il  consent  à  s'en  séparer,  c'est  pour 
en  consacrer  le  prix  qu'on  lui  offre,  à  quelque  œuvre 
de  bienfaisance.  Il  est  l'inventeur  d'un  procédé  de 
damasquine  qui  n'est  ni  celui  des  anciens  Maures  ni 
celui  des  arquebusiers  modernes.  C'est  un  procédé 
électrochimique  dont  il  a  fait  les  premiers  essais  dans 
les  ateliers  de  Christofle  avec  la  collaboration  de  Guignard,  l'habile  chef  des 


Vase  en  cristal,  avec  dragon 
d'or  émaillé. 

[Modèle  d'Honoré. 
Exèculé  par  F.  Boiiclieron.) 


L'EnfanL  au  coquillage. 
"Statuette  en  bronze',  avec 
émaux  incrustes. 

(Modèle  d'Anlonin  Mercié. 
Exi'culé  par  F.  Boucheron.) 


—  290  — 


ateliers  éleclrochimiques.  C'est  îiitisi  qu'il  décore;  les  armes  qu'il  forf.'e  lui-même 
et  qui  sont  d'une  invention  charmante. 

On  pourrait  établir  un  rapport  intime  entre  certains  ouvrages  de  M.  Dufresne 
et  les  compositions  de  Vechte,  de  Klagmann  ou  de  Feuchères.  Ils  ont  été  à  la 
même  école  que  ceux-ci.  Leur  ayant  survécu,  il  reste  seul  à  nous  apporter  le  sou- 
venir d'un  art  un  peu  démodé,  mais  encore  puissant  et  très  vivace  ;  il  n'est  pas 
une  coupe,  un  vase,  un  poignard,  où  quelque  invention  ou  quelque  idée  ne  soit 
écrite;  il  emprunte  à  la  mythologie  et  cà  l'histoire  les  figures  qu'il  môle  à  l'orne- 
mentation et  qui  traduisent  un  poème  ou  une  idée;  on  sent  que  l'artiste  a  com- 
mencé au  temps  du  romantisme  :  il  a  voulu  être  : 

  le  fameux  ciseleur, 

Celui  qui  le  mieux  creuse  au  gré  des  belles  filles, 
Dans  un  pommeau  d'épée,  une  boîle  à  pasiilles. 

Le  grand  vase  à  couronnes  qu'il  a  exposé  est  une  œuvre  colossale  ;  il  est  en 
fer;  modelé  par  l'artiste,  il  a  été  fondu  chez  Gail.  L'argent  n'y  joue  qu'un  rôle 
accessoire;  il  vient  avec  des  damasquines  d'or  illustrer  la  surface  de  la  fonte. 
C'est  une  œuvre  un  peu  fougueuse  qui  étonne  plus  qu'elle  ne  séduit.  Les  deux 
cavaliers  qui  soutiennent  la  vasque  symbolisent  le  rêve  du  penseur,  du  philosophe 
et  du  poète.  L'artiste  a  traduit  sa  pensée,  mais  le  passant  a  besoin  qu'on  la  lui 
explique. 

Jules  Bratcau  est  bien  plus  un  ciseleur  qu'un  orfèvre,  mais  il  a  conquis  par  ses 
admirables  travaux  en  étain  le  droit  de  figurer  parmi  les  orfèvres  parisiens.  Elève 
d'Honoré,  il  est  depuis  sa  jeunesse  le  collaborateur  de  tous  les  maîtres.  Mais  il 
ne  se  contente  pas  de  retoucher  en  ciseleur  les  modèles  créés  par  les  sculpteurs, 
il  modèle  aussi  les  compositions  qu'il  expose.  Son  plateau,  de  forme  rectangu- 
laire, en  argent  repoussé  et  damasquiné  d'or,  ayant  pour  sujet  le  Betow  Pinn- 
temps,  est  une  composition  aimable;  la  figure  de  femme,  un  peu  longue  et  svelte 
comme  toutes  les  figures  qu'aime  à  modeler  Brateau,  qui  meuble  le  fond  du  pla- 
teau, est  dans  le  goût  de  la  Renaissance,  mais  avec  des  coquetteries  un  peu  ma- 
niérées qui  sont  bien  françaises;  qu'il  fasse  une  bonbonnière  en  or  repoussé,  qu'il 
décore  un  gobelet  d'argent,  son  ciselet  écrit  les  ornements  et  les  figures  d'un  style 
personnel  qui  dispense  Brateau  de  le  signer. 

Oii  Brat(!au  devient  absolument  un  niaitre,  et  représente  à  lui  seul  un  art 
(lu'on  cr-oyait  perdu,  (-'(ïst  dans  les  travaux  d'étain.  L'orfèvrerie  d'étain  a  tenu  jadis 
une  plac(î  importante  dans  les  usages  domestiques.  ï/élain  a  des  qualités  de  cou- 
leur, de  fusihilitt;  (it  surtout  de  sanité,  qui  rendent  son  enq)loi  nécessaire.  Avant 
l'invcîntion  du  [)hu]ué  et  du  cuivre  argenté,  les  potiers  d'étain  formaient  une  cor- 
poi-atioN  importante;  niais,  ii  cô((;  de  c(îux  (|ui  faisaient  (U^s  vas(>s  d'un  usage  cou- 
rant, il  y  (Mil  de  ;jrands  artistes  coiiiiiie  t'raneois  Hriol  ,  en  l''rance,  comme  (ias|)ar(l 


Ederlein,  en  Allemagne.  C'est  surtout  de  Briot  que  s'est  inspiré  Brateau;  on  a 
cru  longtemps  que  l'aiguière  et  le  plateau  de  Briot,  la  Tempérance,  étaient  la  répé- 
tition d'œuvres  exécutées  en  ai'gent.  Ce  sont,  au  contraire,  des  œuvres  originales 
conçues  pour  l'étain  et  qui  ne  conviennent  qu'à  ce  métal.  Coulé  dans  un  moule  eji 


Coupe  oxcciitfc  en  (lanias([uine. 

{OEuvre  de  Dufresne  de  Sninl-Lénn.) 


cuivre  gravé  comme  la  matrice  d'une  médaille,  il  reproduit  les  entailles  comme  la 
cire  prend  l'empreinte  d'un  sceau,  d'nne  armoirie. 

M.  Bi-atcau  a  étonné  les  membres  du  Jury  qui  ignoraient  la  fabrication  de 
l'étain,  quand  il  leur  en  a  expliqué  les  phases  si  délicates,  et  qu'il  leur  à  présenté 
les  moules  où  il  avait  coulé  sa  buire  et  son  plateau  ;  s'il  n'a  pas  égalé  Briot,  il  s'en 
est  rapproché,  et  c'est  un  coup  d'audace  que  d'avoir  fait  après  lui  les  deux  pièces 
qu'il  exposait;  des  sujets,  symbolisant  les  Arts,  décorent  la  panse  du  vase  et 


—  202  - 


s'encadrent  dans  le  fond  du  plateau.  L'anse  de  la  buiro  est  faite  d'une  élégante 
figurine  ronde-bosse  représentant  la  Vérité.  Ce  qui  (!st  absolument  parfait,  c'est 
l'exécution  des  détails,  les  saillies  raisonnées  des  reliefs,  c'est  l'harmonie  générale 
qui  fait  de  cette  pièce  l'une  des  meilleures  qu'on  ait  vues  à  l'Exposition  de  4889. 

Il  exposait  encore  une  assiette  marquée  de  deux  L  entrelacées,  et  dont  le 
marli  était  orné  de  sujets  empruntés  à  Clodion;  une  chope  à  bière  oii  sont  repré- 
sentées les  Trois  Parques,  et  une  cafetière  et  son  plateau,  de  style  persan,  du 
meilleur  goût  et  de  la  facture  la  plus  délicate. 


lîiiirc  et  plateau  à  bas-rclicfs,  en  étain. 
{Orfèvrerie  de  J.  Brnletm.) 


M"""  Vcrnaz-VccJile,  la  fille  du  grand  Vcchte,  à  laquelle  son  père  avait  enseigné 
son  métier,  continuait  ses  traditions;  si  elle  avait  un  peu  féminisé  les  compositions 
de  son  père,  elle  avait  cependant  hérité  de  l'habileté  de  l'outil  et  avait,  avec  son 
tempérament  de  femme,  montré  des  œuvres  ([ui  ne  rappelaient  en  rien  la  Guêtre 
des  Titans,  et  faisait  regretter  (|iie  son  adresse  se  soit  appliquée  à  des  composi- 
tions (piVII(!  aurait  mieux  fait  (l(^  demande^'  à  un  maître  meilleur  qu'elle  aurait 
copié  docilement. 

Nous  avons  dit  dans  le  chapitre  précédent  comment  l'orfèvrerie  argentée  par 
les  prociMh'iS  électrochimirpies  avait  remplacé  le  pla([ué  d'argent  d'une  façon  peu 
près  cfimplèti!,  et  d'aucuns  ont  exprinu'  la  crainte  (|ue  cette  industrie;  qui  a  déjà 
[dus  d'un  dcuii-sicch^  d'iixislcuicc,  n'envahisse  \v  marché  au  point  de  menacer 


—  293  — 


l'orfèvrerie  d'argent  elle-même.  Ce  n'est  pas  tout  à  fait  exact.  En  effet, 
en  même  temps  que,  par  son  bon  marché,  elle  pouvait  satisfaire  aux  besoins  les 
plus  modestes,  et  à  la  consommation  du  plus  grand  nombre  en  s'emparant  des 
articles  de  luxe,  elle  vulgarisait  en  même  temps  l'usage  de  l'argenterie  et  favori- 
sait le  développement  de  l'orfèvrerie  d'argent  qui,  depuis  une  quinzaine  d'années, 
a  repris  la  vogue  en  France  dans  les  familles  riches.  Cette  réaction  tient  sans 
doute  aux  progrès  de  la  fortune  publique,  mais  elle  est  surtout  une  conséquence 
de  l'abondance  et  de  la  baisse  de  prix  de  l'argent  métal. 

La  consommation  de  l'orfèvrerie  argentée  n'en  a  pas  diminué,  car,  parallèle- 
ment aux  progrès  de  la  vaisselle  plate,  elle  se  répand  aussi  dans  les  milieux  moins 


Assiettes  en  étain,  à  marli  décoré. 

{Orfèvrerie  de  J.  Braleau.) 

riches  et  trouve,  dans  le  luxe  et  le  confortable  qu'on  exige  des  hôtels,  des  éléments 
d'affaires  considérables. 

Dans  cette  industrie,  la  maison  Christofle  tient  la  première  place.  Ses  produits 
sont  répandus  dans  le  monde  entier,  et  c'est  à  elle  que  s'adressent  les  hôtels 
luxueux  que  les  progrès  du  bien-être  et  les  exigences  du  public  ont  mis  leurs 
propriétaires  dans  l'obligation  de  donner  satisfaction  à  leur  clientèle. 

Non  seulement  en  France,  mais  à  l'étranger,  en  Angleterre,  en  Allemagne  et 
en  Autriche,  en  Italie,  en  Espagne  et  en  Orient,  ils  se  sont  trouvés  les  mieux  pré- 
parés pour  donner  satisfaction  aux  besoins  de  ces  hôtels  que  le  développement  du 
goût  des  voyages  fait  édifier  de  tous  côtés. 

Dans  son  Rapport,  Lucien  Falize  rappelait  que  l'histoire  de  la  maison  Christofle 
est  intimement  liée  au  progrès  et  au  développement  de  l'électrochimie.  «  Dès 
»  1842,  dit-il,  Charles  Christofle,  en  achetant  de  Ruolz  d'abord  et  d'Elkington 
»  ensuite,  les  brevets  d'argenture  et  de  dorure  galvaniques,  avait,  par  un  trait  de 


-  — 


»  génie,  deviné  que  cette  invention  nllnit  révolutionner  l'industrie  du  métal. 
»  Aujourd'hui,  l'usine  de  Sainl-Dcuis,  après  avoir,  alors  que  le  nickel  était  rare  et 
»  cher,  traité  les  minerais  de  nickel  par  des  procédés  nouveaux,  a  été  dotée  d'une 
»  installation  complète  avec  l(!s  laminoirs,  les  découpoirs,  les  macliines  à  em- 
»  boutir,  les  balanciers,  les  moutons  et  tous  ces  merveilleux  outils  qu'a  inventés 
»  la  mécanique  moderne  et  qui  remplacent  la  main  de  l'ouvrier. 

»  C'est  dans  l'usine  de  Saint-Denis  que  sont  fabriquées  les  120000  douzaines  de 
»  couverts  que  produit  annuellement  la  maison  Christofle.  C'est  là  aussi  que  sont 
»  préparées  les  formes  des  vases,  grands  ou  petits,  que  la  machine  donne  à 
»  l'orfèvre  qui  les  finit.  Cette  usine,  que  nous  avons  visitée  et  que  nous  aurions 
»  plaisir  à  décrire  en  détail,  si  cela  nous  était  permis,  a  été  pour  le  Jury  une 
»  surprise.  Elle  révèle,  chez  les  directeurs  de  l'association  Christofle,  une  science 
»  et  une  entente  admirable  de  la  grande  industrie. 

»  Tout  s'y  accomplit  avec  un  ordre  et  une  précision  remarquable;  la  place  et 
»  l'espace  rendent  facile  ce  qui  était  malaisé  dans  la  fabrique  de  la  rue  de  Bondy  ; 
))  celle-ci  est  une  fourmilière  qui,  des  sous-sols  au  grenier,  présente  une  acti- 
»  vite,  un  travail,  une  méthode  tout  à  fait  extraordinaires.  Resserrée  entre  les 
»  maisons  voisines,  elle  a  trouvé  cependant  en  creusant  le  sol,  en  superposant 
»  les  ateliers,  en  accrochant  des  galeries  vitrées  au-dessus  des  cours,  le  moyen 
»  de  faire  vivre  et  travailler  toute  une  armée  de  dessinateurs,  de  modeleurs, 
»  d'ouvriers,  de  femmes,  d'enfants,  et  de  produire  les  oeuvres  les  plus  parfaites, 
»  en  même  temps  que  les  objets  de  consommation  les  plus  ordinaires,  et  de 
»  grouper,  à  côté,  ses  galeries  d'exposition,  ses  magasins  de  vente  où  toute 
»  l'activité  commerciale  se  trouve  concentrée  entre  les  mains  de  la  direction. 

»  Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  faire  l'inventaire  de  toutes  les  pièces  que 
»  produit  la  main  de  l'orfèvre,  mais  tout  ce  qui  se  fait  en  argent,  la  Maison 
»  Christofle  le  fait  en  laiton  ou  en  métal  blanc,  c'est-à-dire  en  nickel  allié  :  c'est 
»  la  grosserie,  c'est  la  petite  orfèvrerie,  ce  sont  les  couverts,  la  coutellerie,  ce 
»  sont  les  articles  de  toilette,  ce  sont  les  surtouts,  les  candélabres,  tout  le  luxe, 
»  enfin,  de  la  table. 

»  L'exposition  de  MM.  Christofle,  en  1889,  présentait  tous  les  spécimens  de 
»  l'orfèvrerie,  depuis  les  menus  objets  jusqu'aux  grandes  pièces  décoratives.  C'est 
»  à  des  artistes  de  mérite  comme  Lafrance,  Mathurin  Moreau,  Delaplanche, 
»  Mercié,  Coutan,  Roty,  Levillain,  ([ue  MM.  Christofle  font  appel  pour  leur 
»  demander  les  modèles  des  surtouts  qu(^  l'on  admirait.  MM.  Christofle  avaient 
Il  propos(!  au  Conseil  municipal  de  l^aris  d'exécuter,  pour  la  salle  des  Fêtes  de 
Il  rilô(,(^l  d(!  Ville,  uiK!  grande  piè('(>  d'art  qui  aurait  perpétué  le  souvenir  du 
Il  (jent(!Uiiir(!.  Ijcs  modèles  étîii(^nt  l'ails,  des  conditions  avantageuses  avaient  été 
»  consenties  iiii  Conseil  nuniicipal;  il  m';i  pas  rvu  devoir  les  accepter.  (Vesl,  regr(>t- 
II  table;  mais,  cette  grande  pièce  lein-  l'aisanl-  (h'I'aut,  IVIM.  Clirist,olIe  l'ont  rem- 


-  295  — 


»  placée  par  quelques  surtouts  de  moindre  importance.  Le  surtout  aux  athlètes, 
»  de  Mathurin  Moreau,  celui  de  Carrier-Belleuse,  et  le  service  de  Joindy  ne  fai- 
»  saient  pas  regretter  la  pièce  monumentale  de  la  Ville  de  Paris,  et  donnaient  une 
»  note  plus  intime  à  leur  Exposition. 

»  Nous  n'entrerons  pas  dans  la  description  détaillée  des  services  à  thé,  des 
»  plats,  des  légumiers,  ni  même  des  52  modèles  de  couverts  exposés;  mais  nous 
»  pouvons  dire  qu'aucun  type  absolument  nouveau  ne  se  dégage  de  l'Exposition 
»  actuelle.  Elle  semble  hésiter  entre  le  courant  du  dix-huitième  siècle  et  le  goût 
»  japonais. 

»  Elle  obéit  en  cela  à  des  sollicitations  si  diverses,  à  des  clients  de  Paris  et  de 
»  province,  gens  du  monde  élégant;  chefs  de  grandes  Compagnies,  restaurateurs 
»  et  maîtres  d'hôtels,  qu'elle  a  quelque  peine  à  trouver  la  formule  unique  qui 
»  pourrait  satisfaire  à  tous  les  besoins.  Et  cependant,  il  faut  noter  une  idée  char- 
»  mante,  fraîche  en  son  invention,  surprenante  et  presque  incroyable  en  sa 
»  simplicité  de  fabrication.  C'est  l'impression  directe  des  plantes  les  plus  fragiles 
h  et  les  plus  ténues  dans  le  métal  le  plus  dur  et  le  plus  résistant,  obtenu  à  l'aide 
»  seulement  du  marteau  de  planeur.  Cette  décoration  nouvelle  n'est  pas  un  em- 
»  prunt  fait  au  Japon.  Elle  est  bien  française;  c'est  un  retour  à  la  nature,  la 
»  grande  inspiratrice;  et  nous  signalons  ce  procédé  curieux  comme  la  découverte 
»  la  plus  nouvelle  et  la  plus  extraordinaire  de  l'orfèvrerie  en  cette  Exposition. 

»  Du  reste,  la  persévérance  qu'apporte  M.  Bouilhet  à  chercher  des  procédés 
»  pour  décorer  l'orfèvrerie  est  connue  de  tous;  il  y  a  vingt  ans  qu'il  s'applique  à 
»  orner  le  métal;  il  a  été  un  des  premiers  à  suivre  le  courant  japonais;  il  a  osé 
»  cloisonner  et  émailler  des  vases,  les  a  parés  par  des  procédés  nouveaux,  pour 
»  incruster  l'or  et  l'argent;  il  a  coloré  la  surface  du  cuivre  et  de  l'argent  par  des 
»  patines  variées  et  solides  comme  celles  des  Japonais,  et  il  y  a  réussi.  Si  nous 
»  comparons  ces  décors  au  martelage  dont  les  Américains  avaient  introduit  la 
»  mode  en  1878,  nous  n'aurons  pas  de  peine  à  démontrer  l'énorme  supériorité 
»  artistique  de  la  maison  française  sur  ses  rivales  d'Allemagne  ou  d'Amérique. 
»  Nous  persistons  à  regretter  que  l'orfèvrerie  d'argent  n'ait  pas  à  nous  offrir  des 
»  tentatives  aussi  intéressantes.  » 

D'autres  fabriques  d'orfèvrerie  argentée  propagent  en  France  et  dans  les 
pays  lointains,  les  ustensiles  de  la  table  et  les  objets  d'un  luxe  relatif.  L'une  de 
ces  fabriques  est  dirigée  par  M.  Boulenger,  et  c'est  la  plus  ancienne.  Elle  existait 
il  y  a  plus  d'un  demi-siècle,  sous  le  nom  de  M.  Hautin,  grand-oncle  du  chef 
actuel,  et  produisait  les  articles  de  cuisine  et  de  chaudronnerie.  Ce  n'est  qu'après 
que  les  brevets  de  Ruolz  et  Elkington  sont  tombés  dans  le  domaine  pubhc  que 
cette  maison  a  transformé  sa  fabrication  et  commencé  à  produire  des  objets 
argentés. 

«  C'est  dans  les  articles  de  consommation  courante  surtout  que  s'exerce 


—  296  — 


»  l'industrie  de  M.  Boulenger;  il  n'a  pas  l'ambition  de  modifier  le  goût  de  sa 
»  clientèle  ni  d'innover;  il  cherche  surtout,  à  faire  des  affaires,  et  lutte  avanta- 
»  geusement  contre  les  maisons  étrangères  en  allant  les  combattre  sur  leur 
»  propre  marché. 

»  La  fabrication  du  couvert  est  la  base  de  toute  cette  orfèvrerie,  mais  M.  Bou- 
»  lenger  avait  exposé  quelques  pièces  d'un  décor  plus  séduisant.  Nous  citerons 
»  en  première  ligne  un  surtout  de  table  dont  M.  A.  Moreau  avait  modelé  les 
»  figures.  L'idée  en  avait  été  visiblement  prise  à  M.  Fannière  et  rappelait  la  Flore 
»  que  nous  avons  décrite,  qui  appartient  à  M*""  Teyssier.  Il  serait  superflu 
»  d'ajouter  que  ce  n'était  là  qu'une  imitation  très  lointaine,  et  que  ni  par  la  cisc- 
»  lure,  ni  par  la  monture,  la  copie  n'approchait  du  modèle.  Un  autre  surtout  aux 
»  formes  tapageuses  montre  le  décor  qu'il  faut  à  certaines  tables;  mais  il  faut 
»  pour  les  pays  lointains,  comme  pour  certains  hôtels  de  province,  des  cornpo- 
»  sitions  voyantes;  c'est  à  cela  peut-être  que  M.  Boulenger  doit  son  succès 
»  commercial.  » 

Ce  que  nous  venons  de  dire  de  M.  Boulenger,  nous  pouvons  le  répéter  de 
ses  deux  autres  confrères,  MM.  N.  Cailar  et  Bayard  et  M.  A.  Frénais;  tous  deux 
font  exclusivement  de  l'orfèvrerie  argentée. 

M.  N.  Cailar,  négociant  en  métaux,  s'était  associé  à  M.  Bayard,  orfèvre  habile, 
qui  avait  dirigé  la  maison  fondée  par  M.  Thouret,  dont  le  rôle,  interrompu  par  la 
mort,  aurait  pu  être  considérable.  Il  lui  a  apporté  son  expérience.  La  base  de  sa 
fabrication  est  toujours  le  couvert  et  les  pièces  de  consommation  courante.  Elles 
sont  d'un  goût  relativement  sobre  et  de  forme  correcte.  Il  avait  aussi  exposé  son 
surtout  :  des  Indiens  portant  une  vasque  auxquels  la  présence  à  Paris  de  Bulfalo- 
Bill  donnait  un  regain  d'actualité  à  un  modèle  déjà  ancien. 

La  fabrication  de  son  concurrent,  M.  Frénais,  trouve  son  débouché  dans  les 
hôtels  et  les  restaurants.  Elle  consiste  surtout  dans  la  production  des  couverts 
de  table.  Un  surtout  et  un  service  à  thé  fort  bien  arrangé  étaient  d'un  bon  marché 
surprenant. 

Dans  cet  exposé  de  la  situation  de  l'orfèvrerie  française  en  1889,  nous  avons 
suivi  pas  à  pas  l'œuvre  magistrale  que  Lucien  Falize  avait  écrite  comme  rappor- 
teur du  Jury  de  l'orfèvrerie. 

Nous  lui  avons  fait  de  nombreux  emprunts  et,  si  une  mort  imprévue  n'avait 
pas,  en  1897,  interrompu  une  carrière  si  bien  remplie,  c'est  à  lui  que  revenait  de 
droit  l'honneur  d'écrire  l'histoire  de  l'Orfèvrerie  française  pendant  ces  deux  der- 
niers siècles.  Il  avait  rassemblé  pendant  sa  vie  de  nombreux  documents,  il  avait 
le  goût,  l'imagination,  le  stylo,  et  aui'ait  écrit  un  livre  qui  aurait  été  un  monument. 

Que  de  fois,  diuis  les  conv(ïrsations  intinuîs  (|uc  nous  échangions  au  sortir  de 
nos  séances  du  Consiiil  diî  l'Union  c(!nlral(!,  n'ai-je  pas  reçu  ses  confidences  sur 
ses  |)roj(!ts  d'avenir;  il  r'êvait  d'écrire  ce  livr(î  dont  il  avait  prépai'é  le  classement. 


—  297  — 


La  mort  ne  lui  a  pas  laissé  le  temps  de  réaliser  son  projet,  et  c'est  moi,  son  ami, 
qui  n"ai  pas  hésité  à  recueillir  ce  qu'il  m'en  avait  dit,  et  à  puiser  dans  ses  écrits 
les  documents  qui  m'ont  permis  de  tracer  ce  tableau  d'un  art  que  nous  aimons 
tous  deux  passionnément. 

En  constatant  les  succès  de  l'Orfèvrerie  française  en  1889,  ses  manifestations 
nouvelles  et  ses  tendances,  Lucien  Falize  exprimait  le  regret  de  lui  avoir  vu 
accuser  un  retour  vers  le  passé,  dont  les  orfèvres  d'aujourd'hui  n'avaient  pas 
su  s'affranchir.  «  En  sorte,  disait-il,  que,  par  un  retour  bizarre  de  la  mode,  cette 
Exposition  de  d889  qui  marque  pour  nous,  orfèvres,  le  Centenaire  d'une  ruine 
complète,  nous  ramène  au  point  oîi  nous  en  étions  quand  éclata  la  Révolution,  et 
même  en  deçà,  car  le  dernier  mot  du  goût  en  orfèvrerie,  c'est  le  Louis  XV.  » 

Cette  conclusion  un  peu  amère^  était  bien  le  sentiment  du  novateur  qu'était 
Falize,  et  des  idées  qu'il  essayait  de  faire  prévaloir  dans  les  Comités  de  l'Union 
centrale.  Nous  allons  voir,  dans  le  chapitre  suivant,  les  tendances  nouvelles 
s'affermir,  et  les  efforts  faits  dans  les  écoles,  dans  les  ateliers,  pour  s'affranchir 
des  redites  du  passé,  et  demander  à  l'étude  de  la  nature  des  enseignements  et  des 
inspirations  nouvelles. 


Dessin  de  Bloudel. 


"  La  Nymphe  de  la  Seine  »,  plaquette  en  argent. 
[Modèle  de  0.  Roly.  —  Exécutée  pur  Chn'stofle.) 


CHAPITRE  NEUVIÈME 

« 

La  Troisième  République 

(de  1891  à  1900) 


A  la  recherche  d'un  style.  —  L'Exposition  de  l'Art  de  la  femme  en 
1891.  —  L'admission  des  artistes  décorateurs  aux  Salons  annuels. 
—  L'Exposition  de  1000.  —  Les  succès  de  l'orfèvrerie  française.  — 
L'Art  nouveau. 

'Exposition  universelle  de  1889  avait  été  pour  l'orfèvrerie 
le  triomphe  et  comme  l'apothéose  du  style  Louis  XV. 
Impossible  d'imaginer  pastiches  plus  nombreux  et  imi- 
tations plus  parfaites.  A  l'exception  d'œuvres  très  clair- 
semées, dues  h  l'initiative  de  Lucien  Falize,  de  Vever,  de 
Cardeilliac  ou  de  Christofle,  dans  lesquelles  se  marquait 
résolument  un  effort  d'invention  personnelle,  un  essai 
d'affranchissement  du  joug  de  la  copie,  ce  ne  furent  guère 
que  réminiscences  de  la  vaisselle  du  dix-huitième  siècle. 
L'excès  même  de  ce  débordement  de  rocailles  fut  pour  nos  orfèvres  un 
avertissement.  Ils  commencèrent  à  comprendre  le  danger  de  rester  confinés  dans 
le  rôle  de  copistes.  Ce  fut  pour  eux  un  trait  de  lumière  que  la  monotonie  résul- 
tante de  cette  agglomération  d'argenterie  Louis  XV.  N'allait-ou  pas  finalement  les 


—  300  — 


accuser  d'impuissance  à  rien  invenl(!r  de  nouveau?  Le  public  n'éUiit-il  pas  prfil 
à  se  lasser  de  ces  éternelles  redites  des  formes  du  passé,  ainsi  que  l'annonçaient 
hautement,  dans  les  journaux  et  dans  les  revues  spéciales,  des  écrivains  qui 
revendiquaient  pour  la  fin  du  dix-neuvième  siècle,  le  privilège  qu'avaient  eu  les 

siècles  précédents,  de  posséder  son  style 
propre?  Ne  fallait-il  pas  redouter  enfin 
que  l'industrie  étranj^ère,  profilant  de  la 
torpeur  des  fabricants  français,  et  de  leur 
obstination  à  ne  chercher  leur  inspiration 
que  dans  les  chefs-d'œuvre  anciens  de 
l'art  national  ne  prissent  l'initiative  de 
créer  de  l'inédit,  et  ne  s'emparassent  ainsi, 
au  grand  dommage  du  commerce  de  la 
France,  de  la  direction  du  goût  qui  de- 
puis des  siècles  avait  été  notre  apanage 
presque  exclusif? 

Ces  réflexions  et  ces  craintes  prirent 
d'autant  plus  rapidement  consistance  qu'à 
cette  même  exposition  de  1889  des  sym- 
ptômes non  douteux  étaient  apparus  qui 
prouvaient  combien  le  public  se  trouvait 
dès  lors  disposé  à  accueillir  avec  empres- 
sement et  à  fêter  toute  espèce  de  rajeu- 
nissement des  arts  décoratifs.  On  avait 
applaudi,  en  effet,  aux  tentatives  origi- 
nales de  quelques  céramistes,  tels  que 
Chaplet,  Delaherche,  d'artistes  comme 
Brateau,  le  ciseleur  aux  aimables  nou- 
veautés, d'une  poésie  si  gracieuse,  de  la 
manufacture  de  porcelaine  de  Copen- 
hague. Mais,  surtout,  le  succès  des  œuvres 
d'Emile  Galle,  ce  génial  verrier  de  Nancy, 
fut  prodigieux.  «  Voici  enfin,  dans  notre 
morne  république  de  la  division  du  tra- 
vail, disait  M.  de  Vogue  (1),  un  homme  qui  nous  fait  comprendre  la  folie  de 
l'art  telle;  que  Vasari  la  décrit  chez  les  maîtres  florentins,  alors  que,  tour- 
ment('s  par  des  fornx's  trop  nombreuses,  ils  en  délivrai(Mit  leur  imagination 
avec  tous  les  instruments,  sur  toutes  les  matières,  dans  un  besoin  de  création 


Calelière  et  sucrier  décorés  de  Heurs  de  |)a\  ols. 
[Modèle  (h  II.  Vuver,  1HH9.) 


{\}       vicoiiilc  M.  de  Vof^nii'  :  Uriii.ari/ues  sur  l'cxposilioii  du  Conlcaairc,  1880,  vol.  iii-18,  p.  128. 


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universelle  et  continue.  »  Pour  ses  cristaux  si  variés,  aussi  bien  que  pour  son 
ébénisterie  pittoresque,  Emile  Gallé  avait  emprunté  ses  motifs  de  décors  aux 
simples  fleurs  des  champs,  et  avait  su  leur  rendre  leur  personnalité,  leur  langage, 
la  vie  mystérieuse  de  leurs  attitudes  expressives.  En  même  temps  que  les  fleurs, 
il  avait  fait  parler  les  oiseaux,  les  poissons,  les  insectes,  et  la  fantaisie  puissante 
de  l'artiste  lorrain,  symboliste  à  la  manière  des  plus  grands  prêtres,  —  des 
Edgard  Poë  ou  des  Shakespeare  —  avait  une  telle  éloquence  dans  les  humbles 
matières  mises  par  lui  en  œuvre,  que  le  public  en  fut  saisi  d'un  véritable  enchante- 
ment. Les  dessinateurs  industriels  qui  virent  les  ouvrages  de  Gallé  à  l'Exposition 
de  4889  ne  doutèrent  plus  que  l'on  ne  fût  à  l'aurore  d'une  évolution  définitive  de 
nos  arts  du  décor,  et  que  désormais  ils  allaient  pouvoir  demander  uniquement  à 
la  nature  des  éléments  du  style  moderne  qu'on  espérait  voir  jaillir  enfin  de 
leurs  efforts. 

Croyance  chimérique,  peut-être,  mais  qui  en  tout  cas  eut  la  vertu  de  provoquer 
chez  certains  une  fièvre  généreuse,  et  d'échauffer  les  imaginations  dans  les  ateliers. 
Un  écrivain  admirateur  passionné  de  Gallé,  M.  Roger  Marx,  traduisait  ainsi  l'enthou- 
siasme qui  anima  à  ce  moment  les  pai'tisans  les  plus  ardents  des  idées  novatrices  (1). 
«  Avec  l'art  français,  qui  ne  dit  jamais  son  dernier  mot,  a  constaté  M.  Courajod, 
avec  cet  art  dont  les  tranformations  sont  illimitées,  l'avenir  n'est  pas  fermé,  et 
nous  avons  toujours  le  devoir  d'opérer  des  émotions  inédites.  Et  un  philosophe 
imbu  des  principes  supérieurs  du  beau,  de  la  mission  économique  et  sociale 
des  arts  dans  notre  pays,  M.  Ed.  Aynard,  s'est  trouvé  vers  le  même  temps  de  la 
nature,  pour  avertir  «  qu'en  puisant  au  réservoir  insondable  de  la  nature  organique 
et  inorganique,  nos  industries  trouveront  des  trésors  ignorés  de  formes  et  de 
couleurs...  A  l'œuvre  donc,  architectes,  peintres,  sculpteurs,  décorateurs,  tous 
si  vivement  intéressés  à  prouver  cette  unité,  cette  égalité  des  arts...  A  l'œuvre,  et 
qu'il  vous  souvienne,  durant  votre  labeur — non  pas  comme  d'une  menace,  mais 
comme  de  l'indication  du  pire  danger  —  que  toujours  il  vous  souvienne  de 
ce  dilemme  dans  lequel  Michelet  a  défini  l'avenir  de  l'art  français  :  «  Inventer 
ou  périr  (2)  »  ! 

On  peut  dire  que  dans  toutes  les  industries  s'éveilla,  au  lendemain  de  l'Expo- 
sition de  1889,  ce  désir  obsédant,  impérieux  de  quitter  les  sentiers  battus  pour 
marcher  à  la  conquête  de  ce  «  style  moderne»  dont  on  parlait  partout,  en  France 
et  à  l'étranger,  comme  d'une  nécessité  inéluctable,  et  qui  nulle  part  encore  n'ap- 
paraissait même  à  l'état  d'ébauche.  Seuls,  quelques  artistes  isolés  s'efforçaient 
d'échapper  à  la  tyrannie  excédante  de  formules  consacrées  ou  des  styles  connus 
et  donnaient  carrière  à  leur  fantaisie,  sans  souci  des  conventions  admises,  en 


(1)  Roger  Marx,  La  Décoration  architecturale  et  les  indi/stries  d'art  à  l'E-rposition  universelle  de  1889 
(l  vol.,  1889,  in-8»). 

(2)  Roger  Marx,  Les  industries  d'art  à  l'Exposition  de  1S89. 


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prenant  pour  base  de  leurs  ornementations  une  interpr(;tation  partieulière  de 
la  plante.  Dans  cette  voie,  le  dessinateur  Grasset  avait  été  un  précurseur; 
son  volume  d'illustrations  pour  les  Q«â!/rtf /«/.iv^ymon,  d'une  originalité  très  franclic, 
circulait  depuis  une  dizaine  d'années  déjà  parmi  les  milieux  artistiques,  oij  l'on 
citait  avec  éloge  l'essai  de  mobilier  qu'il  avait  exécuté  pour  le  graveur  Gillot.  Mais 
c'étaient  des  exceptions.  Le  public  avait  ignoré  ces  tentatives  individuelles,  ou  y 
était  resté  indifférent,  et  les  fabricants  n'avaient  nullement  senti  le  besoin  de  faire 
appel  à  ces  audacieux  coureurs  d'aventure.  Encore  une  fois,  il  fallut  le  succès 
d'Emile  Gallé  pour  leur  ouvrir  les  yeux  et  leur  prouver  que  le  moment  était  venu 
de  s'orienter  non  plus  du  côté  du  passé,  mais  du  côté  de  l'avenir,  en  cherchant 
à  être  de  leur  temps  et  en  fleurissant  leurs  œuvres  de  parures  nouvelles,  d'un  goût 
moins  suranné.  Quelle  direction  prendrait-on?  On  ne  le  savait  guère.  Ce  qui  était 
sûr,  c'est  qu'il  était  urgent  d'essayer  de  rompre  avec  la  routine. 

Les  orfèvres  eurent  la  bonne  fortune  d'avoir  alors  pour  conseiller  un  de  leurs 
pairs,  Lucien  Falize,  maître  éminent,  dont  ils  appréciaient  hautement  les  connais- 
sances professionnelles  et  dont  ils  admiraient  le  goût,  l'érudition  et  le  talent 
d'écrivain.  Chargé  du  rapport  officiel  de  la  section  d'orfèvrerie  à  l'Exposition 
universelle  de  1889,  Falize  ne  se  borna  pas  à  faire  de  ce  document  un  chef-d'œuvre 
de  critique  fine  et  pénétrante  ;  il  s'y  livra  à  une  véritable  déclaration  de  principes. 
S'eftorçant  d'éclairer  l'avenir  à  la  lumière  du  passé,  il  adjura  ses  confrères  de 
renoncer  aux  habitudes  de  pastiches  dans  lesquelles  leur  art  s'enlisait.  «  Bons  ou 
mauvais,  soyez  avant  tout  de  votre  époque,  leur  disait-il.  Je  préfère  l'originalité 
primesautière  et  mal  réglée  d'un  artiste  à  cette  obéissance  servile  d'un  copiste 
qui  s'acharne  à  quelque  besogne  rétrospective.  Il  exécute  des  choses  qu'il  ne  com- 
prend pas.  C'est  comme  si  l'on  écrivait  sous  la  dictée  d'un  mort(l).  »  Et  il  ajoutait, 
faisant  allusion  aux  scandales  provoqués  par  les  truqueurs  et  les  faiseurs  de 
fausses  orfèvreries  anciennes  :  «  Copier  est  un  danger  pour  tout  le  monde,  et,  si 
l'industrie  en  souffre,  les  curieux  risquent  de  se  ruiner  à  ce  jeu.  Ils  ne  savent  pas 
à  quel  degré  d'habileté  sont  parvenus  quelques  ouvriers  qui  n'exposent  jamais,  qui 
n'ont  pas  d'enseigne  sur  la  rue  et  qui  font  en  chambre  le  travail  caché  dont 
ils  vivent  assez  mal,  mais  dont  profitent  des  spéculateurs  malhonnêtes...  Tout 
y  est,  la  forme  et  le  décor,  la  qualité  de  l'argent,  la  patine,  les  poinçons  et  les 
marques,  la  gravure  des  armoiries,  le  vieil  écrin  ;  et  l'histoire,  et  la  provenance 
et  les  preuves  et  la  famille  qui  témoignera  que,  de  père  en  fils,  on  s'est  transmis 
cette  argenterie  comme  une  relique...  Pour  ces  raisons  et  pour  d'autres  qui  sont 
de  goût  et  de  bon  sens,  je  crois  qu'il  faut  se  garder  de  suivre  le  penchant  qu'a 
pour  les  choses  anciennes  un  groupe  d'amateurs  et  de  gens  du  monde.  C'est  une 
fausse  piste  dont  il  faut  détourner  les  artistes  comme  d'un  danger.  Trop  d'imi- 


(1j  Ijic.irii  I'',iliz ',  lidji/i'.r/  sur  rOrfàrrrrir  à  l' E.rposi/ Ion  iiiiirrrxrllr  de  I8.S1I,  pni.^('  1 'lO. 


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talions  ont  été  faites,  bonnes  ou  mauvaises,  coupables  ou  naïves,  pour  qu'il  n'en 
subsiste  pas  après  nous;  mais  ces  œuvres  seraient  mal  classées  et  sévèrement 
jugées,  car  l'histoire  ne  se  recommence  pas  plus  en  art  qu'en  ce  fait.  Le  faux 
Louis  XV  sera  toujours  du  faux,  comme  seront  jugés  faux  et  sans  valeur  les  meubles, 
les  étoffes  et  les  bronzes  que  l'on  calque  sur  ceux  de  Cluny,  du  Garde-Meuble 
et  de  Versailles  (l).  » 

Abordant  les  questions  de  technologie  qui  s'imposent  de  nos  jours  aux 
orfèvres,  mis  en  possession  des  découvertes  de  la  science  :  le  tour,  la  gravure, 
l'estampage,  la  galvanoplastie,  etc.,  L.  Falize  montrait  à  quels  regrettables  contre- 
sens, en  dépit  de  leurs  incontestables  avantages,  ils  entraînaient  trop  souvent 
les  ouvriers,  amenés  à  altérer  l'honnête  simplicité  du  modèle.  «Une  vulgaire 
bouillotte,  disait-il  avec  raison,  fait  à  voir  plus  de  plaisir  qu'une  soupière  d'argent 
surchargée  de  ciselures.  »  Et  il  rappelait  les  règles  supérieures  dont  on  ne  devait 
jamais  se  départir  pour  adopter  les  formules  à  l'usage,  à  la  matière  employée  et 
aux  possibilités  de  l'outil.  Or  l'outil  primordial,  en  orfèvrerie,  c'est  le  marteau  qui 
permet  d'emboutir  et  de  rétreindre  une  feuille  de  métal  pour  en  faire  un  vase,  un 
plat,  un  récipient  quelconque.  Voilà  ce  qu'il  ne  faut  pas  oublier,  et  les  inventions 
les  plus  ingénieuses  du  dessinateur  et  du  modeleur  ne  sont  acceptables  que  si 
l'outil  peut  les  traduire  sans  supercherie.  Après  avoir  précisé  les  conditions 
de  clarté,  de  simplicité  et  de  logique  qui  régissent  la  composition  de  n'importe  quel 
ustensile,  vase,  plat,  corbeille,  cuiller,  cadre  ou  flambeau;  après  avoir  montré 
que  les  proportions  des  objets  d'argenterie  sont  soumises  à  des  lois  qui  ne  changent 
pas,  qui  constituent,  pour  ainsi  dire,  les  cernons  de  l'orfèvrerie,  et  que  c'est  pour 
cela  que,  dans  cette  industrie,  les  modifications  aux  formes  sont  lentes  et  que 
le  décor  est  moins  changeant  qu'en  d'autres  métiers  d'art,  Lucien  Falize  donnait 
à  ses  confrères  les  avertissements  les  plus  précieux  pour  qu'ils  puissent  se  dégager 
de  la  routine  sans  abdiquer  aucun  des  principes  traditionnels  de  nos  glorieux 
ancêtres. 

Très  nettement  il  concluait  que,  pour  l'orfèvrerie,  le  salut  était  dans  un  retour 
à  la  logique  et  dans  l'appropriation  intelligente  des  éléments  de  la  nature  à  la 
décoration  des  formes  :  «  C'est  par  là,  déclarait-il,  que  s'ouvre  la  voie,  et  comme 
il  faut  que  nous  la  montrions  à  ceux  qui  la  cherchent,  c'est  cette  forme-là  que 
nous  déclarons  la  seule  véritable  et  bonne  (2).  » 

L'Union  Centrale  ne  devait  pas  y  rester  indillérente,  et  elle  pensa  qu'elle  devait 
s'entourer  de  tous  les  concours,  faire  appel  aux  influences  les  plus  diverses,  et  elle 
eut  l'idée  de  demander  à  la  femme  de  l'aider  dans  le  mouvement  que  Falize  appelait 
de  tous  ses  vœux.  C'est  alors  qu'elle  organisa  l'Exposition  des  Arts  de  la  Femme, 


(1)  Lucien  Falize,  Rapport  sur  l'Orfèvrerie  à  l'Exposition  universelle  de  1SS9,  page  140. 

(2)  L.  Falize,  Ibid.,  141-142. 


qui  eut  lieu  eti  1891  et  dont  on  se  rappelle  encore  tout  succès.  La  Ikvue  des 
Arts  décoratifs  demanda  à  un  jeune  orfèvre,  M.  André  Bouilliet,  de  vouloir  bien 
écrire  pour  la  Revue  un  compte  rendu  de  cette  Exposition.  Je  ne  résiste  pas  au 
plaisir  de  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  des  extraits  de  cette  étude  : 

«  Les  orfèvres  à  l'Exposition  des  Arts  de  la  Femme?  Mais  pourquoi  pas  ? 

))  Lorsque  l'Union  Centrale  a  mis  dans  son  programme  cette  devise  chevale- 
resque :  ((Tout  pour  la  Femme  et  par  la  Femme  »,  nous  ne  doutions  pas  qu'elle 
avait  bien  entendu  que,  si  les  œuvres  qui  émanent  de  l'inlelligence  ou  qui  sortent 
de  la  main  d'une  femme  devaient  y  figurer  en  première  ligne,  tout  ce  que 
l'imagination  et  le  goiàt  de  l'homme  peut  créer  de  précieux  et  d'élégant  pour 
satisfaire  son  luxe  ou  ses  caprices  n'en  avait  pas  moins  le  droit  de  cité  dans  la  nef 
du  Palais  des  Champs-Elysées.  Ornement  de  la  femme,  complément  de  sa  parure, 
décor  de  son  intérieur,  luxe  de  sa  table,  ustensile  ou  bijou,  c'est  à  l'orfèvre,  c'est 
au  bijoutier  que  la  femme  viendra  demander,  pour  la  satisfaction  de  ses  goûts, 
quelques  paillettes  de  son  or,  quelques  perles  de  son  écrin,  quelques  parcelles 
de  son  argent.  Et  qui,  mieux  que  l'orfèvre  et  le  bijoutier,  serait  en  état  de  réaliser 
les  rêves  d'une  imagination  féminine?  Orfèvre  ou  bijoutier,  ou  plutôt  l'un  et 
l'autre,  car,  en  dépit  d'un  classement  philosophique  qui  les  sépare  dans  les 
grandes  expositions  universelles,  ils  travaillent  l'un  et  l'autre  les  mêmes  matières 
avec  les  mêmes  outils,  et  sont  tous  deux  les  serviteurs  d'un  même  art.  Vivant 
côte  à  côte  dans  l'Exposition  des  Champs-Elysées,  en  bonne  intelligence  et  en 
parfaite  harmonie,  ils  se  soutiennent  et  se  complètent;  on  voit  leurs  œuvres 
réunies  dans  un  même  pavillon  et,  souvent,  la  même  vitrine  abrite  des  joyaux 
merveilleux,  des  ciselures  précieuses,  des  émaux  aux  couleurs  éclatantes,  car 
il  n'est  pas  rare  de  voir  encore  de  notre  temps,  comme  au  dix-septième  et  au  dix- 
huitième  siècle,  le  bijoutier,  le  joaillier  et  l'orfèvre  former  une  trinité  n'ayant 
qu'une  même  tête  pour  composer,  une  même  main  pour  exécuter  les  œuvres 
inspirées  par  une  femme. 

»  Mais,  à  l'époque  où  nous  vivons,  avec  la  nécessité  de  satisfaire  une  consom- 
mation de  plus  en  plus  exigeante,  avec  les  besoins  d'un  luxe  épris  des  raffinements 
de  la  coquetterie,  avec  l'extrême  division  du  travail,  l'orfèvre  a  dû  se  restreindre 
à  l'exécution  du  décor  de  la  salle  à  manger  et  de  ces  mille  objets  d'usage  jour- 
nalier qui  constituent  le  luxe  de  la  table,  de  la  toilette  ou  du  boudoir,  laissant  au 
bijoutier  tout  (;e  qui  sert  à  l'ornement  et  à  la  parure  de  la  femme. 

»  Le  champ  n'est-il  pas  assez  vaste?  JN'est-ce  pas  la  femme  qui,  ménagère 
industrieuse,  s'occupe  de  son  intérieur;  qui,  maîtresse  de  maison  élégante,  tient 
à  avoir  une  table  richement  servie,  artistement  parée,  dont  on  parlera  au  lundi 
de  la  comtesse  A...,  au  mardi  de  M'""  li...? 

»  A  chaque  réception,  elle  cherchera  à  inventer  une  disposition  de  son 
argenterie,  dont  elle  renouvellera  l'aspect  par  des  fleurs  élégamment  arrangées, 


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par  des  bibelots  ingénieusement  disposés,  par  quelque  chose  enfin  que  l'on  n'aura 
pas  encore  yu  et  qui  lui  fera,  auprès  de  ses  invités,  la  réputation  d'une  femme 
de  goût. 

»  C'est  pour  cela  sans  doute  que,  dans  ces  derniers  temps,  on  a  vu  revenir 
à  la  mode  ces  surtouts  de  glace  qui  se  prêtent  si  bien  aux  innombrables  transfor- 
mations du  décor  de  la  table  ;  la  femme  peut,  en  effet,  exposer  là  les  trésors 
contenus  dans  ses  vitrines;  elle  peut  disposer  avec  art,  sur  ces  glaces  enchâssées 
dans  des  cadres  d'argent  ciselés,  des  vases,  des  corbeilles,  des  drageoirs,  des 
flambeaux  d'argent,  des  porcelaines  de  Chine  ou  du  Japon,  des  figurines  de 
Saxe  auxquelles  les  fleurs  semées  à  profusion  forment  un  joyeux  parterre. 

»  La  fleur  a  toujours  joué  un  grand  rôle  dans  l'ornementation  de  la  table  ;  mais 
aux  fleurs,  quelque  belles  qu'elles  soient,  il  faut  uu  cadre,  un  support,  et  c'est  la 
corbeille,  la  coupe  et  le  vase  d'argent  qui  en  sont  l'accessoire  dont  on  ne  saurait 
se  passer,  car  sans  la  note  gaie  et  claire  que  jette  l'argent  sur  la  nappe  blanche, 
la  fleur  seule  ne  suffirait  pas  à  l'égayer. 

»  Nous  ne  sommes  plus,  d'ailleurs,  au  temps  de  ces  tables  officielles,  pom- 
peusement ornées,  où  le  surtout  immuable  dans  sa  raideur  convenue  ramenait  à 
chaque  diner  le  même  cortège  d'argenterie  monotone  et  banal.  Nous  ne  connaissons 
plus  ces  dîners  chers  à  nos  pères,  où  tous  les  mets  étaient  servis  d'avance 
et  conservés  chauds  sous  les  lourdes  cloches  d'orfèvrerie  ;  le  luxe  des  fleurs 
n'avait  pas  encore  pénétré  dans  nos  intérieurs,  et  la  maîtresse  de  maison  ne 
demandait  qu'à  son  argenterie  le  soin  de  décorer  la  table;  disposant  d'une  manière 
uniforme  et  réglée  d'avance  ses  réchauds  et  ses  cloches,  ses  casseroles  et  ses 
saucières,  vpire  même  des  huiliers  et  des  bouts  de  table,  elle  s'attachait  plutôt  à 
satisfaire  le  goût  de  ses  invités  par  le  choix  délicat  et  la  profusion  de  mets 
savoure^ix,  que  par  la  richesse  d'une  orfèvrerie  somptueuse.  C'était  l'ordonnance 
d'un  dîner  servi  à  la  Française  :  le  maître  d'hôtel  enlevait  successivement  les 
plats  pour  les  découper  à  l'office,  désorganisant  ainsi  l'aspect  de  la  table,  dont 
l'effet  d'ensemble  se  modifiait  à  chaque  service  et  finissait  par  disparaître  à  la  fin 
du  repas. 

»  Si  ce  va-et-vient  de  mets  qui  passaient  au-dessus  des  convives  n'était  pas 
sans  troubler  leur  sécurité,  il  n'inquiétait  pas  moins  la  maîtresse  de  maison, 
qui  n'avait  qu'une  confiance  limitée  dans  l'adresse  de  son  maître  d'hôtel. 

»  Mais  un  accident  n'est  pas  toujours  un  malheur...  Un  jour,  M'"*'  Ancelot,  qui 
toutes  les  semaines  réunissait  à  sa  tabie  cette  pléiade  d'hommes  de  lettres, 
aimables  causeurs  qui,  vers  1840,  faisaient  de  son  salon  un  des  centres  les  plus 
recherchés  du  monde  parisien,  avait  reçu,  la  veille  de  son  dîner,  deux  magnifiques 
saumons  qu'elle  regrettait  de  ne  pouvoir  offrir  ensemble  à  ses  invités. 

»  Artistement  disposé  sur  un  plat  d'argent,  entouré  de  fleurs,  l'un  des 
saumons  trônait  au  milieu  de  la  table  ;  le  maître  d'hôtel,  empressé,  s'avançait  pour 


—  :m  — 


enlever  le  plat  qui  le  contenait  et  le  porter  à  roffice  pour  le  flécouper,  lorsqu'un 
faux  mouvement  lui  fit  glisser  des  mains  le  précieux  anirjial  qui  tomba,  au  grand 
désespoir  des  convives. 

«  Xavier,  apportez-en  un  autre  »,  fit  M'""  Ancelot  avec  le  plus  grand  calme. 
Et  l'on  vit  aussitôt  apparaître  un  deuxième  saumon  de  même  taille,  servi  sur  un 
second  plat  d'argent,  entouré  de  fleurs  et  disposé  aussi  savamment  que  le 
premier. 

»  Inutile  d'ajouter  que  l'incident  était  voulu  ;  mais  que  le  petit  artifice  était 
bien  d'une  femme,  et  d'une  femme  d'esprit. 

»  Lorsque,  plus  tard,  la  mode  fit  adopter  le  service  à  la  Russe,  qui  n'admet 
sur  la  table  que  le  dessert,  les  lumières  et  les  tleurs,  ce  fut,  à  n'en  point  douter, 
la  femme  qui  fut  la  complice  de  cette  mode  nouvelle  ;  elle  venait  à  point  dans  une 
société  à  laquelle  les  expositions  rétrospectives  avaient  donné  le  goût  de  la 
recherche  du  bibelot.  La  femme,  habile  à  comprendre  tout  ce  que  ce  nouveau 
allait  lui  procurer  de  jouissances  intelligentes,  s'éprit  de  ces  délicates  coquetteries 
qui  devaient  faire  de  sa  salle  à  manger  et  de  son  salon  un  musée  dont  elle 
serait  fière. 

»  La  table  s'est  couverte  alors  de  charmantes  inutilités  qui  amusent  le  regard 
et  sont  pour  les  convives  l'occasion  de  dissertations  savantes  sur  l'origine  ou 
sur  les  usages  de  l'orfèvrerie. 

»  Il  n'est  plus  aujourd'hui  de  maison  élégante  où  le  luxe  de  l'orfèvrerie  n'ait 
pénétré  ;  de  la  salle  à  manger,  il  a  gagné  le  salon  où  le  thé  du  five  o'clock  est 
devenu  l'occasion  de  recherches  originales,  puis  le  cabinet  de  toilette  où  les  raffi- 
nements de  la  coquetterie  fournissent  d'heureux  prétextes  à  des  objets  d'argent 
finement  ciselés. 

»  Il  nous  semble  donc  que  l'art  que  l'on  met  à  orner  sa  demeure,  et  plus 
particulièrement  sa  table,  est  un  art  familier  qui  appartient  bien  légitimement 
à  la  femme  et  lui  permet  de  développer  ses  qualités  naturelles,  son  goût,  sa 
science  de  l'arrangement  et  ses  instincts  d'élégance. 

»  La  femme  a  toujours  été  et  sera  toujours  l'artiste  de  la  maison  ;  c'est  elle 
qui  sait  donner  à  son  foyer  l'aspect  quiretlète  ses  goûts,  qui  sait  choisir  et  draper 
l'étoHè  qui  sied  le  mieux  k  son  teint,  qui  sait  disposer  les  meubles  de  son  intérieur 
pour  en  faire  valoir  les  harmonieux  contours,  qui  orne  son  salon  de  plantes  et  de 
fleurs  habilement  choisies,  qui  accroche  ses  tableaux  et  groupe  ses  porcelaines, 
ses  bronzes,  ses  orfèvreries  dans  un  harmonieux  désordre,  pour  donner  au 
visiteur,  dès  son  entrée  dans  la  maison,  l'impression  vivante  des  prédilections 
de  celle  qui  l'habite. 

»  Mais,  si  la  femme  sait  à  merveille  disposer  les  richesses  accimiulées  dans  sa 
d(!meuro,  sa  direction  et  son  influence  sont  encore  plus  nécessaires  dans  le  choix 
et  la  coiiiniandc  d(^s  ()!)j('ts  ([u'clle  admettra  chez  elle. 


—  307  — 


»  Mettant  à  profit  ses  facultés  d'assimilation,  son  ingéniosité  naturelle,  elle 
saura  mieux  que  tout  autre  inspirer  l'artiste  qu'elle  aura  choisi;  elle  saura,  véritable 
curieuse  de  la  forme  et  du  décor,  découvrir  dans  nos  bibliothèques  et  nos  musées, 
dans  les  vitrines  ou  les  cartons  des  amateurs,  dans  le  fond  d'une  boutique  ignorée, 
le  motif  qui  servira  de  thème  à  la  réalisation  de  son  idée,  à  la  satisfaction  de 
son  instinct  de  luxe  et  de  coquetterie. 

»  Le  rôle  d'une  femme  de  goût  qui  commande  est  donc  plus  important  qu'on 
ne  saurait  le  dire,  car  elle  peut,  en  devenant  ainsi  le  collaborateur  de  l'orfèvre, 
être  d'un  puissant  secours  dans  les  créations  qui  seront  l'honneur  de  son  temps. 

»  Depuis  que  la  femme  a  pris,  dans  notre  société,  le  rôle  prépondérant 
que  l'homme  se  plaît  à  lui  laisser,  les  œuvres  auxquelles  elle  a  consciemment  ou 
inconsciemment  collaboré  sont  devenues  des  types  auxquels,  dans  les  arts  fami- 
liers, la  postérité  aime  à  reconnaître  et  à  désigner  l'époque  qui  les  a  vus  naître. 

»  Il  faut  voir  comment  la  femme,  dans  ce  salon  placé  à  la  suite  du  Musée 
rétrospectif,  où  elle  a  exposé  toute  une  série  de  travaux  d'art  féminin,  a  compris 
les  ressources  décoratives  de  la  fleur.  Elle  l'a  reproduite,  interprétée  par  tous  les 
moyens  dont  dispose  sa  main  délicate  et  habile,  des  guirlandes  faites  de  petits 
bouts  de  rubans  ingénieusement  arrangés,  des  chrysanthèmes  jetés  avec  grâce 
sur  un  paimeau  de  velours  noir,  des  palmes,  des  roseaux  et  des  fleurs  dessinés 
avec  hardiesse  sur  un  fond  de  soie  de  couleur  crème  et  brodés  avec  un  art  mer- 
veilleux qui  rappelle  les  belles  compositions  de  Philippe  de  La  Salle  ;  partout  et 
toujours,  la  fleur  aimée  de  la  femme  a  été  son  inspiratrice. 

»  il  faut  voir  dans  les  salles  du  premier  étage,  oîi  sont  exposés  les  dessins 
exécutés  par  les  jeunes  filles  de  l'École  des  Arts  décoratifs,  comment  elles  ont 
compris  le  parti  décoratif  qu'on  pouvait  tirer  de  la  plante.  Que  de  documents  dans 
ces  études  précises  de  la  Nature,  dans  cette  anatomie  de  la  fleur,  dans  les  appli- 
cations qu'elles  en  tirent  pour  les  industries  les  plus  diverses;  que  de  fraîcheur 
dans  ces  idées,  que  de  nouveautés  dans  ces  modèles  pleins  d'ingéniosité  et 
de  goût,  ces  jeunes  filles  viennent  offrir  à  l'orfèvre,  au  céramiste,  au  verrier;  c'est 
un  art  nouveau,  c'est  un  style  nouveau  qui,  né  d'une  source  si  pure,  puisqu'il 
nous  est  inspiré  par  la  fleur,  peut  bien  demander  à  la  femme  aide  et  protection. 

»  De  récentes  recherches  archéologiques  et  les  expositions  rétrospectives,  dues 
à  l'initiative  de  l'Union  centrale,  avaient  remis  en  honneur  les  styles  des  dix-sep- 
tième et  dix-huitième  siècles  :  ce  fut  un  véritable  engouement.  Tout  au  Louis  XV, 
à  la  Régence,  au  style  Pompadour;  tout  y  passa  et  redevint  à  la  mode  du  dix- 
huitième  siècle,  orfèvrerie,  bijoux,  tissus  et  ameublements.  L'Exposition  de  1889 
nous  avait  montré  que  l'apparition  d'un  style  nouveau  n'était  pas  encore  proche. 

»  Mais  c'est  le  public  qui  ne  l'a  pas  encore  compris  ;  il  s'en  tient  aux  choses  qu'il 
connaît,  il  n'aime  que  ce  qu'il  a  déjà  vu;  tout  ce  qui  est  nouveau  l'étonné,  il  craint 
de  se  tromper,  n'ose  l'admirer  et  encore  bien  moins  l'acheter. 


—  :kj8  — 


»  Cependant,  l'Union  centrale,  qui  avait  le  sentiment  du  danger,  cherchait 
à  détourner  les  esprits  de  ces  irnitatiofjs  serviles,  et  par  l'organe  d'un  de 
ses  membres  les  plus  autorises,  un  orfèvre,  celui-là,  invitait  les  produc- 
teurs à  chercher  et  à  trouver  dans  la  nature  un  rajeunissement  des  styles 
français. 

»  Les  idées  de  M.  Falize  ont  pénétré  dans  les  ateliers,  ont  infusé  un  sang  nou- 
veau aux  jeunes  élèves  des  écoles  d'arts  décoratifs.  Les  expositions  des  travaux 
de  fin  d'année  nous  montrent  que  l'idée  est  en  voie  de  faire  son  chemin  et  que  les 


Service  à  Uié  sur  plateau,  décoré  de  chrysaiilhènies. 
{Orfèvrerie  de  Boin-Tahuret.) 


jeunes  gens  et  jeunes  filles  qui  fréquentent  ces  écoles  forment  déjà  un  noyau 
d'artistes  pleins  de  promesses  et  d'avenir. 

»  L'expérience  était  tentante  et  l'idée  de  chercher  chez  la  femme  une  alliée 
allait  faire  son  chemin,  et  l'Union  centrale  décida  d'ouvrir  en  1891  une  exposition 
des  arts  de  la  femme. 

»  Comment  les  orfèvres  allaient-ils  répondre  à  ce  pressant  appel?  La  désillu- 
sion fut  grande  et  il  me  suffira  de  rappeler  les  œuvres  exposées  pour  montrer  que 
l'idée  nouvelle  n'était  pas  encore  comprise,  et  qu'il  nous  faudra  attendre  1900 
pour  constater  les  premiers  efforts  faits  dans  la  voie  nouvelle. 

»  M.  lîoin-Taburet,  dont  on  se  rappelle  la  très  élégante  exposition  en  1889, 
continue  à  sacrifier  aux  dieux  qui  l'ont  inspiré  jusqu'ici  et  ont  fait  de  sa  maison 
le  tcinphî  (le  roi-fèvrcric  I^ouis  XV.  Sa  clientèle  féminine,  habituée  à  trouver  chez 
M.  TahurcI,  son  beau-père,  his  éléganis  bijoux  du  dix-huitième  siècle  qu'il  sau- 


—  309  — 


vait  du  creuset,  n'aurait  pas  compris  qu'il  pût  chercher  autre  chose  et  s'inspirer 
d'une  autre  époque,  lorsqu'il  est  devenu  orfèvre. 

»  Germain  et  Meissonnier  sont  ses  maîtres  et  l'élève  a  si  bien  profité,  leur 
manière  est  si  bien  devenue  la  sienne,  qu'on  ne  saurait  dire  si  ses  œuvres 
sont  exécutées  d'après  un  dessin  de  Meissonnier  ou  de  M.  Boin.  Car  il  dessine 
très  bien,  l'orfèvre  de  la  rue  Pasquier,  il  sait  son  dix-huitième  siècle  sur  le  bout 
du  doigt,  et  nul  autre  que  lui  n'était  mieux  préparé  à  ce  retour  en  arrière.  Son 
goût  très  fin  et  son  intelligence  des  affaires  se  traduisent  jusque  dans  l'élégant 
magasin  auquel  il  vient  d'ajouter,  entre  la  boutique  et  l'atelier,  une  salle  à  man- 
ger dont  la  boiserie  blanche  et  le  décor  élégant  nous  remettent  en  mémoire  les 
petits  soupers  de  la  Régence,  dont  les  gravures  du  temps  nous  ont  laissé  le  sou- 
venir. On  ne  pouvait  plus  adroitement  encadrer  cette  orfèvrerie  et  en  rendre 
ainsi  l'achat  irrésistible  à  son  aimable  clientèle. 

»  M.  Boin  expose  un  très  joli  surtout  que  nous  connaissons  déjà;  on  a  plaisir 
à  le  revoir.  Meissonnier  l'inspira,  et  les  sculpteurs  Bonat  et  Peynot  l'ont  habile- 
ment reconstitué  ;  la  ciselure  en  est  faite  avec  goût.  Un  autre,  plus  complet  et 
tout  à  fait  personnel  à  M.  Boin,  n'a  fait  que  paraître  à  l'exposition;  les  exigences 
de  sa  clientèle  l'ont  obligé  à  le  retirer,  et  c'était  dommage.  Nous  ne  parlerons  que 
pour  mémoire  de  ses  autres  pièces  :  légumiers  et  saucières,  plateaux  et  dra- 
geoirs,  services  de  toilette  et  services  à  thé,  qui  le  montrent  en  pleine  possession 
de  son  talent  et  de  son  art,  mais  tout  est  Louis  XIV,  Régence  et  Louis  XV. 

»  Cependant  M.  Boin,  qui  ne  se  désintéresse  pas  complètement  des  efforts  et 
des  tendances  de  l'art  contemporain,  avait  exécuté  pour  l'Exposition  de  la  Plante, 
dont  l'Union  centrale  avait  élaboré  le  programme,  un  service  à  thé  d'une  forme 
simple,  dont  toute  la  décoration  était  empruntée  à  la  fleur  du  chrysanthème. 
Le  dessin  de  la  fontaine  et  du  pot  à  crème,  que  nous  donnons  ici,  nous  montre 
que  M.  Boin  n'a  qu'à  vouloir  pour  faire  du  nouveau  et  le  réussir;  mais  sa  clien- 
tèle le  suivra-t-elle?  C'est  une  question  entre  elle  et  lui  et  non  de  notre  com- 
pétence. 

»  De  style  Louis  XV  aussi  sont  les  expositions  des  orfèvres  ses  voisins, 
MM.  Guerchet,  Bachelet  et  Harleux,  qui  nous  montrent  des  surtouts,  des  candé- 
labres, des  services  de  table  et  des  services  à  thé  où  l'on  ne  voit  pas  d'effort 
nouveau  ;  c'est  bien  et  habilement  fait,  mais  c'est  toujours  le  même  style. 

»  M.  Gaillard  fils  a  une  charmante  exposition,  et  l'on  sent  que  sa  clientèle  est 
féminine.  Garniture  de  toilette,  ornements  d'étagère  ou  de  table  de  salon  dont  la 
mode  a  répandu  l'usage  depuis  qu'on  les  fait  en  argent,  y  figurent  en  grand 
nombre  et  très  variés  de  forme  et  de  décor. 

»  Dans  ces  derniers  temps,  M.  Gaillard,  avec  une  fécondité  vraiment  curieuse, 
a  créé  un  nombre  considérable  de  petites  lampes-bijoux,  comme  il  les  appelle,  et 
qui  sont  de  véritables  bijoux  de  lampes;  il  n'est  pas  de  femme  un  peu  élégante 


—  — 


([ui  n'en  possède  un  exemplaire.  Ces  modèles  soni,  fins  et  bien  Iraités,  et,  ce  qui 
n'est  pas  un  mince  mérite,  très  variés  de  style  et  de  composition.  A  côté  d'une 
lampe  Louis  XV  dont  la  panse  est  formée  d'un  coquillage  à  la  l)ase  duquel  s'en- 
roule un  dauphin,  évidemment  inspir('  d'un  sucrier  de  (icrmairi,  on  trouve  un 
modèle  Louis  XVI  très  finement  ciseh;,  aiiquel  Marie-Antoinette  n'aurait  pas 
refusé  l'entrée  à  ïrianon  ;  puis,  dans  un  mode  nouveau  qui  rappelle  les  orfèvre- 
ries américaines,  une  lampe  en  forme  de  baril,  décorée  d'un  fouillis  de  fleurs,  où 
le  muguet,  l'anémone  et  le  chrysanthème,  se  mêlent  agréablement  à  des  branches 


Lampes  de  styles  anciens  el  art  nouveau. 
{Orfèvrerie  de  Gtiillard .) 


de  fougère,  le  tout  retenu  à  la  base  par  une  sorte  de  culot  formé  de  plumes 
symétriquement  disposées.  Ajoutez  à  cela  des  garnitures  de  bureau  et  de  toiletle 
parmi  lesquelles  une  série  de  brosses  Louis  XVI,  finement  ciselées,  est  tout  à  fait 
remarquable,  enfin  tous  ces  bibelots  d'argent  que  la  mode  a  répandus  dans  le 
monde  élégant,  et  vous  aurez  une  idée  de  l'exposition  de  M.  Gaillard  fils. 

»  M.  André  Aucoc  marche  toujours  dans  la  voie  qui  avait  fait  son  succès  en 
1889;  fils  et  petit-fils  d'orfèvre,  il  coniuiît  son  métier  et  a  su  conserver  les  tradi- 
tions (^t  grandir  la  réputation  paternelle. 

»  Le  décor  du  salon  qu'il  occupe  à  l'Exposition  des  Arts  de  la  Femme  est  une 
trouvaille.  Sur  des  murs  blancs,  décorés  de  pamieaux  moulurés  en  menuiserie, 
sont  accrochés  comnnî  dans  une  vieille  salle  à  manger  de  famille,  des  portraits, 
une  glace,  un  cartel,  un  baromètre,  (pii  lui  donnent  un  air  de  vie  et  d'intimité 
familiale. 


»  L'orfèvrerie  y  semble  bien  à  sa  place,  sur  un  dressoir  central  ou  sur  des 
encoignures,  sur  des  guéridons  ou  dans  des  vitrines  plates,  les  objets  exposés 
sont  dans  leur  milieu  ;  on  y  retrouve  un  surtout  d'argent  dont  les  candélabres 
sont  formés  par  des  vases  de  cristal  enveloppés  par  trois  rinceaux  dont  les 
branches  enroulées  en  spirales  portent  les  lumières  (1);  deux  services  à  thé  dans 
le  style  Louis  XIV  et  Louis  XV,  disposés  avec  goût  sur  des  tables  basses,  sont 
de  mignonne  proportion  et  bien  faits  pour  l'usage  personnel  d'une  maîtresse  de 
maison  élégante  à  l'heure  des  visites.  On  remarque  en- 
core une  jolie  garniture  de  toilette  en  vermeil,  apparte- 
nant à  M"'^  de  Lesser  :  une  boîte  à  poudre  en  argent,  ayant 
appartenu  à  la  collection  Eudel,  a  servi  de  thème  à  la 
décoration,  très  réussie  d'ailleurs,  de  toutes  les  pièces 
de  cette  toilette. 

»  MM.  Poussielgue  frères,  les  grands  fabricants  d'or- 
fèvrerie religieuse,  n'ont  pas  manqué  à  ce  rendez-vous 
des  orfèvres  parisiens;  ils  ont  pensé  que  la  femme,  gar- 
dienne des  traditions  pieuses  de  la  famille,  ne  devait  pas 
être  oubhée,  et  ont  installé,  dans  le  centre  de  leur  expo- 
sition, un  oratoire  élégant  qui  ferait  bonne  figure  dans  la 
chapelle  d'un  de  nos  vieux  châteaux  de  France. 

»  Pour  ne  pas  avoir  l'ampleur  de  ces  grands  autels 
monumentaux  auxquels  leur  père  avait  attaché  son  nom 
et  dû  ses  meilleurs  succès,  celui-ci,  par  ses  heureuses 
proportions,  par  ses  élégantes  dispositions,  nous  montre 
que  MM.  Poussielgue  fils  sont  les  dignes  continuateurs  de 
leur  père. 

»  M.  Debain  expose  dans  une  grande  vitrine  à  quatre 
faces,  un  peu  trop  remplie  peut-être,  qui  fait  regretter 
qu'il  n'ait  pas  demandé  une  place  plus  grande,  ou  qu'il 
n'ait  pas  usé  plus  sobrement  de  celle  qu'on  lui  avait  ac- 
cordée; on  eût  mieux  vu  et  plus  apprécié  certains  objets  qui  souffrent  de  leur 
entourage.  Une  petite  pendule  en  argent  d'un  très  joli  dessin  disparaît  à  côté 
des  grandes  corbeilles  de  surtout  qui  l'écrasent.  Une  saucière  en  vermeil,  qui 
rappelle  la  toilette  conçue  dans  le  goût  de  Germain  et  qui  fut  une  des  pièces 
capitales  de  son  exposition  de  1889,  est  une  œuvre  d'orfèvrerie  tout  à  fait  réussie- 
Elle  fait  partie  d'un  service  complet  que  M.  Debain  exécute  en  ce  moment,  et 
que  nous  regrettons  de  n'avoir  pas  vu  à  l'Exposition.  Là,  comme  ailleurs,  le  style 
Louis  XV  règne  en  maître. 


Brosse  de  toilette 
de  style  Louis  X^'I. 

{Orfèvrerie  de  GnillarcL) 


(1)  Nous  en  avons  donné  la  reproduction  au  chapitre  précédent. 


—  — 


»  M.  Gueylon  ne  sacrifie  pas  au  goût  du  jour;  il  nous  montre  quelques  pla- 
teaux, quelques  coupes,  dont  le  décor  à  feuilles  de  lalariier  ou  de  palmier  a  s(;duit 
la  commission  d'achat,  qui  en  a  fait  entrer  un  exemplaire  dans  les  collections  du 
Musée  des  Arts  décoratifs.  MM.  Keller,  dans  des  garnitures  de  nécessaire  et  de 
toilette,  s'inspirent  du  goût  anglais. 

»  J'aime  mieux  me  réserver  pour  un  véritable  artiste,  M.  Jules  Brateau,  sculp- 
teur et  ciseleur,  orfèvre  et  potier  d'étain,  comme  Briot.  Instruit  par  une  collabo- 
ration assidue  avec  les  orfèvres,  qui  lui  devaient  une  partie  de  leur  succès,  il  est 


Cardicre  et  plateau  de  style  persan. 
[Orfèvrerie  d'éluin.  —  Modèles  de  J.  Brateau.) 


devenu  orfèvre  lui-même,  et,  voulant  prendre  une  place  h  part,  c'est  à  la  résur- 
rection de  l'orfèvrerie  d'étain  qu'il  s'est  consacré,  et  il  y  est  passé  maître. 

»  Sculpteur,  il  fait  ses  modèles;  ciseleur,  il  retouche  et  grave  les  creux  dans 
lesquels  il  coulera  le  métal  docile;  orfèvre,  il  les  termine  en  homme  habile  et 
rompu  aux  difficultés  du  métier.  De  collaborateurs,  il  n'a  que  ceux  qu'il  a  formés, 
et  sa  femme,  sa  meilleure  élève,  l'assiste  dans  ses  travaux. 

»  Ktait-ce  pour  nous  apprendre  que  la  femme  aussi  peut  devenir  un  habile 
orfèvre  ? 

»  Nous  retrouvons  dans  sa  vitrine  des  Champs-Elysées  quelques-unes  des 
pièces  <\u('.  l'on  s'(!st  disputées  au  (!lhamp-de-Mars  en  1889  :  l'aiguière  et  le  pla- 
teau qui,  toul  en  faisani  s()ng(M'  à  Bi'iot,  lui  son!  complètement  personnels;  la 


—  313  — 


Gobelet  aux  bryones  des  haies. 
(Orfèvrerie  d'étain  de  J .  Braleau. 


cafetière  persane,  si  agréable  dans  ses  lignes,  si  parfaite  comme  type  du  style 

oriental,  où  domine  la  fleur  à  l'exclusion  de  la  figure. 
11  a  aussi  des  créations  nouvelles,  et,  pour  accom- 
moder rétain  à  la  mode  du  jour,  il  nous  montre  une 
écuelle  Louis  XV,  peut-être  un  peu  trop  chargée  d'or- 
nements, mais  d'une  perfection  d'exécution  vraiment 
rare  ;  il  ne  s'y  attarde  pas  cependant,  et  dans  des 
gobelets  de  forme  simple,  on  aitne  à  sentir  l'influence 
t  ^.        "^^^Hl  études  de  la  plante  vivante  :  la  bryone  et  le  lierre 

ij  ^^K^M       terrestre,  le  seigle  et  le  houblon,  qui  leur  servent  de 

décor,  sont  interprétés  avec  goût. 

»  A  côté  de  M.  Brateau,  MM.  Christofle  avaient 
leur  exposition  ;  je  ne  veux  en  parler  qu'avec  la  plus 
grande  discrétion  :  elle  me  touche  de  trop  près  pour 
que  j'essaie  d'apprécier  leurs  efforts,  et,  s'il  est  permis 
à  un  père  d'être  indulgent  pour  ses  enfants,  on  ne 
saurait  reprocher  au  fils  ou  au  neveu  d'avoir  une  pré- 
dilection marquée  pour  les  oeuvres  paternelles.  Je  me  bornerai  donc  à  rappeler 
la  part  que  la  maison  Christofle  a  prise  à  l'Exposition  des  Arts  de  la  femme,  et 
à  saluer  et  remercier  ici  en  son  nom  les  artistes  éminents  qui  ont  été  ou  sont 
encore  ses  collaborateurs  :  les  dessinateurs  Rossigncux,  Reiber  et  Godin;  les 
sculpteurs  Roty,  Mercié,  Coutan,  Mathurin-Moreau, 
Levillain,  Chéret,  Mallet,  et  ceux  qui  ne  sont  plus, 
Gumery,  Aimé  Millet,  Delaplanche,  Lafrance,  HioUe, 
Carrier-Belleuse,  Rouillard,  et  tant  d'autres. 

»  Je  ne  saurais  cependant  passer  sous  silence 
les  efforts  que  MM.  Christofle  avaient  faits  pour 
répondre  au  programme  de  l'Exposition  de  la 
Plante,  que  l'Union  centrale  avait  rêvée  pour  cette 
année.  Mais  les  difficultés  d'exécution  et  l'impos- 
sibilité de  l'ouvrir  à  l'époque  où  les  premiers  bour- 
geons d'avril  viennent  saluer  le  retour  du  prin- 
temps, l'ont  fait  ajourner  jusqu'au  moment  où 
l'Union  centrale,  maîtresse  chez  elle,  pourra  l'ou- 
vrir à  son  heure. 

»  Des  vases  à  fleurs,  des  drageoirs,  des  services 
à  thé,  empruntant  aux  fleurs  de  nos  champs,  aux 
fruits  des  vergers,  aux  herbes  potagères,  leurs 
formes  et  leurs  décors,  étaient  là  comme  les  pré- 
misses d'une  orfèvrerie  nouvelle  :  un  autre  dira  s'ils  ont  réussi,  mais  les  gra- 


Goliclet  seigle  et  houblon. 
[Orfèvrerie  d'éLain  de  J.  Brateau.) 


—  314  — 


vures  qui  accompagnent  ces  lignes  montraient  leurs  efforts  dans  la  voie  nouvelle. 
»  Un  nom  manque  à  la  liste  de  tous  ces  orfèvres,  c'est  celui  de  M.  Falize. 
»  Cédant  aux  sollicitations  de  ses  amis,  il  a  cependant,  sur  le  tard,  envoyé  la 

meilleure  de  ses  dernières  Oîuvres,  cette  Gallia 
qu'il  avait  exécutée  pour  l'Exposition  de  4880  et 
qui  fit  une  si  profonde  impression  sur  tous  ceux 
qui  la  virent  à  cette  époque. 

»  On  lui  fit  une  place  d'honneur  sur  le  palier 
de  l'escalier  qui  conduit  au  Musée  des  Arts  déco- 
ratifs ;  elle  était  à  mi-chemin  et  n'avait  plus  que 
quelques  degrés  à  franchir  pour  entrer  triompha- 
lement au  Musée. 

»  Le  ministre  des  Beaux-Arts  ne  l'a  pas  voulu 
ainsi  et  l'a  achetée  pour  l'État.  Entraîné  par  le 
mouvement  d'opinion  qui,  cette  année,  a  fait  in- 
troduire, pour  la  première  fois,  des  œuvres  d'art  industriel  au  Salon  du  Champ- 
de-Mars,  il  a  décidé  de  former  au  Luxembourg  une  section  pour  les  artistes  de 
l'industrie,  réalisant  ainsi  les  idées  émises  par  les  hommes  éminents  qui  forment 
le  Conseil  de  l'Union  Centrale,  et  développées  et  soutenues  avec  autant  d'autorité 


N"  1.  N"  -2.  N"  3. 

^'ascs  i'i  lU'iirs,  iui  noinoaii. 
N"  I.  Arlicliaul.  —  N"  2.  l'icd  de  cd'lvvi.  —       3.  Chardon. 

{Orfôvri'i-ie  de  CJtrisloflv .) 


que  de  lalcnl,  par  la  IkDKc  des  Avis  drearaUfs  et  son  rédacteur  en  chef.  Nous 
sommes,  [tour  noire  part,  luîureux  de  voir  enlrei'  dans  ce  musée  une  œuvre  de  la 


N°  2. 

Drageoirs  en  forme  de  fruits  coupés. 
N°  1.  Péclie.  —  N°  2.  Poire. 

{Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


313 


Services  à  Ihé,  en  arj^ciit 
N"  1.  PaLissou.  {Sciil;jlara  de  L.  ihdlet.)  —  N"  -i.  Feuilles  d'urlicliaul.  (Sciilplnre  du  Dinéu.) 

{Oi-ficrcrie  de  Ch  risluflc.) 


—  317  — 


valeur  de  «  la  Gallia  »,  en  attendant,  comme  l'a  fort  bien  dit  le  ministre  des 
Beaux-Arts,  dans  la  spirituelle  réponse  qu'il  a  faite  au  toast  de  M.  G.  Berger, 
lors  du  banquet  offert  par  les  exposants,  «  qu'elle  aille  au  Louvre  retrouver 
les  chefs-d'œuvre  de  la  galerie  d'Apollon  ».  Et  il  y  fera  bonne  figure,  ce  buste 
d'orfèvrerie  chryso-éléphantine,  car,  s'il  est  destiné  à  rappeler  le  nom  d'un  artiste 
éminent,  il  aura  aussi  le  mérite  de  rester  comme  un  écho  de  la  fierté  gauloise 
de  notre  race,  un  peu  attristée  aujourd'hui,  mais  sûre  de  sa  force  et  dédaigneuse 


Service  à  llié  eu  ar^'ciit,  en  l'ormo  de  courge. 
{Sciilpliire  de  L.  Mnllel.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.) 


de  ses  ennemis.  Avec  son  casque  et  sa  cuirasse  d'orfèvrerie,  avec  ses  ors  de 
couleurs,  ses  damasquines  et  ses  gemmes,  avec  son  teint  mat  d'ivoire  pâle, 
«  la  Gallia  »  restera  comme  l'expression  d'un  art  bien  français  où  l'orfèvre  a  mis 
tout  son  talent  et  tout  son  cœur. 

»  En  1889,  on  avait  déjà  voulu  la  laisser  française  en  l'offrant  au  Président 
de  la  République,  comme  le  plus  éclatant  témoignage  de  l'intérêt  qu'il  avait 
pris  à  l'Exposition.  Un  scrupule  délicat  empêcha  le  Président  d'accepter;  nous 
avons  été  heureux  de  voir  qu'un  ministre  ait  osé  en  faire  l'achat  pour  un  musée 
français.  » 


—  318  — 


L'inadmissioii  des  objets  d'art  au  salon  annuel,  qui  n'avait  aucune  raison 
d'être,  offrait  les  plus  graves  inconvénients  en  ce  qu'elle  empêchait  le  public 
de  prendre  contact  avec  les  professionnels  des  arts  du  décor,  de  s'intéresser  à 
leurs  progrès,  de  suivre  d'une  façon  permanente  leurs  manifestations.  Étrange 
inconséquence  du  dix-neuvième  siècle  !  A  mesure  que  les  mœurs  se  vouaient  à 
la  démocratie,  l'art  se  pliait  à  un  puéril  aristocralisme !  Les  hommes  de  talent 
qui  prêtaient  leur  concours  à  l'industrie  affectaient  de  ne  le  faire  que  dédaigneu- 
sement et  par  condescendance,  presque  en  se  cachant  !  Comment  le  niveau  de  la 
production  pratique  ne  se  serait-il  pas  abaissé?  L'Union  Centrale  avait  essayé 
de  créer,  en  1883,  le  Salon  des  Arts  décoratifs  (1)  qui  devait  relever  à  leurs 
propres  yeux  les  artistes  de  cette  catégorie,  leur  restituer  la  dignité  qu'on  leur 
refusait  ailleurs,  et  les  faire  sortir  de  l'ombre.  La  tentative  n'eut  pas  de  suite. 
Elle  était  venue  avant  l'heure.  Mais,  à  la  suite  de  l'Exposition  universelle  de  1889, 
la  Revue  des  Arts  décoratifs  reprit  plus  vivement  sa  campagne  et,  par  des  arguments 
répétés,  força  la  Société  des  Artistes  français  et  l'opinion  publique  d'envisager 
la  possibilité  de  créer  dans  les  Salons  annuels  une  section  des  arts  du  décor, 
comme  il  y  avait  des  sections  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure  ou  d'archi- 
tecture. La  lutte  fut  vive.  Les  artistes  finirent  par  nommer  une  commission  pour 
étudier  la  question,  mais  celle-ci  ne  semblait  rien  moins  que  disposée  à  incliner 
à  une  solution  favorable.  Une  de  ses  objections  était  celle-ci  :  «  Il  n'y  a  point 
d'objet  d'art  qui  ne  dérive  de  la  peinture,  de  la  sculpture  ou  de  la  gravure.  Par 
conséquent,  il  est  inutile  d'ouvrir  au  Salon  une  nouvelle  section.  »  La  Revue  des 
Arts  décoratifs  Té'^onàsM  :  «  Il  est  certain  que  tout  art  plastique  procède  du  dessin  : 
mais  il  ne  relève  pas  nécessairement  que  du  dessin  seul  et  dans  son  acception  la 
plus  large.  Admettez-vous,  notamment,  que  la  peinture  ou  la  sculpture  soient 
pour  tout  dans  la  verrerie  et  dans  la  céramique?  Elles  n'y  sont  quelquefois  pour 
rien.  Voyez,  par  exemple,  les  puissants  grès  flambés  de  M.  Delaherche  et  mille 
pièces  exquises  du  maître  verrier  Emile  Gallé,  où  les  accidents  du  feu,  savamment 
et  artistement  utilisés  ou  ménagés,  jouent  un  rôle  si  manifestement  expressif...» 
On  aurait  pu  ajouter  :  «  Et  l'orfèvrerie?  Pour  donner  toute  sa  valeur  artistique  à  un 
vase  d'argent,  n'est-il  pas  essentiel  d'ajouter  à  la  science  des  formes  et  du  mérite 
de  la  sculpture,  une  troisième  qualité,  presque  indéfinissable,  qui  consiste  à  faire 
chanter  le  métal,  à  lui  faire  parler  le  langage  propre  à  sa  nature  même,  et  ce  talent, 
([ui  ne  tient  ni  au  dessin,  ni  à  la  sculpture,  ne  réside-t-il  pas  proprement  dans 
le  métier  d'orfèvre,  qui  ne  s'acquiert  que  par  de  longues  années  de  pratique?  » 

Mais  la  Commission  des  Artistes  ne  se  laissait  pas  convaincre.  Un  autre  argu- 
ment derrière  lequel  elle  se  dérobait  était  le  suivant  :  «  Nous  n'avons  pas  à 


(1)  V<iy.  le  calul()f,'ii(ï  du  Salon  den  Avis  (U'coralifs  organisé  eu  188U,  par  l'Union  centrale  des  Ai'ls 
ili!^corulifH,  dans  les  salles  du  l'aluis  do  l'industrie,  qui  lui  avaient  ùlù  concédées  pour  la  constitution  du 
Mu  Bée. 


—  319  — 


envisager  l'art  dans  aucun  de  ses  modes  particuliers.  Il  sied  de  juger  les  choses 
de  plus  haut  et  d'une  vue  plus  grande.  Une  section  des  industries  d'art  au  Salon 
nous  obligerait  à  sortir  de  l'ART  PUR  en  tenant  compte  des  matières.  Or,  rien  n'est 
plus  contraire  à  nos  données.  » 

«  Contraire  à  vos  données  !  répliquait  la  Revue  des  Arts  décoratifs,  en  vérité, 
c'est  alors  que  vos  données  sont  mauvaises.  Une  œuvre  d'art,  en  effet,  n'a  sa  portée 
entière,  sa  plénitude  de  sens  et  de  beauté  que  dans  sa  réalisation  parfaite. 
La  conception  d'un  orfèvre  est  une  conception  d'orfèvrerie  et  non  de  sculpture. 
La  conception  d'un  verrier  est  une  conception  de  verrerie  et  non  de  peinture... 
De  quel  droit  juger  au  seul  point  de  vue  des  arts  officiels  des  artistes  qui  ne  veulent 
être,  après  tout,  ni  statuaires  ni  peintres?  Vous  voilà  conduits  à  accueillir  l'orfèvre 
comme  orfèvre,  le  céramiste  comme  céramiste,  l'ébéniste  comme  ébéniste,  ou  à 
méconnaître  aveuglément  les  lois  même  de  l'Art...  (1).  » 

Les  choses  en  étaient  là,  quand  un  des  membres  du  Comité  directeur  de  l'Union 
centrale,  M.  Georges  Gagneau,  président  de  l'Union  des  fabricants  de  bronzes,  par 
un  acte  d'initiative  dont  l'honneur  doit  lui  rester,  publia,  dans  la  Revue  des  Arts 
décoratifs  du  mois  d'octobre  1890,  une  lettre  très  ferme  et  très  nette,  demandant 
l'admission  des  artistes  décorateurs  au  Salon.  «  Deux  choses,  disait-il,  contri- 
bueraient à  réveiller  nos  industries  d'art  :  honorer  les  artistes  qui  s'adonnent  à 
ce  genre  d'art,  et  éveiller  chez  l'amateur  le  goût  du  nouveau...  Or,  ces  deux 
conditions  essentielles,  selon  moi  —  honorer  l'artiste,  tenter  l'amateur  —  peuvent 
se  réaliser  dans  des  conditions  très  faciles.  Nous  sommes  tous  d'accord  sur  ce 
point  qu'il  ne  saurait  y  avoir  de  classification  dans  l'art...  Eh  bien,  ce  que  nous 
pouvons  voir  tous  les  jours  au  Louvre,  je  demande  à  le  voir  tous  les  ans  au  mois 
de  mai,  au  Salon  des  Artistes.  Je  rêve  une  salle  spéciale  dont  les  murs  seront  ornés 
de  panneaux  de  tapisserie  ou  de  cartons  décoratifs,  où  seront  disposés  des  meubles 
qui  porteront  des  pièces  de  bronze,  d'orfèvrerie,  de  faïence,  de  verre.  On  accepterait, 
pour  les  arts  de  la  décoration,  les  modèles  des  objets,  à  la  condition  que  ces  projets 
seront  entièrement  achevés  et  décorés,  tels  que  l'artiste  les  rêva  terminés. 
Les  premières  années  seront  les  plus  difficiles;  mais,  une  fois  l'idée  admise,  j'ai 
la  conviction  que  cette  juste  satisfaction  donnée  aux  artistes  industriels,  que  quel- 
ques encouragements,  commandes  données  à  propos  feraient  du  Salon  que 
je  demande  une  des  grandes  attractions  du  Salon  annuel,  et  détermineraient  un 
sérieux  effort,  profitable  à  la  fois  aux  artistes,  aux  industriels,  au  pays  en 
un  mot  (2).  » 


(1)  Nous  ne  pouvons  que  renvoyer  le  lecteur  à  la  série  d'articles  remurquablejs  publiés  alors  par  la 
vaillante  Revue  de  la  Société  de  l'Union  centrale,  et  qui  étaient  dus,  notamment,  à  la  plume  de  M.  Louis 
de  l'ourcaud,  l'éiiiinent  successeur  de  Taine  à  la  chaire  d'esthétique  et  d'histoire  de  l'art  à  l'Ecole  des 
beaux-arts,  et  à  celle  de  son  directeur  M.  Victor  Ghampier. 

(2)  La  lettre  était  signée:  G.  Gayneau,  présklmt  de  la  Chambre  syndicale  des  fahricants  de  bronzes. 
Elle  était  adressée  à  M.  le  président  de  l'Union  centrale  des  Arts  décoratifs. 

13 


—  320  — 


La  lettre  de  M.  (lagneau,  appuyée  par  les  plus  influentes  |:)ersotir)alités  du 
monde  des  arts,  eut  son  plein  effet.  Dès  le  moh  de  mai  181)1,  la  nouvelle  Société 
des  Artistes,  présidée  par  Puvis  de  Chavannes,  et  créée  en  concurrence  de  l'an- 
cienne Société,  dont  le  Salon  annuel  était  souvent  au  Palais  des  Champs-Elysées, 
organisait  dans  le  local  qui  lui  était  attribué  au  Palais  du  Champs-de-Mars  son 
premier  Salon  en  y  instituant  une  section  des  Arts  décoratifs,  qui  obtint  aussitôt 
le  plus  grand  succès.  La  cause  était  donc  gagnée.  Le  directeur  de  la  /{evue  des  Arts 
décoratifs  enregistra  cette  victoire  dans  un  article  intitulé  :  «  Les  Arts  fraternels  au 
Salon  du  Ghamp-de-Mars  ».  Il  disait  :  «  C'est  un  événement  considérable  et  dont 
notre  Revue  a  particulièrement  le  droit  de  se  réjouir,  que  l'innovation  réalisée 
cette  année  au  Salon  du  Cliamp-de-Mars.  En  organisant  bravement,  à  côté  des 
œuvres  de  peinture  et  de  sculpture,  une  section  «des  objets  d'art»,  la  Société 
nationale  des  Beaux-Arts,  présidée  par  M.  Puvis  de  Chavannes,  a  porté  un  coup 
décisif  au  préjugé  qui,  depuis  trop  longtemps,  jette  sur  l'art  en  général  le  discrédit 
d'une  hiérarchie  que  réprouve  le  plus  simple  bon  sens.  La  campagne  que  nous 
menons  dans  cette  Revue  depuis  douze  années  aboutit  donc  enfin  à  ce  résultat,  et 
le  succès  couronne  notre  effort  (1).  »  Tous  les  journaux  quotidiens,  le  Temps, 
le  Gaulois,  r Éclair,  etc.,  les  revues  mensuelles  saluèrent  cette  réforme  et  y 
applaudirent.  Dans  le  Voltaire,  M.  Roger  Marx,  inspecteur  général  des  musées, 
rendant  justice  aux  efforts  de  l'Union  Centrale,  à  qui  était  dû  pour  une  grande 
part  ce  résultat,  s'exprimait  ainsi  :  «  Parallèlement,  d'autres  actions  se  sont  exercées 
utilement  :  celle  de  l'Union  Centrale  et  de  la  Revue  des  Arts  décoratifs,  à  laquelle 
M.  Victor  Champier  a  consacré,  avec  le  plus  chaleureux  désintéressement,  les  res- 
sources d'une  foi  ardente  et  d'une  érudition  renseignée  sur  tous  les  sujets  ;  celle 
aussi  d'écrivains  à  l'esprit  libre,  au  jugement  compréhensif,  à  l'instinct  esthétique 
sans  cesse  en  éveil,  qui,  à  l'exemple  des  Concourt,  des  Burty,  se  sont  pris  d'un 
goût  infini  pour  ces  études  et  en  ont  augmenté  l'attrait  par  la  qualité  de  l'expression 
littéraire  et  l'imprévu  suggestif  des  aperçus  philosophiques...  » 

Le  public  visita  avec  un  tel  empressement  la  section  des  objets  d'art  au 
Salon  du  Champ-de-Mars,  et  manifesta  si  clairement  son  plaisir  de  cette  innovation 
que,  ne  voulant  pas  rester  plus  longtemps  en  arrière,  la  Société  des  Artistes  fran- 
çais, qui  avait  son  siège  au  Palais  des  Champs-Elysées,  renonça  à  ses  résistan(;es 
traditiomialistes  et  se  décida  à  accueillir,  elle  aussi,  les  arts  du  décor. 

A  partir  de  ce  moment,  comme  si  un  vent  de  folie  eût  soufflé  sur  les  esprits, 
ce  fut  à  qui,  pai-nii  les  artistes  de  l'industi-ic,  poserait  les  jalons  de  ce  «  style 
nouveau  »,  qu'on  prétendait  créer  de  toutes  pièces,  et  à  qui  inventerait  quel{|ue 
forme  imprévue,  bizai-re,  ne  rappelant  plus  rien  de  ce  (ju'avait  enfanté  le  passé. 
De  r(!X(;ès  d'un  mal,  on  tomba  dans  un  pire.  Après  s'être  contenté  trop  longtemps 


(1)  Viiy.  la  Iti'Dili:  lies  .iris  (l('fiira/i/\-,  lniiii:  il. 


—  321  — 


de  pasticher,  en  orfèvrerie,  le  slyle  Louis  XV,  on  se  lança  tout  à  coup  dans  l'inco- 
hérence des  décors  inspirés  sans  rime  ni  raison  de  la  fleur  et  de  la  plante.  On  en 
mit  partout,  à  tout  propos  et  hors  de  propos.  Chaque  année  on  vit,  de  1894  à  1900, 
soit  au  «  Salon  du  Champ-de-Mars  »,  soit  au  «  Salon  des  Champs-Elysées  », 
des  objets  d'art  en  matières  précieuses,  vases,  coupes,  drageoirs,  plateaux  qui, 
pour  la  plupart,  étaient  des  objets  d'exception,  faits  bien  plus  pour  attirer 
l'attention  des  amateurs  millionnaires  épris  de  singularité,  que  des  objets  d'usage, 
de  forme  rationnelle,  étudiée  simplement  en  vue  d'une  destination  précise  et  de 
la  commodité.  Ce  n'étaient  point  des  orfèvres,  en  général,  qui  exposaient  ces 
argenteries  «  abracadabrantes»,  mais  c'étaient  surtout  des  artistes,  modeleurs  ou 
dessinateurs,  impatients  de  secouer  la  discipline  nécessaire  du  métier,  et  de 
s'affranchir  de  toute  règle. 

Comme  ils  s'adressaient  désormais  directement  au  public,  à  qui  ils  présentaient 
leurs  œuvres  sans  l'intermédiaire  des  fabricants,  ils  visaient  avant  tout  à  produire 
de  l'effet  par  l'étrangeté  des  conceptions.  Ce  fut  une  belle  débauche  d'imagi- 
nation !  L'or,  l'émail,  l'ivoire  furent  appelés  à  rehausser  la  richesse  de  cette 
orfèvrerie  d'exposition,  qui  semblait  convenir  bien  plus  à  des  nababs  d'outre-mer, 
aux  snobs  de  toute  provenance,  à  des  personnages  des  Mille  et  une  Niais  qu'aux 
positifs  bourgeois  de  notre  vieux  continent  à  la  fm  du  dix-neuvième  siècle.  Cela 
devint  une  mode,  durant  cinq  ou  six  années,  de  ne  jurer  que  par  1'  u  art  nouveau  » 
et  de  ne  croire  qu'au  «  modem'  style  ». 

Cet  entraînement,  il  faut  le  dire,  n'était  guère  qu'en  surface,  et  les  adeptes  des 
théories  nouvelles  faisaient  plus  de  bruit,  en  réalité,  que  de  besogne.  Dans 
le  public,  parmi  les  fabricants,  chez  les  artistes  même,  que  l'irruption  soudaine 
du  «  modem'  style  »  avait  séduits  ou  déconcertés,  les  opinions  restaient  fort 
divisées.  L'Art  nouveau!  qu'est  cela?  disaient  avec  mépris  les  partisans  quand 
même  de  la  tradition,  de  l'académisme  et  des  formules.  Nous  ne  connaissons 
qu'un  seul  art,  celui  qui  est  éternel,  qui  a  existé  jadis  et  qui  existera  demain  ;  celui 
qui,  supérieur  à  la  mode,  insensiblement  modifié  par  l'action  des  climats,  des 
peuples  et  des  mœurs,  n'exprime  que  la  souveraine  beauté.  »  —  a  L'Art  nouveau, 
s'écriaient  de  leur  côté  les  enragés  archéologues,  les  amateurs  de  bibelots  anciens, 
l'art  nouveau,  où  le  voyez-vous?  Est-ce  que  vous  donnez  ce  titre  aux  essais 
informes  que  quelques-uns  de  nos  contemporains  produisent  à  nos  Salons  annuels? 
Et,  d'ailleurs,  pourquoi  s'efforcer  de  chercher  un  art  nouveau,  alors  que  nous  en 
avons  un  ancien  qui  est  admirable,  que  l'on  copie  et  que  partout  on  nous  envie.  » 
—  «  VArt  nouveau,  protestaient  en  chœur  certains  professionnels  de  l'orne- 
ment, dont  l'éducation  avait  été  commencée  trente  ans  auparavant  dans  la  scho- 
lastique  déprimante  des  ateliers  voués  au  commerce  des  pastiches,  l'Art  nouveau, 
en  quoi  cela  consiste-t-il?  Est-ce  cette  orfèvrerie  qui  nous  montre,  reproduits  en 
argent,  tous  les  spécimens  du  règne  végétal  plus  ou  moins  stylisés,  c'est-à-dire 


—  :m  — 


déformés  :  des  feuilles  de  chêne  servant  de  plateaux,  des  artichauts  disf)0scs  en 
sucriers  ou  en  cafetières?  La  vérité,  c'est  que  <fcela  n'existe  pasw.  L'art  actuel 
reste  lié  par  un  robuste  anneau  à  la  chaîne  des  styles  français  d'autrefois.  Croire 
qu'un  style  peut  être  créé  tout  d'un  coup,  par  génération  spontanée,  c'est  folie  !  » 
a  L'Art  nouveau^  disaient  enfin  les  fabricants  non  sans  mélancolie,  nous  ne  ie  nions 
pas,  nous  ne  le  méprisons  pas,  mais  nous  prions  qu'on  nous  en  donne  la  formule. 
Nous  ne  pouvons  improviser  dans  le  vide.  Il  nous  faut  une  base.  Oîi  est  l'homme 
au  talent  transcendant  qui  nous  la  fournira?  Jadis,  aux  époques  de  transition,  tou- 
jours il  y  eut  une  direction  supérieure  pour  donner  l'élan  aux  diverses  industries, 
A  l'heure  actuelle,  personne  de  qui  suivre  l'impulsion.  » 

Telles  étaient,  résumées  peut-être  avec  une  pointe  d'ironie  (i),  les  doléances, 
les  réticences,  les  récriminations  que  soulevait  cette  question  de  «  l'art  nou- 
veau »,  qui  ne  méritait  pas  assurément  de  susciter  tant  de  discussion  et  de 
commentaires.  En  réalité,  l'expression  avait  surtout  contre  elle  sa  trop  prétentieuse 
précision.  Elle  caractérisait  tout  simplement  une  tendance  et  semblait  affirmer  un 
fait  existant.  Elle  indiquait  un  effort,  pas  davantage,  et  on  lui  donnait  la  signification 
d'une  victoire  de  l'ai-t  futur  sur  l'art  passé.  De  là  les  protestations,  les  colères  et 
aussi  les  déceptions  qui  se  produisirent. 

La  date  d'ouverture  de  l'Exposition  universelle  de  1900  approchait.  Qu'allait-il 
sortir  de  ce  gigantesque  tournoi?  Quelle  figure  la  France  ferait-elle  en  présence 
de  ses  concurrents  étrangers?  Nos  rivaux,  en  mal  d'art  nouveau,  eux  aussi, 
n'allaient-ils  pas  nous  distancer?  Inquiétante  énigme!  Problème  redoutable! 
Tandis  que  certains,  délibérément,  renonçaient  à  tout  modèle  rappelant  les  styles 
anciens,  d'autres,  prudemment,  temporisaient,  faisaient  la  part  du  passé  et  celle  du 
modernisme,  sacrifiaient  à  la  fois  aux  deux  divinités... 

L'imposante  manifestation  de  1900  restera  pour  l'orfèvrerie  française  une 
date  inoubliable,  car  jamais  peut-être,  à  aucune  époque,  elle  n'eut  à  subir 
épreuve  plus  périlleuse,  et  elle  se  tira  de  cette  épreuve  avec  un  incontestable 
bonheur.  Pour  la  première  fois,  elle  abandonnait  le  sillon  de  ses  séculaires 
conquêtes,  pour  s'aventurer  sur  de  nouvelles  pistes  où  elle  n'avait  pas  encore 
essayé  ses  forces  et  qui  étaient  semées  d'écueils,  sillonnées  de  fondrières,  avec 
des  ressources  encore  incomplètes,  une  connaissance  insuffisante  des  éléments 
qu'elle  allait  mettre  en  jeu.  Elle  a  montré  de  quel  goût,  de  quelle  mesure  discrète 
et  intelligente  elle  était  capable  dans  l'application  des  programmes  de  1'  «  art 
nouveau  ». 

Qu'allait  être  cette  Exposition?  Ainsi  que  je  l'ai  fait  au  courant  de  ce  livre 
pour  ti-acer  le  tableau  des  ell'orts  des  orfèvres  pour  relever  l'industrie  de  l'orfè- 


My  ÎVoUri  iiv.)iis  i'ni|inmlr  lus  ciliitioiis  pr6.  éilniL  à  un  article  de  M.  Viclûi'  Chauipicr  diius  la  lynw 
di:s  Afin  déciii/i/'s,  lomc  \VI,  piif^,'  (i. 


Oslcusoii-  tic  Sainl-Marliu  d'Aiiuiy. 
(  U  r/'è  l' r  a  rie  cl  '.  l  nnund- C;i  lliiil.  ) 


—  325  — 


vrerie  au  dix-neuvième  siècle,  en  empruntant  aux  rapports  écrits  à  la  suite  des 
différentes  expositions  les  appréciations  des  rapporteurs  sur  les  orfèvreries  qui  se 
sont  succédé  pendant  le  cours  du  dix-neuvième  siècle,  j'emprunterai  au  Rapport 
sur  l'Exposition  de  1900  les  notices  rédigées  par  M.  Armand-Calliat,  le  rapporteur 
nommé  par  le  Jury. 

Ce  rapport,  que  la  mort  de  l'auteur  laissait  inachevé,  j'ai  été  chargé  de  le  ter- 
miner. Je  l'ai  fait  avec  plaisir,  heureux  d'associer  mon  nom  à  celui  de  l'émineiU 
orfèvre  qu'était  M.  Armand-Calliat. 


M.  Armand-Calliat  et  fils,  à  Lyon.  —  En  me  plaçant  ici,  je  ne  suis  pas  l'ordre 
de  mérite  imposé  par  le  Jury,  mais  celui  que  m'assigne  le  rang  qui  m'est  échu 
parmi  les  membres  français  du  bureau. 
Aussi  bien,  aurais-je  voulu  faire  défaut, 
comme  on  dit  au  Palais,  tant  ma  tâche  est 
malaisée.  Lucien  Falize  a  connu  le  mêuie 
embarras  et  il  l'a  courageusement  franchi, 
sans  fausse  modestie,  parlant  de  ses  tra- 
vaux comme  s'il  s'était  agi  d'un  confrère, 
et  cependant  il  devait  être  encore  plus  gêné 
que  je  ne  le  suis,  car  il  était  l'auteur  des 
merveilles  qu'il  décrivait,  taudis  que,  depuis 
1890,  c'est  mon  fils  qui  a  la  plus  grande 
part  dans  la  direction  de  l'atelier,  et  que, 
pour  apprécier  ses  travaux,  je  n'ai  qu'à  me 
défendre  de  ma  faiblesse  paternelle. 

La  place  d'honneur  était  occupée  par 
l'ostensoir  de  Saint-Martin-d'Ainay,  carac- 
térisé par  sa  gloire  crucifère  surmontée 
d'une  couronne  carlovingienne,  ses  riticeaux 
ajourés,  ses  quatre  évangélistes  i-epoussés, 
sa  statuaire  aux  vêtements  émaillés  de  bro- 
deries; saint  Martin,  patron  de  la  paroisse, 
saint  Pothin,  saint  Irénée  et  sainte  Blaudine, 
les  saints  chers  à  l'Église  de  Lyon,  et  sainte 
Clotilde,  dont  le  souvenir  se  rattache  à  Ainay.  Avec  ses  émaux  de  tous  nuancés 
et  doux,  son  fût  de  ton  ivoire,  sa  joaillerie  discrète,  il  synthétisait  assez  bien  la 
manière  propre  de  l'atelier  et  les  éloges  ne  lui  ont  pas  manqué.  Il  reposait  sur  un 
thabor  de  marbre  rouge  antique  rehaussé  du  monogramme  du  Christ,  émaillé,  et 
de  quatre  lions  de  bronze  doré,  où  l'on  reconnaissait  les  profils  et  la  faune  de 
notre  ami  Charles  Lameire,  le  grand  peintre  décorateur  qui  s'appuie  comme 


IMai'leau  juljilaire  de  Sa  Sainteté  Léon  XII L 
{Orfèvrerie  d'Armand-Culliiit.) 


—  :m  — 


I^ierre  Bossan,  notre  maître,  sur  l'art  primitif  et  en  a  (if-duit  des  fXMjvres  puis- 
santes. 

Au  pied  de  ce  tliabor  s'étalaient  deux 
portes  de  taljernacle;  celle  de  Fourvières, 
exécutée  sur  les  beaux  dessins  de  M.  Sainte- 
Marie  Perrin,  architecte,  disciple  et  suc- 
cesseur de  Bossan  dans  la  construction  et 
la  décoration  de  la  basilique,  et  celle  qu'on 
nous  a  demandée  pour  une  chapelle  de 
couvent,  entièrement  repoussée,  person- 
nages et  ornements.  Près  de  ces  portes, 
c'étaient  les 
couronnes  de 
Notre-Dame  de 
Saint-Germain- 
des-Fossés  et 
de  Notre-Dame 
de  Bon-Se- 
cours, la  pre- 
mière enrichie 
de  sujets  re- 
poussés, la 
seconde  de 
champs  d'é- 
mail rose  sur 
lesquels  s'en- 
levaient des 
scènes  gra- 
vées. Devant 

elles,  le  marteau  jubilaire  de  S.  S.  Léon  XIII,  enlacé 
de  branches  d'olivier,  tout  paré  d'émaux.  Plus  près 
du  spectateur,  deux  crosses,  les  plus  précieuses  qui 
soient  sorties  de  nos  ateliers,  exprimant  toutes  deux 
la  victoire  du  Bien  sur  le  Mal  :  la  crosse  de  feu  le 
cai'diiial  Foulon,  dont  la  volute  est  formée  par  un 
dragon  exf)irant  sous  la  moi'sure  du  lion  de  Juda  qui 
a  obéi  au  signe  de  la  dextre  du  Christ,  assis  au  centre 
de  la  composition,  (îiitr(î  sa  mère  et  saint  Joseph  qui 
riinj)lor('nt  ;  la  crosse  de  Sohîsnu^s,  d'ivoire  in- 
crusté il'or  et  d'émaux,  portard  h;  Couronnement  de  la  Vierge  dans  sa  volute,  et, 


Crosse  du  cardinal  Foulon. 
{Orfèvrerie  d'Arinnnd-Callial.) 


(".rosse  (le  Solcsnu'S,  en 

incrusii'  d'oi'  (•(  d'émaux. 
[ilrl't'rrcric  d'A  rnuind-(':illi:il .) 


—  :ui  — 


appuyée  sur  sa  tige,  une  haute  statuette  de  saint  Michel  archange,  d'ivoire  aussi, 
ailé,  vêtu  et  casqué  d'argent  doré  et  émaillé,  ce  qui  achève  d'équilibrer  l'ivoire 
et  l'orfèvrerie. 

Et  puis,  c'était  notre  péché,  un  surtout  de  table  stupéfait  de  se  trouver  en  si 
dévote  compagnie.  Le  tentateur  —  il  m'a  permis  de  le  nommer —  ce  fut  M.  Edouard 
Aynard.  Libéral  impénitent,  il  nous  laissa  le  choix  du  sujet,  choix  plutôt  embar- 


Surloiit  de  lal)lc  exécute  pour  M.  Kd.  Aynard,  en  i<)00. 
(Orfèvrerie  d'A rmn nd-Cnllial. ) 

rassant.  La  politique?  sujet  indigeste  bon  pour  le  tapis  vert,  non  pour  la  nappe 
blanche  aux  chemins  fleuris;  mais  M.  Aynard,  conseiller  des  musées  nationaux, 
est  un  amateur  averti  qui  s'entoure  d'œuvres  d'art.  Voilà  le  sujet,  et  la  Curiosité, 
debout,  dominant  la  composition,  contemple  amoureusement  une  statuette 
de  Tanagra,  tandis  que  quatre  adolescents,  assis  sur 'la  margelle  du  surtout, 
peignent,  sculptent,  cisèlent  ou  modèlent.  De  la  nature  végétale,  de  la  flore,  rien 
que  quelques  brindilles  de  chêne  et  d'olivier.  Certes,  nous  l'aimons,  la  flore  : 
depuis  quarante  ans,  elle  entre  dans  nos  décors,  souveraine,  symbolique  et  parlante. 
Seulement,  s'il  est  une  pièce  de  table  qui  puisse  s'en  passer  c'est  bien  le  surtout 
qui  la  portera  vivante,  victorieuse  de  l'orfèvre  assez  imprudent  pour  placer  sa  copie 


-  :m  — 


si  près  du  modèle,  et  l'exclure  ici  c'est  éviter  à  la  fois  le  pléonasme  et  la  défaite. 
Il  n'y  avait  donc  qu'une  note  moderne  sur  le  surtout,  et  c'est  la  statuaire  qui 
la  donnait  :  la  Curiosité  pensive,  plus  encore  les  adolescents  aux  formes  graciles, 
à  l'expression  recueillie  ou  fi('vreuse,  qui  sont  de  notre  temps,  en  dépit  des  ailes 
minuscules  que  nous  leur  avons  données  à  l'exemple  de  ceux  de  M.  lioty,  puis- 
qu'ils figurent  les  génies  des  arts  que  le  surtout  veut  glorifier. 

MM.  Christofle  et  C'°.  —  Il  est  bien  loin  le  temps  où  la  maison  Christofle  sem- 
blait vouloir  borner  son  ambition  à  fabriquer  l'orfèvrerie  de  table  en  cuivre 
argenté  à  l'usage  des  hôtels,  des  restaurants  et  des  ménages  désireux  de  paraître 
sans  trop  dépenser.  Elle  y  ajouta  bientôt  une  ornementation  plus  épurée,  puis  de 
l'art,  même  un  art  très  noble  dans  le  service  monumental  dont  les  débris  retrou- 
vés dans  les  décombres  des  Tuileries  figuraient  à  l'Exposition  centennale,  rongés 
par  les  flammes,  superbes  encore  malgré  leurs  plaies.  On  a  dit  que  c'était  folie 
d'exécuter  dans  le  bronze  pareille  œuvre;  j'y  vois  plutôt  l'habileié  de  Charles 
Christofle  qui,  ayant  fondé  la  maison  pour  exploiter  les  procédés  de  Ruolz  et 
d'Elkington,  voulait  établir  l'imitation,  vaincre  cerlaines  hésitations  par  l'exemple 
de  l'Empereur  faisant  l'économie  de  la  matière  au  profit  de  la  façon,  et  donner 
ainsi  tout  son  développement  à  l'industrie  qu'il  avait  créée. 

Ce  grand  autoritaire  avait  réalisé  son  dessein  :  s'emparer  de  toutes  les 
branches  de  l'orfèvrerie  se  justifiant  mutuellement,  et  —  gageure  qu'il  devait 
perdre  et  qu'il  a  gagnée  —  acclimater  l'art  dans  l'usine.  Et  cette  organisation 
puissante  a  pu  tout  embrasser  et  bien  étreindre,  avec  lui,  après  lui,  sous  l'impul- 
sion des  directeurs  qui  lui  ont  succédé,  son  fils  et  son  neveu,  MM.  Paul  Christofle 
et  Henri  Bouilhet,  son  petit-fils  et  son  petit-neveu,  MM.  de  Ribes-Christofle  et 
André  Bouilhet. 

C'est  ainsi  que  la  maison  Christofle  et  C'°  se  présenta  l'an  dernier,  forte  de 
l'acquis  des  années  écoulées,  et  de  ses  conquêtes  d'art  nouveau,  car  elle  multi- 
plie ses  sujets  de  fabrication  et  n'en  abandonne  aucun.  Et  si  nombreuses  étaient 
les  pièces  qu'elle  avait  réunies,  que  je  serai  forcé  de  choisir  parmi  celles  que  je 
voudrais  décrire,  tout  au  moins  désigner  par  leurs  caractéristiques. 

Je  vais  droit  aux  compositions  d'art  nouveau  suggérées  par  l'esthétique  que 
Lucien  Falize  définissait  si  bien  quelques  années  avant  sa  mort,  où  la  forme  quel- 
quefois, la  décoration  toujours,  procèdent  de  la  nature  prise  sur  le  vif.  Nul  ne 
s'(!n  est  mieux  pénétré  que  M.  Joindy  dans  les  douze  plats  de  modèles  variés,  à 
bordures  de  légumes,  à  têtes  de  béliers  et  de  sangliers,  à  raies  et  cabillauds,  mar- 
quant la  (histination  de  ces  pièces  de  formes  un  peu  hésitantes,  neuves  tout  de 
inênuï,  tant  rinv(!iition  y  est  apparente;  dans  les  deux  casseroles  dont  l'artichaut 
d'Espagne  a  fourni  le  galbe,  et  les  deux  saucières,  modestes  concombres  asservis 
s:ms  vi()l('iic(!  à  c(!l  office.  Son  sci'vice  de  table  comprenant  cinq  pièces,  pièce  de 


329 


331 


333 


Prix  iriioiinevir  des  Bandes  tie  nioutous  et  de  bœufs. 
Deux  casseroles  à  couvercle  exécutées  pour  le  Ministère  de  l'Agriculture. 

[Modèles  de  L.  Mullel.  —  Orfèvrerie  de  Chrislufle.) 


milieu,  pièce  de  bout  et  candélabres  électriques  à  branches  recourbées  en  ovale, 
moins  familières,  ornées  de  fleurs  en  haut  relief,  et  un  surtout  à  plateau,  avec  jar- 
dinière à  galerie  où  l'on  retrouvailles  légumes  spirituellement  disposés,  complé- 
taient cette  série  vraiment  moderne  et  digne  de  ce  sculpteur  qui  a  tant  et  si  bien 
travaillé  pour  l'orfèvrerie. 

Un  autre  groupe  captivait  l'attention  du  visiteur,  celui  formé  de  trente-sept 
pièces  de  M.  Arnoux,  le  jeune  sculpteur  que  MxM.  Christofle  ont  su  s'attacher,  le 
chef  de  leur  atelier  d'art  moderne,  qui  compose  et  modèle,  sous  l'inspiration  per- 
manente de  MM.  Henri  et  André 
Bouilhet,  plus  particulièrement 
chargés  de  la  direction  artistique. 
Un  vase  décoratif  en  argent  cu- 
rieusement patiné,  sur  un  socle  de 
spath  fluor,  le  dominait  de  ses 
l'",20.  Poème  :  la  flore  des  champs 
et  des  jardins  de  France.  La  fleur 
des  prés  et  des  haies  s'épanouis- 
sait à  la  base,  simple  et  charmante; 
au-dessus,  orgueilleuse,  la  fleur 
cultivée.  Beaucoup  de  goût,  un  pro- 
fil très  pur,  point  de  surcharge,  un 
modelé  très  souple,  et  pourtant  je 
ne  jurerais  pas  que  ce  grand  vase 
l'emporte  sur  d'autres  de  la  même 
main,  moins  imposants,  par  exemple 
les  vases  aux  pavots,  aux  pensées, 
et  le  vase  aux  iris,  délicieux  entre 
tous.  Le  cantique  de  la  flore,  tout 
ce  groupe  le  chantait,  et  les  quatre 
assiettes  à  fleurs  où  les  groupes 
s'enlacent  dans  les  lignes  architec- 
turales, symbolisant  les  saisons  : 
les  violettes  pour  le  printemps,  les 
pavots  pour  l'été,  les  chrysan- 
thèmes pour  l'automne,  les  roses 
de  Noël  pour  l'hiver,  et  le  service  aux  pivoines;  jusqu'à  une  lampe  à  pétrole 
d'un  décor  imprévu,  sans  parler  des  coupes,  des  bols,  des  jardinières  fleuries 
à  souhait. 

Et  ce  n'était  pas  tout  l'art  nouveau  de  cette  merveiUeuse  exposition,  nombre 
d'objets  étaient  assez  dégagés  des  vieilles  formules  pour  lui  être  attribués.  Je 


Fontaine  à  thé  en  argent  repoussé,  décorée  de  feuilles 
de  platane. 

[Modèle  de  Mallet.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.) 


-  ;):{()  — 


citerai  parmi  coiix-là  le  liu'  aux  [)la(aiies  du  sculpteur  l/'on  Mallet,,  notamment,  la 
fontaine  qui  est  un  pur  clief-d'(ji3uvre,  en  argent  doré  vert  et  patiné. 

J'arrive  à  l'œuvre  capitale  de  la  vitrine  :  le  grand  surtout  en  argent,  l'Air  et 
l'Eau,  composé  et  modelé  par  M.  Uozet,  statuaire,  que  MM.  Cliristofle  décrivaient 
ainsi  : 

«  La  bordure  est  en  forme  de  flots  roulant  des  poissons  et  des  coquillages.  Des 
figures  dont  les  extrémités  inférieures  sont  plongées  dans  les  eaux  symbolisent 


Pri.v  (-1rs  Ci>iu-(]urs  régionaux  agric(-iles. 
Soupière  :  La  Soupe  aux  choux,  à  grifl'es  cl  anses  pied  de  céleri  el  boulon  cliou-fleur. 
Exécutée  pour  le  Ministère  de  l'Agricullure. 

(Modèle  de  L.  Mallel.  —  Orfèvrerie  de  Chrisiofle.) 


les  quatre  continents  baignés  par  les  océans.  Elles  portent  des  coquillages  lumi- 
neux en  cristal  opalin  et  mordoré.  De  la  bordure,  les  flots  se  soulèvent  en  une 
vague  lumineuse  dont  la  crête  se  brise  en  écume  et  donne  naissance  à  un  nuage 
figuré  par  un  bloc  de  cristal  opalin  d'où  émerge  une  figure  d'ivoire  tenant  un 
rameau  fleuri.  C'est  Flore  qui  personnifie  la  vie  végétale  à  la  surface  du  globe. 
Mystérieuse,  fé(;onde,  calme  ou  terrible,  la  Mer  est  l'image  grandiose  du  mouve- 
ment qui  ne  s'arrête  pas,  de  la  vie  cpii  ne  finit  pas.  L'Air,  à  sa  surface,  aspire  et 
purifie  l'Eau,  qui,  sous  forme  de  image,  va  porter  sur  les  continents  les  rosées 
bienfaisantes.  Neige  sur  les  montagnes,  pluie  dans  les  vallées,  l'Eau  alimente  les 
lacs,  les  rivières  et  l(!S  fleuves,  et  r-elourne  à  la  Mer,  source  intarissable  de  toute 
vitalité.  » 


337 


Motif  ceiilral  tlii  surUiul  :  <■  1,'Aii'  el  l'Eau 
((  I^a  Flore  ».  slaLuettc  en  ivoire. 

{Modèle  de  li.  Rnzel.      ( )rfèvv('rip  de  (Uiristofle 


2. 


Services  à  cale  en  ari^'enl  repousse. 
N"  1.  Décor  do  feuilles  d'eucalyptus.  —  N"  2.  Décor  de  branches  d'olivier. 

{Dessins  de  II.  Godin.  —  Scnlpliire  dz  L.  Mallel.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


—  343  — 


La  description  est  éloquente,  l'œuvre  ne  l'est  pas  moins.  C'est,  assurément,  la 
conception  d'un  savant  et  d'un  poète,  réalisée  autant  qu'elle  pouvait  l'être  par 
l'orfèvre,  avec  un  art  supérieur,  dans  cette  forme  allongée  et  basse  qui  prévaut 
aujourd'hui.  Peut-être  les  cristaux  envahissent-ils  un  peu  trop  la  composition  aux 
dépens  de  l'orfèvrerie  proprement  dite;  j'aurais  aussi  souhaité  une  note  d'or  sur 
l'ivoire  de  Flore  qui  détonne  légèrement  dans  l'ensemble  faute  de  ce  rappel, 
impressions  fugitives  que  la  réflexion  atténue  bientôt,  l'emploi  du  cristal  étant  jus- 
tifié par  l'effet  voulu,  et  celui  des  voiles,  pour  la  déesse,  à  tout  le  moins  discu- 
table. Que  les  heureux  convives  qui  contempleront  ce  surtout  en  saisissent  de 


Service  à  café  en  argent  repoussé,  décoré  de  branches  de  pin. 
[Dessin  de  H.  Godin.  —  Sculpture  de  L.  Mallet.  —  Orfèvrerie  de  Christope.) 


suite  toutes  les  abstractions,  ce  n'est  pas  certain;  mais  il  fera  penser,  et  c'est  un 
sujet  de  conversation  qui  en  vaut  bien  un  autre.  Les  initiés  auront  vite  fait  de 
l'expHquer,  et  ceux-là  même  qui  ne  sauront  pas  seront  ravis  de  sa  splen- 
deur, de  ses  méandres  que  la  lumière  électrique  irise  si  mystérieusement,  de  sa 
statuaire  si  magistrale,  et,  dédaigneux  de  mes  subtilités,  ils  admireront  sans 
réserves  l'ivoire  immaculé  de  la  Flore  triomphante,  la  Muse  de  ce  délicieux 
poème. 

On  voit  quelle  part  prépondérante  MM.  Christofle  avaient  faite  à  l'art  nouveau, 
ou,  comme  ils  disent,  au  rajeunissement  des  styles  français. 

Trois  services  à  café  et  à  thé,  empruntant  leur  forme  ou  leur  décor  aux  fleurs, 
aux  fruits  ou  légumes,  complétaient  cet  ensemble. 


—  3/(4  — 


MM.  BoiN  et  Hrnry,  orfèvres.  —  Président  des  Comités  d'admission  et  d'ins- 
tallation de  la  classe  94,  M.  Georges  Boin  était  le  président  désigné  de  notre  Jury, 
assuré  de  son  élection  en  vertu  de  tous  les  précédents.  Il  a  préféré  briguer  le 
grand  prix,  mettant  cette  récompense  au-dessus  de  riionncMjr  de  juger  ses  con- 
frères et  de  diriger  nos  délibérations.  8a  légitime  ambition  n'a  pas  été  défue  :  le 
premier  grand  prix  lui  a  été  décerné  et  il  le  méritait  par  l'importance  de  ses  tra- 
vaux, par  la  belle  ardeur  avec  laquelle  il  s'est  jeté  dans  la  mêlée,  dépensant  sans 
compter  pour  réaliser  ses  idées,  pour  ajouter  à  l'éclat  de  notre  exposition,  qui 
lui  devait  déjà  d'avoir  atténué,  dans  la  mesure  possible,  les  défectuosités  de  l'em- 
placement qui  nous  était  échu. 


Service  à  thé  en  argent  repoussé,  décoré  de  branches  de  céleri. 
(Dessin  de  II.  Godin.  —  Sculpture  de  L.  Mnllet.  —  Orfèvrerie  de  Clirislnfle.) 

11  a  bien  fallu  tout  cela  pour  lui  concilier  les  votes  de  ceux  qui  regrettaient  de 
ne  pas  voir  chez  lui  le  moindre  effort  pour  accélérer  le  mouvement  qui  nous 
entraîne  loin  des  chemins  battus.  Avant  d'être  le  brillant  orfèvre  que  nous  con- 
naissons, il  était  l'antiquaire  émérite,  épris  des  styles  du  dix-huitième  siècle,  et  il 
l'est  resté,  résolument,  réfractaire  à  toute  évolution  vers  un  art  portant  l'em- 
preinte irré(;usable  de  notre  temps;  et  il  paraîtra  paradoxal  que,  dans  une  exposi- 
tion oîi  l'art  nouveau  comptait  tant  d'œuvres  suggestives,  la  récompense  suprême 
soit  allée  au  plus  intransigeant  des  disciples  des  vieux  maîtres.  A  vrai  dire,  la  plu- 
I)art  des  orfèvres  novateurs  étant  hors  concours,  la  question  de  primauté  ne  se 
posait  pas  entre  les  deux  écoles  :  dès  lors,  il  était  difficile  de  résister  à  la  séduc- 
tion de  son  grand  surtout,  qui  n'est  point  un  pastiche,  mais  une  véritable  créa- 
tion qui  ne  le  cèd(!  en  rien  à  ce  ([ue  les  Meissonnier,  les  Germain,  les  lioettiers 
imposent  à  notre  admiration. 

Cette  pièc(!  maîtresses  comprcîtid  le  surtout  proprement  dit,  les  bouts  de  table, 


34o 


—  347  — 


six  groupes  de  lumières,  huit  assiettes  et  compotiers  en  cristal  de  roche  reposant 
sur  des  pieds  en  argent  doré. 

Le  surtout  est  un  plateau  en  glace  bordé  de  balustres  en  vermeil.  Au  centre 
s'élève  un  temple  à  colonnes  où  s'abritent  quatre  groupes  d'enfants,  petits 
pêcheurs,  petits  chasseurs,  modelés  dans  le  goût  des  marmousets  de  Versailles, 
charmants  en  leurs  attitudes  variées  d'un  naturel  parfait  et  d'une  grâce  exquise  : 
c'est  le  sujet,  un  peu  perdu  dans  l'amplitude  architecturale  de  la  composition, 
tout  de  même  intéressant.  Le  décor  est  splendide  :  les  colonnes,  les  vases,  les 


Grand  vase  en  marbre  blanc. 
{Modèle  de  Messncfer.  —  Monture  en  vermeil,  jjur  E.  Fromeni-Meurice.) 


panneaux  sont  en  agate  orientale  rubannée,  rehaussée  d'ornements  d'argent  doré 
délicatement  ciselés,  et  l'harmonie  des  ors  et  des  pierres,  très  calme,  imprime  à 
cette  richesse  une  distinction  incomparable. 

Par  son  plan  général  et  le  parti  tiré  des  documents  anciens,  ce  surtout  imaginé 
sous  l'angle  du  dix-huitième  siècle  ne  lui  doit  guère  que  son  esthétique  et  garde 
en  son  respect  pour  elle  une  incontestable  originalité  :  les  orfèvres  avec  lesquels 
M.  Boin  s'est  mesuré  auraient  pu  le  faire,  ils  ne  l'ont  pas  fait. 

Il  en  va  tout  autrement  du  service  à  thé,  reproduction  trop  fidèle  de  celui  que 
François-Thomas  Germain  exécuta  pour  la  cour  de  Portugal.  De  la  fontaine,  de  la 
cafetière,  du  sucrier,  du  pot  à  crème  et  du  plateau  qui  les  porte,  le  jury  n'a  retenu 
que  la  facture  au  moins  égale  à  celle  de  l'original;  les  mascarons  portant  des 
ornements  et  des  draperies  fondus  rapportés  sur  les  pièces  faites  au  marteau 


—  — 


appartiennent  au  fils  du  grand  Thomas  Ocrmain,  et  aussi  je  r)e  sais  quelle  velléité 
d"art  nouveau,  unique  dans  son  œuvre,  qui  réjouissait  fort  M.  J>oin,  bien  près  de 
ne  voir  que  des  réminiscences  dans  les  conquêtes  modernes,  —  en  quoi  il  se 
trompait. 

L'exposition  de  la  maison  Froment-Meurice  avait  sa  marque  bien  spéciale 
et  bien  personnelle,  et,  malgré  les  progrès  accomplis,  on  sentait  les  origines  et 
la  tradition  maintenues,  et  on  s'inclinait  avec  respect  devant  le  culte  pour  un 
passé  glorieux  qui  remonte  à  plus  de  cent  ans. 

Ainsi  que  dans  ses  précédentes  manifestations,  la  maison  Froment-Meurice  a 
produit  de  préférence  des  ouvrages  où,  à  l'argent  et  au  vermeil,  viennent  s'asso- 
cier d'autres  matières  précieuses.  La  pièce  principale  est  conçue  dans  cette  don- 
née :  un  seau  de  marbre  blanc  à  cannelures  profondes  est  ceint  d'une  moulure 
de  vermeil  à  laquelle  s'agrafent  des  anses  puissantes  qui  se  relient  à  la  bordure 
ciselée.  André  Messager  a  donné  le  modèle  de  ce  vase  dans  le  style  Régence  qui 
lui  est  cher,  mais  qui  reste  dans  une  note  plus  sobre  que  les  compositions  fas- 
tueuses des  dernières  années  de  cet  artiste.  Ce  seau  orne  un  des  salons  du  châ- 
teau de  Laeken,  en  Belgique. 

Le  marbre  blanc,  évidé  très  mince,  entre  aussi  pour  une  importante  part  dans 
l'effet  décoratif  d'un  petit  surtout  de  table  de  vermeil,  de  forme  basse,  à  coupe 
ovale,  porté  par  des  cygnes;  l'ornementation,  dans  le  style  du  premier  Empire, 
en  est  richement  brodée.  A  ce  morceau  central  se  rattache  une  suite  de  deux 
candélabres  élevés,  dont  le  bouquet  est  formé  par  une  série  de  lumières  bordant 
une  coupe  de  marbre,  dont  un  paon  faisant  la  roue  forme  le  couronnement;  deux 
flambeaux  à  trois  branches  et  deux  cassolettes  posées  sur  des  trépieds  l'accom- 
pagnent. Les  mêmes  matières  ont  concouru  à  la  construction  de  cet  ensemble; 
les  mêmes  ornementations  le  parent;  un  même  artiste,  Arbant,  venait  d'en  dessi- 
ner et  les  lignes  et  les  détails,  lorsqu'il  a  disparu  à  la  fleur  de  l'âge.  M.  Merlin  a 
dû  être  chargé  des  dernières  appropriations. 

C'est  une  autre  matière,  également  dans  les  teintes  blanches,  l'ivoire,  qui,  en 
colonnettes  élégantes,  supporte  la  table-pupitre  de  vermeil,  oflèrte  à  la  reine  de 
Roumanie  à  l'occasion  de  ses  noces  d'argent  par  les  dames  roumaines  :  vingt- 
cinq  épis  blancs,  des  guirlandes  d'aubépine  pourpre  forment  avec  des  motifs 
émaillés,  écussons,  couronnes  et  monogrammes  de  Carmen  Sylva,  la  parure  de  ce 
petit  meuble  qui  fut  dessiné  par  Adolphe  Giraldon. 

A  un  autre  artiste  qui  a  traversé  pendant  plusieurs  années  la  parfaite  école  de 
la  maison  Christolle,  S.  Waret,  est  due  la  composition  d'un  autre  travail  qui  ne 
maiu|ue  pas  de  cliarm(i  :  une  précieuse  relique  de  sainte  Clotilde  était  conservée 
à  la  basili(pie  de  ce  nom  en  un  reliquaire  de  peu  de  valeur.  M.  l'abbé  Cardey, 
vicaire  général  du  diocèse  de  Paris  et  curé  de  cette  église,  aidé  par  les  libéralités 
de  ses  paroissiens,  à  l'occasion  du  millième  aiinivorsaire  du  baptême  de  Clovis, 


—  349  — 


résolut  d'installer  la  relique  de  la  sainte  dans  un  reliquaire  plus  somptueux  et 
compris  de  façon  à  pouvoir,  à  certains  jours  de  fête,  être  porté  processionnelle- 
ment  dans  l'église.  Le  dessin  fut  demandé  à  M.  S.  Waret,  qui  le  composa  avec  ce 
sentiment  de  l'harmonie  des  lignes  et  ce  souci  de  la  distinction  dans  le  détail  qui 
caractérisent  son  talent.  Ses  statuettes  de  sainte  Clotilde,  saint  Rémy,  sainte 


Vase  Cl  \'igiie  »,  à  grappes  d'amclhyslc. 
[Orfèvrerie  de  Fromenl-Meurice.) 


Geneviève,  sculptées  dans  l'ivoire,  ornent  le  tympan  de  l'édicule;  au  nœud,  le 
baptême  de  Clovis  ciselé  en  or  sur  champ  d'émail  rouge  rubis.  Une  imbrication  de 
topazes  et  améthystes  alternées  décore  la  toiture  du  ciborium  sous  lequel  est  sus- 
pendue la  petite  châsse  de  cristal  de  roche  enrichie  de  diamants  et  d'émeraudes. 

Bien  qu'appartenant  à  l'orfèvrerie  religieuse,  cette  pièce  n'en  est  pas  moins 
de  l'art  le  plus  élevé  et  fait  bonne  figure  à  côté  des  pièces  d'orfèvrerie  profane 
qui  continuaient  les  traditions  séculaires  de  sa  maison. 


Un  vase  d'orfèvrerie,  la  Vù/ne^  dont  la  forme  simple  rappelle  le  souvenir  d(!S 
vases  antiques  des  trésors  d'Iiildeslieim  et  de  Bosco  lieale,  est  d'une  belle  exé- 
cution. Deux  anses  servant  de  départ  à  des  sarments  et  des  feuilles  de  vigne 
s'entrelacent  et  forment  une  collerette  d'oii  s'échappent,  par  une  audace  heu- 
reuse, des  grappes  de  raisin  en  rubis  cabochons  sertis  dans  des  vrilles  d'argent. 
La  note  moderne  de  cette  décoration  est  une  tentative  digne  du  goût  de  son 
auteur. 

Nous  croyons  avoir  assez  dit  sur  les  qualités  des  ouvrages  qui  sortent  des 
mains  de  M.  Froment-Meurice  pour  en  faire  comprendre  la  valeur,  et,  malgré  le 
reproche  d'immobilité  qu'on  lui  a  adressé,  nous  devons  lui  savoir  gré  de  cette 
fidélité  aux  traditions  paternelles,  la  fidélité  de  sa  clientèle  l'en  a  récompensé;  et 
ce  n'est  pas  un  faible  mérite  d'avoir  su  être  habile  et  toujours  égal  à  lui-même, 
dans  un  art  où  son  père  avait  laissé  une  trace  assez  profonde  pour  que  la  renom- 
mée l'ait  baptisé  de  son  vivant  du  nom  retentissant  de  l'Orfèvre  florentin  du  sei- 
zième siècle. 

M.  Aucoc  (André),  orfèvre.  — C'est  aussi  l'influence  du  dix-huitième  siècle  qui 
domine  dans  l'exposition  de  M,  Aucoc:  imitations  correctes  de  modèles  bien  choisis 
ou  conçus  avec  une  indépendance  qui  comporte  une  invention  appréciable.  Parmi 
les  pièces  où  son  imagination  s'affirme,  la  plus  intéressante  est,  sans  contredit, 
le  surtout-testimonial,  de  style  Louis  XVI,  que  les  enfants  du  grand-duc  Wladimir 
Alexandrowitz  et  de  M'"'  la  grande-duchesse  Marie-Pauline  leur  ont  offert  à  l'occasion 
du  23°  anniversaire  de  leur  mariage.  Le  sujet  est  charmant,  charmante  composition  : 
vingt-cinq  Amours  dansent  une  farandole  sur  un  plateau  en  glace  autour  du  temple 
de  l'Amour,  dont  les  colonnes  sont  supportées  par  quatre  figures  allégoriques 
représentant  les  quatre  donateurs.  L'architecture  et  la  galerie  du  plateau  sont  en 
argent  enguirlandé  de  fleurs  et  de  feuillages  en  vermeil,  modelés  à  ravir  par 
M.  Daragnon.  La  statuaire,  très  souple,  est  de  M.  Moreau  ;  MM.  Brard  etBeaulieu 
ont  ciselé  tout  cela  en  perfection.  Cette  brève  description  ne  saurait  donner  une 
idée  exacte  du  petit  poème  conjugal  que  M.  Aucoc  a  créé,  interprète  ingénieux 
de  la  piété  filiale  qui  l'a  inspiré.  Du  Louis  XVI,  oui,  un  peu  frivole,  un  peu  païen, 
mais  sentimental  sans  fadeur  et  doucement  attendri. 

Je  préfère,  et  de  beaucoup,  la  coupe  dite  Bratina,  offerte  au  régiment  de  la 
garde  à  cheval  par  S.  A.  Impériale  le  grand-duc  Paul  Alexandrowich.  Il  est  vrai 
(|u'elle  est  la  reproduction  de  l'estampe  la  Nef  du  Roy,  par  Meissonnier.  Oii  la  per- 
sonnalité de  M.  Aucoc  reparaît,  c'est  dans  le  plateau  de  cette  coupe  digne  de  la 
f)()rl,ci'  et  dont  le  dessin  n'existait  pas,  parties  repoussées,  parties  fondues,  —  les 
moindres.  Superbes  assurément,  la  coupe  et  le  plateau;  mais  ce  n'est  pas  seule- 
ment ce  plateau  qu'il  aurait  fallu  créer,  c'est  la  coupe,  etle  sujetpouvait  inspirerun 
chef-d'œuvre  absolument  original.  M.  Lalique,  qui  pousse  de  temps  en  temps  une 


351 


—  353  — 


pointe  dans  l'orfèvrerie,  a  montré  ce  que  peut  être  un  bol  à  punch  imaginé  sous 
les  impressions  nouvelles,  et  M.  Aucoc  n'aurait  pas  mieux  demandé  que  d'entendre 
le  sien  à  sa  guise;  mais  l'estampe  de  Meissonnier  avait  séduit  Son  Altesse,  elle 
l'a  imposée  et  cela  arrive  fréquemment,  ce  qui  explique  la  rareté  des  œuvres 
d'art  nouveau  chez  nombre  de  nos  confrères.  C'est  la  clientèle  qui  résiste,  eux, 
non  pas  ! 

Pourtant,  si  les  choses  d'art  ancien  abondent  dans  sa  vitrine,  ce  n'est  pas  que 
M.  Aucoc  répugne  à  l'art  nouveau.  De  fort  jolis  couverts,  un  encrier,  un  bougeoir, 
la  coupe  de  cristal  de  roche  montée  en  vermeil  pour  un  prix  de  course  de  yachts 


Coupe  dilc  «  La  Bi*aLina  ». 
(Orfèvrerie  d'Aucoc.) 


à  vapeur  (la  victoire  de  l'hélice  sur  la  voile)  en  sont  suffisamment  imprégnés  pour 
s'en  réclamer,  et  le  service  à  thé,  en  or,  décoré  de  fleurs  grimpantes,  lui  appartient 
tout  à  fait  ;  et  j'en  dirai  autant  du  vase  aux  iris,  toutefois  nouveau  sans  grande 
originalité.  Enfin,  il  n'a  pas  reculé  devant  la  collaboration  de  M.  Wallgren,  sculpteur 
de  talent,  un  de  nos  novateurs  les  plus  hardis,  qui  lui  a  modelé  trois  coupes,  l'une 
de  forme  ronde,  les  autres  ovales,  dont  l'ornementation  était  empruntée  à  la  flore 
des  champs:  coquelicots,  liserons  et  bleuets,  et  la  statuaire  —  des  femmes  fleurs  — 
à  la  mythologie  ultra-moderne.  Ces  figures  étranges,  ces  trois  coupes  isolées  qui 
veulent  être  un  surtout  et  n'y  parviennent  pas,  voilà,  je  l'avoue,  une.  conception  de 
l'orfèvrerie  de  table  qui  m'effraie  un  peu  ;  je  n'irais  pas  si  loin  dans  la  nouveauté 
et  je  crois  que,  par  tempérament,  par  éducation,  M.  Aucoc  se  rattachera  plus 
volontiei's  à  l'école  de  Lucien  Falize,  qui  triomphait  chez  MM.  Ghristofïe. 

14 


—  ;î.-)i  — 


M.  PoussiELGUE-HusANi),  orfcvrc  el  bronzicr.  —  En  1889,  à  la  veille  da  sa  mort, 
M.  Placide  Poussielgiic-Rusaiid  exposait  encore,  et,  en  qualité  de  Président  du 
Jury,  il  donnait  à  ses  collègues  et  à  ses  confrères  une  preuve  de  son  activité  et 
de  son  expérience  professionnelle. 

Les  récompenses  ne  lui  ont  pas  manqué  :  médailles  et  décorations  ;  il  est  mort 
officier  de  la  Légion  d'honneur,  mais,  ce  qui  vaut  encore  mieux,  en  laissant  à  ses 
enfants  une  maison  constituée  sur  des  bases  solides,  une  collection  de  modèles 
incomparable,  un  personnel  éprouvé  et  un  exemple  à  suivre. 

Cet  exemple,  son  fds,  M.  Maurice  Poussielgue,  l'a  suivi.  Associé  à  ses  travaux 
depuis  1885,  il  succédait  à  son  père  en  1889  et  prenait  d'une  main  ferme 
la  direction  de  la  maison. 

Après  s'être  essayé  à  l'Exposition  de  Bruxelles  en  1897,  où  il  obtenait  deux 
grands  prix,  il  prenait  part  à  l'Exposition  de  1900  où  il  exposait  dans  deux  Classes  : 
la  Classe  66  {décoration  des  édifices)  et  la  Classe  94  (orfèvrerie). 

L'autel  en  grès  et  bronze,  exécuté  d'après  le  dessin  de  l'éminent  architecte, 
M.  Genuys,  sous-directeur  de  l'École  des  Arts  décoratifs,  à  Paris,  dénotait  une 
recherche  de  nouveauté  intéressante  ;  nouveau  par  la  matière,  le  grès,  aux  tons 
bleu  verdâtre  d'une  douceur  infinie  ;  nouveau  par  la  décoration  en  bronze  doré 
empruntant  une  saveur  nouvelle  aux  végétations  traditionnelles,  interprétées  avec 
une  liberté  affranchie  des  formules  routinières,  cet  autel  a  conquis  tous  les  suffrages 
des  gens  de  goût  et  méritait  bien  à  son  auteur  le  grand  prix  que  le  Jury  de  la 
Classe  66  lui  décernait. 

Dans  la  Classe  de  l'orfèvrerie,  l'Exposition  de  AI.  Maurice  Poussielgue  était 
des  plus  importantes.  Tout  en  suivant  la  voie  tracée  par  son  père  pour  la  créa- 
tion des  pièces  dans  lesquelles  le  caractère  des  œuvres  du  moyen  âge,  remis 
en  honneur  par  les  architectes  diocésains,  avait  trouvé  en  lui  le  plus  habile 
des  interprètes,  M.  Poussielgue  avait  voulu  faire  œuvre  personnelle,  en  don- 
nant une  inspiration  plus  moderne  au  mobilier  de  l'église,  tout  en  conservant 
l'expression  chrétienne  des  symboles  du  culte  dont  la  subtilité  lui  était  fami- 
lière. 

Parmi  les  grandes  pièces  monumentales  qui  formaient  le  fond  de  l'exposition, 
le  mobilier  de  la  chapelle  commémorative  de  la  rueJean-Goujon  attirait  les  regards. 
Qui  ne  se  souvient  du  terrible  incendie  qui,  en  un  après-midi,  sema  des  deuils 
si  nombreux  dans  l'élite  de  la  société  parisienne?  Les  grandes  catastrophes  pro- 
^  duisent  les  grands  élans  du  cœur.  Les  dons  arrivèrent  à  l'envi  ;  une  chapelle 
expiatoire  fut  construite,  et  M.  Poussielgue  en  fit  le  mobilier. 

Ca',  mobilier  de  style  Louis  XVI,  avec  une  grande  liberté  d'interprétation,  était 
nîprésenté  par  le  maître-autel  en  mi\v])ve  paomiazo  ton  ivoire,  orné  de  nombreux 
bronzes  finement  ciselés  ;  des  chandeliers  dans  le  goût  de  Delafosse  et  d'un  beau 
caractère;  la  croix,  belle  dans  sa  sim|)licité  ;  les  urnes  et  les  deux  grilles  d'une 


Aulcl  eu  yi'ès  et  hron/.e  doré. 
[Arcliilecle  (leniii/s.  —  Orfècrcrie  de  Puiissiel(i ue. 


—  ;3o7  — 


délicatesse  très  grande,  qui  l'accompagnaient  de  chaque  côté,  forment  un  en- 
semble remarquable  au  point  de 
vue  architectural. 

Mais  plus  moderne  était  la  série 
des  pièces  procédant  d'une  inspira- 
tion personnelle  du  jeune  orfèvre. 

Rompant  tout  à  fait  avec  les  tra- 
ditions, il  s'est  essayé  de  rajeunir 
le  décor  des  vases  sacrés  par  une 
interprétation  directe  de  la  nature. 
Quoi  de  plus  charmant  et  de  plus 
ingénieux  que  le  calice  dont  la 
forme  emprunte  au  lis,  symbole 
de  la  pureté,  sa  construction  et  son 


Calice  aux  Iris. 
{Modèle  de  Lelièvre.  —  Orfèvrerie  de  Poiissielçjne.) 

décor;  à  la  base,  les  racines  s'épanouissent  et 
laissent  monter  la  tige  qui  forme  le  fût,  et  la 
fleur  se  développe  en  enserrant  la  coupe  tra- 
ditionnelle de  ses  pétales  et  de  ses  étamines. 
Le  modèle  en  avait  été  exécuté  par  un  artiste 
de  talent,  M.  Lelièvre.  Le  musée  des  Arts  déco- 
ratifs l'a  jugé  digne  d'entrer  dans  sa  collection. 

Un  autre  calice,  plus  robuste  et  plus  grave, 
faisait  une  opposition  heureuse.  Les  sarments 
noueux  de  la  vigne  forment  la  tige  ;  les  feuilles 
et  les  fruits  entourent  la  coupe.  Entre  les 
branches  de  vigne  apparaissent  des  émaux 
qui  représentent  les  sacrements.  Exécuté  en 
fondu,  il  est  ciselé  si  amoureusement  qu'il 
rappelle  les  travaux  de  ciselure  repoussée. 


Crosse  épiscopalo  eu  lîois,  mouture 
en  aruenl. 


[Orfèvrerie  de  Poiissielgiie.) 

Remarquable  aussi,  et  neuve  pur  l'emploi  de  la  matière  et  par  le  décor,  est  la 


crosse  (l'cvè([uc  oxûcuLôc  en  bois,  dont  les  nervures  soiiL  enserrées  dans  une 
ornementalion  d'argent  fondu  d'oii  s'échappe,  au  sonnnet,  une  lleur  d'émail 
translucide  aux  rellets  adoucis.  Les  élémcnis  d(''Coratirs  en  sont  symboliques  : 
le  chardon,  le  laurier,  la  passiflore  confondent  leui-s  lignes  harmonieuses  autour 
de  l'âme  en  bois  de  la  crosse  sacerdotale. 

La  séi'ic  des  pièces  modernes  se  complétait  par  deux  veilleuses  en  bronze  doré, 
au  feuillage  nerveux  servant  de  support  à  des  cristaux  opalins.  Des  Ijurettes  en 
cristal  fume  et  des  vases  h  fleurs  ajoutaient  à  la  nouveauté  et  à  l'intérêt  de 
cette  tentative  très  réussie  d'art  moderne. 

MM.  Falizl;  frères,  orfèvres-joailliers.  —  La  moi't  si  imprévue  de  Lucien 
Falize  laissait  à  l'iinproviste  ses  trois  fils  à  la  tête  d'une  maison  importante, 
mais  lourde  à  conduire.  Combien  ont-ils  dû  bénir  la  mémoire  du  père  prévoyant 
qui  les  avait  si  bien  armés  pour  la  lutte. 

André  Falize,  qui  était  déjà  depuis  trois  ans  dans  l'atelier  associé  aux  travaux 
de  son  père,  et  ses  deux  frères,  Jean  et  Pierre,  dont  l'un  sortait  de  l'École  com- 
merciale et  l'autre  était  déjà  un  dessinateur  habile,  se  réunirent  tous  trois  et  se 
mirent  à  l'œuvre.  Los  amitiés  solides  que  leur  père  avait  conquises  par  le  charme 
de  sa  personne  se  traduisirent  immédiatement  pour  les  fils  en  un  appui  généreux 
qui  leur  permit  de  prendre  en  main  la  direction  de  la  maison. 

Les  commandes  ne  leur  manquèrent  pas,  ils  achevèrent  celles  qui  avaient  été 
confiées  au  talent  de  Lucien  Falize,  et  se  préparèrent  en  même  temps  à  soutenir  le 
bon  renom  de  leur  maison. 

L'Exposition  de  1900  a  montré,  à  ceux  qui  avaient  eu  confiance  dans  leur 
ardeur  au  travail,  leur  goût  et  leur  habileté,  qu'ils  ne  s'étaient  pas  trompés,  et  que 
les  pièces  sorties  de  leurs  mains  n'étaient  pas  indignes  de  leurs  aînées. 

Je  citerai  d'abord  le  gobelet  de  Lucerne,  belle  pièce  d'orfèvrerie  faite  complète- 
ment au  marteau,  repoussée,  ciselée,  émaillée,  dorée  par  le  jeune  apprenti  de 
Bossard.  Dessinée  par  lui  et  composée  dans  le  goût  allemand  du  seizième  siècle, 
elle  présente  sur  les  six  pans  de  sa  surface  hexagonale  des  sujets  gravés  à 
l'eau-forte  rappelant  la  ville  qui  lui  avait  donné  l'hospitalité,  encadrés  par  des 
motifs  de  houblon  et  de  vigne  avec  une  devise  empruntée  à  Rabelais  :  Ci/  est 
(oif/r  vérité.  Un  autre  gobelet  d'argent  ciselé,  Le  Cidre,  décoré  des  feuilles  et 
fruits  du  |)()ninti('r. 

Un  autre  encoi'c  exécuté  poiu"  un  amat(^ur  avis;',  en  orfèvrerie  d'or  et  d'émail, 
/m  Coupe  des  vi/is  (le  France  ;  haut  (h'  0"',i2i,  d'une  forma  simple,  très  légèrement 
évasé,  aux  deux  tiers  (h;  la  haulcur  une  frise,  dont  les  ligm-es  sculptées  en  doux 
relief  se  (h'-taclimt  sur  un  f()n<l  d'('Mnail  bleu,  represenle  le  trionq)lie  de  Karchus 
d'après  Manlcgna.  A  la  base,  (rois  ligures  d'or  ('Uiailh'  son!  assises  sur  la  moului'C 
ciseh'ie,  el  reiii'i'sentcnl  l;i  <iar(»iMii',  le  UIkuic  e(  le  Uliin.  les  lleuves  des  ri'gioiis 


vignobles  de  la  France  dont  ce  gobelet,  précieux  par  la  matière  et  par  l'art,  chante 
les  produits  savoureux.  Les  flots  déroulés  sur  l'embase  disparaissent  sous  la  mou- 
lure pour  se  retrouver  sur  les  flancs  du  gobelet  dont  ils  forment  le  fond,  décoré 
en  gravure  de  figures  archaïques,  qui  symbolisent  les  travailleurs  de  la  vigne  et  du 
vin.  Trois  dépressions  interrompent  le  fond  et  servent  d'encadrement  à  trois 
vignes  d'or  en  relief,  aux  sarments  robustes,  dont  les  branches  chargées  de  grappes 
et  de  feuilles  se  découpent  vigoureusement  sur  un  fond  d"émail  rouge.  Le  cou- 
vercle, surmonté  d'une  Amphi- 
trite  en  or  émaillé,  est  décoré 
d'attributs  marins  symbolisant  la 
mer,  où  viennent  se  jeter  les  trois 
fleuves  qui,  sur  leur  parcours,  ont 
baigné  les  coteaux  producteurg 
des  grands  vins  de  France. 

Réunies  dans  leur  vitrine,  elles 
complétaient  bien  la  série  des 
œuvres  importantes  faites  depuis 
dix  ans  par  la  maison  Falize. 

C'était,  dans  les  vases  montés, 
le  vase  du  Saint-Graal,  reconstitué 
en  cristal  de  Gallé,  décoré  d'une 
ramure  de  passiflore  s'enlevant  en 
or  sur  le  ton  rougeàtre  du  cristal. 
Puis  des  vases  rose  et  vert  bleuté, 
en  forme  d'urnes  funéraires,  aux 
scarabées  d'émail  bleu  verdàtre, 
symbole  de  l'immortalité;  et  les 
autres  vases  au  Lézard,  à  la  Tor- 
pille, au  Chardon,  au  Mûrier,  at- 
testaient l'infinie  variété  de  dé- 
cors et  toujours  l'idée  poétique  ([ui 
avait  présidé  à  leur  composition. 

C'était  aussi,  dans  les  pièces 
commémoratives  :  le  marteau  et  la 
truelle  d'or,  ces  pièces  historiques 
aujourd'hui,  qui  avaient  servi  à  la 
pose  de  la  première  pierre  du  pont 
Alexandre  111.  Les  mots  Pax  et  Robur  élaient  incrustés  en  or  sur  les  faces  de  la 
masse  d'acier  du  marteau,  dont  le  manche  d'ivoire  était  décoré  d'une  branche  d'oli- 
vier et  de  chêne  servant  à  encadrer  d'un  côté,  le  chiffre  A'  de  Nicolas,  et,  de  l'autre. 


La  Coupe  des  vins  de  France,  exécutée    en  or  et  émail. 
[Orfèvrerie  de  Fnlize.) 


—  — 


le  moiiograiniiK'  /•'.  de  hi  i;(''|)iil)liriiK;.  La  (ruelle  il'ov,  t\i''rj>v(':i'.  du  vaisseau  (Je  la 
Ville  de  Paris,  porLaiL  les  inscriptions  conimémoralives  et  la  daUî  de  la  cérémonie. 

Puis  la  couronne  du  centenaire  du  Consulat,  faite  de  lauriers  d'or  ciselé. 

Le  grand  surtout  du  couronnement  de  Nicolas  II,  en  argenl  ciselé,  dont  les 
figures  modelées  par  le  sculpteur  Antocolsky,  el  les  ornements  d'une  belle  allure, 


Siii'Idiit  (lu  coiiponncnieni  de  Nicolus  II. 
(Modùle.  lie.  Joinih/.  —  Figure  d'Antocolshi/ .  —  Orfèvrerie  de  i'alize.) 


(lus  au  talent  du  scul|)t(Mir  Joiiidy,  en  faisaient  une  pièce  de  grand  apparat. 

Le  vaisseau  d<i  la  Uussie  :  nef  d'argent  ciselé,  conduite  par  Pierre  le  drand 
vers  sa  destiiié(^;  la  couronne  impériale  et  l'aigle  à  deux  (êtes  sont  à  la  proue, 
(lonçu  également  dans  le  style  Louis  \IV,  ce  heau  travail  d'oi-fèvre  a  été  modelé 
par  les  mêmes  arlisles  Anioccdsky  et  .loindy. 


361 


N"  ].  \';isc  aii\  J.rzards.  —  N"  2.  ^'asl•  au  Chardon. 
N"  ?>.  Siiiipirrp  Fouillos  de  cIkhi.  —  X"  /J.  \'aso  au  Mùrior.  —  N"  5.  (ioboUM  do  Lucoruc. 

\Orfùcrerie  de  I..  FiiUie.) 


—  :w]  — 


Enfin  un  prix  de  course,  La  Seine  et  l'Oise,  symbolisant  les  courses  de  Long- 
champs  et  de  Chantilly.  Les  deux  figures,  assises  fièrement  sur  la  bordure  d'une 
corbeille  de  table,  sont  dues  au  sculpteur  Barrias. 

Voilà  pour  les  pièces  décoratives  ;  mais  là  où  le  talent  et  le  génie  inventif  de  Lucien 
Falize  se  sont  donné  libre  carrière,  là  où,  joignant  le  précepte  à  l'exemple,  il  mon- 
trait comment  il  entendait  renouveler  nos  styles  français  en  s'adressant  à  cette 
nouvelle  interprétation  qu'il  a  prêchée  dans  ses  rapports  au  Conseil  de  l'Union  cen- 
trale, c'est  dans  ce  service,  qu'il  a  appelé  Les  Plmites  dn  potager,  qu'il  a  vraiment 
fait  œuvre  d'orfèvre  novateur. 

Sur  des  formes  simples,  il  a  marié  habilement  à  l'architecture  les  feuillages, 
les  fleurs  et  les  légumes  du  potager.  La  petite  plante  potagère  faisait  de  nouveau 
son  apparition  dans  la  décoration  pour  indiquer  que  la  flore  était,  dans  sa  pensée, 
la  source  d'inspiration  destinée  à  faire  naître  le  style  nouveau  qu'il  appelait  de 
tous  ses  vœux,  et  dont  celui  qui  écrit  ces  lignes  se  fait  un  devoir  de  rappeler  les 
origines  dues  à  leur  commune  conviction  née  au  cours  de  leurs  entretiens  de 
collègues  et  de  confrères. 


M.  Carde[lhac  (Ernest),  orfèvre.  —  Si  M.  Cardeilhac  n'a  pas  concouru  dans  la 
Classe  94  —  et  je  le  regrette  pour  lui  —  c'est  qu'il  prési- 
dait la  Classe  et  le  Jury  de  la  coutellerie,  hommage  rendu 
à  son  mérite  personnel  et  à  l'ancienneté  de  sa  maison 
fondée  en  1804  par  son  aïeul  et  qui,  bientôt  centenaire, 
s'est  perpétuée  en  ligne  directe,  grandissant  à  chaque 
génération.  L'étude  des  formes  de  lames,  leur  monture 
artistique  et  les  dérivés  de  la  coutellerie,  —  truelles, 
ustensiles  de  table,  travaux  récompensés  à  toutes  les 
expositions  —  puis  les  couverts  qui  reçurent  leur  pre- 
mière médaille  à  l'Exposition  de  Londres  de  1862,  avaient 
absorbé  l'activité  des  deux  premiers  Cardeilhac;  le  petit- 
fils  voulut  y  ajouter  la  grande  orfèvrerie  et,  pour  s'y 
préparer,  il  compléta  son  apprentissage  chez  M.  Fray- 
Harleux.  En  1885,  devenu  chef  de  la  maison,  il  organi- 
sait ses  ateliers  en  vue  de  cette  fabrication,  achetait  le 
matériel  de  la  maison  Lebon,  et,  soutenu  par  une  clien- 
tèle sympathique  et  confiante,  il  pouvait  se  présenter  ho- 
norablement à  l'Exposition  de  1889,  où  la  médaille  d'ar- 
gent lui  fut  décernée  par  le  Jury  de  l'orfèvrerie,  en  même 
temps  que  celui  de  la  coutellerie  lui  décernait  le  grand  prix. 

On  pensait  bien  qu'il  ne  s'en  tiendrait  pas  là;  mais 
ceux  qui  n'ont  pas  suivi  ses  travaux  de  1889  à  1900  ne  pouvaient  s'attendre  à  ce 


Vase  en  grès, 
avec  monture  en  orfèvrerie 
par  Cardeilliac. 


-    ;  \  - 

qu'il  nous  a  rnoiilr'ô.  Si  jainfiis  ('X|)()siLif)fi  CiiL  sciisiilioiiiicllc,  (  '('sl  iissiii-f'-iiiciiL  la 
sienne.  On  ne  se  lassait  pas  d'adinircr  ccUc  orfèvrerie  d'invenlioii  si  neuve  et  de 
facture  si  parfaite,  et  l'étonnemcnt  se  joignait  à  l'adiniraliori  quand  on  savait  que 
cette  métamorphose  s'était  produite  sans  collaborai  ion  nouvelle,  par  l'initiative  du 
maître,  assisté  des  trois  artistes  qui  avaient  préparé  sous  sa  direelion  l'Exposition 
de  i889  :  M.  Bonvalet,  dcssinaleur,  M.  Aiguicr,  s('iil{)leiir,  et  M.  Viat.  ciselenr. 


1<:.  CARDEILIIAC 

(i8r)i-i()()/i^. 


Evidemment,  ils  ont  Iravailié  sous  une  influence  qui  n'exislait  pas  dans  la 
période  précédente  :  eux  aussi,  l'esprit  nouveau  les  a  touchés.  Toulefois,  il  faut 
noter  (|ue  l'o'uvrv!  ^V\  IVI.  Cardcilhac  est  singulièrenuMit  |)ersonnelIe.  S'il  se  rat- 
tache à  l'écoh;  du  «  rajeunissement  parla  nature  »,  il  a  sa  manière  propre  de 
comprondre  la  vég('tation  et  de  l'applifpuM-,  discrètement,  sobrement,  souvent  en 
n'q)étant  le  motif  trouvé.  Il  a  le  f^oût  des  choses  pratiques  qu'il  décore  d'une 
main  légère  et  pour  lesquelles  il  varie  Uïs  matières  et  les  tonalités  par  l'ivoire,  le 
bois  et  les  patines.  Les  voies  nouvelles  ne  conqdcnt  pas  d'explorateurs  plus 


363 


—  :!07  — 


ardents,  mais  son  esprit  critique  toujours  en  éveil  Ta  préserve  des  excentricités, 
et,  dans  cet  art  où  presque  tout  est  inventé,  il  est  resté  classique  par  l'observa- 
tion des  règles  immuables  qu'on  n'abandonne  pas  impunément.  Aussi,  tout  se 
tenait  dans  sa  vitrine  :  on  y  sentait  une  conception  unique  et  une  collaboration 
toujours  la  même,  pénétrée  de  la  pensée  créatrice  et  se  confondant  pour  ainsi 
dire  avec  elle. 

Ses  légumiers,  d'une  décoration  régulière  en  spirale  ;  son  sucrier  aux  char- 
dons, clouté  de  cabochons  d'ivoire;  un  vase  à  fleurs  avec  des  anses  d'ivoire  et 
des  tracés  rouges;  la  monture  exquise  du  vase  de  M.  Daum,  le  verrier  de  Nancy, 
tout  enfin  attestait  ce  parti  que 
j'ai  signalé,  fait  de  simplicité, 
de  grâce  et  d'harmonieuses 
colorations. 

Je  voulais  préciser  les  ca- 
ractéristiques qui  particulari- 
saient l'exposition  de  M.  Car- 
deilhac  et  la  faisaient  si  diffé- 
rente de  ses  rivales  sans  les 
diminuer;  mais  j'ai  vainement 
cherché  les  mots  qui  des- 
sinent, les  mots  qui  peignent  : 
au  lieu  d'une  évocation  saisis- 
sante, je  n'ai  donné  que  mes 
impressions  et  celles  de  mes 
collègues  du  Jury.  Au  moins  ai-je  dit  la  place  considérable  que  notre  confrère  a 
prise  dans  l'orfèvrerie  française,  et  c'est  l'essentiel. 


Sucrier  Feuille  de  Irèlle. 
[Orfèvrerie  de  Cnrcleilhnc. 


M.  DRBArN  débutait  h  l'Exposition  de  1889,  jeune  entre  les  jeunes,  et  se  plaçait 
d'emblée  parmi  les  meilleurs.  Déjà  son  indépendance  de  la  routine  se  montrait  : 
alors  que  ses  rivaux  se  confinaient  dans  le  style  Louis  XV,  il  remontait  à  la  Renais- 
sance, non  pour  la  copier,  mais  pour  en  tirer  un  service  à  thé  et  d'autres  pièces  où 
Ton  voyait  poindre  les  signes  précurseurs  de  ce  qu'il  a  fait  dtpuis  et  dont  nous 
allons  parler. 

L'art  nouveau,  qu'il  avait  pressenti,  balbutié  avant  son  apparilion,  ne  pouvait 
manquer  à  sa  vitrine  en  1900.  Le  bol  aux  pavots  que  M.  Arnoux  a  fait  avec  lui  fut 
le  prélude  des  compositions  fleuries  que  nous  avons  admirées  chez  MM.  Christofle, 
sous  le  nom  de  ce  sculpteur,  et  l'on  ne  peut  rien  imaginer  de  plus  savoureux  que 
cette  petite  pièce  qui,  vraiment,  ne  redoute  aucune  comparaison. 

L'exposition  de  M.  Debain  était  comme  un  raccourci  de  l'orfèvrerie  contem- 
poraine. On  y  voyait  l'art  nouveau,  l'art  de  transition  et  un  peu  d'art  rétrospectif 


qu'on  aimera  toiijoiifs  cl  (ju'il  ne  faut  pas  désapprendre.  On  y  voyail,  niôrrn;  une 
resUlution,  celle  d'un  lianap  allemand,  trop  chargé,  dont  la  faclurc  impeccable 
défiait  l'original,  el  enfin  celte  franche  et  robnste  vaisselle  du  Marais,  le  fonds 

et  le  tréfonds  de  l'orfè- 
vrerie parisienne,  que 
M.  Debain  fit  bien  (ht 
nous  montrer.  Certes,  je 
le  loue  de  rester  fidèle 
aux  traditions  des  siens, 
et  cependant,  quand  je 
notais  ce  qu'il  avait  rap- 
porté de  ses  excursions 
hors  du  domaine  fami- 
Boi  aux  pavots.  lig}^  jg  j^g  pouvais  me 

[Sculplnre  de  A.  Arnoiix.  —  Orfèvrerie  de  Dehnin.) 

retenir  de  souhaiter  qu  il 

sacrifiât  plus  souvent  à  l'art  inutile,  qui  lui  a  déjà  ouvert  le  Musée  des  Arts  dé- 
coratifs, et  où  son  goût  affiné,  son  sens  exquis  du  beau,  feront  merveille. 

M.  Thesmar  [Fernand),  émailleur.  —  Cette  notice  pourrait  tenir  en  quatre  lignes, 
M.  Thesmar  est  l'artiste  complet.  Dessinateur,  il  a  la  précision  sans  sécheresse  ;  co- 
loriste, il  sait  toutes  les  harmonies.  Il  a  l'imagination  qui  crée  et  le  goût  qui  la  règle. 
Emailleur,  il  inventa  une  technique  nouvelle,  miracle  de  science,  d'adresse  et  d'in- 
géniosité. Il  n'est  pas  seulement  au  premier  rang  des  émailleurs  :  il  est  le  premier. 

De  ce  qu'il  y  avait  dans  cette  vitrine,  je  ne  citerai  donc  qu'une  grande  coupe, 
chef-d'œuvre  parmi  les  chefs-d'œuvre  qui  l'entouraient,  plus  belle  encore  que 
celle  qui  fut  offerte  au  tsar  en  1896.  Difficultés  vaincues,  pureté  du  galbe,  charme 
des  colorations,  tout  s'unit  en  cette  pièce  pour  en  faire  le  prototype  de  l'art  qui 
portera  le  nom  du  magicien  qui  le  créa.  Belle,  elle  l'est  trop,  car  sa  beauté  n'a  été 
obtenue  qu'au  prix  d'un  travail  cent  fois  recommencé  qui  majore  sa  valeur  mar- 
chande bien  au  delà  de  ce  que  les  collectionneurs  payent  les  petits  gobelets,  les 
tasses  minuscules  de  M.  Thesmar.  Le  feu  n'est  pas  le  serviteur  fidèle  de  l'émail- 
leur  :  ses  trahisons  sont  fréquentes,  et,  lorsqu'il  s'agit  d'objets  construits  avec 
l'armature  fragile  que  l'on  sait,  elles  se  multiplient  à  l'infini,  surtout  s'ils  dépassent 
démesurément  les  proportions  accoutumées. 

Cet  artiste  si  l)ieii  doué,  (pie  la  nature  a  enseigné  plus  que  son  maître  de  Mul- 
house,^ a  donné  à  la  chimie  tous  ses  moments  perdus,  utilisant  ce  qu'il  avait 
appris  au  collège.  Il  se  préparait  ainsi,  à  son  insu,  à  ce  qui  devait  être  l'honneur 
d(!  sa  vi(!.  Km  1872,  il  s'improvisait  émailleur  chez  Barbedienne  et  conciliait,  du 
(■()ii|),  s(is  deux  vocations.  Ce  ne  fiircMit  d'abord,  du  Haisan  doré  au  fameux  llalle- 
Ixirdicr,  (pic  des  ('iiiaiix  (•loisoimi's  siii-  de  grandes  plaipies,  mais  les  ])iiis  beaux 


369 


N"  1.  Gobck'l  Feuilles  île  lieri'c.  —  X"  2.  tlobelel  Bluel. 
N"  3.  Fiai  décoré  tic  la  Vcsciu  des  haies. 

[Orfiirerie  d'élinn  de  J.  BnUeuii.) 


—  — 


qu'on  ait  faits  en  France;  puis,  en  1888,  ce  fut  son  émail  à  lui,  tenté  au  quinzième 
siècle,  repris  de  nos  jours  sans  succès,  vite  abandonné,  et  qu'il  inventa  de  toutes 
pièces  dans  sa  perfection,  à  l'aide  de  procédés  invraisemblables,  d'autant  plus 
libre  en  ses  recherches  qu'il  ignorait  les  préc('dents. 

M.  Brateau  (Jules),  sculpteur-ciseleur.  —  M.  Brateau  est  un  de  ces  artistes 
que  Paris  prend  à  la  province  et  qui  lui  appartiennent  légitimement  quand  c'est 
lui  qui  les  a  formés.  L'histoire  de  sa  vocation  est 
curieuse.  M.  Brateau  père  exerçait  à  Bourges  je 
ne  sais  quelle  profession  qui  exige  une  grande  dé- 
pense de  force,  et  il  voulait  l'enseigner  à  son  fds. 
Malheureusement  l'enfant  était  maladif,  il  fallut 
abandonner  ce  projet.  Mais  quel  métier  choisir? 
Quelqu'un  conseilla  la  ciselure  où  l'adresse  prime 
les  muscles.  Il  parla  de  la  journée  paisible  assis  à 
l'établi,  du  marteau  léger  comme  une  plume,  des 
frêles  ciselets  faits  pour  les  mains  débiles  ;  peut- 
être  rappela-t-il  que  les  ouvriers  orfèvres,  avant  la 
préparation  des  matières  dans  les  usines  spéciales, 
lorsqu'ils  forgeaient  et  laminaient  les  lingots,  di- 
saient que  la  goutte  de  sueur  perlée  au  front  du 
ciseleur  se  payerait  au  poids  de  For.  Bref,  on  se 
laissa  convaincre,  et,  puisque  le  petit  Jules  n'était 
bon  à  rien,  on  en  fit  un  ciseleur.  La  ville  de  Jacques 

,  .      1         1'  -1         i-,  T.     •  Cnupe  d'or  émaillo. 

Cœur  n  ayant  plus  d  orfèvres,  il  partit  pour  l'aris  .   ,  ,  „  , 

•>  i  '11  Orfèvrerie  de  ./.  Brnleau.) 

et  entra  dans  l'atelier  d'Honoré,  pépinière  de  pra- 
ticiens remarquables.  De  suite  il  aima  la  ciselure,  et  l'attrait  qu'il  y  trouva  lui 
rendit  le  travail  facile  et  réparateur.  La  santé  lui  vint  avec  le  talent.  Vite,  il  avait 
mesuré  la  distance  qui  sépare  l'ouvrier  d'art  de  l'artiste,  et,  fermement  résolu  à  la 
franchir,  il  dessinait,  il  modelait,  consacrant  ses  veilles  à  compléter  l'enseignement 
de  l'atelier.  Après  l'apprentissage  et  son  prolongement  d'études  acharnées,  il 
devint  un  des  collaborateurs  préférés  de  nos  orfèvres,  de  Lucien  Falize  entre 
autres,  qui  lui  confia  la  ciselure  de  quelques-unes  de  ses  plus  belles  pièces,  jus- 
qu'au jour  où  il  voulut  exécuter  ses  propres  compositions,  être  maître  orfèvre  à 
son  tour.  Entre  temps,  il  avait  découvert  les  procédés  des  Briot  et  des  Enderlin, 
et,  dans  celte  voie  retrouvée,  il  donnait  libre  cours  à  son  imagination.  C'est  sous 
ce  double  aspect  d'orfèvre  ciseleur  et  de  potier  d'étain  qu'il  parut  à  l'Exposition 
de  1889,  tandis  que  sa  collaboration  brillait  encore  chez  ses  confrères.  Son  succès 
fut  soudain.  Les  musées  de  l'étranger  et  les  collectionneurs  dévalisèrent  sa  vitrine, 
la  foule  qui  l'ignorait  apprit  son  nom. 


—  :i7i>  — 


Il  nous  est  revenu  en  1900  Corl.ilié  et  grandi.  Ses  élains  plus  nombreux  e(, 
pour  la  plupart,  transformés.  Cependant  il  ne  semble  pas  qu'il  se  soit  attardé 
à  chercher  l'architecture  nouvelle  jusfpi'à  présent  rebelle  à  tous  les  ed'oHs,  A 
peine  quelques  indexions  de  lif^nes,  inqjr(''Vti('s,  i-ouqxMit-elles  <-h  et  là  avec  la 
tradition  classique.  11  n'a  [)ris  à  la  nature  végétale  que  la  parure  de  ses  composi- 
tions; mais  nul  mieux  (|ue  lui  n'a  assemblé  son  bouquet  et  <lisposé  ses  Heurs  avec 
plus  de  grâce  alanguie,  en  leur  épargnant  la  torture  d'une  stylisation  outrée.  Son 
plat  où  la  vescia  des  haies  projette  ses  baies  et  ses  feuillages,  et  celui  aux  chry- 
santhèmes sont  charmants  et  nouveaux,  en  dépit  de  ce  qu'ils  ont  gardé  du  passé, 

et  tous  les  étains  des  dix  dernières  années, 
—  coupe,  buire,  vases,  le  gobelet  orné  de 
marguerites,  de  bluets  et  de  coquelicots, 
la  petite  porte  d'habitacle  avec  figures  et 
arbusies,  les  gentils  enfants  qui  portent  des 
salières,  —  conçus  dans  le  même  esprit, 
sont  autant  d'exemples  de  ce  qu'on  peut 
obtenir  de  l'accord  harmonieux  de  nos  sen- 
sations actuelles  et  des  choses  d'autrefois. 

Son  œuvre  d'orfèvre  avait  suivi  la  même 
progression.  A  côté  des  effigies  délicates 
où  il  excelle,  du  bracelet  d'or  si  joliment 
tressé,  d'un  porte-allumettes  non  moins 
précieux  créé  pour  M.  Corroyer,  trois  pièces  de  premier  ordre  captivaient  l'at- 
tention :  un  coiïret  d'ivoire,  d'émail  et  d'or;  une  coupe  d'or  et  d'émail  et  un 
plateau-rondelle,  repoussé  à  la  manière  des  grands  maîtres  disparus. 


Porte-allumelles  exécuté  pour  M.  Corroyer. 
[Pur  J.  Braleaii.) 


Le  Rapport  d'Armand-Calliat  se  terminait  par  des  appréciations  sur  l'Art 
nouveau  : 

«  Puisque  l'Art  nouveau  fut  la  note  dominante  de  l'orfèvrerie  française  à 
»  l'Exposition  de  1900,  il  n'est  pas  inutile  de  l'étudier  de  près,  de  voir  ce  qu'il 
»  nous  a  donné,  et  ce  qu'on  peut  en  augurer  dans  un  avenir  plus  ou  moins 
»  prochain.  Essayons  donc. 

»  L'art' ne  mourut  pas  tout  entier  avec  le  style  Etnpire,  dont  la  disparition 
»  suivit  de  près  la  chute  du  régime  qui  l'avait  baptisé.  De  1830  jusqu'à  nos  jours, 
"  de  grands  oi'fèvres  ont  créé,  dans  la  noble  acception  du  mot,  des  œuvres 
»  superbes,  (pii  ne  se  rattaclieni  aux  hautes  épotpies  que  par  leur  esihélique, 
«  formcîs  ancieinics  oii  palpite  l'àme  de  notre  temps.  Supérieurs  à  leurs  aînés 
»  (11!  la  période!  im[)ériale,  si  froids,  si  gauches  parfois  en  leurs  gestes  solen- 
)'  nels,  (|iiand  le  divin  crayon  de  Prud'liou  ne  les  guidait  pas,  s'ils  ont  glorifié 
"  l'oiTcvrcric  française,  ils  ne  lui  ont  pas  donni'-  le  style  allendu. 


»  A  i;i  vérité,  ou  pouvait  attendre,  avec  des  niailres  tels  que  Fromeiit- 
»  Meurice,  Feuchères,  Wagner,  Vechte,  Morel-Ladeuil  et  les  frères  Fannière,  d"au- 
»  tant  que  de  bons  esprits,  discutant  la  validité  de  ce  jugement,  le  déclaraient 
»  prématuré,  un  siècle  n'ayant  jamais  proclamé  son  style,  et  en  appelaient  à  la 
»  postérité  qui,  dégagée  des  passions  contemporaines,  saurait  bien  le  réformer. 

»  Quoi  qu'il  en  soit,  lorsque  leurs  rangs  se  furent  éclaircis,  et,  l'orfèvrerie 
))  réduite  à  l'imitation  habile,  d'une  virtuosité  incontestable,  mais  sans  grand 
»  accent  personnel,  et  dépourvue  de  cette  poésie  qui  l'aurait  ennoblie,  la  cri- 
»  tique,  jusqu'alors  divisée, 
»  s'unit  pour  clamer  notre  im- 
»  puissance.  Quelle  figure  fe- 
»  rail  dans  l'histoire  un  siècle 
»  qui  n'avait  pas  un  art  à  lui, 
»  marqué  à  son  millésime? 
»  Quelques  pièces  perdues 
»  dans  une  production  im- 
»  mense  suffiraient-elles  pour 
»  le  défendre  et  le  réhabiliter? 
»  Lamentations  inutiles  à 
»  peine  çà  et  là,  un  signe  d'in- 
»  dépendance  témoignait 
»  qu  on  les  avait  entendues. 
»  C'était  Gallé,  le  verricr- 
»  poète,  entraînant  les  or- 
»  fèvres  chargés  de  monter 
»  ses  vases  aux  galbes  imprévus,  aux  colorations  étrangement  irisées,  d'une 
»  préciosité  si  captivante,  et  les  forçant  à  s'accorder  à  son  diapason.  C'était 
»  Lucien  Falize  ébauchant  sur  une  théière,  sur  des  plats,  les  idées  qu'il  allait 
»  bientôt  formuler  en  une  déclaration  de  principes  retentissante.  Mais  il  fallut 
»  cet  extraordinaire  débordement  de  rocailles,  submergeant,  à  l'Exposition  de 
»  1889,  ce  qui  nous  i-estait  d'un  art  autrement  noble  et  varié,  pour  provoquer  les 
»  résolutions  viriles  auxquelles  on  doit  les  pièces,  à  coup  sur  intéressantes,  qu'on 
»  vit  d'abord  aux  expositions  de  l'Union  des  Arts  décoratifs,  plus  nombreuses 
»  à  l'Exposition  universelle  de  1900,  où  elles  ont  rencontré  celles  venues  de 
»  l'étranger,  qui  nous  suit  dans  ces  voies  inexplorées.  C'est  l'Art  nouveau,  il  est 
»  né  des  excès  du  plus  aimable  et  du  plus  fou  des  styles,  qui  en  a  vu  bien  d'autres 
»  et  qui  lui  ressemble  quelquefois. 

»  C'est  en  1892  que  Lucien  Falize  publia,  dans  la  Revue  des  Ai-ls  décoratifs, 
»  sous  forme  de  lettre  à  son  ami  Gallé,  ce  que  j'ai  appelé  sa  déclaration  de 
»  principes. 


Tlu'-ièi'c  en  ar;icnt  :  les  Mûres. 
[Orfèvrerie  de  Falize.  i 


»  Les  directeurs  de  la  inaisoii  (jlM-istode,  qui  s'en  soul,  si  lieun;us<;merit 
»  iuspirés,  la  résuuieul  ainsi  dans  la  très  litlérairc  notice  de  leur  exposition  : 

«  L'abandon  des  vieilles  formules  ; 

»  Le  retour  à  la  nature  et  à  l'étude  de  cette  source  inépuisable  d'inspiration  : 
»  la  vie  végétale.  » 

»  On  l'avait  déjà  dit,  mais  pas  avec  l'autorilé  d'un  maître  admii'é,  confessant 
0  publiquement  ses  fautes,  encore  qu'il  eût  moins  péché  que  ses  confrères,  et 
»  que  ses  actes  eussent  devancé  sa  parole. 

»  Que  Christofle  eut  l'ambition  d'aller  au  delà  du  rajeunissement  des  styles, 
»  je  n'en  suis  pas  sur.  11  savait  bien  qu'un  style  ne  se  crée  pas  de  toutes  pièces, 
»  sur  un  programme,  par  l'étude  de  la  vie  végétale,  inépuisable  s'il  s'agit  du 
»  décor,  le  plus  souvent  muette  quand  on  lui  demande  les  contours  de  l'œuvre. 
»  Il  savait  aussi  que  plantes  et  fleurs  n'y  suffiraient  pas;  qu'il  lui  faut  un  idéal, 
»  expression  des  mœurs,  des  sensations  d'une  époque,  de  sa  foi  ou  de  ses  tour- 
»  ments,  de  ses  incertitudes,  de  son  lyrisme  ou  de  ses  futilités.  Cela,  il  l'eût  tenté 
»  dans  les  œuvres  héroïques  de  l'orfèvrerie,  peut-être  réussi  avec  l'aide  de  ses 
))  collaborateurs  d'élite,  qu'il  animait  de  sa  pensé  :  c'est  le  génie,  on  ne  l'en- 
»  seigne  pas. 

»  Mais  il  n'y  a  pas  aujourd'hui  qu'un  art  nouveau,  il  y  en  a  deux.  L'évolution 
»  était  dans  l'air.  Peu  après  apparaissait  un  art  autrement  nouveau,  rompant 
»  complètement  avec  les  traditions  françaises,  qui  montrent  que  l'art  qui  vient 
»  se  rattache  toujours  à  l'art  qui  s'en  va,  et  faisait  table  rase  du  passé.  D'où 
»  venait-il?  Des  Quatre  Fils  Aymon,  de  Grasset,  si  je  ne  me  trompe,  de  cette 
»  illustration  étrange,  puissante,  audacieux  défi  jeté  à  la  face  des  dessinateurs  de 
»  tous  les  temps.  Si  c'est  trop  dire,  on  me  concédera  bien  que  sa  manière  de  voir, 
»  de  sentir  et  d'exprimer,  il  la  tient  de  Grasset,  dont  l'influence^  du  reste,  est 
))  flagrante  dans  toutes  les  classes  de  l'art  décoratif.  Seulement,  il  fallait  donner 
»  le  relief  à  ces  images,  les  approprier  à  l'orfèvrerie,  avec  les  variantes  que  com- 
»  porte  pareille  adaptation,  les  héroïser  en  leur  gardant  ce  qu'elles  ont  de  plus 
»  précieux  :  ce  qu'elles  doivent  à  l'état  d'esprit  de  ce  dernier  quart  de  siècle  ; 
»  tâche  périlleuse,  semée  de  difficultés  que  les  novateurs  n'ont  pas  encore 
»  vaincues,  mais  (|ui  nous  a  valu  quelques  surprises,  parfois  agréables,  dont  il 
»  faut  leur  savoir  gré. 

»  On  comprend  combien  il  est  malaisé  de  définir  l'art  nouveau,  d'origines  si 
»  diverses.  Tout  d'abord,  il  convient  de  séparer  celui  qui  procède  de  Falizc,  dont 
»  la  clai't(î  toute  française  se  ))asse  de  définitions.  Quant  à  l'autre,  (|u'il  |)rocède 
»  de  (irasset  ou  d'ailleurs,  sa  règle  est  de  n'en  pas  avoir,  et  il  varie  selon  le 
"  tempéramenl  de  l'artiste  —  cela  va  de  soi,  —  selon  la  sincérité  de  son  invention. 
»  D'aucuns  se  sont  dil  (pic  le  iiieilleiir  moyen  d'être  original  ('tail  de  l'aire  le 


—  37o  — 


»  contraire  de  ce  qu'on  avait  fait,  de  substituer  le  désordre  à  l'ordonnance,  la 
»  ligne  cassée  à  la  ligne  soutenue,  aux  courbes  harmonieuses.  Ceux-là,  Dieu 
»  merci,  sont  rares  dans  l'orfèvrerie,  mais  ils  sévissent  dans  toutes  les  classes 
»  du  mobilier,  toutes  en  mal  d'enfantement,  jusque  chez  les  architectes  qui, 
»  décidément,  n'ont  pas  trouvé  leur  chemin  de  Damas  dans  les  ossatures  métal- 
»  liques  de  1889,  pourtant  si  bellement  mises  en  œuvre.  Sans  parler  de  ceux  qui 
»  ont  mis  l'Extrême-Orient  moderne  à  contribution,  certains  ont  démarqué  les 
»  styles  abolis,  perdus  dans  la  nuit  des  temps.  M.  Cardeilhac  ne  nous  a-t-il  pas 
»  montré  une  théière  venue  directement  de  l'art  des  Kmerk,  à  peine  amendé, 
»  trouvaille  d'un  orfèvre  qui  ne  s'en  est  pas  tenu  là?  Plus  nombreux  sont  ceux 
»  qui,  dociles  aux  conseils  de  Falize,  interrogent  la  nature  et  s'efforcent  de  faire 
»  œuvre  d'imagination.  Un  seul  trait  leur  est  commun,  qui  caractérise  l'art  nou- 
»  veau.  L'art  nouveau  cherche  encore  sa  forme  jusqu'à  présent  indécise,  avec 
»  je  ne  sais  quoi  d'inachevé,  comme  s'il  craignait  de  retomber  dans  le  pastiche 
»  en  la  précisant,  et  il  y  retombe,  en  effet,  toutes  les  fois  qu'il  la  précise.  La 
»  forme,  le  profil  inédit,  voilà  la  conquête  peut-être  inaccessible.  Les  sources 
»  où  l'on  a  puisé  depuis  les  Egyptiens  et  les  Etrusques  sont-elles  taries?  Et  nous 
»  aussi,  serions-nous  «  venus  trop  tard  dans  un  monde  trop  vieux?  »  J'en  ai 
»  peur.  Tant  est  qu'à  cette  heure  l'art  nouveau  n'a  bien  en  propre  que  ses  aspi- 
»  rations  généreuses,  sa  statuaire  troublante,  souvent  trop  libérée  de  l'école 
»  classique,  et  sa  flore  interprétée  dans  un  sentiment  que  les  ornemanistes 
»  d'autrefois  n'ont  pas  connu. 

»  C'est  beaucoup;  il  faut  davantage  pour  constituer  un  style  pourvu  de  tous 
))  ses  organes,  et  s'il  ne  va  pas  plus  loin,  s'il  ne  trouve  pas  l'architecture  nou- 
»  velle  qui  lui  manque,  il  n'aura  créé  qu'un  décor,  et,  comme  on  l'a  dit,  des 
>)  conceptions  de  la  pléiade  romantique,  on  dira  qu'il  n'est,  en  ses  œuvres  les 
»  meilleures,  que  l'attrayante  vision  des  styles  qu'il  veut  remplacer.  J'entends 
»  bien  qu'il  lui  restera  le  recours  à  la  postérité,  mais  comme  je  serais  plus 
»  tranquille  s'il  gagnait  demain  son  procès. 

»  L'expérience  aidant,  je  suis  devenu  plus  circonspect.  Revenu  de  ma  con- 
»  fiance  dans  la  toute-puissance  de  la  vie  végétale,  quand  il  s'agit  de  créer  la 
>i  forme,  je  ne  crois  plus  fermement  qu'à  l'effort  de  la  pensée,  et  aux  bonnes 
»  fortunes  de  l'inspiration  fécondée  par  l'iconographie,  par  le  drame  du  cal- 
»  vaire,  le  plus  beau,  le  plus  suggestif  parmi  ceux  qui,  depuis  vingt  siècles,  ont 
»  fait  tressaillir  l'humanité.  La  forme  originale  peut  jaillir  du  poème  :  la  plante 
»  ne  nous  donnera  jamais  que  sa  parure.  » 

On  ne  saurait  mieux  dire,  et  c'est  sur  cette  pensée  que  nous  voudrions 
terminer  ce  livre.  Mais  l'orfèvre  profane  n'a  pas,  pour  s'inspirer,  la  ressource 
des  grands  textes  sacrés.  Il  lui  faut,  le  plus  souvent,  se  contenter  d'envisager 


-  ;i7ii  — 


iiiii(|uei))cnt  les  concliLioiis  d'ulililé  |)raliqii(!  de  son  (jeuvrc.  Les  prohiernes  a 
résoudre  sont  alors  de  pur  ordre  technique  et  logique  pour  Ju  conception  de 
l'œuvre  et  pour  sa  forme  qui  reste  le  point  essentiel  dans  l'orfèvrerie  d'usage. 
Les  essais  successifs  de  décors  nouveaux  entrepris  depuis  dix  ans  ont  eu  leur 
intérêt  assurément,  et  ils  en  auront  encore  dans  les  années  qui  vont  suivre. 
Il  est  probable  qu'on  saura  éviter  dorénavant  les  erreurs  commises;  on  tendra 
de  plus  en  plus  à  laisser  la  forme  prédominer,  en  ne  donnant  à  l'ornement 
que  le  rôle  de  parure  qui  lui  revient. 

11  serait  vain  de  ma  part  de  prétendre,  en  manière  de  conclusion,  indiquer 
ici  mes  vues  personnelles  sur  l'avenir  de  l'orfèvrerie.  Je  m'en  tiendrai  à  une 
constatation  à  laquelle  quelques  lecteurs  trouveraient  peut-être  une  allure  pes- 
simiste qui  est  pourtant  loin  de  moi.  Une  des  transformations  les  plus  profondes 
qu'ait  jamais  subies  l'esprit  humain  est  en  train  de  s'accomplir  sans  qu'on  en  ait 
bien  conscience  :  c'est  l'abolition  radicale  du  sens  esthétique  tel  qu'on  l'entendait 
autrefois.  M.  de  Vogué  a  remarqué  que  nos  pères,  fidèles  à  une  tradition  vieille 
comme  l'homme,  ne  fabriquaient  pas  un  seul  produit  qui  n'ait  quelques  \estiges 
d'ornementation;  tout,  jusqu'aux  plus  vulgaires  objets  d'usage  domestique, 
revêtait  une  forme  capricieuse,  souvent  charmante,  et  comportait  des  fantaisies 
surajoutées  pour  flatter  les  yeux.  Depuis  quelque  cinquante  ans,  l'ornementa- 
tion se  fait  plus  rare;  à  présent  elle  disparaît  brusquement,  presque  partout; 
quelques  industries  de  pur  luxe  la  maintiennent  dans  les  choses  superflues, 
destinées  au  petit  nombre.  Mais  elle  abandonne  peu  à  peu  tous  les  objets  de 
commun  usage.  Quand  le  goût  artistique  essaie  de  la  ressusciter,  il  est  stérile, 
parce  que  son  effort  factice  va  contre  une  loi  générale.  C'est  la  première  fois 
que  ce  phénomène  se  produit  depuis  l'origine  des  sociétés. 

«  On  peut  l'expliquer  par  la  valeur  croissante  du  travail  et  de  son  coefficient, 
»  le  temps  ;  nous  faisons  simple  pour  faire  davantage  et  plus  vite  ;  la  force  em- 
»  ployée  à  produire  est  consommée  tout  entière  en  utilité,  on  n'en  peut  plus  rien 
»  distraire  pour  l'amusement.  Mais  cette  explication  ne  suffit  pas.  Notre  œil  a 
»  changé.  Là  oii  celui  de  nos  devanciers  exigeait  des  couleurs  vives  et  le  dessin 
»  imagé,  le  nôtre  réclame  des  teintes  neutres,  les  lignes  droites,  les  surfaces 
»  polies,  en  un  mot  l'étroite  convenance  entre  la  forme  et  l'emploi,  rien  de  plus. 
»  (Vest  l'élimination  progressive  de  l'instinct  du  sauvage,  de  l'instinct  de  l'en- 
»  faut,  qui  (!sl  devenu,  en  s'épurant,  le  goût  du  beau,  mais  qui  n'en  pi'océdait 
»  pas  moins  d(ï  ce  principe  :  la  recherche  du  jouet,  et  de  la  parure  avant  celle 
»  de  l'utilité.  Le  s(^ns  plasti(|ue  s'est  cantonné  dans  le  domaine  restreint  de 
"  rpielques  arts;  parloiit  ailhMus,  il  est  remplacé  par  le  sens  rationnel.  Ce  dernier 
"  nous  façonne  ini  monde  plus  sévère,  plus  trisle  aux  yeux,  mais  imposant 
•/  poiu'  le  regard  intérieur,  harm(»ni(pie  pour  la  pensée  abstraite.  L'ancien  était 


-  377  — 


»  beau  comme  un  décor  agréable;  le  nouveau  n'a  que  la  beauté  d'un  théorème 
»  de  géométrie  (1).  » 

Cette  observation  de  haute  philosophie  a  un  fond  de  vérité  qu'on  ne  saurait 
méconnaître.  L'orfèvrerie  de  l'avenir  serait-elle  donc  destinée  à  ne  plus  comporter 
cette  parure  riante  qui  la  rend  sur  nos  tables  si  gracieuse  et  aimable?  Alors  que 
nous  assistons  de  nos  jours  à  tant  d'efforts  pour  ajouter  à  l'argenterie  l'éclat  des 
couleurs  par  les  feux  de  l'émail,  à  la  voir  peu  à  peu  perdre  cet  éclat  et  cet  aspect 
enchanteur?  Ce  serait,  semble-t-il,  une  impossibilité.  Ce  qui  parait  probable,  c'est 
qu'à  côté  de  l'orfèvrerie  de  luxe  et  exceptionnelle,  faite  pour  les  rares  privilégiés 
de  la  fortune,  l'orfèvrerie  d'usage,  en  prenant  de  plus  en  plus  de  développement, 
recherchera  des  formes  simples,  judicieusement  construites,  dans  lesquelles  l'or- 
nement inutile  sera  impitoyablement  sacrifié  ou  subordonné  à  la  forme.  Si  c'est  là 
l'orfèvrerie  que  veulent  nous  faire  entrevoir  les  sociologues...  reconnaissons 
qu'elle  pourra  comporter  par  la  pureté  des  lignes,  sinon  par  la  grâce  des  ornements, 
une  beauté  idéale  dont  il  faut  souhaiter  aux  siècles  futurs  de  savourer  la  noblesse  ! 


(1)  Marquis  de  Vogué  :  Remarque  sur  l'Exposidoii  du  Centenaire  1SS9,  ia-lS),  page  96. 


Insigne  des  membres  du  Jurw 
à  l'Exposition  de  l'jai. 

Modèle  de  Bollée.  Exéculc  pur  CItristofle.' 


13 


Surtout  «  La  Moisson  n. 
[Modèle  de  Gnsq.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.) 


TABLE  DES  MATIÈRES 


LIVRE  TROISIÈME 


LE  DIX-NEUVIÈME  SIÈCLE 

Deuxième  période,  1860  à  1900. 

PRÉFACE.  —  La  vie  et  l'œuvre  de  Henri  Bouilhet  (1830-1910)  

CHAPITRE  CINQUIÈME.  Le  second  Empire  (de  1860  à  1870).  —  Essor  de  l  or- 
fevrerie  d'église.  —  L'architecte  Viollet-Ie-Duc.  —  Poussielgue-Rusand  et 
Armand-Calliat.  —  Les  grands  travaux  d'orfèvrerie  civile.  —  Le  Berceau  du 
Prince  Impérial,  par  Froment-Meurice.  —  Les  orfèvreries  des  Fannière.  — 
Le  grand  Surtout  de  la  Ville  de  Paris,  par  Chrislofle.  —  Les  Expositions  de 
1862  et  1867.  —  Influence  de  l'Union  centrale  des  Beaux-Arts  appliqués  à 
l'industrie.  —  Le  beau  dans  l'utile.  —  L'Exposition  de  1869  au  Palais  de 
l'Industrie  


CHAPITRE  SIXIÈMI-:.  La  Troisième  République  (de  1870  à  1878j.  —  Expo- 
sitions diverses:  à  Londres,  en  1871  cl  187^;  à  V^ienne,  en  187!};  à  Phila- 
delphie, en  1876.  —  Influence  de  l'art  japonais.  —  L'Exposition  de  1878  à 
Paris.  —  Les  artistes  Emile  Heiber  et  Charles  Hossigneux.  —  Les  orfèvres  : 
P'annière  frères,  Gustave  Odiot,  Froment-Meurice,  Lucien  Falize,  Cliristofle, 
Aucoc.  —  Les  orfèvres  d'éf^lise  :  Poussielgue-Uusand,  Armand-Calliat.  — 
I/Américain  Tilfany   101 

CHAPITRE  SEPTIÈME.  La  Troisième  République  (de  1878  à  1889).  —  In- 
fluence de  l'Union  Centrale  des  Arts  décoratifs  sur  l'orfèvrerie,  —  Expo- 
sitions et  Concours.  —  Objets  d'art  du  Ministère  de  l'Agriculture.  — 
Expositions  technologiques  organisées  par  l'Union  Centrale.  —  Les  Arts 
du  métal  en  1880,  —  Les  Concours   173 

CHAPITRE  HUITIÈME.  La  Troisième  République  (de  1889  à  1891),  — 
L'Exposition  Universelle  de  1889,  —  Les  maîtres  orfèvres  à  la  fin  du  dix- 
neuvième  siècle  :  André  Aucoc,  Armand-Calliat,  G.  Boin,  Brateau,  Car- 
deilhac,  Christofle,  Debain,  Falize,  Fannière,  E.  Froment-Meurice,  Pous- 
sielgue,  G,  Odiot   2i5 

CHAPITRE  NEUVIÈME.  La  Troisième  République  (de  1891  à  1900).  —  A  la 
recherche  d'un  style.  —  L'Exposition  de  l'Art  de  la  femme  en  1891.  —  L'ad- 
mission des  artistes  décorateurs  aux  Salons  annuels;  —  L'Exposition  de  lyoo. 
—  Les  succès  de  l'orfèvrerie  française.  —  L'Art  nouveau   299 


Siici'ic]'  "  I>cs  Arracheur!?  tic  l)cLLci'a\os  ». 


[Sciiliiliirc  (le.  MMvl.  —  Fiffiires  de  Iloiissel.) 
i  ()r/rrrrrii'  ilc  <  '.h rislojlc 


PRÉFACE.  —  Porirail  do  Henri  Boiiillict   vu 

Henri  Bouilliet  dans  son  cabinet  de  travail   ix 

Henri  Bouilliet  à  i'alelier   xvii 

FRONTISPICE   9 

CHAPITRE  V.  —  Tète  de  page  :  Fragment  de  la  frise  du  cliiiteau  de  Pierrefonds.  ICompo- 

s'ition  et  dessin  de  Viotlel-le-Duc.)   11 

Lettre  ornée  V.  {Dessin  de  VioUel-le-Duc.)   11 

Porirait  de  P.  Poiissielgue-Rusand  (1824-1889)   13 

Ciiapelle  de  Mgr  de  Dreux  Brézé.  (Orfèvrerie  de  P.  Poussiclgue-Iîiisand.)   15 

Calice  aux  oiseaux.  [Orfèvrerie  de  P.  Poussicigiie-Rusand.)   17 

Maître  autel  de  Saint-Marlin  d'Ainay,  de  Lyon.  (Questcl,  architecte.  —  Orfèvrerie  de 

P.  PoussitlQue-Rusand.)   18 

Reliquaire  de  la  Couronne  d'épines.  —  Ostensoir  de  Nolrc-Damc  de  Paris.  —  Reli- 
quaire de  la  Vraie  Croix.  (Orfèvrerie  de  Poussicigue-Rusand.)   19 

Portrait  de  ViolIcl-le-Duc  (1814-1879)   21 

Reliquaire  de  la  Vraie  Croix  et  du  Saint  Clou.  (Premier  projet.  Projet  exécuté.) 

(Dessin  original  de  ViolUt-lc-Duc.)   2.3 

Feuille  de  carotte  sauvage.  (Dessin  de  Violkl-le-Duc.).   24 

Bourgeons  de  fougères.  (Dessin  de  Viollet-le-Duc.)   24 

Fleuron  du  porclie  de  la  cathédrale  de  Clerinont-Ferrand.  (Dessin  de  Viollet-le-Duc.)  2.") 

Chapiteau  de  l'église  collégiale  d'Eu.  [Dessin  de  Viollet-lc-Diic.) . .   2"j 

Ostensoir  de  Notre  -Dame  de  la  Garde.  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliut.)   27 

Ciboire,  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliat.  —  Collection  du  Musée  des  Arts  décoratifs.) .  28 
Croix  processionnelle.  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliat. —  Trésor  de  la  Chapelle  Sixlinc, 

au  Vatican.)   29 


—  liH^I  — 


Horcoau  du  Priiico  Itnpi'riul.  {Arnhikclf,  l)allard.  —  ()rfrvrcvic  de  Froninnl-Mi'uricr,.) .  :',:>, 
Dessus  de  clieininée  de  l'Hôli!!  de  Ville.  (ArchilcrU;,  llall'ird.  — ScHlphire  de,  Mailkl. 

—  Orfèvrerie  de  Froment-Meiirice.)   '.','.') 

Smiout  el  caiidélnbros  en  crislal  de  roclie  cxéciilés  poui-  l'eiiipereur  ,\a|ioléoii  III. 

{Orfèvrerie  de  Froiiient-Meurice.  —  Collection  du  Musée  des  Arts  décoratifs.) . ...  'M 

Aiguière  en  crislal  de  roclie  incrustée  d'émau.v.  {Orfèvrerie  de  Froment-Mcurice.). .  40 
Coupe  offerte  nu  poète  Ponsard  par  les  linbilarils  di'  Vienne,  (Orfèvrerie  de  Fromenl- 

Meurice.)   41 

Ensemble  du  surtout  de  rilôlel  d(!  Vilhi  de  Paris.  {Orfèvrerie  de  Chri.ilofle.j   i'i 

Pièce  de  milieu  du  surtout  de  l'HôIel  île  Ville.  iScnlplurc  de  Guniery  el  Dieholdl.  — 

Orfèvrerie  de  Christofle.)   4.'i 

Pièce  de  bout  du  surtout  de  i'Hôtcl  de  Ville  «  La  Seine  ».  {Sculplurc  de  Maillet. 

—  Orfèvrerie  de  Christofle.)   47 

Pièce  de  bout  du  surtout  de  l'Hôtel  de  Ville  "  La  Marne  ».  {Sculpture  d"  Maillet.  — 

Orfèvrerie  de  Christofle.)   49 

Service  de  dessert  de  l'Hôtel  de  Ville,  {"èculpture  d'Aurjuste  Madroux.  —  Orfèvrerie 

de  Christofle.)   51 

Portrait  de  Joscpli  Fannière  (1820-1897)   61 

Portrait  d'Auguste  Fannière  (1818-1900)   Cl 

Candélabres.  {OEuvre  des  Fannière.  —  Musée  Centennal.)   C2 

Service  exécuté  pour  le  Prince  de  Holienloiie  :  Candélabres.  Etagère.  Sucrier.  Seau 

à  rafraîchir.  {OEuvre  des  Fannière.)   03 

Saucière  du  service  du  Prince  de  Hoiienlolic.  {OEuvre  des  Fannière.)   65 

Salière  «  La  Naissance  de  Vénus  ».  Service  du  Prince  de  Holienlobe.  {Œuvre  des 

Fannière.)   6.5 

Salière  du  service  du  Prince  de  Holienlolie.  {OEuvre  des  Fannière.)   65 

Groupe  «  La  Léda  »,  en  argent  repoussé.  (OEuvre  des  Fannière.)   66 

Pot  à  bière.  {OEuvre  des  Fannii're.)   67 

Bouclier  m  La  cliute  des  Anges  ».  {OEuvre  des  Fannière.  —  Collection  du  Musée  des 

Arts  décoratifs.)   68 

Vase  exécuté  pour  le  Grand  Prix  de  Paris  en  1867,  offert  par  l'empereur  Napo- 
léon IIL  {OEuvre  des  Fannière.]   69 

Surtout  exéculé  pour  M.  Pétin.  {Orfèvrerie  d'Odiot.)   ...  70 

«  La  Renommée  ».  Prix  de  course  du  Jockey-Club  gagné  par  Nélu.sl<o.  {Orfèvrerie 

de  Ch.  Odiot.)   71 

Candélabre  exéculé  pour  M.  Pétin.  (Orfèvrerie  d'Odiot.)   73 

Jardinière  Louis  XVI.  {Orfèvrerie  de  Duponchel.)   74 

«  La  Victoire  ».  Prix  de  course  du  Jockey-Club  gagné  par  Gladiateur.  {Sculpture  de 

Maillet.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   75 

Service  à  café  de  style  Louis  XVI.  (Modèle  de  Ghéret.  —  Orfèvrerie  de  Cliristofle.  — 

Collection  du  Musée  des  Arts  décoratifs.)   76 

Table  à  tlié.  {Modèle  de  Rossigneux.  —  Orfèvrerie  de  Christofl^e.)   77 

Table  de  toilette  à  coifl'er,  de  style  Louis  XVL  (Composition  de  E.  Rciber.  — Sculpture 

de  Carrier-Belleuse  et  Gumery.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   79 

Pot  à  eau  et  cuvetle  de  style  Louis  XVL  {Composition  d'Emile  Rciber.  —  Sculpture 

de  Carrier-Belleuse.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   Hl 

Glace  à  main  et  flacons  de  loilelte  de  style  Louis  XVI.  {Orfèvrerie  de  Christofle.). . .  83 
Coupe  à  bijoux  et  boîtes  à  |)Oudre  et  à  pommade  de  slyle  Louis  XVI.  {Orfèvrerie  de 

Christofle).  ..   84 

Porirait  de  Klagniann  (IHI0-)8()9)   85 

Salière  double  «  L(is  Oiidincs  ».  (Sculpture  de  Klagmann.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)  86 

Sucrier  d(!  table  en  argenl.  {Sculpture  de  Klagmann.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.). . .  87 
CoH'rcîl  «  ii'Knlèvemenl  de  Déjanire  ».  (.VCT(//j/!(rc  de  Klagmann.  —  Orfèvrerie  de 

Christofle.)   88 

Surtout  d(!  table  du  service  de  l'inipéralrice  :  jardinières  de  milieu  elr  F.fférales. 

{Sculpture  de  Maillet  et  Math.  Moreau.  —  Orfèvrerie  de  Chrisloflc.)   89 


—  383  — 


Sorvico  dt;  table  do  l'Impératrice.  Corbeille  à  lumières  :  l'Agricuilure,  par  Aimé 

Millet.  (Orfèvrerie  de  Ckrislofle.)   91 

Candélabre  Louis  XVI.  Service  de  l'Impéralrice.  (Orfèvrerie  de  Christofle.)   93 

La  Trirème  offerte  par  l'Impératrice  Eugénie,  à  rocca.sion  de  l'ouverture  du  Canal 

de  Suez,  à  Ferdinand  de  Lessops.  [Sculplure  et  orfèvrerie  des  frères  Fannière.).  95 

Grand  Pri.v  de  l'Agricuilure  en  1867.  (  Modèle  de  Gitmery.  —  OrfèvreriedeChristoflr.'' .  97 

Coupe  à  fruits.  (Dessin  original  de  Klagmann.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   99 

CHAPITRE  VI.  —  Tète  de  page  :  En-Iête  des  Évangiles  de  Haclielle.  (Dessin  de  Rossi- 

gneiix.)   101 

Lettre  ornée  A.  (Dessin  de  Hossigneux.)   101 

Emaux  cloisonnés  par  Cliristofle.  (Dessin  de  E.  Rciber.)   105 

Vase  en  émail  cloisonné.  (Dessin  de  E.  Reiber.  —  Ouvrage  de  Christofle.)   106 

Vase  d'Anacréon,  incrusté  d'or  et  d'argeni,  par  Cliristofle.  (Composition  de  E. 

Reiber.)   107 

Croquis  originaux  de  E.  Reiber.  (Collection  Cliristofle.)   109 

Vase  cacbe-pot  en  émail  cloisonné.  (Composition  de  E.  Reiber.  —  Ouvrage  de  Chris- 
tofle.)  111 

Dessin  original  de  E.  Reiber.  (Collection  Christofle.)  ■.   113 

Vase  incrusté.  (Dessin  de  E.  Reiber.)   113 

Vases  incrustés  d'argent.  (Ouvrage  de  Christofle.  —  Dessins  de  E.  Reiber.)   114 

Portrait  de  Cliarles  Rossigncux  (1816-1907),  arcliitecle  décorateur   115 

Panneau  d'émail  du  meuble  à  bijoux.  (Dessin  de  Rossigneux.  —  Ouvrage  de  Chris- 
tofle.)  116 

Meuble  à  bijoux.  (Ouvrage  de  Christofle.  —  Dessin  de  Rossigneux.)   II7 

Service  à  déjeuner  Peau  de  lion.  {Modèle  de  Rossigneux.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.).  119 

Plateau  incrusté  d'or  et  d'argent.  (Modèle  de  Rossigneux.  —  Ouvrage  de  Christofle.) .  120 

Couvert  Peau  de  lion.  (Dessin  de  Rossigneux.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   121 

Pendule  en  lapis  et  argent,  par  Fannière  frères   124 

Belléropbon  terrassant  la  Cliimère.  Prix  de  course,  par  Fannière  frères   125 

Compotier  du  surtout  de  Flore  et  Zépbyr.  (Orfèvrerie  de  Gustave  Odiot.)   126 

Surtout  de  «  Flore  et  Zépbyr  ».  (Orfèvrerie  de  Gustave  Odiot.)   127 

Candélabre  du  surtout  de  «  Flore  et  Zépiiyr  ».  (Orfèvrerie  de  Gustave  Odiot.)   129 

Prix  de  course  de  1877.  (Orfèvrerie  de  Gustave  Odiot.)   131 

Pendule  et  candélabre  de  Cbantilly.  (Modèle  de  Daumet.  —  Orfèvrerie  d'Emile  Fro- 

ment-Meurice.)   133 

Le  Centaure  couronné  par  la  Victoire.  Prix  de  course.  (Orfèvrerie  de  Frovient- 

Meurice.)   135 

Aiguière  en  cristal  de  rociie,  montée  en  argent  et  émail  par  E.  Froment-Meurice.) .  136 
Ostensoir  offert  à  l'église  Notre-Dame  du  Sacré-Cœur  d'Issoudun  par  la  comtesse 

de  Bardi.  (Orfèvrerie  d'Emile  Froment-Meurice.)   137 

Pendule  d'Uranie  :  bas-relief  commémoratif  de  Marguerite  de  Navarre.  (Orfèvrerie 

de  L.  Falize.)   138 

La  Pendule  d'Uranie  (figures  en  ivoire).  (Orfèvrerie  de  L.  Falize.)   139 

Pendule  d'Uranie  :  bas-relief  commémoratif  de  Gaston  de  Foix.  (Orfèvrerie  de 

L.  Falize.)   l'il 

Service  de  verrerie  pour  le  duc  de  Santonia.  (Dessin  original  d'Emile  Reiber.). . . .  144 
Jardinières  et  bouts  de  table  du  service  du  duc  de  Santonia.  (Orfèvrerie  de  Chris- 
tofle.)  143 

Milieu  de  table  du  surtout  du  duc  de  Santonia.  (Orfèvrerie  de  Christofle.)   147 

Surtout  Bacclius.  (Sculpture  de  Carrier-Relieuse.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   148 

Bibliotlièque  du  Vatican,  façade.  (Dessin  d'Emile  Reiber.  —  Ouvrage  de  Christofle.) .  149 
Bibliolbèque  du  Vatican,  vue  de  profil.  (Dessin  d'Emile  Reiber.  —  Orfèvrerie  de 

Christofle.)   151 

Bibliolbèque  du  Vatican.  La  Vierge  de  Lourdes.  Exécutée  en  ivoire  et  argent  re- 
poussé par  Cliristofle   152 


—  ;isi  — 


Ediculo  ci'iitriil  ili;  hi  IJibliollioquo  du  Vulicari.  M{;;r  Larig/juioux  ol  l'abln;  Siro  [in;- 

sentant  un  exemplaire  des  Huiles  au  Saiiil-I'ère  Pie  IX   i'.'/.i 

Procession  des  peuples  ealliolif)ues.  (Frisa  peinte  sur  cuivra  par  Cit.  Lanifii,rn.i .  . .  .  \ 

Procession  des  peuples  callioliqiKis.  [Urise  painla  sur  cuivre  par  Ch.  Lameire.]. .  .  il'il 
Atn[iliores  en  arj^enl,  repoussé.  (Modifies  de  Conslant  Scvin.  —  Ciselures  de  iJésirô 

AUarije.  —  OEuvre  de  F.  Barbedienne.)   d.'iO 

Cantliare  baccliique.  (Ciselure  repoussèe  de  D.  Altargc,  —  OEuvrede  Uarbedienne.) .  '  100 
N»  1.  Coupe  aux  Bryones  des  haies,  —  N"  2.  Coufie  aux  Mftrcs  sauvages.  [OEuore 

de  Barbedienne.)   j(H 

Pendule  Henri  II.  (Modèle  de  Constant  Sevin.  —  OEuvre  de  Barbedienne.,   -lO.'J 

Surtout  du  duc  de  Chartres.  (Bronze  argenté  de  Barbedienne.)   165 

Flambeaux  d'argent  ciselés  par  Désiré  Attarge.  {OEuvre  de  F.  Barbedienne.) . .....  d66 

Dessins  de  Vioilet-lc  Duc.  (Orfèvrerie  de  Poussielgue-Rusand.)   167 

Ostensoir  de  Notre-Dame  de  Lourdes.  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliat.)   169 

Reliquaire  du  Saint  Mors.  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliat.)   170 

Reliquaire  de  la  Sainte  Epine.  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliat.)   170 

Crosse  du  cardinal  Pétra.  {Orfèvrerie  d'Armand-Calliat,  1878.)   171 

Cafetières  à  reliefs  d'argent  polyciirome.  (Ouvrage  de  Tiffany.)   172 

Flambeau  des  Evangiles  de  Hachette.  (Dessin  de  Ch.  Hossigneux.)   173 

CHAPITRE  VII.  —  Tête  de  page  :  Prix  de  Concours  agricoles  régionaux  présentés 

en  1887  au  Ministère  de  l'Agriculture.  {Orfèvrerie  de  ChristofJe.)   175 

Prix  d'honneur  des  Concours  régionaux.  (Orfèvrerie  de  Froment-Meurice.)   176 

Prix  d'honneui-  des  Concours  régionaux.  (Orfèvrerie  d'Odiot.)   177 

Le  Semeur,  par  Lafrance.  Prix  d'honneur  des  Concours  agricoles  régionaux,  en 

argent.  (Orfèvrerie  de  Clirisiofle.)   179 

«  La  Science  agricole  »,  par  Delaplanche,  prix  d'iionneur  des  Fermes-écoles.  (Or- 
fèvrerie de  Chrislofle.)   181 

«Le  Porteur  de  la  Halle»,  par  J.  Coulan.  —  «Le  Tondeur  de  moutons»,  par 

Gaullierin.  —  «Le  Boucher  à  l'abattoir»,  par  J.  Coutan.  Prix  de  Spécialités. 

[Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   183 

«  La  Faneuse»,  par  J.  Coutan.  —  «  Le  GrelTeur  »,  pur  Longepied.  —  «  Le  Départ 

pour  les  cliamps  »,  par  Gautherin.  Prix  de  Spécialités.  {Orfèvrerie  de  Chrislofle  )  185 

Vase  de  la  Vilieullure,  par  Levillain.  [Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   187 

Vase  de  la  Sériciculture,  par  Mallet.  [Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   188 

Prix  d'ensemble,  espèce  ovine  :  «  La  Bergère  »,  par  Roty.  (Orfèvrerie  de  Chrislofle.).  189 
Prix  d'honneur  des  Animaux  de  basse-cour  :  »  La  Fille  de  ferme  »,  par  J.  Coutan. 

(Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   191 

Pot  à  eau  de  style  Louis  XV,  d'après  le  dessin  original.  (Orfèvreriede  Boin-Taburet.).  193 
Plateau.  Brosse  de  table.  Ramasse-miettes,  décorés  de  feuilles  naturelles  imprimées. 

(Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   194 

Plateau  décoré  de  feuillages  naturels  imprimés.  [Collection  de  Christo/le.)   195 

Vase  japonais  avec  incrustations.  {Modèle  de  Reiber.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.)  — 

(Dessin  reproduit  d'après  la  gravure  de  Buhot.)   197 

Cafetières  et  pots  à  eau  en  argent  martelé,  avec  ornements  en  relief.  [Orfèvrerie  de 

Chrislofle.)   199 

Vase  de  Tiiésée,  décor  polychiome  à  fond  rouge.  (Modèle  de  Heiber.  —  Orfèvrerie 

de  Chrislofle.)  '   201 

Vases  en  alliages  variés,  avec  décors  en  relief.  (Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   202 

Plat  à  rôt  à  bordure  de  céleri.  (Orfèvrerie  de  Falizc.)   204 

Teslimonialjjll'erl  à  M.  Tcisserenc  de  Itorl.  (Couverture  de  l'adresse  en  orfèvrerie  et 

émail  par  !..  Falize.)   205 

Plaipiethî  du  Concours  du  mêlai.  [Modèle  de  Chédeville.)   208 

Cafi'tièr(!,  modèhî  de  Carrier-Belleuse.  1"  Prix  du  Concours  du  métal,  en  1880. 

((Orfèvrerie  de  Broerk  et  lleintze.  —  Ciselure  de  Trotel  et  lioze.)   209 

Giilielel  de  IMojichon.  I'''  Prix  du  Concoiu's  de  l'Union  ceidrale  du  I8!t3   213 


—  385  — 


Vase  (le  Lalique.  2"=  Prix  du  Concours  de  l'Union  conlrnlc  de  1893   213 

Le  cliôno  brisé.  Devise  de  l'Union  cenlraie  des  Arts  décoratifs   214 

CHAPITRE  VIII.  —  Tête  de  page  :  Naïade  sur  un  dauphin,  d'après  Blondel    215 

Lettre  ornée  M   213 

Ostensoir  composé  par  Corroyer.  [Orfèvrerie  de  Poussielgue.)   217 

Ostensoir  monumental  de  Notre-Dame  dos  Brébières,  à  Albert  (Somme).  [Arrlii- 

tecte,  Duthoit.  —  Sculpture  de  Dclaplanclie.  —  Orfèvrerie  de  Poussielgue.) . . . .  219 
Autel  en  bronze  jdoré  de  Saint-Ouen  de  Rouen.  {Architecte,  Sauvageot.  —  Orfè- 

vrerie  de  Poussielgue.)   221 

A.  Armand-Calliat  (1822-1901)   223 

Croix  processionnelle  de  Mgr  Goulbe-Soulard.  [Orfèvrerie  d' Armand-Calliat.) . . . .  224 

Crosse  de  Mgr  Goulbe-Soulard.  [Orfèvrerie  d' Armand-Calliat.)   224 

Ciiapelle  de  Mgr  Goutho-Soulard.  [Orfèvrerie  d' Armand-Calliat.)   225 

Reliquaire  du  cœur  de  saint  Louis,  à  Carthage.  [Orfèvrerie  d' Armand-Calliat.) . . .  227 
Ciborium  offert  à  Sa  Sainteté  Léon  XIII.  [Modèle  de  Ch.  Lameire.  —  Orfèvrerie 

d' Armand-Calliat.)   229 

Candélabre  Louis  XV,  d'après  Meissonnier,  exécuté  pour  M.  Gunsbourg.  (Orfèvrerie 

cVOdiot.)   230 

Candélabre  de  style  Louis  XVI.  [Orfèvrerie  d'Odiot.)   231 

Service  à  llié  Louis  XVI,  en  vermeil,  à  bas-reliefs.  [Sculpture  de  Gilbert.  —  Cise- 
lure de  Diomède.  —  Orfèvrerie  d'Odiot.)   232 

Portrait  de  Lucien  Faiize  (1839-1897)   233 

Corbeille  de  table  :  Flore  et  Zépliyr,  à  bas-reliefs.  [Composition  de  Chédeville.  — 

Orfèvrerie  de  L.  Falize.)   234 

N°  1.  Prix  de  course  de  Cliantilly  :  la  Seine  et  l'Oise.  [Modèle  de  liarrias.)  — 

N»  2.  Jardinière  :  La  Forge.  [Modèle  de  Darrias.)  —  N°  3.  Prix  de  course  : 

Corbeille  de  table.  [Or/èvreries  de  L.  Falize.)   235 

Testimonial  offert  à  l'arcliitecte  E.  Corroyer.  [Modèle  d'Aimé  Millet.  —  Orfèvrerie 

de  L.  Falize.)   237 

La  Gallia.  [Sculpture  chrysélépliantine.  —  Modèle  de  Moreau- Vaut  hier.  —  Orfè- 
vrerie de  L.  Falize.)   239 

Prix  de  Course  de  yachts  :  Baromètre  en  argent  et  émail.  [Orfèvrerie  de  L.  Falize. j.  241 
Coupe  d'or  émaillée  exécutée  pour  l'Union  centrale  des  Aris  décoratifs.  [Orfèvrerie 

de  L.  Falize.)   243 

Soupière  Louis  XV,  en  argent.  [.Modèle  de  Joindy.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.) . . . .  246 
Service  à  thé  Louis  XV,  en  argent,  sur  table  en  bronze  doré.  {.Modèle  de  L.  Malkt. 

—  Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   247 

Service  à  café  Renaissance  en  argent.  [Modèle  de  Chéret.  —  Orfèvrerie  de  Chris- 

tofle.)   249 

Service  à  café  en  argent.  [Modèle  de  Levillain.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   250 

Amphitrite,  statuette  en  ivoire,  drapée  d'or,  sur  socle  en  argent.  (Modèle  d'An  ton  in 

Mercié.  —  Sculpture  de  Scalliet.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   231 

«  Pax  et  Labor  ».  Testimonial  offert  en  1878  à  M.  Dietz-Monnin.  [Modèle  de  Dela- 

planche.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.)   253 

Vase  des  Arts.  [Modèle  de  Carrier-Belleuse.  —  Exécuté  par  Chrislofle,  en  1883.). . .  255 
Prix  du  Jockey-Club  :  «  La  Course  ».  (Modèle  dAntonin  Mercié.  —  Orfèvrerie  de 

Chrislofle.)   257 

Service  à  café  en  argent.  [Modèle  de  Carrier-Belleuse.  —  Orfèvrerie  de  Chrislofle.).  259 
Vase  en  verre  rose  d'Iîmile  Gallé.  [Monture  Louis  XV,  par  E.  Froment-Meurice.) .  2G0 
Surtout  de  table  de  style  Renaissance.  [Composition  de  Le  Chevalier  Chevignard.  — 

Sculpture  de  Moreau-Vauthier.  —  Orfèvrerie  de  E.  Froment-Meurice.)   201 

La  Fortune,  par  Delaplanche.  [Sculpture  en  ivoire  drapée  d'or,  socle  dessiné  par 

Sédille.  —  Orfèvrerie  de  Froment-Meurice.)   263 

Grand  vase,  exécuté  pour  l'Exposition  de  1889,  offert  à  l'empereur  Nicolas  11  en 

1892.  [Composition  de  Sédille.  —  Orfèvrerie  d'Emile  Froment-Meurice,)   263 


—  ;}8()  — 


Tiaro  rlc  Sa  Sninloli!  I.éon  XIII,  oiïcrln  |»ar  Ui  diociisn  do  r>;iris.  (Cunri-o.ti'f  el  des- 
sinée par  II.  Caincrô.  —  Orfèvrerie  de  l'roinenl-Meurice.)   207 

Nef  (le  lu  Ville  do  l'iiris.  Surloul  olîorl  [i;ir  les  Dames  jiarisierines  à  la  [iriricosse 

Amélie  d'Orléans.  (Orfèvrerie  de  Fromenl-Menrice.)   2C)H 

<<  La  Flore  »,  surloul  de  table  exéculé  pour  M.  Teyssier.  (Oh'nvre  des  Fannière.  — 

Musée  Ccnlennal.)   200 

Casserole  et  réchaud  du  service  de  table  exéculé  pour  RI.  ïcyssier.  (OEuvre  des 

Fannière.  —  Musée  Cenlennal.)   270 

Saucière  du  service  de  laide  exécidé  pour  M.  Teyssier.  {(Euvre  des  Fannière.  — 

Musée  Ccnlennal.)   271 

Bouilloire  exécutée  pour  M.  Teyssier.  {OEuvre  des  Fanniîire.  —  Musée  Centennal.).  272 
Surtout  de  table  :  «  Les  Enfants  au  chevreau.  »  (OEuvre  des  Fannière.  —  Musée 

Cenlennal.  —  Collection  de  il/"'"  G.  Ilachelte.)   27:j 

Salières  «  Naïades  »  et  «  Triions  »  du  service  de  table  exéculé  pour  M.  Teyssier. 

(OEuvre  des  Fannière.  —  Musée  Centennal.)   27."j 

Jardinière,  d'après  Mcissonnier.  (Modèle  de  llonal  et  Peynol.  —  Orfèvrerie  de  Boin- 

Taburet.)   270 

Soupière  sur  plateau,  exécutée  pour  le  Jockey-Club  en  1888.  (D'après  Germain.  — 

Orfèvrerie  de  Boin-Tahuret.)   277 

Candélabre  de  slyle  Rocaille,  sur  plateau  de  glace.  {Orfèvrerie  de  Boin-Tahurct.) .  279 

Aiguière  et  bassin,  d'après  Germain.  (Orfèvrerie  de  A.  Aucoc.)   281 

Candélabre  Louis  XV,  à  trois  branches,  avec  vase  de  cristal.  [Orfèvrerie  de  A.  Aucoc).  28.3 
Service  de  loiletle  de  style  Louis  XV.  N°  1.  Boîte  à  poudre  de  riz.  (Collection  du 

Musée  des  Arts  décoratifs.)  —  N°  2.  Pot  à  eau  et  cuvette.  (Sculpture  de  Bonat. 

—  Orfèvrerie  de  Debain.)   285 

Couvert  Renaissance  ajouré.  (Modèle  de  Cardeilhac.)   287 

Crosse  épiscopale  en  or,  argent  et  émail.  (Modèle  de  Legrand.  —  Figure  de  E.  Pascal. 

—  Exécutée  par  Boucheron.)   288 

L'Enfant  au  coqudiagc.  Statuette  en  bronze  avec  émaux  incrustés.  (.Modèle  d'Anto- 

nin  Mercié.  —  Exécuté  j^ar  F.  Boucheron.)   289 

Coupe  exécutée  en  damasquine.  (OEuvre  de  Dufresne  de  Saint-Léon.)   291 

Buirc  et  plateau  à  bas-reliefs,  en  élain.  (Orfèvrerie  de  J.  Braleau.)   292 

Assiettes  en  élain,  à  marli  décoré.  (Orfèvrerie  de  J.  Braleau.)   293 

Cui-dc-lampe.  (Dessin  de  Blondel.)   297 

CHAPITRE  IX.  —  Tête  de  page  :  «  La  Nymphe  de  la  Seine  »,  plaquette  en  argent.  (Modèle 

de  0.  Botg.  —  E.vécutée  par  Christofle.).   299 

Lettre  ornée  L   299 

Cafetière  et  sucrier  décorés  de  fleurs  de  pavots.  (Modèle  de  II.  Vever,  1889.)   300 

Service  à  tiié  sur  plateau  décoré  de  chrysantiièmes.  (Orfèvrerie  de  Boin-Tahuret.) .  308 

Lampes  de  styles  anciens  et  art  nouveau.  (Orfèvrerie  de  Gaillard.)   310 

Brosse  de  loiletle  de  style  Louis  XVI.  (Orfèvrerie  de  Gaillard.)   311 

Cafelicrc  et  plateau  de  slyle  persan.  (Orfèvrerie  d'élain.  —  Modèles  de  J.  Braleau.).  312 

Gobelet  aux  bryones  des  haies.  (Orfi'vrerie  d'élain  de  J.  Braleau.)   313 

Gobelet  seigle  et  houblon.  (Orfèvrerie  d'élain  de  J.  Braleau.)   313 

Drageoirs  en  forme  de  fruils  coupés.  N"  1.  Pêciic.  —  N°  2.  Poire.  (Orjèvrcric  de 

Christofle.)   314 

Vase  à  fleurs  arl  nouveau.  N"  1.  Arlichaul.  —  N"  2.  Pied  de  céleri.  —  N»  3.  Char- 
dons. [Orfèvrerie  de  Christofle.)   314 

Services  à  thé  en  arg(!nl.  N»  1.  Pâtisson.  (Sculpture  de  L.  Mallet.)  —  N°  2.  Feuilles 

d'arliclioul.  (Sculpture  de  Dinée.  —  Orfèvrerie  de  Clirislojle.)   315 

Service  à  llié  en  argent,  en  forme  de  coiu'ge.  (Sculpture  de  L.  Mallet.  —  Orfèvrerie 

de  Christofle.)  ;   317 

Ostensoir  de  Saint-Martin  d'Ainay.  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliat.)   323 

Marteau  jubilaire  de  Sa  Sainteté  Léon  XIII.  (Orfèvrerie  d'Armand-Calliat.)   32'1 

Crosse  du  cardinal  Foulon.  (Orfèvrerie  d'Armund-Callial.)   326 


—  387  - 


Crosse  do  Solosmos  en  ivoire  incrusté  fl'or  et  d'émaux.  {Orfèvrerie  d'Armand- 

Gallial)   326 

Surtout  de  taijie  exécuté  pourM.  Ed.  Aynard,  en  1900.  (Orfèvrerie d' Armand-Calliat.) .  327 

Service  de  table  art  nouveau,  exécuté  en  argent.  —  N°  1.  Saucière  courge.  — 
N°  2.  Casserole  artichaut  d'Espagne.  —  N"  3.  Plat  rond,  bordure  de  carottes  et 
champignons.  —  N"^  4  et  îi.  Plats  ovales  décorés  de  volailles  et  gibiers.  [Mo- 
dèles de  Joindij.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   389 

Grand  vase  «  La  Flore  des  champs  et  des  jardins  de  France  ».  [Sculpture  d'Ar- 

noux.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   331 

Prix  d'iionncnr  des  Bandes  de  moutons  et  de  bœufs.  Deux  casseroles  à  couvercle 
exécutées  pour  le  Minisière  de  l'Agriculture.  [Modèle  de  L.  Mallet.  —  Orfèvrerie 
de  Christofle.)   333 

Fontaine  à  thé  en  argent  repoussé,  décorée  de  feuilles  de  plalane.  [Modèle  de  Mallet. 

—  Orfèvrerie  de  Christofle.)   335 

Prix  des  Concours  régionaux  agricoles.  Soupière  «  La  soupe  aux  choux  ».  Exé- 
cutée pour  le  Ministère  de  l'Agriculture.  (Modèle  de  L.  Mallet.  —  Orfèvrerie  de 
Chrislo/k.)   336 

Surtout  «  L'Air  et  l'Eau  »,  en  argent  et  cristal  opalin  et  ligure  d'ivoire.  [Modèle  de 

René  Rozet.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   337 

Motif  central  du  surtout  <<  L'Air  et  l'Eau  ».  c  La  Flore  »,  statuelte  en  ivoire.  [Mo- 
dèle de  n.  Rozet.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   339 

Services  à  café  en  argent  repoussé.  1.  Décor  de  feuilles  d'eucalyptus.  —  N°  2.  Dé- 
cor de  branches  d'olivier.  [Dessins  de  H.  Godin.  —  Sculpture  de  L.  Mallet.  — 
Orfèvrerie  de  Christofle.)   341 

Service  h  café  en  argent  repoussé,  décoré  de  branches  de  pin.  [Dessin  de  H.  Godin. 

—  Sculpture  de  L.  Mallet.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   343 

Service  à  Ihé  en  argent  repoussé,  décoré  de  branches  de  céleri.  [Dessin  de  II.  Godin. 

—  Sculfjlure  de  L.  Mallet.  —  Orfèvrerie  de  Christofle.)   344 

Pièce  de  milieu  du  surlout  Louis  XIV,  en  vermeil  avec  colonnes  en  onyx  et  agate. 

[Orfèvrerie  de  Doin-Taburet.)   34o 

Grand  vase  en  marbre  blanc.  [Modèle  de  Messager.  —  Monture  en  vermeil  par  E. 

Froment-Meurice.)   347 

Vase  «  Vigne  »,  à  grappes  d'améthyste.  [Orfèvrerie  de  Froment-Meurice.)   349 

Surtout  offert  au  grand-duc  Wladiinirà  l'occasion  de  ses  noces  d'argent.  [Orfèvrerie 

d'Aucoc.)   351 

Coupe  dite  «  La  Bratina  ».  [Orfèvrerie  d'Aucoc.)   353 

Autel  en  grès  et  bronze  doré.  [Architecte  Genuys.  —  Orfèvrerie  de  Poussiclgue.). .  .  355 

Calice  aux  Iris.  [Modèle  de  Lelièvre.  —  Orfèvrerie  de  Poussielgue.)   337 

Crosse  épiscopale  en  bois,  monture  en  argent.  [Orfèvrerie  de  Poussielgue.)   357 

La  Coupe  des  vins  de  France,  exécutée  en  or  et  émail.  [Orfèvrerie  de  Faine.). . . .  359 
Surtout  du  couronnement  de  Nicolas  II.  [Modèle  de  Joindg.  —  Figure  d'Anlocolshy. 

Orfèvrerie  de  Falize.)   360 

N°  1.  Vase  aux  Lézards.—  N»  2.  Vase  au  Chardon. —  N<'3. Soupière  Feuilles  de  chou. 

—  N"  4.  Vase  au  Mûrier.  —  N°  5.  Gobelet  de  Liicerno.  [Orfèvrerie  de  L.  Falize.).  361 

Vase  en  grès,  monture  en  orfèvrerie  par  Cardeilhac   363 

Portrait  de  M.  E.  Cardeilhac  (1851-1904)   364 

N»  1.  Chocolatière.  —  l\°  2.  Petit  plateau.  —  N»  3.  Candélabre.  —  N°  4.  Cafetière. 

[Orfèvrerie  de  Cardeilhac.)   365 

Sucrier  Feuille  de  trèfle.  [Orfèvrerie  de  Cardeilhac.)   367 

Bol  aux  pavots.  [Sculpture  de  A.  Arnoux.  —  Orfèvrerie  de  Dehain.)   368 

N"  1.  Gobelet  Feuilles  de  lierre.  —  N"  2.  Gobelet  Bluet.  —  N°  3.  Plat  décoré  de  la 

Vescia  des  haies.  [Orfèvrerie  d'étain  de  J.  Brateau.)  •   369 

Coupe  d'or  émaillé.  [Orfèvrerie  de  J.  Braleau.)   371 

Porte-allumettes  exécuté  pour  M.  Corroyer.  [Par  J.  Brateau.).   372 

Théière  en  argent  «  Les  Mûres  ».  [Orfèvrerie  de  Falize.)   373 

Insigne  des  Membres  du  Jury  en  1900.  [Modèle  de  Bottée.  —  Exécuté  par  Christofle  ).  377 


—  ;{8s  — 


TAItl,l<;  1»KS  AIATIKMI'IS.  —  Ti'li-  de.  |i!i-c,  :  Suiloul,  "      Moisson      \<ur  (i'.m\.  [Or/?- 

vrerie  de  Clirislo/k.)   ;{7() 

Sucrier  «  Les  Arnu'lieurs  (1(î  bclleriivcs  »,  (nir  Ahillel.  et  IJoiisscl.  {Orfhvrerie  de 

Ckrislo/le.)   :m 

TABLE  DES  GRAVUiiES.  —  Têle  de         :  C;iri,ouclie  de  liaiisoii   ;iHI 

Tropliée  de  lleurs,  par  Hiinson   :',HH 

Miroir  de  loilclle  «  La  Mélamorpliose  de  Narcisse      par  ito/el,.  (Orfiwrerie  de 
Christolle.)  


Glace  de  loilette  en  argent. 
(Modèle  de  René  Rozel.  —  Orfèvrerie  de  Clirislofle.) 


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SAINT-CLOUD, 


—  IMPRIMERIE  BELIN  FRÈRES 


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ARMOIRIES 
DES    ORFÈVRES  PARISIENS 


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