1 700-1 900
L'ORFÈVRERIE
FRANÇAISE
AUX XVIir & XIX- SIÈCLES
PAR
HENRI BOUILHET
ORFÈVRE
r
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in 2015
https://archive.org/details/lorfvreriefran03boui
(17 00-19 00)
L'ORFÈVRERIE FRANÇAISE
aux XVIIP et XIX^ siècles
d'après les documents réunis
AU
MUSÉE CENTENNAL DE 1900
EXEMPLAIRE IMPRIMÉ
POUB
ARTHUR MARTIN
(1700-1000)
L'ORFÈVRERIE FRANÇAISE
aux XVIIP et XIX'= siècles
l'AR
HENRI BOUTLHET, mg e c
ORFÈVRE
l'UÉSIUENT OE l'union CENTIIAI.E UES AllTS UÉCOIl ATIFS
PRÉSIDENT DU JURY DE L'ORFÈVRERIE
EN 1900
PARIS
H. LAURENS, LIBRAIRE-ÉDITEUR
6 , HUE DE T O U R N O X , 6
1912
Tous droits de leproduc.tiou et de traduction réservés,
\>1
LIVRE TROISIÈME
L'ORFÈVRERIE FRANÇAISE
AU
X I X'^ siècle
Deuxième période
(1860-1900)
VII
Ileuri lîouillicl lUms son cabim'l de truxail.
PRÉFACE
La vie et l'œuvre de Henri BOUILHET
(1830-1910)
L'auleur du présent ouvrage sur YOrfèvrerie fr;inç\'ti.se mix di.r-hai(ième
et dix-neuvième siècles, notre cher Henri Bonilhet, est mort le 21 sep-
tembre 11)10, avant qu'aient pu paraître les deux derniers volumes de l'œuvre
à lacpielle il consacra les meilleurs loisirs des nllimes années de sa belle vie
laborieuse. Il en avait corrigé toutes les éprenves, et il ne retardait le tirage
de l'imprimeur que pour les reviser une fois de plus avec l'extrême conscience
et le sérieux qu'il apportait à tout ce qu'il entreprenait. Puis, l'esprit en
a
repos, lieiu'eux de la làclie Lerniinée, mais coniine s'il eûl voulu fuir iiiodes-
lement, à son ordinaire, les louanges qu'il allail en recueillir, il se coucha el,
s'endormit du dernier sommeil, laissant à son fils hien-aimé le soin de
mettre an jour ce qu'il restait du livre à publier.
Henri Bonilhet venait d'atteindre ses quatre-vingts ans, quand la mort
l'enleva. Mais, à le voir toujours si vigoureux et actif, supportant sans faiblir
le poids des affaires, gardant jusqu'à la suprême minute sa merveilleuse luci-
dité d'intelligence, et cet esprit de méthode qui lui avait permis durant toute
sa vie de mener de front avec aisance tant d'occupations diverses, on n'eût
jamais pu croire sa fin si proche. Président de la Société de l'Union cen-
trale des Arts décoratifs, à lacjuelle depuis quarante ans il s'était donné de
toute son âme, gérant de la célèbre maison d'oi'fèvrerie Chrislofle, de-
venue sienne, pour ainsi dire, par ses liens de parenté, et où, pendant plus
d'un demi-siècle, il joua le rôle le plus brillant; enfin, membre du Conseil
supérieur des Beaux-Arts, Henri Bonilhet restait solide sur la brèche, non
comme un chef fatigué qu'on garde par déférence à un poste d'honneur, mais
comme un militant sur lequel on pouvait compter toujours pour les direc-
tions viriles et décisives.
Homme de résolution, en effet, d'initiative et de haut idéal, il avait prouvé
qu'il l'était.
Sa carrière, si bien remplie, peut être envisagée sous deux aspects dis-
tincts, soit qu'on considère en lui l'orfèvre, soit qu'on envisage son rôle
considérable à l'Union centrale. Comme orfèvre, il a grandement contribué
à l'évolution, je dirai aussi aux progrès de son ai't par son goût ingénieux,
j)ar ses qualités d'homme de science, habile à adapter les procédés de l'outil-
lage mécanique à la ])roduction moderne. Comme protagoniste de la Société
de l'Union centrale, il a aidj puissamment au mouvement d'alfranchissement
de nos industries de luxe qui restaient enlizées dans les sempiternels pastiches
des slylc's anciens. Sa mémoire mérite de survivre à l'un comme à l'antre de
ces litres.
Un criliipu' autorisé, AI. (îabriel Mourey, écrivait au lendemain de sa
nioi l, dans la Bévue Les Ar/s (I), les lignes <pie voici :
<< Il n'est |)('isoiuic, (111 |)(Mil, le dire, piU'iiû ceux (|ui coniKiis.st'iit riiisloin; dos
)» ;ii ls (!(■■( oi'jil ils l'ran<,'ais dut-uit 'ces ciiKniMutc dernières années, vu la niénioire de
" qui le nom de Henri l'xinilliel n'éveilh^ un souvcMiir. l/lionnne (|ni le porta ot
(1 ; NiiiiMM'ii il ^vril r.M I , |i. I >;
— XI —
» l ennoblit fut en elTet étroitement mêlé à toutes les nianiieslalions de notre vie
» artistique au cours du demi-siècle qui vit la rénovation de nos arts industriels,
» tombés en désuétude depuis la lin du premier Empire. »
La constatation est des plus justes. Et il me sera permis, à moi qui fus
pendant près de trente années un fidèle compagnon de lutte aux côtés de ce
chef respecté, d'ajouter qu'il est infiniment regrettable qu'on n'ait pu le
décider à accepter au moment opportun, dans le Conseil d'administration de
l'Union centrale, la première place, au lieu de la seconde dont il se contenta.
En s'effaçant trop modestement devant les deux hommes politiques, Antonin
Proust, puis Georges Berger, qui occupèrent successivement, de 1882 à 1910,
la présidence de la Société, il est bien certain que Henri Bouilhet crut avec
sincérité mieux servir la cause à laquelle il s'était voué. Manqua-t-il de con-
fiance en lui? Craignait-il de se laisser trop absorber au détriment de sa
maison d'orfèvrerie par une fonction qui, grâce à la façon dont il la compre-
nait, serait devenue une lourde charge? C'est probable. Il était de ceux qui
ne se poussent pas d'eux-mêmes au pouvoir. Quoi qu'il en soit, par son exces-
sive réserve, il se condamna lui-même à ne point fournir sa mesure. Dans la
main d'un tel pilote, le gouvernail du navire sur lequel nous combattions
pour une noble cause aurait pris une route plus sûre. Point de tâtonnements
ni de fausses manœuvres. Les destinées de notre moderne art décoratif fran-
çais eussent, je le crois, sensiblement gagné en direction ferme et heureuse.
Mais nous reviendrons tout à l'heure sur ce sujet, et nous dirons quelle
fut la part exacte de Henri Bouilhet dans l'œuvre de l'Union centrale. Aupa-
ravant, il convient de remonter à ses débuts dans l'industrie, et d'indiquer
comment il s'y signala, par quelles qualités de nature, par quelle puissance
de travail il parvint à y jouer le rôle remarquable que nous allons essayer de
définir,
I
L'œuvre de l'orfèvre.
Né en 1830, Henri Bouilhet devint orphelin à l'âge de huit ans. C'était un
enfant très doux, assez taciturne, d'une conduite exemplaire, qui eut de bonne
heure le goût de l'étude, et s'astreignit sans peine à cette discipline intellec-
tuelle par laquelle s'affirment les volontés précoces. iVdmis comme boursier
au collège Sainte-Barbe, il passait avec succès en 1848 le double examen des
baccalauréats ès lettres et ès sciences, et entrait avec le sixième rang, par
— X[I —
voie de concours, comme boursier de la \'ille de Paris, à l'J'^cole ceulrale des
Arts et Manufactures. Il en sortit second en 1851, avec le diplôme d'ingé-
nieur chimiste.
Son maître, l'illustre chimiste Jean-Baptiste Dumas, qui tenait le jeune
homme en particulière estime, aurait souhaité le voir se consacrer unique-
ment à la science. Il le poussa à collaborer au Dictionnaire de Chimie indus-
trielle de Bareswill et Aimé Girard, et l'engagea à faire des conférences, ce
à quoi Bouilhet s'essaya, non sans succès, à la Société d'encouragement, à
l'Observatoire et aux Arts et Métiers, sur différents sujets, tels que les Ori-
gines de la galvanoplastie, ses progrès; les Nouvelles pâtes de la Manufac-
ture de Sèvres Reproduction des objets cïart en métal et leur vulgari-
sation dans les musées, etc., etc.
Mais Henri Bouilhet avait sa voie toute tracée auprès de son oncle,
Charles Ghristofle, qui lui servait de père, et dont la sollicitude avait su lui
faire place à ses côtés dans la manufacture d'orfèvrerie, fondée par lui, à
laquelle il commençait alors à donner le développement colossal qu'elle a pris
par les applications d'argenture électro-chimique. Précisément, à cette date,
c'est-à-dire vers l'année 1852, le promoteur de l'industrie nouvelle de l'orfè-
vrerie argentée voyait enfin s'aplanir les difficultés inouïes qu'il avait ren-
contrées dans le début de sa tentative audacieuse, difficultés qu'ont presque
toujours à vaincre les grands novateurs, quand il s'agit de triompher de la
routine. Par bonheur, Charles Ghristofle était un de ces lutteurs énergiques
au caractère fortement trempé, qu'aucun «découragement ne pouvait abattre.
Depuis 1844, il avait démontré par une production intelligente les avantages
de l'invention qui ouvrait à l'orfèvrerie des horizons imprévus, et l'Académie
des Sciences, par la voix autorisée de J.-B. Dumas, avait signalé les consé-
quences merveilleuses au double point de vue hygiénique et économique du
procédé (pii allait supprimer les ateliers si dangereux de la dorure au mer-
cure, lia plupart des fabricants, après être restes incrédules (exception faite
pour Odiot et Thomire), consentaient enlin à se laisser convaincre, et se
il répandre dans leur clientèle un genre de production accueilli
loiil d idtord sans laveur, ou |)i'ul dire pres(|iie avec dédain. Ia' succès s'aKirma
siirloiil ;i |);irtir de ri']\|)()siti()ii de ISi*.), et les ateliers de (Charles (llirislolle,
|M)iir r''|)oii(lre aii\ besoins d'nne l'ahricii I ion devenue intiMisive, dureni, non
seidcinenl |treinlre des |)ro|)orl ions jnsipi'alors inconnues, mais aussi
se pourvoir d'un oui illagc^ n)éeaiii(pie (pi'il s'agiss.'iil d'iincnterà peu prî's de
tontes pièces. I/élecI rieilé el la \a|)eur l'aisani leur apparition dans l'art de
— XIII —
Torfèvrerie, Lransronnaiil l'échoppe de jadis en usines grondantes el fiévreuses,
quelle révolution dans l'industrie !
Il y avait là, on le conçoit, un rôle séduisant à jouer pour un ingénieur
de vingt ans, enclin aux recherches sérieuses, ayant cet esprit d'initiative qui
est le propre de la jeunesse, et dont, bien souvent, dans le train ordinaire de
l industrie, il arrive (pi'on tend plutôt à retenir qu'à exciter l'ardeur.
Admirablement dirigé par son oncle, Henri Bouilhet put donner libre
essor à ses qualités. Qnel champ n'avait-il pas devant lui, d'ailleurs, puisque
son elforl de création allait devoir s'étendre dans les sens les plus divers, et
que, pour satisfaire au programme magnifique de Charles Cliristofle, il con-
venait de mettre au service de l'Art toutes les ressources de la science?
Il commença par s'initier aux détails compliqués du métier de l'orfèvre,
et se forma le goût tout en apprenant à se plier à la discipline commerciale.
En même temps, il s'efforçait d'utiliser ses talents de chimiste et d'ingénieur
dans les applications de la galvanoplastie, ainsi que dans l'installation d'un
matériel de machines de plus en plus variées. Parmi les multiples innovations
qu'il réalisa à cette époque ou auxquelles il prit une part des plus actives, je
rappellerai celle qui consiste à remplir les coquilles galvaniques par un métal
dur tel que le laiton, et permet d'obtenir une « galvanoplastie massive », c'est-
à-dire des reproductions en une seule pièce de figures ronde-bosse, de motifs
architecturaux ou décoratifs de grande dimension , et même des statues
entières. D'intéressantes applications en furent faites, non seulement dans la
fabrication courante, mais encore dans des œuvres destinées à rester comme
des spécimens de l'art de la ciselure : les appartements de l'Impératrice, aux
Tuileries, décorés par Lefuel, présentaient de véritables chefs-d'œuvre en ce
genre, rivalisant avec les plus fines ciselures du dix-huitième siècle. Le revê-
tement du wagon du Pape, exécuté sous la direction d'Emile Trelat, en 1859,
les portes de l'église Saint- Augustin, reproduites sur les dessins de Victor
Baltard, les chapiteaux de l'Opéra de Garnier, furent également obtenus par
ce procédé.
On peut se faire une idée, par ce seul exemple, de la diversité des travaux
auxquels, dans l'usine, devait tenir tête notre jeune ingénieur. Chaque jour,
c'était quelque nouveau problème à étudier et à résoudre. Aux questions de
mécanique et de chimie, d'installation d'outillage, qui étaient plus particu-
lièrement de son ressort, s'ajoutaient toutes celles de la pratique commerciale
dans une vaste entreprise. Il fallait tantôt s'occuper de la direction des ate-
liers, dont on ne cessait d'augmentei^^ nombre, tantôt imaginer des modèles
— XIV —
inédits pour celte orfèvrerie galvanique qui faisait alors son entrée sensation-
nelle dans le monde, et les approprier aux conditions spéciales de la fabri-
cation. Par surcroît, il fallait encore dresser, avec mille peines et tâtonnements,
tout un personnel d'ouvriers aux opérations d'un métier d'autant plus com-
pliqué qu'il était encore inconnu. Il fallait, enfui, préparer projets sur projets
pour une clientèle qu'il s'agissait de conquérir à force de diplomatie, en
luttant contre les préjugés hostiles aux nouveaux procédés. Tâche énorme !
Labeur considérable ! et qui n'exigeait pas seulement une activité très grande,
mais qui obligeait en outre aux méditations sans trêve, aux expériences
incessantes de laboratoire, à une perpétuelle tension de toutes les facultés
du cerveau.
Quelle école ce fut pour Henri Bouilhet, durant cette période qui va de
1852 à 1863, que cette collaboration si féconde avec Charles Christofle et son
gendre, Ernest de Ribes, qu'il avait associé à la direction de sa maison.
Pénétré qu'était Henri Bouilhet d'admiration pour les qualités supérieures
de son oncle, gagné par l'exubérance et l'enthousiasme de ce tempérament de
flamme, lui, le disciple moins audacieux et plus calme en apparence, se donna
tout entier, sans réticence ni réserve, avec un dévouement absolu, une totale
abnégation de soi-même à l'œuvre qui allait absorber sa vie. Doué d'une santé
remarquablement robuste, la fatigue ne semblait pas avoir jirise sur lui. Tout
son temps était consacré au travail. Point de distractions mondaines, de rares
soirées au théâtre, jamais de sorties en dehors de celles que réclamaient les
affaires. Dans ce Paris qui, alors comme aujourd'hui, olTrait à foison ses ten-
tations à la jeunesse, dans ce monde de la haute bourgeoisie où il voyait s'ou-
vrir devant lui tant de brillantes relations, Henri Bouilhet évitait tout amuse-
ment, restait à l'écart et se concentrait dans son rôle. Même les dimanclies,
dans les réunions de famille, aux heures où les plus laborieux se laissent aller
à une délenle aimable, on le voyait dans un coin du salon s'absorber en quel-
(juc pr()l)lème ardu, chercher en dessinant, le galbe d'une pièce d'orfèvrerie ou
bien grill'onuer silencieusement des notes de prix de revient. Tel il éhiit h cette
éjxxpic, le! il resla toujoui's : grave, réfléchi, luélhodicpie, jamais in()ccu[)é.
I*;ii iui les installations les plus iiuporlautes dont Henri Bouilhet eut à
s'occii |)i r pciidaiil ses années (le début, il faut incnlionucr, à pai l celles des
ateliers (h; doi'urc cl d'argenturi', l'oulillage aduiiraMe (|ui anii'ua une révo-
bilion dans in In ion des coiiveris de table. Depuis le milieu du dix-
liniliciiK^ siècle, ces usiensiles étaicMit exéi'ulés, on le sail, au balanciei- et au
UMMilon «loul l'aclion puissante donnail sa (orme aux fonrelielies ou aux
— \v —
cuillères, el imprimaienl les ornements au moyen de deux matrices d'acier
superposées exactement. Mais, pour rapide et économicpie que fût ce pro-
cédé, il était ])ien loin encore de répondre aux besoins de la fabrication verti-
gineuse de nos jours.
Ce lut seulement (pielcpies années plus tard (pi'un ingénieux inventeur,
II. Levallois, par la Iranst'ormation du laminoir à rouleaux circulaires en ma-
chine à va-el-vieul, mue par une bielle opérant la pression sur des matrices en
forme de segments de cylindre, parvint à décupler la ra[)idité de production,
tout en réalisant le travail en perfection, ce cpii amenait une énorme dimi-
nution du prix de revient. Levallois, malgré la brillante réussite de ses essais,
ayant été exploité par des capitalistes, allait sombrer, et il serait peut-être mort
dans la misère s'il n'avait rencontré en ISIH la maison Ghristofle, qui comprit
tout le parti qu'il y avait à tirer du procédé. Grâce à elle fut montée alors la
grandiose usine de Saint-Denis, où se fabriquent maintenant chaque jour des
centaines et des centaines de couverts en métal argenté. Là encore, il y eut
pour Bouilliet une belle besogne !
Dans un ordre d'idées tout différent , vers 1853, c'est-à-dire à l'époque de ses
débuts, Henri Bouilhet eut à prendre part à une entreprise qui favorisa grande-
ment son éducation d'orfèvre; je veux parler du monumental surtout de table
que Napoléon III commanda à Ghristofle en 1853, pour le palais des Tuileries,
et qui, en introduisant au sein du luxe impérial l'orfèvrerie argentée, devait
être pour celle-ci une consécration éclatante et lui servir de passeport défi-
nitif dans tous les milieux sociaux. De la part du souverain l'acte était
méritoire et gros de conséquence. G'était d'abord l'affirmation solennelle de
cette profonde vérité esthétique qu'en art, la beauté est indépendante du prix
de la matière qui l'exprime. G'était en outre un hommage formel rendu à une
des découvertes qui, en contribuant puissamment à démocratiser le luxe, fut,
comme l'a dit Gharles Blanc, « un des bienfaits les plus signalés dont nous
soyons redevables à la science » .
On comprend aisément l'importance capitale attachée par la maison
Ghristofle à une pareille commande. Aussi mit-elle tout en œuvre pour que
l'exécution dépassât ce qu'on en pouvait attendre. Le surtout comprenait
15 pièces principales formées de groupes allégoriques, plusieurs grandes
coupes, des candélabres avec figures ef emblèmes, ainsi qu'une quantité
d'accessoires: casseroles, réchauds, saucières, comjjotiers, cloches, etc.; le
tout en métal argenté. Le sculpteur Gilbert s'était chargé des modèles. L'élite
des ornemanistes et des ciseleurs de l'époque avait été recrutée dans les plus
— XVI —
célèbres ateliers parisiens, pour mener à la pcrfecLion ce Iravail exceplionnel
qui exigea plusieurs années d'un labeur assidu, hérissé de diiïicultés.
Henri Bouilhet se plongea à fond dans l'étude technique de cette fabrica-
tion. Il y déploya, on peut le dire, autant de goût que de force de volonté.
Un point d'abord fut à fixer. Quel thème adopter pour la décoration générale
des pièces du surtout? Les ornemanistes de cette époque tenaient en grande
faveur les imitations de la nature, les fleurs des champs qu'ils allaient, durant
les jDromenades des dimanches, mouler sur place dans la campagne environ-
nante. Mais ces copies littérales, sans l'adaptation préalable des formes végé-
tales à la matière traductrice, n'étaient pas acceptables avec leur brutalité
désordonnée. On en avait trop abusé. Il fallait prendre un autre parti et
suivre un meilleur principe. Bouilhet, s'inspirant des beaux modèles du
passé, conseilla à ses habiles collaborateurs le retour à une discipline orne-
mentale plus discrète et plus savante. Gomme il avait la passion des fleurs,
il donna plus d'une fois lui-même des croquis d'idées qui lui passaient par
l'esprit. Il en eut d'excellentes. Sur les cloches du surtout impérial, on fit
courir des frises formées avec la fleur du fuchsia, d'un charmant effet; sur
d'autres pièces, des épis de blé, des chardons, des fruits et des légumes furent
disposés en capricieuses volutes. x'Vinsi on devançait le mouvement qui, qua-
rante ans plus tard, devait entraîner nos arts décoratifs aux emprunts à
outrance de la nature végétale.
On sait ce qu'il advint de cette œuvre considérable et qui marque une date
dans l'histoire de l'orfèvrerie moderne. Lors de l'incendie du palais des Tuile-
ries, en 1871, elle fut anéantie, et l'on n'en retrouva parmi les décombres,
(jue quelques débris. Mais elle évoquait un tel passé de travail et d'initiatives,
elle rappelait tant d'efforts couronnés de succès de la période des débuis
d'une maison parvenue au faîte de la renommée, que ces pauvres restes de
métal tordus et corrodés parle feu, Henri Bouilhet n'hésita pas à les recueillir.
Avec une sorte de piété, il s'appliqua à rassembler ces fragments informes,
à rétablir ce (pii maïujuait des décors façonnés jadis, et à faire revivre les plus
iiii|)()i'laiHcs |)ièc('s (\v vv surtout fameux de Na])oléon III.
J'eus l'occasiou de voir l'émineut ingénieur dans ses alehers de la rue de
liondy, alors (pTil |)rési(lait à celle palieiile et minutieuse reconslil.ution.
(Télail cuNirous de l'armée 1*.)00. Il élail tout rayonnant de celle làelie
(|ui lui i;i|)|)el;iil ses ai'deurs de la vinglièine aimée. Ses yeux noirs si
l)i ill;iieul de |)l;iisir, et lui, (|ui (riiabilude u'élail guère lo([uaee , trouvait
des mois ;i)(lenls el colorés pour uTex |»li(|uer de s;i \()i\ gra\'e et bien lind)rée
~ Wll —
la genèse première de Tcruvre de jeunesse, qu'il s'amusail à l'aire renaître.
Il me racontait les emportements (pi'avait eus autrefois (lilbert, le créateur
de toute la partie sculpturale, et les visites de l'Empereur à l'alelier, au fur
et à mesure de l'avancement du travail. Il disait les trouvailles des décorateurs,
le mérite des ciseleurs célèbrc^s (pii avaient fait les douze cents pièces du
surloul, la lenteur si consciencieuse des Fannière, le coup d'outil si nerveux
de Poux, improvisant parfois à même le métal, les délicatesses du scrupuleux
Henri Bouilhet à l'atelier, entouré de ses collaborateurs.
Marié, directeur de la fabrication ; Gervaisot, chef des ateliers de ciselure.
Honoré et d'antres encore, également disparus, ayant laissé une réputation,
tous virtuoses du repoussé, cet art suprême de l'orfèvrerie.
— « Ah! mon cher ami, ajoutait Bouilhet avec un soupir, comme en ce
temps-là on avait de l'enthousiasme au travail ! »
Ce cri de regret était vite étouffé. A ses côtés, en effet, ne retrouvait-il pas
plusieurs des anciens compagnons de la première heure, le chef de fabrication,
M. Marié, son fidèle collaborateur depuis trente ans, et Gervaisot, son chef
de la ciselure, dont les débuts comme apprenti dans la fabrique remontaient
à plus d'un quart de siècle? Ceux-ci, gardant pour leur chef une affection
respectueuse, l'entouraient de ce dévouement qu'il savait si bien susciter.
C'était un réconfort pour la philosophie un peu désabusée de sa vieillesse.
Je n'entreprendrai pas de suivre Henri Bouilhet dans toutes les étapes de sa
— XVIII —
longue carrière d'orfèvre. On trouvera d'ailleurs, épars dans le troisième
volume du présent ouvrage, de nombreux détails concernant l'histoire de la
célèbre maison dont il fut l'àme pendant plus de soixante ans, ainsi que le
récit de ses participations aux Expositions universelles durant cette période.
Bien que son nom apparaisse très rarement dans ces bulletins de victoire, et
soit remplacé par celui de la « raison sociale » , le lecteur saura reconnaître
l'auteur sous le voile de modestie qui le dissimule.
Charles Chrislofle et Ernest de Ribes étant morts tous deux dans la même
année, en 1863, la direction de ses établissements échut à son fds Paul et à
son neveu qu'un double lien du sang unissait, car le défunt, qui avait épousé la
sœur aînée d'Henri Bouilhet, se trouvait à la fois oncle et beau-frère de
celui-ci. Les deux jeunes gens s'entendaient à merveille, quoique d'un tempé-
rament absolument dissemblable, et l'attribution de leur rôle dut à coup sûr
s'établir naturellement d'après le caractère de chacun ; Bouilhet, homme d'ac-
tion, en même temps que technicien, eut le gouvernement intérieur et la
conduite des ateliers de fabrication; Paul Christofle qui, sous ses airs de
colosse, possédait l'âme tendre et délicate d'un rêveur, des goûts fins de pen-
seur qu'attirent les lectures au coin du foyer, se chargea des questions admi-
nistratives et de la partie commerciale, où il fit preuve des qualités les plus
hautes. Le même bureau directorial, dans l'usine de la rue de Bondy, était
occupé parles deux cousins, qui se tenaient assis en face l'un de l'autre; pendant
un demi-siècle, jamais le moindre nuage ne vint gâter leur douce amitié. Entre
eux, peu de paroles ; ils n'avaient besoin que de se regarder pour se comprendre.
Ils se marièrent. C'est à peine si leur existence parut changée; les deux
familles habitaient l'une à côté de l'autre dans les vastes bâtiments de la
fabrique, et vivaient discrètement dans la plus parfaite harmonie. Paul
(Ihristolle n'eul [)as d'enfant, ce qui fut la grande mélancolie de sa vie. Quanl
à Henri Bouilhet, il avait épousé la fille (hi littérateur Sainliiie, l'auteur de
ii()nd)i'euses j)ièces de théâtre et de ces récits du genre sensible, tels que
Picriolu , (pii firent les délices de \i\ société du temps de Louis-Philij)pe
(;!. (pie PyVcadémie couronna. b]lle fui l'ange de son foyer, une de ces
Icmmcs simples cl bonnes, de ces mères idéales, intelligentes et dévouées,
(loiil la \i(' s'absorlxï loiil enlière entre l'amoiii' de leur nuiri cl celui de
leurs cnlanls. 'IVois lilles et un lils lui inupiirenl. (Télait une famille
délicieuse. Mon \ieil ami Hossigueux , l'éminent architecte-décorateur,
qui travailla l){'aucou[) |)our la maison Chiistolle, et (pii vit, grandii" tout
ce jx'tit nu>nde, m'a l'ail bien souvent le tableau de ce bonheur donu'sti([ue
— MX —
(lonl il lui (luraiil des années le témoin charmé el charmeur. Cha(|ue
été, la famille Bouilhel déserLail Tapparlemenl de la rue de Bondy, et allait
s'installer à Marly-le-Roi, dans la champêtre maison héritée de Saintine —
piu'vit damas muijiui quics — où, parnii les meubles et les livres poudreux
laissés par le grand-père, semblaient flotter encore des parfums de bucoliques.
Là, au milieu de la verdure et des fleurs, Henri Bouilhet venait, le soir,
respirer les senteurs des lilas et des glycines. Goûtait-il pleinement le
charme de ces rares luoments arrachés à sa vie fiévreuse? La plupart du
temps, aussitôt après le souper, on le voyait se précipiter sur la serviette
bourrée de papiers qu'il avait emportée de l'usine, alin de s'offrir encore, dans
le calme de la nuit, quelques bonnes heures de travail supplémentaire. « Ce
sont les seuls instants qu'on ait, disait-il, pour réfléchir avec tranquillité aux
alfaires sérieuses. Le reste du temps, le tourbillon nous emporte ! »
Il m'a été donné de voir Henri Bouilhel, sur la fin de sa vie, dans le cadre
aimable de celle intimité familiale ; alors, ce n'étaient plus seulement ses
enfants qui se trouvaient réunis autour de la table qu'il présidait comme un
patriarche, mais toute une jolie collection de petits-enfants, dont les frais
éclats de rire égayaient l'habitation de Marly-le-Roi. Il avait fallu successive-
ment l'agrandir, l'ancienne maison du vieux papa Saintine, devenue trop
étroite, et le modeste jardin d'autrefois s'était changé presque en un parc.
Mais Bouilhet, qui ramenait toutes choses à l'idée fixe de sa besogne cou-
tumière, y gardait son coin préféré, son « coin d'orfèvre », comme il disait,
celui où il s'occupait de la culture des fleurs de pleine terre qu'il aimait à
prendre comme modèles.
« Il n'y a que celles-là, affirmait-il, qui conviennent à notre profession, et
à tous les arts en général. Au moins, elles ne sont pas truquées ; elles gardent
leur caractère originel et leurs qualités de terroir. C'est sain et franc. Ne me
parlez pas ce ces fleurs rares et tourmentées que la fureur de l'exotisme met
à la mode ! »
C'est dans cette vie de foyer, au milieu des siens, qu'on pouvait vraiment
apprécier l'homme qu'était Henri Bouilhet, la droiture de son cœur généreux,
l'étendue et la solidité de ses connaissances, le charme de sa conversation
nourrie de faits toujours précis, émaillée d'observations judicieuses ou de
remarques savantes. Ce n'était plus l'homme un peu fVoid, d'un abord assez
distant, sur la réserve, qu'on trouvait à l'usine ou ailleurs. Sa gravité habi-
tuelle semblait se fondre dans un sourire d'une singulière douceur. Sans être
un causeur enjoué, qui se met en frais pour briller, il savait pourtant
— XX —
séduire, quand il le voulait, son inlerlocuLeur. Il avail vu lanL de choses et
connu tant de gens célèbres, qu'il lui suffisait de puiser parmi ses souvenirs
pour intéresser. Ce n'était pas son fort que les anecdotes et les descriptions
pittoresques, mais, par le fond des idées, il s'imposait. Parler pour ne rien
dire, pour lancer des mots à facettes, ou pour faire de l'esprit aux dépens d'un
absent, cela lui paraissait inconcevable et le mettait mal à l'aise. Il avait en
sainte horreur ce qu'on nomme le cabotinage. Par ce trait, on reconnaîtra qu'il
était bien un homme d'une autre époque et qu'il n'avait guère les goûts « d'un
Parisien du boulevard » . Il restait le type de ces grands bourgeois d'autrefois,
d'allure si particulière, et que la génération actuelle n'a pas connus. Depuis
l'Exposition universelle de 1889, qui avait été l'occasion d'un de ses plus
brillants succès d'orfèvre, Henri Bouilhet s'était placé à la tête des industriels
ennemis de la routine qui s'efforçaient résolument d'orienter les arts décoratifs
français vers des horizons nouveaux. Contribuera l'éclosion d'un art moderne,
renoncer à l'imitation exclusive des styles anciens, devint une de ses idées
favorites et le but de ses efforts. Ce n'est pas, d'ailleurs, un des traits les
moins curieux du caractère de l'homme dont nous résumons ici la vie que
son goût persistant pour les tentatives audacieuses et pour sortir des sentiers
battus. Innover toujours et quand même semble avoir été sa règle, la ten-
dance constante de son esprit. Chez lui s'alliaient, en un rare équilibre, deux
qualités contraires, la prudence du commerçant et la hardiesse de l'inventeur.
C'est à quoi est due, il n'en faut pas douter, la fortune des établissements
Christofle. Supposons, un moment, le dosage différent entre ces deux facultés
qu'eut Henri Bordlhet, c'est-à-dire un peu trop de prudence, pas assez de
hardiesse : dans le ])remier cas, c'était la production de l'usiue eulizée dans
les succès avérés, et se bornant à rester fidèle aux premiers triomphes; dans
le sec(Mul, c'était commettre la grave faute de ne point teuir constamment en
éveil l'atlcnlion du pul)lic pav des créalious iu)uvelk's. Or, si, en matière
politi(jue, ta devise est vraie (jui dit cpu' (( gouveruer c'est prévoir », il faut
se i'a|)peh'i' (pie, |)our les in(histries d'art, couiuie un dilemme redoutable
l'cste toujours cette parole de Michelet : (( hneuter ou |)érir! »
Vaiueuu iit, objecterail-ou (pie, n'ayant pas réalisé de ses mains les orfè-
vreries a II \<|iicllcs il est l'ait \c\ allusion, Henri j)ouillu't ne saurait pi'étendre
à iiii autre méi ilc (|ue eeliii d'éditeur, et (|iu^ t' est seulement sur ses coUabo-
lalciirs : sculpteurs, dessinatciii's, éniailleiirs, etc., (|ue riionneiii' doit en
re);iillir. Nous toiielioiis ici à la (pieslion (pii <le\inl un luoineni hrùlanli', il y
a line viiii^laine (raniiécs, et dont ou se servit comme d'un brandon de dis-
— XXI —
corde dans les aleliers parisiens afin d'exciler contre certains chels d'indus-
trie les colères des artistes, leurs collaborateurs. « De quel droit, disait-on, les
patrons d'une maison d'orfèvrerie, de bijouterie, de meubles ou de céramique,
mettent-ils leur marque, leur r.-ii.son .sociale sans autre désignation, sur les
œuvres produites dans leurs ateliers? C'est frustrer ceux qui en sont les
auteurs véritables de la part de réputation à laquelle ils ont droit. » — << Mais
nos collaborateurs sont légion! répondaient les intéressés. Pour faire un
simple bracelet, on en compte parfois buit ou dix, depuis le dessinateur qui
a eu la première idée jusqu'au plus bumble ciseleur. » — « Peu importe!
répondaient leurs adversaires. Nommez-les tous! » — La querelle s'envenima,
prit des proportions inattendues, si bien que, lorsque l'Etat acbeta, pour le
Musée du Luxembourg, en 1892, le buste de la Gallia, à l'orfèvre L. Falize,
celui-ci fut invité à inscrire sur le socle la liste des divers coopérateurs de
l'œuvre. Il en désigna une douzaine. Sur quoi l'excellent critique Arsène
Alexandre écrivit plaisamment : « M. Falize a oublié de nommer l'éléphant
auquel il doit le bel ivoire dont a été fait le buste de sa Gallia ! » La saillie
fit rire, et, du coup, apparut le ridicule des exagérations de la campagne
entreprise. D'un principe juste et équitable, on tombait dans l'impossible.
Certes, ce n'était pas un chef d'industrie comme Henri Bouilhet que pou-
vaient viser des revendications de ce genre. J'ai dit plus haut quelle aversion
il avait pour toutes les espèces de cabotinage. Ce n'est pas lui qui eût jamais
songé à se parer des plumes de paon, et à tirer vanité des œuvres d'autrui.
Loin de se mettre en avant, il s'oubliait, et disparaissait en toutes circons-
tances, derrière la façade de la maison Christofle. Un des premiers, il prit
soin de mentionner sur les catalogues d'expositions les noms des artistes ou
artisans ayant participé d'une façon quelconque aux œuvres dont il avait
dirigé l'exécution. Même lorsque l'idée initiale lui appartenait en propre —
et c'était souvent le cas, — il ne manquait jamais à cette règle. Il s'effaçait.
N'est-ce pas de lui, cependant, qu'émanait l'initiative de cette résurrection des
émaux cloisonnés à la manière chinoise qui fut si remarquée à l'Exposition de
Vienne en 1873? N'est-ce pas également à ses recherches savantes qu'on dut
le procédé du a damasquinage galvanique par incrustation » et celui du
(( guillochage électro-magnétique » obtenu par un cylindre en cuivre sur
lequel est disposé un dessin à réserve et qui, mis en contact avec une pointe
de platine communiquant à un électro-aimant, se trouve gravé électrique-
ment? N'est-ce pas lui encore qui établit le premier projet de ces meubles si
curieux, d'une richesse féerique, qu'on vit à l'Exposition de 1878, et dans
— XXII —
rexécution desquels fîgiiraienl les spécimens de toutes les ressources que l'art
de l'orfèvrerie moderne possédait alors, comme ciselure, incrustation et
damasquinure galvanique, émail cloisonné, émail translucide en couleur
et bronze patiné? Pour chaque exposition universelle, soit à Paris, soit à
l'étranger, Henri Bouilhet s'ingéniait à présenter quelque nouveauté sensa-
tionnelle. On en verra le détail dans le courant de ce troisième volume de
VHistoire de VOrfèvrerie française. Sans doute, presque toujours, ces pièces
importantes étaient exécutées par les plus célèbres artistes. Mais qui en sus-
citait la création, qui les mettait en œuvre, si ce n'est lui, attentif comme un
chef d'orchestre à conduire sa phalange de collaborateurs, qu'il conseillait,
guidait et stimulait, inventant pour eux les instruments dont ils avaient à
jouer, c'est-à-dire les procédés d'une orfèvrerie scientifique prêtant à des
effets nouveaux?
Dans son remarquable Rapport sur l'Orfèvrerie a V Exposition de 1889,
qui fait autorité, Lucien Falize a indiqué avec sobriété et justesse le rôle
qu'a exercé Henri Bouilhet entant qu'orfèvre novateur. (( Il n'estpas seulement,
a-t-il dit, l'associé de M. Christofle, le chimiste et l'ingénieur de la grande
usine; c'est l'homme de goût, le chercheur, dont l'esprit s'arrête aux moindres
détails... » Et Falize signale, en passant, une de ses idées les plus charmantes,
« fraîche en son invention, surprenante et presque incroyable en sa simpli-
cité de fabrication », laquelle consistait à imprimer directement les plantes
les plus ténues et les plus fragiles dans le métal, à estamper sur une plaque
d'argent ou de cuivre les nervures d'une feuille séchée, le gracile décor des
fines graminées, puis à peindre par épargne avec des dorures, des argentures
ou des patines de bronze, les couleurs des plantes. « Cette décoration nou-
velle, ajoutait Falize, n'est pas un emprunt fait au Japon, c'est un retour
à la nature, la grande inspiratrice, et nous signalons ce procédé curieux
comme la découverte la plus nouvelle et la plus extraordinaire de l'orfèvrerie
à cette Exposition. Du resie, la persévérance qu'apporte M. Henri Bouilhet
à chercher des procédés pour décorer l'orfèvrerie est connue de tous; il y a
vingt ans qu'il s'applique à orner le mêlai; il a été lui des premiers à suivre le
courant Japonais, il a osé cloisonner et êmailler les vases, alors que ce pro-
cédé était c^ucoi e ignoiê de ses conIVères. . . iMilin, cette année, il est parvenu
i'i apj)li(jnei' à Torlrv rcric^ le mode de gravure ([u'emploient les graveurs en
nu'idailles... »
Il n'est |)as besoin d'insislci' davantage el d'enlrei' |)lus avant dans les
(|ucstioiis l(( luii(Hi('s pour (iiToii eoniprcMue bien (|uelle place Irès grande
— X\lll —
occupe Henri Bouilhel. dans riiisloire de Torlèvrerie au dix-neuvième siècle,
grâce surtout à ce don d'initiateur et (rinvenleur qu'il eut toujours en lui.
Ses confrères, (|ui rendaient justice à sa haute valeur, Télurent à l'unanimité
Président du Jury de leur classe à l'Exposition universelle de 1901). 11 l'iil
très touché de cet hommage, et il me semhle entendre encore sa voix un peu
tremblante ce jour-là, et comme étranglée par l'émotion, quand il se leva
pour remercier.
« Messieurs, il y a cinc[uante ans que je suis orfèvre... »
Son allocution fut écoutée avec sympathie, mais ceux des membres du Jury
qui voyaient Henri Bouilhet pour la première fois ne purent, à ce premier
contact, se faire inie idée de l'homme qu'il était. Comme toujours, il avait
trop de réserve, il ne se livrait pas assez, il se retranchait derrière sa modestie
incurable. Ce ne fut que lorsqu'on le vit à l'ceuvre qu'on le jugea à sa mesure,
et que les plus chauds témoignages d'alTection et de respect lui furent pro-
digués. Ah! ce Jury de l'Orfèvrerie de l'Exposition de 1900! Avec quelle
ardeur et, j'ose dire, avec quelle conscience il poursuivit sa tâche sous le
soleil de plomb, qui, durant les mois de juin et de juillet, changea en une
gigantescpie étuve l'espace où, de l'Esplanade des Invalides au Trocadéro,
nous devions évoluer ! La mort a fauché depuis lors plus d'un de nos col-
lègues : Armand-Calliat, Thesmar, l'Anglais Philippe, et combien d'autres !...
Ceux cpii restent témoigneront avec moi du sentiment d'admiration que tous
éprouvèrent pour leur Président, pour son endurance à la fatigue, malgré
ses soixante-dix ans, pour son érudition et les c[ualités merveilleuses de son
jugement. Arrivé le premier à nos réunions, il partait le dernier. Ce qui
était surtout remarquable, c'est que, lorscpi'une séance s'était terminée sur une
discussion un peu orageuse et confuse, on le voyait le lendemain, reprenant
tranquillement l'ordre du jour au point interrompu, ouvrir ses dossiers
grossis de documents suggestifs, de statisticjues péremptoires, de notes topi-
ques : il avait passé une partie de sa nuit à amasser pour nous de la lumière !
Qu'un tel homme n'ait pas reçu à cette époque la récompense c|ue tous
les bons juges, d'avance, lui avaient décernée, c'est là un de ces paradoxes
qui ne saurait étonner quiconcjue sait de quelle étrange manière tombe la
pluie capricieuse des honneurs à la suite des Expositions universelles. La
croix de Commandeur de la Légion d'honneur qu'il avait méritée à tant de
titres ne lui échut pas. De cette petite déception, s'il l'éprouva, notre ami ne
laissa rien paraître ; il avait l'àme trop haute. Simplement, il redoubla d'ac-
tivité et de zèle pour les diverses besognes cju'il assumait et dont cpielcjues-
— XXIV —
unes réclamaieiiL son dévoiienienL le ])liis désintéressé. Aucinie iassiliide
n'apparut clans son effort quotidien, toujours égal.
Certes, parvenu à celte période de son existence, il auiaiL pu s'accorder
quelques loisirs. Son cher fds André, qu'il avait associé à ses travaux d'or-
fèvre, et préparé de longue date à la tâche difficile de lui succéder, était désor-
mais capalîle de le suppléer. D'autre part, son cousin, M. Paul Christofle,
après avoir ménagé à son neveu, Fernand de llibes-Chrislofle, Ingénieur
des Arts et Manufactures, la place occupée autrefois par son père, l'avait
adopté à la fm de sa vie. Les deux chefs vieillis, ayant ainsi sagement assuré
l'avenir, pouvaient donc en toute tranquillité abandonner les rênes. Mais
Henri Bouilhet n'était pas homme à se résigner au repos ; jusqu'au bout, il
resta le conseiller vigilant et toujours présent, ayant l'd'il à tout, conduisant
tout, allant d'un pas qui n'était nullement alourdi de son bureau de la rue de
Bondy, jusque dans le dédale des ateliers, heureux quand il rencontrait sur
son passage, parmi les ouvriers qui l'accueillaient d'un salut à la fois déférent
et affectueux, quelque collaborateur d'autrefois, un de ces vétérans qui sem-
blaient être pour lui comme un symbole, et l'incarnation, pour ainsi dire
vivante, des établissements Christofle.
« Les établissements Christofle! » De quel ton Henri Bouilhet pronon-
çait ces deux mots, avec quel mélange de respect et de fierté ! Ils résumaient
pour lui, on le sentait, tout l'idéal réalisé de sa longue vie d'efforts, ce que sa
pensée pouvait concevoir de noble et de grand, c'est-à-dire le succès obtenu
à force de volonté, de droiture et d'honneur, des années de lutte opiniâtre, le
prestige conquis à la maison créée par son oncle vénéré, enfin, quelque chose
de mieux encore, peut-être, ou qui portait plus loin, je veux dire une (cuvre
de |)rogrès pour l'arl et pour l'industrie de la France!
II
Son rôle à l'Union centrale des Arts décoratifs.
Après avoir nii>iitr('' ce (iiic lut foi-l'èvre, il uous i-cste à indiipier l'onivrc^
;i('i (»iii|»lic pur Henri IJouillu^t à rUniou (•cnlralc des Aris (h'coral ils, de l87.'-5 à 1910.
Ici, le l)i(i;^r;iitlic pn'cis (pic je urenorce (rêfr(^ se double d'un témoin (pii,
ayant ('ti'' nièh' peniliuit près de I renie ;uis de la l'acon la pins étroite à la
vie (l(! (■(■Ile s()ci(''l(' ci''lèl)re, ('prouve (pichpu' ci'ainte de se laisser entraîner à
l'évocation de souNcnirs personnels ti'op ahondaids on (pii scnnhlcM'aient hors de
— wv —
propos. Elle est si mal comme, l'Iiistoire de rUnioii centrale, siirtoul. pour répo(|ne
(le ses débuts, qu'il serait fort tentant, en vérité, d'en remettre avec exactitude
les principales phases sous les yeux de la génération actuelle, en rectifiant les
erreurs commises à son sujel. Ce serait pour beaucoup une leçon utile, à l'heure
où se dresse, encore plus redoutable qu'alors, le danger (pii menace l'art décoratif
français! C'est un chapitre qu'il faudra tôt ou tard qu'on écrive avec les dévelop-
pements nécessaires pour bien faire comprendre l'action exercée par l'Union
centrale sur l'éducation du goût dans la société contemporaine, et le genre de
services ([u'elle a rendus ou ceux (ju'elle aurait pu rendre. Mais, de ce chapitre, je
ne détacherai anjom'd'hni que ce qui a trait particulièrement à l'homme distingué
qui fait l'objet de notre étude.
On sait à quelles sortes de préoccupations obéirent, dans les dernières années
du Second Enq^ire, les fondateurs de V Union centrale des Beaux-Arts appliqués à
l'industrie. Les succès que notre pays avait remportés aux Expositions univer-
selles, notamment en 1851, avaient ouvert les yeux des étrangers. Ceux-ci s'étaient
dit : « La supériorité artistique de la France n'est pas simplement le résultat d'un
don de nature ; ce n'est pas seulement affaire de territoire et de climat : c'est
affaire d'études et de traditions. Le goût s'acquiert par le travail ; les bons ouvriers
s'obtiennent par l'enseignement du dessin. 11 s'agit donc avant tout de créer des
écoles et des musées pour lutter contre la France ! » C'est ce qu'on fit en Angle-
terre, puis ailleurs, et le résultat des efforts de nos rivaux ne se fit pas attendre.
Les progrès réalisés par eux en fort peu de temps furent signalés, on n'ignore
pas avec quelle éloquence, par le comte de Laborde et par le grand écrivain
Mérimée, dans des rapports admirables, qu'on aurait profit à relire, même à
l'heure présente.
C'est alors qu'au milieu de l'indifférence générale du public français pour ces
graves questions apparurent ces hommes d'initiative et de foi qui eurent l'idée de
créer la nouvelle société à laquelle ils donnèrent pour devise le Beau dans l'utile.
Ce n'étaient pas des politiciens en quête d'un tremplin pour s'élancer dans l'arène,
ni des ambitieux guettant l'occasion de se produire : c'étaient de simples artisans
de Paris, quelques fabricants du faubourg Saint-Antoine, ayant à leur tête un
architecte-décorateur, nommé Guichard, tous gens de cœur et de dévouement,
sortes d'apôtres passionnés pour l'art, et qui ne demandaient qu'à se consacrer,
sans aucune arrière-pensée, pour leur seule satisfaction, à une cause grande et
belle. Un article de leurs statuts disait : « Tous les membres du comité feront
gratuitement les avances nécessaires à l'organisation de tout ce que celui-ci se
donne la tâche de fonder. » Une somme de cinquante mille francs fut ainsi consa-
crée, de 1864 à 1870, à leur œuvre par ses généreux promoteurs. En ce temps-là,
travailler pour la gloire était une de ces naïvetés dont certains enthousiastes
pouvaient encore s'offrir le luxe sans redouter les railleries. Ces premiers créa-
b
— XXVI —
leurs de !'« Union cenirale des Beaux-Arts appliqués à l'irjduslrie » eurent tout de
suite l'intuition de la lâche immense à accomplir. Avec ime audace tranquille, ils
entrèrent dans le feu de l'action sans perdre une minute, montrant une sûreté de
coup d'œil étonnante à envisager toutes les faces du problème compliqué qu'ils
ambitionnaient de résoudre. Quand on relit aujourd'hui leur programme de 4863,
on admire avec quelle précision, quelle ampleur et quelle justesse ils l'avaient
conçu. Leurs successeurs n'y ont rien ajouté. Reconnaissons même en toute fran-
chise qu'ils l'ont plutôt quelque peu diminué.
La guerre de 4870 n'interrompit qu'un moment leur effort, et dès 1874 la jeune
Société reprenait son élan avec un comité composé de quelques éléments nouveaux,
ayant comme président Edouard André, l'amateur bien connu, collectionneur
émérite, et comme vice-président Henri Bouilhet, dont l'activité, l'esprit pratique
et la puissance de travail allaient trouver largement à s'exercer dans cette noble
entreprise. A côté d'eux, Louvrier de Lajolais, esprit ardent, lutteur énergique,
entamait une rude campagne en faveur de la réforme de l'enseignement du dessin,
et s'employait corps et âme à propager par tous les moyens les doctrines de la
petite phalange qui aurait été galvanisée par l'exemple de cet entraîneur, si elle
n'avait pas été animée du même feu sacré. En même temps, pour agir sur le
publie et former le goût de la foule, furent organisées coup sur coup les expo-
sitions de Y Histoire du cosliime, en 1874, et de Y Histoire de la tapisserie, en 1876,
qui attirèrent par centaines de mille les visiteurs, véritable phénomène à cette
époque. Henri Bouilhet s'y montra administrateur de premier ordre. Ce fut une
manière pour lui de se faire la main en attendant les remarquables expositions
technologiques dont il va être question plus loin.
Précisément à cette date se produisit un événement qui eut sur l'avenir de la
« Société des Beaux-Arts appliqués à l'industrie » des conséquences graves : je
veux parler de la l'ondation de la Société du Musée des arts décoratifs qui se dressa
tout à coup av(M'. des allures insidieuses de rivale en face de la première. Quel
besoin avait-on de cette nouvelle association qui annonçait à peu près le même
programin(! (pie son aînée, et comment avait-elle pu surgir, puisqu'elle paraissait
faire d()ul)l(i emploi? De cette concurrence singulière n'allait-il pas résulter un
coiillir, en tout cas un malentendu, une dispersion d'elforts, par conséquent un
alVaililisseirieiil (liiiis l(!S moyens poiu- arri vei' au but?
(leliii (|iii ('■(•rit ces lignes s(! doit à lui-m(''m(î d(^ foui'uir ici une explication res-
seiriMaiil à un aveu, car le premier coupable en cette alfaire, ce fut lui. Voici
cDinnienl. Va\ 1 87(), j'ignorais tolalement l'existence de l'Union centrale des beaux-
arts ap|)li(pi(!s à l'industrie. Mon ex('us(! est (|ue j'avais alors vingt-(|uatre ans.
.I(! venais (r(Mre ii()iinn('' se('r(''taire d(! la r(''(la('tion d'une fastueuse revue, /'/Ir/, et
j'r'lais iin|ialieiil de l'aire nies preuv(!S. Or, ayani, ('•t('' envo_y('' en mission à Londres,
j y fus l'bldiii pai- les rii lirsses du Smilh hriisiiK/to/i !\liisci//>i . (le! admirable
— xwir —
musée, n'était-ce pas à l'initiative pi-ivée qu'on le devait? « Pourquoi, me dis-je,
ne ferions-nous pas eu France ce qu'avaient su faire les Anglais?» Avec une
ardeur de néopliyte, je demandai au directeur de l' Art l'autorisation de inener
une campagne et de provoquer une Souscription pour la création cfun South
Kr/isinf/ton Muséum français. Tel fut le titre' — détestable, il faut en convenir —
sous lequel parurent nos premiers articles. Mon directeur, non seulement acquiesça
à l'idée, mais se mit de la partie. Les adhésions ne tardèrent pas ù arriver. Ce
fut surtout dans le monde des grands collectionneurs de Paris qu'on répondit à
notre ai)pel, et aussi dans l'aristocratie du faubourg Saint-Germain, parmi les
ducs et paii's, les attachés d'ambassade mis en disponibilité par la République,
lesquels cherchaient, en bons patriotes, un élément nouveau à leur activité. Ah!
que de visites il fallut faire avant de constituer notre comité de patronage, qu'ac-
cepta de présider le duc d'Audiffred-Pasquier ! Mais aussi que de paroles cour-
toises, que de précieux encouragements nous furent prodigués ! Le jeune duc de
Chaulues, vrai grand seigneur, simple, aimable, bri^ilant de marcher sur les traces
de son aïeul, le duc de Luynes, ce brillant Mécènes, nous écrivit une lettre élo-
quente, que je voudrais avoir la place de citer ici, et qu'accompagnait un chèque
de ^0000 francs. Le marquis de Biencourt, le duc de Sabran, le comte de Ganay,
Alfred Darcel, directeur du musée de Cluny, l'éditeur Didot, Paul Dalloz, du
3Inniteur nniverse/, ceni, autres hommes distingués s'inscrivirent, et, en quelques
semaines, notre chilTre de souscription dépassa 100000 francs. C'était un beau
début. J'aurais souhaité que Gambetta se mît avec nous, pour bien marquer que
notre œuvre planait au-dessus de la politique et s'adressait à tous les partis.
J'allai le voir, mais ne rencontrai que Spuller qui, après avoir jeté les yeux sur la
liste de nos premiers adhérents, me la rendit précipitamment, en s'écriant d'un
ton bourru : « Je ne travaille pas avec les ducs ! » Il ne voulut rien entendre.
Quinze ans plus tard, il se mit à sourire quand je lui rappelai cette boutade :
c; Aujourd'hui, fit-il, je vous répondrais ; je travaille avec tous les bons Français ! »
Un jour, au cours de ces visites, je tombai sur L. de Lajqlais, qui venait
d'être récemment chargé des fonctions de directeur de l'Ecole à laquelle il fit
donner lui-même le titre d'Ecole nationale des Arts décoratifs. 11 me toisa avec ce
balancement des épaules qui lui était particulier, et tel que, dans l'impétuosité de
son abord, on ne savait pas si c'était pour vous étreindre affectueusement ou
pour vous terrasser. Avec sa barbiche grise, les cheveux courts, le teint haut en
couleur, il ressemblait à un colonel en retraite :
« Ah! c'est vous, s'exclama-t-il, qui faites la guerre à l'Union centrale, qui
voulez nous supplanter, qui vous imaginez pouvoir, comme cela, créer en cinq
minutes un musée sur le type du Kensington ! .. . Laissez-moi rire ! »
11 ne semblait pas en avoir envie. J'essayai de le calmer et le persuadai de la
pureté de mes intentions, en lui confessant que je ne connaissais l'existence de
— XXVIII —
l'Union centrale que depuis quelques jours à peine. Ma candeur le désarma, et,
après m'avoir écouté, sa colère du premier moment fit place à un tout autre sen-
timent. 11 vint, à quelques jours de là, nous trouver à la rédaction de l'ArL Ses
collègues du Comité de l'Union centrale, dont il était un des inemljres les plus
justement influents, avaient été par lui rassurés au sujet de notre souscription.
Avec beaucoup de bon sens, il les avait convaincus que, loin d'êlre pour eux des
adversaires, nous arrivions comme dos alliés inattendus. L. de Lajolais nous
apportait, en somme, l'adhésion précieuse de ses amis.
« Seulement, ajouta-t-il, changez votre titre ; il est exécrable. A-t-on idée de
cela! Souscription pour la création d'u)i South Kcnsing ton Muséum français... C'est
à faire fuir les mieux intentionnés !
— Mais quel litre adopter? Préféreriez-vous celui-ci : Pour la création d'un
musée somptuaire !
— Pas ça non plus ! »
11 réfléchit un moment, puis sa physionomie s'épanouit :
« Dites : Pour la création cïun musée des Arts décoratifs. Voilà le vrai titre
qu'il vous faut. »
Ce fut un baptême heureux, et, bien que L. de Lajolais n'ait jamais songé à
revendiquer ce parrainage, il est juste de lui en restituer l'honneur. L'expression
vient de lui; elle a fait fortune et reste depuis universellement adoptée. A partir
de ce moment, les membres de l'Union centrale ne firent aucune difficulté de se
joindre à nous, et la « Société du Musée des Arts décoratifs» fut promptement
constituée avec le duc de Chaulnes comme président. On choisit pour vice-prési-
dent Henri Bouilhet, pour bien indiquer dans quel esprit d'alliance nous agissions
avec l'Union centrale. En qualité de secrétaire général, je fus chargé de m'oc-
cuper des premiers détails de l'installation. Nous avions conquis à notre cause le
directeur des Beaux-Arts, le spirituel marquis de Chennevières, que je voyais
presque ch;u(ae jour à cette époque, et qui nous fit la grande faveur de nous
accorder la concession du Pavillon de Flore pour l'organisation de notre futur
musée. Une aile entière du i^alais des Tuileries ! Tous les élagcs de cette partie du
monument (|ui borde la Seine, du pont des Saints-Pères au pont Uoyal ! On juge
de iHttre joif^. I)(''jà nous dr(\ssions des plans, nous disposions en imagination les
splciididcs collections, dont (l(>. nombreux et généreux bienfaiteurs n'allaieni pas
miiiiipici' sans doiit(^ dii dol,er promptement woivv musée... Ilélas! nous élions
loin (lu liul !
Si je viens d(! me laisser alUu' à cette digi'ession sur l'origine exacte de la
Soi i(''t('' du Mus('e des Aris (h'coratifs, i\\u' si peu de p(>rsonn(>s, probablenuMil ,
coiiiiaisseiil iNioin-d'Iiiii, c'est poiu' bien uiaripier, dans ses miances et ses demi-
li iiiles, le lùle | i;i il ic ( d ie re IN e M I dil'Iicile (pi'eid, à jouer Henri Boiiilliet au sein
d ini coiiiil('' iliiccleiir coiisIKik'' dans les coiidilions (pii vieinient d'èire diles, et où
— XXI\ —
se formèrent deux courants très distincts, l'un venant de rUnion centrale, l'autre
de la Société nouvelle. Les deux associations eurent beau consacrer, en 1882, leur
fusion définitive sous l'unique titre d'I'/u'on coitrale des Arts décoratifs^ qui emprun-
tait, dans un esprit tVatcrnel à chacune d'elles la moitié de son appellation primi-
tive, malgré tout et toujours subsistèrent certaines divergences de vues et comme
une flottante ligne de démarcation entre ces éléments disparates. La cohésion
manquait aux membres de ce comité, tous hommes distingués, assurément, et
fort instruits, mais qui se trouvaient aux antipodes les uns des autres par leur
situation sociale, leurs habitudes intellectuelles, leur manière de sentir et de
goûter les arts. D'un côté, il y avait les représentants de la Société du Musée des
Arts décoratifs, c'est-à-dire de brillantes personnalités mondaines, la fine fleur du
faubourg Saint-Gei-main, des amateurs et quelques hommes de finance. D'un autre
côté, étaient les gens de métier et d'étude, des fabricants, des critiques d'art, des
professionnels, en un mot la bourgeoise et solide petite phalange sortie des rangs
de l'Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie, en minorité, il faut le
dire, et un peu intimidée, au premier abord, par l'aristocratique contact, mais qui
s'efforçait de rester fidèle à ses origines et à son drapeau.
Chacun de ces deux groupes avait ses tendances secrètes. Le premier, pour
régénérer les arts et le goût en France, ne voyait que l'établissement du musée
annoncé et promis au public. Il le fallait imposant et fastueux, dans un beau
quartier, à la portée de la classe riche, celle des consommateurs. Le second joi-
gnait à la question du musée celles de l'enseignement du dessin, des concours
entre artistes, des conférences, des expositions circulantes dans toute la France,
enfin des encouragements pratiques aux productetirs. Dans le premier groupe,
qui comprenait les serviteurs passionnés de la religion du bibelot, on semblait
imbu de l'idée que les chefs-d'œuvre du passé suffiraient pour fournir tous les
modèles nécessaires aux industries modernes. Dans le second, où dominaient les
fabricants, on s'inquiétait plutôt des travailleurs, d'un musée qui serait fait sur-
tout pour eux, ouvert le soir, en plein faubourg Saint-Antoine,- très simple et
commode ; on se montrait de ce côté plus précis et plus réaliste.
Ainsi, les membres des deux camps obéissaient d'instinct aux influences et
aux affinités mystérieuses qui, dans toute assemblée, gouvernent les hommes
souvent à leur insu. Les collectionneurs avaient leur idéal, les professionnels un
autre, et quand une question de principe surgissait, sans qu'ils s'en rendissent
compte la plupart du temps, ils se trouvaient séparés. On les eût à coup sûr
étonnés en leur signalant les causes profondes qui créaient entre eux une ligne
de partage d'opinions, car jamais n'éclataient de discussions de doctrines qui les
eussent opposés ouvertement les uns aux autres, et divisés en petites coteries.
C'est par le fonds des idées qu'ils différaient, et ils s'en apercevaient à peine,
tant il y avait d'exquise urbanité dans leurs rapports, tellement ils s'appliquaient
— xx\ —
par des concessions récipro((ues à se maintenir dans une atmosphère de bonne
compagnie. En vérité, c'était bien une « académie du goût '> qu'allait devenir peu
à peu le Comité de l'Union centrale des Arts décoratifs, et oîi le plaisir d'être
toujours d'accord devait finalement amènera beaucoup de sacrifices. Mais, au
moment de la fusion dont je parle, le Comité ne donnait pas tout à fait l'impres-
sion d'un lac paisible dont les eaux limpides n'ont plus rien du bouillonnement
des torrents d'où elles sont descendues : il y avait parfois à la surface des entre-
clioquements de vagues, des coulées d'ondes plus sombres trahissant çà et là leur
provenance, et qui gardaient un peu d'impétuosité et de couleur avant leur absorp-
tion définitive dans la masse ondoyante.
Henri Bouilhet, lui, dans le Comité de la Société, représentait manifestement
les idées de l'ancienne Union centrale. Ses prédilections restaient attachées au
programme du début, plus vaste et de plus longue portée. Il ne croyait pas à la
seule vertu d'un musée des Arts décoratifs pour provoquer l'évolution heui'euse de
nos industries et pour galvaniser la torpeur du public qui persistait à se con-
tenter des plus affreux pastiches des styles anciens. Profondément pénétré des
conseils donnés par le comte de Laborde dans son fameux Rapport de l'Exposition
de 1851 — vrai livre de chevet à cette époque pour bon nombre d'entre nous —
il aurait volontiers poursuivi l'application du système qui s'y trouve développé,
du commencement à la fin de ses onze cents pages, avec toute la rigueur d'auto-
ritarisme qu'il comporte. Puisqu'il n'y avait plus en France ni monarque pour
donner aux arts l'impulsion vigoureuse qui manquait, ni l'influence d'une cour
élégante pour régler les manifestations du goût; puisque l'Etat, au nom du prin-
cipe de liberté, érigeait désormais en maxime sa neutralité en ces matières, eh
bien ! pourquoi une association comme celle des Arts décoratifs n'aurait-elle pas
essayé de saisir le gouvernail abandonné par des mains défaillantes ? Dans ce cas,
ce n'était plus seulement un musée qu'il convenait de créer, mais toute une
puissante organisation capable de suppléer à l'inertie gouvernementale, de faire
face aux dangers les plus immédiats, de combler les lacunes par trop désas-
treuses. Par ce moyen, à peu de frais et surtout par influence morale, son action
se ferait sentir avec méthode partout à la fois, dans les milieux mondains, dans
les <!r()l(!s, (l;nis les atelici's,' dans les nianufactures, à Paris conutu' en |)ro-
vinc,(;, auprès des cliambi'cs de coniinerce connue dans les musées, siu' toute la
surfac(! du Icrri! oir-c. N'avail-ou pas c-()n(iuis déjà la collaboration des plus hautes
intelligences, dans tous les milieux sociaux? N'était-on pas assuré des plus puis-
sants coiicoiii's dans les sjihères oflicielles, dans les ministèi'es, et au Parlenu'ut !
Il ne lalhiil (ju'iiii plan de |ii-()pagan(le uetlt'in( iit délini, et ce |)lan, il suffirait de
i'e.iipniiilei' an ciiMite de baliorde !
A pai'Iei- liane, je ne crois pas (pTune telle conception de l'ellbrl à Icnler, et
qui lelli lc sin loni le-, idi'cs (pie nous ('lions (piehpies-iiiis seiilenieiil, à soul(Miir,
— XXXl —
aurait eu la moindre chance d'être approuvée par le Comité de la Société du
Musée des x\rts décoratifs, si ce n'est peut-être entre les années 1878 et 1882,
c'est-à-dire durant la période oii la présidence appartint au duc de Chaulnes,
puis, à titi'c intéi'imaii'c, au marquis de Chennevières et à Paul Dalloz. Il est vrai
qu'alors on avait bien d'autres sujets de préoccupations, car on dut lutter contre
maints assauts, et pour l'existence même de la Société. A partir du moment où
Autonin Proust fut placé à la tête du Comité, ce fut un esprit tout différent
qui dès lors l'anima. Vainement on avait pressé Henri Bouilhet d'accepter cette
présidence. 11 avait résisté aux plus affectueuses sollicitations, même à celles de
son vieil ;imi Lajolais, qui, api-ès ce refus, ne voulut plus paraître à l'iînion, ce
qui priva le Conseil d'un guide excellcnl, aux allures d'enfant terrible parfois,
mais ([ui était homme de caractère et de con)bat, voyant clair et de haut.
On crut évidemment faii-e acte d'habile diplomatie en confiant les destinées
de la Société à un homme politique, car on avait besoin de l'appui des ministres
et de se créer des intelligences au Parlement. En réalité, on se diminua. Les
politiciens, en général, se servent d'une cause bien plus qu'ils ne la servent. Ils
l'absorbent dans leur personnalité, et elle subit le sort de leur fortune, grandis-
sant ou se rapetissant selon les hasards de leur succès du moment et selon le
plus ou moins de prestige ou déconsidération qu'ils acquièrent. Devenant seule-
ment l'auréole d'un homme, cette cause perd de son caractère propre et de sa
force. Avec Henri Bouilhet comme président, l'Union centrale des Arts décoratifs
eût conquis moins de panache, mais plus d'autorité. Elle n'aurait pas, cela est
probable, réalisé les six millions de la fameuse loterie ; mais d'autres horizons
se seraient ouverts devant elle dans une orientation différente, avec un idéal
plus rapproché de celui de l'ancienne Union.
Malgré sa situation au Parlement, Antonin Proust ne réussit pas à liàter l'ins-
tallation du musée, pour lequel on cherchait toujours un local sans le trouver
jamais. En 1881, il avait fallu quitter le Pavillon de Flore, repris par l'Etat, pour
aller s'échouer dans un des côtés de l'ancien Palais de l'Industr.ie, aux Champs-
Elysées. Ce n'était toujours que du provisoire. Les années s'écoulèrent en négo-
ciations laborieuses et inutiles, en projets tour à tour adoptés puis abandonnés.
La question d'installation n'était guère plus avancée, lorsqu'en 1891 Antonin
Proust fut remplacé comme président de la Société — à défaut de Henri Bouilhet
qui, cette fois encore, déclina la fonction — par Georges Berger. Celui-ci fut assez
heureux pour voir enfin aboutir la convention longuement préparée avec l'Etat
et qui permit, à partir de 1900, l'organisation définitive du musée et de la biblio-
thèque de l'Union centrale des Arts décoratifs dans le palais des Tuileries, au
Pavillon de Marsan. On avait mis vingt ans pour arriver à ce résultat.
Durant ce long espace de temps, la Société ne resta pas inactive, on le sait.
Je n'ai pas à entrer ici dans des développements étendus sur les diverses phases
— XXXII —
de son histoire, ni sur les tentatives multiples par lesquelles elle s'efi'orça d'affir-
mer sa vitalité. Ce qu'il faut dire, parce que c'est une vérité que j'ai constatée,
c'est que chaque fois que des paroles on passait aux actes, quand le « Comité direc-
teur», à la suite de maintes délibérations, s'était prononcé pour l'exécution de
tel ou tel projet, il se trouvait un homme, presque toujours le même, qui était
chargé de conduire l'affaire dans tous ses détails, et qui la prenait en mains ; cet
homme, c'était Henri Bouilhet. La confiance qu'on avait en son savoir, en son
activité, en son esprit lumineux et prompt était sans bornes. S'agissait-il de
discourir? 11 cédait volontiers le pas aux autres. Le moment de l'action arrivait-
il ? D'instinct, chacun se tournait vers lui. 11 devenait le chef véritable, d'un
consentement tacite et unanime.
Ce fut surtout aux grandes Expositions teclniologiques organisées par l'Union
centrale à cette époque que l'on put juger ce dont Henri Bouilhet était capable.
Quelle somme énorme de labeur il y consacra avec un dévouement absolu et une
virtuosité magistrale! Ce n'était point, en efïét, des entreprises faciles que ces
expositions établies sur un plan complètement neuf, extrêmement ingénieux, et
consacrées non plus à des productions artistiques de tous genres, comme dans
les expositions habituelles, plus ou moins chaotiques, mais exclusivement à une
industrie à la fois, en prenant comme base la matière mise en œuvre. Bouilhet
pensa avec raison que ce serait pour le public une leçon esthétique plus saisis-
sante si on limitait la démonstration à des objets rationnellement classés par
séries d'après la nature des matériaux dont ils sont constitués. Par cette méthode,
il fit de chacune de ces expositions technologiques l'histoire complète d'une
industrie déterminée, en montrant d'abord la matière brute, à titre d'échantillon,
puis celle-ci transformée par la main de l'ouvrier, les outils, instruments ou
procédés, et même, dans certains cas, les métiers en mouvement; puis venaient
les dessins ou maquettes qui servent de modèles pour l'exécution des objets ;
enfin l'duivre parachevée, ennoblie par le goût et sur laquelle l'Art imprime sa
mar-que souveraine.
C/(^sl, d'après ce programme ([ue sutu'.essivement Henri Bouilhet organisa, au
Palais (le l'Industrie, les quatre expositions suivantes :
En ISHO — Les Industries du Métal ;
Kn \)m — Le Bois, le Tissu, le Papier;
Kii ISS; — La Terre et le Verre ;
Mn ISXT — Kxp(tsili()n r(''capil niai Inc.
Il laiil ;iv(»ir \ii de près la pr(''paral i(in de ces nianilVslal idus grandioses et
rciii;ii qii;d)li's, pour se i'('|»i'(''S('iilcr ce (|tr('llcs exigeaient de soins et d'intelligence
di' la piiil de celui (|iii les dirigeait. Lue fois le p|;ni bien ('liidié et- arrêt/», il fallait
a^.'ir ii\ee une rapidil('' IV'liiile, e;ii' hi eoncessidii dn l*al;iis de l'induslrie dans
— XWIII —
toulc son étendue n'était accordée qu'à partir du 15 juillet, c'est-à-dire après que
la fermeture du Salon annuel des Beaux-Arts eut laissé le terrain libre. L'instal-
lation devait donc èire achevée en un mois à peine. On s'imagine le nombre de
commissions qu'il y avait à mettre en mouvement, et dont il était indispensable
que Boiiilhet suivît les travaux. Pour chaque industrie, on s'adressait aux person-
nalités les plus éminentes, aux spécialistes les plus érudits, et c'était un charme
de voir avec quel entrain, quel zèle chacun apportait, à l'heure dite, l'appoint de
sa collaboration effective et de sa compétence particulière. Quelles réunions
d'hommes d'élite ! Comme il y avait |)laisir et profit à écouter, dans ces séances
de comités, (juelque illustre maiti'e qui, dans la cordialité d'une atmosphère sym-
pathique, où il n'y avait rien de solennel ni de gourmé, s'abandonnait parfois à
une de ces improvisations savoureuses dans lesquelles les intelligences supé-
rieures se plaisent souvent à livrer le mei'leur d'elles-mêmes ! On recueillait là
de merveilleuses leçons. Parfois éclataient des controverses. Un jour, Charles
Garnier, l'architecte de l'Opéra, était venu écouter en petit comité la lecture du
Rapport général fait à l'occasion de l'Exposition de 1884 concernant les industries
de la «Terre et du Verre». Ce Rapport, dû à M. L. de Fourcaud, aujourd'hui
professeur à l'Ecole des Beaux-Arts, chef-d'œuvre de dialectique vigoureuse et de
haute critique, émettait sur l'influence de la Renaissance italienne des idées qui
firent bondir le fougueux architecte. On eut toutes les peines du monde à le
CAlmer. Mais que d'éclairs jaillirent durant ce rapide orage ciui prit fin d'ailleurs
au milieu des sourires apaisants !
Une autre fois — « c'était encore à cette même exposition de 1884 — les jurys
eurent à trancher une question un peu délicate. Parmi les œuvres exposées dans
la section contemporaine (car il y avait toujours, dans ces manifestations, à côté
de la section rétrospective qui montrait l'histoire de chaque industrie, une section
moderne), se trouvait un grand vitrail fort admiré et discuté, qu'on avait proposé
pour une récompense exceptionnelle. Mais, si ce vitrail avait ses partisans, il avait
également des détracteurs : ceux-ci reprochaient a la composition de manquer
d'originalité, et mâms d'être copiée littéralement, pour la partie ornementale, sur
une œuvre connue de style ancien. On discutait depuis assez longtemps sans
résultat, chacun restant ferme dans son opinion, quand Henri Bouilhet arrive,
sortant sans doute de quelque autre commission. Il écoute un instant, ne prononce
pas un mot, sort pour revenir presque aussitôt avec un gros volume in-folio qu'il
dépose ouvert, et toujours sans rien dire, sur la table du jury. C'était un recueil
de gravures d'après de vieilles tapisseries. On l'ouvre, et qu'y trouve-t-on? Le
modèle original sur lequel avait été copié exactement le vitrail en question. Du
coup, la cause était jugée.
Cette scène curieuse m'est toujours restée dans la mémoire comme caractéris-
tique du tempérament et des allures de notre cher président. Point de verbiage;
— XXXIV —
mais l'acte décisif qui éclaire, tranche ou résout. Sa devise aurait pu être : Droit
au but.
Je n'entreprendrai point de suivre année par année Henri Bouilliet dans le rôle
si actif de sa collaboration précieuse à l'Union centrale. Toules les fois qu'il
entrevoyait quelque entreprise utile à tenter, on le retrouvait avec ces qualités
pratiques de direction et son besoin d'entrer dans le vif des choses. Hien ne lui
pesa comme la longue période d'attente et d'indécision pendant laquelle la
Société, en quête d'un local pour le musée projeté, s'épuisa en projets avortés.
Pour tromper son impatience, il s'occupa de réaliser tout ce qui fut possible de
l'ancien programme de l'Union centrale tendant à stiniulei* l'effort des artistes de
l'industrie et à trouver des formes décoratives nouvelles. Un atelier de moulages
fut constitué, qui bientôt mit à la disposition du public une quantité de modèles
choisis avec un goût parfait parmi les chefs-d'œuvre de nos collections nation9les.
En outre, de nombreux concours furent organisés sous son impulsion entre les
ornemanistes modeleurs ou dessinateurs, et aussi entre les meilleurs fabricants
de Paris. Ils s'adressaient aussi bien à l'artiste qui imagine et crée une maquette
qu'à ceux qui, dépassant le domaine du rêve, réalisent leur idéal dans une œuvre
entièrement exécutée. Quelques-uns de ces concours eurent un grand rctentisse-
nient et provoquèrent dans les ateliers d'orfèvres, de bronziers, d'ébénistes, de
céramistes, des dessinateurs de tissus, etc., l'émulation la plus salutaire. Us firent
sortir de l'ombre un certain nombre de jeunes décorateurs qui leur durent le
commencement de leur réputation. Gomme les programmes étaient étudiés de
telle sorte que les concurrents devaient, sous peine d'exclusien, ne présenter que
des œuvres franchement dépouillées de tout caractère de pastiche, et se recom-
mander par des qualités originales d'invention, on favorisait ainsi le mouvement
d'alïranchissement de nos arts du décor, ce qui était le but précis qu'on se propo-
sait d'atieindre. Propagande anodine que tout cela ! dira-t-on peut-être. Quoi faire
d3 mieux? Quelques vives critiques s'élevèrent à un certain moment pour réclamer
do la part de l'Union centrale une action plus énergique. C'était en 1894. Brave-
uKMit, la Société organisa cette même année, à l'Ecole des Beaux-Arts, un grand
congrès au(|U(îl furent convoqués tous ceux (|u'on supposa être en situation
d'étnetire une idée, im projet utile, une; indication sur l'orientation à prendre.
lîicH n'en sorlil.
Quand rUnion ccntrahi des Arts (h'coratifs fut mise eiilin v\\ possession du
Pavillon (h; Marsan pour y pi-océdei- à son aménagcnuMit délinitif, et prendi'c là un
nouvel (îssor, c(i fut, on p(!ut le croire, un jour d'immcnsi» joie pour tous les
uicnibrfîs du (lomité dircM-tcui' i\v la Socit'lé, et surtout pour les r'ares survivants
di's bons ouvriers dr la pr<'nii('r(^ heure qui avai(^nt assiste'' à tant de péripéties
avani «l'ai Icindrc a celle r(''alisalion de leur rêve si souvent (h'-eu ! Mais le |)lus
lienienx, a conp sûr, lut Henri Itouilliel. Avec (|uelle ardeiu' juv('Miile il s(> mit à
— X.WY —
travaillei' à celte installalioii coinijliqiiée ! Cliaqiie jour, on le voyait arriver, d'im
pas agile, grimpant aux étages, circulant allègrement dans les innombralDles
salles encombrées de matériaux, franchissant les amas de plâtras... Il prenait
des mesures avec les architectes, les conservateurs des musées et de la l)iblio-
thèque, prévoyait la place de chaque chose, donnait des ordres nets et brefs.
Ceux de ses collègues qui avaient aussi leur part dans la besogne, s'émerveillaient
de voir ce robuste vieillard de près de quatre-vingts ans fournir ainsi l'exemple
d'une endurance vi'aiment extraordinaire et d'un pareil dévouement.
C'est que, pour Henri Bouilhet, l'œuvre de l'Union centrale, à laquelle il s'était
donné de toute son àme, représentait quelque chose de mieux qu'une de ces
entreprises vaguement philanthropiques ou sociales qu'on encourage par sno-
bisme, qu'on sert par ambition ou simplement parce que cela est de bon ton.
Lui, il y consacra bien plus que ses loisirs, des heures et des heures du plus
opiniâtre labeur, connue un mercenaire à la tâche, et cela pendant trente-cinq
ans, avec un oubli si total de ses intérêts, une si complète abnégation qu'il ne
semble pas qu'un pareil désintéressement puisse être surpassé. Il croyait à
l'utilité de cette rouvre. Il avait foi en sa grandeur. A travers celle-ci il voyait la
patrie elle-mèuie dont l'Art est le patrimoine sacré et qu'<à tout prix il fallait
défendre.
Dans un discours prononcé par lui en 1880, il disait :
« ... Il ne faut pas l'ouljHer, c'est en propageant chez eux nos méthodes d'enseignement,
» c'est en s'inspirant des vérités que l'Union centrale a proclamées que les étrangers se sont
» armés contre l'industrie française.
» C'est une ligue qu'il faut créer contre l'envahisseur. Pour ne pas porter les armes sur
» notre territoire, l'étranger n'en est pas moins redoutable lorsqu'il arrive avec les mains
)) pleines de produits séduisants. Ce n'est pas trop de tous nos eiï'orts, ce n'est pas trop du
n puissant appui de l'I^tat pour repousser l'invasion. »
Nobles paroles qui trahissaient les pi'éoccupations du pati'iote et ses inquié-
tudes !
Henri Bouilhet, avec la pudeur farouche de ceux qui ne veulent tirer aucun
avantage personnel de la cause à laquelle ils se sont voués avec amour et du fond
du cœur, avait, on l'a vu, par deux fois refusé la présidence du Comité de l'Union
centrale. Elle lui fut offerte une troisième fois à la mort de Georges Berger,
en 1910. Pour le coup, il accepta. C'est qu'il se sentait arrivé au terme de sa
laborieuse carrière, et qu'il pensait bien que le titre enfin accepté par lui ne
pouvait plus être désormais considéré que comme un hommage suprême rendu
à ses services passés.
Il mourut, en effet, peu de mois après. Pour tous ceux qui l'ont connu, pour
tous ceux qui savent quelle fut en réalité sa tâche à l'Union centrale des Arts
décoratifs, de 1873 à 1910, il reste comme l'incarnation même de cette Société
— XXXVI —
dont il fut l'âme vivante et l'un des chefs qui ont le plus de droits à la recon-
naissance publique.
Lorsqu'on écrira dans cent ans l'histoire du style français à la tin du dix-neu-
vième siècle, Henri Bouilhet méritera d'y tenir une belle place à la fois comme
orfèvre et comme l'un des plus perspicaces promoteurs de l'art décoratif dont nous
voyons aujourd'hui l'aurore.
Victor ClIAMPIKR.
Juin 1913.
LIVRE PREMIER
L'ORFÈVRERIE FRANÇAISE
au XVII F siècle
(1700-1789)
3
TABLE DES MATIÈRES
DU LIVRE PREMIER
Avant-propos ; . . . . vu
Liste des amateurs et des orfèvres exposants xt
INTRODUCTION
Chapitre 1". Origine des expositions rétrospectives. Le Musée centennal de 1900. . l
Chapitre H. Coup d'œil sur l'Orfèvrerie française depuis les Mérovingiens jusqu'à
kl mort de Louis XIV' 25
LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER. — L'Orfèvrerie à la fin du règne de Louis XIV. — Les
ateliers des Gobelins. — La destruction par les édits. — Ce qu'elle était à la
Cour et dans la bourgeoisie 43
CHAPITRE DEUXIÈME. — Le réveil de la Régence, 1715-1723. — Ce qu'était le
service d'argenterie dans les maisons princières. — Caractère des œuvres de
cette époque 65
CHAPITRE TROISIEME. — Epanouissement du style rocaille. Ses excès et ses
chefs-d'œuvre, 1725 à 1750. — Les orfèvres Meissonnier, Delaunay et Rallin
le neveu. — Grande renommée de Thomas Germain. — Influence de la Cour
sur le goût , 79
CHAPITRE QUATRIÈME. — La corporation des orfèvres et ses règlements. —
Maîtres et apprentis. — Conditions du travail. — Poinçons de garantie. —
Orfèvres connus de 1720 à l75o. — Les « Eléments d'orfèvrerie », composés
par Pierre Germain (dit le Romain). — Spécialité des boîtes et tabatières à
portraits, loi
GIIAPITllE CINQUII']ME. — Apo-ée de l'orrèvrerie du slyle Louis W. — Clicls-
d'œuvre exposés au Musée centeunal. — Les orfèvres l''rançois-'l"lionias Oer-
main et Jacques Roëttiers
CHAPITRE SIXIEME. — La marquise de Pompadour el. son iniluence. — 'J'out à
la Grecque. — Avènement du style Louis XVI. — M""^ du Barry et ses pro-
digalités. — Ses commandes à roj'l'èvre Roëttiers. — Les boîtes et les menus
objets de style Louis XVI. — La catastrophe de lyofj. — Concurrence faite
à Farg^enterie par la porcelaine. — Les industries du similor et du doublé.
— La poterie d'étain
CHAPITRE SEPTIÈME. — L'orfèvrerie pendant le règne de Louis X\T. — Les
phases de la transformation : nouveaux décors ; nouvelles méthodes. — Les
ornemanistes et les décorateurs. — I^es ciseleurs et les orfèvres. — Robert-
Joseph Auguste, orfèvre du roi. — Conséquences de la Révolution. — La
(in d'un art •
LIVRE DEUXIÈME
L'ORFEVRERIE FRANÇAISE
au XIX' siècle
(1800-1860)
1
TABLE DES MATIÈRES
DU LIVRE DEUXIÈME
LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE
PREMIÈRE PÉRIODE
(1800- 1860)
CHAPITRE PRKMIKH. — La Révolution et l'Empire (1800 à 1815). — L"a-
néantissenient de l'Orfèvrerie sous la Terreur. — Pillages et ventes. — Le
pseudo-luxe du Directoire. — Exposition de l'an X et de i8(i6. — I/arf^en-
terie de l'Empereur. — Le service de vermeil de Napoléon 1"'. — Le nou-
veau style. — Les architectes Percier et Fontaine. — La toilette de ITnipcra-
trice. — Le berceau du roi de Home, par Prudhon. — Les orfèvres Auguste,
Odiot, Biennais
CHAPITRE DEUXIÈME. — La Restauration (de 1815 à 1830). — A la Cour de
Louis X\T1I : ni fêtes, ni art. — La duchesse de Berr}-. — L'Orfèvrerie aux
Expositions de l'industrie, 1819 et 1828. — Odiot père. — Cahier et Faucon-
nier. — Sacre de Charles X. — Faux gothique et fausse renaissance. — Le
succès du « plaqué », Exposition de 1827. — Odiot fds et le goût anglais. . .
CHAPITRE TROISIÈME. — Le règne de Louis-PMlippe (1830-1848). — L'in-
fluence bourgeoise de la Cour et des salons. — Le romantisme. — Collabo-
ration des sculpteurs : Jean Feuchères, Klagmann, Geoffroy de Chaume,
Charles Odiot, le décorateur Chenavard, le ciseleur Antoine Vechtc. —
Expositions de l'induslrie de i834, 18^9 et 184^4. — Vogue des formes an-
glaises.— Les élèves d'Odiol : Lebrun et Durand, Wagner et ses nielles. —
Les succès de Froment-Meurice. — Débuts de Christofle et décadence du
« plaqué ». — L'ne statistique des orfèvres en 18^7 • . . .
CHAPITRE QUATRIÈME. — La deuxième République et le second Empire
(r« période, 1848-1860). — ■ Le contre-coup d'une révolution : les artistes
français en Angleterre. — Influence du duc de Luynes sur l'orfèvrerie fran-
çaise. — L'Exposition de 18(^9. — Les orfèvres Froment-Meurice père, Du-
ponchel. Ch. Christofle. -- La première Exposition universelle à Londres,
en i85i, ses conséquences. — I/orl'èvrerie sous le second l"]mpire. — Les
goûts de Napoléon III et de l'Impératrice. — Pastiches du style Louis XVI.
— L'Exposition de i855. — Le service des cent couverts de Napoléon III.
— Le néo-grec. — Influence du prince Napoléon. — Développement de l'or-
fèvrerie argentée et de la production des couverts. — Les procédés méca-
niques
2
CHAPITRE CINQUIÈME
LE SECOND EMPIRE
(de 1860 à 1870)
Essor (le rorfovi'crie d'égliso. — L'architecte Viollet-le-Diic. — Pous-
sielgue-Rusand et Armand Calliat. — Les arands travaux d'orfè-
vrerie civile. — Le berceau du prince impérial, par Froment-Meu-
rice. — Les orfèvreries des Famiière. — Le grand surtout de la Ville
de Paris, par (Ju'istolïe. — Les Expositions de 1863 et 1867. — In-
lUience de l'Union centrale des beaux-arts applicfucs à l'industrie. —
Le beau dans l'utile. — L'Exposition de 1869 au Palais de l'Industrie.
Kiis cette époque, l'orfèvrerie .d'église mettant à profit
les découvertes d'Elkington, et substituant l'emploi
du cuivre doré au vermeil, se reprenait aux grands
travaux qui depuis plus d'un siècle étaient devenus de
moins en moins fréquents, et commençait à prendre
un élan inespéré.
Un homme, surtout, contribua à ce mouvement,
ce fut Poussiclgue-Rusand. Jeune encore, il n'avait
que vingt-quatre ans, quand il ouvrit, en 1848, un
petit atelier sur le quai des Orfèvres. Fils du libraire
f[ui éditait les Mélanges d" arcltéologie, du R. P. Martin,
c'est de ce puissant recueil que l'orfèvre est sorti tout entier. En 1849, Léon
— 12 —
Cahier, qui avait succédé à Biennais, voyant ses affaires péricliter, céda sa n)ai-
son à Poussielgue, lui apportant, en môme temps que ses modèles, son expé-
rience et la passion de son art. Cahier avait fait beaucoup d'orfèvrerie d'église,
et, sur les dessins de Lafitte, avait exécuté les vases destinés aux cérémonies du
sacre de Charles X. Ses œuvres se ressentaient toujours du style de Percier,
et montraient, dans leur prétendue imitation de l'antique, une raideur de formes
et une sécheresse de profils qui ne se conciliaient guère plus avec les exigences du
culte que les orfèvreries à grand fracas, que Claude Ballin, Germain, Meissonnier
avaient exécutées au dix-huitième siècle, et comme elles, détonnaient dans les nefs
des églises du Moyen Age dont elles troublaient la sérénité.
Sur les conseils de son frère le R. P. Cahier, qui, avec le R. P. Martin et
Didron l'aîné, avait remis en honneur les études archéologiques, il avait com-
plètement modifié sa manière et renoncé aux froides imitations de l'antique. Il
apportait donc à Poussielgue des idées nouvelles qui allaient, dans son atelier,
avec l'appui et les conseils des architectes épris d'archéologie, comme Viollet-
le-Duc, Lassus, et tant d'autres, lui permettre de renouveler le mobilier des
églises et de le mettre en rapport avec l'architecture des édifices qu'ils étaient
chargés d'entretenir et de réparer.
A cette époque, cet art d'église n'existait pour ainsi dire plus : « Nous étions
tombés peu à peu, a dit Armand Calliat, dans la pratique d'un art innomé où tout
était perverti, ornements, profils et proportions (i). »
Sans doute, sous la Restauration, Cahier avait su exécuter quelques œuvres
de mérite, comme, par exemple, la châsse de la Sainte-ïunique qui est à Argen-
tcuil; il avait fait les premières pièces émaillées et filigranées rappelant les pro-
cédés de la Renaissance. Après lui, Duponchel, Rudolphi, Froment-Meurice
avaient fait admirer des croix, des ciboires, des ostensoirs, dans le goijt un peu
trop librement interprété de la Renaissance. Mais c'étaient des morceaux d'excep-
tion et qui restaient isolés. Poussielgue-Rusand, entraîné par des ai'chéologues
très savants, le père Martin, VioUet-le-Duc, Lassus, l'abbé ïexier, le baron de
Cuilhermy, évocateurs du Moyen Age, se mit à étudier sous leur direction les
[)rocéd('!S des orfèvres qui avaient rempli nos cathédrales gothiques de leurs
clicfs-d'd'iivre. Les occasions n'étaient pas fré((uentes, vers 1850, (rentre|)rendre
(les travaux de c(î genr'c; la clientèle ('cclésiastique se contentait alors d'objets
siiiis goùl, sans styh; et de. la plus aboniiiiahb^ facture (|ui se Irouvaient dans le
foinnicrcc. line circonslance licureuse s'oll'ril, à Poussielgue-Rusand pour sa [ire-
miè,r(! tiMitative. Un (îlient de son pèr(î le libi-aii'c, h; marcjuis de Dreux-Rrézé, vint
à être nommé évoque; c'était un prêtre grand seigneur, gardant dans l'exercice
Ij Ai'iii.'iiiil (l.iMiiit, /' ()r/?i'rrr/i'. DirtCdiii'H ilc l'rci'pl ion à l'Acailrinii' di^s sriciuîi'S, licllrs-lcltrcs cl, , ■iris,
ili' l,>..ii WJ. lu IN, ISHl-lUSS, \t:\nr \"<j.
p. l'OLlSSIKIAU E-lUiSAND
(i8-24-iS8y).
Chapelle de Monseiyucur de Drcux-Brczé.
[Orfèvrerie de P. Poussieljjue-Rusand.)
— 17 —
de son ministère l'amour du luxe et de l'élégance; il voulut que sa boite de cha-
jDelle, c'est-à-dire l'ensemble des objets du culte nécessaires auxévêques, crosse,
aiguière, calice, burette, patène, anneau, etc., fût exécutée avec un soin spécial en
dehors des modèles courants, et le jeune orfèvre, charge de cette commande
inusitée, s'en tira si fort à son honneur que la boîte de chapelle, exposçe à Lon-
dres en 1851, lui valut les encouragements les plus vifs et lui attira aussitôt toute
une clientèle. Poussielgue-Rusand avait eu l'heureuse chance, et il n'eut point à
s'en repentir, de lier à sa fortune un orfèvre de
premier ordre, Léon Cahier, frère du père Ca-
hier, l'archéologue, qui lui fournissait des com-
positions que le P. Martin corrigeait, épurait et
ramenait au caractère des œuvres du Moyen Age
qu'il connaissait si bien. Un des ouvrages ty-
piques produit avec cette collaboration fut le
calice aux Oiseaux, exécuté à cette date, et qui
a servi de modèle pour des milhers d'exemplaires
analogues. « Alors, comme l'a dit M. Victor
Champier (1), ce fut dans les églises, dans les
sacristies, dans les chapelles de châteaux en-
vahies par l'orfèvrerie aimable, coquette, mi-
gnarde, théâtrale, d'un caractère mondain et
fade qui avait été à la mode au dix-huitième
siècle, un changement à vue. Plus de ces osten-
soirs aux formes compliquées et bizarres, plus
de ces ornements tourmentés, plus de ces anges
dont l'extase évoquait moins des pensées reli-
gieuses que de profanes langueurs d'amour. Le
matériel des églises fut entièrement renouvelé,
conformément aux idées du jour, et M. Pous-
sielgue-Rusand profita de cette révolution qu'il avait contribué à faire naître.
Habile commerçant, il sut, par des sacrifices faits à propos, exciter le besoin
d'une perfection dont on avait perdu la tradition dans la fabrication des objets
du culte. C'est ainsi que le curé de l'église de Saint-Martin d'Ainay — la première
église où le culte de l'Immaculée Conception ait été établi — lui ayant demandé
un maître autel de la somme de 20000 francs, jugée alors très élevée, Pous-
sielgue-Rusand n'hésita pas à dépenser de son chef près de 60000 francs pour
son exécution, sans savoir si son audace serait approuvée. De même pour la
(>alicc aux oiseaux.
(Orfèvrerie de Poiissielgue-Biisinul.)
(1) Etiulft sur Pous?ielgue-Rusnnil et l'orfèvrerie religieuse, dans la Revue des Arls décoratifs, tome X,
page 2f)(l.
— 18 —
restauration de la fameuse statue en or de sainte Foix, de l'rglise de Conques,
ce chef-d'œuvre de Torfèvrerie du Moyen Age, que lui avait confiée l'évéquc de
Rodez; il n'eut point de repos qu'il n'eût livré une reproduction minutieuse,
Miiil rv .luli-l ,1c Siiiiil M.irl m ,1 Aniii^ , 1,n ,mi
ifjiicnirl , iirrhili'vir. Or/rrrcric ilc /'. l'i)iissicl(iiiC'l!tis:iiiil.]
dressant ses ouvriers à mi maniement nouveau des oulils, reprenant le procédé
du re|)ouss(', au uiarteaii, ahandonnaid, les malriees en fonic qui ne donnaient que
des modeh'S ell'iie('s el, veules, jtour ailopicr les malriees en aei(M' au moyen des-
ipiellcs on olilieiil im tr;iv;iil plus d('lic;d el plus lin. » Le succès ohlenu à
ri'A|iosil ion de p;ir l*onssiel^iie liusjind, avec mi aulel de grande dimension,
19
VIOLLi:T-LE-l)rC
— 23 —
Pi'cmicr projet.
fut le signal qui provoqua la réfection générale du mobilier sacré d'an nombre
incroyable d'églises. Il eut à faire les mobiliers do la plupart des églises de Paris,
ceux de la Trinité, de Saint-François-
Xavier, de Saint-Paul-Saint-Louis, de
Sainte-Clotilde, du Val-de-Gràce, de
Notre-Dame des Victoires, les grands
bronzes de Saint-Sulpice et de Saint-
Eu s tache, ceux de la chapelle de Ver-
sailles, sans compter les ornements
de chapelle de nombre de couvents
et de châteaux.
Un architecte de haute valeur,
VioUet-le-Duc, donnait à cette époque
des conseils à M. Poussielgue, et lui
faisait exécuter sur ses dessins des
travaux importants. Il le chargeait de
restaurer entièrement les trésors des
cathédrales de Paris et d'Amiens, et lui
fournissait les dessins de nombreuses
pièces d'orfèvrerie d'église dont sa re-
nommée grandissante lui attirait la com-
mande. Sous la direction d'un tel maitre,
qui surveillait avec un soin extrême les
moindres détails d'exécution, il était im-
possible de ne pas se perfectionner.
Les iiniombrables dessins d'orfèvrerie
signés par VioUet-le-Duc appartiennent à
la maison Poussielgue, et constituent une
partie importante de son ccuvre dans la-
quelle il est resté jusqu'à ce jour un
maitre inimitable.
Ces dessins ont été mis sous les yeux
du public après sa mort, en 1879, au Musée
de Cluny, et l'année suivante à l'Exposi-
tion des Arts du métal que l'Union centrale
avait organisée au Palais de l'Industrie,
et ont laissé un souvenir inoubliable dans
l'esprit de ceux qui les ont visités.
D'une précision remarquable, ces dessins sont exécutés par le même procédé
qu'il employait dans ses dessins de construction et avec la même méthode qui lui
Projet ext-cuté.
Ufliqiiairc de la Vraie Croix eL du Saint Clou.
[Dessin oriçjinal de XioUel-le-Duc.)
— 24 —
Feuille elc oai'otlc saiivii.yo.
(Dessin <le VinlIel-lc-Diic.)
servait, h tracer les ôpiires fiiril fonniissail, aux apparcilloiirs. Délaissant, lo rlossin
g('omfHral, si clier aux arcliiLoctes,
il aimait, par des vues perspectives,
donner une physionomie plus pré-
cise à sa pensée, et mettre ses con-
ceptions à la portée de tous, sous
une forme dont la compréhension
n'exige aucun effort comme con-
naissance spéciale, et permet au
sculpteur qui l'emploie, h l'orfèvre
qu'il dirige, au public qu'il séduit,
de se rendre compte des dilTérenls
aspects de l'oeuvre conçue par le
maître, et ne laisser aucun doute
sur l'effet qu'elle produira après
avoir été exécutée.
Cette exposition avait mis en
lumière l'attrait qu'avait exercé sur
son esprit la flore de notre pays,
dont il avait noté les formes dans une série de dessins et de croquis reproduisant
les espèces multiples des plantes les plus vul-
gaires, depuis le moment où elles se déve-
loppent, où les feuilles sortent à peine de leurs
bourgeons, où les fleurs apparaissent et se
fanent en laissant une graine dont la forme le
séduisait.
Ce goût délicat, cette passion charmante
n'avaient fait que s'accroître à mesure qu'il
constatait l'ai^plication habile et ingénieuse
que les artistes du Moyen Age, sciilpteiii's,
[)eintres ou oi-fèvrcs, avaient su faire delà flore
dans la décoration.
Son ('h'-ve et ami, CJaude Sauvageot-, dans
une ('(udc rpi'il lit parnifi'c sur Viollel-lc-Duc
an moment (I(î sa mort,, disait : « Nous
» n'onhIicroMs jamais l'enlhousiasme avec \v-
« (|ii('l Vi<)ll(!t-I('-I)iic parlait la lloi-e vulgaire
» cl dédaignée (le notre sol , fpi'il aimail d('me-
)' sm'é'iiieni e( iloni il coiiiKiissail, tontes les lieaul(''S, lout ce (pi'il croyait (l(''Cou-
» vrir dans les plus informes prodiiel ions v(''g(''lales, l'ardeur avec hnpK^ile il (Ml
Itoui'j^'coiis (le rdii^'i'i'cs.
IDrusiiis ilr \ idilcl lc-l)iif.)
» recommandait l'étude, et les projets qu'il méditait à ce sujet. Il avait fait école
» sur ce point comme sur tant d'autres; il eut des émules et non des moindres
» assurément. M. Ruprich-Robert, qui lui avait succédé
» comme professeur à l'école des Arts décoratifs, a dû
» puiser dans les conversations de son prédécesseur, dans
» l'examen de ses modèles, ce goût pour l'étude des
» plantes et des fleurs qu'il a eu l'occasion, lui aussi, de
» résumer sous un jour nouveau et dans un esprit mo-
» derne (1). »
En cela, il a été un précurseur, et sa passion pour
l'étude de la fleur n'a été que le point de départ des
efforts qu'à la fin du dix-neuvième siècle la génération
nouvelle allait faire pour la création d'un nouveau style,
par un retour à l'étude de la nature, et par la recherche
des éléments d'un art, dans les productions infimes sur
lesquelles la nature semble avoir jeté ses plus doux
regards.
Ce n'est pas à dire que les orfèvres soient obligés à
nifaire ce qu'on avait fait dans les siècles précédents. Mais,
quand on a eu la bonne chance de trouver des maîtres
connue Viollet-le-T)uc, on a prétexte à refaire les chefs-
d'œuvre passés ; et on peut encore, comme Poussielgue, y
mettre son individualité. Il ne fut pas seul à profiter des
leçons du passé, et Chertier, un maître aussi parmi les orfèvres qui consacraient
leur talent à la décoration des objets destinés au culle, eut une semblable fortune
quand il eut à refaire les portes de la cathédrale de
Strasbourg. C'est bien une œuvre d'orfèvre, ces
immenses panneaux de bois revêtus d'un réseau de
bandes de cuivre qui se croisent en losanges et se
relient an moyen de rosaces ; dans les ajours s'ins-
crivent des plaques de même métal repoussées au
ciselet et décorées de plantes et de figures alternées.
Le travail en est gras, l'exécution, sans sécheresse,
rappelle les œuvres du treizième siècle et fait
autant d'honneur à l'orfèvre qui l'a exécuté qu'à
l'architecte Klotz, au sculpteur Geoffroy-de-Chaume
et au ciseleur Richard-Désandré, qui lui ont prêté l'éclat de leur talent.
Fleuron du porclic de I.t e.il lié-
(Iriile fie (^lermoni-Fcri'iUKl.
{Dessin de Mollet- le- Duc.)
Chapileau de l'Église collégiale d'Eu.
(Dessin de Viollel-le Duc.)
(1) ViuUet-lp-Duc. Son œuvre dessinée par Clainlo Saiivapreot. Eiin/clnpe'die d'Arcliiteclurr, août et sep-
tembre ISSij.
Chertier ne se doutait {•iièrc que celt(( œuvre si remarquable, ex(''(;utée à la
veille de la guerre de 1870, allait laisser dans notre vieille Alsace urj souvenir de
la patrie perdue, et un admirable spécimen de l'habileté de nos orfèvres pari-
siens.
D'autres fabricants de l'époque, les Trioullier, les Bachel(;t, continuant à Paris
les traditions archéologiques rénovées par Poussielgue avec le concours de l'ar-
chitecte Viollet-le-Duc, et à Lyon l'orfèvre Armand Calliat, dans une autre voie,
guidé par l'architecte Bossan, eurent leur part dans les travaux considérables
qu'on entreprit alors dans le monde ecclésiastique.
Armand Calliat, comme son confrère Poussielgue-Rusand, tient une grande
place dans l'orfèvrerie religieuse de la fin du dix-neuvième siècle. La maison était
ancienne; fondée en 1820 par François Calliat, élève d'Odiot, elle ne tardait pas à
prendre une place enviable dans l'orfèvrerie lyonnaise, mi-partie civile, mi-partie
religieuse. Ce qu'il fit, on s'en doute, c'était la période obscure entre le slyle
Empire et la Renaissance librement interprétée, qui devait marquer les dernières
années du règne de Louis-Philippe. La mort le surprit en 1851, laissant sa mai-
son à ses deux filles, dont l'une épousait en 1853 M. Armand qui, résolu <à ne
s'occuper que d'orfèvrerie religieuse, allait conduire la maison Armand-Calliat
vers ses nouvelles destinées.
Débarrassé de la grosserie, il se présentait aux Expositions de 1862 et de 1867.
C^était un orfèvre épris de son art et un passionné qui accepte l'archéologie
comme une science, mais non comme une formule à copier; il est jaloux de son
œuvre et v«ut en être le maître ; il n'est pas seulement un artiste délicat qui sait
ce qu'il veut, épris des fines ciselures, des émaux aux tons clairs, des bleus tur-
quoise, des verts d'émeraude, des rouges rubis, qu'il emploie à propos pour
faire chanter ses orfèvreries, mais c'est aussi un homme de lettres qui sait au
besoin écrire un discours de réception à l'Académie tles Sciences et Arts de Lyon,
et un rap|)ort sur une Exposition, comme celui de 1900, où il montre que l'art de
bien dire n'est pas si éloigné de l'art de bien faire, et qu'un orfèvre habile peut
être aussi un écrivain de race.
A l'Exposition de 1867, Armand-Calliat avait apporlé unv conli'ibulion inipoi'-
tante. En [)r('mière ligne, il nous faut ciler l'oslcnsoir de Notre-Danu' de la Cai'de
doni, il avait (l(Mnan(l(' le modèh^ à rai'cliitecle Uossan, (pii fut pour i'orfèvi'e un
guide ('clairé au connnencemenl de sa cai'rière. La chapelle épiscopale, (|u"il
('\|K)sait égahimeni , c()uq)rend l'ostensoir, le calice, le cihoiri», la crosse et la
croix processioniKille. VAk' est dans le style du dou/.iènu^ siècle. Le ciboire, (|ue
nous j-eproduisons, chante U' [)oème (Micliaristicpie. A la base sont quatre dragons
vaincus; sur h; meud, des anges agenouilh's, et, sur le couvercle, l'agneau du
sacrifice.
L:i ( r(ii\ liroccssiomiellc est imc pièce capilale. Le Christ en ivoire se (l(''lache
— 27 —
sur un fond d'émail, et deux anges en vermeil tiennent la coupe qui reçoit le
sang qui coule des blessures du divin Maître. Le bâton est couvert d'arabesques
émaillées.
[1 a adopté, dans presque toutes ses œuvres, le style roman dont il ne s'écarte
jamais. De patientes études l'ont
armé de toutes les ressources du
métier. Les émaux, les nielles, les
ivoires qu'il sait allier à l'œuvre
du métal sont toujours à leur
place, et n'ont plus de secrets
pour lui. On sent dans les corn
positions de ses œuvres la foi qui
l'anime et qu'il a su inspirer à
ses collaborateurs.
Le maître a formé des ouvriers
émérites, il en a fait une famille
qui demeure fidèle à l'atelier de
Kourvicreset qui travaille comme
on travaillait il y a cinq siècles,
unie sous la direction du clief
dans la même foi religieuse et
artistique.
On n'en pouvait dire aulant de
l'orfèvrerie civile, de cette belle
argenterie opulente, cossue, de
ces morceaux de grande déco-
ration, sans destination précise,
uniquement honorifique, comme
on en avait vu en France jadis,
et même sous la Restauration et
sous Louis-Philippe, et comme
il s'en faisait abondamment eu
Angleterre. S'il y avait encore
des amateurs délicats pour com-
mander aux orfèvres parisiens, à Froment-Meurice, à Duponchel, à Odiot, à
Bachelet, de temps à autre, quelque service d'argent massif; s'il se trouvait des
Mécènes comme le duc de Luynes qui, pour empêcher des artistes tels que les
frères Fannière de se laisser aller au découragement, leur fournissait le pro-
gramme d'un bouclier auquel ceux-ci devaient travailler pendant plus de vingt
ans; enfin, si de riches financiers ou des grands seigneurs, le prince Demidoff,
Oslensoir clc Xotre-Dnmc de la Garde.
( f h'I'L'i'reric d'Arum n <I-Cnlll;i I .
— 28 —
les Rolliscliild, les Pércirc, d'illuslres personnages fies diverses ronrs de rKurope
ou simplemenl une élite rarissime de la bourgeoisie de Paris faisaioit parfois
exécuter, pour l'auiour des belles choses, certaines pièces précieuses de vaisselle
de table, il faul bien reconnaiire que ce n'(''l;iit que par capr-ices phis ou inoins
espacés, par fanlaisie personnelle ou par occasion spéciale : rentraînement man-
quait. Le courant général des
idées emportait la société de
l'Empire à un désir eiïréné de
luxe, niais d'un luxe frelaté,
(out d'apparence, et non aux
raffinements de l'élégance. Le
surintendant des beaux-arts,
le comte de Nieuvverkerke,
aurait pu assurément impri-
mer une direction utile à la
phalange des artistes déco-
rateurs dispersés dans les
ateliers; il aurait pu, en les
appelant à collaborer à quel-
que vaste entreprise conçue
sur un plan d'unité comme on
en avait eu sous Louis XIV,
stimuler les imaginations, ra-
viver le sentiment du beau,
fournir aux industries de luxe
un idéal, des exemples, un
encouragement, et coordon-
jier en un mot les efforts trop
éparpillés de gens de talent
qui n'auraieni pas demandé
mieux (pie d'échapper au joug
déprimant du pastiche et de
l'imitation des anciens styles.
Ce n'est ni l'aulorité, ni riniclligence (pii lui manquaient, pas i)lus (pic le désir
(Ut prouver son inlluencc sur l(^ monde des arts (pii appréciait son affabilité
accueillanl,(î et ses allures (k; gentillioinme. Mais la compréhension lui faisait
(léfaul des besoins v('ritables de l'art décoratif cl de ce qu'il convenait de faire
pour le pousser l'oi tcmciil vers une oricnlalion nouv(dlc. Peut-('^trc aussi, dans
celle cour iinp(''riale paiiag('c enlr<' lani de volontés diverses cl où il élait si
diriicile d'.qiporler ini espril de siiile cl de m('llio(l(\ maïupia-l-il loul simple-
C.ilxiirc.
{Orfèrrcric ilW riii:i iid-Ciii . - Oitllcrl ion du Miisi'c
(les Ai'ls il('-c()i-:(li/'s.)
Croix processionnelle.
{Orfèvrerie d'.[rin;ind-C:illi/il .)
(Trdsor de la chapelle Sixiine ;iu Vnlinm.
— 31 —
mciit (le la décision nécessaire. Ce qui est certain, c'est que, pour l'orfèvrerie,
il ne commanda aucun projet d'ensemble, pas un ouvrage réellement important.
Il ne sut pas même retenir en France un artiste de premier ordre, Morel-Ladeuil,
élève de Veclite, et comme lui exécutant, par le procédé du repoussé sur des
feuilles d'or ou d'argent, des compositions magistrales. Léonard Morel, connu
sous le nom de Morel-Ladeuil (il avait joint le nom de sa femme au sien), était
né à Clermont-Ferrand en 18'20. Doué d'une imagination très vive, créant lui-
même, dessinant ou modelant les sujets qu'il ciselait, il fut chargé en 1851
d'exécuter pour Napoléon III un bouclier en argent repoussé, dont le thème
devait être une allégorie apologétique du régime nouveau. Au milieu du bouclier,
une figure en ronde-bosse représentait la Force terrassant l'Anarchie; trois bas-
reliefs symbolisaient la fuite de rx\narchie, le retour de la Prospérité dans
l'Agriculture, le Commerce et les Arts, enfin le navire de l'Etat ayant pour pilote
l'Empereur et, pourrameurs, la Prudence, la Loi, la Piété, l'Ordre. Cette œuvre,
placée dans le cabinet de travail de Napoléon III, aux Tuileries, resta inconnue
du public (l) ; mais elle aurait dû suffire pour assurer au jeune artiste la
protection du gouvernement impérial. Il n'en fut rien, et, las de végéter, ne
trouvant pas dans son propre p;iys l'emploi de son merveilleux talent, Morel-
Ladeuil finit par accepter en 1859 les propositions séduisantes de la maison
Elkington, qui s'était déjà assuré le concours de l'artiste français Willms, et qui
se préparait à frapper un grand coup à l'Exposition de Londres de 186:2. Désor-
mais, Morel-Ladeuil était perdu pour la France. Toutes ses œuvres appartiennent
à l'Angleterre, où il allait bientôt acquérir la considération et la haute renommée
qu'une suite d'œuvres remarquables ne devait pas tarder à lui apporter.
La France, cependant, n'allait pas rester en arrière. La naissance du Prince
impérial, en 1856, fut l'occasion, pour la Ville de Paris, d'oflrir à l'Empereur un
berceau en argent. On voulait un chef-d'œuvre comparable au berceau du Roi
de Rome, exécuté autrefois par Odiot et Thomire sur les dessins de Prudhon.
L'architecte Raltard fut chargé de la composition; aussi, ne crut-il pas devoir
mieux faire que de s'inspirer de Prudhon. La France, accostée de deux génies
ailés, se tenait debout à la tète de la l)ercelonnette et supportait une couronne
impériale d'où tombaient les rideaux. Simart en avait sculpté les figures, la fonte
et les ciselures en avaient été données aux frères Fannière, et le travail d'orfè-
vrerie avait été confié à Froment-Meurice. Le berceau (Hait en forme de nef, la
nef des armes de Paris, arrangée à la mode du jour, arrondie, ballonnée; elle
était terminée en proue, et les pieds supportaient un aigle que Jacquemart avait
modelé. A l'arrière, au-dessous de la figure principale, le navire portait un bouclier
(l) Elle a été dunuée depuis par l'impéi'ali'ice Eugénie ii l'Angloterre, et se trouve aujourd'hui dans la
grande salle du mess des Ofticiers d'artillerie de Woohvicli.
— 32 —
aux armoiries de la Ville. Sur les lianes du bereeau, des eartouclies, reliés par
des guirlandes de fleurs, servaient d'encadrement à des plaques d'émail en grisaille
exécutées à Sèvres sur les dessins d'Ilippolyte Flandrin. On y voit, dans le style
habituel de l'artiste, la Force, la Justice, la Vigilance et la Prudence. Quant au
choix de Froment-Meurice pour l'œuvre générale, il avait été imposé par l'Empe-
reur lui-même qui tenait à contre-balancer une ci'iante injustice du Jury en 1855.
L'œuvre, somme toute, d'un caractère officiel trop affecté, était froide; qu'on
était loin de la grâce aisée et charmante de Prudhon !
D.-F. Froment-Meurice était mort en 1855. (^e fut son lils Emile qui dirigea ce
travail et qui allait bientôt donner sa mesure dans des œuvres plus personnelles,
et montrer qu'il était digne de faire revivre la tradition paternelle.
Mais il s'était recueilli pendant de longues années, et il attendait l'ouverture
de l'Exposition de 1867 pour donner sa mesure en ne présentant que des œuvres
d'une inspiration nouvelle. Un tel début veut qu'on s'y arrête.
Sans oublier le passé, M. Emile Froment-Meurice semblait vouloir s'inquiéter
de nouveautés intelligentes, de la recherche de faits inédits ou tout au moins
renouvelés des époques glorieuses de la Renaissance.
Dans une pareille recherche, il y a place pour l'invention. L'erreur est pos-
sible, mais, si l'invention est heureuse, le succès vous en récompense.
Le dessus de cheminée que la Ville de Paris lui commandait pour l'Hôtel de
Ville, et pour l'exécution duquel M. Emile Froment-Meurice allait donner libre
cours à son esprit d'invention, devait consacrer sa jeune renommée d'orfèvre.
Cette œuvre magistrale fut exécutée comme un bijou, et toutes les ressources de
l'orfèvrerie et de la taille des pierres dures furent employées habilement pour lui
donner un caractère de grandeur et de préciosité.
La composition en avait été demandée à l'architecte Baltard, et la sculpture
des figures avait été confiée à Maillet qui travaillait déjà, à cette époque, au
grand surtout de la Ville.
Sur un socle de por|)hyre d'une longueur de près de deux mètres, orné de
moulures à godrons et feuilles d'acanihe, le buste de l'Empereur, sculpté dans
une aiguci-marine, se détachait sur une auréole en jaspe rouge, ornée de rin-
ceaux à rosaces d'amétliyste et d'étoiles en topazes, surmontés de la couronne
impéi-ialc. En avant, un aigle aux ailes déployées était relié par des guirlandes de
chêru;; d(î clnKiue (■ôl('', assises sur dcîs socles en |)oi'phyre, deux femmes accos-
tées (le deux g(ini(!s personniliaient la Paix et la (îiierre. IjCS nus élaienten cristal
d(! roclu!, et les draperies vu argenl.
C(! grand morceau, d'inie soniplnosili- exceplionnelle, ne devait pas être une
d(ïs moindres cnriositf's de l'Hôtel de Ville; mais, comme tant d'(xnivres d'art de
haute valeur (|ui (huoraieiil le palais numicipal ;i cetle épo(|ue, il a disparu dans
les iiiceiidies de bST I .
Berccilu du Princo Impérial. — Arclutcclc BulLurd.
[Orfècrurie de FruineiiL-Miiurice.)
33
— 39 -r-
Malgré le grand effort de l'orfèvre et l'habileté du scidpteur, des graveurs en
pierres fines et des joailliers, cette pièce n'a pas réussi à plaire à tous les juges.
Nous-mêmes, ne l'acceptons que sous réserve. M. Paul Mantz, auquel j'emprunte
cette appréciation, regrette que cette œuvre, à laquelle tant de mains habiles ont
travaillé, ne satisfasse pas complètement le regard. L'effet général est luxueux et
riche. L'aigle qui décore le piédouche est d'un beau dessin. Quant à la couleur,
le monument n'a pas dans sa richesse toute l'harmonie désirable. Le buste de
l'Empereur, sculpté dans une aigue-marine d'un beau vert dont l'intensité s'avive
sous une couronne d'or, reste isolé de l'ensemble.
Une autre objection se présente : le cristal de roche, alors même qu'il est
enfumé, l'aiguë marine, alors même qu'elle n'est pas polie, sont des matières plus
ou moins transparentes. Convient-il de les appliquer à la reproduction en ronde-
bosse de personnages humains? La Renaissance, qui a certes le droit d'être
entendue sur toutes ces questions, a répondu affirmativement. Dans le centre, des
bustes des douze Césars légués au Louvre par M. Dablain, le Tibère est en amé-
thyste ; Néron est en cristal de roche. De pareils exemples devraient faire auto-
rité. Mais il se trouve qu'on voit au travers de ces empereurs (1), résultat bizarre,
puisque la personne humaine n'est pas translucide; effet fâcheux qui, en dérou-
tant l'œuvre, empêche de saisir exactement les forniLS.
D'autres travaux non moins considérables ont, durant ces dernières années,
occupé l'atelier de M. Froment-Meurice. lisent paru pour la plupart à l'Exposi-
tion, et ils y ont fort réussi. On se rappelle la pendule monumentale en pierres du
Jura, ornée de bronzes dorés, accostée de deux figures couchées dans une atti-
tude empruntée à des déesses de la Renaissance. Le modèle de cette pendule,
simple et de grand goût, a été dessiné par Emile Froment-Meurice. Les deux dor-
meuses ont été taillées dans l'ivoire par un sculpteur habile, M. E. Carlier. C'est
à la collaboration des deux mêmes artistes que sont dus une coupe et deux can-
délabres exécutés pour l'Empereur. Nous reproduisons cette coupe qui se com-
pose d'une vasque de cristal de roche enguirlandée de violettes, dont la principale
fonction est de dissimuler les joints d'assemblage des morceaux de cristal dont
est composée la coupe. Un faune et une faunesse en argent ciselé supportent la
vasque et jouent avec des petits amours qui voltigent autour d'eux. De la coupe
s'échappe un bouquet de couronnes impériales. Une amphore en cristal, portée
par des centaures et des centauresses, sert de base à la tige des candélabres.
(1) Pour rrtiicclier ;i cet iaconvénient, M. Fromuiit-.Meurice s'e^t bien gardé de faire polir ses aigues-
murlnes et son cristal. Ces lualières conservent encore néanmoins une Iransparence relative: mais l'œuvre
est ftiitc, liinie discussion serait hors de pro}ios. L'ilôlel de Ville possédera un monuuient d'orfèvrerie et
de joaillcrir iloiit la parlii' principale est une aigue-marine. Or, on sait que, dans les vieilles croyances,
l'aigue-mariiic [)urte bonheur. Robert de Berkuen nous apprend qu'elle rend la navigation heureuse à
celui qui l'a sur soi, pour grand et périlleux que soit son voyage. Ainsi lesté du précieu.x talisman, le
vaissiNui Muuiicipal voguera désormais sur des mers clémentes.
— 40 —
Co sont de belles [)ièces de goùl nouveau cl. d'invention cliarniante. Elles so))t
aujoui'd'luii exposées au Musée des Arts décoratifs.
Dans un autre genre de travail, M. Emile Froment-Meurice a trouvé en M. II.
Cameré un collaborateur excellent. C'est à l'associalion de leui- habileté qu'on
doit l'aiguière de crislal de roche inci-ustée d'émaux bleus et verts, qui appartient
au duc de Montpensier, et dont nous donnons
ici la gravure. Le type de cette ravissante
pièce est encore emprunté à la Renaissance,
l'époque heureuse où le génie italien trans-
forma tous les arts du luxe etdeladécoration.
Pour obtenir la parfaite adhérence de
l'émail dans les creux du cristal entaillé, il y
avait à vaincre de grandes difficultés : elles
ont été admirablement résolues. Rien ne
sent la peine ou l'hésitation dans ce char-
mant travail et l'on n'y voit que de la grâce.
Au moins, dans cette pièce, le cristal de
roche est à sa vraie place, et sa transparence
ajoute un charme de plus à l'aspect de l'objet.
Nous rappelons encore une pièce intéres-
sante exposée par M. Froment-Meurice : c'est
la coupe offerte à Ponsard par les habitants
de Vienne, sa ville natale. Trois figures,
portées sur un trépied, supportent une coupe
en vermeil, et représentent trois des oeuvres
principales du poète : Ag7iès de Méranie, Lu-
crèce, rHonnem' et l'argent.
L'Exposition de 1862 approchait, et Chris-
tofle, qui avait terminé le grand service des
Tuileries qiii avait figuré à l'Exposition de
I8.')a, préoccupé de maintenir sa réputation,
de tenir en hahîine les ouvriers qu'il avait
l'orni('-s cl de pr(''parer des ouivres iu)uvelles pour l'Exposition de Londres, avait
lait conqioscr dans ses ateliers res(iuisse d'un surtout pour l'ilùlel de Ville, qu'il
|)r(''senlnil au baron llaussinann. Celui-ci, (pii tenait à endxillir le palais municipal,
cl a nieltre le mobilier en rapport avec la décoration de la salle des fêtes qu'on
vcnail (le terminer, et (pTil destinait aux fêtes (pie la Ville allait donner aux souve-
rains (pie rEmpei-(!ur invilail au.x grandes solennil('s (pii se préparai((nt, fut sédnil
parle projet (pie lui |ti(''sentait (-hrislolle. Il demanda à rarchil(>cte Haltard, (pii
était le grand ordoniiateur de Ions les travaux d'art de la Ville, d'en suivre l'exé-
Ai}iuièrc en crislul de iviclic iiu-i'iisLi' (rviiiauv
lOf/rrrcrir ilv /■'rdiiicni-Mctiricf.)
\
— /il —
cution. Le projet fut repris sous sa direction, et la sculpture fut confiée aux
artistes que Cliristolle employait alors et dont les noms seuls suffisent à montrer
quels allaient être l'intérêt et la valeur d'art de ce grand travail. La sculpture
des figures fut confiée à Dieboldt et Gumery, à Maillet et Jules Thomas, tous grands
prix de Rome, Matluirin Morcau et Rouillard. L'ornemaniste Madroux et le sculp-
Coiipe oflcrlc an poùte Ponsarcl par les hubitants de Vienne.
[Orfèvrerie de Froment-Mearice.'^
teur Capy, attachés à la Maison Ghristofle depuis longtemps et qui avaient fait les
premières esquisses, exécutèrent, sous la direction de Ghristofle et de son neveu,
toute rorncmentation de ce grand travail. Auguste Madroux était un des plus
habiles modeleurs de l'époque; il avait été employé par F. Gilbert à l'ornementa-
tion du service de l'Empereur, et avait pris à son contact le sentiment de la
décoration des œuvres d'orfèvrerie. En quittant Gilbert, il était entré dans les
ateliers de sculpture de MM. Ghristofle. D'un goût très fin et d'une habileté
3
— 42 —
grande, il modelait à mecveille et est resté jusqu'à sa mort, en 1870, le collabora-
teur attitré de toutes les créations de Cliristotle, pendant près de vingt années.
Cet important ouvrage, comme le dessus de cheminée de Froment-JVleuricc,
disparut dans l'incendie allumé par la Commune en 1871. Quand on fouilla les
décombres, on ne trouva rien de toutes ces merveilles. Avaient-elles été volées
avant l'incendie? Allait-on les retrouver à l'étranger? Uien, jusqu'ici, n'a pu être
découvert. Il est aujourd'hui certain que le feu l'a complètement détruit.
La pièce de milieu se composait d'un grand plateau en glace dont l'encadre-
ment était relevé par une riche moulure à frise nuancée d'or de dittérentes cou-
leurs; quatre grands candélabres, enchâssés dans cette moulure, en reliaient les
parties principales. Le centre était occupé par le navire symbolique des Armes de
la Ville de Paris. Sur le pont du navire, la statue de la Ville, modelée par Gurnery,
était élevée sur un pavois que supportaient quatre cariatides modelées par Die-
boldt, représentant les Sciences, les Arts, l'Industrie et le Commerce, emblèmes
de sa gloire et de sa puissance. A la proue était un aigle entraînant, vers ses
destinées futures, le navire dont la marche était éclairée par le génie du Progrès;
la Prudence était à la poupe et tenait le gouvernail. Tout autour, se jouaient dans
les eaux simulées par une glace, des groupes de tritons et de dauphins, tandis
qu'aux deux extrémités de la composition, des chevaux marins, modelés par
Uouillard, se cabraient sous l'effort des tritons qui cherchaient à les dompter.
L'ensemble était d'une noblesse et d'une ampleur saisissatites. Lorsque cette
pièce parut à l'Exposition de Londres en 1862, elle obtint un grand succès, et
on en loua hautement la puissante simplicité, la beauté des figures, la piu'eté de
l'ornementation et la parfaite exécution des détails. Le rapporteur Fossin, au
milieu des éloges que sa plume autorisée ne ménagea pas à cette œuvre, pré-
senta une seule observation : « Si une critique était permise, dit-il, il faudrait
regretter que le vaisseau et les tritons soient placés sèchement sui' un fond de
glace destiné sans doute à imiter les eaux de la Seine. Nous aurions préféré, en
restant dans le système polychromique, que ces divei-s groupes fussent assis sur
un marbre d'Alger d'un ton très clair, ou sur un fond de métal légèrement ondulé
|)ar la ciselure et conventionnellement teinté, comme le reste de l'œuvre; c'eût
été [tins harmonieux, et l'ensemble du sui'tout en aurait eu plus de charme, plus
d'animation cl même plus de richesse. »
Nous n(î saurions aCIirmei- (|U(î le Uap|)orteur avail raison, car celte lu'éoccu-
patioM avait hant ' l'iîsprit des aulcurs, et les (essais (|ui avaient été faits, soit
d aiilrcs matières transpar(Mit(is ou ojjaques, soit de Ilots modelés sin- une
sm-lac(î m(''talli(pie, n'avaient |)as donné de résultats meilleurs (pie la glace
étaméc... lia glace réilécliissait la lumière et éclairait les |)ièces d'orfèvi'ericMiui
dcNcnaicnt ('■tincclaiilcs. liC joui' oii le sm-tout s(>rvit poni' la pi'emière fois, le
baron llaiissniaiin (pii pr(''sidait à sa mise en place lit un essai (pii enleva tous
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49
51
les suffrages. Il fit apporter des roses, les fit effeuiller sur la glace, semant tout
autour des branches fleuries qui encadraient le surtout dans un parterre embaumé.
Ce travail important ayant pu être terminé au moment de l'ouverture de
l'Exposition de 1867, MM. Christofle obtinrent du préfet de la Seine, le baron
Haussmann, l'autorisation d'y exposer dans son ensemble ce surtout dont la pièce
ceutrale avait seule paru à l'Exposition de Londres en 1862. 11 était alors terminé
et devait être inauguré à l'occasion des fêtes que la Ville allait donner aux sou-
verains invités par l'empereur à visiter l'Exposition.
Le surtout figura donc dans son ensemble à l'Exposition de 1867. Il se com-
posait alors de la pièce de milieu, de deux pièces latérales, dont le centre était
occupé par deux groupes de Saisons modelés par Maillet, exécutées dans le
même ordre d'idée que la première, et de deux pièces de bout destinées à sym-
boliser la Seine et la Marne, les deux rivières dont les eaux réunies en aval tra-
versent la ville dans toute sa longueur... Vingt candélabres, quatre grands vases
en porcelaine de Sèvres exécutés sur les dessins de Diéterle, et cent vingt pièces
destinées à contenir des fleurs, des fruits et le dessert, complétaient cet en-
semble. Le service de dessert avait été modelé par Auguste Madroux, qui fut pen-
dant vingt ans le collaborateur de Christofle. Le style qui avait été adopté par
l'architecte, était celui de la Renaissance française en harmonie avec les sculptures
de la façade du Boccador, et cadrait admirablement avec la grande salle des fêtes
pour laquelle il avait été conçu.
Ce n'est pas celui qui allait être suivi par les orfèvres, car l'engouement pour
le style Louis XVI, que favorisait l'impératrice Eugénie, commençait à se généra-
liser, et h se remarquer nettement dans l'orfèvrerie dès 1860. La souveraine n'en
était plus à ses indécisions et à sa timidité des débuts en fait de luxe, lorsqu'elle
refusait le magnifique cadeau qu'avait eu l'intention de lui offi'ir la Ville de Paris
à l'occasion de son mariage. Elle s'était habituée au faste, et c'est en argent massif
qu'elle voulut le service de toilette qu'Aucoc père exécula pour elle dans le style
Louis XVI. On l'a revu, ce service, à l'Exposition centennale, où il ne faisait pas,
en vérité, trop mauvaise figure,' montrant les premiers essais d'adaptation des
formes du temps de Marie-Antoinette qu'entreprirent les décorateurs de l'Empire
désireux h la fois de s'en inspirer, de les faire revivre sans se contraindre à une
copie littérale. L'Impératrice, alors, s'entourait des bibelots de cette époque,
bonbonnières, miniatures, coffrets. Elle se laissait aller surtout à son penchant
favori dans ce qui lui appartenait en propre, dans les objets destinés à son usage
personnel, dans les petits appartements des Tuileries où elle se sentait tout à
fait chez elle, comme, par exemple, dans ce fameux salon bleu et le cabinet qui y
faisait suite, où M'"" Caret te (1) nous l'a montrée en son intimité élégante, entourée
(1) Mm'î Curolle, Mémoires.
— 54 —
de fleurs, de vitrines, et où Octave Feuillet pénétra un jour avec une sorte
d'extase qu'il a traduite en une lettre émue (1). L'Empereur lui-même n'était plus
tout à fait l'homme totalement indiflércnt qu'il avait été des choses d'art et de la
pompe extérieure. Pour son usage particulier et ses réceptions diplomatiques, il
accepta fort bien que Christofle lui fabriq.uât, non plus, cette fois, en niélal
argenté, mais en vermeil, un grand service de table très complet, avec réchauds,
plats, casseroles, cloches, salières, coupes à fruits, étagères, compotiers, etc.,
pendant qu'Emile Froment-Meurice lui en composait un autre en argent qui devait
être plus somptueux encore. Tandis qu'aux Tuileries on était tout au Louis XVI,
par une sorte d'opposition qui se manifestait dans les moindres détails, on restait,
à la cour du Palais-Royal, c'est-à-dire chez le prince Napoléon, toujours au néo-
grec. Entre autres ouvrages dessinés pour lui par Ch. Rossigneux, nous avons
signalé dans les chapitres précédents' un surtout de table reconstitué avec les
moulages qu'il avait rapportés de son voyage à Naples, et qu'il avait fait exé-
cuter en orfèvrerie argentée et dorée par Christofle. Comme conception, il était
impossible de pousser plus loin l'abus du goût archéologique. Qu'on imagine une
sorte de pilastre formant candélabre, dont le chapiteau se terminait par quati'e
enroulements auxquels étaient suspendues de petites lampes étrusques à deux
lumières. Autour de ce pilastre et sur le plateau qui lui servait de suppoi t, on
voyait des figurines montées sur des socles en ivoire qui représentaient les
Muses, et, aux extrémités, des autels chargés de bois enflammé, avec un Racchus
chevaucliant une panthère. De telles œuvres, destinées uniquement à satisfaire
quelques dilettantes saturés d'archaïsme, n'exercèrent, par bonheur, qu'une in-
signifiante influence et ne devaient pas avoir de lendemain.
L'Exposition universelle organisée à Londres en 1862 montra plus encore que
celle de 1835 les progrès réalisés par les orfèvres anglais au point de vue du
goût, et avec quelle rapidité ils mettaient h profit les leçons que nous leur avions
domiées à cet égard en 1851 et en 1855. Déjà ils devenaient pour nous des rivaux
redoutables. Du côté de la France, les productions en ouvrages d'argenterie
étaient nombreuses et remarquables. Pour ne mentionner que les principales, on
admii-a surtout celles de Froment-Meurice, des frères Fannière, de Chi-istofle, de
Wièse, (le Cueyton, d'Odiot, d'Aucoc, les belles décorations d'églises de Rachelet,
de Poussielgue-liusand et d'Armand-Calliat ; les Fannière, disait le rapporteur
Fossin, « auront contrihui' i\v. tous leurs eflbrts à faire (pie, clu^z nous comme chez
les anci(!ns, l'art soit appli(pié aux objets de l'usage le pUis journalier. Leur
th(;i(!re, leur sucrier, l(!ur saucière, leurs salières nous représentent ce que le
goût, au s(Mzième siècle, avait (l(i plus délicat et de plus pur. Dans les bas-reliefs
(le style anti(pje, (pii décorent leui's seaux à glace, les figures sont modelées avec
(1) .M""' OcIjivc l'ViiilIcl, (Jiich/iivs (iiiik'c.s di: ma vie.
— 55 —
souplesse, posées avec grâce, expressives, et parlout l'ornementation est traitée
avec simplicité et avec ampleur. » La maison Christofle avait envoyé à Londres un
ensemble imposant d'objets divers et notamment la pièce de milieu du surtout de
table commandé par la Ville de Paris, ainsi que certains fragments du service de
vermeil de l'Empereur, et le surtout pompéien du prince Napoléon dont il a été
question plus haut. En outre, pour donner une preuve éclatante de toutes les
ressources que l'art pouvait tirer des procédés de la galvanoplastie, elle avait
exposé deux statues, le Faune au chevreau, de Fesquel, en bronze, et la Prima-
vera délia vita, de Maillet, exécutée en galvanoplastie dorée et argentée. Comme
récompense de ses beaux travaux, Charles Christofle reçut la croix d'officier de
la Légion d'honneur. Parmi d'intéressants ouvrages produits par Gueyton figu-
raient un bouclier allégorique de la guerre de Crimée, d'une composition éner-
gique, une aiguière dorée, genre mauresque, un service de thé émaillé, genre
étrusque, et une statue de Minerve, dont la tête était en ivoire et le corps en bronze
doré. Mais les trois œuvres qui firent peut-être le plus d'effet à Londres furent,
d'une part, les candélabres et le baptistère qu'avait exécutés Bachelet sur les
dessins de Viollet-le-Duc, et, d'autre part, le reliquaire en argent repoussé et
doré, enrichi de pierres fines, destiné à renfermer la relique de la Vraie Croix
conservée à Notre-Dame de Paris, fabriqué par Poussielgue-Rusand, d'après les
modèles du même architecte. Une autre pièce capitale, sortie également des
ateliers de cet orfèvre, et ayant pareille destination, était un grand reliquaire en
argent doré, orné d'une quantité de diamants fins, de pierres précieuses, et
décoré de nombreuses figures dues à Geoffroy-Dechaume. La beauté de ce travail
le classait hors de pair.
Du côté des Anglais, encore une fois, l'effort avait été énorme. Il apparaissait
surtout avec un éclat extraordinaire chez quatre orfèvres, MM. Elkington, Ilunt
et Ruskell, Hancock et Garrard, dont les ouvrages purement artistiques, il faut
bien le dire, avaient été faits par des mains françaises. Chez Elkington, on admira
les magnifiques travaux que Morel-Ladeuil avait exécutés depuis les deux ans qu'il
était attaché à cette maison, et, en première ligne, la Table des songes, sorte de
plateau circulaire de 75 centimètres de diamètre, surmonté d'une statuette me-
surant 28 centimètres de hauteur, que supporte un pied de 80 centimètres de
hauteur, le tout en argent repoussé. La statuette placée au centre de la compo-
sition figurait le Sommeil répandant ses pavots sur trois dormeurs, un soldat, un
laboureur, un trouvère, au-dessus desquels étaient représentés en bas-relief su '
le plateau les songes de chacun d'eux : Honneur, Victoire, Gloire et Titres;
Abondance et Prospérité; Fortune, Gaîté, Génie et Amour. Dans l'ornementation
du cadre de ce plateau, des monstres rappellent les cauchemars qui se mêlent aux
rêves heureux. Des louanges unanimes accueillirent cette œuvre d'une conception
très neuve et d'un sentiment d'extrême distinction; elle valut du premier coup, à
— 5() —
son auteur, la célébrité en même temps (ni'iine récompense bien méritée (1).
Parmi les autres travaux présentés par Elkiiigton, les plus intéressants avaient
é(é dessinés et composés par notre compatriote Willms. C'étaient : un service
d'orfèvrerie, émaillé, genre étrusque, d'un eflét original; un vase consacré à
l'Amour, très gracieux de forme et de silhouette; un bouclier où l'Agriculture, le
Commerce, les Sciences et les Arts étaient représentés en bas-relief; un seau à
glace d'une ornementation sobre et d'un beau galbe, etc. Chez Ilunt et Ruskell,
c'était encore un Français, Antoine Yechte, qui triomphait avec ses ouvrages en
repoussé, où il montrait ses qualités et ses défauts, sa fougue et ses incorrections
de dessin : le bouclier Shakespeare, Newton et Milton, le vase d'une composition si
énergique des Centaures et des Lapithes, et l'autre vase décoré d'une frise repré-
sentant Thétis qui présente à Achille les armes forgées par Vulcain, tous deux
commandés par le prince Albert; le vase des Titans foudroyés par Jupiter, belle et
grande œuvre dans le caractère anatomique des compositions de Michel-Ange. Il y
avait aussi quelques objets dus à un artiste anglais, Armstead, auteur du bouclier
Pakington, composition hardie à laquelle manquait la correction du style, du
bouclier Outram, montrant en bas-relief des scènes de la guerre de l'Inde pleines
de mouvement, enfm d'un service otîert à l'acteur Kean, d'une forme originale,
mais d'un etïet par trop théâtral. Chez l'orfèvre Hancock, c'est un sculpteur ila-
lien, nommé Monti, qui avait composé la plupart des ouvrages qui attirèrent
l'attention, c'est-à-dire un vase Shakespeare, d'une belle allure, la coupe Milton,
la coupe Byron, les coupes de Burns et de Moore, d'une fantaisie extrêmement
poétique, etc. Enfin, on trouvait à l'exposition de M. Garrard, fabricant de Londres,
non plus la note moderne, mais la réunion imposante de pièces d'orfèvrerie d'ar-
gent, statues, groupes équestres, faits historiques, scènes de chasse, allégories
mythologiques, donnant l'idée de la splejideur métallique que les grandes fortunes
de l'Angleterre aiment à entasser sur leurs dressoirs et sur leurs tables, sans
grand souci de la délicatesse du goût, mais avec une ostentation de richesse qui
est l'expression des traditions nationales. Le rapporteur du Jury, Fossin, en
comparant les travaux d'orfèvrerie anglais et français exposés en 186S2, ne niait
pas ((ue, pour le goût, la forme et l'exécution, nous gardions encore un certain
avantage, mais (|ue sous le rapport du chifl'rc de production nous étions in-
comparablement inférieurs. Il rendait hommage en ces termes aux progrès
<\i' nos voisins : « Quels (ifforts ne devons-nous j)as faire pour ai'river à cou-
sc.vwv i-v,\U', supériorité dont la nuance^ est si légère, et (publie récompense
pour hîs «'llorts de l'Augletcirre d'avoir pu, eu dix années de travail, de persévé-
rance et de sacrilices bien entcMidus, égalei-, dans les travaux les plus précieux de
{ij l.ii l'a/i/c lies sdiii/i'fi l'iil H(:(|iiiw(! piii' ninisr,i'i|)l ion (in.'iOd IV. i p.'ir l;i Vilhi ili'. Iliriiiin^li;iiii l'I donii^i'
«Ml IHliltiiii iil'iMc.i; lin (i/illi^a il l'(»;(',iini(Hi ili; son rtiiii'iM;.!!^. Vny. VOICiirrc dr !\l ai rl iiidciii! , |Mililii' p;ir le liU
<li' riirlii*lo l'.io'i, 1 vcil. iii-'i", p. 1<>).
~ 57 —
l'art, la nation qui, sur ce terrain, se croyait jusqu'à ce jour sans rivale possible ! »
Cette constatation des résultats incroyables auxquels étaient parvenus les
Anglais en un temps si court fut, pour la France, le fait le plus saillant de l'Expo-
sition de 1862. Elle s'imposait avec une telle évidence, qu'il était impossible de
n'en être point frappé. Dans l'Introduction qu'il plaça en tète des Rapports publiés
à cette occasion, le président de la Section française des jurys, Michel Chevalier,
s'étendit longuement sur ce sujet. Il monira quel danger il y avait pour nos indus-
tries à laisser grandir sans essayer de la combattre une concurrence aussi mena-
çante. Mais comment y rép(>ndre? Tout simplement, disait-il, en usant des moyens
que les Anglais avaient employés. Aussitôt après l'Exposition de 1851, les Anglais
s'étaient dit que la supériorité du goût français n'était qu'une affaire d'éducation,
et avec cette persévérance qui leur est habituelle, ils organisèrent chez eux l'en-
seignement des beaux-arts en vue de l'avancement de leur industrie. Tout le
monde y concourut : l'Etat, par la branche d'administration publique qui porte le
nom de « Department of science and art » ; les localités directement intéressées,
par des votes annuels de fonds; les associations spéciales et les particuliers, par
de généreuses souscriptions. On puisa aussi largement dans le reliquat considé-
rable laissé par l'Exposition de 1851 . Le principal résultat de ces elforts combinés
fut le Musée-Ecole, le Sotilli Kenshujion Muséum^ vaste établissement où un grand
nombre de jeunes gens des deux sexes viennent se former dans les arts du dessin,
en même temps que des cours bien faits et des collections heureusement dispo-
sées les initient aux sciences appliquées. A cette école-type, on ajouta de nom-
breuses succursales dans les villes manufacturières. C'est ainsi, ajoutait Michel
Chevalier, que les Anglais, qui étaient jusque-là, il faut le dire, plutôt renommés
pour leiuMiiauvais goût, ont pu faire les progrès (|ui ont été si remarqués à l'Expo-
sition de 1862, dans le dessin des étolîes et la distribution des couleurs, ainsi
que dans la ciselure, la sculpture, et, en général, dans les arts d'ameublement*
Donc, concluait le rapporteur, répandons, nous aussi, dans notre pays, l'ensei-
gnement des beaux-arts parmi la population ouvrière. « 11 est indispensable que
les ouvriers d'une partie au moins de nos manufactures soient initiés aux arts de
la forme, du dessin et de la couleur, par des cours appropriés. C'est une néces-
sité pour la France, parce qu'une bonne partie de nos succès industriels tient à
la supériorité du goût français, et qu'il est de son devoir de le cultiver. Il est
donc essentiel que l'enseignement des beaux-arts soit mis à un niveau élevé dans
celles de nos cités qui en sont déjà pourvues, et qu'on l'étende à d'autres villes
où les manufactures ont acquis une grande importance depuis un quart de siècle,
et qui, néanmoins, sont encore privées de cette éducation spéciale (1). » Dans
(1) Rapports du Jurij inLernational de 1862, par M. Michel Chevalier., —
page CXI. vin.
Paris, Chaix, 1862, vol. 1",
lin autre rapport, qui est devenu célèbre, le délicat écrivain Mérimée (1) déve-
loppa la même théorie avec une hauteur de vues et une précision des plus fortes.
tl est à remarquer que ces idées étaient celles-là mêmes que le comte de
Laborde avait exprimées au lendemain de l'Exposition de 1851, avec une vision
profonde de l'avenir. 11 avait annoncé ce qui allait arriver. Poussé trop tôt, son
cri d'alarme ne fut point entendu. Après l'Exposition de 1862, il fallut bien se
rendre à l'évidence. Mais le gouvernement ne comprit pas [mieux alors la lâche
qu'il aurait eu à accomplir. On opéra quelques réformes peu importantes dans
l'enseignement de l'Ecole des beaux-arts et ce fut tout. Quant à créer une solide
organisation pour l'enseignement pratique des arts industriels, on n'y songea
même pas.
C'est ici que commence à entrer en scène une association qui a exercé depuis
quarante-deux ans, pour le développement des arts dans notre pays, une influence
directrice considérable, je veux parler de l'Union centrale des Beaux-Arts appli-
qués à l'industrie, dont l'action, d'abord lente et incertaine, ne tarda pas à se
faire sentir de la façon la plus heureuse et la plus efficace. Je ne veux pas, dans
ces pages consacrées uniquement à l'histoire de l'orfèvrerie, me laisser entraîner,
au gré de souvenirs trop personnels, ni insister plus qu'il ne conviendrait sur la
propagande d'une société à laquelle, dès ses débuts — quorum pars parva fui! —
j'ai donné toutes les forces de mon ardente conviction. Mais comment, d'autre
part, expliquer les progrès réalisés chez nous dans l'orfèvrerie aussi bien que
dans les autres branches des industries d'art, si l'on ne montre pas quels liens les
relient à la création de cette société?
11 est utile de remarquer ici que les idées auxquelles l'Union centrale allait
rattacher son action avaient été émises par un groupe d'artistes dont nous avons,
dans les pages précédentes, rappelé les œuvres et la collaboration utile qu'ils
avaient apportée aux orfèvres de leui" temps. C'étaient Feuchère et Klagmann,
auxquels s'étaient joints d'autres artistes dessinateurs pour l'industrie, Chabal-
Dussurgey et Clerget. Dans un mémoire adressé par eux, en novembre 'l8o;2, au
prince Louis-Napoléon, alors président de la Répul)lique, et dont l'original est
conservé dans les archives du Conservatoire des Arts et Métiers, ils demandaient
(pie les artistes industriels fussent autorisés à organiser des expositions péiio-
diques, analogues aux Salons où les peintres et les sculpteurs exposaient leurs
(ïMivrcs tous l(!s ans. Ils insistaieni en inênu" temps sur la fondation d'un Musée
et d'une Ecole centrale des Arts industriels.
« L'Exfiosition, disaien(-ils, sera l'arène où ceux qui imaginent, créent et
» ajjpliquent ulih^nnmt, pourront se monti'er au grand joiu' sous le contrôle de
» tous, de ceux qui achètent les (nuvres comme de ceux qui les produisent. »
I />''.y . l//////(7(/i(,/(;: ilr l'ail il I'IikIiisI rie, piil' I'nis|ii'r Mrrillirr. dliissi' \X\, section I, vol. [l. 201.
Cette démarche ne fut pas sans effet. Deux ans et demi après l'Elxposition
universelle de J855, une galerie particulière recevait les ouvrages des artistes de
l'industrie, formant, pour la première fois, un groupe distinct des productions
purement industrielles.
Si nous avons tenu à rappeler le passage du mémoire rédigé par Klagmannet
adressé au Président de la République, c'est qu'il nous a paru utile, après avoir
parlé plus haut de la collaboration éminente que Klagmann apportait aux orfèvres,
de dire aussi qu'avec la haute conception qu'il avait de son art, il était en même
temps animé de l'ardeur généreuse qu'il mettait à faire triompher ses idées et à
faire valoir les travaux des sculpteurs, ses émules, et des artistes de l'art décora-
tif, ses élèves et ses amis.
L'Union centrale, qu'il avait aidé à fonder, lui avait donné une place prépon-
dérante dans sa Commission consultative, et l'avait nommé conservateur de ses
collections. Elle s'en est souvenue en 1868, au moment de sa mort, et avait
ouvert une souscription pour lui élever un monument au Père-Lachaise, et confié
au sculpteur Aimé Millet le soin de reproduire ses traits dans le médaillon en
haut relief qui décore son tombeau.
C'est de cette initiative qu'est née l'Union centrale des Beaux-Arts appliqués à
l'industrie, fondée en mars 1864, en dehors de tout appui officiel, par un groupe
d'artistes et d'industriels qui, ayant foi dans l'initiative privée, avaient mis leur
fortune et leur énergie au service d'une idée généreuse. Elle avait, avant sa cons-
titution définitive, fait une exposition l'année précédente, où sans bruit, sans
solennité, elle avait essayé, dans le Palais de l'Industrie, l'application de ses doc-
trines. Ces doctrines, elles étaient toutes puisées dans le rapport du comte de
Laborde, dont j'ai déjà si souvent parlé, et aboulissaient à une refonte générale
de l'enseignement des arts industriels, airjsi qu'à la formation d'un Musée sem-
blable au « South Kensington Muséum » de Londres. L'accueil qui fut fait à cette
idée nouvelle, l'empressement que mirent les meilleurs et les plus intelligents des
fabricants et des artistes parisiens à aider à sa naissance, encouragèrent les
débuts de l'Union, et c'est avec un capital modeste, mais avec une foi et une
confiance surprenantes, que la Société fit ses premières manifestations. Elle ne
réclamait de l'Etat aucune sulivention, et, fière, comme prétendait l'être un
grand pays voisin, de ne devoir tout qu'à sa propre valeur, elle proclamait aussi
son « fara da se » ne procédant que de l'initiative individuelle : elle prenait pour
devise : « Le Beau dans l'Utile », et choisissait pour emblème un rameau de chêne
avec ces mots : « Tenues grandia ».
En 1865, l'Union donna le premier modèle des expositions rétrospectives en
France, et elle y réussit à tel point que," deux ans après, M. Le Play calquait son
programme, et que la fameuse galerie de l'Histoire du Travail, en 1867, formée
des merveilles anciennes de tous les pays, ne dépassait pas en richesses ce que
— 60 —
nous étions parvonus h rassembler au Palais des Champs-Elysées. Les objets d'or-
fèvrerie moderne qui s'y trouvaient, mettaient en relief, outre les fabricants, leurs
collaborateurs généralement inconnus du public. Je n'entrerai pas dans plus de
détails ([ui m'exposeraient <à des redites, et je renverrai les lecteurs qui vou-
draient connaître les travaux exposés alors par Emile Froment-Meurice, les frères
Fannière ou Emile Philippe, au livre : Le Beau dans l'Ud/r, publié h celte occa-
sion (i).
Les idées de l'Union ont fait leur chemin; elles se sont introduites dans
les écoles de dessin avec la haute approbation du Ministre de l'Instruction pu-
blique, dans les ateliers et dans les galeries d'art et de curiosités avec l'aide et le
concours de tout ce que les lettres, les arts et l'industrie comptent d'esprits géné-
reux. Sous l'impulsion de Guichard, son premier président, puis d'Edouard André,
qui lui succéda, elle donna à sa propagande les formes les plus intelligentes,
ajoutant à ses expositions l'organisation de conférences dont quelques-unes, telles
que celles d'Eugène Guillaume, notre grand statuaire, sur la Réforme de l'ensei-
gnement du dessin, eurent alors un grand retentissement. Il ne faut pas oublier
de citer parmi ces pionniers infatigables et dont le concours fut infiniment pré-
cieux, M. Louvrier de Lajolais, l'ami de tous les travailleurs et de tous les artistes,
de qui l'ardeur anima l'Union comme le fait dans une horloge le ressort qui met
tout en mouvement.
L'Exposition universelle de 1867 fut pour le régime impérial le décor de féerie
après lequel la toile tombe, l'apothéose qui précède les sombres cataclysmes.
Ses vastes proportions dans la plaine du Champ-de-Mars, son éclat magnifique,
l'empressement des nations à répondre à l'appel de la France, la joie de tout un
peuple en cette année de triomphe, font de cette manifestation une date glorieuse
dont le souvenir, en dépit des revers qui devaient suivre, évo(pie encore les vic-
toires du génie français. L'orfèvrerie y parut extrêmement brillante et abondante,
avec des recherches d'applications nouvelles, une exécution prescpie ti'op poussée
dans 1(> rendu des ornements et de la statuaire. La part faite par les fabricants
aux s(Milpteurs restait aussi grande que jamais, avec le souci visible de l'efCet un
peu tlK'àtral. Que de dieux et de déesses, de nymphes et de satyres! Mais cette
(collaboration ajoutait un intérêt plastique aux grandes pièces d'argenterie si elle
leui- eni(ïviiit plus (pTil n'aurait fallu leur caractère d'objets d'usage prali(|ue.
SoiiiiiK' toute, on pouvait l'aire à celt(> industrie les mêmes crilifpies générales que
(iuicliard, |)résident «le l'Union cenlrah^ chargé d'un rap|)ort sur les Arts in-
duslri(;ls, adr(^ssait à r(Miseml)l(' des prodiiclions décoratives, et (pi'il résinnait
dans les cinq propositions suivantes : h^s ouvrages exposés décèlent, sauf (pu'l-
' I 1 /.'■ Ilr/iii iliiiix l'IUili' : liisidirc siMiiiiiall'i' ilc riliiiciii cciil nilc, suivie îles i'a|i|iiii'l.s du .liii'V de ri'A"|H)-
iliMij ilr l,S(;;i i^-r. iii S", l'arin, IHiUli.
— 01 —
ques exceptions : l." une liabileté de main poussée à l'extrême; 2" des industries
d'art puisant tout aux sources anciennes avec peu de discernement et vivant sur
le capital laissé par nos pères, sans y ajouter rien ou à peu près; 3° l'absence
d'invention ou de style propre; 4° des œuvres conçues en général en dehors des
convenances de leur destination et des lois harmoniques des ensembles; 5" l'art
trop souvent négligé non par l'artiste, mais par la mode aveugle, par les goûts
despotiques d'une clientèle souvent ignorante, par la nécessité de vendre, ce qui,
aux défauts déjà signalés, ajoute encore la banalité prétentieuse, et le luxe de
Joseph Fanniùrc. Auguste Fanuièrc.
1820- 1897. 1818-iijoo.
mauvais aloi, Ces observations étaient justes. Ilélas! la plupart ne le seraient-
elles pas encore pour les œuvres d'à présent?
Le rapport sur l'orfèvrerie fut confié à M. Paul Christofle, fils de Charles Chris-
tofle, mort en 1863, et qui partageait avec le neveu du fondateur de la maison le
poids énorme de cette succession. Ce document, net et concis, analyse avec clarté
les productions des exposants classés par ordre de mérite. Pour la France, il men-
tionne en première ligne les frères Fannière, qui seuls aujourd'hui sont à la fois
dessinateurs, sculpteurs, ciseleurs et orfèvres.
Les deux frères Fannière, comme leur oncle Fauconnier, étaient nés à Longwy,
en Lorraine.
Auguste Fannière, l'ainé, né en 1818 et mort en 1900, était sculpteur.
Joseph Fannière, né en 1820, mort en 1897, était ciseleur.
Tous deux, élevés par leur oncle, l'orfèvre de la Restauration, Fauconnier, ils
avaient reçu de lui les traditions d'un travailleur loyal, appliqué, follement amou-
— 62 —
reux de son art. Sacrifiant tout à l'honneur de remplir leur tâche, ils n'auraient
jamais laissé sortir de leurs mains une œuvre dont ils n'auraient pas été complè-
tement satisfaits.
Les Fannière composaient et modelaient leurs œuvres. Le travail était presque
toujours exécuté par eux-mêmes. Ils n'avaient d'autres collaborateurs que les
ouvriers nécessaires pour compléter ou monter leurs ouvrages.
Comme orfèvres, ils étaient des artistes complets; ils n'avaient pas de rivaux.
Toute leur œuvre est d'une beauté large et souple, d'une parfaite exécution, d'une
grâce d'invention toujours saine, toujours appropriée au but qu'ils se proposaient
d'atteindre. Leur œuvre appartient
à l'époque du second Empire à la-
quelle ils ont donné une empreinte
ineffaçable, procédant plutôt de l'é-
cole de noblesse, de grâce et d'élé-
gance qu'on trouve dans Pradier.
Il semble que, tout en étant eux-
mêmes de leur propre temps, ils
sont reliés à la chaîne des maîtres
glorieux qui illustrèrent le seizième
siècle.
A la mort de Fauconnier, n'ayant
pu trouver dans sa maison, qu'il
avait été obligé de liquider, la pos-
sibilité de continuer son œuvre, ils
ouvrirent un petit atelier de ciseleur
qui fut bientôt célèbre et eut pour
clientèle tous les orfèvres de l'é-
^poque. Lebrun, Duvau, Duponchel, Odiot, Froment-Meurice, Christofle, ne le
laissaient pas chômer de travail. C'est h l'Exposition de 1862 qu'ils paraissent
pour la première fois avec quelques objets dans le style Renaissance qu'ils affec-
tionnaient. L'Exposition de 1867 les mettait tout à fait en lumière. A côté du
bouclier du duc de Luynes, ils présentaient un autre bouclier en argent repoussé,
représentant le héros de Roland, pièce qui avait été modelée par Auguste, et ciselée
par .l()S(q)h; un s(M'vice de table en argent pour le prince de Ilohenlohe, dont nous
îivons r('tr()uv('' dans la vitrine du Musée centennal les pièces principales.
I/étagère surmontée d'une gracieuse figure '< A l'écharpe volante », sur la
])ase deux figm-es accostées, un faune et une bacchante délicieusenu^nt ciselés; la
saucière, très élégante de forme, avec un triton qui formait l'anse; une salière
(Idiililc, " la Naissance de V('iuis », et (Milin, un seau à ralVaicliir dont la panse
('•(ail (|(''C()r('e d'une l'risc en rep(tnss('' repi-('sen(ant un « Trionqtlie de llacchus».
Candélaljres. — UEuvre des Fnnnière.
(Musée centennal.)
\
63
Service exécuté poiu- le Prince de llulienlulie.
Candélabres. — Etagère. — Sucriers. — Seau à ral'raichir.
{Œuvre des Fannière.)
— 63 —
Toute cette mythologie, d'une composition élégante, était exécutée avec une
rare perfection, peut-être même trop précieuse pour des pièces destinées à
l'usage de la table, mais on ne pouvait
en vouloir au Mécène qui les avait com-
mandées pour parer ses vitrines et dé-
corer sa table les jours où il y rece-
vait les amateurs de belle orfèvrerie.
S'adresser à Fannière, c'était exiger la
perfection de la main-d'œuvre.
Le repoussé était leur travail fa-
vori. La « Léda » qu'ils exposaient en
18G2 avait été modelée par Auguste,
et Joseph l'avait exécutée au repoussé
d'une façon délicieuse. Un pot à bière,
en forme de tonnelet sur lequel s'en-
roule le houblon d'une manière char-
mante, était exécuté de même façon.
Un lézard et un écureuil, spirituellement modelés, complétaient le décor.
A la fin de l'Empire, c'est à lui que s'adressait l'impéralrice Eugénie pour
faire exécuter la trirème (|u'elle voulait offrir à M. de Lesseps à l'occasion de
l'inauguration du canal de Suez.
Nous verrons dans le chapitre suivant les œuvres qu'ils ont exécutées pour un
Saucière du service du Princ2 de llohcnlolic.
{OEiivre des Fnnnière.)
Salière " La naissance de ^'cnus. » — Service
du Prince de Ilohenlohe.
[OEnvre des Fannière.)
Salière du service du Prince de Ilolicnlolie.
(UEiivre des Fannière.)
amateur éclairé, M. Teyssier, qui voulait que son service fût exécuté par les
frères Fannière.
Le duc de Luynes, à une époque où leur atelier chômait d'ouvrage, leur avait
— OG —
commande un bouclier en fer repoussé, « la Cliulc des Anges » ; ils y Iravaillcrcnt
toute leur vie. Ce bouclier était toujours sur l'établi, et, quand on entrait dans
leur atelier, on le voyait fixé par le ciment sur le boulet de travail. Mais, débordés
par les commandes, ils le laissèrent inachevé.
Il est aujourd'hui au Musée des Arts décoratifs, et, si l'on regrette de le voir
dans cet état inachevé, il est tellement bien mis en place et fait tant d'effet qu'on
le trouve encore digne de figurer dans un musée.
Les neveux de Fauconnier avaient gardé aux doigls cette vertu des fées qui
ennoblit l'argent et lui donne la valeur de l'or. Si leur ciselure court sur la panse
d'une cafetière, ils y laissent un charme délicat comme l'épiderme d'un fruit et
(Iroupc II La Li'da »,eii argeiil repoussé.
{OEiivve des Fnnnière.)
adoucissent le métal sous une caresse; ce <|u'ils cherchent avant tout, c'est la
perfection; leur oncle leur a laissé son talent, mais il ignorait l'art de faire
fortune; il s'est borné à leur apprendre l'amour absolu du Hcau (1).
D'autres pièces d'une exécution hors ligne étaient également ])résentées par
ces émincnts artistes : un vase en argent repoussé, (h' leur style coutumicM-, rpii
avait (Mé connuandc' par l'I^^niperem' pour le (Irand-Prix de Paris, en 18(57. Sur la
piinsi-, une Kenonnnée dislribuanl des couronnes, et , pour remplacer les anses,
des clnivanx nuiitrisés par des géni(is, dont le poitrail faisait corps avec la forme
du vase. On wc. pouvait trouver im plus bel enscMnble.
b;i uKiison Odiol, s'(''tiiil, signah'e par le nombre de ses envois d'une grande
riclicssc cl d inic e\('CMl ion extrènienient soign(''e. I*'ille montrait notannnent : un
1j Kin ini l'iliiili' sur li'^^ IrriT.-* |i'aiiiiii''i'r, l ilr liSS'.l.
— 67 —
service de table, aveC/ grand surtout sculpté par Gilbert, dont le décor sym-
bolisait le travail à la forge, et f[ni appartenait au grand industriel M. Pétin; un
prix de course commandé par le Jockey-Club, c'était une élégante figure de la
Renommée posée sur un socle dont le cartouche était accosté par deux têtes
de chevaux reliés par une guirlande; une importante pièce de milieu, exécutée
pour le comte de Chévigné, dans le style qui marque la transition de Louis XV à
Louis XVI ; un surtout ap-
partenant au duc de Gal-
liéra, et une foule d'autres
ustensiles de vaisselle de
table. Le rapporteur du
Jury citait encore Dupon-
chel, pour un surtout de
table sculpté par Gilbert,
une jardinière Louis XVI,
et un joli réchaud de
même style composé par
Klagmann et ciselé par
Honoré ; une coupe en
jade oriental, plusieurs
services à thé, etc. ; puis
Uudolplii pour ses objets
d'art, prix de courses,
buires, boucliers, vases
ornés de lapis et de
pierres diverses, d'un
genre un peu démodé. 11
donnait les plus grands
éloges aux orfèvreries re-
ligieuses de M. Poùs-
sielgue-Rusand, dont le
maître autel de la cathédrale de Quimper, d après les dessins de rarchitecte
Boeswilwald, les pièces du mobilier de Notre-Dame de Paris exécutées sous la
direction de VioUet-le-Duc, défiaient la critique, et il signalait encore les envois
de Bachelet, de TriouUier, et surtout d'Armand-Calliat, de Lyon, qui, pour la
fabrication des ornements et mobiliers du culte, se révélait en maître par des
qualités d'originalité absolument personnelles.
De l'exposition de Christofte, pas un mot; le rapporteur avait pensé que son
rôle officiel lui imposait une réserve totale. Cependant elle offrait un intérêt trop
grand, non seulement à cause des pièces d'argenterie de grand luxe en métal
Pot à bière.
[OEuvre des Fnnnière.)
— GS —
argenté qu'elle comprenait, mais surtout par la nouveauté des procédés divers
qui, pour la première fois, s'y montraient applitiués à rorncmentation de l'orfè-
vrerie, pour que nous croyions de notre devoir d'historien de ne pas la laisser
Uduclii'i' " I.a cliuU' (li's Allées ». — Olùirrc des F.in m'en',
{('.otliu lioii 'lu Miist'C lies .l/7s ihu oriilifs.)
dans l'ondirc, (lonnnc ouvraj^cs d'art, c'claicnt les l*ri\ de courses : la Victoire,
prix du .locKcy-Clul), gagni'c par au c(Hnl(' de Lagrange, représentait
niir Vii loirc, niudch'c par Maillet, sous les (rails d'une jeune lillc (pii, lialelaute
— 69 -
encore do la course qu'elle vient de faire, élève au-dessus de sa Lête la palme
qu'elle a remportée; 1' « Education d'Achille», vase à panse plate modelé par
Mathurin iMoreau, avec un bas-relief représentant le Centaure Chiron exerçant le
jeune Achille à la course. C'était un testimonial : la « Navigation », par Carrier-
Belieuse, offert par le gouvernement français à Laskins Esq. du Board of Trade,
Vase cxéci-.t • pour le (îrand Prix de Paris en 18, 7, olTcrt par rEnipcreur Xapolcon I!I.
(OEnvre cli's Fannidre.)
en souvenir des services rendus de concert avec M. Sallandrouze de Lamornaix.
Deux salières, les « Ondines », une des dernières œuvres de Klagmann ; un service
à café de style Louis XVI modelé par J. Chéret, ciselé au repoussé par Michaut.
Nous donnons la reproduction de ces deux œuvres imporlantes, dont l'une d'elles
appartient au Musée des Arts décoratifs. Enfin, un guéridon de style pompéien
4-
— 70 —
avec service à the en argent repoussé, composé par Uossi-neiix. !.(; i)lal('au du
guéridon était décoré d'une incrustation d"or et d'argent sur fond de cuivre patiné
Surloul o\i''('ul('' pniir M. l'iMiri.
{(Irfih'i'fii'f il'OilidI.)
rouge hriiiiic. ('/('lait lui sp(''cini('n Irès n'ussi d'ini nouveau procédé de danias-
(juinc par voie galvanlipu' <pM- MM- (liirisldllc venaicid, d'invenler. Mais la |)ièce la
plus iiiipi.rlanlc ('tail inic lalilc de toilcilc à coilTcr avec tous ses accessoires en
ar;M:nl rcpoiissi' de >|_vic Louis \VI, ('Xt'riih'S avec Idiilc la |tr('ciosilé' des (ruvres
71
La Renommée.
Prix de course du Jockey-Club gagné par Nélusko.
(Orfèvrerie de Cli. OdioL.)
— 73 —
de l'époque et ciselés par Gouthière : coupes à bijoux, flacons, boîtes à poudre et à
pommade, aiguière et cuvette. La table, dont le dessus était en jaspe encadré par
une frise en lapis incrusté d'or,
était soutenue par des cariatides
en bronze doré modelées par
Carrier-Belleuse ; le cadre de
glace était accompagné de deux
figures modelées par Gumery et
représentant l'Art et la Nature.
Cette table, qui appartient au-
jourd'hui à M'"" Isaac Péreire,
figurait au Musée ccntennal du
Mobilier.
Nous avons dit plus haut que
Klagmauji était, avec Clei'get et
Cliabal-Duàsurgey, le rédacteur
d'un mémoire adressé en 1852
au prince Louis-Napoléon pour
la création d'une Ecole et d'un
Musée des Arts décoratifs et l'un
des fondateurs de la Société de
l'Union centrale des beaux-arts
appliqués à l'industrie, mais nous
avions laissé dans l'ombre sa car-
rière d'artiste industriel, et la
part importante qu'il avait prise
à cette époque dans le mouve-
ment de l'art décoratif.
Klagmann, né en 1810, appar-
tenait à une modeste famille d'ar-
tisans; il était de ceux pour qui
le travail quotidien est la pre-
mière loi de la vie. Entré à l'Ecole
des Beaux-Arts à dix-huit ans, il
suivit les leçons d'un maître or-
thodoxe, Ramey fds. De bonne
heure, il connut Jean Feuchère,
qui, compromis au service des idées nouvelles, exerça sur son jeune esprit une
influence salutaire. Klagmann réussit peu à l'école, et, comme il fallait vivre, il
fut obligé d'accepter de menus travaux qui n'avaient avec l'art que des rapports
(".andùlabre e.NCJiilo pcnir M. Pctiii.
(nc/ec/vr/e d'Odiol.)
— 7i —
loiiilaiiis. Engage dans Técolc i'Oiiiaiili(iii(!, il exp()sail au Salon. S(mi nom se
trouve rareineuL dans les eoiupLes rcudus des expositions, et e'est la sculpture
décorative qu'il a le mieux i(''ussie. Il es( l'auteur de la fontaine de la piaee
Louvois, dont Visconli avait donné le dessin; (ies boiseries sculptées de la salle
des séances du Sénat; des grandes figures de la façade de raneien Théâtre His-
torique, et de l'ornementation du théâtre d'Avignon.
Mais c'est surtout les travaux d'ai't industriel qui ont rempli sa vi(î. Dés sa
jeunesse, Klagmann avait mis son talent au service des industries de luxe, et,
jusqu'à son dernier jour, son concours est demeuré fidèle à ceux qui mettent en
œuvre le bronze, le fer et les métaux précieux. 11 est peu d'ateliers qui n'aient
profité de ses inspirations ; depuis la fontaine monumentale jusqu'à la pendule de
.lardiiiici'c Louis X\'L
[Orfèvrerie de I)ii];oniliel .)
salon, Klagmann a tout essayé; il a eu pour la décoration des jardins comme
pour les meubles du foyer d'inépuisables inventions. Il a travaillé pour Sèvres,
et, lorsque la faïence revint à la mode, il a fourni des modèles aux céramistes.
L'orfèvrerie a particulièrement intéressé Klagmann ; il eut sa part dans les
travaux du fameux surtout exécuté sur les dessins d'Aimé Chenavard pour le duc
d'Orléans. C'est lui qui, en 1842, donna le modèle de l'épée offerte au comte de
Paris et tlu surtout de M. Isaac Pércire, exposés en '1862.
Dans ies dernières années de sa vie, il travaillait pour Christolle, (pii exposait
en 1807 la salière, le ('offi-ct et le suci'icr que nous avons reproduits. Au moment
où cett(! exposilion se pri'-parait, il avait, à la demande de MM. Christofle, com-
posé' un siu'lout d(! table et en avait fait tons les dessins; mais sa mort l'empêcha
de rex('M'ui(!r. (^es dessins, signés de lui, n'auraient probablenient pas vu le jour
s'il m; s'(';tait trouvé un(! occasion les li'aduire en relief d'une manière digne de
lui. MM. (vhi'istode ('onlièrent la scidptnre à l'im de ses élèves, M. Eudes, et son
;inii l)i(''l,erle, artiste d'un goût sûr et lin, voidul bien suivre l'exécution dc ce grand
travail. L'ensemble ('lait conçu dans le gofd, du sei/iènu! siècle, mais avec cet
îici'.eiit nimlerne (|im! Klagmann a|ip;)rtait à toutc!S ses (euvres. La pièce principale
était Line jardinière avec deux figures
extrémités. Aux parois de la corbeille
court une frise au centre de laquelle
un petit Bacchus est porté en triomphe
par deux enfants. Des figurines aux
mines réjouies portent dans leurs
bras des victuailles appétissantes, des
fruits et des flacons pleins de pro-
messes. Elles forment une sorte de
Panathénée moins solennelle que celle
de la frise du temple immortel, mais
spirituelle et tout à fait décorative et
charmante.
Les compotiers, dont nous don-
nons le dessin original de Klagmann,
sont décorés de panthères qui se
dressent et s'allongent avec des mou-
vements pleins d'une grâce féline,
comme pour atteindre les fruits qu'ils
contiennent.
Les candélabres sont formés par
une colonne enguirlandée qui sup-
porte les lumières et repose sur une
base égayée par une ronde d'enfants
la main dans la main. Telle est la der-
nière œuvre à laquelle Klagmann a
attaché son nom. Ce surtout, exécuté
par Mi\l. Christofie, est aujourd'hui la
propriété d'un riche banquier de Co-
logne, et n'a jamais été reproduit.
Klagmann aimait ces travaux d'orfè-
vrerie; il s'intéressait à toutes les
transformations du métal; il en par-
lait en artiste qui sait les lois des
formes, et en ouvrier qui connaît le
maniement des outils. 11 a été un des
premiers à qui cette pensée est venue
de réconcilier l'art et l'industrie; il
a prêché tant par la parole que par
l'exemple.
ailées : la Fécondité et l'Abondance aux
« La A'ictoirc ».
Prix de course du Jockey-Club, j;agné par GUidialenr.
Sculpture de Maillet. {Orfèvrerie de Chrislojle.)
MM. Clii-islone avaient r'igale-
mcnt exposé deux salières en argent
« Les Otidines » d'une cornposilion
élégante, un eoffret " l'enlèvement
(le Déjanire », et un sucrier de table
en argent. Ces pièces étaient aussi
les œuvres de Klagmann.
L'Empereur avait aussi com-
mandé un service de table de ver-
meil et un surtout de bronze doré
qui figurait à l'Exposilion. Le ser-
vice de table, qui était resté aux
Tuileries, comprenait les assiettes,
plats, casseroles, etc., en argent
doré, et ne pesait pas moins de
780 kilos.
La liste civile n'en paya qnc la
façon. Le Mobilier de la Couronne
possédait dans ses magasins des
pièces d'argenterie datant du pre-
mier Empire, des torchères de 2'",o0
de hauteur, de grandes corbeilles
supportées par des cariatides, dont
le travail . précieux aurait dû les
préserver de la destruction. Mais
c'étaient des pièces un peu dé-
modées qui, depuis longtemps,
étaient restées sans usage. On les
remit à l'orfèvre qui les fit fondre
dans son alelier, en présence d'une
commission spéciale. Le procès -
verbal de l'opéi'alion, par un eu-
phémisme administratif destiné à
dissimuler l'acte de vandalisme
(|u'on allail connnetli'e, était inli-
tulé : T/'d/is/omiation de vieux tiia-
tériel... (i'était la destruclion
d'oeuvres de lîiennais qui n'étaient
pas sans nu'rite, que ('hrislolle al-
lail transformer' en un service de
Table à thé.
{Modèle de Hossiffneu.i. — Orfèvrerie de Chrislofle.)
Table de toiletle à eoiller de s(,\'le Louis X^'l.
Composiliou de E. Heiber. — Sculpture de Carrier-Belleuse et Gumei-v.
[Ôrf'éi'rerip (le Chrixtolle.)
Pot à eau et cuvette de style Louis XM.
{Coinposilioii d'Emile Reiher. — Sciilpliire de Currier-Belleuse.
[Orfèvrerie de Chrislofle.)
— 83 —
Yermeil, assiettes de table (il y en avait 500), plats, casseroles, soupières, etc...,
pour les grands jours de réception. Dix ans plus tard, le Gouvernement de la
Défense nationale les envoyait fondre à la Monnaie.
("ilace à main et flacons de toilclte de style Louis X^'I.
{Orl'èvrevie de Cliristofle.)
Le surtout était en bronze doré et avait été composé spécialement pour
rappeler le style qui avait précédé le premier Empire et qui avait les prédi-
lections de l'Impératrice; il comprenait sept jardinières et vingt-deux candélabres.
La pièce du milieu était formée par une nef à deux proues sur lesquelles s'ap-
puyaient quatre figures, emblèmes du Commerce maritiuie, reliées à l'Aigle impé-
$
— Si
l'ial par des guirlandes de chêne. Les anlrcs jardinières étaient ornées de groupes
d'enfanis symbolisant les quatre éléments, la Terre el TKaii, FAir et le Feu. La
sculpture avait été faite par Maillet, Malliui-in Moreau et Aimé Millet; les orne-
ments modelés par Auguste Madroux.
Nous laissons de côté les pièces d'usage, service à tin', |)laleau, couverts de
table des modèles les plus variés et les mieux étudiés, qui- représentaient sa
fabrication courante.
Cou|)e à l)ijou\ c( hoi(es à pdiulre et à poniniaile do slvlc Louis X\'I.
[Orfèvreriv de Chrislojh'.)
La maison Clii-istotle, continuant sa niarclie ascendanle dans la voie des pro-
grès industriels, avait trouvé le moyen d'exéculci', avec son inv(Md,ion de la « (îal-
vanoplastie ronde-bosse », de grandes statues do bronze oblenues sans sou-
dures et sans retouches, comme la statue colossale do Notre-Dame de la Garde,
à Marseille, qui ne mesure pas moins de neuf mèti-es de hauteur, ou comme
les figiM'cs fpii di'corcnt la façade du nouvel Opéra, à Paris, dont la dinu'usion
allfiiit ciuii mclr(!s. IVIais ce (pii dislinguail particidicrcumut sa parlicipalion à
rj*ÎX|)osil iou de IS()7, c'('lait l'emploi de r(''niail cloisonn('' ;i la manière des (Ihinois
ou des Japonais, t(ud,ativ(! des plus ciu'ieuses (pii devait eniraîuer par la suite
lonle line si'rie de recherches inl(''ressan(('S et alioulir aux plus brillants l'ésultals.
I' •ipl''" '' I ''mail dans l'orfèvreiae — ou pliilôt la r('apparil ion, |)uisque
depuis le Moyen A^c cl |;i Heiiaissa née on l'avait à peu près abandount" — l'ut.
— 85 —
ea effet, une des surprises de l'Exposition de 18BT. Elle s'imposa si vivement à
l'attention qu'un rapport spécial, confié à M. P. -H. Delarociie, sembla nccessa're
aux jurés pour signaler les œuvres de ce genre qui se trouvaient éparses chez
divers exposants français.
Depuis plusieurs années, un artiste de très grand talent, Charles Lepec, à la
suite de longues et patientes recherches, ayant retrouvé les procédés de l'art des
émailleurs limousins, avait offert à l'attention des amateurs quelques morceaux
de sa main qui furent tout de suite très admirés. En 1867, il exposait notam-
ment un superbe vase en or
émaillé dont le corps était en
émail de Limoges, c'est-à-dire
d'un fonds sombre avec re-
hauts blancs, dont le pied, le
balustre, et le bord étaient en
émaux « champ-levés », c'est-
à-dire avec des émaux posés
sur le métal préalablement
creusé en cloisons au moyen
du ciselet; enfin, les feuilles
et les autres ornements étaient
en émaux translucides sur flin-
qué. 11 avait envoyé également
une gracieuse aiguière avec
son plateau, quelques portraits
remarquables, un coffret, des
bijoux, des coupes, etc., tout
cela émaillé avec une habileté et un goût parfaits. Les tentatives de Charles Lepec
eurent aussitôt leur répercussion dans quelques ateliers d'orfèvres entreprenants,
qui essayèrent de faire concourir la beauté et l'éclat des couleurs de l'émail
à la richesse des objets d'or et d'argent. Froment-Meurice, Dotin, Robillard,
Dupônchel, et surtout les fabricants d'orfèvrerie religieuse Poussielgue-Rusand
et Armand-Calliat, présentèrent quelques pièces émailiées dont le charme fut
très goûté.
Très différent était le procédé d'émaillage sur métal avec cloisons l'apportées,
dont la maison Christofle exposait pour la première fois des spécimens qui avaient
coûté d'infinies recherches. On sait que ce procédé consiste à contourner à la
main de petites bandelettes de cuivre minces, et à les appliquer par la soudure sur
les formes à décorer, en remplissant ensuite les intervalles, c'est-à-dire les cloi-
sons ainsi obtenues, avec de l'émail fondu. 11 offre, dans l'application, des diffi-
cultés extrêmes et bien plus grandes, on le comprend, que pour les émaux à cloi-
KLAGMAXN (iSio-1869).
sons fondues qui sont toujours forcénnent, les mêmes, tandis qu'ici le dessin doit
être refait à chaque exemplaire de la même pièce. Pour ne pas imiter servilement
les artistes de l'Extrême-Orient, MM. Christotle s'étaient jjornés à emprunter leur
méthode d'émaillage et leur coloration, mais en les appliquant à des décors li-
brement interprétés d'après nature. Les coupes, petites tasses, cafetières, qu'ils
exposèrent, réjouirent tous les yeux. Dans le même orrlrc d'idée, cl pour ajouter
SulicTf tkiuhle « Les Ondineis ».
[Sriilpliive (le Khifiiitnnn. — Orfèvrerie de Clirislolle.)
de la gaieté à l'orfèvrerie d'argent ou de métal argenté, MM. Clirislofle imagi-
tu'îrcnl un autre pi'océdé, le « guillochagc électro-magnétique », qui permet
d'oMcuir uK'canifpiement le délicat travail de burin du plus habile ouvrier. Ennn,
ils uiouli-èrcut les premiers résultats de leur « damascpiinage galvaui(pi(> par
incrnstiilioii », sorte d'iniitMlion des damasquinages d'or et d'argent (|ue l(>s
(lliiuois el siu loiil les .lapouais ont exécutés si adroitement, avec ccitle dilléreuce
i|iM' la oii les < )rieulaux inc,isai(wit et marlelaient dîuis h^ bron/(>, suivant le dessiu
il iiii olqel, les parti(!S d(i mélîuix j)récieiix (pi'il s'agissait d'y incorpoi'er, on arri-
vail . par les moyens galvani(|ues, à insérer ces uK'Iaux précieux exaclemeni selou
l'i'paisseiu' voulue e( an iiièuie plan (pie le brou/e. (lolorisie avant bml, la maison
< llu'i^l ollc a\ail voulu nenpre avec celte noie lilaiiclu' ou grise de l'argent, avec
— 87 —
les richesses criardes de la dorure neuve. L'émail, la damasquine, les patines de
Tor, de l'argent ou du cuivre donnaient à son orfèvrerie une saveur inattendue et
agrandissaient le cercle étroit dans lequel se mouvaient les orfèvres. Par ces mul-
tiples inventions, les jeunes directeurs de la maison fondée par Charles Christofle
attestaient qu'ils n'entendaient pas rester sur les succès passés et qu'un désir
. ardent de perfection animait leurs elTorts.
Sui-ricr de lablc en argent.
[SculiAiire de Klafjmann. — Orfèvrerie de Chrislojle.)
L'orfèvrerie étrangère offrait un tableau assez complet de la production chez
presque tous les peuples et donnait lieu à ces comparaisons tout à notre avantage.
Chose curieuse, l'Angleterre qui, en 1862, avait provoqué l'étonnement par les
progrès, l'actualité d'art et de goût de son argenterie, n'envoya en 1867 qu'une
exposition assez pauvre en œuvres nouvelles; sauf EIkington, les orfèvres de ce
pays se bornèrent à des redites. On retrouva dans la vitrine de Hunt et Roskell
les magnifiques ouvrages en repoussé de notre Vechte, mais rien d'inédit; chez
Hancock, son vase de Shakespeare, les coupes de Milton, Moore et Burns qu'on
avait déjà vus, beaucoup de prix de course et « testimonial ». Seuls. MM. EIkington
présentèrent des ouvrages inédits du plus grand intérêt, comme le « Bouclier de
Milton » (I), de Morel-Ladeuil, en argent et acier avec riches incrustations d'or.
(1) Il apparlient actuellement au .Musée de South Kensinglon, ;i Londres, pour lequel le gouvernement
anglais l'acquit au prix de 7.'j 000 francs. Voy. VŒhivre de Morpl-Ladetiil ([9lOi, chez Lahure% p. 19.
— 88 —
figurant, en repoussé, trois épisodes du Paradis perdu, véritable dief-d'œuvre, qui
est devenu populaire en Angleterre, grâce à la reproduclioii galvatioplasiique
qu'ils en ont fait; une aiguière, le Jour et la Nuit, dessinée par- Willms, ciselée
par Morel-Ladeail ; un pot à bière avec médaillons; deux coupes, la Musique et la
Poésie, en argent, reponssées j^ar Morel-Ladcuil ; un gr-and bouclier de six pieds de
(jillVcl " L"Eiil(''\piiirnt de Dc'Jiiniri' ».
{Sciiljiliiri' (le I\t:iii iii:inn . — Orfvvrcrir i/c C7wi'.s7i)//('.)
Iiaul en 1er, repoussé d'après une ('onq)o^ilion de Willms, e( représenlani «La
(Iraïule-Iiî'etagrH! ('nl(iur(''e des Volontaires anglais el écossais»; plnsiein-s sei'-
viccs de lahic (huis le slylc grec cl gr(''co-r()niain ; des seaux à cliampagn(>, d'une»
ii^'ri'alile di'coral ion ; une paire de lr(''pieds supporlani de grands vases ri(duMm'nl
décor(''S d'or el d'argent oxydc' dans le style pei'san, elc.
IVlais le pays (pii nutulrail l'orlèvrerie la plus originah^ ('lait la Uussi(>, oii le
goût I r-adil ionnel des ('maux, des nielles, de la damas(piine se Iradnisail sur (l(>s
loruu's ^'(•ik'tiiIciiiciiI ini peu trop vulgaires poiu' lani de pr('ciosi(('' dans le rendu,
l'iiui l.Mil . <l;iiis les (T'uvres exposi'rs par Sa/ikolV el AleliiuuikoiV, ligiu'aienl des
89
91
Service de table de_rinipéraLrice.
Corbeille à lumières : l'Agriculture, par Aimé Millet.
[Orfèvrerie de Clirislofte.)
— 93 —
pièces d'un réel intérêt artistique. Le premier avait un grand bas-relief en argent
repoussé, un service à thé en argent complètement noirci, orné de branches et
roseaux ciselés en demi-rehef et dorés, d'une composition originale, ainsi
qu'une série de vases, de coupes, d'usten-
siles de table décorés selon l'esprit na-
tional et tout rutilants de couleurs. Le
second exhibait, à côté de quelques spé-
cimens soigneusement faits d'orfèvrerie
religieuse, un groupe allégorique de
« L'Avenir du peuple affranchi » don! la
ciselure était poussée à ce point de fi-
nesse excessive qu'on y pouvait distin-
guer la trame des différeutes espèces
d'étoffes. Quant à la Prusse, elle ne
montrait pas d'orfèvrerie d'art à pro-
prement parler, en dehors de quelques
morceaux d'un certain intérêt des fabri-
cants Sy et Wagner, et Wollgold fils, de
Berlin; sa spécialité élait une argenterie
légère, de titre inférieur, obtenue au
moyen de l'estampage dans des condi-
tions de bon marclié extraordinaire.
L'Italie, qui possédait en Castellani mi
bijoutier dont l'érudition accomplissait
des merveilles, n'avait pas d'orfèvres
dignes de ce nom; l'Espagne, pas davan-
tage. En Belgique et en Hollande, sauf
pour l'argenterie d'église, qui commen-
çait à y renaitre, c'était également le
néant. Du Danemark, on pouvait voir
(pielques ouvrages indiquant que les
anciennes qualités de facture des or-
fèvres du temps passé n'étaient point
perdues; malheureusement elles étaient
employées presque exclusivement à des
interprétations assez anodines du style
greç. Bien à dire des objets de filigranes de la Turquie. Pour finir cette nomen-
clature rapide, notons ce fait : les débuts de l'orfèvrerie des Etats-Unis et
l'apparition de Tiffany aux Expositions universelles.
Aux derniers jours de l'Exposition de 1867, en vit apparaître deux pièces inté-
Candi-labrc Louis XXl.
Service de rimpcratrice.
[Orfèvrerie de Chrislofic.
— 94 —
ressantes et dignes de fixer l'attention du public. C'était la gracieuse trirème
exécutée par les frères Fannière et le grand prix de l'Agriculture. Après l'inau-
guration du canal de Suez par l'Impératrice, l'Empereur décida d'offrir à Ferdi-
nand de Lesseps un souvenir destiné à conserver dans sa famille la grande
œuvre qui avait immortalisé son nom. Ce fut aux Fannière qu'elle fut demandée.
Ce fut pour eux l'occasion défaire un chef-d'œuvre. Une coupe en forme de tri-
rème sur les flancs de laquelle deux bas-reliefs représentent, d'un côté les tra-
vaux du canal, et de l'autre la cérémonie de l'inauguration, portant h la proue une
ligure volante symbolisant la Renommée surmontée de la couronne impériale; à
la poupe, un Génie accosté de deux figures, le Commerce et la Richesse.
L'ensemble était supporté par deux gracieuses naïades posées sur un pied
décoré d'algues et de coquilles. La composition, la sculpture, l'orfèvrerie étaient
des deux frères.
Aujourd'hui, cette pièce figure au Musée des Arts décoratifs auquel elle a élc
donnée par Charles de Lesseps, le fils du promoteur du canal de. Suez, qui devait
avoir sur les relations des peuples une influence si heureuse.
Au cours de l'Exposition, M. Le Play, l'organisateur de cette grande manifes-
tation, commanda à MM. Christofle l'objet d'art qui devait être offert comme grand
prix de l'Agriculture. Ce fut à M. Decrombecque, de Lille, qu'il fut décerné.
Christofle fit faire dans ses ateliers la maquette qui fut acceptée par le Com-
missariat et demanda à Gumery de faire les figures qui devaient êlrela partie prin-
cipale du testimonial. Gumery, ancien prix de Rome, a laissé des œuvres qui ont
fait école. C'est à lui que Charles Garnier avait co:nmandé les deux grands groupes
eu bronze de la façade de l'Opéra.
Sur une sphère en émail symbolisant la Terre, et entourée de quatre Génies
rcprésentatit les quatre Saisons, se tient une élégante figure de Tryptolème. L'ar-
tiste a mis dans cette œuvre tout son talent. Ce fut sa dernière œuvre. Fail)lc de
sanL('", il resta à l*aris pendant le siège, et les privations achevèrent le grand
artiste, et c'est au bruit des canons qui bombardaient Paris que ses amis le con-
duisirent ù sa dernière demeure.
Chi'istolle exécuta cette pièce dans la perf(u;tion et confia aux fi-ères Fannière
la fisclurc de la figure principale.
l'în i-r-suMif', l'Exposition d(! 18!)7 ('-lail: un trionq)lie pour la {'"'rance, bien fail
iiDii^ li-(»m)ici' rious-inr'nii's sur iiol.i'c supi'riorilé à l'égard (h^s autres
ii;ili(tiis (hiiis le (loiniiiiic (les iiidiisl rics d'art! Connncnl l'ainour-pi'opre national
n Cil aiii ait-il pas vlr Uwiir ? Coiniiiciil pri'voir les orages qui allaieni, biciilôt écla-
( i r ;i riioi i/oii cl nous ;itl ri iidrc dans notre exisliMiccMuèine ?. . .
I.li ipioi I Tous ces pcii|»lcs ('1 i'iiiigci's «pii venaieni de se niesurer avec nous
dans le |)|ii< vasl(! loiinioi i ii I cnia I ioiial ipiOn ait vu jiisipi'alors avaieiil contilalé
avr'c line surprise jalouse ipic depuis H!) nous avions su reprendre nos traditions
La TrirOmc.
OlVerle par rinuK'i'atricc Eugénie, ù l'occasion de l'ouvertiu'e du cunal de Suez,
à Fci'dinand de Lcsseps.
[Sculpture el orfèvrerie des frères Funnière.)
Grand Prix do l'Agriculture eu 1S67.
(Modèle de Guinerij. — Orfèvrerie de Chrislofle.)
- 99 —
de goûl supérieur, tandis qu'ciix-mêmes avaient oublié les leurs! Ils n'avaient
pas su profiter de leurs ressources et de notre exemple pour reprendre sur nous
l'avance et nous arraclier le sceptre de l'élégance, le secret de notre génie?
Etait-ce donc qu'eux tous, Anglais et Allemands, Italiens et Espagnols, avaient
été plus ébranlés que nous-mêmes par nos propres révolutions; puisqu'ils n'étaient
pas parvenus à se ressaisir? Voilà les réflexions que faisait naitre notre prodi-
gieux succès, et avec lesquelles nous nous abandonnions aux illusions cares-
santes qui nous empêchaient de lire dans l'avenir.
L'Empire louchait à son déclin. Un an avant sa chute, le 1" aoiit 1869, eut
lieu au Palais des Champs-Elysées une Exposition des Beaux-Arts appliqués à,
l'Industrie, organisée par l'Union centrale. Les salles du premier étage étaient
occupées par uu musée couiplet de l'Art oriental, et c'est de là qu'il faut dater
l'influence définitive du goût japonais dans l'art décoratif français. On y revit les
grands émaux à cloison de Christofle, qui avait ouvert la voie; Emile Froment-
Meurice y (nivoya d'importants travaux qui lui valurent alors la croix de la Légion
d'honneur. Emile Philippe, qui commençait à produire ces interprétations de l'art
égyptien, Veyrat et plusieurs autres y montrèrent également des œuvres de
valeur.
Ce fut la dernière manifestation de l'orfèvrerie sous le régime impérial.
C(3iipe à IViiils.
[Dessin'uriyinul de Kb<iiiuinn. — Urfvrrcric' ilc Chrhlojle.
En-téLc des EvniKjilcs de Iluchelte.
{Dessin de Ch. Bossigneiix.)
CHAPITRE SIXIÈME
La Troisième République
(de 1870 à 1878)
Expositions diverses : à Londres en 1871 et 1872, à Vienne en 187î{,
à Philadelphie en 1870. — Influence de l'art ja])onais. — L'Expo-
sition de 1878 à Paris. — I-es artistes Emile Reiber et Charles
Kossig-neux. — Les orfèvres : Fannière frères, Guslave Odiot, Fro-
ment-Meurice, Lucien Falize, Christofle, Ancoc. — Les orfèvres
d'église Poussielgue-Rusand, Armand-Calliat. — L'Américain Tilï'any.
I ux sourds grondements du canon et au crépitement aigu
des mitrailleuses sur les champs de bataille, faire suc-
céder les bruits cadencés des marteaux dans la forge,
le ronflement des tours et des transmissions dans les
ateliers, chercher la consolation de la défaite dans les
travaux de la paix, travailler au relèvement de la patrie
par le développement des arts qui furent jadis sa gloire,
tel fut le mot d'ordre auquel la France obéit après 1870.
Ce sera un des étoimements de l'histoire que la pro-
digieuse rapidité avec laquelle elle se releva des dé-
sastres de l'Année terrible. Les catastrophes s'étaient
accumulées. Aux ruines et aux deuils de la plus ef-
froyable des guerres, s'ajoutaient les pires fléaux : le
déchirement des luttes intestines, l'angoisse profonde
LcLtre oi-uéc par llossigneiix. , . i. / n i i i i •
de 1 occupation par I armée allemande de la patrie mu-
tilée, l'obligation de payer au vainqueur une énorme indemnité de cinq milliards,
— 102 —
enfin les agitations des paiiis politiques qui ne pouvaient se résoudre à ac-
cepter la République, comme régime de gouvernement succédant ii l'Empire.
Au milieu d'une situation aussi troul^lée, on vit, comme par enchantement,
refleurir les industries de luxe. Dans les ateliers, oii les artisans, revenus des
champs de bataille, reprirent en hâte leurs outils, ce fut une véritable fièvre
d'activité. Paris redevint la ruche bourdonnante des beaux jours. De toutes parts,
les étrangers nous adressèrent leurs commandes qui prouvaient à la France
qu'elle restait, après la tempête, la directrice du goût et la grande pourvoyeuse
du monde pour les choses de l'élégance. Orfèvres et bijoutiers, ébénistes et bron-
ziers, tapissiers et modistes durent suffire à une incroyable besogne. Ne fallait-il
pas regagner le temps perdu d'uae année entière durant laquelle toute vie com-
merciale avait été arrêtée? Les épreuves n'avaient point enlevé à nos artistes
leur verve ni leur ingéniosité. Les décorateurs, dans toutes les branches de l'in-
dustrie, reprirent leur manière habituelle de composer, sans qu'il y eût apparence
tout d'abord que le mobilier de la troisième République dût se distinguer sensi-
blement du mobilier du second Empire. On en restait toujours au système de la
copie servile ou des interprétations plus ou moins libres des styles des dix-sep-
tième et dix-huitième siècles. Mais cela allait-il durer? IN'avait-on pas à craindi-e
certaines conséquences déprimantes du nouveau gouvernement démocratique sur
les arts décoratifs? Plus de souverain désormais, en France, pour s'intéresser à
la prospérité des manufactures et aux grâces somptuaircs! Plus d'aristocratie
pour offrir ses fêtes, plus de cour pour diriger le goût et inspirer l'élan à la mode!
Les appréhensions à cet égard se donnèrent carrière. Mais, il faut l'avouer, elles
auraient pu se produire plus tôt, car de tous les souverains qui depuis la Restau-
ration s'étaient succédé, aux Tuileries, quel est celui, au fond, qui avait exercé
sur les arts une influence heureuse, et comparable, même de loin, à celle de l'an-
cienne cour de France? En réalité, à ce point de vue, il n'y avait rien de changé
dans Moti'C |)ays après la chute de Napoléon 111. Les industries d'ai't, livrées à
ellcs-iiiêiiies, sans guide, supc'rieur et, sans auli'e inij)ulsi()n (\uc l'instinct de
s'ailapler aux caijriccs, aux Ixîsoins, aux lents progrès d(\ rédiicalion des géné-
r.ilions ni)iiv(!ll<'s, allaient c(tnlimn'i' l()gi(|uement, pai' des (du'uiins difficiles, leur
évolution (hiiis le sens de la vie modenu', ('volulion (|iii uc saurait, sans doute,
faire rciiail rc irs pcrfcci ions disparues, niais «pii n'en a |tas moins son cai'actère
di' ^^randenr el de I»c;miI('' propre, ipi'il serai! pui-ril de nier. Nous nous expliipie-
ron-. tiMil ;i l licnre sur ce point .
l/oife\ I ( l ie IVaiieai'^e, pi'cisipie ail h^ndeniaiii de la conclusion de la paix, en
ISTI, a l lieiiic inrine où les convulsions de la (Commune (Misanglantaicmt Paris,
eut rocc;isi()ii de se ma ni l'ester brillaiiiineiil ;i Lomlres, à l'Exposition organisée
au Sunlli Kciisiii;.'|()ii Muséum. Le prograinme iniagiiK' par le gouvernement
u:iglins (;tait iii;.;<''iiieu\ : essayant d'une clussilical ion nouvelle, la commission
— 103 —
royale avait résolu d'ajouter, dans les galeries, certaines industries artistiques
aux produits des beaux-arts et de l'horticulture; mais, par un perpétuel roule-
ment, elle voulait ramener de cinq ans en cinq ans les mêmes industries et les
mêmes métiers sous les yeux du public. C'eut été une école mobile où l'Angle-
terre, à l'esprit toujours pratique, eût profité des progrès et des découvertes du
monde entier, et cela sans qu'il lui en coûtât rien, car c'est avec leurs propres
deniers que les nations invitées devaient aménager leurs expositions spéciales, et,
en outre, la commission royale ne donnait pas d'autres récompenses qu'un certi-
ficat d'admission. La France prit part en 1871, 1872 et 1874 à ces exhibitions dont
l'histoire complète est relatée dans les trois volumes que publièrent nos commis-
saires généraux, MM. du Sommerai^d et Ozenne. Les rapporteurs (1) — qui furent
M. A. Gruyer, en 1871, M. Octave Lacroix, en 1872, et M. Lix, en 1874 — signa-
laient avec de vifs éloges les œuvres envoyées par nos principaux orfèvres,
MM. Christofle, Poussielgue-Rusand, Em. Philippe, Falize aîné et fils, Philippi,
Rouvenat, Fannièrc frères, Froment-Meurice, et Duron. Le bronzier Barbedienne,
faisant en cette occasion besogne d'argentier, s'était joint à ce groupe qui
recueillit tous les suffrages de Londres. Quant aux orfèvres anglais, ils ne mon-
trèrent pas un grand empressement pour ces expositions, et ils y firent si mau-
vaise figure que, dans un des rapports, M. A. Gruyer les traite avec beaucoup de
sévérité.
L'Exposition internationale ouverte à Vienne par le gouvernement autrichien,
en 1873, eut un tout autre intérêt et fournit quelques symptômes significatifs sur
les influences qui commençaient à apparaître chez nos meilleurs décorateurs dans
leurs efforts de nouveauté. Les arts de l'Extrême-Orient y figurèrent avec un éclat
inattendu et furent pour beaucoup de fabricants européens une éblouissante révé-
lation. Jamais on n'avait vu, en telle abondance, pareille variélé de productions,
d'une invention prestigieuse, d'une exécution déconcertanle à force d'habileté
artistique. Les bijoux émaillés de l'Inde, les porcelaines de la Chine, les bronzes,
les orfèvreries, les broderies, les ivoires et les laques du Japon furent étudiés à
Vienne avec une curiosité passionnée par les gens de métier, comme par les cri-
tiques professionnels (2), et l'admiration des visiteurs ne tarda pas à avoir une
universelle répercussion. Certes, on n'avait point été jusqu'alors sans apprécier
les chefs-d'œuvre de cet art japonais si profondément imprégné du sentiment de
la nature, mais on n'en avait jamais si bien compris les délicatesses exquises, les
étourdissants tours de force de sa main-d'œuvre. A partir de cette date, on en
(1) Voy. li's lîapporls do la C()niiins^i<in ri\-iii(;ai.-;o ; I vol., 1.S72, rlioz (Haye; 1 vol , IS"):!, I iiiprlmorie
nalionalc; 1 vol., 1815, linpriniorio nationale.
(2) Enlre maintes et maintes études publiées à celle époque sur ee sujet, d;uis les revues et journaux,
je signalerai d'une façon toute particulière eelle qui fut publiée dans le BulleLm de la SocicLé de l'Union
Centrale du li^r avril 187G, consacré à l'intluencc de l'art oricutal sur notre art moJcriiC. Cette élude est
signée de Lucien Falize.
— 104 —
pénétra mieux les secrets, on s'appliqua à entrer dans le détail de son histoire,
à deviner la pratique des procédés. Ce fut une bonne leçon et qui porta ses fruits.
La participation française à l'Exposition de Vienne valait plus par la qualité
que par la quantité. On y remarquait notamment dans la section du métal, les
productions de Barbedienne, Boucheron, Christofle, Durenne, ïhiébaut, à qui
furent réservés des diplômes d'honneur. Les orfèvres des divers pays étaient
d'ailleurs peu nombreux et les rapporteurs du jury, Fontenay et Rouvenat, les
classèrent en trois catégories : 1° ceux qui, vivant sur le passé et s'inspirant de
types d'un caractère tout local, ne font que reproduire éternellement les mêmes
modèles; 2° ceux qui vont de l'avant et cherchent à inventer en s'aidant de l'étude
des styles; 3" ceux qui, n'ayant en vue que le côté mercantile de leur industrie,
ne se donnent pas la peine de créer eux-mêmes, mais copient plus ou moins gau-
chement les dessins des autres. Dans cette classification assez ingénieuse, on
signalait dans la première catégorie : l'Italie, où M. Castellani montrait des
reproductions de l'antique d'une exécution supérieure; l'Espagne, ([ui possédait
en M. Zuloaga un orfèvre émérite, dont les boucliers, vases, coupes, brûle-par-
fums, en fer, incrustés et damasquinés d'or et d'argent, semblaient appartenir à
la belle époque des rois maures; le Danemark, dont les œuvres restaient excel-
lentes quand elles observaient les formes simples, traditionnelles, mais devenaient
inférieures quand elles prétendaient sortir des habitudes nationales; la Russie,
qui présentait une orfèvrerie de bonne fabrication, exécutée au repoussé, et
décorée de ces nielles dans lesquelles elle est sans rivale; l'Orient, enfin, l'Inde,
la Chine et surtout le Japon qui exposait, entre autres petits chefs-d'œuvre, de
très jolies |)laquettes, de formes rondes ou carrées et de la grandeur d'une pièce
de cin(| francs en argent, dans le centre desquelles étaient figurés, à l'aide de
juxtaposition de métaux divers, des motifs variés, tels que : arbres, plantes,
animaux ou personnages en relief, le tout ciselé, disaient les rapporteurs meii-
tioniK's plus haut, « avec une perfection do travail cxtraordinaii'c, et dessiné
avec un espril (pii rendait merveilleusement l'allure et l'expression propre à
(•har|U(' sujet ».
Dans la catégorie des nations citées pour leui's qualités non de copistes, niais
créatrices, le document au(|u(^l nous eni|)runtons ces appréciations mettait la
l''r;iMC(' iiii iiiicr riuig. Oiiant à l'Allemagiu^ à l'Angleterre, à l'Autriclic, à la
Suisse, a la Hcigifpic, leur liroduci ion en orfèvrerie, sinon en bijouterie, n'alVec-
tail guère en g('n(''riil ipTun caractère pin'cnient comniercial, excciplion failc
cej)eiidMnl pour la Maison l'^lkington, {\c Londres, (|ni exposait à Vienne les admi-
rables d'iivres (le (jeux l''raneais, Mor(^l-bad(Mnl e( Willnis, notammeni h^ fameux
iioiiriier fin l'nrtidis jicnhi^ doiil il a (''t('! (piestion dans noil'e précéd(>nl chapitre.
La Maison ( llnisi olli' , a peu |»ies a elle loiilc seule, r<'|»r(''seiilait l'orlèvrerie
l'raneaise, mais l'on e nous esl de dire ipie par la vari(''l('' e( l'iniporlance des
- 103 —
œuvres, la diversité des recherches et des applications, l'originalité réelle des
formes et du décor, elle avait réuni, ainsi que le déclaraient Fontenay etRouvenat,
« tout ce que pouvait produire l'industrie la plus raffinée dans son exécution, aidée
de toutes les puissances de la science moderne ». Les rapporteurs ajoutaient:
« C'est une des faces les plus extraordinaires du degré de perfection industrielle
auquel a pu atteindre l'Occident dans ces dernières années. » Pour l'explication
de cette phrase qui, par une allusion discrète au triomphe de l'art oriental à l'Ex-
Emaux cloisonnés par Christofle.
{Dessin de E. Reiher.)
position do Vienne, mettait en regard les progrès de l'art occidental, disons tout de
suite que MM. Christofle, devançant de f|uclques années l'engouement (|ui allait se
produire en faveiu' de l'art japonais, venaient précisément de réaliser, avec la colla-
boration d'un artiste éminent, Emile Rciber, des œuvres inspirées entièrement,
pour le décor et la technique, des maîtres du Nippon. Les métaux cloisonnés sur
forme en métal et à cloisons rapportées qu'ils envoyèrent à Vienne, en 1873, pro-
voquèrent l'étonnement des connaisseurs. «Ils rivalisent de caractère, d'origina-
lité et de perfection, disait le rapport, avec les plus beaux cloisonnés japonais. Le
ton mat légèrement velouté de l'émajl est admirablement réussi, et les couleurs
sont fraîches et éclatantes, très bien harmonisées entre elles. Ces produits révèlent
la connaissance d'une série de procédés, nous pouvons dire secrets, qu'il a fallu
— jOfi —
pénétrer et s'approprier pour obtenir d'aussi beaux résultats. » Il convient de
faire, dans ces éloges, la part de la surprise causée par une tentative aussi
imprévue qu'audafieuse. Mais pourquoi n'avouerions-nous pas en toute franchise
le vif plaisir que nous fit éprouver
à cette époque la pleine réussite
de ces œuvres véritablement char-
mantes que Reiber avait composées
avec un talent remarquable et dont
l'exécution coûta des peines in-
finies? 11 y avait par exemple à
Vienne, dans cette série de pièces
en émaux cloisonnés, une garni-
ture de trois vases, dont le décor
de glycines et de fleurs d'acacias,
en émail rose et violet, s'accusait
sur un fond rouge du meilleur effet.
11 y avait un autre vase de 60 cen-
timètres de hauteur, figurant, sur
un fond céladon, une cigogne, un
faisan doré et des oiseaux-mouches,
dans un paysage égayé par des ro-
seaux, des iris et des pêchers en
fleurs. Nous citerons encore une
autre garniture de trois vases, de
style persan, à fond d'émail jaune;
un miroir, dont le revers émaillé
représentait, deux canards nageant
au milieu de nénuphars et d'iris
sur fond bleu; un coffret, orné
d'émaux et d'incrustations; un ser-
vice de labk^ jardinières, lampes
et compotiers, avec ornenuMils de
fleurs sur émail à fond noir mou-
clielt' ; dans un autre genr-e, un
vase monumental haut de \"\Çà),
d'une décoration magistrale, inspirée par une ode (rAnacréon.
L'habile décorateur (\\\\ avait composé ces difft'rents objets, a exercé, non scu-
leuieiil \'(>vl'i'\'v('y\r , mais sur toutes les industriels de son temps, une influence
ti'0[) liiiilc |ioiir <\\\r nous m» lui rendions pas ici la justice qui lui est due. Alsa-
cien d'origine, l'jnile Iteiher r'l;iil parvenu, ;i l'or<'e de Iravail, à ae(|U(''r'ir une con-
^'ns(• en ('jiiall cliiisoiliK''.
UfHsiii (II- /■,'. Ilcibcr. — Oiivvixjp de (Uirishillc
Vusc d'AiiacjvdU incruslo d'or cL d'argeul par (^hristolle.
fioinposilion de E. lieiher.)
Croquis orij;in;uix de E. Reibor
{CoUeclion Chrislojle.)
Vase cachc-pot en émail cloisonné.
Composilion de E. Reihcr. — Ouvrnçje de Chrislofle
— 113 —
naissance des plus étendues de lous
Dessin orif;inal de E. Rciber.
{Collection Chrislofle.)
son origine l'avaient peut-être familia-
risé un peu trop avec la Renaissance
allemande; mais, lorsque MM. Christofle
l'eurent attaché à leur maison en qua-
lité de directeur des ateliers de dessin,
il dut se transformer et élargir son ho-
rizon.
Sa fécondité, grâce aux études qu'il
avait faites, et dont il avait conservé un
souvenir fidèle, était vraiment extraor-
dinaire; lorsqu'on lui donnait un pro-
gramme, il ne se contentait jamais de la
première idée et donnait à sa pensée
les formes les plus variées et rendait le
choix difficile. Nous avons conservé de
lui un grand nombre de dessins qui n'ont pas
îs genres, de tous les styles, et il savait,
-dans ses compositions, s'assimiler avec
une singulière souplesse et une rare
sûreté de goût les éléments qu'il mettait
à profit. Il dirigeait l'Art potir tous, ce
recueil qui a rendu tant de services dans
les ateliers et qu'il avait fondé après
s'être formé une bibliothèque où les
documents d'art décoratif de tous les
temps se trouvaient réunis et classés
avec une méthode d'une rare sagacité,
ce qui lui permit de faire de cette publi-
cation une véritable encyclopédie. Il en
avait meublé sa mémoire, heureusement
pour lui, car cette bibliothèque disparut
dans les incendies allumés par la Com-
mune, en 1871. Les études de Reiber et
Vase incrusté,
{Dessin de E. Beiber.)
été exécutés, mais qui montrent
— 114 —
bien, par leur variété, de quelle souplesse et de quelle facilité d'adaptation il
avait fait preuve.
L'art japonais avait exercé sur lui un vif attrait, et au moment où M. Cer-
nuschi, revenant de son voyage en Extrême-Orient
peu de temps après la guerre, ouvrit au Palais de l'In-
dustrie l'exposition des objets qu'il en rapportait, nul
plus que Reiber ne s'en montra plus enthousiaste et
ne s'appliqua avec plus d'ardeur à en faire une étude
approfondie.
Pendant plus de quinze jours, il passa toutes ses
matinées à dessiner au Palais de l'Industrie, et rap-
portait de ses séances les plus savoureux croquis qui
devaient lui rendre tant de services dans les adapta-
tions qu'il allait en faire dans la maison Christofle. De
retour à son atelier, dans l'après-midi, il traduisait ses
impressions dans une série de croquis qui démon-
traient qu'il ne se contentait pas de ses copies, mais
qu'il était habile à les transformer en inventions nou-
velles admirablement adaptées à nos goûts et à nos
usages. Nous avons conservé de lui une série d'albums
de ces croquis, retour de ses visites à la collection
■ Cernuschi, qui montrent bien l'impression qu'elle avait
produite sur son esprit.
C'est cette exposition qui fut le point de départ
initial de l'influence du goût japonais sur la production
!y"^4?S^H I en France, princijxilement dans l'orfèvrerie chez Ghris-
I '^É^^B I tofle, dans la bijouterie chez Falize. Grâce à elle,
Reiber se ti'ouva arnu'' de pied (mi cap pour la besogne
que les ('('lèbi'cs manufacturiers do la rue de lîondy
avaient résolu de tent(M'. On verra pins loin ce cpii fut
l'ail- par la suite dans ce nu'Mne genre. A Vienne, outre
les ohjels (\uc nous avons (MiunK'ri's, et (pii avaient
compdsf's par Keilx'r, se Irouvaieiit- encoi-e (piatrc!
gniiiils v;is('s en ('maux à cloisons rapportées, exécnl(''S
|)ar (llirislollc poiu' M'"" de Paiva, cl (pie celle-ci dcsti-
iinil il son lintcl (le riivciiiic des Olianips-FI_ys(''es.
Un auli'c artiste de l'iirc laleiil, et dont l'action
s"ex('ir;iil iiloi's iiNfc ;iiil;inl d act i vit ('' que de siii'crs siii' Idiitcs les branches (h^
nos iimIii-Imc i\c |ii\c, ci m I ril iiiii iiiissi gra ihIciiiciiI- à rcliausscr IV'clal de la
|t.iil iiip:il ion i\r l;i iii.iison ( ili ris! ollc il ri']\posilioii de Vienne : c'est Oliarles Uos-
VuHl'H iiiiTiisI ('s (l'/irf;i'iil .
' I hnr:iijc ilr < ! Ii ri sloflf .
Iir::nr. ,lr /■ Itriliri-.
- 115 —
signeux. Nous avons déjà mentionné dans un précédent chapitre quelques-unes
de ses oeuvres les plus remarquées sous le second Empire. Ce fut après la
guerre de 1870 qu'il donna toute sa mesure. L'ancien architecte décorateur du
prince Napoléon était devenu le conseiller écouté, le collaborateur recherché de
tous les fabricants qui rêvaient de faire œuvre de goût et de belle tenue dans
n'importe quel métier. Quand il n'avait pas quelque hôtel à édifier ou à décorer,
Clinrlos nOSSKiXEUX, i.Sifi-i.jo;.
ArchilccLc décora leur.
Rossigneux donnait aux bronziers, aux bijoutiers, aux ébénistes, aux céramistes
des modèles dessinés à miracle, du goût le plus fin et le plus châtié, toujours à
base de style connu, mais témoignant d'une scrupuleuse étude des ressources de
chaque métier et de qualités remarquablement inventives pour adapter l'art au
joug de l'industrie sans que l'union parût jamais mal assortie. Ancien élève du
lycée Condorcet, grandi au milieu du cénacle littéraire de l'Arsenal, que présidait
Charles Nodier, puis familier de l'entourage de la princesse Mathilde et du monde
officiel de l'Empire, Charles Rossigneux jouissait à cette époque — il avait alors
— ik; -
cinquante-cinq ans
-M
M
l'illllll'llll (l^'Jllllil (lu IIU'lll)l(! M l)i,i<IU\
[DcHHin lie lliiHHifincii.r. — thivviiijc
de ChrihlDlIc,
d'une considérai ion mérilée dans le monde des aris et de
^^^^^^ l'industrie. Esprit cultivé, causeur spirituel el
ayant du fond, on le recherchait non seule-
ment pour ses talents, pour ses sérieuses et
exceptionnelles facultés d'assimilation, mais
pour la grâce de sa personne et la séduction
de ses manières. La librairie Hachette lui avait
confié l'ornementation du livre des Evan-
giles, magnifique publication qui demanda
onze années de travail et d'efforts aux édi-
teurs. Pour Froment-Meurice, il exécutait des
dessins de bijoux. Pour les relieurs, qui cher-
chaient à appliquer ces nouveaux procédés
mécaniques, il créait des types de plaques
appropriés aux conditions de l'outillage et que
M. Henri Béraldi, dans sa brillante Histoire
de la reliure au dix-neuvième siècle (l), décrit
avec les plus grands éloges. Pour le céramiste
Hache, à Vierzon, il inventait des services de
porcelaine, trouvait des formules inédites
d'engobes et d'émaux, arrachait aux Ciiinois
des secrets de fabrication dont il dotait l'in-
dustrie française. Un tel artiste, aux dons si
multiples, chez qui l'imagination était tou-
jours tenue en bride par l'érudition, devait
nécessairement se rencontrer avec l'orfèvre
Chrislotle, en quête de toutes les origina-
lités, et qui s'elVorçail de capter dans sa ma-
nufacture les genres les plus divers et les ta-
lents les plus assouplis pour les faire con-
coin ir \\ ses vues. C'est ce qui se produisit,
nous I'mvous dit précédemment, dès les pre-
mièi'cs aimées du règne de Napoléon Hl. Mais
à Vienne, la coliaboriilidn dc^ Uossigneux,
toujours très variée et j)récicuse, se signala
par une pièce de haut intérêt et l'on peut dire
caractéristique, (Vêlait un meuble à bijoux,
I , Vmv. Ili'lil'l lli r.ilili : ///v,'(/// f ilr lu rrliiirc un ili.r nrni'iihiir .v/i'c/c ( 'i viil. il) H", clu'Z ('.(ill(|uel),
tiJllICt» Il ' I l\ , /"' n//.
Meuble à bijoux.
[Ouvrage de Clirislullc. — Dessin de Itossifjneux.)
— lUI —
conçu dans le style Renaissance française qui était familier à l'artiste, et dans
l'exécution duquel MM. Christofle avaient voulu résumer les spécimens des diffé-
rents procédés de décorations luxueuses du métal propres à leur maison, c'est-
à-dire les émaux cloisonnés et translucides, les incrustations et les damasquines.
[Modèle de Ilossiuneux. — Orfèn-erie de Chrislolle.)
les dorures de couleur, les patines les plus variées. Ce meuble, en forme de
cabinet, est monté sur deux colonnes et deux pilastres ornés de chapiteaux et
appliques en bronze doré. Il est fermé par une porte ornée d'un panneau de
bronze ajouré cfTCadrant un émail translucide, et recouvrant un coffret en acier
damasquiné et des tiroirs incrustés d'ivoire. Sur le côté sont deux panneaux
— 120 —
formant deux armoires à secret. Le sculpteur Mathurin Moreau avait modelé les
deux figures du cartouche et c'était le peintre Frédéric de Courcy, un des réno-
vateurs de l'art de l'émail, qui avait exécuté la figure de V Amour vainqueur sur
fond violet, placée au centre du panneau central. De Rossigneux, également,
était une table en bronze avec dessus en incrustation d'or et d'argent, commandée
par M""" de Païva pour son hôtel des Champs-Elysées.
Nous ne parlons pas de quantité d'autres œuvres exposées par la maison
Christofle; surtouts de table; garnitures de toilette; fontaine à rafraîchissement
Plciloau iiHTUsU' d'or cl d'arf^ciit.
[Modèle de UossUjneu.r. — Oiivraç/e de Chrislolle.)
r('f)résentatit une amphore autour de laquelh^ s'enroule une branche de lierre, e(
soiit(;mi(' par deux figures de femmes, traitée en tons d'argent éteint, avec ses
[)àh's rappels d'or elïacé dans les profondeui's du modèle; des groupes de figures
alli'^orifpics (•( d'animaux; un miroir Louis \VI avec ligur(>s ; des plateaux repré-
sciihiiil des sujets iiicnish's cl, grav(''s, eu ors jaunes, veris e( r()ug(^s, et eu
argeiil, avec des eiitremêlemenis de hrcui/es de patines dilVérentes dans les
fonds, ele., elc. Ce pi-('cè(le siil'lit à (lémontr(^r (|ue dès 187.') l'orlevi'erie fran-
eaise, de\;iii(;.in( d jinlres imliislries et (h'jà gagiKM- au charme des colorations
|)i)l> rliroiiies, ('Inil orieiih'e diiiis des voies nouvelles o(i elU^ n'allait pas tarder à
n'ali'-er de iinhililes progrès.
A ri'Aposil KHI ;iiii('i i( ;iiiie de IMiiladelpliie, eii ISTli, oii l'orCèvivu'ie (Miropéonne
n'envoya rien de bien neuf, les fabricants français s'abstinrent complètement.
L'éloignement, les difficultés du voyage, et, plus encore, la rigueur des douanes
américaines, les conditions onéreuses qui rendaient tout commerce impossible,
l'absence de protection pour la propriété des modèles et des brevets, tout tendait
à faire de cette exposition une opération sinon absolument dangereuse, du moins
improductive pour nos nationaux. En revanche, l'orfèvrerie des Etats-Unis s'y
révéla au monde pour la première fois,
et avec assez de succès pour faire com-
prendre qu'au point de vue de la con-
currence commerciale, il y aurait lieu
bientôt de compter avec cette nation si
énergique et si active, si prompte à tirer
de la mécanique des ressources prodi-
gieuses, et où le luxe se développait
d'une façon fabuleuse. Le rapporteur de
la section française à l'Exposition de
Philadelphie, M. G. RouUeaux-Dugage,
sut très bien voir et dire les progrès des
orfèvres américains, leur engouement, à
eux aussi, pour l'art japonais. La des-
cription de certains procédés nouveaux
de travail, la formule de curieux al-
liages, l'avertissement bien net qu'il
donnait aux orfèvres en leur signalant
certains décors et certaines formes
qu'ils savaient employer non sans quel-
que originalité, tout cela se trouvait
dans ce document. S'ils l'avaient lu au
moment de la publication, nos orfèvres
français eussent été mis en éveil et
n'auraient pas laissé à un fabricant de
New-York l'attrait de nouveauté qui, deux ans plus tard, à Paris, valut à celui-ci
une vogue subite auprès des amateurs du monde entier.
Ce qui apparaissait tout d'abord dans l'orfèvrerie naissante des Etats-Unis et
au milieu d'un étalage brutal de richesse, c'était l'incohérence des formes, le
mélange de tous les styles, le désir d'étonner par l'imprévu, la bizarrerie, la
dimension colossale ou l'abus désordonné des ornements. C'était aussi la ten-
dance à un naturalisme criard, d'où l'art était absent. Par exemple, on voyait
exposer, comme objet d'art à offrir dans un bel écrin, une bouteille de vin de
Champagne en argent, avec capsule en or, ficelée de cuivre oxydé, étiquette en
Couvert Peau de lion.
(Dessin de Rossigneux.— Orfèvrerie de Chrislofle.)
— 122
émail, des bateaux avec voiles imitées en métal, gonflées par le vent, sous les-
quels l'eau se frise et clapote; des voitures attelées et autres enfantillages. Mais
il y avait aussi, chez les deux fabricants les plus en faveur, la maison Gorliam et
la maison ïiffany, dont la réputation commençait, des œuvres soignées, origi-
nales, la plupart calquées sur les productions européennes, des pièces en métaux
de couleurs diverses, rouge, noir et argent, dont la facture et le dessin étaient
empruntés aux artistes japonais ; Tiffany, qui ne reculait devant aucun sacrifice,
avait engagé des ciseleurs du Nippon qui lui avaient livré leui's secrets. Gorbam
s'était attaché dès cette époque un artiste français, G. Heller, habile graveur sur
acier, qui fournit à cette maison des matrices gravées comme des médailles. C'est
de cette époque que date toute cette jolie orfèvrerie estampée, ces couverts oii
la flore américaine et les types des Sioux et des peuplades du Colorado étaient
reproduits avec une rare perfection. Pour les objets d'orfèvrerie à bon marché,
les fabricants américains employaient le procédé mécanique suivant qui leur per-
mettait de répéter indéfiniment toutes sortes d'ornements : le dessin adopté
étant gravé sur les cylindres d'un petit laminoir, les lames d'argent qu'on y
passait reproduisaient les détails les plus fins du modèle. Il n'y avait ensuite
qu'à courber les feuilles d'argent ainsi imprimées à la forme voulue : c'était
encore plus expéditif que nos estampages. Chez Tiiïany, on remarqua surtout,
parmi des œuvres d'une exécution compliquée et d'un goût franchement détes-
table, comme le vase en l'honneur du poète Bryant, en argent repoussé, un très
original service à thé en cuivre rouge avec des ornementations en argent dé-
posé par l'électricité ; en outre, un service de dessert, style Renaissance, avec
ornements or et argent, « conq)arable, dit M. RouUeaux-Dugagc dans son rap-
port (1), à ce qu'il y a de mieux (iliez MM. Elkington » ; un autre service en ar-
gent repoussé d'un travail remarquable; enfin, un surtoul orné de figures in-
diennes où il n'y avait rien à reprendre. 8i l'on ajoule (pi'une autre maison d'or-
fèvrerie, /il Mrr/i/i'/i. Ihitannia C", montrait ses premiers essais d'iuie invention
(In iiroCcsscni' Scligman |)()nr donner aux objets (!n élain une sonoi'ilé com])a-
i'al)l(! à celle (pi'ils auraient eue s'ils avaient été faits en argciut massif, on recon-
nailra qiu; r()rl'èvreri(^ américaine n'en était plus aux balbutiements incertains
(les premiers (N'hiils: sans ('aracl('re (uicore bien (ranché, empruntani à lort
(ît il travers ses UK'I liodes et ses (b'cors, elle jetait sa goui'me, en atlendani
niieiiN .
L'i imIiisI rie (l(in( n<Mis essayons d'esiinisser riiisloir(^ et les Ilucliialions ilepuis
deux siècles rellele plus (pi'iuicune autre; peul-èire la pliysionomie et l'viid d'i'une
des g('MM'ra( ions successives donl (ille sei'l les besoins, l/arl ('(anl le phare |)uissanl
qui illiunim; sa r()ut(!, elle r(!gl(! siu' lui ses ('volutions et se I ransfoi'uu! selon l'idéal
I /l'/yi//'/; /■, (///!'//■/ \in i' E I ii<i:iliiiii dr l'Ii ilinlr/ /i/i if . l'ii IS/l'i I vol., I il i liir l'ir llilli i HIM II'), p. .'11*
— 123 —
mobile des sociétés. Ceci est l'évidence et n'est pss contesté. Mais outre les causes
générales qui influent sur le goût et sur les modes, et qui déterminent le carac-
tère principal de l'art décoratif d'un temps, il faut ajouter une quantité de petits
phénomènes, de causes secondes, pour ainsi dire, dont la succession ou la réu-
nion créent peu à peu un mouvement d'ensemble et provoquent parfois des
impulsions inattendues et décisives. Ce sont ces menues indications que l'histo-
rien doit se garder de négliger, s'il prétend démêler avec quelque chance de jus-
tesse les véritables motifs de l'évolution d'une industrie, car bien souvent les
résultats dépassent les relations ordinaires entre la cause et l'effet.
11 est certain que, pour la période qui va de 1870 à 1889, une multiplicité
d'efforts se sont produits qui ont contribué à donner à l'orfèvrerie un aspect spé-
cial qu'il est facile de distinguer. En premier lieu, les Expositions universelles,
de plus en plus fréquentes dans les divers pays, ont eu leur grande part d'action
(pas toujours excellente, il faut le dire) sur cette industrie. Les expositions
rétrospectives de tous genres, organisées en maintes occasions, et surtout
celles de l'Union centrale, ont puissamment aidé à l'éducation du public et des
artistes. Mieux instruits des merveilles du passé, plus diflicilcs à contenter, les
acheteurs en venaient à exiger autre chose que des imitations médiocres. Un assez
grand nombre de collectionneurs érudits se mirent à guider les orfèvres, et
ceux-ci, éclairés par les recherches des savants archéologues, apportèrent, plus
de discernement et d'habileté soit dans l'application d'anciens procédés retrouvés
— comme celui de l'émail, — soit dans l'emploi du nouveau matériel mécanique.
Il faut noter encore quelques autres circonstances accessoires qui, à cette date,
ne furent pas sans influence sur l'orientation de l'orfèvrerie : telle fut l'habitude
prise par le Jockey-Club d'offrir des prix de course, ou encore celle du Ministère
de l'Agriculture de distribuer des objets d'art aux lauréats des concours agri-
coles. Nous verrons tout à l'heure comment ces innovations si simples, en appor-
tant aux orfèvres des programmes inédits avec la collaboration de sculpteurs
éminents, provoquèrent des inventions nouvelles, et favorisèrent, en des œuvres
expressives et fortes, un retour à la nature qui fut des plus heureux.
L'Exposition universelle ouverte à Paris en 1878 montra le cheniin parcouru
en moins de dix ans par la France dans ses arts du décor. Le succès en fut très
grand et dépassa celui de 1807. A l'étonnement du monde entier de voir notre
pays, après ses désastres de 1' a Année terrible », dans un effort de redresse-
ment superbe, attester avec tant d'éclat sa vitalité et son énergie, s'ajouta la plus
vive admiration pour les progrès accomplis dans un intervalle si court. Le gran-
diose spectacle du Trocadéro, les musées rétrospectifs ([u'on y avait rassemblés,
où les magnificences de l'argenterie et du mobilier de l'ancienne France voisinaient
avec les chefs-d'œuvre des arts orientaux, l'éblouissante leçon qui s'en dégageait,
augmentèrent encore l'impression des visiteurs. Dans les sections des produits
— 124 —
de l'industrie moderne, réunis au Champ-de-Mars, l'orfèvrerie tenait une place
extrêmement brillante. Pour notre pays, aux fabricants de renommée illustre et
ancienne, qui tous s'étaient piqués d'émulation, étaient venues se joindre de
jeunes recrues comme Lucien Falize, lequel, du premier coup, s'affirma comme
un maître. Parmi les étrangers, ce fut l'Américain Tiffany qui remporta la palme.
Le rapporteur du Jury, Baclielet, orfèvre de talent, n'a malheureusement consacré
à cette manifestation si intéressante que quelques courtes pages, dans lesquelles
il ne faut aller chercher ni considérations générales, ni descriptions détaillées des
l'cndiilc on lu))is ul iiryciil,, par l'"<uiiii(''i'i' l'roros.
(XMJvres exposées. Mais on peut suppléer à cette lacune par les études ci-itiques
publiées alors dans les revues spéciales. Nos souvenirs personnels sont d'ailleurs
ass(!Z pi'écis |)our nous pcirmeltre de i"ap|H'ler à grands traits, d'après des cai'nets
(le noies conservés, l'aspect (l(!s |)rincipales pièces d'orrèvrerie (jui fin'cnt alors \c
|)lns rcMiarqiK'cs.
Dans l;i seclioii française, an premier rang, l(\s frèi'es Fannièro conlinuaient à
s'imposer, non par la nouv(Niul('' des id('es on l'abondance de leurs |)rodu('lions,
mais |i;ir un choix l'csire.ini d'd'iivres poussives ;i la perfection, raeonné(>s avec
amonr cl s;iiis li.'ilc d';i|iics les honnêtes forninles de leur atelier, oii ils se nniin-
len;iienl lidiirmcnl d;ins les I niilil ions (pii lein' ('(nient chères.
Tr;i\;iillenrs niodcsies el ;icharn(''S, ainn's de cpii les connail, respectés de
— 125 —
tous, ils vivent retirés dans leur quartier tranquille, loin des concurrences tapa-
geuses, créant, et faisant tout par eux-mêmes. Orfèvres tous deux, Fun, Auguste,
est le sculpteur, l'autre, Joseph, est le ciseleur. Leur œuvre déjà considérable
Bellci'ophon terrassant la Chimère.
Prix de course, par Fannièrc frères.
reflète bien leur nature sérieuse, sans grand élan, mais sans faiblesse. Tout ce
qui vient d'eux est marqué au coin de riionnétcté, de la bonne foi; leurs œuvres
sont pures comme le métal qu'ils emploient (1). Au milieu de leur vitrine, on
(i) L. Falize. Voir Gazelle des Bcaux-Afls, tome XVIII, page 221.
6
— 126 -
admirait la belle pendule faite de lapis et d'argent, conçue dans le style de la
Renaissance, et qui appartient à M"* Blanc. Surmontée d'un génie qui tient un
flambeau et une couronne, elle est accostée de deux figures assises dont les
nobles attitudes rappellent le mouvement des statues du Jour et de la Nuit que
Michel-Ange modela pour le tombeau de Laurent de Médicis. Nous l'avons retrouvée
dans les vitrines du Centennal, ainsi que l'épée en forme de claymore offerte au
général Charette, qui est ingénieusement composée avec les attributs et la légende
de la vieille Bretagne; enfin, un groupe de Bellérophon combattant la Chimère,
Conipolior du surtout de Flore et Zéphyr.
{Orfèvrerie de Guslnve Odiol.)
prix (1(! (îoursc gagné par le comte de Lagrange. Cette ingénieuse compo-
silioM (!sl un exemple de grâce noble, et l'exécution, bien que délicate et minu-
ti(Misc, n'enlève rien à la sculpture de son accent et de sa verve.
On i-aconte (|ue h' groupe « le Bellérophon », prix de course gagné par le
coin le (II! Lagrange, qui n'avait pu être terminé à temps pour l'époque de la
course cl qui, (-.(speiKhint, était au dire des connaisseurs une œuvre remarquable,
ne les salisfaisail [loint. Ils demandèrent au comle de Lagrange de leur remettre
leur (I II vie |iiiiii' l:i parachever; mais ils s(^ laissèrcMil, enli'aînei', et s'apen^urent
les rclonclies (ju'ils venaient de l'airi! (I('>passaieiit de beaucoup le prix (|ui
Iciic avilit r\r payi'i. Mais l'ii'uvre était parfailc et satisfaisait leui' conscieuce
d'arlislc; iK n'i'l iiicnt pas riclics, mais ils avaient l'amour de leur art; ils se
ciiiili'iili'i'i'iil du (|iii leur avait r\,r pay('.
A coli' de ces pièces cxccplionnclh^s et uni(pu's se Ir'oiivaicnt (pichpics pièces
127
Candcilabre du siii'Loul « Flore cl /épi
(tvf'Éi'ri'i'ie (le (iiislurc OdiuL-
Prix de course do 1877.
{Orfèvrerie de GusIhcc Odiol.
— 135
fit' services de table exécutées une à une avec une lenteur méticuleuse, et sans
aucun souci du gain à réaliser, mais toujours avec la même conscience. Jusqu'à la
Le Ccnlaurc couronné par la V'icloire. — Prix de course.
{Orfèvrerie de Fromenl-Meurice.)
fm de leur existence, les Fannière ont eu la même application consciencieuse et
patiente qui donne à leurs rares ouvrages un caractère particulier qu'on ne
retrouve pas ailleurs. Ciseleurs incomparables, ils ont poussé jusqu'à l'excès
— 13G -
celte virtuosité de l'outil qui, manié par des mains moins habiles, aurait pu
amollir les formes de la sculpture et leur enlever trop d'accent.
La maison Odiot, parle vaste espace qu'occupaient à l'Exposition de 1878 ses
massives Yaisselles d'argent, ses surtouts, ses candélabres, etc., attestait que le
luxe de la table n'était pas prêt de disparaître en France, même sous le régime
républicain, et qu'à l'exemple de la haute
société anglaise, quelques familles ont en-
core gardé, dans notre pays, le goiit de cette
coûteuse, mais solide vaisselle plate.
Nous avons déjà cité le nom d'Odiot : le
grand-père, Claude, s'était illustré sous
l'Empire et la Restauration. Charles, son fils,
avait tenu le drapeau de la famille sous
Louis - Philippe ; et depuis 1860, Gustave
Odiot avait montré sous Napoléon III et la
^wjk m^t 'LiaMM t^épublique, que l'héritage était resté intact
^^^h^ entre les mains d'un Odiot qui serait l'ar-
gentier du roi, s'il y avait encore des ar-
gentiers et des rois. Quelques esprits cha-
grins prétendent qu'en dépit des artistes
qu'elle emploie, des talents de ses sculp-
teurs, Gilbert et Récipon, malgré toute l'ha-
bileté de son ciseleur, Diomède, la produc-
tion de cette maison ne s'inspire que de son
passé et redoute les innovations. Elle aime
ses vieux modèles et s'attache à ses tradi-
lioiis; mais c'est précisément ces vieux mo-
dèles que sa clientèle aime et recherche.
D'ailleurs, ne fait-elle pas preuve de sagesse,
et (levons-nous nous plaindre si elle résiste
aux iuipatienc(!s (hî la mode, dont les per-
p(''luels changements font ressembler la vie
(rnnc société à un(^ iiu*essante métamor-
aclics avec le passé et sa fidélité à ses ori-
11 iimiiis le \t\ry\\c de i-iiii' (le glorieuses ! radil ious.
iiil'iiil <lr l'Iorc cl Z<''pliyr, (l()nt nous reproduisons un des caiulélabrc's,
Me iM' d liici'; mais sa composil ion l'ait honneur' au sculpteur Gilberl,
(•t S(»ii cM'ciil ion rmCcvi »' csl digne de lou^; les (''loges.
Gusla\r (l'Iiiil |)n'' ,rnl;iil ('^Mlcnicnt des prix de coiu'ses. Vases ou piècos
(h'cfiralivcs. 'loiil il ('l iil le roin'nissciu' altitr(! pour le Jockey-Club, dans leipiel
Ai^iiii'i'' i i'i^hil ilr l'iiclic, iii(iiil(''c cil iir
gciil i:l riiiail p.ii' I'!. l' riiiiicpilMcui'icc.
pllOS(
;.'incs
L.
ne se
La maison Odinl , par ses
il ne comptait que des amis. Le vase pour le prix de Gladiateur, en 1877, élait
somptueux et rappelait par son ordonnance et son ajustement un vase de Le Brun
ou de Lepautre. Modelé par Récipon, nous en donnons un dessin qui en montre
l'opulence.
A l'exposition de l'orfèvre Fro-
ment-Meurice, au contraire, beau-
coup de variété, des tentatives
curieuses de polychromie, l'asso-
ciation de l'émail et de marbres
précieux, de l'ivoire à l'argent,
un goût alerte et délicat, bien au
fait du mouvement de l'art con-
temporain. A côté d'un service
Louis XV, commandé par la prin-
cesse Mentschikoff d'après les
types de Roetliers, ou d'une .gar-
niture de toilette Louis XVI, mo-
delée par Carrier-Belleuse, et
commandée pour la baronne
douairière de Rothschild, ou re-
marquait des œuvres d'un carac-
tère tout moderne : une garni-
ture de cheminée, pendule et
candélabres en argent et ivoire,
d'après les dessins de l'architecte
Daumet, et destinée au château
de Chantilly; un prix de course,
le Centaure et la Victoire, doni
la sculpture fort ingénieuse était
d'Emile Cartier, et que l'orfèvre
avait exécuté au coquillé; un cof-
fret élégant où les gemmes trans-
Ostcnsoir oITci
'éylise Xoli-p-Dame du Saciù-Ccfiir
d lssoiiclun par la comtesse de Bardi.
[Orfèvrerie d'Emile Froment- Meiirice.)
parentes se mariaient harmonieu-
sement aux entrelacs d'argent
émaillé inscrits dans les cadres
de vermeil; une chai'mante ai-
guière en cristal appartenant au roi d'Espagne, dont la monture en vermeil,
perles fines et émaux, formait comme une guirlande de feuillages et de fruits
négligemment jetée sur la panse d'où elle retombait gracieusement; enfin, une
série d'objets de fantaisie, un th'^ persan, une reproduction de la lampe du
- i;m -
Saint-Sépulcre, de petites salières portées par des enfants d'une espièglerie dé-
licieuse, et, pour finir, quelques belles pièces d'orfèvrerie religieuse, telles qu'un
l'ciiiliilc il'l li'iniic :
Itjis l'i'lici' cimiliK'iPiiinil il' (le Mnrf^iicrilc ilc Niiv iiri'c.
( dr/riTcrii' de I .. h'nUzc.)
o^lciisoir i'ciii;ii(pi;iltlc ollcrl |»;ir l;i conilcssr de Uai'di à l^'glise N()(.ro-l)amo du
S;icr'('-(',(i'iir irissoiidiin. Celle (Iciiiirrc (imivi'c avait. ('((! coniposi'c pai' un dessi-
iKilfiir df ;.'raiiil l;ilciil, llniii pciidani des aiiiK-cs rcsia (Idèlc-
La Pcndulefd'Uranic (figures en ivoire).
[Orfèvrerie rie L. Falize.)
— 141 —
ment attaché à la maison Froment-Meurice : nous aurons à en reparler plus
loin (1).
Emile Froment-Meurice montrait dans ses œuvres les fines élégances des orfè-
Pendulc d'Uranie :
Bas-relief commémoratif de Gaston de Foix.
[Orfèvrerie de L. Falize.)
vreries de la Renaissance, la recherche raffinée, auxquelles l'avaient soumis les
(1) Henri Cameré, né en 1830, est mort en 1894. M. Emile Froment-Meurice a consacré à son collabo-
rateur une élude nécrologique très substantielle, qui a paru dans la Revue des Arts décoratifs, tome XV,
page 100.
— 142 —
traditions paternelles. S'il n'avait pu recevoir do son père cette éducation de
l'outil qui devient rare chez les maîtres orfèvres, il excellait dans la conduite de
ces symphonies de ciselure, il était toujours ce chef d'orchestre dont parle Théo-
phile Gautier quand il écrivait : « Froment-Meurice n'a pas beaucoup exécuté par
» lui-même, quoiqu'il maniât avec beaucoup d'adresse l'ébauchoir, le ciselât et le
» marteau. Il inventait, il cherchait, il dessinait, il trouvait des combinaisons
» heureuses. Il excellait à diriger ses ateliers, à souffler son esprit aux ouvriers.
» Son idée, sinon sa main, a mis un cachet sur toutes ses œuvres. Comme un
» chef d'orchestre, il inspirait et conduisait tout un monde de sculpteurs, de
» dessinateurs, de graveurs et de joailliers; car l'orfèvre d'aujourd'hui n'a plus
» le temps de ceindre le tablier, et de tourmenter lui-même le métal pour le forcer
» à prendre des formes diverses (1). »
Lucien Falize, nous l'avons déjà dit, conquit à l'Exposition de 4878 ses pre-
miers succès. Tout jeune encore, élevé dans le métier par son père qui s'est
adonné surtout à la bijouterie et fut un des artistes professionnels les plus distin-
gués de son temps, Falize était déjà en possession de la plupart des qualités qui
devaient lui valoir bientôt une place éminente et tout à fait à part parmi les
orfèvres de son époque. Doué d'une imagination poétique, nourri de bonne littéra-
ture, aimant à écrire et écrivant d'une plume savoureuse et pittoresque sur les
sujets de sa profession, il se plaisait dans les recherches historiques, tout en
ayant le sens aigu de l'art moderne, et il puisait dans la fréquentation des artistes,
des savants, des musées et des ateliers, des connaissances approfondies dont il
savait admirablement tirer parti pour les créations qu'il mettait en œuvre. Pour
lui, toute pièce d'orfèvrerie devait être un poème, un thème à développements
d'idées, de souvenirs, de pensées gracieuses ou profondes. Dans ses œuvres de
début, ce fut son goût pour l'archéologie et les motifs littéraires qui se manifesta.
La pièce la plus importante de son exposition de 1878, comme valeur et comme
travail, était l'Horloge d" Uranie, exécutée dans le style du seizième siècle, pour
un liclic innalein- anglais. Cette horloge repose sur un socle de lapis-lazuli orné
de feuillage d'or. Six s|)hinx d'or, parsemés d'émaux translucides, soutiennent les
signes des planètes dans des écussons. Au-tl(>ssus, Hi-anic, avec deux enfants,
suppoi't(! une s{)hère dc^ crisl,al d(^ roch(\ dans huiuelle évoluent les figurines d'or
des dieux, modelées par CarrifM'-HcMeuse eloi'févi'ées par (îlachant. On reprocha
a cetti; siiv;iiilc (•(tiiiposil ion (piel(|ii(' lourdeur rc'snltiint des ivoires associés aux
grâces plus souples des seidptiwes ni(''(;illi(pies {"î). Mais les (pialre panneaux à
bas-r'elii'C d',! !■;.'( 'ni ciseh' cl d'or, dan:-; les(|iiels l*'alize avait r("pr('senté d(^s por-
traits liis|(,iii|iirs, (i;isloii de lii'Mrii, (lasl(»N de l''oi\, IVlargiieril e de h'oix el Mar-
l\) niizrllf iloK lli-tll/.i-ii /\, lipiiii W III, im^i'
12) Voir llotiiiiiiiicill l'c-liliii' ilr \|. |,.jiiiH (idlicc, ilair la Cxi rllr <lrs llriiii.f .ir/s ilii scpiciiilil't' tSlH.
— 143 —
guérite de Navarre, parurent de véritables chefs-d'œuvre dignes des honneurs
d'un musée. Dans celui de Gaston de Foix, dont la statuette équestre était du
sculpteur Frémiet, l'or, l'argent, le bronze, le fer damasquiné, l'ivoire et l'émail
avaient été simultanément employés; pour les autres, Chédeville en avait modelé
les ornements; Claudius Popelin avait peint l'émail figurant Gaston de Foix; la
ciselure était de J. Brateau.
L'Exposition de 1878 fournit encore à Falize l'occasion de faire un aussi
remarquable chef-d'œuvre d'orfèvrerie et d'émail, c'est le testimonial offert par
les Comités de l'Exposition à M. Teisserenc de Bort, alors ministre du commerce,
qui avait présidé à l'organisation de cette Exposition. Nous en reparlerons au
chapitre suivant.
Dans ces différentes pièces, véritables chefs-d'œuvre de maître, Lucien Falize
montrait qu'il avait la noble ambition de rapprocher le plus possible le métier de
l'art, de confondre l'ouvrier et l'artiste et de conquérir les qualités qu'il admi-
rait chez les frères Fannière. Nous la retrouvons chez lui, jeune, ardente, con-
vaincue. Ce qu'il demande aux autres, il l'exige d'abord de lui-même. Sa façon de
s'exprimer sur le travail d'autrui nous fait voir ce qu'il pensait. Ayant toujours
présent ce qui peut lui manquer, il travaille, il étudie et il cherche sans cesse,
profitant avec bonne foi de ses propres erreurs. En cela, il continue l'œuvre com-
mencée par son père.
L'orfèvrerie reste une de nos gloires incontestées, mais, si quelques symptômes
nous indiquent qu'elle pourrait un jour déchoir, nous n'avons rien à craindre si
nos orfèvres, plus souvent marchands qu'artistes, se mettent à suivre les exemples
donnés par les Christofle, Froment-Meurice et Falize.
L'exposition de la maison Christofle, d'une ampleur et d'une variété extraor-
dinaires, résumait à elle seule les progrès de l'orfèvrerie française, dans tous les
genres et sous tous ses aspects, montrant l'esprit d'initiative d'une direction tou-
jours en haleine et cherchant incessamment du nouveau. Un juge compétent entre
tous, Lucien Falize (1), en a publié une appréciation dont voici les principaux
passages : « Il convient de rendre aux chefs de cette importante usine un éloge
bien dû; plus que d'autres, ils répondent à ce désir que nous manifestions en
commençant : ils appellent l'artiste, l'aident, lui apprennent à aimer l'art du métal,
font avec lui des échanges d'idées, et, artistes eux-mêmes, ils contribuent à cette
conversion des maîtres et du public, non seulement par leurs travaux, mais en-
core par le concours qu'ils donnent aux sociétés d'art et d'industrie. » Puis venait
la description des ouvrages exposés par MM. Christofle, et, en premier lieu, celle
d'un grand surtout en argent exécuté pour le duc de Santonia, auquel avaient col-
(11 Lucien Falize : L'art moderne à l' Exposition de 1878, L'orfèvrerie et la bijouterie, dans le volume
publié par la Gazelle des Beaux-Arls (1878, in-8»), pages 310-318.
— 144 —
laboré des sculpteurs de premier ordre; la pièce du milieu, petit chef-d'œuvre,
dû à Autonin Mercié et Mathurin Moreau, représente le triomphe d'Amphitrite; les
deux bouts de table — une Néréide soutenant un vase — étaient de HioUe; les
Saisons, modelées par Gautherin, ornaient les candélabres; deux jardinières, ser-
vant d'appui aux figures couchées de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amé-
rique, étaient de Lafrance. « C'est un délicieux poème, disait Falize, que conce-
vront et goûteront les gens doués de
quelque entendement. » Néanmoins,
le critique, « en dépit de ces figures
charmantes et des délicates colora-
tions de l'argent, dont l'éclat blanc
est adouci par des frottis d'or aux
douceurs estompées », trouvait à cet
ensemble un aspect solennel. Un
autre surtout, dû à la verve facile
de Carrier-Belleuse, modeste en ses
visées, montrait des groupes de
bacchantes, d'enfants et de silènes,
d'une vie étonnante, « d'une amu-
sante compagnie à table », et dont les
cristaux formaient avec l'ornementa-
tion Louis XV un contraste étince-
lant. Du môme style et du môme
sculpteur étaient « trois jolies pièces
d'un service à café... C'est une cohue
(le bambins, jolis comme les Amours
du siècle dernier, remuant, grouil-
lant, agissant, vivant de la vie des
Arts. » Dans ce môme ordre d'idées,
Falize citait encore deux autres sui-touts de Carrier-Belleuse, un de Mathurin
Moreau, des faunes d'Eug. Piat, un service à déjeimcr dessiné par Ch. Rossigncux
" où la peau du Lion de Némée jouait un rôle iuû(|ue et pourtant point nu)no-
loiic », (;M(iu, il faisait rc^ssortir la nouveauté et l'intérôt des énuiux cloisonnés
et des meubles du goût japonais ex(''cut('s sous la (lircclion de Heibcr, vases,
torclicrcs, jardinières, collrcls, pialcaux de lable, etc., (|ui, soit par les couleurs
de r('iiiail, soit piw les patiiu's varic'cs des hrouzcs incrustés d'oi- et d'ai'gimt,
:M;(|uicn'nl iuh; d('c,oi alioii si int(;iis(! et si varié(>. Il ajoulait « (|ue dans l'intro-
>, ductioM dans nos nio-urs i\v c(! gofil japonais, (|ui depuis (pu^hpie dix ans a si
« pforoïKli'iiii iil niodili»' nos id(''es (h'coralives, soil, IxuMU' ou mauvaise, profi-
I;d)lc ou daugcn-iisc, il l'an! dire que MM. Clu islollc; et Uouilhet s'y sont livrés
Sci'vice lie vorroiic pour le duc de Sanlonin.
(])i:ssiii or'ujimd d'Einih' Itcihcr.)
Jardinières et Ijoiils de table du service du duc de Saidonia.
[Orfèvrerie de Chrislofh'.)
— 147 —
» les preniiers et que c'est chez eux qu'il faut chercher le grand prêtre du japo-
» nisme en la personne de Reiber ».
Milieu de table du surtout du duc de Santonia.
{Orfèvrerie de Chrislofle.)
Mais l'œuvre capitale de l'exposition Christofle — dessinée également par
Reiber — était la bibliothèque du Vatican, destinée à contenir les traductions en
toutes langues de la bulle proclamant le dogme de l'Immaculée-Conception, tra-
- l'iH —
duction faite par les soins de l'abbé Sire, du diocèse de Paris. Nous en empruntons
encore à Falize la description (1) : « C'est un immense cabinet, long de six mètres,
et que soutiennent trente-six pieds, aux chapiteaux de bronze ciselé, que relient
entre eux des entretoises du même métal, et que surmonte une statue d'ivoire et
d'argent de la Vierge de Lourdes. Des vitrines en glace, inclinées en manière de
pupitre, protègent les manuscrits; une longue ceinture d'émail cloisonné, aux
guirlandes d'églantine, enserre la table, tandis que la frise supérieure porte une
magnifique composition dessinée et peinte sur cuivre par Ch. Lameire, représen-
tant les nations du monde apportant, en une marche triomphale, au chef de
l'Eglise, les titres écrits de la gloire de Marie. Dire ici la profusion des ciselures,
Surtout Bacchus.
(Sciilpluve de Civvier-BeUeime. — (h-fèrrerie tie Chrislo'Ie.)
les détails de fine sculpture, la douceur et le charme des émaux de F. de Courcy,
serait empiéter sur la place qui m'est accordée. Ce meuble extraordinaii'c au-
quel avaient collaboré des sculpteurs comme Lafrance, Jacquemart, Carrier-
Belleuse, des ornemanistes comme Mallet, des peintres comme Ehi'marni, Ch. La-
meire, Frédéric de Courcy, l'auteui-des vingt-deux médaillons en émail limousin
placés au-dessous de la fi'ise sui)éri(>ui'e, les ciseleurs, les émailleiu-s et les orfèvres
les plus habiles, ce nuïubh^, disons-nous, n'avait pas coûté moins de (piatre années
de li-avail. Il l'cste un inoiuunent ('ai-acléi'isli(pu> de la (jualité de ])r()(lu('tion à la-
(picllc pouvail allcindrc une maison d'oiièvreric^ coniinc celh^ d(> (ihristofle, oil
hiiil (!<■ colhilHiriilciu's, lanl d'(''l(''int'Mls divers, appelés à concourir à ime oMivre
(je (■(■Ile soric, olH'issiiiil à imr seule voloiib' direclrice, |)arvenaient à l'elVet
rriiiiili' (pii esf |;i graude loi de l'art. »
La SeetioM française de rdil'èvrerie à l'Lxposilion de IS78 contenait encore
des (1 livres iiitér(!ssaiites et typi(pies de quel(|iies fal)i'i('ants (ni'il serait injuste
'I, l.'Ail iiiniliu ,ir ,1 rpiiulifili ih' \H1H (viil. ill H". l.iliriHl'ir .le lll i:(l:.rl/r ih'X ItniHX- .\ils). pilfiC \\\\
149
— 151 —
de passer sous silence. Ainsi, M. Louis Aucoc, père d'André Aucoc qui devait
faire preuve, à la fin du dix-neuvième siècle, d'une maîtrise incomparable dans
l'interprétation des œuvres du dix-huitième siècle par des adaptations d'une fidé-
lité de facture qui nous semble ne pouvoir être surpassée, continuait sa spécialité
Bibliotliéque du X'ulican, vue de profil.
[Dessin d'Emile Jleiber. — Ouvrage de Chrislofle.)
qui avait fait le succès de la maison fondée par son père, la fabrication des
nécessaires et des services de toilette en argent, Il montrait également des ser-
vices à thé, des services de table d'une bonne fabrication, et soutenait vaillam-
ment la réputation de son ancienne maison.
Un autre orfèvre, dont le nom allait apparaître comme l'un des apôtres les
plus convaincus de la renaissance du style Louis XV et conquérir rapidement une
— 152 —
juste renommée, M. Georges Boin, gendre de M. Taburet, exposait pour la pre-
mière fois. 11 exposait un pot à eau et une cuvette dont il avait trouvé les éléments
dans l'œuvre de P. Germain, et avait complété le service de toilette par des acces-
soires qui s'adaptaient bien au style de
Germain; puis également des services
à thé et une jardinière et ses candé-
labres, qui faisaient pressentir le re-
nouveau du style du dix-huitième siècle
dont il était le mieux préparé pour en
faire revivre les charmantes inventions.
On remarquait chez M. Eugène Fonte-
nay, plus bijoutier qu'orfèvre, un brûle-
parfums d'or ciselé, décoré de filigrane
et d'émail, d'une rare et précieuse exé-
cution; chez M. Boucheron, un somp-
tueux service à bière; chez Sandoz,
une jolie pendule émaillée par Meyer,
un des artistes qui, avec Claudius Po-
pelin, de Courcy et Grandhomme, tout
jeune encore, apportait alors aux or-
fèvres la plus précieuse collaboration.
Deux ciseleurs des plus habiles, J. Bra-
teau et Michaud, exposaient aussi en
leur nom, en dehors des fabricants à
qui ils ont prêté leur concours et leur
talent.
Signalons encore, chez M. Fray, des
pièces d'une agréable fantaisie, un ser-
vice à thé d'un bon style; chez M. Me-
gcmont, une vaisselle du goût le meil-
leur et d'une fabrication excellente;
chez MM. Mérite, Ycyrat, Cosson-Gorby,
certaines tentatives dignes d'arrêter
l'atlcnlion.
Les orfèvres dv. nom et de méli(M'
n'étaient pas seuls à signer des œuvres
exé<'ulé('S en ai';:('nl. lin bronzicr, (|ni a laissi' dans son art un nom qui ne pi-rira
pîis, |{;iilM ili('iii)i', a p( ns('' (pic (ravaiMcr l'argent ne dcvail pas être indilVi'i'cnl à
fi liii nu l le liion/c en (riivrc, et s'est cssayi'i dans des |)ièc('s (\c haut goût
(pu- les artistes et les (tiivricrs habiles (pi'il dirigeait (levaient exécuter à ravir.
licijiii; «lu V'nliciiM. 1,11 N'ii'i'nc de Lourdes
10.V(;ciit('e cil ivoire cl iir(jrnl rc|i(iiiss(' |iin' ( '.lirisloll
Écliciile central de la Bibliothèque du Vatican.
Myi' Lanj^cuicux et l'aishé Sire présentant un exemplaire des Bulles au Saint-Père Pie IX.
157
— 139 —
Déjà, en 1862, il avait montré, dans une admirable pendule dont l'ornementation
inspirée de ces maîtres qui, à l'époque de Henri II, ont laissé de la Renaissance
française des types accomplis, ce qu'il pouvait faire avec des artistes comme
Constant Sevin, des ciseleurs comme Désiré Attarge, dont le nom mérite d'être
honoré à côté de celui de Vechte et des Fannière. En 4878, il présentait une
Amphores en argent repousse.
{Modèles de Constant Sevin. — Ciselures de Désiré Attarge.
Œuvre de F. Barbedienne.)
coupe d'argent repoussé avec branche de mûrier et une autre enguirlandée de
branches fleuries qui sont par leur délicatesse d'exécution une réminiscence heu-
reuse du vase d'Alise-Sainte-Reine, retrouvé dans les fouilles d'un camp romain,
et dont Barbedienne reproduisait la copie exacte exécutée par Attarge en cise-
lure repoussée; trois flambeaux dont l'un de style Louis XVI avait montré, avec
la maestria dont il est coutumier, qu'il n'est pas d'outil qui ait caressé comme le
sien, le grain du métal, et qu'aucun ciselet n'a donné à l'argent une peau plus
soyeuse, un chairé plus délicat.
— 160 —
Si le nom de Barbedienne figure au milieu des orfèvres, c'est que le grand
bronzier du dix-neuvième siècle fit aussi des œuvres en argent que n'auraient
pas reniées les orfèvres les plus célèbres de notre temps. Il avait groupé autour
de lui une pléiade d'artistes sculpteurs et ciseleurs de talent : Constant Sevin et
Denis Attarge furent ses collaborateurs.
C'est à Constant Sevin que l'on doit le modèle de cette horloge dans le style
de la Renaissance. Élégante et fine, sa silhouette se dresse entre quatre co-
lonnes qui encadrent un bas-relief des chanteurs florentins de Lucca délia Robia.
C'est, à Attarge qu'on doit la ciselure de ces coupes dont l'une, imitée d'un
vase anti(|ue, est décorée d'un masque tragique reposant dans une gorge et ac-
(•()nq)agiié grapi)es de raisin et de feiiiU(>s de vigne. Les deux autres, de
formes élancées, emi)rnntent aux |)lantcs des haies de nos ciiamps leurs motifs
décoi'atifs; rime avec des nuM'cs sauvages, Taulre avec de la bryone semblent
préluder aux adaptations (h\s éléments (|ue iournit la nature, inépuisable source
de |;i (l(''coc;ilion. C(!s (U)upes sont en argent repousse'", ainsi que les deux am-
pliores aux formes svelles et (''légalités doiil, i'nn(\ (h'corée de coquillages et
d algues iiiai iiies et r.MiiIre de br;inelies (le vigne, rappellent, leur destination.
C'est lui ;iiissi (pii jivail, ciseh'î ces ilanibeaiix dont les détails |)récieux rappc-
l.'iieiil \:i nieilleiire cpoipie de la ciselure IVancaise.
M. |{ailie(liriine avait (''galenK.'iit ex(''ciil i' pour le duc de Cliailres un surtout
(]:uitli!U'e bacclii(|UL'.
{Ciselure rej)()iissi'(' du I). Alliir(jc. — OEnvru de F. Ikirbedieniw.)
161
N" 1. — CuLipc aux BrN oucs des liaics.
N" 2. — Coupe aux Mures sauvages.
[OEiiure de F. Bnrbedienne.)
163
- IGo —
de style Louis XIV dont les extrémités sont accostées de quatre figures déco-
ratives qui dégagent la partie centrale qui reste libre pour permettre aux convives
de se voir facilement au travers des fleurs qui ornent la table.
L'orfèvrerie religieuse était représentée par deux maîtres, MM. Poussielgue-
Rusand et Armand-Galliat, de tempéraments très opposés, mais tous deux d"uu
talent supérieur. Le premier, nous l'avons dit dans un chapitre précédent, guidé
par les architectes les plus éminents qui travaillaient à reconstruire le mobilier
des églises, et se faisant l'exécuteur attentif des modèles qu'ils lui fournis-
saient, avait composé quantité d'ouvrages, maitre autel, ostensoirs, calices.
Sui'toul du duc de CliarU'cs.
(Bronze nrç/enlé de Bnrhedienne.)
châsses, crosses, de quoi suffire à composer le trésor de plusieurs évêchés.
Tout cela était d'une exécution qui se rapprochait à ce point de celle des orfèvres
du Moyen Age ou de la Renaissance que, si ce n'avait été l'éclat des ors trop
rutilants, on aurait pu les croire d'un travail ancien.
Parmi les pièces à noter dans l'œuvre de M. Poussielgue, il faut citer en
première ligne l'autel en bronze doré exécuté pour l'Eglise de Saint-Martin
d'Ainay, dans le style du quinzième siècle, et dont les frises et les clo-
chetons, déjà si légers, prendront, lorsque la dorure en sera ternie, une tout
autre délicatesse, nous en avons déjà donné la reproduction au chapitre pré-
cédent; puis l'autel de la Vierge, pour l'église d'Yvelol, dans le slyle Louis XII,
conçu et dessiné par M. Roguet et modelé par Chedevillc. Parmi les pièces de
moindre importance, il faut mentionner un ciboire, dont les justes proportions
conviennent si bien à l'usage; ce n'esl plus la masse pesanle que porte avec
7
— 166 -
angoisse roriiciaiil; la béiiédicLioii sera dunnée sans elTurl et réléjianle propor-
tion de l'objet ajoute encore à sa légèreté; puis deux crosses d'un dessin élégant
dont Poussielgue avait demandé le modèle à son maître favori, l'architecte
Viollet-le-Duc.
Chez Armand-Calliat, dont la personnalité s'affirma à partir de cette date avec
une force de plus en plus grande et qui, établi dans la ville de Lyon, devait
atteindre à la célébrité sans vouloir quitter jamais sa colline de Fourvières, l'im-
pression était toute différente. Ce n'était plus seulement l'orfèvrerie religieuse à
l''l;iiiil)cim\ d'ai^^ciil cisclrs |)iir Di'sirc' Atl.ii'^i'.
(Ol'htvrc (/(' /•/)('(//('» (ic.)
griiiid cllrt uioMuniental. piiissanuMcnt décorative (|uand elle apparaît de h)in
dans les vastes n('fs de nos cal liédrales ; c'était {)lutf)l un arl de chapelle, précieux
et lin, à (.'xamiiuîr de près dans les écrins de velours de révè(|ue, comme on
regarde les manuscrits où les nu'rveilleux enlumineurs du Irei/.iènu^ siècle ont
ra< <iMt('' en scèiuîs (Muoiivanles les légendcîs sacrées. Kntoiu'é d'ouvriers énu'riles
tuniK's pur lui-même, armé par ses fortes étnd(>s de toutes les ressources du
iiii'lier, (■•lciMl;inl cl di vei'siliani l'einploi des ('maux, des nielles, (U^s ivoires,
\rni;uiil-Calli;il ('lail, parli d'iuie idi-e lorl, simple; au lieu de réduire rdriUMiU'il-
l.iliini ijr . i)|i|r| ilii ( iille a des uiolil':. loiiiom-s les um'-uics, il peilsail: rpi'il
iim n\ (iiiM ii l;i I /r des Sf/iii/s et puiser a ccltt.! S()Ui'( c intai'issable les
liiiii liiiiilcs liistoncs (pi'il dé'roiderait sm' les r(di(|uaires, les caliees (•('h'branl
l;i j:l(iire des bienlieureiix ;iii\<piels ses orfev rei'ies sei aieni d(''di(''es. On peut
\nir en \H1H ee (|ir;i\,iil pi'ddiiil r,qi|ilir;il ion de ce pi'iiicipe. ('J'admire, ilisail
167
— 169 —
Lucien Falize (J), ces formes châtiées, ces délicatesses d'outiJ. L'ostensoir de
Noire-Danie de Lourdes est une pure merveille... » Entre toutes les richesses
exposées par l'artiste, rappelons le calice de Mgr de Fréjus, les reliquaires de la
Sainte-Epine et du Saint-Mors de Carpentras, le magnifique rétable du maître
autel de Notre-Dame de Bourg-en-Bresse, chef-d'œuvre dans toute la force du
terme, enfin la crosse du cardinal
Pétra, sur laquelle étaient repré-
sentées, au milieu des armes, des
attributs, des emblèmes et des or-
nements, trois légendes religieuses :
saint Pierre dans sa prison, saint
Benoît se précipitant sur un buisson
d'épines et saint Jean-Baptiste pre-
nant entre ses bras l'agneau sans
tache.
Les nations étrangères, dont plu-
sieurs au surplus, telles que l'Alle-
magne, s'étaient totalement abste-
nues de prendre pai't au tournoi de
1878, restaient fort loin de la France
au point de vue de l'industrie de
l'orfèvrerie. Aucun pays ne présen-
tait un ensemble d'ouvrages indi-
quant pareil mouvement de progrès
dans les arts, ni un effet analogue
dans le sens du goût de la recherche
de la beauté ainsi que pour la déli-
catesse du travail. Des symptômes
précurseurs annonçaient cependant
çà et là les concurrences qui se pré-
paraient.
Le Japon obtint le même succès
de curiosité qu'il avait eu à Vienne,
en 1873, et les amateurs se dispu-
tèrent ses bibelots. Nos orfèvres étudièrent de plus près les procédés de ce
peuple si prodigieusement adroit à travailler le métal, à le damasquiner, à l'en-
richir d'incrustations, à l'émailler, etc. Nous nous rappelons un panneau japonais
composé de douze plaques de bronze, d'argent et d'or, qui offrait comme une
Ostensoir de Xotre-Dame de Lourdes.
{Orfècrerie d'Arniiiiul-CnUInt.)
(1) Kilizo, ouvi'ugc citû, page 310.
— no —
m..
l{cli(|ii:iiru du Sainl-Mors.
[Or/'ècrerie irAvinnml-Cnll in I . )
soi-te de résumé de tous les tours de force qiii
sont familiers aux artisans du Nippon; il fut
acquis par notre Musée des Arts décoratifs,
dont la création venait d'être décidée quelques
mois avant l'ouverture de l'Exposition et qui
préludait à son installation.
L'Angleterre était représentée, au point de
A'ue artistique, par la maison Elkington, qui
exposait un nouveau bouclier de Morel-Ladeuil,
emprunté au poème mystique de Bryan, T/te
Pi/grim's, et par quelques émaux cloisonnés
dans le genre japonais, timide imitation des
émaux de la maison Christofle. La surprise et le
succès des sections étrangères, à l'Exposition
de 1878, c'était chez l'Américain Tillany qu'on
les rencontrait. Voici ce que disait à ce sujet
Lucien Falize (l) : « Ayant eu la bonne for-
tune d'étudier
à Philadel-
phie, deux ans
avant nous,
les procédés
des Japonais,
comme il nous
est donné de
le faire aujourd'hui dans leur iiiléressante expo-
sition, Tillany, de New- York, a mis à profit cette
avance. Il délaisse rénniii, il ne s'applique pas à
(•o|ii( r les fines et capricieuses ciselures de Ka-
nasawa et de Takaola; (•(! (|n'il enq)runte au
ila|)on, (-'(îsl '^on d(''c(>r le plus franc: des plantes
aux larges Icnilles, des oisciuix, des poissons;
ee (pTII :i snrloiil immu'I r(', c'est h^ scîcret d(î
SOS alliages. Il ;i luerveilleusenienl hien iniilé
h- Mfil.diniu' , nK'Iange de l;inies d'oi", d'argent,
'le ( iiiNie iiin-on allié, brasc'cs, repliées, forgées
ilil rniii'iiiKi-iiil Cl' ^l'iii'i- lie iIiii'iiiiii'IiIh livre, niiii
plillMllIliti' |)iiiir r)Mii|iii'. i'iiir';.'iirii' il'illilllrll il', lu ('l'i iimiiliir, li'K
lil*|lli<t), lil<'.
1 ft f
■ A- -
ltrli(|iiiiii'(' de la Sliiiilc i'!|iiii('.
[I Iffi'^i'ri'rii' ilW i iitiiiiil Ciilliiil.j
— 171
et laminées ensemble de façon à imiter, comme l'exprime le mot indigène, les
veines du bois; le Sc/takondo, alliage de bronze et d'or aux retïels sombres; le Si-
boiihilchi, antre alliage aux tons gris. Le nielle des Russes et les dépôts incrustés
de cuivre fin complètent, avec l'or et l'argent, cette nouvelle palette de l'orfèvre,
et c'est avec cette palette que l'Américain, dédaignant les réactifs chimiques,
parvient à ses effets variés, dont la solidité des Ions ne redoute pas l'usure.
C'est là un progrès, mais ce n'est pas le
seul. ïiffany s'est appliqué à répandre ces
décors sur les formes les plus pratiques,
les plus logiques, les plus simples : il a
revêtu d'un martelage doux et régulier la
surface de l'argent, feignant, par un ingé-
nieux artifice, d'avoir obtenu les rondeurs,
non plus avec le tour, mais avec le marteau
à rétreindre. L'effet en est harmonieux à
l'œil, l'argent n'a plus cet aspect sec et
froid, dont le brunissage augmentait en-
core la fade apparence ; on ne craint plus
de poser les doigts sur les surfaces polies,
elles ont les fines craquelures de la peau,
les nervures de la feuille, les mailles et le
tissu de certains fruits, et de suite les gens
de goût se sont pris à aimer cette char-
mante nouveauté, qui n'est qu'un renou-
veau de procédés primitifs. Tiffany nous
étonne encore par l'habileté de ses cise-
lures. Certain service à thé de forme in-
dienne, tout couvert de fleurs repoussées
sur argent, est un pur chef-d'œuvre, et son
grand vase dédié à Bryant, le poète jour-
naliste, a de sérieux mérites; les pièces
du surtout, aux figures de Sioux et de De-
lawares, se peuvent comparer à celles qu'a jadis modelées, pour le comte Kou-
cheleff, Emile Cartier, et dont Cailar-Bayard expose une reproduction satisfai-
sante, inférieure cependant en ciselure aux pièces américaines. Enfin, rien n'est
plus parfait que la gravure des couverts de table présentés par la maison de New-
York; je signale en première ligne le service oriental et le service si varié, si fin,
où sont représentés tous les dieux de l'Olympe; je doute que nous ayons en
France un graveur capable de faire des matrices aussi parfaites, depuis qu'Heller
est passé aux Etats-Unis.
(_^rossc du cardinal l'ùtra.
[Orfèvrerie d'Armand-CaUiat , I87S,)
— 17^2 —
Si nous nous sommes laissé entraîner à parler un peu lonji'uement de l'Exposi-
tion de 1878, c'est que celle-ci marque une étape très particulière dans l'évolution
de l'orfèvrerie au dix-neuvième siècle. De notables changements dans les idées et
aussi dans la fabrication se sont opérés depuis 1867. Une génération nouvelle d'ar-
tisans a pénétré dans les ateliers et y a apporté l'atmosphère d'une jeunesse dé-
sormais plus instruite des choses de l'art, grâce aux écoles qui se multiplient et
aux exemples du passé dont on arrive à mieux comprendre les chefs-d'œuvre.
Ce qui domine toujours assurément, ce sont les pastiches des styles anciens, car
on ne voit encore rien au delà; mais quels progrès accomplis dans l'exécution et
combien sont plus judicieusement choisis les modèles dont on s'inspire. Pour être
juste et mcsiu-er avec exactitude l'étendue de la route parcourue depuis les der-
nières années du second l']m|)ire, (|ii'on se rappelle les conceptions souvent
bizancs et prf'iciil icuscs de Torfèvrcric de luxe à cette époque, la profusion de
(lieux, (le scènes d'amours, de sphinx et de sirènes ([u'on accumulait sur un llam-
bi-an, snr iiii surloiil, dans un service à tlié, les niaises inventions de la mode
Iradniles duns le nn'lai el Ira nspori ('cs sur les tables sous prétexte de les orner!
\]\\ I87X, on \i( en heaiieoiip moins grand nond)re toutes ces choses naïves, ridi-
enles on li;ii()(|nes. Le goni s"(''pin'anl , on connnenea à discerner (|ue h^s lois ([ui
régisx ni ToiTevrerie \enlenl (|ne la l'orme d un vase, d'une tlK'ière, d"un objet
i|iie|coni|iie, ne soil piis (■eras(''e, d(''nalnr('e par l'excès de rornemeulal ion, par
les reliefs (ïxagé'ri's d'une scnlplnre, par l'abus d(! la statuaire, ('/est p()ur(pioi les
oi'l'èvr'es, se pi' ni'l i ,i ni )ien a pen de res principes, se conlinèreni de plus en plus
d;Miv l iniilalion «In di\ liuiliènie siècle. (',;ir, remar(pions-le une l'ois de plus, ce
qui di-lin;jiH' les ;ir;.'en!eries de bonis \V et de b(»nis \VI, c'esl la pr(''dominanco
de hi toiini'. <hi;Miil Tlionuis (ieimani lais.iil entrer des ligiu'es dans ses c(Mn|io-
(^al'ol iiTOs ù ri'licl's (riir^onl pol ychronu'.
{Oiii'rnfic lie Ti/funi/.)
sitions, elles n'avaient que de petites proportions; qnand son fils, François-
Thomas, appelait à son aide un sculpteur comme Pigalle, il ne le laissait pas
empiéter sur le rôle de l'orfèvre; la partie décorative, quelque riche et tumul-
tueuse qu'elle fût, ne nuisait pas à la forme des récipients, soupières ou pots à oil,
et ne contrariait pas la valeur expressive de ses lignes essentielles. Je ne veux
pas dire que l'Exposition de 1878 ait attesté la compréhension complète de ces
règles parfaites, dont la plupart de nos industries avaient perdu le sens depuis
1789, mais elle prouva qu'on y revenait, qu'on était à un art plus simple, plus
vrai, plus nature. L'influence du Japon, d'autre part, favorisait cette tendance,
et la renaissance de l'émail, l'association de la couleur aux blancheurs de l'ar-
gent, les procédés d'oxydation devenaient autant de ressources dont on profitait
pour décorer le métal.
Flamboau des Ei\tn(iiles de Ilachellp.
{Dessin de Ch. Rossiçjneu.x.)
Prix de Concmirs agricoles régionaux présentés en 1887 au Ministère de l'Afiriculture.
(Orfèvrerie de Chrislofle.)
CHAPITRE SEPTIÈME
La Troisième République
(de 1878 à 1889)
InflnoïK^o do l'Union contr.alo des Arts décoratifs snr rOrfèvroric. —
Expositions ot Concours. — Objets d't^rt du Ministère de l'Ag-ricui-
lure. — Expositions technologiques organisées par l'Union centrale.
— Les Arts du Métal en 1880. — Les Concours.
EL est le tableau que nous avons tracé dans les pages
précédentes et qui constate par les descriptions que
nous avons données des œuvres exposées, quelle im-
portance tout à coup avait prise la collaboration des
sculpteurs chez les orfèvres. Ce n'étaient plus, comme
sous le règne de Louis-Philippe, quehjues rares ar-
tistes, à la fois statuaires et ornemanistes, tels que
Feuchères et Klagmann, qui apportaient leur contri-
buliou aux argentiers de l'époque. Les plus éminents
maîtres de l'école française, Falguière, Mercié, Cliapu, riiimcry, (îaiiUieriii, €on-
tîin, Roty, Hiolle, Lafrance, Delaplanche, Barrias, Mathurin-Morcau, Carlier,
Rouillard, Carrier-Belleuse, etc., etc., venaient mettre à leur tour le prestige
de leur renommée et le concours de leur imagination et de leur talent à notre
industrie. C'est Chrislofle qui, avec sa hardiesse coutiimière, avait ouvert plus
(I l iiciii' lies ('.(iiicimi's rof^idiiiiu \ .
[(h'I'vrrrric de l'riinifiil Mfiiricc.)
l;ir;jciiiciil ses pdilrs a ces lU'tistcs l(»i'S(Hi'il s'(''liiit at;i, sous !N;ipol('on III, de
rcx('c.iil ion (lu siirloul des Tiiilcrirs cl, du service de l'IhMel de Ville. Depuis, le
iiioiixeiiieiil n'iixnil l;nl (|iie s'iieceid uer, el (■"('•hiieul uiiiiuleiiaul les sculpteurs
(pu ic( |iei ( li;iieiil les orlV'N res (iU leiu' avouant (pi'ils ('prouvaieiil ;iulaid de joie à
r;iiic des li^iires (rarf;eul (pi'à les fîiire de inarhre ou de hroii/e. Il y avait, à coup
^ûi , un diui^'cr .1 liiisser une .lussi e()nsid(''i'altle piii'l aux sl;ilu;iii'es dans l'indus-
liie de l'diTeM'e, el ce (pic is vciKiiis de (lire sur l;i siihoi'diiialion (pi'on admire
diuis les (l'iivres du (li\ Iniilieiiie siècle, cl (pii doil l(iui<)iirs e\islcr cuire l'ouvrier
- 177 —
qui construit la vaisselle d'argent et celui qui la décore, le fait suffisamment
pressentir.
Ce danger, qui ne fut pas évité par les orfèvres de cette époque qui n'avaient
pas d'autorité suffisante pour rester « les maîtres de l'œuvre », ne parut qu'avec
trop d'évidence. Mais il n'en est pas moins certain que cette collaboration active
des grands sculpteurs du temps à l'orfèvrerie rendit à celle-ci un inappréciable
service. D'abord, elle la débarrassa de cette infinité d'horreurs, dé figures sym-
Pri.v d'honneur des Concours régionaux.
[Orfèvrerie d'Odiol.)
boliqucs modelées comme par des maçons, qui la déshonoraient. Elle habitua
le public à des formes plus justes, à des modelés plus délicats et mieux ressentis.
En outre, elle introduisit l'habitude de décors nouveaux, de figures humaines
observées directement d'après nature, remplaçant les froides et sempiternelles
images de la mythologie.
Un fait contribua h ce résultat, dont nous devons dire un mot, car il prouve
combien une initialive intelligente peut avoir d'utiles conséquences pour le
développement d'une industrie. Le ministère de l'Agriculture avait institué,
depuis 1870, un concours qui devait avoir lieu tous les cinq ans entre les orfèvres
pour la création d'objets d'art devant être donnés en prix aux lauréats des expo-
sitions agricoles. Les fabricants désireux d'obtenir d'être chargés de l'exécution
— 178 —
de ces prix eu demandèrent les maquettes aux sculpteurs les plus en renom.
Les modèles à choisir à chaque concours étaient au nombre d'une vingtaine,
parmi lesquels celui de la prime d'honneur de la grande cullnre, groupe en ar-
gent d'une valeur de 3500 francs; le prix spécial des écoles praliqiies d'agriculture
et des fermes-écoles, groupe en argent d'une valeur de 2000 francs; et les prix
spéciaux de la grande et de la petite culture, de l'arboriculture et de l'horti-
culture ; puis, des ensembles d'animaux d'espèces bovine, ovine et porcine,
groupes en bronze argenté d'une valeur de 150 à 500 francs. Chacun de ces
modèles devant être reproduit à un assez grand nombre d'exemplaires par les
orfèvres concurrents pour le compte du gouvernement pendant une durée de
sept années, il s'ensuivait qu'au point de vue pécuniaire le concours offrait, en
définitive, d'assez grands avantages pour qu'on se résolût à en tenter les chances.
C'est ainsi que les frères Fannière, Christofle, Froment-Meurice, Odiot, etc.,
eurent à exécuter de belles œuvres d'argent, comme la Prime d'honneur de la
grande culture, le Semeur, dont le modèle avait été demandé par Christotle au
sculpteur Lafrance.
Sur une sphère en marbre rouge antique, Lafrance avait placé le Semeur au
geste large et puissant, lançant la poignée de grains qui doit germer dans le sillon.
La sphère était accostée de quatre petits génies symbolisant les saisons. Le prix
des fermes-écoles était de Delaplanche; au centre d'une coupe, sur un socle où
s'inscrivaient les noms des savants auxquels on doit les progrès des sciences
agronomiques, une paysanne appuyée sur un bâton tient un livre qui symbolise
la science agricole.
En 1887, le mouvement provoqué par ces concours fut tel (plus de 150 pro-
jets étaient présentés, tous signés des plus éminents sculpteurs, Barrias,
Falguière, Delaplanche, Jacquemart, GauHierin, Mathurin-Morcau, Coutan,
Kolyj, qu'un écrivain autorisé en signalait la porlée en ces termes : « Ce
qui a donné à ce concours une signification inattendue et un caractèi-e par-
ticulier, ce qui l'a signalé aussitôt à l'attention des amateurs et des critiques,
ce (pii l'a fait saluer par tous les connaisseurs comme un gage heureux de
r('nouv(;au, d'esix'rance et d(^ progrès, c'est l'esprit de résolution et d'ensemble
avfc l('(|uel les ar-tisles ont [)uisé les motifs de leurs coujpositions dans les scèiK^s
d(; la i(''alit('. Il y a dix ans, un sculpleur à <|ui l'on eiU demandé un modèle
destin*': ;i s<'rvir de prix d'Iionncui' aux laurt-als du concours d'arboriculture, par
exemple, ou dr l'cspccc bovine, on de la séricicnll nre, cùl, été, à coup sùr, l)ien
(■ml)arrass<!, il eût ch(;rché av(îc conscience dans les dictionnaires de mytho-
logie qnell(! figure, quelle divinili' anlicpie aurait bien pu se pr(M,er à la fonction
eofdpj.iisaiile (h; symboliser solemnilleinenl, les diverses sciences agrouomi(|ues,
cl il eiil mis tout son savoir à exécnler (pn'l(|ue grou|)(( bien abstrait, bien froid,
(jeul-êli-e d'une ^'rande él(''gauce, mais d'uiu' signilicalion complèlemctut obscure,
179
Le Soiiicur, pur LalVanco.
Prime crilonneur des Concours agricoles régionaux, on argent.
{Orfèvrerie île Chrislofle.
— 181 —
qui serait resté lettre morte pour le destinataire de l'objet... Depuis dix ans, les
idées ont changé et l'art décidément prend un autre courant... Heureuse évolu-
tion de l'heure actuelle et que nous voyons s'accomplir dans l'art avec une joie
profonde, nous qui avons combattu de toutes nos forces pour la déterminer!
Heureuse victoire de la vérité et de la franchise, de la sincérité, de la droiture,
qui peut donner à l'a t une vie nouvelle et faire refleurir dans nos industries les
« La Science agricole », par Delaplanche, prix d'honneur des Fermes-écoles.
{Orfèvrerie de Chrislofle.)
abondantes perfections d'autrefois!... L'élan est donné. jNos artistes ne s'arrête-
ront pas là, car ils ont compris de quelle ressource est, pour eux, l'inspiration de
la nature vivante. Il leur a suffi de regarder autour d'eux, de s'intéresser à ce
qu'ils voient, pour retrouver ce riche lilon dans lequel les imagiers du moyen
âge ont puisé tant de motifs de décor ! Voici l'homme des champs qui détrône
aujourd'hui les dieux et les déesses, jusqu'ici les seuls héros en faveur auprès
de l'orfèvrerie! Demain, d'autres sujets tout aussi peu solennels viendront à
leur tour prendre leur part au soleil et ne paraîtront pas indignes d'inspirer nos
— 182 —
sculpteurs. Applaudissous à ces tentatives. C'est dans cette voie rpi'est le mys-
tère de l'avenir et peut-être le secret des cliefs-d'œuvrc futurs (1). »
A ce concours de 1887^ auquel prirent part les orfèvres les plus renommés
de l'époque : Christofle, Fannière, Falize, Frornent-Meurice, Odiot, vingt projets
furent choisis et la Commission chargée de les juger, par l'organe de son rap-
porteur, M. Georges Berger, constata avec satisfaction le succès de cette tentative.
Sur les vingt projets acceptés, seize avaient été présentés par MM. Christoile, et
se trouvaient réunis au centre de la Galerie de l'Orfèvrerie. Ils firent sensation.
Nous ne saurions résister au plaisir de reproduire l'impression qu'ils firent sur
le jury, et les phrases élogieuses que L. Falize leur consacra dans son rapport :
« C'étaient jadis des vases, des coupes, des groupes d'une allure assez ordi-
naire, oii la valeur du métal l'emportait de beaucoup sur le modèle et la façon.
On a eu la pensée d'ouvrir des concours entre les artistes et les orfèvres, et nul
n'a fait un effort comparable à celui de MM. Christoile et Bouilhet; au lieu de
prendre à la fable ses mythes et ses dieux symboliques : Cérès, Bacchus, Ver-
tumne et Pomone, ils ont voulu faire raconter le poème de la terre par ses
acteurs réels, par nos paysans. Ils ont dit aux sculpleurs : « Faites comme les
» peintres, imitez Troyon et Millet; prenez le laboureur, le vigneron ; ils ont des
» attitudes aussi belles et plus justes que vos modèles d'ateliers, et du moins
» vos œuvres seront comprises par ceux pour qui vous les faites. »
» Y a-t-il au monde une école qui soit comparable à notre Ecole de sculpture?
X Les artistes à qui M. Bouilhet s'était adressé acceptèrent l'idée d'enthousiasme,
» et je me souviens de l'impression de surprise et d'admiralion qu'on éprouva
» (|uan(l s ouvi-il, l'ue de Varennes, l'exposition des n)a(|uettes. Le public parisien
» ne sait pas tout ce qui se dépense de talent, et ne voit pas toutes ces manifesta-
» lions d'art et de goùl ; quelques privilégiés allèrent seuls examiner ce concours ;
» et le Jury, s'il eût osé, aurait attribué en bloc lous les prix et toutes les com-
» mandes à la maison Chrisiolle. VMv en a (mi la plus grande pari , et c'était justice.
» .Nous avons relroiivé à l'^xposil ion ces jolies compositions fondues en argent.
» acluïvées.
>t l)('j;i, le i'egrcll('' LalVancc avait aulrefois, à l'exemple^ de Mille!, modelé
» pour Clirislollc imi Scuifiir, au gesie large el snpei'he, mais il l avail fail nu; il
I) a\:iil ( Il peur (le l'habiller (le la blouse. Mathurin Moreau a l'ail le lù/ur/iriir vl \i\
(î/f/ii(!iisr, Icis (pi'ilssonl. (laiil licriii a Iradiiil, comme l'aurait l'ait hastien Le-
>i |»age, le Di'ptirl pour 1rs clnniips, cl Coiihui, la lùnicitsc, la Dloisson/icusc, lo
» linm/icr à /'tilnilluir cl le AW/V ilr lu hn/lc. iNmr prix de rArbcn'icullure, fjonge-
" pied a\ail imagine': une jolie slaluclle, le (lrt'//'fi(i\ et pom- celui de l'Ilorticul-
" liir(;, une autr(!, Y Arrosuijc. C'est lui jardinier, tel (pie nous le voyons les soirs
'1/ Virlur (:|llllll|l|iT. llriKf lies U itt'rni tll iff, \< \ Ml, JHI^^i'H S'i llll.
183
183
— 187 —
d'été; coilïé du chapeau de paille, les pieds chaussés de sabots, et les lourds
arrosoirs en mains, il donne à la terre l'eau qu'elle boit avec ivresse. Falguière
Vase de la ViticiiUui'C, par Levillaiii.
{Orfèvrerie de Clirislofle.)
a fait le Conducteur de taureau, et Jacquemart, X Attela(je de. bœufs ; ces petits
groupes sont beaux comme de grands morceaux de sculpture; et quand je
voyais, dans la section belge, le grand bronze de Mignon, je n'éprouvais pas
plus de |)Uiisir qu'à voir ces délicieuses créations. Gautherin a représenté la
- 188 —
Toute des moulons, de façon pittoresque ; c'est joli à ravir. Mallet et Levillaiii
oi)t fait, pour la viticulture et la sériciculture, des vases décoratifs où la Ven-
dange et VElevage des vers à soie sont racontés avec autant de charme, d'esprit
et d'art que dans un bas-relief antique. Hiolle a été un poète, et a bien sym-
bolisé, dans la Source, le prix de l'irrigation. Il n'est pas jusqu'à l'animal
immonde et délicieux qu'a si gaiement chanté Monselet, que n'aient illustré
Vase (le la ScpiciciiKnro, i)ar Mullol
[Orfèvrerie île Clirislojle.)
nos artistes. Koiiillai'd a fait la Porcherie, et Matlinrin Moreau a pris sin* le vif
h' Conduclcur (/ni mène /es porcs au marché.
•> Tout à riiein*(!, je disais (|u'il ap|)arti(Mit aux graviuu'S (mi médailles, de
r<''iio\ iT iOrlcvriiric, <'( j ai dit (HiehpKiS mois des nuxlèlcs créc'S pai- Levillain,
pftiir MM. (llii-istollc ; mais c'c^st l'd'uvic de \{ol\ (pi il (au! voir. (\v\ artiste a
compose'-, [Miiir deux des prix d agricullurc, des liMS-rcliefs Irt's r<Mnarquables.
Si, dans les groupes (pie nous v(îiioiis de noiimicr, le sculpleiir avail rcMidii le
gesti!, le «•-aractère, la vt'rité du personnage, il n'avail pas eu, connue le |)eiiilre,
le cadre qui est si iK'ccssairc au siijcil, le |)aysage, le ciel, qui soul les décors
r(U se tiH'iil le p;iNs;iM.
— 189 —
)' Roty garde cette ressource; il peint avec l'ébauchoir; quand il modèle
» la cire, il y met riliusion des horizons des prairies, des arbres; sa Ber-
» (jère, debout, tricotant au bord du chemin pendant que le troupeau broute,
» remplit le tableau; il y a de l'air autour d'elle. La Vachère assise, accablée
» sous la chaleur lourde, fait songer à l'orage qui pèse sur le paysage. Ces
» deux adorables plaquettes occupent le fond de deux plateaux oblongs, dont
» les bords sont ornés de plantes aux doux reliefs, et dont les anses sont
» faites de têtes de béliers et de mufles de vaches.
» L'artiste et l'orfèvre se sont souvenus des modèles retrouvés à Hildesheim;
» ils n'ont rien copié des orfèvreries gréco-romaines, mais ils ont égalé, dans
» ces deux œuvres exquises, les types parfaits de l'art antique (1). »
Coutan avait lui aussi composé une coupe dont le sujet était traité avec autant
de bon goût et d'habileté que Roty en avait apporté à l'exécution de ses plaquettes.
Sa Fille de Ferme jetant le grain à toute la basse- cour qui se presse à son appel,
est un sujet rempli de charme et le décor du fond y est bien à sa place.
En historien fidèle et respectueux de la chronologie, hâtons-nous de rappeler
que le concours qui suscitait, à son apparition, les excellentes rétlexions du direc-
teur de la Revue des Arts décoratifs que nous venons de rappeler plus haut, allait
se reproduire en 188"; et le Rapport qui en traduisait, dans un style imagé, les
impressions produites sur le Jury par la traduction des mafpiettes en pièces d'or-
fèvrerie, était écrit en 1889.
(1) Rapport (le M. L. Falize sur l'Orfcvrcrit' à l'Exposition de ISSit.
.S
- 190 —
Or, depuis l'Exposition universelle de 1878, une impulsion énergif(ue, partie
de divers points, et qui se traduisait par la propagande la plus active en vue du
développement du goût et du relèvement de nos industries d'art, avait manifeste-
ment et très heureusement commencé à porter ses fruits dans l'esprit du public
et dans les ateliers. Cela peut faire comprendre les tendances signalées plus haut.
Il y avait eu depuis 1874, à la tête de l'Administration des Beaux- Arts en France,
an homme de premier ordre, le marquis Ph. de Chennevières, profondément ins-
truit de tout ce qui, dans le passé, avait pu contribuer à la gloire de nos industries,
et qui, résolument, avec une précision de coup d'oeil remarquable, avait entrepris
les réformes destinées à leur rendre cet éclat. C'est lui qui, par ses commandes,
restitua leur dignité et leur prestige aux arts dits mineurs, relégués depuis un
siècle sans raison dans on ne sait quelle sorte de hiérarchie inférieure. C'est lui
qui, malgré les résistances académiques, installa à l'Ecole des Beaux-Arts l'en-
seignement de la composition décorative dont il chargea comme professeur un
maître distingué, P.-V. Galland, et remit en honneur la doctrine de Ytatilé de l'art
trop longtemps oubliée. C'est lui encore qui ramena à un goût plus sûr la produc-
tion de nos manufactures nationales de céramique et de tapisserie. C'est lui,
enfin, qui prépara de toutes pièces l'importante réforme de l'enseignement du
dessin introduit à partir de 1880 dans les écoles primaires, puis dans les lycées, et
placé à la base de l'éducation enfantine, au même titre que l'écriture ou la lecture.
Si M. de Chennevières eût été maintenu plus longtemps directeur des Beaux-Arts,
il n'y a pas de doute que toutes nos industries somptuaires, par une répercussion
logique, recevant l'élan d'un esprit si éclairé sur leurs besoins, n'auraient bientôt
montré les heureux effets de son influence.
Une direction ferme, haute, clairvoyante, voilà ce qui faisait le plus gravement
défaut aux arts du décor. Depuis Napoléon I", il n'y en avait guère eu. Mais, sous
le nouveau régime républicain que la France venait de se donner, il était à craindre
(prcllc ni;ui(|iiàt tout à fail. L" « Union centrale », qui avait déjà rendu tant de sei'-
viees ;i la caiisi; de l'ai't appTupié à l'industrie, comprit l(> péril et s'attacha^ à partir
de C(î iiionieul , aver, une ai'deur nouvelle à le conjurer.
l*(;n(lanL dix ans, elle lutta, organisa des expositions, des ('(jiu'ours, ouvrit des
eoiifVTciicfîs, publia des programmes, mais l'argent lui maïujuait pour les'réaliscr
d.ins leur ensemble et elle diil ajourner la création de ce Muséo des Arts déco-
l'iilils (jiii (lev;ii( conroiiiier son (euM'C,
A eoli' (l'eili' line ;iiilr(! association d'amateurs s'('lail conslilu('(>, en 1877, qui
avail pl is |ioiir programme la <T(''al ion à Paris d'un mus('e des aris (h'coi'alifs,
analo;.Mii' a i i lni du Soiilh l\ciisiii(/lnii Miisciiiii de liOiidi'cs. Ues deux Sociélés
('Oiii|)|;iieiil |i;ii'mi leiiis iiiemlires, d'une pur! hi line IhMir de l'arisloei'atie fran-
çaise, le^ rolleci iiiimeiii-s les pliis i ('') .il I ('s, el (rmilre pari les ffibricaiils, les
arlistilH, (II- s,i\;iiil> conservai eurs de iiiii-;(';e et les (''cri\aiiis qui consacraieiil leurs
— 191 —
efforts désintéressés à la propagande des idées de goût. Pour avoir une plus
grande force d'action, elles eurent la bonne pensée de se fusionner en une seule
Société qui prit le titre d'Union centrale des Arts décoratifs, et, dès lors, leur pro-
pagande se fit énergiquement sentir sous les formes les plus variées. Tout en
poursuivant le projet de fonder un musée des Arts décoratifs dont l'installation
provisoire fut faite à partir de 1879 dans quelques salles du Palais de l'Industrie,
l'Union centrale se mit à dresser ses batteries et à échafauder un formidable plan
de campagne pour atteindre le but qu'elle s'était fixé. 11 s'agissait à la fois de
Prix d'honneur des Animaux de basse-cour : « La Fille de ferme ». par J. C(juliin.
[Orfèvrerie de Chrislofle.)
faire la guerre au mauvais goût, de lutter contre l'indifférence du public à l'égard
des arts somptuaires, ou contre son ignorance, d'aider à la diffusion des saines
doctrines esthétiques, et de favoriser par des commandes, par des concours ou
autrement, dans toutes les branches industrielles, la création de belles œuvres, de
formes pures, d'invention élégante. Tâche énorme, hérissée de difficultés, et
dont pas même encore aujourd'hui ni le public qui a profité de l'enseignement
de cette société, ni les artistes qui ont bénéficié de son appui ne comprennent
toute l'étendue !
Ce n'est pas ici le lieu de retracer dans ses détails Thistoire et le rôle de
l'Union centrale des Arts décoratifs : nous n'avons à en retenir que ce qui se
rapporte expressément à notre sujet. Parmi les moyens d'action les plus puis-
— —
sants qu'elle mit en œuvre furent les expositions technologiques que nous avons
eu plus haut l'occasion de signaler et qui, organisées successivement tous les
deux ans au Palais de l'Industrie en 1878, 4880, 1882, 1884 et 1886, par catégories
d'industrie, obtinrent un succès immense.
Dans une de ces lettres, qu'il écrivait dans la Revue et les journaux de
l'époque avec ce style élégant et savoureux dont il avait le secret, M. Josse,
pseudonyme que l'orfèvre Falize avait adopté, résumait les programmes de ces
expositions qu'il avait conçus et qu'il avait fait adopter à ses collègues du Conseil
de l'Union centrale, dans un projet qui réunit alors tous les suffrages : « Le sys-
tème de nos Expositions modernes ou rétrospectives, disait-il, repris et agrandi
par l'Etat aux proportions du Champ de Mars et du Trocadéro, ne convenait plus à
nos modestes concours. On a cherché, et comme toujours, on a trouvé la chose la
plus simple, qui est de relire chapitre par chapitre, pour le mieux comprendre,
le gros livre qu'on avait feuilleté hâtivement; on a classé toutes les industries
auxquelles le goût peut apporter une modification aimable, on les a groupées dans
l'ordre logique que désignent les matières qu'elles transforment, et c'est ainsi qu'on
les a divisées en neuf chapitres qui sont : le Métal ; — les Tissus ; — le Bois ; — la
Pierre; — la Terre; — le Verre; — le Papier; — les Matières animales; — la Fleur.
» Le premier rang a été accordé au Métal, Pourquoi? Je ne saurais le dire, et
ceux qui s'en plaignent ont tort assurément; car c'est une tâche difficile, deux ans
après une Exposition universelle, d'attirer l'attention, de forcer la résistance
des uns, la paresse des autres, et de rouvrir à Paris, une ère d'étude et de tra-
vail, quand la flatterie des étrangers et l'amour-propre des nationaux proclament
la supériorité de l'industrie française et l'inutilité de nouveaux efforts.
» Le Métal ouvre donc la première Exposition de notre série, et cet honneur
est dû à son nom. C'est un titre qui sonne bien à l'oreille et qui s'inscrit noble-
ment à la première page d'un livre, à la porte d'un monument. Le métal est un
joli n)ot, n'est-ce pas, bien trouvé dans notre belle langue française, mot sonore,
résistant, concis, et qui vaut mieux ([ue l'étrange étymologie qu'en donnent les
Inillénistes. On aurait fait à l'Exposition du Métal un joli cadre, s'il n'avait fallu
compter avec l'ai-gcnit, ce. métal (|ui, en toutes choscîs, est un obstacle en même
temps (ju'un moyen, et vous imaginez bien ce nos artistes, aidés de nos
grands industriels, eussent |iu rêver el construire, sans autre aide que \c i'n\ la
loiilr, le ciiivrr. le, zinc et \v plomb; (juc de l'clltits, (pic d'c-lranges elVets, (|U(î de
l iclicssc, (lit lorce, de l('gcr('t('\ de gràc(!. A première vue, ne send)le-l-il |);is (pic
!(■ HK'tal siiflisi; à (ont, à laboiii'cr la terre, à la (h'I'eiidrc, à la couvrir, à satisfaire
a tous l<!S besoins d(î l'habitation, du mobilier, à l(tiis les usages {\v la table et de
la cuisine, et pres(|ue du costunje (I)! »
{\) 1,1'lllc cil' .M, .luHM', lirriir ilrs iliuniilllfs. Iiillli' II, |l. '.IHd.
— 19^ —
L'Exposition de 1880 fut donc consacrée au Métal et aux arts qui le transfor-
ment, et présenta, à côté d'une section rétrospective oii l'on avait réuni les
trésors des collections les plus fameuses (Spitzer, G. de Rothschild, baron Sel-
liève, Stein, Paul Eudel, Mannheim, comte d'Armaillé, Chamouillet, Vassel,
Francastcl, Dongé, etc.), une section moderne où les meilleurs orfèvres mon-
Pot à eau de style Louis XV, d'après le dessin original.
{Orfèvrerie de Boin-Tnhurcl.)
Irèrent des pièces de choix. La leçon fut lumineuse qui se dégagea de ce contraste
voulu par les organisateurs entre le passé et le présent. Eugène Fontenay,
l'habile bijoutier, se chargea de la préciser dans une magistrale étude publiée
par la Revue des Arls décoratifs (I) et dont il convient de donner ici une rapide
analyse. Le critique commence par cette réflexion que les œuvres d'orfèvrerie
moderne donnent trop l'impression d'être autre chose que de la simple orfèvrerie
(1) Revue des Arls décoratifs, tome 1. pages 106 à 208.
— VM —
d'argent et d'usage. « Tous les capi'ioes de l'invention la plus originale, dit-il, et
la plus varice se sont donné rendez-vous là, si bien que la couleur blanehe du
métal qui nous occupe y apparaît en quantité relativement restreinte. Les récentes
découvertes de la science et leurs applications, en enrichissant ce métier, l'ont
quelque peu fait dévier de sa voie traditionnelle. » 11 signale néanmoins avec éloge
les pièces exposées par Fannière et Falize, Mégemond, qui avaient déjà paru à
l'Exposition de J878, et salue l'entrée en lice d'un nouveau venu, M. Boin-Taburet,
dont les pastiches des dix-septième et dix-huitième siècles lui semblent déconcer-
tantes. « Ce petit pot à lait en argent repoussé, dit-il, ce service à toilette si
calme dans sa richesse et si élégant dans sa gravité, ce joli pot à eau tout uni
dans le centre de sa ronde cuvette,
ils ont fabriqué tout cela comme l'au-
raient fait les grands orfèvres du dix-
septième siècle. Ils ont reproduit tout,
la simplicité des formes, la sobriété
d'ornementation et la coloration de
l'argent par une gravure à la fois lé-
gère et nourrie, dépourvue de re-
coupes ambitieuses, et qui ressemble
à des panneaux d'étoffe. Leur métal
est mis à point, à ce ton agréable qui
devrait toujours être et rester celui de
l'orfèvrerie. » Parmi les nouveautés
exposées par la maison Christofle,
Eugène Fontcnay cite un mode de dé-
coration obtenu à l'aide de feuilles
naturelles imprimées sur la surface
du métal, (|ui garde ainsi l'empreinte,
non seulenuMil de leur silhouette, mais
encore de leui- lissu même cl toutes
les délicatesses (h; leurs nervures;
quelipies plat(Nui\, ornés par ce pro-
cédé (le feuilles fougèi'c, étaient
d'iui elVel lori agrc'able. Il nuMitiouni»
('•galeiiicnl. des ohjcls, a fonds mar-
Ich's, et siu'lout deux grands vases
ii\cc ('ciissdii a Idiid idiigc rcpr(''seMlaiir inic Icmmc japonaise dans un jardin.
Il l ui' s(''i'ic ilr I ciil ,il i \ es aussi r('nssi('s (pic celle là, (h'clarc l''ontciia_Y, poiu'rait
iluimcr Ini l a cimix |ii l'I cikIciiI i|iic le (li\-iieiiviciMc siècle n'a pas su se crc'er
un l\le. Tdiilel'iii^, en ri n n | i;i i;n 1 1 les (ciivrcs uiodernes aii\ ancieniies, il for-
jr
l'hili'ini. lirnssi' de hililc
ili'-ii Hi's (le Iriilllrs ijii 1 111
.'iliilissc inicllcs,
les illipi'iliU'cs.
{(Irfi'irrrir ilr rlirislitllf.)
mule à l'égard des premières quelques critiques absolument justes et très fine-
ment exprimées. « Les orfèvres contemporains, dit-il, prétendent trop faire un
objet cïart; nos pères se contentaient de faire l'objet utile. » C'est en cela que
consiste son véritable charme. 11 est utile d'abord et par-dessus le marché
agréable toujours, souvent même il est beau. Ne vous semble-t-il pas qu'ils ont
trouvé la véritable formule? Il ajoute : (( Il ne faut pas oublier que le but visé par
l'Union centrale n'est de la sorte
qu'imparfaitement atteint. En pour-
suivant la réalisation du beau, elle
veut surtout que la chose usuelle
en soit spécialement empreinte, la
plupart des objets exposés (les
objets modernes) sont et restent
exceptionnels, ils n'introduisent
pour ainsi dire rien dans la con-
sommation générale. Ce sont des
objets d'art enfantés pour le plaisir
de quelques heureux; ce n'est pas,
à proprement parler, de l'orfèvrerie
de table. » L'article de Fontenay se
termine par la réflexion suivante :
« Après avoir étudié le côté maté-
riel, la technique de l'art, oserai-je
aborder les points délicats de l'in-
vention et du style? Dois-je exa-
miner si nous sommes destinés à
piétiner éternellement sur place,
ou si nous allons enfin cesser de reproduire et de ressasser tout ce qui a été fait
avant nous?... Le fait est que nous sommes trop savants. Le bagage, les entas-
sements du passé nous écrasent de leur poids énorme et paralysent nos mouve-
ments. Car je me refuse à croire que c'est par impuissance que nous n'avançons
pas. Il faudrait... peut-on oser dire ce qu'il faudrait? Cela est si peu vraisem-
blable!... mais
Le vrai peut quelquefois n'êt'-e pas vraisemblable,
il faudrait que l'artiste après qu'il aurait tout étudié, et quand il saurait tout,
puisse faire deux parts de son savoir : la première, qui serait la claire intelligence
du beau, la sûreté du goût, les notions générales d'esthétique qu'il garderait par
devers lui; la seconde, qui se composerait des formes et des conventions parti-
culières à chaque style, qui ne sont que des modes déterminés de manifestations
Plateau dccoré de feuillages naturels imprimés.
{Colleclion de Christofle.)
— 1î)() —
ayant dû servir à l'enseignemenl , qu'il oublierait, qu'il jetterait à la mer, comme
un bagage encombrant. Et ensuite, savant et libre, l'artiste s'attacherait à trouver
dans la nature, et dans la nature seule, par une étude attentive et passionnée, les
éléments de décoration qu'elle otTre à pleines mains. En un mol, il faut arriver à
supprimer tous les intermédiaires, toutes les interprétations, et remonter le cou-
rant et puiser à la source mère, éternellement féconde et \ivace, la Nature. Cela
se répète déjà beaucoup et les jeunes l'entendent. Souhaitons qu'ils puissent
bientôt jeter le bâton de vieillesse sur lequel nous Jious appuyons encore et
marcher seuls. » Voilà qui était aussi cruellement pensé que fermement exprimé,
et l'on verra plus loin que c'est à une conclusion identique que devait aboutir
Lucien Falize dans son beau Rapport sur l'orfèvrerie à l'Exposition universelle
de 1889.
Cette Exposition des Arts du Métal, qui devait être suivie de quatre autres
Expositions technologiques qui auraient montré les transformations de la matière
dans les mains de l'artiste, eut un véritable retentissement.
M. Marius Vachon, dans un article qu'il publia dans la Gazette des Beaux-Arts.
en a fixé les parties saillantes avec son autorité d'homme de goût.
Je ne résiste pas au plaisir de reproduire ici ses appréciations.
Bien que de nombreuses pièces aient déjà figuré dans les précédentes Exposi-
tions, il y avait des efforts nouveaux, et les noms de Christofle, Falize, Fannière,
Froment-Meurice figuraient en première ligne.
A cette Exposition de 1880 que l'ilnion centrale avait consacrée aux Arts du
métal, le pavillon de MM. Christofle et présentait au visiteur une attraction
très piquante. Dans un cadre restreint, mais fort bien disposé et rempli, il semble
résumer, par la variété des produits qu'il contient, l'art de l'orfèvre contemporain,
ses travaux divers et ses ressources multiples. On y peut étudier rapidement, au
moyen des nombreux spécimens exhibés, les transformations de goût qu'il a
subies ou imposées depuis quelques années, les variations de l'inlluence exercée
par l'invasion (hî cet art exotique qui a modifié si sensiblement nos idées françaises
sur la décoration, U; japonismc.
Les chefs et hîs ouvriers de cette maison lienneni dos uns el des autres : et
qu'il s'agiss(ï (Uïs su[)(!rl)es vases émaillésde Tard, des torchères en bronze patiné,
modfîlés dans le, styl(! el avec la fantaisie des Japonais, des plateaux à incrusta-
lions galvaii(»|tliisli(|iics, (les coiriposil ions |>ittoi'('S(|U(îs de Kciber appliquées à
(les vases Ik roïinics, a des coiqx's japonaises, à des meubles, ou sinq)lemenl des
services divers en argeni ou en vermeil, des marleh's on des palines métalliques
de iM. (îuignani, nous trouvons eu loiil (euvre d'ai'lisics amouiM'ux de lenrai'l,
loujoiU'S en (|iiè(e d'oi'iginalil('' el de fantaisie.
Dans iji' li;iuli s cl l;ir;.'('s vilriiies ('lablies e\((''i'ienreiMenl. sur le |>oin'tour", sont
lev pieees «l'oiTe vrei ie nidiii.iiies, l.i vaisselle phile e( les services de lable l,radi-
Vuso juponuis a\ L'c iucruslulions.
{Modèle de Ileiher. — Orfèvrerie de Christo/Ie .)
(Dessin repi-uduil d';iprès In gravure de Biihol.)
199
Cafetières cl puis à eau cii ai'fjoiil inarU'lo, a\ eu uriu'injiils en reliel'.
Jtrfèvreric de (Uii-isloflc.)
— 201 —
tionnels. De ce chef, ricQ à signaler. A l'entrée principale, qui fait face au grand
escalier, se dressent deux vases de style japonais en bronze martelé, composés
par M. Reiber ; ce sont là deux pièces maîtresses, par leurs dimensions colossales,
l'importance de la composition et le mérite du travail. Sur la panse est un vaste
médaillon à fond de patine rouge brique, qui contient une figure de femme japo-
naise en relief, aux chairs d'argent, et dont les
étoffes pittoresques sont formées par un dessin
d'incrustation de métaux divers. Cette figure de
femme est accompagnée d'une figure d'animal
traitée de la même façon. Des branches de pom-
miers en fleurs et en fruits, aux tons naturels, en-
lacés, qui se déroulent autour du col du vase, et
retombent de chaque côté le long de la panse,
forment par leur disposition les deux anses. Sur
le socle en bronze doré est jetée, comme note de
rappel, une branche semblable. Un semis léger de
fleurs délicates, en repoussé, décore la face opposée
au médaillon. Le caractère général de sobriété dans
la composition, la recherche de la disposition des
membres du vase en dehors des motifs habituels
de l'ornementation exotique, semblent accuser chez
le dessinateur une préoccupation instante de créer
une œuvre mixte, qui fût plus une adaptation
qu'une inspiration absolue du japonisme. Mais l'ar-
tiste n'a pas osé aller jusqu'au bout ; il a fait, par le
médaillon, amende honorable de son audace; et
c'est ainsi que son vase présente cette particularité
singulière de n'être japonais que par la base et par
un seul côté. Pour nous, nous préférons l'autre.
Néanmoins, tels qu'ils sont, ces deux vases dont
M. Buhot a gravé l'un cà Teau-fortc d'une manière
très fine et très exacte, constituent de belles œuvres
qui font honneur à la maison Christofle et à M. Reiber. Dans l'intérieur, nous
passons successivement en revue la série bien connue des prix de cojjcours
agricoles; deux beaux vases grecs de bronze à patine rouge, ornés sur la panse
de bas-reliefs représentant les travaux d'Hercule et entourés d'une ceinture
de masques tragiques et comiques empruntés à la décoration d'une pièce du
Trésor d'Hidelsheim ; de grandes torchères à vases en cloisonné; deux vases de
M. Reiber, dits vases aux Chats, inspirés de la fantaisie japonaise la plus excen-
trique; la belle torchère dans le style japonais, modelée par M. Guillemin, qui a
Vase de Thésée, décdi- i)olychrome
à fond rouf^c.
{Modèle (le Reiber. — Orfèvrerie
de Chrislofle.)
— 202 —
figuré à l'Exposition de 1878; une série de services à tiié et <à café de la plus
grande originalité, en argent martelé et craquelé, à la décoration discrète et déli-
cate empruntée aux meilleurs types du japonisme, et adaptée avec un tact parfait
à notre goi^it et h nos habitudes; une collection de vases aux alliages variés de tons
et de dispositions, combinés de manière à imiter pittoresquement les veines du
bois, des marbres et les reflets d'écaillés de poissons et d'ophidiens; des coupes
et des plateaux de style néo-grec ou pompéien, et enfin la statuette en argent
N'asc's cil alliaj^es \ aric's, a\ iH" dccors on l'olicf.
[Orfèvrerie de Chrialolle.)
rnf)(l('lé(! par M. DclMpIanche, Y Industrie fmiiraisc, oiïerte à IVi. Dietz-Monnin,
|ir('si(lcnt (l(! la S(!cti()ii française à l'Exposilioii tniiv(M'selle de 1878, par les
iiiciMbres des jurys des Ciomilés d'admission. Heaucoup de c(>s objets sont nou-
veaux cl accuscut (Ml progr'ès coiistaiil dans les (ravaux de celle grand** et lu^-
iioralili' maison.
M. l'ali/i' nous inoiilrc ses lentatives curiouses et intéressantes de résurrection
lie r('-iiiail de l»ass(! taille sur or (ît sin* arg(Mi( , d'après (l(!s dessins de Van Kyck
cl d Alhcrt hur-cr; ses |)it(orcs(|ii('S l»i'acelcls en email cloisonui'^ siu' paillons, où
]i'9, (IcviHes, les dates cl les inilialcs ddr ('clah'nl, en leltrcs iiililanles ; ses
l)i;ii(|(| ^ li(''r(iï(|iics (le rciionnci'ic du dix-sepliènie siècle, (|iii scndticnt crt^'S
— 203 —
pour des cours d'ainour et des tournois guerriers ; des bonbonnières au chitlre
de Diane et de François I" ; un pendant d'or émaillé composé sur un dessin
précieux d'Etienne Delaune, véritable chef-d'œuvre de restitution artistique, et un
autre pendant de brillants et de perles violettes du goût le plus simple et en
même temps le plus pur ; un superbe collier indien aux ciselures délicates sur
fond d'émail rouge étincelant ; une broche d'une originalité audacieuse, dont le
sujet est emprunté au mythe hindou : — un bonze tenant entre ses mains une
perle, assis sur un nuage dans les replis d'un dragon terminé par un diamant; —
de mignonnes figurines en or émaillé (recherches curieuses dont l'auteur entre-
tiendra lui-même prochainement les lecteurs de la Gazette des Beaxix-Arts); un
bracelet en or mat avec incrustation de fleurs de pêcher en émail, nouveauté très
piquante et d'un elïet charmant; enfin une reliure de type byzantin, avec lettres
en émaux cloisonnés, filigranes d'une délicatesse rare et bas-relief en or représen-
tant l'adoration des Mages, reliure qui est un bijou précieux. Quelle variété de
travaux et d'œuvres il y a là ! Et nous ne parlons point de plusieurs autres objets
aussi, sinon plus, importants, mais qui ont figuré à l'Exposition de 1878, et sur
lesquels notre Directeur a longuement écrit dans la Gazette : l'Horloge d'Uranie,
le groupe en argent de 8aint-Michel-du-Mont, la Vierge à l'Enfant de Delaplanche,
la merveilleuse horloge portative du douzième siècle, en ivoire, or et argent, les
bas-reliefs de Gaston IV de Béarn, de Marguerite de Foix et Marguerite de
Navarre, que nous avons reproduits dans le chapitre précédent. Mais nous devons
signaler ici la belle garniture de l'album offert par les Comités de l'Exposition
universelle à M. Teisserenc de Bort, garniture d'un grand style et d'une exécution
superbe dans les ciselures de l'encadrement en argent formé de feuilles de laurier
et de lierre enlacées par une banderolle couverte d'inscriptions, dans l'émail de
M. Meyer représentant la gravure du diplôme et dans la reproduction de la grande
médaille d'or de M. Chaplain. Tout cela ne constitue-t-il point une exposition du
plus haut intérêt, et qui prouve que M. Falize est un véritable et grand artiste
dont les hautes préoccupations et les tentatives hardies s'élèvent bien au-dessus
des questions commerciales?
M. Falize avait tenu à faire figurer à cette Exposition le plat à bordure de
céleri dont il avait présenté le modèle au concours ouvert parle Ministre de l'Agri-
culture pour le prix à décerner dans les Concours agricoles.
Cette œuvre charmante, je ne sais par quel déni de justice, n'avait pas été
choisie. Peut-être la tentative a-t-elle paru trop osée ; peut-être l'idée d'un plat
d'usage, même si habilement décoré qu'il fût, ne parut pas au Jury un objet
d'art à décerner comme prix d'agriculture. Mais M. Falize a bien fait de l'exé-
cuter et de montrer à l'Exposition de 1880 sa première tentative de renouvelle-
ment de nos arts du Décor, par l'introduction des éléments que la Nature, pro-
digue de ses trésors, oflre à l'imagination de nos artistes.
Tout auprès sont installées les vHrines de MM. Faiinièwî frères, dont les
œuvres variées accusent une recherche également obstinée et féconde d'éléments
nouveaux, d'attraction et d'originalité. Nous y revoyons avec plaisir, car ce sont
de belles choses et des pièces d'art du plus haut mérite, le Beliérophon combat-
l'inl à n'il i'i iKU'iliirc ilr n'ici'i.
(Irfrrrrrir dr /VW/cc.)
t;iiil la Cliimcrc. le prix du .lockcy-l llul) de lu hclh» pcMidule Jean (îoujon,
• •Il ;irgciil cl l;ipis-l;iziili, appai'lni;inl à M [liane, ;i voiv. de (•(•('ations plus
iiTciilcs : line \'icr;.M' de Loiiidcs en ai';^riit (l()r('', d'ini Iravail de cisclin'c Irès
(([■('•ciciix cl d iiii iikmIcIi' ^ii|)Cflic ; un pcinhiiil de col Kciiaissanec avec un Itean
Mn'djMlloii lie Diiiiic (le l'oilicrs liiiciiicMl grav('', garni de dianianls cl de r'uhis :
203
Te'sliiiioniiil oll'crl à M. TcisîL'rcnL' île lÎDi'l.
Couvcrturu de l'cidrcsse en iu'Il'x rcrie cL L'iiuiil. [lar Fiilizc.
— 207 —
une broche et une paire de boucles d'oreilles fort pittoresques, formées d'une
petite figurine d'argeut soutenant des perles ; un magnifique vase en argent d'une
forme très élégante et d'une exécution irréprochable comme ciselure et hauts-
reliefs, le prix de Dangu de 1879.
Cette « Exposition des Arts du métal » de 1880 — il faut insister sur ce point
— avait été vraiment organisée par l'Union centrale avec une ampleur, un soin,
une intelligence si complète et si rationnelle des industries qui en étaient l'objet
qu'on peut la citer, aujourd'hui encore, comme un modèle du genre. Qu'il soit
permis au signataire de ce livre d'oublier le rôle et la part qu'il a eus dans cette
entreprise, et les analogues qui suivirent (l). Mais il ne résiste pas au besoin de
rendre pleine justice au dévouement, à l'ardeur, au savoir, au talent de la pha-
lange d'éminents collaborateurs qui en assurèrent l'éclat, et écrivirent à cette
occasion des rapports de haute tenue et de belle clairvoyance qu'on relit avec
autant de plaisir que de profit. L'Exposition avait été divisée en quatre sections
logiquement distribuées. La première mettait en évidence — c'était une nou-
veauté alors — les modèles, les projets modelés par les artistes et non exécutés.
Le rapporteur, qui ne fut autre qu'Edmond About, n'eut malheureusement à
signaler qu'un petit nombre d'oeuvres d'un certain mérite. La seconde section
était affectée aux métaux précieux, à l'orfèvrerie, à la bijouterie, la lapidairerie,
la joaillerie et l'horlogerie; ce fut Paul Mantz qui se chargea du rapport, et en fit
un petit chef-d'œuvre de critique courtoise, fine et spirituelle. La troisième section
était affectée aux métaux usuels, bronze, plomb, cuivre, zinc, fonte de fer déco-
rative, serrurerie d'art, armes de luxe, etc., et la quatrième aux procédés de
fabrication, aux métiers annexes pour ainsi dire, tels que la gravure, la ciselure,
l'émail, etc. L'architecte Corroyer et l'écrivain René Ménard en furent les rappor-
teurs. Comme corollaire à son exposition, et pour bien indicfuer le but élevé qu'elle
poursuivait, l'Union centrale avait institué une série de concours, d'une part entre
tous les élèves des écoles de dessin ou d'art décoi-atif, d'autre part entre les
artistes, artisans ou fabricants adonnés aux multiples branches des industries du
métal. Le concours entre les écoles mit en valeur des jeunes gens comme Rouil-
lard — futur professeur à l'Ecole nationale des Arts décoratifs — auquel fut
décerné un grand prix de voyage de 800 francs; il donna lieu à un rapport
d'Auguste Racinet des plus intéressants, où il était constaté que « le résultat
surpassait cei-tainement les prévisions ». Les concours spéciaux entre les artistes,
artisans ou fabricants, institués, au nombre de dix-sept pour les maquettes, et
pour les œuvres exécutées d'une façon définitive, attestaient notamment qu'aucun
des métiers accessoires à l'orfèvrerie n'avait été oublié, et que les sculpteurs, les
(1) Le CoiuitL' (lirecteuf m'avait fait l'iioiiiiuui- de aie clioir-ir coiniiie l'rééideiit de ces ExpositioHS. {Note
de l'auteur.)
— 208 —
décorateurs, les ciseleurs, les planeurs, les repousseurs, les damasrjuineurs, aussi
bien que les émailleurs, les spécialistes de la glyptique, graveurs en creux ou en
relief, sur pierre dure, sur coquille ou acier, étaient appelés au même titre et en
complète égalité à venir s'y mesurer. Par une innovation ingénieuse, l'Union
centrale avait décidé que ses lauréats recevraient non une médaille mais une
plaquette honorifique, dans la forme de celles de la Renaissance, mise également
au concours et qui ne devrait servir exclusivement que pour cette exposition.
PliUjueLLe du Concours dii nicLul.
(Modèle de Chédeville.)
Le sujet était « /« G/orificalion des Arts du Métal, », soit par une composition^
soit par nm fujurc symbolique. Ce fut Chédeville, artiste de talent, que les précé-
dents concours entre les écoles de France, institués par l'Union centrale, avaient
mis en lumière, qui remporta le prix. Dans une plaquelte de forme originale, il
avait syinl)()lis('' l'Arl du nu'lal par une ligure élégante appuyée sur une enclume
et tenant a l;i niaiii un |i];ite;ui de; métal précieux rappelant par son décor le plat
en ('lain de l'V. l'.riol, ddul, le nom accoh' à celui (ri*'J.ieuiU' Delaune élait gravé
sur le riii'Ioiii'lii' le surmoiitiiil.
I)i' iiDiiiliii iis ( (iMcuiTenls s'i'laienl pr('seiil(''S. Le grand prix de l'Union een-
lr;dc, .iiKinrl (' hiil ;d I l iluM'c ■|iiic |il;i(|ii('l le d ur de 10(10 IVanes, avait (''l('' décerne''
aux autfMU's il iun' miel icrc ori;.' iii.ilc cl d ime invenlion nouvelle en erfèvrerie ;
209
Cafclicrc, modèle de Carrier-BcUcuse.
!"■ l'rix du Concours du mclal, eu i88o.
Orfvcrerie île Brueck cl lleiiilze. — Ciselure du Tvolel el lloze.)
— 211 -
une figure, se détachant, en haut-relief sur la forme, venait, par un mouvement
gracieux, se rattacher à un rinceau qui formait l'anse. La sculpture était de Car-
rier-Belleuse. L'exécution était due à la collaboration de quatre ouvriers orfèvres
et ciseleurs, MM. Broeck, contremaître orfèvre, et Heintze, orfèvre, H. Trotet,
contremaître ciseleur, et H. Roze, ciseleur. Ils s'étaient associés dans ce travail,
et avaient pris pour le concours, anonyme jusqu'au jour du jugement, la devise :
r Union fait le svccès.
C'est à partir de ce moment que commença à renaître dans le public le goût
de ces jolies plaquettes dont les artistes du seizième siècle nous ont laissé de si
déhcieux spécimens. L'initiative de l'Union centrale n'a certainement pas été
étrangère à la résurrection de cet art charmant, dont nos modernes médailleurs
ont su avec tant d'éclat élargir le domaine. Ce n'aura pas été un des moindres
résultats de V Exposition du Métal qui exerça la meilleure influence, autant pour
l'instruction des industriels que pour le goût du public : producteurs et consom-
mateurs y trouvèrent leur compte. Des artistes ciseleurs et ornemanistes, inconnus
jusque-là, tels que J. Brateau, Joindy, etc., y obtinrent des récompenses qui
attirèrent sur eux l'attention. Pour tous les orfèvres, ce fut une excellente leçon
de choses.
Une autre tentative préparée soigneusement parla Société de l'Union centrale,
et qui aurait pu avoir sur les industries décoratives et en particulier sur celle de
l'orfèvrerie une action des plus heureuses, c'était Y Exposition de la Plante. Bien
que, pour des raisons financières ou autres, on ait dû y renoncer, nous en dirons
quelques mots. L'idée première en appartenait à Lucien Falize, un des membres
les plus ardents du Comité de l'Union, et qui mit à en rédiger les programmes
toute son érudition de lettré, toute son âme d'artiste. Ce ne devait plus être une
exposition purement technologique, mais une exposition dont l'art décoratif serait
le thème unique et absolu; on ne songeait plus à y appeler les métiers par caté-
gories, mais on voulait les y appeler tous, en écartant seulement les éléments
étrangers du sujet principal. Le projet était grandiose, magnifique, la démonstra-
tion aurait été à coup sur infiniment féconde. Voici comment s'exprimait Lucien
Falize dans l'exposé de son avant-projet : « On nous accuse de ne pas avoir de
style ou de mal appliquer les styles anciens. Il nous paraît que, pour étudier les
styles et en retrouver la source, il faut reprendre le modèle d'où presque tous sont
dérivés, la Plante... C'est la plante qui, dans tous les arts, chez tous les peuples,
et dans tous les temps, a servi de type initial : arbre ou fleur, feuille ou graine,
fruit ou racine, nous la retrouvons comme principe de forme et de couleur
Elle est l'origine de toute ornementation, se décompose ou se complique, et, par
SCS interprétations successives, devient, pour l'architecte et pour le peintre, le
céramiste et le tisserand, l'orfèvre et le verrier, une grammaire qui a ses lois, ses
traditions et ses règles... Revenons, après avoir vagabondé par tous les chemins,
— 212 —
à la seule étude sage et bonne, à celle que suivaient nus pèies, qu'ont suivie tous
les peuples, avec leur simple instinct, leurs traditions, leur religion, leur goût
Il faut apprendre l'ornement d'après nature, comme on apprend à peindre et à
modeler d'après le modèle vivant (1). » Et Falize traçait ainsi les grandes divisions
de l'exposition projetée : dans la première partie serait la Plante vivante, c'est-
à-dire tous les végétaux, arbres, arbustes, fleurs, etc., qui peuvent servir de
modèles aux artistes et que les plus habiles pépiniéristes auraient groupés le plus
pittoresquement possible. Dans une seconde partie, on aurait vu la Plante dans
les industries d'art, c'est-à-dire des objets exécutés dans les différents métiers,
avec huit divisions principales, les métaux, la terre, le verre, le papier, etc
Une troisième partie aurait été consacrée également et parallèlement aux produits
de l'industrie, mais uniquement aux œuvres d'artistes, peintures décoratives,
dessins, modèles, maquettes. La quatrième partie aurait été réservée aux écoles,
aux copies de la plante vivante et son interprétation dans sa décoration. Enfin la
cinquième partie aurait compris une merveilleuse exposition rétrospective de
chefs-d'œuvre classés avec méthode. Cette manifestation, unique dans les fastes
de l'art, devait être organisée pour les années 1891 et 1892. Malheureusement
les difficultés matérielles furent telles qu'en dépit de tous les efforts du comité
de l'Union centrale, il fallut y renoncer.
« Entretenir en France la culture des arts qui représentent la réalisation du
Beau dans l'Utile », voilà quelle était en somme la partie la plus importante du
Programme des fondateurs de l'Union. Nombreux encore une fois étaient les
problèmes à résoudre, et épineux les obstacles à surmonter. L'abolition des Cor-
porations en 1789 avait bouleversé les conditions du travail, et un des défauts les
I)lus graves du nouvel état de choses était peut-être le manque d'équilibre, dans
la plupart des ateliers, entre l'élément artiste et l'élément industriel, celui-ci
arrivant fatalement à primer presque toujours celui-là. Mais comment remonter
un paicil courant, dont la force croissante tendait de plus en plus à entraîner
ractivit('' universelle dans le monde modei'ne? Sans nous faire illusion sur les
(iirii( iilt(''s (le l'tMitreprise, nous pensâmes qu'il était urgent, en tout cas, d'essayer
(le r ('n(lr(! plus étroite, |)his familière, plus facile, la collaboralion de l'artiste et du
l'abricani, de favoris(îr rac(U)r(l des eiforls (ît des intérêts de l'un el de l'autre, en
lin mol d'associer la pens('(! de; (-(ilni (pii <'onçoit l'dnrvre d'art à l'expérience de
••(■lui (|iii rc\('( iilc. C'csl pour(pi(>i rilnion ccntrah^ institua, à côlé de ses expo-
silioiis l('i |iiiol(»;ji(|iics, l(!s ci incoiirs dont nous avons parh', et (pi'elle nniltiplia,
fil icsiaiii iidclc a ce pi'incipi! ipic les |)roj(!ts pi'imés, les ma(|uettes d'artistes
^|•|•(Mll|)l■ll^('■(■s dcvaiciil subir l'(''pr(!ii vc de rexi'cnlion délinitive. En I89.'l, un de
(I; l!iic IvxpiiHilliHi ili' In l'Iaiilr ; l'iiijiil pi'i'îHiiiili' Mil <;<inHi'il (II' rHiiiiiii (•(•iilral(( i)ni' Lui'it'ii l'Mlizi'
ildllii lu lln itr ilm Arls iti'i-m ni i Is . Iniiii' M, piif/cH 1 i l -ii i v.iiilrs.
— -213 —
ces concours fut consacré à un objet d'orfèvrerie : il comportait l'exéculion d'une
coupe, ustensile qui avait été jadis l'orgueil des tables somptueuses dans les
festins royaux, les dîners de corporations, et dont l'époque contemporaine sem-
blait avoir perdu l'usage, en Fi-ance tout au moins. Ainsi que le disait Lucien
Falize, le promoteur du concours, est-ce que ce n'était pas pour l'Union une
aimable tentative que de provoquer la mode à faire revivre ces vases de métal sur
lesquels l'art et la fantaisie se peuvent exercer de cent manières, coupes d'or,
gobelets d'argent, calices aux bosses rutilantes, aux fines ciselures, que l'email
et le burin ont tant de moyens de décorer? Cent cii](|uanlc-ncuf projets de coupes
furent présentés par les concurrents. Le premier prix (1500 francs) fut attribué
par le Jury à M. Mouchon pour un gobelet de forme simple, d'une ornementation
harmonieuse et délicate; le deuxième prix (500 francs) à M. René Lalique, pour
une sorte de calice, d'une originalité très grande, et qui faisait présager la renom-
mée à laquelle allait bientôt atteindre le brillant artiste. « Ce vase », disait le
rapporteur, M. de Fourcaud, « ce vase d'un type religieux, atteste en son ingé-
» nieux décor, en sa facture libre et nette, un talent sûr de soi. » Le concours
entre les élèves des écoles révéla, d'autre part, quelques jeunes talents : le premier
prix (500 francs) fut décerné à M. Rudnicki, qui depuis s'est fait un nom comme
dessinateur. Il avait envoyé le projet d'un vase en éujail, trop luxueux à vrai dire
et rappelant l'art oriental, mais d'une belle coloration, et d'un pittoresque arran-
gement avec de petits oiseaux ouvrant des becs d'alîamés. D'une façon générale,
Gobclcl de Mouchon.
V ase de Lalique.
a" Prix du ("ontours de l'Union centrale de l8ij3.
ji-r p,.jx du Concours de l'Union cenliale de if-'fjS.
9
— 214 —
les résultats du concours furent très appréciés des connaisseurs, et ce n'est pas
sans plaisir que nous évoquons le souvenir de ce petit tournoi auquel prirent
part avec entrain, et non sans profit pour les orfèvres, des artistes de réelle
valeur.
C'est par des efforts de ce genre, répétés incessamment, que la Société de
l'Union centrale des Arts décoratifs arrivait à exercer une inllueJicc incontestable
sur le goût du public. Insensiblement, par les expositions, son jugement se for-
mait, s'affinait; quant aux concours, tels que celui que nous venons de rappeler, il
est évident que le bénéfice n'en pouvait être immédiat; mais c'était une bonne
semence qui ne devait pas être inutile; dans ces sortes de manifestations en
commun, rien ne se perd; les idées se propagent et enrichissent tous les concur-
rents, les triomphateurs aussi bien que les vaincus. L'audace des uns stimule la
timidité des autres; la critique elle-même s'éclaire entre les extrêmes, prend
même conscience des directions à suivre, et peu à peu se dégagent les voies de
l'avenir.
I.i' Clii'iii' l)i'isr.
l)i'Vi.sc; ilr I liliiiMi ci'iil l'jilc (les Ai'ls clrcdl'lll ll's
Naïade sur un dauphin, d'après Blondcl.
CHAPITRE HUITIEME
La Troisième République
(de 1889 à 1891)
L'Exposition Universelle de 1889. — Les Maîtres Orfèvres à la fin
du dix-neuvième siècle : André Aueoe, Armand-Calliat, G. Boin,
Brateau, Cardeilhac, Christolïe, Debaiii, Falize, Fannière, E. Fro-
ment-Meurice, Poussielgue, G. Odiot.
EsuRiiu l'espace parcouru depuis le commencement
du dix-neuvième siècle en faisant la revue de
tous les arts qui transforment la matière, relier,
chapitre par chapitre, le gros livre des Expo-
sitions Universelles, tel était le programme que
l'Union Centrale allait tenter de réaliser dans les
trois expositions qui devaient se succéder après
l'Exposition des Arts dn Métal.
C'est ainsi que dans les expositions des industries d'art moderne, auxquelles
étaient annexées des expositions rétrospectives correspondantes, les industriels,
— 2U) —
les artistes, le public, furent appelés à exaiDiiier-, étudier et aduiirer les lucr-
veilles des Arts du Bois et de la Pierre; des Arts du Papier; du Tissu et de
l'Ameublement; les Ai'ts du Feu: la Terre et le Verre.
L'Union Centrale préparait ainsi nos industries à soutenir dignement le renom
de la France, dans les arts du décor à l'Exposition qui allait s'ouvrir en 1889,
pour commémorer une date qui avait ouvert au monde de nouveaux horizons.
L'art de l'orfèvre y brilla d'une façon incomparable. La Direction de l'Exposition
avait donné aux orfèvres une place d'honneur au centre du Palais; on trouvait
dans la grande nef, à droite, l'exposition des orfèvres, à gauche, celle des bijou-
tiers, faisant pendant à celle des orfèvres. Ils étaient là, placés en tête des autres
métiers, occupant, dans cette magnifique revue du travail, le premier rang comme
autrefois, au temps des rois, dans les cérémonies publiques. Dans un cadre superbe,
M. Lorain, l'habile architecte de la classe de l'Orfèvrerie, avait édifié une série de
salons ingénieusement décorés, où chaque exposant avait pu présenter ses pro-
duits d'une manière attrayante. Une grande porte monumentale, qui s'ouvrait sur
la nef principale, donnait accès dans la galerie, rappelant par sa décoration les
matières précieuses et les procédés si variés qui la mettaient en œuvre. Dans une
niche, un grand vase en bronze argenté se détachait sur une drapei-ie bleue et
or. On ne pouvait mieux faire.
Si les bâtiments qu'on élève dans les expositions sont destinés à disparailre,
ne laissant qu'un souvenir éphémère dans l'esprit de ceux qui les ont visités, il
n'en est pas de môme des œuvres qu'ils ont abritées, surtout lorsqu'elles ont été
décrites, discutées et commentées dans un rapport comme celui (jue Lucien Falize
rédigea à la suite de 1889.
Ce rapport, un des plus l'cmai'quables qui ait été écrit sur l'orfèvrerie française
à la fin du dix-neuvième siècle, restera comme le témoignage le plus éloquent de
la vitalité d'iuie industrie toujours au premier rang. Nous ne saurions mieux
faire, piiiir en tracer un lablean (idèle, f[ue de lui en empi'unter les parties les
plus sailliiiiles (pii raviveront les souvenii's de ceux (|ni auraient pu l'oublier. En
c(!la, nous croyons rendre un hounnagc; à un homme que nous avons bcaucou|)
connu, que nous avons ainu', (l(»nt les goùls se rapprochaient des n(M.res, doni les
as|)iratioiis vers l arl ('■laient h's uièuH's, (^t (pii, dans les (jonseils de l'Union
Cenli-aie, soiilcnail avec nous le bon (;ond)at |)our \c perfectionnenuMit de nos
i ii'hi'-l ries.
I> 1)1 iliii.ni'e. les rapporis (|ii'on l'ail après inie [Exposition dorment dans une
obx-Niih' iHdliiiiile. il esl bon d'en reeiieillii' les ('lénuwd.s et d'en i'('('diter les
doeuMii'iil ~ lU conI leiiiieiil el les observations judicieuses d'un maiire (|ui
roiniail Im ii h -, ressoinci -, de son nn'tier, el sait en parler en arliste et en lettre.
C'''st ee (|ne nous allons taire.
l'ji IVani e. l'oiTe\ l'erie i o n 1 1 n I i;M 1 1 nne hadition ininterrompue (pii va des
— 217 —
premiers temps de noire hisLoirc jusqu'à nos jours, et qui s'est relevée si rapi-
dement des entraves apportées dans sa marche par la crise révolulionnaire, a
gagné au dix-neuvième siècle, en force, en science, en confiance, ce qu'on aurait
pu croire qu'elle avait perdu dans ces temps troublés, parce qu'elle a su garder
des adeptes fidèles, se perpétuant dans les mêmes familles et s'attachant à main-
tenir la dynastie des maîtres qui l'avaient
illustrée.
« L'orfèvrerie est un art noble, une
industrie riche et puissante, un com-
merce florissant qui, malgré la diffusion
des fortunes, s'étend, s'épanouit et se
développe avec les ressources de la
science, en apporlant les jouissances
du luxe dans toutes les classes de la
société, constituant à la fois un bien-
êlre et une épargne. » C'est ainsi que
s'exprimait Lucien Falize; nous aimons
h le répéter avec lui, et nous conti-
nuerons à le suivre dans le tableau que
nous allons dresser, de l'orfèvrerie fran-
çaise en 1889.
« L'orfèvrerie religieuse tient au sol
de la France, dit-il, comme la tlore de
pierre qui s'épanouit sur les murs de
nos cathédrales. Elle est une émana-
tion directe de l'architecture qui, dès
le douzième siècle, fait de l'art fran-
çais un modèle achevé de grâce et de
force. » Puis, rappelant les transforma-
tions qu'elle a subies depuis les ate-
liers d'orfèvres travaillant à l'ombre
des cloîtres, jusqu'à ceux qui, des bords de la Meuse aux montagnes du Limousin,
propageaient les œuvres françaises, il constatait que si l'Italie et l'Allemagne
avaient des ateliers fameux, si elles possédaient des artistes éminents, elles su-
bissaient cependant la mode de France.
L'Eglise resta longtemps fidèle au style gothique et ne céda plus tard
à des influences nouvelles qu'à l'aube de la Renaissance, pour trouver d'autres
formules restées bien françaises. Richelieu avec Rallin, puis Louis XIV avec
Germain, Louis XV avec Meissonnier, se conformèrent au goût qui s'imposait aux
dix-septième et dix-huitième siècles, comme sous l'Empire, Biennais, Odiot et
Ostensoir compose par Corroyer.
(Orfèvrerie de Po}issiel(jtie.)
- -ils —
Cahier se plièrent au goût dominant, de l'époque; il faut allcndrc le milieu du
dix-neuvième siècle pour la voir retrouver, sous la savante direction des architectes
diocésains, la tradition longtemps perdue, et refaire le mobilier des églises en
rapport avec les murailles de l'édifice.
Nous retrouvons, en 1889, Poussielgue, toujours vaillant, toujours à la têlc de
son industrie; nous avons dit déjà comment il s'était formé au contact des
archéologues en possession de l'art chrétien, le P. Martin, Dusommerard, Didron,
le R. P. Cahier; nous avons dit de quel secours avaient été pour lui des architectes
éminents comme VioUet-le-Duc, Questel, Boeswilwald, Ballu, Corroyer, et les
œuvres de haute tenue dont il avait meublé les églises dans le monde chrétien,
sous leur direction.
En façade sur la grande nef, son exposition se développait en retour
dans la galerie des orfèvres, et le nombre de vases sacrés, d'encensoirs,
de reliquaires, de crosses, de lampes, de chandeliers harmonieusement disposés
sur les estrades, témoignait de son goût et de la recherche apportée à leur
exécution.
L'ostensoir monumental de Notre-Dame des Brébières, dont l'architecte Du-
thoit avait fait le dessin, et le sculpteur Delaplanche modelé la figure La Vierge
aux Brebis, était une pièce de grande dimension et d'un puissant effet décoratif.
Tout autre était l'ostensoir dont Corroyer avait composé la forme, et dont les
lignes s'arrangeaient ingénieusement sur un profil bien accusé. 11 y avait aussi
de bonnes copies classiques, comme le calice de saint Remi de Reims, le calice
du Trésor d'Oignies, et le joli calice du quinzième siècle que garde le Trésor
d'-Aix-la-Chapelle. Mais la pièce capitale de son exposition était le grand autel de
l)ronzc doré de l'église de Saint-Ouen de Rouen, inspiré du quatorzième siècle,
comme la flèche de l'église; de grande dimension, \\ avait 11 mètres de hauteur,
l'ordonnance en était belle, les lignes pures, la silhouette légère, hardie. C'est
d'après l(!s dessins de l'architecte du gouvernement, M. Sauvageot, ([u'il avait
clé (•x(''cnlé. (a' n'était pas un pastiche d'uiu' ceuvre anciemie, mais une inspi-
i;ili(»ii de fart du (piatorzit'ine siècle (pii s'harmonisait, avec rarchiteclui'c du
nioniMn(înt vX gardait raspcci religieux.
Tout aulr(^ ('-lait l'iixposilion d'Armand-Callial . Ce ne sont pas les grands
cnscinitii's (pi'il aH'cciionnc ; amoureux du (h'tail, il se complail, aux délicatesses
(le l:i loi iiic. (je la cisclnic cl, (le r(''niail. Il travaille pour le regard du prêtre (pii
lii'iil i ri iriains les ohjels dn culte, ci, c(innue tui Irc'sor, les coutie à la garde des
\ il riiic^ de la SacrisI ic.
\inulireuscs ('laicnl les pièces (h^ pelile dinu'usion (pii nu)ulraienl la maîtrise
di' l'itrCevri' (h'lical (pM'Iail .'\rman<l-Callial ; il s'inspire des doguu's du callioli-
ci^iiii' cl Iradiiil ^cs croyances cl ses h'gendes avec la loi d'nn clir(''lien et l'àme
d iMi poi'lc. liicii (le plus piuTail que la cliapelle (pi'il a e\(''cill l'C poiU' Mgr (loidlie-
Ostensoir monuiiicutal de Notrc-Dahic des Brcbières, ù Albert (Sumnie).
{ArchUecle, Dulhoil. — Sculpture de Deliiplanche.)
[Orfèvrerie de Poussielgue.)
Aulcl en brou/,e dore de Sainl-Ouen de Rouen.
(Archilecle, Sinivnueol. - UrfèL-rcrie de Poussielgi
- ±2:\ —
Soulaid, archevêque d'Aix, comme le reliquaire de saint Bernard de Menthon
qui, pour n'être qu'une restitution archéologique, n'en est pas moins l'œuvre
d'un orfèvre de notre temps.
Son goût, ses idées, devaient se rencontrer avec celles de Charles Lameire,
le peintre qui avait exposé en 1867 les cartons d'une peinture décorative, le
CatJiolicon, qui l'avait frappé. Il avait exécuté, d'après la composition du peintre.
A. AUMAND-CALIJAT
( 1822-1 t)Ol).
le ciborium qu'il avait rêvé : debout sur quatre colonnes de marbre, quatre anges
aux ailes déployées, constellées d'émaux et de gemmes, devaient tenir un voile
qui, gonflé comme une coupole azurée, aurait abrité l'autel et le Saint des Saints.
Réduit par l'orfèvie aux dimensions d'un reliquaire ou d'une monstrance, il
résumait toute la technique de l'artiste. Offert, en 1888, au pape Léon XIII, à
l'occasion de son Jubilé, puis donné par lui à la basilique de Montmartre, il est
aujourd'hui à Paris.
Mais, la pièce la plus importante de l'exposition d'Armand-Calliat, était le reli-
quaire que Mgr Lavigerie lui avait comtnandé pour la cathédrale de Carthage où
repose le cœur de Suint Louis. L"or-
lèvre a été bien inspiré; il a emprunté
à la Sainte-Chapelle sa forme absolu-
ment exacte, et reproduit l'œuvre déli-
cate, le véritable bijou d'orfèvre que fit
Pierre de Montereau, et dont la tlèche
élégante s'élance à Paris au-dessus du
Palais do Justice, dans une superbe en-
volée; c'est le reliquaire où reposera
le cœur du saint roi. Il est d'or et
d'émail et s'élève vers le ciel comme
une apparition; deux anges agenouillés
Croix pruccssionncllc de M^i' (îoiillic-Sdiilaid.
{Orj errer ie d'A riiiiiiul-(Uilli;il .)
le |ioil<'nl sur leurs bras tendus; ils sont
l)e;iii\ (•(iiiiiiie des reninx'S, noliles comnu!
(les prciix, loris coiiiine des in-ros, ces
angr's grandes iiili's, re\è(iis de l'ar-
iiiiiri' des crdisi's, el qui lieiiueiil en
iti;iins le scepire cl hi ('(iiiroiiiie d épines.
(]r ipii ressorlilil i\r celle e \ p( )si I ioU ,
(•"('•l.iil nue '-()iipl<"-^c (l in \ cnl iiiM . inie l'a-
cilile ;i lr;i(|inre l:i )irnM'e direl ieniie, une
illfiénin-ili' ;i niudiliii' les llicnies vieillis el
('.l'iissc ili" Mn'i' ('miuIIii' Sdiiliii'il.
[Itifi'rrrrir il' \rni:iiiil Cnlli;!!.)
le iMniai'e ;i leiil oser connue
22o
Chapelle de M;;r riuulliL'-SdLilai'd.
[Orj'èrrcric il' A riiin nd-'',:i lli:tl .
Reliquaire du cœur tic saint Louis, à Carthagc.
i Orfèvrerie d'. 1 rin:i n d-C;i I . )
— 229 —
forme et comme couleur. Armand-Calliat a été un novateur en orfèvrerie ;
peut-être s'est-il fait, sans le chercher, le champion de ce style nouveau que
l'on réclame, au moins l'a-t-il fait avec sagesse et un goût bien personnel.
Ciboriuni oll'erl à Sa SaiiUeLc Léon XllI.
(Modèle de Cli. Lumeire. — Orfèvrerie d'Armnnd-C/illinl.)
Le rapport citait encore MM. TriouUier frères qui, s'ils n'avaient pas l'univer-
selle renommée de Poussielgue, ni la précieuse recherche d'Armand-Calliat,
tenaient une place des plus honorables, et présentaient des œuvres de valeur. Ils
exposaient deux autels importants, l'un destiné à Notre-Dame de Rouen, exécuté
comme celui de Poussielgue, sur les dessins de l'architecte Sauvageot ; l'antre,
— iMO —
de style roman, destiné h l'église de Mcrville (Nord), exécuté sur les dessins de
l'architecte, M. Cordonniei'. Tous deux semblaient f)erdus dans la jurande nef;
tout autre doit être l'effet en place dans le demi-jour des cathédrales. Nom-
breuses étaient les châsses, les calices, les crosses, dont les architectes : Lisch,
Balln, Boeswilwald, Viollet-le-Duc, hii avaient donné les dessins et pour l'exé-
cution desquels l'orfèvre
avait montré toute son
expérience du métier.
Beaucoup d'autres or-
fèvres français qui travail-
laient pour l'Eglise au-
raient pu figurer honora-
blement à l'Exposition, et
le rapporteur regrettait
de n'y point trouver les
œuvres de Bachelet, qui
eut son heure de célé-
brité, ni celles de Cher-
tier qui, distrait par l'exé-
cution d'œuvres impor-
tantes, n'avait pu les ter-
miner à temps et n'avait
pas exposé.
Si nous avons parlé de
l'orfèvrerie d'église tout
d'abord, c'est qu'elle te-
nait la première place
alors (|ne la monarchie»
française» comnuMiçait à
se constilucr, et ([u'avanl
d'orner la tahli; du prince,
on cherchait à décoi'er la
maison de Dieu, l/argen-
( '.;iii(l(.|;il,rc I.iHiis W, (l'iipirs McissiHiiiicr,
l'xrcuh'- |iiiiir M. ( îuiislxmrn'.
{(h-frvrcrir d'IUliitl.}
niais elle consliluail en nicmc lenq»s, avec les bijoux
cl le Iri'sor; ;iu jom'd'lnii , clic csl ini besoin, et la
:il ion s'en csl nccrne r;i|)idcnienl .
iieeineiil du siècle, les orfèvres n'apporlaicul pas un convci'l
li'l'ie ci\ ile ('■hol lin lll\(
d ue el les joN.ilIV. r(''|i;ilgll(
coii-^(
An
d';u>'eiil ;i ri'Aposil ion de 1:111 VI ; a l'^xposilioii du (Icnleniiirc, pins de
l\ilo;.'r;iiiiiiics d ;ii7.'ciil ;i\,iieiil pn'scnl/'S an luircau de l;i (laranlie, don
deux liers îiv.'iieiil ('■li' eonxcriis en coiiNcils.
Eli inscrivant le nom d'Odiot en premier, nous ne faisons que rendre hom-
mage à un nom célèlDre. Gustave Odiot est le digne continuateur d'une dynastie
d'orfèvres, il a le droit de prendre part à la fôLe ; c'est son centenaire à lui qu'on
célèbre. Nous avons dit, de Claude et Charles Odiot, la part qu'ils avaient eue au
commencement du siècle dans
la renaissaiu;e de l'art de l'or-
fèvre. Nous allons retrouver
avec le dernier survivant, le
même souci, le même respect
des traditions de cette maison
illustre ; on a pu s'étonner de ne
pas trouver chez elle les mêmes
efforts d'invention qu'on remar-
quait chez les nouveaux venus,
moins riches et plus jeunes,
elle s'attarde à son passé et
s'attache à ses traditions.
C'est que l'immense choix
de ses modèles est une force,
c'est parfois un embarras; mais
comment s'en plaindre lors-
que l'exécution est toujours si
parfaite, et doit-on regretter
l'exemple que donne cette mai-
son et la sagesse dont elle fait
preuve.
Le service qu'Odiot avait
exécuté pour M"" Léopold Gold-
schmidt nous ramène au temps
du premier Empire; c'est la
même rigidité, mais c'est aussi
la même tenue et la même sa-
vante exécution que cette adap-
tation des anciens modèles de
Claude Odiot. Les admirables
candélabres qu'il fit pour M. Gunsburg sont une interprétation d'un dessin de
Meissonnier, et les candélabres de style Louis XVI, à têtes de béliers empreints
des éléments décoratifs de l'époque, sont deux modèles du genre. Toutes ces
pièces avaient été ciselées par Diomède, l'artiste qu'Odiot avait eu l'heureuse
inspiration de s'attacher et qui est resté toute sa vie son collaborateur attitré.
Candélabre île style Louis X\'I.
[Orfèvrerie d'Odiol.)
Parmi les œuvres que cet arliste a exécutées nous ne pouvons laisser passer
inaperçu le joli service à thé, en vermeil de style Louis XVI, f|ui avait été pr(''senté
par Odiot à l'Exposition de 1867 et que nous retrouvions là; il donne la mesure
exacte de la grande habileté que possédait Dioniède à manier le ciselât.
D'Odiot nous citerons encore un joli service à thé, en argent doré de style persan,
dont la forme élégante est un clianne pour les yeux ; une série de pièces d'usage
Service i'i llié I,(iiiis en vermeil, l'i li:is-rt'liers.
[Scii Ijil II rc lie aillicrl. — (Usriiiri' ili' I )ii)iii('(l('.)
lOrfiTi-fi-ii- il'Oilliil.)
de l'iicoii iii(''|ir(icli;ililc, Noila de la r(''a('li()n ('(Hilrc les l'ormcs anglaises (pi'ou
Iriii- i-c|iiitcliail jiidis, et (in ('lail heureux de ce retour des plus francs vers les
soui'ces l'r;incaises.
Oïlidl, iiieiiilire dii jul'y, ('lait hors c(un'onrs. Lncien Fali/e l'était
aussi; r.ipiiorlciir. il cliiil cliarg»' de r(''sinner l'opinion de ses collègues; mais
îdl.iil il, \i:w line ri'servc el une disrrelion de circonslance, passer sous silence
l;i p.'irl ini|iorl;nil I' <pi il a\ ait prise à ri'îx posil ion , el laisser ignorer la place
IioimmmI ili' il (M-( ii|,;iil iuM'ini ses coiirreres. Ses collègiU'S ne l'on! pas voulu.
— —
et ils lui ont. dciiiaiidc de parler en toute IV<ui<-liise ; ils ont eu conliance en son
honnêteté d'orfèvre, et sa bonne foi d'artiste, pour croire qu'il ne serait pas plus
complaisant pour lui que pour d'autres.
C'est donc à lui que nous emprunterons son opinion sur lui-même : « La mai-
» son Falize n'a pas un passé lointain; elle date de 1838, et a été créée par mon
Lucien FALIZli)
(1839-1897).
» père Alexis Falize; il a joué dans son métier un rôle important, y laissant la
» réputation du plus habile dessinateur. En outre, il a contribué, sous l'anonymat
» du fabricant, à la fortune et à la réputation de plusieurs de ses confrères mar-
» chauds. On récompensait plus souvent, alors, l'éditeur que l'auteur véritable,
» mais depuis, les Expositions ont considérablement gagné en sincérité; si
» quelques marchands accrochçnt encore leur enseigne au Champ de Mars,laplu-
» part restent dans leur boutique, et n'osent plus prétendre à des récompenses
» qu'ils n'ont pas méritées.
» Notre atelier n'est pas, à vrai dire, un atelier d'orfèvre; on y fait de fout,
des bijoux, des émaux, des pièces d'art et des joyaux; ce qu'on y fait de
moins, c'est la vaisselle, et nous avons recours, pour les ouvrages de tour et
de marteau, à d'habiles façonniers qui travaillent au dehors comme nos cise-
leurs. C'est pourquoi nous n'avons rien dit de quelques services à tlié, de cafe-
tières arabes et de certains modèles qu'on aurait pu citer. Nous n'indiquons que
pour mémoire la riche garniture de toilette en vermeil que nous avons faite
pour le mariage de la princesse La:;titia, et le grand plateau d'argent à bordure
de céleri qu'a acquis le Musée des Arts décoratifs.
» Nous indiquerons plus volontiers quelques pièces de surtout (|ui ont toutes
Corbeille de table : Flore et Zéphyr, à bas-reliers.
{Coniposilion de Chédeville . — Orfèvrerie de !.. Fulize.)
lin cai'actèi'C! bien (iétenniné. La table offre à l'orfèvre un cliannant prétexte à
(h'^loycr toutes les ressources de son art. Il faut éviter les lourdes et solennelles
aicliilci liircs oii des (igiiiH^s s'étagent en des éipiilibres imprévus, ou fontd'iin-
|)()s;iii(cs pyramides, il faiil cliei'cher du pittoresque. Si la ligure liiiinaine se
mêle aux fruits, aux lleurs, aux cristaux, aux lumières, ce doil être |)ar une
fanlaisie sj)iritiielle (il, vivaiilc, connue si des génies familiers prenaient corps
pour descendre an mili(îu du repas, et animer la fête.
» Ainsi a voiis-iioiis essa_y('' île faire pour la corlieille à Meurs ipie nous avait
i (iiiiiii;iM(lee ,M.(iiislave iN'i'eire. (l'esl une vasipie ovale ornée de ciselure et de
has-reliels lloiciiliiis; sur le bord du bassin, une svelte ligure de femme est
assise ; e'esl r'lore;elle semble iispirei' le |)aiTmn des plantes, tandis (pie glis-
sant d'un \ol l(';^(!r, Z(''pli\r vient vers elle la caresser d'un souille, ('/('lait ('Jm'-
(IcmIIc ;i\;iil poi'-l iipieiiieiil rendu la scène (pi'Ovidea (h'erite.
» CosI iiii lln iiic ^('lieiix ipie lions ;i\i(ms doiiiK' à M. M. Uarrias, (piaiid
iiuii^ r~| |;i i'iiiiiiii.'iikIc irmi siii'Ioiil (le lalile [loiir lin inailic de forge.
235
N" 3.
N" 1. — Prix de course de Chaulilly : La Seine el l'Oise. — [Modèle île l>:irri;is.)
N" a. — Jardinière : La Furj^c. — (Modèle de Biirriim.)
N" 3. — Prix de course : Corbeille de table.
[Orfèvreries de L. Falize.)
ïcstiiiiouial olVerl ,à rarcliitcctc K. Coiroycr
Modèle d'Aimé Millul. — Orfivrerie de L. Fuli
J.n (ialliii.
{^eulpLure chrysélé,jh»aUne.)
— 241 —
» Nous avons enlacé des branches de chêne et d'olivier autour de la vasque d'ar-
» gent, et nous avons assis sur les bords un forgeron de la Loire, trapu, robuste,
» sorte de cyclope moderne, ayant à ses pieds la roue qui court sur les rails de
» fer; de l'autre côté, la Fortune, nue, gracieuse, que des enfants retiennent
» captive, tandis qu'un autre enfant lui dérobe la roue sur laquelle elle pose son
» pied fin. Mais les figures d'argent ne sont pas toujours faites pour la nappe d'un
» festin. Barrias nous a modelé une Psyc/té qiù a été donnée en prix par le Jockey-
Prix de course de yachts : Baromètre en arycnt et email.
[Orfèvrerie de L. Falize.)
» Club en 1881, et Deioye a fait la jolie statuette du Page qu'a gagnée, deux ans
» avant, le cheval de M. Maurice Ephrussi. Pour un architecte de nos amis, nous
» avons exécuté en argent, en or, en jaspe et en lapis, le testimonial dont Aimé
» Millet avait sculpté le modèle. Une femme suspend à l'autel de Minerve l'équerre
» et le compas. Cette figure est une des plus jolies ([u'ait conçues l'auteur de
)> ï Ariane et du Vercingétorix.
» Les seuls thèmes qu'on propose à l'orfèvre sont des pi'ix de courses et de
» régates. 11 devient assez difficile de renouveler ces modèles. Nous avons, pour
» notre part, essayé de symboliser par la sculpture et l'émail peint, la Pluie et le
» Beau Temps, dans un baromètre d'argent offert en prix aux Régates de Nice.
» Pour la Société des Steeple-Chase, nous avons composé un grand cartel d'ar-
— -li:! —
» geiit de style Louis XIV, dont Quiuton a modelé le sujel : /c Jour et la Nuit.
» C'est à Barrias que nous avons demandé les deux figures qui décorent la grande
» jardinière que le baron G. de Rothschild nous avait commandée pour le Jockey-
') Club. Nous avons voulu qu'il y représentât la Seine et l'Oise. Les figures en
» haut-relief s'enlèvent sur des fonds où sont sculptés en arrière-plan les paysages
» de Longchamps et de Chantilly, pour symboliser les champs de courses favoris
» des sportmen français. »
L. Falize cite encore d'autres pièces exécutées pour des amateurs étrangers :
deux horloges faites comme des bijoux, l'une pour Lady Scott, l'autre pour
M. Alf. Morrisson, oîi l'or, l'émail et l'ivoire tenaient la plus grande place. Nous
ne nous attarderons pas à les décrire, et nous voulons arriver à la maîtresse pièce
de son Exposition à laquelle l'ivoire, les montures d'orfèvrerie, les damasquines,
les ciselures et les chaudes colorations des patines, donnent un accent très per-
sonnel. C'est la Gallia dont on a tant parlé, pendant et après l'Exposition. « C'est
» dans notre atelier que s'est faite entièrement l'exécution de la Gallia. et notre
» principal collaborateur, c'est l'artiste qui a modelé la tigure et taillé l'ivoire
» avec tant de bonheur, M. Moreau-Vauthier. Ce bloc d'ivoire phénoménal était
» déjà précieux par sa rareté et ses dimensions, avant de devenir l'admii-able
» niorceau de sculpture qui nous avait séduits, et que nous avons voulu habiller
» d'or; nous avons obéi à un sentiment tout personnel en faisant de cette guer-
» rièrc un peu triste et dédaigneuse, mais fière, résolue, indomptable, une Gallia.
» Nous l'avons voulue telle qu'elle est, avec le casque et la cuirasse, avec les
» nuances assourdies de l'or, les damasquines du fer, le cuivre rougi, les mailles
» d'argent, et le public nous a donné raison. Ce buste d'orfèvrerie a produit une
» impression très profonde sur ceux qui l'ont vu; c'était l'ixHivre la plus osée, le
« morceau le plus décoratif, et nous avons senti vibrer si réellement l'àme de la
» foule, ([uc nous avons refusé l'offre d'un étranger; nous étions prêts à céder à
» l'Etal la Gallia républicaine, on la voulait au Louvre, à l'hjlysée; IVançaise, on la
» v(Hilail a Chantilly. Llle est rtîstée dans noire atelier, n'ayant |)as voulu changer
» son nom [tour synd)olis('r une autr(^ nation que la Krance. Ce buste marcpie un
" rcloiir a la sculpl lU'c chi-yséléphanline, au mélange de l'ivoire et des métaux pré-
n cieux, connue Simarl l'avait essay(' pour le duc de Luyn(^s avec Duponchel. (ki
" n'est pas seiilcnicnl l ivoirc (pii s'allie au nu'lal, c'est la pierre dure, ce sont les
M ;.'i'iinnes, cl le l;i|)i(|;i)re esl un de nos plus uliles ouvriers, » t'ali/.e avait bien fait
uralhinlir ; ri;i;il Ira mai s Ta aeliel ('■(• en IS!»2 ; elle est aujolU'd'hui au Luxendxiurg.
l/eiiiail alinail l'ali/e, ses (•Indes dans les nuis('es d'Europe lui avaient r(''V('l(''
loiiles II' , ic ,-oiiires de ccl ;ii l eliamiaul, et il a\ail monlri', en ISS!), le parli
rpie son pont et son liJiliilele en avaient Wvv.
hanv un \as(', Siis^anide icssuseilani l'art assyrien )>, il avait introduit tous
les proc(''d(''s lie i cnMil reni;iil cloisonni', l'email elianq>lev('', l'(''mail à taille
21:!
— ^45 —
d'épargne, l'émail translucide sur relief, et l'émail à jour. Il ne mit pas moins de
trois ans à faire ce chef-d'œuvre pour lequel la collaboration de Hirtz et Pye,
Tourrette et Routhier, lui avait fourni un précieux concours.
L'émail translucide sur relief avait ses préférences, et Falize s'était attaché à en
montrer toutes les ressources dans ces grandes plaques d'or reproduites d'après
les tapisseries de Sens, et l'émail commandé pour le Musée de Saint-Pétersbourg.
« J'ai pris au Louvre ma première leçon, sous la direction de M. Barbet de
» Jouy. J'ai vu les émaux de Londres, ceux d'Aix-la-Chapelle, ceux d'Orvieto,
» ceux de Lisbonne et de Munich, les pièces si admirables de sir Richard Wallace,
» de Spitzer, du baron A. de Rothschild, et enfin, la fameuse coupe du baron
» Pichon. C'est par l'étude comparée de tous ces émaux célèbres que j'ai cru avoir
» rendu à l'orfèvrerie française un procédé d'émail perdu depuis (rois cents ans,
» et qui avait fait sa gloire la plus incontestée. »
Les émaux de basse-taille, exposés par Falize, avaient impressionné les
membres de la Commission d'achat du Musée des Arts décoratifs, et leur avaient
fait regretter de ne pouvoir en faire figurer un spécimen dans les vitrines du
Musée. Sur la proposition de l'un d'eux, M. Edmond Taigny, homme d'un goût
délicat, la Commission décida de commander à Falize une pièce qui rappelât le
souvenir de ses tentatives et de leur réussite. L'exécution du gobelet d'or fut
décidée, et il figure aujourd'hui, dans sa splendeur étincelante, dans une vitrine
spéciale dont l'exécution a été confiée à ses fils.
Falize citait ensuite tous les collaborateurs dont il avait apprécié le concours
et utilisé les talents, et terminait ainsi la notice de ses travaux :
« Trente ans de pratique nous ont mis en rapport avec nos ouvriers et nos
» artistes; nous savons les nuances qui spécialisent le talent de chacun, et le
» secret de l'harmonie d'une œuvre est souvent dans l'emploi raisonné des mains
» qui y participent. Combien de dessins et de modèles sont compromis par
» l'ouvrier, que de projets charmants ont été mal exécutés! 11 faut donc une
» surveillance incessante, un soin du détail, une direclion ininterrompue; l'or-
» fèvre doit inventer et conduire, il ne doit pas s'absenter, il faut ((u'il garde la
» responsabilité de son travail, surtout s'il s'agit des œuvres d'art dont nous par-
n Ions; un oubli, une négligence peuvent tout perdre. Quelque excellent que
» soit le contremaître, un patron vraiment soucieux de sa réputation et aimant
» son métier, n'abdique jamais. Il doit vivre entre son atelier et sa boutique,
» dessinant, étudiant le goût de sa clientèle, et suivant à l'atelier les phases pro-
» gressives de son travail. C'est ainsi que mon père m'a appris à faire, et c'est
» ainsi que font tous ceux de mes confrères qui méritent d'être loués. » Et nous
ajouterons : c'est ainsi que Falize a conquis cette maîtrise, et maintenu des tradi-
tions qui ont fait de lui un des maîtres de l'orfèvrerie d'art en France, à la fin du
dix-neuvième siècle.
iO
— 246 —
Après avoir parlé des deux exposants liors concours comme membres du Jury,
nous allons passer en revue ceux auxquels avaient été attribuées les récompenses :
quatre grands prix furent décernés à MM. Christofle eï C'" ; Emile Fhoment-Meuiuce,
FanniIsre FUÈiîEs ct Boin-Tabureï.
« C'est dans l'orfèvrerie d'imitation qu'on a coutume de trouver le nom de
» Christolle, il est même devenu entre leurs mains l'appellation de l'orfèvrerie
» argentée qu'ils fabriquent. Mais MM. Christolle ont droit, par quelques œuvres
» de leurs produits, de figurer parmi les orfèvres, les argentiers et les maîtres
» qui ont leur poinçon à la Monnaie! Quand on entrait dans la galerie des or-
» fèvres, on trouvait au centre la magnifique exposition de Christofle; elle y oc-
SiiupiiM'o Louis X\', on arjjonl.
{Modèle de Joindi/. — Oi-fvi'reriv de Clirislolle.)
» cupait la \>U\cc la pbis considérable, par nu vaste étalage de vaisselle et d'objets
» (h'-coratiCs. Au milieu et en avant des aulres pièces, était une table à deux
» étages, en bronze (l()r(', siq)p()rl;uit lui service à thé en argent re|)Oussé. ('/était
.1 le service du //rr (/c/or/,- (|iii a droil, aux honneurs du salon, el, pour (|U(> le (ont
» fui an goùl (lu jour, la lable conune le samovar, comme la théière et les lasses,
/> loul ('lait (le styh' Louis W; Louis XV aussi, le grand service de table, l'œuvre
» la plus (•ousi(l('rable cl la phis imporlantc ([u'ait exposée Christofle. La grande
'< soupière o\ale, sur ini plalcaii dont la nHuilnr(^ (>mprunt(''c à la branche du
)) e(':lci i, aii\ cnU-s fermes cl pnissanics, lui donnai! nue origiualit('' vrainuMit noii-
" I, velle. La forme L(»iiis W, ou c(»urcnl en spires (''l(''gaulcs de larges cannelures,
('lai! eiiipiunii'e a ini dessin sans signalure, conservé à la liibliothè(pie Na-
n lionale, (pn a\ail servi de llieme a loides les pièces (pii composaient ce service,
» gii"indolcs a si\ Mnincres, plais, casseroles, sanci(''res, carafes à vin, corbeilles
» h pain, saladier, linilier ci salières. Mais, nialgr(' cette lendaiice Louis W, il y
avail d'aiilres essais iub'ressanls, car la maison Chrislollc professe l'(''clecl ismc
247
— 249 —
en orfèvrerie. C'est là qu'a ileuri
le japoiiisme en France; et le ser-
vice à thé décoré de fleurs de chry-
santhèmes, sans avoir la fantaisie
et la variété qn'on trouve au Japon,
était une œuvre charmante. Plus
original était le service à café qu'a
modelé Chéret, et qui, bien qu'em-
prunté au goût Louis XVI, garde
une allure très moderne; la cise-
lure exécutée, au repoussé par
Doussany, en est remarquable. De
Chéret aussi, un autre service in-
spiré de la Renaissance, qui est
une des œuvres les plus exquises
que je sache. Un autre service au
décor trop osé de Carrier-Bel-
leuse, qui a posé des femmes sur
la cafetière et la théière, tour-
mentant leurs corps nus pour en
faire des anses ; mais le service
à café le plus original était celui
qu'avait modelé Levillain. On y
retrouvait un souvenir de ces or-
fèvreries romaines du quatrième
siècle dont Levillain s'inspirait;
avec des athlètes et des léopards,
il a composé tout un système de dé-
coration qui fait une broderie ori-
ginale et délicieuse. C'est comme
une arabesque en doux relief qui
s'estompe dans un or paie. C'est
bien du Levillain; c'est son style
délicat dont il a laissé l'écriture
dans les bronzes qu'il a composés
pour Barbedienne, et dont nous
retrouvons la trace à l'Exposition,
dans les lampes de Gagneau et sur
les meubles de Damon. »
» Nous venons d'apprécier l'im-
Sorvicc à cale Renaissance eu aryenl.
iModèle de Cliérel. — Urfc-crcrie de Chrinlolh'. j
portance de la maison Clu'istofle dans son opulente argenterie; et laissant de
côté, pour le moment, son rôle dans l'orfèvrei'ie argentée et la faljrication des
» objets d'usage, dans laquelle elle est
» passée maître, il nous reste à dire son rôle
» dans l'orfèvrerie d'art.
» C'est d'abord V AmpJiitrite. Mercié l'avait
» modelée en 1878 pour le grand surtout du
» duc de Santonia; elle était alors fondue en
» argent et ciselée. Elle est d'ivoire cette
» fois-ci, et c'est Scalliet, un des bons élèves
» de Moreau-Vauthier, qui l'a sculptée. Une
» draperie d'or tin envolée ajoute sa note
» chaude à l'ivoire pâle, la déesse tient à la
» main une branche de corail rose; elle a des
» perles à sa ceinture et à ses pieds. Ces ma-
» tières précieuses ont une harmonie bien
» délicate. »
» Déjà, après 1878, MM. Christofle avaient
» exécuté le testimonial qui fut offert à
» M. Dietz-Monnin. C'est une Minerve, non
» plus la déesse connue, mais la Minerve la-
» borieuse; elle n'a gardé de ses attributs an-
» ciens que le rameau d'olivier qu'elle offre
» comme un gage de paix. M. Delaplanclie
» avait été bien inspiré en composant cette
>» figure qu'il a baptisée Pax et Labor. Deux
» enfants s'appuient sur le socle, et tiennent
» ouvert le plan de l'Exposition de 1878.
» C'est également à Dietz-Monnin que fut
)) offert le tcsiimonial de l'Kxposition d'Ani-
» sterdam en 1883. C/cst un grand vase dé--
» (lié aux Arts, modelé par Cai-i-ier-lJcllcusc.
» La l'ornu! en csl, belle, les colorations d'or,
» d'argent et de cuivre rappellent les copies
» faites CM <'c genre p(»in- le vase d'Anacréon
» (l'Plinilc Ucibci-, (|ui ligurail, à Viennes en
" IS7.'i. D(!U\ prix de course coinmaiHh'S par
Il l'rini (MUps, ('taiciit exposes en IS(S!). l/iiii
l,Mi„li-lr ,lr In ilhmi.
'Ir ClirrJnll
le .|()r|\c\ -( ho
course
syinli<)li^;iil |;i Vicloii e el ;i|i|iai lient nu haroii de liotliscliild , l'autre a ('le'
(/iigic |i;ir I l'i iii ie Scliirlvler. C'csl iMic i'.('licic,usc li.viirc (|iii, dans un mouvez-
Aiiipliitrito, slalucllc eu ivoiro, drapce d'or, sui' socle ui'j;fiil.
ilèle il'Aitloiiiii Mvrcié. — i'c h re de ScaUiel. — Urfèereria de Clirisloflc.)
Pax cl^Labor Testiniouiul ollert en 1878 à M. Dietz-Momiiu.
(Modèle de Deliiplunclie . — Orfèn-erie de Chrislofle.)
Le \'iiso clos Arts.
{Moilùlc de Cnrrivr-JJvlleuse. — ExdcuLii ij;ir ChrisUtjii:. en /lS'<S'.<
Prix du Jockey-Cliilj : " La Course ».
(Modèle d'Anlvnin Mercié. — Orfèvrerie de Clirislojle.)
*
— 259 —
» ment élégant, symbolise la Jeunesse, et
» c'est Anlonin Mercié qui en est l'aiiteui".
» Ces pièces sont uniques ; ce sont des œuvres
» originales dont les pLàtres ont été brisés
» après la fonte.
» A la précédente Exposition, on avait pu
» constater le penchant que montrait cette
)) maison pour l'émail; elle semble se désinté-
» resser de ce mode de décoration, car, dans
» les cloisonnés qu'elle expose, nous retrou-
» vous des pièces que nous avons déjà vues.
» Ce n'est pas certainement le goût de l'or-
)> fèvre qui s'est modifié; c'est parce que sa
» clientèle ne le suivait pas dans ses préfé-
» rences, qu'il a abandonné l'émail. Quel que
» soit l'avenir de ce mode de décor, il ne
» faudra pas oublier que c'est à MM. Christofle
» et Bouilhet qu'appartiennent les premiers
» essais de coloration de l'orfèvrerie par l'é-
» mail, par l'incrustation galvanique, par les
» patines métalliques; ils datent de 1867.
» C'est immédiatement après qu'ils ont, eux
» les premiers parmi les orfèvres, osé adopter
» la formule japonaise. Si d'autres l'ont co-
» piée, bien ou mal, ce n'est qu'ensuite.
» Un grand goût, un souci constant d'in-
» nover, une recherche des besoins modernes,
» un accord du métier et de l'art, telles sont
» les préoccupations de MM. Christofle et
» Bouilhet; ils ont fait pour leur industrie
» beaucoup plus que d'autres de qui on pou-
» vait tout attendre et qui ont trompé l'impa-
» tieuce du public. On est surpris de trouver
» (ant d'art dans une usine.
Moins que ses confrères, M. Emile *Fro-
ment-Meurice a sacrifié au style Louis XV et
ne cherche à innover. Si les fils gardent quel-
que chose de ce qu'ils ont vu dans leur en-
fance, si Odiot se souvient des préférences
paternelles pour les réminiscences de l'antique
Service à cale en iu'fjciit.
(Modèle de Cnri iev-Iielleiise.
Orfèvrerie de Christofle.)
- inu —
de Percier et Fontaine, pour le style de TEmpu-e ou pour les iiivenlions anglaises,
celui-ci a été bercé dans l'amour de la Renaissance.
Voilà trente-cinq ans que D. Froment-Meurice est mort; son fils était bien
jeune alors, mais il a eu depuis à subir les caprices de la mode, et il a pu oublier
les préférences de sa jeunesse première. Aussi, avec son goût fin et précieux,
nous olTre-t-il comme type de ce qu'il aime, un surtout sobre et élégant, quoiqu'un
peu froid dans sa simplicité. C'est Le Chevalier-Clievignard qui l'a dessiné, et
Moreau-Vauthier qui en a modelé les figures. Elles sont plus aimables que
l'ornementation; celle-ci est sévère et
n'a pas de la Renaissance française l'ir-
résistible séduction; puis un service de
vermeil de style Louis XV qui est là
pour démontrer que l'orfèvre artiste
est aussi un marchand orfèvre, et s'en-
tend aux affaires comme il convient.
Dans l'orfèvrerie d'art, il tenait aussi
une place enviée ; lui aussi, comme
Christofle dans V Amphitrite de Mercié,
comme Falize dans la Gallia de Moreau-
Vauthier, avait marié l'ivoire au métal.
La figure de Fm Fortuné mi-partie en
ivoire, mi-partie en vermeil, dont il avait
demandé le modèle à Delaplanche, a de
la jeunesse, un grand charme, et l'opu-
lence du décor. Ces qualités ont séduit
un Américain c[ui l'a ravie à la France.
Vms<. en v, r,r ,os.. .rKinih' Ciiir. L<i maîtressc piôcc (le son exposi-
'\\\i)n{uvc iMiiis w. p.-ir E. Fninu-ii i-Mi-iirirc.) tiou était uiic douvrc dc grande dimen-
sion, d'une audace peu commune. C'est
le vasr' d'argent qui a été exéculé d'après les dessins de Sédille. C'est un caprice
rdviil qui rappelle les fast(;s de V(M'sailles; quel est donc le î^ouis XIV (jui peut
cinoir iiiciilih !• son i)alais dc caissc's à orangers fondues en argent. Ou l'a trouvé
après rFxpiisiiioii, cl , lors de la visite du czar Nicolas II en I8!)(), le (louvcrnement
rr;iiir;iis ;i en riirurciisc pciis^'c (le le lui oll'rir en souvenir de son voyag(> en
traiicc. (le iiia;j iiili(pi(' sp(''ciiii('ii de l'art IVancais fera honiu^ ligure au palais de
(i.ilf liiii.i, ;i (•((((• (1rs (irl'cN rcrics fie (Ici'main (|iie possède la cour de Uussie.
TmiiI lin, l(»ul nii;.Mmn, loiit coiiiiel semble, auprès de ce vase colossal, le petit
vave de crislal l'ondii el gravi- par Calh', (|ue M. l'^roment-lVleurice a moult' en
\ei iiicil ; (•'(•>«( lin verre l'ose e\(piis (le l'ornie el de (•(MileiH'. li'artisie l a endirassi'^
<l lin liiMf.iii de s(y|e Loilis \V, si jnsle (le pnqiori ions, si simple d'ornemenls.
261
I.a Fortune, par Dclaplaiichc.
{Sciilplure en ivoire drnpée d'or, socle dessiné par Sédille.
Orfèvrerie de Fromenl-Meurice.)
205
Grand vase, exécute pour l'Expositiuii de i86y, oll'orL à l'empereur Nicolas II eu l8ij2.
{Composition de Sédille. — Orfèvrerie d'Emile Fromenl-Meurice.)
— -mi —
que c'est peut-être i'œnvre la plus parfaite que nous ayons vue parmi les rémi-
niscences du dix-huitième siècle; le Musée des Arts décoratifs Ta acheté, il est
aujourd'hui rornement d'une des vitrines du Pavillon de Marsan.
L'orfèvrerie religieuse l'attirait également. Il avait composé un calice inspiré
des types les plus purs du moyen âge, dans lequel il avait fait un essai d'émail
translucide sur relief; un grand ciboire émaillé de rouge et de bleu qu'enveloppe
un réseau de filigrane d'or,
d'après un dessin de Lameire.
Mais le collaborateur attaché de
la maison était Henri Cameré,
l'auteur de la plus grande par-
tie des objets d'orfèvrerie dont
nous avons parlé; c'est lui qui
a dessiné cette lyre d'argent,
grande en sa simplicité, tra-
versée d'une palme, offerte à
Victor Hugo par les admirateurs
du poète qui avaient été bien
inspirés en s'adressant au fils
de celui qu'Hugo immortalisa
dans ses vers. C'est Cameré en-
core qui a composé la tiare qui
fut offerte au pape Léon XHl,
lors de son jubilé sacerdotal, et
qui lui fut portée par le curé de
la Madeleine. Dans un article
nécrologique qu'il a consacré à
un collaborateur dont il s'était
fait un ami, M. Emile Froment-
Meurice raconte les phases de
ce travail, les nombreux des-
sins présentés à M. Le Rebours, et avec quelle souplesse et quelle ingéniosité,
son crayon agile réalisait, sous les yeux du vénérable curé, les transformations
qu'il demandait à l'artiste; il prétendait que ce vieux dicton : « Le mieux est
l'ennemi du bien » n'est fait que pour les paresseux, et qu'en toutes choses il
fallait chercher le mieux. C'est de cette époque que date l'exécution de la nef
d'argent que les dames de Paris offrirent à la princesse Amélie à l'occasion de
son mariage, et dont Cameré avait fait le projet et suivi l'exécution.
Toute sa vie fut consacrée à l'art de l'orfèvrerie. Entré très jeune dans l'atelier
de Feuchères, le bronzier, il s'instruisait au contact de Jean Feuchères, Cameré
Tiare de Sa SaiuU-to Léon XIII, oflcrlc par le diocèse de Paris.
(Composée et dessinée p<ir H. Cameré.
Orfèvrerie de Vromenl-Meurice.)
— i()8 —
le sculpteur, de Diéterle, de Sechan et Desplechin les décoraleurs, amis de la mai-
son, et prenait le goût de la décoratioii tliéàli-ale; il (ravaillait en même temps poul-
ies orfèvres, et entrait en 1865 chez M. Froment-Meurice, chez lequel il resta long-
temps, lui prodiguant toutes les ressources de son talent, aussi ingénieux à compo-
ser une pièce d'art en argent comme la coupe de Ponsard, qu'une aiguière de cris-
Ni-f (le lu \'illc .le l'iiris.
Siiilipiil iillVi'l pur les l).'mi('.s piil'isicniM's j'i lu iirinccssi' Aiiiolic (!'( )rl('iiiis,
I Orft'rrcric ilf Fntiiifiil Mi'ii rire.)
t.il -de rodic (l('c(tr(' (TiMiiMiix OU ipriiii hijoii lii(''i'al comme raniicaii pasioral
qiK' !<• cariiiiial Mcniiilliod dcvail olVrir a l'ic l\ an nom du diocèse de (leiiève. —
liOl■^(pn' M. l'Voiiiciil -Mciii icc lui l'ciidil sou iiKh'pcndancc, c'esl encore aux
orCcvrcs (ju'il pi^'-lV-i'ail a|i|)oi (cr sa cdllaliorafioii. MlVI. Aiidri' Aucoc, Uoiii-Tahurel
<•!. Téliird racciii'iilaii'iil avec plaiî-ir cl lui roiiniissaiciit roccasioii de l'aire preuve
<li' Hr.'s qualili'-. Caiiii Ti' jdiiissait vi\cmi'iil de ses succès, et ne poiivail silKii'e
- 269 —
aux commandes qui le sollicitaient ; sa production considérable a laissé un sou-
venir durable chez tous ceux qui ont eu recours à lui, et, lorsqu'il disparut en 1896,
« La Flore », surtout de table exécuté pour M. Tcyssier.
{OEiivre des Fnnnière. — Musée centeunni.)
M. Emile Froment-Meurice écrivait une notice oii la vie de son ancien collabora-
teur, faite de travail et de production constante, était racontée avec une chaleur
qui faisait autant d'honneur à l'artiste qu'à l'orfèvre qui en avait fixé le souvenir
en termes empreints de la plus sincère émotion.
— -270 —
Comme on 1867 et en 1878, nous relroiivons les frères Fiiniiièi'e lonjonrs au
premier rang, et s'ils nous ramènent en 4889 f(uelqiies pièces qu'on avait déjà
vues inachevées, c'est que leurs clients sont résignés et n'osent Iroubler leur
quiétude d"ar(istes par leur impatience, leur laissant le temps de parachever
leurs œuvres, et que leur travail, même sous forme d'ébauche, a déjà de la
saveur pour les amateurs; témoin, le bouclier en acier repoussé que le duc
de Luynes lui avait commandé et que l'on rcvoyaii aujourd'hui presque achevé.
(;iissci-()lc (•( r('>cli;iuil cUi service de (ahle exéeulé i)iinr M. 'l'evssiei'.
(OEiivrc (les l'':iiiiiicr<'. — MiiSi'c ccii Icu .)
T(''ni()in encore ce scrx icc du |)i'in( c de llolienlolie donl (|uel(|iies pièces avaient
('•h' \nes, iiiiiis qui a|»|iarail aujdiu'd'hiii dans son ensend)le ; (|uoi(|ue exéeulé
poiii' lin )ii-iiice l'I r.'iiiger, il est revenu en l"'i"inee, el les vitrines du Musée cen-
|i'iiii;il non- en mil iiioiil n'' les |iièces |iriiiei|)ales. l/('lagère à deux plal eaux donl
le l'iiefl csl d(''c()r(' de deux jolies ligures de l'anne el de l'aunesse, el le plaleau
^n|ii-rieiir siu'nionii' d'une svelle ligure de femme nue doiil l^'vdiarpe llollanle serl
de |ioi;.'ni'e |ioiii' la poser sur la lable; deux eandi'lalires a six linuières, deux
liouls dr l;i|)|r ;i deux lir;ini'lies donl les l'ùls sont toniH's par deux ligures sor-
lanl de ;^';iiiiev ildriienieiil . ('.(iiiiiiie les pièces di'coral i\ es, l(is pièces d'usage
< oinine '-iincieres. les sii I ieres , les se;i ii x a glai'c . s( m I des merveilles de cisc-
— 211 -
kire. Les gravures fidèles que nous avons pu faire exécuter d'après les ori-
ginaux, exposés au Musée centennal, et que nous avons placées en tête de ce
volume, nous dispensent de les décrire. Les moindres images parlent mieux
qu'un long texte.
Fidèles au style de la Renaissance française qu'ils affectionnaient, c'est par
la recherche de la composition, c'est par la finesse de la ciselure qu'ils donnaient
à leur œuvre cette qualité d'art qui en fait le prix. Est-ce bien vraiment de la
Renaissance. Si on hésite sur l'époque à laquelle ils se rattachent, la marque de
Fannière y est si personnelle, que, dans cent ans comme à présent, on dira sans
Sauciùrc du service de laljlc exécuté pour M. Teyssicr.
[UEuvre des Fnnnière. — :Vi(se'e cenlennnl.)
hésiter de cela et de tout ce qu'ils ont fait : « C'est du Fannière », comme on dit
en musique : « C'est du Mozart. »
On retrouvait également au Musée centennal un service de table que leur
avait commandé un homme de goût mieux avisé que les chercheurs de bibelots
anciens qui vont courir les ventes ou font faire des reproductions. C'est M. Teys-
sier, le beau-père de Georges Hachette. Pièce à pièce, il a demandé aux Fannière
uu service de table qui vaut mieux qu'un service de roi. La corbeille centrale,
exposée en 1889, n'est pas grande ; c'est une figure de Flore debout au milieu
des fleurs, qui se dresse en une jolie attitude. Elle est souple par le modelé,
achevée par le ciselet autant que par l'ébauchoir. Le réchaud et le légumier, les
salières qui les accompagnent, sont moins compliquées que la fameuse salière de
Cellini, quoique dérivée du même thème, pour l'une c'est Amphitrite, pour
27^
l'autre, c'est Neptune, elles sont la démonstration de la sobriété dans la ligne et
dans l'ornement. On s'étonne que la chose soit si jolie avec si peu de recliei'clie.
Un autre surtout du même style qui appartient à M""' Georges Hachette,
Ituiiillciii'c cvrciili'T |)(itir M, 'l'i'v ssiiT.
[Ili'.iii'fc ilfs l\iiiiiii'Tc. .Wi/src i-cii li'it .)
\>\ <>i ri\f (|c |;i iiiriiic i 1 1 s { )i l'ii I i o 1 1 . gi'oiqtc (Ic cnfaiils jcMianI avec un
i|i(\rcii(i rdiiiic le (•(•iilrc (riiiic jardiiiicic IoIh't r(''guli(''n'iii('nl , r( dont la Irise
;i|<)iir('c ('L-iil lie l;i plii'^ line (■i>cliii'('. (In l a rclnuivi' au Musée (■«'iilcnnal.
I n iMiiivciHi \i iin. (|ni s'i'liiil (|(''i;i signal»' en iScSO ;i l'hAposil ion des Aris du
uir'lal. apparaissiiil en I ('(inune l'nn des mail res (|ui allaieni d(unier à Tari du
213
— 275 —
dix-huitième siècle toute sa saveur et tout sou esprit. C'est M. Boin-Taburet qui,
plus que tout autre oi'fèvre, a contribué à ce retour au Louis XV. « Ce n'est pas
w une accusation que je formule, dit M. Falize, au contraire; je constate seulement
» qu'avec un goût très personnel et un tact réel, il a compris, deviné, senti ce que
» voulait sa clientèle; il s'est hâté de lui offrir ce qu'elle venait lui demander. Et
» comme il dessine fort bien lui-même, qu'il sait commander et faire travailler,
» il s'est hâté de meubler son joli magasin de la rue Pasquier de corbeilles, de
» théières, de flambeaux de toilette dont la forme et les ornements alternaient du
» Louis XIV à la Régence, du Louis XV au Louis XVI, tantôt copiant, tantôt
» inventant, achetant des pièces anciennes, rassemblant des vieux dessins, d'an-
Salières « Naïade » et « Ti'itons », du service de lable exécuté pour M. Teyssier.
(OEiivra des Fannière. — Musée cenlennal.)
» ciennes gravures, reprenant aux faïences et aux porcelaines tout ce que la céra-
» mique a emprunté a l'orfèvrciwe. M. Boin a cerlainement fait un travail consi-
» dérable,et je sais de lui des pièces qu'auraient signées avec orgueil des orfèvres
» du siècle dernier (1). »
Faut-il s'étonner de trouver le salon de M. Boin en 1889 tout rempli d'œuvres
du dix-huitième siècle. 11 n'en pouvait pas montrer d'autres.
La principale pièce était un grand surtout repris à l'œuvre de Meissonnier. Il
est d'un maître, et les deux sculpteurs, MM. Bonat'et Peynot, ont rétabli les
modèles d'après les dessins de Meissonnier, et en ont fait une savante reconsti-
tution; le ciseleur, M. Moisset, s'est associé à leur œuvre avec beaucoup d'intelli-
gence ; une autre reconslitution est sa grande soupière faite en 1888 pour le
Jockey-Club. C'est une pièce essentiellement décorative que M. Boin a exécutée
avec son grand plateau, telle qu'elle est gravée dans l'œuvre de Pierre Germain.
(Ij Guzuttc des Ileaux-Ai Is, l'Ovicwavlti eu ISSO, Iroisième période, puge 212.
— 27(i -
Ce qui la rend parliculièreinciil iiiLéressanLe, c'est qu'elle est bien 'ruii oi-fèvi'c,
et non pas d'un bronzier. Tout est fait au marteau, sauf les anses, le bouton et
les bordures qui sont en fondu.
Un autre surtout de style JAocaille dans la nionièi-e des peintures de llani-
bouillet, faite de verve et d'esprit, réjouit les yeux avec ses orneriients capri-
cieux, ses singes et ses guenons, drôles en leurs attitudes, sérieux en leur
bouffonnerie comme leurs frères de vieux Saxe. Ce sera sur la table, au mi-
lieu des lumières et des fleurs, une audace de bon goût, et je crois que c'est
le rôle de l'orfèvre d'exciter aux gais propos, et d'être le décor joyeux d'un
bon repas.
Comme contraste, L. Falize signalait, dans le style Louis XVI, un surtout aux
guirlandes de fleurs et aux têtes de béliers dont l'ordonnance, plus sage, repose
de ces audaces.
Jardinière, d'après Meissonaicr.
{Modèle de Bonul et Pei/nol. — Orfèvrerie de Boiii-Tuhnrel.]
De même style, un joli thé de vermeil. La bouilloire a la forme d'un vase, et
le plateau est tout à fait charmant. Un autre thé de style Louis XV et un de style
Louis XIV complétaient cette jolie exposition de M. Boin-Taburet. «Elle est le
» résultat de l'effort d'un artiste d'une réelle valeur; elle résume l'évolution de
» l'orfèvrerie en ces dernières années. Elle marque le courant du goût, elle a la
» faveur du public, elle s'inqio&e. Ses tendances vers le Louis XV ne sont pas une
» co|)ie banah;, c'csl chez lui une conviction bien airèlée que celte forme con-
» vieni, mi(Mi\ ii rai'genteric, (prcllc est la nieilleuie façon d'inie vaisselle de
» l;d)lc, lit plus spirituelh^ ex|)rcssi()u du goût fraii(;ais. »
Un aulr(! j(!un(! orfèvre, IVl. André Aucoc, apparaissait pour la première fois
diins une (jxposition. Fils et |)ctil-lils d'orfèvre, il avait pris goût au métier, au
foyer paternel. Son ('duciition arl isl/Kpie, il r;iv;iil l'aile dans sa famille où l'on est
f)rfèvre depuis iii;iis, ('pris de hi (h'coral ion du dix-huitième siècle, rent(Mi-
iliiiit avec inlininienlde goûl, il allait rencuiveler le succès des anciens uiaiiresen
277
Candélabre de sly\c Rocaille, sur plaleau de ^lace.
[Urfècrerie de Ifoin-TnhnreL)
/
— 281 —
créant de uomlireuses pièces d'arg-enterie empruntées à cette aimable époque. 11
est devenu orfèvre accompli et a su maintenir l'honneur d'un nom qui s'inscrit
en lettres d'or au livre de l'Art du Métal. L'exposition de M. Aucoc était
encadrée dans une façade originale, dont le style du dix-huitième siècle servait
d'enseigne à ses produits. Est-ce à cela qu'il faut attribuer le charme et l'at-
traction qu'avait cette exposition sur les visiteurs. N'est-ce pas plutôt à la qualité
des œuvres fort belles d'ailleurs qui s'inspiraient de Germain, si souvent copié.
C'était d'abord l'aiguière et le bassin exactement reconstitués d'après la gravure
Aiguière et bassin, d'après Germain.
(Orfccreric de A. Aiirov.)
que l'on trouve dans ses œuvres, de même que les deux grands candélabres à
quatre branches dont les tiges nerveuses et puissantes s'élancent de la base, et
par une torsion hardie s'eiu'oulent et vont jusqu'au sommet porteries lumières.
Si ces œ'uvres étaient des reconstitutions d'après des pièces anciennes, c'est
bien à M. Aucoc qu'appartenait l'invention des candélabres à trois lumières qui
enveloppent de leurs branches un vase de cristal, en sorte que les fleurs qu'on y
met peuvent se marier à l'éclat des bougies. Tout cela est de style Louis XV.
Louis XV encore est la monture des deux potiches en vieux Chine, de même
qu'une grande corbeille rétreinte au marteau, ciselée d'un outil énergique et dont
les anses et le pied seuls sont en londu.
— 2H2 —
i
Un pelil service à Uié de style Louis X.I V, (iispos(3 ave(; goùl. sur une lalile basse
pour le fi'oùter du fi ve-o'clock, est plus pcrsounel. C'esl parce que les riiodèles
Louis XIV sont rares, qu'ils exigent |)lus de s(;ience et plus de recherche, que pau
d'orfèvres s'y sont essayés; les jolies formes à pans des pièces l^ouis XIV agré-
mentées de fines gravures, ou reliaussées de godrons, conviennent mieux à
l'orfèvrerie d'usage que les Rocailles et les exiravagances du Uococo. M. Aucoc
a su leur donner un accent plus moderne.
On le retrouvera à l'Exposition de 1900, plus maitre encore de son atelier et de
son art: il est devenu un orfèvre accompli.
Le Jury lui avait décerné une médaille d'or, ainsi qu'à trois de ses confrères
qu'on n'est guère habitué à rencontrer dans les Expositions. Leurs noms sont
moins connus du public, mais ils ont une grande notoriété parmi les orfèvres. Ce
sont des fabricants qui se tiennent volontiers dans l'ombre pour des raisons de
convenance commerciale; il en est de l'orfèvrerie comme d'autres industries où
le consommateur n'a pas dii'ectement affaire au véritable producteur; des inter-
médiaires se placent entre eux qui ont intérêt à empêcher ce rapprochement.
Us représentent cependant la fraction la plus riche et la plus importante de
l'orfèvrerie, parle nombre et la qualité du produit. Ils habitent le Marais, là où sont
concentrées les industries du métal et tous les métiers qui concourent à sa parure.
Ils portent annuellement au Bureau de garantie 80000 kilogrammes d'argent,
fournissent la presque totalité des affaires de l'exportation et suffisent à la con-
sommation de province.
M. Té/ard, qui avait succédé à Hugo, était l'un des plus importants, mais à
l'époque où il entrait dans les affaires, l'évolution du goût qui s'était produite
dans la haute orfèvrerie, avait eu son contre-coup dans l'orfèvrerie courante. Les
commissionnaires pour lesquels il travaille spécialement en avaient assez des
formes vieillies et banales dont ils se contentaient jadis. Il fallait créer des
modèles, jeter au creuset des miUiers de kilogrammes que représentaient les
matrices devenues sans emploi. On sait (|ue c'est au moyen de matrices
d'acier fondu retouchées par le graveur et le ciseleur, que s'obtient la plus
grande partie de cette orfèvrerie d'usage, et, la dépense étant grande, un tel
changement de front était une opération difficile et demande de la hardiesse et
du coiq) d'o'il. il avait h^s deux et a l'éussi.
(jette fabrication à bon marché sur des lypos excellents est difficile dans la
rc'salisalion, parce (pu; l'artiste est rare, et qu'ignorant les conditions exigées par
l'outillage^, il doit se; plier à des considérations matérielles (pie lui impose l'or-
fèvre, ("es! M. Têtard qui a uiieux compris ('(^s exigences parce qu'il était le
inieuN i(lcnlili(' avec le UK'lier de l'orfèvre. C/esl merveille de voir es(am})ei- d'un
seul coup ini coin de niiroii', nue Ixn'diirc de plalcau. Une cal'elièr(^ s'oblieni en
deu.\ ( (xpiillcs, luie assicllc de desserl, sort avec ses reliefs ornés sous l'elTort du
1
— 283 —
balancier; avec des feuilles minces d'argent laminé, ce qui est une condition pour
le bon marché, on produit une orfèvrerie aussi apparente que si elle était
repoussée au marteau et ciselée à grands frais.
La pièce capitale qu'il exposait était un service de table commandé par le duc
Candélabre Louis XV, à trois branches avec vase de cristal.
[Orfèvrerie de A. Aitcoc.)
de Linarès, dont les figures avaient été modelées par Peynot et Mathurin-Moreau,
Très différent était un surtout Louis XV dont on ne trouverait pas l'équivalent
dans les œuvres des vieux maîtres. C'est un sujet aimable à mettre sur une table.
Mais, dans ces pièces exceptionnelles, ne réside pas le seul intérêt de son
exposition; il était aussi dans les pièces d'usage qu'il avait mises au goût du jour,
et dans l'effort considérable qu'il avait fait pour transformer sa fabrication.
H
— 28i —
M. Fray est un fabt'icaiiL de même ordre, il a conLiiiuc; la maison de M. Jlar-
leux, son beau-père, et travaille surtout pour la consoirimation parisienne. Il fait
en grand la vaisselle plate, c'est-à-dire les plats, les légumiers, les saucières, les
pièces d'argent qui constituent le grand luxe de la taljle.
Il a voulu faire un effort aussi, et mettre à côté des pièces de sa fabrication
courante, des objets d'un art plus raffiné. Il s'est adressé à Joindy, le sculpteur
dont nous avons déjà cité le nom en parlant du modèle qu'il avait fait pour Chris-
tofle. Le grand surtout Louis XV est d'une invention originale, il est léger dans
ses vastes proportions. Du même sculpteur était une grande soupière rocaille où
s'exagérait la dureté de l'art du ciseleur. Ce qu'il faut louer, c'est le travail de
l'orfèvre et l'habileté de l'ouvrier qui a su modeler au marteau sur un plan ovale
les bords et les courbes parallèles d'une pièce aussi grande. Ce qu'il faut louer
également, ce sont les deux services à thé de style Louis XV, dans une donnée
sobre et voisine des bons modèles anciens. Ce qui était absolument parfait,
c'était la série des plats à feuilles de laurier d'un style et d'une exécution sans
défauts. C'est bien là le caractère de la belle et loyale fabrication.
M. Debain, encore un fils d'orfèvre. — Né et élevé dans l'atelier, ayant, comme
autrefois, subi les épreuves du métier, il se trouvait en état, quoique jeune,
d'entrer en lutte avec les plus vieux maîtres. Sa pièce capitale était une toilette
conçue dans le goût des œuvres de Germain. Les boîtes de toilette étaient si
parfaites que les amateurs d'orfèvrerie ancienne sont tous venus les voir, et que
le Musée des Arts décoratifs en a pris une qu'il a mise en bonne place dans les
vitrines du Pavillon de Marsan. M. Debain avait aussi un surtout comme ses
confrères. Une femme nue, soulevée sur des flots, y symbolisait « la Vague ».
Réminiscence d'un tableau célèbre, il avait le tort d'être trop connu sous sa forme
première et était considéré par quelques-uns comme une faute de traduire en
argent ce qui n'a pas été conçu pour l'orfèvrerie. Les pièces de fantaisie et tous
ces menus objets que les boutiquiers de Paris empruntent à cette fabrique pour
la vente de chaque jour, étaient nombreuses, et montraient que l'orfèvre était
capable de ces jolies inventions qui décèlent le goût de celui qui les trouve.
M. Baclielet, fils de l'orfèvre d'église qui avait été longtemps l'un des colla-
borateurs préférés de Viollet-le-Duc, avait renoncé à l'art qu'affectionnait son
père, vendu ses modèles pour acheter l'ancienne maison Cosson-Corby, et se livrer
dès lors à l'orfèvrerie civile. L'excellence de sa fabrication lui a valu une médaille
d'or poui' lui service (pie le Jury avait apprécié, et n'avait pas hésité à déclarer
(juc le meilleur service d'argenterie, le |)lus logicpie en sa forme, et cependant le
plus apf)r()f)rié au goût du joui-, puis(|u'il es! du plus pur Louis XV, se trouvait
cIkîz m. I5acli(!l(^t.
Nous citerons (pic pour in('in(tii'(^ les noms d'aulrcs oi'fèvres tels que
M. Leroy, Le C()ut(!li(!r, .liihîs Piaiilt, Tallois et Mayence (pii coiitiiiueiil
Serxicc de toilette de slyle Louis X\'.
N" 1. — UoiLc à poudre de riz. — [Ciilleclion du Musée des Ai ls décorulifs.)
N" 12. — Pot à eau cl cuveltc.
(Scul})tiire de JSoniit. — Orfèvrerie de Dehnin.-
— 287 —
l'ancienne maison Lavollée, MM. Mérite et Relier frères qui, de valeur inégale,
faisaient cependant bonne figure.
M. Michaut, ciseleur de talent, qui avait fait jadis pour Christofle en ciselure
repoussée le joli service à café modelé par Chéret et dont une reproduction existe
au Musée des Arts décoratifs, avait acheté la maison Turquet où il avait trouvé de
bons modèles qu'il rééditait en les ciselant à sa manière. Elève d'Honoré, ayant
collaboré dans les grandes maisons d'orfèvrerie, il avait apporté dans sa maison
les idées qu'il avait puisées auprès de ses maîtres, et avait su donner aux œuvres
qu'il exposait une qualité nouvelle.
M. Cardeilhac^ qui est coutelier, et dont la maison s'est
transmise de père en fils depuis 1801, fabrique aussi des
objets d'orfèvrerie; ses modèles de couverts ont un accent
très personnel, emprunté, semble-t-il, à la ferronnerie
d'art, comme le plat de style Renaissance dont les bords
sont ajourés. Cela nous change de l'orfèvrerie Louis XV.
Il s'est attaché un ancien élève de l'Ecole des x\rts déco-
ratifs, M. Bonvalet, dont le talent original et les idées
qu'il avait puisées dans l'école rajeunie par son directeur,
M. Louvrier de Lajolais, et l'architecte Genuys, allaient
permettre à M. Cardeilhac de prendre un autre thème et
de tenir une place hors de pair en 1900, en apportant des
orfèvreries de style nouveau qu'un homme de goût comme
il l'était devait rendre singulièrement personnel.
Un joaillier, et non des moindres, M. Frédéric Bouche-
ron, avait aussi apporté sa contribution à la galerie des
orfèvres. Dans des essais d'argenterie, il avait poussé aux
plus minutieux détails la copie des choses du dix-huitième
siècle et dépassé les audaces de ses confrères les plus
osés ; sur des fonds unis, il grave en taille-douce des scènes
compliquées; il prend à Marvye, à Eisen, à Cochin, leurs
jolies gravures et les incruste d'encre noire d'imprimeur, comme s'il voulait en
tirer des épreuves. Il faut louer l'habileté du graveur; mais était-ce bien sa place
dans des pièces d'usage? Son imitation d'une aiguière de Germain est excellente;
mais ce qu'il avait montré d'absolument nouveau, c'était une série de plats
Louis XIII dont les bords sont enrichis d'ornements bouterolés qui accrochent la
lumière de la manière la plus neuve et la plus ingénieuse.
Mais là oi-i il retrouvait toutes les qualités de l'art du bijoutier oii il excelle,
c'est dans une crosse d'évêque aussi fine, aussi élégante qu'un bijou de femme.
Le saint Michel qu'il y a placé n'a pas le caractère religieux qui lui convient;
plus gracieux que fort, plus joli que saint, il s'encadre dans une couronne de fleurs
Couvert Renaissance ajouré.
{Modèle de CardeiUiac.)
— 288 —
émaillées trop fragile pour uu bâton pastoral qui est un soutien pour la marche,
et qui seraient mieux à leur place
sur un diadème dans les cheveux, ou
sur le devant d'un corsage d'une jolie
femme. Tout autre est le vase de
cristal orné d'un dragon d'or émaillé;
Honoré l'a composé et modelé; c'est
une pièce d'art admirable de travail;
c'est un chef-d'œuvre qui n'est ni
d'un bijoutier, ni d'un orfèvre, mais
des deux à la fois. C'était une des jo-
lies pièces de l'exposition de M. Bou-
cheron.
Antonin Mercié avait modelé pour
lui un jeune enfant qui tient à la main
un coquillage en émail transparent et
se complaît à regarder les jeux de
lumière qui le traversent. La sta-
tuette de grandeur naturelle est fon-
due en bronze argenté. Le coquil-
lage est un travail de bijouterie d'or
d'une extrême délicatesse. Les al-
véoles sont remplies d'émaux trans-
parents où la lumière passe et se joue
en renvoyant des reflets de pierres
précieuses. C'est, là encore, l'art du
bijoutier se confondant avec l'art de
l'orfèvre.
Un autre bijoutier, qui excelle
dans la fabrication de ces menus ob-
jets de toilette ou de poche que les
petits-maîtres du dix-huitième siècle
avaient mis à la mode, dans ces
boîtes, ces bonbonnières, ces taba-
tières, et tous ces jolis ustensiles de
dames dont i-affolaient les élégantes
du siècle dernier, c'est M. Emile Cail-
lai'd qui en est l'habile continuateur.
Les objets (|u'il fabrique sont tous
d'arg(!nt, (|u'il l(!s nielle, ou ([u'il les émaille, qu'il les dore, quMl les patine ou les
fli'ossc ('|)isc'i)|)ali' cil (II-, iirn'ciil, <■(, émail.
{Mixlrlc lie J,vijv:\n(l. -- h'iijiin' de il. l'nsrnl.
l'I.ivviilrr /iiir lloiiflicnni .)
— 289 —
polisse, il obtient des effets nouveaux, il impose une mode, il charme, et cette
séduction est tellement évidente qu'il a remporté
un des plus grands succès de l'année.
Il a modifié avec un goût très personnel les
formes que nous imposent les Anglais; admira-
teur passionné de l'art japonais, il a longtemps
marché en demandant à Christofle le concours
de ses procédés et de son expérience; mais de-
puis peu il a conquis une originalité plus grande,
il a cessé de copier les dessins japonais mais en
s'assimilant la technique des artistes du Nippon;
il invente des formes et des décors où l'argent
trouve un charme nou-
veau. Comme M. Bouche-
ron, il obtient des décors
par la gravure en taille-
douce ou par la gravure à
l'eau-forte, au moyen de
procédés nouveaux dont
il réclame le mérite de
l'invention.
Nous retrouvons Lucien Gaillard en 1900, continuant
la fabrication paternelle et lui donnant une oi'ientation
nouvelle qui lui assurera la première place parmi les
orfèvres qui s'ingénient à produire ces fantaisies et ces
bibelots d'étagère, si répandus dans le monde élégant.
Deux artistes d'allure différente tenaient une place
importante. C'étaient M. Dufresne de Saint-Léon et
M. Jules Brateau. Le premier n'est ni un orfèvre, ni un
ouvrier. M. Dufresne de Saint-Léon est un homme du
monde qui reste artiste et s'est fait ouvrier par passion,
line vend pas ses œuvres; il a consacré une partie de
sa fortune à exécuter les pièces qu'il avait dessinées
et modelées, et s'il consent à s'en séparer, c'est pour
en consacrer le prix qu'on lui offre, à quelque œuvre
de bienfaisance. Il est l'inventeur d'un procédé de
damasquine qui n'est ni celui des anciens Maures ni
celui des arquebusiers modernes. C'est un procédé
électrochimique dont il a fait les premiers essais dans
les ateliers de Christofle avec la collaboration de Guignard, l'habile chef des
Vase en cristal, avec dragon
d'or émaillé.
[Modèle d'Honoré.
Exèculé par F. Boiiclieron.)
L'EnfanL au coquillage.
"Statuette en bronze', avec
émaux incrustes.
(Modèle d'Anlonin Mercié.
Exi'culé par F. Boucheron.)
— 290 —
ateliers éleclrochimiques. C'est îiitisi qu'il décore; les armes qu'il forf.'e lui-même
et qui sont d'une invention charmante.
On pourrait établir un rapport intime entre certains ouvrages de M. Dufresne
et les compositions de Vechte, de Klagmann ou de Feuchères. Ils ont été à la
même école que ceux-ci. Leur ayant survécu, il reste seul à nous apporter le sou-
venir d'un art un peu démodé, mais encore puissant et très vivace ; il n'est pas
une coupe, un vase, un poignard, où quelque invention ou quelque idée ne soit
écrite; il emprunte à la mythologie et cà l'histoire les figures qu'il môle à l'orne-
mentation et qui traduisent un poème ou une idée; on sent que l'artiste a com-
mencé au temps du romantisme : il a voulu être :
le fameux ciseleur,
Celui qui le mieux creuse au gré des belles filles,
Dans un pommeau d'épée, une boîle à pasiilles.
Le grand vase à couronnes qu'il a exposé est une œuvre colossale ; il est en
fer; modelé par l'artiste, il a été fondu chez Gail. L'argent n'y joue qu'un rôle
accessoire; il vient avec des damasquines d'or illustrer la surface de la fonte.
C'est une œuvre un peu fougueuse qui étonne plus qu'elle ne séduit. Les deux
cavaliers qui soutiennent la vasque symbolisent le rêve du penseur, du philosophe
et du poète. L'artiste a traduit sa pensée, mais le passant a besoin qu'on la lui
explique.
Jules Bratcau est bien plus un ciseleur qu'un orfèvre, mais il a conquis par ses
admirables travaux en étain le droit de figurer parmi les orfèvres parisiens. Elève
d'Honoré, il est depuis sa jeunesse le collaborateur de tous les maîtres. Mais il
ne se contente pas de retoucher en ciseleur les modèles créés par les sculpteurs,
il modèle aussi les compositions qu'il expose. Son plateau, de forme rectangu-
laire, en argent repoussé et damasquiné d'or, ayant pour sujet le Betow Pinn-
temps, est une composition aimable; la figure de femme, un peu longue et svelte
comme toutes les figures qu'aime à modeler Brateau, qui meuble le fond du pla-
teau, est dans le goût de la Renaissance, mais avec des coquetteries un peu ma-
niérées qui sont bien françaises; qu'il fasse une bonbonnière en or repoussé, qu'il
décore un gobelet d'argent, son ciselet écrit les ornements et les figures d'un style
personnel qui dispense Brateau de le signer.
Oii Brat(!au devient absolument un niaitre, et représente à lui seul un art
(lu'on cr-oyait perdu, (-'(ïst dans les travaux d'étain. L'orfèvrerie d'étain a tenu jadis
une plac(î importante dans les usages domestiques. ï/élain a des qualités de cou-
leur, de fusihilitt; (it surtout de sanité, qui rendent son enq)loi nécessaire. Avant
l'invcîntion du [)hu]ué et du cuivre argenté, les potiers d'étain formaient une cor-
poi-atioN importante; niais, ii cô((; de c(îux (|ui faisaient (U^s vas(>s d'un usage cou-
rant, il y (Mil de ;jrands artistes coiiiiiie t'raneois Hriol , en l''rance, comme (ias|)ar(l
Ederlein, en Allemagne. C'est surtout de Briot que s'est inspiré Brateau; on a
cru longtemps que l'aiguière et le plateau de Briot, la Tempérance, étaient la répé-
tition d'œuvres exécutées en ai'gent. Ce sont, au contraire, des œuvres originales
conçues pour l'étain et qui ne conviennent qu'à ce métal. Coulé dans un moule eji
Coupe oxcciitfc en (lanias([uine.
{OEuvre de Dufresne de Sninl-Lénn.)
cuivre gravé comme la matrice d'une médaille, il reproduit les entailles comme la
cire prend l'empreinte d'un sceau, d'nne armoirie.
M. Bi-atcau a étonné les membres du Jury qui ignoraient la fabrication de
l'étain, quand il leur en a expliqué les phases si délicates, et qu'il leur à présenté
les moules où il avait coulé sa buire et son plateau ; s'il n'a pas égalé Briot, il s'en
est rapproché, et c'est un coup d'audace que d'avoir fait après lui les deux pièces
qu'il exposait; des sujets, symbolisant les Arts, décorent la panse du vase et
— 202 -
s'encadrent dans le fond du plateau. L'anse de la buiro est faite d'une élégante
figurine ronde-bosse représentant la Vérité. Ce qui (!st absolument parfait, c'est
l'exécution des détails, les saillies raisonnées des reliefs, c'est l'harmonie générale
qui fait de cette pièce l'une des meilleures qu'on ait vues à l'Exposition de 4889.
Il exposait encore une assiette marquée de deux L entrelacées, et dont le
marli était orné de sujets empruntés à Clodion; une chope à bière oii sont repré-
sentées les Trois Parques, et une cafetière et son plateau, de style persan, du
meilleur goût et de la facture la plus délicate.
lîiiirc et plateau à bas-rclicfs, en étain.
{Orfèvrerie de J. Brnletm.)
M""" Vcrnaz-VccJile, la fille du grand Vcchte, à laquelle son père avait enseigné
son métier, continuait ses traditions; si elle avait un peu féminisé les compositions
de son père, elle avait cependant hérité de l'habileté de l'outil et avait, avec son
tempérament de femme, montré des œuvres ([ui ne rappelaient en rien la Guêtre
des Titans, et faisait regretter (|iie son adresse se soit appliquée à des composi-
tions (piVII(! aurait mieux fait (l(^ demande^' à un maître meilleur qu'elle aurait
copié docilement.
Nous avons dit dans le chapitre précédent comment l'orfèvrerie argentée par
les prociMh'iS électrochimirpies avait remplacé le pla([ué d'argent d'une façon peu
près cfimplèti!, et d'aucuns ont exprinu' la crainte (|ue cette industrie; qui a déjà
[dus d'un dcuii-sicch^ d'iixislcuicc, n'envahisse \v marché au point de menacer
— 293 —
l'orfèvrerie d'argent elle-même. Ce n'est pas tout à fait exact. En effet,
en même temps que, par son bon marché, elle pouvait satisfaire aux besoins les
plus modestes, et à la consommation du plus grand nombre en s'emparant des
articles de luxe, elle vulgarisait en même temps l'usage de l'argenterie et favori-
sait le développement de l'orfèvrerie d'argent qui, depuis une quinzaine d'années,
a repris la vogue en France dans les familles riches. Cette réaction tient sans
doute aux progrès de la fortune publique, mais elle est surtout une conséquence
de l'abondance et de la baisse de prix de l'argent métal.
La consommation de l'orfèvrerie argentée n'en a pas diminué, car, parallèle-
ment aux progrès de la vaisselle plate, elle se répand aussi dans les milieux moins
Assiettes en étain, à marli décoré.
{Orfèvrerie de J. Braleau.)
riches et trouve, dans le luxe et le confortable qu'on exige des hôtels, des éléments
d'affaires considérables.
Dans cette industrie, la maison Christofle tient la première place. Ses produits
sont répandus dans le monde entier, et c'est à elle que s'adressent les hôtels
luxueux que les progrès du bien-être et les exigences du public ont mis leurs
propriétaires dans l'obligation de donner satisfaction à leur clientèle.
Non seulement en France, mais à l'étranger, en Angleterre, en Allemagne et
en Autriche, en Italie, en Espagne et en Orient, ils se sont trouvés les mieux pré-
parés pour donner satisfaction aux besoins de ces hôtels que le développement du
goût des voyages fait édifier de tous côtés.
Dans son Rapport, Lucien Falize rappelait que l'histoire de la maison Christofle
est intimement liée au progrès et au développement de l'électrochimie. « Dès
» 1842, dit-il, Charles Christofle, en achetant de Ruolz d'abord et d'Elkington
» ensuite, les brevets d'argenture et de dorure galvaniques, avait, par un trait de
- —
» génie, deviné que cette invention nllnit révolutionner l'industrie du métal.
» Aujourd'hui, l'usine de Sainl-Dcuis, après avoir, alors que le nickel était rare et
» cher, traité les minerais de nickel par des procédés nouveaux, a été dotée d'une
» installation complète avec l(!s laminoirs, les découpoirs, les macliines à em-
» boutir, les balanciers, les moutons et tous ces merveilleux outils qu'a inventés
» la mécanique moderne et qui remplacent la main de l'ouvrier.
» C'est dans l'usine de Saint-Denis que sont fabriquées les 120000 douzaines de
» couverts que produit annuellement la maison Christofle. C'est là aussi que sont
» préparées les formes des vases, grands ou petits, que la machine donne à
» l'orfèvre qui les finit. Cette usine, que nous avons visitée et que nous aurions
» plaisir à décrire en détail, si cela nous était permis, a été pour le Jury une
» surprise. Elle révèle, chez les directeurs de l'association Christofle, une science
» et une entente admirable de la grande industrie.
» Tout s'y accomplit avec un ordre et une précision remarquable; la place et
» l'espace rendent facile ce qui était malaisé dans la fabrique de la rue de Bondy ;
)) celle-ci est une fourmilière qui, des sous-sols au grenier, présente une acti-
» vite, un travail, une méthode tout à fait extraordinaires. Resserrée entre les
» maisons voisines, elle a trouvé cependant en creusant le sol, en superposant
» les ateliers, en accrochant des galeries vitrées au-dessus des cours, le moyen
» de faire vivre et travailler toute une armée de dessinateurs, de modeleurs,
» d'ouvriers, de femmes, d'enfants, et de produire les oeuvres les plus parfaites,
» en même temps que les objets de consommation les plus ordinaires, et de
» grouper, à côté, ses galeries d'exposition, ses magasins de vente où toute
» l'activité commerciale se trouve concentrée entre les mains de la direction.
» Nous ne croyons pas nécessaire de faire l'inventaire de toutes les pièces que
» produit la main de l'orfèvre, mais tout ce qui se fait en argent, la Maison
» Christofle le fait en laiton ou en métal blanc, c'est-à-dire en nickel allié : c'est
» la grosserie, c'est la petite orfèvrerie, ce sont les couverts, la coutellerie, ce
» sont les articles de toilette, ce sont les surtouts, les candélabres, tout le luxe,
» enfin, de la table.
» L'exposition de MM. Christofle, en 1889, présentait tous les spécimens de
» l'orfèvrerie, depuis les menus objets jusqu'aux grandes pièces décoratives. C'est
» à des artistes de mérite comme Lafrance, Mathurin Moreau, Delaplanche,
» Mercié, Coutan, Roty, Levillain, ([ue MM. Christofle font appel pour leur
» demander les modèles des surtouts qu(^ l'on admirait. MM. Christofle avaient
Il propos(! au Conseil municipal de l^aris d'exécuter, pour la salle des Fêtes de
Il rilô(,(^l d(! Ville, uiK! grande piè('(> d'art qui aurait perpétué le souvenir du
Il (jent(!Uiiir(!. Ijcs modèles étîii(^nt l'ails, des conditions avantageuses avaient été
» consenties iiii Conseil nuniicipal; il m';i pas rvu devoir les accepter. (Vesl, regr(>t-
II table; mais, cette grande pièce lein- l'aisanl- (h'I'aut, IVIM. Clirist,olIe l'ont rem-
- 295 —
» placée par quelques surtouts de moindre importance. Le surtout aux athlètes,
» de Mathurin Moreau, celui de Carrier-Belleuse, et le service de Joindy ne fai-
» saient pas regretter la pièce monumentale de la Ville de Paris, et donnaient une
» note plus intime à leur Exposition.
» Nous n'entrerons pas dans la description détaillée des services à thé, des
» plats, des légumiers, ni même des 52 modèles de couverts exposés; mais nous
» pouvons dire qu'aucun type absolument nouveau ne se dégage de l'Exposition
» actuelle. Elle semble hésiter entre le courant du dix-huitième siècle et le goût
» japonais.
» Elle obéit en cela à des sollicitations si diverses, à des clients de Paris et de
» province, gens du monde élégant; chefs de grandes Compagnies, restaurateurs
» et maîtres d'hôtels, qu'elle a quelque peine à trouver la formule unique qui
» pourrait satisfaire à tous les besoins. Et cependant, il faut noter une idée char-
» mante, fraîche en son invention, surprenante et presque incroyable en sa
» simplicité de fabrication. C'est l'impression directe des plantes les plus fragiles
h et les plus ténues dans le métal le plus dur et le plus résistant, obtenu à l'aide
» seulement du marteau de planeur. Cette décoration nouvelle n'est pas un em-
» prunt fait au Japon. Elle est bien française; c'est un retour à la nature, la
» grande inspiratrice; et nous signalons ce procédé curieux comme la découverte
» la plus nouvelle et la plus extraordinaire de l'orfèvrerie en cette Exposition.
» Du reste, la persévérance qu'apporte M. Bouilhet à chercher des procédés
» pour décorer l'orfèvrerie est connue de tous; il y a vingt ans qu'il s'applique à
» orner le métal; il a été un des premiers à suivre le courant japonais; il a osé
» cloisonner et émailler des vases, les a parés par des procédés nouveaux, pour
» incruster l'or et l'argent; il a coloré la surface du cuivre et de l'argent par des
» patines variées et solides comme celles des Japonais, et il y a réussi. Si nous
» comparons ces décors au martelage dont les Américains avaient introduit la
» mode en 1878, nous n'aurons pas de peine à démontrer l'énorme supériorité
» artistique de la maison française sur ses rivales d'Allemagne ou d'Amérique.
» Nous persistons à regretter que l'orfèvrerie d'argent n'ait pas à nous offrir des
» tentatives aussi intéressantes. »
D'autres fabriques d'orfèvrerie argentée propagent en France et dans les
pays lointains, les ustensiles de la table et les objets d'un luxe relatif. L'une de
ces fabriques est dirigée par M. Boulenger, et c'est la plus ancienne. Elle existait
il y a plus d'un demi-siècle, sous le nom de M. Hautin, grand-oncle du chef
actuel, et produisait les articles de cuisine et de chaudronnerie. Ce n'est qu'après
que les brevets de Ruolz et Elkington sont tombés dans le domaine pubhc que
cette maison a transformé sa fabrication et commencé à produire des objets
argentés.
« C'est dans les articles de consommation courante surtout que s'exerce
— 296 —
» l'industrie de M. Boulenger; il n'a pas l'ambition de modifier le goût de sa
» clientèle ni d'innover; il cherche surtout, à faire des affaires, et lutte avanta-
» geusement contre les maisons étrangères en allant les combattre sur leur
» propre marché.
» La fabrication du couvert est la base de toute cette orfèvrerie, mais M. Bou-
» lenger avait exposé quelques pièces d'un décor plus séduisant. Nous citerons
» en première ligne un surtout de table dont M. A. Moreau avait modelé les
» figures. L'idée en avait été visiblement prise à M. Fannière et rappelait la Flore
» que nous avons décrite, qui appartient à M*"" Teyssier. Il serait superflu
» d'ajouter que ce n'était là qu'une imitation très lointaine, et que ni par la cisc-
» lure, ni par la monture, la copie n'approchait du modèle. Un autre surtout aux
» formes tapageuses montre le décor qu'il faut à certaines tables; mais il faut
» pour les pays lointains, comme pour certains hôtels de province, des cornpo-
» sitions voyantes; c'est à cela peut-être que M. Boulenger doit son succès
» commercial. »
Ce que nous venons de dire de M. Boulenger, nous pouvons le répéter de
ses deux autres confrères, MM. N. Cailar et Bayard et M. A. Frénais; tous deux
font exclusivement de l'orfèvrerie argentée.
M. N. Cailar, négociant en métaux, s'était associé à M. Bayard, orfèvre habile,
qui avait dirigé la maison fondée par M. Thouret, dont le rôle, interrompu par la
mort, aurait pu être considérable. Il lui a apporté son expérience. La base de sa
fabrication est toujours le couvert et les pièces de consommation courante. Elles
sont d'un goût relativement sobre et de forme correcte. Il avait aussi exposé son
surtout : des Indiens portant une vasque auxquels la présence à Paris de Bulfalo-
Bill donnait un regain d'actualité à un modèle déjà ancien.
La fabrication de son concurrent, M. Frénais, trouve son débouché dans les
hôtels et les restaurants. Elle consiste surtout dans la production des couverts
de table. Un surtout et un service à thé fort bien arrangé étaient d'un bon marché
surprenant.
Dans cet exposé de la situation de l'orfèvrerie française en 1889, nous avons
suivi pas à pas l'œuvre magistrale que Lucien Falize avait écrite comme rappor-
teur du Jury de l'orfèvrerie.
Nous lui avons fait de nombreux emprunts et, si une mort imprévue n'avait
pas, en 1897, interrompu une carrière si bien remplie, c'est à lui que revenait de
droit l'honneur d'écrire l'histoire de l'Orfèvrerie française pendant ces deux der-
niers siècles. Il avait rassemblé pendant sa vie de nombreux documents, il avait
le goût, l'imagination, le stylo, et aui'ait écrit un livre qui aurait été un monument.
Que de fois, diuis les conv(ïrsations intinuîs (|uc nous échangions au sortir de
nos séances du Consiiil diî l'Union c(!nlral(!, n'ai-je pas reçu ses confidences sur
ses |)roj(!ts d'avenir; il r'êvait d'écrire ce livr(î dont il avait prépai'é le classement.
— 297 —
La mort ne lui a pas laissé le temps de réaliser son projet, et c'est moi, son ami,
qui n"ai pas hésité à recueillir ce qu'il m'en avait dit, et à puiser dans ses écrits
les documents qui m'ont permis de tracer ce tableau d'un art que nous aimons
tous deux passionnément.
En constatant les succès de l'Orfèvrerie française en 1889, ses manifestations
nouvelles et ses tendances, Lucien Falize exprimait le regret de lui avoir vu
accuser un retour vers le passé, dont les orfèvres d'aujourd'hui n'avaient pas
su s'affranchir. « En sorte, disait-il, que, par un retour bizarre de la mode, cette
Exposition de d889 qui marque pour nous, orfèvres, le Centenaire d'une ruine
complète, nous ramène au point oîi nous en étions quand éclata la Révolution, et
même en deçà, car le dernier mot du goût en orfèvrerie, c'est le Louis XV. »
Cette conclusion un peu amère^ était bien le sentiment du novateur qu'était
Falize, et des idées qu'il essayait de faire prévaloir dans les Comités de l'Union
centrale. Nous allons voir, dans le chapitre suivant, les tendances nouvelles
s'affermir, et les efforts faits dans les écoles, dans les ateliers, pour s'affranchir
des redites du passé, et demander à l'étude de la nature des enseignements et des
inspirations nouvelles.
Dessin de Bloudel.
" La Nymphe de la Seine », plaquette en argent.
[Modèle de 0. Roly. — Exécutée pur Chn'stofle.)
CHAPITRE NEUVIÈME
«
La Troisième République
(de 1891 à 1900)
A la recherche d'un style. — L'Exposition de l'Art de la femme en
1891. — L'admission des artistes décorateurs aux Salons annuels.
— L'Exposition de 1000. — Les succès de l'orfèvrerie française. —
L'Art nouveau.
'Exposition universelle de 1889 avait été pour l'orfèvrerie
le triomphe et comme l'apothéose du style Louis XV.
Impossible d'imaginer pastiches plus nombreux et imi-
tations plus parfaites. A l'exception d'œuvres très clair-
semées, dues h l'initiative de Lucien Falize, de Vever, de
Cardeilliac ou de Christofle, dans lesquelles se marquait
résolument un effort d'invention personnelle, un essai
d'affranchissement du joug de la copie, ce ne furent guère
que réminiscences de la vaisselle du dix-huitième siècle.
L'excès même de ce débordement de rocailles fut pour nos orfèvres un
avertissement. Ils commencèrent à comprendre le danger de rester confinés dans
le rôle de copistes. Ce fut pour eux un trait de lumière que la monotonie résul-
tante de cette agglomération d'argenterie Louis XV. N'allait-ou pas finalement les
— 300 —
accuser d'impuissance à rien invenl(!r de nouveau? Le public n'éUiit-il pas prfil
à se lasser de ces éternelles redites des formes du passé, ainsi que l'annonçaient
hautement, dans les journaux et dans les revues spéciales, des écrivains qui
revendiquaient pour la fin du dix-neuvième siècle, le privilège qu'avaient eu les
siècles précédents, de posséder son style
propre? Ne fallait-il pas redouter enfin
que l'industrie étranj^ère, profilant de la
torpeur des fabricants français, et de leur
obstination à ne chercher leur inspiration
que dans les chefs-d'œuvre anciens de
l'art national ne prissent l'initiative de
créer de l'inédit, et ne s'emparassent ainsi,
au grand dommage du commerce de la
France, de la direction du goût qui de-
puis des siècles avait été notre apanage
presque exclusif?
Ces réflexions et ces craintes prirent
d'autant plus rapidement consistance qu'à
cette même exposition de 1889 des sym-
ptômes non douteux étaient apparus qui
prouvaient combien le public se trouvait
dès lors disposé à accueillir avec empres-
sement et à fêter toute espèce de rajeu-
nissement des arts décoratifs. On avait
applaudi, en effet, aux tentatives origi-
nales de quelques céramistes, tels que
Chaplet, Delaherche, d'artistes comme
Brateau, le ciseleur aux aimables nou-
veautés, d'une poésie si gracieuse, de la
manufacture de porcelaine de Copen-
hague. Mais, surtout, le succès des œuvres
d'Emile Galle, ce génial verrier de Nancy,
fut prodigieux. « Voici enfin, dans notre
morne république de la division du tra-
vail, disait M. de Vogue (1), un homme qui nous fait comprendre la folie de
l'art telle; que Vasari la décrit chez les maîtres florentins, alors que, tour-
ment('s par des fornx's trop nombreuses, ils en délivrai(Mit leur imagination
avec tous les instruments, sur toutes les matières, dans un besoin de création
Calelière et sucrier décorés de Heurs de |)a\ ols.
[Modèle (h II. Vuver, 1HH9.)
{\} vicoiiilc M. de Vof^nii' : Uriii.ari/ues sur l'cxposilioii du Conlcaairc, 1880, vol. iii-18, p. 128.
— 301 —
universelle et continue. » Pour ses cristaux si variés, aussi bien que pour son
ébénisterie pittoresque, Emile Gallé avait emprunté ses motifs de décors aux
simples fleurs des champs, et avait su leur rendre leur personnalité, leur langage,
la vie mystérieuse de leurs attitudes expressives. En même temps que les fleurs,
il avait fait parler les oiseaux, les poissons, les insectes, et la fantaisie puissante
de l'artiste lorrain, symboliste à la manière des plus grands prêtres, — des
Edgard Poë ou des Shakespeare — avait une telle éloquence dans les humbles
matières mises par lui en œuvre, que le public en fut saisi d'un véritable enchante-
ment. Les dessinateurs industriels qui virent les ouvrages de Gallé à l'Exposition
de 4889 ne doutèrent plus que l'on ne fût à l'aurore d'une évolution définitive de
nos arts du décor, et que désormais ils allaient pouvoir demander uniquement à
la nature des éléments du style moderne qu'on espérait voir jaillir enfin de
leurs efforts.
Croyance chimérique, peut-être, mais qui en tout cas eut la vertu de provoquer
chez certains une fièvre généreuse, et d'échauffer les imaginations dans les ateliers.
Un écrivain admirateur passionné de Gallé, M. Roger Marx, traduisait ainsi l'enthou-
siasme qui anima à ce moment les pai'tisans les plus ardents des idées novatrices (1).
« Avec l'art français, qui ne dit jamais son dernier mot, a constaté M. Courajod,
avec cet art dont les tranformations sont illimitées, l'avenir n'est pas fermé, et
nous avons toujours le devoir d'opérer des émotions inédites. Et un philosophe
imbu des principes supérieurs du beau, de la mission économique et sociale
des arts dans notre pays, M. Ed. Aynard, s'est trouvé vers le même temps de la
nature, pour avertir « qu'en puisant au réservoir insondable de la nature organique
et inorganique, nos industries trouveront des trésors ignorés de formes et de
couleurs... A l'œuvre donc, architectes, peintres, sculpteurs, décorateurs, tous
si vivement intéressés à prouver cette unité, cette égalité des arts... A l'œuvre, et
qu'il vous souvienne, durant votre labeur — non pas comme d'une menace, mais
comme de l'indication du pire danger — que toujours il vous souvienne de
ce dilemme dans lequel Michelet a défini l'avenir de l'art français : « Inventer
ou périr (2) » !
On peut dire que dans toutes les industries s'éveilla, au lendemain de l'Expo-
sition de 1889, ce désir obsédant, impérieux de quitter les sentiers battus pour
marcher à la conquête de ce « style moderne» dont on parlait partout, en France
et à l'étranger, comme d'une nécessité inéluctable, et qui nulle part encore n'ap-
paraissait même à l'état d'ébauche. Seuls, quelques artistes isolés s'efforçaient
d'échapper à la tyrannie excédante de formules consacrées ou des styles connus
et donnaient carrière à leur fantaisie, sans souci des conventions admises, en
(1) Roger Marx, La Décoration architecturale et les indi/stries d'art à l'E-rposition universelle de 1889
(l vol., 1889, in-8»).
(2) Roger Marx, Les industries d'art à l'Exposition de 1S89.
— 302 -
prenant pour base de leurs ornementations une interpr(;tation partieulière de
la plante. Dans cette voie, le dessinateur Grasset avait été un précurseur;
son volume d'illustrations pour les Q«â!/rtf /«/.iv^ymon, d'une originalité très franclic,
circulait depuis une dizaine d'années déjà parmi les milieux artistiques, oij l'on
citait avec éloge l'essai de mobilier qu'il avait exécuté pour le graveur Gillot. Mais
c'étaient des exceptions. Le public avait ignoré ces tentatives individuelles, ou y
était resté indifférent, et les fabricants n'avaient nullement senti le besoin de faire
appel à ces audacieux coureurs d'aventure. Encore une fois, il fallut le succès
d'Emile Gallé pour leur ouvrir les yeux et leur prouver que le moment était venu
de s'orienter non plus du côté du passé, mais du côté de l'avenir, en cherchant
à être de leur temps et en fleurissant leurs œuvres de parures nouvelles, d'un goût
moins suranné. Quelle direction prendrait-on? On ne le savait guère. Ce qui était
sûr, c'est qu'il était urgent d'essayer de rompre avec la routine.
Les orfèvres eurent la bonne fortune d'avoir alors pour conseiller un de leurs
pairs, Lucien Falize, maître éminent, dont ils appréciaient hautement les connais-
sances professionnelles et dont ils admiraient le goût, l'érudition et le talent
d'écrivain. Chargé du rapport officiel de la section d'orfèvrerie à l'Exposition
universelle de 1889, Falize ne se borna pas à faire de ce document un chef-d'œuvre
de critique fine et pénétrante ; il s'y livra à une véritable déclaration de principes.
S'eftorçant d'éclairer l'avenir à la lumière du passé, il adjura ses confrères de
renoncer aux habitudes de pastiches dans lesquelles leur art s'enlisait. « Bons ou
mauvais, soyez avant tout de votre époque, leur disait-il. Je préfère l'originalité
primesautière et mal réglée d'un artiste à cette obéissance servile d'un copiste
qui s'acharne à quelque besogne rétrospective. Il exécute des choses qu'il ne com-
prend pas. C'est comme si l'on écrivait sous la dictée d'un mort(l). » Et il ajoutait,
faisant allusion aux scandales provoqués par les truqueurs et les faiseurs de
fausses orfèvreries anciennes : « Copier est un danger pour tout le monde, et, si
l'industrie en souffre, les curieux risquent de se ruiner à ce jeu. Ils ne savent pas
à quel degré d'habileté sont parvenus quelques ouvriers qui n'exposent jamais, qui
n'ont pas d'enseigne sur la rue et qui font en chambre le travail caché dont
ils vivent assez mal, mais dont profitent des spéculateurs malhonnêtes... Tout
y est, la forme et le décor, la qualité de l'argent, la patine, les poinçons et les
marques, la gravure des armoiries, le vieil écrin ; et l'histoire, et la provenance
et les preuves et la famille qui témoignera que, de père en fils, on s'est transmis
cette argenterie comme une relique... Pour ces raisons et pour d'autres qui sont
de goût et de bon sens, je crois qu'il faut se garder de suivre le penchant qu'a
pour les choses anciennes un groupe d'amateurs et de gens du monde. C'est une
fausse piste dont il faut détourner les artistes comme d'un danger. Trop d'imi-
(1j Ijic.irii I'',iliz ', lidji/i'.r/ sur rOrfàrrrrir à l' E.rposi/ Ion iiiiirrrxrllr de I8.S1I, pni.^(' 1 'lO.
— 303 -
talions ont été faites, bonnes ou mauvaises, coupables ou naïves, pour qu'il n'en
subsiste pas après nous; mais ces œuvres seraient mal classées et sévèrement
jugées, car l'histoire ne se recommence pas plus en art qu'en ce fait. Le faux
Louis XV sera toujours du faux, comme seront jugés faux et sans valeur les meubles,
les étoffes et les bronzes que l'on calque sur ceux de Cluny, du Garde-Meuble
et de Versailles (l). »
Abordant les questions de technologie qui s'imposent de nos jours aux
orfèvres, mis en possession des découvertes de la science : le tour, la gravure,
l'estampage, la galvanoplastie, etc., L. Falize montrait à quels regrettables contre-
sens, en dépit de leurs incontestables avantages, ils entraînaient trop souvent
les ouvriers, amenés à altérer l'honnête simplicité du modèle. «Une vulgaire
bouillotte, disait-il avec raison, fait à voir plus de plaisir qu'une soupière d'argent
surchargée de ciselures. » Et il rappelait les règles supérieures dont on ne devait
jamais se départir pour adopter les formules à l'usage, à la matière employée et
aux possibilités de l'outil. Or l'outil primordial, en orfèvrerie, c'est le marteau qui
permet d'emboutir et de rétreindre une feuille de métal pour en faire un vase, un
plat, un récipient quelconque. Voilà ce qu'il ne faut pas oublier, et les inventions
les plus ingénieuses du dessinateur et du modeleur ne sont acceptables que si
l'outil peut les traduire sans supercherie. Après avoir précisé les conditions
de clarté, de simplicité et de logique qui régissent la composition de n'importe quel
ustensile, vase, plat, corbeille, cuiller, cadre ou flambeau; après avoir montré
que les proportions des objets d'argenterie sont soumises à des lois qui ne changent
pas, qui constituent, pour ainsi dire, les cernons de l'orfèvrerie, et que c'est pour
cela que, dans cette industrie, les modifications aux formes sont lentes et que
le décor est moins changeant qu'en d'autres métiers d'art, Lucien Falize donnait
à ses confrères les avertissements les plus précieux pour qu'ils puissent se dégager
de la routine sans abdiquer aucun des principes traditionnels de nos glorieux
ancêtres.
Très nettement il concluait que, pour l'orfèvrerie, le salut était dans un retour
à la logique et dans l'appropriation intelligente des éléments de la nature à la
décoration des formes : « C'est par là, déclarait-il, que s'ouvre la voie, et comme
il faut que nous la montrions à ceux qui la cherchent, c'est cette forme-là que
nous déclarons la seule véritable et bonne (2). »
L'Union Centrale ne devait pas y rester indillérente, et elle pensa qu'elle devait
s'entourer de tous les concours, faire appel aux influences les plus diverses, et elle
eut l'idée de demander à la femme de l'aider dans le mouvement que Falize appelait
de tous ses vœux. C'est alors qu'elle organisa l'Exposition des Arts de la Femme,
(1) Lucien Falize, Rapport sur l'Orfèvrerie à l'Exposition universelle de 1SS9, page 140.
(2) L. Falize, Ibid., 141-142.
qui eut lieu eti 1891 et dont on se rappelle encore tout succès. La Ikvue des
Arts décoratifs demanda à un jeune orfèvre, M. André Bouilliet, de vouloir bien
écrire pour la Revue un compte rendu de cette Exposition. Je ne résiste pas au
plaisir de mettre sous les yeux du lecteur des extraits de cette étude :
« Les orfèvres à l'Exposition des Arts de la Femme? Mais pourquoi pas ?
)) Lorsque l'Union Centrale a mis dans son programme cette devise chevale-
resque : ((Tout pour la Femme et par la Femme », nous ne doutions pas qu'elle
avait bien entendu que, si les œuvres qui émanent de l'inlelligence ou qui sortent
de la main d'une femme devaient y figurer en première ligne, tout ce que
l'imagination et le goiàt de l'homme peut créer de précieux et d'élégant pour
satisfaire son luxe ou ses caprices n'en avait pas moins le droit de cité dans la nef
du Palais des Champs-Elysées. Ornement de la femme, complément de sa parure,
décor de son intérieur, luxe de sa table, ustensile ou bijou, c'est à l'orfèvre, c'est
au bijoutier que la femme viendra demander, pour la satisfaction de ses goûts,
quelques paillettes de son or, quelques perles de son écrin, quelques parcelles
de son argent. Et qui, mieux que l'orfèvre et le bijoutier, serait en état de réaliser
les rêves d'une imagination féminine? Orfèvre ou bijoutier, ou plutôt l'un et
l'autre, car, en dépit d'un classement philosophique qui les sépare dans les
grandes expositions universelles, ils travaillent l'un et l'autre les mêmes matières
avec les mêmes outils, et sont tous deux les serviteurs d'un même art. Vivant
côte à côte dans l'Exposition des Champs-Elysées, en bonne intelligence et en
parfaite harmonie, ils se soutiennent et se complètent; on voit leurs œuvres
réunies dans un même pavillon et, souvent, la même vitrine abrite des joyaux
merveilleux, des ciselures précieuses, des émaux aux couleurs éclatantes, car
il n'est pas rare de voir encore de notre temps, comme au dix-septième et au dix-
huitième siècle, le bijoutier, le joaillier et l'orfèvre former une trinité n'ayant
qu'une même tête pour composer, une même main pour exécuter les œuvres
inspirées par une femme.
» Mais, à l'époque où nous vivons, avec la nécessité de satisfaire une consom-
mation de plus en plus exigeante, avec les besoins d'un luxe épris des raffinements
de la coquetterie, avec l'extrême division du travail, l'orfèvre a dû se restreindre
à l'exécution du décor de la salle à manger et de ces mille objets d'usage jour-
nalier qui constituent le luxe de la table, de la toilette ou du boudoir, laissant au
bijoutier tout (;e qui sert à l'ornement et à la parure de la femme.
» Le champ n'est-il pas assez vaste? JN'est-ce pas la femme qui, ménagère
industrieuse, s'occupe de son intérieur; qui, maîtresse de maison élégante, tient
à avoir une table richement servie, artistement parée, dont on parlera au lundi
de la comtesse A..., au mardi de M'"" li...?
» A chaque réception, elle cherchera à inventer une disposition de son
argenterie, dont elle renouvellera l'aspect par des fleurs élégamment arrangées,
— 305 —
par des bibelots ingénieusement disposés, par quelque chose enfin que l'on n'aura
pas encore yu et qui lui fera, auprès de ses invités, la réputation d'une femme
de goût.
» C'est pour cela sans doute que, dans ces derniers temps, on a vu revenir
à la mode ces surtouts de glace qui se prêtent si bien aux innombrables transfor-
mations du décor de la table ; la femme peut, en effet, exposer là les trésors
contenus dans ses vitrines; elle peut disposer avec art, sur ces glaces enchâssées
dans des cadres d'argent ciselés, des vases, des corbeilles, des drageoirs, des
flambeaux d'argent, des porcelaines de Chine ou du Japon, des figurines de
Saxe auxquelles les fleurs semées à profusion forment un joyeux parterre.
» La fleur a toujours joué un grand rôle dans l'ornementation de la table ; mais
aux fleurs, quelque belles qu'elles soient, il faut uu cadre, un support, et c'est la
corbeille, la coupe et le vase d'argent qui en sont l'accessoire dont on ne saurait
se passer, car sans la note gaie et claire que jette l'argent sur la nappe blanche,
la fleur seule ne suffirait pas à l'égayer.
» Nous ne sommes plus, d'ailleurs, au temps de ces tables officielles, pom-
peusement ornées, où le surtout immuable dans sa raideur convenue ramenait à
chaque diner le même cortège d'argenterie monotone et banal. Nous ne connaissons
plus ces dîners chers à nos pères, où tous les mets étaient servis d'avance
et conservés chauds sous les lourdes cloches d'orfèvrerie ; le luxe des fleurs
n'avait pas encore pénétré dans nos intérieurs, et la maîtresse de maison ne
demandait qu'à son argenterie le soin de décorer la table; disposant d'une manière
uniforme et réglée d'avance ses réchauds et ses cloches, ses casseroles et ses
saucières, vpire même des huiliers et des bouts de table, elle s'attachait plutôt à
satisfaire le goût de ses invités par le choix délicat et la profusion de mets
savoure^ix, que par la richesse d'une orfèvrerie somptueuse. C'était l'ordonnance
d'un dîner servi à la Française : le maître d'hôtel enlevait successivement les
plats pour les découper à l'office, désorganisant ainsi l'aspect de la table, dont
l'effet d'ensemble se modifiait à chaque service et finissait par disparaître à la fin
du repas.
» Si ce va-et-vient de mets qui passaient au-dessus des convives n'était pas
sans troubler leur sécurité, il n'inquiétait pas moins la maîtresse de maison,
qui n'avait qu'une confiance limitée dans l'adresse de son maître d'hôtel.
» Mais un accident n'est pas toujours un malheur... Un jour, M'"*' Ancelot, qui
toutes les semaines réunissait à sa tabie cette pléiade d'hommes de lettres,
aimables causeurs qui, vers 1840, faisaient de son salon un des centres les plus
recherchés du monde parisien, avait reçu, la veille de son dîner, deux magnifiques
saumons qu'elle regrettait de ne pouvoir offrir ensemble à ses invités.
» Artistement disposé sur un plat d'argent, entouré de fleurs, l'un des
saumons trônait au milieu de la table ; le maître d'hôtel, empressé, s'avançait pour
— :m —
enlever le plat qui le contenait et le porter à roffice pour le flécouper, lorsqu'un
faux mouvement lui fit glisser des mains le précieux anirjial qui tomba, au grand
désespoir des convives.
« Xavier, apportez-en un autre », fit M'"" Ancelot avec le plus grand calme.
Et l'on vit aussitôt apparaître un deuxième saumon de même taille, servi sur un
second plat d'argent, entouré de fleurs et disposé aussi savamment que le
premier.
» Inutile d'ajouter que l'incident était voulu ; mais que le petit artifice était
bien d'une femme, et d'une femme d'esprit.
» Lorsque, plus tard, la mode fit adopter le service à la Russe, qui n'admet
sur la table que le dessert, les lumières et les tleurs, ce fut, à n'en point douter,
la femme qui fut la complice de cette mode nouvelle ; elle venait à point dans une
société à laquelle les expositions rétrospectives avaient donné le goût de la
recherche du bibelot. La femme, habile à comprendre tout ce que ce nouveau
allait lui procurer de jouissances intelligentes, s'éprit de ces délicates coquetteries
qui devaient faire de sa salle à manger et de son salon un musée dont elle
serait fière.
» La table s'est couverte alors de charmantes inutilités qui amusent le regard
et sont pour les convives l'occasion de dissertations savantes sur l'origine ou
sur les usages de l'orfèvrerie.
» Il n'est plus aujourd'hui de maison élégante où le luxe de l'orfèvrerie n'ait
pénétré ; de la salle à manger, il a gagné le salon où le thé du five o'clock est
devenu l'occasion de recherches originales, puis le cabinet de toilette où les raffi-
nements de la coquetterie fournissent d'heureux prétextes à des objets d'argent
finement ciselés.
» Il nous semble donc que l'art que l'on met à orner sa demeure, et plus
particulièrement sa table, est un art familier qui appartient bien légitimement
à la femme et lui permet de développer ses qualités naturelles, son goût, sa
science de l'arrangement et ses instincts d'élégance.
» La femme a toujours été et sera toujours l'artiste de la maison ; c'est elle
qui sait donner à son foyer l'aspect quiretlète ses goûts, qui sait choisir et draper
l'étoHè qui sied le mieux k son teint, qui sait disposer les meubles de son intérieur
pour en faire valoir les harmonieux contours, qui orne son salon de plantes et de
fleurs habilement choisies, qui accroche ses tableaux et groupe ses porcelaines,
ses bronzes, ses orfèvreries dans un harmonieux désordre, pour donner au
visiteur, dès son entrée dans la maison, l'impression vivante des prédilections
de celle qui l'habite.
» Mais, si la femme sait à merveille disposer les richesses accimiulées dans sa
d(!meuro, sa direction et son influence sont encore plus nécessaires dans le choix
et la coiiiniandc d(^s ()!)j('ts ([u'clle admettra chez elle.
— 307 —
» Mettant à profit ses facultés d'assimilation, son ingéniosité naturelle, elle
saura mieux que tout autre inspirer l'artiste qu'elle aura choisi; elle saura, véritable
curieuse de la forme et du décor, découvrir dans nos bibliothèques et nos musées,
dans les vitrines ou les cartons des amateurs, dans le fond d'une boutique ignorée,
le motif qui servira de thème à la réalisation de son idée, à la satisfaction de
son instinct de luxe et de coquetterie.
» Le rôle d'une femme de goût qui commande est donc plus important qu'on
ne saurait le dire, car elle peut, en devenant ainsi le collaborateur de l'orfèvre,
être d'un puissant secours dans les créations qui seront l'honneur de son temps.
» Depuis que la femme a pris, dans notre société, le rôle prépondérant
que l'homme se plaît à lui laisser, les œuvres auxquelles elle a consciemment ou
inconsciemment collaboré sont devenues des types auxquels, dans les arts fami-
liers, la postérité aime à reconnaître et à désigner l'époque qui les a vus naître.
» Il faut voir comment la femme, dans ce salon placé à la suite du Musée
rétrospectif, où elle a exposé toute une série de travaux d'art féminin, a compris
les ressources décoratives de la fleur. Elle l'a reproduite, interprétée par tous les
moyens dont dispose sa main délicate et habile, des guirlandes faites de petits
bouts de rubans ingénieusement arrangés, des chrysanthèmes jetés avec grâce
sur un paimeau de velours noir, des palmes, des roseaux et des fleurs dessinés
avec hardiesse sur un fond de soie de couleur crème et brodés avec un art mer-
veilleux qui rappelle les belles compositions de Philippe de La Salle ; partout et
toujours, la fleur aimée de la femme a été son inspiratrice.
» il faut voir dans les salles du premier étage, oîi sont exposés les dessins
exécutés par les jeunes filles de l'École des Arts décoratifs, comment elles ont
compris le parti décoratif qu'on pouvait tirer de la plante. Que de documents dans
ces études précises de la Nature, dans cette anatomie de la fleur, dans les appli-
cations qu'elles en tirent pour les industries les plus diverses; que de fraîcheur
dans ces idées, que de nouveautés dans ces modèles pleins d'ingéniosité et
de goût, ces jeunes filles viennent offrir à l'orfèvre, au céramiste, au verrier; c'est
un art nouveau, c'est un style nouveau qui, né d'une source si pure, puisqu'il
nous est inspiré par la fleur, peut bien demander à la femme aide et protection.
» De récentes recherches archéologiques et les expositions rétrospectives, dues
à l'initiative de l'Union centrale, avaient remis en honneur les styles des dix-sep-
tième et dix-huitième siècles : ce fut un véritable engouement. Tout au Louis XV,
à la Régence, au style Pompadour; tout y passa et redevint à la mode du dix-
huitième siècle, orfèvrerie, bijoux, tissus et ameublements. L'Exposition de 1889
nous avait montré que l'apparition d'un style nouveau n'était pas encore proche.
» Mais c'est le public qui ne l'a pas encore compris ; il s'en tient aux choses qu'il
connaît, il n'aime que ce qu'il a déjà vu; tout ce qui est nouveau l'étonné, il craint
de se tromper, n'ose l'admirer et encore bien moins l'acheter.
— :kj8 —
» Cependant, l'Union centrale, qui avait le sentiment du danger, cherchait
à détourner les esprits de ces irnitatiofjs serviles, et par l'organe d'un de
ses membres les plus autorises, un orfèvre, celui-là, invitait les produc-
teurs à chercher et à trouver dans la nature un rajeunissement des styles
français.
» Les idées de M. Falize ont pénétré dans les ateliers, ont infusé un sang nou-
veau aux jeunes élèves des écoles d'arts décoratifs. Les expositions des travaux
de fin d'année nous montrent que l'idée est en voie de faire son chemin et que les
Service à Uié sur plateau, décoré de chrysaiilhènies.
{Orfèvrerie de Boin-Tahuret.)
jeunes gens et jeunes filles qui fréquentent ces écoles forment déjà un noyau
d'artistes pleins de promesses et d'avenir.
» L'expérience était tentante et l'idée de chercher chez la femme une alliée
allait faire son chemin, et l'Union centrale décida d'ouvrir en 1891 une exposition
des arts de la femme.
» Comment les orfèvres allaient-ils répondre à ce pressant appel? La désillu-
sion fut grande et il me suffira de rappeler les œuvres exposées pour montrer que
l'idée nouvelle n'était pas encore comprise, et qu'il nous faudra attendre 1900
pour constater les premiers efforts faits dans la voie nouvelle.
» M. lîoin-Taburet, dont on se rappelle la très élégante exposition en 1889,
continue à sacrifier aux dieux qui l'ont inspiré jusqu'ici et ont fait de sa maison
le tcinphî (le roi-fèvrcric I^ouis XV. Sa clientèle féminine, habituée à trouver chez
M. TahurcI, son beau-père, his éléganis bijoux du dix-huitième siècle qu'il sau-
— 309 —
vait du creuset, n'aurait pas compris qu'il pût chercher autre chose et s'inspirer
d'une autre époque, lorsqu'il est devenu orfèvre.
» Germain et Meissonnier sont ses maîtres et l'élève a si bien profité, leur
manière est si bien devenue la sienne, qu'on ne saurait dire si ses œuvres
sont exécutées d'après un dessin de Meissonnier ou de M. Boin. Car il dessine
très bien, l'orfèvre de la rue Pasquier, il sait son dix-huitième siècle sur le bout
du doigt, et nul autre que lui n'était mieux préparé à ce retour en arrière. Son
goût très fin et son intelligence des affaires se traduisent jusque dans l'élégant
magasin auquel il vient d'ajouter, entre la boutique et l'atelier, une salle à man-
ger dont la boiserie blanche et le décor élégant nous remettent en mémoire les
petits soupers de la Régence, dont les gravures du temps nous ont laissé le sou-
venir. On ne pouvait plus adroitement encadrer cette orfèvrerie et en rendre
ainsi l'achat irrésistible à son aimable clientèle.
» M. Boin expose un très joli surtout que nous connaissons déjà; on a plaisir
à le revoir. Meissonnier l'inspira, et les sculpteurs Bonat et Peynot l'ont habile-
ment reconstitué ; la ciselure en est faite avec goût. Un autre, plus complet et
tout à fait personnel à M. Boin, n'a fait que paraître à l'exposition; les exigences
de sa clientèle l'ont obligé à le retirer, et c'était dommage. Nous ne parlerons que
pour mémoire de ses autres pièces : légumiers et saucières, plateaux et dra-
geoirs, services de toilette et services à thé, qui le montrent en pleine possession
de son talent et de son art, mais tout est Louis XIV, Régence et Louis XV.
» Cependant M. Boin, qui ne se désintéresse pas complètement des efforts et
des tendances de l'art contemporain, avait exécuté pour l'Exposition de la Plante,
dont l'Union centrale avait élaboré le programme, un service à thé d'une forme
simple, dont toute la décoration était empruntée à la fleur du chrysanthème.
Le dessin de la fontaine et du pot à crème, que nous donnons ici, nous montre
que M. Boin n'a qu'à vouloir pour faire du nouveau et le réussir; mais sa clien-
tèle le suivra-t-elle? C'est une question entre elle et lui et non de notre com-
pétence.
» De style Louis XV aussi sont les expositions des orfèvres ses voisins,
MM. Guerchet, Bachelet et Harleux, qui nous montrent des surtouts, des candé-
labres, des services de table et des services à thé où l'on ne voit pas d'effort
nouveau ; c'est bien et habilement fait, mais c'est toujours le même style.
» M. Gaillard fils a une charmante exposition, et l'on sent que sa clientèle est
féminine. Garniture de toilette, ornements d'étagère ou de table de salon dont la
mode a répandu l'usage depuis qu'on les fait en argent, y figurent en grand
nombre et très variés de forme et de décor.
» Dans ces derniers temps, M. Gaillard, avec une fécondité vraiment curieuse,
a créé un nombre considérable de petites lampes-bijoux, comme il les appelle, et
qui sont de véritables bijoux de lampes; il n'est pas de femme un peu élégante
— —
([ui n'en possède un exemplaire. Ces modèles soni, fins et bien Iraités, et, ce qui
n'est pas un mince mérite, très variés de style et de composition. A côté d'une
lampe Louis XV dont la panse est formée d'un coquillage à la l)ase duquel s'en-
roule un dauphin, évidemment inspir(' d'un sucrier de (icrmairi, on trouve un
modèle Louis XVI très finement ciseh;, aiiquel Marie-Antoinette n'aurait pas
refusé l'entrée à ïrianon ; puis, dans un mode nouveau qui rappelle les orfèvre-
ries américaines, une lampe en forme de baril, décorée d'un fouillis de fleurs, où
le muguet, l'anémone et le chrysanthème, se mêlent agréablement à des branches
Lampes de styles anciens el art nouveau.
{Orfèvrerie de Gtiillard .)
de fougère, le tout retenu à la base par une sorte de culot formé de plumes
symétriquement disposées. Ajoutez à cela des garnitures de bureau et de toiletle
parmi lesquelles une série de brosses Louis XVI, finement ciselées, est tout à fait
remarquable, enfin tous ces bibelots d'argent que la mode a répandus dans le
monde élégant, et vous aurez une idée de l'exposition de M. Gaillard fils.
» M. André Aucoc marche toujours dans la voie qui avait fait son succès en
1889; fils et petit-fils d'orfèvre, il coniuiît son métier et a su conserver les tradi-
tions (^t grandir la réputation paternelle.
» Le décor du salon qu'il occupe à l'Exposition des Arts de la Femme est une
trouvaille. Sur des murs blancs, décorés de pamieaux moulurés en menuiserie,
sont accrochés comnnî dans une vieille salle à manger de famille, des portraits,
une glace, un cartel, un baromètre, (pii lui donnent un air de vie et d'intimité
familiale.
» L'orfèvrerie y semble bien à sa place, sur un dressoir central ou sur des
encoignures, sur des guéridons ou dans des vitrines plates, les objets exposés
sont dans leur milieu ; on y retrouve un surtout d'argent dont les candélabres
sont formés par des vases de cristal enveloppés par trois rinceaux dont les
branches enroulées en spirales portent les lumières (1); deux services à thé dans
le style Louis XIV et Louis XV, disposés avec goût sur des tables basses, sont
de mignonne proportion et bien faits pour l'usage personnel d'une maîtresse de
maison élégante à l'heure des visites. On remarque en-
core une jolie garniture de toilette en vermeil, apparte-
nant à M"'^ de Lesser : une boîte à poudre en argent, ayant
appartenu à la collection Eudel, a servi de thème à la
décoration, très réussie d'ailleurs, de toutes les pièces
de cette toilette.
» MM. Poussielgue frères, les grands fabricants d'or-
fèvrerie religieuse, n'ont pas manqué à ce rendez-vous
des orfèvres parisiens; ils ont pensé que la femme, gar-
dienne des traditions pieuses de la famille, ne devait pas
être oubhée, et ont installé, dans le centre de leur expo-
sition, un oratoire élégant qui ferait bonne figure dans la
chapelle d'un de nos vieux châteaux de France.
» Pour ne pas avoir l'ampleur de ces grands autels
monumentaux auxquels leur père avait attaché son nom
et dû ses meilleurs succès, celui-ci, par ses heureuses
proportions, par ses élégantes dispositions, nous montre
que MM. Poussielgue fils sont les dignes continuateurs de
leur père.
» M. Debain expose dans une grande vitrine à quatre
faces, un peu trop remplie peut-être, qui fait regretter
qu'il n'ait pas demandé une place plus grande, ou qu'il
n'ait pas usé plus sobrement de celle qu'on lui avait ac-
cordée; on eût mieux vu et plus apprécié certains objets qui souffrent de leur
entourage. Une petite pendule en argent d'un très joli dessin disparaît à côté
des grandes corbeilles de surtout qui l'écrasent. Une saucière en vermeil, qui
rappelle la toilette conçue dans le goût de Germain et qui fut une des pièces
capitales de son exposition de 1889, est une œuvre d'orfèvrerie tout à fait réussie-
Elle fait partie d'un service complet que M. Debain exécute en ce moment, et
que nous regrettons de n'avoir pas vu à l'Exposition. Là, comme ailleurs, le style
Louis XV règne en maître.
Brosse de toilette
de style Louis X^'I.
{Orfèvrerie de GnillarcL)
(1) Nous en avons donné la reproduction au chapitre précédent.
— —
» M. Gueylon ne sacrifie pas au goût du jour; il nous montre quelques pla-
teaux, quelques coupes, dont le décor à feuilles de lalariier ou de palmier a s(;duit
la commission d'achat, qui en a fait entrer un exemplaire dans les collections du
Musée des Arts décoratifs. MM. Keller, dans des garnitures de nécessaire et de
toilette, s'inspirent du goût anglais.
» J'aime mieux me réserver pour un véritable artiste, M. Jules Brateau, sculp-
teur et ciseleur, orfèvre et potier d'étain, comme Briot. Instruit par une collabo-
ration assidue avec les orfèvres, qui lui devaient une partie de leur succès, il est
Cardicre et plateau de style persan.
[Orfèvrerie d'éluin. — Modèles de J. Brateau.)
devenu orfèvre lui-même, et, voulant prendre une place h part, c'est à la résur-
rection de l'orfèvrerie d'étain qu'il s'est consacré, et il y est passé maître.
» Sculpteur, il fait ses modèles; ciseleur, il retouche et grave les creux dans
lesquels il coulera le métal docile; orfèvre, il les termine en homme habile et
rompu aux difficultés du métier. De collaborateurs, il n'a que ceux qu'il a formés,
et sa femme, sa meilleure élève, l'assiste dans ses travaux.
» Ktait-ce pour nous apprendre que la femme aussi peut devenir un habile
orfèvre ?
» Nous retrouvons dans sa vitrine des Champs-Elysées quelques-unes des
pièces <\u('. l'on s'(!st disputées au (!lhamp-de-Mars en 1889 : l'aiguière et le pla-
teau qui, toul en faisani s()ng(M' à Bi'iot, lui son! complètement personnels; la
— 313 —
Gobelet aux bryones des haies.
(Orfèvrerie d'étain de J . Braleau.
cafetière persane, si agréable dans ses lignes, si parfaite comme type du style
oriental, où domine la fleur à l'exclusion de la figure.
11 a aussi des créations nouvelles, et, pour accom-
moder rétain à la mode du jour, il nous montre une
écuelle Louis XV, peut-être un peu trop chargée d'or-
nements, mais d'une perfection d'exécution vraiment
rare ; il ne s'y attarde pas cependant, et dans des
gobelets de forme simple, on aitne à sentir l'influence
t ^. "^^^Hl études de la plante vivante : la bryone et le lierre
ij ^^K^M terrestre, le seigle et le houblon, qui leur servent de
décor, sont interprétés avec goût.
» A côté de M. Brateau, MM. Christofle avaient
leur exposition ; je ne veux en parler qu'avec la plus
grande discrétion : elle me touche de trop près pour
que j'essaie d'apprécier leurs efforts, et, s'il est permis
à un père d'être indulgent pour ses enfants, on ne
saurait reprocher au fils ou au neveu d'avoir une pré-
dilection marquée pour les oeuvres paternelles. Je me bornerai donc à rappeler
la part que la maison Christofle a prise à l'Exposition des Arts de la femme, et
à saluer et remercier ici en son nom les artistes éminents qui ont été ou sont
encore ses collaborateurs : les dessinateurs Rossigncux, Reiber et Godin; les
sculpteurs Roty, Mercié, Coutan, Mathurin-Moreau,
Levillain, Chéret, Mallet, et ceux qui ne sont plus,
Gumery, Aimé Millet, Delaplanche, Lafrance, HioUe,
Carrier-Belleuse, Rouillard, et tant d'autres.
» Je ne saurais cependant passer sous silence
les efforts que MM. Christofle avaient faits pour
répondre au programme de l'Exposition de la
Plante, que l'Union centrale avait rêvée pour cette
année. Mais les difficultés d'exécution et l'impos-
sibilité de l'ouvrir à l'époque où les premiers bour-
geons d'avril viennent saluer le retour du prin-
temps, l'ont fait ajourner jusqu'au moment où
l'Union centrale, maîtresse chez elle, pourra l'ou-
vrir à son heure.
» Des vases à fleurs, des drageoirs, des services
à thé, empruntant aux fleurs de nos champs, aux
fruits des vergers, aux herbes potagères, leurs
formes et leurs décors, étaient là comme les pré-
misses d'une orfèvrerie nouvelle : un autre dira s'ils ont réussi, mais les gra-
Goliclet seigle et houblon.
[Orfèvrerie d'éLain de J. Brateau.)
— 314 —
vures qui accompagnent ces lignes montraient leurs efforts dans la voie nouvelle.
» Un nom manque à la liste de tous ces orfèvres, c'est celui de M. Falize.
» Cédant aux sollicitations de ses amis, il a cependant, sur le tard, envoyé la
meilleure de ses dernières Oîuvres, cette Gallia
qu'il avait exécutée pour l'Exposition de 4880 et
qui fit une si profonde impression sur tous ceux
qui la virent à cette époque.
» On lui fit une place d'honneur sur le palier
de l'escalier qui conduit au Musée des Arts déco-
ratifs ; elle était à mi-chemin et n'avait plus que
quelques degrés à franchir pour entrer triompha-
lement au Musée.
» Le ministre des Beaux-Arts ne l'a pas voulu
ainsi et l'a achetée pour l'État. Entraîné par le
mouvement d'opinion qui, cette année, a fait in-
troduire, pour la première fois, des œuvres d'art industriel au Salon du Champ-
de-Mars, il a décidé de former au Luxembourg une section pour les artistes de
l'industrie, réalisant ainsi les idées émises par les hommes éminents qui forment
le Conseil de l'Union Centrale, et développées et soutenues avec autant d'autorité
N" 1. N" -2. N" 3.
^'ascs i'i lU'iirs, iui noinoaii.
N" I. Arlicliaul. — N" 2. l'icd de cd'lvvi. — 3. Chardon.
{Orfôvri'i-ie de CJtrisloflv .)
que de lalcnl, par la IkDKc des Avis drearaUfs et son rédacteur en chef. Nous
sommes, [tour noire part, luîureux de voir enlrei' dans ce musée une œuvre de la
N° 2.
Drageoirs en forme de fruits coupés.
N° 1. Péclie. — N° 2. Poire.
{Orfèvrerie de Chrislofle.)
313
Services à Ihé, en arj^ciit
N" 1. PaLissou. {Sciil;jlara de L. ihdlet.) — N" -i. Feuilles d'urlicliaul. (Sciilplnre du Dinéu.)
{Oi-ficrcrie de Ch risluflc.)
— 317 —
valeur de « la Gallia », en attendant, comme l'a fort bien dit le ministre des
Beaux-Arts, dans la spirituelle réponse qu'il a faite au toast de M. G. Berger,
lors du banquet offert par les exposants, « qu'elle aille au Louvre retrouver
les chefs-d'œuvre de la galerie d'Apollon ». Et il y fera bonne figure, ce buste
d'orfèvrerie chryso-éléphantine, car, s'il est destiné à rappeler le nom d'un artiste
éminent, il aura aussi le mérite de rester comme un écho de la fierté gauloise
de notre race, un peu attristée aujourd'hui, mais sûre de sa force et dédaigneuse
Service à llié eu ar^'ciit, en l'ormo de courge.
{Sciilpliire de L. Mnllel. — Orfèvrerie de Christofle.)
de ses ennemis. Avec son casque et sa cuirasse d'orfèvrerie, avec ses ors de
couleurs, ses damasquines et ses gemmes, avec son teint mat d'ivoire pâle,
« la Gallia » restera comme l'expression d'un art bien français où l'orfèvre a mis
tout son talent et tout son cœur.
» En 1889, on avait déjà voulu la laisser française en l'offrant au Président
de la République, comme le plus éclatant témoignage de l'intérêt qu'il avait
pris à l'Exposition. Un scrupule délicat empêcha le Président d'accepter; nous
avons été heureux de voir qu'un ministre ait osé en faire l'achat pour un musée
français. »
— 318 —
L'inadmissioii des objets d'art au salon annuel, qui n'avait aucune raison
d'être, offrait les plus graves inconvénients en ce qu'elle empêchait le public
de prendre contact avec les professionnels des arts du décor, de s'intéresser à
leurs progrès, de suivre d'une façon permanente leurs manifestations. Étrange
inconséquence du dix-neuvième siècle ! A mesure que les mœurs se vouaient à
la démocratie, l'art se pliait à un puéril aristocralisme ! Les hommes de talent
qui prêtaient leur concours à l'industrie affectaient de ne le faire que dédaigneu-
sement et par condescendance, presque en se cachant ! Comment le niveau de la
production pratique ne se serait-il pas abaissé? L'Union Centrale avait essayé
de créer, en 1883, le Salon des Arts décoratifs (1) qui devait relever à leurs
propres yeux les artistes de cette catégorie, leur restituer la dignité qu'on leur
refusait ailleurs, et les faire sortir de l'ombre. La tentative n'eut pas de suite.
Elle était venue avant l'heure. Mais, à la suite de l'Exposition universelle de 1889,
la Revue des Arts décoratifs reprit plus vivement sa campagne et, par des arguments
répétés, força la Société des Artistes français et l'opinion publique d'envisager
la possibilité de créer dans les Salons annuels une section des arts du décor,
comme il y avait des sections de peinture, de sculpture, de gravure ou d'archi-
tecture. La lutte fut vive. Les artistes finirent par nommer une commission pour
étudier la question, mais celle-ci ne semblait rien moins que disposée à incliner
à une solution favorable. Une de ses objections était celle-ci : « Il n'y a point
d'objet d'art qui ne dérive de la peinture, de la sculpture ou de la gravure. Par
conséquent, il est inutile d'ouvrir au Salon une nouvelle section. » La Revue des
Arts décoratifs Té'^onàsM : « Il est certain que tout art plastique procède du dessin :
mais il ne relève pas nécessairement que du dessin seul et dans son acception la
plus large. Admettez-vous, notamment, que la peinture ou la sculpture soient
pour tout dans la verrerie et dans la céramique? Elles n'y sont quelquefois pour
rien. Voyez, par exemple, les puissants grès flambés de M. Delaherche et mille
pièces exquises du maître verrier Emile Gallé, où les accidents du feu, savamment
et artistement utilisés ou ménagés, jouent un rôle si manifestement expressif...»
On aurait pu ajouter : « Et l'orfèvrerie? Pour donner toute sa valeur artistique à un
vase d'argent, n'est-il pas essentiel d'ajouter à la science des formes et du mérite
de la sculpture, une troisième qualité, presque indéfinissable, qui consiste à faire
chanter le métal, à lui faire parler le langage propre à sa nature même, et ce talent,
([ui ne tient ni au dessin, ni à la sculpture, ne réside-t-il pas proprement dans
le métier d'orfèvre, qui ne s'acquiert que par de longues années de pratique? »
Mais la Commission des Artistes ne se laissait pas convaincre. Un autre argu-
ment derrière lequel elle se dérobait était le suivant : « Nous n'avons pas à
(1) V<iy. le calul()f,'ii(ï du Salon den Avis (U'coralifs organisé eu 188U, par l'Union centrale des Ai'ls
ili!^corulifH, dans les salles du l'aluis do l'industrie, qui lui avaient ùlù concédées pour la constitution du
Mu Bée.
— 319 —
envisager l'art dans aucun de ses modes particuliers. Il sied de juger les choses
de plus haut et d'une vue plus grande. Une section des industries d'art au Salon
nous obligerait à sortir de l'ART PUR en tenant compte des matières. Or, rien n'est
plus contraire à nos données. »
« Contraire à vos données ! répliquait la Revue des Arts décoratifs, en vérité,
c'est alors que vos données sont mauvaises. Une œuvre d'art, en effet, n'a sa portée
entière, sa plénitude de sens et de beauté que dans sa réalisation parfaite.
La conception d'un orfèvre est une conception d'orfèvrerie et non de sculpture.
La conception d'un verrier est une conception de verrerie et non de peinture...
De quel droit juger au seul point de vue des arts officiels des artistes qui ne veulent
être, après tout, ni statuaires ni peintres? Vous voilà conduits à accueillir l'orfèvre
comme orfèvre, le céramiste comme céramiste, l'ébéniste comme ébéniste, ou à
méconnaître aveuglément les lois même de l'Art... (1). »
Les choses en étaient là, quand un des membres du Comité directeur de l'Union
centrale, M. Georges Gagneau, président de l'Union des fabricants de bronzes, par
un acte d'initiative dont l'honneur doit lui rester, publia, dans la Revue des Arts
décoratifs du mois d'octobre 1890, une lettre très ferme et très nette, demandant
l'admission des artistes décorateurs au Salon. « Deux choses, disait-il, contri-
bueraient à réveiller nos industries d'art : honorer les artistes qui s'adonnent à
ce genre d'art, et éveiller chez l'amateur le goût du nouveau... Or, ces deux
conditions essentielles, selon moi — honorer l'artiste, tenter l'amateur — peuvent
se réaliser dans des conditions très faciles. Nous sommes tous d'accord sur ce
point qu'il ne saurait y avoir de classification dans l'art... Eh bien, ce que nous
pouvons voir tous les jours au Louvre, je demande à le voir tous les ans au mois
de mai, au Salon des Artistes. Je rêve une salle spéciale dont les murs seront ornés
de panneaux de tapisserie ou de cartons décoratifs, où seront disposés des meubles
qui porteront des pièces de bronze, d'orfèvrerie, de faïence, de verre. On accepterait,
pour les arts de la décoration, les modèles des objets, à la condition que ces projets
seront entièrement achevés et décorés, tels que l'artiste les rêva terminés.
Les premières années seront les plus difficiles; mais, une fois l'idée admise, j'ai
la conviction que cette juste satisfaction donnée aux artistes industriels, que quel-
ques encouragements, commandes données à propos feraient du Salon que
je demande une des grandes attractions du Salon annuel, et détermineraient un
sérieux effort, profitable à la fois aux artistes, aux industriels, au pays en
un mot (2). »
(1) Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à la série d'articles remurquablejs publiés alors par la
vaillante Revue de la Société de l'Union centrale, et qui étaient dus, notamment, à la plume de M. Louis
de l'ourcaud, l'éiiiinent successeur de Taine à la chaire d'esthétique et d'histoire de l'art à l'Ecole des
beaux-arts, et à celle de son directeur M. Victor Ghampier.
(2) La lettre était signée: G. Gayneau, présklmt de la Chambre syndicale des fahricants de bronzes.
Elle était adressée à M. le président de l'Union centrale des Arts décoratifs.
13
— 320 —
La lettre de M. (lagneau, appuyée par les plus influentes |:)ersotir)alités du
monde des arts, eut son plein effet. Dès le moh de mai 181)1, la nouvelle Société
des Artistes, présidée par Puvis de Chavannes, et créée en concurrence de l'an-
cienne Société, dont le Salon annuel était souvent au Palais des Champs-Elysées,
organisait dans le local qui lui était attribué au Palais du Champs-de-Mars son
premier Salon en y instituant une section des Arts décoratifs, qui obtint aussitôt
le plus grand succès. La cause était donc gagnée. Le directeur de la /{evue des Arts
décoratifs enregistra cette victoire dans un article intitulé : « Les Arts fraternels au
Salon du Ghamp-de-Mars ». Il disait : « C'est un événement considérable et dont
notre Revue a particulièrement le droit de se réjouir, que l'innovation réalisée
cette année au Salon du Cliamp-de-Mars. En organisant bravement, à côté des
œuvres de peinture et de sculpture, une section «des objets d'art», la Société
nationale des Beaux-Arts, présidée par M. Puvis de Chavannes, a porté un coup
décisif au préjugé qui, depuis trop longtemps, jette sur l'art en général le discrédit
d'une hiérarchie que réprouve le plus simple bon sens. La campagne que nous
menons dans cette Revue depuis douze années aboutit donc enfin à ce résultat, et
le succès couronne notre effort (1). » Tous les journaux quotidiens, le Temps,
le Gaulois, r Éclair, etc., les revues mensuelles saluèrent cette réforme et y
applaudirent. Dans le Voltaire, M. Roger Marx, inspecteur général des musées,
rendant justice aux efforts de l'Union Centrale, à qui était dû pour une grande
part ce résultat, s'exprimait ainsi : « Parallèlement, d'autres actions se sont exercées
utilement : celle de l'Union Centrale et de la Revue des Arts décoratifs, à laquelle
M. Victor Champier a consacré, avec le plus chaleureux désintéressement, les res-
sources d'une foi ardente et d'une érudition renseignée sur tous les sujets ; celle
aussi d'écrivains à l'esprit libre, au jugement compréhensif, à l'instinct esthétique
sans cesse en éveil, qui, à l'exemple des Concourt, des Burty, se sont pris d'un
goût infini pour ces études et en ont augmenté l'attrait par la qualité de l'expression
littéraire et l'imprévu suggestif des aperçus philosophiques... »
Le public visita avec un tel empressement la section des objets d'art au
Salon du Champ-de-Mars, et manifesta si clairement son plaisir de cette innovation
que, ne voulant pas rester plus longtemps en arrière, la Société des Artistes fran-
çais, qui avait son siège au Palais des Champs-Elysées, renonça à ses résistan(;es
traditiomialistes et se décida à accueillir, elle aussi, les arts du décor.
A partir de ce moment, comme si un vent de folie eût soufflé sur les esprits,
ce fut à qui, pai-nii les artistes de l'industi-ic, poserait les jalons de ce « style
nouveau », qu'on prétendait créer de toutes pièces, et à qui inventerait quel{|ue
forme imprévue, bizai-re, ne rappelant plus rien de ce (ju'avait enfanté le passé.
De r(!X(;ès d'un mal, on tomba dans un pire. Après s'être contenté trop longtemps
(1) Viiy. la Iti'Dili: lies .iris (l('fiira/i/\-, lniiii: il.
— 321 —
de pasticher, en orfèvrerie, le slyle Louis XV, on se lança tout à coup dans l'inco-
hérence des décors inspirés sans rime ni raison de la fleur et de la plante. On en
mit partout, à tout propos et hors de propos. Chaque année on vit, de 1894 à 1900,
soit au « Salon du Champ-de-Mars », soit au « Salon des Champs-Elysées »,
des objets d'art en matières précieuses, vases, coupes, drageoirs, plateaux qui,
pour la plupart, étaient des objets d'exception, faits bien plus pour attirer
l'attention des amateurs millionnaires épris de singularité, que des objets d'usage,
de forme rationnelle, étudiée simplement en vue d'une destination précise et de
la commodité. Ce n'étaient point des orfèvres, en général, qui exposaient ces
argenteries « abracadabrantes», mais c'étaient surtout des artistes, modeleurs ou
dessinateurs, impatients de secouer la discipline nécessaire du métier, et de
s'affranchir de toute règle.
Comme ils s'adressaient désormais directement au public, à qui ils présentaient
leurs œuvres sans l'intermédiaire des fabricants, ils visaient avant tout à produire
de l'effet par l'étrangeté des conceptions. Ce fut une belle débauche d'imagi-
nation ! L'or, l'émail, l'ivoire furent appelés à rehausser la richesse de cette
orfèvrerie d'exposition, qui semblait convenir bien plus à des nababs d'outre-mer,
aux snobs de toute provenance, à des personnages des Mille et une Niais qu'aux
positifs bourgeois de notre vieux continent à la fm du dix-neuvième siècle. Cela
devint une mode, durant cinq ou six années, de ne jurer que par 1' u art nouveau »
et de ne croire qu'au « modem' style ».
Cet entraînement, il faut le dire, n'était guère qu'en surface, et les adeptes des
théories nouvelles faisaient plus de bruit, en réalité, que de besogne. Dans
le public, parmi les fabricants, chez les artistes même, que l'irruption soudaine
du « modem' style » avait séduits ou déconcertés, les opinions restaient fort
divisées. L'Art nouveau! qu'est cela? disaient avec mépris les partisans quand
même de la tradition, de l'académisme et des formules. Nous ne connaissons
qu'un seul art, celui qui est éternel, qui a existé jadis et qui existera demain ; celui
qui, supérieur à la mode, insensiblement modifié par l'action des climats, des
peuples et des mœurs, n'exprime que la souveraine beauté. » — a L'Art nouveau,
s'écriaient de leur côté les enragés archéologues, les amateurs de bibelots anciens,
l'art nouveau, où le voyez-vous? Est-ce que vous donnez ce titre aux essais
informes que quelques-uns de nos contemporains produisent à nos Salons annuels?
Et, d'ailleurs, pourquoi s'efforcer de chercher un art nouveau, alors que nous en
avons un ancien qui est admirable, que l'on copie et que partout on nous envie. »
— « VArt nouveau, protestaient en chœur certains professionnels de l'orne-
ment, dont l'éducation avait été commencée trente ans auparavant dans la scho-
lastique déprimante des ateliers voués au commerce des pastiches, l'Art nouveau,
en quoi cela consiste-t-il? Est-ce cette orfèvrerie qui nous montre, reproduits en
argent, tous les spécimens du règne végétal plus ou moins stylisés, c'est-à-dire
— :m —
déformés : des feuilles de chêne servant de plateaux, des artichauts disf)0scs en
sucriers ou en cafetières? La vérité, c'est que <fcela n'existe pasw. L'art actuel
reste lié par un robuste anneau à la chaîne des styles français d'autrefois. Croire
qu'un style peut être créé tout d'un coup, par génération spontanée, c'est folie ! »
a L'Art nouveau^ disaient enfin les fabricants non sans mélancolie, nous ne ie nions
pas, nous ne le méprisons pas, mais nous prions qu'on nous en donne la formule.
Nous ne pouvons improviser dans le vide. Il nous faut une base. Oîi est l'homme
au talent transcendant qui nous la fournira? Jadis, aux époques de transition, tou-
jours il y eut une direction supérieure pour donner l'élan aux diverses industries,
A l'heure actuelle, personne de qui suivre l'impulsion. »
Telles étaient, résumées peut-être avec une pointe d'ironie (i), les doléances,
les réticences, les récriminations que soulevait cette question de « l'art nou-
veau », qui ne méritait pas assurément de susciter tant de discussion et de
commentaires. En réalité, l'expression avait surtout contre elle sa trop prétentieuse
précision. Elle caractérisait tout simplement une tendance et semblait affirmer un
fait existant. Elle indiquait un effort, pas davantage, et on lui donnait la signification
d'une victoire de l'ai-t futur sur l'art passé. De là les protestations, les colères et
aussi les déceptions qui se produisirent.
La date d'ouverture de l'Exposition universelle de 1900 approchait. Qu'allait-il
sortir de ce gigantesque tournoi? Quelle figure la France ferait-elle en présence
de ses concurrents étrangers? Nos rivaux, en mal d'art nouveau, eux aussi,
n'allaient-ils pas nous distancer? Inquiétante énigme! Problème redoutable!
Tandis que certains, délibérément, renonçaient à tout modèle rappelant les styles
anciens, d'autres, prudemment, temporisaient, faisaient la part du passé et celle du
modernisme, sacrifiaient à la fois aux deux divinités...
L'imposante manifestation de 1900 restera pour l'orfèvrerie française une
date inoubliable, car jamais peut-être, à aucune époque, elle n'eut à subir
épreuve plus périlleuse, et elle se tira de cette épreuve avec un incontestable
bonheur. Pour la première fois, elle abandonnait le sillon de ses séculaires
conquêtes, pour s'aventurer sur de nouvelles pistes où elle n'avait pas encore
essayé ses forces et qui étaient semées d'écueils, sillonnées de fondrières, avec
des ressources encore incomplètes, une connaissance insuffisante des éléments
qu'elle allait mettre en jeu. Elle a montré de quel goût, de quelle mesure discrète
et intelligente elle était capable dans l'application des programmes de 1' « art
nouveau ».
Qu'allait être cette Exposition? Ainsi que je l'ai fait au courant de ce livre
pour ti-acer le tableau des ell'orts des orfèvres pour relever l'industrie de l'orfè-
My ÎVoUri iiv.)iis i'ni|inmlr lus ciliitioiis pr6. éilniL à un article de M. Viclûi' Chauipicr diius la lynw
di:s Afin déciii/i/'s, lomc \VI, piif^,' (i.
Oslcusoii- tic Sainl-Marliu d'Aiiuiy.
( U r/'è l' r a rie cl '. l nnund- C;i lliiil. )
— 325 —
vrerie au dix-neuvième siècle, en empruntant aux rapports écrits à la suite des
différentes expositions les appréciations des rapporteurs sur les orfèvreries qui se
sont succédé pendant le cours du dix-neuvième siècle, j'emprunterai au Rapport
sur l'Exposition de 1900 les notices rédigées par M. Armand-Calliat, le rapporteur
nommé par le Jury.
Ce rapport, que la mort de l'auteur laissait inachevé, j'ai été chargé de le ter-
miner. Je l'ai fait avec plaisir, heureux d'associer mon nom à celui de l'émineiU
orfèvre qu'était M. Armand-Calliat.
M. Armand-Calliat et fils, à Lyon. — En me plaçant ici, je ne suis pas l'ordre
de mérite imposé par le Jury, mais celui que m'assigne le rang qui m'est échu
parmi les membres français du bureau.
Aussi bien, aurais-je voulu faire défaut,
comme on dit au Palais, tant ma tâche est
malaisée. Lucien Falize a connu le mêuie
embarras et il l'a courageusement franchi,
sans fausse modestie, parlant de ses tra-
vaux comme s'il s'était agi d'un confrère,
et cependant il devait être encore plus gêné
que je ne le suis, car il était l'auteur des
merveilles qu'il décrivait, taudis que, depuis
1890, c'est mon fils qui a la plus grande
part dans la direction de l'atelier, et que,
pour apprécier ses travaux, je n'ai qu'à me
défendre de ma faiblesse paternelle.
La place d'honneur était occupée par
l'ostensoir de Saint-Martin-d'Ainay, carac-
térisé par sa gloire crucifère surmontée
d'une couronne carlovingienne, ses riticeaux
ajourés, ses quatre évangélistes i-epoussés,
sa statuaire aux vêtements émaillés de bro-
deries; saint Martin, patron de la paroisse,
saint Pothin, saint Irénée et sainte Blaudine,
les saints chers à l'Église de Lyon, et sainte
Clotilde, dont le souvenir se rattache à Ainay. Avec ses émaux de tous nuancés
et doux, son fût de ton ivoire, sa joaillerie discrète, il synthétisait assez bien la
manière propre de l'atelier et les éloges ne lui ont pas manqué. Il reposait sur un
thabor de marbre rouge antique rehaussé du monogramme du Christ, émaillé, et
de quatre lions de bronze doré, où l'on reconnaissait les profils et la faune de
notre ami Charles Lameire, le grand peintre décorateur qui s'appuie comme
IMai'leau juljilaire de Sa Sainteté Léon XII L
{Orfèvrerie d'Armand-Culliiit.)
— :m —
I^ierre Bossan, notre maître, sur l'art primitif et en a (if-duit des fXMjvres puis-
santes.
Au pied de ce tliabor s'étalaient deux
portes de taljernacle; celle de Fourvières,
exécutée sur les beaux dessins de M. Sainte-
Marie Perrin, architecte, disciple et suc-
cesseur de Bossan dans la construction et
la décoration de la basilique, et celle qu'on
nous a demandée pour une chapelle de
couvent, entièrement repoussée, person-
nages et ornements. Près de ces portes,
c'étaient les
couronnes de
Notre-Dame de
Saint-Germain-
des-Fossés et
de Notre-Dame
de Bon-Se-
cours, la pre-
mière enrichie
de sujets re-
poussés, la
seconde de
champs d'é-
mail rose sur
lesquels s'en-
levaient des
scènes gra-
vées. Devant
elles, le marteau jubilaire de S. S. Léon XIII, enlacé
de branches d'olivier, tout paré d'émaux. Plus près
du spectateur, deux crosses, les plus précieuses qui
soient sorties de nos ateliers, exprimant toutes deux
la victoire du Bien sur le Mal : la crosse de feu le
cai'diiial Foulon, dont la volute est formée par un
dragon exf)irant sous la moi'sure du lion de Juda qui
a obéi au signe de la dextre du Christ, assis au centre
de la composition, (îiitr(î sa mère et saint Joseph qui
riinj)lor('nt ; la crosse de Sohîsnu^s, d'ivoire in-
crusté il'or et d'émaux, portard h; Couronnement de la Vierge dans sa volute, et,
Crosse du cardinal Foulon.
{Orfèvrerie d'Arinnnd-Callial.)
(".rosse (le Solcsnu'S, en
incrusii' d'oi' (•( d'émaux.
[ilrl't'rrcric d'A rnuind-(':illi:il .)
— :ui —
appuyée sur sa tige, une haute statuette de saint Michel archange, d'ivoire aussi,
ailé, vêtu et casqué d'argent doré et émaillé, ce qui achève d'équilibrer l'ivoire
et l'orfèvrerie.
Et puis, c'était notre péché, un surtout de table stupéfait de se trouver en si
dévote compagnie. Le tentateur — il m'a permis de le nommer — ce fut M. Edouard
Aynard. Libéral impénitent, il nous laissa le choix du sujet, choix plutôt embar-
Surloiit de lal)lc exécute pour M. Kd. Aynard, en i<)00.
(Orfèvrerie d'A rmn nd-Cnllial. )
rassant. La politique? sujet indigeste bon pour le tapis vert, non pour la nappe
blanche aux chemins fleuris; mais M. Aynard, conseiller des musées nationaux,
est un amateur averti qui s'entoure d'œuvres d'art. Voilà le sujet, et la Curiosité,
debout, dominant la composition, contemple amoureusement une statuette
de Tanagra, tandis que quatre adolescents, assis sur 'la margelle du surtout,
peignent, sculptent, cisèlent ou modèlent. De la nature végétale, de la flore, rien
que quelques brindilles de chêne et d'olivier. Certes, nous l'aimons, la flore :
depuis quarante ans, elle entre dans nos décors, souveraine, symbolique et parlante.
Seulement, s'il est une pièce de table qui puisse s'en passer c'est bien le surtout
qui la portera vivante, victorieuse de l'orfèvre assez imprudent pour placer sa copie
- :m —
si près du modèle, et l'exclure ici c'est éviter à la fois le pléonasme et la défaite.
Il n'y avait donc qu'une note moderne sur le surtout, et c'est la statuaire qui
la donnait : la Curiosité pensive, plus encore les adolescents aux formes graciles,
à l'expression recueillie ou fi('vreuse, qui sont de notre temps, en dépit des ailes
minuscules que nous leur avons données à l'exemple de ceux de M. lioty, puis-
qu'ils figurent les génies des arts que le surtout veut glorifier.
MM. Christofle et C'°. — Il est bien loin le temps où la maison Christofle sem-
blait vouloir borner son ambition à fabriquer l'orfèvrerie de table en cuivre
argenté à l'usage des hôtels, des restaurants et des ménages désireux de paraître
sans trop dépenser. Elle y ajouta bientôt une ornementation plus épurée, puis de
l'art, même un art très noble dans le service monumental dont les débris retrou-
vés dans les décombres des Tuileries figuraient à l'Exposition centennale, rongés
par les flammes, superbes encore malgré leurs plaies. On a dit que c'était folie
d'exécuter dans le bronze pareille œuvre; j'y vois plutôt l'habileié de Charles
Christofle qui, ayant fondé la maison pour exploiter les procédés de Ruolz et
d'Elkington, voulait établir l'imitation, vaincre cerlaines hésitations par l'exemple
de l'Empereur faisant l'économie de la matière au profit de la façon, et donner
ainsi tout son développement à l'industrie qu'il avait créée.
Ce grand autoritaire avait réalisé son dessein : s'emparer de toutes les
branches de l'orfèvrerie se justifiant mutuellement, et — gageure qu'il devait
perdre et qu'il a gagnée — acclimater l'art dans l'usine. Et cette organisation
puissante a pu tout embrasser et bien étreindre, avec lui, après lui, sous l'impul-
sion des directeurs qui lui ont succédé, son fils et son neveu, MM. Paul Christofle
et Henri Bouilhet, son petit-fils et son petit-neveu, MM. de Ribes-Christofle et
André Bouilhet.
C'est ainsi que la maison Christofle et C'° se présenta l'an dernier, forte de
l'acquis des années écoulées, et de ses conquêtes d'art nouveau, car elle multi-
plie ses sujets de fabrication et n'en abandonne aucun. Et si nombreuses étaient
les pièces qu'elle avait réunies, que je serai forcé de choisir parmi celles que je
voudrais décrire, tout au moins désigner par leurs caractéristiques.
Je vais droit aux compositions d'art nouveau suggérées par l'esthétique que
Lucien Falize définissait si bien quelques années avant sa mort, où la forme quel-
quefois, la décoration toujours, procèdent de la nature prise sur le vif. Nul ne
s'(!n est mieux pénétré que M. Joindy dans les douze plats de modèles variés, à
bordures de légumes, à têtes de béliers et de sangliers, à raies et cabillauds, mar-
quant la (histination de ces pièces de formes un peu hésitantes, neuves tout de
inênuï, tant rinv(!iition y est apparente; dans les deux casseroles dont l'artichaut
d'Espagne a fourni le galbe, et les deux saucières, modestes concombres asservis
s:ms vi()l('iic(! à c(!l office. Son sci'vice de table comprenant cinq pièces, pièce de
329
331
333
Prix iriioiinevir des Bandes tie nioutous et de bœufs.
Deux casseroles à couvercle exécutées pour le Ministère de l'Agriculture.
[Modèles de L. Mullel. — Orfèvrerie de Chrislufle.)
milieu, pièce de bout et candélabres électriques à branches recourbées en ovale,
moins familières, ornées de fleurs en haut relief, et un surtout à plateau, avec jar-
dinière à galerie où l'on retrouvailles légumes spirituellement disposés, complé-
taient cette série vraiment moderne et digne de ce sculpteur qui a tant et si bien
travaillé pour l'orfèvrerie.
Un autre groupe captivait l'attention du visiteur, celui formé de trente-sept
pièces de M. Arnoux, le jeune sculpteur que MxM. Christofle ont su s'attacher, le
chef de leur atelier d'art moderne, qui compose et modèle, sous l'inspiration per-
manente de MM. Henri et André
Bouilhet, plus particulièrement
chargés de la direction artistique.
Un vase décoratif en argent cu-
rieusement patiné, sur un socle de
spath fluor, le dominait de ses
l'",20. Poème : la flore des champs
et des jardins de France. La fleur
des prés et des haies s'épanouis-
sait à la base, simple et charmante;
au-dessus, orgueilleuse, la fleur
cultivée. Beaucoup de goût, un pro-
fil très pur, point de surcharge, un
modelé très souple, et pourtant je
ne jurerais pas que ce grand vase
l'emporte sur d'autres de la même
main, moins imposants, par exemple
les vases aux pavots, aux pensées,
et le vase aux iris, délicieux entre
tous. Le cantique de la flore, tout
ce groupe le chantait, et les quatre
assiettes à fleurs où les groupes
s'enlacent dans les lignes architec-
turales, symbolisant les saisons :
les violettes pour le printemps, les
pavots pour l'été, les chrysan-
thèmes pour l'automne, les roses
de Noël pour l'hiver, et le service aux pivoines; jusqu'à une lampe à pétrole
d'un décor imprévu, sans parler des coupes, des bols, des jardinières fleuries
à souhait.
Et ce n'était pas tout l'art nouveau de cette merveiUeuse exposition, nombre
d'objets étaient assez dégagés des vieilles formules pour lui être attribués. Je
Fontaine à thé en argent repoussé, décorée de feuilles
de platane.
[Modèle de Mallet. — Orfèvrerie de Christofle.)
- ;):{() —
citerai parmi coiix-là le liu' aux [)la(aiies du sculpteur l/'on Mallet,, notamment, la
fontaine qui est un pur clief-d'(ji3uvre, en argent doré vert et patiné.
J'arrive à l'œuvre capitale de la vitrine : le grand surtout en argent, l'Air et
l'Eau, composé et modelé par M. Uozet, statuaire, que MM. Cliristofle décrivaient
ainsi :
« La bordure est en forme de flots roulant des poissons et des coquillages. Des
figures dont les extrémités inférieures sont plongées dans les eaux symbolisent
Pri.v (-1rs Ci>iu-(]urs régionaux agric(-iles.
Soupière : La Soupe aux choux, à grifl'es cl anses pied de céleri el boulon cliou-fleur.
Exécutée pour le Ministère de l'Agricullure.
(Modèle de L. Mallel. — Orfèvrerie de Chrisiofle.)
les quatre continents baignés par les océans. Elles portent des coquillages lumi-
neux en cristal opalin et mordoré. De la bordure, les flots se soulèvent en une
vague lumineuse dont la crête se brise en écume et donne naissance à un nuage
figuré par un bloc de cristal opalin d'où émerge une figure d'ivoire tenant un
rameau fleuri. C'est Flore qui personnifie la vie végétale à la surface du globe.
Mystérieuse, fé(;onde, calme ou terrible, la Mer est l'image grandiose du mouve-
ment qui ne s'arrête pas, de la vie cpii ne finit pas. L'Air, à sa surface, aspire et
purifie l'Eau, qui, sous forme de image, va porter sur les continents les rosées
bienfaisantes. Neige sur les montagnes, pluie dans les vallées, l'Eau alimente les
lacs, les rivières et l(!S fleuves, et r-elourne à la Mer, source intarissable de toute
vitalité. »
337
Motif ceiilral tlii surUiul : <■ 1,'Aii' el l'Eau
(( I^a Flore ». slaLuettc en ivoire.
{Modèle de li. Rnzel. ( )rfèvv('rip de (Uiristofle
2.
Services à cale en ari^'enl repousse.
N" 1. Décor do feuilles d'eucalyptus. — N" 2. Décor de branches d'olivier.
{Dessins de II. Godin. — Scnlpliire dz L. Mallel. — Orfèvrerie de Chrislofle.)
— 343 —
La description est éloquente, l'œuvre ne l'est pas moins. C'est, assurément, la
conception d'un savant et d'un poète, réalisée autant qu'elle pouvait l'être par
l'orfèvre, avec un art supérieur, dans cette forme allongée et basse qui prévaut
aujourd'hui. Peut-être les cristaux envahissent-ils un peu trop la composition aux
dépens de l'orfèvrerie proprement dite; j'aurais aussi souhaité une note d'or sur
l'ivoire de Flore qui détonne légèrement dans l'ensemble faute de ce rappel,
impressions fugitives que la réflexion atténue bientôt, l'emploi du cristal étant jus-
tifié par l'effet voulu, et celui des voiles, pour la déesse, à tout le moins discu-
table. Que les heureux convives qui contempleront ce surtout en saisissent de
Service à café en argent repoussé, décoré de branches de pin.
[Dessin de H. Godin. — Sculpture de L. Mallet. — Orfèvrerie de Christope.)
suite toutes les abstractions, ce n'est pas certain; mais il fera penser, et c'est un
sujet de conversation qui en vaut bien un autre. Les initiés auront vite fait de
l'expHquer, et ceux-là même qui ne sauront pas seront ravis de sa splen-
deur, de ses méandres que la lumière électrique irise si mystérieusement, de sa
statuaire si magistrale, et, dédaigneux de mes subtilités, ils admireront sans
réserves l'ivoire immaculé de la Flore triomphante, la Muse de ce délicieux
poème.
On voit quelle part prépondérante MM. Christofle avaient faite à l'art nouveau,
ou, comme ils disent, au rajeunissement des styles français.
Trois services à café et à thé, empruntant leur forme ou leur décor aux fleurs,
aux fruits ou légumes, complétaient cet ensemble.
— 3/(4 —
MM. BoiN et Hrnry, orfèvres. — Président des Comités d'admission et d'ins-
tallation de la classe 94, M. Georges Boin était le président désigné de notre Jury,
assuré de son élection en vertu de tous les précédents. Il a préféré briguer le
grand prix, mettant cette récompense au-dessus de riionncMjr de juger ses con-
frères et de diriger nos délibérations. 8a légitime ambition n'a pas été défue : le
premier grand prix lui a été décerné et il le méritait par l'importance de ses tra-
vaux, par la belle ardeur avec laquelle il s'est jeté dans la mêlée, dépensant sans
compter pour réaliser ses idées, pour ajouter à l'éclat de notre exposition, qui
lui devait déjà d'avoir atténué, dans la mesure possible, les défectuosités de l'em-
placement qui nous était échu.
Service à thé en argent repoussé, décoré de branches de céleri.
(Dessin de II. Godin. — Sculpture de L. Mnllet. — Orfèvrerie de Clirislnfle.)
11 a bien fallu tout cela pour lui concilier les votes de ceux qui regrettaient de
ne pas voir chez lui le moindre effort pour accélérer le mouvement qui nous
entraîne loin des chemins battus. Avant d'être le brillant orfèvre que nous con-
naissons, il était l'antiquaire émérite, épris des styles du dix-huitième siècle, et il
l'est resté, résolument, réfractaire à toute évolution vers un art portant l'em-
preinte irré(;usable de notre temps; et il paraîtra paradoxal que, dans une exposi-
tion oîi l'art nouveau comptait tant d'œuvres suggestives, la récompense suprême
soit allée au plus intransigeant des disciples des vieux maîtres. A vrai dire, la plu-
I)art des orfèvres novateurs étant hors concours, la question de primauté ne se
posait pas entre les deux écoles : dès lors, il était difficile de résister à la séduc-
tion de son grand surtout, qui n'est point un pastiche, mais une véritable créa-
tion qui ne le cèd(! en rien à ce ([ue les Meissonnier, les Germain, les lioettiers
imposent à notre admiration.
Cette pièc(! maîtresses comprcîtid le surtout proprement dit, les bouts de table,
34o
— 347 —
six groupes de lumières, huit assiettes et compotiers en cristal de roche reposant
sur des pieds en argent doré.
Le surtout est un plateau en glace bordé de balustres en vermeil. Au centre
s'élève un temple à colonnes où s'abritent quatre groupes d'enfants, petits
pêcheurs, petits chasseurs, modelés dans le goût des marmousets de Versailles,
charmants en leurs attitudes variées d'un naturel parfait et d'une grâce exquise :
c'est le sujet, un peu perdu dans l'amplitude architecturale de la composition,
tout de même intéressant. Le décor est splendide : les colonnes, les vases, les
Grand vase en marbre blanc.
{Modèle de Messncfer. — Monture en vermeil, jjur E. Fromeni-Meurice.)
panneaux sont en agate orientale rubannée, rehaussée d'ornements d'argent doré
délicatement ciselés, et l'harmonie des ors et des pierres, très calme, imprime à
cette richesse une distinction incomparable.
Par son plan général et le parti tiré des documents anciens, ce surtout imaginé
sous l'angle du dix-huitième siècle ne lui doit guère que son esthétique et garde
en son respect pour elle une incontestable originalité : les orfèvres avec lesquels
M. Boin s'est mesuré auraient pu le faire, ils ne l'ont pas fait.
Il en va tout autrement du service à thé, reproduction trop fidèle de celui que
François-Thomas Germain exécuta pour la cour de Portugal. De la fontaine, de la
cafetière, du sucrier, du pot à crème et du plateau qui les porte, le jury n'a retenu
que la facture au moins égale à celle de l'original; les mascarons portant des
ornements et des draperies fondus rapportés sur les pièces faites au marteau
— —
appartiennent au fils du grand Thomas Ocrmain, et aussi je r)e sais quelle velléité
d"art nouveau, unique dans son œuvre, qui réjouissait fort M. J>oin, bien près de
ne voir que des réminiscences dans les conquêtes modernes, — en quoi il se
trompait.
L'exposition de la maison Froment-Meurice avait sa marque bien spéciale
et bien personnelle, et, malgré les progrès accomplis, on sentait les origines et
la tradition maintenues, et on s'inclinait avec respect devant le culte pour un
passé glorieux qui remonte à plus de cent ans.
Ainsi que dans ses précédentes manifestations, la maison Froment-Meurice a
produit de préférence des ouvrages où, à l'argent et au vermeil, viennent s'asso-
cier d'autres matières précieuses. La pièce principale est conçue dans cette don-
née : un seau de marbre blanc à cannelures profondes est ceint d'une moulure
de vermeil à laquelle s'agrafent des anses puissantes qui se relient à la bordure
ciselée. André Messager a donné le modèle de ce vase dans le style Régence qui
lui est cher, mais qui reste dans une note plus sobre que les compositions fas-
tueuses des dernières années de cet artiste. Ce seau orne un des salons du châ-
teau de Laeken, en Belgique.
Le marbre blanc, évidé très mince, entre aussi pour une importante part dans
l'effet décoratif d'un petit surtout de table de vermeil, de forme basse, à coupe
ovale, porté par des cygnes; l'ornementation, dans le style du premier Empire,
en est richement brodée. A ce morceau central se rattache une suite de deux
candélabres élevés, dont le bouquet est formé par une série de lumières bordant
une coupe de marbre, dont un paon faisant la roue forme le couronnement; deux
flambeaux à trois branches et deux cassolettes posées sur des trépieds l'accom-
pagnent. Les mêmes matières ont concouru à la construction de cet ensemble;
les mêmes ornementations le parent; un même artiste, Arbant, venait d'en dessi-
ner et les lignes et les détails, lorsqu'il a disparu à la fleur de l'âge. M. Merlin a
dû être chargé des dernières appropriations.
C'est une autre matière, également dans les teintes blanches, l'ivoire, qui, en
colonnettes élégantes, supporte la table-pupitre de vermeil, oflèrte à la reine de
Roumanie à l'occasion de ses noces d'argent par les dames roumaines : vingt-
cinq épis blancs, des guirlandes d'aubépine pourpre forment avec des motifs
émaillés, écussons, couronnes et monogrammes de Carmen Sylva, la parure de ce
petit meuble qui fut dessiné par Adolphe Giraldon.
A un autre artiste qui a traversé pendant plusieurs années la parfaite école de
la maison Christolle, S. Waret, est due la composition d'un autre travail qui ne
maiu|ue pas de cliarm(i : une précieuse relique de sainte Clotilde était conservée
à la basili(pie de ce nom en un reliquaire de peu de valeur. M. l'abbé Cardey,
vicaire général du diocèse de Paris et curé de cette église, aidé par les libéralités
de ses paroissiens, à l'occasion du millième aiinivorsaire du baptême de Clovis,
— 349 —
résolut d'installer la relique de la sainte dans un reliquaire plus somptueux et
compris de façon à pouvoir, à certains jours de fête, être porté processionnelle-
ment dans l'église. Le dessin fut demandé à M. S. Waret, qui le composa avec ce
sentiment de l'harmonie des lignes et ce souci de la distinction dans le détail qui
caractérisent son talent. Ses statuettes de sainte Clotilde, saint Rémy, sainte
Vase Cl \'igiie », à grappes d'amclhyslc.
[Orfèvrerie de Fromenl-Meurice.)
Geneviève, sculptées dans l'ivoire, ornent le tympan de l'édicule; au nœud, le
baptême de Clovis ciselé en or sur champ d'émail rouge rubis. Une imbrication de
topazes et améthystes alternées décore la toiture du ciborium sous lequel est sus-
pendue la petite châsse de cristal de roche enrichie de diamants et d'émeraudes.
Bien qu'appartenant à l'orfèvrerie religieuse, cette pièce n'en est pas moins
de l'art le plus élevé et fait bonne figure à côté des pièces d'orfèvrerie profane
qui continuaient les traditions séculaires de sa maison.
Un vase d'orfèvrerie, la Vù/ne^ dont la forme simple rappelle le souvenir d(!S
vases antiques des trésors d'Iiildeslieim et de Bosco lieale, est d'une belle exé-
cution. Deux anses servant de départ à des sarments et des feuilles de vigne
s'entrelacent et forment une collerette d'oii s'échappent, par une audace heu-
reuse, des grappes de raisin en rubis cabochons sertis dans des vrilles d'argent.
La note moderne de cette décoration est une tentative digne du goût de son
auteur.
Nous croyons avoir assez dit sur les qualités des ouvrages qui sortent des
mains de M. Froment-Meurice pour en faire comprendre la valeur, et, malgré le
reproche d'immobilité qu'on lui a adressé, nous devons lui savoir gré de cette
fidélité aux traditions paternelles, la fidélité de sa clientèle l'en a récompensé; et
ce n'est pas un faible mérite d'avoir su être habile et toujours égal à lui-même,
dans un art où son père avait laissé une trace assez profonde pour que la renom-
mée l'ait baptisé de son vivant du nom retentissant de l'Orfèvre florentin du sei-
zième siècle.
M. Aucoc (André), orfèvre. — C'est aussi l'influence du dix-huitième siècle qui
domine dans l'exposition de M, Aucoc: imitations correctes de modèles bien choisis
ou conçus avec une indépendance qui comporte une invention appréciable. Parmi
les pièces où son imagination s'affirme, la plus intéressante est, sans contredit,
le surtout-testimonial, de style Louis XVI, que les enfants du grand-duc Wladimir
Alexandrowitz et de M'"' la grande-duchesse Marie-Pauline leur ont offert à l'occasion
du 23° anniversaire de leur mariage. Le sujet est charmant, charmante composition :
vingt-cinq Amours dansent une farandole sur un plateau en glace autour du temple
de l'Amour, dont les colonnes sont supportées par quatre figures allégoriques
représentant les quatre donateurs. L'architecture et la galerie du plateau sont en
argent enguirlandé de fleurs et de feuillages en vermeil, modelés à ravir par
M. Daragnon. La statuaire, très souple, est de M. Moreau ; MM. Brard etBeaulieu
ont ciselé tout cela en perfection. Cette brève description ne saurait donner une
idée exacte du petit poème conjugal que M. Aucoc a créé, interprète ingénieux
de la piété filiale qui l'a inspiré. Du Louis XVI, oui, un peu frivole, un peu païen,
mais sentimental sans fadeur et doucement attendri.
Je préfère, et de beaucoup, la coupe dite Bratina, offerte au régiment de la
garde à cheval par S. A. Impériale le grand-duc Paul Alexandrowich. Il est vrai
(|u'elle est la reproduction de l'estampe la Nef du Roy, par Meissonnier. Oii la per-
sonnalité de M. Aucoc reparaît, c'est dans le plateau de cette coupe digne de la
f)()rl,ci' et dont le dessin n'existait pas, parties repoussées, parties fondues, — les
moindres. Superbes assurément, la coupe et le plateau; mais ce n'est pas seule-
ment ce plateau qu'il aurait fallu créer, c'est la coupe, etle sujetpouvait inspirerun
chef-d'œuvre absolument original. M. Lalique, qui pousse de temps en temps une
351
— 353 —
pointe dans l'orfèvrerie, a montré ce que peut être un bol à punch imaginé sous
les impressions nouvelles, et M. Aucoc n'aurait pas mieux demandé que d'entendre
le sien à sa guise; mais l'estampe de Meissonnier avait séduit Son Altesse, elle
l'a imposée et cela arrive fréquemment, ce qui explique la rareté des œuvres
d'art nouveau chez nombre de nos confrères. C'est la clientèle qui résiste, eux,
non pas !
Pourtant, si les choses d'art ancien abondent dans sa vitrine, ce n'est pas que
M. Aucoc répugne à l'art nouveau. De fort jolis couverts, un encrier, un bougeoir,
la coupe de cristal de roche montée en vermeil pour un prix de course de yachts
Coupe dilc « La Bi*aLina ».
(Orfèvrerie d'Aucoc.)
à vapeur (la victoire de l'hélice sur la voile) en sont suffisamment imprégnés pour
s'en réclamer, et le service à thé, en or, décoré de fleurs grimpantes, lui appartient
tout à fait ; et j'en dirai autant du vase aux iris, toutefois nouveau sans grande
originalité. Enfin, il n'a pas reculé devant la collaboration de M. Wallgren, sculpteur
de talent, un de nos novateurs les plus hardis, qui lui a modelé trois coupes, l'une
de forme ronde, les autres ovales, dont l'ornementation était empruntée à la flore
des champs: coquelicots, liserons et bleuets, et la statuaire — des femmes fleurs —
à la mythologie ultra-moderne. Ces figures étranges, ces trois coupes isolées qui
veulent être un surtout et n'y parviennent pas, voilà, je l'avoue, une. conception de
l'orfèvrerie de table qui m'effraie un peu ; je n'irais pas si loin dans la nouveauté
et je crois que, par tempérament, par éducation, M. Aucoc se rattachera plus
volontiei's à l'école de Lucien Falize, qui triomphait chez MM. Ghristofïe.
14
— ;î.-)i —
M. PoussiELGUE-HusANi), orfcvrc el bronzicr. — En 1889, à la veille da sa mort,
M. Placide Poussielgiic-Rusaiid exposait encore, et, en qualité de Président du
Jury, il donnait à ses collègues et à ses confrères une preuve de son activité et
de son expérience professionnelle.
Les récompenses ne lui ont pas manqué : médailles et décorations ; il est mort
officier de la Légion d'honneur, mais, ce qui vaut encore mieux, en laissant à ses
enfants une maison constituée sur des bases solides, une collection de modèles
incomparable, un personnel éprouvé et un exemple à suivre.
Cet exemple, son fds, M. Maurice Poussielgue, l'a suivi. Associé à ses travaux
depuis 1885, il succédait à son père en 1889 et prenait d'une main ferme
la direction de la maison.
Après s'être essayé à l'Exposition de Bruxelles en 1897, où il obtenait deux
grands prix, il prenait part à l'Exposition de 1900 où il exposait dans deux Classes :
la Classe 66 {décoration des édifices) et la Classe 94 (orfèvrerie).
L'autel en grès et bronze, exécuté d'après le dessin de l'éminent architecte,
M. Genuys, sous-directeur de l'École des Arts décoratifs, à Paris, dénotait une
recherche de nouveauté intéressante ; nouveau par la matière, le grès, aux tons
bleu verdâtre d'une douceur infinie ; nouveau par la décoration en bronze doré
empruntant une saveur nouvelle aux végétations traditionnelles, interprétées avec
une liberté affranchie des formules routinières, cet autel a conquis tous les suffrages
des gens de goût et méritait bien à son auteur le grand prix que le Jury de la
Classe 66 lui décernait.
Dans la Classe de l'orfèvrerie, l'Exposition de AI. Maurice Poussielgue était
des plus importantes. Tout en suivant la voie tracée par son père pour la créa-
tion des pièces dans lesquelles le caractère des œuvres du moyen âge, remis
en honneur par les architectes diocésains, avait trouvé en lui le plus habile
des interprètes, M. Poussielgue avait voulu faire œuvre personnelle, en don-
nant une inspiration plus moderne au mobilier de l'église, tout en conservant
l'expression chrétienne des symboles du culte dont la subtilité lui était fami-
lière.
Parmi les grandes pièces monumentales qui formaient le fond de l'exposition,
le mobilier de la chapelle commémorative de la rueJean-Goujon attirait les regards.
Qui ne se souvient du terrible incendie qui, en un après-midi, sema des deuils
si nombreux dans l'élite de la société parisienne? Les grandes catastrophes pro-
^ duisent les grands élans du cœur. Les dons arrivèrent à l'envi ; une chapelle
expiatoire fut construite, et M. Poussielgue en fit le mobilier.
Ca', mobilier de style Louis XVI, avec une grande liberté d'interprétation, était
nîprésenté par le maître-autel en mi\v])ve paomiazo ton ivoire, orné de nombreux
bronzes finement ciselés ; des chandeliers dans le goût de Delafosse et d'un beau
caractère; la croix, belle dans sa sim|)licité ; les urnes et les deux grilles d'une
Aulcl eu yi'ès et hron/.e doré.
[Arcliilecle (leniii/s. — Orfècrcrie de Puiissiel(i ue.
— ;3o7 —
délicatesse très grande, qui l'accompagnaient de chaque côté, forment un en-
semble remarquable au point de
vue architectural.
Mais plus moderne était la série
des pièces procédant d'une inspira-
tion personnelle du jeune orfèvre.
Rompant tout à fait avec les tra-
ditions, il s'est essayé de rajeunir
le décor des vases sacrés par une
interprétation directe de la nature.
Quoi de plus charmant et de plus
ingénieux que le calice dont la
forme emprunte au lis, symbole
de la pureté, sa construction et son
Calice aux Iris.
{Modèle de Lelièvre. — Orfèvrerie de Poiissielçjne.)
décor; à la base, les racines s'épanouissent et
laissent monter la tige qui forme le fût, et la
fleur se développe en enserrant la coupe tra-
ditionnelle de ses pétales et de ses étamines.
Le modèle en avait été exécuté par un artiste
de talent, M. Lelièvre. Le musée des Arts déco-
ratifs l'a jugé digne d'entrer dans sa collection.
Un autre calice, plus robuste et plus grave,
faisait une opposition heureuse. Les sarments
noueux de la vigne forment la tige ; les feuilles
et les fruits entourent la coupe. Entre les
branches de vigne apparaissent des émaux
qui représentent les sacrements. Exécuté en
fondu, il est ciselé si amoureusement qu'il
rappelle les travaux de ciselure repoussée.
Crosse épiscopalo eu lîois, mouture
en aruenl.
[Orfèvrerie de Poiissielgiie.)
Remarquable aussi, et neuve pur l'emploi de la matière et par le décor, est la
crosse (l'cvè([uc oxûcuLôc en bois, dont les nervures soiiL enserrées dans une
ornementalion d'argent fondu d'oii s'échappe, au sonnnet, une lleur d'émail
translucide aux rellets adoucis. Les élémcnis d(''Coratirs en sont symboliques :
le chardon, le laurier, la passiflore confondent leui-s lignes harmonieuses autour
de l'âme en bois de la crosse sacerdotale.
La séi'ic des pièces modernes se complétait par deux veilleuses en bronze doré,
au feuillage nerveux servant de support à des cristaux opalins. Des Ijurettes en
cristal fume et des vases h fleurs ajoutaient à la nouveauté et à l'intérêt de
cette tentative très réussie d'art moderne.
MM. Falizl; frères, orfèvres-joailliers. — La moi't si imprévue de Lucien
Falize laissait à l'iinproviste ses trois fils à la tête d'une maison importante,
mais lourde à conduire. Combien ont-ils dû bénir la mémoire du père prévoyant
qui les avait si bien armés pour la lutte.
André Falize, qui était déjà depuis trois ans dans l'atelier associé aux travaux
de son père, et ses deux frères, Jean et Pierre, dont l'un sortait de l'École com-
merciale et l'autre était déjà un dessinateur habile, se réunirent tous trois et se
mirent à l'œuvre. Los amitiés solides que leur père avait conquises par le charme
de sa personne se traduisirent immédiatement pour les fils en un appui généreux
qui leur permit de prendre en main la direction de la maison.
Les commandes ne leur manquèrent pas, ils achevèrent celles qui avaient été
confiées au talent de Lucien Falize, et se préparèrent en même temps à soutenir le
bon renom de leur maison.
L'Exposition de 1900 a montré, à ceux qui avaient eu confiance dans leur
ardeur au travail, leur goût et leur habileté, qu'ils ne s'étaient pas trompés, et que
les pièces sorties de leurs mains n'étaient pas indignes de leurs aînées.
Je citerai d'abord le gobelet de Lucerne, belle pièce d'orfèvrerie faite complète-
ment au marteau, repoussée, ciselée, émaillée, dorée par le jeune apprenti de
Bossard. Dessinée par lui et composée dans le goût allemand du seizième siècle,
elle présente sur les six pans de sa surface hexagonale des sujets gravés à
l'eau-forte rappelant la ville qui lui avait donné l'hospitalité, encadrés par des
motifs de houblon et de vigne avec une devise empruntée à Rabelais : Ci/ est
(oif/r vérité. Un autre gobelet d'argent ciselé, Le Cidre, décoré des feuilles et
fruits du |)()ninti('r.
Un autre encoi'c exécuté poiu" un amat(^ur avis;', en orfèvrerie d'or et d'émail,
/m Coupe des vi/is (le France ; haut (h' 0"',i2i, d'une forma simple, très légèrement
évasé, aux deux tiers (h; la haulcur une frise, dont les ligm-es sculptées en doux
relief se (h'-taclimt sur un f()n<l d'('Mnail bleu, represenle le trionq)lie de Karchus
d'après Manlcgna. A la base, (rois ligures d'or ('Uiailh' son! assises sur la moului'C
ciseh'ie, el reiii'i'sentcnl l;i <iar(»iMii', le UIkuic e( le Uliin. les lleuves des ri'gioiis
vignobles de la France dont ce gobelet, précieux par la matière et par l'art, chante
les produits savoureux. Les flots déroulés sur l'embase disparaissent sous la mou-
lure pour se retrouver sur les flancs du gobelet dont ils forment le fond, décoré
en gravure de figures archaïques, qui symbolisent les travailleurs de la vigne et du
vin. Trois dépressions interrompent le fond et servent d'encadrement à trois
vignes d'or en relief, aux sarments robustes, dont les branches chargées de grappes
et de feuilles se découpent vigoureusement sur un fond d"émail rouge. Le cou-
vercle, surmonté d'une Amphi-
trite en or émaillé, est décoré
d'attributs marins symbolisant la
mer, où viennent se jeter les trois
fleuves qui, sur leur parcours, ont
baigné les coteaux producteurg
des grands vins de France.
Réunies dans leur vitrine, elles
complétaient bien la série des
œuvres importantes faites depuis
dix ans par la maison Falize.
C'était, dans les vases montés,
le vase du Saint-Graal, reconstitué
en cristal de Gallé, décoré d'une
ramure de passiflore s'enlevant en
or sur le ton rougeàtre du cristal.
Puis des vases rose et vert bleuté,
en forme d'urnes funéraires, aux
scarabées d'émail bleu verdàtre,
symbole de l'immortalité; et les
autres vases au Lézard, à la Tor-
pille, au Chardon, au Mûrier, at-
testaient l'infinie variété de dé-
cors et toujours l'idée poétique ([ui
avait présidé à leur composition.
C'était aussi, dans les pièces
commémoratives : le marteau et la
truelle d'or, ces pièces historiques
aujourd'hui, qui avaient servi à la
pose de la première pierre du pont
Alexandre 111. Les mots Pax et Robur élaient incrustés en or sur les faces de la
masse d'acier du marteau, dont le manche d'ivoire était décoré d'une branche d'oli-
vier et de chêne servant à encadrer d'un côté, le chiffre A' de Nicolas, et, de l'autre.
La Coupe des vins de France, exécutée en or et émail.
[Orfèvrerie de Fnlize.)
— —
le moiiograiniiK' /•'. de hi i;(''|)iil)liriiK;. La (ruelle il'ov, t\i''rj>v(':i'. du vaisseau (Je la
Ville de Paris, porLaiL les inscriptions conimémoralives et la daUî de la cérémonie.
Puis la couronne du centenaire du Consulat, faite de lauriers d'or ciselé.
Le grand surtout du couronnement de Nicolas II, en argenl ciselé, dont les
figures modelées par le sculpteur Antocolsky, el les ornements d'une belle allure,
Siii'Idiit (lu coiiponncnieni de Nicolus II.
(Modùle. lie. Joinih/. — Figure d'Antocolshi/ . — Orfèvrerie de i'alize.)
(lus au talent du scul|)t(Mir Joiiidy, en faisaient une pièce de grand apparat.
Le vaisseau d<i la Uussie : nef d'argent ciselé, conduite par Pierre le drand
vers sa destiiié(^; la couronne impériale et l'aigle à deux (êtes sont à la proue,
(lonçu également dans le style Louis \IV, ce heau travail d'oi-fèvre a été modelé
par les mêmes arlisles Anioccdsky et .loindy.
361
N" ]. \';isc aii\ J.rzards. — N" 2. ^'asl• au Chardon.
N" ?>. Siiiipirrp Fouillos de cIkhi. — X" /J. \'aso au Mùrior. — N" 5. (ioboUM do Lucoruc.
\Orfùcrerie de I.. FiiUie.)
— :w] —
Enfin un prix de course, La Seine et l'Oise, symbolisant les courses de Long-
champs et de Chantilly. Les deux figures, assises fièrement sur la bordure d'une
corbeille de table, sont dues au sculpteur Barrias.
Voilà pour les pièces décoratives ; mais là où le talent et le génie inventif de Lucien
Falize se sont donné libre carrière, là où, joignant le précepte à l'exemple, il mon-
trait comment il entendait renouveler nos styles français en s'adressant à cette
nouvelle interprétation qu'il a prêchée dans ses rapports au Conseil de l'Union cen-
trale, c'est dans ce service, qu'il a appelé Les Plmites dn potager, qu'il a vraiment
fait œuvre d'orfèvre novateur.
Sur des formes simples, il a marié habilement à l'architecture les feuillages,
les fleurs et les légumes du potager. La petite plante potagère faisait de nouveau
son apparition dans la décoration pour indiquer que la flore était, dans sa pensée,
la source d'inspiration destinée à faire naître le style nouveau qu'il appelait de
tous ses vœux, et dont celui qui écrit ces lignes se fait un devoir de rappeler les
origines dues à leur commune conviction née au cours de leurs entretiens de
collègues et de confrères.
M. Carde[lhac (Ernest), orfèvre. — Si M. Cardeilhac n'a pas concouru dans la
Classe 94 — et je le regrette pour lui — c'est qu'il prési-
dait la Classe et le Jury de la coutellerie, hommage rendu
à son mérite personnel et à l'ancienneté de sa maison
fondée en 1804 par son aïeul et qui, bientôt centenaire,
s'est perpétuée en ligne directe, grandissant à chaque
génération. L'étude des formes de lames, leur monture
artistique et les dérivés de la coutellerie, — truelles,
ustensiles de table, travaux récompensés à toutes les
expositions — puis les couverts qui reçurent leur pre-
mière médaille à l'Exposition de Londres de 1862, avaient
absorbé l'activité des deux premiers Cardeilhac; le petit-
fils voulut y ajouter la grande orfèvrerie et, pour s'y
préparer, il compléta son apprentissage chez M. Fray-
Harleux. En 1885, devenu chef de la maison, il organi-
sait ses ateliers en vue de cette fabrication, achetait le
matériel de la maison Lebon, et, soutenu par une clien-
tèle sympathique et confiante, il pouvait se présenter ho-
norablement à l'Exposition de 1889, où la médaille d'ar-
gent lui fut décernée par le Jury de l'orfèvrerie, en même
temps que celui de la coutellerie lui décernait le grand prix.
On pensait bien qu'il ne s'en tiendrait pas là; mais
ceux qui n'ont pas suivi ses travaux de 1889 à 1900 ne pouvaient s'attendre à ce
Vase en grès,
avec monture en orfèvrerie
par Cardeilliac.
- ; \ -
qu'il nous a rnoiilr'ô. Si jainfiis ('X|)()siLif)fi CiiL sciisiilioiiiicllc, ( '('sl iissiii-f'-iiiciiL la
sienne. On ne se lassait pas d'adinircr ccUc orfèvrerie d'invenlioii si neuve et de
facture si parfaite, et l'étonnemcnt se joignait à l'adiniraliori quand on savait que
cette métamorphose s'était produite sans collaborai ion nouvelle, par l'initiative du
maître, assisté des trois artistes qui avaient préparé sous sa direelion l'Exposition
de i889 : M. Bonvalet, dcssinaleur, M. Aiguicr, s('iil{)leiir, et M. Viat. ciselenr.
1<:. CARDEILIIAC
(i8r)i-i()()/i^.
Evidemment, ils ont Iravailié sous une influence qui n'exislait pas dans la
période précédente : eux aussi, l'esprit nouveau les a touchés. Toulefois, il faut
noter (|ue l'o'uvrv! ^V\ IVI. Cardcilhac est singulièrenuMit |)ersonnelIe. S'il se rat-
tache à l'écoh; du « rajeunissement parla nature », il a sa manière propre de
comprondre la vég('tation et de l'applifpuM-, discrètement, sobrement, souvent en
n'q)étant le motif trouvé. Il a le f^oût des choses pratiques qu'il décore d'une
main légère et pour lesquelles il varie Uïs matières et les tonalités par l'ivoire, le
bois et les patines. Les voies nouvelles ne conqdcnt pas d'explorateurs plus
363
— :!07 —
ardents, mais son esprit critique toujours en éveil Ta préserve des excentricités,
et, dans cet art où presque tout est inventé, il est resté classique par l'observa-
tion des règles immuables qu'on n'abandonne pas impunément. Aussi, tout se
tenait dans sa vitrine : on y sentait une conception unique et une collaboration
toujours la même, pénétrée de la pensée créatrice et se confondant pour ainsi
dire avec elle.
Ses légumiers, d'une décoration régulière en spirale ; son sucrier aux char-
dons, clouté de cabochons d'ivoire; un vase à fleurs avec des anses d'ivoire et
des tracés rouges; la monture exquise du vase de M. Daum, le verrier de Nancy,
tout enfin attestait ce parti que
j'ai signalé, fait de simplicité,
de grâce et d'harmonieuses
colorations.
Je voulais préciser les ca-
ractéristiques qui particulari-
saient l'exposition de M. Car-
deilhac et la faisaient si diffé-
rente de ses rivales sans les
diminuer; mais j'ai vainement
cherché les mots qui des-
sinent, les mots qui peignent :
au lieu d'une évocation saisis-
sante, je n'ai donné que mes
impressions et celles de mes
collègues du Jury. Au moins ai-je dit la place considérable que notre confrère a
prise dans l'orfèvrerie française, et c'est l'essentiel.
Sucrier Feuille de Irèlle.
[Orfèvrerie de Cnrcleilhnc.
M. DRBArN débutait h l'Exposition de 1889, jeune entre les jeunes, et se plaçait
d'emblée parmi les meilleurs. Déjà son indépendance de la routine se montrait :
alors que ses rivaux se confinaient dans le style Louis XV, il remontait à la Renais-
sance, non pour la copier, mais pour en tirer un service à thé et d'autres pièces où
Ton voyait poindre les signes précurseurs de ce qu'il a fait dtpuis et dont nous
allons parler.
L'art nouveau, qu'il avait pressenti, balbutié avant son apparilion, ne pouvait
manquer à sa vitrine en 1900. Le bol aux pavots que M. Arnoux a fait avec lui fut
le prélude des compositions fleuries que nous avons admirées chez MM. Christofle,
sous le nom de ce sculpteur, et l'on ne peut rien imaginer de plus savoureux que
cette petite pièce qui, vraiment, ne redoute aucune comparaison.
L'exposition de M. Debain était comme un raccourci de l'orfèvrerie contem-
poraine. On y voyait l'art nouveau, l'art de transition et un peu d'art rétrospectif
qu'on aimera toiijoiifs cl (ju'il ne faut pas désapprendre. On y voyail, niôrrn; une
resUlution, celle d'un lianap allemand, trop chargé, dont la faclurc impeccable
défiait l'original, el enfin celte franche et robnste vaisselle du Marais, le fonds
et le tréfonds de l'orfè-
vrerie parisienne, que
M. Debain fit bien (ht
nous montrer. Certes, je
le loue de rester fidèle
aux traditions des siens,
et cependant, quand je
notais ce qu'il avait rap-
porté de ses excursions
hors du domaine fami-
Boi aux pavots. lig}^ jg j^g pouvais me
[Sculplnre de A. Arnoiix. — Orfèvrerie de Dehnin.)
retenir de souhaiter qu il
sacrifiât plus souvent à l'art inutile, qui lui a déjà ouvert le Musée des Arts dé-
coratifs, et où son goût affiné, son sens exquis du beau, feront merveille.
M. Thesmar [Fernand), émailleur. — Cette notice pourrait tenir en quatre lignes,
M. Thesmar est l'artiste complet. Dessinateur, il a la précision sans sécheresse ; co-
loriste, il sait toutes les harmonies. Il a l'imagination qui crée et le goût qui la règle.
Emailleur, il inventa une technique nouvelle, miracle de science, d'adresse et d'in-
géniosité. Il n'est pas seulement au premier rang des émailleurs : il est le premier.
De ce qu'il y avait dans cette vitrine, je ne citerai donc qu'une grande coupe,
chef-d'œuvre parmi les chefs-d'œuvre qui l'entouraient, plus belle encore que
celle qui fut offerte au tsar en 1896. Difficultés vaincues, pureté du galbe, charme
des colorations, tout s'unit en cette pièce pour en faire le prototype de l'art qui
portera le nom du magicien qui le créa. Belle, elle l'est trop, car sa beauté n'a été
obtenue qu'au prix d'un travail cent fois recommencé qui majore sa valeur mar-
chande bien au delà de ce que les collectionneurs payent les petits gobelets, les
tasses minuscules de M. Thesmar. Le feu n'est pas le serviteur fidèle de l'émail-
leur : ses trahisons sont fréquentes, et, lorsqu'il s'agit d'objets construits avec
l'armature fragile que l'on sait, elles se multiplient à l'infini, surtout s'ils dépassent
démesurément les proportions accoutumées.
Cet artiste si l)ieii doué, (pie la nature a enseigné plus que son maître de Mul-
house,^ a donné à la chimie tous ses moments perdus, utilisant ce qu'il avait
appris au collège. Il se préparait ainsi, à son insu, à ce qui devait être l'honneur
d(! sa vi(!. Km 1872, il s'improvisait émailleur chez Barbedienne et conciliait, du
(■()ii|), s(is deux vocations. Ce ne fiircMit d'abord, du Haisan doré au fameux llalle-
Ixirdicr, (pic des ('iiiaiix (•loisoimi's siii- de grandes plaipies, mais les ])iiis beaux
369
N" 1. Gobck'l Feuilles île lieri'c. — X" 2. tlobelel Bluel.
N" 3. Fiai décoré tic la Vcsciu des haies.
[Orfiirerie d'élinn de J. BnUeuii.)
— —
qu'on ait faits en France; puis, en 1888, ce fut son émail à lui, tenté au quinzième
siècle, repris de nos jours sans succès, vite abandonné, et qu'il inventa de toutes
pièces dans sa perfection, à l'aide de procédés invraisemblables, d'autant plus
libre en ses recherches qu'il ignorait les préc('dents.
M. Brateau (Jules), sculpteur-ciseleur. — M. Brateau est un de ces artistes
que Paris prend à la province et qui lui appartiennent légitimement quand c'est
lui qui les a formés. L'histoire de sa vocation est
curieuse. M. Brateau père exerçait à Bourges je
ne sais quelle profession qui exige une grande dé-
pense de force, et il voulait l'enseigner à son fds.
Malheureusement l'enfant était maladif, il fallut
abandonner ce projet. Mais quel métier choisir?
Quelqu'un conseilla la ciselure où l'adresse prime
les muscles. Il parla de la journée paisible assis à
l'établi, du marteau léger comme une plume, des
frêles ciselets faits pour les mains débiles ; peut-
être rappela-t-il que les ouvriers orfèvres, avant la
préparation des matières dans les usines spéciales,
lorsqu'ils forgeaient et laminaient les lingots, di-
saient que la goutte de sueur perlée au front du
ciseleur se payerait au poids de For. Bref, on se
laissa convaincre, et, puisque le petit Jules n'était
bon à rien, on en fit un ciseleur. La ville de Jacques
, . 1 1' -1 i-, T. • Cnupe d'or émaillo.
Cœur n ayant plus d orfèvres, il partit pour l'aris . , , „ ,
•> i '11 Orfèvrerie de ./. Brnleau.)
et entra dans l'atelier d'Honoré, pépinière de pra-
ticiens remarquables. De suite il aima la ciselure, et l'attrait qu'il y trouva lui
rendit le travail facile et réparateur. La santé lui vint avec le talent. Vite, il avait
mesuré la distance qui sépare l'ouvrier d'art de l'artiste, et, fermement résolu à la
franchir, il dessinait, il modelait, consacrant ses veilles à compléter l'enseignement
de l'atelier. Après l'apprentissage et son prolongement d'études acharnées, il
devint un des collaborateurs préférés de nos orfèvres, de Lucien Falize entre
autres, qui lui confia la ciselure de quelques-unes de ses plus belles pièces, jus-
qu'au jour où il voulut exécuter ses propres compositions, être maître orfèvre à
son tour. Entre temps, il avait découvert les procédés des Briot et des Enderlin,
et, dans celte voie retrouvée, il donnait libre cours à son imagination. C'est sous
ce double aspect d'orfèvre ciseleur et de potier d'étain qu'il parut à l'Exposition
de 1889, tandis que sa collaboration brillait encore chez ses confrères. Son succès
fut soudain. Les musées de l'étranger et les collectionneurs dévalisèrent sa vitrine,
la foule qui l'ignorait apprit son nom.
— :i7i> —
Il nous est revenu en 1900 Corl.ilié et grandi. Ses élains plus nombreux e(,
pour la plupart, transformés. Cependant il ne semble pas qu'il se soit attardé
à chercher l'architecture nouvelle jusfpi'à présent rebelle à tous les ed'oHs, A
peine quelques indexions de lif^nes, inqjr(''Vti('s, i-ouqxMit-elles <-h et là avec la
tradition classique. 11 n'a [)ris à la nature végétale que la parure de ses composi-
tions; mais nul mieux (|ue lui n'a assemblé son bouquet et <lisposé ses Heurs avec
plus de grâce alanguie, en leur épargnant la torture d'une stylisation outrée. Son
plat où la vescia des haies projette ses baies et ses feuillages, et celui aux chry-
santhèmes sont charmants et nouveaux, en dépit de ce qu'ils ont gardé du passé,
et tous les étains des dix dernières années,
— coupe, buire, vases, le gobelet orné de
marguerites, de bluets et de coquelicots,
la petite porte d'habitacle avec figures et
arbusies, les gentils enfants qui portent des
salières, — conçus dans le même esprit,
sont autant d'exemples de ce qu'on peut
obtenir de l'accord harmonieux de nos sen-
sations actuelles et des choses d'autrefois.
Son œuvre d'orfèvre avait suivi la même
progression. A côté des effigies délicates
où il excelle, du bracelet d'or si joliment
tressé, d'un porte-allumettes non moins
précieux créé pour M. Corroyer, trois pièces de premier ordre captivaient l'at-
tention : un coiïret d'ivoire, d'émail et d'or; une coupe d'or et d'émail et un
plateau-rondelle, repoussé à la manière des grands maîtres disparus.
Porte-allumelles exécuté pour M. Corroyer.
[Pur J. Braleaii.)
Le Rapport d'Armand-Calliat se terminait par des appréciations sur l'Art
nouveau :
« Puisque l'Art nouveau fut la note dominante de l'orfèvrerie française à
» l'Exposition de 1900, il n'est pas inutile de l'étudier de près, de voir ce qu'il
» nous a donné, et ce qu'on peut en augurer dans un avenir plus ou moins
» prochain. Essayons donc.
» L'art' ne mourut pas tout entier avec le style Etnpire, dont la disparition
» suivit de près la chute du régime qui l'avait baptisé. De 1830 jusqu'à nos jours,
" de grands oi'fèvres ont créé, dans la noble acception du mot, des œuvres
» superbes, (pii ne se rattaclieni aux hautes épotpies que par leur esihélique,
« formcîs ancieinics oii palpite l'àme de notre temps. Supérieurs à leurs aînés
» (11! la période! im[)ériale, si froids, si gauches parfois en leurs gestes solen-
)' nels, (|iiand le divin crayon de Prud'liou ne les guidait pas, s'ils ont glorifié
" l'oiTcvrcric française, ils ne lui ont pas donni'- le style allendu.
» A i;i vérité, ou pouvait attendre, avec des niailres tels que Fromeiit-
» Meurice, Feuchères, Wagner, Vechte, Morel-Ladeuil et les frères Fannière, d"au-
» tant que de bons esprits, discutant la validité de ce jugement, le déclaraient
» prématuré, un siècle n'ayant jamais proclamé son style, et en appelaient à la
» postérité qui, dégagée des passions contemporaines, saurait bien le réformer.
» Quoi qu'il en soit, lorsque leurs rangs se furent éclaircis, et, l'orfèvrerie
)) réduite à l'imitation habile, d'une virtuosité incontestable, mais sans grand
» accent personnel, et dépourvue de cette poésie qui l'aurait ennoblie, la cri-
» tique, jusqu'alors divisée,
» s'unit pour clamer notre im-
» puissance. Quelle figure fe-
» rail dans l'histoire un siècle
» qui n'avait pas un art à lui,
» marqué à son millésime?
» Quelques pièces perdues
» dans une production im-
» mense suffiraient-elles pour
» le défendre et le réhabiliter?
» Lamentations inutiles à
» peine çà et là, un signe d'in-
» dépendance témoignait
» qu on les avait entendues.
» C'était Gallé, le verricr-
» poète, entraînant les or-
» fèvres chargés de monter
» ses vases aux galbes imprévus, aux colorations étrangement irisées, d'une
» préciosité si captivante, et les forçant à s'accorder à son diapason. C'était
» Lucien Falize ébauchant sur une théière, sur des plats, les idées qu'il allait
» bientôt formuler en une déclaration de principes retentissante. Mais il fallut
» cet extraordinaire débordement de rocailles, submergeant, à l'Exposition de
» 1889, ce qui nous i-estait d'un art autrement noble et varié, pour provoquer les
» résolutions viriles auxquelles on doit les pièces, à coup sur intéressantes, qu'on
» vit d'abord aux expositions de l'Union des Arts décoratifs, plus nombreuses
» à l'Exposition universelle de 1900, où elles ont rencontré celles venues de
» l'étranger, qui nous suit dans ces voies inexplorées. C'est l'Art nouveau, il est
» né des excès du plus aimable et du plus fou des styles, qui en a vu bien d'autres
» et qui lui ressemble quelquefois.
» C'est en 1892 que Lucien Falize publia, dans la Revue des Ai-ls décoratifs,
» sous forme de lettre à son ami Gallé, ce que j'ai appelé sa déclaration de
» principes.
Tlu'-ièi'c en ar;icnt : les Mûres.
[Orfèvrerie de Falize. i
» Les directeurs de la inaisoii (jlM-istode, qui s'en soul, si lieun;us<;merit
» iuspirés, la résuuieul ainsi dans la très litlérairc notice de leur exposition :
« L'abandon des vieilles formules ;
» Le retour à la nature et à l'étude de cette source inépuisable d'inspiration :
» la vie végétale. »
» On l'avait déjà dit, mais pas avec l'autorilé d'un maître admii'é, confessant
0 publiquement ses fautes, encore qu'il eût moins péché que ses confrères, et
» que ses actes eussent devancé sa parole.
» Que Christofle eut l'ambition d'aller au delà du rajeunissement des styles,
» je n'en suis pas sur. 11 savait bien qu'un style ne se crée pas de toutes pièces,
» sur un programme, par l'étude de la vie végétale, inépuisable s'il s'agit du
» décor, le plus souvent muette quand on lui demande les contours de l'œuvre.
» Il savait aussi que plantes et fleurs n'y suffiraient pas; qu'il lui faut un idéal,
» expression des mœurs, des sensations d'une époque, de sa foi ou de ses tour-
» ments, de ses incertitudes, de son lyrisme ou de ses futilités. Cela, il l'eût tenté
» dans les œuvres héroïques de l'orfèvrerie, peut-être réussi avec l'aide de ses
)) collaborateurs d'élite, qu'il animait de sa pensé : c'est le génie, on ne l'en-
» seigne pas.
» Mais il n'y a pas aujourd'hui qu'un art nouveau, il y en a deux. L'évolution
» était dans l'air. Peu après apparaissait un art autrement nouveau, rompant
» complètement avec les traditions françaises, qui montrent que l'art qui vient
» se rattache toujours à l'art qui s'en va, et faisait table rase du passé. D'où
» venait-il? Des Quatre Fils Aymon, de Grasset, si je ne me trompe, de cette
» illustration étrange, puissante, audacieux défi jeté à la face des dessinateurs de
» tous les temps. Si c'est trop dire, on me concédera bien que sa manière de voir,
» de sentir et d'exprimer, il la tient de Grasset, dont l'influence^ du reste, est
)) flagrante dans toutes les classes de l'art décoratif. Seulement, il fallait donner
» le relief à ces images, les approprier à l'orfèvrerie, avec les variantes que com-
» porte pareille adaptation, les héroïser en leur gardant ce qu'elles ont de plus
» précieux : ce qu'elles doivent à l'état d'esprit de ce dernier quart de siècle ;
» tâche périlleuse, semée de difficultés que les novateurs n'ont pas encore
» vaincues, mais (|ui nous a valu quelques surprises, parfois agréables, dont il
» faut leur savoir gré.
» On comprend combien il est malaisé de définir l'art nouveau, d'origines si
» diverses. Tout d'abord, il convient de séparer celui qui procède de Falizc, dont
» la clai't(î toute française se ))asse de définitions. Quant à l'autre, (|u'il |)rocède
» de (irasset ou d'ailleurs, sa règle est de n'en pas avoir, et il varie selon le
" tempéramenl de l'artiste — cela va de soi, — selon la sincérité de son invention.
» D'aucuns se sont dil (pic le iiieilleiir moyen d'être original ('tail de l'aire le
— 37o —
» contraire de ce qu'on avait fait, de substituer le désordre à l'ordonnance, la
» ligne cassée à la ligne soutenue, aux courbes harmonieuses. Ceux-là, Dieu
» merci, sont rares dans l'orfèvrerie, mais ils sévissent dans toutes les classes
» du mobilier, toutes en mal d'enfantement, jusque chez les architectes qui,
» décidément, n'ont pas trouvé leur chemin de Damas dans les ossatures métal-
» liques de 1889, pourtant si bellement mises en œuvre. Sans parler de ceux qui
» ont mis l'Extrême-Orient moderne à contribution, certains ont démarqué les
» styles abolis, perdus dans la nuit des temps. M. Cardeilhac ne nous a-t-il pas
» montré une théière venue directement de l'art des Kmerk, à peine amendé,
» trouvaille d'un orfèvre qui ne s'en est pas tenu là? Plus nombreux sont ceux
» qui, dociles aux conseils de Falize, interrogent la nature et s'efforcent de faire
» œuvre d'imagination. Un seul trait leur est commun, qui caractérise l'art nou-
» veau. L'art nouveau cherche encore sa forme jusqu'à présent indécise, avec
» je ne sais quoi d'inachevé, comme s'il craignait de retomber dans le pastiche
» en la précisant, et il y retombe, en effet, toutes les fois qu'il la précise. La
» forme, le profil inédit, voilà la conquête peut-être inaccessible. Les sources
» où l'on a puisé depuis les Egyptiens et les Etrusques sont-elles taries? Et nous
» aussi, serions-nous « venus trop tard dans un monde trop vieux? » J'en ai
» peur. Tant est qu'à cette heure l'art nouveau n'a bien en propre que ses aspi-
» rations généreuses, sa statuaire troublante, souvent trop libérée de l'école
» classique, et sa flore interprétée dans un sentiment que les ornemanistes
» d'autrefois n'ont pas connu.
» C'est beaucoup; il faut davantage pour constituer un style pourvu de tous
)) ses organes, et s'il ne va pas plus loin, s'il ne trouve pas l'architecture nou-
» velle qui lui manque, il n'aura créé qu'un décor, et, comme on l'a dit, des
>) conceptions de la pléiade romantique, on dira qu'il n'est, en ses œuvres les
» meilleures, que l'attrayante vision des styles qu'il veut remplacer. J'entends
» bien qu'il lui restera le recours à la postérité, mais comme je serais plus
» tranquille s'il gagnait demain son procès.
» L'expérience aidant, je suis devenu plus circonspect. Revenu de ma con-
» fiance dans la toute-puissance de la vie végétale, quand il s'agit de créer la
>i forme, je ne crois plus fermement qu'à l'effort de la pensée, et aux bonnes
» fortunes de l'inspiration fécondée par l'iconographie, par le drame du cal-
» vaire, le plus beau, le plus suggestif parmi ceux qui, depuis vingt siècles, ont
» fait tressaillir l'humanité. La forme originale peut jaillir du poème : la plante
» ne nous donnera jamais que sa parure. »
On ne saurait mieux dire, et c'est sur cette pensée que nous voudrions
terminer ce livre. Mais l'orfèvre profane n'a pas, pour s'inspirer, la ressource
des grands textes sacrés. Il lui faut, le plus souvent, se contenter d'envisager
- ;i7ii —
iiiii(|uei))cnt les concliLioiis d'ulililé |)raliqii(! de son (jeuvrc. Les prohiernes a
résoudre sont alors de pur ordre technique et logique pour Ju conception de
l'œuvre et pour sa forme qui reste le point essentiel dans l'orfèvrerie d'usage.
Les essais successifs de décors nouveaux entrepris depuis dix ans ont eu leur
intérêt assurément, et ils en auront encore dans les années qui vont suivre.
Il est probable qu'on saura éviter dorénavant les erreurs commises; on tendra
de plus en plus à laisser la forme prédominer, en ne donnant à l'ornement
que le rôle de parure qui lui revient.
11 serait vain de ma part de prétendre, en manière de conclusion, indiquer
ici mes vues personnelles sur l'avenir de l'orfèvrerie. Je m'en tiendrai à une
constatation à laquelle quelques lecteurs trouveraient peut-être une allure pes-
simiste qui est pourtant loin de moi. Une des transformations les plus profondes
qu'ait jamais subies l'esprit humain est en train de s'accomplir sans qu'on en ait
bien conscience : c'est l'abolition radicale du sens esthétique tel qu'on l'entendait
autrefois. M. de Vogué a remarqué que nos pères, fidèles à une tradition vieille
comme l'homme, ne fabriquaient pas un seul produit qui n'ait quelques \estiges
d'ornementation; tout, jusqu'aux plus vulgaires objets d'usage domestique,
revêtait une forme capricieuse, souvent charmante, et comportait des fantaisies
surajoutées pour flatter les yeux. Depuis quelque cinquante ans, l'ornementa-
tion se fait plus rare; à présent elle disparaît brusquement, presque partout;
quelques industries de pur luxe la maintiennent dans les choses superflues,
destinées au petit nombre. Mais elle abandonne peu à peu tous les objets de
commun usage. Quand le goût artistique essaie de la ressusciter, il est stérile,
parce que son effort factice va contre une loi générale. C'est la première fois
que ce phénomène se produit depuis l'origine des sociétés.
« On peut l'expliquer par la valeur croissante du travail et de son coefficient,
» le temps ; nous faisons simple pour faire davantage et plus vite ; la force em-
» ployée à produire est consommée tout entière en utilité, on n'en peut plus rien
» distraire pour l'amusement. Mais cette explication ne suffit pas. Notre œil a
» changé. Là oii celui de nos devanciers exigeait des couleurs vives et le dessin
» imagé, le nôtre réclame des teintes neutres, les lignes droites, les surfaces
» polies, en un mot l'étroite convenance entre la forme et l'emploi, rien de plus.
» (Vest l'élimination progressive de l'instinct du sauvage, de l'instinct de l'en-
» faut, qui (!sl devenu, en s'épurant, le goût du beau, mais qui n'en pi'océdait
» pas moins d(ï ce principe : la recherche du jouet, et de la parure avant celle
» de l'utilité. Le s(^ns plasti(|ue s'est cantonné dans le domaine restreint de
" rpielques arts; parloiit ailhMus, il est remplacé par le sens rationnel. Ce dernier
" nous façonne ini monde plus sévère, plus trisle aux yeux, mais imposant
•/ poiu' le regard intérieur, harm(»ni(pie pour la pensée abstraite. L'ancien était
- 377 —
» beau comme un décor agréable; le nouveau n'a que la beauté d'un théorème
» de géométrie (1). »
Cette observation de haute philosophie a un fond de vérité qu'on ne saurait
méconnaître. L'orfèvrerie de l'avenir serait-elle donc destinée à ne plus comporter
cette parure riante qui la rend sur nos tables si gracieuse et aimable? Alors que
nous assistons de nos jours à tant d'efforts pour ajouter à l'argenterie l'éclat des
couleurs par les feux de l'émail, à la voir peu à peu perdre cet éclat et cet aspect
enchanteur? Ce serait, semble-t-il, une impossibilité. Ce qui parait probable, c'est
qu'à côté de l'orfèvrerie de luxe et exceptionnelle, faite pour les rares privilégiés
de la fortune, l'orfèvrerie d'usage, en prenant de plus en plus de développement,
recherchera des formes simples, judicieusement construites, dans lesquelles l'or-
nement inutile sera impitoyablement sacrifié ou subordonné à la forme. Si c'est là
l'orfèvrerie que veulent nous faire entrevoir les sociologues... reconnaissons
qu'elle pourra comporter par la pureté des lignes, sinon par la grâce des ornements,
une beauté idéale dont il faut souhaiter aux siècles futurs de savourer la noblesse !
(1) Marquis de Vogué : Remarque sur l'Exposidoii du Centenaire 1SS9, ia-lS), page 96.
Insigne des membres du Jurw
à l'Exposition de l'jai.
Modèle de Bollée. Exéculc pur CItristofle.'
13
Surtout « La Moisson n.
[Modèle de Gnsq. — Orfèvrerie de Chrislofle.)
TABLE DES MATIÈRES
LIVRE TROISIÈME
LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE
Deuxième période, 1860 à 1900.
PRÉFACE. — La vie et l'œuvre de Henri Bouilhet (1830-1910)
CHAPITRE CINQUIÈME. Le second Empire (de 1860 à 1870). — Essor de l or-
fevrerie d'église. — L'architecte Viollet-Ie-Duc. — Poussielgue-Rusand et
Armand-Calliat. — Les grands travaux d'orfèvrerie civile. — Le Berceau du
Prince Impérial, par Froment-Meurice. — Les orfèvreries des Fannière. —
Le grand Surtout de la Ville de Paris, par Chrislofle. — Les Expositions de
1862 et 1867. — Influence de l'Union centrale des Beaux-Arts appliqués à
l'industrie. — Le beau dans l'utile. — L'Exposition de 1869 au Palais de
l'Industrie
CHAPITRE SIXIÈMI-:. La Troisième République (de 1870 à 1878j. — Expo-
sitions diverses: à Londres, en 1871 cl 187^; à V^ienne, en 187!}; à Phila-
delphie, en 1876. — Influence de l'art japonais. — L'Exposition de 1878 à
Paris. — Les artistes Emile Heiber et Charles Hossigneux. — Les orfèvres :
P'annière frères, Gustave Odiot, Froment-Meurice, Lucien Falize, Cliristofle,
Aucoc. — Les orfèvres d'éf^lise : Poussielgue-Uusand, Armand-Calliat. —
I/Américain Tilfany 101
CHAPITRE SEPTIÈME. La Troisième République (de 1878 à 1889). — In-
fluence de l'Union Centrale des Arts décoratifs sur l'orfèvrerie, — Expo-
sitions et Concours. — Objets d'art du Ministère de l'Agriculture. —
Expositions technologiques organisées par l'Union Centrale. — Les Arts
du métal en 1880, — Les Concours 173
CHAPITRE HUITIÈME. La Troisième République (de 1889 à 1891), —
L'Exposition Universelle de 1889, — Les maîtres orfèvres à la fin du dix-
neuvième siècle : André Aucoc, Armand-Calliat, G. Boin, Brateau, Car-
deilhac, Christofle, Debain, Falize, Fannière, E. Froment-Meurice, Pous-
sielgue, G, Odiot 2i5
CHAPITRE NEUVIÈME. La Troisième République (de 1891 à 1900). — A la
recherche d'un style. — L'Exposition de l'Art de la femme en 1891. — L'ad-
mission des artistes décorateurs aux Salons annuels; — L'Exposition de lyoo.
— Les succès de l'orfèvrerie française. — L'Art nouveau 299
Siici'ic]' " I>cs Arracheur!? tic l)cLLci'a\os ».
[Sciiliiliirc (le. MMvl. — Fiffiires de Iloiissel.)
i ()r/rrrrrii' ilc < '.h rislojlc
PRÉFACE. — Porirail do Henri Boiiillict vu
Henri Bouilliet dans son cabinet de travail ix
Henri Bouilliet à i'alelier xvii
FRONTISPICE 9
CHAPITRE V. — Tète de page : Fragment de la frise du cliiiteau de Pierrefonds. ICompo-
s'ition et dessin de Viotlel-le-Duc.) 11
Lettre ornée V. {Dessin de VioUel-le-Duc.) 11
Porirait de P. Poiissielgue-Rusand (1824-1889) 13
Ciiapelle de Mgr de Dreux Brézé. (Orfèvrerie de P. Poussiclgue-Iîiisand.) 15
Calice aux oiseaux. [Orfèvrerie de P. Poussicigiie-Rusand.) 17
Maître autel de Saint-Marlin d'Ainay, de Lyon. (Questcl, architecte. — Orfèvrerie de
P. PoussitlQue-Rusand.) 18
Reliquaire de la Couronne d'épines. — Ostensoir de Nolrc-Damc de Paris. — Reli-
quaire de la Vraie Croix. (Orfèvrerie de Poussicigue-Rusand.) 19
Portrait de ViolIcl-le-Duc (1814-1879) 21
Reliquaire de la Vraie Croix et du Saint Clou. (Premier projet. Projet exécuté.)
(Dessin original de ViolUt-lc-Duc.) 2.3
Feuille de carotte sauvage. (Dessin de Violkl-le-Duc.). 24
Bourgeons de fougères. (Dessin de Viollet-le-Duc.) 24
Fleuron du porclie de la cathédrale de Clerinont-Ferrand. (Dessin de Viollet-le-Duc.) 2.")
Chapiteau de l'église collégiale d'Eu. [Dessin de Viollet-lc-Diic.) . . 2"j
Ostensoir de Notre -Dame de la Garde. (Orfèvrerie d'Armand-Calliut.) 27
Ciboire, (Orfèvrerie d'Armand-Calliat. — Collection du Musée des Arts décoratifs.) . 28
Croix processionnelle. (Orfèvrerie d'Armand-Calliat. — Trésor de la Chapelle Sixlinc,
au Vatican.) 29
— liH^I —
Horcoau du Priiico Itnpi'riul. {Arnhikclf, l)allard. — ()rfrvrcvic de Froninnl-Mi'uricr,.) . :',:>,
Dessus de clieininée de l'Hôli!! de Ville. (ArchilcrU;, llall'ird. — ScHlphire de, Mailkl.
— Orfèvrerie de Froment-Meiirice.) '.','.')
Smiout el caiidélnbros en crislal de roclie cxéciilés poui- l'eiiipereur ,\a|ioléoii III.
{Orfèvrerie de Froiiient-Meurice. — Collection du Musée des Arts décoratifs.) . ... 'M
Aiguière en crislal de roclie incrustée d'émau.v. {Orfèvrerie de Froment-Mcurice.). . 40
Coupe offerte nu poète Ponsard par les linbilarils di' Vienne, (Orfèvrerie de Fromenl-
Meurice.) 41
Ensemble du surtout de rilôlel d(! Vilhi de Paris. {Orfèvrerie de Chri.ilofle.j i'i
Pièce de milieu du surtout de l'HôIel île Ville. iScnlplurc de Guniery el Dieholdl. —
Orfèvrerie de Christofle.) 4.'i
Pièce de bout du surtout de i'Hôtcl de Ville « La Seine ». {Sculplurc de Maillet.
— Orfèvrerie de Christofle.) 47
Pièce de bout du surtout de l'Hôtel de Ville " La Marne ». {Sculpture d" Maillet. —
Orfèvrerie de Christofle.) 49
Service de dessert de l'Hôtel de Ville, {"èculpture d'Aurjuste Madroux. — Orfèvrerie
de Christofle.) 51
Portrait de Joscpli Fannière (1820-1897) 61
Portrait d'Auguste Fannière (1818-1900) Cl
Candélabres. {OEuvre des Fannière. — Musée Centennal.) C2
Service exécuté pour le Prince de Holienloiie : Candélabres. Etagère. Sucrier. Seau
à rafraîchir. {OEuvre des Fannière.) 03
Saucière du service du Prince de Hoiienlolic. {OEuvre des Fannière.) 65
Salière « La Naissance de Vénus ». Service du Prince de Holienlobe. {Œuvre des
Fannière.) 6.5
Salière du service du Prince de Holienlolie. {OEuvre des Fannière.) 65
Groupe « La Léda », en argent repoussé. (OEuvre des Fannière.) 66
Pot à bière. {OEuvre des Fannii're.) 67
Bouclier m La cliute des Anges ». {OEuvre des Fannière. — Collection du Musée des
Arts décoratifs.) 68
Vase exécuté pour le Grand Prix de Paris en 1867, offert par l'empereur Napo-
léon IIL {OEuvre des Fannière.] 69
Surtout exéculé pour M. Pétin. {Orfèvrerie d'Odiot.) ... 70
« La Renommée ». Prix de course du Jockey-Club gagné par Nélu.sl<o. {Orfèvrerie
de Ch. Odiot.) 71
Candélabre exéculé pour M. Pétin. (Orfèvrerie d'Odiot.) 73
Jardinière Louis XVI. {Orfèvrerie de Duponchel.) 74
« La Victoire ». Prix de course du Jockey-Club gagné par Gladiateur. {Sculpture de
Maillet. — Orfèvrerie de Christofle.) 75
Service à café de style Louis XVI. (Modèle de Ghéret. — Orfèvrerie de Cliristofle. —
Collection du Musée des Arts décoratifs.) 76
Table à tlié. {Modèle de Rossigneux. — Orfèvrerie de Christofl^e.) 77
Table de toilette à coifl'er, de style Louis XVL (Composition de E. Rciber. — Sculpture
de Carrier-Belleuse et Gumery. — Orfèvrerie de Christofle.) 79
Pot à eau et cuvetle de style Louis XVL {Composition d'Emile Rciber. — Sculpture
de Carrier-Belleuse. — Orfèvrerie de Christofle.) Hl
Glace à main et flacons de loilelte de style Louis XVI. {Orfèvrerie de Christofle.). . . 83
Coupe à bijoux et boîtes à |)Oudre et à pommade de slyle Louis XVI. {Orfèvrerie de
Christofle). .. 84
Porirait de Klagniann (IHI0-)8()9) 85
Salière double « L(is Oiidincs ». (Sculpture de Klagmann. — Orfèvrerie de Christofle.) 86
Sucrier d(! table en argenl. {Sculpture de Klagmann. — Orfèvrerie de Christofle.). . . 87
CoH'rcîl « ii'Knlèvemenl de Déjanire ». (.VCT(//j/!(rc de Klagmann. — Orfèvrerie de
Christofle.) 88
Surtout d(! table du service de l'inipéralrice : jardinières de milieu elr F.fférales.
{Sculpture de Maillet et Math. Moreau. — Orfèvrerie de Chrisloflc.) 89
— 383 —
Sorvico dt; table do l'Impératrice. Corbeille à lumières : l'Agricuilure, par Aimé
Millet. (Orfèvrerie de Ckrislofle.) 91
Candélabre Louis XVI. Service de l'Impéralrice. (Orfèvrerie de Christofle.) 93
La Trirème offerte par l'Impératrice Eugénie, à rocca.sion de l'ouverture du Canal
de Suez, à Ferdinand de Lessops. [Sculplure et orfèvrerie des frères Fannière.). 95
Grand Pri.v de l'Agricuilure en 1867. ( Modèle de Gitmery. — OrfèvreriedeChristoflr.'' . 97
Coupe à fruits. (Dessin original de Klagmann. — Orfèvrerie de Christofle.) 99
CHAPITRE VI. — Tète de page : En-Iête des Évangiles de Haclielle. (Dessin de Rossi-
gneiix.) 101
Lettre ornée A. (Dessin de Hossigneux.) 101
Emaux cloisonnés par Cliristofle. (Dessin de E. Rciber.) 105
Vase en émail cloisonné. (Dessin de E. Reiber. — Ouvrage de Christofle.) 106
Vase d'Anacréon, incrusté d'or et d'argeni, par Cliristofle. (Composition de E.
Reiber.) 107
Croquis originaux de E. Reiber. (Collection Cliristofle.) 109
Vase cacbe-pot en émail cloisonné. (Composition de E. Reiber. — Ouvrage de Chris-
tofle.) 111
Dessin original de E. Reiber. (Collection Christofle.) ■. 113
Vase incrusté. (Dessin de E. Reiber.) 113
Vases incrustés d'argent. (Ouvrage de Christofle. — Dessins de E. Reiber.) 114
Portrait de Cliarles Rossigncux (1816-1907), arcliitecle décorateur 115
Panneau d'émail du meuble à bijoux. (Dessin de Rossigneux. — Ouvrage de Chris-
tofle.) 116
Meuble à bijoux. (Ouvrage de Christofle. — Dessin de Rossigneux.) II7
Service à déjeuner Peau de lion. {Modèle de Rossigneux. — Orfèvrerie de Christofle.). 119
Plateau incrusté d'or et d'argent. (Modèle de Rossigneux. — Ouvrage de Christofle.) . 120
Couvert Peau de lion. (Dessin de Rossigneux. — Orfèvrerie de Christofle.) 121
Pendule en lapis et argent, par Fannière frères 124
Belléropbon terrassant la Cliimère. Prix de course, par Fannière frères 125
Compotier du surtout de Flore et Zépbyr. (Orfèvrerie de Gustave Odiot.) 126
Surtout de « Flore et Zépbyr ». (Orfèvrerie de Gustave Odiot.) 127
Candélabre du surtout de « Flore et Zépiiyr ». (Orfèvrerie de Gustave Odiot.) 129
Prix de course de 1877. (Orfèvrerie de Gustave Odiot.) 131
Pendule et candélabre de Cbantilly. (Modèle de Daumet. — Orfèvrerie d'Emile Fro-
ment-Meurice.) 133
Le Centaure couronné par la Victoire. Prix de course. (Orfèvrerie de Frovient-
Meurice.) 135
Aiguière en cristal de rociie, montée en argent et émail par E. Froment-Meurice.) . 136
Ostensoir offert à l'église Notre-Dame du Sacré-Cœur d'Issoudun par la comtesse
de Bardi. (Orfèvrerie d'Emile Froment-Meurice.) 137
Pendule d'Uranie : bas-relief commémoratif de Marguerite de Navarre. (Orfèvrerie
de L. Falize.) 138
La Pendule d'Uranie (figures en ivoire). (Orfèvrerie de L. Falize.) 139
Pendule d'Uranie : bas-relief commémoratif de Gaston de Foix. (Orfèvrerie de
L. Falize.) l'il
Service de verrerie pour le duc de Santonia. (Dessin original d'Emile Reiber.). . . . 144
Jardinières et bouts de table du service du duc de Santonia. (Orfèvrerie de Chris-
tofle.) 143
Milieu de table du surtout du duc de Santonia. (Orfèvrerie de Christofle.) 147
Surtout Bacclius. (Sculpture de Carrier-Relieuse. — Orfèvrerie de Christofle.) 148
Bibliotlièque du Vatican, façade. (Dessin d'Emile Reiber. — Ouvrage de Christofle.) . 149
Bibliolbèque du Vatican, vue de profil. (Dessin d'Emile Reiber. — Orfèvrerie de
Christofle.) 151
Bibliolbèque du Vatican. La Vierge de Lourdes. Exécutée en ivoire et argent re-
poussé par Cliristofle 152
— ;isi —
Ediculo ci'iitriil ili; hi IJibliollioquo du Vulicari. M{;;r Larig/juioux ol l'abln; Siro [in;-
sentant un exemplaire des Huiles au Saiiil-I'ère Pie IX i'.'/.i
Procession des peuples ealliolif)ues. (Frisa peinte sur cuivra par Cit. Lanifii,rn.i . . . . \
Procession des peuples callioliqiKis. [Urise painla sur cuivre par Ch. Lameire.]. . . il'il
Atn[iliores en arj^enl, repoussé. (Modifies de Conslant Scvin. — Ciselures de iJésirô
AUarije. — OEuvre de F. Barbedienne.) d.'iO
Cantliare baccliique. (Ciselure repoussèe de D. Altargc, — OEuvrede Uarbedienne.) . ' 100
N» 1. Coupe aux Bryones des haies, — N" 2. Coufie aux Mftrcs sauvages. [OEuore
de Barbedienne.) j(H
Pendule Henri II. (Modèle de Constant Sevin. — OEuvre de Barbedienne., -lO.'J
Surtout du duc de Chartres. (Bronze argenté de Barbedienne.) 165
Flambeaux d'argent ciselés par Désiré Attarge. {OEuvre de F. Barbedienne.) . ..... d66
Dessins de Vioilet-lc Duc. (Orfèvrerie de Poussielgue-Rusand.) 167
Ostensoir de Notre-Dame de Lourdes. (Orfèvrerie d'Armand-Calliat.) 169
Reliquaire du Saint Mors. (Orfèvrerie d'Armand-Calliat.) 170
Reliquaire de la Sainte Epine. (Orfèvrerie d'Armand-Calliat.) 170
Crosse du cardinal Pétra. {Orfèvrerie d'Armand-Calliat, 1878.) 171
Cafetières à reliefs d'argent polyciirome. (Ouvrage de Tiffany.) 172
Flambeau des Evangiles de Hachette. (Dessin de Ch. Hossigneux.) 173
CHAPITRE VII. — Tête de page : Prix de Concours agricoles régionaux présentés
en 1887 au Ministère de l'Agriculture. {Orfèvrerie de ChristofJe.) 175
Prix d'honneur des Concours régionaux. (Orfèvrerie de Froment-Meurice.) 176
Prix d'honneui- des Concours régionaux. (Orfèvrerie d'Odiot.) 177
Le Semeur, par Lafrance. Prix d'honneur des Concours agricoles régionaux, en
argent. (Orfèvrerie de Clirisiofle.) 179
« La Science agricole », par Delaplanche, prix d'iionneur des Fermes-écoles. (Or-
fèvrerie de Chrislofle.) 181
«Le Porteur de la Halle», par J. Coulan. — «Le Tondeur de moutons», par
Gaullierin. — «Le Boucher à l'abattoir», par J. Coutan. Prix de Spécialités.
[Orfèvrerie de Chrislofle.) 183
« La Faneuse», par J. Coutan. — « Le GrelTeur », pur Longepied. — « Le Départ
pour les cliamps », par Gautherin. Prix de Spécialités. {Orfèvrerie de Chrislofle ) 185
Vase de la Vilieullure, par Levillain. [Orfèvrerie de Chrislofle.) 187
Vase de la Sériciculture, par Mallet. [Orfèvrerie de Chrislofle.) 188
Prix d'ensemble, espèce ovine : « La Bergère », par Roty. (Orfèvrerie de Chrislofle.). 189
Prix d'honneur des Animaux de basse-cour : » La Fille de ferme », par J. Coutan.
(Orfèvrerie de Chrislofle.) 191
Pot à eau de style Louis XV, d'après le dessin original. (Orfèvreriede Boin-Taburet.). 193
Plateau. Brosse de table. Ramasse-miettes, décorés de feuilles naturelles imprimées.
(Orfèvrerie de Chrislofle.) 194
Plateau décoré de feuillages naturels imprimés. [Collection de Christo/le.) 195
Vase japonais avec incrustations. {Modèle de Reiber. — Orfèvrerie de Chrislofle.) —
(Dessin reproduit d'après la gravure de Buhot.) 197
Cafetières et pots à eau en argent martelé, avec ornements en relief. [Orfèvrerie de
Chrislofle.) 199
Vase de Tiiésée, décor polychiome à fond rouge. (Modèle de Heiber. — Orfèvrerie
de Chrislofle.) ' 201
Vases en alliages variés, avec décors en relief. (Orfèvrerie de Chrislofle.) 202
Plat à rôt à bordure de céleri. (Orfèvrerie de Falizc.) 204
Teslimonialjjll'erl à M. Tcisserenc de Itorl. (Couverture de l'adresse en orfèvrerie et
émail par !.. Falize.) 205
Plaipiethî du Concours du mêlai. [Modèle de Chédeville.) 208
Cafi'tièr(!, modèhî de Carrier-Belleuse. 1" Prix du Concours du métal, en 1880.
((Orfèvrerie de Broerk et lleintze. — Ciselure de Trotel et lioze.) 209
Giilielel de IMojichon. I''' Prix du Concoiu's de l'Union ceidrale du I8!t3 213
— 385 —
Vase (le Lalique. 2"= Prix du Concours de l'Union conlrnlc de 1893 213
Le cliôno brisé. Devise de l'Union cenlraie des Arts décoratifs 214
CHAPITRE VIII. — Tête de page : Naïade sur un dauphin, d'après Blondel 215
Lettre ornée M 213
Ostensoir composé par Corroyer. [Orfèvrerie de Poussielgue.) 217
Ostensoir monumental de Notre-Dame dos Brébières, à Albert (Somme). [Arrlii-
tecte, Duthoit. — Sculpture de Dclaplanclie. — Orfèvrerie de Poussielgue.) . . . . 219
Autel en bronze jdoré de Saint-Ouen de Rouen. {Architecte, Sauvageot. — Orfè-
vrerie de Poussielgue.) 221
A. Armand-Calliat (1822-1901) 223
Croix processionnelle de Mgr Goulbe-Soulard. [Orfèvrerie d' Armand-Calliat.) . . . . 224
Crosse de Mgr Goulbe-Soulard. [Orfèvrerie d' Armand-Calliat.) 224
Ciiapelle de Mgr Goutho-Soulard. [Orfèvrerie d' Armand-Calliat.) 225
Reliquaire du cœur de saint Louis, à Carthage. [Orfèvrerie d' Armand-Calliat.) . . . 227
Ciborium offert à Sa Sainteté Léon XIII. [Modèle de Ch. Lameire. — Orfèvrerie
d' Armand-Calliat.) 229
Candélabre Louis XV, d'après Meissonnier, exécuté pour M. Gunsbourg. (Orfèvrerie
cVOdiot.) 230
Candélabre de style Louis XVI. [Orfèvrerie d'Odiot.) 231
Service à llié Louis XVI, en vermeil, à bas-reliefs. [Sculpture de Gilbert. — Cise-
lure de Diomède. — Orfèvrerie d'Odiot.) 232
Portrait de Lucien Faiize (1839-1897) 233
Corbeille de table : Flore et Zépliyr, à bas-reliefs. [Composition de Chédeville. —
Orfèvrerie de L. Falize.) 234
N° 1. Prix de course de Cliantilly : la Seine et l'Oise. [Modèle de liarrias.) —
N» 2. Jardinière : La Forge. [Modèle de Darrias.) — N° 3. Prix de course :
Corbeille de table. [Or/èvreries de L. Falize.) 235
Testimonial offert à l'arcliitecte E. Corroyer. [Modèle d'Aimé Millet. — Orfèvrerie
de L. Falize.) 237
La Gallia. [Sculpture chrysélépliantine. — Modèle de Moreau- Vaut hier. — Orfè-
vrerie de L. Falize.) 239
Prix de Course de yachts : Baromètre en argent et émail. [Orfèvrerie de L. Falize. j. 241
Coupe d'or émaillée exécutée pour l'Union centrale des Aris décoratifs. [Orfèvrerie
de L. Falize.) 243
Soupière Louis XV, en argent. [.Modèle de Joindy. — Orfèvrerie de Chrislofle.) . . . . 246
Service à thé Louis XV, en argent, sur table en bronze doré. {.Modèle de L. Malkt.
— Orfèvrerie de Chrislofle.) 247
Service à café Renaissance en argent. [Modèle de Chéret. — Orfèvrerie de Chris-
tofle.) 249
Service à café en argent. [Modèle de Levillain. — Orfèvrerie de Chrislofle.) 250
Amphitrite, statuette en ivoire, drapée d'or, sur socle en argent. (Modèle d'An ton in
Mercié. — Sculpture de Scalliet. — Orfèvrerie de Chrislofle.) 231
« Pax et Labor ». Testimonial offert en 1878 à M. Dietz-Monnin. [Modèle de Dela-
planche. — Orfèvrerie de Chrislofle.) 253
Vase des Arts. [Modèle de Carrier-Belleuse. — Exécuté par Chrislofle, en 1883.). . . 255
Prix du Jockey-Club : « La Course ». (Modèle dAntonin Mercié. — Orfèvrerie de
Chrislofle.) 257
Service à café en argent. [Modèle de Carrier-Belleuse. — Orfèvrerie de Chrislofle.). 259
Vase en verre rose d'Iîmile Gallé. [Monture Louis XV, par E. Froment-Meurice.) . 2G0
Surtout de table de style Renaissance. [Composition de Le Chevalier Chevignard. —
Sculpture de Moreau-Vauthier. — Orfèvrerie de E. Froment-Meurice.) 201
La Fortune, par Delaplanche. [Sculpture en ivoire drapée d'or, socle dessiné par
Sédille. — Orfèvrerie de Froment-Meurice.) 263
Grand vase, exécuté pour l'Exposition de 1889, offert à l'empereur Nicolas 11 en
1892. [Composition de Sédille. — Orfèvrerie d'Emile Froment-Meurice,) 263
— ;}8() —
Tiaro rlc Sa Sninloli! I.éon XIII, oiïcrln |»ar Ui diociisn do r>;iris. (Cunri-o.ti'f el des-
sinée par II. Caincrô. — Orfèvrerie de l'roinenl-Meurice.) 207
Nef (le lu Ville do l'iiris. Surloul olîorl [i;ir les Dames jiarisierines à la [iriricosse
Amélie d'Orléans. (Orfèvrerie de Fromenl-Menrice.) 2C)H
<< La Flore », surloul de table exéculé pour M. Teyssier. (Oh'nvre des Fannière. —
Musée Ccnlennal.) 200
Casserole et réchaud du service de table exéculé pour RI. ïcyssier. (OEuvre des
Fannière. — Musée Cenlennal.) 270
Saucière du service de laide exécidé pour M. Teyssier. {(Euvre des Fannière. —
Musée Ccnlennal.) 271
Bouilloire exécutée pour M. Teyssier. {OEuvre des Fanniîire. — Musée Centennal.). 272
Surtout de table : « Les Enfants au chevreau. » (OEuvre des Fannière. — Musée
Cenlennal. — Collection de il/"'" G. Ilachelte.) 27:j
Salières « Naïades » et « Triions » du service de table exéculé pour M. Teyssier.
(OEuvre des Fannière. — Musée Centennal.) 27."j
Jardinière, d'après Mcissonnier. (Modèle de llonal et Peynol. — Orfèvrerie de Boin-
Taburet.) 270
Soupière sur plateau, exécutée pour le Jockey-Club en 1888. (D'après Germain. —
Orfèvrerie de Boin-Tahuret.) 277
Candélabre de slyle Rocaille, sur plateau de glace. {Orfèvrerie de Boin-Tahurct.) . 279
Aiguière et bassin, d'après Germain. (Orfèvrerie de A. Aucoc.) 281
Candélabre Louis XV, à trois branches, avec vase de cristal. [Orfèvrerie de A. Aucoc). 28.3
Service de loiletle de style Louis XV. N° 1. Boîte à poudre de riz. (Collection du
Musée des Arts décoratifs.) — N° 2. Pot à eau et cuvette. (Sculpture de Bonat.
— Orfèvrerie de Debain.) 285
Couvert Renaissance ajouré. (Modèle de Cardeilhac.) 287
Crosse épiscopale en or, argent et émail. (Modèle de Legrand. — Figure de E. Pascal.
— Exécutée par Boucheron.) 288
L'Enfant au coqudiagc. Statuette en bronze avec émaux incrustés. (.Modèle d'Anto-
nin Mercié. — Exécuté j^ar F. Boucheron.) 289
Coupe exécutée en damasquine. (OEuvre de Dufresne de Saint-Léon.) 291
Buirc et plateau à bas-reliefs, en élain. (Orfèvrerie de J. Braleau.) 292
Assiettes en élain, à marli décoré. (Orfèvrerie de J. Braleau.) 293
Cui-dc-lampe. (Dessin de Blondel.) 297
CHAPITRE IX. — Tête de page : « La Nymphe de la Seine », plaquette en argent. (Modèle
de 0. Botg. — E.vécutée par Christofle.). 299
Lettre ornée L 299
Cafetière et sucrier décorés de fleurs de pavots. (Modèle de II. Vever, 1889.) 300
Service à tiié sur plateau décoré de chrysantiièmes. (Orfèvrerie de Boin-Tahuret.) . 308
Lampes de styles anciens et art nouveau. (Orfèvrerie de Gaillard.) 310
Brosse de loiletle de style Louis XVI. (Orfèvrerie de Gaillard.) 311
Cafelicrc et plateau de slyle persan. (Orfèvrerie d'élain. — Modèles de J. Braleau.). 312
Gobelet aux bryones des haies. (Orfi'vrerie d'élain de J. Braleau.) 313
Gobelet seigle et houblon. (Orfèvrerie d'élain de J. Braleau.) 313
Drageoirs en forme de fruils coupés. N" 1. Pêciic. — N° 2. Poire. (Orjèvrcric de
Christofle.) 314
Vase à fleurs arl nouveau. N" 1. Arlichaul. — N" 2. Pied de céleri. — N» 3. Char-
dons. [Orfèvrerie de Christofle.) 314
Services à thé en arg(!nl. N» 1. Pâtisson. (Sculpture de L. Mallet.) — N° 2. Feuilles
d'arliclioul. (Sculpture de Dinée. — Orfèvrerie de Clirislojle.) 315
Service à llié en argent, en forme de coiu'ge. (Sculpture de L. Mallet. — Orfèvrerie
de Christofle.) ; 317
Ostensoir de Saint-Martin d'Ainay. (Orfèvrerie d'Armand-Calliat.) 323
Marteau jubilaire de Sa Sainteté Léon XIII. (Orfèvrerie d'Armand-Calliat.) 32'1
Crosse du cardinal Foulon. (Orfèvrerie d'Armund-Callial.) 326
— 387 -
Crosse do Solosmos en ivoire incrusté fl'or et d'émaux. {Orfèvrerie d'Armand-
Gallial) 326
Surtout de taijie exécuté pourM. Ed. Aynard, en 1900. (Orfèvrerie d' Armand-Calliat.) . 327
Service de table art nouveau, exécuté en argent. — N° 1. Saucière courge. —
N° 2. Casserole artichaut d'Espagne. — N" 3. Plat rond, bordure de carottes et
champignons. — N"^ 4 et îi. Plats ovales décorés de volailles et gibiers. [Mo-
dèles de Joindij. — Orfèvrerie de Christofle.) 389
Grand vase « La Flore des champs et des jardins de France ». [Sculpture d'Ar-
noux. — Orfèvrerie de Christofle.) 331
Prix d'iionncnr des Bandes de moutons et de bœufs. Deux casseroles à couvercle
exécutées pour le Minisière de l'Agriculture. [Modèle de L. Mallet. — Orfèvrerie
de Christofle.) 333
Fontaine à thé en argent repoussé, décorée de feuilles de plalane. [Modèle de Mallet.
— Orfèvrerie de Christofle.) 335
Prix des Concours régionaux agricoles. Soupière « La soupe aux choux ». Exé-
cutée pour le Ministère de l'Agriculture. (Modèle de L. Mallet. — Orfèvrerie de
Chrislo/k.) 336
Surtout « L'Air et l'Eau », en argent et cristal opalin et ligure d'ivoire. [Modèle de
René Rozet. — Orfèvrerie de Christofle.) 337
Motif central du surtout << L'Air et l'Eau ». c La Flore », statuelte en ivoire. [Mo-
dèle de n. Rozet. — Orfèvrerie de Christofle.) 339
Services à café en argent repoussé. 1. Décor de feuilles d'eucalyptus. — N° 2. Dé-
cor de branches d'olivier. [Dessins de H. Godin. — Sculpture de L. Mallet. —
Orfèvrerie de Christofle.) 341
Service h café en argent repoussé, décoré de branches de pin. [Dessin de H. Godin.
— Sculpture de L. Mallet. — Orfèvrerie de Christofle.) 343
Service à Ihé en argent repoussé, décoré de branches de céleri. [Dessin de II. Godin.
— Sculfjlure de L. Mallet. — Orfèvrerie de Christofle.) 344
Pièce de milieu du surlout Louis XIV, en vermeil avec colonnes en onyx et agate.
[Orfèvrerie de Doin-Taburet.) 34o
Grand vase en marbre blanc. [Modèle de Messager. — Monture en vermeil par E.
Froment-Meurice.) 347
Vase « Vigne », à grappes d'améthyste. [Orfèvrerie de Froment-Meurice.) 349
Surtout offert au grand-duc Wladiinirà l'occasion de ses noces d'argent. [Orfèvrerie
d'Aucoc.) 351
Coupe dite « La Bratina ». [Orfèvrerie d'Aucoc.) 353
Autel en grès et bronze doré. [Architecte Genuys. — Orfèvrerie de Poussiclgue.). . . 355
Calice aux Iris. [Modèle de Lelièvre. — Orfèvrerie de Poussielgue.) 337
Crosse épiscopale en bois, monture en argent. [Orfèvrerie de Poussielgue.) 357
La Coupe des vins de France, exécutée en or et émail. [Orfèvrerie de Faine.). . . . 359
Surtout du couronnement de Nicolas II. [Modèle de Joindg. — Figure d'Anlocolshy.
Orfèvrerie de Falize.) 360
N° 1. Vase aux Lézards.— N» 2. Vase au Chardon. — N<'3. Soupière Feuilles de chou.
— N" 4. Vase au Mûrier. — N° 5. Gobelet de Liicerno. [Orfèvrerie de L. Falize.). 361
Vase en grès, monture en orfèvrerie par Cardeilhac 363
Portrait de M. E. Cardeilhac (1851-1904) 364
N» 1. Chocolatière. — l\° 2. Petit plateau. — N» 3. Candélabre. — N° 4. Cafetière.
[Orfèvrerie de Cardeilhac.) 365
Sucrier Feuille de trèfle. [Orfèvrerie de Cardeilhac.) 367
Bol aux pavots. [Sculpture de A. Arnoux. — Orfèvrerie de Dehain.) 368
N" 1. Gobelet Feuilles de lierre. — N" 2. Gobelet Bluet. — N° 3. Plat décoré de la
Vescia des haies. [Orfèvrerie d'étain de J. Brateau.) • 369
Coupe d'or émaillé. [Orfèvrerie de J. Braleau.) 371
Porte-allumettes exécuté pour M. Corroyer. [Par J. Brateau.). 372
Théière en argent « Les Mûres ». [Orfèvrerie de Falize.) 373
Insigne des Membres du Jury en 1900. [Modèle de Bottée. — Exécuté par Christofle ). 377
— ;{8s —
TAItl,l<; 1»KS AIATIKMI'IS. — Ti'li- de. |i!i-c, : Suiloul, " Moisson \<ur (i'.m\. [Or/?-
vrerie de Clirislo/k.) ;{7()
Sucrier « Les Arnu'lieurs (1(î bclleriivcs », (nir Ahillel. et IJoiisscl. {Orfhvrerie de
Ckrislo/le.) :m
TABLE DES GRAVUiiES. — Têle de : C;iri,ouclie de liaiisoii ;iHI
Tropliée de lleurs, par Hiinson :',HH
Miroir de loilclle « La Mélamorpliose de Narcisse par ito/el,. (Orfiwrerie de
Christolle.)
Glace de loilette en argent.
(Modèle de René Rozel. — Orfèvrerie de Clirislofle.)
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