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Full text of "Mémoires de l'Académie des sciences inscriptions et belles-lettres de Toulouse"

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BEQUtsr 

UN1VERS1T\^  ofMICHIGAN 

^  GENEll\L  LIBRARY    _u 


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MEMOIRES 


DE 


L'ACADÉMIE  DES  SCIENCES 


INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES 


DE   TOULOUSE 


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MÉMOIRES 


DE 


LICADÉMIE  DES  SCIENCES 

INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 
DE   TOULOUSE 

Huitième  Série 

TOME  III.  —  PREMIER  SEMESTRE. 


TOULOUSE 

IMPRIMERIE    DOULADOURE-PRIVAT 
Rue  Saint-Rome,  39 


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AJ«A^^^^^^*^\A./V*^ 


ÉTAT 


DBS 


MEMBRES   DE   L'ACADÉMIE 


CHANGEMENTS  SURVENDS  DANS  LA  LISTE  DES  ACADEMICIENS 

Depuis  le  mois  d'avril  1880  jusqu'au  mois  d'avril  1881 


ASSOaÉS  ORDINAIRES 

CLASSB  DES   SCIENCES 
SeetioB  des  matliéBiiatlqaea  pures. 

M.  David,  lieutenant-colonel  du  génie  en  retraite,  en  remplacement 
de  M.  Endrès,  devenu  associé  correspondant. 

Seefion  de  physique  et  astronomie. 

M.  Baillaud,  directeur  de  l'Observatoire,  doyen  de  la  Faculté  des 
sciences,  en  remplacement  de  M.  Tisserand,  devenu  associé  corres- 
pondant. 

CLASSE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 

M.  Hallbbrg^  professeur  de  littérature  étrangère  à  la  Faculté  des 
lettres,  en  remplacement  de  M.  Brédif,  devenu  associé  correspon- 
dant. 


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MÉMOIRES. 


CHAPITRE  SEPTIÈME 

Rôle  de  trois  juristes  toulousains  {Pierre  Flotte,  Guillaume  de  Nogaret, 
Pierre  de  Belle-Perche)  et  de  V  Université  dans  le  différend  entre  le 
roi  Philippe  le  Bel  et  le  pape  Boniface  YIII  {années  i30i-i303). 

Il  serait  plus  qu'inutile  de  redire  ici  Thistoire  souvent  écrite 
et  bien  connue  du  différend  entre  le  Roi  de  France  et  le  Pape, 
qui  fut  une  très-grosse  affaire  de  ce  teoips.  Mais  il  est  néces- 
saire d'en  avoir  les  principaux  faits  présents  à  la  mémoire  pour 
comprendre  quel  rôle  y  jouèrent  personnellement  trois  juristes 
toulousains,  dont  deux  avaient  été  professeurs  ès-Iois,  et  quel 
y  fut  celui  de  l'Université  en  corps. 

Au  fond  et  essentiellement  il  s'agissait  de  la  grande  question 
politique  et  sociale  de  la  division  des  Pouvoirs  temporel  et 
spirituel  ou  des  rapports  de  l'Église  et  de  l'État.  Le  Pape  pré- 
tendait à  la  double  souveraineté  spirituelle  et  temporelle,  la 
seconde  étant,  suivant  lui ,  une  conséc|uence  nécessaire  de  la 
première;  il  ne  considérait  la  royauté  que  comme  le» Pouvoir 
exécutif  de  la  papauté.  Le  Roi  revendiquait  la  souveraineté 
temporelle  et  soutenait  que  sa  couronne  était  indépendante  de 
*la  tiare. 

I.  Le  différend  commença  par  l'affaire  de  Bernard  de  Saisset, 
évèque  dePamiers,  que  le  Roi  fit  arrêter  et  emprisonner,  comme 
coupable  de  trahison,  le  24  mai  1301  (1).  Le  Pape  s'en  plai' 
gnit,  disant  qu'il  avait,  seul,  le  droit  d'informer  contre  un 
évèque  et  de  le  juger.  Le  Roi  persista. 

II.  Le  5  décembre  de  la  même  année,  le  Pape,  de  plus  en 
plus  irrité,  écrivit  au  Roi  la  bulle  devenue  fameuse  sous  le  nom 
d*AuscuUa,  fili,  dans  laquelle  il  lui  reprochait  un  grand  nom- 
Ci)  Des  brooillerie9  entre  le  Pape  et  le  Roi  avaient  même  déjà  eu  lieu  auparavant  à 

Toecasioa  de  Téglise  de  Narbonne  et  du  comté  de  Melgueil  dans  le  diocèse  de  Magoe- 
lone.  (ffiil.  d$  Lang.,  liv.  XXVm,  g  64.) 


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HISTOIRE  DE  l'dNIVERSITÉ  DE  TOULOUSE.  3 

bre  d'actes  et  affirmait  ses  prétentions  à  la  prééminence  sur 
les  rois.  On  en  fit  en  même  temps  circuler  une  autre,  datée  du 
même  jour  et  écrite  dans  le  même  esprit,  mais  beaucoup  plus 
courte  et  très-hautaine  (2). 

Le  Roi  fit  brûler  solennellement  la  bulle  à  Paris,  le  11  février 
1302.  On  fit  circuler  en  réponse  à  la  lettre  hautaine  quelques 
mots  très-insolents. 

m.  Le  Pape,  dans  une  lettre-circulaire  à  tous  les  archevê- 
ques et  évêquesde  France,  aux  plus  célèbres  abbés,  aux  chapi- 
tres des  cathédrales,  aux  docteurs  en  théologie,  en  droit  cano- 
nique et  civil,  et  à  d'autres  ecclésiastiques,  leur  manda  de  se 
rendre  à  Rome,  le  l^'  novembre  1302,  pour  y  tenir  une  grande 
assemblée  dans  laquelle  on  examinerait  la  conduite  du  Roi  et 
l'on  prononcerait  sur  lui. 

Le  Roi,  de  son  côté,  dans  une  semblable  lettre-circulaire  à 
des  ecclésiastiques  de  tous  ordres,  évêques,  abbés,  docteurs,  etc., 
à  des  seigneurs  laïques  et  à  des  syndics  de  diverses  commu- 
nautés, les  invita  à  se  rendre  à  Paris,  le  10  avril  suivant,  pour 
y  tenir  une  assemblée  dans  laquelle  on  examinerait  la  valeur 
des  accusations  du  Pape  et  celle  de  ses  prétentions. 

IV.  L'assemblée  convoquée  par  le  Roi  eut  lieu  à  Paris  au 
■jour  indiqué.  Après  qu'on  y  eut  répondu,  au  nom  du  Roi,  à 
tous  les  reproches  du  Pape,  on  en  formula  de  beaucoup  plus 
graves  contre  le  Pape  lui-même.  On  combattit  énergiquement 
ses  prétentions  à  la  souveraineté  temporelle.  Les  laïques  pro- 
mirent aussitôt  de  soutenir  vaillamment  le  Roi  dans  la  défense 
de  ses  droits.  Des  évêques  et  d'autres  ecclésiastiques  le  firent 
plus  mollement.  Ils  demandèrent  même  la  permission  de  se* 
rendre  à  Rome  pour  l'assemblée  à  laquelle  le  Pape  les  avait 
Convoqués.  Mais  le  Roi  et  les  Seigneurs  déclarèrent  qu'ils  ne  le 
souffriraient  en  aucune  sorte. 

L'assemblée  convoquée  par  le  Pape  eut  lieu  aussi  à  Rome,  au 
jour  indiqué,  malgré  l'absence  de  la  plupart  des  prélats  et  des 

(9)  Voir,  à  la  fin  du  chapitre,  la  note  additionnelle  A. 


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4  MEMOIRES. 

docteurs  français,  qui  ne  voulurent  pas  enfreindre  la  défense  du 
Roi  (3).  Le  Pape  y  exposa  tous  ses  griefs  et  publia  la  bulle  non 
moins  fameuse  sous  le  nom  d*Unam  sanctam,  qui  afGrmait  de 
nouveau  et  avec  instance  la  doctrine  de  la  bulle  Ausculta, 
filid). 

V.  Le  Roi,  voulant  affirmer  aussi  de  nouveau  son  opposition 
à  cette  doctrine  et  lutter  plus  vivement  contre  le  Pape,  convo- 
qua une  seconde  assemblée  à  Paris,  en  sa  maison  royale  du 
Louvre,  le  12  mars  1303.  On  y  formula  contre  le  Pape  un  acte 
d'accusation  en  plusieurs  articles,  dont  la  conclusion  était  qu'il 
y  avait  lieu  de  convoquer  un  concile  pour  le  juger,  et  qu'en 
attendant  on  devait  l'arrêter  et  le  retenir  'en  prison  jusqu'au 
jugement. 

Dès  que  Je  Pape  fut  instruit  de  ces  faits,  un  mois  après, 
13  avril,  il  déclara  le  Roi  de  France  excommunié;  et  il  excom- 
munia aussi  tous  ceux  qui  oseraient  lui  administrer  les  sacre- 
ments ou  dire  la  messe  devant  lui,  de  quelque  ordre  qu'ils  fus- 
sent, même  évêques. 

VI.  Instruit  de  ces  faits,  le  Roi  convoqua  une  troisième  as- 
semblée qui  se  tint  encore  au  Louvre,  le  13  juin.  On  y  renou- 
vela, en  l'aggravant,  l'acte  d'accusation  contrôle  Pape  (5),  et 
l'on  conclut  de  nouveau  qu'il  y  avait  lieu  de  convoquer  un 
concile  pour  le  juger  et  donner  à  l'Église  un  bon  et  légitime 
pasleur.  Cette  conclusion  fut  adoptée  à  l'unanimité  des  mem- 
bres présents,  tant  ecclésiastiques  que  laïques.  L'Université  de 
Paris,  le  Chapitre,  les  Frères  prêcheurs  et  d'autres  religieux, 
diverses  Universités  de  toute  la  France,  des  Eglises  et  des  Com- 

^munaulés  adhérèrent  à  cette  conclusion. 

A  la  nouvelle  de  tous  ces  actes,  le  Pape  fut  vivement  ému  et 
irrité.  11  convoqua  une  nouvelle  assemblée  dans  la  ville  d'Ana- 

(3)  Contre  ceux  qui  rcnfreignaient,  le  Roi  décréta  la  saisie  de  leurs  biens,  par  des 
lettres  du  dimanche  après  la  Saint-Luc.  {Hitt.  de  Lang.,  liv.  XXVIII,  S  67.)  Parmi 
eux  se  trouva  Tévéque  de  Toulouse.  {Idem,  g  72.) 

(4)  Voir,  à  la  fin  du  chapitre,  la  note  additionnelle  B. 

(5)  Voir,  à  fa  fin  du  chapitre,  la  note  additionnelle  C. 


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HISTOIRB   DE   l'uNIVBRSITÉ   DE  TOULOUSE.  d 

gni,  le  15  août.  Il  y  protesta  avec  serment  contre  tous  les 
crimes  énormes,  horribles  et  détestables  dont  on  Taccusait  en 
France.  Puis  il  publia  cinq  bulles  pour  se  défendre  et  pour 
attaquer.  Vers  le  même  jour,  il  en  composa  une  sixième,  dans 
laquelle  il  renouvelait  l'excommunication  déjà  lancée  contre  le 
Roi,  jetait  l'interdit  sur  toute  la  France,  déliait  les  Français  de 
leur  serment  de  fidélité  à  Philippe  le  Bel  et  donnait  le  royaume 
au  roi  des  Romains,  Albert  d'Autriche,  à  qui  il  ordonnait  de 
s'en  emparer. 

Celte  bulle  devait  être  publiée  le  8  septembre,  fête  de  la  Na- 
tivité de  la  Vierge. 

VII.  Mais  In  veille  même  de  ce  jour,  les  émissaires  du  Roi  de 
France  envahirent  la  ville  d'Anagni,  à  la  tête  d'une  nombreuse 
troupe  de  soldats  qui  criaient  :  Vive  lu  France  et  Mort  au  Pape! 
Ils  pénétrèrent  de  vive  force  dans  sa  demeure,  s'emparèrent  de 
sa  personne,  malgré  la  résistance  de  ses  gens  et  la  sienne,  et 
le  firent  prisonnier. 

VIII.  Rendu  à  la  liberté  au  bout  de  quelques  jours,  le  Pape 
rentra  dans  Rome,  où  il  se  proposait  d'assembler  un  concile 
pour  se  venger  et  faire  regretter  à  ses  adversaires  les  injures  et 
les  violences  dont  il  avait  été  victime;  mais  il. fut  presque 
aussitôt  pris  d'une  fièvre  ardente,  causée  par  le  chagrin,  la 
honte  et  la  colère  :  il  mourut  le  11  octobre  suivant,  1303. 

Tels  sont  les  principaux  faits  do  ce  différend  où  trois  juristes 
toulousains  personnellement,  et  l'Université  en  corps,  jouèrent 
un  rôle  que  l'historien  doit  mpntrer. 


Entre  les  trois  juristes  toulousains  qui  jouèrent  personnelle- 
ment un  rôle  dans  celte  grave  affaire,  la  première  place  est  à 
Pierre  Flotte  et  à  Guillaume  de  Nogaret;  Pierre  de  Belle-Perche 
ne  vient  que  loin  après  eux. 


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MÉMOIRES. 


I.  PIERRE  FLOTTE 


PiiRRB  Flotte  était  qualifié  chevalier,  seigneur  de  Revel.  On 
en  conclut  qu'il  était  né  dans  ce  lieu  (aujourd'hui  petite  ville 
de  l'arrondissement  de  Yillefranche,  Haute-Garonne). 

Il  avait  la  réputation  d'un  très-savant  jurisconsulte  :  ce  qui 
prouve  qu'il  avait  fait  de  bonnes  études  de  droit.  On  peut  sup- 
poser, avec  beaucoup  de  vraisemblance,  qu'il  en  avait  fait  au 
moins  une  grande  partie  à  l'Université  de  Toulouse,  où  il  put 
suivre  les  leçons  de  Jacques  de  Revigny. 

En  1291,  sa  réputation  était  déjà  grande;  car  il  fut  choisi  en 
cette  année  pour  tenir  le  parlement  de  Toulouse,  sous  la  pré- 
sidence de  Bertrand  de  Hontaigu,  abbé  de  Moissac. 

En  1295,  Jeanne,  reine  de  France,  femme  de  Philippe  le  Bel, 
le  nomma  son  procureur  dans  une  affaire  d'hommage  à  rendre 
à  l'évoque  du  Puy,  pour  le  comté  deBigorre. 

En  1301,  étant  chancelier  garde  des  sceaux,  il  fut  chargé  par 
le  Roi  de  proposer  à  son  Conseil  les  divers  chefs  d'accusation 
formulés  contre  Tévèque  de  Pamiers,  Bernard  de  Saissel  (6). 
Il  fut  de  plus  chargé  d'aller  les  soutenir  à  Rome,  accompagné 
de  Guillaume  de  Nogaret.  Il  s'y  donna  beaucoup  de  mouvement, 
dit-on,  pour  persuader  au  Pape  la  justice  des  procédés  du  Roi 
contre  l'évoque  de  Pamiers;  mais  Boniface  refusa  de  la  reconnaî- 
tre, et  il  persista  à  vouloir  que  l'affaire  fût  jugée  par  lui,  à  Rome. 

On  raconte  qu'un  jour,  dans  une  discussion  très-vive,  le  Pape 
le  prenant  sur  un  ton  très-haut  et  révélant  le  fond  de  sa  pensée 
intime  se  laissa  emporter  à  lui  dire  :  <  Sachez  que  j'ai  la  puis- 
c  sance  temporelle  sur  votre  Roi  de  France  et  sur  son  royaume^ 
c  aussi  bien  que  la  puissance  spirituelle,  t  A  quoi  Flotte  aurait 
répondu  :  c  Saint -Père,  prenez-y  garde  :  votre  glaive  n'est 
•  qu'en  paroles,  au  lieu  que  celui  du  Roi,  mon  maître,  est  en 
c  réalité.  >  C'était  comme  une  prédiction  de  ce  qui  fut  prouvé 
plus  tard  à  Boniface  par  un  autre  ministre  de  Philippe  le  Bel. 

En  1302,  étant  encore  chancelier  garde  des  sceaux,  il  porta 

(6)  Voir,  à  la  fin  du  chapitre,  la  noie  additionnelle  D. 


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HISTOIRE  DB  l'UNIVERSITÊ  DE   TOULOUSE.  7 

*Ia  parole»  au  nom  du  Roi,  dans  la  première  assemblée  qui  eut 
lieu  le  40  avril.  Il  réfuta  les  reproches  et  les  griefs,  ainsi  que 
la  doctrine  contenue  dans  la  bulle  AuscuUa,  fili,  et  formula 
contre  le  Pape  lui-même  les  accusations  les  plus  graves  (7). 

C'est  en  répondant  à  ces  accusations  que  Boniface  appela 
Pierre  Flotte  un  vrai  Bélial,  demi-aveugle  de  corps,  mais  tout 
à  fait  aveugle  d'esprit  :  Scimus  equidem  prœcipue  quœ  Belial  iste, 
Petrus  Flotte  i  semividens  corpore  menteque  totaliter  excœcasuSj 
in  ed  concione  prœdicaverit.  Il  parait  par  là  que  Flotte  était 
borgne. 

En  cette  môme  année  1302,  il  fut  tué  à  la  bataille  de  Cour- 
trai,  que  les  Flamands  gagnèrent  sur  les  Français  et  où  périt 
l'élite  de  la  chevalerie  (8). 

Ce  que  nous  savons  de  lui  autorise  suffisamment  à  le  ratta- 
cher au  pays  et  à  l'Université  de  Toulouse. 


II.  GUILLAUME  DE  NOGARET 

Guillaume  de  Nogàrbt,  suivant  l'annaliste  Lafaille(9),  était  né 
à  Toulouse  môme,  où  sa  famille  avait  un  hôtel  qu'elle  habitait; 
il  y  suivit  les  cours  de  l'Université;  il  y  prit  ses  grades  et  y  fut 
môme  professeur  ès-Iois. 

Mais  la  première  de  ces  assertions  est  inexacte.  Guillaume 
de  Nogaret  était  moins  Tolosanus  que  Tolosas,  comme  le  porte 
une  inscription  au-dessous  de  son  buste,  c'est-à-dire  qu'il  était 
du  pays  de  TquIousc  et  non  de  la  ville  môme.  Le  fait  que  sa 
famille  y  avait  un  hôtel  qu'elle  habitait  ne  prouve  rien  pour  le 
lieu  de  sa  naissance.  D'autres  témoignages  certains  établissent 
qu'il  était  né  à  Saint-Félix  de  Garaman  (aujourd'hui  petite  ville 
de  l'arrondissement  de  Yillefranche,  Haute-Garonne  (10). 

(7)  Sor  cea  accusations,  voir,  à  la  fin  du  chapitre,  la  note  additionnelle  G,  déjà  citée. 
*-  Pour  les  détails  sur  rassemblée  de  i302,  voir  du  Boulay,  t.  IV,  pp.  69-74. 

(8)  «  Pierre  Flotte ,  tout  chancelier  qu'il  était  et  homme  de  robe  longue ,  monta  à 

cheval  avec  les  hommes  d*armes Sans  doute  il  ne  comptait  pas  périr  en  si  glorieuse 

compagnie.  »  (Michelet.  HUL  de  France,  t.  ni«  pp.  74-79.) 

(9)  Annales,  t.  1,  p.  â83. 

(iO)  Hi$i,  de  Lang.,  liv.  XXVIII,  gSO,  Notes,  no  S9. 


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8  MÉMOIRES. 

La  seconde  assertion  a  un  degré  de  probabilité  qui  approche* 
de  la  certitude.  Où  donc  un  enfant  de  Saint-Félix  de  Caraman, 
dont  les  parents  avaient  un  hôtel  à  Toulouse,  aurait-il  étudié 
plutôt  qu'à  Toulouse  même?  Il  dut  y  prendre  aussi  ses  grades 
et  s'y  faire  recevoir  docteur. 

Il  put  donCy  à  ce  titre,  y  professer  pendant  quelque  temps. 
Mais,  dans  ce  cas,  il  ne  tarda  pas  beaucoup  à  quitter  l'Université 
de  Toulouse  pour  celle  de  Montpellier,  où  on  le  trouve  établi  dès 
l'an  1291  et  où  il  acheta  une  maison,  dans  cette  môme  année  (11). 

Il  eut  pour  collègue,  dans  cette  Université,  Jacques  de  Bernis, 
professeur  en  l'un  et  l'autre  droit  et  lieutenant  du  roi  de  Ma- 
jorque à  Montpellier  (12).  II  se  fit  peut-être  connaître  du  roi 
de  France  dans  les  nombreuses  négociations  qui  eurent  lieu  à 
cette  époque  pour  l'annexion  de  cette  ville  à  la  couronne. 

En  1293,  il  fut  témoin  dans  l'enquête  qui  eut  lieu  pour 
faire  l'assiette  des  500  livres  de  rente  que  le  Roi  avait  promises 
à  l'évoque  de  Maguelone  en  échange  de  sa  portion  de  souverai- 
neté sur  la  ville  de  Montpellier  qu'il  lui  avait  cédée.  Il  y  figure 
sous  le  nom  de  Guillaume  de  Nogaret,  vénérable  professeur  ès-lois, 

En  1294,  il  était  juge  mage  de  la  sénéchaussée  de  Beaucaire, 
mais  il  conservait  toujours  son  litre  de  professeur  ès-lois  :  car 
on  lui  donne  cette  double  qualité  dans  l'acte  par  lequel  le  sé- 
néchal de  Beaucaire  le  chargea  de  répondre  aux  raisons  que  les 
habitants  de  la  ville  et  de  )a  baronnie  de  Montpellier  présen- 
taient pour  refuser  le  service  militaire  qui  leur  avait  été  de- 
mandé, et  contre  lesquels  il  plaida  au  parlement  de  Paris. 

(li)  L'Université  de  Montpellier  reçut,  vers  ce  temps,  un  nouveau  lustre  de  la  bulle 
par  laquelle  le  pape  Nicolas  IV,  à  la  date  du  mois  d'octobre 4289,  décida  qu'il  y  aurait 
dans  cette  ville  un  Studium  générale,  où  des  maîtres  de  toutes  les  Facultés  feraient 
leurs  leçons,  et  où  les  écoliers  pourraient  prendre  leurs  grades  en  droits  canonique 
et  civil,  en  médecine  et  ès-arts  :  Autoritate  prœ$entium  indulgemuê  ut  in  lœo'  dieto 
Montitpeitulani  tU  deincepi  Sttidium  générale  in  qito  magiitri  doceani  et  teholaree 
libère  êtudeani  et  audiant  in  quamvii  Ueita  Faeultate,,,.  Saneimu$  ut  in  jure  eano- 
nico  et  eivUi ,  necnon  et  in  medieinâ  et  artibus  êcholares  examinari  pottint  ibidem 
et  in  eisdem  faeultatibus  duntaxat  titulo  magisterii  deeorari,  (Voir  le  texte  de  la  bulle 
entiète,  du  Boulay,  t.  lU,  p.  488.)  Cela  put  être  une  occasion  pour  Guillaume  de  No- 
garet d'aller  s'y  établir. 

(1S)  Une  partie  de  la  ville  de  Montpellier  reconnaissait  le  roi  de  Majorque  pour 
leigneor. 


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niSTOIRB  DE   l'université   DE   TOULOUSE.  9 

11  fut  depuis  lors  employé  par  le  Roi  en  diverses  affaires  et 
mis  au  nombre  de  ses  conseillers.  En  1298,  il  fit  partie  du  par- 
lement de  Paris,  où  on  le  nomme  simplement  mattre  Guillaume 
do  Nogaret.  Mais  Tannée  suivante  il  est  nommé  avec  le  titre  de 
chevalier,  dans  un  acte  passé  à  Montpellier,  iau  mois  de  juillet 
1299,  entre  les  deux  fils  d'Aymeri  V,  vicomte  de  Narbonne, 
touchant  la  succession  de  leur  père.  On  en  conclut  que  le  roi 
Philippe  le  Bel  l'anoblit  alors  pour  le  récompenser  des  services 
qu'il  en  avait  reçus  dans  les  affaires  où  il  l'avait  employé. 

En  1301,  il  accompagna  Pierre  Flotte  à  Rome,  pour  y  traiter 
avec  le  Pape  l'affaire  de  l'évéque  de  Pamiers.  On  dit  que,  dans 
la  même  entrevue  où  Flotte  fit  au  Pape  la  réponse  rapportée 
plus  haut,  il  ne  put  se  contenir;  qu'il  parla  avec  emportement 
et  violence  sur  les  abus  de  la  cour  pontificale  et  sur  la  conduite 
de  Boniface  lui-même. 

En  1303,  dans  la  seconde  assemblée  à  Paris,  le  12  mars, 
c'est  lui  qui  formula  contre  ce  Pape  l'acte  d'accusation  solen- 
nelle, consistant  en  ces  quatre  articles  : 

1*  Que  Boniface  n'est  point  pape,  qu'il  occupe  injustement  le 
siège,  et  qu'il  y  est  entré  par  de  mauvaises  voies;  2®  qu'il  est 
hérétique  manifeste;  3**  qu'il  estsimoniaque;  4"  enfin,  qu'il  est 
chargé  d'une  foule  de  crimes  énormes  où  il  est  tellement  en- 
durci qu'il  est  incorrigible  et  qu'il  ne  peut  plus  être  toléré 
sans  le  renversement  de  TÉglise. 

•  C'est  pourquoi,  dit  Nogaret  en  concluant,  je  demande  avec 
€  toute  l'instance  possible  et  je  vous  supplie,  Sire,  et  vous  pré- 
€  lats,  docteurs  et  autres  assistants,  que  vous  excitiez  lesprin- 
«  ces  et  les  prélats,  principalement  les  cardinaux,  à  convoquer 
c  un  concile  général  où,  après  la  condamnation  de  ce  misé- 
f  rable,  ils  donnent  à  l'Église  un  vrai  et  légitime  pasteur;  et 
€  j'offre  de  poursuivre  mon  accusation  devant  ce  concile. 

«  Cependant,  comme  cet  homme  n'a  point  de  supérieur  pour 
c  le  déclarer  suspens,  je  demande  qu'il  soit  mis  en  prison  et 
«  que  vous,  avec  les  cardinaux,  vous  établissiez  un  Vicaire  de 
«  l'Église  romaine,  pour  ôter  toute  occasion  de  schisme,  jusqu'à 
t  ce  qu'il  y  ait  un  pape. 

€  Vous  y  êtes  tenu.  Sire,  pour  le  maintien  de  la  foi.  De  plus, 


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10  MÉMOIBES. 

a  VOUS  y  êtes  tenu  comme  roi ,  par  le  devoir  qui  est  le  vôtre 
c  d'exterminer  tous  les  méchants;  par  le  serment  que  vous 
«  avez  fait  de  protéger  les  églises  de  votre  royaume;  et  par 
€  Texemple  de  vos  ancêtres  qui  vous  engage  à  délivrer  d'op- 
c  pression  TÉglise  romaine  (13).  > 

Aucune  résolution  ne  fut  prise  ostensiblement  sur  les  deux 
conclusions  de  cet  acte  d'accusation.  Mais  il  parait  que  l'idée 
d'arrêter  le  Pape  et  de  le  retenir  prisonnier  sourit  dès  lors  au 
Roi,  et  qu'il  trouva  aussi  que  nul  ne  pouvait  mieux  exécuter  ce 
projet  que  celui  qui  l'avait  conçu. 

En  conséquence  y  Guillaume  de  Nogaret  partit  pour  l'Italie, 
avec  un  véritable  blanc-seing  du  Roi,  pour  traiter  et  pour  faire 
tout  ce  qui  serait  à  propos  (1i). 

11  y  recruta  et  commanda  la  bande  d'hommes  armés  qui,  le 
7  septembre,  fit  irruption  dans  la  ville  d'Anagni,  entra  violem- 
ment dans  la  maison  du  Pape,  le  saisit  et  le  fit  prisonnier.  Des 
historiens  disent  qu'il  souffleta  lui-même  le  Pape.  D'autres  rap- 
portent qu'il  le  défendit  contre  les  brutalités  de  l'un  de  ses  plus 
furieux  ennemis,  qui  voulait  le  tuer.  Ces  deux  récits  ne  sont 
pas  contradictoires  (15). 

Quelle  que  soit  la  vérité  sur  ce  détail ,  il  est  certain  qu'à  la 
suite  de  ces  événements,  le  Pape  fut  pris  d'une  fièvre  ardente 
dont  il  mourut  environ  un  mois  après,  le  H  octobre  1303(16). 

Le  Roi  parait  avoir  été  satisfait  de  la  manière  dont  Nogaret 
s'était  acquitté  de  sa  commission  et  peut-être  aussi  du  dénoû- 
ment  de  cette  affaire.  Et  ce  fut  sans  doute  pour  l'en  récom- 
penser que,  l'année  suivante,  il  augmenta  de  300  livres  les 
500  livres  de  rente  qu'il  lui  avait  déjà  données.  (F.  pltAS  loin.) 


(43)  Voir,  à  la  fin  du  chapitre,  la  note  additionnelle  E. 

(H)  Ce  blanc-seing  était  ainsi  formulé  :  PhiUppus,  DH  gratia,,.  GuilUlmo  de 
Nogareto  pUnam  et  liberam  Unore  prœientium  eommiltimuttei  potestaUm,  ratum 
habUuri  et  grcUum  quidquid  factum  fuerit  in  prœmUnU  et  ea  tangentibui  $eu  depen^ 
dentibui  ex  eiid$m.  —  Guillaume  de  Nogaret  était  accompagné  de  deux  docteurs 
en  droit. 

(i5)  Voir,  pour  plus  de  détails,  Michelet.  loc.  cit„  pp.  90-94.  —  Fleury,  loc.  eit,, 
g  33^.  _  Du  Boulay,  t.  4,  p.  60.  —  On  dit  aussi  que  le  soufflet  au  Pape  fut  donné  par 
un  autre  que  Guillaume  de  Nogaret. 

(i6)  Pour  les  d^ails  sur  la  mort  de  Boniface  VIII,  voir  Michelet,  loc.  cit.,  p.  9B. 


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HISTOIRB  DE  l'uNITEESITÊ  DE  TOULOUSE.  41 


III.  PIERRE  DE  BELLE-PERCHE 

Pierre  de  Belle-Perche  nous  est  bien  connu  (chapitre  IV). 
Nous  n'avons  à  le  mentionner  de  nouveau  ici  que  pour  indi- 
quer son  rôle  dans  cette  lutte  du  Pape  et  du  Roi. 

Dès  l'origine,  il  fut  appelé  à  connaître  de  l'affaire  de  l'évêque 
de  Pamiers.  Au  mois  d'octobre  1301,  il  siégea,  comme  membre 
du  conseil  du  Roi,  avec  beaucoup  de  dignitaires  ecclésiastiques 
réunis  pour  entendre  l'accusation  et  la  justification  de  Bernard 
de  Saisset,  lorsque  ces  juges  réglèrent  avec  une  rare  modéra- 
tion, à  laquelle  on  peut  croire  qu'il  ne  fut  point  étranger,  les 
ménagements  et  les  précautions  dont  on  devait  user  pour  la 
garde  de  cet  évéque  retenu  captif  jusqu'à  la  décision  de  son 
procès  (17). 

Pendant  que  Pierre  Flotte  et  Guillaume  de  Nogaret  étaient 
publiquement  chargés  d'aller  soutenir  à  Rome,  auprès  du  Pape, 
l'accusation  contre  cet  évêque ,  il  parait  avoir  reçu  la  mission 
plus  secrète  de  les  soutenir  ou  plutôt  d'obtenir  par  la  douceur 
ce  qu'on  refuserait  à  leur  violence.  C'est  alors  qu'il  fit  le  voyage 
en  Italie  dont  nous  avons  parlé  (18). 

En  1303,  il  figura  comme  témoin  parmi  les  notables  en  pré- 
sence de  qui  fut  passé  l'acte  constatant  l'adhésion  de  presque 
tout  le  clergé  de  France  à  l'appel  du  Roi  contre  le  Pape.  Il  y 
adhéra  lui-même  d'autant  plus  volontiers  qu'il  était,  sans  doute, 
un  de  ceux  qui  l'avaient  conseillé. 

Il  put  être  en  cette  même  année  l'un  des  deux  docteurs  en 
droit  qui  accompagnèrent  Guillaume  de  Nogaret,  partant  pour 


(il)  Martène,  Thesauru»  aneedotorum.  t.  I,  col.  4324-29.  —  Hi$t.  Httér.,  U  Y, 
p.  355.  —  Pierre  de  Belle-Perche  avait  peut-ôlre  connu  Bernard  de  Saisset  pendant 
qu'il  étudiait  et  professait  à  Toulouse.  Cette  circonstance  aurait  encore  contribué  à  le 
porter  aux  ménagements  et  à  la  modération. 

(48)  Celui  dans  lequel  il  fit  une  leçon  à  TUniversité  de  Bologne.  Un  auteur  a  dit  que 
Pierre  de  Belle-Perche  fit  ce)voyage  pour  expier  ses  fautes,  erimina  expiaturua^  en  pro- 
fitant des  indulgences  accordées  à  l'occasion  du  jubilé  de  Tan  i300.  Maisunaulre  croit 
que  ce  pèlerinage  put  avoir  des  motifs  plus  humains  et  servir  à  couvrir  des  négociations 
secrètes  avec  ou  contre  celui  dont  le  roi  de  France  devait  bientôt  se  déclarer  le  mortel 
ennemi.  Nous  sommes  de  cet  avis. 


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1 2  MÉMOIRES. 

son  expédition  à  Anagni.  Mais  son  intention  dut  être  de  suivre 
la  voie  juridique  et  d'employer  les  moyens  de  la  modération 
légale,  plutôt  que  ceux  de  la  force  et  de  la  violence.  Il  croyait 
servir  mieux  ainsi  les  intérêts  du  Roi  et  la  cause  qu'il  défendait. 
Nous  ne  savons  rien  de  plus  sur  le  rôle  qu'il  y  joua. 

IV.  L'UNIVERSITÉ 

L'Univebsité  de  Toulouse  partagea,  quant  au  fond  et  pour  la 
partie  essentielle,  l'opinion  de  ces  trois  hommes,  jurisconsultes 
distingués  et  éminents,  qui  lui  avaient  appartenu  d'une  ma- 
nière plus  ou  moins  intime;  elle  s'associa  pour  le  but  final  à 
leur  action.  Elle  entra  tout  à  fait  dans  les  intentions  manifestes 
du  Roi,  lorsqu'elle  reçut  notification  de  la  résolution  prise  dans 
la  troisième  assemblée  de  Paris,  de  convoquer  un  concile  pour 
juger  le  Pape,  et  qu'elle  fut  requise  d'y  adhérer. 

La  lettre  du  Roi  aux  Toulousains,  dont  on  dit  qu'il  tenait  sur- 
tout à  obtenir  l'adhésion  (19),  était  ainsi  conçue  : 

«  Philippe,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  des  Français,  aux  hommes  discrets 
et  nos  amés  en  Jésus-Christ,  les  doyens  et  les  chapitres  des  cathédrales 
et  des  églises  collégiales,  les  prieurs  des  Frères  Prêcheurs,  les  gardiens 
des  l'rères  Mineurs,  les  religieux  des  autres  couvents,  les  nobles,  les 
consuls,  les  citoyens  et  les  autres  personnes  ecclésiastiques  et  séculières 
de  la  ville  et  du  diocèse  de  Toulouse,  salut  et  amour  en  Notre-Seigneur. 

«  Naguère  Nous,  plusieurs  Archevêques,  Evêques,  Abbés,  Prieurs, 
Comtes,  Barons  et  autres  ecclésiastiques  et  séculiers,  étant  en  assemblée  à 
Paris,  nous  avons  reçu  la  déclaration  de  plusieurs  personnes  illustres  et 
de  quelques  chevaliers  qui,  par  amour  fervent  de  notre  sainte  mère 
TEglise  et  par  zèle  pour  la  foi  catholique,  nous  ont  dénoncé  Bonifaco 
actuellement  occupant  le  siège  apostolique  comme  coupable  de  plusieurs 
crimes  énormes  et  horribles,  dont  quelques-uns  contiennent  manifeste- 
ment une  monstrueuse  hérésie;  ils  nous  ont  énoncé  ces  crimes,  ils  nous 
les  ont  signifiés,  ils  nous  les  ont  affirmés  par  serment,  comme  il  est  dit 
en  plusieurs  actes  publics  rédigés  à  ce  sujet.  Ils  nous  ont  instamment  et 
à  plusieurs  reprises  requis  et  conjuré.  Nous  et  les  susdits  prélats,  pour 
rhonneur  de  Dieu,  de  la  foi  catholique  et  de  notre  sainte  mère  TEglise, 

(19)  Rex  in  $etUentiâ  $uà  de  appellando  ad  futurum  générale  coneilium  confinnatus 
dai  ad  univenag  regni  $n%  urbet  el  eccUiias  prasbrtim  tolosanjB  diobcbseos  litterai 
pelitque  ut  in  eamdem  descendant  sententiam.  (Du  Boulay,  (.  IV,  pp  47,  49.) 


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HISTOIRE   DE   l'oNIVERSITÉ   DE  TOULOUSE.  13 

de  convoquer  un  concile  général  dans  lequel  on  ferait  ce  qu*il  faudrait 
faire  en  temps  et  lieu  pour  découvrir  la  vérité  sur  ce  qu'ils  avançaient, 
et  statuer  ensuite  sur  les  mesures  qu'il  conviendrait  de  prendre  en  con- 
séquence. 

<  Après  mûre  délibération,  il  Nous  a  paru  nécessaire  de  faire  ce  qui 
Nous  était  demandé. 

«  Néanmoins,  par  précaution  et  pour  obvier  à  tout  mal,  Nous,  les  sus- 
dits Prélats,  Barons,  Nobles,  l'Université  de  Paris,  les  Maîtres  en  théo- 
logie, les  Couvents  des  religieux  et  les  Chapitres  des  églises,  nous  avons 
fait  les  protestations  et  les  appels  que  vous  pourrez  voir  contenus  dans 
quelques-uns  des  acte^  publics  rédigés  à  ce  sujet. 

«  C'est  pourquoi  Nous  députons  vers  vous  nos  chers  et  fidèles  clercs 
Richard  Neveu,  archidiacre  d'Ange  dans  l'église  de  Lisieux,  et  Pierre  de 
'  Latilly,  chanoine  de  Paris,  afin  qu'ils  vous  exposent  plus  au  long  et 
qu'ils  vous  expliquent  plus  clairement  tout  co  qui  précède. 

«  Et  Nous  vous  requérons  tous  en  général  et  chacun  en  particulier  que 
Nous  affectionnons  de  consentir,  pour  l'honneur  de  Dieu,  de  la  foi  catho- 
lique et  de  notre  sainte  mère  l'Eglise,  à  la  convocation  d'un  concile  gé- 
néral qui  j logera  l'affaire  dont  il  s'agit.  Veuillez  aussi  adhérer  aux  pro- 
testations et  aux  appels  qui  ont  été  faits. 

«  Bien  plus,  pour  votre  plus  grande  sûreté  que  Nous  voulons  d'une  af- 
fection sincère  vous  procurer,  faites  de  nouveau  vos  propres  protesta- 
tions et  appels  suivant  la  forme  et  le  mode  que  vous  verrez  adopté 
dans  les  actes  que  Nous  vous  adressons  et  envoyez-les-Nous  par  lettres 
patentes  scellées  de  votre  sceau  commun  ou  de  celui  de  l'un  d'entre  vous. 

<  Fait  à  Paris,  le  jeudi  après  la  fête  de  la  Nativité  du  bienheureux  Jean- 
Baptiste  (20). 

A  cette  lettre,  rUniversité  de  Toulouse,  à  qui  les  commissai- 
res du  Roi  durent  donner  spécialement  les  explications  annon- 
cées, répondit  en  ces  termes  : 

«  A  tous  ceux  qui  verront  cette  lettre,  l'Univeraité  des  maîtres  et  des 
écoliers  du  Studium  de  Toulouse,  salut  en  Notre-Seigneur. 

«  Nous  voulons  qu'il  parvienne  à  la  connaissance  de  chacun  que  na- 
guère, de  la  part  du  très-sérénissime  prince,  notre  très-cher  Seigneur 
Philippe,  par  la  grâce  de  Dieu,  illustre  Roi  de  France,  il  nous  a  été  intimé 
que  lui,  ledit  Roi  et  quelques  Archevêques,  Evêques,  Abbés,  Prieurs, 
Comtes,  Barons  et  autres  personnes  de  grande  autorité,  tant  ecclésiasti- 
ques que  laïques,  étant  assemblés  au  Louvre,  à  Paris,  il  leur  a  été  dit , 
exposé  et  narré  que  déjà  quelques  Comtes  et  autres  nobles  du  royaume 
de  France  leur  avaient  porté  à  eux-mêmes,  ledit  Roi,  les  Archevêques, 

(90)  Voir  le  texte  latin  décatie  lettre  dans  du  Boulay,!.  IV,  p.  50. 


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44  MÉMOIRES. 

Evêques  et  autres  personnes  présentes^  un  acte  d^aecusation  contre  le 
seigneur  Pape  Boniface  VIII  ;  —  que,  dans  cet  acte,  ils  leur  avaient  dé- 
noncé et  signifié  divers  crimes  énormes,  horribles  et  détestables,  dont 
quelques-uns  sentent  manifestement  Thérésie,  dans  les  filets  desquels  ils 
disaient  que  ledit  pape  a  été  pris,  an  su  et  connu  de  tous,  auprès  de  qui 
il  est  absolument  comme  tel  perdu  de  réputation  ;  —  que,  touchant  de 
la  main  les  saints  évangiles  de  Dieu^  ils  avaient  juré  croire  à  la  vérité 
de  ces  accusations  et  à  la  possibilité  de  les  prouver  dans  un  concile  géné- 
ral ou  ailleurs,  dans  le  lieu,  dans  le  temps  et  devant  les  personnes  qu'il 
appartiendrait  suivant  le  droit  ;  —  que,  s'adressant  audit  Roi  comme  au 
champion  de  la  foi,  défenseur  de  TEglise,  et  «uxdits  Archevêques,  Evo- 
ques, Abbés,  Prieurs  et  autres  ecclésiastiques  comme  aux  colonnes  de  la 
foi  et  de  TEglise,  ils  les  avaient  à  plusieurs  reprises  instamment  priés 
et  requis  de  s*emplojer  activement  et  efficacement  à  la  convocation  d'un 
concile  général  dans  lequel  on  pourrait  manifester  la  vérité,  dissiper 
Terreur,  prévenir  les  scandales  et  les  dangers  qui  menacent  TEglise 
entière,  et  procurer  la  gloire  de  Dieu ,  Fexaltation  et  la  propagation 
de  la  foi  catholique,  le  régime  salutaire  et  le  bon  état  de  l'Eglise  et  de 
tout  le  peuple  chrétien. 

«  Il  nous  a  été  également  intimé  que,  le  même  seigneur  Roi»  les  Arche- 
vêques, les  Evêqnes,  les  Abbés,  les  Prieurs  et  les  autres  personnes  ecclé- 
siastiques susdites,  ayant  entendu  et  plus  pleinement  compris  les  propo- 
sitions, les  significations  et  les  réquisitions  ci-dessus  énoncées,  considé- 
rant que,  dans  le  cas  actuel,  il  s'agit  d'une  affaire  de  foi  qui  est  de  Dieu  ; 
—  que  le  seigneur  Roi  a  reçu  de  Dieu  le  pouvoir  de  défendre,  de  con- 
server et  d'exalter  la  foi  ;  —  et  que  les  prélats  appelés  par  lui  à  partager 
sa  sollicitude  ont,  pendant  plusieurs  jours,  diligemment  discute  et  exa- 
miné tous  les  articles  de  l'accusation  susmentionnée  ;  —  par  ces  motifs 
et  par  d'autres  raisons  légitimes,  l'assemblée  a  été  d'avis  que  la  convo- 
cation et  la  réunion  d'un  concile  général  est  utile  et  absolument  néces- 
saire, et  qu'on  doit  donner  tous  ses  soins  et  s'employer  efficacement  à  ce 
que  ce  concile  ait  lieu. 

«  En  outre,  de  peur  que  ledit  Boniface,  ému  et  irrité  de  cette  déclara- 
tion, comme  on  le  craint  d'après  des  coi^ectures  vraisemblables  et  ses 
nombreuses  menaces,  ne  procède  d'une  manière  quelconque  contre  les 
membres  de  l'assemblée,  contre  leurs  églises,  leurs  paroissiens  et  leurs 
si^ets,  ou  qu'il  ne  fasse  procéder  contre  les  mêmes,  de  son  autorité  pro- 
pre ou  de  toute  autre  quelconque,  par  excommunication,  suspension, 
interdiction,  déposition,  privation  ou  toute  autre  mesure  pour  empê- 
cher et  troubler  le  concile  général  et  s'opposer  à  ce  que  les  prélats  y 
siègent  pour  le  juger  et  faire  tout  ce  qui  est  do  leur  office;  —  voulant 
se  sauvegarder  eux-mêmes  avec  leurs  églises,  leurs  paroissiens,  leurs 
sigets,  tous  leurs  adhérents,  et  assurer  à  chacun  son  état,  par  mesure  de 
précaution  pour  eux-mêmes,  pour  leurs  églises,  leurs  paroissiens,  leurs 


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HISTOIBB  DE  l'uNIVERSITÉ  DE  TOULOUSE.  45 

si^ets  et  pour  tons  lears  adhérents  présents  et  futurs,  les  membres  de 
ladite  assemblée  ont  appelé  de  toutes  les  mesures  qui  pourraient  être 
prises  par  ledit  Boniface  ou  ses  délégués,  au  poncile  qui  doit  se  réunir, 
et  au  futur  Pape,  vrai  et  légitime.  Ils  ont  fait  ledit  appel  à  celui  ou  à 
ceux  à  qui  ou  auxquels  l'appel  doit  être  fait  suivant  le  droit  :  ils  Font 
fait  par  écrit  :  ils  en  ont  demandé  instamment  des  témoignages  authen- 
tiques :  ils  se  sont  mis  eux-mêmes,  leurs  églises,  leurs  paroissiens,  leurs 
sujets,  leurs  adhérents,  ainsi  que  leur  état,  leurs  droits  et  leurs  biens 
sous  la  protection  de  Dieu,  sous  celle  du  concile  projeté  et  sous  celle  du 
futur  Pape,  vrai  et  légitime.  Et  ils  ont  itérativement  protesté  de  cet  appel 
pour  qu'il  soit  reçu  où,  quand  et  par  qui  il  sera  jugé  expédient. 

<  C'est  pourquoi  de  la  part  de  notre  dit  seigneur  Roi,  il  nous  a  été  de- 
mandé de  donner  notre  assentiment  à  la  convocation  et  à  la  réunion  du 
susdit  concile  général,  et  de  nous  employer  efficacement,  autant  que 
nous  le  pouvons,  à  ce  qu'il  ait  lieu. 

€  Et  Nous,  mus  par  les  considérations  et  les  raisons  ci-dessus  énoncées, 
convaincus  que  la  convocation  et  la  réunion  dudit  concile  est  utile,  né- 
cessaire, salutaire  et  expédiente  pour  l'affaire  de  la  foi  et  de  la  sainte 
Eglise  de  Dieu,  nous  donnons  notre  assentiment  à  la  convocation  et  à  la 
réunion  dudit  concile  :  nous  nous  employerons  volontiers,  autant  que  nous 
le  pourrons,  à  ce  qu'il  ait  lieu  :  nous  adhérons  à  la  protestation  et  à  l'ap- 
pel de  notre  dit  seigneur  Roi  autant  que  nous  le  pouvons  suivant  le  droit, 
aatantque  nous  ledevons  suivant  Dieu  et  la  justice,  et  autant  que  les  saints 
canons  nous  le  permettent  :  nous  plaçant  nous-mêmes,  nos  adhérents  pré- 
sents et  futurs,  notre  état  et  notre  Université  sous  la  protection  de  Dieu, 
sous  celle  du  concile  projeté  et  sous  celle  du  futur  Pape,  vrai  et  légitime. 

€  En  témoignage  de  toutes  ces  choses,  nous  avons  décidé  que  le  sceau 
de  notre  Université  serait  apposé  à  la  présente  lettre.  Fait  à  Toulouse, 
le  jeudi  dans  la  fdte  de  saint  Pierre-aux-Liens,  l'an  du  Seigneur  1303  (21).  » 

Ainsi  rUniversité  de  Toulouse  se  déclara  pour  le  Rot  coutre 
le  Pape  (22).  Mais  sa  déclaration  fut  pleine  de  modération  et  de 

(3i)  Voir  le  texte  latin  de  celte  lettre  dans  du  Boulay,  t.  IV,  p.  iSS. 

(2â)  Les  antres  personnes  et  corporations  ecclésiastiques  et  sécnlières  de  la  ville  et 
da  diocèse  de  Tonlonse,  auxquelles  la  lettre  royale  était  également  adressée,  pnrent 
envoyer  anssi  leur  adhésion  à  la  résolution  de  l'assemblée,  quoique  l'évéque  fût  dans 
des  dispositions  contraires. 

Oo  dit  que  le  Roi  obtint  plus  de  sept  cents  actes  de  semblables  consentements  et 
d^adhésion  des  évèques,  des  chapitres  de  cathédrales  et  de  collégiales,  des  abbés  et  des 
religieux  de  divers  ordres,  des  Universités,  des  seigneurs  et  des  communautés  des 
villes.  (Fleury,  liv.  XC,  g  37.  —  HUt.  de  Lang,,  liv.  XXVIII,  g  78.)  On  dirait  au- 
jourd'hui que  c*ëtait  la  décision  d'un  suffrage  presque  universel . 

L'évéque  de  Toulouse,  qui  avait  montré  des  dispositions  contraires  et  qui  s'était 
rendu  à  l'assemblée  de  Rome  malgré  la  défense  du  Roi,  eut  ses  biens  saisis  et  mis  sous 
les  mains  de  la  justice  royale.  (HUi,  de  Lang,,  idem,  g  72,  78.) 


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46  MÉMOIRES. 

réserve.  Elle  offrit  par  là  un  remarquable  contraste  avec  les 
accusations  et  les  actions  passionnées  de  Pierre  Flotte  et  de  Guil- 
laume de  Nogaret.  Elle  se  rapprocha  davantage  de  la  conduite 
qui  parait  avoir  été  tenue  par  Pierre  de  Belle-Perche. 

L'Université  s'en  tint  strictement  aux  règles  de  droit,  dont  elle 
voulait  l'application  au  Pape,  nonobstant  sa  haute  dignité. 
Pierre  Flotte  alla  aux  exagérations  et  aux  menaces.  Guillaume 
de  Nogaret  voulut  qu'on  passât  des  paroles  aux  actions,  et  il  le 
fit  avec  emportement  et  violence. 

Boniface  YIII  en  mourut.  Ses  deux  successeurs,  Benoit  XI  et 
Clément  V,  dirent  assez  clairement  par  leurs  actes  qu'il  avait, 
jusqu'à  un  certain  point,  mérité  son  sort  par  d'autres  exagéra- 
tions, menaces,  emportements  et  violences. 

Une  des  dernières  bulles  de  ce  Pape  avait  retiré  provisoire- 
ment aux  Universités  le  pouvoir  de  donner  des  grades  de  li- 
cencié et  de  docteur  et  déclaré  nulles  toutes  les  licences  qui 
seraient  accordées  malgré  cette  défense.  Son  successeur  la  ré- 
tracta expressément  :  de  sorte  que  si ,  contre  toute  vraisem- 
blance, cette  bulle  avait  causé  momentanément  quelque  trouble 
et  quelque  dérangement  dans  l'Université  de  Toulouse,  les  cho- 
ses durent  y  reprendre  bientôt  leur  cours  ordinaire.  Il  n'y  resta 
peut-être,  de  tout  ce  grave  différend,  que  le  souvenir  d'une 
résistance  suivie  de  succès  aux  prétentions  de  la  cour  de  Rome. 

NOTES  ADDITIONNELLES 

Â.   SUB  LA  BULLB  AuSCulta,  filù 

Le  texte  de  cette  bulle  est  dans  une  foule  d'ouvrages,  notamment  dans  du  Boalty, 
EiêUnrt  de  VUniveniU  de  Parit,  U  IV,  p.  7. 

Voici  la  traduction  de  ce  qu*on  peut  appeler  Texorde  de  cette  lettre;  ce  début  repré- 
sente bien  le  style  et  Tidée  fondamentale  de  la  lettre  entière. 

Ausculta,  fili.,.  «  Écoute»  fils  très-cher,  les  préceptes  de  ton  père  :  incline  l'oreille  de 
m  ton  cœur  à  renseignement  du  maître,  qui  est  sur  la  terre  le  lieutenant  de  celui  qui 
«  est  le  seul  maître  et  seigneur;  reçois  sans  peine  les  avertissements  de  TÉglise,  la 
m  mère  aux  saintes  [entrailles,  et  ne  manque  pas  de  les  suivre  exactement ,  afin  que . 
m  d'un  cœur  contrit,  lu  retournes  respectueusement  à  Dieu,  de  qui  je  sais  que  tu  t'es 
«  retiré  par  négligence  ou  par  une  volonté  dépravée,  et  afin  que  tu  te  conformes  dévo* 
«  tement  à  son  bon  plaisir  et  au  nôtre. 

m  C'est  donc  à  toi  que  s'adresse  notre  discours,  à  toi  que  nous  envoyons  Texpressioii 
«  de  notre  amour  paternel,  à  toi  que  ta  mère  présente  ses  douces  mamelles. 


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HISTOIRE   DE  l'uNIVERSÎTÉ  DE  TOULOUSE.  ^  17 

«  Par  ta  naissance,  tu  es  entré  dans  le  champ  de  bataille  de  l'humanité  mortelle  ;  tu 
«  as  eu  ta  renaissance  dans  la  fontaine  du  saint  baptême,  où  tu  as  renoncé  au  diable 
«  et  à  ses  pompes  ;  tu  es  dès  lors  entré  dans  le  bercail  du  Seigneur,  non  comme  un 
«  hâte  et  un  étranger,  mais  comme  un  membre  de  la  famille  des  fidèles  et  un  concitoyen 
«  des  saints,  devant  lutter  avec  eux,  non-seulement  contre  la  chair  et  le  sang,  mais 
«  encore  contre  les  puissances  aériennes  et  contre  les  chefs  de  ce  monde  de  ténèbres 
«  présentes.  Ainsi  tu  es  entré  dans  Tarche  du  vrai  Noé,  hors  de  laquelle  personne  n*esl 
«  sauvé,  c'est-à-dire  dans  TÉglise  catholique,  la  vraie  colombe,  réponse  immaculée  de 
«  Tunique  Christ,  dont  le  vicaire,  successeur  de  Pierre,  possède  la  primauté  univer- 
«  selle  :  car  c*est  lui  que  Dieu,  en  lui  donnant  les  clefs  du  royaume  des  cieux,  a  institué 
«  juge  des  vivants  et  des  morts  ;  c'est  à  lui ,  quand  il  siège  sur  son  trône  de  jostice, 

•  qu'il  appartient,  par  son  regard  seul,  de  dissiper  tout  mal. 

«  Le  Pontife  romain  est,  sans  aucun  doute,  la  tète  de  cette  Église,  de  celle  qui  est 
o  descendue  de  Dieu  parée  et  ornée  comme  une  épouse  pour  son  époux.  Et  elle  n'a  pas 
V  plusieurs  têtes  monstrueuses  :  car  elle  est  toute  belle,  sans  rien  de  laid,  ni  tache,  ni 
«  ride. 

«  Pourquoi  nous  te  disons  ces  choses ,  mon  flis ,  nous  allons  te  l'expliquer  claire- 

•  ment,  la  nécessité  nous  y  contraignant,  et  la  conscience  nous  en  faisant  un  devoir. 
«  Car  Dieu,  malgré  l'insuffisance  de  nos  mérites,  nous  a  placé  au-dessus  des  rois  et  des 

«  royaumes,  en  nous  imposant  le  joug  de  la  servitude  apostolique,  qui  est  d'arracher, 
«  de  détruire,  de  disperser,  de  dissiper  et  aussi  de  bâtir  et  de  planter  en  son  nom  et 
M  suivant  sa  doctrine,  de  telle  sorte  que,  faisant  paître  le  troupeau  du; Seigneur,  nous 
«  reconfortions  les  faibles,  nous  guérissions  les  malades,  nous  soudions  les  brisés, 
«  nous  relevions  les  tombés  et  que  nous  infusions  le  vin  et  l'huile  dans  les  plaies  des 
«  blessés. 

«  C'est  pourquoi,  flls  très-chrr,  ne  te  laisse  persuader  par  personne  que  tu  n'as  pas 
«  de  supérieur  et  que  tu  n'es  pas  le  sujet  du  souverain  chef  de  l'Église.  Car  celui  qui 
«  pense  ainsi  est  un  insensé,  et  celui  qui  s'obstine  à  soutenir  cette  doctrine  est  un  in- 
«  fidèle  hors  du  bercail  du  bon  Pasteur...  » 

Suit  une  longue  liste  d'actes  qu'il  reproche  au  Roi  et  dont  il  prononce  et  exige  l'an- 
nulation, pour  ne  pas  en  assumer  une  terrible  responsabilité  :  Nolentes  ne  nos  tua  culpa 
reddat  obnoxioi. 

En  même  temps  que  cette  bulle,  on  en  fit  circuler  une  autre  beaucoup  plus  courte,  dans 
le  même  esprit  quant  au  fond,  mais  bien  difiiérente  quant  à  la  forme;  en  ces  termes  : 

«  Boniface,  à  Philippe,  roi  des  Français*,  crains  Dieu  et  observe  ses  commande- 
ments. «  Nous  voulons  que  tu  saches  que  tu  nous  es  soumis  dans  les  choses  spiri- 

«  tnelles  et  temporelles Nous  réputons  hérétiques  ceux  qui  croient  autre  chose. 

«  —  Donné  à  Latran.  » 

C'est  à  cette  lettre  que  le  Roi  aurait  répondu  en  quelques  mots  sur  un  ton  encore  plus 
hautain  : 

«  Philippe,  par  la  grâce  de  Dieu ,  Roi  des  Français,  à  Boniface ,  qui  se  porte  pour 
«  Souverain  Pontife,  salut  petit  ou  nul.  «  Que  ta  très-grande  fatuité  sache  que  pour 
«  les  choses  temporelles  nous  ne  sommes  soumis  à  personne...  Nous  regardons  comme 
«  des  fats  et  des  insensés  tous  ceux  qui  croient  le  contraire.  —  Donné  à  Paris.  » 

B.  Sur  la  bulle  Unam  Sanctam. 
Le  texte  de  cette  bulle  se  trouve  aussi  dans  une  foule  de  recueils ,  notamment  en- 
core dans  du  Boulay,  HUtoiré  de  VUnivertité  de  Parti,  t.  IV,  p.  37.  —  En  voici  la 
traduction  entière,  moins  quelques  coupures  : 

8«  SÉBIl.  —  TOMS  m,    1.  2 


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18  MÉMOIRES. 

Unam  ianctam,  credere.,,  «  Que  la  sainte  Église  catholique  et  apostolique  soit 
«  une,  c*est  ce  que  la  foi  nous  presse  et  nous  force  de  croire  et  de  confesser  :  c*est  aussi 
«  ce  que  nous  croyons  fermement  et  confessons  simplement;  et  hors  de  cette  foi,  il  n*y 
a  point  de  salut  ni  de  rémission  des  péchés.  Ainsi,  dans  le  Cantique  des  cantiques, 
rËpoux  s*écrie  :  Ma  colombe,  ma  parfaite  est  une;  et  cette  colombe  parfaite  repré- 
sente le  corps  mystique  de  l'Église  dont  le  Christ  est  la  tête,  et  la  tête  du  Christ  est 
Dieu.  Et  hors  de  TÉglise  une  il  n*y  a  point  de  salut.  Ainsi,  au  temps  du  déluge, 
l'arche  de  Noé ,  qui  était  la  figure  de  l'Église,  fut  une,  elle  eut  un  seul  pilote  tenant 
le  gouvernail,  et  hors  d'elle  tous  les  êtres  vivants  périrent...  L'Église  une  est  la 
tunique  du  Seigneur  qui  était  sans  couture,  qu*on  ne  partagea  pas,  mais  qu'on  tira, 
au  sort...  L'Église  une  n'a  qu'une  tête  ;  elle  n'en  a  pas  deux,  comme  un  monstre  : 
cette  tête  est  le  Christ,  et  Pierre,  vicaire  du  Christ,  et  le  Pape,  successeur  de  Pierre. 
«  Quand  le  Christ  dit  à  Pierre,  Fai$  paître  mes  br^is,  il  lui  dit  en  général  :  Mes 
brebis,  et  non  pas  en  particulier  celles-ci  ou  celles-là  :  il  le  fit  donc  pasteur  de  tou- 
tes,,. Quand  les  Apôtres  dirent  au  Christ  :  Voici  deux  glaives,  il  ne  leur  répondit 
pas  c'est  trop,  mais  c'est  assez.  Les  deux  glaives  sont  donc  au  pouvoir  de  l'Église: 
le  glaive  spirituel  et  le  glaive  matériel  ;  mais  celui-ci  doit  être  tiré  de  son  fourreau 
pour  l'Église ,  et  celui-là  par  l'Église  elle-même.  Le  glaive  spirituel  est  dans  la 
main  du  prêtre,  et  le  glaive  matériel  dans  la  main  des  rois  et  des  soldats  ;  mais  pour 
qu'ils  le  tirent  aux  ordres  du  prêtre  et  en  lui  obéissant.  Il  faut  donc  qu'un  glaive 
soit  sous  l'autre,  et  que  la  puissance  temporelle  soit  sous  la  spirituelle.  Car  l'Apôtre 
l'a  dit  :  /{  n*y  a  point  de  puissance  qui  ne  vienne  de  Dieu  ,  et  toutee  celles  qui  sont 
ont  été  ordonnées  par  Dieu.  Or,  il  n'y  aurait  point  d'ordre  en  fait,  si  un  glaive  n'était 
pas  sous  l'autre,  et  s'il  ne  lui  était  pas  subordonné  comme  un  inférieur  à  son  supé- 
rieur. Et  nous  devons  proclamer  d'autant  pli^s  clairement  la  supériorité  du  glaive 
spirituel  sur  le  matériel,  que  l'esprit  l'emporte  plus  évidemment  sur  le  corps...  Si 
donc  la  puissance  temporelle  s'écarte  de  la  voie  droite,  elle  doit  être  Jugée  et  rame- 
née par  la  puissance  spirituelle.  Si  la  puissance  spirituelle  dévie,  ou  elle  est  une 
puissance  inférieure ,  ou  elle  est  la  puissance  supérieure  ;  dans  le  premier  cas ,  elle 
doit  être  jugée  par  sa  supérieure;  dans  le  second  cas,  elle  ne  peut  être  jugée  par 
aucun  homme,  mais  par  Dieu  seul.  Ainsi  le  témoigne  l'Apôtre  quand  il  dit  :  l'homme 
spirituel  juge  toutes  choses,  mais  il  n*est  lui-même  jugé  par  personne.,.  Donc ,  qui- 
conque résiste  à  la  puissance  qui  a  été  ainsi  ordonnée  par  Dieu,  résiste  à  l'ordre  de 
Dieu  ;  à  moins  qu'il  ne  se  figure,  comme  les  Manichéens,  qu'il  y  a  deux  principes;  ce 
que  nous  déclarons  être  une  erreur  et  une  hérésie;  car  Moïse  a  écrit  au  commence- 
ment de  la  Genèse  :  In  principio ,  cœlum  Deus  creavit  et  torram,  et  non  pas  :  In 
prineipiis . 

«  En  conséquence  de  quoi  nous  déclarons,  nous  disons,  nous  définissons  et  nous 
prononçons  que  toute  créature  humaine  est  soumise  au  Pontife  romain,  et  que  cela 
est  nécessaire  au  salut.  » 

C.  Sdr  l*agte  d'accusation  contre  lk  Papb. 

Cet  acte  d'accusation  contenait  ving-neuf  articles,  dans  lesquels  on  dénonçait  à  la 
fois  les  mœurs  privées  de  Boniface,  sa  foi  religieuse,  son  gouvernement  de  l'Église  et 
sa  conduite  envers  les  rois,  surtout  envers  le  Roi  de  France  et  toute  la  nation  française. 

Dans  ses  mceurs  privées,  on  accusait  le  Pape  de  passions  charnelles,  d'impudicité,  de 
fornication,  d'inceste  et  de  sodomie;  aussi  de  gourmandise,  au  point,  disait-on,  qu'il 
ne  jeftne  jamais,  et  qu'il  fait  gras  les  jours  maigres  sans  nécessité. 


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HISTOIRE  DE   l'uNIVERSITÊ   DE   TOULOUSE.  49 

Dans  sa  foi  religieuse,  on  l'accusait  de  ne  pas  croire  à  la  présence  réelle  de  Dieu  dans 
rhostie  consacrée  ;  de  ne  pas  admettre  l'inviolabilité  du  secret  de  la  confession  ni 
Tefflcacité  du  sacrement  de  pénitence  pour  les  peines  de  Fautre  vie;  de  nier  même  la  vie 
future  et  l'immortalité  de  l'âme  raisonnable,  —  d'être  l'ami  et  le  prolecteur  d'héréti- 
ques et  d'approuver  leurs  livres  quoique  condamnés  par  l'autorité  compétente  *,  —  d'être 
magicien ,  sorcier,  consultant  les  devins  et  les  devineresses^  et  d'avoir  fait  un  pacte 
avec  les  démons,  dont  un  était  à  son  service  particulier. 

Dans  son  gouvernement  de  l'Église,  on  l'accusait  d'être  simoniaque,  concussionnaire, 
dilapidateur,  violateur  de  toutes  les  lois  qui  lui  déplaisaient  et  auxquelles  il  substituait 
son  bon  plaisir ,  suivant  ses  intérêts  ;  contempteur  des  cardinaux ,  des  évêques ,  des 
prêtres,  de  tous  les  clercs  et  de  tous  les  religieux  qu'il  diffistmait  constamment;  — 
très-violent  envers  ceux  qui  lui  résistaient,  jusqu'à  les  faire  mourir  sous  les  coups  de 
ses  gens.  On  disait  aussi  qu'il  avait  fait  mourir  en  prison  le  pape  Célestin,  son  prédé- 
ce^iseor,  et  plusieurs  hommes  distingués  par  leur  science  et  par  leurs  vertus ,  parce 
qu'ils  émettaient  des  doutes  sur  la  validité  de  son  élection. 

Enfin,  parlant  de  la  eonduite  de  Boniface  envers  Us  rois,  on  l'accusait  d'être  faux  et 
trompeur,  de  les  exciter  à  la  guerre  les  uns  contre  les  autres,  au  lieu  de  les  exhorter 
à  la  paix,  afin  de  profiter  de  leurs  inimitiés;  d'être  ambitieux  à  l'excès  et  aspirant  au 
despotisme  universel;  de  le  vouloir  surtout  envers  le  Roi  de  France  et  la  nation  fran- 
çaise qu'il  appelait  l'orgueilleuse,  et  dont  il  se  proposait  d'abattre  la  superbe  arrogance 
jusqu'à  l'humiliation,  la  servitude  et  l'extermination,  s'il  le  fallait,  même  au  risque  de 
66  précipiter  lui-même,  l'Église  et  le  monde  dans  l'abtme. 

(Voir,  dans  du  Boulay,  t.  IV,  pp.  40, 41,  le  procès-verbal  de  la  séance  où  cet  acte 
d'accusation  fut  formulé.) 

Si  ces  accusations  étaient  vraies,  quel  pape  !  Si  elles  étaient  fausses,  quels  calom- 
niateurs! Puisqu'on  les  croyait  dignes  d'une  enquête  sérieuse,  quel  temps! 

D.  SUB  l'acte  D*ACCUSATI0N   contre   L^EVâQUE  OE  Pàmiers. 

(Voir  les  chefs  de  cette  accusation  dans  du  Boulay,  t.  IV,  p.  iS.  —  Hist,  de  Lang», 
1.  XXVm,  gS  ^*  64  et  suiv.  —  Hichelet,  HisL  de  France,  t.  III,  pp.  62-67.) 

Ces  chefs  d'accusation,  eapita  aceusationis  eontra  Bemardum  Saisseti,  Àpamiên- 
sem  episeopum^  virum  audaeem  et  turbulenium,  talia  erant. 

1 .  H  a  dit  à  plusieurs  reprises,  en  divers  temps  et  en  divers  lieux,  devant  un  grand 
nombre  de  personnes,  ecclésiastiques  et  laïques,  nobles  et  roturiers,  que  saint  Louis, 
aïeul  du  roi ,  lui  avait  annoncé  à  lui-même ,  de  son  vivant,  que  le  royaume  de  France 
serait  détruit  sous  Philippe,  roi,  et  que  sa  couronne  devait  passer  à  une  autre  famille.  — 
S.  Il  a  dit  plusieurs  fois  que  le  roi  Philippe  ne  vaut  absolument  rien.  —  3.  Qu'il  n'est 
pas  de  la  race  de  Charlemagne,  ni  roi  légitime  de  France.  —  4.  Qu'il  n'est  ni  homme, 
ni  bête,  mais  un  être  imaginaire  (imago),  —  8.  Qu'il  ne  sait  rien  que  mépriser  les 
hommes.  ^  6.  Qu'il  n'est  pas  digne  de  gouverner  la  France,  puisqu'il  ne  sait  pas  la 
gouverner.  —  7.  Que  toute  la  cour  de  France,  sans  excepter  personne,  est  fausse, 
corrompue  et  infidèle,  et  que  le  roi  est  comme  elle.  —  8.  Que  tous  les  Français  sont 
ennemis  de  la  langue  d'oc  ;  qu'ils  n'ont  jamais  fait  de  bien  aux  Toulousains,  au  contraire, 
qa'ils  leur  ont  toujours  fait  du  mal,  et  qu'ils  leur  enlèvent  tout  ce  qu'ils  ont  ;  —  et  que 
le  roi  fait  comme  eux. 

Ce  Bernard  de  Saisset  se  vantait  d'être  de  la  race  des  vicomtes  de  Toulouse,  en  ce  que 
Gaillelmette  de  Recald,  sa  grand'mère  maternelle,  était  fille  du  vicomte  de  Toulouse, 
dernier  mort.  (HisL  de  Lang,,  loc.  eit)  C'était  peut-être  une  des  raisons  qui  le  fai- 


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30  MÉMOIRES. 

saienl  ennemi  de  Philippe  le  Bel,  qu*il  considérait  comme  le  tenant  injuste  du  comté 
de  Toulouse  qu*il  avait  usurpé  par  le  droit  de  la  victoire  des  hommes  du  Nord  sur  ceux 
de  la  Langue  d'oc. 

Cet  évéque  s^acquittant  un  jour  d'une  commission  du  Pape  auprès  du  Roi,  voyant  que 
celui-ci  rejetait  toutes  les  demandes  qu*il  lui  faisait,  s'était  emporté  à  lui  dire  que  le 
Pape  avait  tout  droit  sur  lui  el  sur  son  royaume,  etquUl  était  son  supérieur  au  tem- 
porel comme  au  spirituel;  et  il  l'avait  menacé  d'excommunication.  Le  Roi,  pour  toute 
réponse,  fit  jeter  cet  insolent  en  prison.  Bex  hominem  intolentem  in  careerem  eonjieiL 
(Du  Boulay,  loc.  cit.) 

E.  Sur  l  acte  d'accusation  contre  le  Pape  ,  par  G.  de  NoGARtT. 

Michelet  (Hisi.  de  Fr.,  t.  III,  p.  83)  dit  à  ce  sujet  :  «  Le  i2  mars,  l'homme  même 
du  Roi,  ce  hardi  Gascon,  Nogaret,  lut  et  signa  un  furieux  manifeste  contre  Boniface.  » 
Et  il  donne  cette  traduction  de  quelques  passages,  qui  en  montrent  bien  le  ton  et  la 
forme  : 

a  Le  glorieux  prince  des  Apôtres,  le  bienheureux  Pierre,  parlant  en  esprit,  nous  a 
«  dit  que,  tout  comme  aux  temps  anciens,  de  même  dans  l'avenir,  il  viendra  de  faux 
a  prophètes  qui  souilleront  la  voie  de  vérité,  et  qui ,  dans  leur  avarice,  dans  leurs 
«  fallacieuses  paroles,  trafiqueront  de  nous-mêmes,  à  l'exemple  de  ce  Balaam  qui  aima 
«  le  salaire  de  l'iniquité.  Balaam  eut  pour  correction  et  pour  avertissement  une  bêle 
a  qui,  prenant  la  voix  humaine,  proclama  la  folie  des  faux  prophètes... 

o  Ces  choses  annoncées  par  le  père  et  le  patriarche  de  l'Église ,  nous  les  voyons  de 
«  nos  yeux  à  la  lettre;  En  effet ,  dans  la  chaire  du  bienheureux  Pierre  siège  ce  maître 
«  de  mensonges,  qui,  quoique  mal- faisant,,  se  fait  appeler  Bonifaee  (bonum  facient], 

a  II  n'est  pas  entré  par  la  porte  dans  le  bercail  du  Seigneur,  ni  comme  pasteur  et 
«  ouvrier,  mais  plutôt  comme  voleur  et  brigand.  Le  véritable  £poux  (Célestin  Y) 
«  vivant  encore,  il  n'a  pas  craint  de  violer  l'iilpouse  d'un  criminel  embrassement.  Le 
a  véritable  époux  n'a  pas  consenti  à  ce  divorce.  En  effet,  comme  disent  les  lois  humai- 
«  nés  :  Rien  de  plu»  eonlraire  au  consentement  que  l'erreur,,.  Celui-là  ne  peut  épou- 
«  ser,  qui,  du  vivant  d'un  premier  mari ,  non  indigne,  a  souillé  le  mariage  d'adultère. 
«  Or  comme  ce  qui  se  commet  contre  Dieu  fait  tort  et  injure  à  tous,  et  que,  dans  un 
«  si  grand  crime,  on  admet  à  témoigner  le  premier  venu,  même  la  femme,  même  une 
«  personne  infâme,  moi,  donc,  ainsi  que  la  bête  qui,  par  la  vertu  du  Seigneur,  prit 
u  la  voix  d'homme  parfait  pour  reprendre  la  folie  du  faux  prophète  prêt  à  maudire 
«  le  peuple  béni,  j'adresse  à  vous  ma  supplique,  très-excellent  prince,  seigneur  Phi- 
a  lippe,  par  la  grâce  de  Dieu,  Roi  de  France,  pour  qu'à  l'exemple  de  l'Ange  qui  pré- 
«  senta  l'épée  nue  à  ce  maudisseur  du  peuple  de  Dieu ,  vous  qui  êtes  oint  pour  l'exé- 
V  cution  de  la  justice,  vous  opposiez  Tépée  à  cet  autre  et  plus  funeste  Balaam,  et 
•  l'empêcher  de  consommer  le  mal  qu'il  prépare  pour  le  peuple.  » 


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HISTOIRE   DE   l'oNIYERSITÉ   DE  TOULOUSE.  21 


RÉFLEXIONS  ASSOCIÉES 

.  Autrefois  et  aujourd'hui  :  rapprochements.  —  11.  Dernière  croisade 
contre  l*  Université  :  Louis- Philippe  et  M.  Guisot.  Montesquieu.  — 
III.  Croisade  actuelle  contre  les  Jésuites  :  guerre  des  cléricaux  et  des 
radicauoo  :  comparaison  de  leurs  doctrines.  —  IV.  Les  deux  jacobiniS" 
mes  :  cause  de  guerre.  —  V.  Moyen  de  pacification.  Espoir. 


I 


Nous  venons  d'assister  en  imagination  à  un  épisode  de  la  guerre 
des  deux  pouvoirs^  spirituel  et  temporel,  qui  a  grandement  agité  nos 
pères  au  commencement  du  quatorzième  siècle. 

Aujourd'hui,  après  cinq  cent  quatre-vingts  ans,  nous  assistons  en 
fait  à  un  autre  épisode  de  cette  même  guerre^  qui  agite  aussi  la  fin  de 
notre  siècle  dix-neuvième. 

Et  si  nous  remontons  d'âge  en  âge  jusqu'à  celui  de  Boniface  VIII 
et  de  Philippe  le  Bel  et  au  delà ,  c'est  encore  à  d'autres  épisodes  que 
nous  assistons  et  à  d'autres  encore. 

Existe-t-il  donc  une  certaine  force  des  choses^  providence  ou  des- 
tin, qui  fait  que  cette  guerre  se  rallume  si  souvent?  A-t-elle  ses 
causes  dans  notre  nature  humaine  elle-même,  dans  notre  constitution 
politique  et  sociale,  dans  nos  institutions,  dans  nos  lois,  dans  notie 
système  d'éducation,  d'où  viennent  les  mœurs  ?  —  Problème  dont  la 
solution  devrait  bien  être  cherchée ,  par  les  philosophes  dans  leurs 
méditations  théoriques,  et  par  les  hommes  d'État  dans  leurs  obser- 
vations pratiques! 

Sans  doute  l'objectif  de  ^tte  guerre  n'est  pas  aujourd'hui  le  même 
qu'autrefois  :  les  belligérants  ne  portent  plus  le  même  costume;  ils 
n'ont  plus  la  même  attitude  ni  le  même  but;  ils  ne  parlent  plus  la 
môme  langue.  Si  nous  les  considérons  comme  des  acteurs  jouant 
leur  rôle  sur  le  grand  théâtre  du  monde,  le  drame  qu'ils  représentent 
n'est  pas  composé  suivant  les  mêmes  règles  d'art  poétique  ;  les  scènes 
et  les  actes  ne  sont  pas  enchaînés  de  la  même  façon  ;  et  les  spectateurs 
qui  siègent  au  parterre  et  dans  les  loges  et  qui  les  applaudissent 
ou  les  sifflent  ne  sont  pas  animés  des  mêmes  sentiments  que  leui-s 
aïeux. 


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22  MÉMOIRES. 

Le  temps  a  fait  cinq  grands  pas,  un  par  siècle;  il  fait  maintenant 
le  sixième,  et  tout  est  cliangé. 

Ou  plutôt,  tout  paraît  changé,  idais  l'apparence  est-elle  la  réalité? 
Et  sous  les  différences  qui  se  montrent  à  la  surface,  n'y  a-t-il  pas  des 
ressemblances  qui  se  cachent  au  fond  et  qu'on  y  découvre  quand  on 
sait  pénétrer  jusque-là  ? 

Voici  d'abord  quelques  rapprochements  que  je  ne  qualifie  pas. 

M.  Constans  ne  ressemble  certainement  guère  à  Guillaume  de 
Nogaret.  Cependant,  comme  lui,  il  est  né  dans  la  région  toulousaine  ; 
il  a  fait  ses  études  de  droit  à  Toulouse  ;  il  est  jurisconsulte  ;  s'il  n'est 
pas  qualifié  vénérable  professeur  ès-lois,  il  est  agrégé  aux  Facultés  de 
droit  ;  il  est  l'exécuteur  des  hautes  œuvres  du  pouvoir  temporal  contre 
le  pouvoir  spirituel;  et  s'il  ne  fait  pas  empoigner  le  Pape  lui-même 
par  ses  gens  d'armes,  après  l'avoir  souffleté,  il  fait  expulser  de  leurs 
maisons  manu  milUari,  les  Jésuites,  ses  plus  chers  amis,  ceux  qu'un 
autre  Pape  a  nommés  les  meilleurs  rameurs  de  la  barque  de  saint 
Pierre  :  un  ie  ses  agents  a  même  levé  la  main  sur  notre  archevêque- 
cardinal. 

M.  Cazot  ne  ressemble  pas  davantage  à  Pierre  Flotte.  Mais,  comme 
lui  aussi,  il  est  de  la  région  méridionale,  jurisconsulte,  garde  des 
sceaux  ;  et  il  fait  traduire  en  justice  les  hommes  du  pouvoir  spirituel, 
comme  son  prédécesseur  voulait  qu'on  Ht  comparaître  le  Pape  devant 
le  concile  pour  y  être  jugé  et  condamné. 

M.  X...,  qui  ne  signe  pas,  simple  abbé  et  théologien,  ne  ressemble 
aucunement  à  Pierre  de  Belle-Perche,  jurisconsulte  et  évéque.  Mais 
il  parait  avoir  été  chargé,  lui  aussi,  d'une  mission  secrète  de  concilia- 
tion, et  il  aurait  bien  voulu  réussir,  ne  fût-ce  que  pour  devenir  évêque. 

EnGn,  dernier  et  plus  singulier  rapprochement  :  Boniface  VIII  se 
plaignait  amèrement  d'un  enfant  de  Bélial,  très-influent  dans  les  con- 
seils du  roi,  qui  excitait  continuellement  à  la  guerre  contre  lui  :  sinistre 
personnage,  à  moitié  aveugle  de  corps  et  tout  à  fait  aveugle  d'esprit, 
disait-il.  Léon  XIII  ne  se  plaint-il  pas  aussi  d'un  personnage,  très- 
influent  dans  les  conseils  du  gouvernement,  qui  excite  constamment 
à  la  guerre  contre  lui,  en  le  signalant  comme  le  chef  des  cléricaux  et 
en  disant  :  Le  cléricalisme,  voilà  V ennemi  I  Malheureux  homme  d'État, 
dit-il  aussi,  peut-être,  qui  n'a  qu'un  œil  du  corps  et  qui  n'en  a  aucun 
de  l'esprit  :  tant  il  est  aveuglé  par  le  démon  de  l'impiété  positiviste  I 

Mais  ces  rapprochements  qui  peuvent  parattre  curieux  et  amuser 
un  instant  n'ont  point  d'importance  :  il  faut  regarder  ailleurs. 


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HISTOIRE  DE  l'oNIVERSITÉ  DE  TOULOUSE.  23 


II 


La  bataille  d'aujourd'hui  se  livre  sur  le  terrain  de  renseignement 
public.  C'est  la  reprise  en  sens  inverse  de  celle  qui  se  livrait  il  y  a  en- 
viron quarante  ans;  lorsque  les  évèques  lançaient  mandement  sur 
mandement  contre  les  professeurs  de  l'Université,  demandant  qu'on 
suspendit  leurs  cours,  qu'on  brûlât  leurs  chaires  de  pestilence,  qu'on 
les  déclarât  indignes  d'instruire  la  jeunesse  qu'ils  corrompaient  et 
qu'on  apposât  les  scellés  sur  les  portes  de  leurs  écoles,  en  attendant 
qu'on  pût  les  rouvrir  à  d'autres  plus  dignes  :  aux  Jésuites  ou  à  leurs 
pareils  et  à  leurs  amis,  hors  lesquels  nul  n'aurait  le  bon  esprit  voulu. 

En  ce  temps-là,  j'ai  entendu  dire  que  le  roi  Louis-Philippe  n'atta- 
chait guère  d'importance  à  cette  lutte  et  qu'il  n'en  parlait  qu'avec  un 
souverain  mépris,  l'appelant  une  querelle  de  cuistres  et  de  sacris- 
tains. Ce  mot,  s'il  était  vrai,  ne  ferait  guère  d'honneur  à  son  intelli- 
gence. 

Un  de  ses  ministres,  homme  d'État,  philosophe  et  historien,  pro- 
fesseur de  l'Université,  en  pensait  et  en*  parlait  bien  autrement.  Il 
considérait  cette  prétendue  querelle  mesquine  comme  une  grande 
lutte  pour  le  gouvernement  des  âmes  et  par  suite  pour  la  souveraineté 
politique  et  sociale.  Il  disait  : 

c  Celui  qui  est  le  maître  de  l'enseignement,  grand  recteur  des  éco- 
les publiques,  peut  façonner  à  son  gré  les  âmes  des  générations  qui 
viennent  successivement  écouter  ses  leçons.  Il  peut  les  instruire, 
c'est-à-dire  construire  l'édifice  de  leurs  sentiments  et  de  leurs  idées 
comme  il  l'entend  et  le  veut.  Ces  âmes  ainsi  contruites  et  façonnées 
restent  soumises  à  sa  direction  ;  il  .continue  de  les  gouverner  après 
comme  avant.  Et  celui  qui  gouverne  les  âmes  est  le  vrai  msdtre  de  la 
société,  le  roi  du  peuple,  le  souverain  réel  et  de  fait,  devant  qui  doi- 
vent s'incliner  tous  les  autres  qui  ne  le  sont  que  de  nom.  » 

Telles  étaient  les  paroles  de  M.  Guizot,  non  pas  textuellement,  mais 
substantiellement.  Si  Montesquieu  les  avait  entendues,  il  les  aurait 
certainement  taxées  d'exagération.  Car  il  constatait  que  nous  recevons 
généralement  trois  éducations  :  celle  de  la  famille,  celle  de  l'école  et 
celle  du  monde.  Si  ces  trois  s'accordent,  tout  va  bien.  Si  elles  sont  en 
désaccord  —  ce  qui  arrive  souvent  —  l'homme  est  mal  à  l'aise  ;  une 
lutte  s'élève  en  sa  conscience,  comme  déchirée  par  une  guerre  civile. 
La  victoire  reste  nécessairement  au  plus  fort;  et  le  plus  fort  est  ordi- 


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24  MÉMOIRES. 

nairement  le  monde.  Car  c'est  le  monde,  dont  Téducation  détruit  si 
souvent  les  deux  autres  et  fait  infidèles  à  Técole  et  à  la  famille  tous 
ces  écoliers  et  ces  enfants  qui,  parvenus  à  l'âge  viril,  ne  se  rappellent 
les  leçons  de  leurs  professeurs  et  de  leurs  pères  que  pour  se  glorifier 
de  ne  pas  les  suivre  et  d'être  devenus  des  hommes  nouveaux. 

Exemph,  Au  dix-huitième  siècle  et  gavant,  le  clergé  était  le  grand 
maître  de  l'enseignement  ;  toutes  les  écoles  étaient  régentées  par  ses 
prêtres  séculiers  et  réguliers,  par  leurs  agrégés  et  subordonnés.  Entre 
tous,  les  Jésuites  occupaient  une  des  premières  places  ;  ils  jouissaient 
des  plus  hautes  faveurs  :  ils  exerçaient  la  plus  grande  influence.  Ils 
n'en  ont  pas  moins  été  combattus,  accusés,  poursuivis,  jugés,  con- 
damnés et  exécutés  par  leurs  élèves,  qui  ont  même  forcé  un  pape  à 
les  supprimer,  quoique  c  prévoyant  qu'il  en  mourrait  » ,  a-t-on  dit. 
Contrairement  à  l'adage  latin ,  ces  âmes  qui ,  pendant  leur  jeunesse  , 
avaient  été  imbues  de  l'odeur  de  l'école  jésuitique  et  cléricale,  ne  pu- 
rent la  garder  longtemps  contre  l'odeur  plus  forte  du  monde  dont  elles 
furent  enveloppées  et  imprégnées.  L'enseignement  du  jésuite,  roi  de 
l'École,  fut  annulé  par  celui  de  son  élève  devenu  le  roi-Voltaire. 

Combien  d'autres  exemples  on  pourrait  citer  (1)1 

Cependant,  et  toute  exagération  mise  à  part,  on  ne  peut  nier  l'in- 
fluence de  l'École  :  et  il  est  naturel  que  ceux  qui  aspirent  à  être  les 
maîtres  souverains  de  la  société  aspirent  aussi  à  être  les  grands-maî- 
tres de  l'enseignement  public.  Tel  est  l'objectif  vrai  de  la  bataille  d'au- 
jourd'hui, qui  se  livre,  non  pas  entre  des  sacristains  et  des  cuistres , 
mais  entre  les  deux  pouvoirs  temporel  et  spirituel',  l'Église  et  l'État, 
et  à  laquelle  je  reviens  après  cette  digression. 


III 


La  guerre  n'a  paru  d'abord  déclarée  qu'aux  Jésuites,  que  le  Minis- 
tre de  l'instruction  publique  accusait  de  corrompre  la  jeunesse,  et  qu'il 
voulait  priver  du  droit  de  libre  enseignement.  Mais  tous  les  autres 
ordres  religieux,  les  évêques  pré<;édant  leurs  prêtres,  et  le  Pape  à 
leur  tête,  suivis  d'une  multitude  de  fidèles ,  ont  pris  la  défense  des 

(4  )  J'ai  Ta  dans  le  même  collège  et  dans  la  même  classe  trois  élèves ,  bons  amis  et 
camarades.  Le  premier  est  mort  évèque  et  cliaooine  de  Saint-Denis  ;  le  second  est  un  héros 
des  communards  ;  le  troisième  est  un  journaliste  héraut  des  cléricaux  monarchistes.  — 
Gombieu  de  radicaux ,  même  très-ardents  ,  ont  été  élèves  des  Jésuites  et  des  prêtres  ! 


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HISTOIRE  DE  l'oNIVERSITÉ  DE  TOOLOOSE.  25 

Jésuites.  Ainsi  l'Eglise  a  déclaré^  autant  qu'elle  le  pouvait^  que  leur 
affaire  est  la  sienne  propre.  Et  la  guerre  s'est  étendue,  et  elle  s'étend 
encore ,  et  nul  ne  peut  dire  où  elle  s'arrêtera  (1). 

L'Église  a  pour  champions  et  pour  avocats  ceux  qu'on  nomme  les 
cléricaux  :  ceux  qu'on  nomme  les  radicaux  sont  les  avocats  et  les 
champions  de  l'État.  Je  lésai  tous  écoutés  avec  la  même  attention  im- 
partiale :  je  les  écoute  encore. 

Le  discours  des  cléricaux  a  une  remarquable  progression  du  com- 
mencement à  la  fin ,  je  pourrais  dire  de  l'exorde  à  la  péroraison^  où 
leur  pensée  intime,  d'abord  cachée,  et  successivement  se  laissant  en- 
trevoir, puis  voir,  se  montre  au  grand  jour  dans  les  derniers  mots 
qui  l'expriment. 

1<>  Us  commencent  par  demander  qu'on  reconnaisse  et  qu'on  laisse 
aux  Jésuites  toute  liberté  d'enseigner,  malgré  les  lois  anciennes  ou 
nouvelles  que  l'on  invoque  contre  eux  ;  —  parce  que  cette  liberté  est 
au  nombre  des  droits  de  l'homme  et  du  citoyen  que  l'Assemblée  na- 
tionale constituante  de  1789  a  déclarés  naturels ,  inviolables,  inalié- 
nables, imprescriptibles  ;  «—  et  parce  qu'en  devenant  Jésuite,  on  ne 
cesse  pas  d'être  homme  et  citoyen. 

Ils  soutiennent  cette  thèse  par  des  raisonnements  qui  ne  paraissent 
pas  bannir  la  raison,  avec  habileté  et  quelquefois  avec  éloquence. 

Mais,  au  milieu  de  tous  les  développements  qu'ils  lui  donnent,  ils 
ne  s'abstiennent  pas  de  laisser  voir  et  même  de  dire  clairement  qu'en 
invoquant  les  principes  dits  de  1789,  ils  n'entendent  que  recourir  à  ce 
qu'on  appelle  dans  l'École  Vargummtum  ad  hominem.  Ils  ne  recon- 
naissent pas  ces  principes  comme  vrais  ;  ils  les  opposent  seulement  à 
leurs  adversaires,  à  qui  ils  disent  : 

€  Ces  principes  sont  les  vôtres  ;  c'est  vous  qui  les  proclamez  ;  c'est 
par  eux  que  vous  existez;  sans  eux  vous  n'avez  point  de  raison  d'être; 
c'est  sur  eux ,  comme  sur  une  pierre  fondamentale,  qu'est  bâti  l'édi- 
fice de  votre  gouvernement  parlementaire,  démocratique  et  républi- 
cain. Vous  devez  les  respecter  comme  inviolables  et  les  appliquer.- Si 
nous  nous  en  servons  d'armes  contre  vous,  c'est  de  bonne  guerre  ; 
vous  ne  devez  pas ,  vous  ne  pouvez  pas  nous  empêcher  de  le  faire.  Si 
la  loi  qui  en  découle  logiquement,  nécessairement,  vous  embarrasse, 


(4)  Ainsi  Philippe  le  Bel  n'attaqua  d*abord  que  Bernard  de  Saisset,  qu'il  accusait  de 
sédition.  Mais  le  Pape  prit  la  défense  de  TÉTèque ,  et  le  différend  s'enfenima  jusqu'au 
point  qu'on  sait. 


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26  MÉMOIRES. 

VOUS  n'en  devez  pas  moins  vous  y  soumettre  et  la  soufifrir  ;  car  c'est 
vous  qui  l'avez  faite,  et  nous  avons  le  droit  de  vous  dire  :  Patere  legem 
luarn  fecisti  >  (1). 

2<>  Hs  continuent  en  demandant  qu'on  reconnaisse  et  qu'on  laisse 
aussi  à  tout  père  de  famille  la  liberté  de  faire  instruire  ses  enfants  par 
les  maîtres  qu'il  préfère;  —  parce  que  cette  liberté  est  aussi  l'un  des 
droits  naturels^  inviolables^  inaliénables^  imprescriptibles  de  l'homme 
et  du  citoyen  ;  —  et  parce  que  ce  droit  découle  nécessairement  du  de- 
voir imposé  par  Dieu  et  par  la  nature  à  tous  les  parents^  de  diriger 
l'éducation  intellectuelle  et  morale  de  leurs  enfants,  non  moins  que  de 
les  nourrir,  de  les  entretenir  et  de  les  élever  physiquement. 

Mais  il  n'y  a  encore  là  de  leur  part  qu'un  autre  argumentum  ad  Ao- 
minem,  quoiqu'ils  ne  le  disent  pas  aussi  ouvertement  (2). 

3**  Laissant  ces  arguments^  qui  ne  sont  bons  que  pour  la  cause  con- 
tre les  adversaires  du  jour,  ils  s'élèvent  plus  haut  et  réclament  pour 
l'Ëglise  même  la  liberté  absolue  d'enseignement.  Et  par  la  manière 
dont  ils  la  réclament,  ils  montrent  bien  que  leur  vraie  foi  est  là. 

Us  disent  donc  que  c  le  droit  primordial  de  l'Église  est  celui  d'en- 
seigner :  droit  vraiment  inviolable,  inaliénable,  imprescriptible;  droit 
essentiel,  inhérent  à  sa  nature  même  :  car,  sans  lui,  elle  serait  comme 
si  elle  n'existait  pas.  »  Ce  droit,  que  l'Église  tient  de  sa  nature,  disent- 
ils  encore ,  «  elle  le  tient  aussi  de  son  divin  fondateur,  c'est-à-dire  de 
Dieu  même,  qui  l'en  a  investie  par  cette  parole  de  Jésus  à  ses  apôtres  : 
Allez  enseigner  toutes  les  nations.  Euntes  doeete  omnes  gentes.  Us 
continuent  :  «  Or,  ce  droit  d'enseigner  implique  celui  de  le  déléguer 
à  qui  l'on  veut.  Et  puisque  l'Église  le  délègue  aux  Jésuites,  on  ne  peut 
pas  les  empêcher  de  l'exercer,  sans  attenter  aux  droits  de  l'Église 
elle-même  et  sans  commettre  un  abus  excessif  de  pouvoir.  -» 

4*  Dans  toutes  leurs  manifestations  publiques,  les  cléricaux,  dont 
je  résume  le  discours,  se  bornent  à  cette  thèse  :  «  Laissez-nous  seu- 
lement la  liberté,  puis  combattez- nous,  si  tel  est  votre  bon  plaisir, 
pourvu  que  ce  soit  à  armes  égales  et  loyales.  > 

Hais  quand,  suivant  une  expression  bien  usitée ,  on  sait  lire  entre 

{^)  J*ai  eoteoda,  uo  jour  de  Tannée  dernière,  à  un  cours  de  l'Institut  catholique  de 
Toulouse,  un  Jésuite  développer  cette  thèse  avec  beaucoup  de  clarté  et  de  précision. 

(t)  Après  la  réyocation  de  TËdit  de  Nantes,  on  ne  reconnaissait  pas  aux  pères  de  fa- 
mille protestants  le  droit  de  faire  enseigner  à  leurs  enfants,  par  des  maîtres  de  leur  choix, 
la  religion  réformée  :  ils  étaient  obligés  de  les  envoyer  au  catéchisme  de  l'église  catholi- 
que. Les  cléricaux  ne  trouvent  pas  qu'il  y  eût  là  une  violation  du  droit  des  pères  de  fa> 
mille. 


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HISTOIRE  DP,   l'université  DE  TOULOUSE.  27 

les  lignes ,  quand  on  saisit  au  passage  certaines  paroles  et  certaines 
phrases,  échappées  par  mégarde  ou  lancées  avec  intention,  quand  on 
écoute  et  recueille  ce  qu'ils  disent  dans  les  conférences  plus  intimes, 
dans  les  conversations  particulières  où  Ton  dissimule  moins  le  fond 
de  sa  pensée,  et  dans  les  discussions  avec  des  ennemis  qui  n'ont  pas 
cessé  d'être  des  amis ,  on  entend  une  autre  thèse  bien  plus  avancée. 
On  la  résume  convenablement  dans  ces  propositions  qui  naissent  les 
unes  des  autres  : 

«  Il  n'y  a  point  de  droit  d'enseigner  l'erreur;  il  n'y  a  que  celui 
d'enseigner  la  vérité.  Autrement  il  faudrait  reconnaître  aussi  un  droit 
de  faire  le  mal  ;  il  n'y  a  que  celui  de  faire  le  bien.  —  Le  droit  réel  d'en- 
seigner n'appartient  qu'à  celui  qui'  connaît  certainement  la  vérité, 
et  qui  n'est  pas  exposé  à  la  confondre  avec  l'erreur.  —  L'Église  seule 
est  dans  ce  cas.  Elle  a  donc  seule  le  droit  d'enseigner ,  parce  que 
seule  elle  est  infaillible.  —  Or,  l'infaillibilité  de  l'Église  se  concentre 
dans  son  chef,  le  Souverain  Pontife,  vicaire  de  Jésus-Christ,  le  Pape. 
Le  Pape  a  donc  seul  le  droit  d'enseigner  ;  il  est  le  docteur  unique , 
universel,  ayant  mission  divine  d'enseigner  tout,  à  tous  et  partout, 
parce  que  seul  il  connaît  la  vérité ,  toute  la  vérité,  rien  que  la  vérité. 

tf  Le  droit  qu'il  a  d'enseigner  par  lui-même,  le  Pape  peut  le  déléguer 
à  d'autres  et  nul  ne  peut  l'avoir  que  par  sa  délégation,  ni  l'exercer  à 
d'autre  titre  qu'à  celui  de  son  délégué.  C'est  pourquoi  il  a  le  droit  et, 
seul,  il  a  le  droit  de  fonder  des  Universités,  c'est-à-dire  des  corpora- 
tions enseignantes,  qui  tiennent  de  lui,  et  de  lui  seul,  tous  leurs  pou- 
voirs, et  qui  ne  les  exercent  que  sous  lui  et  pour  lui.  Tout  Pape  a 
raison  de  dire  :  Per  me  doctores  docent,  sub  me,  pro  me  doceani. 

<  Quiconque  enseigne  sans  être  l'un  de  ces  docteurs,  quiconque 
fonde  une  ou  plusieurs  Universités  en  dehors  des  Universités  catholi- 
ques ou  papales,  quiconque,  enfin,  prétend  avoir  la  liberté  d'ensei- 
gnement sans  la  tenir  du  Pape,  ni  être  obligé  de  l'exercer  sous  le 
Pape  et  pour  le  Pape,  commet  une  usurpation  de  pouvoir  et  proclame 
une  erreur  :  il  est  hérétique.  » 

Telle  est  leur  thèse  (1). 

Or,  admettons  que  celui  qui  a  la  souveraine  direction  de  l'ensei- 
gnement a  aussi,  par  cela  même,  le  souverain  gouvernement  des 
âmes  ;  admettons  aussi  que  le  gouverneur  des  âmes  est  le  véritable 
souverain,  le  Roi  des  Rois,  le  maître  des  peuples,  celui  qui  fait  tout 


(4)  J'en  ai  soayeot  entendu  la  démonstration  pins  on  moins  rigoureose  et  précisé 
faite  par  des  catholiques  dont  la  ferTOor  enhardissait  la  sincérité. 


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28  MÉMOIRES. 

trembler  cTun  froncement  de  son  sourcil  {{),  il  faut  conclure  que  les 
cléricaux,  lorsqu'ils  réclament  explicitement  et  directement  pour  1c 
Pape  la  direction  de  l'enseignement,  réclament  implicitement  et  indi- 
rectement pour  lui  l'universelle  souveraineté  qui^  des  plus  sublimes^ 
hauteurs  du  pouvoir  spirituel,  s'étend  aux  dernières  limites  du  pou- 
voir temporel.  Leur  intime  pensée  est  que  celui  qui  dit  :  Per  me  doc- 
tores  docentj  sub  me^  pro  me  doceantj  doit  dire  aussi  :  Per  me  Begcs 
regnantj  sub  me,  pro  me  régnent. 

Boniface  VIII  le  disait  au  quatorzième  siècle  ;  il  avertissait  pater- 
nellement Philippe  le  Bel  que  ceux  qui  prétendent  le  contraire  sont 
des  insensés  et  que  ceux  qui  s'obstinent  à  les  croire  sont  des  infidèles. 

Léon  XIII,  au  dix-neuvième  siècle,  ne  tient  pas  ostensiblement  ni 
explicitement  le  même  langage.  Mais  qui  affirmera  que  cette  pensée 
n'est  pas  la  sienne,  celle  de  son  entourage  de  cardinaux,  de  prélats, 
de  généraux  des  divers  ordres  religieux,  celle  de  ses  plus  fidèles  amis 
et  dévoués  serviteurs  au-delà  des  monts  et  en  deçà  ? 

Si  nous  le  demandons  aux  cléricaux,  la  plupart  d'entre  eux  refu- 
sent de  répondre  ou  éludent  la  question.  Les  plus  exaltés  et  les  plus 
francs  avouent  que  telle  est  bien  leur  intime  pensée,  celle  du  Pape  et 
de  l'Eglise  ;  mais  ils  ajoutent  que  la  malice  du  siècle  les  empêche  de 
le  proclamer  tout  haut  :  le  moment  n'est  pas  favorable  pour  prêcher 
sur  les  toits  tout  ce  qui  se  dît  à  l'oreille  ;  ce  serait  inopportun  :  il  faut 
savoir  faire  des  sacrifices  à  l'opinion  publique  et  avoir  des  condescen- 
dances pour  les  hommes  au  cœur  dur,  propter  duritiam  cordis  eorum. 
Puisque  Dieu  est  patient  parce  qu'il  est  étemel,  patiens  quta  œtemus^ 
l'Eglise  qui  vient  de  lui  peut  l'imiter.  Elle  attend. 

Voilà  bien  ce  qu'on  dit  et  ce  qu'on  pense  dans  le  camp  des  cléri- 
caux. —  Passons  à  l'autre. 

Le  discours  des  radicaux  a  aussi  une  remarquable  progression  du 
commencement  à  la  fin,  où  il  faut  arriver  pour  connaître  leur  vérita- 
ble pensée. 

lo  Aux  arguments  ad  hominem  tirés  des  principes  de  1789,  ils  ré- 
pondent :  c  Nous  n'abandonnons  pas  ces  principes,  mais  nous  soute- 
nons qu'ils  ne  sont  pas  absolus,  c'est-à-dire  que  les  libertés  fondées 
sur  eux  ne  sont  pas  illimitées    En  particulier,  la  liberté  d'enseigne  • 

(0  C'était  on  mot  de  Boniface  YIII,  dans  la  bulle  Ausculta,  /Ui  (voir  ci-des8us};  il 
fait  soareoir  de  la  strophe  da  po6te  :  Regvm  Hmenâorum  in  proprios  greget,  Reges  in  iptos 
imperitm  est  Jovis,  Cunda  superdUo  moventis. 

Le  Pa|)e»  TÎcaire  de  Jésus  et  de  Dieu,  remplace  le  Jupiter  d'Horace. 


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HISTOIRE   DB  l'dNIVERSITÊ   DE  TOULOnSB*  29 

ment  reyendiquée  par  les  Jésuites  et  pour  eux  n'est  pas  d'une  autre 
nature  que  celle  de  la  presse  pour  laquelle  tout  le  monde  reconnaît 
qu'il  y  a  des  limites  légitimes  au-delà  desquelles  commencent  les  délits 
que  la  loi  doit  défendre  et  réprimer.  Les  Jésuites  sont  en  dehors  de 
ces  limites,  par  leur  Constitution  qui  les  dépouille  de  leur  nationalité 
en  les  faisant  sujets  d'un  général  étranger;  par  leur  enseignement  qui 
est  hostile  à  la  République,  à  tout  gouvernement  libéral  et  à  la  civili- 
sation moderne.  C'est  pourquoi  l'on  a  raison  de  leur  défendre  d'en- 
seigner et  même  d'exister.  En  agissant  ainsi  on  n'abandonne  pas  les 
principes  de  4789;  on  ne  fait  que  les  interpréter  dans  leur  vrai  sens 
et  les  appliquer  justement.  C'est  bien  ainsi,  d'ailleurs,  ajoutent-ils, 
que  Tout  entendu  tous  les  gouvernements,  depuis  4789  jusqu'à  celui 
de  Napoléon  III,  qui  n'est  guère  à  citer  comme  le  meilleur  modèle  à 
suivre.  » 

2®  Outre  les  discours  en  ce  sens,  prononcés  bien  haut  devant  le 
grand  public,  il  en  est  d'autres  qu'on  dit  plus  bas  devant  un  public 
plus  restreint.  «  Nous  ne  devons  pas  être,  nous  ne  sommes  pas  idolâ- 
tres de  ces  principes  de  1789.  Nous  avons  pour  eux  une  religion  vraie; 
mais  la  vraie  religion  est  raisonnable  et  affranchie  de  superstition. 
Nous  ne  voulons  pas  imiter  ceux  de  nos  pères  qui,  les  uns  par  fana- 
tisme, les  autres  par  naïveté  trop  grande,  criaient  :  Périssent  les  colo^ 
nies  plutôt  qu'un  principe  I  Nous  ne  disons  donc  pas  :  Périsse  la 
République  plutôt  que  les  principes!  Au  contraire.  Les  principes  sont 
faits  pour  la  République,  et  non  la  République  pour  les  principes.  Si, 
par  une  tactique  quelconque,  nos  adversaires  tournent  ces  principes 
contre  la  République,  nous  pouvons  recourir  à  une  autre  tactique 
oblique  ou  par  mouvement  tournant.  Dans  les  cas  difficiles  et  quand 
les  circonstances  l'exigent,  nous  pouvons,  nous  devons  même  enve- 
lopper la  statue  de  la  liberté,  pour  empêcher  qu'elle  ne  voie  et  qu'elle 
ne  soit  vue  :  la  voiler,  ce  n'est  pas  la  violer.  La  suprême  loi  est  tou- 
jours le  salut  du  peuple.  La  République  a  toujours  le  droit  de  se 
constituer  en  comité  de  salut  public  :  et  le  salut  public  aujourd'hui  en 
France,  c'est  le  salut  de  la  République  elle-même.  :» 

3^  Une  addition  à  ces  discours  est  ironique.  «  Il  y  avait  à  Rome 
une  famille  des  Gracques  qui  poussait  continuellement  aux  séditions, 
et  quand  on  les  réprimait,  ils  se  plaignaient  de  ce  qu'on  les  faisait  vic^ 
limes  de  sédition.  Ce  qui  paraissait  justement  intolérable,  et  donnait 
lieu  au  poète  de  s'écrier  :  Quis  toleret  Oracchos  de  seditione  queren- 
tes.  Ainsi  nous  avons  en  France  une  famille  des  Ignaces  qui  poussent 
continuellement  à  la  destruction  de  toutes  les  libertés  ;  et  quand  on 


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30  MÉMOIRES. 

les  réprime,  ils  se  plaignent  d'être  victimes  d'une  atteinte  à  leur 
liberté,  et  ils  gémissent  sur  elle.  Ce  qui  donnerait  lieu  au  même 
poète,  s'il  revenait  au  monde,  de  s'écrier  :  Quis  tokret  taies  pro  liber- 
talé  querentes.  Regardons  ce  que  font  les  Jésuites,  fils  d'Ignace,  quand 
ils  ont  le  pouvoir:  écoutons  ce  qu'ils  disent,  quand  ils  parlent  libre- 
ment|;  assistons  à  leurs  leçons,  quand  ils  enseignent,  et  nous  pour- 
rons retourner  contre  eux  le  mot  qu'ils  nous  adressent  :  Vos  patimini 
quœ  fecistis,  quœ  iixisiis,  quœ  docuistis.  » 

4o  Après  cette  ironie,  le  discours,  arrivant  à  sa  fin,  prend  une 
allure  plus  sérieuse,  sous  forme  de  thèse  dogmatique,  où  se  trouve  la 
vraie  pensée  radicale,  en  ces  termes  : 

«  Toute  société  repose  nécessairement  sur  un  contrat  exprès  ou 
tacite.  —  La  société,  qui  est  un  peuple,  repose  sur  un  contrat  social. 
—  Par  lui,  chaque  sociétaire  se  démet  de  ses  droits  naturels  pour  en 
soumettre  l'exercice  à  la  loi  votée  au  moins  par  la  majorité,  sinon  à 
l'unanimité  des  cosociétaires.  —  Leur  ensemble  est  l'État.  —  L'État 
est  souverain  et  maître  de  se  gouverner  lui-même.  —  Ce  souverain, 
ne  pouvant  exercer  la  souveraineté  ni  les  fonctions  de  gouvernement 
par  lui-même  ou  directement,  les  exerce  indirectement  par  ses  délé- 
gués ou  représentants.  —  Ces  représentants  varient  suivant  la  forme 
organique  du  régime  politique,  monarchique,  aristocratique,  démo- 
cratique ou  autre.  —  La  France  actuelle  est  organisée  et  constituée 
en  une  République  démocratique,  où  les  représentants  du  souverain 
sont  les  deux  assemblées  des  députés  et  des  sénateurs,  nommés  par 
le  suffrage  universel  à  un  ou  à  plusieurs  degrés  ;  le  président,  nommé 
par  les  sénateurs  et  les  députés;  et  les  ministres,  nommés  par  le  pré- 
sident. —  Ensemble  ils  sont,  par  délégation,  l'État  chargé  de  toutes 
les  fonctions  du  gouvernement  et  investi  de  tous  les  pouvoirs  sociaux 
et  politiques.  » 

Sans  entrer  dans  le  détail  de  ces  pouvoirs  et  en  se  bornant  à  la 
question  de  la  liberté  d'enseignement,  ils  disent  : 

c  En  matière  d'enseignement,  l'État  a  la  toute- puissance.  Il  peut 
fonder,  entretenir  et  organiser,  comme  il  l'entend,  autant  d'écoles 
qu'il  veut,  dont  tous  les  fonctionnaires  soient  à  sa  disposition  et  qu'il 
régente  par  ses  délégués  spéciaux.  L'idée  d'une  Université  de  France, 
c'est-à-dire  d'un  grand  corps  de  professeurs  enseignant  toutes  choses, 
à  toute  la  jeunesse  française,  dans  toute  l'étendue  du  pays  est  excel- 
lente. C'est  VEuntes  docete  omnes  génies  de  l'État.  En  dehors  de  cette 
Université  fortement  constituée,  aucune  autre  école,  de  quelque  degré 
qu'elle  soit,  primaire,  secondaire  ou  supérieure,  ne  peut  être  établie 


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HISTOIRE   DE   l'UNIVERSITÉ  DE  TOULOUSE.  31 

sans  rautorisaiion  ou  la  permission  de  VÉtat^  et  sous  son  bon  plaisir. 
Cette  autorisation  ou  permission  accordée  par  lui  est  toujours  révoca- 
ble par  lui.  Aussi  longtemps  quHl  la  prolonge,  il  doit  incessamment 
surveiller  les  écoles  dites  libres,  s'enquérir  de  tout  ce  qui  s'y  fait^  de 
tout  ce  qui  s'y  dit,  de  tout  ce  qui  s'y  enseigne,  et  s'assurer  qu'on  n'y 
instruit  pas  mal  les  jeunes  écoliers  en  leur  inspirant  des  sentiments  et 
des  idées  contraires  à  la  saine  morale,  à  la  droite  raison,  aux  lois  et 
aux  institutions  de  la  nation,  et  aux  principes  qui  sont  la  base  de  l'ordre 
public.  Car  les  âmes  ainsi  instruites  ou  construites  et  imbues  de  telles 
odeurs  dans  leur  jeunesse  deviendraient  plus  tard  rebelle»  au  gouver- 
nement et  ingouvernables  par  lui.  Et  quand  on  ne  gouverne  pas  les 
âmes  par  l'influence  des  idées  et  des  sentiments^  c'est  en  vain  qu'on 
essaye  de  faire  marcher  les  corps  par  la  force.  Qui  ne  s'appuie  que 
sur  elle  ne  tarde  pas  à  en  reconnaître  la  faiblesse.  » 

Conclusion.  L'enseignement  est  une  fonction  de  l'État  à  qui  appar- 
tient le  gouvernement  général  de  la  République  {res  publica)  et  en 
particulier  celui  des  âmes.  Nul  ne  peut  enseigner  que  par  délégation 
de  l'État  ou  avec  son  autorisation  ou  permission.  Ce  qu'on  appelle  la 
liberté  d'enseignement  n'est  que  la  faculté  d'enseigner  à  ces  conditions. 

Je  ne  veux  point  juger  ici  la  valeur  de  ce  discours  des  radicaux, 
pas  plus  que  celle  du  discours  de  leurs  adversaires,  les  cléricaux.  Je 
me  borne  à  les  rapporter  et  à  les  comparer. 

Rapprochant  donc  cette  conclusion  pour  l'État  de  la  précédente 
pour  l'ÉgUse,  je  remarque,  et  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître 
immédiatement  que,  tout  opposées  qu'elles  sont,  elles  expriment  une 
même  pcHsée  fondamentale,  et  que  ceux  qui  les  soutiennent  ont  le 
même  esprit  autoritaire  de  domination  et  de  despotisme. 

Les  uns  et  les  autres  affirment  que  le  pouvoir  d'enseigner  est  essen- 
tiellement indivisible  et  un,  qu'il  n'appartient  qu'à  un  seul,  et  qu'il 
ne  peut  être  justement  réclamé,  ni  utilement  exercé  par  plusieurs . 
Doctrinaires  de  l'Église  et  doctrinaires  de  l'État  sont  d'accord.  Mais 
chacun  d'eux  veut  ce  pouvoir  et  ce  droit  pour  soi-même  et  pour  soi 
seul,  à  l'exclusion  absolue  de  tout  autre  et  sans  partage  avec  aucun. 
Ils  ne  s'accordent  plus. 

Les  uns  et  les  autres  trouvent  bon  que  l'enseignement  soit  univer- 
sitaire, c'est-à-dire  donné  par  des  groupes  enseignants,  aussi  nom* 
hreux  qu'on  le  jugera  convenable  et  utile,  divisés  en  Universités  par- 
ticulières ou  Académies,  formant  ensemble  une  seule  Université 
réelle,  régie  par  un  seul  grand-maître,  qui  soit  le  maître  souverain 


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32  MÉMOIRES. 

de  renseignement  de  tous^  sur  tout.  Ils  s'accordent  encore.  Mais  cha- 
cun d'eux  veut  que  cette  Université  soit  la  sienne,  la  sienne  seule, 
à  l'exclusion  absolue  de  toute  autre,  et  que  son  grand-maître  soit  le 
seul  maître  souverain  ou  le  dictateur  de  l'enseignement.  Ils  sont  de 
nouveau  en  désaccord. 

Enfin,  les  uns  et  les  autres  affirment  que  l'enseignement  doit  agir 
énergiquement  sur  les  jeunes  âmes,  pour  les  imbiber  de  bonnes 
odeurs  qu'elles  conservent  longtemps  et  toujours,  c'est-à-dire  pour  les 
imprégner  de  sentiments  et  d'idées  qui  les  rendent,  pendant  toute 
leur  vie,  obéissantes  et  soumises  à  la  puissance  régnante.  Les  uns  et 
les  autres  veulent  que  l'enseignement  soit  un  moyen  de  gouvernement 
instrutnentum  rtgnù  Ils  sont  d'accord.  Mais  chacun  d'eux  veut  qu'il 
soit  un  moyen  pour  son  propre  gouvernement  et  pour  lui  seul.  Le. 
désaccord  éclate  de  nouveau. 

C'est  donc  bien  le  même  esprit  autoritaire,  de  domination  et  de 
despotisme,  qui  les  anime  tous,  mais  qui,  sous  des  influences  diver- 
ses, les  jette  et  les  pousse  dans  des  voies  opposées*  On  ne  peut  le 
contester. 

IV 

A  la  fin  du  siècle  dernier,  dans  les  années  qui  suivirent  1789,  cer- 
tains hommes  politiques,  très-influents,  furent  appelés  JacobinSy  du 
nom  de  la  maison  où  ils  se  réunissaient  pour  tenir  leurs  conférences. 
Ils  étaient  très- ardents  à  prêcher  la  théorie  du  despotisme  et  plus 
ardents  encore  à  la  mettre  en  pratique  terrible.  De  là  vient  que  le 
mot  jacobin  est  devenu  synonyme  de  despote  ou  de  partisan  et  de 
fauteur  de  despotisme. 

Ce  sont  donc  des  jacobins  qui  prennent  les  armes  et  poussent  à  la 
guerre  dans  les  deux  camps.  Dans  le  camp  de  l'Église,  les  cléricaux 
sont  des  jacobins  en  bonnet  carré,  soutane,  robes  de  moines,  de  péni- 
tents ou  de  sacristains;  jacobins  noirs.  Dans  le  camp  de  l'État,  les 
radieatix  sont  des  jacobins,  coiffés  du  bonnet  phrygien,  en  carma- 
gnole et  sans  culottes;  jacobins  rouges.  Us  ne  diffèrent  les  uns  des 
autres  que  par  la  couleur  dont  l'épiihète  est  le  signe  ;  mais  ils  ont  la 
même  substance  qui  est  signifiée  par  le  même  nom  substantif  (1). 

(4  )  Notez  bien  que  beaucoup  de  membres  du  clergé  ne  sont  pas  cUricaux  :  ils  ont 
Tesprit  de  ceux  qu'on  appelait  autrefois  gallicans.  De  même  beaucoup  de  membres  de  la 
défnocraUe  ne  sont  pas  radicaux  :  ils  ont  l'esprit  de  ceux  qu'on  doit  toujours  appeler 
HbériMx. 


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HISTOIRE   DK   l'uNIVERSITÊ   DE  TOULOUSE.  33 

Ils  sont  comme  deux  Gis  nés  de  la  même  mère^  mais  d'un  père 
différent  :  frères  ennemis,  dont  l'inimitié  est  une  cause  perpétuelle 
de  guerre. 


Une  grave  question  est  celle-ci  :  Peut-on  les  amener  à  cesser  de  se 
faire  la  guerre  et  à  vivre  en  paix? 

Des  pessimistes  répondent  que  cela  est  impossible.  Des  optimistes 
soutiennent  que  c'est  très- facile.  D'autres,  qui  évitent  les  exagéra- 
tions, affirment  que  cela  est  possible^  mais  ils  nient  que  ce  soit  facile. 

J'avoue  que  je  suis  avec  eux. 

Très-certainement  les  successeui's  de  Boniface  VIII ,  de  ses  fidèles 
et  de  ses  serviteurs  sont  encore  vivants  et  très-vivants,  toujours  prêts 
à  lancer  leurs  foudres,  à  tirer  leurs  canons  et  à  déclarer  la  guerre 
sainte,  au  cri  de  :  Dieu  k  veut!  Les  successeurs  de  Philippe  le  Bel,  de 
ses  ministres  et  de  ses  soldats  vivent  aussi.  Il  y  a  encore  des  Pierre 
Flotte  qui  disent  hautement  que  le  glaive  temporel  est  plus  fort  que  le 
glaive  spirituel,  et  qui  ajoutent  que  la  raison  du  plus  fort  est  toujours 
la  meilleure.  Il  y  a  encore  des  Guillaume  de  Nogaret  dont  la  main 
armée  du  gant  militaire  est  constamment  levée  pour  souffleter  de 
saintes  joues  ou  s'appesantir  sur  des  épaules  sacrées.  Et  il  y  a  aussi 
des  gens  d'armes  qui  n'attendent  qu'un  signe  pour  empoigner  les  ré- 
calcitrants, leur  mettre  les  menottes  et  les  jeter  en  prison.  On  ne  peut 
pas  dire  qu'il  soit  facile  de  faire  accepter  par  les  uns  et  par  les  autres 
le  rameau  d'olivier,  emblème  de  paix.  Mais  il  ne  faut  pas  dire  que 
cela  est  impossible. 

Il  n'est  pas  facile  de  poser  entre  les  cléricaux  et  les  radicaux  un 
troisième  parti,  qui  s'élève  au-dessus  d'eux,  les  réprime,  les  domine, 
et  qui,  cessant  d'être  considéré  comme  un  représentant  de  minorité, 
exprime  et  fasse  triompher  la  juste  volonté  de  la  vraie  majorité  natio- 
nale. Non,  l'on  ne  peut  pas  dire  que  cela  est  facile.  Mais  il  ne  faut 
pas  dire  non  plus  que  c'est  impossible. 

Les  cléricaux  et  les  radicaux  font  penser  à  ces  deux  serpents  de  la 
fable  antique  qui  barraient  le  chemin  où  ils  se  combattaient,  cher- 
chant à  se  dévorer,  et  qui  empêchaient  les  voyageurs  de  continuer 
leur  route  vers  le  but  qu'ils  se  proposaient  d'atteindre.  Il  n'était  pas 
facile  de  jeter  entre  ces  deux  furieux  la  baguette  autour  de  laquelle 
ils  devaient  être  forcés  de  s'enrouler  pacifiquement.  Mais  ce  n'était 

8«  SBBOI.  —  TOMX  ni,   1*  3 


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34  MEMOIRES. 

pas  impossible.  Il  ne  faut  pas  dire  que  ce  qui  est  arrivé  alors^  suivant 
la  fable,  ne  peut  pas  arriver  aujourd'hui,  en  réalité. 

Pourquoi  ce  que  le  dieu  Mercure  a  fait  ne  pourrait-il  pas  être  fait 
par  Minerve,  la  déesse  de  la  sagesse  ?  La  sagesse  est  l'alliance  de  la 
justice  et  de  la  raison  ;  cette  alliance  est  aussi  la  liberté. 

Pourquoi  la  hampe  du  drapeau  de  la  liberté  ne  pourrait-elle  pas 
être  le  caducée  autour  duquel  s'enroulent  les  deux  serpents  contraints 
à  cesser  leur  guerre? 

Pourquoi  des  libéraux^  des  libéraux  vrais,  ne  formeraient-ils  pas,  à 
la  Chambre  des  députés  et  au  Sénat,  une  forte  majorité,  dont  les 
chefs  occuperaient  les  ministères  sous  un  loyal  président  de  la  Répu- 
blique et  composeraient  un  gouvernement  vraiment  républicain,  pro- 
curant à  la  France  toute  la  prospérité  et  toute  la  gloire  qu'elle  peut 
espérer  dans  les  conditions  de  la  nature  humaine,  de  notre  caractère 
national  et  de  la  situation  que  la  force  des  choses  nous  a  faite  et  nous 
fait  encore  ? 

Pourquoi  ce  gouvernement,  devenu  vraiment  national  par  ses  lois 
justes,  par  son  administration  sage ,  par  son  Université  habilement 
organisée  pour  l'enseignement  des  choses  vraies  et  utiles ,  n'obtien- 
drait-il pas  la  soumission  docile  et  progressivement  sympathique  qu'on 
refuse  à  la  force  et  qu'on  donne  à  la  persuasion  ? 

Pourquoi  n'obtiendrait-il  pas  que  tous  les  partis  —  car  nous  aurons 
toujours  des  partis  —  apprennent  à  se  tolérer  mutuellement,  à  se 
respecter,  et  à  bien  comprendre  que,  si  chacun  peut  exercer  tous 
ses  droits  d'homme  et  de  citoyen  jusqu'aux  limites  où  il  rencontre  les 
droits  d'un  autre,  il  ne  peut  aller  au  delà?  Car  c'est  en  ces  limites  que 
la  justice  et  la  paix  s'embrassent  :  JtutUia  et  pax  ofmaverunt  sibi  et 
oBcutatœ  8unt. 

Pourquoi  n'obtiendrait-il  pas  spécialement  que ,  par  un  concordat 
écrit  dans  le  cœur  encore  mieux  que  sur  le  parchemin  ou  le  papier , 
les  deux  Pouvoirs  spirituel  et  temporel  s'entendent  sur  le  sens  de  la 
parole  évangélique  :  Rendez  à  César  ce  qui  est  de  César,  et  à  Dieu  ce 
qui  est  de  Dieu,  et  s'engagent  à  l'appliquer  de  la  même  manière  ?  Ou, 
ce  qui  revient  au  même ,  pourquoi  n'obtiendrait-il  pas  que  l'un ,  le 
chef  de  l'Église,  dans  son  palais  du  Vatican,  entouré  de  ses  cardinaux, 
évéques  et  prêtres  de  tout  ordre,  parlant  à  son  peuple  de  fidèles,  urbi 
et  orbi,  et  que  l'autre,  le  chef  de  l'État,  dans  son  palais  de  l'Elysée  ou 
ailleurs ,  entouré  de  ses  ministres ,  préfets  et  fonctionnaires  de  tout 
ordre,  parlant  à  son  peuple  de  citoyens,  expliquent  aussi  dans  le  même 
sens  et  s'engageant  à  appliquer  de  la  même  manière  l'autre  parole 


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HISTOIRE   DE   l'uNIVERSITÉ   DE  TODLOUSE,  35 

plus  moderne,  mais  non  moins  vraie  :  f Église  libre  dans  l'État  libre? 
Pourquoi  enfin^  — ce  qui  est  encore  la  même  chose,  —  sous  Theu- 
reuse  action  de  ce  gouvernement,  qui  respecterait  toutes  les  libertés, 
sans  préjudice  pour  Tordre,  et  qui  maintiendrait  Tordre  sans  préjudice 
pour  aucune  liberté ,  les  Boniface  VIII  et  les  Philippe  IV  de  Tavenir, 
eux-mêmes  et  tous  avec  eux,  n'abdiqueraient-ils  pas  leurs  préten- 
tions également  contraires  à  la  justice  et  à  la  raison  et,  renonçant  à 
toute  guerre,  ne  vivraient-ils  pas  en  paix  ? 

Pour  moi ,  aussi  loin  que  mes  souvenirs  me  reportent  en  arrière , 
vers  Vêi%e  des  premières  réflexions  un  peu  sérieuses,  j'ai  cru  que  tous 
les  efforts  des  hommes  de  bonne  volonté  doivent  tendre  à  Tétablisse-  "* 
ment  de  cette  paix  (1)  ;  je  le  crois  encore,  et  je  sens  que  je  le  croirai 
jusqu'au  jour  de  ma  mort.  Si  cette  croyance  est  un  péché,  je  mourrai 
certainement  dansTimpénitence  finale,  sans  remords  et  sans  éprouver 
le  besoin  d'en  demander  pardon  ni  à  Dieu  ni  aux  hommes. 

J'ai  aussi  toujours  espéré  que  cet  état  de  paix,  qui  doit  faire  partie 
du  règne  de  Dieu,  autant  que  Celui  qui  est  aux  cieux  peut  et  doit 
régner  sur  la  terre,  arrivera  un  jour,  exauçant  la  prière  que  le  chré- 
tien récite  matin  et  soir.  Je  l'espère  encore. 

Je  me  laisse  même  aller  à  Tespérance  que  les  événements  auxquels 
nous  assistons  pourront  en  hâter  Tarnvée.  La  Providence  a  de  si  mer- 
veilleux secrets  pour  tirer  le  bien  du  mal  même  ;  sa  logique,  la  logique 
des  choses,  est  si  souvent  contraire  à  la  nôtre,  la  logique  des  hommes; 
et  Thistoire  nous  montre  le  drame  de  Thumanité  si  plein  d'étranges 
péripéties  I 

J'ai  bien  entendu  et  je  crois  entendre  encore  le  tumulte  des  gens 
courant  aux  armes  ;  les  clameurs  de  ceux  qui  se  battent  et  de  ceux 
qui,  avant  de  se  battre,  déchargent  les  uns  sur  les  autres  des  injures 
et  des  menaces,  comme  des  héros  d'Homère;  le  fracas  des  portes 
enfoncées  et  le  bruit  des  assauts  livrés  à  des  murailles  dont  on  peut 
dire  avec  le  poète  que  ni  ceux  qui  sont  dedans,  ni  ceux  qui  sont  dehors 
ne  s'abstiennent  de  commettre  bien  des  fautes  :  Iliacos  intra  tnuros 
peccatur  et  extra.  J'entends  le  grincement  des  deux  glaives  (spirituel 
et  temporel)  qui  se  croisent,  et  celui  des  papiers  timbrés,  noircis  de 
sommations  et  de  protestations,  qui  se  croisent  aussi  avec  des  béné- 

(4)  Exemple  :  En  4  831 ,  —  donc,  U  y  a  cinquante  ans  que  cela  m'arriva,  —  j'adressai 
à  la  Ghambra  des  pain  et  à  celle  des  députés  une  pétition  imprimée,  dans  laquelle  je 
réclamais  d'urgence  la  loi  promise  sur  la  liberté  d'enseignement  à  tous  les  degrés. 


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36  MÉMOIRES. 

dictions  et  des  malédictions^  des  anathëmes  et  des  hosanna^  des 
applaudissements  et  des  sifflets.  J'entends  les  paroles  graves  de  grands 
et  augustes  personnages  qui  interviennent  avec  une  majesté  imposante^ 
et  le  cri  perçant  de  petites  et  méprisables  personnalités  qui  se  glissent 
avec  leurs  prétentions  ridicules  ;  et  le  vacarme  dans  les  rue?,  et  le 
tapage  d'hommes,  de  femmes  et  d'écoliers  ameutés^  et  le  reste. 

Mais,  au  milieu  de  tous  ces  bruits,  je  crois  entendre  aussi  une  voix 
solennelle  qui  s'en  dégage,  s'élève  progressivement ,  grossit  en  s'éle- 
vaut,  les  domine,  leur  impose  silence,  et  montrant  à  tous  le  mal  déjà 
fait,  le  mal  qui  se  fait  et  le  mal  qui  menace,  leur  dit  :  «  Voyez  donc, 
regardez,  comprenez  et  instruisez- vous  ;  Et  nunc  intelUgite,  erudi- 
mini.  Que  ce  spectacle  vous  soit  un  salutaire  avertissement ,  et  ap- 
prenez par  lui  que  vous  ne  devez  ni  violer  la  justice ,  ni  mépriser  la 
sainteté,  comme  l'a  dit  un  grand  poète  :  Discite  justitiam  moniti  et 
non  spernere  divos,  »  Oui,  je  me  laisse  aller  à  l'espérance  que  cette 
voix  ne  tardera  pas  à  être  écoutée  et  obéie. 

Si  cette  espérance  était  trompée  aujourd'hui,  je  ne  l'abdiquerais  pas, 
je  l'ajournerais  à  demain  :  Crcu  meliora. 

Et  si  j'entendais  quelques-uns  de  mes  amis,  les  vrais  amis  de  la 
liberté  vraie,  se  plaindre  bien  haut,  se  lamenter  et  désespérer,  ]e  leur 
rappellerais  que  cette  liberté,  qui  leur  est  chère  avant  tout,  ante  omnia 
dukis,  a  traversé  bien  d'autres  jours  mauvais,  plus  mauvais,  qu'elle  a 
rencontré  bien  d'autres  difficultés  plus  grandes  et  souffert  bien  d'au- 
tres épreuves  plus  rudes  dont  elle  est  heureusement  sortie  par  la  pa- 
tience, par  le  courage  et  avec  l'aide  du  ciel,  qui  ne  manque  jamais  à 
qui  s'aide  soi-même.  Aidons-nous  donc,  gardons  notre  foi  qui  nous 
assure  la  victoire  sur  tous  nos  ennemis.  Hoc  est  Victoria  quœ  vincit 
mundum,  fides  nostrœ;  et  espérons  la  réalisation  de  la  promesse  con- 
tenue dans  ce  vers  dont  l'harmonie  est  si  douce  à  l'oreille  et  le  senti- 
ment encore  plus  doux  au  cœur: 

0  passi  ^aviora,  dabit  Deos  his  quoqne  finem. 


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àNATOMIE  COMPAREE. 


ANATOMIE    COMPARÉE 


HOMOTYPIES  MUSCULAIRES  DES  MEMBRES  THORACIQUES 
ET  PELVIENS 

Par  m.   LAVOOATO) 


PRINCIPES    GÉNÉRAUX 

L'organisation  animale  est  soumise  à  des  lois  qui  règlent 
aussi  bien  les  analogies  que  les  dissemblances. 

L'Unité  domine  et,  sans  l'altérer,  la  variété  la  modiGe  par- 
tout en  changeant  les  formes ,  les  dimensions ,  la  texture  et 
même  les  fonctions. 

Hais,  quelque  grandes  que  soient  ces  modifications,  elles 
ont  toujours  leur  raison  d'être.  En  effet ,  il  y  a  constamment 
harmonie  entre  les  moyens  et  le  but.  Sous  des  formes  diverses, 
la  Nature  emploie  les  mêmes  matériaux.  Il  n'y  a  ni  variété 
absolue,  c'est-à-dire  arbitraire,  ni  unité  absolue,  c'est-à-dire 
uniformité. 

D'après  ces  principes,  on  parvient  à  reconnaître  que  les 
diverses  parties  d'un  même  animal  sont  construites  sur  un  mo- 
dèle fondamental.  Les  modifications  sont  nombreuses,  mais  la 
reproduction  du  type  est  constante;  et  là  où  on  n'aperçoit  tout 
d'abord   que  complication  et  diversité,  il  n'y  a,  en  réalité, 

(i)  La  dans  la  séance  do  6  janvier  188i. 


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38  MÉMOIRES. 

qu'un  même  élément,  simplement  modifié  selon  les  régions  et 
les  exigences  fonctionnelles. 

Cette  loi  de  répétition  ne  s'applique  pas  seulement  aux  deux 
moitiés  latérales  du  corps  :  la  symétrie  est  observée  avec  pres- 
que autant  d'exactitude  entre  les  éléments  supérieurs  à  l'axe 
vertébral  et  ceux  qui  sont  inférieurs;  elle  se  reproduit  môme 
dans  la  longueur  du  corps,  de  telle  sorte  que  les  parties  de 
la  moitié  antérieure  sont  répétées  successivement  dans  la  moitié 
postérieure. 

En  conséquence,  les  divers  organes  d'un  même  animal  ont 
entre  eux  des  relations  analogiques  dans  l'un  ou  l'autre  des 
trois  sens  indiqués,  —  et  ce  genre  de  correspondance  constitue 
les  Homotypies. 

C'est  ainsi  que  les  divers  rayons  des  membres  thoraciques  et 
pelviens  se  répètent  exactement. 

L'analogie  est  évidente  entre  les  os  de  l'épaule  et  de  la  région 
iliaque,  —  entre  les  os  du  bras  et  de  la  cuisse,  de  l'avant- 
bras  et  de  la  jambe,  —  et  enfin  entre  ceux  de  la  main  et  du 
pied. 

Les  nombreuses  erreurs  qui  se  sont  produites  à  ce  sujet  ont 
toujours  été  déterminées  par  des  procédés  de  comparaison 
défectueux  et  contraires  aux  vrais  principes  de  l'organisation. 

Une  des  principales  causes  d'erreur  est  la  trop  grande  préoc- 
cupation pour  quelques  particularités  qu'on  observe  chez 
l'Homme,  et  surtout  pour  l'état  de  supination  de  l'avant-bras 
et  de  la  main. 

Par  suite  de  cette  disposition  qui  change  tous  les  rapports, 
on  a  eu  recours  à  des  moyens  artificiels  de  démonstration , 
comme  l'inversion  totale  ou  partielle  des  parties  à  comparer. 

Si  au  contraire  on  examine  la  main  de  l'Homme  en  pronation 
naturelle,  comme  chez  les  Quadrupèdes,  les  analogies  devien- 
nent faciles  à  saisir,  sans  retourner  aucune  pièce  et  sans  avoir 
à  comparer  le  membre  thoracique  d'un  côté  avec  le  membre 
pelvien  du  côté  opposé. 

Ce  dernier  moyen,  proposé  par  Vicq-d'Azyr,  n'est  admissible 
que  pour  les  deux  premières  sections  des  membres,  c'est-à-dire 
pour  l'épaule  et  la  région  iliaque,  —  pour  le  bras  et  la  cuisse; 


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ANATOMIE  COMPARÉE.  39 

mais  il  n'est  pas  applicable  aux  deux  dernières  sections,  qui  se 
répètent  directement. 

Le  parallèle  doit  être  établi  entre  les  membres  du  même 
côté;  et,  pour  cette  étude,  il  y  a  lieu  d'examiner  attentive- 
ment les  Quadrupèdes,  dont  les  membres  thoraciques  et  pel- 
viens, destinés  à  soutenir  le  corps,  présentent,  par  cela  môme, 
une  construction  plus  analogue  que  chez  l'Homme. 

On  sait  que  les  rayons  successirs  d'un  môme  membre  se  flé- 
chissent en  sens  opposé;  la  main  et  le  pied  ne  font  pas  excep- 
tion à  cette  règle,  mais  leurs  colonnes  phalangiennes  se  fléchis- 
sent en  arrière,  aux  membres  pelviens,  comme  aux  membres 
thoraciques. 

Il  est  à  remarquer  que,  chez  les  Quadrupèdes,  les  divers  rayons 
des  membres,  au  lieu  d'être  verticaux,  comme  chez  l'Homme, 
sont  presque  tous  inclinés  d'environ  45  degrés,  successivement 
en  direction  inverse  et  dans  le  sens  de  la  flexion;  les  phalanges 
sont  les  seules  pièces  obliques  dans  le  sens  de  l'extension. 

Par  l'examen  comparatif  des  membres  thoraciques  et  pelviens, 
on  voit  que  l'obliquité  des  rayons  homotypes  est  inverse  et, 
conséquemment ,  que  les  angles  correspondants  sont  disposés 
en  sens  contraire.  En  outre,  tandis  que  Tavant-bras  est  vertical, 
la  jambe,  qui  le  répète,  est  oblique  en  bas  et  en  arrière^  — 
condition  favorable  à  la  souplesse  et,  en  même  temps,  à  l'im- 
pulsion locomotrice.  Puis,  le  métacarpe  et  le  métatarse  suivent 
la  ligne  verticale,  pour  plus  de  solidité  dans  leur  rôle  de  co- 
lonnes de  soutien.  Enfin,  les  phalanges  sont  obliques  en  bas  et 
en  avant,  dans  les  deux  membres,  —  ce  qui  est  une  nouvelle 
condition  de  flexibilité. 

Du  reste,  les  dispositions  qui  viennent  d'être  indiquées  ont 
presque  toutes  pour  but  de  constituer  des  ressorts  qui  tour  à 
tour  cèdent,  pour  amortir  les  pressions,  et  se  détendent  pour 
effectuer  la  locomotion. 

La  verticalité  de  l'avant-bras  s'explique  parce  que  les  mem- 
bres thoraciques  sont,  plus  que  les  autres,  chargés  de  soutenir 
le  poids  du  corps;  et  l'obliquité  de  la  jambe  concorde  avec  lo 
rôle  des  membres  pelviens,  plus  spécialement  destinés  à  pro- 
duire l'impulsion  locomotrice. 


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40 


MÉMOIRES. 


Enfin,  l'inclinaison  et  la  flexion  en  sens  contraire  des  rayons 
homotypes,  Topposiiion  des  angles  correspondants,  tout  est 
coordonné  pour  la  combinaison  harmonique 
des  mouvements  que  doivent  exécuter  les  mem- 
bres thoraciques  et  pelviens. 

Au  point  Je  vue  de  la  configuration,  il  y  a 
une  grande  analogie  entre  les  rayons  corres- 
pondants des  membres,  —  et  la  répétition  de 
forme  est  directe,  pour  les  deux  régions  infé- 
rieures, tandis  qu'elle  est  inverse  pour  les 
deux  sections  supérieures;  mais  cette  inversion 
est  simplement  symétrique,  comme  celle  des 
figures  âCB  et  ÂDB,  qui  sont  exactement  sem- 
blables, malgré  leur  construction  opposée. 
Il  est  à  remarquer  que,  dans  ce  genre  d'inversion,  les  par- 
ties ne  sont  pas  retournées,  puisque  celles  qui  sont  externes  se 
répètent  en  dehors  et  non  en  dedans;  les  plans  antérieurs  seuls 
deviennent  postérieurs  et  réciproquement. 

Il  en  est  à  peu  près  de  même  pour  les  pièces  homologues 
qui  se  répètent  par  symétrie  latérale,  par  exemple,  pour  les 
deux  omoplates  ou  pour  deux  côtes  correspondantes,  l'une 
droite  et  l'autre  gauche  :  ces  parties  ont  évidemment,  sous  tous 
les  rapports,  une  même  conformation,  mais  chacune  d'elles  est 
modifiée  dételle  sorte  que  l'une  ne  peut  être  substituée  à  l'autre. 
Ces  mêmes  observations  s'appliquent  à  la  disposition  des 
muscles  fixés  aux  divers  rayons  des  membres.  Ainsi,  les  mus- 
cles de  l'épaule  et  du  bras  sont  inversement  reproduits  par 
ceux  de  la  région  iliaque  et  de  la  cuisse  ;  mais  le  rapport  di- 
rect est  rétabli  à  l'avant-bras  et  à  la  jambe,  à  la  main  et  au 
pied,  bien  que  ces  rayons  soient  mobiles  en  sens  opposé. 

Avant  d'appliquer  ces  principes  à  l'examen  des  régions  mus- 
culaires des  membres ,  nous  devons  remarquer  que  ,  dans  ces 
dernières  années ,  en  Angleterre,  en  Allemagne  et  en  France, 
quelques  zoologistes  ont  publié  divers  travaux  qui  se  rappor- 
tent, les  uns  directement,  les  autres  indirectement,  aux  homo- 
typies  organiques  des  membres.  Nous  avons  examiné  avec  la 
plus  grande  attention  ces  travaux  importants,  qui  s'appliquent 


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ANATOillK   COMPARÉE.  41 

surtout  à  l'étude  des  Reptiles  et  des  Oiseaux.  Mais  nous  regret- 
tons de  ne  pouvoir  partager  les  idées  nouvelles  qui  sont  émi- 
ses, et  nous  sommes  en  désaccord  sur  les  résultats  obtenus, 
comme  sur  les  moyens  de  comparaison. 

Il  ne  nous  est  pas  possible  d'analyser  ces  publications  qui, 
pour  être  discutées,  exigeraient  un  long  mémoire.  Nous  devons 
nous  borner  à  quelques  observations  principalement  relatives 
aux  travaux  les  plus  récents. 

On  remarque  tout  d'abord  que  le  principe  de  symétrie  an- 
téro-postérieure  est  repoussé ,  bien  que  les  membres  pelviens 
soient  considérés  comme  répétant  les  membres  thoraciques  ; 
mais  la  répétition  en  sens  inverse  n'est  pas  admise  :  l'Ischium 
ne  répond  plus  au  Coracoïde,  ni  le  Pubis  à  la  Clavicule. 

Ensuite,  pour  la  comparaison  des  membres  entre  eux,  l'hy- 
pothèse de  la  torsion  humérale  est  remplacée  par  une  concep- 
tion plus  spécieuse  :  on  suppose  que,  primitivement  horizon- 
taux, les  membres  se  sont  rapprochés  du  corps,  en  décrivant 
une  demi-rotation  d'avant  en  arrière,  pour  le  membre  thoraci- 
que,  et  d'arrière  en  avant,  pour  le  membre  pelvien.  II  en  ré- 
sulte nécessairement  que  le  plan  primitivement  externe  de  ces 
deux  membres  étant  devenu  postérieur  sur  le  membre  thora- 
cique,  et  antérieur  sur  le  membre  pelvien,  il  y  aurait  lieu  de 
comparer  ces  deux  plans  l'un  à  l'autre.  Tout  au  coniraire,  on 
établit  qu'il  faut  comparer  entre  elles  les  parties  antérieures 
de  l'épaule  et  de  la  région  iliaque,  du  bras  et  de  la  cuisse. 
C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'au  lieu  de  reconnaître  l'analogie 
du  Triceps  brachial  et  du  Triceps  crural,  on  prétend  que  le 
Biceps  brachial  a  pour  homotype  le  Droit  antérieur  de  la 
Cuisse,  c'est-à-dire  la  Longue  portion  du  Triceps  crural. 

Sous  d'autres  points  de  vue,  parmi  les  innovations  contesta- 
bles, on  rencontre  quelques  détails  ostéologiques  qui,  emprun- 
tés soit  à  l'embryogénie,  soit  à  l'anatomie  des  Vertébrés  infé- 
rieurs, ne  paraissent  pas  avoir  la  signification  qui  leur  est 
attribuée.  Cette  introduction  d'éléments  nouveaux  complique 
et  modifie  les  dénominations,  ce  qui  est  loin  de  faciliter  les 
comparaisons  musculaires. 

Enfin,  les  procédés  employés  peuvent  être  appréciés  d'après 


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42  MÉMOIRES. 

les  résultats  qu'ils  ont  produits.  C'est  ainsi,  par  exemple»  que  : 
le  muscle  Sous-scapulaire  (partie  postérieure)  est  assimilé  au 
muscle  Obturateur  interne;  le  Grand  dorsal  et  le  Grand  rond  au 
Grand  fessier;  la  portion  externe  du  Triceps  brachial  à  la  por- 
tion interne  du  Triceps  crural;  la  partie  radiale  du  Brachial 
antérieur  au  Poplité;  le  Grand  pectoral  au  Pyramidal;  et  le 
Petit  pectoral  à  l'aponévrose  du  Releveur  de  Vanus. 

Ces  quelques  citations  suffisent,  croyons-nous,  pour  montrer 
combien  sont  inacceptables  les  nouvelles  tentatives  sur  les 
homotypies  musculaires  des  membres.  En  conséquence ,  nous 
croyons  devoir  maintenir  les  principes  précédemment  exposés, 
qui  servent  de  base  à  l'étude  que  nous  entreprenons.  Elle  s'ap- 
plique principalement  aux  Mammifères;  quant  aux  Vertébrés 
inférieurs,  ils  pourront  être  l'objet  d'un  autre  Mémoire. 

RÊGIOIfS  SCAPULA1RB   ET   ILIAQUE 

Il  est  incontestable  que  le  scapulum,  le  coracoïde  et  la  cla- 
vicule, qui  forment  la  base  de  l'épaule,  sont  répétés  par  l'ilium, 
l'ischium  et  le  pubis,  parties  constitutives  de  Tos  iliaque.  Les 
deux  lignes  demi-circulaires  de  l'ilium  sont  analogues  à  l'épine 
scapulaire,  et  le  bord  antérieur  de  l'omoplate  correspond  au 
bord  postérieur  de  l'ilium. 

Ce  genre  d'inversion  est  encore  plus  évident  pour  l'ischium 
et  le  pubis,  qui  reproduisent  en  sens  contraire  le  coracoïde  et 
la  clavicule.  De  même  que  l'obliquité  inverse  des  deux  régions 
correspondantes,  ces  modifications  étaient  nécessaires  afin  que 
l'action  des  muscles  similaires  s'exerçât  en  sens  opposé,  —  par 
exemple,  l'extension  du  bras  en  avant  et  celle  de  la  cuisse  en 
arrière. 

Ces  dispositions  étant  reconnues,  il  devient  plus  facile  d'éta- 
blir rhomotypie  des  muscles  fixés  sur  l'un  et  l'autre  rayon. 
C'est  ainsi  que  dans  la  région  iliaque  externe,  qui  répète  la 
région  scapulaire  externe,  le  Grand  fessier  correspond  au  Sus- 
épineux^  —  le  Moyen  et  le  Petit  fessier  au  Sous-épineux ,  qui , 
chez  les  Quadrupèdes,  se  divise  en  deux  branches  terminales. 

Ici,  le  rapport  n'est  pas  complètement  inverse,  puisque  les 


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ANATOMIB  COMPAKÈB.  43 

muscles  fessiers  sont  superposés,  tandis  que  ceux  de  l'épaule 
sont  placés  l'un  au-devant  de  Tautre  ;  mais  les  connexions 
sont  conservées,  —  les  attaches  nrusculaires  sont  les  mêmes, 
principalement  à  la  terminaison  sur  le  trochiter  et  le  trochan- 
ter,  —  et  les  fonctions  sont  identiques. 

Quant  au  Pyramidal^  qui  est  en  arrière  du  Moyen  fessier,  il 
ne  représente  pas  le  Petit  rond,  situé  au  bord  postérieur  du 
Sous-épineux  :  d'abord  la  situation  n'est  pas  inverse  ;  ensuite 
il  n'y  a  entre  les  deux  muscles  aucun  rapport  d'attaches  ni  de 
fonctions.  En  effet,  le  Petit  rond,  né  du  bord  postérieur  de 
l'omoplate  ,  se  termine  à  la  crête  sus-delloïdienne  de  Thumé- 
rus  et  concourt  à  la  flexion  du  bras,  tandis  que  le  Pyramidal 
procède  du  sacrum,  aboutit  au  trochanter,  avec  le  Moyen  fes- 
sier, et  concourt  à  l'extension  de  la  cuisse.  En  conséquence, 
chacun  de  ces  petits  muscles  est  un  faisceau  non  reproduit  dans 
le  membre  correspondant.  Peut-être  le  Petit  rond  se  ratla- 
che-t-il  au  Deltoïde,  et  le  Pyramidal  au  Moyen  fessier. 

Les  muscles  de  l'épaule  sont  en  partie  recouverts  par  le 
Deltoïde.  Bien  développé  chez  l'Homme,  il  est  formé  de  trois 
faisceaux,  dits  soapuIatVe,  acromien  et  claviculaire.  Ces  faisceaux, 
amincis  et  allongés,  sont  généralement  réduits  à  deux  chez 
les  animaux  imparfaitement  ou  non  clavicules.  Dans  tous  les 
cas,  le  Deltoïde  se  fixe  à  l'empreinte  delloïdienne  de  l'humérus, 
et  concourt  à  la  flexion  et  à  l'abduction  du  bras.  De  sa  termi- 
naison émane  une  lame  aponévrotique  qui  descend  à  la  surface 
du  Triceps  brachial. 

Dans  les  membres  pelviens,  le  Deltoïde  est  représenté  par  le 
Biceps  crural  et  par  le  muscle  du  Fascia  lata,  qui  répètent  à  la 
surface  de  la  cuisse  l'expansion  terminale  du  Deltoïde.  L'ana- 
logie est  complétée,  dans  les  Quadrupèdes,  par  la  partie  anté- 
rieure du  Biceps  crural,  qui  recouvre  les  muscles  fessiers  et  se 
fixe,  chez  quelques  animaux,  —  le  Cheval,  par  exemple,  — 
au  troisième  trochanter  du  fémur,  qui  répète  i'éminence  deltoï- 
dienne  de  l'humérus. 

On  peut  donc  établir  que  le  Biceps  crural  et  le  Fascia  lata 
correspondent  au  Deltoïde  :  l'analogie  est  essentielle  au  point 
de  vue  de  la  disposition,  des  rapports  et  des  attaches;  il  y  a 


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44  MÉMOIRES. 

aussi  mêmes  fonctions ,  c'est-à-dire  flexion  et  abduction  de  la 
cuisse  ou  du  bras. 

Les  régions  iliaque  interne  et  sous-pelvienne  représentent 
la  région  scapulaire  interne,  mais  avec  beaucoup  de  modifica- 
tionSy  presque  toutes  destinées  à  donner  à  la  cuisse  plus  de 
mobilité  qu'au  bras,  surtout  dans  les  Quadrupèdes.  C'est  ainsi 
que  les  muscles  moteurs  du  rayon  fémoral  sont  plus  nombreux 
ou  plus  divisés  que  ceux  du  bras. 

Malgré  ces  particularités,  on  peut  reconnaître  que  le  Grand 
psods  et  le  Psoas  iliaque  répètent  le  muscle  SotAS-scapulaire;  — 
que  le  muscle  Couturier  est  analogue  au  Grand  rond;  —  et  que 
le  Droit  interne  de  la  cuisse  correspond  à  la  branche  olécranienne 
du  Grand  dorsal,  ainsi  qu'à  la  bande  axillaire  des  Pectoraux, 
toutes  deux  remarquables  chez  les  Quadrupèdes. 

Quant  au  Carré  crural,  aux  Adducteurs  de  la  Cuisse  et  aux 
autres  muscles  sous- pelviens,  ils  représentent  les  deux  branches 
de  VOmo-brachial,  ainsi  que  les  muscles  Pectoraux ,  parleur 
situation ,  leurs  attaches  et  leurs  fonctions. 

Enfin,  le  Grêle  antérieur  de  la  cuisse,  —  qui  existe  chez  les 
Carnassiers  et  le  Cheval,  —  est  homotype  du  Grêle  postérieur 
du  bras,  qu'on  observe  seulement  chez  le  Porc  et  les  Chevaux. 

RÉGIONS   BRACHIALE   ET   CRURALE 

D'après  les  indications  précédentes,  si  Ton  compare,  sur  un 
Quadrupède,  l'humérus  au  fémur  du  même  côté,  on  voit  que 
ces  deux  rayons  sont  obliques  et  mobiles  en  sens  opposé,  et 
que  leur  configuration  se  répète  en  sens  inverse.  Par  suite ,  le 
plan  antérieur  de  l'un  devient  postérieur  sur  l'autre,  sans  qu'il 
y  ait  changement  pour  les  plans  externe  et  interne. 

Ainsi,  la  ligne  âpre  de  la  face  postérieure  du  fémur  est  re- 
produite sur  la  face  antérieure  de  l'humérus;  mais  le  trochiter 
et  le  trochanter  sont  situés  en  dehors,  ainsi  que  l'éminence  del- 
toïdienne  et  le  troisième  trochanter,  dans  les  animaux  pourvus 
de  ces  apophyses.  A  l'extrémité  inférieure,  la  poulie  antérieure 
du  fémur  est  reproduite  en  arrière  de  l'humérus,  entre  l'épi- 
condyle  et  l'épitrochlée,  éminences  d'insertion  dont  le  fémur 


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ANATOMIE   COMPARÉE.  45 

est  dépourvu;  —  et  la  trochlée  antérieure  de  l'humérus,  —  qui 
est  la  surface  articulaire  essentielle,  —  est  représentée  par  les 
deux^condyles  postérieurs  du  fémur. 

Si  le  plan  antérieur  de  Thmérus  est  répété  par  le  plan  pos- 
térieur du  fémur,  c'est  une  modification  qui  concorde  d'abord 
avec  le  même  état  de  choses  existant  à  l'épaule  et  à  la  région 
iliaque,  ensuite  avec  la  situation  inverse  des  muscles  qui  doi- 
vent mouvoir  eh  sens  opposé  la  jambe  et  l'avant-bras^ 

En  effet,  les  muscles  antérieurs  du  bras  —  biceps  brachial 
et  Brachial  antérieur  —  sont  répétés,  en  arrière  de  la  cuisse, 
par  le  Demi' tendineux  et  le  Detni-membraneux ,  qui  procèdent 
de  l'ischium,  de  même  que  le  Biceps  brachial  nait  de  l'apo- 
physe coracoïde.  L'insertion  terminale  est  analogue  pour  ces 
muscles  fixés  les  uns  en  dedans  du  radius  et  les  autres  en  de- 
dans du  tibia.  Quant  aux  fonctions  de  ces  muscles  correspon- 
dants, elles  sont  essentiellement  les  mêmes  :  les  uns  fléchissent 
l'avant-bras  en  avant,  et  les  autres  fléchissent  la  jambe  en 
arrière, 

A  l'opposé  de  ces  muscles  fléchisseurs,  on  voit,  en  avant  de 
la  cuisse,  le  Triceps  crural,  extenseur  de  la  jambe,  qui  repro- 
duit exactement  le  Triceps  brachial,  situé  en  arrière  du  bras  et 
destiné  à  l'extension  de  l'avant-bras.  Les  attaches  supérieures 
de  ces  muscles  sont  les  mêmes  :  pour  la  longue  portion,  au 
bord  antérieur  de  l'iliumou  au  bord  postérieur  de  l'omoplate; 
et,  pour  les  masses  latérales,  sur  la  face  antérieure  du  fémur  ou 
sur  la  face  postérieure  de  l'humérus.  Quant  au  muscle  dit 
Ancânéy  il  est  représenté  par  la  portion  du  Triceps  crural 
que  les  anciens  anatomistes  désignaient  sous  le  titre  de  Crural. 
L'insertion  terminale  est  à  peu  près  semblable  :  le  Triceps  bra- 
chial se  fixe  au  sommet  du  cubitus,  et  le  Triceps  crural  sur  le 
tibia  par  l'intermédiaire  du  sésamoïde  rotulien  et  de  ses  cor- 
dons fibreux. 

Aux  muscles  du  bras,  moteurs  de  l'avant-bras,  se  rattachent 
les  deux  Pronateurs  et  les  deux  Supinateurs,  si  remarquables 
chez  l'Homme  et  les  Singes.  Moins  développés  dans  les  Quadru- 
pèdes, ils  peuvent  même  disparaître  complètement.  Cependant, 
deux  de  ces  muscles  sont  toujours  reproduits  aux  membres 


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46  MÉMOIBES. 

pelviens  :  ce  sont  les Supinaleurs.  Ainsi,  le  Court  supinateur esi 
répété  par  le  muscle  Poplité,  et  le  Long  supinateur  par  le  Jam- 
hier  postérieur. 

De  part  et  d'autre,  ces  muscles  sont  situés  dans  le  plan  de 
la  flexion,  à  laquelle  ils  concourent;  ils  sont  obliques  en  bas 
et  en  dedans;  ils  ont  aussi  le  môme  mode  d'attaches  supé- 
rieures et  inrérieures.  Il  n'y  a  qu'une  modification,  résultant 
de'  la  flexion  inverse  de  la  jambe  et  de  l'avant-bras  :  c'est 
qu'aux  membres  pelviens,  les  muscles  dont  il  s'agit,  font 
tourner  la  jambe  en  dedans,  tandis  que  les  Supinateurs  ont 
pour  mission  de  faire  pivoter  le  radius  sur  le  cubitus  et  de  le 
renverser  en  dehors,  ainsi  que  la  main. 

RÉGIONS   DE   l'avant-bras  ET   DE   LA   JAMBE 

Ici,  le  rapport  est  direct  et,  bien  que  les  analogies  soient 
des  plus  évidentes,  c'est  précisément  la  comparaison  des  os  de 
l'avant-bras  et  de  la  jambe  qui  a  été  l'objet  des  interprétations 
les  plus  contradictoires. 

Ces  dissidences  existent  encore  et,  sans  les  discuter,  nous 
pouvons  établir  les  principes  suivants  : 

Le  Radius  est  exactement  représenté  par  le  Tibia,  et  le  Cu- 
bitus par  le  Péroné.  Cette  répétition  est  facile  à  constater  dans 
les  Quadrupèdes;  elle  l'est  également  chez  l'Homme,  si  l'avant- 
bras  et  la  main  sont  ramenés  à  l'état  de  pronation  par  la  rota- 
tion naturelle  du  Radius  sur  le  Cubitus. 

On  voit  alors  :  i^  que,  dans  l'Homme  comme  dans  les  ani- 
maux ,  les  deux  os  de  l'avant-bras  ne  se  croisent  qu'à  la  partie 
supérieure  ;  2^  que,  dans  le  reste  de  leur  longueur,  ils  sont 
parallèles,  le  Cubitus  en  dehors  du  Radius,  de  même  que  le 
Péroné  en  dehors  du  Tibia;  3*"  et  que,  pour  les  uns  comme 
pour  les  autres,  les  connexions  inférieures,  avec  le  Carpe  ou  le 
Tarse,  sont  évidemment  semblables. 

Par  son  extrémité  supérieure,  le  Radius  s'articule  essentiel- 
lement avec  toute  la  surface  inférieure  de  l'Humérus,  comme 
le  Tibia  avec  le  Fémur;  le  Cubitus  n'est  qu'accessoire  dans  la 
jointure  du  coude,  qu'il  complète  et  consolide  en  arrière  :  cela 


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ANATOMIK   COMPARÉE.  47 

est  manifeste,  par  exemple,  chez  les  Ruminants  et  les  Equidés. 

S'il  en  est  autrement  chez  THomme  et  dans  quelques  ani- 
maux, ce  n'est  que  par  des  modîGcations  graduelles,  en  har- 
monie avec  la  faculté  de  tourner  la  main  en  supination  com- 
plète ou  incomplète. 

Si  quelques  doutes  pouvaient  subsister  sur  la  corrélation  di- 
recte des  os  de  la  jambe  et  de  l'avant-bras,  ils  seront  certaine- 
ment dissipés  par  l'examen  compartif  des  muscles  appartenant 
aux  deux  régions  correspondantes.  En  effet,  comme  le  démon- 
tre le  tableau  suivant,  les  muscles  de  la  jambe  répètent  exacte- 
ment ceux  de  Tavant-bras  : 

Région  antérieure. 

ATANT-BRAS  JAMBE 

Les  deux  Radiaux Jambier  antérieur. 

Extenseur  commuQ  des  doigts  ....     Extenseur  commun  des  orteils. 
Extenseur  des  doigts  externes.     .     .     .     Court  péronier  et  Péronier  antérieur. 

Long  péronier. 

Long  extenseur  du  pouce Extenseur  propre  du  pouce. 

Court  extenseur  du  pouce 

Région  postérieure. 

Cubital  externe  et  Cubital  interne .     .     .     Jumeaux  de  la  jambe. 

Grand  palmaire . 

Petit  palmaire Plantaire  grêle. 

Fléchisseur  superficiel  des  doigts  .     .     .     Soléaire  et  Fléchisseur  superficiel  dos  orteils. 
Fléchisseur  profond  des  doigts.     .     .     .     Fléchisseur  profond  des  orteils. 
Long  fléchisseur  du  pouce Long  fléchisseur  du  pouce. 

A  ce  parallèle^  déjà  très-significatif,  nous  ajouterons  quel- 
ques remarques  : 

Les  muscles  de  Tavant-bras  et  de  la  jambe  sont,  les  uns, 
moteurs  du  métacarpe  ou  du  métatarse,  et  les  autres,  moteurs 
des  phalanges. 

Pour  ces  derniers,  il  y  a  similitude  complète  de  situation, 
de  rapports  et  d'attaches;  leur  mode  d'action  est  en  même  con- 
cordance, puisque  les  phalanges  des  membres  thoraciques  et 
pelviens  sont  étendues  en  avant  et  fléchies  en  arrière. 

Quant  aux  muscles  moteurs  du  métacarpe  et  du  métatarse, 


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48  MÉMOIRES. 

la  corrélation  est  aussi  exacte,  mois  il  y  a  inversion  fonction- 
nelle :  les  muscles  Radiaux,  extenseurs  du  métacarpe,  sont 
représentés  par  le  Jambier  antérieur  y  fléchisseur  du  métatarse  ; 
et,  dans  la  région  postérieure,  les  muscles  Cubitaux,  fléchis- 
seurs du  métacarpe,  sont  répétés  par  les  Jumeaux,  extenseurs 
du  métatarse.  Ces  muscles  ,  incontestablement  homotypes  par 
leur  position  et  leurs  attaches,  ont  conservé  leurs  rapports,  les 
uns  avec  les  extenseurs  et  les  autres  avec  les  fléchisseurs  des 
phalanges.  Tant  il  est  vrai  que  les  organes  ne  sont  pas  néces- 
sairement liés  à  leur  fonction  et  qu'ils  la  modifient  plutôt  que 
de  changer  leurs  connexions. 

Du  reste,  la  répétition  en  sens  contrains  se  termine,  avec  les 
muscles  de  la  cuisse  et  du  bras ,  en  haut  de  la  jambe  et  de 
Tavant-bras,  —  rayons  qui  ne  présentent  aucune  inversion 
osseuse  ni  musculaire,  bien  qu'ils  soient  mobiles  en  sens  opposé, 
ainsi  que  le  métacarpe  et  le  métatarse.  Le  rétablissement  des 
rapports  est  tel,  que,  malgré  la  construction  inverse  du  Fémur 
et  de  THumérus,  les  attaches  que  prennent  sur  ces  os  les  mus- 
cles de  la  jambe  et  de  Tavant-bras  ne  sont  pas  renversées. 

En  effet,  si  on  examine,  par  exemple,  les  deux  muscles  Ra- 
diaux et  leur  homotype,  le  Jambier  antérieur,  on  constate  que, 
chez  les  Quadrupèdes,  ces  muscles  se  fixent,  de  part  et  d'autre, 
avec  l'Extenseur  commun  des  phalanges,  en  avant  et  en  dehors, 
sur  l'extrémité  inférieure  de  l'Humérus  ou  du  Fémur. 

Nous  ferons  remarquer  aussi  que  le  muscle  nommé,  chez 
l'Homme,  Extenseur  du  petit  doigt,  est  désigné  sous  le  titre  plus 
général  d*Extenseur  des  doigts  externes.  —  Quant  à  VExlenseur 
propre  de  Vindex,  qui  ne  figure  pas  dans  notre  exposé,  il  est 
particulier  à  l'Homme  et  peut  être  considéré  comme  une  divi- 
sion de  l'Extenseur  commun  des  doigts. 

Enfin,  il  est  à  noter  que,  d'une  part,  le  Long  péronier  et, 
d'autre  part,  le  Court  extenseur  du  pouce,  ainsi  que  le  Grand 
palmaire,  n'ont  pas  de  muscle  homotype  dans  le  membre  cor- 
respondant. 

Vaisseaux  et  Nerfs.  —  La  disposition  comparative  de  ces  or- 
ganes a  été  invoquée  en  faveur  de  la  répétition  inverse;  mais  il 
suffit  de  les  examiner  sommairement  pour  reconnaître  que  là 


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ANATOMIB   COMPARÉE.  49 

encore  il  y  a  eu  beaucoup  d'illusions,  et  que  l'inversion  n'existe 
même  pas  complètement  dans  les  sections  humérale  et  fé- 
morale. 

En  réalité»  Yartère  humérale  descend  à  la  face  interne  du  bras 
jusqu'au  pli  du  coude,  où  elle  est  prolongée  par  la  Radiale, 
satellite  du  nerf  Médian.  Vartère  fémorale  suit  de  même  la  face 
interne  de  la  cuisse;  et  si,  vers  le  milieu  de  son  parcours,  elle 
devient  postérieure  et  profonde,  c'est  pour  se  placer  dans  le 
plan  de  flexion  de  la  jointure  fémoro-tibiale,  où  elle  prend  le 
nom  de  Poplité  et  se  termine  par  les  Tibiales. 

Les  divisions  musculaires  que  fournissent,  dans  leur  trajet, 
les  artères  Humérale  et  Fémorale,  se  répètent  inégalement,  par 
suite  de  la  masse  différente  des  muscles  correspondants.  Les 
musculaires  antérieures  du  bra^y  destinées  au  Biceps,  sont  repro- 
duites principalement  par  la  grande  musculaire  postérieure  de  la 
cuisse,  qui  se  distribue  aux  Ischio-tibiaux.  La  grande  musculaire 
postérieure  du  bras,  nommée  aussi  collatérale  externe  du  coude, 
se  divise  au  Triceps  brachial  ;  puis,  se  contournant  en  dehors, 
elle  gagne  le  pli  du  coude  et  se  termine  dans  l'épaisseur  des 
muscles  Radiaux.  Elle  est  évidemment  répétée  par  la  grande 
musculaire  antérieure  de  la  cuisse,  qui  se  divise  dans,  le  Triceps 
crural  et  no  descend  pas  au  delà,  en  raison  de  l'obstacle  cons- 
titué par  l'angle  saillant  de  la  jointure  fémorotibiale. 

A  l'avant-bras  et  à  la  jambe,  les  artères  principales  sont  en 
parfaite  analogie  de  position,  de  rapports  et  de  distribution 
terminale.  Vlnterosseuse  antérieure,  située  sous  les  muscles  Ra- 
diaux, est  exactement  répétée  par  la  Tibiale  antérieure,  —  la 
Radiale  par  la  Tibiale  postérieure,  —  et  la  Cubitale  par  le  ra- 
meau descendant  de  la  branche  Fémoro-poplitée. 

Il  en  est  de  même  pour  les  Nerfs,  malgré  les  modifications 
produites,  à  la  jambe,  par  l'origine  différente  des  branches  ner- 
veuses et  par  le  balancement  organique.  Ainsi,  le  nerf  Crural 
et  le  7Y6ta/  antérieur  reproduisent  le  nerf  Radial;  —  et  le  gros 
cordon  7t6ûi/  postérieur  du  Grand  sciatique  représente  le  nerf 
Médian,  ainsi  que  le  Cubital,  puisqu'il  se  termine  aux  doigts 
internes,  comme  le  Médian,  et  aux  doigts  externes,  comme  le 
Cubital. 

8«  8ÉBIS.  —  TOMB  ni,   1.  4 


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oO  MÉMOIRES. 

Ce  rapide  examen  des  Os,  des  Muscles,  des  Vaisseaux  et  des 
Nerfs,  démontre  d'une  manière  incontestable  que  Tavant-bras 
et  la  jambe  doivent  être  comparés  sans  aucune  inversion. 

EXTRÉMITÉS   DBS   MEMBRES 

Pes  altéra  manus^  disaient  les  anciens;  et  la  vérité  de  cet 
axiome  pourrait  nous  dispenser  de  comparer  Tune  à  l'autre  les 
extrémités  des  membres.  Mais  il  y  a  lieu  de  reprendre  le  pa- 
rallèle de  ces  régions  sous  différents  rapports  dont  l'interpré- 
tation nous  parait  inexacte  ou  contestable. 

Il  est  évident  que  les  extrémités  des  membres  sont  construites 
sur  le  môme  modèle  et  avec  les  mêmes  éléments.  Mais  il  faut 
reconnatlre  aussi  que  ces  extrémités  subissent  de  grandes  mo- 
difications de  forme  et  de  développement,  selon  leur  desti- 
nation. Celte  variété  se  montre  sur  des  animaux  différents  et 
parfois  aussi  sur  un  même  animal,  par  exemple,  si  on  compare 
l'aile  et  le  pied  d'un  Oiseau  ou  d'une  Chauve-Souris. 

Ici,  comme  partout,  les  moyens  s'adaptent  au  but  :  sans 
changer  de  nature,  les  organes  se  transforment,  pour  le  sou  - 
tien  et  la  progression  de  l'animal  sur  le  sol,  dans  l'eau  ou  dans 
les  airs. 

La  main  de  l'Homme  offre  à  peu  près  le  même  genre  de  par- 
ticularité :  bien  que  facilement  comparable  au  pied,  elle  pré- 
sente des  caractères  exceptionnels,  parce  qu'elle  est  destinée 
au  toucher,  à  la  préhension  et  non  à  la  progression. 

En  conséquence  de  cette  diversité,  la  comparaison  des  extré- 
mités sera  toujours  plus  régulière  chez  les  Quadrupèdes,  dont 
les  membres  remplissent  des  fonctions  analogues. 

On  rencontre  aussi  parmi  ces  animaux  de  nombreuses  va- 
riétés :  les  uns  sont  plantigrades,  les  autres  digitigrades;  les 
doigts  sont  plus  ou  moins  longs,  plus  ou  moins  divisés,  et  leur 
nombre  varie,  selon  les  exigences  de  souplesse  ou  de  solidité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  extrémités  des  membres  thoraciques 
et  pelviens  des  animaux,  comme  la  main  et  le  pied  de  l'Homme, 
sont  évidemment  constituées  sur  le  même  type  et  se  conforment 
toujours  à  la  loi  de  répétition. 


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ANATOUIB  COMPARÉE.  51 

En  raison  de  ces  variétés,  qui  ne  peuvent  être  l'objet  de  ce 
Mémoire,  nous  devrons  établir  nos  comparaisons,  non  pas  sur 
l'Homme  exclusivement,  mais  sur  un  type  plus  général,  par 
exemple  sur  les  Carnassiers,  dont  les  extrémités  antérieures  et 
postérieures  sont  adaptées  à  un  même  but  fonctionnel. 

Ces  extrémités  que,  par  abréviation ,  nous  appellerons  Main 
et  Pied  y  doivent  être  examinées  en  pronation  naturelle;  et, 
dans  l'étude  de  leurs  parties  constituantes,  on  procédera  de 
dehors  en  dedans,  sur  la  face  antérieure  ou  dorsale,  de  telle 
sorte  que  le  Pouce  sera,  non  le  premier,  mais  le  cinquième 
doigt. 

La  main,  comme  le  pied,  est  formée  de  cinq  colonnes  os- 
seuses, longitudinales  et  presque  parallèles,  qui  sont  les  doigts. 
L'ensemble  de  ces  colonnes  ou. chacune  d'elles  se  divise  en  trois 
sections,  qui  sont,  de  haut  en  bas:  le  Carpe  ou  Tarse,  le 
Métacarpe  ou  Métatarse  et  les  Phalanges.  Par  conséquent ,  les 
Phalanges  ne  constituent  pas  un  doigt  complet,  elles  n'en  for- 
ment qu'une  partie. 

Les  pièces  osseuses  de  la  Main  sont  exactement  répétées  par 
celles  du  Pied.  Dans  quelques  animaux ,  la  ressemblance  est 
telle,  qu'il  est  difficile  de  distinguer  les  os  du  métacarpe  ou  du 
métatarse  et  surtout  les  phalanges  des  extrémités  antérieures 
ou  postérieures. 

Quant  au  Carpe  et  au  Tarse,  ils  sont  formés  d'os  courts ,  su- 
perposés en  deux  rangs,  dont  le  supérienr  s'articule  avec  les 
os  de  l'avant-bras  ou  de  la  jambe,  et  l'inférieur  avec  le  méta- 
carpe ou  le  métatarse. 

Malgré  leurs  formes  dissemblables  et  variées,  les  os  du  Carpe 
et  du  Tarse  se  correspondent  régulièrement,  et  l'homotypie  de 
chacun  d'eux  est  constituée  comme  il  suit  : 

Premier  rang. 

CARPK  T\RSE 

Pisirornie Sommet  du  Calcnnéum. 

Pyramidal Galcanéum. 

Semi-lunaire Astragale. 

Scapboïde ScaphoVde. 

Lenticulaire Lenticulaire. 


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«^2  MÉMOIRES. 

Second  rang. 

CABPK  TABSB 

<  ««•  Unciforrae 4  •*"  Cuboïde. 

2*  Unciforme 2®  Coboïde. 

Grand  os 4  «>' Cnoéiforine. 

Trapézoïde %^  Cunéiforme. 

Trapèze 3®  Canéiforme. 

Les  pièces  du  Carpe  et  du  Tarse,  étant  les  parties  essentielles 
de  la  Main  et  du  Pied,  doivent  être,  dans  chaque  rangée,  en 
même^  nombre  que  les  doigts,  dont  chacune  d'elles  forme  la 
i)ase.  Il  en  est  ainsi  quelquefois;  mais  le  plus  souvent  le 
nombre  est  réduit  par  suite  d*avortement  ou  de  soudure;  et 
d'ordinaire,  les  os  qui  manquent  ou  paraissent  manquer,  au 
Carpe  comme  au  Tarse,  sont  le  cinquième  du  premier  rang  et  le 
premier  du  second  rang. 

Enfin ,  il  est  à  remarquer  que  le  nombre  des  doigts  est  varia- 
ble dans  les  animaux;  qu'en  principe  général,  ce  nombre  est 
de  cinq,  sans  être  dépassé;  et  que  s'il  vient  à  être  réduit,  c'est 
par  l'atrophie  successive  du  cinquième,  du  premier,  du  qua- 
trième et  du  deuxième  doigt. 

Les  muscles  des  extrémités  antérieures  et  postérieures  sont 
en  corrélation  évidente.  Si,  dans  certains  cas^  chez  l'Homme, 
par  exemple,  Torganisation  musculaire  delà  main  est  un  peu 
supérieure  à  celle  du  pied,  le  fait  n'est  pas  absolu  :  on  observe 
(|uelquefois  le  contraire;  et,  généralement,  surtout  dans  les 
Quadrupèdes,  on  voit  la  parité  se  rétablir,  sous  ce  rapport, 
et  devenir  presque  complète. 

Dégagé  des  particularités  qui  viennent  d'être  indiquées , 
l'examen  comparatif  des  nombreux  muscles  dont  les  doigts  sont 
pourvus  sera  plus  simple  et  les  analogies  seront  plus  faciles  à 
établir. 

Nous  rappellerons  d'abord  qu'aux  extrémités  antérieures  et 
postérieures,  les  muscles  Extenseurs  ou  les  Fléchisseurs  des 
phalangeSy  procédant  soit  de  l'avant-bras,  soit  de  la  jambe, 
sont  les  uns  communs  aux  quatre  premiers  doigts,  et  les  autres 
spécialement  destinés  au  pouce  ou  au  petit  doigt. 

Aux  tendons  des  Extenseurs  et  des  Fléchisseurs  communs 


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ANATOMIE  GOMPÂRÉtB.  53 

aux  quatre  premiers  doigts,  sont  annexés  d'autres  muscles, 
dont  l'action  concourt  au  même  but  physiologique  :  ce  sont  le 
Pédieux,  les  Lombricaux  et  les  Interosseux,  qui  se  répètent 
exactement,  sauf  le  Pédieux,  qui  manque  aux  extrémités  an- 
térieures. 

A  la  Main,  comme  au  Pied,  on  voit  d'autres  petits  muscles, 
affectés  aux  mouvements  du  premier  et  du  cinquième  doigt.  En 
thèse  générale,  ils  sont  au  nombre  de  trois,  pour  chacun  des 
doigts  extrêmes,  et  distingués  en  Abducteur  y  Adducteur  ei  Court 
fléchisseur. 

Ces  mêmes  muscles  subissent  nécessairement  quelques  modi- 
fications chez  l'Homme  et  dans  les  animaux  :  les  principales 
variétés,  dans  les  Mammifères  supérieurs,  concordent  avec  Pétat 
plus  ou  moins  développé  du  pouce. 

Ils  disparaissent  complètement  dans  les  Quadrupèdes  infé- 
rieurs, tels  que  les  Ruminants  et  les  Equidés,  qui  néanmoins 
conservent,  aux  extrémités  antérieures  et  postérieures,  le  Long 
extenseur  et  le  Long  fléchisseur  du  pouce.  Ces  muscles,  qui  pro- 
cèdent de  l'avant-bras  ou  de  la  jambe,  sont  à  l'état  rudimen- 
taîre;  mais  leur  persistance  prouve  l'existence  virtuelle  du 
Pouce  chez  des  animaux  qui  paraissent  en  être  dépourvus. 

Quant  aux  Vaisseaux  et  aux  Nerfs,  distingués  en  dorsaux  et 
palmaires  ou  plantaires f  ils  sont  exactement  distribués  aux  ex- 
trémités antérieures  comme  aux  extrémités  postérieures;  il  n'y 
a  de  différence  que  dans  le  calibre  relatif  des  branches  arté- 
rielles, dont  la  principale  est  dorsalcy  au  Métatarse ,  ei  palmaire, 
au  Métacarpe. 

CONCLUSIONS 

Les  membres  thoraciques  et  pelviens  sont  construits  sur  le 
même  modèle  :  la  répétition  est  exacte  pour  l'appareil  muscu- 
laire, ainsi  que  pour  les  os,  les  vaisseaux  et  les  nerfs. 

Cette  corrélation  est  manifeste  chez  l'Homme,  de  même  que 
chez  les  animaux,  h  condition  que  l'avant-bras  et  la  main 
soient  examinés  en  pronation  naturelle. 

Entre  les  deux  premières  sections  des  membres,  c'est-à-dire 


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54  MÉMOIRES. 

pour  l'épaule  et  la  région  iliaque»  pour  le  bras  et  la  cuisse,  la 
répétition  est  inverse  :  les  organes  antérieurs  d*un  membre 
sont  reproduits  en  arrière,  dans  le  membre  correspondant; 
mais  les  parties  externes  ne  deviennent  pas  internes.  Il  n'y  a 
donc  pas  lieu  d'admettre  que  tel  ou  tel  rayon  soit  retourné  ou 
qu'il  ait  subi  une  torsion  quelconque. 

La  corrélation  est  directe  à  l'avant-bras  et  à  la  jambe,  ainsi 
qu'à  la  main  et  au  pied. 

Enfin,  les  homotypies  qui  viennent  d'être  exposées  démon- 
trent que  le  parallèle  des  membres  thoraciques  et  pelviens 
doit  être  établi  par  la  comparaison  des  membres  du  même 
côté. 


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LES  PBÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.  55 

LES   PRÉLIMINAIRES 

DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME 
Par  m.   a.   DUMÉRIL 


Il  est 9  en  histoire,  certains  hommes  et  certains  faits  sur  les- 
quels il  faut  perpétuellement  revenir.  Sur  ces  hommes  et  sur 
ces  faits  la  discussion  n'est  jamais  close.  Les  apologistes  pro- 
voquent des  adversaires,  et  ceux-ci  suscitent  à  leur  tour  des 
apologistes  nouveaux.  Les  traditions,  les  témoignages,  les  ju- 
gements des  contemporains  et  de  ceux  qui ,  venus  plus  tard, 
ont  pu  puiser  à  ces  sources  forment  un  vaste  arsenal  où  chacun 
trouve  aisément  de.s  armes  appropriées  à  sa  manière  de  voir  et 
de  sentir,  si  bien  que  les  champions  de  la  môme  cause  peuvent 
eux-mêmes  toujours  espérer,  chacun  à  son  tour,  qu'en  la  plai- 
dant, ils  ajouteront  à  ses  chances  de  victoire.  C'est  un  espoir 
de  cette  nature  sans  doute  qui  a  déterminé  récemment  H.  Du- 
bois-Guchan  à  gloriBer  César  dans  un  livre  intitulé  :  Rome  et 
Cicéron.  H.  Dubois-Guchan  s'était  déjà  fait  connaître  comme 
un  admirateur  passionné  de  l'Empire  romain  dans  un  ouvrage 
en  deux  volumes  sur  Tacite  et  son  siècle.  Aujourd'hui  c'est 
dans  la  personne  de  son  premier  fondateur  qu'il  lui  rend  hom- 
mage. Il  immole  à  César  le  Sénat,  Cicéron  et  Pompée.  Il  est 
difficile  de  réhabiliter  le  Sénat ,  assemblée  divisée  où  César 
avait  su  se  créer  de  nombreux  partisans  et  qui  ne  sut  ni  dé- 
fendre la  République,  ni  en  rendre  le  sacrifice  utile  à  sa  patrie. 
Cicéron  a  trouvé  des  défenseurs  passionnés;  et,  même  parmi 


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56  MÉMOIRES. 

ceux  qui  lui  imputent  comme  un  tort  son  amour  pourtant  trop 
souvent  platonique  pour  la  liberté,  il  en  est  peu  qui  ne  soient 
disposés  à  son  égard  à  une  certaine  indulgence.  Tel  est  le  pri- 
vilège du  génie  littéraire,  lorsqu'il  laisse  après  lui  des  chefs- 
d'œuvre  pour  recommander  sa  mémoire  à  la  postérité.  Essayer 
de  soustraire  celle  de  Pompée  aux  outrages  et  aux  dédains 
parait,  au  contraire,  de  nos  jours,  une  tâche  ingrate.  II  y  a 
contre  lui  un  parti  pris  de  sévérité,  pour  ne  pas  dire  d'injus- 
tice; jamais  le  mot  de  Brennus  :  Vœ  victis,  n'a  trouvé  son  appli- 
cation d'une  manière  plus  frappante  qu'au  sujet  du  vaincu  de 
Pharsale. 

Vaniteux,  sufBsant,  médiocre,  incapable,  n'ayant  que  de  la 
présomption  pour  mérite,  telles  sont  les  plus  douces  des  épi- 
thètes  qu'on  lui  prodigue.  M.  Hichelet  l'appelle  tantôt  un 
indigne  favori  de  la  fortune  (1),  tantôt  un  heureux  soldat  qui 
n'avait  ni  tète,  ni  langue  (2);  M.  Mommsen,  un  caporal  (3). 
L'auteur  de  V Histoire  romaine  à  Rome,  tout  en  demandant 
pardon  à  sa  grande  ombre,  dit  qu'il  joua  un  rôle  de  niais  (i). 
M.  Duruy,  un  peu  plus  juste,  l'accuse  toutefois  d'avoir  été  le 
transfuge  de  tous  les  partis  (5).  S'il  a  été  6dèle  au  lien  con- 
jugal, c'est,  disent  M.  Nisard  et  M.  Mérivale,  parce  qu'il  avait  le 
tempérament  froid  et  l'àme  glacée  (6).  Le  premier  allègue 
même  cette  preuve  parmi  beaucoup  d'autres  pour  constater 
la  supériorité  de  César  sur  son  rival,  et  c'est,  en  effet,  un 
genre  de  supériorité  que  personne  ne  contestera  au  favori  de 
Nicomède. 

Cependant  tous  les  historiens  de  l'antiquité,  excepté  Tacite, 
qui  est,  il  est  vrai,  une  autorité  grave,  ont  formulé  sur  lui  des 

(4)  HUUnre  nmaine,  t.  II,  p.  266  de  la  2«  édition. 
(«)  Ibid.,  p.  284. 

(3)  Histoire  r(maine.  D  l'appelle  aussi  :  Un  soldat  modèle^  mde  et  anguleux,  et  en 
môme  temps  il  lui  reproche  d'avoir  laissé  faire  à  tous,  amis  et  ennemis,  ce  qu'ils  Toulaient, 
pendant  ce  qu'il  appelle  sa  régence. 

(4)  M.  Ampère,  t.  IV,  cb.  xviii. 

(5)  Histoire  des  Romains  et  des  peuples  soumis  à  leur  domination,  t.  II,  p.  503  de 
redit,  de  1 844.  Il  n'est  pas  plus  juste  pour  lui  dans  les  articles  qu'il  a  récemment  publiés 
sur  le  différend  de  Rome  et  de  César.  (Académie  des  sciences  morales,  4880.) 

(6)  Poètes  romains  de  la  décadence,  art.  Lucain.  —  Histoire  de  l'Empire  romain. 


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LES  PBÊLIMTNAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         57 

jugements  favorables.  Tite-Live  le  loue  dé  telle  sorte,  qu'il  en 
regut  d'Auguste  le  nom  de  Pompéien;  Velléius  Paterculus,  le 
flatteur  de  Tibèroj  l'appelle  le  plus  grand  et  le  plus  saint  des 
Romains (1).  Florus,  Plutarque,  Appien,  Dion  Cassius,  le  comp- 
tent parmi  les  hommes  les  plus  remarquables  que  Rome  ait 
produits,  et  le  dernier  nous  apprend  que  l'organisation  qu'il 
avait  donnée  à  l'Orient  après  la  guerre  deHithridate  subsistait 
encore  au  temps  d'Alexandre  Sévère  (2).  L'auteur  du  Panégy- 
rique de  Trajan,  dans  un  passage  demeuré  inaperçu,  lui  attri- 
bue, outre  l'honneur  d'avoir  purgé  la  mer  des  pirates,  chassé 
la  brigue  du  forum,  parcouru  en  vainqueur  l'Orient  et  l'Occi- 
dent, celui  d'avoir  ramené  l'abondance  dans  Rome  par  la  liberté 
du  commerce  des  grains  ou,  pour  parler  autrement,  d'avoir 
été,  dans  l'antiquité,  le  prédécesseur  des  Robert  Peel  et  des 
Cobden  (3).  Je  passe  sous  silence  Lucain  qui  peut  paraître  sus- 
pect en  sa  qualité  de  poète  auquel  l'emphase  est  trop  familière. 
Mais  on  voit  que  l'opinion  des  hommes  les  plus  éclairés  de  Rome 
au  temps  de  l'Empire,  n'était  pas  précisément  celle  que  cher- 
chent à  nous  donner  de  lui  nos  histoires  modernes.  J'avais 
besoin  de  le  dire  pour  ne  pas  être  soupçonné  de  paradoxe.  Cela 
fait,  on  me  pardonnera  plus  aisément,  je  l'espère,  d'expliquer 
les  faits  autrement  que  ne  le  font  nos  histoires. 

Aujourd'hui  je  prendrai  pour  sujet  de  mon  élude  ce  que  Ton 
peut  appeler  l'époque  critique  de  Pompée,  celle  qui  a  surtout 
décidé  de  sa  réputation,  en  préparant  sa  chute;  je  veux  parler 
de  l'époque  comprise  entre  son  troisième  consulat,  où  sa  gran- 
deur fut  à  son  comble,  et  celle  où,  forcé  d'abandonner  l'Italie, 

(4)  Hic  fiiU  eaUus  ntœ  tanciittimi  et  jnwstaniissimi  viri,  II,  63. 

{t)  DioD  Gassius,  liv.  XXYII,  cb.  xx. 

(3)  «  Instar  ego  perpetai  congiarii  reor  affluentiam  annoDS.  Uujus  aliquando  cura  non 
minus  Pompeio  addidit  glori»,  quàm  puisas  ambitus  campo,  exactus  hostis  mari,  oriens 
trinmpbis  occidensque  lustratus.  Nec  verb  ille  civilius  quàm  parons  noster,  auctoritate, 
consilio,  fide,  reclosit  Tias;  portas  patefecit;  itinera  terris,  littoribus  mare,  littora  mari 
reddidit  ;  dwenatque  gerUes  Uà  commmercio  miscuU  ul  quod  genitwn  estet  tuqtMtm,  id  apud 
omnes  natum  este  videretur.  »  Panegy.  Traj.,  $  29.  Est-ce  ce  passage  que  M.  Mommseo 
a  Toola  traduire  lorsqu'il  écrit  (liv.  Y,  cb.  tui)  :  a  Pompée  réussit,  non  tans  que  let  prth- 
vincet  ien  nttetUitteiU  grièvemefUj  à  faire  arriver  à  Rome  des  blés  en  abondance  et  à  bon 
prix  »? 


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58  MÉMOIRES. 

il  fournit  par  là  à  César  l'heureuse  chance  d'avoir  à  combattre 
d'abord  une  armée  sans  général ,  puis  un  général  ^ans  armée, 
et  put  entrevoir  lui-môme  le  funeste  dénoûment  de  Pharsale. 
On  s'en  est  aussi  beaucoup  occupé  dans  les  derniers  temps, 
et  en  général  avec  peu  de  sympathie  pour  lui  (1). 

Nous  examinerons  les  reproches  qu'on  lui  a  adressés,  ce  qu'il 
fit  et  ce  qu'il  pouvait  faire.  Sans  dissimuler  plusieurs  fautes 
assez  graves,  nous  croirons  pouvoir  l'absoudre  de  la  plupart  de 
celles  qu'on  lui  impute;  sa  conduite  trouvera  presque  toujours 
son  explication  dans  sa  situation,  dans  les  circonstances  et  dans 
un  désir  louable  tantôt  de  respecter  la  légalité,  tantôt  de  con- 
cilier ce  qui  malheureusement  était  inconciliable,  l'intérêt  de 
César  et  le  salut  de  la  République.  Quant  à  César,  si  notre 
récit  n'est  pas  un  roman,  il  pourra  paraître  plus  grand  que 
jamais  à  ceux  qui  font  du  Prince  de  Machiavel  leur  héros.  Mais 
je  doute  qu'il  y  gagne  dans  l'opinion  de  ceux  qui  croient  que 
le  génie  ne  peut  servir  d'excuse  à  l'absence  absolue  de  scru- 
pules. 

Les  deux  principales  sources  pour  moi,  comme  pour  toua 
ceux  qui  ont  écrit  sur  la  même  matière,  seront  les  Commentaires 
de  César  et  les  Lettres  de  Cicéron.  Mais  elles  seront  plus  sévè- 
rement contrôlées  qu'on  ne  le  fait  d'ordinaire,  surtout  contrô- 
lées par  elles-mêmes.  Je  ne  cacherai  pas  que  ma  préoccupation, 
tout  en  les  étudiant  avec  soin,  a  été  celle  d'un  juge  qui  se  fie 
mal  aux  témoins  qu'il  interroge  et  néanmoins  espère  trouver 
dans  leurs  révélations  des  indices  suffisants  pour  découvrir  la 
vérité. 

Mais  je  dois  d'abord  expliquer  pourquoi  ces  deux  sources 

(4  )  Comparez  notamment  sar  ce  sujet  : 

Th.  Mommsen,  Die  Rechtsfrage  zwUchen  Cœsarund  den  Sénat  (à  h  suite  du  t.  VII  de 
•on  Histoire  romaine,  trad.  par  C.-A.  Alexandre,  Paris,  i  869,  în-8)  ; 

A.-W.  Zumpt,  Stuâia  Romana,  Berlin,  <869,  in-8; 

P.  Guiraud,  le  Différend  entre  Cé^ar  et  U  Sénat.  Paris,  4  878,  in-8; 

Fustel  de  Conlanges,  la  Question  de  droit  entre  César  et  le  Sénat  (  Journal  des  SacanU , 
juillet  4  879); 

V.  Duruy,  le  Différend  entre  César  et  le  Sénat,  Comptes  rendus  de  TAcadémie  des 
iciences  morales,  4  880,  p.  4  85  et  suiv.;  p.  457  et  sui?.  ; 

El  les  Histoires  de  MM.  Mommsen,  Mérivale  et  Duruy. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  Li  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.  59 

historiques  si  précieuses»  me  paraissent  demander  une  telle  dis- 
position d'esprit  dans  ceux  qui  les  consultent.  Je  commence  par 
les  Commentaires  de  César. 


I 


Le  mérite  littéraire  de  cette  œuvre  est  immense.  Il  y  a 
peu  d'ouvrages  d'une  lecture  plus  intéressante,  d'une  latinité 
plus  pure>  d'un  style  plus  discrètement  élégant,  plus  net  et 
plus  limpide.  C'est,  dans  son  genre,  un  modèle  qui  n'a  pas  été 
surpassé.  Je  doute  même  qu'il  ait  été  égalé.  A  ce  mérite  litté- 
raire se  joignent  des  qualités  qui  nous  touchent  de  plus  près. 
On  a  eu,  dans  ces  derniers  temps  surtout,  l'occasion  de  vérifier 
l'exactitude  de  ses  descriptions  topographiques.  H  peint  en 
quelques  lignes  la  configuration  des  lieux  où  se  sont  passées  les 
principales  scènes  de  sa  vie  de  conquérant,  de  telle  façon 
qu'après  plus  de  dix-neuf  siècles  une  observation  attentive 
permet  de  déterminer  l'endroit  précis  qui  les  a  vues  s'accom- 
plir. On  assiste  presque  à  ses  manœuvres;  on  voit,  pour  ainsi 
dire,  de  l'œil  les  positions  des  armées  et  des  camps,  les  obsta- 
cles qu'opposait  tel  ou  tel  terrain,  les  avantages  que  le  grand 
capitaine  sut  tirer  de  tel  ou  tel  escarpement,  de  tel  ou  tel 
vallon,  de  tel  ou  tel  cours  d'eau.  Les  dernières  discussions  qui 
ont  eu  lieu  relativement  à  l'emplacement  d'Alésia  n'ont  fait  que 
rehausser  la  haute  opinion  que  les  hommes  compétents  avaient 
déjà  de  la  valeur  de  son  œuvre,  sous  ce  rapport.  —  On  trouve 
aussi  dans  les  Commentaires  une  description  parfaite  des  mœurs, 
des  coutumes  et  du  génie  particulier  des  peuples  avec  lesquels 
il  s'est  trouvé  en  contact  dans  ses  expéditions.  Son  seul  ou- 
vrage sur  la  guerre  des  Gaules  en  apprend  plus  à  un  lecteur 
attentif  sur  les  anciens  Gaulois  que  tout  le  reste  des  témoignages 
de  l'antiquité  réuni.  Les  quelques  chapitres  qu'il  a  consacrés  à 
la  Germanie  sont,  avec  le  livre  de  Tacite,  le  principal  docu- 
ment qui  nous  fasse  connaître  les  Germains,  au  temps  de  leurs 
premiers  rapports  avec  Rome.  Et  César  n'est  nullement  infé- 
rieur à  Tacite  par  la  précision  des  détails.  Il  l'est  seulement 


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60  MiMOlRES. 

parce  qu'il  manque  de  ce  souffle  moral  si  puissant  dans  le  grand 
écrivain  qui  a  imprimé  au  front  des  Tibère  et  des  Néron  une 
marque  d'infamie  ineffaçable.  Si  les  paysages  de  César  sont 
presque  toujours  sans  nuage,  ils  sont  aussi  sans  ciel.  Ce  sont 
les  notes  d'un  homme  d'affaires  qui  dédaignerait  d'être  peintre 
ou  moraliste  quoiqu'il  eût  à  sa  disposition  un  art  infini  pour 
intéresser,  en  faisant  comprendre.  —  Les  Commentaires  justi- 
fient donc  l'estime  dont  ils  ont  été  l'objet  de  tout  temps  sous 
bien  des  rapports.  Mais  je  ne  crois  pas  que  César  eût  pu  mettre 
en  tète  de  son  livre  cette  épigraphe  que  Montaigne  a  placée  en 
tête  de  ses  Essais  :  «  Cecy  est  un  livre  de  bonne  foi.  » 

Asinius  Pollion,  contemporain  de  la  rédaction  de  l'ouvrage, 
disait  qu'il  avait  été  composé  avec  peu  de  souci  de  la  vérité,  et 
que  l'auteur  avait  accepté  trop  facilement  comme  authentiques 
des  récits  d'une  valeur  douteuse  sur  les  actions  des  autres, 
qu'il  avait  aussi  donné  le  plus  souvent  aux  siennes  une  couleur 
fausse  soit  à  dessein ,  soit  même  quelquefois  par  simple  manque 
do  mémoire  (1).  Toutefois  il  ajoute  que,  dans  son  opinion. 
César  avait  l'intention  d'en  changer  la  forme  et  d'y  faire  des 
corrections.  On  sait  qu'Asinius  Pollion  avait  été  dans  les  der- 
niers temps  de  la  République  un  des  hommes  les  plus  consi- 
dérables du  parti  césarien.  Ami  à  la  fois  d'Antoine  dont  il 
avait  reçu  et  auquel  il  avait  rendu,  disait-il,  des  services,  et 
d'Octave  qui  le  fit  consul ,  il  refusa  de  prendre  parti  pour  l'un 
ou  pour  l'autre  dans  la  troisième  guerre  civile,  c  Je  serai,  dit-il, 
la  proie  du  vainqueur  (2).  •  Il  avait  lui-même  écrit  en  dix- 
sept  livres  l'histoire  des  guerres  civiles  de  son  siècle,  et  il 
n'était  pas  moins  renommé  pour  son  érudition  que  pour  l'élé- 
gance de  son  style.  On  peut  donc  ajouter  foi  à  son  témoignage 
qui  d'ailleurs  n'est  nullement  nécessaire.  En  lisant  les  Comment 
taires  avec  application,  on  demeurera  persuadé  que  les  inexac- 
titudes de  César  ne  furent  pas  toutes  involontaires.  Cette  grande 

(1)  Suétone,  Cœsar,  56  :  PoUio  AHnius  parum  diUgenter  parumque  intégra  verUale 
compotitoi  puiat,  quum  Cœtar  pkraque  quœ  per  aliot  gesta  Umere  ediderit,  et*quœ  per  tê, 
tel  consulta  tel  eliam  memoHA  k^us ,  perperam  ediderit ,  exUtitnatque  rescriplurum  et 
comcturum  fuisse, 

(2)  Velleios,  U,  86. 


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LES  PRÊLmiNAlRBS  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         61 

passion  de  gloire  qui  le  dévorait,  lui  avait  dicté  ses  mémoires. 
C'était  un  monument  qu'il  s'élevait  à  lui-môme;  il  voulait 
agir  par  ses  écrits  comme  par  ses  armes  et  ses  intrigues  sur  les 
contemporains  et  la  postérité.  Mais  il  fallait  déguiser  son  but 
pour  l'atteindre ,  et  César  le  fit  avec  une  incomparable  ha- 
bileté. 

Le  moi  est  haïssable,  dit  Pascal.  César  le  sentait.  Il  parla  de 
lui-même  à  la  troisième  personne,  comme  il  eût  fait  d'une  per- 
sonne étrangère;  il  affecta  la  sincérité  et  la  modestie.  Il  glissa 
sur  ses  propres  louanges,  et  c'est  par  la  narration  seule  de  ses 
exploitsqu'il  voulut  conquérir  l'admiration.  Mais  l'intention  dt 
l'auteur  perce  de  temps  à  autre  dans  une  phrase  adroitement 
intercalée  au  milieu  de  ces  récits  si  vifs  où  il  semble  préoccupé 
beaucoup  plus  des  faits  qu'il  laconte  que  de  lui-môme.  On  le 
voit  d'abord  combattre  les  Helvètes  et  Ariovisle.  Ces  deux 
guerres  étaient  difficiles  et  importantes,  et  il  a  pu  les  mener  à 
bonne  fin  toutes  deux  dans  le  cours  d'un  seul  été;  et  môme 
l'été  n'était  pas  terminé  lorsqu'il  avait  déjà  remporté  ces  écla- 
tants triomphes.  Il  aura  soin  de  nous  en  avertir,  d'une  manière 
incidente  toutefois,  par  un  seul  mot  jeté  au  milieu  d'une  phrase 
qui  renferme  un  autre  fait  :  <  César,  dit-il,  après  avoir  ainsi 
t  terminé  deux  très-grandes  gtierres  dans  un  seul  été,  conduisit 
c  l'armée  en  quartier  d'hiver  chez  les  Séquanes  un  peu  plus 
c  tôt  que  la  saison  ne  l'exigeait  :  Qœsar,  unâ  œstate  duobus 
c  maximis  bellis  confectis,  maturius  paulo  quàm  tempus  anni  pos- 
c  tulabaty  in  hiberna  in  Seqtmnos  eccereitum  deduxit{i).  •  C'est 
là  le  trait  final  destiné  à  compléter  l'impression  qu'ont  faite  sur 
ses  lecteurs  les  récits  de  son  premier  livre.  Cependant  il  semble 
qu'il  ait  craint  que  son  intention  ne  fût  trop  apparente;  pour 
la  mieux  cacher,  il  ajoute  une  phrase  insignifiante.  On  trouvera 
dans  ce  passage  un  avant-goût  du  célèbre  Feni,  vidi,  vici,  par 
lequel  il  fit  connaître  à  l'un  de  ses  amis  de  Rome  sa  victoire 
sur  Pharnace,  fils  de  Mithridato.  Seulement  il  y  avait  dans  ces 
derniers  mots  une  jactance  évidente.  La  fortune  avait  gâté  César. 
Et  puis  il  voulait  rabaisser  son  ennemi,  afin  de  diminuer  la 

(4)  Commmiaint  sur  la  guem  des  Goulet,  Ut.  I ,  ch.  lit. 


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62  MÉMOIRES. 

gloire  de  Pompée,  auquel  il  ne  pardonnait  pas  d'avoir  été  jadis 
son  protecteur  et  d'être  devenu,  par  les  infortunes  de  ses  der- 
niers jours,  le  martyr  de  la  liberté  romaine,  aux  yeux  des 
meilleurs  citoyens.  De  môme,  il  finit  le  second  livre  en  disant 
que  le  Sénat  fit  décréter,  pour  ses  victoires,  quinze  jours  d'ac- 
tions de  grâces  aux  dieux ,  ce  qui,  avant  lui,  n'atxiit  eu  lieu  pour 
aucun  général;  le  quatrième,  par  cette  phrase  :  Ces  guerres 
terminées.  César  en  annonça  le  résultat  au  Sénat  qui  décréta  vingt 
jours  d'actions  de  grâces;  le  septième,  par  une  phrase  à  peu  près 
semblable  à  la  précédente. 

On  pourrait  citer  dans  les  divers  livres  de  la  guerre  des 
Gaules  et  dans  ses  mémoires  sur  la  guerre  civile,  bien  des  pas- 
sages où  César  glisse,  avec  une  adresse  extrême,  quelques  mots 
propres  à  rehausser  son  courage  et  son  génie  aux  yeux  de  ses 
lecteurs.  C'est  ainsi  qu'il  raconte  comment,  dans  une  bataille 
livrée  aux  Nerviens,  il  a  seul  ramené  ses  soldats  contre  l'en- 
nemi :  «  César,  dit-il ,  arrache  à  un  soldat  de  l'arrière-garde 
c  son  bouclier  (il  était  venu  au  combat  sans  bouclier),  scuto  ab 

<  novissimis  uni  militi  detracto,  quod  ipse  eo  sine  scuto  venerat 
«  (qu'on  ne  s'imagine  point  que  cette  parenthèse  ait  été  mise 
«  là  sans  arrière- pensée);  il  s'avance  à  la  première  ligne;  il 

<  appelle  les  centurions  par  leurs  noms,  exhorte  les  autres  sol- 
«  dats.  Tait  porter  en  avant  les  enseignes  et  desserrer  les  rangs 
c  pour  qu'on  puisse  facilement  se  servir  de  l'épée.  Son  arrivée 
€  rend  Tespoir  aux  soldats  et  relève  leur  courage.  Chacun  veut, 
t  sous  les  yeux  du  général,  faire  preuve  de  zèle  dans  cette 
«  extrémité ,  et  Ton  parvient  à  ralentir  un  peu  l'impétuosité  de 
«  l'ennemi  (1).  »  Il  y  a  là  tout  un  tableau  qui ,  à  coup  sûr,  ne 
présente  pas  le  personnage  de  César  sous  un  jour  défavorable. 
Remplacez  le  nom  propre  de  César  par  le  pronom  Je.  Qui  ne 
trouvera  que  dans  ce  récit  l'auteur  des  Commentaires  chante  un 
peu  trop  sa  propre  gloire? 

Dans  le  combat  de  cavalerie  où  Yercingétorix  fut  vaincu,  il 
se  montre  remplissant  les  devoirs  du  plus  vigilant  et  du  plus 
habile  général,  t  Si  nos  cavaliers  fléchissent  sur  un  point  où  ils 

(1)  Guerre  desGwlety  lit.  m,  chap.  tXT. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         63 

t  sont  trop  vivement  pressés,  César  y  fait  porter  les  enseignes 
€  et  marcher  les  cohortes,  ce  qui  arrête  les  ennemis  dans  leur 
c  poursuite  et  anime  nos  soldats  par  Tespoir  d'un  prompt 
•  secours  (1).  » 

S'il  sait  faire  ressortir  la  part  personnelle  qui  Lii  revient  dans 
rhonneur  des  victoires  remportées  par  les  légions  romaines 
sous  son  commandement,  il  a  bien  soin  de  dissimuler  les  fautes. 
S'imagine- t-on  qu'il  n'en  ait  commis  aucune  dans  tant  et  de  si 
longues  campagnes  ?  C'est  pourtant  ce  qu'il  faudrait  admettre 
si  on  Ten  croyait  toujours  sur  parole;  car  il  a  toujours  eu,  si 
Ton  s'en  rapportée  lui,  d'excellentes  raisons  d'agir  comme  il 
la  fait.  Cependant  l'examen  que  Napoléon  a  fait  des  Commen- 
taires, montre  que  César  a  commis  à  Dyrrachium  et  ailleurs 
des  erreurs  militaires  assez  graves.  —  Les  revers  sont  aussi 
déguisés  avec  une  merveilleuse  adresse.  Témoin  celui  de  6er- 
gOYÎe.  L'échec  y  fut  complet  et  même  il  fut  double,  si  nous 
nous  en  rapportons  à  Dion,Cassius.  César  fut  d'abord  vaincu 
lui-même,  et,  dans  une  absence  qu*il  fit,  ses  troupes  subirent 
une  seconde  défaite;  ce  qui  l'obligea  de  lever  le  siège  (2).  Ce 
n'est  pas  là  ce  qu'il  veut  que  nous  pensions.  La  levée  du  siège 
de  Gergovie  n'aurait  été ,  d'après  ses  mémoires,  qu'un  acte  de 
prudence,  une  combinaison  stratégique  déterminée  par  le  sou- 
lèvement des  Gaulois,  alliés  des  Romains.  Bien  avant  qu'elle 
ait  lieu,  il  a  soin  de  nous  y  préparer.  Après  avoir  parlé  de  la 
première  défection  des  Eduens  qui  n'eut  pas  de  suite,  il  ajoute  : 
c  S'attendant   néanmoins  à   un  mouvement  général  dans  la 
c  Gaule  et  ne  voulant  pas  être  investi  par  toutes  les  cités, 
f  César  pensait  aux  moyens  de  s'éloigner  de  Gergovie  pour 
€  réunir  de  nouveau  toutes  ses  forces;  mais  il  fallait  que  son 
c  départ  qui  venait  de  la  crainte  d'un  soulèvement  n'eût  pas 
c  l'air  d'une  fuite  (3).  i  II  reste  donc  devant  la  ville  jusqu'à 
ce  qu'il  ait  remporté  quelque  succès  signalé.  Les  derniers  enga- 
gements, que  Dion  Cassius  déclare  avoir  été  si  funestes  à  ses 

(<)  Guerre  des  Gaules^  liv.  Vil,  ch.  lxvii. 

(2)  Dion  Gaasias,  liv.  XL,  ch.  xxxti  et  xxxtiii.  Dion  Cassius  suit  ordinairoment 
César ,  ce  qui  rend  son  témoignage  très-important. 

(3)  Guerre  des  Gaukis^  liv.  VII,  ch.  xliii. 


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64  MÉMOIRES. 

troupes,  deviennent  dans  son  récit  des  victoires,  c  Jugeant 
c  l'épreuve  sufBsante  pour  rabattre  la  jactance  des  Gaulois  et 
c  raffermir  le  courage  des  siens,  dit-il  en  finissant,  César  aban- 
•  donna  Gergovie  pour  se  rendre  chez  les  Eduens  (<).  » 

On  ne  peut  s'empêcher  de  partager  le  scepticisme  de  Napoléon 
à  l'endroit  du  chiffre  exagéré  des  forces  qu'il  donne  presque 
constamment  à  l'ennemi  dans  ses  mémoires  sur  la  guerre  des 
Gaules.  Où  pouvait-il  puiser  des  renseignements  si  exacts?  Il 
en  a  eu  de  positifs  sur  le  nombre  des  Helvètes,  je  le  veux 
croire,  puisqu'il  nous  af&rme  qu'avant  de  quitter  leur  pays, 
ils  avaient  fait  une  espèce  de  recensement  de  la  population 
émigrante,  et  que  le  registre  où  le  résultat  s'en  trouvait  con- 
signé tomba  entre  ses  mains.  Mais  de  quels  documents  s'est-il 
servi  pour  affirmer  que  deux  cent  quarante  mille  Gaulois  vin- 
rent au  secours  de  Vercingétorix ,  assiégé  lui-même  dans  Alésia 
avec  quatre-vingt  mille  hommes?  Ces  chiffres  énormes  parais- 
sent avoir  été  placés  dans  son  récit  pour  augmenter  l'éclat  de 
ses  victoires. 

Autre  remarque.  César  ne  néglige  pas  ce  qui  peut  nous 
donner  de  lui  une  idée  avantageuse  au  point  de  vue  moral  : 
avec  Arioviste,  avec  les  Vénètes  et  les  Tenclères  qu'il  traita  si 
cruellement,  avec  Dumnorix  qu'il  fit  assassiner  comme  plus 
tard  avec  Pompée,  avec  Métellus  Scipion,  il  met  de  son  côté 
toute  la  modération.  Ses  adversaires  sont  les  agresseurs.  Ils 
l'ont  forcé  de  leur  donner  quelque  dure  leçon.  Marseille  avait 
promis  de  capituler.  Les  Massiliotes  ont  faussé  leur  parole  et 
att^ué  ses  légionnaires  (si  l'on  en  croit  Dion  Cassius,  liv.  XLI, 
ch.  xxv,  ce  furent  les  soldats  de  César  qui  essayèrent  la  nuit  de 
prendre  Marseille).  Cependant  il  a  bien  voulu  pardonner  à  ces 
hommes  parjures.  —  S'il  a  fait  la  guerre  aux  Bretons,  c'est  que 
les  Bretons  avaient  fourni  des  secours  aux  Gaulois  dans  toutes 
leurs  guerres  contre  lui.  Mais  lui-même  ici  nous  fournit  un 
motif  de  soupçonner  son  manque  de  véracité.  Il  avait  jugé 
très-utile,  dit-il,  de  visiter  cette  île,  d'en  reconnaître  les  habi- 
tants, les  localités,  les  ports,  les  abords,  toutes  choses  presque 

(4)  /Md.,  cb.  un. 


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LBS  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         65 

inconnues  aux  Gaulois.  N'y  a-l-il  pas  là  une  espèce  de  contra 
diction?  Si  les  Bretons  venaient  ainsi  combattre  contre  les 
Romains  dans  les  rangs  des  Gaulois ,  n'était-ce  pas  qu'il  y  avait 
des  relations  suivies  entre  les  deux  peuples?  Et  alors  est-il 
vraisemblable  que  les  Gaulois  n'eussent  à  peu  près  aucune  idée 
de  la  Bretagne?  Cette  contradiction  d'un  auteur  si  maître  de 
sa  plume,  montre  assez  qu'il  ne  voulait  pas  indiquer  les  rai- 
sons qui  l'avaient  porté  à  s'engager  dans  une  expédition  si 
aventureuse  et  si  inutile.  Aussi  Suétone  {Cœsar,  ch.  xlvii), 
prétend-il  qu'il  alla  en  Bretagne  dans  le  seul  espoir  d'y  trouver 
une  grande  abondance  de  perles  précieuses,  dont  on  disait  ce 
pays  pourvu.  Cela  est  puéril  sans  doute.  Mais  l'auteur  de  l'His- 
toire romaine  à  Rome  me  parait  avoir  justement  apprécié  les 
mobiles  qui  dirigèrent  alors  le  conquérant  des  Gaules  :  <  La 

<  double  expédition  de  César  dans  une  contrée  inconnue  qui 
«  semblait  alors  comme  un  autre  univers,  comme  une  Amé- 

<  rique  lointaine,  à  l'existence  de  laquelle  quelques-uns  ne 

<  croyaient  pas,  dit-il ,  cette  expédition  assez  inutile  au  point 
«  de  vue  militaire,  fut  très-bien  conçue  au  point  de  vue  poli- 
c  tique;  elle  frappa  vivement  les  imaginations  populaires;  on 

<  dut  en  parler  beaucoup  dans  les  boutiques  des  barbiers  et 
c  parmi  les  oisifs  qui  se  rassemblaient  à  Rome  au  bord  du 
«  canal  :  ce  fut  la  campagne  d'Egypte  du  Bonaparte  romain, 
c  De  plus,  il  parait  qu'on  espérait  trouver  dans  l'ile  de  Bre- 
«  tagne  une  sorte  d'Eldorado,  des  mines  d'or  et  d'argent.  Ces 
•  richesses,  dans  la  pensée  de  César,  étaient  sans  doute  desti- 
«  nées  à  appuyer  dans  le  forum  et  sur  le  Champ-de-Mars  la 
c  candidature  de  ses  partisans  (1).  > 

Il  est  certain  que,  dans  l'entourage  de<lésar,  on  comptait 
trouver  d'immenses  trésors,  et  que  l'on  fut  désillusionné,  c  Cette 
t  Bretagne  n'a  donc  ni  mines  d'or,  ni  mines  d'argent,  écrivait 
c  Cicéron  à  Trébatius  (2);  s'il  en  est  ainsi,  prenez  un  de  ses 
chariots,  et  revenez  bien  vite.  »  Voilà  pourquoi  sans  doute  Sué- 
tone suppose  que  César  fut  attiré  dans  cette  ile  par  l'amour  des 
perles  précieuses.  Mais  revenons  à  ses  Commentaires. 

(4)  Ampère,  Hist,  rom.  à  Rme^  t.  IV,  p.  544. 
(2)  Gcéroo,  Ad  famiUanSy  tii,  7. 

8«  SÉRn.  —  TOME  ui,    U  5 


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66  MÉMOIRES. 

Si  nous  l'en  croyons,  il  est  le  meilleur  des  amis.  Qui  en 
doute  en  lisant  la  joie  que  lui  a  causée  la  délivrance  de  Procil- 
lus,  retenu  par  Arioviste  (1)?  Il  en  ressentit  autant  de  plaisir 
que  de  la  victoire  même  qu'il  venait  de  remporter.  Il  parle 
volontiers  de  sa  clémence  à  l'égard  des  vaincus  (2).  Enfin  il 
proteste  avec  une  singulière  audace  de  son  respect  pour  les  lois 
de  sa  patrie  :  ses  adversaires  seuls  les  ont  enfreintes.  S'il  est 
sorti  parfois  de  la  légalité,  c'a  toujours  été  pour  rentrer  dans 
le  droit. 

Quant  à  ses  adversaires,  il  saura,  toutes  les  fois  qu'il  con- 
viendra à  ses  intérêts,  les  présenter  sous  un  jour  odieux  ou 
ridicule.  Voici,  par  exemple,  le  portrait  qu'il  trace  de  Métellus 
Scipion,  beau-père  de  Pompée  et  l'un  des  principaux  chefs  du 
parti  républicain,  sans  avoir  l'air,  bien  entendu,  de  vouloir 
tracer  un  portrait;  car  dans  César  tout  est  récit.  C'est  au  lec- 
teur de  se  faire  une  idée  des  hommes,  d'après  les  actions  vraies 
ou  fausses  que  l'écrivain  leur  attribue. 

«  A  cette  époque,  dit-il  avec  sa  simplicité  pleine  d'artifices, 
Scipion,  pour  prix  de  quelques  échecs  essuyés  vers  le  mont 
Amanus,  s'était  adjugé  le  titre  à'imperator.  Après  cela,  il 
tira  de  grandes  sommes  des  villes  et  des  tyrans  de  ces  con- 
trées; il  exigea  des  receveurs  publics  le  paiement  de  deux 
années  qui  étaient  échues,  les  obligea  à  lui  avancer  le  revenu 
de  l'année  suivante,  par  forme  d'emprunt  et  leva  de  la  cava- 
lerie dans  toute  la  province.  Lorsqu'elle  fut  rassemblée,  lais- 
sant derrière  lui  les  Parthes,  ses  plus  proches  ennemis,  qui 
venaient  de  tuer  le  général  M.  Crassus  et  d'assiéger  Bibulus, 
il  quitta  la  Syrie  avec  sa  cavalerie  et  ses  légions,  et  il  entra 
dans  la  province  où  l'on  redoutait  une  irruption  des  Parthes. 
Comme  les  soldats  disaient  hautement  qu'ils  marcheraient 
contre  l'ennemi,  si  on  les  y  menait,  mais  qu'ils  ne  porteraient 
pas  les  armes  contre  un  citoyen  et  contre  un  consul;  pour 
s'attacher  les  troupes,  il  les  mit  en  quartier  d'hiver  à  Per- 


(1)  Guerre  des  Gaules ^  liv.  I,  chap.  lui. 

(2)  Guerre  des  Gaules,  liv.  II,  ch.  xxtii  à  Tégard  des  Nerviens  ;  ch.  xxxii  à  Tégard  des 
▲tuatiques,  etc.,  et  surtout  les  trois  livres  de  la  guerre  civile. 


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LES  PBÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  k  ROME.         67 

game  et  dans  les  villes  les  plus  riches,  leur  fit  de  grandes 
largesses  et  leur  accorda  le  pillage  de  plusieurs  cités.    > 
t  Cependant  les  sommes  auxquelles  il  avait  imposé  la  pro- 
vince étaient  partout  levées  avec  la  dernière  rigueur;  il  ima- 
ginait toutes  sortes  de  moyens  pour  assouvir  son  avarice.  Un 
jour,  il  mettait  une  taxe  sur  les  esclaves  et  sur  les  hommes 
libres;   le  lendemain^  il  commandait  qu'on  lui  fournit  du 
blé,  des  soldats,  des  rameurs,  des  armes,  des  machines,  des 
chariots;  enfin  tout  ce  qui  avait  un  nom  lui  servait  de  pré- 
texte pour  arracher  de  l'argent.  Il  établit  des  gouverneurs 
non-seulement  dans  les  villes  mais  dans  presque  tous  les  vil- 
lages et  les  châteaux;  et  le  plus  inhumain,  le  plus  cruel 
d'entre  eux  passait  pour  l'homme  le  plus  digne  et  le  meil- 
leur citoyen.  La  province  était  remplie  de  licteurs,  d'agents, 
d'exacleurs  de  toute  espèce  qui,  outre  les  sommes  imposées, 
en  exigeaient  encore  d'autres  pour  leur  propre  compte.  Ils 
disaient  que,  chassés  de  leurs  maisons  et  de  leur  patrie,  ils 
étaient  dénués  de  tout  et  couvraient  ainsi  d'un  prétexte  hon- 
nête l'infamie  de  leur  conduite  (I).  » 
Rien  n'est  plus  grotesque  que  le  prétendu  conseil  tenu  dans 
e  camp  de  Pompée  avant  la  bataille  de  Pharsale.  Pompée  an- 
nonce aux  généraux  de  l'armée  républicaine  qu'il  a  trouvé  un 
moyen  infaillible  de  vaincre  l'ennemi,  avant  qu'on  en  vienne 
aux  mains.  On  s'étonne  à  bon  droit.  Il  expose  sérieusement 
comment  sa  cavalerie  s'est  engagée  à  prendre  en  flanc  l'aile 
droite  de  César,  comment  l'infanterie,  de  son  côté,  l'envelop- 
pera par  derrière  et  comment,  grâce  à  ce  double  mouvement, 
les  césariens  n'auront  plus  qu'à  jeter  les  armes  bas  et  qu'à 
crier  merci,  s'ils  ne  veulent  tous  périr.  Labiénus,  qui  prend 
ensuite  la  parole,  affirme  que  l'armée  de  César  n'est  qu'une 
armée  d'invalides  ou  de  recrues,  pour  qui  la  guerre  est  une 
chose  toute  nouvelle.  Il  jure  de  ne  rentrer  dans  le  camp  que 
vainqueur.  Pompée  le  jure;  tous  les  officiers,  tous  les  sénateurs 
le  jurent.  On  ne  doute  plus  du  triomphe;  et  la  seule  préoccu- 
pation est  de  savoir  à  qui  appartiendront  les  dépouilles  de  l'en- 

(4)  Guerre  civile,  liv.  III,  cb.  xxzi  et  xxzii. 


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68  MÉMOIRES. 

nemi.  Ce  récit  est  en  coniradiciion  avec  tout  ce  que  les  autres 
historiens  nous  racontent  du  vaincu  de  Pharsale,  qui  ne  livra  la 
bataille  que  malgré  lui  et  n'ayant  presque  aucune  confiance 
dans  le  succès.  €  Pompée,  dit  Appien,  voyant  que  les  autres 
«  chefs  de  son  armée  en  venaient  à  des  contestations  pour 
«  savoir  qui  succéderait  à  César  dans  ses  diverses  dignités,  jelu 
<  des  yeux  indignés  sur  les  auteurs  de  ces  disputes,  en  homme 
c  qui  connaissait  les  vicissitudes  de  la  guerre,  et  se  couvrit  le 
«  visage.  D'ailleurs,  il  garda  un  profond  silence,  partagé  entre 
(  la  répugnance  et  la  crainte,  ne  se  regardant  plus  comme 
«  chef,  mais  comme  subordonné  et  obligé  de  tout  faire  contre 
c  son  opinion.  Tant  cet  homme  qui  avait  fait  de  si  grandes 
«  choses  et  qui  jusqu'alors  avait  été  si  universellement  heu- 
€  reux,  était  tombé  dans  le  découragement  (1)1  »  Toute  sa  con- 
duite atteste  qu'il  céda  malgré  lui  à  un  avis  dont  il  reconnais- 
sait l'imprudence.  Il  s'attendait  d'avance  à  la  défaite;  mais  il 
inclinait  sa  volonté  devant  celle  des  hommes  qui,  pour  lui,  re- 
présentaient la  majesté  du  Sénat  et  du  peuple  romain.  César, 
en  le  calomniant,  préludait  aux  outrages  qu'il  lança  plus  tard 
contre  la  mémoire  de  Caton,  dont  il  affectait  pourtant  de  re- 
gretter la  mort  (2). 

Quant  à  ces  exactions  qu'il  reprochait  tout  à  l'heure  à  Métel- 
lus  Scipion,  était-il  en  droit  d'en  faire  un  crime  à  ses  adversai- 
res, lui  dont  la  rapacité  avait  livré  au  pillage,  en  Espagne  et  en 
Gaule,  les  habitations  des  hommes  et  les  temples  des  dieux  (3)? 
Écoutons-le  encore  une  fois  opposer  ses  scrupules  et  sa  délica- 
tesse au  mépris  de  ses  ennemis  pour  tout  ce  qu'un  honnête 
homme,  un  bon  citoyen  doit  respecter.  Les  décemvirs  de  Corfi- 
nium  viennent  lui  présenter  six  millions  de  sesterces,  que  Domi- 
tius  avait  déposés  dans  leur  trésor  ;  il  les  rend  à  Domitius,  ne 
voulant  point  qu'on  puisse  penser  de  lui  qu'il  a  moins  de  res- 

(1)  Appien,  Guerres  cimles,  liv.  ii,  ch.  lux. 

{%)  M.  Duruy  (Différend  de  César  et  du  Sénai,  Académie  des  sciences  morales,  ayril  4880, 
p.  493)  dit  que  la  clémence  était  si  naturelle  à  César  qu'on  la  retroufe  même  dans  ses 
écrits,  où  il  n'y  q  pas  un  mot  de  blessant  pour  ses  adversaires.  U  agit  plus  adroitement 
et  d'une  manière  plus  perfide.  Il  leur  suppose  de^  actions  ridicules  ou  odieuses. 

(3)  Suétone,  Vie  de  César ^  ch.  ut. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         69 

pect  pour  l'argent  de  ses  œncitoyens  que  pour  leur  vie.  Et 
cependant,  dit-il,  il  était  certain  que  cette  somme  provenait  du 
trésor  public  et  qu'elle  avait  été  donnée  par  Pompée  pour  la 
solde  des  troupes  (4).  Voilà  un  coup  de  massue  lancé  contre 
Domitius  et  Pompée.  Mais  comment  osait-il  les  accuser,  lui  qui, 
malgré  Topposition  d'un  tribun  qu'il  menaça  do  tuer,  fit  main 
basse  sur  le  trésor  déposé  dans  le  temple  de  Saturne,  après  en 
avoir  fait  briser  la  serrure  à  coups  de  hache  (2)  I  II  est  vrai 
que  ce  fait,  mentionné  par  Appien,  par  Dion  Cassius,  par  PIu- 
tarque,  par  Lucain,  ne  figure  pas  dans  ses  Commentaires.  Il  le 
passe  sous  silence.  Il  fait  plus,  et  c'est  ici  que  nous  pouvons 
particulièrement  le  prendre  en  flagrant  délit  de  mensonge.  [1 
aflirme,  dons  une  intention  qui  n'échappera  à  personne,  que  le 
consul  Lentulus,  venu  à  Rome  pour  s'emparer  du  trésor,  l'avait 
laissé  o\4vert,  en  s'enfuyant,  sur  la  nouvelle  apportée  par  une 
fausse  rumeur  que  l'ennemi  approchait  (3).  D'autres  avaient 
donc  violé  pour  lui  la  loi  de  l'État  qu'ils  avaient  voulu  violer 
contre  lui.  Ils  avaient  transgressé  les  règlements  relatifs  à  Vœ- 
rarium  pour  faire  servir  ces  richesses  qui  s'y  trouvaient  à 
l'exécution  de  leurs  projets  hostiles,  et,  par  un  juste  retour  des 
choses  d'ici-bas,  par  un  effet  de  l'indignation  des  dieux  peut- 
être,  ces  richesses  avaient  servi  à  César  à  les  combattre  eux- 
mêmes. 

Par  un  effet  de  lUndignation  des  dieux!  Mais  le  grand  pontife 
César,  dira-t-on,  ne  croyait  ni  aux  divinités  de  l'Olympe,  ni  à 
l'existence  d'aucune  divinité.  Tel  était  probablement  le  fond  de 
son  opinion.  Mais  ce  n'est  pas  dans  les  Commentaires  qu'il  faut 
chercher  les  opinions  véritables  de  César.  Cet  écrit,  je  le  ré- 
pète, est  entre  ses  main?  une  arme.  C'est  pour  lui  un  moyen 
d'augmenter  le  prestige  dont  il  est  environné.  Les  dieux  y  tien- 
dront leur  place,  pourvu  qu'ils  viennent  témoigner  par  des 
miracles  qu'ils  trouvent  la  cause  de  César  la  plus  juste.  Ils 
assistent  à  la  journée  de  Pharsale,  et  ils  annoncent  aux  peuples 

(4)  Guerre  civik^  Ht.  I,  ch.  xxiii. 

(î)  Dion  Cassius,  liv.  XLI,  ch.  xvii.  —  Appien,  Guerres  dviUtt  Vu.  If,  ch.  xu. 
—  Plutarque,  Vie  de  César.  —  Lucain,  Pharsale,  liv.  III. 
(3)  Guerre  cit}Ue,  Ht.  I,  ch.  xiv. 


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4 


70  MÉMOIRES. 

la  victoire  du  descendant  de  Vénus.  N'en  serez-vous  pas  con- 
vaincu après  avoir  lu  ce  qui  suit?  t  II  était  prouvé  par  les  cal- 
u  culs  les  plus  exacts  (1)  que  dans  le  temple  de  Minerve,  en 
«  Élide,  le  jour  méroe  où  César  avait  été  vainqueur,  la  statue 
t  de  la  Victoire,  qui  était  placée  vis-à-vis  de  celle  de  Minerve, 
«  s'était  tournée  vers  les  portes  du  temple.  Le  même  jour,  à 
<  Antioche,  en  Syrie,  on  avait  entendu  par  deux  fois  de  si 
t  grands  cris  de  combattants  et  de  tels  bruits  de  trompettes 
€  que  toute  la  ville  s'était  armée  et  avait  couru  sur  le  rempart. 
«  La  même  chose  arriva  à  Ptolémaïs.  Â  Pergame,  dans  le  sanc- 
c  tuaire  du  temple  où  les  prêtres  seuls  peuvent  entrer  et  que 
c  les  Grecs  nomment  Adyta^  les  tambours  sacrés  retentirent 
€  d'eux-mêmes.  A  Tralles,  dans  le  temple  de  la  Victoire,  où 
c  Ton  avait  consacré  une  statue  de  César,  on  montrait  un  pal- 
c  mier  qui,  sortant  ce  jour-là  à  travers  le  pavé  du  ^mple, 
f  s'était  élevé  jusqu'à  la  voûte.  » 

Conclusion.  La  victoire  de  César  a  plu  aux  dieux.  Victrix 
causa  Diisplacuit.  Mais  cette  conclusion-la.  César  la  sous-entend 
à  son  ordinaire. 

Nous  exprimerons  par  une  comparaison  la  nôtre  sur  les  Com- 
mentaires de  ce  grand  et  singulier  génie.  Au  siège  d'Alésia, 
César  garnit  le  devant  de  son  camp  de  pièges  recouverts  d'un 
verdoyant  gazon,  de  ronces  et  de  broussailles.  L'œil  lo  plus 
exercé  n'eût  pu  les  deviner;  mais  quiconque  y  mettait  le  pied 
tombait  et  trouvait  la  mort.  Le  spectacle  ordinaire  de  la  nature 
cachait  de  nombreux  instruments  de  destruction.  Dans  les  Com- 
mentaires, le  naturel  du  style,  la  justesse  d'une  foule  d'obser- 
vations, la  description  parfaite  des  lieux,  tous  les  dehors  de  la 
vérité  cachent  une  œuvre  de  œmbat,  d*artifice  et  de  mensonge. 


(4)  Consfahai  Élide  in  templo  Minervœ  rcpetitU  atque  enumerùtù  diebus,  etc.,  Guerr 
civile j  lÏY.  m,  cb.  ct. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LÀ  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         71 


II 


Les  lettres  de  Cicéron  sont  la  seconde  source  où  Ton  puise 
d'ordinaire,  quand  on  fait  Thistoire  des  préliminaires  de 
la  seconde  guerre  civile  et  jjie  cette  guerre  elle-même.  Rien 
n*est,  à  coup  sûr,  plus  intéressant.  Cicéron  nous  y  apparaît 
avec  un  caractère  bien  différent  de  celui  qu'il  a  comme  ora- 
teur. Montesquieu  y  trouve  de  la  naïveté.  Il  les  compare  à  nos 
lettres  modernes,  où  la.  fausse  politesse  mêle  partout  le  men- 
songe et  où  les  correspondants  cherchent  mutuellement  à  se 
tromper.  Cicéron  et  ses  amis  s'y  disent  tout  sans  dissimulation, 
ni  réticence  (1).  On  ne  peut  suspecter,  en  effet,  la  sincérité  de 
l'auteur  de  ces  charmants  morceaux  épistolaires,  et  la  défiance 
qu'ils  nous  inspirent  n'a  pas  la  même  cause  que  les  soupçons 
que  nous  font  éprouver  les  Commentaires  de  César.  Elle  n'est 
guère  moindre  pourtant.  Cicéron,  nerveux,  caustique,  irritable, 
se  laissant  volontiers  aller  à  ses  impressions,  quelles  qu'elles 
soient,  voit  le  plus  souvent  les  faits  tout  autrement  qu'ils  ne 
sont;  à  plus  forte  raison,  juge-t-il  mal  les  hommes.  Or,  parmi 
ceux  qui  ont  eu  le  privilège  de  remuer  sa  bile,  Pompée  tient, 
je  crois,  le  premier  rang. 

Il  y  a  eu  de  cela  plusieurs  motifs.  Quand  l'antipathie  naît 
entre  époux,  entre  frères,  entre  concitoyens,  elle  est  plus  vive 
qu'entre  étrangers,  entre  personnes  dont  les  relations  naturel- 
les sont  moins  fréquentes.  Pompée  et  Cicéron  appartinrent 
presque  toujours  au  même  parti,  et  Cicéron,  qui  mit  d'abord 
son  éloquence  au  service  de  la  fortune  militaire  de  Pompée, 
s'était  flatté  alors,  à  ce  qu'il  semble,  que  le  grand  général  se- 
rait simplement  le  bras  de  Rome,  tandis  que  lui-même  en  serait 
la  tête.  <  Cicéron  rêva  toute  sa  vie  le  premier  rang,  dit  M.  Du- 
«  bois-Guchan  avec  justesse  (2)  ;  il  le  voulut  d'abord  par  Pom- 
fl  pée,  en  subordonnant  Pompée  au  Sénat  qu'il  comptait  do- 

(1  )  Grandeur  et  décadence  des  R(mains;  ch.  xi. 
0)  Rom  el  Cicérony  p.  H9. 


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72  MÉMOIRES. 

«  miner;  c'est  dans  ce  but  qu'il  soignait  sa  popularité  sous 
«  toutes  les  formes;  c'est  pour  cela  qu'il  courtisait  tous  les 
«  partis.  »  L'illusion  fut  perdue  au  retour  de  l'expédition  de 
Pompée  contre  Milhrîdate,  et,  quoiqu'il  y  ail  eu  depuis  entre  eux 
(ies  réconciliations,  il  demeura  dans  le  cœur  de  Cicéron  un  res- 
souvenir amer  qui,  refoulé  parfois,  éclatait  à  la  première  occa- 
sion. —  Il  y  avait  aussi  quelque  chose  dans  le  caractère  de 
Pompée  qui  devait  choquer  particulièrement  Cicéron,  si  sensible 
à  toute  espèce  de  louange.  Pompée  était  bienveillant  pour  ses 
amis,  et  même  bienveillant  jusqu'à  la  'faiblesse;  Plutarque  le 
montre;  plus  d'un  fait  le  prouve  (1).  Mais  il  ne  les  flattait  pas 
comme  César,  si  habile  à  exploiter  la  vanité  ainsi  que  l'intérêt  et  la 
crainte  pour  agir  sur  les  hommes.  Il  ne  savait  pas  s'humilier  en 
paroles,  ramper  même  au  besoin  pour  monter.  Quand,  dans  les 
jours  les  moins  honorables  de  sa  carrière  politique,  il  courtisa 
la  faveur  populaire,  il  le  fit  gauchement,  d'une  manière  mala- 
droite, avec  une  inexpérience  évidente.  Le  savoir-faire  de  son 
grand  rival  lui  était  étranger.  Celui-ci  sut  user  de  ses  sacrifices 
tantôt  pour  gagner,  tantôt  pour  effrayer  le  prince  des  orateurs 
romains.  Il  caressa  sa  vanité,  et  sut  le  séduire  à  l'époque  môme 
où  la  conscience  de  Cicéron  lui  commandait  impérieusement  de 
le  regarder  comme  un  ennemi  public.  Ce  n'est  que  plus  tard, 
et  quand  cet  ennemi  de  la  liberté  romaine  ne  fut  plus,  qu'il 
échappa  à  celte  espèce  de  fascination.  Alors  il  passa  d'un  ex- 
trême à  l'autre,  et  il  ne  garda  dans  ses  invectives  aucune  me- 
sure. Mais  les  outrages  qu'il  prodigua  à  la  mémoire  de  César 
ont  clé  loin  de  nuire  à  celle-ci.  Ils  ont  seulement  rabaissé  celui 
qui  n'avait  pas  reculé  devant  de  telles  manifestations  de  haine, 
après  avoir  usé  d'un  tout  autre  langage.  Au  contraire,  ses  vives 
et  amusantes  sorties,  ses  épigrammes  contre  Pompée  continuent 
à  porter  coup.  On  suppose  que  la  vérité  lésa  dictées,  parce  que 
Cicéron  les  multipliait  à  l'époque  même  où  ses  relations  avec 
le  vainqueur  de  Mithridate  semblaient  le  plus  [intimes  et  où  ils 
étaient  les  champions  d'une  même  cause. 

[^  vanité  blessée  les  a  souvent  dictées.  Il  y  a  eu  aussi   un 

(1)  S'il  laissa  César  dtvenir  redoutable;  celle  faiblesse  en  fut  eo  partie  la  cauie. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         73 

moment  (et  c'est  celui  dont  nous  nous  occuperons  principale- 
ment dans  ce  travail)  où  ils  ont  été  pour  Cicéron  un  moyen  de 
pallier,  aux  yeux  de  ses  correspondants,  et  peut-être  h  ses 
propres  yeux  ses  torts  envers  le  parti  qui  avait  confié  à  Pom- 
pée la  direction  de  sa  défense.  Interrompu  par  les  approches 
de  la  guerre  civile  dans  son  rêve  do  triomphe,  il  eût  voulu  la 
paix  à  tout  prix,  alors  qu'elle  eût  été  la  victoire  nécessaire  de 
César,  et  il  s'étonnait  que  Pompée  ne  la  jugeât  plus  possible, 
après  avoir  conservé  si  longtemps  l'espoir  de  la  maintenir.  Puis, 
il  s'indigna  que  ce  même  Pompée,  peu  confiant  dans  les  forces 
qu'il  avait  réunies  à  la  hâte  pour  parer  aux  premiers  dangers, 
laissât  l'Italie  à  César,  en  traversant  la  mer.  Son  devoir  de  con- 
sulaire eût  été  de  la  traverser  avec  lui.  Cicéron  aima  mieux  ac- 
cuser Pompée  tantôt  de  faiblesse  et  de  lâcheté,  tantôt  de  calculs 
ambitieux  et  porvers.  Aujourd'hui,  il  le  proclamait  le  dernier 
des  hommes  d'État  («TroXtTtxwraTov)  et  le  dernier  des  hommes  de 
guerre  (««TTpanf37txwTaTov).  Le  lendemain,  c'était  un  autre  Sylla, 
méditant  des  desseins  profonds,  et  préparant  une  affreuse  vic- 
toire que  nombre  de  proscriptions  devaient  suivre. 

Ces  appréciations  contraires  se  neutralisent  aux  yeux  d'u» 
juge  impartial.  La  plupart  des  historiens  modernes  n'ont  pas 
été  de  cet  avis.  Ceux-là  sont  les  plus  modérés  qui  n'en  ont  ad- 
mis qu'une  seule.  Mais  le  nombre  en  est  petit. 

Il  y  a  pourtant  bien  des  passages  des  mêmes  lettres  de  Cicé- 
ron qui  pourraient  servir  de  correctifs.  On  les  néglige  ou  on  en 
fausse  le  sens.  M.  Dubois-Guchan  en  cite  quelques-uns;  mais 
c'est  pour  accuser  Cicéron  de  versatilité,  nullement  pour  invi- 
ter le  lecteur  à  concevoir  des  doutes  sur  les  fautes  et  le  manque 
absolu  de  valeur  du  rival  de  César  (1).  Bornons-nous  à  celles 
de  ses  lettres  qui  se  rattachent  aux  préliminaires  et  au  début 
de  la  guerre  civile;  c'est  là  peut-être  que  la  mauvaise  humeur 
de  Cicéron  contre  Pompée  s'exhale  le  plus  en  traits  mordants  et 
en  jugements  pleins  de  sévérité  sur  ses  actes  et  sur  ses  intentions. 

(1)  Disons  cependant  qu'il  ne  conteste  pas  la  capacité  militaire  montrée  par  Pompée 
dans  la  seconde  gaerre  civile.  C'est,  je  crois,  le  seul  des  historiens  de  notre  temps  qni 
ait  soutenu  cette  thèse,  dont  je  me  ferai  le  champion  dans  un  autre  travail  avec  preuves 
à  l'appai. 


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74  MÉMOIRES. 

Mais  alors  même,  par  instants,  plus  maître  de  lui,  il  avouait 
avec  franchise  à  Atticus,  pour  lequel  il  n'avait  rien  de  caché, 
que  toutes  ces  boutades,  toutes  ces  récriminations  n'avaient 
pour  but  que  d'apaiser  le  cri  de  sa  conscience.  Après  avoir 
accusé  vivement  Pompée  et  conclu  que,  pour  son  compte,  il 
serait  bien  fou  de  s'attacher  à  un  pareil  allié,  il  s'interrompt 
tout  à  coup  :  '<  Ne  croyez  pas  au  moins,  dit-il,  que  j'aie  plus 

<  d'inclination  à  demeurer  ici,  parce  que  j'ai  donné  plus  de 
•  raisons  ;  il  peut  en  être  de  cela  comme  de  beaucoup  d'autres 
c  choses  où  l'idée  la  plus  débattue  en  paroles  n'est  pas  celle 
«  que  l'on  croit  la  meilleure  (1).  »  Ailleurs,  quand  il  a  laissé 
sa  colère  contre  le  généralissime  des  troupes  républicaines  faire 
explosion  à  sou  aise,  il  vire  de  bord  et  s'écrie  :  «  Je  commence 

<  à  voir  un  peu  tard ,  mais  je  vois  clairement  que  Balbus  (un 
«  affidé  de  César)  m'a  pris  pour  dupe  et  que  l'on  tend  aujour- 

<  d'hui,  que  l'on  a  toujours  visé,  dès  le  principe,  à  la  ruine  de 
«  Pompée...  A  celte  heure,  il  s'agit  non-seulement  d'un  compa- 
c  gnon ,  mais  d'un  bienfaiteur,  ajoutez  d'un  grand  homme  et 

<  d'une  belle  cause  (3).  »  Et  quant  à  ces  proscriptions  dont  il 
lui  imputait  le  dessein,  mieux  instruit  plus  tard,  ayant  vu  de 
ses  propres  yeux  ce  qui  se  passait  dans  l8  camp  de  Pompée,  il 
rétracte  de  lui-môme  tout  ce  qu'il  en  avait  dit.  Le  parti  de 
Pompée  était  rempli,  il  est  vrai,  de  gens  qui  rêvaient  d'atroces 
vengeances  et  des  mesures  à  la  Sylla.  Mais  le  général  en  chef 
et  quelques  autres  des  ennemis  de  César  faisaient  une  honorable 
exception  dans  cette  réunion  de  furieux.  Voilà  ce  qu'il  nous 
apprend  dans  une  lettre  à  M.  Marins,  alors  que  Pompée  n'était 
plus  :  c  Je  ne  tardai  pas  à  me  repentir  d'avoir  passé  dans  le 

<  camp  de  Pompée,  dit-il,  non  pour  mes  dangers  personnels; 
a  mais  j'avais  été  chercher  un  déplorable  spectacle  ;  des  trou- 

<  pes  peu  nombreuses  et  mal  aguerries,  des  hommes,  je  parle 
c  des  principaux  personnages  {de  principibtAS  bquor)  qui,  àTex- 
€  ception  du  chef  et  d'un  petit  nombre  (extra  ducem  paucosque 
€  prœterea).  ne  respiraient  que  le  pillage;  des  discours  à  faire  fré- 


(1)  A  AUicus,  Tiii,  3. 

(2)  A  AUicus,  IX,  5. 


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LES  PRÉLJIIINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         75 

€  mir,  etc.,  etc.  (1).  Il  n'y  avait  rien  de  bon,  rien  absolu- 
c  ment,  si  ce  n'est  la  cause  que  Ton  servait.  »  Dans  un  dernier 
passage,  après  avoir  maudit  les  Pompéiens,  dont  il  s'est  séparé 
d'une  manière  peu  honorable  pour  lui,  il  fait  de  Pompée  l'orai- 
son funèbre  suivante  :  c  Pompée  a  fini  comme  je  le  prévoyais... 

<  Rois  et  peuples  désespéraient  tellement  de  ses  affaires  qu'en 

<  quelque  lieu  qu'il  abordât  son  sort  était  inévitable;  je  ne 
«  puis  m'empècher  pourtant  de  déplorer  ce  triste  événement  : 
«  c^était  un  homme  de  bien,  d'honneur  et  d'un  mérite  solide. 
«  Hominem  enim  integrum  et  castum  et  gravem  œgnovi  (2).  • 
M.  Dubois-Guchan  trouve  l'éloge  assez  mince  (3).  Je  ne  puis 
partager  son  avis,  et  les  Romains  ne  l'eussent  pas  partagé 
davantage,  eux  pour  lesquels  l'épilhète  de  /ru^i  était  ce  qu'était 
la  qualification  de  prud'homme  au  rapport  de  Joinville  (4). 


III 


Nous  commencerons  notre  récit  au  troisième  consulat  de 
Pompée.  C'est  alors  que  furent  jetées  les  semences  de  la  guerre 
civile.  Dans  les  années  qui  avaient  précédé ,  depuis  le  départ 
de  César  pour  la  Gaule,  Rome  avait  été  dans  un  état  d'anarchie 
difficile  à  décrire.  César,  quoiqu'alors  occupé  à  conquérir  les 
Gaules,  n'y  était  point  étranger,  et  l'on  reproche  à  Pompée, 
non  sans  vraisemblance,  d'avoir  trop  souvent  enhardi  les  fauteurs 
de  désordres  par  une  attitude  au  moins  indifférente.  Il  est  vrai 
que  sa  manière  d'agir  s'explique  par  la  conduite  singulière  que 
tenait  à  son  égard  l'aristocratie^  qui  prétendait  être  le  parti  de 
Tordre  et  qui  contribuait  pour  une  large  part  à  rendre  l'ordre 
impossible. 

Cette  aristocratie  n'avait  jamais  aimé  Pompée,  et  elle  ne  ces- 

(1)  Ad  {amiiiant,  vu,  3.  Ad  de  Rome  708  ;  juillet. 
(t)  A  AUicus,  XI,  6. 

(3)  Rome  ei  Cicénm^  p.  4  90. 

(4)  «  Preudomme,  dit  Taimable  historien,  est  si  très-grand  chose  et  si  bonne,  que  ce 
mot,  Pieadomme,  à  nommer  emplist  la  bouche.  »  (Histoire  de  saint  LouiSj  V^  partie.) 


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76  MÉMOIRES. 

sait  pas  de  lui  donner  des  preuves  de  ses  dispositions  malveil- 
lantes. Mais,  d'un  autre  côté,  elle  comprenait  que  son  assistance 
lui  serait  nécessaire  si  quelque  grave  circonstance  se  présentait, 
et  elle  le  retenait  à  Rome  comme  le  seul  homme  auquel  elle  pût 
avoir  recours  en  pareil  cas.  Tous  les  procédés  des  nobles  envers 
lui,  depuis  son  retour  de  la  guerre  contre  Hithridate,  indi- 
quent deux  sentiments  contradictoires  :  une  animosité  qui  ne 
cherche  point  à  se  dissimuler  et  une  sorte  de  confiance  dans  sa 
loyauté,  dans  sa  modération,  dans  son  amour  pour  le  bien  pu- 
blic. On  le  provoque,  puis  on  l'invoque;  on  le  repousse  comme 
un  homme  dont  on  ne  saurait  trop  se  garder,  et  ou  l'appelle 
comme  le  sauveur  indispensable.  Il  se  prête  à  ce  double  rôle, 
souffre  avec  patience  les  injures  de  ses  adversaires  politiques  et 
concourt  avec  eux  à  apaiser  les  troubles  quand  il  en  est  requis. 
Mais,  à  peine  y  a-t-il  mis  fin,  l'aristocratie  lui  redevient  hostile. 
Elle  l'attaque  avec  violence  et  n'omet  rien  pour  le  piquer  au 
vif.  En  même  temps,  elle  soulève  contre  elle  les  passions  de  la 
plèbe.  Alors,  abandonnée  à  elle-même,  elle  est  obligée  de  nou- 
veau de  reconnaître  sa  propre  impuissance,  et  elle  confie  l'épée 
à  celui  qui  seul  alors  pouvait  et  voulait  s'en  servir  pour  rame- 
ner le  calme.  Mais  quand  elle  retourne  forcément  à  lui,  elle 
l'accuse  encore,  et  elle  le  prétend  l'auteur  des  blessures  qu'elle 
le  prie  de  guérir,  se  donnant  à  elle-même  un  prétexte  pour  être 
plus  tard  ingrate  envers  lui  (4).  Pourtant,  après  la  mort  de 
Clodius  et  les  épouvantables  scènes  qui  la  suivirent,  il  lui  fallut 
faire  vers  lui  un  pas  décisif.  De  l'aveu  de  Gaton,  Pompée,  ab- 
sent, fut  nommé  seul  consul ,  au  mépris  de  la  loi  qui  statuait 
qu'il  s'écoulerait  toujours  un  intervalle  de  dix  ans  entre  deux 
consulats  d'un  même  personnage.  Il  se  trouva  ainsi  investi, 
sous  un  autre  nom,  d'une  espèce  de  dictature  et  chargé  de 

(1)  Inutile  de  dire  que  beaucoup  d'historiens  modernes  se  sont  faits  en  cela  les  com- 
plices de  cette  aristocratie  qu'ils  détestent,  u  Pompée,  dit  par  eierople  M.  Duruy  (Diffé- 
rmd  de  César  et  du  Sénat:  avril  1880,  Académie  des  sciences  morales)*,  se  défendait  da 
vouloir  la  dictature,  tout  en  encourageant  secrètement  les  désordres  qui  la  rendaient  né- 
cessaire. Du  moins,  parmi  les  conservateurs,  beaucoup  croyaient  voir  sa  main  dans  les 
émeutes. . .  De  guerre  lasse,  les  grands  se  rapprochèrent  du  sphinx  dont  on  devinait  Iqs 
désirs,  mais  qui  continuait  à  les  cacher.  » 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         77 

prendre  les  mesures  nécessaires  pour  prévenir  le  retour  des 
excès  qui,  de  crise  en  crise,  avaient  menacé  de  conduire  la 
République  à  sa  ruine. 

Ûensemble  de  ces  mesures,  dont  plusieurs  devaient  servir  à 
César  de  motif  ou  de  prétexte  pour  prendre  les  armes  contre  sa 
patrie,  a  été  apprécié  d'une  manière  fort  diverse.  Tacite,  qui 
les  condamne,  leur  attribue  une  gravité  funeste;  il  y  voit  l'ori- 
gine de  rétablissement  du  régime  militaire  à  Rome,  c  Pompée, 

•  dans  son  troisième  consulat,  dit-il,  ayant  été  choisi  pour  cor- 
«  riger  les  mœurs,  imagina  des  remèdes  pires  que  les  délits 
«  eux-mêmes;  il  créa  des  lois,  et  lui-même  il  les  détruisit^  et  il 
€  se  vit  enlever  par  les  armes  d'autrui  ce  qu'il  avait  fondé  par 
«  les  armes  (1  ).>  L'un  des  meilleurs  historiens  modernes  de  l'Em- 
pire romain,  M.  Mérivale,  au  contraire,  qualifie  de  frivoles  les 
remèdes  appliqués  par  le  réformateur,  et  établit  à  ce  sujet  entre 
son  maître  Sylla  et  lui  un  parallèle  tout  à  l'avantage  du  pre- 
mier (2).  Pompée  ne  changea  rien  à  la  constitution  de  Rome,  et 
il  n'avait  pas  les  pouvoirs  nécessaires  pour  la  modifier.  Il  était 
chargé  seulement  de  ramener  la  tranquillité  dans  une  cité  trou- 
blée au  moyen  de  règlements  énergiques,  vigoureusement  exé- 
cutés. Remplit-il  ce  but?  Oui,  le  résultat  en  témoigne,  et 
M.  Uérivale  lui-même,  après  avoir  longuement  critiqué  ses 
actes,  convient  que  son  administration  produisit  des  effets  salu- 
taires (3).  César  l'atteste  dans  ses  Commentaires,  c  Lorsque  César, 
«  dit-il,  apprit  la  révolte  de  Vercingétorix,  il  savait  que,  grâce 

•  aux  talents  de  Pompée,  les  affaires  avaient  pris  une  meilleure 
t  attitude  à  Rome,  et  il  partit  pour  la  Gaule  transalpine  (4). 
Reste  à  savoir  si  cet  heureux  résultat  fut  trop  chèrement  obtenu, 
comme  le  prétend  Tacite.  L'examen  des  principaux  règlements 

(\)  Tum  Cn.  Pompetus,  ieHiiim  consuij  corrigendis  moribus  delectus  et  gravior  TeMê- 
diis  guàm  deHcta  emntj  suanmque  legum  audor  idem  ac  sv^mersor,  quœ  armis  tuebatur 
anm  amisiL  (Ann.,  m,  tS,) 

(%)  Histoire  de  VEmpire  wmain,  t.  Il,  p.  191  et  soir.,  de  la  trad.  française. 

(3)  Id.ibid.^,  196. 

(4)  Bis  rébus  in  Italùm  Cœsari  nuntiatis,,  quum  jam  iUe  urhanas  res  virtute  Pompeii 
eoimimodiorem  in  statum  pervenisse  inldUgeret,  in  Transalpinam  GaUùm  profectus  est, 
{Guerre  des  Gaules,  liy.  VI,  cb.  ti.) 


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78  MÉMOIBES. 

édictés  par  Pompée  pendant  son  consulat  nous  permettra  seul 
de  nous  prononcer  sur  ce  point. 

D'abord,  Pompée  défendit  aux  citoyens  de  porter  des  armes 
dans  les  murs  de  Rome.  En  cela  il  ne  faisait  que  rappeler  l'usage 
ancien.  Les  rixes  avaient  toujours  été  fréquentes  dans  le  forum. 
Au  temps  des  luttes  des  patriciens  et  des  plébéiens,  on  s'y  bat- 
tait à  coups  de  poing,  quelquefois  avec  des  bâtons  (témoin  l'ac- 
cusation dirigée  par  un  tribun  contre  Géson,  fils  de  Cincinnatus). 
Il  y  avait  contusions  et  blessures.  Mais  on  n'allait  point  jusqu'au 
meurtre.  Depuis,  la  place  publique  avait  été  envahie,  surtout  les 
jours  d'élection,  par  des  gladiateurs  armés;  alors  le  sang  avait 
commencé  à  couler  ;  les  choses  étaient  venues  à  un  tel  point  qu'il 
fallait  nécessairement  y  mettre  ordre.  La  population  romaine 
étant  désarmée,  quelques  soldats  suffisaient  pour  la  contenir. 
Mais  Pompée  ne  créa  point  de  corps  de  milice  permanent  à 
Rome.  L'établissement  des  prétoriens  ne  remonte  qu'à  Auguste. 

Les  principaux  règlements  du  consul  unique  furent  relatifs 
aux  tribunaux  :  à  l'occasion  du  procès  de  Milon,  le  pouvoir 
exécutif  s'arrogea  le  droit  de  faire  un  triage  parmi  les  citoyens 
susceptibles  de  remplir  les  fonctions  de  juges  :  changement 
grave,  bien  que  tempéré  par  le  droit  de  récusation  attribué 
aux  accusateurs  et  aux  accusés  dans  certaines  limites.  Peut- 
être  était-il  cependant  nécessaire.  Tant  d'hommes  nécessiteux 
et  corrompus  vendaient,  depuis  quelque  temps,  leurs  senten- 
ces aux  plus  offrants!  On  ne  peut  nier  que  la  justice  n'ait  été 
mieux  rendue  à  Rome  qu'auparavant,  sous  le  consulat  de  Pom- 
pée. Quand  Pompéius  Rufus  et  Munatius  Plancus,  ces  deux 
tribuns  turbulents  qui,  avec  Salluste,  avaient  provoqué  l'é- 
meute où  la  curie  fut  incendiée ,  furent  cités  pour  rendre 
compte  de  leur  conduite.  Pompée  eut  la  faiblesse  d'écrire 
aux  juges  en  faveur  du  second,  au  mépris  d'une  loi  qu'il 
avait  faite  lui-même.  Mais  les  juges  considérèrent  sa  recomman- 
dation comme  non-avenue.  Munatius  fut  justement  condamné. 
La  sévérité  prévalut  dans  les  jugements,  et  beaucoup  de  factieux 
durent  quitter  Rome,  sans  que  la  peine  capitale  paraisse  avoir 
été  décernée  contre  aucun;  car  les  lois  Porcia  et  Sempronia 
furent  religieusement  observées. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         79 

Une  certaine  police  militaire  fut  aussi  établie  dans  les  tri- 
bunaux, et  des  limites  de  temps  imposées  soit  à  la  défense,  soit 
à  l'accusation.  Deux  heures  durent  désormais  sufGre  à  Taccusa- 
teur  et  trois  au  défenseur.  L'auteur  du  De  catisis  corruptœ  eh- 
quentiœ,  que  Ton  croit  être  Tacite,  signale  ce  fait  comme  une 
des  causes  de  la  décadence  de  l'éloquence  à  Rome.  Cicéron, 
dans  son  Brutus  (<),  trouve  cette  restriction  convenable  et  né- 
cessaire. Il  est  certain  que  les  orateurs  du  barreau,  comme 
aussi  les  orateurs  politiques,  avaient  abusé  étrangement  du 
droit  de  parler  sans  rien  dire  qui  eût  trait  à  leur  cause.  C'était 
chez  eux  une  tactique  familière  de  fatiguer  les  juges,  en  sor- 
tant sans  cesse  de  leur  sujet.  Dans  une  ville  constamment  agitée, 
où  l'imprévu  jouait  un  si  grand  rôle,  on  avait  beaucoup  gagné 
quand  on  avait  fait  reculer  l'issue  d'un  procès,  ne  fût-ce  que 
de  vingt-quatre  heures.  Le  consul  défendit  également  de  pro- 
duire en  faveur  des  accusés  des  témoignages  et  des  recomman- 
dations d'hommes  puissants  destinés  à  influencer  les  juges,  sans 
éclairer  la  cause.  Malheureusement  il  viola  sa  propre  loi  d'abord 
pour  Munatius  Plancus  et  ensuite  pour  Métellus  Scipion.  Ce 
double  acte  de  défaillance  justifie  le  reproche  que  lui  fait  l'au- 
teur des  Annales  d'avoir  été  le  destructeur  de  ses  propres  lois! 

Il  est  remarquable  que,  dans  les  deux  règlements  que  nous 
venons  de  citer,  Pompée  ait  attaqué  deux  des  privilèges  les 
plus  chers  à  l'aristocratie;  car,  chez  un  peuple  de  plaideurs 
comme  le  peuple  romain,  l'aristocratie  était  une  aristocratie  d'a- 
vocats, tout  aussi  bien  que  d'hommes  politiques  et  de  généraux . 
Cicéron,  César,  Sulpicius,  s'étaient  d'abord  fait  connaître  en  plai- 
dant des  causes  ou  en  donnant  des  consultations.  Intervenir  dans 
les  procès  ^quelque  titre  que  ce  fût,  appelés  ou  gpn  appelés,  et 
y  parler  longuement  étaient  deux  des  privilèges  auxquels  ils 
attachaient  le  plus  d'importance.  En  prenant  ces  deux  mesures 
d'ordre  public  qui  nous  paraissent  fort  innocentes,  Pompée  les 
mécontenta  gravement. 

Il  se  fit  aussi  parmi  eux  beaucoup  d'ennemis  en  mettant  en 
vigueur  un  sénatus-consulte  sur  les  provinces  fait  récemment, 

(4)  Cicéron,  Brututy  94. 


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80  MÉMOIRES. 

mais  qui  était  resté  jusqu'alors  à  Tétat  de  simple  projet.  Ce 
sénatus-consultc  établissait  que  nul  ne  pourrait  recevoir  un 
gouvernement,  si  ce  n'est  cinq  ans  après  l'expiration  de  la  ma- 
gistrature qu'il  aurait  remplie  à  Rome.  La  mesure  était  sage. 
Depuis  longtemps,  en  effet,  on  ne  recherchait  plus  les  magis- 
tratures urbaines  que  parce  qu'elles  conduisaient  aux  fonctions 
proconsulaires.  Les  premières  appauvrissaient;  les  dernières, 
au  contraires,  étaient  la  source  d'un  accroissement  de  fortune 
énorme.  Le  plus  grand,  et  quelquefois  Tunique  souci  d'un 
consul  ou  d'un  préteur  était  de  se  faire  attribuer  au  sortir  de 
sa  charge  une  province  où  il  y  avait  beaucoup  à  gagner.  Il  flattait 
pour  cela  tantôt  le  Sénat  et  tantôt  le  peuple,  suivant  qu'il  es- 
pérait arriver  par  l'un  ou  par  l'autre;  et  les  intérêts  de  la  Ré- 
publique étaient  certainement  sacrifiés  au  désir  d'obtenir  une 
place  lucrative. 

Du  reste,  il  y  eut  encore  une  exception  fâcheuse  en  faveur 
de  l'auteur  de  la  loi.  Le  proconsulat  de  l'Espagne  lui  fut  con- 
tinué pour  cinq  ans  (1).  Une  loi  qui  obligeait  les  candidats  aux 
suffrages  du  peuple  à  se  montrer  dans  les  comices  où  ils  solli- 
citeraient leur  élection  fut  par  une  inconséquence  analogue, 
^déclarée  inapplicable  à  César.  On  lui  permit  de  briguer,  quoi- 
que absent,  la  principale  magistrature  (2). 

Mais  la  loi  principale,  la  loi  qui  fut  probablement  la  plus 
;  rosse  en  conséquences,  est  celle  qui  concernait  les  procès  de 
brigue  et  de  corruption.  Pompée  y  autorisait  la  recherche  des 
citoyens  qui  s'étaient  rendus  coupables  de  ces  délits,  en  pour- 
suivant les  magistratures,  depuis  son  premier  consulat  (3).  C'é- 
tait une  faute  véritable.  Il  ne  faut  pas  donner  d'effet  rétroactif 
aux  mesures  rigoureuses.  Il  en  découle  presque  toujours  des 

(1  ]  Suivant  M.  Guiraud  {Différend  entre  César  et  le  Sénat)  il  n'y  avait  pas  là  d'illégalité, 
Poiçpée  se  contentant  de  faire  prolonger  la  durée  d'une  magistrature  qu'il  avait  déjà. 
(Page  122,  note  r) 

(2)  Il  ne  pouvait,  du  reste,  user  de  ce  droit  qu'en  Tan  49  av.  J.>G.,  qui  était  la  der- 
nière année  du  temps  fixé  pour  l'exercice  de  son  proconsulat  ;  car  diverses  lois  romaines 
qu'on  avait,  il  est  vrai,  plusieurs  fois  violées,  exigeaient  un  intervalle  de  dix  ans  pour 
qu'un  Romain  pût  être  réélu  à  une  charge  qu'il  aurait  déjà  remplie. 

(3)  Appien,  Guerres  civiles j  II,  23. 


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LES  PRÉUMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  GIVILB  A  ROME.         81 

suites  fâcheuses.  Gaton  était  bien  inspiré  lorsque,  suivant  PIu- 
tarque,  il  le  représenta  à  Pompée,  c  II  n'est  pas  facile,  lui 
«  disait-il,  de  fixer  le  terme  où  s'arrêteraient  ces  recherches 
c  sur  lesanciennes  prévarications  ;  quant  à  établir  de  nouvelles 
c  amendes  contre  d'anciennes  fautes,  ce  serait  une  grave  ini- 
c  quité  de  punir  quelqu'un  en  vertu  d'une  loi  qu'il  n'a  ni  violée, 
c  ni  foulée  aux  pieds  (1).  >  Les  amis  de  César  virent  immédia- 
tement l'usage  qu'on  pourrait  faire  contre  lui  de  cette  mesure. 
Ils  s'en  plaignirent.  Pompée  répondit  qu'il  y  était  lui-même 
compris  pour  son  second  consulat,  ce  qui  était  vrai,  et  qu'il 
était  contraint  à  embrasser  une  aussi  longue  période  de  temps 
dans  sa  loi,  parce  que,  depuis,  la  désorganisation  n'avait  pas 
cessé  de  faire  des  progrès  et  qu'il  fallait  couper  le  mal  dans 
sa  racine. 

A  cette  loi  était  ajouté  un  article  amnistiant  le  condamné  qui 
dénoncerait  quelque  autre  coupable.  Mais  le  discours  de  Cicé- 
ron  pour  Cluentius  prouve  que  cette  disposition,  si  favorable 
aux  délateurs,  n'était  pas  une  innovation.  Memmius,  puni  d'un 
châtiment  qu'il  avait  bien  mérité,  voulut  s'en  affranchir  en 
traduisant  devant  les  tribunaux  Métellus  Scipion,  dont  Pompée 
avait  épousé  la  fille  Gornélie.  C'est  alors  que  celui-ci  intercéda 
pour  la  seconde  fois  pour  un  accusé.  Memmius  se  répandit  en 
doléances  sur  la  triste  situation  de  la  République,  et  se  désista 
de  sa  poursuite  (2).  A  l'occasion  d'un  procès  intenté  à  Scaurus, 
une  émeute  du  peuple  eut  lieu,  et  la  force  armée  dut  intervenir 
de  nouveau.  Quelques-uns  des  émeutiers  furent  tués  dans  la 
bagarre. 

Il  est  donc  véritable  que  la  réforme  de  Pompée  n'eut  pas  lieu 
sans  quelqu€»9  mesures  acerbes;  il  est  vrai  aussi  qu'il  eut  le 
tort  d'enfreindre  trois  fois  ses  propres  prescriptions,  rouvrant 
ainsi  la  porte  aux  délits  qu'il  avait  mission  d'empêcher  pour 
l'avenir.  C'est  par  là  qu'il  a  mérité  en  partie  les  qualifications 
sévères  de  Tacite.  Les  honnêtes  gens  de  Rome,  songeant,  eux,  à 
l'épouvantable  état  dans  lequel  était  la  République  au  moment 


(4)  Platarqae,  Coton  le  Jevmj  4S. 
(2)  Appieo,  Gmrres  cwUet,  II,  24. 

8«  SBBIB.   —  TOME  Ul,    1. 


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82  MÉMOIRES. 

OÙ  Taristocratie,  à  bout  de  ressources,  s'était  jetée  dans  ses  bras, 
regardèrent  comme  un  miracle  la  tranquillité  dont  ils  jouis- 
saient. Il  leur  sembla  qu'elle  avait  été  achetée  à  un  bien  faible 
prix.  Cicéron  qualifie  ce  consulat  de  divin  dans  une  lettre  où 
il  n'est  ni  flatteur,  ni  ironique  (1).  Si  une  espèce  de  régime 
militaire  naquit  alors  momentanément  de  la  force  des  choses, 
celui  qui  l'inaugura  n'en  usa  qu'avec  une  extrême  parcimonie. 
Le  peu  de  soldats  qui  furent  destinés  à  comprimer  l'esprit  de 
sédition  que  les  magistrats  eux-mêmes  avaient  excité  si  long- 
temps à  plaisir,  n'y  affectèrent  point  les  airs  insolents  de  vain- 
queurs commandant  à  des  vaincus.  Il  y  a  apparence  qu'ils  en 
furent  éloignés  presque  aussitôt  après  que  le  calme  eut  com- 
mencé à  régner,  et  que  le  parti  modéré  eut  repris  quelque  con- 
fiance en  lui-même.  On  ne  déposséda  point  de  citoyens  pour 
leur  donner  des  terres  ;  on  ne  les  distribua  point  en  colonies 
militaires,  et  peut-être  est-ce  là  ce  qui  acheva  de  tourner 
l'armée  du  côté  de  César.  En  ce  temps-^là  les  soldats  faisaient 
autant  de  cas  de  la  libéralité  de  leurs  généraux  que  de  leur 
valeur.  César  était  prodigue  pour  ses  légionnaires;  en  se  dé- 
vouant à  lui,  ils  avaient  à  attendre  de  magnifiques  récom- 
penses. Le  service  de  Pompée  ne  leur  offrait  pas  une  aussi 
belle  perspective.  Avec  lui,  ils  ne  pouvaient  guère  espérer 
qu'une  mince  rémunération.  Aussi  passèrent-ils  en  foule  à  son 
rival  quand  arriva  le  moment  décisif. 

Pompée  déposa  le  pouvoir  absolu  dès  qu'il  crut  le  pouvoir 
faire  sans  péril  pour  la  sûreté  publique.  Au  bout  de  quelques 
mois,  il  prit  pour  collègue  son  beau-père  Mé tell  us  Sci pion.  Puis 
il  pourvut  à  ce  que  les  élections  eussent  lieu  dans  les  formes 
habituelles.  Deux  sénateurs,  qui  s'étaient  signalés  par  leur 
éloquence  et  leur  connaissance  de  la  jurisprudence  romaine, 
H.  Marcellus  et  Sulpicius  Rufus  furent  choisis  (2).  Dion  Gassius 

(1 }  LeUres  à  AUicuSj  tu,  4 .  Go  sait  Thoininage  que  rend  à  Pompée  Pline  le  Jeune. 
M.  Duruy  aToae  que  le  calme  reyint.  «  Tant,  ajoute-t-il,  il  suffisait  d'un  homme  ayant 
la  Tolonté  de  maintenir  Tordre  pour  que  la  paix  régnât  dans  la  cité  !  »  Mais  il  ajoute 
aussitôt  que  Pompée,  capable  d'actes  énergiques,  était  incapable  de  les  soutenir  long- 
temps. (Différend  de  César  et  du  Sénat.  Acad.  des  sciences  morales,  arril  1 880.) 

(2)  Dion  Gassius,  xl,  68. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         83 

nous  dit  que  l'intrigue  et  la  violence  ne  furent  pour  rien  dans 
leur  élection.  Si  Caton  échoua,  c'est  qu'il  ne  voulut  faire  aucune 
des  démarches  que  la  coutume  imposait  aux  candidats.  On  dit 
qu'il  s'en  consola  et  se  mit  à  jouer  tranquillement  à  la  paume. 
Mais,  depuis,  il  ne  rechercha  plus  le  suffrage  des  comices.  Ce 
fut  un  malheur.  Une  transformation  heureuse  s'opérait  avec 
l'âge  dans  ce  noble  esprit,  d'abord  trop  absolu.  Il  n'envisageait 
plus  toutes  choses  au  point  de  vue  de  la  République  de  Platon; 
les  aspérités  de  sa  nature  s'adoucissaient,  il  avait  donné  d'excel- 
lents conseils  à  Pompée^  et  il  eût  peut-être  empêché  les  mal- 
heurs qui  suivirent. 


IV 


On  approchait,  en  eflet,  du  moment  où  la  guerre  civile 
allait  éclater.  Rome  était  tranquille  sous  ses  nouveaux  magis- 
trats. I^  Sénat  avait  repris  toute  sa  confiance  en  lui-même.  Il 
tolérait  Pompée,  qui  lui  avait  rendu  de  grands  services.  Mais 
la  victoire  de  César,  qui  venait  de  prendre  Alésia  et  qui  n'avait 
plus  à  combattre  en  Gaule  que  quelques  peuplades  isolées,  in- 
capables de  résister  longtemps,  le  souvenir  du  mépris  que  ce 
général  avait  montré  pour  le  grand  Conseil  de  la  République 
dans  son  consulat  et  l'exception  même  que  Pompée  avait  faite 
en  sa  faveur  relativement  à  la  pétition  de  la  première  magis- 
trature, avaient  fixé  sur  lui  l'attention  d'une  partie  des  Pères 
conscrits.  Le  consul  Marcellus  se  fit  leur  organe  pour  proposer 
que  le  vainqueur  des  Gaules  fût  rappelé ,  avant  le  temps,  de  sa 
province.  Pompée  était  alors  absent;  il  annonçait  même  l'inten- 
tion de  partir  pour  l'Espagne  (1).  On  le  rappela  à  Rome ,  afin 
de  prendre  son  avis  sur  cette  grave  question.  Il  fit  une  protes- 
tation assez  vague  d'obéissance  au  Sénat,  si  nous  nous  en  rap- 
portons à  une  lettre  de  Caelîus  à  Cicéron,  alors  en  route  pour 

(4)  Dion  Cassins  suppose  qu'il  D^arait  pas  réeUemfint  celte  iotention»  liv.  XL,  ch.  lix, 
Cicéron  {Lettres  à  AUicus,  v,  4  4)  est  d'un  avis  contraire. 


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84  MÉMOIRES. 

la  Cilicie  (1).  D'autre  part,  deux  historiens  qui  sont  nos  prin- 
cipaux guides,  Ioi*sque  les  lettres  de  Cicéron  ne  nous  donnent 
pas  d'éclaircissement  ou  peuvent  être  justement  suspectées , 
Appien  et  Dion  Cassius,  s'accordent  à  dire  qu'il  opina  pour  qu'on 
laissât  à  César  son  gouvernement  jusqu'à  ce  que  le  terme  fixé  par 
la  loi  fût  atteint,  et  tous  deux  supposent  pourtant  qu'au  fond 
il  nourrissait  déjà  le  désir  de  se  débarrasser  d'un  concurrent 
dont  la  grandeur  et  la  popularité  le  gênaient  (2).  Dion  Cassius 
ajoute  qu'il  disposait  tout  en  secret  pour  que  son  ancien  associé 
dût  rentrer  dans  la  vie  privée  lorsque  l'échéance  de  son  pro- 
consulat serait  arrivée.  Dion  Cassius  croit  d'ailleurs  que  le  gou- 
vernement des  Gaules  n'avait  été  prorogé  que  pour  trois  ans 
au  futur  dictateur  perpétuel,  et  il  est  persuadé  que  ses  pouvoirs 
devaient  expirer  au  commencement  de  l'année  suivante.  César 

(1  )  «  Au  milieu  du  débat,  Pompée  a  laissé  échapper  ce  mot  que  chacun  défait  égale- 
ment obéissance  au  Sénat.  »  On  en  a  fait  grand  usage  depub  pour  soutenir  que  Pompée 
était  l'auteur  secret  de  la  motion  de  Marcellus  contre  César.  Mais  Cicéron,  dans  sa  cor- 
respondance arec  Atticus,  l'accusait  plus  tard  (VIII,  3)  d'avoir  empêché  que  César  o'eAt 
alors  un  successeur. 

(2)  Dion  Cassius,  liv.  XL,  ch.  lu.  «  Pompée  fit  semblant  de  ne  pas  approuyer  que 
César  fût  privé  du  commandement ,  mais,  en  réalité,  il  prenait  ses  mesures  pour  qu'il 
déposÀt  les  armes  et  rentrât  dans  la  vie  prirée  lorsqu^U  $eraU  parvenu  au  terme  de  son 
proconsulal.  Cette  époque  n'était  pas  éloignée,  puisque  ce  proconsulat  devait  finir  Tannée 
suivante.  »  —  Appien,  II,  26.  c  II  avait  été  question,  même  avant  l'expiration  du 
terme  du  commandement  de  César,  de  lui  donner  des  successeurs.  Mais  Pompée  s'y 
était  opposé  par  raison  de  convenance  et  par  un  semblant  d'affection.  Il  avait  repré- 
senté que,  pour  un  assex  court  espace  de  temps,  ce  n*était  pas  la  peine  de  faire  injure  à  un 
citoyen  illustre  qui  avait  fait  de  grandes  choses  pour  la  patrie  ;  mais  il  ne  dissimula 
point  qu'après  que  le  terme  serait  expiré  il  fallait  ôter  ce  commandement  à  César.  »  — 
Caelius  lui-même,  dans  une  seconde  lettre  à  Gcéron,  dit  que  Pompée  s'opposa  dans  le 
Sénat  à  ce  que  la  question  fût  actuellement  traitée.  «  Votre  ami  Pompée,  mande-t-il 
à  Gcéron,  dit  publiquement  que  César  ne  peut  pas  conserver  sa  province  avec  une  ar- 
mée et  devenir  consul  ;  mais  il  déclare  que  le  moment  n'est  pas  encore  venu  de  faire  un 
sénatus-consulte.  »  (Ad  famiUares,  Vin,  2  septembre,  an  de  Rome  703.)  L'affaire  paraît 
avoir  été  remise  sur  le  tapis  bientôt  après.  Un  sénatus-consulte  fort  vague  fut  alors  rédigé. 
Les  paroles  de  Pompée  furent  équivoques  et  donnèrent  des  espérances  aux  deux  partis.  Il 
déclara  pourtant  qu'on  ne  pourrait  sans  injustice  s'occuper  du  gouvernement  de  César 
avant  les  kalendes  de  mars,  et  qu'alors  il  n'hésiterait  plus.  «  On  a  conclu  de  la  manière 
dont  Pompée  s'est  exprimé ,  dit  Caelius,  qu'il  y  avait  sous  jeu  quelque  négociation  entre 
César  et  lui.  »  (Ad  famiUam,  VIII,  8.) 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         85 

resta  encore  près  de  deux  ans  en  possession  de  ses  provinces  (1  ). 
c'était  au  mois  de  septembre  51  que  Marcellus  proposait  de 
rapporter  le  dernier  plébiscite  fait  à  l'avantage  de  César,  et  le 
second  délai  de  cinq  ans  qui  lui  avait  été  accordé  ne  devait  pro- 
bablement finir  qu'avec  Tannée  49.  La  seconde  guerre  civile  sui- 
vit de  près  le  commencement  de  cette  même  année.  Nous  verrons, 
du  reste,  s'il  est  vrai  que  Pompée  prit  les  dispositions  dont  parle 
l'historien.  Pour  le  moment  il  n'est  pas  douteux  que  la  propo- 
sition de  Marcellus  ne  fut  pas  acceptée.  L'affaire  fut  renvoyée  aux 
kalendes  de  mars,  et  César  demeura  dans  son  gouvernement. 

Marcellus  était  animé  contre  César  de  sentiments  d'inimitié 
personnelle.  Il  le  prouva  en  faisant  battre  de  verges  un  citoyen 
de  Côme  en  relations  avec  ce  dernier.  Mais  on  présente  d'ordi- 
naire cet  acte  de  Marcellus  sous  un  faux  jour.  Sur  l'autorité 
d'Appien  et  de  Plutarque,  on  a  fait  de  cet  habitant  de  Côme  un 
magistrat  ayant  droit  de  cité  à  Rome,  et  l'on  a  prétendu  que 
Marcellus,  pour  mieux  satisfaire  sa  haine,  viola  la  loi  qui  met- 
tait les  Romains  à  l'abri  de  ce  genre  de  châtiments.  Le  lémoi-, 

(4)  M.  Guiraud.  dans  son  ioléressant  ouvrage  sur  le  différend  de  César  arec  le  Sénat, 
admet  ropioion  de  Dion  Cassiua,  ell'appuie  de  teiteâ  et' d'arguments  plausibles  (p.  99  et 
SUIT.)  Malgré  la  grande  habileté  que  l'auteur  met  à  soutenir  sa  thèse,  je  n'ai  pas  été  com- 
plètement conTaincQ.  Mais,  si  l'on  admet  que  César  ait  conservé  son  commandement 
bien  aa-delà  du  terme  qui  lui  ayait  été  assigné  par  la  loi  Pompéia  Licinia,  on  n*en  sera, 
ce  semble,  qne  plus  porté  à  condamner  la  conduite  du  vainqueur  des  Gaules.  M.  Gui- 
raud, qui  absout  le  Sénat  de  toute  illégalité  dans  cette  affaim,  contre  l'opinion  de 
M.  Mommsen,  est  pourtant  indulgent  à  l'égard  de  Tadversaire  de  l'aristocratie  dans  la 
'  conclusion  de  son  livre.  D  est  douteux  qu'on  puisse  arriver  au  bien  en  faisant  le  mal,  et 
rien  ne  prouve,  à  mon  avis,  que  la  dictature  de  César  longtemps  continuée  eût  beaucoup 
amélioré  le  sort  de  l'Empire.  Le  principal  argument  sur  lequel  se  fonde  M.  Guiraud 
pour  ne  pas  admettre  que  le  gouvernement  de  la  Gaule  eût  été  prorogé  à  César  pour 
cinq  ans  consiste  dans  un  passage  des  Commentaires  de  César,  où  celui-ci  accuse  seule- 
ment le  Sénat  de  lui  avoir  ravi  six  mois  de  commandement,  qui  devaient  lui  rester  jus- 
qu'aux comices  consulaires.  (Guerre  civile j  I,  9.)  Mais  c'est  peut-être  qu'il  n'aurait  pu 
cumuler  ensemble  les  fonctions  de  consul  et  de  gouverneur  de  la  Gaule.  Son  élection  à 
la  principale  magistrature  de  la  République  eût  mis  fin  à  son  proconsulat.  —  Voir  aussi 
sur  la  question  traitée  par  M.  Guiraud  M.  Fustel  de  Coulanges  (Journal  des  SawnlSy 
juillet  4  879).  L'auteur  penche  vers  la  solution  de  M.  Guiraud,  et  appuie  son  opinion  sur 
des  textes  interprétés  et  rapprochés  d'une  manière  très-ingénieuse.  Tout  en  admirant  son 
talent,  j'ai  conservé  mes  doutes. 


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86  MÉiroiRES. 

gnage  de  Cicéron  réduit  les  choses  à  leur  juste  valeur,  et  mon- 
tre que  la  conduite  de  Harcellus  constituait  un  outrage  pour 
Pompée  lui-même  :  •  Harcellus  a  traité  bien  indignement  cet 
f  habitant  de  Côme,  écrit-il  d'Athènes  h  Atticus;  cet  homme 
c  avait  beau  ne  pas  être  magistrat;  il  était  Transpadan,  et  cet 
t  acte  n'irritera  pas  moins  notre  ami  (Pompée)  que  César; 
tf  c'est  son  affaire  après  tout.  » 

Bientôt  après,  le  gendre  de  César  tomba  malade  à  Naples.  Sa 
santé  était  depuis  longtemps  éprouvée.  Cette  fois  le  danger  fut 
grand.  On  le  crut  perdu.  Le  peuple  de  la  plupart  des  munici- 
pes  d'Italie  donna  des  signes  évidents  de  désespoir.  Il  se  réta- 
blit pourtant,  et  la  nouvelle  de  sa  guérison  fut  saluée,  dans 
toute  la  péninsule,  par  des  acclamations  indicibles  de  joie.  Tan- 
dis qu'on  le  transportait  en  litière  à  Rome,  une  foule  im- 
mense guettait  son  passage  et  lui  prodiguait  les  marques  de 
sympathie.  <  Pourquoi  Pompée  ne  succomba-t-il  pas  à  la  mala- 
c  die  dangereuse  dont  il  fut  atteint  en  Campanie?  dit  mélanco- 
c  liquement  Velléius.  L'Italie  entière  adressait  alors  aux  dieux 
c  des  vœux  pour  sa  guérison  (honneur  insigne  qui  n'avait  été 
c  jusqu'alors  décerné  qu'à  lui  seul).  En  mourant  il  dérobait  à 
€  la  fortune  l'occasion  de  le  perdre,  et  la  gloire  qui  l'avait  en- 
a  vironné  pendant  sa  vie  descendait  tout  entière  avec  lui  chez 
c  les  morts  (1).  > 

C'était  la  veille  de  la  seconde  guerre  civile  que  les  muni- 
cipes  d'Italie  s^  réunissaient  dans  un  tel  sentiment  d'affection 
pour  lui.  On  lui  pardonnait  ses  fautes  en  faveur  de  ses  bien- 
faits. On  le  regardait  comme  le  sauveur  de  Romeet  de  la  liberté. 
Or,  le  peuple  était  sincère,  t  Le  corps  du  peuple ,  a  dit  fort 
bien  Montesquieu,  ne  flatte  ni  ne  dissimule.  »  Pourquoi  bientôt 
après.  Pompée  abandonné  se  vit-il  forcé  de  quitter  l'Italie  ? 
Faut-il  seulement  s'en  prendre  à  la  versatilité  populaire  ?  11  y 
a,  si  je  ne  me  trompe,  une  autre  explication  plausible.  Pompée, 
auquel  M.  Dubois-Guchan  ne  pardonne  pas  d'avoir  été  centre- 
gauche,  suivant  son  expression,  était  et  demeura,  toute  sa  vie, 
l'homme  de  la  classe  moyenne,  la  classe  la  plus  morale  et   la 

4)VeUéias,  n,  48. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LÀ  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROUE.         87 

seule  qui  eût  pu  sauyer  la  République,  si  le  dernier  jour  de  la 
République  n'ayait  pas  été  marqué.  Elle  avait  fondé  sur  luises 
espérances,  et  le  calme  dont  Tltalie  jouissait,  sans  proscriptions, 
sans  violences  d'aucune  espèce,  le  lui  avait  doublement  rendu 
cher.  Mais»  dans  cette  classe  paisible,  il  y  avait  peu  d*hommes 
d'action.  Ils  voulaient  être  protégés  et  ne  savaient  pas  se  pro- 
léger eux-mêmes.  César,  au  contraire,  eut  pour  lui,  dès  l'ori- 
gine, tous  les  gens  qui  sont  les  fauteurs  ordinaires  de  l'anarchie 
et  les  auxiliaires  du  despotisme.  Caelius,  qui  se  rangea  de  son 
côté,  ce  qui  rend  son  témoignage  peu  douteux,  écrivait  à  Ci- 
céron  au  moment  où  la  guerre  allait  éclater  (septembre,  an  de 
Rome  704,  50  av.  J.-C.)  :  •  Mes  principes  que  vous  partagez 
c  sans  doute  sont  ceux-ci  :  Dans  les  dissensions  intérieures,  tant 
c  que  les  choses  se  passent  entre  citoyens  sans  armes,  préférer 
<  le  parti  le  plus  honnête  ;  mais  quand  on  en  vient  aux  armes, 
c  chercher  la  raison  où  se  trouve  la  sûreté,  se  ranger  autour 
€  du  plus  fort.  Or,  que  vois-je  ici  ?  D'un  côté,  Pompée  avec  le 
c  Sénat  et  les  magistrats;  de  l'autre,  César  avec  tout  ce  qui  a 
c  quelque  chose  à  craindre  ou  à  convoiter.  Nulle  comparaison  pos- 
«  sible  quant  aux  armées.  Fassent  les  dieux  qu'on  nous  laisse 
«  le  temps  de  peser  les  forces  respectives  et  de  faire  notre 
c  choix  I  >  César  pouvait  compter  sur  les  débris  de  la  conjura- 
tion deCatilina,  sur  les  nombreux  sénateurs  dont  l'activité  ren- 
due par  Pompée  aux  tribunaux  avait  provoqué  la  condamna- 
tion, sur  la  populace  de  Rome ,  irritée  de  ce  que,  grâce  à  un 
règlement  du  même  Pompée,  elle  ne  pouvait  plus  vendre  ses 
suffrages  dans  les  comices,  sur  les  débiteurs  insolvables,  sur 
tous  les  aventuriers  qui  voulaient  pêcher  en  eau  trouble,  sur 
ses  soldats  qui  se  rappelaient  les  récompenses  que  la  conquête 
de  Rome  avaient  values  jadis  aux  vétérans  deSylla,  et  qui  d'ail- 
leurs professaient  pour  leur  général  un  dévouement  sans  bor- 
nes, même  sur  ceux  de  Pompée  qui  trouvaient  leur  chef  trop 
peu  prodigue  et  trop  respectueux  observateur  des  lois.  I^e  cham- 
pion de  l'ordre  et  de  la  liberté  n'avait  pour  lui  que  les  vœux 
d'une  classe  patiente  et  craintive,  de  tout  temps  disposée  à  faire 
pour  s'assurer  le  repos  des  sacrifices  incompatibles  avec  une 
résistance  énergique  à  un  envahisseur  redoutable.  Il  est  dans 


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88  MÉMOIRES. 

la  nature  humaine  de  rendre  volontiers  les  autres  responsables  des 
fautes  que  Von  commet.  Quand  Pompée  quitta  Tltalie,  ceux  dont 
{inertie  le  forçait  à  cette  retraite  Taccusèrent  aussitôt  de  lâcheté. 

Cependant,  au  fond  du  cœur,  la  majeure  partie  de  la  pénin- 
sule demeura  pompéienne.  Gaelius,  que  nous  avons  vu  tout  à 
rheure  entrer  par  intérêt  dans  le  parti  de  César,  en  instruit  la 
postérité,  en  en  faisant  confidence  à  son  correspondant,  Cicéron 
(Mars  706,  48  av.  J.-C.)  :  <  A  Rome,  dit-il  >  excepté  quelques 
«  usuriers,  tout  est  pompéien,  les  individus  comme  les  ordres. 
€  Nam  hic  praeter  feneralores  paucos,  nec  homo,  nec  ordo  quis- 
•  quam  est  nisi  Pompeianus  (1).  >  Les  usuriers  attachés  à  César  I 
voilà  qui  ne  cadre  guère  avec  les  idées  qui  prévalent  aujour- 
d'hui sur  l'entourage  du  fondateur  de  l'Empire.  Mais  les  usu- 
riers ne  sont-ils  pas  toujours  du  parti  qui  domine,  lorsqu'il  ne 
leur  est  pas  trop  hostile?  Caelius  aurait  pu  signaler  alors  aussi 
dans  les  rangs  de  César  une  bonne  partie  de  l'aristocratie.  Le 
premier  moment  de  terreur  passé,  quand  elle  vit  que  le  rival 
de  Pompée  ne  serait  nullement  fâché  de  devenir  prince  du  Sé- 
nat et  de  gouverner  par  les  Pères  conscrits,  elle  ne  lui  tint  pas 
rigueur.  Il  y  eut  peu  de  ces  nobles,  si  fiers  de  leurs  ancêtres^ 
qui  imitèrent  la  constance  héroïque  de  Caton. 

L'affaire  de  la  distribution  des  provinces  consulaires  avait 
été  ajournée  aux  kalendes  de  mars  de  l'année  de  Rome  704 
(50  av.  J.-C).  César  avait  alors  achevé  la  conquête  de  la  Gaule. 
Depuis  près  de  neuf  ans  il  était  en  possession  de  son  proconsu- 
lat ou  plutôt  de  sa  royauté.  Le  moment  approchait  où  devait 
cesser  légalement  ce  pouvoir  obtenu  par  intrigue  et  par  corrup- 
tion. Quelque  glorieuse  qu'eût  été  son  administration,  il  avait 
beaucoup  à  craindre  de  la  part  de  ses  ennemis  et  des  citoyens 
même  qui,  à  l'exemple  de  Caton,  n'avaient  en  vue  que  la  con- 
servation de  la  République.  Le  consulat  qu'on  lui  permettait 
de  solliciter  quoiqu'absent  ne  pouvait  lui-même,  à  ce  qu'il  sem- 


(I)  Ad  familiares,  VIII,  4  7.  Il  est  rraî  que  Caeltas  était  alors  Tirement  coorroacé 
eoQtre  César.  Il  o'en  déclare  pas  moin.^,  à  la  fin  de  sa  lettre,  qu'il  regarde  comme  impos- 
mUo  que  Tannée  de  Pompée  puisse  lutter  avec  avantage  contre  celle  du  vainqueir  des 

Gatiles. 


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LES  PRBLIIIINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         89 

blait,  le  sauver;  car  la  nouvelle  loi  introduite  par  Pompée  ne 
lui  laissait  pas  l'espoir  de  parvenir  ensuite  immédiatement  à  la 
direction  d'une  province.  Ayant  spéculé  sur  le  désordre,  il  cou- 
rait de  véritables  dangers  depuis  que  l'ordre  régnait  dans  la 
cité.  Sa  sûreté  personnelle,  autant  que  son  ambition,  l'enga- 
geait donc  à  se  mettre  au-dessus  des  lois  de  sa  patrie.  Sa  réso- 
lution fut  prise  dès  lors.  Il  voulut  garder  le  commandement 
malgré  le  Sénat  et  ses  décrets,  leva  des  soldats,  amassa  des 
fonds,  prépara  des  armes  (1).  En  même  temps,  il  gagna  de  nou- 
velles créatures  à  Rome.  Des  deux  consuls  de  l'année  704, 
Caius  Marcelluset  L.  jEmilius  Paulus,  il  trouva  le  premier  incor- 
ruptible, mais  lesecond  lui  fut  acquispour  une  somme  de  quinze 
cents  talents.  Un  tribun  du  peuple,  le  jeune  Curion,  qui  avait 
d*abord  paru  animé  des  sentiments  les  plus  hostiles  à  son  égard, 
ne  résista  pas  davantage  aux  séductions  de  l'or  gaulois.  Ce  fut 
principalement  avec  lui  que  César  concerta  son  plan  de  défense 
ou  plutôt  d'attaque,  qu'il  combina  avec  son  habileté  stratégi- 
que ordinaire. 

Curion  prit  l'initiative  pour  demander  le  remplacement  de 
César,  avec  lequel  il  avait  dissimulé  soigneusement  ses  rela- 
tions (2).  En  même  temps,  il  proposait  d'ôter  à  Pompée  le  gou- 
vernement de  l'Espagne.  Si  l'on  en  croit  Appien ,  il  y  eut  à 
ce  sujet  un  double  vole  du  Sénat,  et,  dans  le  second,  la  majo- 
rité des  sénateurs  présents,  qui  n'aimaient  guère  plus  Pompée 
que  César,  se  laissa  facilement  entraîner  à  donner  son  suf- 
frage pour  que  l'un  et  l'autre  fussent  contraints  à  la  fois  d'abdi- 
quer. Nous  devons  rejeter  ce  récit  comme  démenti  par  le  conti- 
nuateur des  Commentaires  de  César.  Hirtius,  en  effet,  nous  dit 


(4)  Dion  Cassios,  XL,  60.  D'après  Hirtius  (VIII«  Ht.  des  Commentaires  de  César, 
•;b .  Ln),  il  n'aurait  été  question  dans  l'année  704  que  do  lui  enlever  une  partie  de  son 
armée,  ebose  bien  naturelle  puisque  la  guerre  des  Gaules  était  terminée  :  César  était 
informé,  dit  l'écrivain,  qu'un  petit  nombre  d'hommes  travaillaient  à  lui  faire  enlever  par 
h  Sénat  une  partie  de  l'armée  :  Certior  fiebai  id  agi  paucorum  consiliis  ut,  interposUâ 
$natât  auctoritate,  aliquâ  parte  exerdtâs  spoliaretur. 

(3)  Appien  prétend  que  la  proposition  fut  faite  par  le  consul  Marcellns.  Dans  ce  même 
passage,  il  dit  d'ailleurs  que  la  magistrature  de  César  venait  d'expirer.  J'ai  adopté  de 
fréféreoce  les  récits  de  Dion  Gassius  (XL,  61)  et  de  Volléius  Paterculus  (II,  48). 


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90  MÉIIOIEBS. 

que  Curîon  commença  seulement  à  mettre  aux  voix  sa  motion, 
mais  que  l'opposition  des  consuls  et  des  amis  de  Pompée  empo- 
cha le  Sénat  de  se  prononcer,  et  que  les  Pères  conscrits  adoptè- 
rent un  parti  moyen  sur  lequel  il  ne  donne,  du  reste,  aucune 
explication.  {Commentaires ,  liv.  VIII,  ch.  xii.)  Je  doute  que  le 
Sénat  eût  pu  donner  dans  cette  occasion  son  suffrage  sur  une 
p  roposition  qui  n'avait  pas  l'agrément  des  consuls.  Pompée  se 
trouvait  alors  éloigné  de  Rome;  il  y  fut  aussitôt  rappelé  par 
ses  amis.  Il  fit  observer  au  Sénat  qu'il  n'y  avait  pas  parité  en- 
tre sa  situation  et  celle  de  César,  puisqu'on  avait  assez  récem- 
ment prorogé  ses  pouvoirs,  tandis  que  son  beau-père  touchait 
au  terme  des  siens.  Néanmoins,  il  ajouta  qu'il  se  démettrait  de 
sa  charge  si  César  le  faisait  de  son  côté.  Curion  se  récria  immé- 
diatement. Le  dominateur  de  Rome  voulait  leurrer  le  Sénat  de 
vaines  promesses,  disait-il.  Quand  César  aurait  licencié  des 
légions,  il  jetterait  le  masque  et  garderait  les  siennes.  On 
devait  exiger  de  lui  qu'il  donnât  l'exemple  d'abdiquer.  Alors 
César  le  ferait  à  son  tour.  Sinon,  il  était  nécessaire  de  le  main- 
tenir dans  son  commandement,  parce  que  lui  seul  pouvait  faire 
contre-poids  à  la  puissance  excessive  dont  son  rival  se  trouvait 
revêtu.  C'était  là  évidemment  la  fin  où  il  avait  voulu  arriver  dès 
le  principe.  Le  Sénat,  qui  le  comprit  enfin,  sentit  aussi  combien 
il  avait  besoin  de  Pompée. 

Pompée  désarmé,  quel  prote^îteur  aurait  la  République  con- 
tre César?  Pouvait-on  être  assuré  que  celui-ci  renoncerait  réel- 
lement  à  son  commandement?  Et  s'il  y  renonçait,  ne  serait-ce 
pas  pour  obtenir  le  consulat,  dont  il  avait  fait  déjà  un  usage  si 
préjudiciable  au  repos  de  l'État?  Un  second  consulat  ne  lui 
frayerait-il  pas  la  voie  à  la  tyrannie?  C'est  ce  que  représenta 
vivement  Caton,  qui,  dès  ce  moment,  insista  pour  que  les  Pères 
conscrits  armassent  Pompée  de  plus  grands  pouvoirs  et  pris- 
sent une  offensive  vigoureuse  contre  son  adversaire.  Mais  le 
Sénat  et  Pompée  lui-même  étaient  loin  de  partager  son  ardeur. 
Ce  dernier,  flottant  entre  l'obéissance  qu'il  croyait  devoir  aux 
autorités  légales  et  le  désir  de  ne  pas  fournir  à  César  un  pré- 
texte pour  prétendre  qu'on  violait  les  plébiscites  décrétés  jadis 
en  sa  faveur,  faisait  à  dessein  traîner  les  choses  en  longueur. 


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LES  PBÉLmiNAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         9t 

Après  avoir  parlé  des  kalendes  de  mars,  il  remettait  la  solution 
aux  ides  de  noyembre;  il  entamait  des  négociations  et  rejetait 
sur.Gurion  et  ses  menées  leur  peu  de  succès,  ne  soupçonnant 
pas  ou  feignant  de  ne  pas  soupçonner  que  ce  dernier  n'était 
que  la  créature  de  César.  Caelius  écrivait  à  Cicéron  sur  ces  en- 
trefaites (juin  704,  50  av.  J.-C.)  :  •  Pompée  parait  d'accord 
c  avec  le  Sénat  pour  exiger  le  retour  de  César  aux  ides  de 
«  novembre.  Curion  est  décidé  à  tout  plutôt  que  de  le  souf- 
f  frir.  Voici  l'état  de  la  scène.  Pompée,  en  homme  qui  n'at- 
c  taque  pas  César,  mais  qui  n'entend  lui  concéder  que  ce  qui 
c  est  juste,  accuse  Curion  d'être  un  agent  de  discorde  (1).  » 
c  ...  Notre  grand  Pompée  est  d'un  affadissement  tel  que  rien 
c  ne  le  réveille.  Les  opinions  ont  tourné  à  tel  point  qu'on 
c  trouve  bon  de  compter  comme  candidat  (pour  le  consulat) 
c  tel  personnage  qui  ne  veut  se  départir  d'armée,  ni  de  pro- 
c  vince.  Et  que  deviendra  la  République,  s'il  ne  s'en  soucie 
9  pas  (2)?  f  Cependant,  l'avis  qui  prévalait,  c'était  de  donner  à 
César  le  choix  de  conserver  son  commandement  jusqu'à  l'expi- 
ration des  dix  années  ou  de  l'abandonner  pour  le  consulat. 
Mais  Curion  embrouillait  tout  à  plaisir,  en  réclamant  de  nou- 
veau la  démission  de  Pompée. 

Tel  était  l'état  des  choses,  lork|u'un  sénatus-consulle  donna 
lieu  au  rappel  en  Italie  de  deux  des  légions  qui  stationnaient 
dans  les  Gaules.  Celles-ci  étaient  soumises,  et»  pour  les  occu- 
per, il  n'était  plus  besoin  d'un  aussi  grand  développement  do 
forces  militaires.  Dans  des  circonstances  pressantes.  Pompée 
avait  prêté  à  César  une  des  légions  destinées  à  maintenir  l'Es- 
pagne. Ces  services  se  rendaient  quelquefois  de  proconsul  à 
proconsul.  Mais  ils»étaient  extra-légaux.  On  avait  demandé 
compte,  l'année  précédente,  à  Pompée  de  ce  déplacement  non 

(1)  Ad  [(xmiUans^  IW.  VIII,  11.  M.  Guiraad  traduit  «  quod  œquvm  Uli  putet  »  par  : 
«  mais  qai  croit  la  mesare  qoe  Ton  présente  indifférente  à  César.  »  ^qutm  UU  peat 
aroir,  en  effet,  ce  sens.  Dans  ce  cas,  il  serait  d'autant  plus  yraisemblable  que  Pompée 
tenait  à  ménager  César,  tandis  que,  dans  la  mauvaise  comme  dans  la  bonne  fortune,  il 
rejeta  ses  propositions,  après  que  celui-ci  se  fut  déclaré  définitivement  ennemi  do  la 
patrie. 

(t)  Ad  familiares,  Mil,  «3. 


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92  MÉMOIRES. 

autorisé  d'un  des  corps  auxquels  incombait  le  soin  de  garder 
sa  province.  Il  s'était  excusé,  mais  avait  promis  de  le  rappeler 
plus  tard  (1).  Il  la  laissa  pourtant  à  César  jusqu'à  la  pacifica- 
tion entière  du  pays.  Alors  il  la  lui  redemanda;  voici  dans 
quelles  circonstances.  La  défaite  de  Crassus  avait  provoqué  les 
Parthes  à  attaquer  les  frontières  orientales  de  TEmpire  romain. 
Ils  y  firent  une  première  irruption  en  l'an  703  (Si)  et  furent 
repoussés  par  Cassius.  Mais  on  annonça  bientôt  qu'ils  prépa- 
raient une  invasion  plus  redoutable.  Les  letlres  de  Cicéron, 
dans  les  sept  premiers  mois  de  Vannée  704,  sont  toutes  pleines  de 
la  frayeur  qu'il  avait  d'être  obligé  de  se  mesurer  contre  ces 
terribles  adversaires.  On  y  voit  aussi  qu'on  avait  songé  à  Rome 
à  leur  opposer  Pompée.  Celui-ci  écrivit  même  alors  à  l'orateur 
romain  qu'il  ne  tarderait  pas  à  venir  le  joindre  (2).  Au  mois 
do  mars,  Cicéron  s'exprimait  ainsi  dans  une  lettre  au  propré- 
teur Thermus  :  *  La  guerre  des  Parthes  prend  de  jour  en  jour 
plus  de  gravité  en  Syrie;  toutes  mes  lettres  et  tous  mes  cour- 
riers me  l'annoncent  (3).  »  En  juin,  il  la  signalait  encore  comme 
très-sérieuse.  Au  mois  d'août  seulement,  il  la  déclara  termi- 
née. On  avait  eu  évidemment  de  grandes  craintes.  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  qu'on  ait  pensé  à  diriger  des  forces  militai- 
res vers  l'Orient;  celles  qui  s^  trouvaient  n'étaient  nullement 
suffisantes  au  rapport  do  Cicéron.  De  là  le  sénatus-consulte  qui 
imposa  à  Césarpt  à  Pompée  le  devoir  de  détacher  chacun  pour 
cette  destination  une  légion  de  leurs  armées. 

C'était  pour  Pompée  une  occasion  naturelle  et  nécessaire 
d'exécuter  la  promesse  qu'il  avait  faite,  l'année  précédente,  au 
Sénat.  César  dut  satisfaire  à  la  fois  aux  deux  réquisitions. 


(4)  <c  Lors  de  l'assemblée  du  Sénat,  qui  se  ttat  le  11  août  au  temple  d'Apollon,  pen- 
dant la  discussion  sur  le  subside  de  On.  Pompée,  on  Tint  à  parler  de  la  légion  qu'il  a 
portée  au  compte  de  G.  César,  de  son  effectif,  des  motifs  de  ce  déplacement.  «  Elle  est 
dans  les  Gaules  »,  répondit  Pompée.  Force  lui  fut  cependant  d'en  promettre  le  rappel, 
mais  non  immédiatement,  de  peur  que,  par  une  déférence  trop  prompte,  il  n'eût  l'air  d 
céder  à  ses  ennemis.  »  Cicéron,  AdfamUiareSj  Vni,  4.  —  A.  U.  C,  703. 

(3)  »  Arec  le  secours  de  Déjotarus,  on  pourra  arrêter  les  ennemis  jusqu'à  l'arrivée  de 
Pompée,  qui  me  mande  qu'on  le  destine  à  cette  guerre.  »  (Gcéron  à  Attic,  ti,  1). 

(3j  AdfamUiares,  XIU,  57. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         93 

Mais»  au  moment  où  les  deux  légions  arrivèrent  en  Italie,  la 
nouvelle  y  parvint  que  les  Parthes  s'étaient  retirés.  On  les  mit 
toutes  deux  en  cantonnement  à  Capoue.  Le  continuateur  des 
Commentaires  fait  pourtant  de  ce  fait  si  simple  un  des  princi- 
paux griefs  de  César  contre  Pompée  et  sa  faction,  c  Bientôt, 
dit-il,  un  sénatus-consulte  ordonna  à  Pompée  et  à  César  de 
fournir  chacun  une  légion  pour  la  guerre  des  Parthes.  Il 
est  évident  que  ces  deux  légions  étaient  enlevées  à  César 
seul;  car  Cn.  Pompée  donna,  pour  son  contingent,  la  pre- 
mière légion  qu'il  avait  autrefois  envoyée  à  César  et  qui 
avait  été  levée  tout  entière  dans  la  province  du  dernier. 
Cependant,  et  bien  qm  les  intentions  de  ses  ennemis  ne  fussent 
pas  douteuses^  César  renvoya  cette  légion  à  Pompée  et,  en 
exécution  du  sénatus-consulte,  il  livra  en  son  nom  la  15* 
qu'il  avait  levée  dans  la  Gaule  citérieure.  En  remplacement 
de  celle-ci,  il  envoya  en  Italie  la  13'  légion  pour  garder 
les  postes  que  quittait  la  15*...  Lorsqu'il  fut  arrivé  en 
Italie,  il  apprit  que  les  deux  légions  qu'il  avait  livrées  et 
qui,  d'après  le  sénatus-consulte,  devaient  être  menées  contre 
les  Parthes,  avaient  été  livrées  par  le  consul  C.  Marcellus 
à  Cn.  Pompée  et  qu'elles  étaient  retenues  en  Italie.  Quoi- 
qu'une telle  conduite  ne  laissât  à  personne  le  moindre  doute 
sur  les  projets  tramés  contre  César,  il  résolut  pourtant 
de  tout  souffrir,  *tant  qu'il  resterait  quelque  espoir  de  se 
soutenir  par  la  force  de  son  droit  plutôt  que  par  celle  des 
armes.  (1).  »  Il  est  peu  d'historiens  parmi  les  modernes  qui 
n'aient  répété  ce  passage  des  Commentaires^  en  ajoutant  quel- 
que chose  à  l'acrimonie  mal  dissimulée  que  l'on  y  trouve.  Et 
cependant  on  n'avait  qu'à  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  lettres  de 
Cicéron  pour  se  convaincre  ;  1"  que  Pompée,  invité  formelle- 
ment à  rappeler  cette  légion,  dès  l'année  703,  l'avait  pourtant 

(1)  Guerre  des  Gaules,  liv.  Vm,  cb.  un  et  soir.  —  On  troave  aissi  aa  commence 
ment  du  récit  de  la  guerre  civile  par  César  :  «  Pompée,  honteux  de  sa  conduite  déloyale 
par  rapport  aux  deux  légions  destinées  pour  l'Asie  et  la  Sjrie,  et  qu'il  arait  retenues 
pour  établir  par  elles  son  pouToir  et  sa  domination,  souhaitait  qu'on  en  Tint  aux  armes. 
Pompeius  infamid  diiarum  kgionum  permotuSj  quas  ab  Uinere  Africœ  Syriœque  ad  suam 
foUnHam  dominaiumque  converteratt  rem  ad  arma  deduci  jubebat.  »  (Lir.  I,  ch.  it.) 


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94  MÉMOIRES. 

laissée  à  César  jusqu'à  l'entière  soumission  de  la  Gaule;  2^  que 
la  guerre  des  Parthes  n'était  pas  un  prétexte,  et  que  les  deux 
légions  furent  d'abord  destinées  à  suppléer  à  l'insuffisance  des 
forces  qui  défendaient  l'Orient;  S""  que  leur  cantonnement  à 
Capoue  fut  produit  par  les  nouvelles  plus  favorables  qu'on  reçut 
aussitôt  après  leur  arrivée  de  la  Syrie  et  de  la  Cilicie.  Si  le 
commandement  en  fut  ensuite  donné  à  Pompée,  c'est  que  les 
affaires  se  compliquèrent  et  que  le  bruit  du  passage  du  Rubi- 
con  par  César  se  répandit  prématurément  à  Rome,  comme  nous 
le  dirons  tout  à  l'heure. 


La  fatale  question  du  rappel  de  César  s'imposait  d'elle-même 
au  Sénat.  Les  nouveaux  comices  consulaires  avaient  désigné 
Claudius  Marcellus,  frère  de  Caius  Marcellus,  le  consul  de 
l'année  703,  et  L.  Cornélius  Lentulus.  C'était  la  coutume  des 
Pères  conscrits  de  régler  la  succession  des  provinces  [longtemps 
avant  qu'elles  fussent  vacantes.  Le  consul  en  activité,  Caius 
Marcellus,  fit  voter  avec  une  certaine  impartialité  le  Sénat 
d'abord  sur  la  province  de  César  et  ensuite  sur  celle  de  Pom- 
pée. La  majeure  partie  des  sénateurs  se  prononça  contre  César, 
tandis  qu'une  faible  minorité  appuya  la  proposition  relative  à 
Pompée.  Mais,  s'il  faut  en  croire  le  récit  peu  vraisemblable 
d'Appien,  Curion  aurait  fait  recommencer  les  votes  sur  cette 
<  question.  Ne  convient-il  pas  de  déposer  en  même  temps  César 
t  et  Pompée?  »  Trois  cent  soixante-dix  voix  contre  vingt-trois 
auraient  opiné  dans  ce  sens  (1).  Rien  n'est  plus  contraire  aux 

(1  )  Appien,  Guerret  civiles j  liv.  II,  ch.  xzz.  Le  passage  de  Plutarque,  relatif  à  ce 
sujet,  est  encore  plus  absurde.  D  suffit  de  le  citer  pour  s'en  convaincre  :  «  Curion,  dit-il, 
soutenu  par  Antoine  et  par  Pison,  vint  à  bout  de  faire  passer  sa  proposition  par 
réprouve  du  Sénat.  Il  invita  ceux  qui  voulaient  que  César  seul  posât  les  armes  et  que 
Pompée  retint  le  commandement  à  se  mettre  tous  du  même  côté,  et  ce  fut  le  plus  grand 
nombre.  Il  dit  ensuite  à  ceux  qui  étaient  d'avis  que  tous  posassent  les  armes  et  qu'au- 
cun ne  conserv&t  son  armée ,  de  se  ranger  tons  du  même  côté  ;  il  n'y  en  eut  que  vingt- 
deux  qui  restèrent  fidèles  à  Pompée  ;  tous  les  autres  se  rangèrent  du  côté  de  Curion.  » 
Plutarque,  Vie  de  Pompée,  M.  Mommsen  tient  naturellement  ce  récit  pour  certain.  D  (ait 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.         95 

habitudes  des  Romains  qu'une  t^lle  manière  de  délibérer.  Le 
tribun  avait  le  droit  d'opposer  son  veto  aux  propositions  des 
consuls,  nullement  celui  de  substituer  une  autre  proposition  à 
celle  qu'ils  avaient  faite,  si  ce  n'est  avec  leur  agrément.  Il  est 
probable  que  Curion  parvint  seulement  par  son  intercession  à 
empêcher  le  vote  d'amener  aucun  résultat.  Mais,  tandis  que  les 
esprits  étaient  encore  tout  entiers  préoccupés  de  cette  séance, 
un  bruit  grave  se  répandit  tout  à  coup  dans  la  ville.  César 
avait  passé  la  frontière  qui  séparait  l'Italie  de  la  Cisalpine  et 
marchait  sur  Romel 

La  rumeur  était  fausse;  cependant  on  y  ajouta  généralement 
foi,  et  elle  ne  renfermait  rien  que  de  probable.  César  avait  à 
demi  jeté  le  masque.  Sous  prétexte  que  le  décret  du  Sénat, 
rendu  quelques  mois  auparavant,  lui  avait  ôté  deux  légions,  il 
s'occupait  à  faire  de  nouvelles  levées.  Quel  usage  voulait-il  en 
faire  (<)?  Les  consuls  convoquèrent  les  Pères  conscrits,  et  de- 
mandèrent qu'on  prit  les  mesures  nécessaires  pour  sauver  la 
République.  Curion,  niant  qu'il  y  eût  aucun  danger,  empêcha 
le  Sénat  d'adopter  une  résolution.  On  le  savait  notoirement 
vendu  à  César.  Marcellus,  indigné,  sortit  de  la  Curie,  alla 
trouver  Pompée,  l'investit  de  sa  propre  autorité  du  comman- 
dement des  deux  légions  campées  près  de  Capoue  et  des  dif- 
férentes garnisons  qui  se  trouvaient  dans  les  villes  d'Italie^ 
lui  conférant,  en  outre,  la  faculté  de  les  augmenter,  suivant 
qu'il  le  jugerait  nécessaire.  Les  consuls  désignés  s'unirent 
à  lui  pour  lui  déléguer  ces  pouvoirs.  Pompée  répondit  qu'il 
exécuterait  les  ordres  des  consuls,  «  à  moins  qu'il  n'y  ait 
«  quelque  chose  de  mieux  à  faire  >,  ajouta-t-il.  Le  vieux 
capitaine  avait  dès  lors  probablement  son  plan  arrêté.  Il  ne 
s'abusait  pas  sur  la  supériorité  des  forces  militaires  de  César. 
Sa  conduite  ultérieure  montra  assez  combien  il  en  était  cou- 
plas; il  y  ajoute.  U  dit  que  Pompée  refusa  carrément  de  se  démettre.  Mais,  par  malheur, 
Pompée  (toujours  d'après  Plutarque)  était  absent  de  Rome  lorsqu'eut  lieu  cette  délibé- 
ration. 

(4)  Dion  Cassios,  Ut.  XL,  cb.  lz?.  «  César,  dit-il,  se  soumit  au  décret  du  Sénat 
rdatif  aux  légions,  pour  ne  pas  être  accusé  de  désobéissance,  mais  plus  encore  parce 
<pi'il  Toulait  profiter  de  ce  prétexte  pour  lerer  plus  de  soldats  qu'il  n'en  perdait.  » 


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96  MÉMOIRES. 

vaincu.  S'il  dit,  comme  le  rapporte  Plularque,  qu'il  n'avait 
qu'à  frapper  du  pied  la  terre  d'Italie  pour  en  tirer  des  légions, 
ce  fut  plutôt  dissimulation  que  confiance.  Une  panique  antici- 
pée ne  pouvait  qu'aggraver  la  position  de  la  République,  déjà 
trop  compromise.  Il  n'était  plus  temps  de  rappeler  les  légions 
d'Espagne;  d'ailleurs  le  pouvait- il  sans  un  décret  du  Sénat?  Et 
le  Sénat,  ballotté  entre  les  deux  partis,  ne  prenait  aucune  réso- 
lution. Ceux  qui  accusent  Pompée  de  n'avoir  fait  qu'au  der- 
nier moment  des  préparatifs  militaires,  ont  étudié  légèrement 
l'histoire  de  cette  grande  crise.  A  quel  titre  aurait-il  réuni  des 
troupes  jusqu'au  moment  où  l'un  des  consuls  de  704  et  ceux 
de  Tannée  suivante  lui  en  donnèrent  la  charge,  en  vertu  d'une 
prérogative,  elle-même  contestable,  qu'ils  s'attribuaient.  Alors 
surtout,  Curion  aurait  pu  crier  avec  chance  de  succès  que 
Rome  était  opprimée.  Alors  César  aurait  eu  de  son  côté  toutes 
les  apparences  lorsqu'il  aurait  fait  passer  le  Rubicon  à  ses 
troupes,  et  la  plupart  des  bons  citoyens  auraient  vu  dans  son 
rival  seul  l'ennemi  des  libertés  publiques.  Que  Pompée  voulût 
ou  non  le  renversement  de  César,  il  avait  donc  été  condamné 
jusque-là  à  l'inaction  par  le  rôle  de  serviteur  du  Sénat  et  du 
peuple  qu'il  avait  voulu  prendre  ou  qu'il  avait  affecté  de 
prendre.  Les  mouvements  de  troupes  qui  se  faisaient  dans  la 
Gaule  Cisalpine  annonçant  tout  au  moins  une  menace  de 
guerre,  quelles  étaient  les  chances  favorables  qui  lui  restaient? 
Il  y  en  avait  trois,  si  je  ne  me  trompe  :  Ou  bien  les  négocia- 
tions qu'il  conduirait,  cette  fois  en  son  nom,  avec  sa  nouvelle 
qualité  de  délégué  des  consuls  des  deux  années  704  et  705, 
aboutiraient  à  un  accord  qui  désarmerait  César.  Ou  bien  il 
parviendrait  à  détacher  l'armée  de  César  de  son  commandant. 
Gagnée  par  lui,  ou  cédant  à  un  sentiment  honorable  de  patrio- 
tisme, elle  abandonnerait  pour  les  drapeaux  des  magistrats 
légitimes  le  chef  rebelle  qui  voudrait  la  conduire  contre  Rome. 
Ou,  si  César  n'écoutait  rien,  si  ses  soldats  lui  demeuraient  fidè- 
les, contre  leur  devoir  de  citoyens,  il  était  possible  d'en  triom- 
pher en  achevant  d'organiser  ses  forces  hors  de  l'Italie,  en  pro- 
fitant de  l'immense  supériorité  qu'avait  sur  mer  le  parti 
pompéien,  en  tenant  affamés  l'ennemi  public  et  ceux  qui  b^ 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.  97 

seraient  rendus  à  lui.  Mais  aller  se  heurter  contre  les  légions 
invincibles  de  César  avec  de  nouvelles  recrues  en  petit  nombre, 
c'eût  été  s'exposer  à  un  désastre  certain.  Pompée  ne  l'essaya 
pas.  Il  fit  négligemment  quelques  levées,  que  gêna  la  défense 
faite  par  Curion  aux  citoyens  d'obéir  aux  réquisitions  des  con- 
suls et  de  leur  délégué.  Et,  quand  il  fut  avéré  que  le  bruit  de 
la  marche  de  César  sur  Rome  était  prématuré,  il  renouvela  les 
pourparlers. 

César  s'arrêta  à  Ravenne,  limite  extrême  de  sa  province. 
Avant  de  faire  le  dernier  pas,  il  hésitait.  Peut-être  avait-il 
quelque  honte  du  triste  rôle  qu'il  allait  jouer.  Et  puis,  quel 
général  a  jamais  été  sûr  de  ses  armées  dans  une  telle  entre- 
prise, alors  que  l'obéissance  à  la  loi  n'est  pas  complètement 
effacée  du  cœur  des  soldats?  Il  y  eut  donc,  suivant  toute  appa- 
rence, entre  le  beau-père  et  le  gendre  quelques  propositions 
d'arrangement.  D'un  côté,  la  bonne  foi  n'était  pas  entière;  de 
l'autre,  on  désirait  plus  sincèrement  la  paix,  mais  on  l'espérait 
peu.  Cependant  Pompée  était  l'objet  des  railleries  de  ceux-là 
même  dont  l'attitude  ferme  et  résolue  eût  seule  pu  imposer 
quelques  craintes  à  César.  On  rendait  la  guerre  plus  certaine, 
en  voulant  l'éviter  à  tout  prix,  c  La  situation  de  la  Républi- 
€  que  m'inspire  de  plus  en  plus  d'inquiétude,  écrivait  Cicéron 
c  qui  venait  de  remettre  le  pied  en  Italie  (1).  Les  honnêtes 
c  gens  s'entendent  moins  qu'on  ne  le  pense.  Que  de  sénateurs, 
€  que  de  chevaliers  n*ai-je  pas  entendus  déclamer  contre  Pom- 

•  pée,  notamment  pour  le  voyage  qu'il  vient  de  faire.  C'est  la 
€  paix  qu'il  nous  faut.  Toute  victoire  sera  funeste  :  il  en  sor- 

•  tira  beaucoup  de  maux  et  certainement  un  tyran.  »  Une 
autre  lettre  de  Cicéron,  de  la  même  époque,  nous  apprend 
qu'on  offrait  à  César  les  faisceaux  consulaires  pour  prix  de  sa 
renonciation  à  son  gouvernement.  <  Je  n'ai  qu'une  espérance, 
«  y  disait-il,  c'est  qu%  l'homme  à  qui  ses  ennemis  offrent  le 
c  consulat  et  à  qui  la  fortune  donne  la  suprême  puissance,  ne 


{^)  Formies,  décembre;  à  Atticas,  VU,  5  :  Quos  ego  équités  rotnanosj  quos  tenaio^ 
rff  widi,  qui  acerrime  cum  ceiem^  tum  hoc  iler  Pompeii  vitup&rarent,  Pace  nobis  opus  est, 
S»  tictorià  cum  muUa  màla^  tum  tyrannus  emstet. 

8«  SÉRII.   —  TOME  III,    1.         .  7 


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98  MÉMOIRES. 

c  sera  pas  assez  insensé  pour  risquer  de  tels  avantages  (1).  » 
Mais  César  ne  prêtait  pas  l'oreille  à  cette  proposition,  et  Pom- 
pée ne  doutait  plus  que  la  guerre  ne  fût  prochaine,  c  Pompée, 

•  dit  Cicéron  dans  cette  même  lettre,  m'a  parlé  de  la  guerre 
f  comme  n'étant  plus  douteuse.  Aucun  espoir  de  concorde.  Il 

•  avait  compris  de  longue  main  que  César  n'avait  plus  pour  lui 

•  que  de  l'inimitié  {plane  illum  ab  se  alienatum  esse)  ;  mai^  il 

•  venait  d'en  avoir  une  preuve  toute  récente.  Hirtius,  l'ami 
«  intime  de  César,  était  venu  à  Rome  et  ne  s'était  pas  présenté 
c  chez  lui,  Pompée.  Il  était  venu  le  8  des  ides  de  décembre  et 
«  il  était  reparti,  la  nuit  même,  avec  Balbus,  qui  avait  eu,  le  7, 

•  avant  le  jour,  une  conférence  avec  Scipion  pour  l'affaire  qui 
c  l'amenait  (2).  Symptôme  non  équivoque  de  dispositions  hos- 

•  tiles,  suivant  lui.  » 

Son  opinion  sur  l'esprit  qui  animait  César  ne  tarda  pas  à 
être  confirmée  par  un  autre  incident.  Un  ancien  questeur  du 
gouverneur  des  Gaules,  Antoine,  venait  de  se  présenter  au  tri- 
bunat  avec  des  lettres  de  recommandation  de  son  patron,  et  avait 
été  élu.  Or,  Antoine,  dès  les  premiers  jours  qui  suivirent  son 
élection,  prononça  dans  le  Sénat  ou  devant  le  peuple  (nous  n'a- 
vons pas  à  ce  sujet  d'indication  suffisante)  un  discours  rempli 
d'invectives  contre  Pompée.  Ce  discours  fut  publié  et  dut  avoir 
le  caractère  d'un  manifeste,  si  nous  en  jugeons  sur  les  mots 
suivants  de  Cicéron  :  c  Nous  avons  lu  ensemble,  Pompée  et 
<  moi,  la  harangue  d'Antoine  du  10  des  kalendes  de  janvier  ; 
«  c'est  une  accusation  en  forme  contre  Pompée.  Il  le  prend 
«  dès  l'enfance  (a  togd  purd);  il  lui  reproche  des  condamna- 
«  tions  par  milliers  ;  il  nous  menace  de  la  guerre.  Sur  quoi 
«  Pompée  me  disait  :  *  Que  ne  fera  pas  César,  une  fois  maître 
«  de  la  République,  si  son  questeur,  un  homme  pauvre  et  sans 
«  autorité,  ose  parler  ainsi?  •  En  un  mot,  ajoute  le  correspon- 

•  dant  d'Atticus,  Pompée  m'a  paru,  non^seulement  ne  plus  dé- 
«  sirer  la  paix,  mais  la  craindre  (3).  »   Suit  une  conjecture 


(1)  Décembre,  Cicéron  à  Altic,  VII,  4. 

(2)  /Wd.,  Cicéron  à  Attic,  VII,  4. 

(3)  A  Altic,  VÎI,  8. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LÀ  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.        99 

maligne,  de  celles  dont  Cicéron  était  plus  particulièrement  pro- 
digue quand  il  s'agissait  de  Pompée.  «  Peut-être,  dit-il,  cet 
«  esprit  belliqueux  lui  vient-il  de  ce  qu'il  lui  faudrait  quitter 
<  ritalie  pour  aller  en 'Espagne.  >  Mais  dans  une  lettre  subsé- 
quente, l'indignation  que  lui  inspire  la  conduite  de  César  éclate 
dans  un  passage  d'une  véritable  éloquence,  c  Accordons  à 
César  le  consulat,  s'il  s'en  contente,  dit-il.  Le  voyez-vous 
avec  un  second  consulat  quand  nous  pensons  encore  au  pre- 
mier? Tout  faible  qu'il  était  alors,  il  était  plus  fort  que  toute 
la  République.  Que  serait-ce  donc  maintenant?  D'autant 
plus  que  Pompée  ne  pourrait  alors  se  dispenser  d'être  en 
Espagne.  Affreuse  extrémité.  Tout  mauvais  qu'il  est,  ce  parti, 
notis  serons  trop  heureux  sUl  veut  l'accepter;  et  encore  faudra- 
t-il  que  tous  le?  gens  de  bien  lui  en  aient  obligation.  Mais 
laissons  de  côté  cet  arrangement  qu'il  ne  veut  pas  accepter, 
à  ce  que  j'entends  dire.  De  tous  les  partis  qui  restent,  quel 
est  le  plus  fâcheux?  Ce  serait  de  lui  accorder  ce  qu'il  de- 
mande avec  tant  d'impudence,  pour  me  servir  de  l'expres- 
sion de  Pompée.  En  effet,  y  a-t-il  jamais  eu  impudence 
pareille?  Vous  avez  gardé  dia?  ans  une  province  que  vous 
vous  êtes  fait  continuer,  non  par  le  Sénat,  mais  par  brigue 
et  par  violence.  Vous  avez  passé  ce  terme  réglé  par  votre 
ambition  et  non  par  la  loi.  Supposons  que  ce  soit  la  loi  i  On 
ordonnequ'un  successeur  vous  soit  désigné;  vous  l'empêchez 
et  vous  dites  :  i  II  faut  d'abord  compter  avec  moi.  >  Mais 
commencez  par  respecter  nos  droits,  et  que  faites-vous  quand 
vous  retenez  wtre  armée  plus  longtemps  que  le  peuple  ne  Va 
ordonné^  que  le  Sénat  ne  le  veut?  Cédez  ou  combattez.  A  nous 
donc,  dit  Pompée,  la  bonne  chance  de  vaincre  ou  de  mourir 
libres.  S'il  faut  combattre,  c'est  le  hasard  qui  décidera  du 
moment,  des  moyens,  des  suites  (1).  » 
Il  y  a  bien  des  choses  à  prendre  dans  cette  lettre  confiden- 
tielle d'un  témoin  peu  suspect,  car  César  venait  alors  de  flatter 
son  amour-propre  en  lui  promettant  d'user  de  toute  son  in- 
fluence pour  lui  faire  obtenir  le  triomphe.  Il  était  même  par- 
Ci)  A  Attic.  Vn,  9  j  an  de  Rome  704,  décembre. 


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100  MÉMOIRES. 

venu  à  ranimer  contre  Caton  qui  n'avait  pas  voté  pour  qu'on 
lui  décernât  des  supplications  et  en  avait  fait  décréter  en  faveur 
de  Bibulus.  c  Caton^  écrivait  alors  Cicéron  à  Alticus  (la  lettre 
c  est  datée  du  mois  de  novembre)  m'a  desservi  d'une  manière 
€  indigne.  Il  a  témoigné^  ce  que  je  ne  lui  demandais  pas,  de 
<  mon  intégrité,  de  ma  douceur,  de  mon  équité  et  il  m'a  refusé 
c  ce  que  j'attendais  de  lui.  Aussi  il  faut  voir  combien  César  dans 
c  sa  lettre,  où  il  me  félicite  et  me  promet  tout,  appuie  sur  cette 
c  ingratitude  criante  de  Caton.  Mais  ce  même  Caton  a  fait  accor- 
c  der  vingt  jours  à  Bibulus.  Passez-moi  d'être  rancunier,  mais 
c  c'est  là  une  chose  que  je  ne  puis  lui  pardonner  et  que  je  ne  lui 
c  pardonnerai  jamais  (1).  •  C'était  donc  alors  l'amour  seul  de  la 
République  qui  poussait  Cicéron  dans  le  parti  de  Pompée  et  de 
Caton.  C'était  lui  aussi  qui  attirait  de  ce  côté  le  prudent  et  froid 
Atticus,  de  tout  temps  si  mal  disposée  l'égard  de  Pompée,  avec 
lequel  il  ne  voulait  pas  pourtant  se  brouiller,  parce  qu'il  ne  se 
brouillait  avec  personne.  Atticus  resta  neutre,  parce  qu'il  re- 
gardait sa  sûreté  comme  préférable  au  triomphe  de  n'importe 
quelle  opinion.  Hais  il  ne  cachait  pas  à  Cicéron  ses  sentiments 
sur  le  côté  où  se  trouvait  le  bon  droit.  Peu  attachés  tous  deux 
aux  chefs  du  parti  hostile  à  César,  ils  n'en  méritent  que  mieux 
d'être  crus,  lorsqu'ils  se  récrient  contre  les  exigences  insup- 
portables de  celui-ci.  Quelles  étaient  ces  exigences?  La  lettre 
que  nous  avons  citée  nous  les  indique  assez.  Il  n'était  nullement 
question  d'enlever  à  César  son  commandement  avant  le  terme 
fixé  par  la  loi.  Le  successeur  qu'on  lui  aurait  désigné  serait 
entré  en  fonctions  seulement  après  l'expiration  des  dix  années 
qu'un  double  décret  du  peuple  avait  assignées  à  son  proconsu- 
lat. Mais  il  demandait  comme  un  droit  une  nouvelle  prolonga- 
tion illégale,   et  le  consulat  qu'on   semblait  lui  garantir  en 
échange  de  son  gouvernement  lui  paraissait  trop  peu  de  chose. 
Céder  à  ses  menaces  et  permettre  qu'il  se  perpétuât  dans  son 
commandement,  qu'était-ce  autre  chose  que  lui  donner  l'Em- 
pire? Mieux  valait  encore  tenter  le  sort  des  armes.  Le  temps 
des  négociations  était  passé.  Pompée  avait  raison. 

(0  AAïuc.,  vn,  i. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.       101 


VI 


On  approchait  de  la  fin  de  Tannée  704.  Curion  allait  être 
obligé  d'abdiquer  sa  magistrature  Mais  Antoine  et  Cassius 
Longinus,  deux  créatures  de  César,  pouvaient  avantageuse- 
ment le  remplacer.  La  plupart  des  historiens  prétendent  que, 
vers  cette  époque,  Curion  accusant  ses  ennemis  de  violence 
contre  lui ,  se  réfugia  dans  le  camp  de  César.  Mais  nous 
apprenons  de  Dion  Cassius  qu'il  revint  bientôt  après  à 
Rome,  chargé  d'une  espèce  d'ultimatum  du  proconsul  pour 
le  Sénat.  César  offrait  de  résigner  le  gouvernement  de  la  Tran- 
salpine, pourvu  qu'on  lui  laissât  la  Cisalpine  et  l'illyrie.  Il 
promettait,  en  outre,  de  licencier  ses  légions,  à  l'exception  de 
deux  qu'il  conserverait.  La  proposition  de  César,  quelqu'en 
ait  été  le  porteur^  n'était  pas  acceptable. 

Une  république  est  perdue  lorsqu'elle  admet  qu'un  citoyen 
lui  impose,  par  la  menace  d'une  guerre,  un  traité  qui  le  place 
au-dessus  de  la  loi;  celle-ci,  quand  elle  est  seulement  éludée, 
se  relève  quelquefois  comme  le  roseau  qu'un  coup  de  vent  fait 
plier  sans  le  rompre.  Sacrifiée  à  la  volonté,  signifiée  les  armes 
à  la  main,  d'un  chef  militaire,  elle  est  morte;  elle  n'existe  plus. 
Mais  si  le  message  avait  été  porté  par  un  tribun  factieux, 
transfuge  de  Rome  dans  le  camp  de  César,  le  choix  du  messager 
aurait  été  à  lui  seul  une  insulte  pour  la  majesté  du  Sénat  et  du 
peuple  romain,  et  l'on  comprendrait  difficilement  que  les  Pères 
conscrits  eussent  poussé  la  faiblesse  jusqu'à  donner  audience  à 
un  tel  intermédiaire  et  à  l'écouter  jusqu'au  bout.  Il  fallait,  dans 
ce  cas,  qu'ils  eussent  un  bien  grand  désir  d'éviter  la  guerre 
civile.  Du  reste,  César  dit  que  ses  lettres  furent  remises  par  un 
certain  Fabius  aux  consuls  de  l'année  705  et  que  les  vives  ins- 
tances des  tribuns  du  peuple  purent  seules  obtenir  que  lecture 
en  fût  faite  par  eux  au  Sénat  (1).  Cependant,  dans  le  récit  des 

0)  Guerre  etc.,  IW.  I*»",  ch.  i*. 


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102  MÊMOIUES. 

scènes  tumultueuses  auxquelles  donna  lieu,  d'après  lui,  ce 
message,  il  met  en  scène  Curion^  protestant  contre  l'entrée  à 
Rome  des  deux  légions  de  Capoue,  que  les  nouveaux  consuls  et 
Pompée  font  venir  en  partie  pour  forcer  le  Sénat  et  le  peuple  à 
souscrire  à  leurs  desseins  malveillants.  Il  lui  attribue  même  la 
qualification  de  tribun  du  peuple  (1).  Ce  dernier  mot  donne  la 
mesure  du  peu  de  véracité  avec  laquelle  le  récit  de  la  guerre 
civile  a  été  écrit  par  celui  qui  y  fut  le  principal  acteur.  Gurion, 
qu'il  se  fût  précédemment  enfui  de  Rome  ou  qu'il  y  fût  tou- 
jours resté,  n'était  plus  tribun;  il  avait  fait  place  à  Antoine,  à 
Cassius  et  à  leurs  collègues.  Son  opposition  n'était  plus  que 
celle  d'un  simple  particulier.  Je  ne  sais  si  Antoine  et  Longinus 
auraient  eu  plus  de  droit  à  opposer  leur  veto;  Tintercession  des 
tribuns  n'était  valable  que  s'il  s'agissait  d'une  province  pré- 
torienne (2).  Ils  ne  le  purent,  d'ailleurs,  le  Sénat  ayant  déclaré 
qu'il  y  avait  tumulte.  Le  septième  jour  avant  les  ides  de  jan- 
vier (3),  après  des  débats  qui  sans  doute  furent  tumultueux, 
bien  que  César  en  ait  exagéré  la  violence,  le  Sénat  décréta  que 
la  République  était  en  péril  et  prononça  la  formule  suivante  : 
c  Que  les  consuls,  les  préteurs,  les  tribuns  du  peuple  et  les 
c  consulaires  qui  sont  près  de  Rome  veillent  à  ce  que  la  Ré- 
c  publique  ne  reçoive  aucun  dommage.  »  Antoine  et  Cassius 
quittèrent  Rome  aussitôt  pour  se  rendre  au  camp  de  César^  et 
Curion  les  accompagna.  C'était  précisément  l'époque  que  le 
pauvre  Cicéron,  tout  fier  des  succès  militaires  qu'il  avait  obte- 
nus en  Ciliciê,  avait  fixée  pour  son  entrée  solennelle  dans  les 
faubourgs  de  Rome.  «  Je  suis  arrivé  à  Rome  la  veille  des  nones 
€  de  janvier,  écrit-il  à  sa  femme  Térentia.  L'affluence  a  été  telle 
c  au-devant  de  moi  qu'on  ne  saurait  imaginer  rien  de  plus 
c  flatteur.  Mais  je  tombe  au  milieu  des  brandons  de  la  discorde 
€  ou  plutôt  de  la  guerre  civile.  Je  voudrais  arrêter  le  mal,  et 
c  je  crois  que  j'y  réussirais.  Mais  des  deux  côtés,  il  y  a  des  gens 

(1)  ((  MtUli  ex  duabus  legionis  quœ  $unt  a  Cœsate  tradita  arcetsuniwr.  Compleiur  urbi, 
et  jus  comitiorum  tribunus  plebis  C.  Curio  evocat.  »  Guerre  civile,  I,  3. 

{%)  Gela  résulte  d'un  passage  du  De  provinciis  consularibusy  VU,  17,  que  M.  Gulraud 
mentioDoe  dans  son  histoire  du  différend  de  Césgr  et  du  Sénat,  pag.  136. 

^3)  Les  ides  étaient  le  4  3  de  ce  mois. 


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LES    PRÉLIMmAlRES  DE  LÀ  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.       103 

ff  qui  veulent  se  battre,  et  les  passions  se  mettent  à  la  traverse. 
«  César  lui-même,  notre  cher  ami  César,  a  envoyé  au  Sénat 
€  des  lettres  menaçantes  et  pleines  d  aigreur,  et  cela  même 
€  quand  il  avait  le  front  de  rester,  en  dépit  du  Sénat,  à  la  tête 
«  d'une  armée  et  d'une  province.  Le  cher  Curion  est  là  qui 
c  l'excite.  Enfin  nos  bons  amis,  Antoine  et  Cassius,  sans  aucune 
«  provocation,  sont  allés  avec  Curion  rejoindre  César...  jamais 
«  les  brouillons  n'eurent  un  chef  plus  entreprenant  à  leur  tête. 
«  De  ce  côté,  on  se  prépare  sérieusement  à  se  défendre,  grâce 
«  au  zèle  de  Pompée,  qui  s'y  prend  un  peu  tard  à  craindre 
•  César  (1).  » 

Les  mots  sans  aucune  provocation  sont  plus  tard  développés 
par  le  même  Cicéron  dans  sa  deuxième  Philippique,  où  il  accuse 
Antoine  d'avoir  excité  à  dessein  des  troubles,  alors  que  le  Sénat 
ne  cherchait  qu'à  trouver  une  combinaison  de  nature  à  plaire 
à  César,  si  l'ambition  ne  l'avait  privé  complètement  de  sens. 
Nom,  quum  L.  Lentulo,  C.  Marcello  consulibus,  kalendis  janua- 
riis  labentem  et  prope  cadentem  rempublicam  fulcire  cuperetis, 

IPSIQDE    C.    CfSÀRI   SI    SANA   MENTE  ESSBT,    CONSULERE    VELLETIS ,  tum 

iste  (Antonius)  venditum  atque  emancipatum  tribunatum  consiliis 
vestris  opposuit,  cervicesque  suas  ei  subjecit  securi,  quâ  multi  mi' 
noribus  in  peccatis  occiderunt  (2).  Je  n'ai  pas  besoin  de  faire 
remarquer  Timportance  de  ce  passage  trop  peu  remarqué. 

Il  y  a  toute  ap'parence  que  l'esprit  inventif  de  César  n'avait 
pas  été  étranger  à  la  scène  de  tumulte  qui  fixa  contre  lui  les 
hésitations  du  Sénat.  Curion,  Antoine,  Cassius  et  les  autres 
agents  de  César  avaient  mission  d'exciter  une  espèce  desédition 
qui  mît  les  Pères  conscrits  dans  la  nécessité  de  décréter  des 
mesures  extraordinaires.  Ils  devaient  saisir  cette  occasion  de 
quitter  Rome,  et  leur  patron  aurait  ainsi  un  prétexte  pour 
conduire  ses  légions  à  la  défense  du  tribunat  foulé  aux  pieds. 
Ce  qui  me  porte  à  croire  qu'il  y  avait  eu  ainsi  un  complot 
formé  d'avance  entre  l'ambitieux  général  et  ses  agents ,  c'est  la 
conduite  de  l'un  et  des  autres  après  le  décret  du  Sénat.  Les 

(1)  AdfamU.,  XVI,  t. 

(2)  Deuxième  Philippique,  21. 


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104  MÉMOIRES. 

tribuns  chassés  de  Rome,  qui  feignaient  autant  de  crainte  que 
d'indignation,  ne  se  hâtèrent  point  pourtant  de  se  rendre  au- 
près de  leur  protecteur.  Ils  étaient  partis  le  6  janvier;  ils  tra- 
versèrent la  partie  de  TUalie  voisine  de  Rome  à  petites  journées, 
si  bien  que  César  se  trouvait  déjà  à  Ariminum,  au  sud  du 
Rubicon,  lorsqu'il  les  recueillit.  Lui,  au  contraire,  avait  pris 
ses  mesures  avec  une  célérité  telle,  qu'on  est  fondé  à  se  demander 
s*il  avait  pu,  comme  il  le  prétend  ,  savoir  ce  qui  s'était  passé  à 
Rome  ce  jour-là  et  dans  les  jou7*s  suivants  y  lorsqu'il  invita  ses 
soldats  à  le  suivre.  Trois  ou  quatre  joui^s  après  ce  premier 
décret  du  Sénat,   il  haranguait  ses  troupes  et  se  préparait  à 
passer  le  Rubicon.  Le  15  janvier,  il  le  passait  en  effet.  Une 
seule  légion,  il  est  vrai,  la  treizième,  marcha  d'abord  avec  lui. 
Il  avait  laissé  les  autres  en  arrière,   à  dessein  sans  doute. 
D'abord  il  avait  voulu  donner  moins  de  soupçons  sur  ses  projets 
que  pourtant  tous  les  hommes  politiques  de  Rome  comprenaient 
fort  bien.  Ensuite  il  craignait  que,  s'il  voulait  faire  entrer  à  la 
fois  en  Italie  son  armée  tout  entière,  il  ne  s'y  produisit  quel- 
que hésitation.  Ceux  auxquels  il  répugnerait  de  porter  contre 
la  patrie  une  main  parricide,  pourraient  détourner  les. autres 
de  suivre  leur  général.  Au  moment  de  franchir  la  frontière  de 
l'Italie,   ne  se    verrait- il   pas  abandonné?  Mais    le   mauvais 
exemple  est  contagieux  comme  le  bon.  Une  fois  la  treizième 
légion,  du  dévouement  de  laquelle  il  se  tenait  pour  certain, 
engagée  dans  la  lutte,  les  autres  se  piqueraient  d'émulation. 
Elles  se  regarderaient   comme  déshonorées  si  elles  laissaient 
leurs  compagnons  d'armes  et  leur  chef  soutenir  seuls  une  lutte 
inégale  contre  une  faction  de  tyrans.  Suétone  rapporte  aussi 
que  César  fit  partir  secrètement  de  Ravenne  la  plus  grande 
partie  de  la  treizième  légion  par  petits  détachements,  que  le 
jour  même  où  il  alla  se  mettre  à  sa  tète,  il  assista  à  un  spectacle 
public,  donna  un  grand  repas  et  feignit  de  chercher  un  empla- 
cement considérable  pour  y  établir  un  cirque,  le  tout  afin  de 
mieux  cacher  ses  desseins  (1).  La  nuit,  il  emprunta  le  chariot 
d'un  moulin  voisin,  y  fit  atteler  des  mules,  partit  avec  deux 

(4)  Suétone,  Catar,  30. 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.       105 

OU  trois  compagnons  et  s'égara  dans  sa  route.  Ce  ne  fut  que  le 
lendeniain  qu'ayant  pris  un  guide  il  rejoignit  ses  troupes,  aux- 
quelles il  avait  donné  rendez- vous  sur  les  bords  du  Rubicon. 
Si  ce  récit  romanesque  est  vrai,  il  augmente  le  soupçon  que 
nous  manifestions  tout  à  l'heure.  Le  décret  du  Sénat,  la  fuite 
des  tribuns  étaient  donc  ignorés  encore  à  Ravenne.  Gomment, 
sî  on  les  y  avait  connus,  n'aurait-on  pas  remarqué  les  mouve- 
ments de  troupes  accomplis  par  ordre  de  César?  A  qui  sa  dissi- 
mulation aurait-elle  pu  donner  le  change?  Quel  grossier  moyen 
de  tromper  les  habitants  sur  la  proximité  de  son  départ  que  de 
leur  promettre  l'érection  d'un  cirque,  alors  que  l'expiration 
prochaine  de  sa  magistrature  allait  rompre  le  seul  lien  qui 
existât  entre  eux  et  lui!  Pour  que  les  Ravennales  pussent  être 
abusés  par  un  tel  stratagème  n'était-il  pas  nécessaire  qu'ils 
crussent  à  la  possibilité  du  maintien  de  son  proconsulat  pour 
une  nouvelle  période  quinquennale?  Donc  ils  ignoraient  ce 
qui  venait  d'avoir  lieu  à  Rome.  César  lui-même  ne  le  savait  si 
bien  que  parce  qu'il  était  convenu  d'avance  avec  ses  agents  que 
tout  serait  ainsi.  Curion,  qu'on  faisait  encore  passer  pour  un 
tribun  quoiqu'il  ne  le  fût  plus,  Antoine  et  Cassius  avaient  en- 
core à  lui  rendre  un  dernier  service;  celui  de  paraître  à  Ari- 
minum  devant  les  soldats  en  fugitifs  et  en  suppliants  pour  les 
émouvoir  davantage.  Ils  se  présentèrent  en  habits  d'esclaves; 
ils  avaient,  direni-ils,  emprunté  ce  déguisement  pour  se  sous- 
traire aux  entreprises  coupables  d'une  bande  de  furieux.  César 
joignit  ses  larmes  à  leurs  plaintes.  Il  déchira  ses  vêtements  et 
se  frappa  la  poitrine  (1).  Ainsi  fut  poussée  jusqu'au  bout  cette 
étrange  comédie.  Tant,  même  dans  ses  entreprises  les  plus 
aventureuses.  César  mettait  de  conseil  et  de  précautions,  ne 
laissant  au  hasard  que  ce  qu'il  ne  pouvait  absolument  lui 
enlever  I 

A  Ariminum,  il  s'arrêta  pour  attendre  que  de  nouvelles 
légions  vinssent  joindre  la  treizième.  La  douzième  et  la  quin- 
zième arrivèrent  dans  un  assez  bref  délai.  C'est  là  seulement 


(4)  Atque  iià  Irajecto  exercU'X,  adhibitU  tribunU  plebis  q\U  puUi  supenenerant,  pro 
condonelidem  milUum  flens  ac  veste  a  pectore  dUcUsâ  invocami.  (Suét.,  Cœsarj  32.) 


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106  MÉMOIRES. 

qu'il  dut  apprendre  les  dernières  mesures  qu'on  avait  prises 
contre  lui  et  les  arrangements  relatifs  à  la  division  de  l'État  en 
départements  militaires  pris  par  le  Sénat,  de  concert  asrec 
Pompée.  Nous  pouvons  invoquer  à  ce  sujet  son  propre  témoi- 
gnage, bien  qu'il  ait,  ce  semble,  confondu  à  dessein  les  dates 
pour  mieux  persuader  à  ses  lecteurs  que  les  provocations  de 
ses  ennemis  seuls  avaient  déterminé  sa  prise  d'armes.  Après 
avoir  raconté  à  sa  manière  la  séance  où  fut  voté  le  sénatus- 
consulte  déclarant  la  République  en  danger,  il  dit  que,  dans 
un  des  jours  suivants  (procoimis  diebiis)  y  le  Sénat,  convoqué 
hors  de  la  ville,  avait  fait,  à  l'instigation  de  Pompée,  de  nou- 
veaux décrets  qu'il  résume  ainsi  (1).  «  On  accorde  des  gouver- 
«  nements  à  desimpies  particuliers;  deux  de  ces  gouverne- 
«  ments  étaient  consulaires,  trois  autres  prétoriens.  A  Scipion 
«  échoit  la  Syrie;  à  L.  Domitius,  la  Gaule.  Philippe  et  Marcellus 
c  sont  oubliés  par  des  intrigues  particulières;  leurs  noms  ne 
c  sont  pas  tirés  au  sort.  On  envoie  des  préteurs  dans  les  au- 
«  très  provinces,  et  ils  partent  sans  attendre,  comme  cela  se 
«  pratiquait  les  autres  années ,  que  le  peuple  ait  ratifié  leur 
«  élection,  qu'ils  aient  revêtu  l'habit  de  guerre  et  prononcé  les 
€  vœux  accoutumés.  Ce  qui  ne  s'était  jamais  vu  jusque-là,  les 
c  consuls  sortent  de  la  ville,  et  de  simples  particuliers  se  font 
€  précéder  de  licteurs  à  Rome  et  au  Capitole,  contre  tous  les 
c  exemples  du  passé.  On  fait  des  levées  à  Rome  et  dans  toute 
«  l'Italie,  on  commande  des  armes,  on  exige  de  l'argent  des 
€  villes  municipales,  on  en  prend  dans  les  temples,  tous  les 
c  droits  divins  et  humains  sont  violés  (2)  t  »  César  ajoute  qu'il 
avait  appris  tout  cela  {his  rébus  cognitis)  lorsqu'il  harangua 
pour  la  première  fois  ses  troupes  à  Ravenne.  Mais  l'homme  le 
plus  habile  parvient  difficilement  à  donner  à  un  mensonge 
toutes  les  couleurs  de  la  vérité.  L'artifice  se  trahit  toujours  par 

(4)  César,  Guerre  civ.j  Ht.  I,  t.  M.  Mominseo,  qae  Ton  peut  reoroyer  i  César,  iottr- 
Tertit  Toidre  des  faiU.  SoiTant  loi,  ÀDloioeet  Cassios  auraient  opposé  leur  intercessioD 
an  décret  nommant  Domitias  successeur  de  César,  et  c'est  alors  que  la  Tiolence  de  leurs 
adrersaires  les  aurait  obligés  à  s'enfuir  de  Rome.  Ils  auraient  joint  César  k  Ravenne,  et 
c'est  alors  seulement  qu'il  aurait  passé  le  Rubicoo.  (Hist,  rom.,  Ut.  V,  ix.) 

(t)  Pourquoi  donc  le  trésor  public  reeta-t-il  à  Rome  à  la  disposition  de  César  ? 


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LES  PRÉLIMINAIRES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.       107 

quelque  invraisemblance  ou  même  par  quelque  fausseté  ma- 
nifeste. 

Comment,  César,  auriez-vous  pu  connaître  à  Ravenne  des 
résolutions  prises  par  le  Sénat  quelques  jours  seulement  après 
l'expulsion  des  tribuns,  alors  que  ces  mêmes  tribuns,  s'enfuyant 
précipitamment  de  Rome  n'auraient  pu  se  réunir  à  vous  qu'à 
Ariminum?  Donc,  quand  vous  avez  passé  le  Rubicon,  on  ne 
vous  avait  pas  encore  donné  do  successeur.  Rien  n'avait  encore 
été  définitivement  décidé  en  ce  qui  concernait  votre  province. 
On  avait  résolu  seulement  de  rejeter  votre  proposition,  qui 
tendait  à  vous  perpétuer  dans  votre  commandement,  et  Ion 
avait  proclamé  la  République  en  danger,  parce  que  vos  tribuns 
y  voulaient  exciter  une  émeute.  Hais  aucune  délibération 
n'avait  eu  lieu  pour  vous  enlever  votre  proconsulat  avant 
l'échéance  des  six  mois  qui  vous  restaient,  dites-vous,  à  parcou- 
rir (1).  Vous  aviez  à  craindre,  il  est  vrai,  qu'on  ne  vous  en  pri- 
vât. Mais  rien  n'était  fait  encore.  La  peur  d'une  injustice 
autorise-t-elle  un  citoyen  à  s'armer  contre  sa  patrie  ? 

Du  reste,  Ib  décision  du  Sénat  relativement  au  remplacement 
de  César  était  si  peu  définitive  que  deux  délégués  de  Pompée, 
L.  César,  fils  d'un  des  lieutenants  du  vainqueur  des  Gaules,  et 
Roscius,  préteur,  qui  avait  précédemment  émis  dans  le  Sénat 
un  avis  modéré,  vinrent  le  trouver  à  Ariminum,  chargés  d'une 
mission  du  général  en  chef  des  troupes  républicaines.  Les  der- 
nières propositions  qu'ils  lui  portèrent,  signées  de  la  main  des 
consuls  et  de  celle  de  Pompée,  sont  ainsi  résumées  par  lui- 
même.  •  César  retournerait  en  Gaule,  sortirait  d'Ariminum, 
•  licencierait  son  armée.  Pompée  s'en  irait  en  Espagne,  César 
c  pourrait  toujours  briguer  le  consulat.  Mais  jusqu'à  ce  qu'il 
«  eût  garanti  l'exécution  de  ses  promesses,  Pompée  et  les 
c  consuls  ne  cesseraient  pas  les  levées  qu'ils  faisaient.  »  Écou- 

(^)  Ce  terme  de  six  mois  est  indiqué  par  César  lui-même.  Parmi  les  griefs  qu'il 
allègue  aux  députés  de  Pompée  et  du  Sénat  qui  Tinrent  le  trourer  à  Ariminum  se  trouve 
le  suifaot  :  Doluitse  se  qudd  popuU  romani  beneficium  sibi  per  contvaneUam  ab  inimicis 
esBtorquereiur^  ereptoque  temettri  imperio,  in  urbem  extrakerelur^  cujus  abtentis  rationem 
haberi  proxinUs  comUOs  popiUvu  jussiiset,  iamen  hanc  jactwam  honorit  sui,  mpublicœ 
cautâ,  œqaoammo  Mitte,  (Guerre  dvikjliY.  I,  ch.  ix.) 


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108  MÉMOIRES. 

tons  maintenant  pourquoi  César  rejeta  ce  projet  d'accommode- 
ment :  c  I]  était  injuste,  dit-il,  de  demander  que  César  sortit 
c  d'Ariminum,  et  retournât  dans  son  gouvernement,  tandis 
€  que  Pompée  retiendrait  des  provinces  et  des  légions  qui  n'é- 
f  taient  pas  à  lui;  que  César  licenciât  son  armée  quand  on 

<  faisait  des  levées;  que  Pompée  promit  de  se  rendre  dans  son 
c  gouvernement,  et  de  ne  pas  fixer  le  délai  dans  lequel  il  par- 
c  tirait  :  de  sorte  que  si,  à  la  fin  du  consulat  de  César ,  Pompée 
c  n'était  pas  parti,  on  ne  pourrait  l'accuser  d'avoir  faussé  son 

<  serment  (1).  »  Mais  César,  consul,  n'aurait-il  pas  eu  mille 
moyens  d'obliger  Pompée  à  accomplir  sa  promesse?  Nous  sa- 
vons quelles  étaient  encore  les  prérogatives  du  consulat;  et  qui 
croira  qu'un  homme  aussi  actif,  aussi  énergique,  aussi  habile, 
aussi  populaire  que  César  n'aurait  pas  su  les  faire  valoir?  Les 
raisons  de  César  pour  refuser  une  telle  transaction  n'étaient 
que  de  mauvais  prétextes.  Hais  il  avait  de  longue  main  préparé 
la  guerre  sacrilège  qu'il  venait  de  commencer.  Les  légions  lui 
demeuraient  fidèles.  Aucun  de  ses  vétérans  n'avait  voulu  suivre 
dans  sa  défection  Labienus,  son  principal  lieutenant.  Le  sort  en 
était  jeté,  comme  il  l'avait  dit  lui-môme*  d'ailleurs  il  fut  irrite^ 
de  ce  que  Pompée  refusait  d'avoir  avec  lui  une  entrevue  par- 
ticulière, où  peut-être  il  lui  aurait  offert  de  partager  avec  lui 
l'empire  du  monde,  dont  il  se  serait  réservé,  bien  entendu,  la 
bonne  part  pour  lui-même.  Il  rompit  les  négociations  au 
moment  même  où  Pompée  se  déterminait  à  lui  donner  satis- 
faction sur  tous  les  points  (2),  et  marcha  en  avant. 

(4)  Guerre  cit. y  Ut.  I,  cb.  x  et  xi.  Combien  il  y  a  peu  de  clarté  dans  tout  cela!  Ma» 
César,  si  clair  d'ordinairo,  était  ici  obscur  k  dessein. 

(2)  I]  paraît  qu'il  recommença  la  guerre,  sans  même  attendre  la  réponse  de  ses  ad- 
versaires aux  propositions  qu'il  avait  chargé  L.  César  de  leur  porter.  C'est  encore  à  la 
correspondance  deCicéronque  nous  devons  ce  fait  important.  «  Vous  voyez  par  la  réponse 
de  Pompée  aux  propositions  de  César,  dit-il,  qu'on  ne  refuse  rien  à  ce  dernier,  et  qu*il  n'a 
eu  qu'à  demander  pour  avoir.  D  serait  insensé  s'il  n'acceptait  pas  les  conditions  qu'on  lui 
offre,  après  qu'on  a  accepté  celles  qu'il  a  eu  le  front  de  proposer.  Car  enfin  qui  ôtes-vous 
pour  dire  :  «  Je  prétends  que  Pompée  s'en  aille  en  Espagne  et  qu'il  retire  ses  troupes  de 
ft  l'Italie  »  ?  Cependant  ii  ro6(iefU^  et  on  cède  aujourd'hui  avec  moins  d'honneur  à  un  rebelle 
avoué,  qui  a  porté  des  mains  violentes  sur  la  République,  que  si  on  l'avait  fait  autrefois  ; 
fapprébende  néanmoins  qu'il  ne  se  contente  pas  de  ce  qu'on  lui  accorde  ;  car  depuis  qu'il 


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LES  PRÊLlMlNAiaES  DE  LA  SECONDE  GUERRE  CIVILE  A  ROME.       109 

Alors  Pompée  quitta  l'Italie,  entraînant  après  lui  le  sénat 
républicain.  Ces  sénateurs,  ces  consulaires,  de  tout  temps  si 
mal  disposés  pour  lui  et  maintenant  obligés  d'abandonner 
leurs  maisons  de  Rome  et  leurs  villas,  accusèrent  d'une  voix 
unanime  sa  présomptueuse  imprévoyance.  Les  historiens  ont 
adopté  à  l'envi  cette  opinion  de  ses  contemporains  (1).  Une 
étude  plus  attentive  des  documents  de  l'époque  eût  appris 
qu'elle  était  mal  fondée.  Pompée  avait  pris  ses  mesures  pour 
résister  à  César,  mais  en  usant  des  ressources  dont  il  pouvait 
disposer  sans  sortir  de  la  légalité.  Revêtu  d'un  empire  presque 
absolu  sur  les  forces  maritimes  de  Rome  par  un  décret  du  Sénat 
et  de  son  peuple  pour  l'approvisionnement 'de  l'Italie,  il  pou- 
vait user  de  ce  même  commandement  pour  affamer  la  Péninsule 
et  réduire  César.  Tout  était  prêt  pour  cela  ou  tout  au  moins 
tout  allait  bientôt  l'être,  et,  deux  mois  après  le  passage  du 
Rubicon  par  César^  Cicéron  apprenait  à  Atticus,  non  sans 
émotion,  que  des  armements  formidables  venaient  d'être  exé- 
cutés jusqu'aux  extrémités  du  Pont-Euxin  et  que  l'Italie  allait 
être  bloquée,  c  Ce  n'est  pas  seulement  mon  imagination  qui 
€  s'épouvante,  s'écriait-il,  j'ai  tout  entendu  de  mes  oreilles. 

•  Ces  vaisseaux  qu'on  rassemble  de  tous  côtés,  d'Alexandrie, 
t  de  la  Colchide,  de  Tyr,  de  Sidon,  d'Arade,  de  Chypre,  de  la 
€  Pamphylie,  de  Rhodes,  de  Chio,  de  Byzance,  de  Lesbos,  de 
f  Smyrne,  de  Milet,  deCos,  c'est  pour  intercepter  les  convois 
f  destinés  à  l'Italie  et  pour  envahir  toutes  les  provinces  nour- 

•  ricières  de  Rome...  On  veut  faire  périr  par  la  faim  la  patrie 
c  la  plus  vénérable  et  la  plus  sacrée  des  mères  (2).  • 

Comment  ce  plan  échoua,  en  dépit  de  l'habileté  de  Pogipée, 
par  la  faute  de  ses  lieutenants,  et  comment  son  exécution,  bien 
plus  que  le  prétendu  cosmopolitisme  de  César,  a  contribué  à  effa- 
cer la  ligne  de  séparation  qui  avait  existé  entre  Rome  et  les  pro- 
vinces, nous  chercherons  à  le  montrer  dans  un  travail  ultérieur. 

a  chargé  L.  César  de  ses  propositions,  il  semble  qa*il  aurait  dû  se  tenir  on  pea  plus  tran- 
quille; or  j'apprends  que,  fans  attendre  la  réponse,  il  se  montre  plus  acharné  que  jamais.  » 

(1)  Un  seul  historien,  M.  Mérivale,  croit  que  le  plan  de  guerre  de  Pompée  contre 
César  était  préparé  de  longue  main.  Mais  il  lui  soupçonne  des  motifs  peu  honorables. 

(2)  A  Atticus,  II,  9;  17  mars,  an  de  Rome  705. 


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110  MÉMOIRES. 


r  r 


FREDERIC    II 

CONSIDÉRÉ   COMME   HISTORIEN 
d'après  les  travaux  les  plus  récents  de  la  critique  allemande 

Par  m.   HALLBERGO) 


Il  n'est  pas  étonnaDt  que  nos  voisins  d'outre-Rhin  se  soient 
attachés,  dans  ces  derniers  temps,  à  jeter  un  nouveau  lustre 
sur  la  personne  de  Frédéric  II,  —  Frédéric  le  Grand,  pour  par- 
ler comme  eux,  —  le  véritable  fondateur  de  la  monarchie  prus- 
sienne, et,  par  suite,  du  moderne  empire  germanique.  Parmi 
tous  les  ouvrages  qui  ont  été  consacrés  depuis  quelques  années 
à  ce  monarque,  et  dont  plusieurs  sont  assez  volumineux,  les 
plus  remarquables  et,  à  coup  sûr,  les  plus  intéressants  pour 
nous,  sont  ceux  où  l'on  cherche  de  préférence  à  mettre  en 
lumière  sa  physionomie  de  littérateur  et  surtout  d'historien  (2). 

Nous  savons  combien  a  été  bizarre  la  fortune  des  œuvres  de 
Frédéric  II;  désavoués,  bien  souvent,  aussitôt  après  avoir  été 
écrits,  (es  livres  sortis  de  la  royale  plume  étaient  imprimés  à 
l'étranger,  leur  texte  plus  ou  moins  tronqué  ou  falsifié,  leur 
style  même  et  leur  orthographe  outrageusement  dénaturés.  C'est 
ainsi  que  son  premier  opuscule,  intitulé  :  Considérations  sur 
Vêlai  politique  de  V Europe  en  ce  moment^  fut  jeté  sur  le  papier 

(1)  La  dans  la  séance  da  13  janyier  4  884 . 

(2)  Voir  surtout  W.  Wiegand,  dk  Vomâen  Friedriài»  des  Grossm  (Strassburg,  4874.) 


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FRÉDÉRIC   II   CONSIDÉRÉ   COMME   HISTORIEN.  111 

dès  1738,  mais  condamné  aussitôt  par  son  auteur  à  ne  pas  voir 
le  jour;  c'était  un  mémoire  adressé  aux  puissances  maritimes 
pour  avertir  l'opinion  publique,  en  Angleterre  et  en  Hollande, 
desdangers  dont  la  France  et  l'Autriche  étaient  censées  menacer 
l'équilibre  européen;  il  devait  paraître  en  Angleterre,  sans  nom 
d'auteur,  mais  un  brusque  changement  survenu  dans  la  politi- 
que de  la  France  en  arrêta  l'impression;  le  cardinal  de  Fleury 
s'étant  rapproché  de  la  Prusse,  l'héritier  de  cette  monarchie  ne 
jugea  pas  à  propos  de  se  brouiller  gratuitement  avec  une  grande, 
puissance  qui  pouvait  être  bientôt  son  alliée.  C'est  ainsi  encore 
qu'en  1740,  à  peine  monté  sur  le  trône,  le  nouveau  roi  regret- 
tait et  blâmait  la  publication  de  son  Anti- Machiavel ,  qu'il  avait 
laissé  faire  à  La  Haye  quelques  mois  auparavant,  alors  qu'il 
n'était  que  prince  royal  ;  il  la  condamnait  maintenant  comme 
inexacte,  ou,  pour  dire  vrai,  comme  inopportune.  Il  ne  lui 
arriva  que  rarement,  du  reste,  de  se  faire  imprimer,  et  jamais 
de  signer  ses  œuvres,  bien  qu'il  fît,  à  l'occasion,  le  métier  de 
journaliste  tout  aussi  bien  qu'un  autre,  témoin  le  fameux  ca- 
nard, cette  histoire  de  grêle  phénoménale,  qu'il  fit  insérer 
dans  les  journaux  de  Berlin,  en  1767,  pour  détourner  l'atten- 
tion publique  d'un  projet  de  guerre  qu'il  caressait  en  ce 
moment. 

Aussi,  après  sa  mort,  les  éditeurs  ne  se  gênèrent-ils  pas  pour 
mutiler  ou  corriger  ses  œuvres  en  prose,  comme  on  avait  fait, 
de  son  vivant,  pour  ses  poésies;  sa  correspondance  seule, 
comme  il  est  naturel,  fut  livrée  au  public  sans  trop  d'altéra- 
tions. Ce  ne  fut  qu'en  1846  que  l'Académie  de  Berlin  donna 
une  édition  complète  et  exacte  de  tous  ses  écrits;  et  néanmoins 
la  renommée  littéraire  de  Frédéric  H  n'y  a  pas  gagné  ;  les  cri  - 
tiques  étrangers  ou  même  allemands  consentent  à  peine  encore 
à  le  considérer  comme  un  écrivain. 

Cela  tient  sans  doute  à  ce  qu'on  ne  peut  le  compter  ni  parmi 
les  écrivains  français,  ni  parmi  les  auteurs  allemands;  on  sait 
que  cet  Allemand  parlait  toujours  français  et  a  écrit  tous  ses 
ouvrages  dans  notre  langue  ;  il  a  été  considéré,  des  deux  côtés 
du  Rhin,  comme  une  sorte  d'amphibie,  et  ses  compatriotes, 
surtout,  l'ont  puni  du  crime  d'avoir  méprisé  leur  langue.  Le 


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112  MÉMOIRES. 

jugement  des  critiques  allemands  est  unanime  sur  ce  point; 
Hettner^  qui  a  écrit  l'histoire  des  littératures  allemande  et  fran- 
çaise au  dix-huitième  siècle,  ne  nomme  Frédéric  ni  dans  l'une  ni 
dans  l'autre.  Longtemps  avant  lui,  Schiller,  dans  des  vers  célè- 
bres, avait  reproché  au  roi  de  Prusse  de  négliger  la  muse 
nationale.  Plus  près  de  nous,  Ranke,  dans  son  Histoire  de  la 
Prusse,  et  TAnglais  Thomas  Carlyle.dans  son  Histoire  de  Fré- 
déric II,  font  très-bon  marché  de  ses  écrits  ;  Preuss  lui-même, 
son  principal  panégyriste,  dans  sa  grande  histoire  de  ce  roi,  ne 
lui  rend  nullement  justice  comme  écrivain. 

Chez  nous,  aussi,  personne  n'a  jamais  songé  à  le  considérer 
comme  un  des  nôtres:  Yillemain,  qui  trouve  <  dans  sa  naria- 
tion  plus  de  sécheresse  que  de  simplicité,  plus  de  négligence 
sans  goût  que  de  naturel  >,  déclare  que  Frédéric,  malgré  toutes 
ses  études  et  ses  prédilections  françaises,  est  et  reste  Allemand. 
Je  laisse  de  côté,  bien  entendu,  les  jugements  intéressés  de 
Voltaire,  qui  congratulait  volontiers  son  royal  ami  de  Potsdam 
dans  les  lettres  qu'il  lui  adressait,  mais  qui  prenait  sa  revanche 
en  le  criblant  d'épigrammes  dans  sa  correspondance  secrète 
avec  d'Alembert  et  autres. 

Frédéric  II  était  pourtant  un  écrivain  dans  toute  la  force  du 
terme,  et  je  pourrais  citer  maint  passage  de  ses  œuvres  où  l'on 
voit  que  ce  prince  s'appliquait  au  moins  autant  à  bien  écrire 
qu'à  bien  gouverner  ou  à  bien  combattre.  Seulement  il  écrivait 
pour  la  postérité,  non  pour  les  contemporains. 

Et,  tout  d'abord,  il  éprouve  le  besoin  d'expliquer  pourquoi 
il  écrit  en  français  :  <  Quoique  j'aie  prévu  les  difficultés  qu'il  y 
a  pour  un  Allemand  d'écrire  dans  une  langue  étrangère,  je  me 
suis  pourtant  déterminé  en  faveur  du  français  à  cause  que  c'est 
la  plus  polie  et  la  plus  répandue  en  Europe,  et  qu'elle  parait  en 
quelque  façon  fixée  par  les  bons  auteurs  du  siècle  de  Louis  XIV. 
Après  tout,  il  n'est  pas  plus  étrange  qu'un  Allemand  écrive  de 
nos  jours  en  français,  qu'il  l'était  du  temps  de  Cicéron  qu'un 
Romain  écrivît  en  grec.  »  L'éloge  que  le  royal  auteur  fait  de 
notre  langue  est  presque  textuellement  le  même  que  Brunetto 
Latini  lui  décernait,  cinq  cents  ans  plus  tôt,  lorsqu'il  procla- 
mait que  le  français  était  c  le  parler  de  moult  le  plus  déli- 


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PE^DÉRIC   II   CONSIDÉRÉ  COMME   HISTORIEN.  113 

table  »,  et  qu'il  publiait  dans  cet  idiome  son  fameux  Trésor  de 
toutes  les  connaissances  humaines. 

Frédéric  prenait  au  sérieux  son  métier  d'écrivain  comme  son 
métier  de  roi.  Nous  savons  quelle  prodigieuse  activité  d'esprit 
et  de  corps  il  a  déployée,  malgré  son  peu  de  santé,  pendant  les 
quarante-six  ans  de  son  règne.  Il  ne  passait  guère  que  deux 
heures  le  matin  et  deux  heures  le  soir  à  lire  et  à  composer  ou 
retoucher  ses  ouvrages;  mais  il  n'y  manqua  jamais,  jusqu'à  son 
dernier  jour,  et  même  en  temps  de  campagne;  et  à  quel  impo- 
sant total  n'arrive-t-on  pas  si  l'on  additionne  ces  quatre  heures 
par  jour  dans  une  période  de  près  de  cinquante  ans  !  <  L'homme 
est  né  pour  l'ouvrage,  disait-il  dans  une  lettre  à  d'Alembert; 
l'oisiveté  le  rend  malheureux,  et  souvent  criminel  ;  >  et,  ailleurs  : 
<  Le  travail  est  le  père  des  vertus  ;  rien  ne  ressemble  tant  à  la 
mort  que  l'oisiveté.  >  Fidèle  à  ce  principe,  il  ne  laissait  jamais 
son  esprit  inoccupé  ;  il  ne  croyait  jamais  devoir  s'arrêter  à  la 
première  expression  de  sa  pensée;  il  travaillait  et  retravaillait 
son  style,  comme  le  bœuf,  dont  il  faisait  volontiers  [son  em- 
blème, creuse  et  recreuse  son  sillon.  Quand  il  n'avait  rien  de 
nouveau  à  composer,  il  revoyait  ses  premiers  écrits,  dont  il 
retouchait  sans  cesse  la  forme,  tout  en  en  conservant  autant 
que  possible  l'idée  ;  c'était  presque,  pour  lui,  un  devoir  pro- 
fessionnel que  de  limer  ses  ouvrages. 

Nous  en  avons  la  preuve  dans  la  plupart  de  ses  œuvres  g'é- 
cemment  publiées,  auxquelles  on  a  eu  l'heureuse  idée  de  join- 
dre toutes  les  variantes  qu'on  a  pu  retrouver;  mais  nulle  part 
ce  caractère  n'est  aussi  frappant  que  dans  les  préfaces  ou  les 
avant- propos  de  ses  ouvrages  historiques.  Sans  vouloir  exagérer 
la  valeur  littéraire  de  ses  œuvres  en  général,  on  doit  tenir 
grand  compte,  au  point  de  vue  de  l'histoire  politique  et  mo- 
rale du  roi,  de  sa  correspondance,  et,  surtout,  de  ses  ouvrages 
historiques;  ces  derniers  ont  été  les  plus  travaillés  de  tous, 
principalement  son  Histoire  de  mon  temps.  Frédéric  n'était  pas 
né  philosophe  ni  poète,  bien  qu'il  crût  être  l'un  et  l'autre^  et 
que  Voltaire  eût  le  tort  de  l'entretenir  dans  cette  erreur;  mais 
il  avait  toutes  les  qualités  de  l'historien,  et  l'histoire  a  été  sa 
constante  préoccupation  pendant  quarante  anneeSi  depuis  ses 

8*  8ÉRIS.   —  TOBCB  III,    1.  8 


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4-44  MÉMOIRES. 

Considérations  de  1 738  jusqu'à  ses  Mémoires  de  la  guerre  de  i  778. 
•  De  tous  ses  ouvrages  historiques,  le  seul  quil  publia  de  son 
vivant  fut  celui  qui  est  intitulé  :  Mémoires  pour  servira  l'his- 
toire de  la  maison  de  Brandebourg;  les  autres  ne  parurent  qu'en 
4788,  sous  une  forme  très-inexacte  et  incomplète. 

De  nos  jours,  la  publication  des  textes,  véritables  et  de  quel- 
ques variantes  a  permis  de  juger  le  mérite  du  roi-écrivain  et, 
surtout,  d'apprécier  le  soin  extrême  avec  lequel  il  retouchait 
et  corrigeait  ses  ouvrages.  Mais  rien ,  dans  cette  étude ,  n'offre 
autant  d'intérêt  que  la  comparaison  des  deux  préfaces  de 
Y  Histoire  de  mon  temps.  La  première,  écrite  en  1746,  vient 
d'être  publiée  pour  la  première  fois  par  M.  Wiegand  ,  et  mise 
en  regard  de  la  seconde,  qui  est  de  1775.  Ce  rapprochement 
fournit  au  critique  l'occasion  d'une  foule  de  remarques  neuves 
et  piquantes  sur  le  caractère  du  roi ,  sur  ses  habitudes  et  sur 
ses  idées.  Dans  l'espace  de  vingt-neuf  ans,  qui  s'écoule  entre 
les  deux  préfaces,  la  manière  de  l'écrivain  a  complètement 
changé  :  la  nouvelle  rédaction  ne  ressemble  plus  du  tout  à 
l'ancienne  et  les  idées  elles-mêmes  se  sont  modifiées.  A  quelles 
causes  devons-nous  attribuer  ces  changements,  et  quel  est  le 
fond  commun  de  tous  les  ouvrages  historiques  de  Frédéric? 
Pour  répondre  à  cette  double  question,  il  convient  de  se  faire 
d'abord  une  idée  exacte  de  la  manière  dont  ce  prince  envisa- 
geait l'histoire. 

Nous  venons  de  le  constater  d'une  façon  générale  :  Frédé- 
ric II  regardait  comme  un  devoir  sacré  de  travailler  et  de  s'ins- 
truire. II  avait  pris,  dès  sa  première  jeunesse,  l'habitude  de 
vivre  en  commerce  intime  et  assidu  avec  les  auteurs  classiques 
de  l'antiquité  ou  de  la  France,  et  surtout  avec  les  historiens. 
De  son  camp  de  Selowitz,  en  Silésie,  Tan  1742,  il  écrivait  à  un 
do  ses  ministres  de  lui  envoyer  en  toute  hâte  les  Lettres  de  Ci- 
céron,  ses  Tusculanes,  ses  Philippiques  et  les  Commentaires  de 
César.  Une  autre  fois,  écrivant  au  prince  royal,  il  lui  recom- 
mande, comme  à  tous  les  hommes  politiques,  la  lecture  de 
Plutarque,  de  Tite-Live,  de  Tacite,  de  Commines.  En  temps  de 
paix,  il  lisait  et  relisait  régulièrement  ses  historiens  classiques, 
tous  les  jours»  de  quatre  à  six  heures  du  soir;  il  prenait  des 


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FRÉDÉRIC  II   CONSIDÉRÉ  COMIIE   HISTORIEN.  415 

notes,  il  discutait  ot  commentait,  et  arrivait  ainsi  à  perfection- 
ner indéBniment  son  jugement.  Faut-il  s*étonner^  après  cela, 
qu'il  y  ait  eu  un  progrès  remarquable  <ie  goût  et  de  maturité, 
entre  1746  et  1775,  de  la  première  à  la  seconde  de  ces  préfa- 
faces,  qui  renferment  pour  ainsi  dire  la  profession  de  foi  histo- 
rique du  royal  écrivain? 

Ses  idées  sur  les  anciens  ne  se  ressentent  pourtant  pas  tou- 
jours de  cette  admiration  qu'il  professait  pour  leurs  écrits;  et 
l'on  pourrait  citer  tel  passage  de  ses  œuvres  oà  il  se  distingue 
par  la  plus  judicieuse  critique,  comme,  par  exemple,  lorsque, 
devançant  Niebuhr,  il  •  condamne  la  crédulité  avec  laquelle 
Tite-Live  donne  à  la  fin  de  chaque  année. une  liste  de  miracles, 
les  uns  plus  ridicules  que  les  autres  »,  et  s'inscrit  en  faux,  d'une 
manière  générale,  contre  toutes  les  traditions  rapportées  dans 
les  Décades.  Son  admiration  pour  Thucydide  et  pour  César  ne 
connaît  point  de  bornes;  mais,  en  revanche,  pour  ce  qui  con- 
cerne Tacite,  il  est  de  l'avis,  que  devait  plus  tard  soutenir  aussi 
Napoléon ,  que  l'historien  des  empereurs  romains  a  fait  de  la 
satire,  non  de  l'histoire,  une  œuvre  de  parti,  non  un  livre  défi- 
nitif. On  comprend  très-bien  que  Frédéric  II,  comme  Napoléon, 
se  soit  senti  attiré  par  un  général  historien  tel  que  César;  et 
Ton  comprend  mieux  encore  que  tous  deux  aient  eu  de  l'aver- 
sion pour  l'éloquent  ennemi  du  despotisme  impérial;  mais  nous 
pouvons  ôtre  convaincus  néanmoins  que,  tout  en  disant  du  mal 
de  Tacite ,  le  roi  de  Prusse  le  pratiquait  plus  volontiers  que 
bien  d'autres. 

Muni  comme  il  l'était  des  meilleures  ressources  pour  écrire, 
Frédéric  se  crut  obligé  en  conscience  de  prodiguer  au  monde  à 
venir  les  trésors  de  son  expérience  et  de  sa  raison;  souvent 
même  il  écrivait  sans  avoir  rien  à  dire,  uniquement  par  besoin 
de  s'épancher  hors  de  lui-même,  mais  pour  lui  seul.  Aussi  sa 
fécondité  littéraire  a-t-elle  été  prodigieuse.  Quand  il  était  triste 
ou  souffrant,  et  que  la  prose  ne  le  tentait  pas,  il  écrivait  en 
vers  ;  d'autres  fois,  il  s'adressait  à  la  prose,  à  l'histoire  surtout, 
pour  se  désennuyer  et  se  distraire  :  <  Lorsque  j'ai  quelques  mo- 
ments de  reste,  dit-il  dans  une  lettre  à  Voltaire  (1760) ,  la  dé- 
mangeaison d'écrire  me  prend ,  et  je  ne  me  refuse  pas  ce  léger 


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116  MÉMOIRES. 

plaisir;  cela  m*amuse,  me  dissipe  et  me  rei^  ensuite  plus  dis- 
posé au  travail  dont  je  suis  chargé.  »  Il  était  rare,  en  effet,  que 
cette  distraction  ne  lui  rendit  pas  le  courage  et  la  force  au 
milieu  des  travaux,  des  ennuis  et  des  difficultés  de  sa  position. 
C'est  ainsi  qu'il  a  écrit  presque  tous  ses  ouvrages  historiques, 
même  YHisioire  de  mon  temps^  si  l'on  s'en  rapporte  à  son  propre 
témoignage  (lettre  au  prince  de  Prusse  en  1746)  :  <  Mes  ou- 
vrages méritent  assez  peu  la  peine  d'être  lus;  je  les  compose 
en  partie  pour  mon  amusement,  et  en  partie  pour  que  la  pos- 
térité voie  d'un  coup  d'œil  mes  actions  et  les  motifs  qui  m*ont 
fait  agir.  » 

Ce  dernier  aveu  est  bon  à  retenir  :  Frédéric  n'écrivait  pas 
seulement,  comme  il  le  dit  souvent  ailleurs,  pour  son  amuse- 
ment. Cet  homme,  qui  ne  croyait  ni  à  Dieu,  ni  à  l'immortalité 
de  l'àme,  se  préoccupait  étrangement  de  la  postérité,  du  juge- 
ment des  siècles  à  venir,  de  l'opinion  même  deses  propres  suc- 
cesseurs. C'est  à  eux  qu'il  songe,  c'est  pour  eux  qu'il  écrit. 
Quand  il  croit  avoir  suffisamment  limé  un  ouvrage,  il  le  com- 
munique à  un  petit  nombre  d'amis,  puis  il  le  met  sous  clé, 
sans  avoir  le  moindre  désir  de  se  voir  dérober  son  manuscrit 
par  un  serviteur  heureusement  infidèle.  Frédéric,  qui  n'avait 
pas  beaucoup  de  pudeurs  à  son  actif,  avait  celle-là  :  il  n'aimait 
pas  à  montrer  ses  œuvres  au  public;  peut-être  avait-il  ses  rai- 
sons pour  agir  ainsi,  comme  nous  le  verrons  par  les  modifica- 
tions assez  profondes  que  subit  parfois  sa  pensée  avec  le  cours 
du  temps.  Mais,  indépendamment  de  ces  raisons  politiques,  il 
y  avait  la  raison  littéraire,  qui  suffisait  à  empêcher  le  roi  de 
publier  ses  œuvres  :  <  Je  lèche  mes  petits,  écrivait-il  à  Voltaire 
en  1775;  je  tâche  de  les  polir.  Trente  années  de  différence 
rendent  plus  difficile  à  se  satisfaire;  et  quoique  cet  ouvrage  (il 
s'agit  de  V Histoire  de  mon  temps)  soit  destiné  à  demeurer  enfoui 
pour  toujours  dans  quelque  archive  poudreuse,  je  ne  veux 
'pourtant  pas  qu'il  soit  mal  fait.  »  Ailleurs,  il  regrette  de  ne 
pouvoir  arriver  à  la  perfection  littéraire  :  c  Je  n'écris  pas  aussi 
bien  que  je  pense;  mes  idées  sont  souvent  plus  fortes  que  mes 
expressions.  » 
Ses  premiers  éditeurs  voulurent  le  ronçlre  élégant,  et  il  est 


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PRéDÊEIG   II   CONSIDÉRÉ  COMME   HISTORIEN.  117 

difficile  aujourd'hui  y  dans  bien  des  cas,  de  juger  exactement 
son  style.  Le  seul  ouvrage  qu'il  ait  écrit  pour  le  public  »  ses 
Mémoires  sur  le  Brandebourg^  est  généralement  négligé;  on  sait , 
du  reste,  que  Frédéric  menait  l'orthographe,  comme  ses  servi- 
teurs, tambour  battant,  et  qu'il  jie  signait  même  pas  correcte- 
ment son  propre  nom.  Dans  cette  histoire  du  Brandebourg 
elle-même,  le  royal  auteur  annonce  l'intention  de  se  rendre 
utile  et  d'instruire  la  jeunesse;  il  se  soucie  peu  de  plaire,  et 
rejette,  plus  qu'ailleurs,  tous  les  ornements  de  la  forme.  Il  y  a 
ici  évidemment  une  contradiction  avec  ce  que  nous  lui  avons 
entendu  avouer  ailleurs;  mais  ces  contradictions  ne  sont  point 
rares  dans  l'esprit  humain,  ni  surtout  chez  Frédéric  IL  II  semble 
que  ce  prince  veuille  affecter  la  négligence  lorsqu'il  écrit  pour 
ses  contemporains  et  polir  son  style  uniquement  pour  la  posté- 
rité. Mais,  malgré  tous  ses  efforts,  il  n'arrive  jamais  à  cette 
élégance  qu'il  admirait  tant  chez  nos  écrivains;  et  pour  être 
juste  envers  lui,  on  ne  doit  le  juger  que  d'après  ses  idées.  Or, 
ces  idées  ne  se  trouvent  exprimées  nulle  part  d'une  manière 
aussi  complète  ni  aussi  forte  que  dans  V Histoire  de  mon  temps. 
C'est  là  qu'il  faut  chercher  sa  véritable  pensée  sur  la  plupart 
des  événements  et  des  personnages  contemporains,  et  même  sur 
l'avenir  ;  il  y  a  là  un  Ck)de  politique  à  l'usage  de  ses  successeurs  : 
recommandation  de  cultiver  l'amitié  de  la  barbare  Russie,  do 
maintenir  la  Prusse  à  l'état  de  puissance  exclusivement  mili- 
taire, de  tout  faire  pour  arriver  à  l'hégémonie  do  l'Allemagne, 
rien  n'y  manque;  et,  à  côté  de  toutes  ces  recommandations  se- 
crètes pour  ses  successeurs,  on  trouve  de  nombreux  passages 
destinés  à  marquer  sa  reconnaissance  envers  l'armée,  à  payer 
en  éloges  éclatants  les  services  de  se5  vieux  soldats;  lui  qui  pré- 
tend que  l'histoire  ne  saurait  admettre  de  détails,  il  ne  craint 
point  de  les  entasser  à  l'excès  lorsqu'il  s'agit  de  raconter  les 
hauts  faits  de  ses  compagnons  d'armes. 

Il  y  aurait  une  étude  intéressante  à  faire  relativement  aux 
idées  de  Frédéric  II  sur  l'histoire;  les  matériaux  s'en  trouve- 
raient dans  V Histoire  de  mon  temps,  et  surtout  dans  la  préfaça 
de  cet  ouvrage,  où  il  a  une  manière  souvent  originale  et  pres- 
que toujours  très-juste  d'envisager   l'histoire;  il   appartient 


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418  MÈMOIRIS. 

déjà,  évidemment,  à  l'école  moderne.  Rien  de  plus  vrai ,  par 
exemple,  que  cette  remarque  sur  renseignement  de  Thistoire  : 
€(  Il  ne  suffit  pas  que  le  professeur  enseigne;  il  faut,  chaque 
jour,  la  leçon  finie,  qu'il  y  ajoute  une  demi-heure  pour  inter- 
roger les  jeunes  gens  sur  le  point  d'histoire  qu'il  a  traité,  par 
où  il  fera  accoucher  leur  esprit  de  réflexions  soit  morales,  soit 
politiques,  soit  philosophiques,  ce  qui  sera  plus  utile  pour  eux 
que  tout  ce  qu'ils  auront  appris.  »  Ailleurs,  il  exprime  en  ter- 
mes éloquents  la  haute  idée  qu'il  se  fait  de  l'histoire  :  c  Péné- 
trer dans  les  temps  qui  nous  ont  précédés,  embrasser  le  monde 
entier  avec  toute  l'étendue  de  son  esprit,  c'est  faire  réellement 
des  conquêtes  sur  l'ignorance  et- sur  l'erreur,  c'est  avoir  vécu 
dans  tous  les  siècles  et  devenir,  en  effet,  citoyen  de  tous  les 
lieux  et  de  tous  les  pays.  > 

Sa  critique  historique  est  analogue  à  celle  de  Voltaire  dans 
VEssai  sur  les  mœurs.  Frédéric  recommande  avant  tout  de  se 
méfier  de  tous  les  détails  donnés ^ar  les  historiens  et  de  faire 
l'histoire  de  l'esprit  humain  plus  que  celle  des  rois  et  des 
peuples.  Il  était,  du  reste,  à  l'époque  où  il  commençait  cette 
Histoire  de  mon  temps,  vers  1742,  sous  l'influence  directe  de 
Voltaire  et  de  ses  ouvrages  historiques;  toutes  ses  lettres  en 
font  foi,  et  l'on  trouve  de  curieux  rapprochements  à  faire  entre 
certains  passages  écrits  par  le  roi  et  d'autres  qui  avaient  pu 
lui  servir  de  modèles  chez  son  illustre  ami.  Frédéric  s'était 
rallié  avec  enthousiasme  à  cette  nouvelle  manière  d'écrire  l'his- 
toire, prônée  d'abord  en  Angleterre  par  Bolingbroke,  et  illus- 
trée bientôt  en  France  par  le  Charles  XII  de  Voltaire,  ce  chef- 
d'œuvre  de  narration  facile  et  agréable,  rempli  de  jugements 
pratiques  et  d'observations  judicieuses  à  l'usage  des  gens  du 
monde.  Après  Thucydide,  qu'il  trouvait  impossible  à  égaler, 
le  roi  de  Prusse  considérait  Voltaire  comme  le  plus  grand  des 
historiens. 

II  n^aimait  pas  le  moyen  âge,  qui,  pour  lui,  n'était  qu'une 
période  de  chaos  et  de  ténèbres;  parmi  les  historiens  modernes, 
il  préférait  ceux  qui  racontent  les  événements  contemporains; 
il  avait  un  goût  prononcé  pour  les  Chroniques  et  les  Mémoires. 
Son  jugement  sur  les  historiens  allemands  est  sévère,  mais  par- 


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FRÊDÈEIC  II   CONSIDÉai  COMIIB  HISTOEIBN.  119 

faitement  juste  :  il  leur  reproche  à  tous,  y  compris  Puffendorf, 
d'éfte  des  pédants  minutieux,  et  non  des  historiens ,  des  ma- 
nœuvres entassant  des  matériaux  qui  attendent  encore  la  main 
d'un  habile  architecte.  Il  ne  fait  pas  même  grâce  à  Jean  do 
Huiler,  à  l'occasion  duquel  il  laisse  échapper  cette  fameuse 
boutade  :  c  Nos  Allemands  ont  le  mal  qu'on  appelle  :  la  diarfhée 
verbetÂse;  on  les  rendrait  plutôt  muets  qu'économes  de  leurs 
paroles!  »  Il  n'était,  du  reste,  pas  le  seul  alors  à  exécuter 
aussi  sommairement  les  historiens  allemands  :  Lessing,  dans 
ses  Lettres  sur  la  littérature,  est  au  moins  aussi  sévère  que  lui. 

A  c6té  de  ces  vues  judicieuses  et  souvent  remarquables  sur 
l'histoire  en  général ,  il  y  a  des  idées  fausses  ou  bizarres  qu^il 
me  suffira  de  signaler  :  il  n'admet  point,  par  exemple,  l'intérêt 
que  peuvent  offrir  des  événements  pacifiques,  c  Depuis  la  paix 
de  1746,  écrit-il  quelque  part,  j'avais  renoncé  à  l'histoire, 
parce  que  des  intrigues  politiques,  si  elles  ne  mènent  à  rien, 
ne  méritent  pas  plus  de  considération  que  des  tracasseries  de 
société;  et  quelques  détails  sur  l'administration  d'un  Etat  ne 
fournissent  pas  une  matière  suffisante  à  l'histoire.  •  On  est 
étonné  d'entendre  parler  ainsi  l'homme  qui,  ailleurs  et  souvent, 
déclare  que  l'historien  doit  s'appliquer  avant  tout  à  faire  l'his- 
toire de  l'esprit  humain. 

On  peut  trouver  aussi  que  Frédéric  est  presque  toujours  in- 
juste pour  ses  ministres;  il  les  oublie  ou  les  rabaisse  à  plaisir. 
Faut-il  l'accuser  de  jalousie?  Je  ne  crois  pas  que  ce  vice  fût 
familier  au  roi ,  car  il  admire  volontiers  et  loue  à  chaque  ins- 
tant les  mérites -et  les  belles  actions  de  ses  généraux,  de  ses 
officiers  et  même  de  ses  simples  soldats;  mais  il  affectait  de 
mépriser  la  diplomatie  et  l'administration,  et,  par  suite,  il 
dédaignait  et  maltraitait  facilement  ses  serviteurs  non  mili- 
taires :  nous  savons  qu'il  n'admettait  presque  jamais  ses  minis- 
tres à  conférer  avec  lui,  et  qu'il  se  contentait,  tous  les  matins, 
de  leur  expédier  un  courrier  de  cabinet  avec  ses  ordres  ou  ses 
instructions  pour  la  journée. 

Une  autre  de  ses  bizarreries,  surtout  dans  VHistoire  de  mon 
temps,  consiste  à  négliger  les  détails  au  point  de  ne  pas  se 
préoccuper  des  lieux,  des  dates,  ni  même  des  noms  des  per- 


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120  MBMOII^. 

sonnages  historiques  ;  il  a  la  prétention  de  ne  donner  jamais 
que  des  vues  d'ensemble,  et  il  arrive  souvent  ainsi  à  être  va|he 
ou  inexact. 

Sa  méthode  habituelle,  en  effet ,  est  de  se  livrer  à  des  con- 
sidérations générales  sur  les  événements;  il  aime  surtout  à  faire 
des  parallèles.'  <  Il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen ,  dit-il ,  de  se 
faire  une  idée  juste  et  exacte  des  choses  qui  arrivent  dans  le 
monde  ,  que  d'en  juger  par  comparaison ,  de  choisir  dans  l'his- 
toire des  exemples,  d'en  faire  le  parallèle  avec. des  faits  qui 
arrivent  de  nos  jours,  et  d'en  remarquer  les  rapports  et  les 
ressemblances.  Rien  de  plus  digne  de  la  raison  humaine,  de 
plus  instructif  et  de  plus  capable  d'augmenter  nos  lumières,  i 

Mais  il  n'est  pas  toujours  fidèle  à  cette  méthode;  il  se  laisse 
bien  souvent  entraîner  par  sa  malice  naturelle  à  un  ton  ironi- 
que qui  n'a  rien  de  la  gravité  de  l'histoire,  et  il  entre  alors 
aussi,  contrairement  à  ses  principes,  dans  des  détails,  parfois 
assez  mesquins ,  qui  n'offrent  aucun  intérêt  pour  la  postérité. 
Il  est  vrai  que,  dans  certains  cas,  il  s'excuse  d'avance  en 
cherchant  à  prouver  que  ces  détails  servent  à  mieux  peindre 
un  personnage  ou  une  époque.  <  Je  peins  en  grand  le  boule- 
vei-sement  de  l'Europe,  écrivait-il  en  1747  ;  je  me  suis  appliqué 
à  crayonner  les  ridicules  et  les  contradictions  que  l'on  peut 

remarquer  dans  la  conduite  de  ceux  qui  la  gouvernent Des 

couplels  ne  mériteraient  certainement  pas  d'entrer  dans  un 
ouvrage  aussi  grave  que  le  nôtre;  mais  ces  sortes  de  traits  mar- 
quent le  génie  de  la  nation.  » 

Un  des  points  sur  lesquels  le  royal  auteur  insiste  le  plus 
dans  la  préfaça  de  VHistoire  de  mon  temps,  c'est  son  amour 
incorruptible  de  la  vérité.  Si  les  protestations,  même  éloquen* 
tes,  étaient  des  preuves  en  pareille  matière,  nous  ne  pourrions 
qu'admirer  la  véracité  de  Frédéric  II.  Voici,  en  effet,  comment 
il  s'exprime  à  cet  égard  :  c  Cet  ouvrage,  étant  destiné  à  la  pos- 
térité, me  délivre  de  la  gêne  de  respecter  les  vivants  et  d'ob- 
server de  certains  ménagements  incompatibles  avec  la  franchise 
de  la  vérité:  il  me  sera  permis  de  dire  sans  retenue  et  tout 
haut  ce  que  l'on  pense  tout  bas.  Je  peindrai  les  princes  tels 
qu'ils  sont,  sans  prévention  pour  ceux  qui  ont  été  mes  alliés  et 


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FRÉDÉRIC   II   CONSIDÉRÉ  COMME   HISTORIEN.  121 

sans  haine  pour  ceux  qui  ont  été  mes  ennemis.  »  Il  est  à  re- 
marquer que  cette  idée  se  trouvait  moins  développée  dans  la 
préface  de  4746  :  en  la  retouchant,  vingt-neuf  ans  plus  tard,  le 
roi  trouva  sans  doute  qu'il  était  bon  d'insister  davantage  sur 
un  point  que  la  postérité  ne  lui  accorderait  pas  sans  quelque 
difficulté.  Sans  vouloir  discuter  ici  la  grave  question  de  la  véra- 
cité de  Frédéric  on  doit  pourtant  reconnaître  qu'il  a  toujours 
proclamé  bien  haut  que  l'amour  de  la  vérité  devait  être  la 
première  qualité  de  l'historien;  il  le  disait  déjà  dans  son  Anti- 
Machiavel;  il  le  répétait  près  de  quarante  ans  plus  tard ,  lors- 
que, à  la  fin  de  sa  carrière,  dans  l'avant-propos  de  ses  derniers 
Mémoires  (1775),  il  s'écriait  h'èrement:  «  Je  n'ai  jamais  trompé 
personne  durant  ma  vie  ;  encore  moins  tromperais-je  la  posté- 
rité. » 

On  doit  évidemment  rabattre  de  ces  fières  déclarations ,  et 
ne  pas  oublier  que  le  roi  historien  se  met  toujours  plus  ou 
moins  en  scène,  bien  que,  comme  César,  son  modèle,  il  parle 
de  lui-môme  à  la  troisième  personne  :  c  J'ai  été  si  excédé  du 
je  et  du  moi,  que  je  me  suis  décidé  à  parler  en  troisième  per- 
sonne de  ce  qui  me  regarde.  Il  m'aurait  été  insupportable,  dans 
un  aussi  long  ouvrage,  de  parler  toujours  de  moi  en  mon  pro- 
pre nom.  >  Mais  c'est  parfois  un  raffinement  de  vanité,  ou  du 
moins  une  précaution  fort  habile ,  que  de  parler  ainsi  de  soi 
comme  d'un  tiers,  et  je  ne  jurerais  pas  que  Frédéric  II  n'ait 
point  obéi  à  ce  sentiment. 

Il  affecte  aussi  de  se  montrer  très-juste  et  même  bienveillant 
pour  quelques-uns  de  ses  ennemis,  surtout  pour  Marie-Thérèse; 
mais  on  se  souvient  d'autant  mieux  qu'il  l'a  dépouillée  injuste- 
ment d'une  partie  de  ses  Etats,  et  l'on  est  tenté  de  s'écrier  avec 
le  personnage  de  Corneille  : 

«  0  soupira  !  6  respect  !  6  qa'il  est  doux  de  plaindre 
Le  sort  d'un  ennemi...  lorsqu'il  n'est  plus  à  craindre  !  » 

*  Peut-être  nedevons-nous  pasadmirer davantage  ledétachement 
avec  lequel  Frédéric  parle  de  ses  prédécesseurs,  pour  lesquels 
il  est  souvent  trèsHsévère^  surtout  dans  ses  Mémoires  sur  Fhistoire 


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122  .  MÉMOIEES. 

du  Brandebourg  :  n'était-ce  pas  se  grandir  lui-même  que  de 
montrer  combien  ses  devanciers  avaient  peu  fait  pour  la  gran- 
deur de  son  royaume?  Quant  aux  princes  alliés,  auxquels  il 
devait  du  moins  de  la  reconnaissance,  il  ne  leur  prodigue  pas 
l'admiration  ;  il  semble  même  heureux  de  les  rabaisser  à  l'oc- 
casion :  est-ce  uniquement  par  amour  de  la  vérité  ? 

Pourtant  il  ne  laisse  pas  de  se  juger  lui-m^me  quelquefois 
sans  indulgence  et  sans  parti  pris.  Il  ne  dissimule  pas  le  motif 
qui  lui  a  mis  tour  à  tour  la  plume  ou  les  armes  à  la  main;  il 
s'écrie  volontiers,  comme  le  Cicéron  de  Voltaire  : 

€  J'aime  la  gloire ,  et  ne  veux  point  m'en  taire  ; 

Des  travaux  des  humains  c'est  le  digne  salaire.  » 

Il  critique  de  bon  cœur  ses  actes,  lorsque  le  succès  ne  les  a  pas 
couronnés;  car  il  ne  connaît  que  la  morale  du  succès.  Dans  bien 
des  cas,  comme  pour  le  partage  de  la  Pologne,  on  peut  trouver 
que  sa  franchise  ressemble  à  du  cynisme  ;  personne  n'a  jamais 
exposé  plus  nettement  que  lui  la  théorie  des  deux  morales  : 
c  J'affirme,  a-t-il  dit  quelque  part,  qu'un  particulier  a  de  tout 
autres  raisons  pour  être  honnête  homme  qu'un  souverain. 
Chez  un  particulier,  il  ne  s'agit  que  de  l'avantage  de  son  indi- 
vidu ;  il  le  doit  constamment  sacrifier  au  bien  de  la  société; 
ainsi  l'observation  rigide  delà  morale  lui  devient  un  devoir,  la 
règle  étant  :  Il  vaut  mieux  qu'un  homme  souffre  que  si  tout  le 
peuple  périssait.  Chez  un  souverain,  l'avantage  d'unre  grande 
nation  fait  son  objet  ;  c'est  son  devoir  de  le  procurer;  pour  y 
parvenir,  il  doit  se  sacrifier  lui-même,  à  plus  forte  raison  ses 
engagements,  lorsqu'ils  commencent  à  devenir  contraires  au 
bien-être  de  ses  peuples.  »  C'est  la  théorie  de  Louis  XI  et  de 
bien  d'autres  princes  ;  mais  il  est  à  désirer  que  la  bonne  poli- 
tique ne  soit  pas  absolument  astreinte  à  de  pareilles  maximes. 
Nous  aurions  encore  à  relever  bien  d'autres  points  qui  of- 
frent de  l'intérêt  dans  les  œuvres  historiques  de  Frédéric  II,  et 
qui  se  trouvent  indiqués  en  substance  dans  la  préface  dé 
V Histoire  de  mon  temps  :  par  exemple,  son  profond  mépris  pour 
les  Jiommes,  qu'il  partage,  du  reste,  avec  Voltaire,  et  qui  lui 


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FRÉDÉRIC   II   CONSIDÉRÉ  COMME   HISTORIEN.  423 

.  Tait  traiter  le  peuple  de  <  raœ  imbécile  et  moutonnière  t  ;  son 
fatalisme,  dont  il  a  donné  tant  de  preuves  en  mainte  circons- 
tance de  sa  vie,  et  qui  perce  à  chaque  page  de  ses  écrits  ;  sa 
haine  pour  la  superstition,  qu'il  avait  le  tort  de  confondre  avec 
la  religion,  etc. 

Mais  la  partie  la  plus  intéressante  de  ce  travail,  que  nous 
renvoyons  à  une  autre  fois,  serait  la  comparaison,  faite  au  point 
de  vue  littéraire  en  même  temps  que  philosophique ,  entre  le 
texte  de  la  préface  de  1746  et  celui  de  1775  :  cette  comparai- 
son, que  M.  Wiegand  a  présentée  un  peu  trop  longuement, 
comme  on  a  l'habitude  de  faire  chez  nos  voisins,  pourrait  ser- 
vir de  résumé  à  une  élude,  plus  complète  que  la  nôtre,  sur  Fré- 
déric II  considéré  comme  historien  ;  on  verrait  ainsi,  d'un  seul 
coup  d'œil,  toute  la  carrière  historique  de  ce  prince,  dans  ses 
deux  points  extrêmes,  et  l'on  constaterait  sans  peine  les  progrès 
étonnants  qu'il  avait  réalisés,  durant  une  période  de  trente 
années,  au  double  point  de  vue  de  la  maturité  du  jugement 
et  de  la  sobriété  du  style. 


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124  MÉMOIRES. 


DE  L'INFLUENCE 

DE  LA  TENSION   HYDROSTATIQUE 

BT  DB  8B8  VABIATI0N8 

SUR  LES  MOUVEMENTS  DES  LIQUIDES  DANS  LES  VÉGÉTAUX  ET  SUR 
LES  MOUVEMENTS  DES  DIVERS  ORGANES  DES  PLANTES 

Par  m.  a.  BARTHÉLÉMY  (D 


DBS   LIGATURES   DBS   RAMEAUX 

Les  mouvements  des  liquides  dans  les  plantes  ont  donné  lieu 
à  de  nombreuses  recherches  expérimentales  et  à  de  longues 
discussions  qui  n*ont  pas  encore  complètement  éclairci  ce  sujet 
si  complexe.  La  plupart  des  botanistes  admettent  une  sève  as- 
cendante, et  dans  ces  derniers  temps  on  a  étudié  avec  soin  la 
tension  qui  en  résulte  :  l'existence  d'une  sève  descendante  ou 
mieux  de  retour  a  rencontré  plus  de  contradicteurs. 

Pour  Du  Petit-Thouars,  Turpin,  M.  Schleiden,  etc.,  la  sève 
ascendante  se  diffuserait  latéralement  dans  son  mouvement  as- 
cendant et  viendrait,  par  propagation  latérale,  se  répandre  entre 
récorce  et  le  bois.  MM.  Hanstein,  Sachs,  Trécul,  etc.,  ont  com- 
battu cette  manière  de  voir  à  Taide^de  ligatures  et  de  dècorti- 
cations: 

J'avais  moi- môme  institué,  il  y  a  déjà  un  certain  nombre 

(4)  La  dans  la  séance  da  SO  jaoTier  4880. 


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DE  l'influence   DE   LA   TENSION   HYDROSTATIQUE.  125 

d'années,  des  expériences,  soit  au  Jardin  des  Plantes  de^  Tou- 
louse, soit  dans  un  jardin  particulier,  pour  éliminer  l'action  de 
la  pesanteur  dans  la  formation  des  bourrelets  au-dossus  des 
ligatures,  et  lever  ainsi  la  principale  objection  que  les  partisans 
de  la  diffusion  latérale  formulaient  au  sujet  des  ligatures. 

Je  m'étais  cru  autorisé  par  le  résultat  de  ces  expériences  à 
conclure  à  l'existence  d'une  sève  descendante  ou  de  retour.  Ce- 
pendant, de  nouvelles  recheches  faites  sur  les  racines  et  sur  les 
plantes  que  j'ai  appelées  saisonnières,  m'ont  amené  à  modifier 
ma  première  manière  de  voir  et  à  faire  intervenir  dans  ces  phé- 
nomènes de  ligatures,  de  décortication,  d'incisions  transversales 
ou  longitudinales,  la  tension  générale,  propriété  physiologique 
qui  me  parait  de  première  importance  pour  la  vie  du  végétal. 

Je  vais  d*abord  exposer  mes  principales  expériences  sur  les 
ligatures  soit  de  la  tige,  soit  de  la  racine. 

LIGATURES   DES  RAMEAUX   AERIENS 

Le  bourrelet  se  forme  toujours  du  côté  du  bourgeon  terminal. 

Dans  une  première  série  d'expériences  on  a  pratiqué  des  li- 
gatures sur  des  branches  pendantes  de  saules  et  frênes  pleu- 
reurs. Le  bourrelet  n'a  par  tardé  à  se  former  du  côté  du  bour-' 
geon  terminal,  c'est-à-dire  au-dessous  de  la  ligature  et  contrai- 
rement à  l'action  de  la  pesanteur.  Un  petit  bourrelet  beaucoup 
moindre  se  montre  au-dessus  de  la  ligature.  Des  ligatures  pra- 
tiquées sur  des  branches  secondaires  offrent  les  mêmes  phéno- 
mènes que  celles  de  la  branche  principale. 

La  ligature  ayant  été  pratiquée  au  printemps,  le  bourrelet 
augmente  jusqu'au  milieu  de  l'été;  après  quoi  la  branche  meurt 
quelquefois,  et  le  dessèchement,  dépassant  le  bourrelet,  se  pro- 
page jusqu'au  point  où  la  branche  se  sépare  du  rameau  pri- 
mitif. 

Lorsque  plusieurs  ligatures  ont  été  faites  sur  plusieurs  bran- 
ches partant  d'un  même  rameau,  ce  sont  les  branches  inférieu- 
res qui  se  dessèchent  les  premières;  puis  la  branche  principale 
succombe  à  son  tour. 


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426  MÉMOIRES. 

Une  section  longitudinale  permet  de  reconnaître  que  le  bour- 
relet est  surtout  formé  par  la  partie  ligneuse  de  la  tige  et  que 
les  couches  corticales  ne  subissent  aucun  accroissement  sensible. 
Il  n'en  est  pas  de  môme  du  petit  bourrelet  qui  se  trouve  de  l'au- 
tre côté  de  la  ligature,  surtout  dans  les  plantes  à  latex,  comme 
le  figuier.  On  remarque  de  plus,  dans  cette  section  du  bourrelet, 
que  les  fibres  ligneuses  extérieures  forment  une  masse  peloton- 
née et  semblent  avoir  obéi  à  une  pression  interstitielle,  ainsi 
que  l'a  déjà  observé  M.  Trécul. 

Plusieurs  ligatures  sur  une  môme  branche  donnent  lieu  à  plu- 
sieurs bourrelets,  et  la  branche  peut  présenter  une  série  de 
renflements  en  chapelet. 

Dans  une  autre  série  d'expériences,  on  a  pratiqué  des  inci- 
sions annulaires  de  l'écorce  sur  des  branches  également  pen- 
dantes, et  l'on  a  constaté  que  le  bourrelet  d'écorce  se  forme 
encore  à  la  lèvre  de  la  plaie  voisine  du  bourgeon,  contraire- 
ment à  la  pesanteur,  tandis  que  dans  l'autre  lèvre,  voisine  du 
tronc,  l'écorce  se  dessèche  et  se  détache  du  bois. 

On  a  éliminé  encore  l'action  de  la  pesanteur  en  recherchant 
sur  une  branche  de  figuier  recourbée  le  point  le  plus  bas.  A 
cet  effet,  on  soulève  une  planchette  horizontale,  munie  d'une 
coulisse  verticale,  jusqu'à  ce  qu'elle  arrive  au  contact  de  la 
branche;  le  point  de  contact  ainsi  déterminé  est  le  point  le 
plus  bas  de  la  courbe  formée  par  la  branche.  Si  à  ce  point  on 
fait  une  ligature  on  constate  encore  que  le  bourrelet  se  forme 
du  côté  du  bourgeon  terminal,  et  qu'un  autre  plus  petit,  dû  à 
l'écorce,  se  produit  de  l'autre  côté. 

Dans  le  même  but  nous  avons  rendu  une  branche  rectiligne 
de  figuier  bien  horizontale  à  l'aide  d'un  niveau  à  bulle  d'air,  et 
nous  avons  pratiqué  soit  des  ligatures,  soit  des  incisions  an- 
nulaires; les  bourrelets  se  sont  toujours  formés  du  côté  du 
bourgeon. 

n  arrive  seulement  que  le  bourrelet  est  souvent  plus  gros  à 
la  partie  inférieure,  comme  si  la  pesanteur  avait  ici  une  certaine 
influence. 

Enfin,  sur  une  branche  courbe  aussi  également  de  figuier, 
nous  avons  déterminé  deux  points  sur  une  même  ligne  horizon- 


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DB  l'influence  DE   LA  TENSION   HYDROSTATIQUE.  427 

taie  de  chaque  côté  de  la  courbure,  et  nous  avons  établi  des 
ligatures  à  ces  deux  points.  On  voit  encore  ici  se  former  deux 
bourrelets,  l'un  au-dessus  de  la  première  ligature,  l'autre  au- 
dessous  de  la  seconde,  et  tous  deux  du  côté  du  bourgeon  ter- 
minal. 

Enfin  9  j'ajouterai  encore  une  observation  intéressante  :  j'ai 
sous  les  yeux  une  vigne  vierge  dont  une  branche  horizontale  a 
été  passée  au  début  de  sa  végétation  dans  un  anneau  destiné  à 
la  soutenir.  Cette  vigne  tapisse  aujourd'hui  toutes  les  parois 
d'une  cour;  un  énorme  bourrelet  s'est  formé,  à  la  longue,  du 
côté  des  branches  terminales  et  a  complètement  recouvert  l'an- 
neau. Le  diamètre  est  resté,  au  contraire,  sensiblement  le  même 
du  côté  de  la  tige.  Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  que  cet  obstacle 
a  rendu  la  végétation  moins  vigoureuse  dans  cette  direction. 

Cette  série  d'expériences  nous  permet  de  conclure  que,  quelle 
que  soit  la  position  de  la  branche,  le  bourrelet  se  produit  tou- 
jours du  côté  du  bourgeon  terminal. 

DBS   L16AT0RBS   SUR   LES   RACINES 

Les  racines  formant  un  système  de  ramification  en  sens  in- 
verse de  la  tige,  il  était  bon  de  rechercher  l'effet  des  ligatures 
sur  ce  système,  ce  qui  n'avait  pas  été  tenté,  je  crois,  jusqu'ici. 

J'ai  opéré  sur  des  racines  de  frônes,  de  troènes  et  de  cerisiers. 
Il  est  bon  de  choisir  des  arbres  situés  sur  un  tertre  et  dont  les 
racines  peuvent  ainsi  ôtre  mises  facilement  à  nu  sur  un  point 
de  leur  trajet  ;  sans  quoi  les  fils  de  chanvre  ou  les  fils  de  fer 
avec  lesquels  on  pratique  la  ligature  s'usent  rapidement  dans 
le  sol,  et  les  résultats  obtenus  sont  négatifs. 

Mes  expériences  ont  duré  trois  années,  et  ce  n'est  qu'au  bout 
de  ce  temps  que  j'ai  pu  formuler  des  résultats  certains. 

En  pratiquant  sur  des  frênes  des  ligatures  à  des  branches 
rddiculaires  suffisamment  éloignées  de  la  souche  mère,  on  voit 
se  produire  deux  bourrelets  de  chaque  côté  de  la  ligature;  celui 
qui  est  situé  du  côté  de  l'extrémité  de  la  racine  finit  par  l'em- 
porter en  diamètre  et  devient  de  plus  en  plus  marqué;  il  peut 
même  finir  par  déborder  la  ligature,  et  les  deux  bourrelets  se 


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1 28  MÉMOIRES. 

ressoudent  en  faisant  disparaître  le  fil  qui  a  produit  la  ligature. 
Six  ligatures  pratiquées  sur  des  frênes  m'ont  donné  des  résul- 
tats marqués  au  bout  de  trois  ans.  Ils  ont  été  plus  rapides  sur 
des  troènes  beaucoup  plus  tendres. 

La  section  par  Taxe  de  la  racine  montre  les  faisceaux  du  bois 
déviés  vers  la  partie  externe,  comme  par  une  force  intersticielle, 
tandis  que  ceux  du  centre  ont  conservé  leur  position  normale. 
La  région  du  cambium  ne  présente  aucune  modification.  La 
formation  des  deux  bourrelets  semble  suivre  une  marche  très- 
inégale  :  tandis  que  le  bourrelet  supérieur  suit  une  marche 
continue,  le  bourrelet  inférieur  se  développe  surtout  au  prin- 
temps et  à  Tautomne. 

Les  ligatures  pratiquées  sur  des  racines  plus  voisines  du 
troncdonnent  des  résultats  beaucoup  moins  marqués,  et  les  deux 
bourrelets  sont  à  peu  près  égaux,  soit  que  les  racines  soient  plus 
résistantes  en  ces  points,  soit  que  la  cause  qui  détermine  le 
bourrelet  soit  moins  active.  Enfin,  j'ai  trouvé  sur  quelques 
frênes  des  branches  ana^^tomotiques  qui  réunissaient  deux  bran- 
ches de  racines,  espèces  de  greffes  radiculaires  sur  lesquelles 
j*ai  pratiqué  des  ligatures.  Le  bourrelet  s'est  toujours  montré 
double  ici  et  toujours  plus  gros  du  côté  de  la  branche  mère. 

Des  ligatures  avaient  été  pratiquées  en  même  temps  sur  les 
branches  supérieures  du  système  foliacé  des  frênes,  et  l'on  a 
vu  se  produire  très-rapidement  le  bourrelet  du  côté  du  bour- 
geon. Cette  différence  de  développement  du  bourrelet  s'expli- 
que facilement  par  la  différence  de  vitalité  des  deux  systèmes 
de  ramification 

Les  troènes,  les  cerisiers  donnent,  on  le  sait,  de  nombreuses 
pousses  qui  viennent  des  bourgeons  adventifs  nés  sur  le  système 
radiculaire.  Des  ligatures  pratiquées  sur  ces  pousses  donnent 
les  mêmes  résultats  que  celles  que  nous  avons  établies  sur  les 
rameaux  du  tronc  principal. 

Je  citerai  encore  l'observation  suivante  qui  pourrait  avoir 
des  applications  agricoles  :  des  sarments  encore  verts  avaient 
été  plantés  par  les  deux  bouts  en  arceaux  pour  bordure  de  jar- 
din; quelques-uns  de  ces  sarments  ont  pris  racine  par  les  deux 
bouts*  Les  bourgeons  se  sont  développés  en  rameaux.  Des  liga- 


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DE   L*1NFLUBNCB  DE   LA   TENSION    HtDHOSTATIQOB.  429 

tures  pratiquées  sur  ces  rameaux  se  gonflent  du  côté  du  bour* 
^eon,  tandis  que  celles  que  Ton  pratique  sur  le  sarment,  ne 
présente  pas  de  résultats  précis.  Il  est  vrai  que  la  vigne  se 
prête  mal  à  ces  expériences  à  cause  du  peu  de  résistance  de  sa 
région  corticale. 

J'ai  eu  aussi  occasion  d'observer  une  branche  pendante  de 
ronce  qui  plongeait  dans  Teau  par  son  extrémité.  Des  racines 
adventives  s'étaient  développées  dans  le  liquide;  des  ligatures 
furent  pratiquées  sur  la  région  comprise  entre  la  tige  primitive 
et  ces  racines,  et  le  bourrelet  se  forme  encore  du  côté  du  bour- 
geon qui  était  aussi  celui  des  racines  adventives.  Ces  expé- 
riences nous  permettent  de  conclure  que  dans  le  système  radi- 
culaire  le  bourrelet  se  forme  surtout  du  côté  de  l'extrémité  de 
la  racine. 

Néanmoins,  les  incisions  annulaires  pratiquées  sur  les  raci- 
nes présentent  le  bourrelet  d'écorce  du  côté  du  tronc,  et  Ton 
sait  que  lorsqu'une  i*acine  s'enfonce  dans  le  sol  Vécorce  se  renfle 
dans  la  partie  libre  au-dessus  du  sol.  On  sait  aussi  qu'une  ra- 
cine coupée  présente  du  côté  du  tronc  des  formations  remar- 
quables. Cette  différence  tient  à  ce  que  les  formations  cellulai- 
res corticales  sont  des  phénomènes  de  nutrition  locale,  tandis 
que  les  bourrelets,  comme  nous  allons  le  voir,  tiennent  à  une 
cause  plus  générale. 

DE  LA  TENSION  HTDBOSTATIQUE  DANS  SES  RAPPORTS  AVEC 
LES  PHÉNOMàNES  PRECEDENTS 

Il  semble  tout  d'abord  naturel  d'attribuer  le  développement 
du  bourrelet  du  côté  du  bourgeon  terminal  à  l'existence  d'une 
sève  descendante,  et  c'est  l'explication  à  laquelle  je  m'étais 
arrêté  tout  d'abord.  Cependant,  cette  conclusion  n'est  pas  suf- 
hsamment  justifiée  par  les  faits  et  par  l'observation,  principa- 
lement  par  l'étude  de  la  section  longitudinale  du  bourrelet. 
Rien  n'indique,  en  effet,  dans  cet  examen  l'existence  d'un  cou- 
rant déterminé  s'effectuant  par  une  voie  distincte,  et  que  la 
ligature  aurait  interrompu  dans  sa  marche.  Les  éléments  ana- 
tomiques,  les  faisceaux  fibro-vasculaires  ne  sont  pas  modifiés 

8«  8ÛB1X.  —  TOMB  m,   1.  9 


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(30  MBMOIBES. 

dans  leur  constitution  ou  dans  leur  diamètre»  mais  seulement 
enchevêtrés  et  écartés  à  la  partie  extérieure  du  bois»  comme 
par  une  pression  ou  tension  latérale  interstitielle.  On  remar- 
(|uera  aussi  que  plusieurs  ligaturessur  une  môme  branche  don- 
nent des  bourrelets,  plus  gros  il  est  vrai,  vers  la  partie  supé- 
rieure» mais  qui  n'indiquent  pas  un  courant  simplement  inter- 
rompu. 

Je  crois,  dès  lors,  qu'il  faut  chercher  la  cause  de  ces  phéno- 
mènes dans  la  îenshn  générale  des  milieux»  liquides  ou  gazeux, 
soit  interposés  aux  éléments  anatomiques,  soit  constitutifs  de 
ces  éléments.  Cette  tension  a  été  admise  et  démontrée  par  un 
grand  nombre  d  observateurs  (1)»  qui  en  ont  recherché,  soit  la 
valeur  absolue,  soit  le  rôle  des  diverses  parties  du  végétal  dans 
la  mise  en  œuvre  de  cette  tension.  Il  me  semble,  néanmoins» 
qu'on  n*a  pas  tiré  de  ce  phénomène  général  et  par  conséquent 
fondamental»  tout  le  parti  possible. 

Pour  moi,  et  pour  la  plupart  des  botanistes  actuels»  il  n'existe 
ni  sève  ascendante  ni  sève  descendante»  si  l'on  entend  par  là  un 
mouvemeni  déterminé,  un  courant  distinct  s'eflectuant  dans 
une  région  spéciale  ou  par  des  organes  particuliers.  11  n'existe 
que  des  variations  de  la  èÊmsim  gmértile.  Cette  tension  dépend 
de  deux  facteurs  :  la  force  endosmolique  du  système  radiculaire 
el  la  réKtiom  du  s)-stème  foliacé. 

Quand  on  décapite  une  plante,  un  cep  de  vigne,  cornue  l'a 
fait  Haller»  on  supprime  le  système  foliacé,  el  en  adapunt  un 
manomètre  on  remplace  l'étal  variable  de  la  lensioa  dans  le 
végétal  par  un  état  définitif  particulier  qui  ne  peol  èlre  celui 
de  la  planta.  Je  relèverai  aussi  dans  les  expérienoes  manomè- 
Iriques  d'OoTmeisler  un  fait  important  qui  poorrail  être  mal 
inlerprélé.  Ce  savant  a  constaté  qu'entre  deux  nmioiDèires 
appliqués  à  un  végéta!  à  diverses  hauteurs  la  difleresœ  repré- 
sente le  plus  souv^^al  le  poids  do  la  colonae  liquide  interposée. 
Celte  experienoe  est  la  meilleare  preave  q«e  la  temskm  géaê* 
raie  dsl  une  teasioB  hydrostatique,  O»  n*igMre  pas,  en  effH, 
qoe  djitts  une  colonne  liquide  pesante  en  ôfuiibre,  soaaiise  à 


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DB   L*INPLUBNCC   DE   LA   TENSION   HYDROSTATIQUE.  131 

une  pression  générale  quelconque^  les  pressions  sur  deux  surfa- 
ces horizontales  diffèrent  toujoursdu  poids  de  la  colonne  liquide 
interposée.  C'est  aussi  une  condition  essentielle  de  la  vie  de  la 
plante  que  ses  deux  systèmes  opposés  soient  plongés  dans  des 
milieux  différents;  les  plantes  aquatiques  ont  les  racines  dans  la 
vdse  et  l'eau  et  les  feuilles  dans  l'air  (1).  Enfin,  ces  deux  milieux 
différents  doivent  présenter  pour  la  vie  de  la  plante  des  varia- 
tions incessantes  de  température,  de  mouvement,  etc. 

Ce  sont  ces  variations  du  milieu,  ce  passage  continuel  de 
l'état  statique  à  l'état  dynamique;  que  la  plante  utilise  et 
(|u'elle  transforme  en  force  vive,  en  travail  physiologique. 

La  force  endosmatique  des  racines  pour  les  liquides  et  pour 
les  gaz  n'a  pas  besoin  d'être  démontrée  ni  définie,  c'est  celle  qui 
produit  le  bourrelet  inférieur  prédominant  dans  les  ligatures 
sur  les  racines.  Quant  à  l'action  des  feuilles,  on  la  considère 
comme  accélérant  simplement,  par  l'évaporation,  la  force  ascen- 
sionnelle de  la  sève.  Cependant,  il  est  un  phénomène  d'hydro- 
dynamique qui  doit  se  produire  ici  ei  que  je  n'ai  vu  invoquer 
par  aucun  auteur. 

Je  veux  parler  de  la  réaction  que  doit  exercer  le  système  fo- 
liacé. On  sait  que  lorsqu'un  courant  liquide  rencontre  un 
obstacle,  il  se  produit  une  réaction  qui  se  traduit  soit  par  des 
•vibrations  ascendantes,  soit  par  un  coup  de  bélier  ou  en  retour. 
Si,  après  avoir  adapté  un  caoutchouc  au  robinet  d'une  fon- 
taine, l'on  arrête  brusquement  le  cours  du  liquide  en  serrant 
l'extrémité  du  caoutchouc  avec  les  doigts,  on  voit  le  tube  se 
gonfler  progressivement  de  l'extrémité  vers  la  source  et  ne 
revenir  à  son  diamètre  primitif  qu'au  bout  de  quelques  ins- 
tants. Si  l'on  a  pratiqué  avec  une  grosse  épingle  un  trou  dans 
le  tube,  le  liquide,  qui  ne  s'écoulait  pas  par  cette  ouverture 
pendant  l'écoulement,  jaillit,  au  contraire,  avec  force  lorsqu'on 
a  fermé  brusquemo.nt  le  tube.  Le  jet  est  oblique  et  se  couche 
presque  le  long  du  tube  vers  la  source;  le  jet  diminue  de  plus 


(4)  J'ai  remarqué  aillears  que  les  plantes  dans  Teau  seule  n'exercent  aucune  action 
bsorbante  sur  les  bicarbonates. 
Bmie  des  tàencet  ncU, ,  Mont,  a  Absortion  des  bicarbonates  par  les  plantes.  » 


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132  MÊMOIhES. 

en  plus,  et  finit  par  cesser  au  bout  de  quelque  temps.  Si  le 
tube  de  caoutchouc  est  interrompu  sur  une  certaine  étendue 
par  un  tube  de  verre,  on  peut  voir  le  liquide  refluer  principa- 
lement sur  les  bords,  et  si  le  liquide  contient  des  particules  en 
suspension,  on  les  voit  glisser  le  long  des  parois.  Enfin,  Tex- 
périence  la  plus  intéressante  pour  le  but  que  nous  poursuivons 
consiste  à  pratiquer  une  ligature  sur  le  tube  à  une  certaine 
distance  de  l'extrémité  ouverte.  On  voit  alors,  lorsqu'on  inter- 
rompt le  courant,  un  bourrelet  se  produire  du  côté  de  l'extré- 
mité, et,  si  l'on  a  pratiqué  une  ouverture  avec  une  épingle 
au-dessus,  le  liquide  jaillit  avec  force.  Au-dessous  de  la  liga- 
ture un  bourrelet  plus  petit  se  forme  et  va  en  augmentant 
jusqu'à  ce  que  la  réaction  ait  cessé.  Avec  un  tube  incomplète- 
ment élastique  ou  même  avec  un  tube  de  plomb  très-mince,  la 
déformation  peut  persister,  et  l'on  obtient  l'effet  des  ligatures 
sur  les  arbres.  Si  nous  nous  reportons  à  ce  qui  se  passe  dans 
les  végétaux,  nous  constaterons  que  la  force  de  succion  des  ra- 
cines représente  une  force  hydrostatique  qui,  dans  un  système 
clos,  finirait  par  être  équilibrée;  mais  l'évaporation  considéra- 
ble à  la  surface  des  feuilles,  le  rejet  de  gaz  intérieurs  et  de 
vapeur  d'eau  par  les  stomates,  le  travail  chimique  que  la  plante 
effectue  sous  l'influence  de  la  lumière  et  qui  détermine  la  fixa- 
tion d'une  certaine  quantité  d'eau ,  tout  cela  constitue  un  état 
dynamique,  un  courant  ouvert  que  l'on  pourra  appeler  la  sève 
ascendante.  Mais  que  les  issues  naturelles  de  ce  courant  vien- 
nent à  s'amoindrir  et  à  se  fermer,  la  réaction  foliaire,  le  coup 
de  bélier,  se  produira  amenant  de  haut  en  bas  un  flux  de  sève 
modifiée  évidemment  dans  sa  constitution,  élaborée  par  toutes 
les  actions  dont  les  feuilles  sont  le  siège;  en  môme  temps  la 
tension  générale  sur  les  parois  augmentera. 

Sous  l'influence  de  ces  deux  forces,  dont  l'une  naît  de  l'au- 
tre, le  végétal  se  trouve  constamment  à  l'état  d'équilibre  ins- 
table, dont  la  rupture  détermine  les  mouvements  liquides  tantôt 
dans  un  sens,  tantôt  dans  l'autre.  De  là  des  courants  tantôt 
ascendants,  tantôt  descendants,  dont  les  uns  dépendent  des  sai- 
sons, c'est-à-dire  de  l'état  d'humidité  et  de  température  relative 
du  sol  et  lie  l'air,  tandis  que  d'autres  sont  simplement  diurnes  et 


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DE    L*INFLDENCB   BB   LA   TENSION   HYDROSTATIQUE.  133 

nocturnes.  Pendant  la  nnit,  en  effet,  le  sol  se  refroidit  moins 
que  Tair,  Tévaporation  des  feuilles  diminue,  les  stomates  se 
ferment  et  la  succion  des  i*acincs  continuant  à  avoir  lieu,  le 
coup  de  bélier  se  produit.  De  là  la  turgescence  des  feuilles 
et  des  fleurs  au  matin,  ainsi  que  ces  suintements  remarquables 
que  présentent  les  feuilles  d'un  certain  nombre  de  plantes  dès 
le  coucher  du  soleil. 

Ainsi  s'explique  aussi  la  formation  des  bourrelets  qui  suivent 
les  ligatures  et  des  formations  cellulaires  qui  débordent  à  la 
partie  supérieure  des  incisions  annulaires  entre  Fécorce  et  le 
bois.  On  comprend  aussi  pourquoi  ces  formations  cellulaires 
se  présentent  sur  les  racines  à  la  lèvre  supérieure  de  l'inci- 
sion, tandis  que  dans  la  ligature  le  bourrelet  se  produit  en 
dessous. 

On  peut  expliquer  aussi  do  la  même  manière  la  formation 
des  racines  advenlives  au-dessus  de  la  ligature,  sur  le  bourre- 
let même.  Les  racines  jaillisseut  comme  l'eau  par  la  piqûre 
d'une  épingle  dans  l'expérience  que  nous  avons  rapportée  plus 
haut. 

Une  brusque  élévation  de  température,  tout  en  déterminant 
une  évaporation  plus  active,  peut,  par  la  dilatation  produite 
dans  les  liquides  et  les  gaz  intérieurs,  augmenter  la  réaction 
du  système  foliaire  et  diminuer  la  force  de  succion  des  raci- 
nes, ainsi  que  l'a  constaté  récomment  M.  Vesque. 

C'est  dans  les  rameaux  jeunes  et  surtout  dans  les  plantes  dites 
annuelles  et  que  j'ai  appelées  saisonnières,  que  l'on  peut  le  plus 
facilement  suivre  les  effets  de  la  tension.  Ces  plantes  forment, 
on  effet,  un  tout  physiologique,  et  leur  développement  rapide 
mérite  d'attirer  l'attention  des  physiologistes.  Dans  les  Dipsa- 
CHS,  les  Synapis,  les  balsamines,  etc,  la  tension  est  produite 
dans  la  première  période  de  végétation  par  un  liquide  général 
qui  remplit  la  moelle  et  les  vaisseaux,  espèce  de  liquide  em- 
bryonnaire, mucilagineux,  sur  l'importance  duquel  M.  Sachs 
insiste  avec  raison.  Dans  la  seconde  phase,  ce  liquide  général 
disparait,  la  moelle  se  dessèche  dans  le  tronc  principal  et  peut 
même  être  remplacée  par  une  cavité;  les  circulations  spéciales 
par  les  divers  vaisseaux  remplacent  la  tension  générale.  C'est 


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13i  MÉMOIRES. 

le  moment  des  migrations  des  substances  élaborées  par  les  réac- 
lions  chimiques  qui  se  produisent  dans  les  organes  spéciaux; 
c'est  le  moment  de  l'apparition  des  organes  de  fructiGcation  ; 
c'est  aussi  alors  que  la  plante  épuise  le  plus  le  sol,  les  liqui- 
des absorbés  étant  plus  concentrés.  Enfin,  arrive  la  période  do 
maturation  et  do  dessèchement  où  les  organes  n'ont  plus  qu'une 
vie  individuelle  et  où  se  produit  l'induration  ligneuse. 

A  l'appui  de  cette  explication  de  la  formation  du  bourrelet, 
je  ferai  remarquer  que  c'est  surtout  au  printemps  et  à  l'au- 
tomne que  les  bourrelets  se  forment  le  plus  rapidement,  lors- 
que la  différence  entre  le  jour  et  la  nuit  est  plus  considérable 
au  point  de  vue  de  la  température  et  de  l'évaporation  par  les 
surfaces  foliaires. 

J'ai  encore  fait,  pour  vérifier  cette  explication,  les  expériences 
suivantes  : 

Des  ligatures  ont  été  pratiquées,  au  commencement  du  prin- 
temps, sur  un  rameau  de  glycine  de  Chine,  qui  pénétrait  dans 
une  chambre  à  température  sensiblement  constante  et  sur  des 
rameaux  extérieurs.  Au  mois  do  juillet,  le  rameau  intérieur  ne 
présentait  que  deux  petits  bourrelets  égaux  de  chaque  côté  de 
la  ligature,  tandis  que  sur  le  rameau  extérieur  le  bourrelet 
était  considérable  du  côté  du  bourgeon  terminal. 

DBS   VARIATIONS    DB   LA   TENSION   DÉTERMINÉES   PAR   DBS   INCISIONS 
TRANSVERSALES   ET    LONGITUDINALES 

Je  fais  avec  un  scalpel  bien  effilé  une  incision  transversale 
sur  une  tige  de  Synapis,  ou  de  Dypsacus,  de  manière  à  pénétrer 
jusqu'à  la  moelle.  Le  lendemain,  la  tige  s'est  un  peu  inclinée 
du  côté  de  l'incision,  et  les  deux  bords  de  la  plaie  se  sont  rap- 
prochés et  se  soudent  fortement  en  formant  une  cicatrice  à 
lèvres  rentrantes,  qui  témoignent  de  l'effet  exercé  par  la  partie 
supérieure  sur  la  partie  inférieure.  En  faisant  à  diverses  hau- 
teurs des  incisions  qui  comprennent  dans  leur  ensemble  une 
circonférence  entière,  les  soudures  cicatricielles  ont  lieu;  la 
tige  subit  des  modifications  dans  sa  direction  verticale;  mais  la 
pbnte  ne  parait  pas  souffrir  dans  sa  vie  générale,  ce  qui  tient 


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DB   l'influence    DE   LA   TENSION   HYDROSTATIQUE.  135 

à  ce  que  la  tension  hydrostatique  se  transmet  dans  tous  les  sens 
et  par  la  voie  sinueuse  que  laissent  les  incisions. 

Pour  éviter  la  soudure  de  la  plaie,  j*ai  établi  des  sections 
longitudinales  parallèlement  à  Taxe,  et  j'ai  enlevé  ainsi  un  lam- 
beau plus  ou  moins  profond  de  la  tige.  Ces  vivisections  ont  été 
pratiquées  sur  des  Dipsacus  Ferox;  au  bout  de  quelques  heures 
seulement,  la  tige  s'incline  au  sommet  de  la  section,  puis>  après 
quelques  jours,  le  bourgeon  terminal  se  relève  verticalement, 
de  sorte  que  la  plante  présente  une  courbe  en  baïonnette. 

Il  est  évident  ici  que  la  tension,  diminuée  du  côté  où  Ton  a 
produit  la  section,  s'est  répartie  de  nouveau  uniformément  au 
sommet.  Celte  expérience  explique  pourquoi  ces  plantes,  quand 
il  fait  du  vent,  s'inclinent  vers  sa  direction,  l'évaporation,  plus 
rapide  du  côté  frappé  par  l'air,  déterminant  dans  ce  sens  une 
variation  de  lensfon.  J'ai  mutilé  ainsi,  dans  toutes  les  directions, 
un  massif  de  Dipsacus,  et  j'ai  obtenu  des  inclinaisons  dans  tons 
les  sens.  Les  bords  de  la  plaie  se  garnissent  d'un  bourrelet 
comme  dans  les  incisions  annulaires,  plus  épais  en  haut  et  sur 
les  bords  latéraux  qu'à  la  partie  inférieure.  Il  peut  même  arri- 
ver que  la  plaie  se  referme  ainsi  complètement  de  haut  en  bas. 

J'ai  observé  cette  inclinaison  du  rameau  du  côté  de  la  plaie 
sur  des  rosiers  qui  avaient  été  frappés  par  la  grêle.  Ces  phéno- 
mènes doivent  jouer,  ce  me  semble  ,  un  rôle  important  dans  la 
soudure  de  la  greffe. 

Enfin,  l'expérience  la  plus  intéressante  consiste  à  briser  une 
tige  de  Dipsacus  ou  de  moutarde,  de  manière  à  ne  laisser  adhé- 
rer à  la  tige  qu'un  lambeau  du  faisceau  6bro-vasculaire,  et 
que  la  partie  supérieure  pende  le  long  de  la  partie  inférieure. 
La  tige  ne  tarde  pas  à  présenter  une  tendance  au  redressement, 
et  forme,  à  une  certaine  distance  de  la  partie  coupée,  une 
courbe,  pour  redevenir  ascendante  et  accomplir  toute  son 
évolution  de  floraison  et  de  fructiflcation.  La  tige  se  relève 
toujours  du  côté  où  s'est  faite  la  section,  où  la  partie  supé- 
rieure est  détachée  de  la  partie  inférieure.  Il  est  à  remarquer 
également  que  le  redressement  a  lieu  non-seulement  pour  la 
tige  principale,  mais  encore  pour  les  rameaux  latéraux  et  dans 
le  même  sens. 


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436  MÉMOIRES. 

Il  me  semble  évident  que  dans  la  partie  de  la  tige  qui  n'est 
plus  en  communication  avec  le  tronc,  les  tissus  doivent  subir 
un  retrait  qui  explique  le  redressement  de  la  tige  dans  ce  sens. 

Ainsi,  quelques  vaisseaux  suffisent  pour  transmettre  la  pres- 
sion, et  les  deux  parties  de  la  plante  dans  lesquelles  cette  pres- 
sion est  inégalement  distribuée  fonctionnent  comme  les  deux 
ressorts  soudés,  et  inégalement  flexibles  ou  inégalement  dilata- 
bles par  la  chaleur  que  Ton  emploie  en  physique  pour  com-^ 
penser  les  chronomètres. 

Si  l'on  fait  cette  expérience  sur  une  tige  où  la  floraison  a  eu 
lieu,  la  tige  ne  se  redresse  pas;  la  tension  générale  n'existe  plus 
ou  n'est  plus  sufGsante  pour  déterminer  le  redressement. 

Ces  expériences  prouvent  aussi  que  la  tension  peut  se  trans- 
mettre des  racines  aux  jeunes  rameaux  par  le  tronc,  même  lors- 
qu'il est  creux.  Il  arrive  souvent  que  l'on  trouve  dans  les  vieux 
arbres,  les  chênes  surtout,  le  centre  du  tronc  occupé  par  une 
bouillie  liquide  mélangée  de  gaz  azote,  et  qui  peut  servira  trans- 
mettre la  pression.  J'ai  constaté  ce  fait  même  après  trois  mois 
de  sécheresse  absolue. 

DE   LA   TENSION    DANS   LES   PLANTES  AQUATIQUES 

Dans  les  plantes  aquatiques,  la  tension  est  produite  non  par 
l'eau,  mais  par  les  gaz.  Ces  gaz  sont  puisés  dans  l'eau  par  des 
racines  spéciales,  véritables  branchies  végétales,  et  qui  ont  leur 
maximum  de  développement  dans  leaJussiœay  mais  que  l'on 
peut  observer  dans  les  ScirpuSy  les  Typha,  les  Nymphéa,  etc.  Les 
végétaux  aquatiques  les  plus  inférieurs  doivent  à  ces  gaz  inté- 
rieurs de  pouvoir  rester  dressés  au  sein  des  eaux.  Ces  gaz  rem- 
plissent les  méats  des  racines  et  de  la  tige,  et  prennent,  en  vertu 
de  phénomènes  capillaires  bien  cx)nnus  entre  les  liquides  et  les 
gaz,  une  tension  considérable.  Dans  cet  air  absorbé,  c'est  sur- 
tout l'azote  qui  est  destiné  à  jouer  le  rôle  mécanique,  tandis  que 
l'oxygène  préside  aux  actions  chimiques,  à  la  formation  des 
cristaux  nombreux  qui  tapissent  les  surfaces  gazeuses  intérieu- 
res et  surtout  au  développement  du  latex,  que  l'on  voit  dans  ces 
plantes  toujours  en  rapport  avec  ces  gaz  intérieui*s.  Impression 


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DB   l'influence   DE   LA   TENSION   HYDROSTATIQUE.  137 

gazeuse  s'équilibre  encore  ici  par  les  feuilles  dans  les  plantes 
aquaiico-aériennes  et  principalement  par  les  stomates  (1). 

Je  n'insisterai  par  sur  ces  faits  que  j'ai  développés  avec  détail 
soit  devant  l'Académie  des  sciences  de  Montpellier  (1871),  soit 
dans  la  Revue  des  sciences  naturelles  de  la  même  ville  (mars  1873), 
soit  enfin  dans  les  Annales  des  sciences  naturelles  (janvier  1874). 
I!  était  seulement  intéressant  de  constater  que  les  plantes  aqua- 
tiques empruntent  leur  force' vive  à  la  tension  des  gaz,  tandis 
que  les  plantes  aériennes  mettent  en  jeu  la  tension  des  liquides. 

DBS  PHÉNOMÈNES   NATURELS   ET   DES   MOUVEMENTS^PRODUITS   PAR 
LA  TENSION    HYDROSTATIQUE   ET   SES  VARIATIONS 

La  tension  hydrostatique  constituant  pour  nous  ce  que^l'on 
appelle  aujourd'hui  en  mécanique  l'énergie  potentielle  du  végé- 
tal, il  semble  naturel  de  chercher  à  rattacher  à  celte  [cause 
générale  la  plupart  des  phénomènes  mécaniques  que^présentent 
les  plantes. ^^Quelques-uns  de  ces  phénomènes  ont  déjà^été  rap- 
portés'par  les  auteurs  à  rhygroscopicité^des  tissus,  à  J'évapora- 
tion,  àla  pression  elle-même,  mais  il  ne^semble  pas  qu'on  ait 
cherché  à^ ramener  tous  ces  faits  à\ine^cause  unique. 

La  force  de  tension  a  naiurollemeint  pour  facteurs  :  1°  Télas- 
ticité  des  organismes  élémentaires  ou  des^ tissus ;^élasticité^qni 
n'est  pas  une  force  par  elle-même  et  qui  seule  ne^pourrait  ex- 
pliqurr  aucun  mouvement;  2*»  la  force  de  réaction  qu'elle  fait 
naître  dans  le  système  foliacé,  dont  nous  avons  établi  plus 
haut  l'existence;  3°  l'inégale  distribution  de  celte  [tension^ on 
ses  variations  inégales,  qui  rendent  prédominantes  les  réactions 
élastiques  de  certaines  régions.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  ces 
variations  peuvent  se  produire  s#ît  en  agissant  sur  les  racines, 
soit  en  augmentant  ou  en  diminuant  l'évaporalion  des  feuilles. 

C'est  par  des  actions  de  ce  genre  que  les  rameaux  se  redres- 


(1  )  Je  tiens  à  constater  ici  que  j'ai  é^é  le  premier  à  démontrer,  dans  certaines  plantes 
aquatiques  et  surtout  le  Ndumbium ,  l'existence  de  courants  de  gaz  s'effec^uant  à  travers 
les  feuilles  et  le  rhizome.  M.  Merget  s'est  aUribué,  depuis,  ces  observations  et  ces  expé^ 
nences. 


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138  MÉMOIRES. 

sent  au  printemps  et  semblent  s'éloigner  du  sol  parleur  extré- 
mité pour  se  rapprocher  de  l'axe,  que  dans  des  pousses  très- 
vigoureuses,  celles  que  Ton  épargne  quand  on  éroonde  un  arbre, 
les  rameaux  et  les  feuilles  se  serrent  presque  verticalement  et 
ne  s'étalent  que  lorsque  la  végétation  s'affaiblit.  Les  mouve- 
ments des  feuilles,  qui  constituent  le  sommeil  des  plantes,  s'ex- 
plique aussi  naturellement  par  l'augmentation  de  pression  que 
détermine  la  cessation  de  l'évaporation  et  des  actions  chimiques 
diurnes.  Il  faut  remarquer  que  dans  les  feuilles  le  liquide  go- 
néral,  interstitiel,  existe  surtout  à  la  face  supérieure,  et  que 
dans  beaucoup  de  feuilles  jeunes  on  trouve  sous  l'épiderme 
supérieur  une  véritable  couche  liquide  qui  recouvre  les  cellules 
en  palissade.  Il  est  à  constater  encore  que,  dans  les  feuilles  à 
mouvement,  la  gaine  et  son  bourrelet,  ainsi  que  le  pétiole,  ne 
sont  point  symétriques  par  rapport  à  un  axe  central,  qu'ils 
sont  le  plus  souvent  cannelés,  et  que,  dès  lors,  une  augmenta- 
tion ou  une  diminution  de  pression  ne  peuvent  se  répartir  que 
d'une  façon  insymétrique.  On  comprend  aussi  que,  suivant  le 
sens  de  l'inégalité  de  cette  pression,  la  feuille  peut  se  relever 
ou,  au  contraire,  s'abaisser;  ou  bien  encore  se  rabattre  latéra- 
lement. Quanta  l'action  de  la  lumière  que  de  Candolle  a  cons- 
tatée sur  les  mouvements  des  feuilles,  elle  se  comprend  facile- 
ment, s'il  est  vrai  que  la  lumière  augmente  l'évaporation,  comme 
le  croient  des  physiologistes  éminents,  ou  bien  diminue,  comme 
je  l'ai  admis,  la  tension,  en  déterminant  la  jBxation  de  l'eau 
avec  le  carbone  pour  former  l'amidon,  la  cellulose,  etc.  C'est 
encore  par  l'inégale  distribution  de  la  tension  que  l'on  peut 
expliquer,  je  crois,  l'enroulement  des  tiges  voliibiles,  dont  les 
feuilles  sont  alternes  et,  par  conséquent,  les  faisceaux  Gbro-vas- 
culaires  insymétriques.  Il  est*  remarquer  que  les  plantes  ten- 
dres à  feuilles  alternes  présentent  à  chaque  entre-nœuds  des 
changements  de  direction,  tandis  que  les  plantes  à  feuilles  op- 
posées ou  verticillées  sont  généralement  à  tiges  ou  à  rameaux 
très-droits. 

J'ai  constaté  des  faits  du  même  ordre  sur  l'énorme  bourgeon 
floral  des  Tuœa.  On  sait  que  la  floraison  de  ces  plantes  est  liée 
au  régime  des  pluies,  et  que,  dans  les  années  pluvieuses  et 


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DE   l'influence   DE   LA   TENSfON   HYDROSTATIQUE.  439 

chaudes,  cette  floraison  peut  avoir  lieu  deux  fois  dans  Tan- 
née,  au  printemps  et  à  l'automne.  Le  bourgeon  floral  croit  avec 
une  rapidité  extrême,  et  lorsqu'il  a  acquis  une  certaine  Ion- 
gueula  son  extrémité  recourbée  décrit  dans  vingt-quatre  heures 
un  cercle  entier.  Dans  les  premiers  jours  elle  est  inclinée  à  Test 
le  matin,  au  soleil  levant,  et  le  soir  à  l'ouest;  mais  bientôt 
l'action  devient  plus  irrégulière,  et  tout  mouvement  disparaît 
lorsque  les  pédoncules  floraux  se  sont  éloignés  de  l'axe.  Lors- 
que le  vent  d'ouest  souffle  le  matin,  le  bourgeon  est  tourné 
dans  cette  direction  contraire  à  celle  du  soleil.  Si  l'on  fait  une 
section  au  bourgeon  pendant  que  les  mouvements  ont  lieu,  il 
jaillit  un  liquide  «bondant,  et  la  tige  se  recourbe  de  manière  à 
devenir  presque  horizontale.  Tout  mouvement  cesse  de  ce 
moment.  La  plupart  des  phénomènes  semblables  qui  constituent 
V héliotropisme^  me  paraissent  pouvoir  s'expliquer  par  une  éva- 
poration  plus  rapide  dans  la  partie  frappée  par  le  soleil,  qui 
amène  une  contraction  des  tissus  et  une  variation  locale  de 
tension. 

Des  variations  de  tension  comme  cause  des  mouvements  de  la 
sensitive.  —  Les  mouvements  de  la  sensitive  me  paraissent 
susceptibles  d'une  explication  très-simple  à  l'aide  des  faits  que 
nous  avons  établis  dans  le  cours  de  ce  travail.  Cette  plante  in- 
téressante a  excité  l'attention  d'un  certain  nombre  d'observa- 
teurs, parmi  lesquels  on  peut  citer  MM  P.  Bert,  Millardet, 
Brucke,  Pfeffer,  Sachs,  etc.  (1). 

Hais  si  les  travaux  nombreux  qui  sont  résultés  de  ces  re- 
cherches ont  bien  établi  les  circonstances  de  ces  phénomènes, 
leur  mécanisme  et  la  constitution  de  leur  principal  organe,  lo 
bourrelet  moteur,  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  cause  pre- 
mière, qui  est  encore  à  peu  près  inconnue. 

On  sait  que  ces  mouvements  sont  de  deux  sortes,  ainsi  que 
M.  Paul  Bert  l'a  bien  établi  :  les  uns  provocables,  les  autres 
spontanés  périodiques.  Nous  allons  d'abord  nous  occuper  de  ces 
derniers. 


(4)  On  troQTera  une  bonne  analyse  deceetrafanx,  tant  anciens  que  modernes,  dans  les 
tUmmtt  d$  Bokmique  de  M.  Duebartre,  p.  460  et  suit. 


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1  iO  MÉMOIBES. 

Remarquons  d'abord  que  l'aspect  général  de  la  plante  accuse 
l'existence  d'une  tensi(m  considérable  el  inégalement  distribuée; 
les  rameaux,  en  effet,  s'étalent  presque  à  la  sortie  du  sol  et 
débordent  le  vase,  bien  que  leur  tissu  soit  rigide;  les  eat re- 
nœuds s'inclinent  aussi  alternativement  dans  un  sens  et  dans 
l'autre  les  feuilles  étant  alternes,  enfin  il  existe  toujours  une 
région  liquide  aux  bourrelets  des  feuilles. 

Il  me  semble  donc  que  les  mouvements  sont  dus  aux  varia- 
tions de  la  tension  générale  pendant  le  jour  et  pendant  la  nuit. 
Les  deux  ressorts  inférieur  et  supérieur  du  bourrelet  moteur 
subissent,  par  suite  de  Tévnporation  diurne  et  des  actions  chi- 
miques dont  les  feuilles  sont  le  siège,  des  variations  inégales 
de  tension. 

Il  faut  remarquer,  en  effet,  que  le  ressort  supérieur  porte 
des  stomates  dans  les  renflements  tertiaires  qui  prouvent  que  la 
pression  gazeuze  doit  jouer  ici  un  certain  rôle.  De  plus,  le  res- 
sort inférieur  est  plus  épais  que  le  ressort  supérieur  dans  le 
renflement  primaire,  et  l'on  constate  dans  la  zone  externe  la 
présence  d'un  liquide  interstitiel  dans  des  méats  triangulaires, 
et  un  globule  de  liquide  oléagineux  dans  les  cellules.  Sous  l'in- 
fluence des  causes  complexes  qui  font  varier  cette  tension  d'une 
façon  inégale  dans  les  deux  ressorts  du  renflement  principal,  le 
pétiole  commun  effectue  des  mouvements  que  je  comparerai 
volontiers  à  ceux  de  l'aiguille  d'un  manomètre  métallique.  De 
sorte  que  ces  mouvements  si  bien  étudiés  par  M.  Millardet  et 
par  M.  Berl  peuvent  servir  à  suivre  et  à  enregistrer  les  varia- 
tions de  la  pression  ou  plutôt  la  résultante  do  ces  variations 
sur  les  ressorts.  Je  ferai  remarquer  encore  que  les  cellules  du 
îes?ort  supérieur  étant  plus  épaisses  que  celles  du  ressort  infé- 
rieur, la  rapidité  de  la  transmission  d'une  même  pression  doit 
ôtrc  moindre  à  la  partie  supérieure  qu'à  la  partie  inférieure. 
Dans  les  renflements  tertiaires  le  jeu  des  stomates  qui  se  fer- 
ment la  nuit  fait  varier  en  dessus  la  tension  gazeuse,  et  aide 
ainsi  aux  mouvements  des  folioles.  Je  dois  constater  encore  un 
fait  important  :  lo  peu  de  compressibi.ilé  de  l'eau  lui  permet 
de  subir  de  grandes  variations  do  pression  sans  changements 
notables  de  volume;  aussi  il  n'est  pas  nécessaire,  surtout  pour 


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DB   L'mPLUBNCB   DB    LA   TBNSION    HTOBOSTATIQUE.  141 

les  faibles  variations  dont  il  s'agit  ici,  de  suptposer  que  l'eau  des 
cellules  subit  un  déplacement  ou  un  écoulement  quelconque, 
comme  le  suppose  M.  J.  Sachs,  soit  pour  les  mouvements  pé- 
riodiques, soit  pour  les  mouvements  provoqués. 

Les  mouvements  provoqués  me  semblent  aussi  faciles  à  ex- 
pliquer. Il  ne  s'agit,  en  définitive,  que  d'une  quantité  de  mou- 
vement transmise  à  un  système  plus  ou  moins  élastique. 

Lorsqu'on  imprime  à  une  branche  entière  une  seule  secousse 
en  la  tenant  par  la  base,  on  voit  l'ébranlement  transmis  de  bas 
en  haut  se  réfléchir,  pour  ainsi  dire,  au  sommet  du  rameau,  et 
les  feuilles  se  replier  successivement  du  sommet  vers  la  base  du 
rameau.  Il  y  a  plus,  si  le  mouvement  se  propage  aux  rameaux 
voisins,  c'est  de  bas  en  haut  que  se  fait  la  propagation,  la  trans- 
mission de  l'ordre  réfléchi. 

Cette  onde  de  retour  diminue  la  tension  qui  s'exerce  natu- 
rellement de  bas  en  haut,  et  cette  diminution  est  plus  rapide 
pour  le  bourrelet  ou  ressort  inférieur  que  pour  le  bourrehl 
supérieur.  Pour  les  folioles,  cet  ébranlement  détermine  une 
rapide  sortie  de  l'air  par  les  stomates  de  la  base  supérieure,  et 
le  ressort  inférieur  l'emporte  alors,  ce  qui  explique  le  redresse- 
ment de  ces  folioles. 

Ainsi,  cette  onde  de  retour,  ce  coup  de  bélier,  auquel  nous 
avons  attribué  déjà  un  rôle  important  dans  plusieurs  phéno- 
mènes naturels,  est  encore  la  cause  principale  des  variations  de 
tension.  On  conçoit  donc  que  les  mouvements  provoqués  doi- 
vent être  proportionnés  à  la  quantité  de  mouvement  que  l'on 
imprime  à  la  branche,  et  que  le  végétal  est  appelé  à  épuiser. 
La  plante  reviendra  ensuite,  après  un  temps  plus  ou  moins  long, 
suivant  l'énergie  de  succion  des  racines ,  à  son  état  d'équilibre 
primitif. 

Une  brûlure  ou  une  élévation  brusque  de  température,  à 
l'extrémité  d'un  rameau  ou  d'une  feuille  composée,  produira 
également  une  réaction  de  bas  en  haut,  et,  par  conséquent,  une 
diminution  de  la  tension  dans  les  bourrelets  primaires,  secon- 
daires ou  tertiaires. 

On  voit  par  la  que  les  deux  sortes  de  mouvement,  bien  que 
tirant  leur  origine  de  la  variation  de  tension,  ne  sont  pas  dus  à 


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142  MÉMOIRES. 

(les  causes  identiques  et  présentent  des  différences  que  M.  Bert 
a  signalées,  et  qui  peuvent  les  rendre  indépendants. 

On  peut  encore  représenter  les  plus  importants  de  ces  plié- 
nomènes  par  une  expérience  fort  simple':  une  poire  en  caout- 
chouc est  munie  d'un  tube  de  verre  branché  à  son  extrémité;  à 
ces  branches  sont  adaptés  des  tubes  en  caoutchouc  fermés  à 
leur  extrémité.  Pour  imiter  la  différence  de  tension  qui  carac- 
térise les  deux  parties  du  bourrelet  de  la  sensitive,  on  n'a  qu'à 
tailler  en  biseau  le  tube  de  verre  qui  s'engage  dans  le  tube  de 
caoutchouc;  de  cette  façon,  la  pression  sur  une  face  sera  plus 
grande  que  sur  TaUtre.  Le  tout  étant  plein  d'eau,  si  on  exerce 
avec  la  main  une  pression  sur  la  poire,  on  verrra  les  tubes  de 
caoutchouc  monter  d'abord,  puis  se  renverser  du  côté  de  la  plus 
grande  pression.  La  pression  étant  établie  à  un  état  d'équili- 
bre, si  on  donne  un  léger  coup  sur  le  tube  de  caoutchouc,  on  le 
voit  osciller  et  se  renverser  plusieurs  fois  dans  divers  sens  ;  ces 
mouvements  se  transmettent  aux  autres  tubes,  et  la  transmission 
est  d'autant  plus  rapide  que  la  pression  primitive  est  plus 
grande. 

On  se  sert  souvent,  pour  désigner  les  phénomènes  que  pré- 
sente la  sensitive,  du  moiirritabilité;  cette  expression  me  paraît 
inexacte  :  l'irritabilité,  en  effet,  est  la  propriété  de  réagir  sous 
l'influence  d'une  action  extérieure  et  de  produire  un  travail  qui 
n'est  pas  lié  par  la  relation  d'équivalence  avec  la  cause  exci- 
tatrice, qui  n'a  fait,  pour  ainsi  dire,  qu'amorcer  le  phéno- 
mène. 

Tandis  que  dans  la  sensitive  une  faible  action  sur  une  foliole 
fait  relever  cette  seule  foliole,  une  action  plus  vive  détermine 
le  mouvement  de  la  feuille,  et  enfin  une  impulsion  plus  grande 
encore  peut  se  transmettre  aux  feuilles  voisines;  dé  sorte  que 
l'effet  produit  est  proportionnel  à  la  cause  et  à,  la  tension  ou 
sensibilité  du  ressort.  £n  faisant  le  vide  autour  de  la  feuille, 
comme  l'a  fait  M.  Paul  Bert,  on  augmente  l'évaporation  et  l'on 
diminue  la  tension,  c'est-à-dire  la  sensibilité  de  ressort.  On 
obtient  le  même  effet  en  arrosant  avec  de  l'eau  froide.  Quant 
aux  anhestésiques,  ils  agissent  aussi  sur  la  tension  générale, 
soit  qu'on  les  fasse  agir  sur  les  feuilles,  comme  l'a  fait  Claude 


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DE   l'iNPLUENCB   DE   Li   TENSION    HYDROSTATIQUE.  143 

Bernard 9  soit  qu'on  fasse  porter  leur  action  sur  les  racines, 
comme  dans  les  expériences  de  M.  Arloing. 

Je  me  propose  d'ailleurs  de  traiter  dans  un  travail  spécial 
cette  question  des  aniiestésiques. 

Les  mouvements  que  présente  V Hedysarum  gyrans  pourraient, 
sans  doute,  se  rattacher,  comme  ceux  de  la  sensitivc,  à  des  va- 
riations de  tension  dues  à  l'action  de  la  chaleur  et  de  l'humidité 
sur  les  feuilles.  Je  n'ai  point  pu  observer  ce  végétal,  et  je  n'ai 
trouvé  dans  les  travaux  qui  y  ont  trait  aucun  détail  anatomi- 
que  sufGsant  pour  permettre  de  hasarder  une  explication. 

Je  me  contenterai  de  faire  remarquer  que  les  phénomènes  de 
mouvements  oscillatoires  ou  d'écoulement  intermittent  provo- 
qués par  un  obstacle  extérieur  dans  un  courant  continu  ne  sont 
pas  rares  en  hydrodynamique.  Ainsi,  si  l'on  serre  entre  les 
doigts  légèrement  un  tube  de  caoutchouc,  traversé  par  un  cou- 
rait d'eau  continu,  on  peut  provoquer  soit  un  tremblotement 
conttiiu  comme  celui  que  Hubband  a  remarqué  dans  la  foliole 
impaire  de  V Hedysarum,  soit  encore  un  mouvement  oscillatoire 
lent  de  l'extrémité  du  tube,  soit  enfin  des  pulsations  ou  variations 
isochrones  dans  le  débit  du  courant,  soit  enfin  des  mouvements 
désordonnés. 

Je  le  répète  toutefois;  une  explication  des  mouvements  de 
cette  plante  intéressante  ne  serait  possible  que  si  l'on  possédait 
une  description  anatomique  suffisante  de  la  tige  et  du  pétiole 
pour  expliquer  los  variations  alternatives  do  la  tension  dans  ces 
plantes. 

COMPARAISON   ENTRE   LA   TENSION   CHEZ   LES   VÉGÉTAUX 
ET   CBBZ   LES   ANIMAUX 

L'existence  de  la  tension  et  l'importance  de  ses  variations 
chez  les  animaux  aussi  bien  que  chez  les  végétaux,  constituent 
un  phénomène  commun  aux  deux  règnes  qui  parait  avoir 
échappé  à  Claude  Bernard. 

On  sait,  en  effet,  que  chez  les  animaux  il  existe  une  tension 
non-seulement  dans  les  liquides  (sang,  liquide  céphalo-rachi- 
dien, lymphe,  etc.),  mais  encore  dans  les  tissus.  Pour  les  liqui- 


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1 44  MÉMOIRES. 

(les,  cette  tension ,  qui  disparaît  après  la  mort,  explique  en 
partie,  pour  moi,  les  différences  que  présentent  les  membranes, 
avant  et  après  la  mort,  au  point  de  vue  de  leur  fonctionnement. 
On  a  démontré  aussi  que  les  tissus,  autres  que  le  tissu  muscu- 
laire pour  lequel  le  phénomène  est  évident,  sont  dans  un  état 
continuel  de  tension,  où  ils  sont  maintenus  par  leurs  liaisons 
avec  les  autres  organes  (1  ). 

Les  variations  de  cette  tension,  son  passage  de  l'état  statique 
à  Tétat  dynamique  qui  constitue  la  vie  des  organes,  sont  déter- 
minées cHez  les  animaux  par  les  variations  de  la  tension  calo- 
rique et  électrique  intérieure. 

Les  végétaux  utilisent  pour  ces  mêmes  variations  de  tension 
et  les  manifestations  vitales  correspondantes,  les  variations  des 
milieux  extérieurs,  soit  au  point  de  vue  du  mouvement,  soit  au 
point  de  vue  calorique  et  lumineux. 

Je  ferai  remarquer,  en  terminant,  que  si  le  vitalisme  physi- 
que de  Claude  Bernard  est  vrai,  c'est  surtout  dans  le  règne 
végétal  qu'il  doit  trouver  son  application.  S'il  n'existe  dans  les 
êtres  vivants  que  des  causes  physiques  et  des  phénomènes  vitaux 
(lus  au  œmplexus  organique,  on  devra  constater,  à  mesure  que 
le  complexus  se  simplifie,  la  prédominance  du  phénomène 
physique.  Cela  justifie  la  tendance  des  phytophysiologistes  à 
représenter,  depuis  de  Candolle,  les  végétaux  par  des  appareils 
physiques  suivant  le  terme  du  complexus  qu'ils  considèrent. 

(1)  Voir  la  Physiologie  de  KUss,  publiée  par  M.  Mathias  Duval-JouTe. 


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OBSERVATIONS  SUR    LES* PLAIDOYERS   DE   CIGÉRON.  445 


OBSERVATIONS 

SUR   LES   PLAIDOYERS    DE    OIOÉRON 

OONSIDBRéS 
DANS  LEURS  RAPPORTS  AVEC  LA  POUTIQUE  DE  SON  TEMPS 

Par  m.   LALLIERO) 


Cicéron  (2)  lui-même,  dans  un  passage  du  de  Oratore  (3), 
expose  avec  une  admirable  netteté  les  conditions  qui  étaient 
faites  à  Rome,  de  son  temps,  à  l'éloquence  judiciaire,  t  C'est 
c  une  grande  affaire  que  de  se  môler  aui  luttes  du  barreau, 
t  et  c'est  peut-être  de  tous  les  travaux  que  l'homme  peut  en- 
€  treprendre  de  beaucoup  le  plus  considérable.  Là,  le  talent 
c  de  l'orateur  est  jugé  la  plupart  du  temps  par  des  apprécia- 

(1)  La  dans  la  séance  da  3  février  1881. 

(2)  L'oavrage  récent  de  M.  Dobois-Guchan  (Rome  et  Cicéronoukt  demiert  fnomeiUt  de  la 
réptMique  romaine  d'après  ce  contukdrt  et  tes  contemporains)  a  réédité,  qaelqaefois  même  en 
les  aggravant,  toutes  les  médisances  et  tontes  les  insultes  qui  ont  été  dirigées  contre  la 
mémoire  de  Cicéron.  Je  ne  me  propose  pas  ici  d'instituer  une  discussion  en  règle  contre 
le  livre  de  M.  Dubois-Guchan ,  —  il  a  été  réfuté  à  l'avance,  et  de  manière  la  plus  victo- 
rieuse, par  M.  Boissier  {Cicéron  et  ses  amis),  de  telle  sorte  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  retaire 
ce  qui  a  été  si  bien  fait;  —  mais,  amené  par  la  lecture  de  ce  livre  à  contrôler  les  im- 
pressions que  j'avais  recueillies  à  la  suite  d'une  étude  poursuivie  pendant  deux  ans  sur  les 
Plaidoyers  de  Cicéron,  j'ai  essayé  de  les  résumer  et  de  les  préciser  dans  ce  travail.  Ces 
réflexions,  je  le  sais  mieux  que  personne,  ne  sont  ni  très-neuves ,  ni  très-intéressantes  ; 
il  me  semble  pourtant  que ,  même  après  le  réquisitoire  violent  et  passionné  de  M.  Dubois- 
Gncban ,  elles  restent  vraies ,  au  moins  dans  l'ensemble. 

(8)n,i7. 

8«  SÉRIE.    —  TOME   III,    i.  10 


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446  MKMOÏflES. 

«  leurs  inhabiles,  qui   no  considèrent  que  l'issue  du  procès  et 
«  la  victoire.  Là,  on  a  devant  soi  un  adversaire  bien  arme, 
«  qu'il  faut  frapper  et  dont  il  faut  parer  les  coups;  là,  souvent 
€  le  juge,  qui  doit  décider  souverainement  la  question,  est  peu 
t  favorable  et  irrité,  ou  bien  encore,   il  est  l'ami  de  votre 
«  partie  adverse,  ou  votre  ennemi.  Il   faut  l'éclairer  ou  com- 
•  battre  ses  préventions,  le  calmer  ou  l'exciter,  etc.  »  Sans 
commenter  cette  phrase,  mot  par  mot,  j'en  retiendrai  seule- 
ment l'idée  principale.  N'est-il  pas  vrai  qu'elle  nous  met  sous 
les  yeux  l'image  d'un  duel  à  outrance  et  sans  merci?  que  cha- 
cune des  expressions,  employées  par  l'écrivain,  semble  em- 
pruntée au  vocabulaire  de  l'escrime  ou  de  la  guerre?  Chez 
nous,  le  tribunal,  pour  me  servir  d'une  méthaphore  devenue 
banale^  est  le  sanctuaire  de  la  justice;  quelle  que  soit  la  viva- 
cité des  débats  qui  y  sont  portés,  le  magistrat,   gardien  et 
représentant  de  la  loi,  est  là  comme  un  modérateur  suprême 
et  respecté.  Chez  les  anciens,  le  tribunal  est  une  arène,  où  les 
adversaires  sont  aux  prises,  engagés  dans  une  lutte  furieuse  et 
poursuivant  la  victoire  à  tout  prix  et  par  tous  les  moyens,  où 
les  juges  du  camp  eux-mêmes  partagent  les  passions  des  com- 
battants. Dans  l'ardeur  de  cette  bataille,  l'avocat  fait  arme  de 
tout.  Pourvu  qu'il  triomphe,  il  ne  regarde  pas  le  prix  auquel 
ce  triomphe  est  acheté,  ni  les  sacrifices  qu'il  a  dû  faire  pour  le 
conquérir.  Comme  un.  général  qui  ne  compte  ses  morts  qu'à  la 
fin  de  la  journée,  il  s'inquiète  peu  de  porter  les  plus  rudes 
atteintes  à  la  dignité  de  son  caractère,  à  ses  convictions  per- 
sonnelles, aux  opinions  qu'il  a  toujours  soutenues;   il  veut 
gagner  son  procès,  et  le  reste  n'est  rien  à  ses  yeux.  Personne  n'a 
dit  plus  de  mal  de  Cicéron  que  M.  Mommsen,  et  cependant  il 
a  très-exactement  défini  ses  plaidoyers,  quand  il  les  a  rappro- 
chés des  Mémoires  de  Beaumarchais.  Je  ne  puis  accepter  son 
jugement,  qui  tendrait  à  mettre  l'accusateur  de  Verres  bien 
au-dessous  de  l'adversaire  de  M«  Goëzman  et  du  grand  cousin 
Marin;  mais  la  comparaison   est   ingénieuse  et  fort  juste,  si 
M.  Mommsen  a  simplement  voulu  faire  entendre  que  l'avocat 
romain  est  une  sorte  de  pamphlétaire,  dont  la  polémique,  tour 
à  tour  adroite  ou  violente,  perfide  ou  emportée,  ne  connaît 


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OBSERVATIONS   SUIl    LKS    PLAIDOYERS    DE   CiCÉBON.  H7 

guère  de  scrupules  et  ne  se  respecte  pas  plus  elle-même  qu'elle 
ne  respecte  ses  ennemis. 

Cette  verve  passionnée,  cette  fertilité  de  ressources  et  d'ex- 
pédients, ces  habiletés  de  discussion  que  Beaumarchais  met  au 
service  de  ses  rancunes  personnelles,  Cicéron  et  les  autres 
avocats  de  l'antiquité  les  mettent,  le  plus  souvent,  au  service 
de  la  politique.  Elle  s'introduit  jusque  dans  les  causes  qui  lui 
paraissent  les  plus  étrangères;  elle  envahit  les  autres  et  les 
domine  entièrement.  De  nos  jours,  quand  un  homme  d'État 
vient  présider  un  comice  agricole,  ou  bien  inaugurer  une 
statue,  ou  plus  simplement  prendre  place  à  quelque  banquet, 
ce  n'est  pas  l'intérêt  de  l'agriculture  qui  le  préoccupe  le  plus, 
ni  le  personnage  illustre  dont  on  honore  la  mémoire;  ce 'n'est 
pas  non  plus  le  festin  en  lui-môme  qui  est  sa  grande  affaire. 
La  véritable  héroïne  de  la  fête,  c'est  la  politique.  Comme  Castor 
et  Pollux  dans  l'ode  de  Simonide,  elle  tient  au  moins  t  les  deux 
tiers  »  des  discours  qui  sont  prononcés,  et  la  réunion,  quel 
qu'en  soit  le  prétexte,  n'est  pour  l'orateur  qu'une  occasion  de 
fournir  des  explications  stfr  sa  conduite  ou  de  faire  une  décla- 
ration de  principes.  C'est  ce  qui  arrive  aux  avocats  romains'. 
Ils  servent  leur  parti  devant  les  tribunaux,  aussi  bien  que  dans 
le  Cénat  et  devant  le  peuple.  Ils  combattent  pour  lui,  non 
moins  que  pour  leur- client.  Avant  de  se  charger  de  la  défense 
d'un  accusé,  ils  n'examinent  pas  si  la  cause  est  juste,  mais  si 
leur  intervention  est  opportune.  Ils  calculent  le  profit  qu'ils  en 
retireront  pour  eux-mêmes  ou  pour  leurs  adhérents,  et  ils  ne 
songent  pas  à  interroger  leur  conscieno,  pour  savoir  si  elle 
accepte  la  tâche  qu'ils  lui  proposent,  ou  si  elle  s'y  refuse.  Au 
début  de  leur  cain*ière,  ils  cherchent,  en  portant  la  parole  dans 
quelque  procès  retentissant,  à  jeter  les  premiers  fondements 
de  leur  réputation  et  de  leur  fortune.  Plus  tard,  soit  que, 
enchaînés  à  un  parti,  ils  subissent  toutes  ses  exigences,  soit 
qu'ils  passent  d'un  camp  dans  un  autre,  au  gré  des  circons- 
tances ou  de  leurs  passions,  ils  se  gardent  bien  de  déserter  le 
barreau.  C'est  là  qu'ils  payent  les  dettes  de  reconnaissance 
qu'ils  ont  pu  contracter,  qu'ils  satisfont  leurs  rancunCv^,  qu'ils 
justifient  leur  propre  conduite,  qu'ils  prennent  leur  revanche 


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4  48  MÉMOIRES. 

d'une  défaite  électorale.  Ils  entretiennent  ainsi  ou  étendent  leur 
influence;  ils  provoquent  des  mouvements  d'opinion,  qui,  tôt 
ou  tard,  entraîneront  les  décisions  du  peuple  et  du  Sénat.  En  un 
root,  l'éloquence  judiciaire  est  pour  eux  l'auxiliaire  la  plus 
dévouée  de  l'éloquence  politique,  ou  plutôt  elle  est  l'éloquence 
politique  elle-même,  sous  sa  forme  la  plus  vive  et  avec  je  ne  sais 
quoi  de  plus  agressif  et  de  plus  violent. 


I 


Considérons,  en  effet,  la  suite  des  plaidoyers  de  Cicéron. 
Sans  doute,  on  peut  citer  quelques  procès  isolés,  qui  sont  des 
épisodes  sans  lien  avec  l'ensemble,  presque  des  accidents  au 
milieu  de  la  carrière  de  l'avocat.  Il  est  arrivé  parfois  qu'il  s'est 
chargé  d'un  procès,  uniquement  parce  qu'il  avait  des  liaisons 
personnelles  avec  l'accusé;  il  lui  est  arrivé  aussi  d'accepter 
certaines  causes^  séduit  par  leur  difficulté  même,  pour  faire 
parade  de  son  habileté.  Il  agit  alors, *non  pas  comme  un  homme 
de  parti,  mais  comme  un  artiste,  sûr  de  son  talent  et  qui  se 
complaît  à  l'exercer.  Ces  exceptions  sont  d'ailleurs  très  rares 
et,  par  un  examen  attentif,  on  en  réduirait  encore  le  nombre. 
Presque  toujours,  au  contraire,  les  plaidoyers  de  l'orateur  se 
rattachent  à  une  question  politique.  Cette  dépendance  est  même 
si  étroite  qu'il  ne  serait  pas  difficile  de  les  distribuer  en  plu 
sieurs  séries,  qui  marqueraient  comme  les  étapes  de  sa  vie  pu- 
blique et  correspondraient  aux  divers  événements  par  lesquels, 
elle  a  été  signalée. 

Au  moment  où  Cicéron  paraît  au  barreau,  l'ordre  équestre, 
décimé  par  les  proscriptions  de  Sylla,  chassé  des  tribunaux  où 
il  régnait  en  maître  depuis  la  loi  de  C.  Gracchus,  menacé  dans 
sa  fortune  par  l'abolition  du  système  des  fermes  en  Asie,  n'a 
plus  d'autres  ressources  que  de  s'allier  au  parti  populaire.  Rap- 
prochés par  leur  haine  commune  contre  le  dictateur,  les 
démocrates  et  les  chevaliers  attendent  impatiemment  le  jour  où 
les  uns  pourront  venger  la  mémoire  de  Marins  »  les  autres 
ressaisir  les  privilèges  qui  leur  ont  été  enlevés.  Sans   hésiter. 


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OBSERVATIONS   SUR    LES   PLAIDOYERS    DE   CICÉBON.  149 

guidé  par  l'instinct  de  son  ambition  qui  l'avertit  de  la  grandeur 
du  rôle  qu'il  peut  jouer  dans  ces  circonstances^  poussé  aussi, 
il  faut  le  dire  hautement,  par  un  mouvement  d'indignation  et 
de  pitié  généreuse,  Cicéron  se  range  du  côté  des  opprimés 
contre  l'aristocratie  triomphante.  Il  apporte  à  la  coalition  des 
partis  vaincus  le  secours  de  sa  jeune  éloquence.  Dans  une  ville 
tremblante,  au  milieu  du  grand  silence  que  la  dictature  faisait 
peser  sur  le  forum ,  cet  orateur  de  vingt-sept  ans  ose  élever  la 
voix;  il  ose  parler  de  clémence  devant  les  prescripteurs,  de 
tolérance  et  de  pardon  devant  cette  réaction  aristocratique , 
qui  avait  poussé  jusqu'au  bout,  avec  une  rigueur  si  impitoya- 
ble ,  toutes  les  conséquences  de  sa  victoire.  Les  trois  plaidoyers 
qu'il  prononce  pendant  cette  période,  la  défense  de  P.  Quintius, 
celles  de  Roscius  d'Amérie  et  d'une  femme  d'Arretium,  se  tien- 
nent étroitement  et  se  complètent  l'un  par  l'autre.  Ils  nous  per- 
mettent d'apprécier  le  caractère  de  cette  opposition,  qui  ne 
pouvait  avoir  et  qui  ne  cherchait  aucun  résultat  immédiat,  qui 
ne  se  proposait  pas  de  renverser  le  gouvernement  de  Sylla , 
mais  qui  préparait  de  loin  la  chute  du  régime  aristocratique, 
en  le  discréditant  dans  l'opinion.  Elle  est  encore  timide  et 
voilée  dans  le  Pro  Quintio,  où  elle  procède  par  voie  d'allusions; 
dans  le  Pro  Roscio  AtnerinOy  elle  prend  plus  de  hardiesse  et, 
tout  en  usant  encore  de  ménagements,  tout  en  protestant  de 
son  respect  pour  la  personne  du  dictateur,  elle  va  chercher 
auprès  de  lui,  parmi  ses  familiers,  l'affranchi  Cbrysogonus 
pour  le.  livrer  au  mépris  des  auditeurs  et  des  juges.  Le  plai- 
doyer pour  la  fenrime  d'Arretium  n'est  pas  venu  jusqu'à  nous, 
mais  nous  pouvons  affirmer  que  le  courage  de  l'orateur  ne  s'y 
démentait  pas.  En  soutenant  que  le  titre  de  citoyen  romain 
était  impre^riptible ,  en.  invoquant  ces  grandes  maximes  de 
droit  public  dont  Sylla  ne  voulait  tenir  aucun  compte,  il  lui 
rappelait  que  sa  puissance  avait  des  limites ,  et  tentait  de  ra- 
mener la  dictature  elle-même  au  respect  des  lois. 

•Lorsque  Cicéron  revient  de  Grèce  après  la  mort  de  Sylla, 
c'est  pour  reprends  l'œuvre  qu'il  avait  si  brillamment  entre- 
prise. En  apparence,  la  situation  politique  est  la  même.  Le 
pouvoir  est  toujours  aux  mains  de  l'oligarchie  sénatoriale  ;  l'ai- 


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150  MEMOIRES. 

liance  est  toujours  aussi  étroite  entre  la  démocratie  et  les  che- 
valiers. Mais  les  deux  partis  conjurés  ne  sont  plus  maintenant 
réduits  à  l'inaction.  La  constitution  de  Sylla,  établie  par  la  vio- 
lence et  soutenue  par  la  terreur  qu'inspirait  la  dictature,  n'était 
pas  de  celles  qui  survivent  à  leur  fondateur.  Le  gouvernement 
avait  réussi  à  repousser  l'attaque  prématurée  et  mafl  conduite 
de  Lépidus  ;  il  devait  succomber  bientôt  sous  les  efforts  sans 
cesse  renouvelés  de  l'opposition.  Les  démocrates  réclamaient 
le  rétablissement  de  la  puissance  tribunitiennc;  les  chevaliers 
voulaient  rentrer  en  possession  du  droit  de  siéger  dans  les  tri- 
bunaux. Les  uns  et  les  autres  obtiendront  ce  qu'ils  désirent, 
en  684,  grâce  à  Tappui  de  Pompée,  au  mouient  où  l'heureux 
vainqueur  de  Serlorius  reviendra  d'Espagne,  mécontent  du 
Sénat  qui  l'avait  mal  soutenu  dans  cette  campagne  laborieuse, 
et  irrité  contre  l'orgueil  d'une  noblesse  qui  n'avait  jamais  ac- 
cepté ses  services  qu'avec  défiance  et  le  traitait  en  parvenu. 
Nous  n'avons  pas  conservé  tous  les  plaidoyers  que  prononça 
Cicéron  dans  cette  période  de  sa  vie;  mais  il  nous  reste  les  Ver- 
rineSf  et  elles  suffisent  pour  nous  montrer  la  part  qu'il  a  prise 
à  cette  attaque,  menée  avec  tant  d'ardeur  contre  le  régime 
aristocratique.  Les  crimes  et  les  brigandages  de  Verres,  les  souf- 
frances de  la  Sicile,  les  terres  de  la  province  la  plus  riche  de 
l'empire  frappées  de  stérilité  par  l'administration  imprévoyante 
du  préteur,  les  sanctuaires  les  plus  vénérables  dépouillés  par 
son  avidité,  les  magistrats  battus  de  verges,  les  fils  des  plus 
grandes  familles  conduits  au  supplice  et  exécutés  avec  des  raf- 
finements de  cruauté,  tous  ces  récits  dans. lesquels  triomphe 
l'éloquence  de  Cicéron,  toutes  ces  peintures  si  vives  ne  sont, 
il  est  permis  de  le  dire,  qu'une  décoration  purement  extérieure. 
L'action  véritable  se  passe  non  en  Sicile,  mais  à  Rome;  elle  est 
engagée,  non  entre  Verres  et  les  provinciaux,  mais  entre  le 
Sénat,  qui  ne  veut  céder  aucune  de  ses  prérogatives,  et  l'ordre 
équestre,  qui  veut  reconquérir  celles  qu'il  possédait  autrefois. 
Sr  l'orateur  fait  un  tel  étalage  des  vols  et  des  violences  de 
Verres,  c'est  qu'il  entend  démontrer,  par  un  exemple  éclatant, 
les  vices  du  gouvernement  aristocratique.  Il  veut  prouver  qu'il 
est  impossible  d'abandonner  plus  longtemps  le  monopole  de  la 


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OBSERVATIONS   SUU    LKS   PLAIDOYERS    DE   CICÉRON.  <51 

puissance  judiciaire  aux  mains  de  ces  sénateurs  qui  acquittent 
tous  les  coupables,  et  deviennent  ainsi  les  complices  des  mal- 
versations qu'ils  laissent  impunies.  Pour  assurer  aux  provinces 
un  régime  tolérable,  pour  restituer  au  nom  romain  son  honneur 
que  tant  de  magistrats  prévaricateurs  ont  souillé ,  il  faut  ra- 
mener les  chevaliers  dans  ces  tribunaux  d'où  Sylla  les  a  chas- 
sés. Quand  le  procès  s'engage,  le  but  de  Cicéron  est  d'établir  In 
nécessité  de  celte  réforme;  quand  il  publie  ses  derniers  dis- 
cours après  la  fuite  de  l'accusé,  la  réforme  vient  d'être  accom- 
plie par  la  loi  de  L.  Auréiius  Cotta;  mais  il  reste  à  consolider 
le  triomphe  obtenu,  à  le  fortifier  si  bien  que  désormais  l'aris- 
tocratie ne  puisse  tenter  aucun  retour  offensif.  C'est  ainsi  que 
les  Verrines  se  rattachent  aux  plaidoyers  que  Cicéron  avait 
composés  du  vivant  de  Sylla.  Elles  sont  comme  le  chant  de 
victoire,  enthousiaste  et  magnifique,  de  cette  opposition  dont 
nous  avions  entendu  les  premières  protestations  dans  les  dé- 
fenses de  Quintius  et  de  Roscius  d'Amérie. 

La  vie  politique  de  Cicéron  présente,  jusqu'ici,  une  unité 
remarquable.  Mais,  l'année  même  qui  suit  la  publication  des 
Verrines,  en  685,   il  défend  Fontéius,    coupable  des  mêmes 
crimes  que  Verres,  et  il  le  défend,  bieji  que  l'accusé  soit  un 
ancien  officier  de  Sylla ,  et  les  accusateurs  d'anciens  amis  de 
Marius,  des  hommes  qui  appartiennent  au  parti  populaire.  Au 
premier  abord,  on  ne  saurait  imaginer  une  palinodie  plus  com- 
plète. Les  moindres  détails  de  ce  discours  semblent  témoigner 
(le  la  versatilité  de  Cicéron.  Il  n'y  a  pas  un  argument  qui  ne 
soit   en  contradiction  flagrante  avec  les  arguments  soutenus 
dans  les  Verrines;  il  n'y  a  pas  ane  idée,  pas  un  sentiment,  dé- 
veloppé par  l'orateur  dans  le  Pro  Fonteio^  qui  ne  soit  la  néga- 
tion de  ces  théories  généreuses  et  vraiment  humaines  qu'il 
exprimait  si  magnifiquement  l'année  précédente.  Ce  changement 
parait  inexplicable,  et  cependant  rien  n'est  plus  naturel.   Le 
Pro  Fonteio  marque  le  point  de  départ  d'une  nouvelle  évolution 
leJa  politique  de  Cicéron  et  de  son  parti.  La  coalition  des  che- 
valiers et  des  démocrates,    ligués  contre  la   constitution  de 
Sylla,  avait  eu  le  sort  de  toutes  les  coalition^;  son  succès  même 
l'avait  brisée.  En  sollicitant  le  patrogage  de  Pompée,  en  accep- 


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152  MÉMOIRES. 

lant  ses  bienfaits  et  ceux  de  Crassus,  qui,  lui  aussi,  était  un 
transfuge  du  parti  de  Sylla,  Tordre  équestre  se  détachait  peu 
à  peu  de  ses  alliés  de  la  veille.  Il  lui  fallait  en  même  temps 
abjurer  ses  rancunes  et  ouvrir  ses  rangs  h  plusieurs  de  ceux 
qu'il  avait  combattus.  Quand  il  défend  Fontéius,  Cicéron  com- 
mence à  payer  la  dette  que  les  chevaliers  avaient  contractée 
envers  Pompée.  Ce  plaidoyer,  qu'on  lui  reproche  comme  une 
inconséquence,  et  que,  d'ailleurs,  je  ne  prétends  pas  excuser, 
est  un  acte  politique,  dont  il  a  calculé  toute  la  portée  et  qui 
l'engage,  lui  et  les  siens.  De  loin,  il  annonce  le  discours  Pro 
legs  Manilia,  et,  par  cette  apologie  d'un  lieutenant  de  Pompée, 
Cicéron  prépare  l'esprit  des  Romains  à  le  voir  débuter  dans 
l'éloquence  politique,  en  réclamant  pour  le  général  lui-môme 
des  pouvoirs  extraordinaires. 

Je  laisse  de  côté  le  Pro  Ccecina,  qui  n'est  guère  qu'une  dis- 
cussion juridique,  et  le  Pro  Cluentio,  qu'il  faut  considérer 
surtout  comme  un  tour  de  force  oratoire,  comme  une  suite  de 
variations  brillantes,  très-habilement  exécutées  par  un  avocat 
qui  a  plus  d'esprit  que  de  scrupules,  et  peut-être  encore  plus 
d'audace  que  d'esprit. 

Je  me  hâte  d'arriver  qux  deux  événements  les  plus  considéra- 
bles de  la  vie  de  Cicéron  :  son  consulat  et  son  exil,  l'un  qui  a 
tellement  exalté  son  orgueil,  l'autre  qui  a  brisé  si  rudement 
son  courage  et  sa  con6ance  en  lui-môme.  L'âme  de  Cicéron,  si 
mobile,  si  prompte  à  recevoir  toutes  les  impressions  et  à  les 
exagérer,  n'était  capable  de  supporter  ni  cet  excès  d'honneurs, 
ni  cet  excès  de  souffrances.  Ne  soyons  pas  trop  sévères  pour 
lui.  Y  eut-il  jamais,  en  effet,  au  lendemain  d'un  triomphe  plus 
éclatant,  une  chute  plus  profonde  que  la  sienne?  Porté  au  con- 
sulat par  l'accord  de  l'aristocratie  et  de  l'ordre  équestre,  ap- 
pelé, non-seulement  par  le  choix  presque  unanime  de  ses 
concitoyens,  mais  aussi  par  la  force  même  des  circonstances  à 
être  le  sauveur  de  Rome,  il  n'a  pas  été  au-dessous  de  la  tâche 
qui  lui  était  confiée;  son  éloquence  a  chassé  Catilina,  elle*a 
écarté  le  danger  qui  menaçait  les  institutions  de  la  république, 
et  l'incendie  qui  allait  envelopper  la  ville  entière;  à  la  suite 
deCatulus,  le  chef  de  la  poblesse,  le  peuple  l'a  salué  du  beau 


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OBSERVATIONS   SUR   LES  PLAIDOYERS   DE   CICÉRON.  453 

titre  de  Père  de  la  patrie.  Est-il  donc  étonnant  que  le  fils  de 
rhumble  bourgeois  d'Arpinum  ait  été  enivré  par  ces  prospé- 
rités? Il  a  pu  se  croire  l'égal  de  ces  nobles,  qui  remettaient  leur 
salut  entre  ses  mains;  il  a  pu  se  croire  Tégal  des  plus  grands 
généraux  et  même  préférer  sa  toge  pacifique  à  leurs  plus  bril- 
lants lauriers.  S'ils  reculaient  les  bornes  de  l'empire,  n'avait-il 
pas  conservé  Rome  elle-même,  et  la  république,  qui  leur  de- 
vait de  nouvelles  provinces,  ne  lui  devait-elle  pas,  à  lui,  sa 
propre  existence?  Mais  voici  que  cinq  années  à  pei  ne  se  sont 
écoulées,  et  le  Père  de  la  patrie  est  jeté  en  exil.  Il  a  suffi  d'un 
signe  de  César,  du  muet  acquiescement  de  Pompée  et  de  quel- 
ques bandas  de  gladiateurs  poussées  par  Clodius  pour  que  toute 
cette  gloire  s'évanouisse.  Désormais,  le  vainqueur  de  Catilina 
est  bien  averti;  la  grandeur,  dont  il  était  si  fier,  n'ét^t  qu'em- 
pruntée. Si  les  nobles  lui  ont  abandonné  le  pouvoir  dans  un 
moment  de  péril ,  ils  se  sont  servis  de  lui  comme  d'un  instru- 
ment que  l'on  rejette  dès  qu'il  n'est  plus  utile.  Quand  leur 
ancien  orateur  a  été  exilé,  ils  ont  pris  le  deuil,  en  gens  bien 
élevés  et  qui  savent  compatir  au  malheur  de  leurs  amis;  mais 
ils  se  sont  bornés  à  cette  vaine  démonstration,  bien  suffisante, 
à  leurs  yeux,  pour  les  acquitter  envers  un^ homme  nouveau. 
De  son  côté.  Pompée,  qu'importunaient  les  fanfaronnades  de 
l'orateur,  s'est  chargé  de  lui  apprendre  que  le  Cédant  arma  togœ 
était  loin  d'être  exact.  Dans  une  république  aussi  corrompue 
que  la  république  romaine,  l'éloquence  devait  se  résigner  à  se 
mettre  au  service  de  la  force,  et  surtout  se  garder  de  croire 
qu'elle  était  par  elle-même  une  puissance.  Tristes  vérités,  sur 
lesquelles  on  envoyait  Cicéron  méditer  à  quatre  cents  milles  de 
Rome! 

Du  fond  de  sa  retraite  deThessalonique,  il  écrivait  un  jour 
à  Atticus,  pour  se  justifier  de  ses  lamentations  perpétuelles  : 
«  Puis-je  perdre  la  mémoire  de  ce  que  j'ai  été?  ne  pas  avoir  le 
sentiment  de  ce  que  je  suis?  •  —  Possum  oblivisci  qui  fuerim? 
non  sentire  qui  sim  (<)?  Pour  son  malheur  et  aussi  pour  sa 
gloire,  ce  n'est  pas  seulement  à  Thessalouique,  mais  encore  à 

0)  Ad  AU.  in,  40. 


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i56  MÉMOIRES. 

ralement,  soient  de  pures  effusions  de  vaniié?  Avant  tout,  il 
convient  de'  ne  pas  oublier  la  phrase  si  juste  de  Sénècfue,  à 
propos  de  ce  consulat  «  loué  sans  mesure,  niais  non  sans  mo- 
tif »  (1).  Ainsi,  celte  satisfaction  avec  laquelle  Cicéron  revient 
sur  le  passé,  ceKe  bonne  opinion  qu'il  a  de  lui-même  et  de  sos 
services,  tous  ces  sentiments,  jusqu'à  un  certain  point,  sont  jus- 
tiGés.  De  plus,  les  louanges  qu'il  se  donne,  sont  pour  lui  comme 
un  aiguillon,  qui  l'excite  à  bien  faire  et  à  bien  mériter  (le  la 
patrie.  Il  n'a  jamais  été  de  ceux  qui  aiment  la  vertu  toute  nue. 
Il  le  confesse  à  plusieurs  reprises  :  pour  se  dévouer  à  la  répu- 
blique, pour  affronter  les  inimitiés  et  les  périls,  il  a  besoin  de 
savoir  que  la  gloire  sera  sa  récompense.  Il  s'exhorte  lui-mêmo, 
lorsqu'il  se  remet  sous  les  yeux  Timage  des  grandes  choses  qu'il 
a  faites;  il  entretient  dans  son  àme  cette  exaltation  généreuse, 
qui  lui  était  nécessaire  pour  ne  pas  faiblir.  Enfin,  avant  de  con- 
damner ces  amplifications  comme  inutiles  et  comme  puériles,  il 
serait  bon  d'examiner  si  elles  n'ont  pas  leur  raison  d'être. 

Après  la  défaite  de  Catilina,  il  s'était  produit  à  Rome  ce  qui 
arrive  toujours  au  lendemain  des  crises  politiques.  Les  esprits 
restaient  divisés,  les  uns  pensant  que  la  répression  avait  été  exces- 
sive, les  autres,  qui  n'étaient  pas  encore  remis  de  leur  frayeur, 
réclamant  de  nouvelles  condamnations.  Cicéron,  dans  le  procès 
(te  P.  Sylla ,  prend  position  entre  ces  deux  partis  extrêmes. 
Tout  en  s'efforçant  de  modérer  la  fureur  de  ceux  qui  cherchaient 
partout  des  coupables,  il  ne  fait  aucune  concession  à  l'opinion 
opposée.  Bien  qu'il  ait  conscience  des  haines  implacables  qu'il 
a  soulevées  contre  lui,  il  revendique  la  responsabilité  de  tous 
ses  actes.  Lorsque  sur  le  forum,  rempli,  ainsi  qu'il  le  dit  lui- 
même,  des  partisans  honteux  de  Catilina  et  de  ces  hommes  qui 
voudraient  le  venger  (2),  il  raconte  ce  qu'il  a  fait  pendant  spn 
consulat,  ce  pompeux  développement  eat'-il  une  digression? 
N'est-il  pas  plutêt  un  trait  de  courage,  une  sorte  de  défi  que 
Torateur  jelte  à  ses  ennemis?  Dans  le  Pro  FlaccOf  le  récit  des 
mêmes  événements  prend  un  autre  caractère.  En  695,  César 

{i)  De  BmU.  vU.  h. 
(t)  Pro.  SuU.  7. 


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obsbevàtions  sca  les  plaidoyers  de  gicéron.  157 

est  consul;  il  vient  de  fournir  des  armes  à  Clodius,  en  se  prê- 
tant à  la  comédie  qui  le  fait  passer  dans  les  rangs  des  plébéiens 
et  l'autorise  à  briguer  le  tribunat.  Gicéron ,  dont  la  cause  est 
alors  intimement  liée  à  celle  de  l'aristocratie,  sent  que  le  ter- 
rain va  manquer  sous  ses  pieds.  Avant  de  succomber,  il  tente 
un  dernier  effort;  il  cherche  à  désarmer  les  colères  des  uns,  à 
ranimer  la  reconnaissance  des  autres.  Au  nom  de  ses  services 
passés,  il  invoque  la  pitié  des  juges^  moins  encore  pour  Flac- 
cus  que  pour  lui-même.  Ce  plaidoyer^  où  l'on  veut  voir  un 
monument  de  sa  vanité ,  n'est,  en  réalité,  qu'une  adjuration 
pressante,  un  appel  presque  désespéré  qu'il  adresse  à  la  com- 
passion de  ceux  qu'il  a  sauvés  et  qui  se  préparent  à  le  trahir. 
Nous  trouvons  ensuite  une  autre  série  de  discours,  ceux  qui 
se  rattachent  à  l'exil  de  l'orateur.  Presque  au  lendemain  de  son 
retour,  il  sollicitait  les  conseils  d'Atticus.  Il  avait  le  sentiment 
que  sa  vie  entrait  désormais  dans  une  période  nouvelle,  toute 
différente  de  la  précédente  :  «  Alteriusvitœquoddam  initiumardi' 
mur(i).  »Qu'alla.it-il  faire?  A  de  certains  moments,  il  était  tenté 
de  renoncer  à  la  politique.  Battu  par  Torage  ,  il  songeait  à  se 
réfugier  dans  l'étude  des  lettres  comme  dans  un  port  paisible  ; 
mais  quel  moyen  pour  lui  de  9*en   tenir  à   cette  résolution? 
Outre  que  l'inaction  ne  convenait  pas  à  sa  nature,  il  n'était  plus 
libre.  Il  ne  lui  était  pas  permis  de  laisser,  sans  les  reconnaî- 
tre, les  bons  offices  des  amis  qui  l'avaient  recueilli  dans  son 
exîl  ou  avaient  contribué  à  son  rappel  ;  il  lui  fallait  aussi,  — 
et  à  ses  yeux  cette  seconde  obligation  n'était  pas  moins  impé- 
rieuse que  la  première,  —  donner  carrière  à  toutes  les  rancunes 
qu'il  avait  amassées.  Se  venger  de  Clodius,  attacher  le  ridicule 
et  l'opprobre  aux  noms  des  consuls  Gabinius  et  Pison ,  qui 
s'étaient  faits  les   complices  du  séditieux  tribun,  poursuivre 
de  ses  invectives  tous  ceux  qui  s'étaient  enrôlés  à  leur  suite, 
c'était  un  devoir  pour  lui,  aussi  bien  que  de  plaider  pour  Sex- 
tins,  qui  avait  soutenu  ses  intérêts  avec  tant  de  courage ,  ou 
pour  Plancius,  qui  avait  été  son  hôte  à  Thessalonique.  Et  ce 
n'était  pas  feulement  un  devoir  envers  lui-même,  c'était  encore, 


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458  MÉMOIRES. 

dans  sa  pensée,  un  devoir  envers  la  république.  Avec  une  sen- 
sibilité aussi  vive  que  la  sienne,  tout  ce  qui  le  touchait  prenait 
immédiatement  une  extrême  importance.  Comme  il  était  tou- 
jours disposé  à  confondre  sa  cause  avec  la  cause  même  de 
Rome,  ses  amis  ne  pouvaient  être  que  d'excellents  citoyens,  ses 
adversaires  les  pires  ennemis  de  TËtat.  Ainsi,  ses  passions,  ses 
sympathies  personnelles  ou  sçs  haines,  étaient  d'accord  avec 
son  patriotisme  pour  le  ramener  au  barreau  et  dans  la  vie  pu- 
blique, alors  que  la  prudence  et  souvent  aussi  le  soin  de  sa 
dignité  auraient  dû  l'en  tenir  éloigné. 

En  effet,  surtout  à  partir  de  Tannée  698,  les  plaidoyers  de 
Cicéron  ne  témoignent  plus  seulement  du  souvenir  qu'il  avait 
gardé  de  son  exil,  mais  encore  de  la  situation  subalterne,  vrai- 
ment dépendante,  dans  laquelle  le  tenaient  les  triumvirs.  La 
conférence  de  Lucques  avait  resserré  l'alliance  de  César  et  de 
Pompée.  Cicéron,  qui,  à  la  veille  de  cette  entrevue,  se  prépa 
rait  à  partir  on  guerre  contre  César,  n'avait  plus  qu'à  essayer 
de  racheter  son  imprudence  à  force  de  soumission.  Mécontent 
de  Taristocratiê,  —  sur  laquelle  il  s'était  fait  illusion,  mécontent 
de  lui-même,  —  il  avoue  à  Atlicus  qu'il  a  été  bien  sot  de  ne  pas 
suivre  ses  avis.  Scio  me  asinum  germanum  fuisse  (1).  —  Il  se 
résigne  et,  suivant  sa  propre  expres^ion,  «  il  ne  sera  plus  désor- 
mais qu'un  soldat  qui  se  tient  à  son  rang,  puisqu'il  n'a  pas  eu 
le  courage  d'être  un  chef  de  file  (2).  »  Dans  cette  armée  où  il 
s'enrôlait  malgré  lui ,  il  devait  rencontrer  des  compagnons  qui 
ne  lui  convenaient  guère,  et  les  maîtres  de  Rome  lui  envoyaient 
parfois  de  singuliers  clients  à  défendre.  Il  est  peut-être  excu- 
sable d'avoir  plaidé  pourBalbus,  qui  n'était  pas  un  malhonnête 
homme;  mais  un  Vatinius,  un  Gabinius,  d'autres  encore  qu'il 
avait  accablés  de  ses  sarcasmes  les  plus  violents  et  les  mieux 
mérités  I  II  fallait  maintenant  se  réconcilier  avec  eux  et  se  faire, 
devant  les  tribunaux ,  le  garant  de  leur  innocence.  Il  fallait 
prendre  en  main  la  cause  de  Rabirius  Postumus,  un  spécula- 
teur effronté,  ruiné  pour  avoir  eu  trop  de  confiance  dans  le 


(4)  AdAM.  nr,  5. 
(%)  Ibid.  nr,  6. 


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OBSERVATIONS  SUR   LES   PLAIDOYERS   DE   GICÈRON.  159 

crédit  de  l'Egypte,  maïs  plus  coupable  encore  que  malheureux, 
un  de  ces  aventuriers  de  la  finance,  qui,  jugeant  sans  doute 
que  Tempire  romain  n'était  pas  assez  vaste,  s'en  allaient  cher- 
cher fortune  au  dehors  et  comptaient  des  rois  parmi  leurs 
clients.  Créancier  malhonnête  d'un  débiteur  plus  malhonnôtt? 
que  lui,  Rabirius,  en  voulant  trop  gagner,  avait  perdu  jusqu'à 
son  dernier  sesterce.  Le  beau  rôle,  en  vérité,  pour  Cicéron  que 
d'aller  s'apitoyer  sur  cette  disgrâce,  et  le  bel  emploi  qu'il  fait 
de  son  éloquence! 

Dans  c^tte  période  de  sa  vie,  deux  plaidoyers  seulement 
ont  un  accent  plus  personnel,  le  Pro  Cœlio  et  le  Pro  Milone. 
On  reconnaît  qu'il  y  exprime  ses  propres  sentiments,  qu'il  ne 
lésa  pas  composés,  comme  les  autres,  par  l'ordre  et  presque 
sous  la  dictée  des  triumvii*s.  Il  trouvait  un  double  profit  à  se 
charger  du  procès  de  Caelius  :  d'abord,  il  présentait  Tapologic 
d'un  jeune  homme,  son  admirateur  et  son  élève,  dans  lequel  il 
mettait  toutes  ses  espérances,  qui  serait  un  jour,  —  il  avait 
alors  le  droit  de  le  croire,  —  un  des  plus  énergiques  défen- 
seurs de  la  République;  ensuite,  il:  lui  était  donné,  après  tant 
d'attaques  furieuses  dirigées  contre  Clodius,  de  frapper  une 
fois  de  plus  son  ennemi,  et  de  le  frapper  par  des  armes  nou- 
velles, en  couvrant  de  ridicule  la  sœur  bien-aimée  de  l'ancien 
tribun.  Dans  la  Milonienm,  enfin  délivré  de  son  terrible  adver- 
saire, il  comble  de  louanges  l'homme  auquel  il  doit  sa  tran- 
([uillité,  et  le  meurtrier  de  la  voie  Appienne  devient,  pour  lui, 
un  héros,  comparable  aux  plus  illustres  citoyens  que  Rome  ait 
jamais  produits.  Mais  l'issue  même  de  ce  procès  nous  rappelle 
qu'il  ne  luiétait  pas  permis  de  sortir  des  rangs.  Pour  l'avoir  tenté 
une  fois,  il  futcruellement  puni,  puisqu'il  fut  impuissant  à  sau- 
ver un  accusé  auquel  il  portail  tant  d'intérêt,  et  que  la  déroute 
de  son  éloquence,  effrayée  par  la  vue  des  soldats  de  Pompée,  fit 
éprouver  à  son  amour-propre  la  plus  fâcheuse  mésaventure. 
Quelle  que  soit  la  valeur  littéraire  du  Pro  Cœlio  et  du  Pro 
MilonCy  ne  nous  laissons  donc  pas  abuser  par  ces  deux  dis- 
cours isolés,  au  point  d'oublier  que  Cicéron  n'est  alors  qu'un 
avocat  d'office,  désigné  par  les  triumvirs  pour  plaider  toutes 
les  cîmses,  bonnes  ou  mauvaises,  —  et  ces  dernières  ne  sont 


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i  60  MÉMOIRES. 

pas  les  moins    nombreuses ,  —  où  leur  politique  se  trouve 
engagée. 

Heureusement,  son  éloquence,  sans  jamais  recouvrer  la  li- 
berté qu  elle  avait  autrefois,   saura  cependant  se  relever.  La 
domination  de  César  lui  fut  moins  défavorable  que  ne  l'avaient 
été  ces  temps  troublés,  qui  avaient  précédé  la  guerre  civile. 
Quand  son  parti  eût  été  définitivement  vaincu,  quand  le  sort  de 
Rome  eût  été  décidé  à  Pharsale,  il  semble  que  Cicéron,  tout  en 
déplorant  sincèrement  la  ruine  de  ses  amis  et  de  la  République, 
ait  senti  son  àme  se  raffermir.  Tout  au  moins^  il  supporte  ave^ 
plus  de  dignité  la  dictature  de  César  qu'il  n'avait  supporté  la 
contrainte  que  lui  imposait  l'amitié  de  Pompée  et  de  ses  adhé- 
rents. Partagé  entre  mille  résolutions  confuses  et  contradictoi- 
res, attaché  par  d'anciens  souvenirs  au  parti  de  Pompée,  dont 
il  blâmait  la  conduite  et  dont  il  prévoyait  la  défaite,  entraîné 
dans  la  lutte  autant  par  une  sorte  de  respect  humain  que  par 
le  sentiment  du  devoir,   irrité  de  la  jactance  des  jeunes  Pom- 
péiens, qui  choquait  son  bon  sens,  et  attristé  de  leurs  fureurs, 
qui  choquaient  son  humanité,  il  ne  leur  avait  prêté  qu'un  con- 
cours hésitant,  médiocre  soldat  d'une  cause  qu'il  ne  pouvait 
ni  déserter  ni  approuver  sans  réserve.  La  journée  de  Pharsale, 
qui  l'asservissait,  comme  le  reste  des  Romains,  aux  volontés  de 
César,  lui  rendait  au  moins  ce  service,  de  lui  donner  son  congé. 
Triste  comme  il  convenait  à  un  vaincu ,  et  cependant  à  demi 
gagné  par  la  clémence  de  César,  il  sut  pratiquer,  dans  tous 
ses  rapports  avec  la  dictature,  cet  art  difficile  de  flatter  sans 
s'avilir,  de  caresser  les  vainqueurs  sans  renier  le  souvenir  de 
ceux  qui  avaient  succombé,  assez  indépendant  pour  donner  du 
prix  à  ses  moindres  avances,  assez  traitable  pour  que  le  maî- 
tre de  Rome  ne  pût  s'offenser  des  épigrammes  par  lesquelles  il 
soulageait  sa  fierté.  On  serait   tenté  de  dire  qu'il  est  alors  en 
coquetterie  réglée  avec  César,  s'il  n'y  avait  pas,  au  fond,   un 
sentiment  plus  sérieux  et  plus  noble.  Cicéron  n'oublie  pas  ses 
compagnons  d'infortune,  et  c'est  à  les  ramener  de  l'exil  qu'il 
emploie  le  crédit  ou  l'apparence  de  crédit  qu'il  conserve  au- 
près de  César.  Les  défenses  de  Ligarius  et  du  roi  Déjotarus,  la 
première  surtout,  nous  font  très-bien  connaître  cette  situation 


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OBSERVATIONS   SUR   LES   PLAIDOYERS   DE  CIGÉRON.  461 

de  rame  de  Cicéron»  occupé  de  lui-même,  mais  occupé  aussi 
de  ses  amis  malheureux,  enveloppant  si  adroitement  les  con- 
seils dans  les  flatteries  et  les  flatteries  dans  les  conseils  que 
Ton  reste  indécis,  ne  sachant  pas  si  Ton  doit  lui  reprocher 
d'avoir  été  le  courtisan  de  la  dictature,  ou  lui  savoir  gré  d'avoir 
cherché  à  en  modérer  les  rigueurs. 


II 


On  voit  ainsi  quelle  est  la  liaison  intime  qui  existe  entre  la 
vie  politique  de  Cicéron  et  les  monuments  qui  nous  sont  par- 
venus de  son  éloquence  judiciaire.  Sous  ce  titre  unique  de 
plaidoyers,  nous  avons  devant  nous,  en  réalité,  des  œuvres 
fort  diverses,  des  pamphlets,  des  mémoires  justificatifs,  des 
exposés  de  principes,  des  déclarations.  Si  nous  nous  plaçons  à 
ce  point  de  vue,  les  procédés  de  discussion  employés  par  l'ora- 
teur et  les  formes  de  sa  polémique  n'ont  plus  rien  qui  nous 
surprenne. 

Dans  les  Nuées  d'Aristophane,  on 'apporte  sur  la  scène,  en- 
fermés dans  des  cages,  le  Juste  et  l'Injuste,  sous  la  figure  de 
deux  coqs  de  combat.  Si  l'on  voulait  imaginer  un  travestisse- 
ment pour  les  avocats  de  l'antiquité,  c'est  bien  celui-là  que  l'on 
choisirait.  Il  représenterait  à  merveille  leur  humeur  belliqueuse 
et  cet  acharnement  avec  lequel  ils  se  disputent  la  victoire. 
Non  omnia  sunt  in  eloquentia,  dit  quelque  part  Cicéron  lui- 
même  (1);  ce  qui  signifie,  il  y  a  des  faits  tellement  clairs  par 
eux-mêmes,  des  vérités  tellement  fortes  que  toutes  les  ressour- 
ces de  réloquence,  même  la  plus  habile,  que  toutes  les  adresses 
de  la  polémique,  même  la  plus  perfide,  ne  sauraient  en  affai- 
blir l'autorité.  Maxime  excellente,  mais  trop  souvent  oubliée 
dans  la  pratique  et  à  laquelle  Cicéron,  tout  le  premier,  ne  s'est 
pas  toujours  conformé!  Les  luttes  du  barreau  sont  si  vives  que 
l'avocat  perd  le  sentiment  de  ce  qu'il  se  doit  à  lui-même  et  de 
ce  qu'il  doit  à  la  vérité.  Il  est  entraîné  à  tenter  même  l'impos- 

{h)  Pro  Quini,  tS. 

8«  sÉRne.  —  TOMX  m,  1.  U 


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162  MÉMOIRES. 

sible,  en  s'élevant  contre  l'évidence,  en  altérant,  en  dénaturant 
les  faits  les  mieux  établis,  pour  peu  que  les  besoins  do  sa  cause 
viennent  l'exiger.  Ajoutez  à  cela  que  les  anciens,  précisément 
parce  que  l'éloquence  avait  atteint  chez  eux  un  si  haut  de^ré 
de  perfection,  étaient  portés  à  se  faire  illusion  sur  sa  puissance, 
et  qu'ils  se  laissaient  séduire,  plus  volontiers  que  nous,  parles 
artifices  do  la  parole.  Ils  prenaient  un  plaisir,  tout  littéraire,  à 
la  voirse  jouer  au  milieu  des  obstacles  et  se  montraient  moins 
difficiles  sur  la  valeur  des  arguments,  du  moment  que  leur  goât 
était  satisfait  et  leur  oreille  charmée.  Enfin,  si  l'on  songe  à 
l'importance  des  intérêts  politiques  et  à  la  vivacité  des  passions 
qui  étaient  en  jeu  dans  la  plupart  des  procès,  on  aura  l'expli- 
cation de  bien  des  pratiques  qui  nous  paraissent  singulières. 

C'est  ainsi  que,  à  côté  des  préceptes  que  j'appellerai  officiels 
et  de  pure  théorie,  il  se  forme  toute  une  rhétorique  du  genre 
judiciaire,  qui  ne  leur  ressemble  que  de  fort  loin.  On  fait  un 
grand  étalage  des  premiers,  mais  c'est  la  seconde  que  Ton 
applique.  Quand  les  anciens  dissertent  sur  l'éloquence,  on  ne 
saurait  imaginer  rien  de  plus  noble,  de  plus  élevé  que  leurs 
maximes;  quand  ils  portent  la  parole  devant  les  juges,  ces 
maximes  sont  vite  oubliées.  Quelle  plus  belle  définition  de  l'ora- 
teur que  le  mot  célèbre  de  Caton,  repris  et  commenté  tant  de 
fois  après  lui  :  «  L'orateur  est  un  homme  de  bien  qui  sait  par- 
ler »?  Qu'y  a-t-il  de  plus  magnifique  que  cette  alliance  de  la 
philosophie  et  de  l'éloquence  recommandée  si  instamment  par 
Cicéron?  Prenez  le  de  Oratore;  relisez  les  enseignements  que 
donne  Crassus  aux  jeunes  gens  qui  l'écoutent.  Puis,  quand  vous 
aurez  encore  l'esprit  tout  rempli  de  ces  leçons,  quand  vous 
aurez  admiré  tant  de  sages  conseils,  quand  vous  aurez  été  non- 
seulement  séduits  par  ce  langage,  mais  édifiés  par  cette  morale 
si  ferme  et  si  droite,  ouvrez  presque  au  hasard,  le  recueil  des 
plaidoyers.  Dans  les  Verrines,  l'avocat  déclare  que  l'honneur  et 
la  sûreté  même  de  Rome  exigent  que  les  réclamations  des  pro- 
vinciaux soient  écoutées;  dans  le  Pro  Fonteio,  il  démontre  aux 
juges  qu'ils  ne  peuvent  faire  la  moindre  concession  aux  do- 
léances des  provinciaux,  s'ils  ne  veulent  pas  encourir  le  repro- 
che de  faiblesse,  presque  de  lâcheté.  Quand  il  accuse  Verres,  il 


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OBSERVATIONS    8DR    LES  PLAIDOYERS   DE  61CÉR0N.  463 

s'appuie  continuellement  sur  Tautorité  des  dépositions  qu'il  a 
recueillies^  il  n'admet  pas  un  seul  instant  qu'on  en  conteste  la 
valeur;  quand  il  plaide  pour  Flaccus»  tous  les  témoins  ne  sont 
plus  à  ses  yeux  que  des  imposteurs,  auxquels  aucun  homme 
de  bon  sens  ne  voudra  jamais  prêter  une  minute  d'attention. 
Les  sénateurs,  si  rudement  maltraités  dans  les  premiers  plai- 
doyers, deviennent,  dans  le  Pro  C.  Rabirio,  les  conseillers  de 
la  République,  et  quiconque  s'élève  contre  eux  est  un  brouil- 
lon, qui  veut  ébranler  l'État  tout  entier.  Ici,  la  gloire  militaire 
est  exaltée  à  ce  point  que  Fontéius  et  Muréna,  par  ce  seul  fait 
qu'ils  soni  des  officiers  de  mérite,  doivent  être  renvoyés  absous; 
ailleurs,  Cicéron  ne  permet  pas  même  qu'on  en  prononce  le 
nom,  quand  il  s'agit  de  Verres,  et  soutient  que  l'accusé  doit 
être  condamné,  alors  même  qu'il  serait  le  plus  grand  de  tous 
les  généraux.  Après  avoir  flétri  Catilina  de^s  épithètes  les  plus 
violentes,  après  l'avoir  représenté  comme  le  dernier  des  misé- 
rables, s'il  vient  à  parler  de  lui,  dans  la  défense  de  Caelius, 
c'est  pour  lui  reconnaître  des  qualités  remarquables,  que  jus- 
que-là il  ne  nous  avait  pas  laissé  soupçonner.  Sur  tous  les 
points,  nous  avons  ainsi  le  pour  et  le  contre.  Le  discours  d'au- 
jourd'hui dément  celui  de  la  veille,  et  sera  démenti,  à  son  tour, 
par  le  discours  du  lendemain.  Au  milieu  de  ces  contradic- 
tions, l'orateur  n'éprouve  aucun  embarras.  On  sent  qu'il  n'a 
pas  à  compter  avec  les  scrupules  de  sa  conscience,  pas  plus,  du 
reste,  qu'avec  l'opinion  de  ses  contemporains.  Pour  lui-même 
comme  pour  les  autres,  il  est  dans  son  rôle  et  dans  son  droit, 
quand  il  accommode  son  langage  et  ses  convictions  aux  cir- 
constances. 

Je  ne  prétends  point  que  toutes  ces  transformations  lui  soient 
imposées  par  les  nécessités  de  la  politique.  Quelquefois,  l'avo- 
cat altère  la  vérité  gratuitement,  pour  son  plaisir  ou  pour  celui 
de  ses  auditeurs.  C'est  ce  que  l'on  appelle  assaisonner  son  dis- 
cours de  quelques  petits  mensonges  agréables,  qui  en  relèvent 
la  saveur,  mendaciunculis  aspergere  (<).  En  y  regardant  de  près, 
on  découvrirait  que  ce  procédé,  fort  peu  honnête  cependant,  a 

(^)  De  OratorCj  ii,  69. 


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464  MÉMOIRES. 

trouvé  grâce  aux  yeux  des  théoriciens  eux-mêmes.  Un  des  per- 
sonnages du  de  Oratore,  l'orateur  César,  en  fait  un  grand  éloge. 
A  son  avis,  c'est  le  meilleur  moyen  que  Ton  puisse  employer, 
soit  qu'on  veuille  enjoliver  une  anecdote  insigniGante  par  elle- 
même,  soit  —  et  ceci  vaut  la  peine  d'être  remarqué  —  qu'on 
se  propose  d'inventer  de  toute  pièce  une  anecdote,  pour  y  en- 
châsser quelque  bon  mot  qu'on  tient  à  placer.  Cicéron,  en  ce 
qui  le  concerne,  n'a  pas  manqué  d'user  de  cet  urtiiSce,  Quand 
on  lit,  dans  le  Pro  Cluentio  (1),  l'aventure  de  l'avocat  Gaepasius, 
escaladant  les  bancs  pour  courir  après  son  client  qui  s'enfuit, 
et  le  saisissant  presque  à  la  gorge  pour  le  ramener  à  sa  place^ 
il  est  bon  de  se  souvenir  que  tout  ou  presque  tout  est  faux 
dans  ce  récit.  L'imagination  seule  de  Cicéron  en  a  fait  les  frais. 
L'infortuné  Csepasius  n'a  jamais  mérité  le  ridicule  dont  il  est 
affublé  ;  c'est  une  victime  innocente  que  Cicéron  livre  aux  mo- 
queries de  la  foule,  qu'il  veut  amuser  à  tout  prix.  Ne  lui  a-t-il 
pas  jeté  en  pâture,  dans  une  autre  circonstance,  la  sagesse 
même  de  Caton  avec  toute  la  doctrine  des  stoïciens  ? 

La  plupart  du  temps,  cependant,  il  faut  se  reporter  à  des 
considérations  plus  sérieuses  pour  avoir  la  raison  de  ces  liber- 
tés que  l'avocat  prend  avec  la  vérité  et  avec  sa  conscience.  Voici, 
en  effet,  comment  Cicéron  définit  le  devoir  des  juges  (2).  <  Tou- 
c  jours,  dans  les  causes  qui  leur  ont  été  soumises,  les  juges 

<  intègres  et  intelligents  ont  considéré  ce  que  réclamaient  l'in- 

<  térêt  de  l'Etat,  le  salut  commun  et  les  circonstances  politi- 
ques (3).  »  Quelle  déclaration  plus  nette  que  celle-là  pourrait- 
on  désirer?  Je  sais  qu'on  trouverait  à  opposer  à  cette  phrase 
d'autres  passages,  qui  soutiennent  une  opinion  très-diffé- 
rente (4)  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'elle  est  conforme. 


(1)  Pro  Cluentio,  24. 

(2)  U  est  à  peine  nécessaire  d'ayertir  que  l'on  ne  parle  ici  que  des  juàkes,  et  non  des 
magistraU,  dans  le  sens  que  les  Romains  donnaient  à  ce  mol.  On  connaît  la  différence 
qui  existait  entre  Ujus,  le  droit,  et  \QJvMcium,  ou  Tinstance  judiciaire  organisée  sur 
une  contestation.  L^judex  n'est  pas  un  magistrat,  mais  un  citoyen,  investi  par  le  magis- 
trat d'une  mission  judiciaire  dans  chaque  cause,  et  pour  la  cause  seulement. 

(3)  Pto  Fkcco,  39. 

(4)  Notamment  Pro  C.  jRoMrio  Pott,  6. 


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OBSERVATIONS  SUR    LES   PUIDOTERS  DE   CICÉRON.  165 

de  tous  points,  à  l'esprit  de  l'antiquité.  Les  changements  suc- 
cessifs que  les  révolutions  introduisent  dans  les  tribunaux  sont 
faits,  non  pour  assurer  une  justice  plus  exacte,  mais  pour  met- 
tre aux  mains  du  parti  victorieux  une  arme  redoutable,  avec 
laquelle  il  frappera  ses  ennemis.  Les  chevaliers,  depuis  C.  Grac- 
chus  jusqu'à  Sylla,  les  sénateurs,  depuis  Sylla  jusqu'à  la  loi 
Aurélienne,  se  servent  du  pouvoir  judiciaire  pour  maintenir 
leur  prépondérance  dans  l'État.  Retranchés  dans  les  tribunaux 
comme  dans  une  forteresse,  ils  luttent  avec  une  ardeur  opiniâtre, 
afin  de  conserver  un  monopole,  qui  promet  l'impunité  à  leurs 
amis  et  menace  leurs  adversaires  des  condamnations  les  plus 
dures.  Seulement,  il  en  est  de  cette  forteresse  comme  de  celles 
qu'assiégait  Philippe  de  Macédoine.  Elle  n'est  pas  tellement 
inaccessible  qu'un  mulet  chargé  d'or  n'y  puisse  pénétrer,  et  la 
vénalité  des  juges  esta  peu  près  le  seul  tempérament  qu'admette 
ce  despotisme,  qui  s'exerce  sous  le  couvert  de  la  justice. 

Avec  de  pareils  juges,  on  devine  aisément  quel  sera  le  rôle 
de  l'avocat.  Il  désertera  le  terrain  juridique,  puisque  la  moin- 
dre préoccupation  du  tribunal  est  d'appliquer  la  loi  ;  il  semblera 
parfois  perdre  de  vue  la  personne  de  son  client,  puisque  ce  ne 
sont  pas  les  arguments  tirés  de  la  cause  même,  mais  les  consi- 
dérations politiques  qui  font  absoudre  ou  condamner  l'accusé. 
En  revanche,  il  ne  négligera  pas  une  occasion  de-montrer  aux 
juges  l'influence  que  doit  avoir  sur  les  affaires  de  l'État  l'arrêt 
qu'il  les  presse  de  rendre.  C'est  à  leur  prouver  qu'ils  sont  les 
vrais  maîtres  de  la  République,  qu'ils  peuvent,  par  leur  sen- 
tence, ou  la  sauver  ou  la  perdre,  irriter  l'opinion  ou  calmer  ses 
colères,  préserver  l'autorité  des  entraînements  funestes  auxquels 
elle  s'abandonne,  ou  la  soutenir  contre  ses  ennemis,  que  l'ora- 
teur consacre  le  principal  effort  de  son  éloquence.  N'est-ce  pas 
ce  que  Cicéron  a  fait  toute  sa  vie?  A  ses  débuts,  tant  qu'il  est 
dans  l'opposition,  il  semble  que  les  tribunaux  soient  faits  pour 
donner  des  leçons  au  pouvoir;  plus  tard,  leur  premier  devoir 
est  d'imposer  silence  aux  mécontents.  Après  avoir  essayé  de  les 
mener  avec  lui  à  l'attaque  de  la  constitution  aristocratique,  il 
voudrait  les  avoir  pour  défenseurs,  lorsque,  devenu  homme  de 
gouvernement,  il  commence  à  trouver,  lui  aussi,  que  l'opposi- 


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1 66  MÉMOIRES. 

tion  est  uq  embarras.  Et  encore,  s*il  ne  leur  avait  pas  demandé 
d'autres  services!  Mais  il  a  la  prétention  de  les  prendre  pour 
complices  de  ses  défaillances»  de  les  associer  à  tous  les  chan- 
gements de  sa  politique  Durant  ces  années  de  servitude,  pen- 
dant lesquelles  il  est  l'instrument  des  triumvirs,  il  revient  con- 
tinuellement sur  cette  idée,  que  les  juges  sont  tenus  de  prendre 
en  considération  les  liaisons  de  l'accusé  avec  Pompée  ou  César. 
S'ils  refusent,  ils  sont  les  adversaires  de  la  paix  publique,  des 
esprits  chagrins  ou  absolus,  incapables  de  comprendre  les  in- 
térêts de  l'État;  s'ils  consentent,  ils  agissent  en  bons  citoyens, 
qui  savent  oublier  leurs  rancunes  personnelles  pour  se  soumettre 
aux  nécessités  du  moment.  Il  leur  en  a  lui-même  donné  l'exem- 
ple. Il  explique,  dans  le  Pro  Balbo  (1),  comment  on  peut,  sans 
mériter  le  reproche  d'inconstance,  gouverner  ses  opinions 
comme  on  gouverne  un  navire,  en  regardant  de  quel  côté  souffle 
le  vent.  Dans  la  défense  de  Rabirius  Postumus  (2),  il  se  glorifie 
d'avoir  une  àme,  où  les  inimitiés  durent  peu,  dont  les  affections 
sont  immuables,  neque  fne  vero  poenitet  mortales  inimicitiàs, 
sempiternas  amicitias  habere.  Pourquoi  les  juges  n'apprendraient- 
ils  pas,  comme  lui,  à  se  réconcilier  avec  les  hommes  qu'ils  dé- 
testaient hier? 

Ainsi,  tout  s'explique,  du  moment  que  nous  nous  détachons 
de  nos  habitudes-modernes  pour  apprécier  les  mœurs  judiciaires 
des  anciens  d'après  leurs  propres  idées.  La  nature  des  procès, 
la  composition  des  tribunaux  et  la  manière  dont  les  juges  com- 
prennent leur  devoir,  nous  donnent  la  raison  de  ces  procédés 
oratoires  qui,  au  premier  abord,  sont  si  choquants  pour  nous. 
Si  l'éloquence  de  Cicéron  diffère  si  profondément  de  la  nôtre, 
c'est  que  nous  nous  faisons  du  rôle  des  tribunaux  une  conception 
toute  différente.  Nous  leur  demandons  d'appliquer  les  lois,  sans 
acception  de  personnes;  les  anciens  leur  demandent  de  les 
plier  à  mille  considérations  diverses.  Nous  estimons  que  la  jus- 
tice ne  saurait  jamais  être  tenue  trop  à  l'écart  de  la  politique  ; 
les  anciens,  non-seulement  les  confondent,  mais  asservissent  la 


(4)  Pro  C.  Balbo,  27. 
(2)  Pro  C.  Rab.  PosL  12. 


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OBSERVATIONS   SUR    LES   PLAIDOYERS   DE   CICÉRON.  167 

première  à  la  seconde.  Pour  nous,  l'intégrité  est  la  plus  grande 
vertu  du  juge;  pour  les  anciens,  le  juge  doit  prendre  conseil  de 
ses  intérêts  avant  de  songer  à  sa  conscience,  et  sa  principale 
étude  sera  de  plaire  à  ses  amis,  quand  il  en  aura  loccasion,  de 
faire  è  ses  ennemis  tout  le  mal  qu'il  pourra.  Pendant  que  nous 
représentons  la  justice  avec  un  bandeau  sur  les  yeux  et  une 
balance  dans  la  main,  les  anciens  lui  ôtent  son  bandeau,  pour 
qu'elle  puisse  consulter,  avant  de  prononcer  ses  arrêts,  et  le 
ciel,  et  les  nuages,  et  la  direction  du  vent,  et  jusqu'aux  aspects 
les  plus  changeants  de  l'horizon.  S'ils  lui  laissent  sa  balance, 
c'est  à  la  condition  d'y  jeter  de  faux  poids. 

Que  faut-il  donc  penser  de  l'éloquence  judiciaire,  telle  que 
les  anciens  la  pratiquaient?  Il  est  trop  évident  que  sa  moralité 
est  détestable.  C'est  un  spectacle  attristant  que  de  contempler 
ces  luttes  oratoires,  d'où  tout  sentiment  élevé  et  désintéressé  est 
banni.  On  souffre  de  voir  que  tant  de  science,  tant  d'esprit, 
tant  de  génie  ont  été  souvent  si  mal  employés.  On  est  tenté  de 
s'irriter  contre  la  corruption  de  ces  dernières  années  de  la  Ré- 
publique romaine,  qui,  en  pervertissant  à  ce  point  les  âmes  et 
en  dénaturant  l'idée  même  de  la  justice,  a  pu  fausser  jusqu'à 
la  conscience  d'unCicéron  et  l'asservir  à  des  pratiques  indignes 
de  lui.  Mais  il  y  a  une  autre  question ,  qu'il  est  plus  difficile 
de  décider.  Celle  éloquence,  qui,  pour  jouer  un  rôle  dans 
l'Etat,  se  met  au  service  des  factions,  a-t-elle  au  moins  obtenu 
l'influence  qu'elle  recherchait?  Ce  qu'elle  perd  en  moralité, 
est-il  vrai  qu'elle  l'ait  gagné  en  importance  politique? 

M.  Mommsen,  que  l'on  rencontre  toujours  au  premier  rang 
des  détracteurs  de  Cicéron,  affirme  qu'il  n'a  jamais  plaidé  que 
des  causes  déjà  gagnées,  et  enfoncé  des  portes  que  d'autres 
avaient  ouvertes  avant  lui.  M.  Havet  et  M.  Boissier  (1)  sont  d'un 
avis  opposé.  Plus  indulgents  que  l'historien  allemand,  plus 
exacts  à  saisir  et  à  marquer  les  nuances,  ils  rendent  ce  témoi- 
gnage à  l'éloquence  de  Cicéron,  que  si  elle  n'a  pas  dirigé  les 
événements,  elle  a,  du  moins,  excité  <  ces  grands  mouvements 
d'opinion  qui  les  préparent  ou  les  achèvent.  »  Venu  trop  tard, 

0)  Ckéron  et  ses  amis,  p.  50. 


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168  MÉMOIRES. 

dans  une  société  en  proie  à  l'intrigue  et  à  la  violence,  alors  que 
les  institutions  républicaines  n'étaient  plus  qu'un  vain  notù^ 
l'orateur  s'est  fait  illusion  quand  il  a  cru  que  l'on  pouvait  en- 
core gouverner ,  comme  autrefois  Périclès  chez  les  Athéniens , 
par  l'ascendant  de  l'éloquence;  mais  il  n'a  pas  été  cependant  un 
comparse  inutile,  et  l'on  commet  une  véritable  injustice  quand 
on  ne  voit  en  lui  qu'un  rhéteur  et  un  bel  esprit.  Chez  nous,  à 
côté  des  pouvoirs  régulièrement  constitués,  il  y  a  ce  que  l'on  a 
appelé  dans  un  langage  un  peu  emphatique,  le  quatrième  pou- 
voir de  l'État,  la  presse ,  dont  l'action ,  pour  être  mal  définie , 
n'en  est  pas  moins  considérable.  L'avocat  romain  ressemble  un 
peu  au  journaliste  moderne.  Ces  discours,  queCicéron  pronon- 
çait devant  les  juges  et  qui,  publiés  ensuite,  se  répandaient 
partout ,  étaient  le  commentaire  vivant  des  événements.  Plus 
libre  dans  ses  plaidoyers  que  dans  ses  harangues,  où  son  élo- 
quence avait  un  caractère  un  peu  officiel  et  emprunté,  plus 
passionné  aussi,  Cicéron  y  déployait  toutes  ses  qualités  oratoi- 
res. Les  attaques  personnelles,  les  anecdotes  contées  avec  verve, 
les  plaisanteries  mordantes ,  les  invectives ,  ces  mille  artifices 
de  la  parole  la  plus  abondante  et  la  plus  souple  qui  fut  jamais, 
s'en  allaient  éveiller  l'attention  des  lecteurs  et  n'avaient  pas  de 
peine  à  la  retenir.  Ainsi  présentées,  les  idées  que  défendait 
l'orateur,  faisaient  plus  vite  et  plus  sûrement  leur  chemin.  Ce 
n'était  pas  la  grande  guerre,  j'en  conviens,  celle  où  les  partis 
en  présence  se  portent  des  coups  décisifs ,  mais  c'étaient  des 
escarmouches  légères  et  brillantes,  et  l'on  sait  que,  pour  les 
meilleurs  généraux,  ces  succès  d'avant-garde  ne  sont  pas  à 
dédaigner. 

Dans  la  première  période  de  sa  vie,  tant  qu'il  a  subsisté  chez 
les  Romains  quelques  vestiges  de  l'ancienne  liberté,  Cicéron  a 
été  un  des  conseillers  et  un  des  guides  de  l'opinion.  Lorsque, 
dans  la  suite,  l'accord  étant  conclu  entre  les  triumvirs,  il  ne 
reste  plus  qu'une  ombre  de  république  ,  lorsque  les  décisions 
sont  prises,  non  plus  sur  le  forum  ou  au  sénat,  mais  dans  les 
conciliabules  secrets  de  quelques  hommes  tout-puissants,  alors 
son  éloquence  est  enveloppée  dans  la  ruine  commune  et  comme 
frappée  de  déchéance.  Le  dernier  mot  appartient  désormais  aux 


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OBSERVATIONS  SUR   LES   PLAIDOYERS   DE   CICÊRON.  469 

gladiateurs  deClodius»  de  même  qu'il  appartiendra  plus  tard 
aux  centurions  de  César,  et  le  reste  ne  compte  plus.  Mais,  à  ce 
moment  même,  les  maîtres  de  Rome  ne  négligent  rien  pour 
engager  Cicéron  dans  leur  parti.  Bien  résolus  à  briser  toutes 
les  résistances,  et  sûrs  d'en  venir  à  bout  avec  les  armes  dont  ils 
disposent,  ils  tiennent  cependant  à  enrôler  l'orateur  parmi  leurs 
auxiliaires.  Au  besoin ,  ils  sauront  se  passer  de  son  concours, 
mais  il  leur  est  utile,  sinon  pour  exécuter  leurs  desseins,  du 
moins  pour  sauver  les  apparences  et  donner  le  change  aux  es- 
prits. En  le  sollicitant,  ils  rendent  un  hommage  indirect  à  cette 
puissance  de  l'opinion  que  les  gouvernements  les  plus  absolus 
craignent  de  heurter  trop  ouvertement,  et  dont  Cicéron  restait 
encore,  malgré  toutes  ses  faiblesses,  le  représentant  le  mieux 
écouté. 

C'est  par  là  qu'il  se  relève  et  qu'il  conserve  des  droits,  je  ne 
dis  pas  seulement  à  l'admiration  qu'il  est  impossible  de  refuser 
à  son  génie  oratoire,  mais  à  notre  sympathie  et  à  notre  estime. 
Il  n'était  pas  fait  pour  vivre  dans  des  temps  aussi  difficiles.  Il 
aurait  mérité  d'être  le  contemporain  des  Scipion  et  des  Lœlius, 
de  ces  nobles  esprits  avec  lesquels  son  imagination  se  plaisait 
à  converser.  Mais,  au  milieu  même  de  la  société  violente  et  cor- 
rompue dans  laquelle  le  sort  l'a  jeté,  il  a  gardé  le  souvenir  et 
le  regret  de  ces  années  de  liberté  où  la  parole  était  une  puis- 
sance, où  l'on  régnait  sur  les  âmes  par  la  persuasion.  Il  valait 
mieux  que  les  hommes  de  son  siècle,  parce  qu'il  se  faisait  une 
idée  plus  haute  et  de  la  dignité  humaine  et  du  gouvernement 
des  cités.  Les  spectacles  qu'il  avait  sous  les  yeux,  les  triomphes 
de  l'intrigue  et  de  la  force  brutale  qui  l'ont  attristé  et  parfois 
l'ont  troublé  au  point  de  l'incliner  à  des  concessions  regretta- 
bles, ne  l'ont  jamais  désabusé  complètement.  La  faiblesse  de 
son  caractère  et  une  certaine  naïveté ,  que  l'on  s'étonne  de 
rencontrer  chez  un  homme  aussi  spirituel ,  contribuaient , 
je  le  sais,  à  l'entretenir  dans  une  croyance  qui  flattait  sa  va- 
nité; mais  il  y  avait  aussi  un  fonds  d'illusions  généreuses,  qu'il 
est  juste  de  respecter.  Si  coupables  qu'aient  été  parfois  les 
défaillances  de  l'orateur,  il  ne  lui  en  reste  pas  moins  cette 
gloire  :  iJ  n'a  jamais  rien  dû  qu'à  son  éloquence,  c'est  par  elle 


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170  MÉMOIRES. 

et  par  elle  seule  qu'il  a  illustré  son  nom  dans  un  temps  où  les 
autres  avaient  derrière  eux,  comme  César  et  Pompée,  le  nom- 
bre de  leurs  légions ,  ou  bien,  comme  Clodi us,  la  puissance 
formidable  des  émeutes  populaires.  A  ce  titre,  il  sera  beau- 
coup pardonné  à  sa  mémoire  par  tous  ceux  qui  estiment  que 
rinfluence  politique  doit  être  recherchée,  non  par  la  fraude  ou 
la  violence,  mais  par  la  libre  discussion,  par  l'ascendant  de  la 
raison  et  de  la  parole. 


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BULLETIN  DES  TRAVAUX  DE  L'ACADÉMIE 

Pendant  le  premier  semestre  de  Tannée  1880-81 


MM.  DuMÉRiL,  président,  et  Gatien-Arnoult,  secrétaire  perpétuel,         séance 
prennent  successivement  la  parole  pour  rendre  compte  de  quelques    du  2  décembre 
faits  principaux  intéressant  l'Académie,  qui  ont  eu  lieu  pendant  les  ^^^^ 

vacances,  pour  analyser  la  correspondance  et  faire  connaître  les  ouvra- 
ges reçus. 

—  M.  le  Secrétaire  perpétuel,  entre  plusieurs  articles  des  statuts  et 
règlements  qu'il  croit  bon  de  remettre  en  mémoire  parce  qu'on  les 
oublie  quelquefois,  rappelle  la  délibération  de  l'Académie  portant  que 
chaque  associé  sera  invité  à  remplir  un  bulletin  biographique  conte- 
nant son  curriculum  vilœ,  sur  le  modèle  imprimé  qui  lui  est  donné. 
Il  invite  itérativement  tous  ceux  qui  ne  l'ont  pas  fait  à  le  faire  dans  le 
plus  bref  délai,  et  il  expose  le  projet  qu'il  a  formé  de  réunir  tous  ces 
bulletins  en  un  registre  qui  sera  comme  le  livre  d'or  de  l'Académie. 

—  M.  le  Président  dit  que  M.  Despeyrous  l'a  chargé  d'annoncer  à 
l'Académie  qu'il  se  propose  de  faire  élever  à  ses  frais,  dans  la  ville  de 
Beaumont-de-Lomagne,  une  statue  à  Fermât,  que  l'Académie  a  pris 
pour  patron  en  gravant  son  image  sur  ses  médailles.  Beaumont-de- 
Lomagne  (Tarn-et-Garonne)  est  la  patrie  de  Fermât  et  aussi  celle  de 
M.  Despeyrous. 

Des  félicitations  seront  adressées  à  M.  Despeyrous. 

M,  Gatien-Arnoult,  désigné  par  l'ordre  du  travail  pour  la  lecture      9  décembre, 
de  ce  jour,  rappelle  que  le  dernier  fragment  de  son  histoire  encore 
manuscrite  de  l'Université  de  Toulouse,  imprimé  dans  les  Mémoires  de 
l'Académie  (année  1879,  1«'  semestre),  était  composé  de  quatre  cha- 
pitres, comprenant  l'histoire  de  la  Faculté  de  droit  de  1270  à  1300.  A 


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472  BULLETIN   DES   TRAVAUX   DE   l' ACADÉMIE. 

la  suite  de  ces  chapitres  en  viennent  deux  autres  contenant  Thistoire 
de  la  Faculté  de  théologie  dans  les  mêmes  années  et  celle  des  trois 
collèges  annexés  à  l'Université^  qui  furent  fondés  à  cette  époque , 
savoir  :  le  collège  de  Saint-Bernard,  celui  de  Saint-  Pierre-des-Cuisines 
et  celui  de  Bolbone.  Il  lit  ou  analyse  le  chapitre  suivant  intitulé  :  Bôle 
de  trois  juristes  toulousains  et  de  V  Université  de  Toulouse ^  en  corps, 
dans  le  différend  entre  le  Pape  Honiface  VIII  et  le  Roi  de  France  Phi- 
lippe IV  ou  le  Bel;  années  1301-1303.  (Imprimé  page  1.) 

M.  Rozy  dit  que  le  rôle  de  la  Papauté  a  été  différent,  suivant  les  épo- 
ques^ et  que  celui  de  Léon  XIII  aujourd'hui  n'est  pas  le  même  que 
celui  de  plusieurs  autres.  Il  ajoute  que  le  droit  d'association  invoqué 
aujourd'hui  par  l'Église  de  France,  en  vertu  des  principes  de  1789, 
non-seulement  n'est  pas  un  de  ces  principes,  mais  qu'il  est  même  con- 
traire à  l'esprit  et  aux  mœurs  de  cette  époque  et  aux  lois.  Il  les  cite  à 
l'appui  de  son  opinion. 

M.  Gatien-Arnoult  fait  observer  que  M.  Rozy  place  la  question  sur 
un  terrain  essentiellement  différent  du  sien,  et  qu'il  n'a  pas  à  l'y  suivre. 

—  M.  le  Secrétaire  perpétuel  dit  qu'il  s'est  acquitté  de  la  mission 
que  l'Académie  lui  a  donnée  dans  la  dernière  séance,  de  féliciter 
M.  Despeyrous  de  sa  généreuse  résolution  d'élever  à  ses  frais  une 
statue  à  Fermât,  dans  sa  ville  natale  de  Beaumont-de-Lomagne. 
M.  Despeyrous  a  reçu  ces  félicitations  avec  grande  modestie.  Il  a  dit, 
d'un  ton  profondément  triste,  qu'ayant  perdu  son  héritier  naturel,  il 
a  cru  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  léguer  à  ses  concitoyens  et  à  leur 
postérité  le  souvenir  d'un  grand  homme.  Le  nom  de  Fermât,  à  jamais 
illustre,  fera  peut-être  pour  le  sien  ce  qui  aurait  dû  être  fait  par  son 
fils,  n  remercie  l'Académie. 

16  décembre.         M.  Armieux,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  lit  une  Note  sur  une 
découverte  qui,  dit-il,  fait  honneur  à  nos  écoles  et  à  notre  ville. 

M.  Toussaint,  professeur  de  physiologie  à  l'École  vétérinaire  et  à 
l'École  de  médecine  de  Toulouse,  a  trouvé  le  moyen  de  préserver  les 
bestiaux  d'une  maladie  qui  les  ravage,  et  qui  est  connue  sous  le  nom 
de  charbon  ou  sang  de  rate.  (Voir  cette  Note  à  la  fin  des  Bulletins,. 
page  197.) 

A  la  suite  de  cette  lecture,  MM.  Lavocat,  Barthélémy,  Forestier 
et  Brunhes  prennent  successivement  et  alternativement  la  parole  sur 
l'importance  des  observations  et  expériences  de  M.  Toussaint,  sur 
l'excellente  voie  dans  laquelle  il  est  engagé  et  marche,  sur  les  réserves 


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SÉANCE   DE   DÉCEMBRE.  173 

qu'il  convient  de  faire  encore,  sur  quelques  objections  qui  lui  ont  été 
adressées,  sur  le  rapport  de  quelques-uns  des  faits  qu'il  cite  avec  la 
doctrine  homéopathique  et  d'autres  détails. 

M.  Baillet  rappelle,  à  cette  occasion,  quelques  observations  et  expé- 
riences qu'il  a  faites  il  y  a  déjà  plusieurs  années,  et  qu'on  peut  rap- 
procher de  celles  de  M.  Toussaint.  (Voir  à  la  suite  de  la  Note,  p.  200). 

—  M.  le  Président  annonce  que  M.  Joly,  bibliothécaire  de  l'Acadé- 
mie, désirerait,  à  cause  de  sa  santé,  avoir  un  adjoint,  et  il  propose 
pour  cette  fonction  M.  Hallberg,  dont  le  consentement  est  assuré. 

Cette  proposition  est  adoptée  par  l'Académie. 

M.  DuMÉBiL,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  lit  une  Étude  sur  les     23  décembre. 
Préliminaires  de  la  seconde  guerre  civik  à  Rome.  (Imprimée  page  37). 

MM.  Lallier  et  Gatien-Amoult  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Duméril. 

M.  JoLY,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  communique  à  l'Académie     ao  décembre, 
la  première  partie  d'une  Étude  de  psychologie  comparée,  qui  a  pour 
titre  :  Considérations  générales  sur  le  langage  humain  et  sur  celui  des 
animaux. 

Après  avoir  jeté  un  rapide  coup  d'œil  sur  les  travaux  de  ses  devan- 
ciers qui  ont  trait  à  l'importante  et  difficile  question  qu'il  se  propose 
de  traiter,  après  avoir  examiné  les  procédés  si  défectueux  suivis 
jusque  vers  le  commencement  de  ce  siècle  pour  découvrir  l'origine  du 
langage  articulé,  et  reconnaître  les  affinités  que  peuvent  avoir  entre 
eux  les  nombreux  idiomes  parlés  sur  les  divers  points  du  globe, 
M.  Joly  signale  l'introduction  du  sanscrit  (langue  sacrée  des  Brahmes 
de  l'Inde)  dans  les  études  linguistiques  comme  une  des  causes  les 
plus  puissantes  des  rapides  progrès  qu'elles  ont  faits  depuis  cin- 
quante ou  soixante  ans. 

Au  point  de  vue  de  la  Philologie  comparée,  l'union  de  la  Philoso- 
phie et  de  la  Physiologie,  si  instamment  recommandée  par  le  profond 
penseur  Joulîroy,  n'a  pas  été  moins  féconde  en  résultats  du  plus  haut 
intérêt.  L'Ethnologie,  l'Archéologie,  la  Paléontologie  elle-même  sont 
venues  prêter  aussi  leur  concours  à  la  science  du  langage,  et  aujour- 
d'hui, grâce  à  tant  d'efforts  réunis  et  convergeant  vers  un  même  but, 
cette  science  suit  une  marche  rationnelle  et  plus  sûre,  quoique  chan- 
celante encore  sur  bien  des  points  où  nulle  lumière  n'est  là  pour  la 
guider. 


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174  BULLETIN  DBS  TRAVAUX  DE  L* ACADÉMIE. 

M.  Joly  est  du  nombre  de  ceux  qui  pensent  que  l'homme^  à  son 
origine^  a  été  doué  de  la  faculté  virtuelle  de  parler,  mais  qu'il  a  créé 
son  langage. 

Convaincu,  en  outre,  qu'une  langue,  quelle  qu'elle  soit,  est  un 
organisme  vivant  qui  nait,  se  développe,  subit  des  métamorphoses, 
atteint  son  point  culminant,  vieillit  et  meurt,  il  suit  cet  organisme 
merveilleux  dans  les  diverses  phases  qu'il  parcourt,  et  signale,  en 
passant,  les  changements  successifs  que  les  temps,  les  lieux,  les  degrés 
de  civilisation,  les  idées  nouvelles,  les  besoins  nouveaux  et  une  foule 
d'autres  causes  introduisent  dans  son  vocabulaire  et  dans  sa  partie 
syntaxique. 

On  peut  donc  étudier  l'embryogénie  du  langage  comme  on  étudie 
l'embryogénie  d'un  corps  organisé  quelconque.  Sous  ce  rapport,  le 
développement  physique  et  intellectuel  de  l'enfant,  suivi  avec  une 
attention  judicieuse  et  soutenue,  fournit  à  la  linguistique  des  résul- 
tats très-importants.  Les  faits  récemment  publiés  par  MM.  Taine, 
Eggen,  Whitney,  etc.,  l'ont  suffisamment  démontré. 

En  présence  de  l'infinie  variété  des  langues  et  de  l'irréductibilité 
absolue  de  leurs  principaux  types.  M.  Joly  pense  qu'il  est  bien  difficile 
d'admettre  soit  le  Monoglotisme  (unité  de  langage  à  son  origine),  soit 
le  Monanthropisme  funité  de  race)  primitifs. 

Enfin  il  termine  son  mémoire  en  indiquant  les  divers  moyens  que 
l'homme  possède,  indépendamment  du  langage  articulé,  non-seule- 
ment pour  exprimer  sa  pensée  et  ses  sentiments,  mais  encore  pour 
transmettre  sa  parole  d'une  extrémité  du  globe  à  l'autre,  à  l'aide  des 
merveilleux  instruments  que  son  génie  a  récemment  inventés  (télé- 
graphe électrique,  téléphone,  photophone,  etc.,  etc.). 

M.  Joly  annonce  qu'il  fera  du  langage  des  animaux  l'objet  d'une 
communication  ultérieure,  dans  laquelle  il  formulera  ses  conclusions 
définitives. 

M.  Lavocat  croit  pouvoir  conclure  du  travail  de  M.  Joly  :  1®  que  le 
langage  n'a  pas  été  fondé  à  priori,  mais  qu'il  s'est  formé  graduelle- 
ment; 2^  que  le  langage  primitif  n'a  pas  été  unique ,  mais  multiple 
et  varié  ;  3o  que  cette  diversité  primitive  de  langage  concourt  à 
prouver  les  origines  multiples  de  l'homme. 

M.  Gatien-Ârnoult  dit  que,  dans  les  études  sur  le  langage  humain, 
comme  dans  celles  sur  l'homme ,  il  faut  distinguer  les  faits  positifs, 
qui  sont  ou  peuvent  être  acquis  pour  la  science,  de  ce  qui  n'est  et  ne 
peut  être  que  l'objet  d'hypothèses  plus  ou  moins  probables  et  ingé- 
nieuses. Il  regarde  comme  étant  de  ce  nombre  les  questions  sur  l'ori- 


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SÉANCE  DE   JANVIER.  <75 

gine  du  langage  humain,  sur  la  manière  dont  il  a  été  formé,  s'il  a  été 
unique  ou  multiple,  hébreu  comme  le  disent  les  uns,  basque  comme 
le  disent  d'autres,  ou  bas-breton,  etc.  Il  croit  qu'il  en  est  de  même 
des  questions  sur  l'origine  de  l'humanité  elle-même.  A-t-elle  com- 
mencé par  un  être  hermaphrodite,  qui  s'est  dédoublé  en  deux  sexes  ? 
Le  couple  primitif  a-t-il  été  unique  ou  multiple?  Où,  quand,  com- 
ment a-t-il  été  formé,  soit  multiple,  soit  unique?  etc.  Toutes  ces 
questions  lui  semblent  appartenir  au  grand  mystère  du  divin  inûnî, 
dont  la  raison  ne  peut  espérer  soulever  le  voile  par  la  science,  sans 
s'exagérer  sa  force  et  sa  capacité.  Il  dit  qu'il  en  est  autrement  des 
études  sur  les  ressemblances  et  les  analogies  de  divers  idiomes,  sur 
leur  filiation,  leur  formation  et  transformation,  etc.,  sur  les  manières 
dont  les  enfants  apprennent  à  parler  d'abord  leur  langue  maternelle, 
puis  d'autres  langues  ;  sur  la  comparaison  du  langage  humain  avec 
celui  de  différents  animaux,  etc.  La  philologie  a  fait  et  fait  tous  les 
jours  de  grands  progrès  dans  cette  voie  vraiment  scientiGque.  Et  c'est 
par  là  que  les  études  du  genre  de  celle  que  M.  Joly  vient  de  communi- 
quer à  la  compagnie  lui  paraissent  intéressantes  et  utiles. 

M.  Duméril  rappelle  l'anecdote  racontée  par  Hérodote  sur  le  roi 
d'Egypte,  Psameticus,  qui  voulut  aussi  connaître  quel  était  le  langage 
primitif  de  l'homme,  et  qui  fit  la  singulière  expérience  bien  connue, 
d'où  il  conclut  que  le  premier  langage  de  l'homme  avait  été  le  phry- 
gien. 

—  M.  le  Secrétaire  perpétuel  fait  un  rapport  verbal  sur  les  titres  et 
les  ouvrages  de  M.  Couarraze  de  Laa,  professeur  au  lycée  d'Aibi,  qui 
a  introduit  une  demande  tendant  à  être  nommé  membre  correspon- 
dant. 

Les  conclusions  de  ce  rapport  étant  favorables,  il  est  procédé  au 
scrutin. 

Le  dépouillement  ayant  donné  la  majorité  en  faveur  du  candidat, 
M.  le  Président  proclame  M.  Couarraze  de  Laa  membre  correspon- 
dant. 

M.  Lavocat,  en  remplacement  de  MM.  firassinne  et  Hamel,  dési-  e  janTîer  4  884. 
gnés  dans  l'ordre  du  travail,  communique  à  l'Académie  un  mémoire 
sur  les  Homotypies  musculaires  des  membres  thoraciques  et  pelviens. 
(Imprimé  page  37). 

MM.  Gatien-Arnoult  et  Duméril  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Lavocat. 


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<76  BULLETIN  DES  TRAVAUX   DE   L* ACADÉMIE. 

4  3  jaDTier.  M.  le  Président  annonce  que  M.  Molinier  vient  d'être  nommé  offi- 

cier de  la  Légion  d'honneur,  et  regrette  qu'il  n'assiste  pas  à  la  séance, 
où  il  aurait  reçu  les  félicitations  de  l'Académie. 

M.  le  Secrétaire  perpétuel  dit  qu'il  a  déjà  adressé  de  vive  voix  ces 
félicitations  à  leur  honorable  confrère. 

M.  Hallberg,  appelé  par  l'ordre  du  travail ,  communique  un  mé- 
moire intitulé  :  Le  Roi  de  Prusse  considéré  comme  historien,  (Imprimé 
page  440.) 

MM.  Duméril  et  Gatien-Amoult  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Hallberg. 

80  jaDTier.  M.  BARTHÉLÉMY,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  entretient  l'Acadé- 

mie de  la  Respiration  cuticulaire  et  de  la  thermo-diffusion.  (Imprimé 
page  124.) 

MM.  Clos,  Lavocat  et  Duméril  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Barthélémy. 

Vt  jaDTier.  M.  le  docteur  Ripoll,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  lit  l'observation 

suivante,  intitulée  :  Tumeur  fibreuse  utérine  interstitielle.  —  Grossesse 
concomitante.  —  Accouchement  prématuré.  —  Enfant  viable. 

«  Mm«  D...  est  âgée  d'une  trentaine  d'années,  d'un  tempérament 
lymphatique  nerveux,  et  d'une  constitution  assez  délicate  en  appa- 
rence :  elle  a  toujours  joui  d'une  santé  assez  bonne;  ses  menstrues, 
tant  qu'elle  a  été  demoiselle,  ont  été  très*régulières,  mais  assez  fré- 
quemment accompagnées,  au  moment  de  leur  apparition,  de  quel- 
ques troubles  hystériques. 

€  Dans  une  de  ces  crises  un  peu  plus  vive  que  d'ordinaire,  le  médecin 
habituel  de  la  famille,  en  pratiquant  la  palpation  de  l'abdomen,  dé- 
couvrit l'existence  d'une  tumeur  du  volume  d'un  gros  œuf  de  poule, 
paraissant  dépendante  de  l'utérus.  Interrogée  sur  la  date  d'appari- 
tion de  cette  tumeur  et  sur  les  phénomènes  auxquels  sa  présence 
pouvait  donner  lieu,  la  jeune  fille  répondit  qu'il  lui  avait  semblé,  de- 
puis déjà  longtemps,  qu'elle  avait  une  grosseur  dans  le  ventre,  mais 
que  n'éprouvant  aucune  gêne  ni  aucun  trouble  quelconque,  elle  ne 
s'en  était  jamais  préoccupée.  Le  médecin  n'insista  pas,  et  pas  plus 
que  la  jeune  fille  qu'il  perdit  d'ailleurs  complètement  de  vue  pour 
quelque  temps,  il  ne  donna  d'importance  à  sa  découverte.  Ceci  -se 
passait  en  1874.  Il  ne  revit  sa  cliente  que  dans  les  premiers  mois  de 


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SÉANCE   DE   JANVIER.  477 

l'année  1878.  Elle  était  mariée  et  ses  menstrues  étaient  toujours  très- 
régulières  ;  elle  commençait  à  s'inquiéter  du  développement  sensible 
et  gênant  de  cette  tumeur^  qui  jusqu'alors  ne  lui  avait  donné  aucun 
souci. 

«  Si  l'on  songe  aux  difficultés  qu'à  cause  de  leurs  nombreuses  va- 
riétés présente  le  diagnostic  des  tumeurs  de  l'abdomen,  il  ne  faut  pas 
s'étonner  que  mon  estimable  confrère,  dont  la  prudence  prouve  le 
savoir  pratique,  ne  se  prononça  pas  tout  d'abord  ^ur  la  nature  de 
cette  tun^eur  et  conséquemment  sur  le  traitement  à  appliquer. 

c  En  face  de  cette  hésitation  interprétée  par  M'^^'  D...  et  sa  famille  à 
rebours  de  sa  signification  et  de  sa  valeur,  sous  l'influence  de  sugges- 
tions étrangères,  un  autre  jnédecin  fut  appelé,  qui  déclara  qu'il  s'agis- 
sait d'un  kyste  de  l'ovaire  et  qu'il  fallait  au  plus  tôt  pratiquer  une  opé- 
ration ayant  pour  but  son  extirpation.  On  comprend  l'effroi  que  firent 
naitre  dans  le  ménage  ce  diagnostic  si  catégoriquement  posé,  et  cette 
proposition  ex  abrupto  d'une  aussi  terrible  opération.  La  famille  eut 
le  bon  esprit  de  faire  part  de  ce  qui  s'était  passé  à  son  médecin 
ordinaire.  Celui-ci  ayant  quelques  doutes  sur  la  justesse  du  diagnostic 
de  son  confrère,  inspiré  d'ailleurs  par  sa  sollicitude  pour  sa  malade, 
conseilla  de  ne  pas  se  laisser  opérer  avant  d'avoir  mon  avis. 

9  Appelé  à  la  fin  du  mois  d'avril  1878,  je  constatai  l'existence  d'une 
tumeur,  du  volume  de  la  tète  d'un  fœtus  à  terme,  assez  régulièrement 
sphérique,  lisse,  occupant  la  partie  médiane  de  l'abdomen,  entrç  le 
pubis  et  l'ombilic  ;  elle  était  indolore,  dure,  ne  présentant  de  fluctua- 
tion sur  aucun  point,  assez  facile  à  déplacer  à  droite  et  à  gauche  dans 
de  certaines  limites,  faisant  sensiblement  corps  avec  l'utérus  que, 
par  le  toucher  vaginal,  on  sentait  manifestement  suivre  les  mouve- 
ments imprimés  par  la  main  à  travers  la  paroi  abdominale. 

«  L'idée  qui  se  présenta  d'abord,  c'est  que  nous  avions  affaire  à  une 
grossesse.  Mais  nous  ne  pouvions  nous  y  arrêter,  étant  connu  comme 
antécédent  l'existence  de  Ja  tumeur  longtemps  avant  le  mariage, 
et  en  outre  la  régularité  des  menstrues  jusqu'à  une  époque  très- 
rapprochée  du  moment  de  notre  examen,  la  malade  n'accusant 
qu'un  léger  retard  de  quelques  jours,  alors  que  le  volume  du  ventre 
correspondait  à  une  grossesse  de  cinq  mois  environ. 

«  Le  défaut  de  fluctuation  et  le  siège  de  la  tumeur  ayant  éloigné  de 
ma  pensée  la  croyance  à  l'existence  d'un  kyste,  je  me  crus  autorisé  à 
diagnostiquer  une  tumeur  fibreuse,  d'origine  ancienne,  développée  dans 
la  paroi  supérieure  de  l'utérus,  avec  tendance  à  saillir  sous  le  péri- 
toine viscéral.  Mon  confrère  s'étant  rangé  à  mon  avis,  un  traitement 

8«  SBBIB.   —  TOHB  III,    1.  12 


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178  BCLLimi  MS  TtATAUT  DE  L'ACÂOÉnS. 

fdt  iostîtiié  en  rapport  avec  la  nature  supposée  de  la  tan^eor.  Dans 
cm  dernières  années,  quelques  exemples  ayant  été  produits,  de  dimi- 
nnlîon  des  corps  fibreox  ntérins^  josqn'alors  jogés  intraitables,  par 
rasage  de  Fiode  à  Fînténenr,  noos  prescrÎTimes  ce  médicament  sons 
forme  de  teinture  à  doses  progressives,  en  même  temps  que  des  pré- 
paratioos  ferrugineuses  et  une  bonne  nourriture  pour  répondre  à  Fin- 
djcatjon  fournie  par  Tétat  éridemmeot  anémique  de  la  malade.  Gon- 
curremment  avec  ces  moyens  iotemes,  on  devait  pratiquer  des  fric- 
tiotts  iodurées  sur  le  ventre. 

*  An  mois  de  juiOet  suivant,  je  fos  appelé  de  noufeau  à  pratiquer 
un  second  examen  de  la  malade. 

c  La  tumeur  semblait  un  peu  diminuée;  mais,  phénomène  bixarre  et 
insolite,  on  sentait  très-distinctemait  une  seconde  tumeur,  à  peu  près 
de  même  volume,  au-dessous  de  la  première  qu'elle  semblait  soule- 
ver, et  qui,  en  fait,  dépassait  l'ombilic.  Copmte  la  tumeur  déjà  décrite, 
elle  était  indolore,  et  régulièrement  dure  et  sphénoîdale.  L'état  géné- 
ral était  le  même.  Les  menstmes  n'avaient  pas  reparu.  Noos  nous 
crûmes  autorisés  à  diagnostiquer  une  seconde  tumeur  de  la  même 
nature  que  la  première,  et  malgré  Finsuccès  apparent  de  la  médica- 
tion, nous  insistâmes  pour  qu'elle  fût  continuée  avec  persévérance. 

<  Au  mois  de  septe.nbre,  nouvel  examen  ;  la  seconde  tumeur  a  pris 
un  plus  grand  développement,  et  son  association  avec  la  première,  qui 
lui  est  sup^-posée  et  dépasse  l'oml>ilic  de  deux  travers  de  doigt,  donne 
à  l'ensemble  la  forme  et  le  volume  très-exact  de  ces  grosses  citrouilles 
en  gourde  dont  font  usage  les  moissonneurs.  Quelques  changements 
se  sont  produits  dans  h  seconde  tumeur;  elle  est  maintenant  fluc- 
tuante quoique  sourdement.  En  outre,  elle  est  le  siège  de  frémisse- 
ments singuliers  accusés  par  la  malade.  Aurions-nous  afEûre  cette 
fois  à  un  kyste  hydatique?  En  examinant  avec  soin  et  patience,  nous 
ne  tarderons  pas  à  avoir  la  conviction  que  cette  seconde  tumeur  est 
due  au  développement  d'une  grossesse  parfaitement  démontrée  par 
les  mouvements  du  fœtus  que  nous  percevons  à  plusieurs  reprises^  et 
à  laquelle,  vu  la  coïncidence  de  la  date  de  la  suppression  des  mais- 
trues,  nous  assignons  l'époque  du  dnquième  mois  environ.  Nous  sus- 
pendons tout  traitement. 

4  L'état  général  reste  dans  les  mêmes  conditions  précaires. 

€  Dans  les  premiers  jours  de  novembre,  mon  confrère  est  appelé. 
M**  D...  était  accouchée  avant  terme  >u  septième  mois)  d'un  fœtus 
vivant,  mais  presque  réduit  à  l'état  de  squelette,  et  présentant  des 
déformations  considérables ,   notamment  un  pied-bot  équin  du  côté 


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SÉANCE   DE  JANVIER.  179 

gauche,  un  enfoncement  de  la  poitrine  du  côté  droit,  et  une  forme 
cylindrée  de  la  tète  qui  fait  que  la  face  et  le  crâne  ensemble,  celai-ci 
très-développé,  ont  une  dimension  de  haut  en  bas  triple  de  celle 
d'avant  en  arrière  et  d'un  côté  à  l'autre. 

f  Les  couches  ne  furent  suivies  d'aucun  accident.  M"*«  B...  a  repris 
son  état  ordinaire  de  santé.  Il  y  a  quelques  jours  (janvier  1881),  deux 
ans  après  son  accouchement,  j'ai  examiné  M"«  D...  La  tumeur  cons- 
tatée la  première  est  réduite  au  volume  d'un  citron  et  occupe  dans  le 
fond  du  bassin  le  côté  droit  de  la  face  supérieure  du  corps  de  l'utérus, 
auquel  elle  adhère. 

«  Entouré  de  soins  excessifs,  l'enfant,  quoique  nourri  au  biberon,  a 
survécu  ;  il  a  aujourd'hui  deux  ans  passés.  Il  est  un  peu  chétif,  la 
forme  de  sa  tète  qui  a  persisté  lui  donne  un  aspect  singulier.  11  est 
vif  de  mouvements,  mais  son  intelligence  est  peu  développée  ;  il  ne 
parle  pas  encore,  et  commence  à  peine  à  marcher.  Le  pied-bot  n'existe 
plus  et  la  conformation  du  thorax  est  à  peu  près  normale. 

«  Cette  observation,  réduite,  comme  on  le  voit,  à  la  succincte  expo- 
sition de  ses  phénomènes  successifs,  présente  plusieurs  enseignements  : 

«  l*  L'erreur  du  premier  diagnostic  posé  entraînait  à  une  opération 
qui,  commencée  par  la  simple  ouverture  de  l'abdomen,  en  vue  de 
l'extirpation  d'un  kyste,  devait  se  terminer  par  la  résection  de  la  ma- 
trice contenant  le  produit  de  la  conception. 

«  Combien  donc  faut-il  être  prudent  et  réservé  dans  l'interprétation 
des  faits  analogues,  et  surtout  dans  la  détermination  à  prendre  en 
vue  de  la  conservation  de  la  vie  du  sujet  observé  I 

«  2»  Tenant  compte  de  l'adage  JVon  bis  in  idem,  il  est  généralement 
admis,  et  prouvé  d'ailleurs  par  un  grand  nombre  de  faits,  que  l'exis- 
tence d'un  ou  plusieurs  corps  fibreux  dans  l'utérus,  dans  les  parois 
duquel  ils  vivent  en  parasites,  d'une  part  à  cause  de  la  modification 
qu'ils  apportent  dans  le  système  circulatoire,  et  d'autre  part  à  cause 
de  la  gène  qu'ils  exercent  sur  l'œuf  humain,  ne  permet  pas  à  celui-ci 
de  se  développer  au  delà  de  certaines  limites  très-restreintes,  d'où 
avortement  fatal  dans  les  deux  ou  trois  premiers  mois  de  la  grossesse 
au  plus  tard. 

«  L'observation  ci-dessus  démontre  qu'il  peut  y  avoir  des  excep- 
tions. Elle  fait  voir  aussi,  par  les  déformations  constatées  sur  ce  petit 
fœtus,  quelle  influence  ces  sortes  de  tumeurs  exercent  par  leur  con- 
tact de  voisinage  sur  le  développement  de  l'embryon. 

a  3*  La  conservation  du  fœtus ,  malgré  l'énergie  et  la  nature  du 
traitement  employé  en  vue  de  déterminer  l'atrophie  de  la  tumeur 


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<80  BULLETIN  DES  TRAVAUX  DE  L* ACADÉMIE. 

fibreuse,  est  un  exemple  de  ce  que  peut  quelquefois  la  force  de  vita- 
lité de  rembryon  contre  la  thérapeutique  la  plus  compromettante. 

«  4o  Enfin,  la  diminution  constatée  dans  le  volume  de  la  tumeur 
fibreuse  est  un  encouragement  à  de  nouveaux  essais  de  Temploi  des 
préparations  iodées  à  doses  progressives,  n 

MM.  Armieux,  Clos  et  Lavocat  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  RipoU. 

—  M.  le  Secrétaire  perpétuel  rappelle  qu'il  existe,  dans  la  classe  des 
inscriptions  et  belles -lettres,  une  vacance  à  laquelle  il  n'a  pas  été 
pourvu. 

Il  propose  de  fixer  l'élection  au  jeudi  47  février  prochain  :  ce  qui 
est  accepté  par  l'Académie. 

—  M.  le  Secrétaire  propose  ensuite  de  déclai^r  vacante,  dans  la 
classe  des  sciences,  section  de  physique  et  astronomie,  la  place  pré- 
cédemment occupée  par- M.  Tisserand,  qui  a  été  nommé  membre  cor- 
respondant. 

Cette  propostion  est  prise  en  considération. 

3  féyrier.  M.  Lallier  ,  appelé  par  l'ordre  du  travail ,  lit  une  étude  sur  les 

Plaidoyers  de  Cicéronj  considérés  dans  kurs  rapports  avec  Vhistoire 
politique  des  dernières  années  de  la  République  romaine,  (Imprimée 
p.  145.) 

M.  Duméril  dit  que,  dans  le  mémoire  de  son  collègue,  le  caractère 
et  le  Pôle  politique  de  Cicéron  sont  plus  profondément  étudiés  et 
plus  justement  appréciés  que  dans  tous  les  autres  ouvrages.  Mais  ce 
travail  est  de  ceux  qui  demandent  à  être  lus  et  relus  attentivement, 
plutôt  que  simplement  écoutés  une  fois:  sans  aucun  doute,  il  gagnera 
beaucoup  à  l'impression  et  à  la  lecture. 

M.  Brassinne  dit  que  Cicéron  fut  éminemment  artiste  et  que  c'est 
comme  artiste  qu'il  doit  être  principalement  apprécié.  Ce  qu'il  fut  au 
fond  et  ce  qu'il  pensa  n'ont  qu'une  importance  accessoire  :  l'essentiel 
est  moins  dans  ce  qu'il  dit  que  dans  la  manière  dont  il  le  dit  et 
dans  la  forme  de  son  éloquence.  Cette  forme  est  admirable  au  point 
de  vue  de  l'art.  C'est  pourquoi  l'on  parle  encore  et  l'on  parlera  tou- 
jours de  Cicéron. 

M.  Catien- Amoult  dit  que,  s'il  est  difficile  de  bien  juger  un  homme 
politique,  notre  contemporain  et  notre  compatriote,  il  doit  être 
presque  impossible  de  le  faire  certainement  pour  un  Romain ,  mort  il 
y  a  mille  neuf  cents  ans.  Le  temps  où  vivait  Cicéron  était  si  agité  et 


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SÉANCE   DB   FÉVRIER.  181 

si  troublé,  sa  vie,  à  lui-même,  fut  si  agitée  et  si  troublée,  si  com- 
pliquée et  mêlée  à  tant  d'hommes  et  de  choses ,  qu'on  peut  le  pré- 
senter de  plusieurs  manières  bien  différentes  suivant  les  points  de 
vue ,  toujours  avec  quelque  vraisemblance ,  et  jamais  avec  certitude 
de  vérité.  Ses  discours  ont  pu  n'être  pas  prononcés  tels  qu'il  les  a 
écrits  :  ses  lettres  ad  familiares  étaient  moins  faites  pour  des  amis 
intimes  que  pour  le  public.  Le  vrai  caractère  politique  de  Gicéron 
se  trouve  dans  ses  ouvrages  de  philosophie  politique ,  le  de  Republica 
et  de  Legibus.  Il  s'y  montre  croyant  sincèrement  à  la  bonté  fondamen- 
tale et  essentielle  de  la  Constitution  romaine ,  mais  voulant  la  modi- 
fier et  l'approprier  aux  besoins  de  l'époque,  en  tenant  un  juste  milieu 
entre  le.  régime  de  l'aristocratie  patricienne  du  Sénat,  et  celui  de  la 
démocratie  plébéienne  des  tribuns.  Ses  variations  s'expliquent  par 
la  difficulté  de  cette  entreprise  dans  laquelle  il  échoua. 

M.  Rozy,  considérant  spécialement  Cicéron  comme  avocat  plaidant 
des  causes  criminelles,  dit  que,  pour  l'apprécier  justement,  il  faut  voir 
devant  quels  juges  il  parlait.  C'étaient  des  hommes  formant  un  jury, 
qui  décidaient  suivant  leurs  passions  et  leurs  impressions  du  mo- 
ment ;  il  s'agissait  de  les  entraîner  plutôt  que  de  les  convaincre  par 
des  raisons  juridiques  :  et,  en  s'adressant  à  leurs  sentiments,  Cicéron 
se  conformait,  èans  mériter  des  reproches,  aux  règles  de  l'art  oratoire. 

M.  le  Président,  en  son  nom  et  au  nom  de  l'Académie,  félicite      4  0  féTrier. 
M.  Clos  de  sa  nomination  en  qualité  de  membre  correspondant  de 
l'Institut. 

M.  Clos  remercie  l'Académie  des  félicitations  qu'elle  vient  de  lui 
adresser  par  l'organe  de  son  Président. 

—  M.  le  Secrétaire  perpétuel  rend  compte  des  incidenls  survenus 
dans  la  journée  à  l'occasion  de  la  préparation  du  local  dans  lequel  se 
réunit  l'Académie,  lorsque  la  salle  des  séances  du  Conseil  municipal 
n'est  pas  disponible.  Il  donne  lecture  de  la  correspondance  échan- 
gée à  ce  sujet  avec  M.  le  Maire.  (Voir  cette  corrrespondance  au 
registre.  ) 

L'Académie  vote  des  remercîments  à  M.  le  Secrétaire  perpétuel, 
pour  le  zèle  avec  lequel  il  a  défendu  ses  intérêts. 

—  M.  Brassinne,  qui  avait  demandé  l'ajournement  de  sa  lecture, 
paye  aujourd'hui  son  tribut  académique.  Il  rappelle  que,  dans  un 
mémoire  lu  à  l'Académie  le  20  mai  1880,  il  a  démontré  l'existence  de 


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182  BULLETIN   DBS  TRAVAUX   DE   L* ACADÉMIE. 

trois  axes  centrifuges,  en  chaque  point  d'un  solide  ;  axes  autour  des- 
quels la  rotation  produit  une  action  maximum.  On  sait  que  les  axes 
principaux  ne  sont  sollicités  par  aucune  force  centrifuge  quand  la 
rotation  s'accomplit  autour  de  l'un  d'eux  ;  ils  répondent  par  consé- 
quent à  un  minimum. 

M.  Brassinne  a  continué  ses  recherches  sur  le  même  sujet  ;  il  dé- 
montre que  les  axes  centrifuges  sont  dans  un  même  plan  et  qu'ils 
font,  deux  à  deux,  des  angles  de  60  degrés.  La  méthode  qu'il  suit  con- 
duit, de  la  manière  la  plus  simple,  à  la  détermination  des  droites 
autour  desquelles  l'action  centrifuge  est  la  même,  ou  égale  à  une  force 
donnée.  A  côté  de  ces  problèmes  nouveaux ,  la  même  méthode  donne 
la  solution  immédiate  des  questions  intéressantes  que  l'illustre  Ampère 
a  résolues  sur  les  axes  principaux  et  les  moments  d'inertie. 

—  M.  Brassinne  expose  ensuite  à  l'Académie  des  considérations  his- 
toriques et  théoriques  sur  le  principe  de  la  moindre  action.  Il  signale 
des  erreurs  qu'on  peut  trouver  dans  des  traités  de  mécanique  ration- 
nelle très-estimés. 

MM.  Barry  et  Forestier  prennent  successivement  la  parole  sur  le 
siiyet  traité  par  M.  Brassinne. 

—  M.  Lavocat  communique  à  l'Académie  une  Note  de  M.  Tous- 
saint, professeur  à  l'École  de  médecine  et  à  l'École  vétérinaire,  sur 
le  parasite  de  la  clavelée  :  maladie  extrêmement  contagieuse  et  propre 
au  mouton. 

Lorsqu'elle  existe  dans  un  troupeau,  elle  attaque  tous  les  animaux 
et  cause  des  pertes  considérables,  qui  peuvent  s'élever  à  60  ou  70  0/0 
du  nombre  des  animaux  atteints.  La  clavelée  se  caractérise  par  une 
éruption  de  pustules  qui  rappelle  celle  de  la  variole  de  l'homme,  et  qui 
est  accompagnée  de  symptômes  très-graves  sur  la  plupart  des  sujets. 
—  M.  Toussaint,  dans  cette  note,  ne  veut  qu'étudier  la  cause  de  la 
clavelée.  Cette  cause  réside  dans  un  microbe  déjà  entrevu  par  plusieurs 
pathologistes  et  que  M.  Toussaint  a  étudié  plus  complètement  au 
moyen  des  cultures  successives,  méthode  Pasteur. 

Le  parasite  se  présente  sous  deux  états  :  celui  de  bactéries  et  celui 
de  spores.  Les  bactéries  n'ont  que  3  à  10  millièmes  de  millimètre  de 
longueur  et  à  peine  1  millième  d'épaisseur  :  elles  sont  très-mobiles 
à  cet  état  ;  puis,  après  un  ou  deux  jours,  les  mouvements  cessent, 
et  l'on  voit  apparaître,  à  l'une  des  extrémités  ou  aux  deux ,  un  point 
brillant  qui  constitue  la  spore;  puis  la  bactérie  se  désagrège,  et  la  spore 


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SÉANCE   DE    FÉVHIER.  183 

reste  libre.  Les  cultures  se  font  dans  des  bouillons  de  viande  de 
mouton  ou  de  lapin  :  elles  sont  très-riches  en  microbes.  Inoculées  au 
mouton,  elles  reproduisent  la  clavelée.  Filtrées  sur  le  plâtre,  le 
liquide  qui  a  passé  à  travers  le  filtre  est  tout  à  fait  inoffensif,  tandis 
que  la  matière  qui  est  restée  à  la  surface  reproduit  4a  maladie.  Cette 
matière  est  le  parasite  :  d'où  Ton  peut  conclure  que  la  clavelée  est  bien 
une  maladie  contagieuse,  dont  la  cause  est  un  organisme  vivant  pou- 
vant être  isolé  et  reproduit  indéûniment  par  les  moyens  adoptés  en  ce 
moment  dans  l'étude  des  maladies  dites  virulentes. 

L'auteur  communiquera  à  l'Académie  les  nouveaux  résultats  que 
lui  donneront  ses  recherches  sur  cette  question. 

L'Académie  lui  vote  des  remercîments,  et  charge  M.  Lavocat  de  les 
lui  transmettre. 

M.  FiLHOL,  devançant  son  tour  de  lecture,  lit  un  mémoire  ayant  n  féTrier. 
trait  analyse  des  feldspaths  de  la  vallée  de  Bagnères-de-Liichon,  et,  en 
particulier,  de  ceux  qui  existent  dans  les  galeries  même  où  naissent 
les  sources  minérales.  Il  résulte  des  recherches  de  M.  Filhol  que  les 
feldspaths  sont  constitués,  pour  la  majeure  partie,  par  du  silicate 
d'alumine  et  de  potasse,  et  sont  par  conséquent  des  feldspaths  orthoce 
et  non  de  l'albite.  Ce  résultat  est  conforme,  pour  ce  qui  concerne  Ba- 
gnères-de-Luchon,  à  ce  que  l'auteur  avait  annoncé,  en  1853,  dans  son 
ouvrage  sur  les  eaux  minérales  des  Pyrénées. 

MM.  Brunhes  et  Armieux  prennent  successivement  la  parole  sur  le 
sujet  traité  par  M.  Filhol. 

—  M.  Emile  Cartailhac,  admis  à  cette  séance  sur  la  présentation 
de  M.  Armieux,  communique  les  résultats  qu'il  a  obtenus  dans  une 
mission  en  Portugal,  dont  il  a  été  chargé  par  M.  le  Ministre  de 
l'Instruction  publique.  Les  gisements  tertiaires,  miocène  supérieur, 
ont  livré  des  éclats  de  silex  et  de  quartzite  avec  un  conchoïde  de  per- 
cussion très-net,  caractère  accepté  jusqu'ici  comme  preuve  de  l'action 
d'un  être  intelligent.  Les  alluvions  quaternaires  des  vallées  n'ont  pas 
encore  fourni  d'objets  travaillés,  mais  dans  une  grotte,  et  ailleurs  à  la 
surface  du  sol,  on  a  rencontré  le  type  classique  de  Saint-Acheul  en 
silex  et  en  quartz.  Les  repaires  des  carnassiers  de  cette  époque  offrent 
un  intérêt  tout  particulier,  avec  une  faune  qui  se  ressent  du  voisinage 
de  l'Afrique.  On  n'a  encore  rien  trouvé  en  Portugal  qui  corresponde 
à  nos  stations  de  l'âge  du  Renne. 

Les  énormes  amas  de  débris  de  cuisine  que  l'on  a  reconnus  sur  les 


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184  BULLETIN   DES  TRAVAUX    DE   L* ACADÉMIE. 

l>ords  du  Tage,  à  70  kilomètres  de  son  embouchure,  sont  les  seules 
traces  de  populations  qui  ne  savaient  pas  polir  la  pierre  et  qui  igno- 
raient la  poterie  ;  leur  industrie  se  réduit  à  peu  de  chose  ;  elles  sem- 
blent avoir  eu  l'habitude  d'enterrer  leurs  morts  au  sein  même  des 
amas  de  coquilles  comestibles  :  dans  l'un  d'eux,  plus  de  cent  vingt 
squelettes  ont  été  mis  au  jour. 

Les  stations  postérieures,  franchement  néolithiques,  ne  sont  pas 
nombreuses,  mais  il  y  a  une  étonnante  quantité  de  sépultures,  soit 
dans  les  grottes  naturelles,  soit  dans  des  cryptes  creusées  dans  la  roche 
tendre  des  dépôts  tertiaires,  soit  dans  des  chambres  construites  en  gros 
blocs  à  la  surface  du  sol  et  jadis  enfouies  sous  un  tumulus.  Ces  der- 
niers tombeaux  ressemblent  tout  à  fait  à  nos  dolmens  de  France  et 
sont  au  moins  aussi  variés. 

Le  mobilier  funéraire  a,  dans  le  Portugal,  un  aspect  tout  à  fait 
spécial.  Les  instruments,  les  armes,  les  parures,  tes  poteries  appar- 
tiennent à  une  civilisation  relativement  avancée. 

Au  milieu  des  haches  et  des  flèches  en  pierre  du  plus  beau  travail 
apparaissent  de  très-bonne  heure  quelques  objets  en  métal,  cuivre  ou 
bronze.  Les  objets  isolés  de  l'âge  du  bronze  ne  sont  pas  rares,  mais  on 
n'a  pas  encore  découvert  de  gisement  bien  authentique  et  instructif 
de  celte  période. 

C'est  à  une  époque  plus  récente  qu'il  convient  de  rattacher  ces 
sépultures  du  sud  du  Portugal  avec  leurs  inscriptions  prétendues  ibé- 
riennes,  et  ces  grandes  villes  dont  les  ruines  couronnent  les  monta- 
gnes au  nord  de  Braga. 

Ces  ciiant(U,  en  partie  antérieures  à  toute  influence  romaine,  ont  été 
fouillées  à  grands  frais,  et  préoccupent  vivÇRient  la  critique  allemande. 

M.  Cartailhac,  en  donnant  ces  renseignefrients,  fait  passer  sous  les 
yeux  de  l'Académie  de  nombreuses  photographies  et  près  de  quatre- 
vingts  planches  de  dessins  inédits. 

M.  le  Président,  au  nom  de  l'Académie,  remercie  M.  Cartailhac  de 
cette  communication,  qui  sera  sans  doute  publiée  prochainement  avec 
tous  les  détails  qui  en  feront  mieux  apprécier  l'importance. 

—  L'ordre  du  jour  indique  l'élection  d'un  associé  ordinaire  dans  la 
classe  des  inscriptions  et  belles-lettres. 

M.  Rozy,  au  nom  de  cette  classe  spécialement  convoquée  pour  exa- 
miner les  titres  des  candidats,  dit  qu'un  seul  s'est  présenté,  M.  Albert 
Villeneuve,  ancien  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Toulouse.  Il  énu- 
mère  ses  divers  titres,  analyse  quelques-uns  de  ses  ouvrages  et  conclut 
à  son  admission. 


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SÉANCE  DE    FÉVRIER.  1  85 

MM.  Brassinne  et  Molinier  appuient  ces  conclusions. 

Il  est  ensuite  procédé  au  scrutin,  dont  le  dépouillement  donne  au 
candidat  le  nombre  de  suffrages  exigé  parles  statuts.  En  conséquence, 
M.  le  Président  proclame  M.  Villeneuve  associé  ordinaire  dans  la  classe 
des  inscription^  et  belles-lettres,  en  remplacement  de  M.  Dubor, 
décédé. 

M.  CoMPAYRÉ,  appelé  par  Tordre  du  travail,  est  absent.  Il  a  quitté      24  février, 
depuis  quelques  jours  la  résidence  de  Toulouse  pour  habiter  Fontenay- 
aux-Roses,  près  Paris,  où  il  est  chargé  provisoirement  d'un  cours  de 
pédagogie  à  l'École  normale  des  institutrices  nouvellement  créée. 

—  M.  Rozy  présente  quelques  considérations  sur  l'importance  actuelle 
des  études  géographiques  et  sur  l'intérêt  de  plus  en  plus  vif  qu'on  y 

,  attache,  parce  qu'on  en  sent  de  plus  en  plus  l'utilité.  Il  demande  si 
l'Académie  ne  jugerait  pas  bon  d'établir  une  section  spéciale  de  géo- 
graphie dans  la  classe  des  inscriptions  et  belles-lettres,  comme  on  le 
fait  dans  d'autres  Académies. 

Une  conversation  s'engage  à  ce  sujet.  Il  en  résulte  que  la  création 
de  cette  section  spéciale  ne  parait  pas  nécessaire  à  la  plupart  des 
membres  présents,  surtout  par  la  raison  que,  si  un  candidat  spécia- 
lement adonné  aux  études  géographiques  se  présente,  il  trouvera  sa 
place  dans  toute  la  classe  des  inscriptions  et  belles-lettres. 

—  La  suite  de  l'ordre  du  jour  indique  l'élection  d'un  associé  corres- 
pondant. 

M.  le  Secrétaire  perpétuel  rappelle  les  titres  de  M.  Ulysse  Chevalier, 
chanoine  honoraire  à  Romans,  auteur  d'un  grand  nombre  d'ouvrages 
dont  il  a  récemment  envoyé  les  principaux  à  l'Académie  et  qui  se  font 
remarquer  par  une  profonde  érudition,  très-rare  partout,  surtout  en 
province  et  dans  une  aussi  petite  ville  que  Romans.  Il  propose  d'ac- 
cueillir favorablement  la  demande  de  correspondant  faite  par  M.  Che- 
valier. 

L'Académie,  consultée  par  la  voie  du  scrutin,  donne  au  candidat  le 
nombre  de  suffrages  exigé  par  les  statuts. 

En  conséquence,  M.  le  Président  proclame  M.  Ulysse  Chevalier 
membre  correspondant  de  l'Académie. 

M.  le  Président  souhaite  la  bienvenue  à  M.  Villeneuve,  nouvellement        3  mars, 
élu  et  qui  assiste  à  la  séance. 


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186  BULLETIN   DES  TfeÂTADX   DE  L* ACADÉMIE. 

H.  Villeneuve  répond  en  remerciant  l'Académie  de  l'honneur  qu'elle 
lui  a  fait  en  l'admettant  dans  son  sein. 

—  A  l'occasion  d'un  article  inséré  dans  le  Bulletin  de  l'Académie  de 
Médecine  de  Paris  sur  la  trichine  et  la  trichinose,  une  conversation 
s'engage,  à  laquelle  prennent  part  MM.  Armieux,  Barthélémy,  Joly, 
Baillet  et  Brassinne. 

—  L'ordre  du  jour  appelle  les  lectures  de  MM.  de  Planet  et  Vaïsse- 
Cibiel.  M.  de  Planet  a  demandé  que  son  tour  soit  renvoyé  à  un  autre 
jour.  M.  Vaîsse-Cibiel  s'est  excusé  sur  l'état  de  sa  santé,  qui  continue 
de  l'empêcher  d'assister  aux  séances  de  l'Académie 

—  M.  DuMÉRiL  entretient  l'Académie  d'un  travail  qu'il  avait  entre- 
pris sur  Tacite  et  somiêcle. 

—  La  suite  de  l'ordre  du  jour  appelle  la  décision,  de  l'Académie  sur 
la  proposition  prise  en  considération  de  déclarer  une  place  vacante, 
dans  la  classe  des  sciences,  section  de  physique  et  astronomie. 

Un  membre  demande  que  cette  place  ne  soit  pas  déclarée  \acante 
et  qu'on  la  considère  comme  étant  toujours  occupée  par  M.  Tisserand. 

Il  est  répondu  que  M.  Tisserand,  qui  a  quitté  la  résidence  de  Tou- 
louse depuis  plus  d'un  an,  a  déjà  été  nommé  correspondant,  sur  sa 
demande,  conformément  à  l'article  9  des  statuts. 

La  place  est  déclarée  vacante. 

M.  le  Président  propose  de  fixer  l'élection  au  24  du  présent  mois. 

Un  membre  trouve  que  cette  date  n'est  pas  assez  éloignée  pour 
donner  aux  candidats  le  temps  d'écrire  un  travail  nouveau  que  chacun 
d'eux  doit  présenter  à  l'appui  de  sa  candidature. 

Il  est  répondu  que  la  présentation  d'un  tel  travail  nouvellement 
écrit  n'est  pas  nécessaire  ;  les  statuts  et  règlements  exigeant  seule- 
ment que  le  candidat  fournisse  un  de  ses  travaux  quelconque  et  qu'il 
ail  donné  quelques  preuves  de  ses  talents  dans  les  sciences  ou  dans 
l'histoire  et  la  litlérature.  (Art.  7  des  statuts  et  48  des  règlements.) 

La  date  du  24  mars  est  adoptée  pour  le  jour  de  l'élection.  L'annonce 
en  sera  faite  dans  les  journaux,  avec  l'avis  que  les  candidats  doivent 
adresser  leur  detnande  et  les  titres  à  l'appui  avant  le  lundi  21. 

IL  le  Président  met  en  délibération  la  question  de  la  formation  de 
la  Commission  qui  sera  chargée  d'examiner  d'abord  les  titres  des  can- 
didats et  d'en  faire  un  rapport  à  l'Académie,  les  statuts  et  règlements 
étant  muets  sur  œ  point  et  l'usage  n'étant  pas  fixe. 


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SÉANCE   DE   MàBS.  1&7 

On  décide  que  la  Commission  sera  formée  de  tous  les  membres  des 
trois  subdivisions  de  la  première  section  de  la  classe  des  sciences  ; 
savoir  :  physique  et  astronomie,  mathématiques  pures  et  mathéma- 
tiques appliquées.  Les  membres  du  bureau  feront  partie  de  cette 
commission,  conformément  à  l'article  4  des  règlements. 


M.  Forestier,  désigné  par  Tordre  du  travail,  présente  à  l'Académie  <o  mars, 
un  mémoire  sur  Y  équation  au  carré  des  différences.  Newton  et  Wa- 
ring  avaient  signalé  depuis  longtemps  l'importance  de  cette  équation, 
pour  la  séparation  des  racines,  lorsque  Lagrange,  sans  connaître  l'in- 
dication de  ses  devanciers,  en  a  fait  la  base  de  sa  méthode.  Jusqu'à 
l'époque  où  Sturm  a  trouvé  son  immortel  théorème,  il  n'a  pas  existé 
d'autre  théorie.  L'idée  de  Sturm,  si  admirable  comme  conception 
théorique,  se  prête  difficilement  à  la  pratique,  à  cause  de  la  longueur 
des  calculs  des  polynômes  nécessaires  à  son  application. 

Si  l'on  pouvait  trouver  facilement  l'équation  au  carré  des  différen- 
ces, la  méthode  de  Lagrange  présenterait  des  avantages  pratiques. 
C'est  ce  qu'a  cherché  à  faire  M.  Forestier  pour  l'équation  du  qua- 
trième degré,  en  donnant  l'équation  au  carré  des  différences  pour 
l'équation  complète  de  ce  degré.  Les  résultats,  fort  complexes,  se  sim- 
plifient énormément  dans  l'hypothèse  habituelle  où  le  second  terme 
manque,  et  dans  ce  cas,  la  formule  générale  donne  rapidement  le 
résultat. 

Les  calculs  de  M.  Forestier  reposent  sur  la  théorie  des  fonctions 
symétriques  et  sur  l'équation  différentielle,  à  laquelle  doit  satisfaire 
toute  fonction  de  la  différence  des  racines  d'une  équation.  (Sera  im- 
primé plus  tard.) 

M.  Brunhes  présente  quelques  observations  sur  l'importance  du 
travail  de  M.  Forestier. 

—  M.  DuMÉRiL  lit  l'étude  sur  Tacite  et  son  siècle,  dont  il  avait  en- 
tretenu l'Académie  dans  la  dernière  séance. 

MM.  Lallier  et  Catien- Arnoult  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Duméril. 

—  M.  Hallberg  dit  qu'il  est  chargé  d'annoncer  officieusement  à 
l'Académie  qu'une  Société  d'Espagnols  résidant  à  Toulouse  se  pro- 
pose d'y  organiser  une  fête  pour  célébrer,  comme  à  Madrid,  dans  le 
courant  du  mois  prochain,  le  centenaire  de  Calderon;  il  est  chargé  de 


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188  BULLETIN    DES   TRAYAUX    DE   L* ACADÉMIE. 

l'informer  au  mêrae  litre  si  l'Académie,  invitée  à  cette  fête,  voudrait 
y  prendre  part. 

La  majorité  des  membres  présents  se  montre  disposée  à  faire  une 
réponse  affirmative.  On  en  délibérera  quand  l'invitation  officielle  aura 
été  reçue. 

î4  maire.  M.  MoLiNiER,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  communique  des  aperçus 

sur  un  rapport  de  l'Académie  royale  de  l'histoire,  siégeant  à  Madrid, 
adressé  par  elle  au  gouvernement  et  5:ur  sa  demande  à  l'occasion  d'une 
prétendue  découverte  récente  des  restes  de  Christophe  Colomb,  qui 
aurait  été  faite  dans  le  sanctuaire  de  la  cathédrale  de  Santo-Domingo, 
dans  l'île  de  Haïti. 

Après  quelques  considérations  sur  les  grandes  découvertes  faites 
pendant  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  le  lecteur  s'attache  à 
Christophe  Colomb  et  retrace  la  grande  figure  de  celui  qui  ouvrit,  à 
cette  époque,  les  portes  d'un  nouveau  monde.  Il  rappelle  que  l'histoire 
de  ce  grand  navigateur  a,  de  nos  jours,  été  l'objet  des  remarquables 
travaux  de  Washington-Irving,  de  Prescolt,  d'Alexandre  de  Hum- 
boldt.  En  France,  M.  le  comte  Roselly  de  Lorgnes  nous  a  donné  une 
histoire  très-complète  de  Christophe  Colomb,  qui,  sans  doute,  retrace 
les  faits  avec  une  érudition  sûre,  mais  dans  laquelle  le  savant  et  intré- 
pide navigateur  apparaît  avec  une  teinte  de  mysticisme  très-accentué^ 
qui  fait  voir  en  lui  un  saint  et  qui  laisse  peut-être  trop  dans  l'ombre 
le  savant  cosmographe  et  l'habile  marin.  Ce  qu'a  en  vue  M.  Roselly  de 
Lorgnes,  c'est  la  béatification  de  Christophe  Colomb,  dont  il  était 
question  à  l'époque  de  la  publication  de  son  livre,  et  qui  depuis  paraît 
avoir  été  ajournée  à  raison  de  quelques  difficultés  de  forme  ou  au- 
tres. 

Il  pouvait  importer,  en  présence  de  ces  faits,  d'avoir  des  notions 
certaines  sur  le  lieu  où  sont  conservés  les  restes  de  Christophe 
Colomb.  Des  doutes  se  sont  produits,  de  nos  jours,  à  ce  sujet,  et 
l'Académie  de  l'histoire,  de  Madrid,  est  intervenue  pour  porter  la 
lumière  sur  ce  point. 

M.  Molinier  rappelle  comment  Christophe  Colomb,  délaissé  par  la 
cour  d'Espagne  après  son  retour  d'un  quatrième  et  dernier  voyage 
dans  les  pays  qu'il  avait  découverts,  mourut  à  Valladolid,  dans  une 
auberçe,  en  4506.  Les  restes  de  ce  grand  homme  furent  alors  déposés 
dans  un  caveau  du  couvent  des  Franciscains  de  l'Observance,  qui 
l'avaient  assisté  dans  ses  derniers  moments. 

Sept  ans  après,  ces  restes  furent  transportés  à  Séville,  où  de  grands 


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SÉANCE    DB   MARS.  189 

honneurs  leur  furent  rendus,  et  fuient  déposés  dans  la  retraite  âes 
Chartreux  de  Sainte-Marie-des-Grottes,  avec  ceux  de  son  fils,  Diego 
Colomb. 

Plus  tard,  à  suite  d'un  désir  qu'avait  exprimé  l'illustre  défunt,  et 
en  vertu  d'une  autorisation  délivrée  par  Charles-Quint,  ces  restes,  de 
nouveau  exhumés,  furent  transportés  avec  ceux  de  son  (ils,  à  travers 
les  mer3,  dans  l'ile  espagnole,  à,Santo-Domingo,  où  ils  furent  déposés 
dans  le  sanctuaire  de  la  cathédrale,  à  la  gauche  du  maître-autel,  dans- 
un  caveau.  Les  restes  de  Diego  Colomb  auraient  été  placés  à  la  droite. 

Plus  de  deux  siècles  après,  un  de  nos  compatriotes,  M.  Moreau  de 
Saûnt-Méry,  en  visitant  en  1783  la  partie  espagnole  de  Saint-Domin- 
gue, cherchait  en  vain,  dans  la  cathédrale  de  Santo-Domingo,  l'endroit 
où  reposaient  les  restes  du  grand  navigateur,  qu'aucune  inscription, 
qu'aucune  pierre  tumulaire  n'indiquaient  et  qu'il  ne  put  connaître 
qu'à  l'aide  des  documents  qui,  sur  sa  demande,  furent  recueillis  et 
lui  furent  communiqués  par  les  autorités  placées  à  la  tète  de  la  colonie. 

A*  suite  des  événements  qui  s'accomplirent  à  la  fin  du  dix-huitième 
siècle,  un  traité  de  paix  intervint  à  Bâle,  le  12  juin  1795,  entre  la 
France  et  l'Espagne,  qui  nous  céda  ses  possessions  dans  l'île  de  Saint- 
Domingue. 

En  nous  abandonnant  cette  colonie,  où  les  nègres  venaient  de  s'af- 
franchir de  l'esclavage  et  que  nous  devions  tenter  en  vain  de  récon- 
quérir, les  Espagnols  obtinrent  que  les  restes  de  Christophe  Colomb 
leur  seraient  livrés  pour  être  transportés  à  la  Havane.  M.  Molinier 
analyse  un  procès- verbal,  en  date  du  25  décembre  1795,  qui  constate 
l'état  dans  lequel  ces  restes,  qui  ne  consistaient  que  dans  quelques 
fragments  d'ossements  et  de  l^  poussière,  auraient  été  trouvés  lors  de 
leur  exhumation  faite  en  présence  des  autorités.  Ils  furent  placés  dans 
un  navire  et  transférés  à  la  Havane,  où  on  les  déposa  dans  le  sanc- 
tuaire de  la  cathédrale,  dans  un  lieu,  à  la  gauche  du  maître-autel,  où 
une  inscription  latine  les  signale  aux  visiteurs. 

Tous  les  biographes  de  Christophe-Colomb  désignent  ce  lieu  de  la 
grande  île  qu'il  avait  découverte  comme  étant  celui  où  reposent  ses 
restes  ;  mais  un  récent  événement  devait  venir  soulever  siir  ce  point 
des  doutes. 

A  suite  de  la  pensée  qui  avait  été  émise  de  canoniser  Christophe 
Colomb^  il  fut  dit,  au  sein  de  la  République  dominicaine,  que  les  res- 
tes du  grand  homme  n'étaient  pas  ceux  qui  avaient  été  exhumés 
en  1795,  et  qu'ils  reposaient  encore  dans  le  lieu  de  la  cathédrale  où 
ils  avaient  été  placés. 


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190  BULLETIN   DBS  TRATAUX   DB  l'âCâDÈMU. 

En  septembre  1877,  Tévêque  D.  Roque  Chocchia,  délégué  du  Saînt- 
Siége  à  la  République  dominicaine,  ayant  fait  faire  des  travaux  au 
sanctuaire  de  sa  cathédrale,  voulut  qu'on  ouvrît  le  caveau  dans  lequel 
les  restes  de  Christophe  Colomb  avaient  été  déposés.  On  y  trouva  une 
caisse  de  plomb  dans  laquelle  étaient  de  nombreux  fragments  d'osse- 
ments humains  ;  sur  le  couvercle  de  la  caisse,  à  l'une  des  surfaces, 
étaient  des  initiales  en  lettres  gothiques  exprimant  ces  mots  :  Descu- 
'  bidor  de  la  America.  Sur  l'autre  face  se  voyait  aussi  une  inscription 
qui  portait  :  Illustre  y  esclarecido  varon  don  Christoval  Colon. 

Cette  précieuse  découverte  fut  annoncée  par  le  son  des  cloches  et 
par  le  bruit  du  canon.  Un  procès-verbal,  portant  les  signatures  et  les 
sceaux  de  toutes  les  autorités  présentes,  fut  dressé  pour  constater  ce 
qui  avait  été  fait. 

Cependant,  on  émît,  en  Espagne,  des  doutes  sur  ce  que  semblait 
démontrer  la  découverte  faite  à  Santo-Domingo.  Une  polémique  très- 
vive  s'établit  à  ce  sujet  dans  les  journaux  dominicains,  américains, 
espagnols  et  anglais. 

Par  ordre  du  Roi  Alphonse  XII,  l'Académie  de  l'histoire  de  Madrid 
fut  chargée  d'émettre  un  avis  sur  cette  prétendue  découverte.  C'est  à 
suite  de  cet  ordre  que  cette  savante  Société,  à  laquelle  toutes  les 
pièces  et  documents  pouvant  l'éclairer  avaient  été  remis,  a  exprimé 
son  opinion  dans  un  rapport,  dont  l'un  de  ses  membres,  M.  Manuel 
Comeiro,  a  été  le  rédacteur.  Ce  rapport,  avec  les  pièces  afférentes  à  la 
question,  a  été  publié  par  le  gouvernement,  à  Madrid,  en  1879. 

La  docte  Académie,  par  des  motifs  que  M.  Molinier  indique  et  ap- 
précie, estime  que  les  véritables  restes  de  Christophe  Colomb  sont 
bien  ceux  qui  ont  été  transportés  à  la  Havane  en  1795.  Aucune  foi  ne 
devrait  être  ajoutée  à  la  prétendue  découverte  de  1877.  L'inscription 
en  lettres  gothiques  signalant  les  restes  de  celui  qui  aurait  découvert 
V Amérique  attesterait  une  fraude  manifestée  par  un  grossier  anachro- 
nisme. Le  nouveau  monde  a  toujours  reçu,  en  Espagne,  la  dénomina- 
tion de  las  Indias,  suivant  les  idées  de  Christophe  Colomb,  qui  crut 
constamment  avoir  abordé  dans  les  parages  des  Indes,  au  levant  du 
continent  asiatique. 

Quel  que  soit  le  lieu  où  repose  la  poussière  de  Christophe  Colomb, 
sa  mémoire,  à  laquelle  se  rattache  un  immense  événement,  sera  impé- 
rissable. Sa  patrie  vient  de  lui  élever,  sur  une  des  places  de  Gênes,  un 
monument  grandiose,  entouré  de  personnages  allégoriques,  au-dessus 
desquels  s'élève  la  statue  majestueuse  de  l'illustre  et  intrépide  navi- 
gateur, qui  osa  s'élancer  au  sein  des  mers  inconnues,  et  qui,  par  la 


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SÉANCE   DE   MARS.  .  494 

puissance  de  sa  volonté,  procura  à  l'Europe  l'accès  d'un  (continent 
nouveau. 

MM.  Duméril  et  Brassinne  prennent  successivement  la  parole  sur 
le  sujet  traité  par  M.  Molinier. 

M.  RozY,  appelé  par  Tordre  du  travail,  lit  un  mémoire  intitulé  :        24  mars. 
Doléances  et  vcmx  émis  en  4789,  par  les  sénéchatusia  du  Languedoc , 
convoquées  à  propos  des  élections  pour  les  États-Généraux,  relative- 
ment à  r organisation  du  pouvoir  judiciaire. 

Le  problème  de  la  constitution  de  la  magistrature  constitue  Tune 
des  préoccupations  actuelles,  et  M.  Rozy  a  pensé  que  Ton  pouvait 
emprunter  des  lumières,  pour  sa  solution,  aux  cahiers  rédigés  en  4789 
dans  notre  grande  province  de  Languedoc  et  par  ses  douze  sénéchaus- 
sées. Le  problème  est  complexe  et  doit  être  envisagé  sous  quatre  as- 
pects différents  : 

1»  Par  quel  pouvoir,  dans  quelles  conditions  et  sous  quelles  garan- 
ties doivent  être  faites  les  nominations  des  magistrats? 

2**  Quelle  sera,  quant  à  la  durée,  l'étendue  de  ces  fonctions  une  fois 
conquises  ? 

3«  Les  tribunaux  doivent-ils  être  nombreux,  ou,  au  contraire, 
assez  disséminés  dans  un  pays? 

i^  Quelle  doit  être  la  mesure  de  leur  compétence,  ratione  loci  ou 
ratione  materiœ,  et  par  quel  pouvoir  doit-elle  être  fixée  :  la  loi  ou 
l'ordonnance  ? 

C'est  sous  cette  quadruple  di vison  que  M.  Rozy  a  classé  tous  les 
renseignements  de  détails,  qu'il  a  surtout  puisés  dans  le  volume  XIV 
de  la  continuation  deY Histoire  de  Languedoc,  par  M.  Roschach. 

L'étude  de  ces  documents  rectifie  bien  des  erreurs.  Ainsi,  il  faut  se 
garder  de  croire,  comme  on  le  pense  généralement,  que  ce  fût  une 
idée  fort  répandue  que  celle  de  la  nomination  des  juges  par  les  justi- 
ciables. En  général,  au  contraire,  les  cahiers  demandent  que  la 
nomination  soit  faite  par  le  chef  du  pouvoir  exécutif.  Mais  ce  qu'il  y  a 
de  très-piquant,  c'est  de  constater  que  le  tiers-état  de  Montpellier 
voulait  que  les  candidats  à  la  magistrature  subissent  un  examen 
préalable,  et  celui  de  Villeneuve-de-Berg  demandait  même  un  con- 
cours  entre  les  candidats.  —  Nous  n'avons  pas  encore  obtenu  ces 
réformes. 

En  général,  aussi,  l'on  désire  l'inamovibilité  pour  les  magistrats, 
même  pour  les  postulants  dans  la  justice  inférieure,  à  peu  près  l'é- 
quivalent de  nos  juges  de  paix.  Seulement,  la  cause  de  l'inamovibilité 


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492  BULLETIN   DES  TRAVAUX    DE   l' ACADÉMIE. 

est  quelquefois  plaidée  à  l'aide  de  mauvaises  raisons.  Le  clergé  de 
Carcassonne  veut  rinamovibilité  dans  son  intérêt  à  lui,  pour  être 
mieux  protégé  :  il  le  dit  naïvement. 

Un  cri  unanime,  par  exemple,  est  poussé  pour  que  le  juge  soit  assez 
rapproché  du  justiciable  et  que  les  tribunaux,  par  conséquent,  soient 
nombreux  et  accessibles. 

Enfin,  Ton  émettait  le  vœu  que  la  compétence  réelk  ou  hcale  des 
magistratures  ne  fût  modifiée  que  par  des  lois. 

Ces  détails  historiques  donnés,  M.  Rozy  formule  quelques  conclu- 
sions. 

Le  magistrat,  qui  représente  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  au  monde, 
le  principe  de  la  justice  absolue,  doit  avoir  des  qualités  spéciales  de 
science,  de  probité  morale  et  intellectuelle.  Il  faut  donc  un  concours 
à  l'entrée  dans  la  carrière. 

Le  magistrat  doit  vivre  dans  une  atmosphère  de  calme,  placée  au- 
dessus  de  toutes  les  passions  ;  il  doit  avoir  la  sécurité  de  la  vie.  Par 
conséquent,  jamais  de  nomination  du  juge  par  le  justiciable^  et,  au 
contraire,  la  garantie  de  l'inamovibilité. 

MM.  Duméril  et  Gatien-Àrnoult  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Rozy. 

—  M.  Brassinne  fait  un  rapport,  au  nom  de  la  commission  chargée 
d'examiner  les  titres  de  MM.  Baillaud  et  David,  candidats  à  la  place 
vacante  dans  la  classe  des  sciences,  section  de  physique  et  astronomie. 
Il  conclut  en  disant  que  les  travaux  de  M.  David  étant  du  domaine 
des  mathématiques  pures,  il  y  a  lieu  de  réserver  sa  candidature  pour 
la  plus  prochaine  place  vacante  dans  cette  section,  et  propose  d'ac- 
cueillir favorablement  la  demande  de  M.  Baillaud. 

Le  dépouillement  du  scrutin  ayant  donné  à  M.  Baillaud  le  nombre 
de. suffrages  exigé  par  les  règlements,  M.  le  Président  le  proclame, 
associé  ordinaire  de  l'Académie,  en  remplacement  de  M.  Tisserand. 

—  M.  le  Secrétaire  perpétuel  propose  ensuite  de  déclarer  la  vacance 
dans  la  classe  des  sciences,  section  des  mathématiques  pures,  de 
la  place  précédemroent  occupée  par  M.  Endrès,  qui,  sur  sa  demande, 
a  été  nommé  correspondant. 

Cette  proposition  est  prise  en  considération.  Les  membres  de  l'Aca- 
démie en  seront  informés  par  lettre  spéciale,  conformément  aux 
Statuts. 

84  mars.  M.  Clos,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  communique  le  résultat  de 


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SÉANCK    DE    MAHS.  193 

ses  Recherches  sur  ceriains  organes  déplantes  aquatiqtusy  au  sujet 
desquels  la  science  n'est  point  encore  fixée. 

La  première  partie  est  destinée  à  démontrer,  contrairement  à 
l'opinion  admise,  qu'il  existe  quelques  plantes  des  lieux  inondés,  chez 
desquelles  les  feuilles  passent  graduellement  à  l'état  de  vraies  racines. 
M.  Clos  met  sous  les  yeux  de  ^es  confrères  des  pieds  desséchés  et  des 
figures  de  deux  espèces  de  Limnophila,  scrophularinées  des  rivières 
de  rinde  (les  Limnophila  racemosa  et  polystachya),  où  la  partie  hors 
de  l'eau  montre  la  tige  des  feuilles  normales  opposées  ou  verticillées 
par  trois,  tandis  qu'au  premier  nœud  immergé  elles  sont  remplacées 
par  un  cercle  d'organes  plus  étroits  et  non  plus  seulement  dentés^ 
mais  profondément  découpés.  Ces  modifications  s'accentuent  plus 
encore  aux  nœuds  sous-jacents,  et  bientôt  on  n'a  plus  que  des  verti- 
cilles  de  racines;  ces  organes  intermédiaires  entre  celle-ci  et  les 
feuilles  pourraient  être  désignés  par  le  mot  phyllorhizes,  indiquant 
leur  double  nature. 

Dans  la  seconde  partie  de  son  travail,  M.  Clos  s'occupe  de  la  signi- 
fication du  singulier  système  végétatif  immergé  d'un  grand  nombre 
dTJtriculaires  et  notamment  de  celui  des  Utriculaires  d'Europe.  Or, 
ce  système  comprend  deux  parties  :  !<>  un  ensemble  de  ramifications 
par  dichotomies  successives,  et  dans  lequel  on  a  vu  tour  à  tour  ou  des 
feuilles  ou  des  rameaux,  ou  à  la  fois  des  rameaux  chargés  de  feuilles; 
2^  des  vésicules  ou  utricules  portées  par  ces  filaments  et  dont  la  struc- 
ture et  le  rôle  physiologique  sont  des  plus  curieux  ;  elles  ont  été 
l'objet  des  recherches  d'un  grand  nombre  de  physiologistes  étrangers, 
depuis  Meyer  jusqu'à  MM.  Warming  et  Pringshein,  qui  les  ont  con- 
sidérées comme  des  feuilles,  des  portions  de  feuilles,  des  bourgeons^ 
ou  même  comme  des  poils  modifiés.  M.  Clos  n'hésite  pas  à  rapporter 
le  réseau  des  filaments  aux  phyllorhizes,  et,  quant  aux  utricules,  elles 
représentent  aussi  des  organes  spéciaux  en  dehors  de  la  feuille  et  du 
bourgeon.  En  effet,  il  suffit  de  se  rappeler  que,  d'après  les  observa- 
tions concordantes  de  Grissilh  et  de  M.  Dalhon  Hooker,  les  urnes, 
plus  étranges  encore  des  Nepenthes,  tirent  leur  origine  d'une  simple 
glande  née  près  du  sommet  de  la  nervure  médiane  de  la  feuille,  et 
conséquemment  constituent  des  formations  toutes  spéciales,  pour  être 
autorisé  à  en  rapprocher  les  vésicules  d^s  Utriculaires  qui  doivent 
faire  partie  de  ce  groupe  de  corps  en  dehors  de  toute  signification 
axile  ou  appendiculaire  :  anthère,  disques,  écailles  terminales  des 
bractées  chez  les  centaurées,  fomices  des  Borraginées. 

Il  convient  encore,  selon  M.  Clos,   de  ranger  dans  cette  calé- 

8»   SKRfK.    —   TOME   Tît.    1.  13 


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<9i  BULLETIN    DES   TRAVAUX    DE    L* ACADÉMIE. 

gorie  les  singulièi^s  vésicules  blanchâtres  et  dressées  des  Jussixa, 
décrites  par  M.  Charles  Martins  et  prises  par  lui  pour  des  racines 
d'une  nature  particulière. 

MM.  Duméril,  Timbal-Lagrave  et  Barthélémy  prennent  successive- 
ment la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Clos. 

7  avril.  Le  docteur  Basset,  appelé  par  Tordre  du  travail,  lit  un  mémoire 

sur  VIncubation  de  la  variole. 

L'incubation  des  fièvres  éruptives  en  général  et  de  la  variole  en 
particulier  est,  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas ,  difficile  à  déter- 
miner. Dans  la  transmission  directe  de  la  variole  par  inoculatibn , 
l'incubation  oscillait  avec  des  écarts  les  plus  extrêmes  entre  le  sixième 
et  dixième  jour.  Dans  la  transmission  diffuse  par  Vachai  qui  était 
pratiquée,  depuis  fort  longtemps  avant  la  découverte  de  la  vaccine, 
chez  diverses  nations^  l'apparition  des  symptômes  d'invasion  avait 
lieu ,  d'après  Mersh ,  habituellement  du  onzième  au  douzième  jour,  et 
pouvait  aller  jusqu'au  vingt  et  unième  pour  les  cas  les  plus  retardés. 
D'ailleurs,  il  règn&  à  cet  égard,  parmi  les  cliniciens  les  plus  autorisés 
de  ce  siècle,  de  grandes  contradictions  par  suite  de  la  difûculté  des  ob. 
servations  exactes  et  de  l'interprétation  contradictoire  des  faits  fournis 
par  les  statistiques.  Aussi  ne  doit-on  jamais  négliger  de  publier  les 
observations  précises  qui  peuvent  contribuer  à  l'élucider.  Dans  ce 
mémoire,  le  docteur  Basset  en  donne  quatre,  qu'il  a  recueillies  à  diffé- 
rentes époques  et  où  il  a  pu  fixer  le  jour,  même  le  moment  de  la  con- 
tagion. En  s'appuyant  sur  ces  observations  et  d'autres  indiscutables 
où  le  jour  de  l'inoculation  peut  être  nettement  fixé,  il  conclut  : 

1"  Que  la  période  d'incubation  dans  la  variole  par  transmission 
diffuse  a  une  durée  qui  oscille  entre  le  onzième  et  le  quinzième  jour. 

2»  Les  différences  qui  existent  dans  la  durée  de  cette  période 
tiennent  principalement  aux  conditions  organiques  déterminées  par 
l'âge,  le  sexe,  le  tempérament,  la  constitution,  les  idiosyncrasies, 
les  habitudes,  l'hérédité,  les  races,  les  conditions  morales,  les  dia thèses, 
divers  états  pathologiques  et  l'influence  des  conditions  ambiantes  ou 
des  circumfusa,  et,  pour  une  part  5ans  doute  fort  restreinte,  à  l'acti- 
vité du  coulage  et  à  la  quantité  absorbée  du  virus  ;  car.  en  général, 
le  poison  est  un  et  la  réceptivité  est  multiple,  comme  l'individu. 

3®  L'incubation  paraît  être  plus  courte  dans  les  varioles  confluentes 
que  dans  les  varioles  d  iscrètes  ou  les  variololdes. 

4»  Enfin,  en  temps  d'épidémie  et  lorsque  les  malades  séjournent 
après  la  contagion  dans  un  foyer  varioleux ,  l'incubation  paraît  aussi 


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SÉANCE   DB   MARS.  195 

plus  courte  que  pour  les  cas  isolés  sporadiques,  ou  si  les  sujets  s'éloi- 
gnent de  ces  foyers. 

En  présence  des  ravages  incessants  d'un  poison  pandémique  comme 
le  virus  varioleux ,  il  est  nécessaire,  même  avec  les  vaccinations  et  les 
revaccinations  libres  ou  obligatoires,  d'avoir  tous  les  moyens  possibles 
de  prophylaxie  à  mettre  en  usage  contre  un  ennemi  aussi  redoutable. 

L'isolement  des  varioleux  dans  les  agglomérations  d'individus  qui 
vivent  en  communauté,  dans  les  pensionnats,  dans  les  collèges,  le& 
couvents  et  surtout  les  établissements  hospitaliers,  doit  être  rigoureu- 
sement pratiquée  ;  non  pas  un  isolement  mensonger  et  factice  comme 
celui  qui  est  encore  en  usage  dans  les  hôpitaux  de  Paris  et  de  pro- 
vince, mais  un  isolement  réel  et  efficace.  Et  cet  isolement  réel,  pour 
empêcher  les  cas  sporadiques  de  variole  de  se  propager  dans  l'établis- 
sement ou  au  dehors  et  de  devenir  ainsi  le  point  de  départ  d'une 
épidémie  plus  ou  moins  grave,  doit  être  basé  sur  la  connaissance  de 
la  durée  de  la  période  d'incubation. 

—  M.  le  Secrétaire  perpétuel  donne  lecture  de  la  liste  des  ouvrages, 
mémoires  et  objets  divers,  envoyés  à  l'Académie  pour  les  concours  du 
grand  prix  et  de  la  médaille  d*or  et  pour  les  médailles  d'encouragé* 
ment  à  décerner  en  1881  ;  il  propose  la  liste  de  MM.  les  Ck)mmi8saires 
chargés  de  faire  un  rapport  sur  ces  différents  envois. 

L'Académie  ratifie  les  choix  proposés. 

—  M.  Joly  communique  à  l'Académie  un  travail  intitulé  :  Études 
nouvelles  sur  les  matières  organiques  et  organisées  contenues  dans  les 
eaux  thermales  sulfurées  pyrénéennes,  notamment  sur  la  sulfuraire. 

Dès  l'année  1823,  Lonchamp  signalait  dans  les  eaux  thermales 
sulfureuses  de  Baréges,  Gauterets ,  Saint-Sauveur,  etc.,  une  matière 
organique  azotée,  qui  donne  à  ces  eaux  l'onctuosité  et  pour  ainsi  dire 
le  velouté  particulier  qui  les  distinguent.  Il  la  nommait  barégine. 

Quatre  ans  plus  tard,  le  professeur  Anglada  étudiait  cette  même 
substance  et  la  désignait  sous  le  nom  plus  convenable  et  plus  généra- 
lement adopté  de  glairine,  à  raison  de  sa  ressemblance  à  des  glaires 
ou  blancs  d'œufs  flottant  dans  l'eau. 

Depuis  cette  époque,  bon  nombre  de  chimistes,  médecins  ou  natu- 
ralistes se  sont  occupés  de  la  glairine  ou  barégine,  mais  ils  sont 
loin  de  s'accorder  sur  la  nature  et  l'origine  de  la  matière  dont  i) 
s'agit. 

A  son  tour,  M.  Joly  s'est  livré  à  de  nouvelles  recherches  sur  cette 

8«  BÈRIU.  —  TOMB  m,   1.  13* 


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196  BULLETIN   DBS   TtUVAUX    DE   L*àCADÉMIB. 

même  matière  qu'il  considère  comme  étant  très-complexe  dans  sa 
structure  et  sa  composition,  et,  après  des  observations  et  des  expé- 
riences patiemment  et  attentivement  suivies  pendant  plusieurs  années 
consécutives,  il  croit  pouvoir  formuler  les  conclusions  qui  suivent. 

Les  eaux  thermales  sulfureuses  des  Pyrénées  contiennent  : 

1®  Une  matière  organique  azotée  à  l'état  de  dissolution  :  c'est  la 
sulfurose  du  docteur  Lambron  ; 

2**  Une  substance  identique  à  la  première,  mais  que  le  contact  de 
l'air  et  lo  refroidissement  de  l'eau  où  elle  se  trouve  dissoute  précipite 
en  une  matière  onctueuse,  amorphe ,  mêlée  souvent  à  une  forte  pro- 
portion de  silice  en  gelée.  On  pourra,  si  l'on  veut,  l'appeler  sulfurose 
concrète^  ou  simplement  sulfurine  (Lambron)  ; 

3<»  Cette  même  matière  concrète,  mélangée  à  des  particules  miné- 
rales, à  des  matières  organiques  plus  ou  moins  incorporées  h  sa 
substance ,  et  à  des  êtres  organisés  qui  s'y  implantent  ou  s'en  nour- 
rissent, 

4®  Au  nombre  de  ces  productions  organisées  (infusoires  poligastri- 
ques  ou  ciliés,  anguillules,  helminthes,  conferves,  protococcus  (i\ 
oscillariées)  tlgure  surtout  la  sulfuraire  de  Fontan,  blanche  ou  verte, 
vivante  ou  morte,  dont  les  débris,  ordinairement  mêlés  à  ceux  des 
autres  substances  qui  viennent  d'être  signalées,  contribuent,  pour  une 
forte  part,  à  donner  à  la  matière  glairineuse  des  eaux  thermales  pyré- 
néennes les  divers  aspects  sous  lesquels  elle  s'offre  à  l'observation. 

5®  Cette  matière  complexe,  ainsi  composée,  n'est  rien  autre  chose 
que  la  barégine  de  Lonchamp ,  la  glairine  d'Ânglada,  la  pyrénéine  du 
docteur  Fontan. 

6«  Malgré  le  nom  que  lui  ont  donné  Agard  [Conferva  vitrea)  et  la 
plupart  des  naturalistes  qui  l'ont  suivi ,  la  sulfuraire  n'est  point  une 
conferve,  mais  bien  une  oscillaire  [Oscillatoria  vitrea,  N.  Joly),  dont 
l'auteur  de  ce  mémoire  affirme  avoir  vu  maintes  fois  et  très-distincte- 
ment les  mouvements  variés  et,  selon  lui,  autonomiques. 

7®  Par  conséquent,  si,  comme  le  dit  M.  Is.  Geoffroy-Saint-Hilaire, 
la  locomotion,  surtout  la  locomotion  totale,  ce  est  la  plus  haute  ex- 
«  pression  de  l'animalité  »,  la  sulfuraire  doit  être  rangée  dans  le 
Règne  animal,  ou,  tout  au  moins,  elle  se  place  d'elle-même  à  la  limite 
si  peu  tranchée  et  encore  si  mal  définie  des  deux  liègnes  organiques. 

(1)  U.  Joly  dit  avoir  vu«  dans  U  barégioe  recueillie  par  lui  à  Barzun,  le  Protoeocetu 
nivalUt  qui  colore  en  rouge  les  neiges  éternelles  de  certains  sommets  pyrénéens,  et  au 
sujet  duquel  M.  le  docteur  A rmieux  a  publié  dans  les  M4m)irei  do  TAcadémie  des 
sciences  de  Toulouse  v<S7a;  une  étu  le  pleine  d'intérêt. 


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AUDITION   k    U  SÉANCE   DE   DÉCEMBRE.  i97 

—  M.  le  Président  annonce  que  TAcadémie  va  prendre  ses  vacances 
de  Pâques,  et  que  la  séance  do  rentrée  aura  lieu  le  jeudi  28  avril. 


Addition  au  bulletin  de  la  séance  du  i6  décembre  1880,  page  172. 

Note  de  M.  le  docteur  Armieux  sur  la  découverte*  de  M.  Toussaint, 
relative  au  vaccin  du  charbon  : 

«  Il  est  de  notre  devoir  de  signaler  à  T  Académie  les  découvertes  scien- 
tifiques qui  ont  lieu  dans  notre  ré^on  et,  en  quelque  sorte,  sous  nos 
yeux.  A  ce  compte,  nous  devons  une  mention  toute  spéciale  aux  belles 
expériences  de  M.  le  docteur  Toussaint,  professeur  de  physiologie  à 
rÉcole  vétérinaire  et  à  l'École  de  médecine  de  Toulouse.  Ces  expé- 
riences ont  eu  un  grand  retentissement  et  ont  placé  notre  sympathi- 
que confrère  au  rang  des  Claude  Bernard,  des  Davaine,  des  Chauveau 
et  des  Pasteur.  C'est  dans  la  voie  ouverte  et  suivie  si  brillamment  par 
ce  dernier  que  M.  Toussaint  est  arrivé  à  des  résultats  qui  corroborent 
en  partie  ceux  obtenus  par  son  illustre  modèle.  On  ne  peut  douter 
que  celle  voie  ne  soit  très-féconde  pour  résoudre  les  problèmes  de  la 
palhogénie  et  de  la  prophylaxie  des  maladies  infectieuses.  La  médecine 
et  l'humanité  seront  donc  redevables  de  grands  bienfaits  à  des  hommes 
qui,  sans  être  précisément  des  médecins,  auront  cependant  éclairé 
d'un  jour  nouveau  les  secrets  les  plus  ténébreux  de  la  pathologie  hu- 
maine. 

«  La  science  vétérinaire  a  fait  d'ijBgienees  progrès  depuis  un  certain 
nombre  d'années,  et  les  laboratoire^es  trois  Écoles  de  Paris,  de  Lyon 
et  de  Toulouse  sont  comme  trois  foyers  qui  activent  et  fécondent  les 
idées  nouvelles.  A  vrai  dire,  il  n'y  a  qu'une  médecine  et  qu'une  science, 
parce  qu'il  n'y  a  qu'un  organisme  et  qu'il  existe  une  grande  similitude 
entre  les  phénomènes  physiologiques  normaux  et  déviés  étudiés  dans 
l'échelle  entière  des  êtres  vivants.  Les  vétérinaires  sont  mieux  placés 
que  les  médecins  pour  expérimenter  ;  ils  sont  plus  avancés  aussi  en 
pathologie  comparée  ;  enûn,  ils  sont  mieux  outillés,  et  les  laboratoires 
de  leurs  écoles  sont  pourvus  et  dotés  comme  ne  le  sont  pas  malheu- 
reusement les  Écoles  et  les  Facultés  de  médecine,  M.  Toussaint  étudie 
depuis  longtemps  la  maladie  charbonneuse.  Déjà,  l'an  dernier,  il 
publiait  un  volume  de  recherches  expérimentales  faites  à  Lyon  et  à 


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198  BULLETIN   DES  TRAVAUX   DE   l'aCADÉMIE. 

Toulouse,  et  qui  Fui  ont  valu  le  prix  Briant  décerné  par  l'Institut  de 
France. 

a  Entre  autres  choses,  M.  Toussaint  démontre  dans  ce  livre  que  ce 
qu'on  a  nommé  improprement  incubation  dans  les  maladies  virulentes 
ou  infectieuses,  c'est  le  temps  que  mettent  les  bactéries  pour  se  mul- 
tiplier, au  point  de  devenir  nocives  et  de  provoquer  les  symptômes 
caractéristiques  de  la  maladie.  Suivant  les  circonstances  variables  de 
réceptivité,  de  nombre  ingéré,  de  milieu  favorable  ou  de  nocuité  pri- 
mitive, le  résultat  est  plus  ou  moins  rapide  et  l'incubation  plus  ou 
moins  longue.  C'est  en  cultivant  ces  microbes,  en  étudiant  leiir  multi- 
plication dans  des  milieux  artificiels,  en  établissant  les  conditions  qui 
leur  sont  favorables  ou  nuisibles,  que  M.  Pasteur  est  arrivé  à  en  faire 
l'histoire  naturelle,  la  biologie  et  à  démontrer  les  phénomènes  morbi- 
des qu'ils  occasionnent  une  fois  introduits  dans  l'économie  animale. 
Pour  le  choléra  des  poules,  M,  Pasteur  est  arrivé  à  trouver  le  vaccin  de 
cette  maladie  et  à  mettre,  par  certains  procédés  d'inoculation,  les 
volailles  à  l'abri  d'infections  nouvelles.  Le  vaccin  du  choléra  des  bas- 
ses-cours n'est  pas  autre  chose  que  le  virus  infectieux  lui-même,  con- 
servé plus  ou  moins  longtemps  et  exposé  à  l'action  de  l'air  pour  affai- 
blir et  éteindre  la  virulence  du  liquide,  ou  plutôt  des  microbes  spéci- 
fiques. M.  Pasteur  explique  l'immunité  acquise  par  la  vaccination  en 
ce  que  le  microbe  a  supprimé  de  l'économie  des  matériaux  ou  des 
principes  que  les  phénomènes  vitaux  sont  incapables  de  reconstituer, 
ou  qu'ils  ne  peuvent  renouveler  qu'avec  le  temps,  et  dont  l'absence 
empêche  le  développement  à  nouveau  du  petit  organisme.  Pour 
M.  Davaine,  le  résultat  de  l'inoculation  est  de  rendre  les  semences  pro- 
prement dites  stériles  et  stérilisantes,  soit  par  soustraction  des  subs- 
tances nécessaires  à  la  prolfféraUpn  bactéridienne,  soit,  plutôt,  par 
addition  de  matières  nuisibles  à  celte  proliféra^tion. 

«  M.  Davaine  a  enseigné  depuis  longtemps  que  le  remède  le  plus  effi- 
cace contre  les  affections  charbonneuses,  c'est  Hode  employé  en  injec- 
tions hypodermiques.  Plusieurs  faits  cliniques  sont  venus  à  l'appui  de 
cette  idée,  et  dernièrement  encore,  M.  le  docteur  Chipault,  d'Orléans, 
publiait  plusieurs  cas  de  maladies  charbonneuses  chez  l'homme,  trai- 
tés et  guéris  par  l'emploi  des  injections  sous-cutanées  d'iode  en  solu- 
tion. 

a  M.  Chauveau  va  plus  loin  :  il  inocule  les  brebis  dans  les  derniers 
mois  de  la  gestation,  et  rend  leurs  agneaux  réfractaires  au  chai  bon. 

«  Enfin,  M.  Pasteur  vient  de  découvrir  que  le  charbon  se  propage 
souvent  par  l'intermédiaire  des  lombrics  ou  vers  de  terre,  qui  charrient 


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ADDITION   A   LA   SÉANCE   DE  DÉCEMBRE.  199 

les  germes  virulents  déposés  au  sein  de  la  terre  par  les  cadavres  enfouis 
des  animaux  morts  du  charbon,  en  imprègnent  les  Rerbes  de  la  surface , 
lesquelles  communiquent  la  maladie  aux  ruminants  qui  s'en  repaissent. 

«  M.  Toussaint,  lui,  a  trouvé  le  vaccin  du  charbon,  et  c'est  là  le  ré- 
sultat capital  et  pratique  de  ses  recherches  qui  lui  vaut  déjà  une  juste 
renommée.  Lorsque,  le  15  juillet,  M.  Joulin  entretenait  l'Académie  de 
la  découverte  de  M.  Toussaint,  son  procédé  de  préservation  n'était  pas 
publié;  il  était  déposé,  sous  pli  cacheté,  à  l'Académie  des  sciences  de 
Paris.  Aujourd'hui,  M.  Toussaint  l'a  fait  connaître  au  monde  savant, 
et  le  moment  est  venu  d'apprécier  le  mérite  d'une  découverte  qui 
honore  nos  Écoles  et  notre  ville.  Je  n'entrerai  pas  dans  le  détail  des 
expériences  nombreuses  auxquelles  s'est  livré  notre  distingué  con- 
frère. Elles  peuvent  se  résumer  ainsi  : 

«  M.  Toussaint  défibrine  le  sang  charbonneux  par  le  battage  ;  il  le 
chauffe  à  une  température  de  BS**»  qui  tue  la  plus  grande  partie  des 
bactéridies;  puis  il  filtre  ce  liquide,  qui  est  devenu  inapte  à  transmet- 
tre la  maladie,  mais  qui,  inoculé  à  des  animaux,  les  met  à  l'abri  du 
charbon,  même  inoculé  expérimentalement.  Ce  résultat  vaccinal,  con- 
testé d'abord,  a  été  confirmé  par  de  nombreuses  expériences  répétées 
à  Paris,  à  Lyon  et  à  Toulouse  ;  il  est  aujourd'hui  démontré  et  accepté 
par  tous.  On  peut  l'interpréter  diversement  :  M.  Toussaint  croit  que 
la  température  de  55<»  tue  les  bactéridies,  et  que  c'est  le  sérum  du 
sang,  d'où  ces  microbes  ont  disparu,  qui  a  acquis  une  vertu  préserva- 
trice. Pour  M.  Bouley,  qui  s'est  fait  le  chaleureux  promoteur  des 
découvertes  de  M.  Toussaint,  les  bactéridies  ne  seraient  pas  tuées 
par  la  chaleur  de  55<>,  mais  leur  activité  serait  seulement  ralentie,  et 
elles  communiqueraient  aux  animaux  inoculés  une  maladie  atténuée, 
un  charbon  bénin,  qui  les  préserverait  à  l'avenir  du  charbon  qui  tue. 

ce  En  résumé,  le  charbon  ou  sang  de  rate  est  une  maladie  virulente, 
parasitaire,  inoculable,  vaçcinable  et  non  susceptible  de  récidive  dans 
le  cas  de  guérison,  absolument  comme  le  choléra  des  basses-cours. 
Ces  faits  sont  acquis  à  la  science,  malgré  les  protestations  de  quelques- 
uns,  parmi  lesquels  il  faut  compter  M.  Jules  Guérin,  qui  avait  promis 
de  réduire  à  néant  les  théories  nouvelles  et  qui  n'a  rien  prouvé  contre 
elles  jusqu'à  présent. 

«  Qui  ne  voit  dans  ces  belles  expériences  l'analogie  frappante  qui 
existe  entre  elles  et  l'immortelle  découverte  de  Jenner,  dont  les  tra- 
vaux récents  donneront  certainement  une  explication  scientifique, 
tandis  qu'on  n'en  a  fait,  jusqu'à  ce  jour,  qu*une  application  bienfai- 
sante, mais  empirique. 


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200  BULLETIN   DES   TBAYAUX   DE   l' ACADÉMIE. 

((  On  ne  peut  contester  qu'il  n'y  ait  dans  le  mouvement  que  je 
viens  d'indiquer  une  ère  nouvelle  pour  la  science  médicale  ;  ère  fé- 
conde en  explications  plausibles  de  la  genèse  des  maladies  les  plus 
mystérieuses  et  en  mesures  prophylactiques,  destinées  à  préserver 
l'humanité  des  fléaux  qui  la  déciment  périodiquement. 

«  J'ai  pensé  que  l'Académie  devait  cet  hommage  mérité  à  l'établis- 
sement qui  voit  naître  de  tels  travaux  et  au  jeune  eavant  qui  s'y  con- 
sacre avec  tant  de  zèle  et  de  succès.  » 


Résumé  de  ce  qui  a  été  dit  par  M.  Baille t  après  la  lecture  de  la  note 
ci-dessus, 

M.  Baillet  dit  qu'il  est  indubitable  pour  lui  qne  les  bactéridies 
constituent  l'élément  virulent  du  sang  charbonneux.  Il  a  fait,  en  4868 
et  1869,  des  expériences  dont  les  résultats  ont  été  publiés  en  4870,  et 
qui  ne  lui  laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  Dans  ces  expérience?, 
divers  animaux  (lapins  ou  moutons)  ont  été  inoculés  du  charbon. 
Chez  tous  ces  animaux,  quelques  heures  après  l'inoculation,  on  a  tiré 
une  première  fois  de  petites  quantités  de  sang,  et  l'on  a  ensuite  conti- 
nué à  agir  de  même  à  des  intervalles  assez  rapprochés,  jusqu'au  mo- 
ment où  ils  ont  succombé.  Le  sang  a  été  examiné  avec  soin  chaque 
fois  au  microscope,  et  inoculé  à  des  sujets  parfaitement  sains. 

Chez  les  animaux  inoculés  avec  du  sang  dans  lequel  les  bactéridies 
n'avaient  point  encore  apparu,  toutes  les  inoculations ,  sans  aucune 
exception,  ont  été  infructueuses.  Quant  à  ceux  qui  ont  été  inoculés 
avec  du  sang  où  les  bactéridies  avaient  apparu  et  étaient  plus  ou 
moins  nombreuses,  on  a  pu  observer  que  tantôt  le  charbon  s'est  dé- 
claré et  a  été  mortel,  et  que  tantôt,  au  contraire,  les  animaux  ont 
survécu  après  avoir  éprouvé  quelquefois  dans  leur  santé  des  troubles 
assez  légers. 

M.  Baillet  en  a  conclu  que  le  sang  qui  contient  des  bactéridies  est 
seul  charbonneux.  Mais  de  ses  expériences  et  de  ses  observations 
découle  une  autre  conséquence  qui  est  importante  au  point  de  vue  de 
la  question  soumise  à  l'Académie. 

'  Tous  les  animaux  exposés  à  subir  l'influence  des  causes  suscepti- 
bles de  faire  naître  le  charbon  ne  prennent  pas  nécessairement  la 
maladie.  M.  Baillet,  envoyé  à  deux  reprises  différentes  dans  la  haute 
Auvergne  pour  y  étudier  le  charbon,  que  l'on  connaît  dans  le  pays 
sous  le  nom  de  mal  de  montagne,  a  observé,  de  concert  avec  M.  Maret, 


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ADDITION   k   LA   SÉANCE   DE   DÉCEMBRE.  201 

vétérinaire  à  Allanches,  que  toutes  les  vaches,  ou  presque  toutes  les 
vaches  que  l'on  met,  à  la  belle  saison,  dans  les  pâturages  réputés 
dangereux  éprouvent  du  malaise,  et  sont  même  plus  ou  moins  mala- 
des. Le  plus  ordinairement  le  plus  grand  nombre  de  ces  bêtes  se 
remettent  après  quelques  jours,  et  s'engraissent  peu  à  peu.  Quelques- 
unes  cependant  restent  malades  et  sont  isolées.  Parmi  ces  dernières, 
il  en  est  encore  qui  reviennent  à  la  santé;  puis  il  en  est  d'autres,  en 
plus  ou  moins  grand  nombre,  dont  l'état  s'aggrave  brusquement  et  qui 
succombent  au  charbon. 

Dans  les  expéiiences  qu'a  faites  M.  Baillet,  des  faits  analogues  se 
sont  produits.  Parmi  les  animaux  inoculés  avec  du  sang  contenant 
des  bactéridies,  il  en  est  qui  ont  succombé  et  d'autres  qui  ont  résisté. 
En  général,  dans  ces  expériences,  presque  tous  les  lapins  ont  suc- 
combé, mais  la  moitié  au  moins  des  moutons  a  résisté,  et  l'on  n'a 
point  obtenu  de  résultats  chez  le  petit  nombre  de  bêles  bovines,  de 
chevaux  et  de  porcs  que  l'on  a  inoculés.  Seulement  la  plupart  de  ces 
animaux  qui  ont  résisté  ont  éprouvé,  comme  ceux  des  pâturages,  du 
malaise  caractérisé  par  de  la  tristesse  et  de  l'inappétence.  Il  est 
certain  que,  si  ces  animaux  avant  d'être  inoculés  du  charbon  avaient 
été  de  ceux  auxquels  Ton  fait  subir  aujourd'hui  les  inoculations  préven- 
tives, on  n'aurait  pas  manqué  de  les  signaler  comme  ayant  échappé  à 
la  contagion,  en  raison  de  celte  espèce  de  vaccination.  Cela  doit  en- 
{çager  les  expérimentateurs  à  être  très- réservés  dans  les  conclusions 
qu'ils  tirent  de  leurs  essais.  Pour  qu'un  procédé  pût  être  considéré 
comme  définitivement  préventif  à  l'égard  du  charbon,  il  faudrait  qu'il 
fût  clairement  efficace  à  l'égard  des  lapins  qui  ne  résistent  que  par 
exception  aux  inoculations  de  cette  terrible  maladie.  Les  résultats 
obtenus  chez  les  autres  animaux,  et  particulièrement  chez  le  mouton, 
ne  sont  pas  probants,  car  on  est  toujours  en  droit  de  douter  si  les 
sujets  qui  résistent  après  avoir  été  vaccinés  avec  un  virus  atténué, 
n'auraient  pas  tout  naturellement  échappé  à  la  contagion,  par  suite 
d'une  sorte  d'immunité  inhérente  à  leur  organisme.  M.  Pourquier  a 
fait  observer  tout  récemment  que  les  moutons  africains  qui  ne  pren- 
nent pas  le  charbon  sont  anémiques  pour  la  plupart.  Il  y  aurait  à  voir 
si  cet  état,  et  peut-être  d'autres  qu'il  y  aurait  à  étudier,  ne  seraient 
pas  souvent  la  cause  des  immunités  qu'on  ne  peut  s'expliquer.  Dans 
tous  les  cas,  il  y  a  encore  trop  de  faits  incertains,  en  ce  qui  concerne 
les  inoculations  préventives,  pour  qu'il  ne  soit  pas  imprudent  de  se 
hâter  de  conclure. 

On  s'en  laisse  u.i  peu  imposer  ici  par  le  rapprochement  que  Ton 


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202  BULLETIN    DES  TRAYAUX    DE   L*ACADÉMIB. 

fait  entre  les  inoculations  actaelles  et  la  vaccination,  qui  est  réelle- 
ment préventive  à  l'égard  de  la  variole.  La  vaccine  et  la  variole  sont 
deux  maladies  analogues,  mais  néanmoins  essentiellement  difîérentes. 
La  vaccine  est  une  maladie  bénigne,  et  le  médecin  sait  parfaitement 
qu'en  l'inoculant  aux  enfants  il  ne  court  point  le  danger  de  provoquer 
la  mort.  La  variole,  au  contraire,  est  une  maladie  souvent  mortelle, 
et  si  à  une  certaine  époque  on  a  essayé  de  l'inoculer  d'une  façon  pré- 
ventive, on  y  a  promptement  renoncé,  parce  qu'on  a  reconnu  qu'on  ne 
pouvait  jamais  être  sûr  d'avoir  un  virus  assez  bénin  pour  n'avoir  pas 
à  redouter  une  marche  funeste  de  la  maladie  inoculée. 

Le  virus  atténué  du  charbon  que  l'on  préconise  aujourd'hni  pourrait 
bien  être  dans  les  mêmes  conditions,  car  il  dérive  du  virus  charbon- 
neux lui-même,  et  il  est  à  craindre  que,  suivant  les  prédispositioas 
individuelles  qu'il  est  impossible  de  discerner  à  l'avance»  il  soit  quel- 
quefois inoculé  sans  danger,  et  d'autres  fois  le  point  de  départ  d'une 
afTection  mortelle. 


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AVIS 


Le  Mémoire  qui  suit,  par  M.  Bruahes,  a  été  communiqué  à  rAcadémie 
dans  Tannée  1878- 1B79.  On  annonça  alors  qu*il  serait  imprimé  plus  tard 
ivoir  le  procès-verbal  de  la  séance  du  31  juillet  1879,  8o  série,  tome  1, 
2(ne  semestre,  p.  376.)  Cette  annonce  est  réalisée  dans  les  feuilles  suivan- 
tes, qui  ont,  pour  cette  raison,  une  pagination  particulière. 


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BECHERCHES  SDR  L^  FILTRATION. 


RECHERCHES   EXPERIMENTALES 


PASSAGE  DES  LIQUIDES  A  TRAVERS  LES  SUBSTANCES  PERMÉABLES 
ET  LES  COUCHES  FILTRANTES 

Par  M.  Julien  BRUNHES(*) 


INTRODUCTION 

RÉSUMÉ  DES  PRINCIPALES  RECHERCHES  ANTÉRIEURES 

Les  conditions  suivant  lesquelles  Peau  et  les  liquides  en 
général  passent  à  travers  les  vases  poreux  et  les  couches  fil- 
trantes ont  été  de  notre  temps  l'objet  de  nombreux  travaux. 
Les  uns  sont  destinés  à  combler  quelques-unes  des  lacunes 
qu'on  rencontre  dans  l'élude  de  l'hydraulique;  les  autres  ont 
surtout  été  entrepris  pour  préparer  la  solution  des  questions 
si  délicates  que  présente  la  physiologie  animale  et  végétale. 
Le  service  des  eaux  d'alimentation  des  villes  a  pris  une  im- 
portance toute  nouvelle.  On  a  eu  souvent  recours,  pour  obte- 
nir des  eaux  potables,  à  divers  modes  de  fiUration;  des  ingé- 
nieurs éminents  ont  conçu  et  dirigé  des  œuvres  de  ce  genre, 
et  en  ont  exposé  les  résultats  dans  des  mémoires  d'un  grand 
intérêt. 

J'ai  tâché  de  mettre  à  profit  les  matériaux  divers  que  j'ai 


(*)  Mémoire  la  dans  les  séaDces  da  31  mai  et  du  31  jaillet  1879. 
8e  SÉRIE.   —  TOMB  III,    1. 


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3  MÉMOIRES 

pu  rassembler,  et  sans  avoir  traité  le  sujet  aussi  complètement 
que  je  l'aurais  voulu,  j'ai  pu  ajouter  quelque  chose  aux  résul- 
tats antérieurement  acquis. 

1.  J'ai  pris  pour  point  de  départ  de  mes  travaux  le  beau 
Mémoire  du  D'  Poiseuille  sur  l'écoulement  des  liquides  dans 
les  tubes  capillaires  C)  et  le  rapport  sur  ce  mémoire  fait  à 
l'Académie  par  Reghault  le  26  décembre  1842,  au  nom  d'une 
commission  dont  faisaient  aussi  partie  Arago,  Babinet  et  Pio- 
bert  (**).  L'éminent  physicien  résume  avec  précision  les  tra- 
vaux antérieurs,  cite  les  expériences  de  Dubuar,  de  Gerstner 
et  de  Girard,  et  expose  ensuite  les  conditions  nouvelles  dans 
lesquelles  s'est  placé  Poiseuille. 

2.  Dans  ces  recherches,  un  volume  déterminé  d'eau  s'échap- 
pait sous  une  pression  sensiblement  constante  pendant  la 
durée  de  chaque  expérience  par  un  tube  capillaire  horizontal 
noyé  lui-même  dans  un  vase  rempli  d'eau  à  une  température 
connue.  On  déterminait  le  temps  nécessaire  à  l'écoulement 
d'une  même  quantité  de  liquide  en  fusant  varier  successive- 
ment la  pression,  la  longueur,  le  diamètre  du  tube,  et  enfin  la 
température. 

Les  nombreuses  expériences  de  Poiseuille,  complétées  par  la 
commission  nommée  par  l'Académie,  ont  conduit  aux  résultats 
qui  sont  résumés  par  la  formule  : 

HD* 

Q  =  Ko(l  4-  ai  +  P^)-L- 

dans  laquelle  Q  représente  la  dépense  d'eau  par  seconde,  éva- 
luée en  milligrammes,  à  travers  un  tube  de  diamètre  D,  de 
longueur  L,  et  sous  une  pression  H;  Kq  est  une  constante  dé- 
terminée à  la  t"  de  0®;  a  et  ^  sont  les  coefficients  de  la  fonc- 
tion (1  +at  +  pt*),  qui  représente  les  variations  de  la 
dépense  quand  la  température  varie. 

(*)  Mémoires  présentés  à  PAcadémie  par  difers  safants  étrangers,  t.  IX  (1846), 
pp.  433-543. 

(**)  Annales  de  physique  et  de  chimie,  t.  VIÏ,  3«*  série  ^1843),  pp.  50-71,  et  Comptes 
rendus  de  VAeadimie  des  sciences,  séance  du  36  décembre  1843. 


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RECHERCHES   SDR    Lk   FILTRÀTION.  3 

Toutefois,  les  lois  précédentes  ne  sont  vraies  que  dans  cer- 
taines limites  ;  il  faut  que  les  tubes  soient  assez  longs  et  les 
diamètres  très-petits. 

Puisque  la  quantité  du  liquide  écoulé  peut  être  exprimée  en 
fonction  de  la  section  du  tube  capillaire  et  de  la  vitesse  V  avec 
laquelle  ce  liquide  le  traverse,  on  a  encore  l'expression  : 


0  =  ^^,5!.  v  =  KÎf 

4  L 


d'où  V  =  *l^.Dï 

dans  laquelle  le  coefficient  K  correspondant  à  la  température 
de  t^  varie  de  telle  soi  le  qu'on  a  : 

K  =  Ko(l  +  oLt  +  ?,fi). 

La  formule  qui  donne  la  vitesse,  comme  le  fait  remarquer 
Regnault,  ne  diffère  pas  beaucoup  de  la  suivante  : 


qu'avait  adoptée  Girard  C)  et  que  Navier  (*^)  avait  établie 
en  supposant  que  les  vitesses  des  molécules  liquides  vont  en 
décroissant  de  l'axe  à  la  paroi.  Ici  la  vitesse  moyenne  V  au 
lieu  d'être  proportionnelle  au  diamètre,  est  proportionnelle  au 
carré  du  diamètre. 

3,  Dans  les  recherches  théoriques  sur  l'hydraulique  posté- 
rieures aux  expériences  de  Poiseuille  et  de  Regnault,  on  a 
cherché  à  rendre  compte  des  lois  que  nous  venons  d'énoncer. 

En  1845,  Stokes,  complétant  sur  certains  points  les  recher- 


(*)  Mémoires  de  i'Instilal,  I.  XIV  (1813,  18U,  1815). 
(**)  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences,  t.  VI  (1833). 


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4  MEMOIRES 

ches  de  Poisson  (*),  étudie  le  frollemenl  interne  des  fluides  en 
mouvement  (**). 

4.  Plus  tard,  Hagenbach  étudie  les  conditions  du  frotte- 
ment de  deux  tranches  liquides  Tune  sur  l'autre  (***)  quand 
le  liquide  mouille  les  parois.  En  supposant,  comme  Pavait  fait 
Newton,  le  frottement  proportionnel  à  la  vitesse  relative  des 
deux  tranches  consécutives,  il  arrive  à  une  formule  qui  est 
d'accord  avec  celle  de  Poiseuille,  dans  le  cas  des  tubes  longs 
et  étroits;  il  y  voit  une  justification  des  hypothèses  qu'il  a 
faites.  Le  frottement  entre  deux  tranches  liquides  est  donc 
indépendant  de  la  pression,  proportionnel  à  l'aire  de  la  surface 
frottante,  proportionnel  à  la  vitesse  relative  des  deux  tranches 
et  proportionnel  à  la  viscosité.  Il  désigne  ainsi  le  frottement 
interne,  c'est-à-dire  la  force  qui  est  nécessaire  pour  faire 
«  glisser  une  tranche  liquide  de  l'épaisseur  d'une  molécule  et 
«  d'une  unité  de  surface  sur  une  autre  tranche,  avec  une 
«  vitesse  uniforme  telle  qu'elle  avance  dans  une  seconde  de  la 
ce  distance  de  deux  molécules.  » 

Dans  le  cas  où  les  tuyaux  étroits  sont  en  même  temps  assez 
courts,  la  formule  générale  reprend  la  forme  de  celle  de  Tor- 
ricelli  avec  un  coefficient  un  peu  différent  du  coefficient  ordi- 
naire de  contraction;  mais  les  expériences  qu'il  fait  à  ce  sujet 
ne  lui  fournissent  pas  une  vérification  très-satisfaisante,  ce 
qu'il  attribue  à  une  nouvelle  résistance  qu'il  a  négligée  jusque- 
là,  qui  résulte  des  mouvements  latéraux,  des  tourbillons,  des 
vibrations,  et  qu'il  appelle  résistance  d'ébranlement.  En  intro- 
duisant dans  sa  formule  un  terme  qui  représente  le  travail  dû 
à  cette  résistance,  qu'il  suppose  proportionnelle  au  carré  de  la 
vitesse,  l'auteur  arrive  à  une  expression  complexe   qui  lui 


(*)  Mémoire  sur  les  équalions  générales  do  Téquilibre  et  du  moatemeui  des  corps 
solides  élastiques  et  do^  fluides,  lu  à  rAcadémie,  le  12  octobre  1829,  par  Poisson 
{Journal  de  l'Ecole  polytechnique,  S0<  cahier,  t.  XI II). 

(**)  On  the  théories  ofthe  internai  ftietion  of  fluide  in  motion^  and  ofthe  EquiUbrium 
and  motion  of  Elaetie  iolide...  By  6  Stokee  {Philotophical  Magazine,  fol.  XXIX  (1846), 
page  60. 

(*••)  Ueber  die  Hettimmunff  der  Zahigkeit  einer  Flastigkeit  durch  den  Autfluts  au$ 
Rohren  {Annales  de  Pojgendorff,  Band  GIX,  p.  385  (1860),  et  Bibliothèque  uniteî'sellê 
de  Genève,  t.  IX,  p.  281  (1860). 


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RECHERCHES  SUR   LA    FILTRATION.  5 

semble  jusUfiée  dans  le  cas  des  larges  tuyaux  par  les  expé- 
riences de  Darcy,  que  nous  rappellerons  plus  loin. 

5.  Meyer  (*)  (1861)  a  recours,  pour  étudier  le  frottement 
des  fluides,  à  la  méthode  de  Coulomb  (**),  qui  consiste  à 
faire  osciller  autour  d'un  axe  vertical  un  disque  horizontal 
noyé  dans  un  liquide,  mais  il  tient  compte  de  certaines  actions 
qui  avaient  été  négligées  par  Coulomb;  il  cherchée  déterminer 
la  constante  du  frottement  intérieur,  qui  n'est  autre  que  la  vis- 
cosité dont  nous  venons  de  parler;  il  emploie  pour  cela  une 
méthode  de  calcul  bien  plus  complexe  que  celle  qu'avait  suivie 
le  savant  physicien  français.  Il  en  a  tiré  des  conséquences 
qu'il  ne  vérifie  que  d'une  manière  approchée,  et  il  en  déduit 
sur  la  nature  du  frottement  interne  des  conclusions  qui  ne  dif- 
fèrent pas  notablement  de  celles  d'Hagenbach. 

6.  En  1862,  Stefan  (***)  reprend  la  théorie  générale  du  mouve- 
ment des  liquides  et  tient  compte  des  effets  dus  à  la  cohésion  et 
h  l'adhésion  en  employant  une  méthode  analytique  analogue 
à  celle  dont  s'est  servi  Cauchy  dans  l'étude  de  l'élasticité.  Il 
examine  ensuite  le  cas  où  des  tubes  sont  parcourus  par  des 
fluides,  de  telle  sorte  que  la  pression  est  égale  sur  tous  les 
points  d'une  section  transversale  quelconque  et  qu'elle  va  en 
diminuant  le  long  du  tube  suivant  une  fonction  linéaire. 

La  vitesse  décroît  de  l'axe  aux  parpis,  suivant  les  ordonnées 
d'une  parabole  dont  le  diamètre  coïncide  avec  l'axe  du  tube, 
de  sorte  que  toutes  les  particules  se  trouvant  sur  une  section 
droite  à  un  instant  donné  sont  distribuées  un  moment  après 
sur  la  surface  d'une  paraboloïde  de  révolution  qui  s'étire  gra- 
duellement comme  l'avait  déjà  trouvé  Hagenbach.  Il  résulte 
de  là  que  la  dépense  est  non-seulement  proportionnelle  à  la 
pression  et  en  raison  inverse  de  la  longueur  du  tube,  mais 

(*)  Ueher  die  Reibung  der  Flûttigkeiten  {Annales  de  Poggendarff,  Band  CXIII, 
pp.  55-193-383  (1861). 

(**)  Expériences  destinées  à  délerminer  la  cohérence  des  fluides  et  les  lois  de 
leur  résistance  d^ns  les  mouToments  très-lents,  par  Coulomb  {Mémoiree  de  Vlnstitut 
national,  p.  2i6,  prairial  an  IX). 

(***)  Ueher  die  Be%cegung  der  flattigen  Korper  {Berichte  der  Wiener  Akademie,  séances 
du  as  mai  et  du  20  novembre  1862,  et  Journal  de  Vlmiitut,  SO**  année,  p.  322,  et 
31  «  année,  p.  46. 


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b  MEMOIRES 

qu'elle  est  encore  proportionnelle  k  la  quatrième  puissance  du 
rayon  pour  les  liquides  qui  mouillent,  tandis  qu'elle  est  seule- 
ment proportionnelle  à  la  troisième  puissance  de  ce  rayon 
pour  les  liquides  qui  ne  mouillent  pas.  Poiseuille  avait  aussi 
établi  celte  loi  par  des  expériences  faites  en  remplissant  ses 
tubes  de  mercure,  mais  qui  n'avaient  pas  la  précision  de 
celles  qu'il  avait  exécutées  en  employant  l'eau  et  l'éther  (*). 

7.  Comme  on  le  voit,  les  hypothèses  introduites  dans  les 
calculs  permettent  toujours  de  rendre  compte  des  faits  obser- 
vés; mais  on  peut  généralement  y  parvenir  de  plusieurs  ma- 
nières. 

C'est  ainsi  que  M.  Mathieu  (**),  supposant  que  la  vitesse 
varie  suivant  les  ordonnées  d'une  demi-circonférence,  dont  le 
diamètre  est  égal  à  celui  du  tube,  arrive  encore  à  démontrer 
l'ensemble  des  lois  de  Poiseuille. 

M.  Boussinesq  (***)  obtient,  de  son  côté,  le  même  résultat 
en  reprenant  les  calculs  de  Navier,  mais  en  admettant  que  la 
vitesse  est  nulle  au  contact  des  parois;  il  retrouve  ainsi  la 
courbe  figurative  indiquée  par  Hagenbach  et  par  Stefan. 

Il  ne  serait  pas  difficile,  comme  le  fait  observer  très-judi- 
cieusement M.  Duclaux  (****)  dans  un  mémoire  que  nous  aurons 
souvent  à  citer,  d'imaginer  d'autres  hypothèses  pour  expli- 
quer les  faits  connus  ou  pour  justifier  d'autres  formules  empi- 
riques. Les  études  théoriques  que  je  viens  de  rappeler  n'ont 
fait  prévoir,  je  crois,  aucun  fait  nouveau  susceptible  d'une 
vérification  précise.  C'est  donc  surtout  à  l'expérience  qu'il 
nous  faut  avoir  recours.  Nous  allons,  en  entrant  dans  celte 
voie,  examiner  d'abord  les  travaux  qui  sont  venus  compléter 
les  premières  recherches  de  Poiseuille. 

8.  Cet  habile  expérimentateur,  qui  avait  annexé  à  son 
premier  Mémoire  une  étude  sur  l'écoulement  de  l'alcool  plus 


(*)  Rapport  de  liegoaalt,  déjà  cité  {AnnaUs  de  chimie  et  de  phyeique^  3«  série, 
t.  vu,  p.  73). 

{**)  Comptes  rendus  da  10  août  1863,  t.  LVII. 

(***)  Comptes  rendus  du  3  août  1808,  t.  LXVII. 

(*A**)  Recherches  sur  récoulemeni  des  liquides  à  Iraveri  les  espaces  capillairei 
{Annalet  de  chimie  et  de  phyiiquey  4«  série,  t.  XXV,  p.  442;  (1872). 


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RECHERCHES   SDR   Lk   FILTRATION.  7 

OU  moins  étendu  (*),  a  comparé  la  vitesse  d'écoulement  d'un 
grand  nombre  de  liquides  à  celle  de  Teau  à  lO""  sous  la  même 
charge  (**);  il  s'est  ainsi  départi  de  la  règle  qu'il  avait  lui- 
même  posée  en  étudiant  l'influence  de  la  température  sur  le 
débit,  et  qui  consiste  à  évaluer  la  charge  qui  produit  l'écoule- 
ment d'un  liquide  à  l'aide  d'une  colonne  de  fluide  de  même 
densité.  Les  résultats  ainsi  obtenus,  comme  l'a  remarqué 
M.  Duclaux,  ne  sont  pas  comparables  entre  eux  (***). 

9.  M.  Thomas  Graham  (****),  en  poursuivant  en  1865  une 
élude  distincte  de  celle  qui  nous  occupe,  s'est  servi  d'un  en- 
dosmomëtre  qui,  comme  tous  les  récipients  de  ce  genre,  se 
prête  très-bien  à  nos  recherches,  et  nous  indiquerons  un  peu 
plus  loin  un  petit  appareil  qui  présente  des  dispositions  ana- 
logues. 

Quelques  années  après  (1861),  le  savant  physicien  anglais  a 
étudié  l'écoulement  forcé  (transpiration)  des  liquides  par  des 
ajutages  capillaires  (*****)  en  cherchant  des  relations  entre  la 
rapidité  avec  laquelle  les  liquides  se  meuvent  dans  les  tubes 
étroits  et  leur  constitution  chimique  ou  moléculaire.  Il  a ,  de 
plus,  examiné  l'influence  de  la  température  sur  le  passage  de 
l'eau  et  de  l'alcool,  et  a  réuni  ses  observations  dans  des  tableaux 
sur  lesquels  nous  reviendrons  (******). 

10.  Le  docteur  Antonio  Roiti  (♦**♦•♦*)  a  vérifié,  en  1870,  les 
deux  premières  lois  de  Poiseuille  dans  des  conditions  nouvelles. 

(*)  Ëcoulemenl  de  Talcool  uni  à  direrseï  proportions  d^eau  distillée,  considéré  dans 
des  tubes  de  très-petit  diamètre,  par  Poiseaille  (Mémoires  de*  tatantt  itrangere,  t.  IX, 
p.  537). 

(**)  Recherches  expérimentales  sur  le  mouTement  des  liquides  de  nature  difTérente 
dans  les  tubes  de  très-petit  diamètre  {Atmalee  de  chimie  et  dephytique,  3«  série,  t.  XXI, 
p.  76;  1847). 

(***)  Mémoire  de  M.  Duclaux,  déjà  cité,  p.  i66. 

('***)  Mémoire  sur  la  force  osmotique  (traduction  de  Ch.  Drion,  Annalei  de  chimie 
et  de  phyiique^  3*  série,  t.  XLV,  p.  5 }  1855). 

(*****)  De  récoulement  forcé  des  liquides  par  des  ajutages  capillaires,  relativement 
à  leur  composition  chimique,  par  M.  Thomas  Graham  {Philosophical  Transaction,  iS6i, 
et  traduction  de  M.  Albert  Thomas,  Annalei  de  physique  et  de  chimie,  4«  série,  t.  I, 
p.  429;  1864). 

(******)  Mémoire  déjà  cité,  p.  152. 

(*******)  Del  Movimento  dei  liquidi  nei  tuhi  cilindrici  ttvdi  teorico-sperimentali  {Nuoto 
Cimentou  —  Faeeieolo  di ottobre  1870. 


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8  MÉMOIRES 

Il  a  étudié  la  chute  d'une  coloane  d'eau  renfermée  dans  un  tube 
capillaire  disposé  verticalement.  Cette  colonne,  au-dessus  et 
au-dessous  de  laquelle  se  trouve  de  l'air,  se  déplace  sous  l'ac- 
tion de  son  poids;  mais  le  mouvement  en  est  ralenti  par  les 
actions  dues  aux  parois  et  à  la  viscosité  du  liquide  :  la  marche 
du  ménisque  inférieur  est  exactement  indiquée  par  un  tracé 
photographique.  Les  équations  de  l'hydraulique,  dans  lesquel- 
les il  a  introduit  l'hypothèse  particulière  que  les  molécules  ont 
toutes  des  mouvements  rectilignes,  le  conduisent  à  des  consé- 
quences confirmées  par  l'observation  pour  de  faibles  vitesses; 
mais  il  n'en  est  pas  ainsi  pour  des  vitesses  un  peu  considé- 
rables. L'auteur  fait  observer  qu'il  est  plus  plausible  de  sup- 
poser le  mouvement  rectiligne  dans  ses  expériences  que  dans 
celles  de  Poiseuille,  et  il  s'explique  ainsi  comment  il  a  pu  vé- 
rifier les  lois  relatives  à  la  pression  et  à  la  longueur  pour  des 
tubes  d'un  diamètre  de  4""H  ,  tandis  que  ceux  qu'avait  em- 
ployés le  physicien  français  ne  dépassent  pas  0""65. 

11.  M.  Duclaux(*),  en  abordant  en  1872  l'étude  d'un  grand 
nombre  de  problèmes  fort  délicats  de  physique  moléculaire , 
tels  que  les  phénomènes  d'absorption,  d'adhésion  ;  de  colora- 
tion et  de  teinture,  résume  d'abord  la  plupart  des  hypothèses 
émises  jusque-là  pour  expliquer  les  lois  de  Poiseuille  et  décrit 
les  nouvelles  expériences  qu'il  a  faites  pour  vérifier,  à  l'aide 
de  la  pipette  Salleron,  que  le  débit  est  proportionnel  à  la  pres- 
sion. Ici,  l'orifice  est  annulaire  et  très-court ,  mais  il  est  très- 
étroit,  et  cela  suffit  pour  que  l'écoulement  soit  linéaire. 

12  Peu  de  temps  après,  M.  Decharme  (**)  a  fait  connaître 
ses  longues  recherches  sur  la  Capillarité  dynamique  j  où  il 
étudie  l'ascension  spontanée  des  liquides  dans  les  tubes  trés- 
étroits,  ainsi  que  leur  mouvement  descendant,  lorsque  les  forces 
capillaires  et  leur  poids  agissent  dans  le  même  sens. 

Ces  phénomènes  sont  bien  distincts  de  ceux  qui  font  l'objet 
de  notre  travail  ;  mais  après  avoir  varié  les  conditions  dans 
lesquelles  ils  se  produisent  et  en  avoir  cherché  une  interpré- 

(*)  Mémoire  déjà  cité,  pp.  433  à  458. 

(**)  Annales  de  chimie  ei  de  physique,  i"  série,  t.  XXVIII,  p.  235  (1872),  et  Mimmrêt 
de  la  Société  académique  d'Angers,  t.  XXVUI,  p.  125  (1873),  et  t.  XXXII,  p.  1  (1875). 


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BBCHBRCHBS  SUR    LA   FILTRATION.  9 

talion  mathématique,  Fauteur  les  a  comparés  à  ceux  qu'on 
observe  quand  le  liquide  s'écoule  sous  l'action  de  pressions 
artificielles,  constantes  ou  variables. 

Il  a,  de  plus,  joint  à  son  Mémoire  une  série  d'observations 
intéressantes  sur  les  actions  qui  se  produisent  dans  les  corps 
poreux. 

13.  M.  Guéroull  (*^),  en  étudiant  à  son  tour  Técoulemenl  des 
lir|uides  dans  les  tubes  capillaires,  s'est  d'abord  proposé  de 
chercher  quel  est  le  mécanisme  de  ce  mouvement  et  de  quelle 
vitesse  sont  animés  les  différents  filets  liquides  plus  ou  moins 
éloignés  des  parois. 

M.  Guérouit  dispose  verticalement  les  tubes  capillaires  de 

manière  que  leurs  extrémités  soient  noyées  dans  le  liquide; 

la  dépense  est  alors  indépendante  de  la  longueur  de  la  colonne 

liquide  et  directement  proportionnelle  à  la  quatrième  puis- 

KHD^ 
sance  du  diamètre.  La  formule  de  Poiseuille  Q=  —s — ,  peut 

être  mise  alors  sous  la  forme  Q  =  mD*,  si  l'on  remarque  que 

H  KR 

le  rapport  y  est  ici  constant  et  si  l'on  écrit  -=—  =  m. 

M.  Guérouit  applique  ensuite  à  l'extrémité  du  tube  capil- 
laire, au  travers  duquel  se  fait  l'écoulement,  des  diaphragmes 
minces  en  ivoire  qui  ont  des  diamètres  différents ,  mais  tous 
plus  petits  que  celui  du  tube  lui-même. 

L'auteur  a  cru  pouvoir  conclure  de  son  travail  que  le  liquide 
se  meut  par  couches  concentriques,  avec  des  vitesses  d'autant 
plus  grandes  que  les  diamètres  sont  plus  petits  ;  mais,  pour 
expliquer  les  résultats  numériques  qu'il  a  obtenus,  ne  suffit-il 
pas  de  remarquer  que  toutes  les  fois  qu'il  y  a  de  grandes 
pertes  de  charge  dans  un  système  de  tuyaux,  le  débit,  qui  est 
fonction  de  la  charge  ainsi  modifiée,  tout  en  décroissant  avec 
la  section  de  l'orifice ,  ne  dépend  que  très-peu  de  sa  grandeur? 

Le  même  physicien  a  aussi  étudié  l'influence  de  la  tempé- 
rature sur  le  coefficient  d'écoulement  capillaire  de  l'eau  (**). 


(*)  Comptes  rendus  de  rAcadémie  des  tcioDces,  I.  LXXVIII,  p.  351  (1874). 
(**)  Comples  rendus,  t.  LXXIX(187i},  p.  1201. 


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40  MÊMOIRUS 

Nous  reviendrons  plus  tard  sur  ces  données  numériques,  que 
nous  rapprocherons  des  valeurs  fournies  par  d'aulres  expéri- 
mentateurs. 

Enfln,  M.  Guéroult,  reprenant  les  recherches  de  Poiseuille  et 
de  M.  Graham,  détermine  les  coefficients  d'écoulement  capillaire 
de  divers  composés  organiques  formant  des  séries  naturelles  (*). 

Mais  l'auteur  mesure  la  pression  par  des  colonnes  d'eau  à  4**, 
quel  que  soit  le  liquide  qui  s'écoule;  ce  qui  présente  un  incon- 
vénient que  nous  avons  déjà  signalé 

14.  Les  lois  de  Poiseuille  étant  ainsi  bien  établies  et  véri- 
fiées dans  des  circonstances  très- variées  et  par  des  proéédés 
différents,  sont-elles  applicables  au  passage  des  liquides  à  tra- 
vers les  vases  poreux  et  les  couches  filtrantes?  Telle  est  la 
question  que  je  me  suis  proposé  de  résoudre. 

J'avais  déjà  fait,  en  1869,  quelques  expériences  à  ce  sujet; 
mais  je  n'en  avais  pas  encore  publié  les  résultats  quand,  à  la 
suite  d'une  altération  des  eaux  qui  alimentent  la  ville  de  Tou- 
louse, l'administration  municipale  me  fit  l'honneur  de  me  nom- 
mer membre  d'une  Commission  chargée  d'étudier  les  causes 
et  les  remèdes  de  cette  perturbation.  Les  longues  délibérations 
qui  se  poursuivirent  pendant  une  année  et  que  j'ai  eu  à  résu- 
mer comme  secrétaire  de  la  Commission  (**)  appelèrent  mon 
attention  sur  les  conditions  de  la  filtration  naturelle  et  artifi- 
cielle et  je  me  proposai  dès  lors  de  lier  cette  question  à  la  pré- 
cédente. C'est  ce  que  je  fais  bien  tardivement  sans  doute,  après 
m'ôtre  plusieurs  fois  laissé  devancer;  mais  cette  étude  m'a 
pourtant  conduit  à  des  conclusions  nouvelles  et  m'a  permis 
de  vérifier  dans  des  limites  beaucoup  plus  étendues  les  lois 
énoncées  antérieurement. 

Il  y  a  sans  doute  entre  les  phénomènes  de  pénétration  des 
fluides  dans  les  corps  poreux  et  leurs  mouvements  dans  les 
tubes  étroits  des  analogies  manifestes  qui  peuvent  diriger 
l'expérimentateur  dans  ses  recherches;  mais  il  n'y  a  point 

• 

(*)  Comptai  rendus,  l.  LXXXI  (1875),  p.  1225,  el  l.  LXXXIII  (1876),  p.  129. 
(**)  Alimeotalion  d'eau  de  la  ville  de  Toulouse;  procès-verbaux  des  séances  de  ta 
commission  des  eaux,  publiés  par  Tadminislration  municipale.  Toulouse,  typographie 
Mélanie  Dupin,  1873. 


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RECflBRCHES   SUR   LA    FILTRATION.  11 

idenlilé  dans  les  coadilions.  Ainsi,  Graham  a  démontré  que  les 
gaz  passent  à  travers  une  plaque  poreuse  (diffusion)  en  sui- 
vant d'autres  lois  que  lorsqu'ils  circulent  dans  des  tubes  ca- 
pillaires (transpiration).  Nous  ne  rencontrerons  pas,  il  est  vrai, 
d'aussi  grandes  différences  dans  les  deux  ordres  de  faits  en 
opérant  sur  des  liquides.  Mais  l'étude  expérimentale  de  la  fil- 
tration  nous  fournira  cependant  certains  résultats  que  ne  fai- 
saient pas  prévoir  les  lois  de  Poiseuille. 

15.  Quelques  recherches  à  ce  sujet  ont  précédé  le  Mémoire 
de  cet  habile  expérimentateur,  et  elles  ont  été  suivies  de  plu- 
sieurs autres  qui  n'ont  avec  son  travail  aucun  lien  étroit. 

La  filtration  est  continuellement  employée  dans  les  manipu- 
lations chimiques  el  dans  certaines  opérations  industrielles. 
On  sait  que  l'écoulement  des  liquides  se  ralentit  quand  aug- 
mente l'épaisseur  du  dépôt  déjà  formé,  mais  que  la  vitesse  va 
croissant  avec  la  hauteur  delà  colonne  liquide  qui  pèse  sur  les 
filtres.  On  tient  compte  de  ces  observations  pour  diminuer  la 
lenteur  souvent  désespérante  avec  laquelle  s'effectue  par  cette 
voie  la  séparation  des  corps.  Pour  cela,  on  donne  aux  filtres 
une  surface  telle  que  l'épaisseur  du  dépôt  ne  soit  jamais  con-^ 
sidérable;  on  augmente,  de  plus,  la  charge  effective  sous  la- 
quelle le  liquide  passe  à  travers  le  filtre  en  faisant  un  vide 
partiel  au-dessous.  On  y  parvient  aisément  en  employant  un 
appareil  d'aspiration.  Cette  précaution  est  indispensable  quand 
on  a  recours  à  des  plaques  poreuses  ou  à  des  couches  de  plâ- 
tre pour  produire  la  filtration.  C'est  ainsi  qu'ont  opéré 
MM.  Pasteur  el  Joubert  dans  leurs  recherches  si  décisives  sur 
le  charbon  et  la  septicémie  pour  séparer  du  sang  la  bactéridie, 
qui  produit  l'affection  charbonneuse  (*). 

On  a  aussi  recours  à  la  filtration  pour  clarifier  les  eaux  des- 
tinées aux  usages  domestiques  et  à  certaines  opérations  indus- 
trielles, telles  que  la  fabrication  du  papier,  où  l'on  ne  peut  em- 
ployer que  des  eaux  débarrassées  de  tout  corps  en  suspension . 
On  a  utilisé  pour  cela  les  substances  les  moins  coûteuses  et  les 
plus  communes,  notamment  la  laine  tontisse  et  les  poils  des 

(*)  Comptes  rendus  de  l'Institut,  communicalion  Taile  te  30  avril  et  le  16  jaillet  1877. 


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1  2  MÉMOIRES 

animaux.  C'est  avec  des  graviers,  du  sable  6d,  des  éponges, 
du  charbon  en  fragments  que  sont  constitués  généralement 
les  Bitres  de  ménage  ;  mais  on  ne  s'en  est  pas  tenu  là,  et  on  a 
bientôt  organisé  de  grands  appareils  destinés  à  fournir  des 
eaux  limpides  à  tout  un  quartier,  à  toute  une  ville. 

La  filtration  en  grand  devenant  une  industrie,  on  s'est  évi- 
demment préoccupé  du  rendement  des  Filtres  ;  mais  il  ne 
se  dégage  rien  de  bien  net  des  règles  particulières,  des  pro- 
cédés usités  par  chaque  Compagnie  pour  installer,  charger  et 
netloyerles  fillrcs;  c'est  ce  qui  est  bien  constaté  par  les  der- 
niers travaux  qui  ont  précédé  cette  étude  (*).  Cela  tient,  à 
mon  avis,  à  deux  causes  principales  :  l'opération,  qui  a  pour 
but  d'obtenir  des  eaux  claires  avec  des  eaux  troubles,  donne 
avec  les  filtres  des  résultats  variables  avec  la  nature  et  la 
quantité  des  matières  en  suspension,  et,  en  second  lieu,  les 
couches  filtrantes  sont  formées  d'éléments  dont  la  grosseur  et 
la  qualité  sont  souvent  différentes.  Les  matériaux  les  plus  gros 
généralement  placés  à  la  base  des  couches  ne  servent  guère 
qu'à  soutenir  ceux  qui  sont  réellement  efâcaces,  de  sorte  que 
l'on  ne  peut  comparer  au  point  de  vue  du  rendement  les 
épaisseurs  de  ces  filtres. 

46.  La  filtration  s'accomplit  naturellement  lorsque  les 
eaux  pénètrent  dans  le  sol;  aussi  sont-elles  presque  toujours 
limpides  à  une  petite  profondeur,  quels  que  soient  les  troubles 
de  la  surface.  Telles  sont  les  eaux  de  source,  que  l'on  préfère 
aux  autres  eaux  pour  l'alimentation;  mais,  à  leur  défaut ,  on 
emploie  les  eaux  courantes,  que  l'on  a  le  soin  de  clarifier. 
Cette  opération  s'effectue  à  travers  les  couches  souvent  per- 
méables dans  lesquelles  le  cours  d'eau  a  creusé  son  lit ,  et  on 
peut  recueillir  les  eaux  rendues  ainsi  limpides  dans  des  gale- 
ries creusées  en  contre-bas.  On  dit  alors  que  la  filtration  est 
naturelle  pour  distinguer  ce  mode  d'épuration  de  ceux  que 
nous  avons  déjà  indiqués.  A  d'Aubuisson  revient  l'honneur 
d'avoir  employé  le  premier  les  filtres  naturels" pour  doter  la 

(*)  Traité  de  chimie  technologique  et  indmêtrielle  de  Kntpp,  tradoclion  de  Mérijot  et 
Dfibèse  (Parît,  1872V  pp.  <18  à  89,  et  Recherches  expérimentmles  twr  îm  fUraUon,  par 
Paul  Ha^reirUége,  1874). 


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RECHBaCHES  SUR    LA    FILTRATION.  13 

ville  de  Toulouse  d^eaux  excellentes  et  parfaitement  aména- 
gées. L'histoire  de  l'établissement  des  fontaines  de  Toulouse  (*), 
écrite  par  cet  ingénieur  éminent ,  fait  connaître  les  tâtonne- 
ments, les  essais  nombreux  et  les  dispositions  définitivement 
adoptées  pour  obtenir,  par  la  filtration  naturelle,  les  eaux 
limpides  nécessaires  à  l'alimentation  de  sa  ville  natale.  Elle 
sera  toujours  lue  avec  un  vif  intérêt  par  tous  ceux  qui  s'oc- 
cupent du  service  des  eaux.  L'idée  de  d'Aubuisson  a  été  fé- 
conde et  a  été  bien  des  fois  appliquée.  La  ville  de  Toulouse  a 
eu  recours  au  même  moyen  pour  augmenter  ses  ressources, 
que  l'accroissement  de  sa  population  rendait  insuffisantes. 
Guibal  a  établi,  en  1860,  de  nouvelles  galeries  filtrantes 
plus  étendues  dans  le  lieu  même  où  d'Aubuisson  avait  installé 
ses  premiers  filtres.  M.  Filhol  fit  prolonger  ces  galeries  en 
amont,  dans  l'Ilot  Vivent,  pendant  son  administration  munici- 
pale en  1869.  Peu  de  temps  après,  en  1872,  sous  l'adminis- 
tration de  M.  Ehelot,  M.  Roux,  ingénieur  de  la  ville,  a  fait 
creuser  dans  les  amas  de  gravier  déposés  par  le  fleuve  près 
du  village  de  Portet,  à  huit  kilomètres  au-dessus  de  Toulouse, 
d'autres  galeries  qui  donnent  d'excellentes  eaux.  Les  villes  de 
Béziers,  de  Carcassonne,  d'Agen,  d'Angers,  de  Lyon  et  bien 
d'autres  encore  ont  eu  recours  au  môme  procédé.  Les  règles 
ù  suivre  se  sont  peu  à  peu  dégagées  de  ces  nombreuses  expé- 
.  riences ,  et  les  progrès  accomplis  dans  cette  voie  jusqu'en 
1860  ont  été  exposés  par  M.  Aristide  Dumont,  dans  son  bel 
ouvrage  :  les  Eaxiœ  de  Lyon  et  de  Paris  (**). 

17.  Génieys  a  posé  nettement  les  problèmes  qui  se  ratta- 
chent à  la  filtration  (***) ,  après  avoir  décrit  les  principaux 
filtres  employés  et  l'installation  des  établissements  de  filtration 
de  Paris;  mais  il  n'a  pas  poussé  bien  loin  ses  essais,  qui 
étaient^  du  reste,  faits  dans  des  conditions  trop  complexes. 


(*)  Hittoirt  de  Vétahlistêm$nt  det  fontainei  à  Toulouse j  par  £1.  cTAabaisson  de  Vot- 
sim,  publiée  dans  les  Mémoires  de  P Académie  des  sciences,  imcriptions  ei  heUes'leitres  de 
Toulouse,  t.  Il,  pp.  159  è  400. 

(**)  Lm  Eaux  de  Lyon  et  de  Paris.  »  Paris,  1862;  Duood,  éditear. 

(***)  Mémoire  ioédil  de  feu  Génieys ,  ingéniear  en  chef  des  ponts  ei  chaussées 
{Annales  des  ponts  et  chaussées,  U'  trimestre  1835,  pp.  56  à  76. 


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1  i  MÉMOIRES 

Nous  avons  cru,  loulefois,  devoir  les  rappeler,  car  H.  Darcy 
en  a  certainement  tenu  compte  en  instituant  ses  expériences. 

1 8.  Henry  Darcy,  qui  a  assuré,  en  1 855,  à  la  ville  de  Dijon  un 
service  d'eau  qui  ne  le  cède  en  abondance  qu'à  celui  de  Rome, 
s'est  servi  pour  étudier  la  filtration  d'une  portion  de  conduite 
de  fonte  de  3»50  de  longueur,  qui  était  dressée  verticalement 
et  fermée  à  ses  deux  extrémités  par  deux  plaques  boulonnées. 
La  colonne  filtrante,  formée  par  du  sable  de  Saône  f  ),  reposait 
sur  deux  grilles  à  barreaux  croisés ,  recouvertes  d'une  toile 
métallique;  cette  colonne  était  interposée  entre  deux  chambres 
pourvues  l'une  et  l'autre  d'appareils  manométriques.  La  cham- 
bre supérieure  communiquait  par  un  tuyau  avec  la  conduite 
principale  qui  amenait  l'eau  à  l'hôpital  de  Dijon,  où  l'appareil 
était  installé,  tandis  que  le  liquide  de  la  chambre  inférieure 
s'écoulait  au  dehors,  par  un  robinet,  dans  un  bassin  de  jau- 
geage. La  charge  sous  laquelle  se  produisait  le  passage  de 
l'eau  à  travers  la  colonne  de  sable  se  déduisait  des  indications 
fournies  simultanément  par  les  deux  manomètres. 

Dans  ces  expériences,  la  colonne  de  sable  n'était  pas  homo- 
gène, c'est-à-dire  formée  de  grains  ayant  sensiblement  la 
même  grosseur;  tantôt  ce  sable  était  lavé,  tantôt  il  ne  l'était 
pas;  les  dispositions  prises  pour  enlever  la  couche  gazeuse 
adhérente  aux  différents  grains  étaient  insuffisantes;  la  pres- 
sion n'était  pas  constante,  par  suite  surtout  des  coups  de  béliers  . 
résultant  de  la  brusque  fermeture  de  certains  branchements 
dans  le  voisinage  de  l'appareil.  Enfin,  Darcy  ne  donne  aucune 
indication  thermométrique,  et  l'on  sait  quelle  est  l'influence 
considérable  qu'exercent  sur  le  débit  les  variations  de  tempé- 
rature. Dans  ces  conditions,  les  recherches  du  savant  ingé- 
nieur de  Dijon  ne  pouvaient  présenter  une  grande  précision. 
Les  pressions  ont  été  mesurées  par  des  colonnes  d'eau  dont 
la  hauteur  est  restée  comprise  entre  1°H  et  13"93.  Les  rap- 
ports du  débit  à  la  charge  ont  varié ,  dans  la  même  série 
d'expériences,  de  plus  de  un  sixième  de  leur  valeur  moyenne. 
Les  nombres  qui  expriment  les  relations  entre  le  débit  et 

(*)  Les  Fontainet  publiques  de  Dijon,  par  Darcy.  —  Paris,  1862;  Dunod,  éditeur. 


I 


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RECHERCHES  SUR    LÀ   FILTRATION.  15 

l'épaisseur  de  la  couche  filtrante  présentent  entre  eux  des 
écarts  bien  plus  considérables  encore.  Aussi ,  Darcy  formule- 
t-il  ses  conclusions  avec  une  réserve  qu'on  n'a  pas  souvent 
rappelée  : 

«  Il  parait  donc  que,  pour  un  sable  de  même  nature,  on 
((  peut  admettre  que  le  volume  débité  est  proportionnel  à  la 
«  charge  et  en  raison  inverse  de  l'épaisseur  de  la  couche  Ira- 
<  versée.  » 

Le  collaborateur  de  M.  Darcy,  M.  Charles  Ritter,  a  obtenu, 
il  est  vrai,  des  résultats  plus  satisfaisants  en  faisant  diminuer 
les  pressions  dans  chaque  série  d'expériences,  au  lieu  d'em- 
ployer des  pressions  croissantes,  qui  peuvent  amener  le  tas- 
sement des  couches;  le  rapport  du  débit  à  la  charge,  qui 
doit  être  constant  d'après  la  loi,  ne  varie  plus  que  de  un 
quinzième  de  sa  valeur  moyenne;  mais  il  n'y  a  aucune  véri- 
fication nouvelle  de  la  loi  des  épaisseurs,  qui  est  la  plus 
difficile  à  démontrer. 

19.  Peu  de  temps  après  (1857),  Dupuit,  prenant  pour 
point  de  départ  la  formule  établie  par  Prony  pour  exprimer 
la  vitesse  de  l'écoulement  de  l'eau  dans  un  canal  régulier, 
en  déduisait  les  deux  lois  de  Darcy  (*).  Dans  la  formule 

M  =  au  -+-  bv!^ , 

R  est  le  rapport  de  la  section  mouillée  au  périmètre,  1  la 
pente  ou  le  sinus  de  l'angle  du  fond  du  canal  avec  l'horizon, 
u  la  vitesse  moyenne,  a  et  6  des  coefficients  déterminés  expé- 
rimentalement (**). 
Dupuit  la  met  sous  la  forme  : 

\  h 

I  =  ^au  (1  +  -  w) 

{*)  Comptes  rendus  de  l^losiitai,  t.  XLV,  pp.  92  à  95.  —  Élude  théorique  et  prattque  sur 
le  mouvement  det  eaux,  i"  édit.,  et  Traité  théorique  et  pratique  de  la  conduite  et  de  la  dtt- 
tribulion  dee  eaux,  2«  édit.  —  Paris,  Dunod,  1865. 

^**)  Prony  afait  adopté  pour  ces  coefficients  les  taieurs     J     i,  ~  ft'nAAono'  * 

«  ,  ,     .  ...  ,  (  a  =  0,000024 

Eytelwein  prenait  les  f .leurs  |  ^  ^  ^^^^  . 


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4  6  MÉMOIRES 

Or,  le  terme  -  u  est  négligeable,  quels  que  soient  les  coef- 

ficients  qu'on  adopte,  quand  u  est  très-petit,  inférieur,  par 
exemple,  à  0"001  par  seconde. 
La  formule  se  réduit  alors  à  : 


I  =  ■«•  tt       ou     I  =  JaU, 
en  posant:  ^=|ji.. 

Mais  le  coefficient  unique  déterminé  par  Texpériencea  une 
valeur  variable  avec  le  terrain  et  tout  à  fait  différente  des 
valeurs  de  a  et  de  6  qui  entrent  dans  la  formule  des  eaux 
courantes. 

L'auteur  arrive  au  même  résultat  en  négligeant  le  terme 
proportionnel  au  carré  de  la  vitesse  dans  la  formule  qui  donne 
la  vitesse  dans  les  tuyaux. 

-jDI  =  aw  +  pti«. 

Peut-ou  appliquer  des  formules  empiriques,  comme  celles 
de  Prony,  sur  Técoulement  de  Teau  dans  les  tuyaux  et  dans 
les  canaux ,  quand  les  conditions  sont  si  éloignées  de  celles 
qui  ont  servi  à  les  établir?  Dupuit  Ta  fait,  comme  nous  ve- 
nons de  le  voir.  Mais,  malgré  l'autorité  qui  s'attache  aux  tra- 
vaux du  savant  ingénieur,  les  considérations  qu'il  développe 
à  ce  sujet  ne  peuvent  pas  être  admises  comme  une  démons- 
tration. Il  cherche  à  tirer  une  conséquence  particulière  des 
formules  de  Prony,  quand  il  en  avait  déjà  signalé  lui-même 
l'incertitude  (*)  et  quand  Darcy,  par  ses  expériences  sur  le 
mouvement  de  l'eau  dans  les  tuyaux,  en  avait,  en  1854, 
démontré  l'insuffisance  (**). 

(*)  ÈtwUê  théoriquêê  0I  froHquêt  tur  U  mouvem$nt  det  eaux  eowrtmtei  (1848),  pp.  51 
et  inif  tDtet. 
(**)  Rapport  (la  géuéral  Morin  (Comptes  reodaa,  1854)  et  Rechetxhês  expérimen^ 


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RECHER6HBS   SUR    LÀ    FILTRÀTION.  47 

Plus  tard,  de  nouvelles  recherches  sur  l'écoulement  de  l'eau 
dans  les  canaux  ont  été  entreprises  par  Darcy  et  continuées 
par  M.  Bazin  (*),  qui,  renonçant  à  la  formule  binôme,  a  adopté 
définitivement  une  expression  analogue  à  celle  qu'avait  déjà 
employée  Darcy  pour  les  tuyaux  : 


RI 


={'^i> 


dans  laquelle  les  coefficients  a  et  ^  varient  avec  la  nature  des 
parois. 

Dupuit  aurait  pu  appuyer  avec  plus  d'à-propos  la  formule 
%  =  ^u  sur  les  expériences  que  Darcy  avait  faites  avec  des 
tuyaux  étroits  (**).  Cet  habile  hydraulicien  avait,  en  effet, 
constaté  que  pour  des  tuyaux  d'un  rayon  inférieur  à  0"03 

on  a  le  rapport  -rr  =  <^ 

a  étant  constant  pour  chaque  tuyau,  quand  R  est  constant  et 
la  pente  I  variable,  pourvu  que  la  vitesse  ne  dépasse  pas 
0"H7  par  seconde;  mais  pour  toute  vitesse  supérieure  à  cette 
valeur,  le  rapport  augmente  rapidement  (***). 


talêM  relatives  au  mouvement  de  l'eau  dans  les  tuyciux,  par  Darcy,  inapectear  général 
dea  pontf  et  chaaasées  (Mémoirea  dea  safanta  étrangers  à  rAcadémie,  t.  XV  (1858), 
pp.  Iilài03. 

(*)  Recherches  expérimentales  sur  l'écoulement  de  Veau  dans  les  canaux  découverts^  par 
Bazin  {Mémoire  des  savants  étrangers,  t.  XIX  (t865),  pp.  10, 13,  125, 130). 

{**)  Recherches  expérimentales  sur  le  mouvement  de  l'eau  dans  les  tuyaux,  par  Darcy 
(Mémoire  déjà  cité,  pp.  215  et  350). 

(***)  M.  Baiin,  en  continnani  l'œufre  de  Darcy,  a  bien  reconnu,  plos  tard,  dans  lea 

Recherches  expérimentales  «ur  le  mouvement  de  l'eau  dans  les  canaux  découverts  (Mémoire 

déjà  cité,  pp.  19  et  SO  et  103  à  109),  que,  dans  le  cas  d'un  canal  dont  le  rayon  moyen 

BI 
eat  au-dessous  de  la  limite  (0<n,03),  l'expérience  conduit  à  la  relation  ^  =  p.  Maisp 

est  une  constante  dont  la  f  aleur  augmente  atec  la  pente  I,  de  sorte  que,  pour  une 
même  pente,  la  Titesse  est  proportionnelle  au  rayon  moyen.  Cette  dernière  formule  n*a 
donc  pas  été  obtenue  dans  les  mêmes  conditions  expérimentales  que  celles  des  tuyaux 
étroits,  et  Tanalogie,  dans  les  deux  ordres  de  phénomènes,  n'est  pas  aussi  complète 
qu'elle  le  paraît  tout  d'abord. 

86   SÉRIE.   —  TOMB  UI,    1.  b 


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48  MÉMOIRES 

Toutefois,  celle  nouvelle  formule  empirique  ne  pourrait,  pas 
plus  que  les  précédenles,  èlre  appliquée  direclement  à  la  filtra- 
lion.  Ainsi,  non-seulement  les  recherches  de  Dubuat,  de  Prony 
et  d'Eytelwein,  mais  encore  celles  de  Darcy  et  de  M.  Bazin, 
que  nous  venons  de  résumer,  ne  justifient  pas  l'emploi  de  la 
formule  de  Dupuit  I  =  (jlu,  mais  celle-ci  peut  être  identifiée 
avec  celle  qu'avait  adoptée  Darcy  : 

dans  laquelle  Q  est  le  produit  par  mètre  carré  d'une  couche 
filtrante  pendant  l'unité  de  temps,  qui  est  évidemment  pro- 
portionnel à  ti^  H  représente  la  charge,  E  l'épaisseur  de  la 
couche  et  K  est  un  coefficient  variable  avec  la  nature  de  la 

couche.  Or  -^  est  égal  à  I ,  qui  représente  l'inclinaison  de  la 

couche,  alors  K  et  |ii  sont  deux  coefficients  déterminés  empi- 
riquement qui  ont  entre  eux  une  relation  simple. 

Dupuit  considère  dès  lors  sa  formule  comme  démontrée 
par  les  expériences  de  Darcy,  et  il  l'applique  d'une  manière 
très-heureuse  à  la  solution  d'un  grand  nombre  de  problèmes, 
tels  que  la  détermination  de  la  surface  de  niveau,  du  débit 
d'un  courant  d*eau  à  travers  un  terrain  perilléable,  du  débit 
et  de  la  pression  dans  des  filtres  de  formes  diverses. 

20.  J.  Guibal,  ingénieur  de  la  ville  de  Toulouse,  connais- 
sait les  travaux  de  Darcy,  quand  il  établit  dans  la  prairie  voi- 
sine du  cours  Dillon  les  nouvelles  galeries  filtrantes  dont  nous 
avons  parlé.  [I6J  II  fit,  à  cette  occasion,  de  nouvelles  expérien- 
ces, tt  tant  pour  vérifier  la  proportionnalité  des  volumes  et  des 
«  charges  que  les  principes  généraux  relatifs  à  Tinfluence  des 
«  longueurs  des  galeries.  »  (*) 

Il  a  cherché  un  peu  plus  tard  à  déterminer  le  rendement 


(*)  Note  gar  Técoalemeot  de  Teau  à  trafers  les  lerraîiu  fiUraoU,  loe  à  F  Académie 
des  fciences  de  Toulouse  le  34  mai  1859  (Mémoires  de  celle  Académie,  5<>  série,  l.  V 
p.  1S8;  1860). 


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RECHERCHES   SUR    LA   FILTRÀTION.  49 

des  filtres  {*)\  mais  il  n'a  pas  tenu  compte  de  Pinfluence  de 
la  température,  et  les  résultats,  tout  en  se  rapprochant  de  ceux 
que  permettent  de  prévoir  les  lois  de  Darcy,  n'en  fournissent 
pas  une  vérification  précise. 

21.  En  1860,  M.  Thomas  Tate  a  publié  ses  Recherches 
expérimentales  sur  les  lois  de  Vabsorption  des  liquides  par  les 
substances  poreuses  {**).  Le  savant  physicien  anglais  étudie 
d'abord  les  phénomènes  de  l'absorption  des  liquides  par  les 
corps  poreux,  et  montre  qu'ils  sont  réglés  par  des  lois  distinc- 
tes de  celles,  qui  régissent  l'ascension  des  liquides  dans  les 
tubes  capillaires.  L'auteur  examine  ensuite  les  phénomènes 
de  la  âltration,  et  il  estime  qu'ils  sont  produits  par  deux  for- 
ces :  l'absorption  et  la  pression.  Il  divise  les  substances  fil- 
trantes en  deux  classes  :  l*»  les  corps  filtrants  très- poreux  et 
qui  ne  changent  que  peu  ou  point  pendant  la  durée  de  la  fil* 
tralion,  et  2o  les  corps  à  pores  serrés,  dont  les  propriétés  se 
modifient  pendant  le  passage  des  liquides.  Il  se  sert  dans  ses 
expériences  d'un  tube  cylindrique  gradué,  qu'il  désigne  sous  le 
nom  de  filtromètre,  à  l'extrémité  duquel  il  fixe  les  substances 
poreuses  entre  deux  disques  d'ardoise.  Ceux-ci  présentent  en 
leur  centre  des  ouvertures  circulaires  de  même  diamètre  que 
le  tube,  et  le  filtre  est  mastiqué  entre  les  deux  plaques  de 
manière  que  toute  décharge  latérale  soit  impossible. 

Le  savant  physicien  emploie  le  charbon  de  bois,  le  coke, 
des  étoffes  de  laine  très-épaisses,  des  éponges  très-serrées; 
il  reconnaît  que  la  vitesse  de  l'écoulement  est  proportionnelle 
à  la  charge;  c'est  la  première  loi  formulée  par  Darcy  ;  mais 
cette  loi  ne  parait  pas  s'appliquer  avec  la  même  exactitude  au 
passage  de  l'eau  à  travers  les  deux  dernières  substances  sous 
de  très-faibles  pressions. 

D'après  M.  Taie,  la  filtration  à  travers  le  papier  sans  colle 
s'effectuait  dans  certains  cas  suivant  une  loi  notablement  dif- 
férente de  celle  qui  précède  ;  mais  l'auteur  cite  lui-même  des 

(*)  Jaageage  des  eaux  foarDÎei  par  les  filtrea  de  Toalouie  pendant  réiiage  de  la 
Garonne  {Mémoireê  de  VAeadime  d$i  tcieneês  de  Toulouse,  même  Tolume,  p.  486  ;  1860). 

(**)  PMloêopkical  Magaaine,  toI.  XX,  4«  série  (1860),  pp.  364  et  MO;  toI.  XXI 
(1861),  pp.  57  et  115. 


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20  MÉMOIRES 

expériences  où  le  liquide  passe  à  travers  des  filtres  de  celle 
espèce  avec  une  vitesse  proportionDelle  à  la  charge. 

Le  physicien  anglais  a  aussi  constaté  que  certains  filtres 
subissent  par  le  passage  de  Peau  une  modification  moléculaire 
progressive,  de  telle  sorte  que  la  vitesse  va  en  diminuant  avec 
le  temps  pour  une  même  charge.  C'est  un  phénomène  com- 
plexe dont  Tauteur  ne  fournit  aucune  explication  et  que  nous 
avons  aussi  observé;  mais  celte  vitesse  atteint  une  certaine 
limite  ;  dès  lors  nous  pouvons  dire  que  le  filtre  a  un  régime 
uniforme,  et  ce  sont  les  lois  de  ce  régime  qui  ont  surtout  de 
Timportance,  particulièrement  au  point  de  vue  des  applications. 

Après  avoir  vérifié  les  lois  des  pressions  dans  des  limites 
très-étroites  (de  0  à  1 5  pouces  anglais,  c'est-à-dire  de  0  à  38  cen- 
timètres), M.  Tate  fait  quelques  expériences  (2  séries  compre- 
nant 6  déterminations),  pour  reconnaître  rinfluence  de  la  tem- 
pérature sur  le  débit  ;  nous  y  reviendrons  un  peu  plus  loin , 
ainsi  que  sur  l'unique  observation  d'où  il  déduit  la  loi  qui  lie 
la  dépense  à  l'épaisseur  du  filtre. 

L'auteur  décrit,  à  la  fin  de  son  Mémoire,  des  expériences  qui 
ne  se  rattachent  pas  aussi  directement  au  sujet  qui  nous 
occupe.  Après  avoir  étudié  les  conditions  suivant  lesquelles 
passent  à  travers  les  corps  poreux  quelques  dissolutions  sali- 
nes de  divers  degrés  de  concentration,  il  observe,  en  termi- 
nant, que  le  débit  de  l'eau  à  travers  des  orifices  très-étroits 
pratiqués  dans  des  plaques  métalliques  s'eiïectue  générale- 
ment suivant  une  loi  intermédiaire  entre  celle  de  Torricelli  et 
celle  de  Poiseuille. 

22.  En  rappelant  les  travaux  antérieurs,  je  ne  puis  ou- 
blier les  belles  leçons  faites  par  M.  Jamin  (*)  sur  les  lois  de 
Péquilibre  et  du  mouvement  des  liquides  dans  les  corps  poreuœ. 
Il  importe  d'en  avoir  présents  à  l'esprit  les  enseignements,  si 
l'on  veut  s'expliquer  et  surtout  éviter  les  anomalies  qu'on 
observe  parfois  dans  les  expériences  dont  nous  allons  nous 
occuper. 

(*)  Leçons  de  chimie  et  de  physique,  professées  doTtol  la  Société  chimiqae  de  Paris 
le  as  TéTrier  et  le  8  mars  1861  (Paris,  1862,  Hachette,  édiiear),  et  Comptes  rendus, 
t.  L  (1860).  pp.  173,  311  et  385. 


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RECHBRGHBS   SUR    LA    FILTRÂTION.  21 

23.  Dans  le  Mémoire  iraporlant  que  nous  avons  déjà  cité  [H], 
M.  Duelaux ,  après  avoir  exposé  de  nouvelles  expériences 
sur  Técoulement  des  liquides  à  travers  les  tubes  capillaires, 
étend  au  passage  des  liquides  à  travers  les  vases  poreux  les 
lois  relalives  à  la  pression  et  à  l'épaisseur,  mais  le  savant 
physicien,  qui  poursuivait  un  autre  but  que  celui  que  nous 
avons  essayé  d'atteindre,  n'a  fait  varier  les  pressions  que  dans 
des  limites  très-étroites  (40  centimètres  au  maximum),  et  il 
s'est  borné,  pour  vérifier  la  loi  des  épaisseurs,  à  faire  deux 
expériences  sur  des  plaques  minces.  Il  a  comparé  ensuite  les 
vitesses  de  l'écoulement  de  différents  liquides  à  travers  les 
espaces  capillaires  à  celles  qu'avaient  obtenues  Poiseuille  et 
M.  Graham  en  opérant  avec  des  tubes  étroits,  et  il  en  déduit  la 
conséquence  importante  que,  si  un  liquide  isolé  s'écoule  tou- 
jours suivant  les  mêmes  lois,  les  rapports  des  temps  néces- 
saires pour  l'écoulement  de  différents  liquides  ne  sont  pas 
exactement  les  mêmes  à  travers  la  terre  poreuse,  le  charbon 
et  le  verre.  M.  Duelaux  rattache  ces  fajts  à  l'étude  des  phé- 
nomènes d'adhésion  moléculaire  que  nous  n'examinerons  pas 
spécialement  ici. 

24.  11  résulte  de  cet  exposé  que,  malgré  l'intérêt  que 
présentent  les  travaux  que  nous  venons  d'analyser,  malgré 
l'importance  des  recherches  de  Darcy,  de  Dupuit,  de  M.  Tate 
et  de  M.  Duelaux  sur  la  filtration,  les  lois  qui  régissent  ces 
phénomènes  ne  sont  pas  établies  dans  des  conditions'ou  dans 
des  limites  telles  qu'on  puisse  les  appliquer  à  tous  les  cas  et 
en  particulier  à  l'étude  de  la  filtration  naturelle.  Nous  avons 
essayé  de  combler  cette  lacune  en  traitant  en  même  temps  un 
certain  nombre  d'autres  questions  qui  se  rattachent  au  même 
sujet. 

25.  Ce  travail  était  terminé  quand  un  de  mes  amis  a  bien 
voulu  me  communiquer  le  mémoire  d'un  savant  ingénieur 
belge,  M.  Paul  Havrezf*). 

L'auteur  s'est  proposé  de  déterminer  le  rendement  des  fil- 

(*)  Mémoire  déjà  cité,  p.  458  et  saitaDtes. 

(**)  Recherches  expérimenules  des  lois  de  la  filtration,  par  Paal  Hayrei  (extrait  de 
la  Retfue  unwertelle  det  mine*.  —  Liège,  1874). 


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^2  MÉMOIRES 

très  industriels,  «  ce  qu'il  importe  autant  de  connaître  dans 
«  bien  des  cas  que  la  dépense  de  combustible  par  cheval 
«  vapeur  et  par  heure.  « 

Sans  méconnaître  l'utilité  pratique  de  cette  étude  très- 
consciencieuse,  il  me  sera  bien  permis  de  remarquer  que  l'au- 
teur n'a  ni  cherché  ni  obtenu  la  solution  générale  des  problè- 
mes de  la  filtration. 

M.  Havrez  a  opéré  sur  de  la  laine.  Mais  il  ne  fait  pas  con- 
naître les  pressions  auxquelles  cette  dernière  substance  a  été 
soumise;  il  a  opéré  aussi  sur  du  gros  sable  et  sur  du  sable 
fin;  mais  ces  deux  sortes  de  sable  ne  sont  ni  bien  homogènes 
ni  bien  distinctes  l'une  de  l'autre,  puisque  les  dimensions  des 
grains  sont  comprises  pour  le  gros  sable  entre  0»"20  et  0""07, 
et  pour  le  sable  fin  entre  O^^lg  et  0»"05. 

L'appareil  consistait  en  un  tube  cylindrique  gradué  analo- 
gue à  ceux  dont  s'étaient  servis  M.  Tate  et  M.  Duclaux.  Mais 
il  était  fermé  à  la  partie  inférieure  par  une  toile  épaisse,  mise 
en  double,  qui  supportait  le  sable  ou  la  laine  ;  il  eût  été  indis- 
pensable de  tenir  compte  de  son  influence  pour  étudier  la  loi 
des  épaisseurs. 

Les  pressions  exercées  sur  la  base  du  filtre  ont  varié  entre 
1  mètre  et  10  centimètres;  mais  l'auteur  ne  détermine  la 
vitesse  moyenne  que  de  dix  en  dix  centimètres,  et  prend  cette 
valeur  pour  la  vitesse  correspondant  à  la  hauteur  moyenne 
augmentée  arbitrairement  d'un  centimètre.  Il  en  résulie  des 
erreurs  d'autant  moins  négligeables  que  la  charge  est  déjà 
plus  faible,  comme  nous  l'établirons  plus  loin. 

Aucune  précaution  n'est  indiquée  pour  expulser  des  cou- 
ches filtrantes  les  bulles  d'air  dont  M.  Havrez  signale  lui- 
même  le  dégagement  dans  certains  cas. 

Pour  étudier  l'influence  de  la  température,  l'auteur  versait 
de  l'eau  chaude  sur  la  couche  filtrante;  mais,  quoiqu'il  ail 
pris  par  la  suite  de  bonnes  dispositions  pour  atténuer  le  refroi- 
dissement du  liquide  dans  son  passage  à  travers  le  filtre,  il 
a  fait  concourir  à  l'établissement  de  ses  formules  des  expé- 
riences où  l'eau  avait  à  la  sortie  10,  15  et  môme  30  degrés  de 
moins  qu'à  l'entrée. 


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l'*^ .  H. 


RECHERCHES   SDR   LÀ   FILTRÂTION.  23 

M.  Havrez  résume  les  faits  observés  dans  ces  conditions 
par  une  formule  complexe,  telle  que  : 

D  =  A  +  A'i+  (B  +  B'tE  +  (a  +  3^  +^^ 

dans  laquelle  D  représente  la  dépense,  t  la  température,  Ë  Té- 
paisseur  de  la  couche  filtrante,  H  la  pression  exercée  sur  le 
filtre.  A,  A',  B,  B',  a,  a',  ^  et  p'  sont  8  coefficients  qui  varient 
avec  la  nature  de  la  substance,  même  par  la  simple  substitu- 
tion du  sable  gros  au  sable  fin. 

Les  conclusions  de  ce  travail  considérable  difTërent  sensible- 
ment de  celles  qui  avaient  été  exposées  antérieurement.  Ces 
divergences  me  paraissent  appeler  des  expériences  complé- 
mentaires et  donner  un  nouvel  intérêt  aux  recherches  que 
nous  allons  exposer  sur  la  filtration. 


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24  MÉMOIRES 


CHAPITRE  PREMIER 

ÉTUDE    DE    LINFLUENCE    DE    LA    PRESSION    SUR    LA    VITESSE    DE 
l'écoulement   DES   LIQUIDES   A   TRAVERS   LES    VASES    POREUX 

ET  LES  COUCHES  FILTRANTES. 

• 

26.  Comme  nous  l'avons  déjà  vu  dans  l'exposé  qui  pré- 
cède [2]  (*),  le  docteur  Poiseuille  a  déduit  de  ses  expériences, 
contrôlées  par  la  commission  de  l'Académie,  la  conséquence 
suivante  :  les  quantités  d'eau  écoulées  dans  le  même  temps, 
sous  des  pressions  constantes,  à  travers  des  tubes  capillaires 
suffisamment  longs,  sont  proportionnelles  à  ces  pression^. 
L'habile  expérimentateur  a  fait  varier  dans  des  limites  très- 
étendues  les  pressions,  qui,  tantôt  réduites  à  la  charge  d'une 
colonne  d'eau  de  74  millimètres,  de  81  miUimètres  (**),  etc., 
ont  atteint,  dans  certains  cas,  8  atmosphères  (***). 

27.  Darcy  [^^<],  qui  n'a  pas  rattaché  ses  travaux  à  ceux  du 
docteur  Poiseuilip,  a  fait,  en  1855  et  1856,  des  expériences 
qui,  sans  présenter  une  grande  précision,  l'ont  conduit  à  ad- 
mettre que  le  débit  de  l'eau  à  travers  des  couches  de  sable 
varie  proportionnellement  à  la  pression  que  support»^  la  base 
inférieure  de  ces  couches  filtrantes.  Les  colonnes  d'eau  qui 
mesuraient  ces  pressions  ont  atteint  des  hauteurs  comprises 
entre  1 -H  et  l;j-93. 

28.  iin  1860  [21],  M.  Tate  a  étudié  la  filtralion  à  travers  un 
grand  nombre  de  substances;  mais  il  a  fait  varier  les  pressions 
dans  des  limites  très-étroites,  de  telle  sorte  qu'elli  s  n'ont  pas 
dépassé  15  pouces  anglais  (0'"38  environ).  Il  montre  que  la 

(*}  Let  nombres  mis  entre  les  []  sont  les  numéros  dVdre  des  paragraphes  précé- 
dents. 

(**)  Voir  les  13«,  li«  et  15»  séries  d'expériences,  pp.  486  et  i87  du  Mémoire  déjà 
cité. 

{***)  Page  459,  et  34%  95*  et  Sd«  Ubleaox  des  expériences  de  Poiseuille,  pp.  491.. 
49i  et  493. 


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RECHERCHES   SUR   LA    PILTRATION.  25 

vitesse  observée  est  proportionnelle  à  la  charge;  mais,  quand 
celle-ci  est  très-faible,  la  loi  paraît  être  légèrement  en  défaut, 
ce  que  Fauteur  attribue  à  TefTet  du  pouvoir  absorbant  du  Qltre, 
(c  qui  dépasse  de  beaucoup  celui  qui  est  dû  à  la  pression 
seule  C)  »9  ^dis  ce  qui  lient,  à  notre  avis,  au  mode  de  calcul, 
qui  fournit  pour  les  vitesses  des  valeurs  qui  sont  trop  grandes 
et  qui  dépassent  d'autant  plus  Its  valeurs  exactes  que  les 
charges  sont  elles-mê  nés  plus  faibles. 

29.  En  1872,  M.  Duclaux  a  ét^^ndu  la  loi  des  pressions  dé- 
montrée par  Poiseuille  au  cas  du  passag.^  des  liquides  k  tra- 
vers l^s  plaques  poreuses  [23].  Il  a  successivement  employé 
des  plaques  de  terre  de  pipe  et  de  charbon,  H  de  petites  cou- 
cha s  de  plâtre.  La  charge  moyenne  n'a  pas  dépassé  0»40. 
D.ins  ces  expériencc*s,  la  plaque  perméable  forme  la  base  de  la 
colonne  du  liquide,  qui  suinte  et  qui  s'en  délach»^  goutte  à 
goutte.  La  charge  varie  donc  avec  le  temps,  et  l'expression  qui 
sert  à  représeiler  cette  relation  est  une  formule  à  trois  termes . 
telle  que 

A  =  aO  —  662  +  c03, 

dans  laquelle  les  coefficients  a,  6,  c  sont  déterminés  expéri- 
mentalement (**). 

30.  M.  Paul  Havrez  [25]  a  fait  varier  la  pression  de  0"10  à 
1  mètre  environ;  mais  il  prend  pour  mesure  de  la  vitesse,  à 
une  hauteur  donnée,  la  vitesse  moyenne,  calculée  de  O^IO  en 
0"10,  ce  qui  est  d'autant  moins  exact  que  la  hauteur  est  plus 
faible.  L'auteur  obtient,  par  interpolation,  pour  l'expression 
de  la  vitesse  ainsi  calculée, 

V  =  r  +  v'A . 

Ici,  V  est  la  vitesse  qui  résulte  de  la  charge  de  l'eau  con- 
tenue dans  le  filtre,  v'  celle  que  produirait  une  colonne 


(*)  Philoêophical  Magatine^  i.  XXI,  Mémoire  déjà  cité,  p.  61. 

f**)  AnftaUê  de  chimie  et  de  phytiqve^  t.  XXV  (1873),  Mémoire  déjà  cité,  p.  460. 


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26  MÉMOIRES 

fluide  d'une  hauteur  égale  à  runité,  et  h  est  la  hauteur  de 
la  colonne  qui  presse  sur  la  face  supérieure  du  filtre. 

M.  Havrez  donne  plusieurs  systèmes  de  valeur  de  v  et  de 
v'  qui  satisfont  aux  conditions  expérimentales  ;  mais  les  for- 
mules qui  expriment  exactement  la  première  loi  de  Darcy, 

BrrrHoe-*»*    ct     V  =  wH  n, 

dans  lesquelles  H  représente  la  distance  verticale  du  niveau  à 
la  dernière  tranche  de  la  masse  perméable,  permettent  d'obte- 
nir des  résultats  au  moins  aussi  satisfaisants.  Il  est  facile  de 
le  reconnaître  en  appliquant  ce  mode  de  calcul  aux  expé- 
riences de  M.  Havrez  faites  à  des  températures  constantes. 

J'ai  cherché  à  varier  les  conditions  et  les  limites  des  expé- 
riences destinées  à  établir  l'influence  de  la  pression  sur  le  débit 
des  filtres,  et  je  vais  maintenant  indiquer  les  dispositions  que 
j'ai  adoptées. 

§  1 .  —  Premier  procédé. 

31.  J'ai  d'abord  étudié  le  passage  de  l'eau  à  travers  les 
vases  poreux  qu'on  emploie  dans  les  piles  à  deux  liquides. 
Pour  en  rendre  l'usage  plus  commode,  on  émaille  aujourd'hui 
les  bords  supérieurs  de  ces  récipients  sur  une  hauteur  de 
0*02  ou  0»03.  Je  me  suis  toujours  servi  de  ceux  qui  présen- 
tent cette  modification,  parce  que  la  surface  filtrante  reste  tou- 
jours la  même,  quelle  que  soit  la  façon  dont  on  recouvre  le 
vase. 

32.  Je  coifle  ce  vase  d'un  entonnoir,  dont  le  bord  est  limité 
par  une  circonférence  notablement  plus  grande  que  le  contour 
extérieur  du  vase  poreux.  Pour  rendre  ces  deux  pièces  soli- 
daires l'une  de  l'autre,  je  les  retourne  et  je  coule  dans  la  ri- 
gole circulaire  comprise  entre  le  vase  et  l'entonnoir  du  mastic 
très-dur,  analogue  à  celui  qu'emploient  les  constructeurs 
d'instruments  de  physique;  j'adapte  ensuite  à  l'entonnoir  un 

(*)  Voir  [36]  réiablissèmeot  de  cet  fomatei. 


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RECHERCHES   SDR   LA    FILTRATIO. 


27 


Fig.  4. 


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28  MÉMOIRES 

tube  de  caoulchouc  de  il  millimètres  de  diamètre  intérieur  et 
de  1"20  de  longueur,  qui  est  relié  à  Taiilre  oxlrémilé  avec  une 
burette  de  Mohr^A.  (Voir  fig.  1.)  Celle-ci,  qui  a  une  longueur 
de  O^.'iO,  est  graduée  en  parties  d'égale  capacité,  et  l'on  peut 
ainsi  apprécier  en  centimètres  cubes  et  dixièmes  de  centimètre 
cube  la  quantité  de  liquide  qui  s'est  écoulée  pendant  un  cer- 
tain temps.  La  burette  e^^t  fixée  et  mainterfiie  dans  une  posi- 
tion verticale  par  un  support  a  double  pince  qui  repose  sur 
une  tablette  M  mobile,  comme  l'indique  la  figure.  De  cette 
façon,  elle  peut  être  élevée  ou  abaissée  à  peu  près  comme  le 
réservoir  de  mercire,  dans  les  premières  pom|]es  pneumati- 
ques construites  par  MM.  Alvergniat.  Le  vase  poreux  V  est 
plongé  dans  un  vase  à  précipité  H  d'une  plus  grande  hauteur, 
de  telle  sorte  qu*il  est  complètement  noyé  dans  le  liquid^^  qui 
remplit  celui-ci.  Le  vase  B  est  lui-même  placé  au  milieu  d'une 
terrine  qui  reçoit  le  trop  plein. 

33.  Dans  ces  conditions,  les  pressions  intérieures  et  exté- 
rieures- exercées  sur  les  différents  éléments  de  la  surface  du 
vase  poreux  sont  variables  d'un  point  à  l'autre  ;  mais  l'excès 
des  premières  sur  les  secondes  est  le  mê'tie  en  tous  les  points, 
tout  à  fait  indépendant  de  la  forme  du  vase,  et  c'est  en  vertu 
de  cet  excès  de  pression  que  l'écoulement  se  produit.  La  sur- 
face filtrante  étant  de  cent  cinquante  à  deux  cents  foi'^  plus 
grande  que  la  section  droite  de  la  burette,  l'abaissenient  du 
niveau  du  liquide  est  assez  r  ipide,  tout  en  pouvant  être  très- 
aiséuient  observé  II  y  a,  par  suite,  plus  de  précision  dans  la 
détermination  du  temps  que  lorsque  la  surface  terminale  se 
déplace  av(C  une  extrême  lenteur,  mais  le  principal  avantage 
qui  résulte,  à  mon  avis,  de  cette  disposition,  c'est  que  la  masse 
d'eau  assez  considérable  dans  laquelle  est  plongé  le  vase  poreux 
le  met  à  l'abri  des  petites  variations  de  la  température  exté- 
rieure, ou,  dans'tous  les  cas,  régularise  ces  variations,  qui  ne 
se  produisent  alors  que  lentement;  on  pourra  donc  en  tenir 
compte,  si  cela  est  nécessaire.  On  suspend  deux  thermomètres, 
T  et  T',  au  bras  horizontal  du  support  qui  sévi  à  maintenir  le 
vase  poreux  au  centre  du  vase  à  précipité.  Le  thermomètre  F 
est  placé  dans  le  liquide,  et  le  thermomètre  T'  est  plongé  dans 


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RECHERCHES   SUR    LA    PILTBATION.  29 

l'air;  mais  les  indications  de  ce  dernier  n'ont  pas  la  même  im- 
portance. Au  support  est  encore  fixée  une  gaîne  de  caoutchouc, 
dans  laquelle  peut  glisser,  à  frottement  doux,  une  baguette  de 
verre  effilée  à  son  extrémité.  Je  place  la  pointe  de  manière  à 
la  faire  affleurer  à  la  surface  libre  du  liquide  dans  le  vase  à 
précipité,  qui  se  maintient  constant  par  suite  du  trop  plein.  En 
prenant  la  précautien  de  placer  cette  pointe  du  côté  du  bec  du 
vase  à  précipité,  on  en  peut  aisément  relever  la  hauteur  à  l'aide 
du  cathétomëlre. 

34.  Voici  maintenant  comment  on  procède  :  Le  vase  poreux, 
placé  sous  un  robinet,  reçoit,  pendant  un  jour  ou  deux,  l'eau 
qui  s'en  échappe  d'une  manière  continue;  il  est  ensuite  lavé  et 
rincé  avec  soin,  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur,  avec  de  l'eau  fil- 
trée. Le  tube  en  caoutchouc  et  la  burette  sont  placés  à  peu 
près  verticalement  au-dessus  du  vase  poreux.  !-e  vase  à  préci- 
pité étant  encore  vide,  on  verse  dans  l'entonnoir  qui  surmonte 
la  burette  de  l'eau  filtrée,  qui  chasse  au  dehors  les  gaz  conte- 
nus dans  les  espaces  capillaires  compris  dans  l'épiisseur  des 
parois.  Le  vase  large  se  remplit  peu  à  peu,  et  le  liquide,  en 
s'élevant  graduellement,  fait  monter  \\  plupart  des  bulles  ga- 
zeuses qui  adhèrent  aux  parois;  on  peut,  du  reste,  les  en  dé- 
tacher aisément  p.ir  divers  moyens.  Quand  le  vase  est  complè- 
tement rempli,  on  attend  encore  qu'une  grande  quantité  de 
liquide  ait  traversé  les  espaces  capillaires.  On  peut  alors  abaisser 
le  support  de  la  burette  :  le  tube  de  caoutchouc  s'infléchit,  mais 
SCS  courbures  ne  sont  jamais  brusques,  et,  en  remarquant  que 
même  les  coudes  à  angle  droit  n'entraînent  qu'une  faible  perte 
de  charge,  on  doit  admettre  que  les  flexions  produites  ici  ne 
modifient  pas  le  débit.  On  s'assure  ensuite  que  l'axe  de  la  bu- 
rette est  vertical  à  l'aide  de  deux  fils  à  plomb  placés  dans  des 
azimuths  difiërents,  ou  plus  simplement  à  l'aide  d'un  seul  fil  à 
plomb  et  du  cathétomètre;  on  fixe  la  lunelle  de  ce  dernier  ins- 
trument de  manière  à  cacher  avec  le  fil  horizontal  du  réticule 
une  des  divisions  du  tube,  et  l'on  attend  que  le  ménisque  con- 
c^ve  qui  forme  la  surface  terminale  du  liquide  devienne  tan- 
gent à  ce  fil  horizontal.  On  note  cet  instant  ;  on  vise  de  la  même 
manière  le  passage  du  liquide  vis-à-vis  d'un  autre  trait  du 


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30  MÉMOIEBS 

tube.  On  note  aussi  Tinstant.  Je  me  suis  servi,  dans  mes  pre- 
mières expériences  pour  mesurer  le  temps,  de  deux  bonnes 
montres  à  secondes,  dont  je  comparais  de  temps  en  temps  la 
marche  avec  celle  d'un  régulateur,  et,  d^ns  mes  dernières  ex- 
périences, d'un  chronomètre  Bréguet  à  arrêt  instantané,  que 
M.  Daguin  a  bien  voulu  mettre  à  ma  disposition. 

35.  On  peut  ainsi  déterminer  le  temps  qui  est  nécessaire 
pour  l'écoulement  de  2 <'<'<'  d'eau  à  travers  le  vase  poreux.  I^a 
charge  sous  laquelle  s'est  produit  cet  écoulement  peut  être 
considérée  comme  égale  à  la  moyenne  arithmétique  des  hau- 
teurs du  liquide  dans  la  burette  au  commencement  et  à  la  fin 
de  l'expérience.  On  en  letranchera  la  valeur  qui  représente 
Tascension  capillaire. 

Le  produit  de  la  pression  ainsi  obtenue  par  le  temps  employé 
à  l'écoulement  d'un  même  volume  de  liquide  doit  être  une 
quantité  constante,  si  la  première  loi  de  Poiseuille  est  encore 
applicable.  En  effet,  si  (J  est  la  vitesse  moyenne  avec  laquelle 
le  liquide  baisse  dans  la  burette  d'une  hauteur  correspondante 
à  deux  divisions,  et,  si  Q  est  la  quantité  du  liquide  écoulé 
pend'int  ce  temps,  on  aQ  =  US6. 

Or,  la  vitesse  moyenne  U  est  proportionnelle  à  la  hauteur 
moyenne  H,  et  peut  êlie  représentée  par  U  =  mH,  m  ayant 
une  valeur  qui  ne  change  pas  dans  les  conditions  actuelles  de 
rexpérîence. 

On  a  donc  Q  =  mHSe,    d'où  He  =  -S  =  P,  P  étant  une 

quantité  constante. 

36.  On  peut  établir  avec  plus  de  précision  cette  formule  et 
déterminer  en  même  temps  Tapproximation  qu'elle  permet 
d'atteindre  en  la  déduisant  de  la  loi  des  pressions  : 

Si  tes  vitesses  d'écoulement  sont  proportionnelles  aux  près* 
sions,  comme  Poiseuille  l'a  démontré  pour  les  tubes  capillaires, 
on  a,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  [2],  en  appelant  : 

Q  la  dépense  pendant  l'unité  de  temps  ; 

y  la  vitesse  moyenne  pendant  ce  temps; 

H  la  pression  évaluée  en  colonne  de  liquide  de  même  nature 
que  celui  qui  s'écoule; 


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RECHERCHES   SUR    LA    FILTRATION.  31 

D  le  diamètre  d'un  tube  capillaire  ; 
K  une  constante  qui  dépend  de  la  nature  du  liquide  ; 
/  la  longueur  du  tube  capillaire, 
la  formule  : 

K  .  HD* 


et  on  a  aussi 


/ 


Q  =  '-?.y, 


4 


Telle. est  Texpression  des  lois  de  Poiseuille.  Représentons 
maintenant  par  n  le  nombre  des  tubes  capillaires  du  vase 
poreux,  par  D  le  diamètre  moyen  de  ces  tubes,  le  débit  produit 
à  travers  ce  vase  est  équivalent  à  celui  que  produiraient  n 
tubes  de  diamètre  D,  et  dont  la  longueur  commune  serait 
représentée  par  l'épaisseur  de  ses  parois.  Si  U  est  la  vitesse 
avec  laquelle  le  liquide  descend  dans  le  tube  de  verre,  dont 
le  diamètre  est  A ,  on  a,  pour  représenter  la  dépense  pendant 
l'unité  de  temps,  les  deux  expressions  suivantes,  que  nous 
pouvons  égaler  Tune  à  l'autre  : 

A«U  =  nDïV, 

ou,  remplaçant  Y  par  sa  valeur  : 

7:    l      ' 
d'où   U  =  -^.  D*H ,  et,  en  posant  — j^  =  m ,  U  =  mH . 
Mais  on  a  encore,  pour  l'expression  de  la  vitesse  : 

Donc,     U  =  —  -Tg-  =  mH,      ou    +-^  =  —  mrfô. 


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32  MÉMOIRES 

Et,  en  passant  aux  fonctions  primitives  : 
L  .  H  =  —  me  +  LHo . 

ou  HrzrHoe-"**  (1) 

et  U  =  ma  (2) 

Hq  représentant  la  pression  initiale. 
Si  on  se  sert  des  logarithmes  vulgaires  on  a  : 

log  H  =  log  Ho  —  me  log  c, 

d'où  e^  log  Ho -log  H 

m  log  e  ^ 

• 

Telles  sont  les  relations  qui  lient  le  temps  et  la  vitesse  à  la 
pression. 

On  peut  dire  que  si  la  loi  de  Poiseuille  s'applique  aux  vases 
perméables,  la  déperdition  du  liquide  à  travers  ces  vases  doit 
se  faire,  comme  la  déperdition  de  chaleur,  lorsque  la  loi  de 
Newton  est  applicable,  et  aussi  comme  la  déperdition  de  Télec- 
tricité  dans  l'air  sec,  d'après  les  expériences  de  Coulomb. 

37.  Nous  pouvons  encore  exprimer  H  en  fonction  algébrique 
en  remplaçant  dans  (1)  e-"**  par  sa  valeur  qui  est  : 

^       ~         1  """La      i.s.  3"^i.  2.  ;k  4 

onaalors:H  =  Ho(l-^+— ^-^-^+f^^^3^ ) 

et,  en  retrmchant  ces  deux  quantités  égales  de  la  valeur  Ho 

u        H       Tj  /me      m«e«  ,     m»08            mH*       ,         \ 
Ho  -.  H  =  Ho  1^^  -  ^--2  +  ^-«273  ""  1.2.3.4  "^ / 

ou 

n       p_/Ho  +  H  ,  Ho-Hyme    nfl^^.mH^        m*e*     ,      \ 
Uo-tt-\^— g— +--2~AT""lT2+iT2:3""l.2.3.4+--7 

Et  en  groupant  tous  les  termes  qui  contiennent  Ho  —  H  dans 
le  premier  membre  : 


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RECHERCBBS  SDH   LA   FILTRATION.  33 

^   """^V"' 27?"^ 2~n~2.1.2.3"^2.1. 2.3.4"" / 

/Ho  +  H\    /     \   /,       me   ,    »t*6«  mm      ,         \ 

=V-T-;W0-n+r2:3- 1:2:3:4+ ) 

El  en  cherchant  le  quotient  des  deux  quantités  entre  paren- 
thèses : 

H.-H  =  (Mi±H).„a.(,-l„W+4„M.- )(J) 

d'où  Ton  peut  déduire^  avec  une  approximation  suffisante  : 

0  —  H  =       g       mO    ou        g       X  0  =       ^      =  P.     (5) 

P  est  une  quantité  constante  pour  une  valeur  déterminée  de 
Ho  —  Hy  quand  m  est  beaucoup  plus  petit  que  Tunité,  et  que  e 
n'est  pas  très-grand,  comme,  par  exemple,  dans  le  cas  actuel, 
où  m  =  0,0001440  et  où  e  n'atteint  pas  200  secondes,  parce 

qu'alors  le  2»  terme  j^  rnl^  est  déjà  négligeable. 

38.  C'est  cette  formule  qu'il  faut  vérifier.  Voici  quelques-uns 
des  résultats  obtenus  : 

TABLEAU  !•' 


M 

h 

HAUTEUBS 
évalaées 

TEMPS 
évalaés 

BN    BBOOITDBS 

PRODUITS 
de  ces 

DBUX  MOMBBBB 

4 
t 
3 

4  20 

95c,786 
80c,490 
72c,40SI 

«n,  27»  =4  47» 
2n»,66»=4  76» 

U080 
UU3 

44046 

Ces  résultats  sont  satisfaisants,  les  écarts  que  présentent 
ces^produits^entre  eux  correspondant  à  des  erreurs  relatives 

8o   séRIS.    —  TOMB  III,    1.  € 


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34 


MÉMOIRES 


du  même  ordre  de  grandeur  que  celles  qu'on  peut  eommellre 
dans  révaluation  du  temps,  qui  n'a  pas  été  déterminé  à  plus 
d'une  demi-seconde  près. 

\oici  encore  les  résultais  de  quelques  expériences  du  même 
genre  : 

TABLEAU  II 


hS  3 


HAUTBTJKS 
moyennes 
évaluées 

KN  CBNTIMÂTBB8 


4  «M 
180,2 


91S475 
87c,540 
75S880 
69«,200 
49c,450 


TEMPS 

de  réoonleinent 

évalaés 

BN    8EC0KDBB 


PRODUITS 
de  ces 

DBUX   NOMBBIS 


2«,27«  =  4  47« 
8«,34«  =  4  64« 
2",57»=477« 
5»,47«  =  ttV 
4«n,34»=:874« 


43447 
4  3484 
43434 
4  3438 
43404 


39.  En  procédant  ainsi,  on  pourra  mesurer  aisément  la  dé- 
pense dans  l'unité  de  temps.  Ainsi ,  le  vase  poreux  employé 
dans  ces  deux  expériences  avait  une  hauteur  intérieure  de 
10%7  déduction  faite  du  bord  émaillé,  qui  était  imperméable; 
le  diamètre  de  la  section  intérieure  était  de  4%4.  Le  passage 
du  liquide  se  fait  par  une  surface  qui  est  égale  à  la  surface 
latérale  du  cyPindre,  augmentée  de  la  surface  de  la  base.  La 
surface  intérieure  est  ici  égale  à  163«%10,  et  l'on  obtient,  pour 
la  surface  externe,  =  218".  La  moyenne  de  ces  deux  surfaces 


163^,10 +218"  _  381,10 
2  ""2 


I90",55. 


Telle  est  l'étendue  de  la  couche  moyenne,  tandis  que  l'épais- 
seur moyenne  de  la  paroi  perméable  est  de  0%48.  Dans  la  pre- 
mière expérience,  la  dépense  a  été  de  2'  cubes  en  147  se- 
condes, la  température  étant  de  12^.  On  déduit  de  ces  données 
que  la  quantité  du  liquide  écoulé  sur  une  étendue  de  i  mètre^ 


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RECHERCHES   SUR    LA   FILTRATION.  35 

carré  du  même  vase,  sous  une  charge  de  1  mètre  d'eau,  pen- 
dant une  seconde,  serait  représentée  par  l'expression  suivante  : 

2..e  X  J^  X  ^^  X  -L  -  0-  745—  460 
*      '^  957786  ^1M;55^Î47~        '  ' 

D'autre  part,  la  vitesse  moyenne  avec  laquelle  le  liquide 

s'abaisse  dans  la  burette  à  la  hauteur  de  95%786  est  de  ^A»- 

(1%94  est  la  distance  des  deux  traits  de  la  burette). 

Puisque  les  vitesses  et  les  hauteurs  sont  proportionnelles 
pour  une  charge  de  \  mètre  d'eau,  la  vitesse  serait  de 

Trr><  957786  =  ^'®^^^^- 

La  vitesse,  dans  le  tube  de  caoutchouc,  est  un  peu  plus 
grande,  puisque  la  section  de  celui-ci  est  un  peu  plus  petite 
que  celle  de  la  burette. 

40.  Lors  même  que  la  résistance  due  au  frottement  du 
liquide  sur  les  parois  de  la  burette  et  du  tube  de  caoutchouc 
ne  serait  pas  absolument  négligeable,  les  conclusions  que  nous 
avons  à  tirer  de  ces  expériences  ne  seraient  pas  modifiées. 
Darcy  a,  en  effet,  démontré  (*)  que,  pour  les  tubes  dont  le  dia- 
mètre était  inférieur  à  O-^Ol,  la  vitesse  est  directement  pro- 
portionnelle à  la  charge  et  inversement  proportionnelle  à  la 
longueur  du  tube,  quand  celte  vitesse  ne  dépasse  pas  O^jlS 
par  seconde. 

Si,  dans  le  passage  à  travers  les  vases  poreux,  la  vitesse  est 
aussi  proportionnelle  à  la  charge,  elle  doit  l'être  encore  dans 
le  système  complexe  constUué  par  la  burette,  le  tube  de  caout- 
chouc et  les  interstices  du  vase  poreux. 

41 .  Mais  la  résistance  qu'éprouve  l'eau  à  parcourir  le  tube 
de  caoutchouc  est  ici  insignifiante  par  rapport  à  celle  qu'elle 

(*)  lUeherckei  expérimetUaUs  rêlatwes  au  mowoement  dé  Vttm  daiu  les  tmfmtœ,  pp.  81( 
et  350  da  tome  XV  des  Mémoires  des  servants  étrangers  (J857). 

Les  expériencei  de  Darcy  font  aaisi  citées  par  Baxio  dans  ses  recherches  hydraaU- 
^iMS  [MémoÊres  des  emnmU  étrangers,  pp.  SO  et  147,  t.  XIX,  1869.1963). 


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36  MÈMOIBES 

rencontre  en  traversant  le  vase  :  il  suffit,  pour  le  démontrer, 
de  déterminer  la  longueur  que  devrait  avoir  le  tube  pour  que 
la  vitesse  fût  ramenée  à  ce  qu'elle  est  dans  l'expérience  pré- 
cédente. Nous  n'avons  pas  fait  d'expérience  pour  déterminer 

RI 

la  valeur  du  coefficient  jr  [19],  dans  le  cas  d'un  tube  de  caout- 
chouc de  l%10  de  diamètre;  mais  nous  trouvons  dans  le  Mé- 
moire de  Darcy,  sur  l'écoulement  de  l'eau  dans  les  tuyaux,  la 
valeur  de  ce  rapport  pour  un  tuyau  en  fer  étiré  de  1%22  de 
diamètre,  et  elle  ne  peut  pas  différer  beaucoup  de  celle  qu'on 
obtiendrait  dans  le  cas  actuel  ;  celle-ci  serait  probablement  un 
peu  plus  grande,  car  déjà  ici  la  vitesse  croit  plus  vite  que  le 
diamètre,  sans  être  encore  tout  à  fait  proportionnelle  au  carré 
du  diamètre,  comme  dans  les  expériences  de  Poiseuille. 

RI  h 

Dans  la  formule -ry  =  a,  R  est  le  rayon;  ï  =  t»  qu»  repré- 
sente la  pente,  est  la  variable  indépendante  dans  les  expé- 
riences de  Darcy.  Or,  on  constate  que  le  rapport  de  la  vitesse 
à  la  pente  est  constant,  et  que  pour  le  tuyau  en  fer  il  a  une 
valeur  égale  à  0,000(55. 

RA 

Si  nous  appliquons  cette  formule  au  cas  actuel  :  -7w=0,0001 55, 

nous  aurons,  en  exprimant  toutes  les  longueurs  en  centimètres 
et  en  résolvant  par  rapport  à  /  : 

I  _   0%55    V       ^^      -  25901 100- 
^  -  Ô%Ôîâ7  ^  0%000155  -  ^'^^^^^  ' 

c'est-à-dire  que  le  tube  de  caoutchouc  de  1%iO  de  diamètre 
que  nous  avons  employé  devrait,  d'après  ce  calcul,  avoir  une 
longueur  de  plus  de  250  kilomètres  pour  que  la  vitesse  du 
liquide  éprouvât  le  ralentissement  qui  résulte  du  passage  à 
travers  le  système  complexe  formé  par  la  burette,  le  tube  de 
caoutchouc  et  le  vase  poreux.  La  résistance  au  passage  du 
liquide,  due  aux  pièces  accessoires,  dans  cet  appareil  comme 
dans  les  appareils  analogues  que  nous  allons  employer,  est 
donc  tout  à  fait  négligeable.  Sans  doute,  la  valeur  prise  pour 


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RECHERCHES   SUR   LA    PILTRATION.  37 

a  est  ici  peut-être  un  peu  trop  petite,  et,  par  suite,  la  valeur 
de  /  un  peu  trop  grande;  mais  elle  est  toujours  de  Tordre  de 
grandeur  que  naus  venons  de  déterminer. 

42.  On  pourrait  objecter,  il  est  vrai,  qu'on  ne  peut  appliquer 
une  formule  empirique  dans  des  conditions  aussi  différentes  de 
celles  qui  ont  servi  à  l'établir;  mais  h  seule  conséquence  que 
nous  avons  tirée  subsiste,  quelle  que  soit  la  valeur  absolue  dé- 
duite de  la  formule  ou  d'une  formule  analogue,  pourvu  que 
celte  valeur  reste  très-grande  par  rapport  à  la  longueur  du  tube 
que  nous  avons  employé;  or,  toutes  les  formules  de  l'hydrau- 
lique conduiraient  au  même  résultat. 

Nous  pourrons  donc  conclure  des  expériences  résumées  par 
les  tableaux  I  et  2  que,  dans  le  passage  de  l'eau  à  travers  les 
vases  poreux,  les  vitesses  sont  proportionnelles  aux  charges. 

43.  Malgré  les  vérifications  satisfaisantes  que  je  viens  d'in- 
diquer, je  n'ai  pas  multiplié  les  expériences  avec  cet  appareil, 
qui  présentait  quelques  inconvénients.  Je  me  borne  à  signaler 
les  deux  principaux  :  L'eau  n'entraîne  pas  toutes  les  poussières 
adhérentes  aux  parois  du  tube  de  caoutchouc,  même  en  le 
traversant  pendant  longtemps,  et  les  nouvelles  parcelles  qui 
s'en  détachent,  quand  celui-ci  s'infléchit,  viennent  se  déposer 
au  fond  du  vase  poreux.  D'autre  part,  le  tube  élastique  éprouve, 
quand  la  pression  décroit,  une  diminution  de  calibre  dont  il 
faudrait  tenir  compte,  si  l'on  faisait  varier  la  charge  dans  des 
limites  un  peu  étendues.  J'ai  rendu  cette  cause  d'erreur  très- 
manifeste  en  remplissant  de  mercure  le  tube  de  caoutchouc  et 
la^burette. 

J'ai  donc  cherché  un  moyen  plus  précis. 

g  2.  _  Deuxième  procédé  expérimental. 

44.  Nous  avons  substitué,  dans  l'appareil  précédent  [32],  au 
tube  de  caoutchouc  et  à  la  burelle  de  Mohr,  un  tube  de  verre 
de  1"20  de  longueur  et  de  0»01  de  diamètre  environ.  J'ai  collé 
sur  le  tube,  h  différentes  hauteurs,  de  petites  bandes  de  papier 
de  2  à  3  millimètres  de  largeur,  formant  dfs  anneaux  autour 
du  tube,  et  désignées  chacune  par  un  numéro  d'ordre;  j'avais 


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Fm.  a 


38  MÉMOIRES 

déterminé  préalablement  la  section  moyenne  de  ce  tube  entre 
[es  différents  traits  en  adaptant  à  son  extrémité  un  tube  à  ro- 
binet, dont  je  me  suis  servi  en 
différenis  cas.  Le  tube  qu'on 
veut  jauger  et  le  (ube  à  robinet 
étaient  amenés  au  contact  et  re- 
liés par  un  tube  de  caoutchouc; 
mais,  pour  empêcher  toute  ex- 
tension, on  enveloppait  celui-ci 
d'une  gaine  de  clinquant  plu- 
sieurs fois  enroulée  et  serrée 
par  un  fort  fil  de  fer  formant  des 
spires  très -rapprochées.  C'est 
dans  ces  conditions  que  j'effec- 
tuais un  jaugeage  au  mercure. 
45.  Le  tube  de  verre  et  le 
vase  poreux,  réunis  après  ces 
opérations  préliminaires,  for- 
maient un. appareil  représenté 
par  la  figure  2. 

Les  dispositions  accessoires, 
telles  que  celles  qui  se  rappor- 
tent à  la  direction  du  tube  et  à 
la  détermination  de  la  tempéra- 
ture, au  premier  remplissage  du 
vase  poreux  et  du  vase  à  préci- 
pité, étaient  prises  comme  nous 
1  avons  déjà  indiqué  ;  on  procède 
ensuite  de  la  manière  suivante  : 
Après  s'être  bien  assuré  que 
l'axe  du  tube  est  vertical,  on 
attend  que  le  ménisque  concave 
qui  forme,  dans  le  tube  droit, 
la  surface  terminale  du  liquide^  devienne  tangent  au  plan  ho- 
rizontal passant  par  le  bord  supérieur  du  premier  anneau  de 
papier.  Pour  cela,  le  cathélomètn*,  préalablement  réglé,  est 
disposé  de  façon  que  le  fil  horizontal  du  réticule  de  sa  lunette 


Fig.  2. 


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RECHERCHES  SUR   LA   PILTRATION.  39 

soit  dans  le  plan  horizontal  déterminé  par  le  bord  supérieur  de 
Tanneau. 

46.  Gomme  pour  faire  cette  visée  on  a  mis  en  place  le  calhé- 
tomëlre  avant  que  le  liquide  se  soit  abaissé  au  niveau  de  la 
première  bande,  on  a  pu  relever  la  hauteur  correspondante 
avec  précision.  Ici,  le  vernier  permet  de  lire  les  hauteurs 
à  ^  de  millimètre  près. 

Au  moment  où  le  ménisque  concave  atteint  le  bord  supérieur 
de  la  bande  de  papier,  on  note  le  temps  correspondant  ;  on 
abaisse  ensuite  la  lunette  à  Taide  de  la  vis  des  petits  mouve- 
ments, pour  amener  le  fil  horizontal  du  réticule  en  coïncidence 
avec  rimage  du  bord  inférieur  de  la  bande;  on  voit  bientôt 
apparaître  un  léger  filet  noir,  qui  grandit  rapidement  en  pre- 
nant la  forme  d'une  espèce  d'onglet.  On  note  aussi  l'instant  de 
cette  apparition ,  quoique  cette  détermination  ne  se  fasse  pas 
avec  autant  de  précision  que  la  précédente. 

On  lit  ensuite  la  hauteur  à  laquelle  se  trouve  la  lunette;  la 
différence  des  deux  hauteurs  fait  connaître  la  distance  verti- 
cale des  deux  bords  ^àe  la  bande.  On  amène  ensuite  la  lunette 
dans  le  plan  horizontal  qui  contient  le  bord  supérieur  de  la 
seconde  bande.  Le  temps  relativement  considérable  qui  s'écoule 
avant  que  la  surface  terminale  du  liquide  ait  atteint  ce  niveau 
permet  de  s'assurer  que  l'instrument  est  bien  réglé  et  de  noter 
les  indications  fournies  par  les  thermomètres.  En  continuant 
ainsi,  on  arrive  à  relever,  en  dernier  lieu,  le  niveau  du  liquide 
dans  le  vase  à  précipité,  où  il  forme  trop- plein,  en  visant 
l'extrémité  de  la  pointe  effilée  qui  affleure  à  la  surface,  et  on 
a  les  données  nécessaires  pour  calculer  la  vitesse  de  l'écoule- 
ment à  travers  le  vase  poreux  sous  différentes  charges. 

47.  Celte  manière  d'opérer,  qui  est  la  plus  sûre,  ne  permet  de 
suivre  le  phénomène  de  l'écoulement  que  dans  un  seul  tube, 
et  il  exige  un  temps  considérable,  comme  l'indiquent,  du  reste, 
les  nombres  qui  figurent  dans  les  tableaux  suivants.  Pour  pou- 
voir opérer  simultanément  avec  plusieurs  appareils,  je  me  suis 
contenté,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  après  avoir  relevé 
les  hauteurs  des  bandes  à  l'aide  du  cathétomètre,  de  déter- 
miner les  moments  des  contacts  du  ménisque  liquide  et  des 


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40  MÊMOliES 

bandes  en  dirigeant  le  rayon  visuel  à  Taide  d'un  petit  curseur 
annulaire.  Le  bord  du  curseur  était  amené  successivement  en 
coïncidence  avec  les  bords  des  différentes  bandes;  je  m'assurai, 
après  plusieurs  lectures  de  ce  genre,  que  le  tube  n'avait  pas 
bougé  en  relevant  de  nouveau  au  cathétomëtre  la  hauteur 
d'un  des  traits  de  repère.  Si  quelque  dérangement  était  inter- 
venu, je  le  notais,  et  j'ai  pu  constater  ensuite,  en  faisant  ces 
calculs,  que  les  résultats  obtenus  dans  ces  cas-là  n'étaient  pas 
concordants,  et  que  les  observations  correspondantes  devaient 
être  rejetées. 

48.  J'ai  cru  devoir  employer  plusieurs  appareils  analogues 
pour  me  mettre  à  l'abri  des  causes  d'erreur  particulières  que 
pourraient  présenter  certains  d'entre  eux.  J'ai  reconnu  par 
expérience  l'utilité  de  cette  précaution,  car,  en  me  servai^ 
d'un  appareil  que  j'avais  désigné  par  la  lettre  D,  j'ai  obtenu 
des  résultats  sensiblement  différents,  que  je  ne  m'expliquais 
pas;  mais,  après  avoir  séparé  les  pièces  qui  le  composaient 
pour  chercher  à  m'en  rendre  compte,  j'ai  remarqué  que  le  vase 
poreux  présentait  une  fissure  assez  étendue.  Celle-ci  devait 
faire  l'effet  d'une  série  de  tubes  capillaires  trop  courts  pour 
que  la  première  loi  de  Poiseuille^  que  nous  avons  énoncée  plus 
haut,  pût  s'appliquer. 

49.  Les  formules  précédentes  (1)  (3)  (3)  exposées  plus  haut 
[36]  permettent  de  déterminer  les  valeurs  que  nous  devons 
obtenir  si  la  loi  des  pressions  est  ici  applicable.  Nous  avons 
fait  le  calcul  en  prenant  pour  variable  indé|)endante  la  hau- 
teur observée.  Le  procédé  de  vérification  a  alors  plus  de  sen- 
sibilité que  si  Ton  opérait  en  sens  inverse.  En  effet,  soit  e  la 
valeur  de  l'erreur  absolue  commise  dans  la  détermination  de 
la  hauteur,  que  je  supposerai  négative  ;  s'il  n'y  a  pas  d'er- 
reur, la  formule  étant  supposée  rigoureusement  applicable, 
on  a  : 

°     m  log  e 

En  substituant  à  la  valeur  H  la  valeur  H  ~  e,  la  variable  dé- 
pendante devient  0  +  6',  et  on  a  : 


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RECHERCHES  SUR   L^   FILTRATION.  41 

e  +  Ô'  =  log  Hq  -  log  (H  -  e) 
m  log  e 

Retranchant  ces  deux  équations, 

,,^logH-log(H-e)^        (<  +^)  _ 


m  loge 


m  loge 

Lorsque  H  diminue,  0'  augmente. 

Si,  au  contraire,  on  prend  pour  variable  indépendante  le 
temps,  et  si  on  calcule  la  hauteur,  en  appelant  0'  Técart  ou 
Terreur  commise  dans  Tévaluation  du  temps,  on  aurait,  s'il 
n'y  avait  pas  d'erreur  : 

et  dans  le  cas  d'une  erreur  commise  : 

d'où  e  =  Ho  [c-««  —  e -"•(•  *  •'>] 

ou  e  =  HoC  -  »»•  (1  —  e  -'"•') , 

valeur  d'autant  plus  petite,  pour  une  valeur  de  o',  que  O^est 
déjà  plus  considérable. 

En  procédant  ainsi,  il  suffit,  dans  chaque  série  d'expériences, 
de  déterminer  la  valeur  de  la  constante  m,  ce  qui  se  fait  aisé- 
ment à  l'aide  de  la  formule  (3)  [36],  d'où  je  tire  : 

^  ^  log  Hq  —  log  H 
6  log  c 

50.  Si  l'on  donne  un  numéro  d'ordre  aux  différentes  bandes 
fixées  sur  le  tube  de  verre,  on  aura,  en  appelant  6  le  temps 
écoulé  : 

^  ^  log  H,  -  log  Ha 
e  log  c 

Je  prends  pour  Hi  la  moyenne  des  hauteurs  obtenues  en  fai- 
sant au  cathétométre  la  lecture  du  bord  supérieur  et  celle  du 
bord  inférieur  de  la  bande;  je  procède  de  même  pour  Hj.  Cha- 
cune de  ces  quantités  est  exprimée  en  millimètres  et  cinquan- 


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42  MÉMOIRES 

tiëmes  de  millimètres.  J'ai  converti  ces  dernières  subdivisions 
en  î^"",  pour  faire  plus  aisément  les  calculs. 

Je  détermine,  comme  je  Tai  dit,  Tinstant  où  le  niveau  du 
liquide  atteint  le  bord  supérieur  de  la  première  bande  et  Pins- 
tant  où  il  commence  à  en  dépasser  le  bord  inférieur,  et  je  fais 
encore  la  moyenne  de  ces  deux  lectures;  on  a  ainsi  le  temps 
où  la  surface  terminale  du  liquide  atteint  la  hauteur  Hi  :  soit 
61  ce  temps.  J'obtiens  aussi,  par  deux  autres  lectures,  l'ins- 
tant ^^  où  le  niveau  du  liquide  atteint  la  hauteur  H^. 

m  sera  donc  obtenu  à  l'aide  de  la  formule 

^^log(H,-logH,) 
(^2-^1)  loge 

Mais  comme,  en  faisant  le  tableau  des  expériences,  je  prends 
61  pour  origine  du  temps  =  0»,00*,  on  a  : 

^  ^  log  Hj  —  log  Ha 
h  log  c 

es  est  donc  déterminé  à  l'aide  de  quatre  observations.  Le 
terpps  observé  était  exprimé  en  minutes  et  secondes  ;  mais, 
pour  la  facilité  du  calcul,  j'ai  converti  ensuite  le  tout  en  se- 
condes. 

m  une  fois  connue,  on  a  pour  63  : 

^  ^    log  Ha -log  Ha 
^  m  log  e  ' 

et  de  même  : 

^  ^  log  H3  -  log  H4 
*  m  log  c 

Les  nombres  ainsi  obtenus  sont  inscrits  dans  la  colonne  inti- 
tulée :  —  Temps  calculés.  — 

51.  Si  la  température  se  maintient  constante,  il  n'y  a,  pour 
comparer  ces  résultats  à  ceux  qu'on  obtient  par  l'observation, 
qu'à  faire  subir  à  ces  derniers  une  correction  :  c'est  celle  qui 
résulte  des  inégalités  de  la  section  dans  les  tubes  dont  ou  s'est 
servi.  Ces  tubes,  de  verre  ordinaire,  ne  sont  pas  généralement 
bien  calibrés. 


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RBGHERCHBS   SUR   LA    P1LTRATI0N. 


43 


On  fait  un  jaugeage  au  mercure  en  maintenant  le  tube  ver- 
tical et  en  laissant  écouler  le  liquide  d'un  trait  de  repère  à 
Taulre^  et  on  peut  ainsi  déterminer  la  section  moyenne  de  cha- 
cune des  capacités  comprises  entre  deux  repères  successifs  par 
le  procédé  que  nous  avons  déjà  indiqué  [44]. 

Si  je  prends  pour  unité  la  section  moyenne  de  la  partie 
comprise  entre  les  bandes  1  et  2,  les  autres  sections  sont  re- 
présentées par  1  zh  ç,  et  il  suffira  de  diviser  le  temps  observé 
par  i  dzç  pour  le  ramener  à  ce  qu'il  aurait  été  si  le  tube  avait 
eu  la  section  comprise  entre  les  deux  premiers  repères. 

En  effet,  soit  0^3  le  temps  observé  quand  le  niveau  s'abaisse 
de  H)  à  H3,  et  soit  1  ±:  <;  la  section  de  celte  partie  du  tube.  Si 
la  section  était  1,  le  temps  serait  O3,  tel  qu'on  aurait  : 

52.  Voici  le  tableau  de  quelques  résultats  obtenus  dans  ces 

conditions  : 

TABLEAU  m 

ÉCOULEMENT  DE  L*EAU   DANS  LE  TUBE  A 
Le  coefficient  m  =  0,000.066.43  ;  la  température  T  =  4  40,9. 


HAITTEITBS 

moyennee 

des 

bandes. 


976,62  0« 


obser- 
vés. 
8 


876,63 


4  627 


4807 


777,24 


673,88 


'   4  93:J 


RAPP0BT8 

des 

sections 

à  la  section 

entra 

les  traits 

1  et  3. 

4 


4,0000 
4,0000 
0,9844 


TEMPS 

corrigés 

des 
variations 

de  la 
section. 


0» 
4  627 

4  807 

4  964 


DURÉES 

totales 
corrigées. 


0» 


4  627 


3434 


5398 


TEMPS 

oalcolés 
entre 

les  divers 
traits. 


0» 
4  627 

4840 

4  967 


DURÉES 

totales 

calculées. 

8 


0« 


4627 


3437 


5404 


0» 


0» 


—  3« 


—  6« 


Nota.  —  Les  deax  premières  observ alioos  serTent  à  déterminer  les  constantes  ;  voilà 
pourquoi  il  n^y  a  aucane  différence  entre  Tobservation  et  le  calcul . 


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44  HÉlfOIftlS 

53.  En  observant,  dans  le  même  tube,  rabaissement  de  la 
colonne  liquide,  un  joor  où,  par  soite  de  circonstances  favo- 
rables, les  variations  de  température  ont  été  très-faibles,  on  a 
obtenu  les  résultats  suivants  : 


TABLEAC  IV 

ÉCOrLCXE5T  DE  L'eAC  DA.NS  LE  TTK  A 

■  =•,000.072;  bUnpéntare  T  =  I7«,3. 


I 

HAVTECmM     „„   . 

d-    ^\ 

ôm 

«ctiom 

alasectkm 

entn 

les  taito 

4et  ». 

nvra    ' 

ôm 

mtetioi», 

•eetkn.  | 

DCHÉIS 

i 

total»   ; 
oonigéeft. 

raxn 

calcak*  1 

Stntta. 

(otalM 

ifjl 

1 

J         1       S 

4     ; 

i        1 

• 

7 

8         1 

0* 

» 

0»' 

:  4 

673,88    '        0« 

0. 

. 

0» 

!  ^ 

•  SI28 

579,85  1 

|t658 
478,69   , 

(3304 
379,84 

1,0000 

2428 

2428 

24  28 

24  28 

1 

0»  ! 

4,0049 

2663 

2660 

6 

4784 

4788 

—7 

4,0060 

3285 

3342 

7 

8066 

8400 

—34 

[4«7 

4,0056 

4204 

4475 

8 

t82,46 

1 

1 

1 

4  2270 

4  2275 

—5 

54.  Les  différences  qu'on  constate  dans  ce  tableau,  entre 
les  résultats  observés  et  les  résultats  calculés,  ne  sont  pas  con- 
sidérables; mais  il  n'est  pas  possible  de  poursuivre  Texpé- 
rience  longtemps,  à  cause  des  variations  de  température.  Dans 
les  circonstances  les  plus  favorables,  lorsque,  pendant  plu- 
sieurs heures,  la  température  ne  varie  que  de  quelques  dixièmes 
de  degré,  il  y  a  des  écarts  qui  dépassent  notab!ement  les  erreurs 
probables  d'obser\  ation.  C'est  ce  qu'où  voit  aisément  par  l'exa- 
men du  tableau  suivant  : 


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BECHBRCHES  SDR   Lk   FILTRATION. 


45 


TABLEAU  V 

ÉCOULEMENT  DE  L*EAU  DANS  LE  TUBE    C 
Le  coefficient  d'écoulemeot  m  =:  0,000.093.69  ;  Températare  moyenoe  7  =  47». 


4 

2 

3 

4 

6 

6 

7 

8 

9 

4 

976,66 

1 

0» 

0» 

0« 

0« 

0« 

0« 

4097 

4,000 

4  097 

4  097 

2 

879,67 

1 
4  240 

4903 

1 

4097 

4097 

0 

4,0228 

4243 

4  220 

3 

786,4  0 

2310 

2347 

—  7 

4,0445 

4  879 

4  877 

4 

659,34 

4189 

4494 

—  6 

1  4  600 
674,97  1 

4,0230 

4  466 

4548 

5 

5665 

5742 

—  67 

1  4948 

4,0420 

4  923 

4  984 

6 

474,90  1 

7678 

7696 

—  448 

(2248 

4,0440 

2223 

2360 

7 

380,68  1 

9804 

4  0056 

—  255 

1  3259 

4,0040 

3256 

3326 

8 

278,77 

43057 

4  3384 

—  324 

(  5984 

4,0400 

5933 

6046 

9 

4  58,20 

4  8990 

49427 

—  437 

55.  Cette  observation,  déjà  ancienDO,  me  conduisit  d'abord 
à  penser  que  la  loi  de  Poiseuille  ne  s'appliquait  pas  exacte- 
ment à  l'écoulement  des  liquides  à  travers  les  vases  poreux , 
et  je  n'avais  pas  attribué  ces  écarts  à  des  variations  de  tem- 
pérature peu  marquées,  que  j'avais  mal  suivies,  il  est  vrai, 
par  suite  du  peu  de  sensibilité  du  thermomètre  employé;  mais, 
en  reprenant  ces  expériences  et  en  tenant  compte  aussi  exac- 


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46  MÉMOIRES 

tement  que  possible  des  différences  observées  dans  Tétat  calo- 
rifique^ j'ai  reconnu  que  Taclion  de  la  chaleur  exerce  une  in- 
fluence du  même  ordre  que  dans  le  cas  de  Técoulement  à  tra 
vers  les  tubes  capillaires. 

56.  Pour  continuer  des  expériences  dans  des  limites  plus 
étendues  avec  cet  appareil,  il  fallait  donc  pouvoir  tenir  compte 
de  Tinfluence  de  la  température,  et  calculer  les  résultats 
qu'on  aurait  observés  si  on  avait  été  à  Tabri  de  ces  variations. 
J'exposerai,  dans  le  chapitre  suivant,  les  moyens  que  j'ai 
employés  pour  étudier  l'action  de  la  chaleur  sur  la  vitesse  de 
l'écoulement  de  l'eau;  il  me  suffit  d'indiquer  ici  que  j'ai  établi 
une  formule  empirique  qui  me  permet  de  faire  en  bloc  les 
corrections  relatives  à  l'influence  de  la  température.  J'ai  pro- 
fité pour  cela  des  changements  parfois  assez  rapides  que  pré- 
sente la  température  extérieure  pendant  une  courte  période  de 
jours,  et  auxquels  participe,  dans  une  certaine  mesure,  l'ap- 
pareil installé  à  demeure  dans  une  petite  pièce.  Le  thermo- 
mètre permettait  d'apprécier  ^  de  degré. 

En  employant  la  formule 

^_  log  Hj  —  log  H,. 
^  log  e         ' 

il  m'a  suffi  de  laisser  écouler  chaque  fois  le  liquide  du  trait  1 
au  trait  3  pour  déterminer  m  à  la  température  moyenne  de 
8%3,  de  10*,  de  13<>,  de  15*,  de  17°,  et  de  me  servir  de  ces  don- 
nées pour  construire  une  table  de  correction,  que  je  donnerai 
plus  loin. 

57.  En  faisant  alors  les  corrections  relatives  aux  tempéra- 
tures pour  déterminer  les  temps  qu'on  aurait  observés  si  le 
thermomètre  était  resté  stationnaire,  on  peut  suivre  une  expé- 
rience jusqu'au  bout. 

Voici  les  résultats  obtenus  en  me  servant  d'un  tube  6  : 


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BECHEBCHBS  SUR   LA   FILTRATION. 


47 


TABLEAU  VI 

ÉCOULEMENT  DE  L*EAU  DANS  LE  TUBE  6 

m  =  0,000.057.11 


1l 

1 

moyennes 

des 
bandes. 

2 

TEMPS 

observés. 
8 

RAPPORTS 

des 
sections 

àla 

section 

entre 

les  traits 

let2. 

4 

TEMPS 

corrigés 

des 
varia- 
tions 
delà 

section. 

6 

TEMPi- 
BATURBB 

moyen- 
nes. 

6 

TEMPS 

ooirigés 

des 
varia- 
tions 
de 
la  tempé- 
rature. 

7 

dubAbs 
totales 

gées. 
8 

TEMPS 

calculés 

entre 

8  traits. 

9 

DURÉES 

totales 
calcu- 
lées. 
10 

11 

4 

966,87 

0« 
4954 

0» 

0« 

0« 

0« 

0» 

0* 

4,000 

4951 

90,4 

1951 

1951 

t 

856,04 

1951 

1951 

0» 

1 

2458 

1,000 

2158 

9»,5 

2164 

2164 

3 

756,48 

4115 

4115 

0,00 

3  bis 

681,98 
655,46 

4770 
674 

0,9842 
0,9842 

1798 
684 

90,7 
90,8 

1813 
692 

5928 
6620 

4844 
694 

5929 
6623 

—1 

—3 

70 

0,9842 

71 

90,8 

72 

72 

\ 

65«,80 

6692 

6695 

—3 

1 

2649 

0,9834 

2663 

10«,1 

2715 

2725 

6 

558,73 

9407 

9420 

—  13 

3348 

0,9850 

3368 

100,4 

3462 

3434 

6 

459,49 

4406 

12869 

12854 

+  15 

359,15 

0,9890 

4151 

100,7 

4302 

4306 

7 

17171 

17160 

+  14 

26S,00 

5236 

0,9886 

5297 

110,1 

5553 

5549 

8 

22724 

22679 

+  45 

NiTCM 

00,00 

9        » 

H         » 

H        9 

tt      n 

".      ' 

H        » 

*     Et 

#     # 

0     w 

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48 


MÉMOIRES 


TABLEAU  VII 

ÉCOULEMENT  DE  l'eAU  DANS  LA  PARTIE  INFÉRIEURE  DU  TUBE  G 


El 

BAUTKUB8 

moyennes 

des 

bondes. 

TBUPS 

obsenrés. 

RAPPOBT 

des 
sections 

41» 
secUonl. 

TEMPS 
OOITlgéS 

des 

y«ri»- 

tlons 

deU 

section. 

1 

mcPB 

corrigés 

des 

▼Aria. 

tiens 

de 

latempé- 

latore. 

durAu 

totAlflS 

ooni- 
gées. 

TBMFS 

calcolés 

entre 

3  traits. 

ddbAu 
totales 
calcu- 
lées. 

! 

1 

3 

8 

4 

5 

6 

7 

8 

9 

10 

11 

8 

264,24 

0« 

0« 

0« 

0« 

0« 

0« 

0« 

34  68 

0,9880 

3206 

4  20,4  5 

3205 

3205 

9 

24  4,39 

3205 

3205 

0« 

1 

3400 

0,9870 

3445 

420,30 

3463 

3460 

40 

473.03 

6664 

6666 

—04 

3640 

0,9850 

3695 

420,4 

3622 

3608 

41 

438,38 

5068 

4  0286 

40273 

+4  3 

0,9772 

5476 

420,6 

6243 

5238 

42 

400,42 

4  6629 

4554  4 

+4  8 

NtvMn 

00,00 

Ê    ,# 

9        » 

Ê        9 

H        H 

H        » 

H        H 

»     Ê 

9        Ê 

« 

58.  Le  sixième  tableau  nous  montre  l'écoulement  s'effec- 
tuant  pendant  une  durée  de  plus  de  six  heures.  Le  lendemain 
de  cette  longue  expérience,  pour  suivre  de  plus  près  la  mar- 
che du  phénomène  sous  de  faibles  pressions,  j'ai  placé  sur  la 
partie  inférieure  du  tube  un  certain  nombre  de  bandes  plus 
rapprochées  qui  figurent  dans  le  tableau  VII  ;  les  nombres  de 
la  colonne  5  ont  été  obtenus  comme  il  a  été  dit  plus  haut  [SI]  ; 
dans  la  colonne  6  sont  inscrites  les  températures  moyennes 
obtenues  pendant  que  le  niveau  du  liquide  passe  d'un  trait  au 
trait  suivant;  les  nombres  de  la  colonne  7  sont  obtenus  en 
prenant  les  temps  qu'on  a  observés,  mais  auxquels  on  a  déjà 
fait  subir  les  corrections  que  nécessitent  les  variations  de  la 


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RECHERCHES   SUR    LA    FILTRATION.  49 

m! 
section,  el  qu'on  a  aussi  mullipUés  par  — ,  m  étant  le  coffi- 

cient  déterminé  à  la  température  du  commencement  de  Pcx- 
périence,  et  m'  étant  le  coefficient  correspondant  à  la  tempé- 
rature moyenne  T'  pendant  le  temps  ô'.  On  remplace  ainsi  les 
temps  observés  par  ceux  qu'on  aurait  déterminés  dans  les 
mêmes  conditions,  s'il  n'y  avait  pas  eu  de  variation  de  tem- 
pérature. On  a,  en  effet,  à  la  température  T  ^ 

0  =  -» — II — » — ?  (0  est  le  temps  qu'il  faut  calculer), 

et  à  la  température  T'  : 

0'  =  — — rr- — - — '  (0'  Çst  le  temps  observé), 

d'où  S7  =  —   et  e  =  6'  .  —  . 

On  voit  que.  cette  correction  étant  faite,  les  résultats  cal- 
culés et  les  résultats  observés  concordent  d'une  manière  satis- 
faisante. 

59.  Aucune  expérience,  dans  mes  recherches,  ne  m'a  coûté 
plus  de  temps;  je  n'en  ai  fait  aucune  qui  soit  plus  précise. 
Toutefois,  il  importe  de  remarquer  que  nous  ne  déterminons 
ici  ni  les  hauteurs,  ni  les  températures,  ni  les  temps  d'une 
manière  absolue.  Sans  doute,  le  tube  dans  lequel  se  produit 
Técoulement  n'est  pas  rigoureusement  vertical,  pas  plus  que 
l'axe  du  cathétomètre;  les  deux  montres  employées  n'avaient 
pas  la  précision  des  horloges  astronomiques.  Le  thermomètre 
placé  dans  le  vase  à  précipité  ne  donnait  pas  la  température 
des  divers  filets  liquides  au  moment  où  ils  passaient  au  tra- 
vers du  vase  poreux;  mais,  après  avoir  rempli  les  diverses 
conditions  expérimentales  aussi  bien  que  possible  au  commen- 
cement de  la  journée,  on  n'en  a  modifié  aucune.  Il  a  suffi 
d'abaisser  lentement  le  chariot  qui  porte  la  lunette  du  cathé- 
tomètre,  invariablement  fixée  déjà  dans  le  plan  vertical  qui 
passe  par  l'axe  du  tube.  Dans  ces  circonstances,  les  valeurs 
obtenues  restent  parfaitement  comparables  entre  elles,  et  four- 

8«  SBRiB.  —  tous  m,  1.  d 


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60 


MÉMOIRES 


FI&.3 


Dissent  une  vérification  de  la  loi  des  pressions  avec  une  préci- 
sion satisfaisante,  puisque|les  différences  entre  les  résultats 
observés  correspondent  à  des  erreurs  relatives  qui  ne  dépas- 
sent pas  ~. 

§  3.  —  Deuxième  procédé,  modifié  et  adapté  à  l'étude 
de  la  fUtration  à  travers  des  couches  de  sable. 

60.  J'ai  adopté,  par  la  suite,  des  dispositions  qui  ne  diffé- 
raient pas  essentiellement  des  précédentes,  mais  qui  permet- 
taient de  varier  plus  aisément  les 
expériences. 

Au  lieu  de  coiffer  d'un  entonnoir 
en  verre  les  vases  poreux  dont  je  me 
suis  encore  servi,  j'en  ai  fait  dresser 
et  roder  les  bords.  J'applique  sur  ces 
bords  une  rondelle  de  caoutchouc  de 
forme  annulaire,  B,  B  (fig.  3),  et  au- 
dessus  un  disque  de  cuivre  de  5  mil- 
limètres d'épaisseur  et  de  89  milli- 
mètres de  diamètre ,  C ,  C.  Ce  disque 
est  percé  en  son  centre  d'une  ouver 
lure  cylindrique  filetée  intérieure- 
ment; elle  peut  recevoir  ainsi  diffé- 
rents tubes  terminés  par  des  viroles 
identiques.  Deux  autres  cavités,  pla- 
cées vers  les  extrémités  d'un  même 
diamètre,  servent  à  engager  deux  tringles  métalliques  T,  T, 
boulonnées  à  l'un  des  bouts  ((,  t)  et  filetées  à  l'autre.  Deux 
traverses  disposées  en  croix  ou  une  seconde  plaque  métallique 
de  forme  annulaire  sont  appliquées  contre  le  fond  du  vase 
poreux  et  rendues  solidaires  du  disque  obturateur  par  l'inter- 
médiaire des  deux  tringles.  En  tournant  les  écrous  t',  t\  qui 
se  vissaient  sur  les  deux  tringles,  on  peut  produire' ja  ferme- 
ture hermétique  du  vase,  grâce  à  l'élasticité  de  la  rondelle  de 
caoutchouc  interposée  entre  les  bords  de. ce  vase  et  le  disque 
métallique. 


Fig.  3. 


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RECHERCHES  SUR    LÀ   FILTRATION. 


54 


Fiâ.4 


Le  récipient  peut  recevoir  par  le  tube  A,  vissé  au  centre  de 
la  plaque,  de  Teau,  qui  ne  peut  s'échapper  qu'en  vertu  de  la 
perméabilité  de  la  partie  inférieure  des  parois.  On  s'assure,  du 
resle,  qu'il  en  est  ainsi  en  remplissant  le  vase  quand  il  est 
placé  dans  l'air,  et  en  constatant  qu'aucun  suintement  ne  se 
produit,  ni  autour  de  la  virole  centrale  E,  ni  sur  les  bords  du 
disque  supérieur.  L'appareil  ainsi  constitué  est  représenté  par 
la  figure  3. 

61 .  Dans  d'autres  cas,  le  vase  poreux  est  remplacé  par  un 
manchon  de  verre,  qui  est  transformé  en  une  sorle  de  cage 
cylindrique   ou    de    lanterne.  Pour 

cela,  on  applique  sur  le  bord  infé- 
rieur une  rondelle  de  caoutchouc  et 
une  plaque  annulaire  de  cuivre,  D., 
D  (fig.  4)  ;  on  place  aussi  sur  le  bord 
supérieur  une  autre  rondelle  de  caout- 
chouc et  la  plaque  de  cuivre  C,  C, 
filetée  au  centre,  qui  peut  recevoir 
divers  tubes  ;  enfin,  on  rapproche  les 
deux  disques  de  cuivre  à  l'aide  des 
deux  tringles  filetées  dont  nous  avons 
déjà  parlé. 

Le  petit  appareil  ainsi  représenté 
en  coupe  {fig.  4)  se  prêle  à  différents 
usages  ;  j'ai  pu  mettre  entre  le  man- 
chon de  verre  et  le  disque  inférieur 
de  laiton  deux  rondelles  annulaires 
de  caoutchouc,  et  intercaler  entre 

elles  une  feuille  de  parchemin  végétal,  en  ayant  soin  de  la 
soutenir  par  une  soie  résistante  comme  celle  dont  on  se  sert 
pour  faire  les  tamis.  J'ai  pu  aussi  placer  en  aa'  (fig.  4)  une 
toile  métallique,  et  couler  au-dessus  une  couche  de  plâtre, 
ou  introduire  des  substances  en  fragments  très-petits,  et  qui 
forment  là  des  couches  perméables  aux  liquides. 

62.  J'avais  pris  ces  dispositions  pour  étudier  principalement 
la  filtration  à  travers  de  petites  masses  de  sable;  mais  je 
m'aperçus  immédiatement  que  l'écoulement  de  l'eau,  dans  ces 


Fig.  4. 


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62 


MBlfOIRES 


FI6.S 


conditions,  était  trop  rapide  pour  être  exactement  suivi.  Je 
fus  ainsi  conduit  à  prendre  un  manchon  en  verre  beaucoup 
plus  long  et  plus  étroit,  dont  Tocclusion  était  obtenue  de  la 
même  façon.  « 

Cet  appareil  est  représenté  (fig.  5).  Le  tube  a  1  mètre  de 
longueur  et  29"»5  de  diamètre  intérieur.  En  sur- 
montant le  disque  supérieur  en  cuivre  du  tube 
cylindrique  divisé  dont  j'ai  déjà  parlé,  j'ai  pu  cons- 
tater que  le  passage  à  travers  une  couche  de  sable 
s'effectuait  aussi  conformément  à  la  première  loi 
de  Poiseuille,  c'est-à-dire  que  les  vitesses  avec 
lesquelles  le  liquide  s'écoulait  étaient  proportion- 
nelles aux  charges. 

63.  Ces  expériences  présentent  beaucoup  plus 
de  difficultés  que  celles  que  nous  avons  faites  avec 
les  vases  poreux;  aussi,  si  j'ai  été  désappointé  de 
constater,  après  mQs  expériences,  que  Darcy  s'était 
occupé  déjà  de  cette  question,  je  n'ai  pas  été  sur- 
pris de  voir  que  les  résultats  qu'il  avait  obtenus 
ne  constituaient  pas  une  vérification  précise  de  la 
loi  des  pressions.  J'en  ai  déjà  indiqué  les  motifs 
principaux  [18].  J'ai  cherché  à  opérer  sur  des  co- 
lonnes de  sable  aussi  homogènes  que  possible;  pour 
cela,  j'ai  fait  passer  le  sable  siliceux  que  j'ai  em- 
ployé à  travers  une  série  de  tamis  de  plus  en  plus 
fins,  et  je  n*ai  pris,  dans  chaque  expérience,  que 
la  partie  du  sable  qu'un  nouveau  tamisage  venait 
de  séparer  du  reste  de  la  masse.  Ainsi,  par  exem- 
ple, je  me  suis  servi  de  tamis  qui,  examinés  au 
compte-fil,  présentaient  quatre,  six,  huit,  dix, 
quatorze  et  dix-huit  fils  pour  ^  de  pouce,  c'est- 
à-dire  que,  sur  une  largeur  de  ^  de  pouce  (27"*"07), 
on  comptait,  suivant  les  cas,  quatre,  six,  huit,  dix,  qua- 
torze et  dix-huit  fils  très -sensiblement  équidistants.  Dans 
une  expérience,  je  ne  prenais,  par  exemple,  que  du  sable, 
que  je  désignerai  par  8-10,  dont  les  grains  avaient  traversé 
le  tamis  &  huit  fils,  mais  qui  étaient  restés  au-dessus  du 


I*;;; 


Fig.  5. 


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BECHERCHBS  SUR   LA    FILTRÀTION.  53 

tamis  à  dix  flis.  Des  poussières  bien  plus  ténues  restaient  en- 
core adhérentes  aux  grains;  il  fallait  les  enlever  par  plusieurs 
lavages  successifs  ;  je  terminais  toujours  cette  opération  dans 
le  tube  même  où  devait  s'effectuer  la  fikration.  Le  sable,  lavé, 
mais  desséché  et  tamisé,  était  introduit  dans  le  manchon  déjà 
décrit  (^.  5).  Ce  manchon  était  lui-même  plongé  dans  un  vase 
cylindrique  de  zinc  construit  pour  cet  usage,  et  qui  avait 
1»20  de  hauteur  sur  0*12  de  diamètre;  l'eau  ne  pénétrait  que 
par  le  fond,  et  ne  pouvait  s'élever  dans  cette  colonne  de  sable 
qu'en  progressant  lentement  de  bas  en  haut,  et  chassant  de- 
vant elle  l'air  confiné  entre  les  grains.  Mais  je  ne  comptais  pas 
sur  l'efficacité  de  ce  moyen  ;  aussi,  tandis  que  le  manchon  était 
plongé  dans  l'eau,  je  produisais  une  aspiration  par  l'extrémité 
du  tube  gradué  de  manière  à  remettre  les  grains  de  sable  en 
suspension.  Les  poussières  rendaient  encore  trouble  l'eau  qui, 
après  avoir  traversé  la  couche  de  sable,  s'élevait  par  aspira- 
lion  dans  le  tube  gradué,  et  j'arrêtais  un  instant  ce  mouve- 
ment ascendant  du  liquide  pour  que  le  sable  pût  retomber  au 
fond. 

Je  répétais  cette  opération  autant  de  fois  qu'il  était  néces- 
saire pour  que  la  colonne  d'eau  ainsi  surélevée  restât  limpide, 
malgré  son  passage  ascendant  à  travers  la  couche  de  sable,  et 
que  celle-ci  fût  complètement  purgée  d'air. 

64.  Avant  de  procéder  à  des  mesures,  j'avais  le  soin  de 
laisser  le  niveau  de  l'eau  s'abaisser  plusieurs  fois  depuis  le 
sommet  du  tube  gradué  jusqu'aux  bords  du  vase  de  zinc.  Il  se 
produisait,  pendant  ce  temps,  dans  le  manchon,  un  tassement 
du  sable,  dont  le  volume  ne  variait  plus  ensuite,  comme  il 
était  aisé  de  s'en  assurer. 

Le  tube  gradué  qui  surmonte  le  manchon  est  flxé  verticale- 
ment à  l'aide  de  pinces  à  vis  glissant  le  long  d'une  tige  ver- 
ticale. On  relève  les  hauteurs  soit  à  l'aide  du  calhétomètre, 
soit  à  l'aide  d'un  curseur  annulaire  glissant  le  long  du  tube, 
qui,  comme  nous  l'avons  dit,  porte  des  divisions  équidistantes. 
Ces  divisions  doivent  correspondre  à  des  volumes  égaux; 
mais,  au  moyen  d'un  calibrage  au  mercure  effectué  comme 
nous  l'avons  indiqué  [44],  nous  avons  reconnu  les  petites  dif- 


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54  MÉMOIRES 

férences  que  présenteal  les  volumes  compris  entre  Tes  divers 
traits.  On  peut  donc  se  servir  de  ces  traits  pour  mesurer  les 
hauteurs,  après  avoir  constaté  que  la  distance  comprise  entre 
deux  divisions  qui  limitent  la  capacité  de  1  centimètre  cube 
est  de  0«97i  à  la  température  de  25<>. 

J'ai  pris,  dans  certains  cas,  la  précaution  de  faire  circuler 
dans  le  cylindre  de  zinc  de  Teau  froide  constamment  renou- 
velée; mais  on  peut  s'en  dispenser  lorsque  les  expériences 
s'effectuent  rapidement,  la  grande  masse  d'eau  du  vase  de  zinc 
ne  suivant  qu'avec  une  grande  lenteur  les  petites  variations 
de  température  qui  peuvent  se  produire  dans  le  laboratoire. 

65.  Je  me  suis  encore  servi,  pour  étudier  la  lillralion  à  tra- 
vers une  couche  de  sable,  du  tube  gradué,  dont  je  ferme  une 
des  extrémités  à  l'aide  d'un  morceau  de  soie  des  tamis  ;  j'en 
forme  un  obturateur  perméable  aux  liquides,  et  qui  soutient  la 
masse  filtrante.  J'ai  même  relié  le  premier  tube  gradué  avec 
un  second  de  même  forme  par  l'intermédiaire  d'un  écrou  un 
peu  long,  qui  recevait  à  la  fois  les  bouts  filetés  des  deux  vi- 
roles. J'avais  ainsi  un  tube  dont  la  longueur  dépassait  2  mètres, 
ce  qui  me  permettait  d'opérer  sur  des  couches  de  sable  d'une 
plus  grande  épaisseur. 

Dans  les  deux  cas,  la  section  de  la  colonne  filtrante  est  égale 
à  celle  du  cylindre  liquide  qui  la  presse. 

Voici,  par  exemple,  les  détails  d'une  expérience  : 

J'établis  la  fermeture  du  tube  gradué  a""  1  avec  une  soie  de 
dix  fils  par  ^  de  pouce,  qui  ne  peut  laisser  passer  les  grains 
de  sable  dont  on  la  charge;  j'introduis  dans  le  tube  une 
colonne  de  ce  sable  avec  les  précautions  indiquées.  Je  plonge 
le  tube  dans  un  vase  à  précipité  dont  le  niveau  reste  constant 
par  trop-plein,  et  qui  est  entouré  d'eau  froide  constamment 
renouvelée.  Le  tube  est  fixé  verticalement  avec  les  précautions 
déjà  décrites  ;  mais  ici,  après  avoir  relevé  au  cathétomètre  les 
hauteurs  de  quelques  traits,  je  me  contente,  pour  suivre  l'abais- 
sement du  niveau,  de  faire  glisser  le  curseur  annulaire  le  long 
du  tube,  de  manière  que  le  bord  supérieur  coïncide  successi- 
vement avec  les  divisions  80,  70,  60,  par  exemple;  j'attends 
que  le  ménisque  concave  qui  termine  la  colonne  liquide  des* 


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BECHERCHES   SUR   LA    FILTRATION.  55 

cendante  devienne  tangent  au  plan  horizontal  ainsi  déterminé. 

66.  Je  niets,  à  cet  instant,  le  chronomètre  en  marche;  je  fais 
glisser  le  curseur  jusqu'à  la  division  70,  et,  en  attendant  le 
passage  du  niveau  vis-à-vis  ce  trait,  j&  note  une  ou  deux  fois 
les  temps  indiqués  simultanément  par  une  bonne  montre  à  se* 
condes  et  par  le  chronomètre  ;  puis  j'arrête  ce  dernier  quand 
le  niveau  du  liquide  atteint  la  division  70.  Je  laisse  revenir  au 
zéro  l'aiguille  des  secondes  du  chronomètre,  et  je  la  rends 
libre  de  nouveau  quand  le  niveau  passe  à  la  division  60;  je 
détermine  encore  ja  coïncidence  des  temps  donnés  par  la  montre 
et  par  le  chronomètre  avant  que  le  niveau  ait  atteint  le  trait  50. 
11  résulte  de  là  un  moyen  de  connaître  le  temps  que  Je  liquide 
a  mis  à  passer  de  la  division  70  à  la  division  60,  quoiqu'on  ne 
l'ait  pas  compté  directement.  Il  suffit,  en  effet,  de  déduire  des 
données  précédentes  les  temps  que  marquait  la  montre  quand 
le  niveau  était  vis-à-vis  du  trait  70  et  quand  ensuite  il  attei- 
gnait le  trait  60,  ce  qui  ne  présente  aucune  difficulté. 

En  procédant  ainsi,  on  avait  le  moyen  de  contrôler  la  durée 
totale  d'une  expérience.  On  aurait  pu  opérer  plus  simplement 
avec  un  chronomètre  à  pointage  ;  mais,  sans  attendre  le  mieux, 
je  me  suis  appliqué  à  tirer  le  meilleur  parti  des  instruments 
dont  je  disposais. 

67.  Voici  quelques-uns  des  résultats  que  j'ai  obtenus  : 


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56 


MÉMOUES 


TABLEAU  Vffl 

PASSAGE  DE  l'eAU  A  TRAVERS  CXE  COLONNE  DE  SABLE  (8-iO);  — LA  COLONNE 
DE  SABLE  EST  TOLT  ENTIÈRE  PLONGÉE  DANS  LE  UQLIDE  DC  VASE. 

La  température  extérieure  est  de  23o60  ;  la  températore  de  Teaa ,  de  tZ^ 
m  =  0,002072. 


SUMÉBOB 

det 

dn 
tobe. 

HACTSTBS 

de 

œsdiTisioitt 

da  niTwa 

da  liquide 

danslerue. 

TEM 

MX 

PmnUm 
expé. 

ricDoe. 

PS   OBSERVÉS 

TSB  LBS  TBAm 

Deuxième 

tixpè'       Mojenaes. 
zienoe. 

totales 
moyeiBMs 
oUiuifo. 

DXITÉRKy- 
DUBÉKS  ,          cB 

totale*  |^*«>I» 
^^       calculés 

calcolées!         et 

!  ofasenrés.  1 

80 

620—88 
623,78 

0,00 

• 
0,00 

0,00* 

1    "• 

82» 

82 

1 
j 

70 

1 

100 

82 

82 

0.00 

1 

loi 

400,60 

1 

60 

426,68   1 

124 

4  26 

426 

482,60 

484 

-j-4«60' 

50 

329,68    , 

307,60 

306 

-j-l*6o' 

168 

4  66 

4  67 

40 

232,48 

260 

474,60 

474 

+  0,60J 

261 

260,50 

30 

4  36,88 

217 

214 

24  5,60 

735 

734 

i 

S5 

86,84 

156 

156 

4  56 

950,50 

949 

+  <       1 

2S,50 

62,56 

4  4  06,50 

4<09 

—  2,60 

On  compread  que  les  moindres  erreurs  dans  la  visée  amë- 
neot  des  écarts  entre  les  résultats  observés  et  les  résultats 

calculés  à  l'aide  de  la  formule  0  =        _^i^^  ,  mais  ils 

m  log  e        ' 

restent  ici  renfermés  dans  des  limites  Irès-élroiles,  de  sorte 


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RECHEECHES  SUR    LÀ    FILTRàTION.  57 

que  ces  résultats  nous  paraissent  bien  démontrer  la  loi;  la 
constante  m  a  été  déterminée  à  Taide  de  la  première  expé- 
rience, comme  nous  l'avons  indiqué  déjà  [50].  Aussi,  pour 
déterminer  le  temps  nécessaire  à  l'écoulement  du  liquide  du 
trait  80  au  trait  70,  avons-nous  ramené  quatre  fois  le  liquide 
au-dessus  de  ce  trait  et  pris  la  moyenne,  ce  qui,  comme  on 
voit,  n'est  pas  très-long,  puisque  la  durée  est  de  82  secondes. 

68.  Nous  pourrions  mulliplier  les  exemples,  puisque  toutes 
nos  autres  recherches  ont  exigé  d'abord  la  vérification  de  cetle 
première  loi  ;  nous  nous  bornerons  à  citer  encore  quelques  ex- 
f)ériences,  faites  dans  des  conditions  un  peu  différentes. 

J'ai  introduit  600  grammes  de  sable  (14-18)  dans  le  tube  de 
verre  que  j'ai  déjà  décrit  [62]  (/îg.  S)  ;  le  sable  y  forme  une 
colonne  de  978  millimètres,  et  j'ai  vissé  au  centre  de  l'obtu- 
rateur un  tube  gradué.  Comme  la  surface  de  l'eau,  dans  le 
vase  de  zinc,  doit,  par  suite  du  trop-plein,  se  maintenir  cons- 
tante pendant  le  cours  de  l'expérience,  je  relève  au  cathéto- 
mètre  la  distance  verticale  qui  sépare  ce  niveau  du  trait  0, 
Iracé  sur  le  tube,  et  j'exprime,  pour  plus  de  simplicité,  cette 
hauteur  en  prenant  pour  unité  ta  distance  qui  sépare  deux 
traits  du  tube,  distance  équivalant  à  9"»71. 

La  rapidité  de  l'écoulement  ne  m'aurait  pas  permis,  dans  ce 
cas,  de  suivre  le  mouvement  descendant,  et  de  relever  en 
même  temps  les  indications  données  simultanément  par  la 
montre  et  par  le  chronomètre.  Je  me  suis  donc  borné,  cette 
fois,  à  observer  avec  ce  dernier  instrument  le  temps  néces- 
saire pour  que  le  niveau  passe  de  la  division  85  à  la  divi- 
sion 83,  de  la  division  75  à  la  division  73,  de  la  division  65  à 
la  division  63.  Je  fais  le  produit  des  hauteurs  moyennes  de 
ces  divisions  par  les  temps  correspondants;  ces  produits  doi- 
vent être  égaux  quand  ils  correspondent  à  des  abaissements 
égaux  de  la  colonne  liquide,  comme  nous  l'avons  déjà  indi- 
qué [37],  et  nous  savons  même  quelle  est  l'approximation 
que  nous  avons  quand  nous  appli(|uons  la  formule  approchée 

5!Hl»Xe=5!^^^=P  (5) 

2  m  ^ 


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58  MÉMoiaBS 

au  lieu  de  la  formule  complète 
Ho  —  H      Ho  +  H 


m 


.(i^^m^^^^mm^...).     (4) 


TABLEAU  K 

69.  PASSAGE  DE  L  EAU.  A  TRAVERS  UNE  COLONNE  DE  SABLE  DE  978"»  DE  LONGUEUR 
RENFERMÉE  DANS  LE  LONG  MANCHON;  —  LES  HAUTEURS  AU-DESSUS  DU  NIVEAU 
SONT  EXPRIMÉES  EN  PRENANT  POUR  UNTTÉ  LES  DIVISIONS  TRACÉES  SUR  LE  TUBE; 
—  UNE  DIVISION  VAUT  9">"»71. 

La  température  do  liquide  était  de  22o60. 


85 
83 

75 
73 

65 
63 

55 
53 

45 
43 

35 
33 

S5 
S3 

45 
43 


HACTBURS 

des  âirisions 
moyennes 
aa-dessus 

du  niveau, 
exprimées 

en  divisiona. 


TBMP8 

obser- 
vé8. 


sas 
A  s  s 

8 


90<*60 

80,50 

70.5 

60,5 

50,5 

40,5 

30,5 

20,5 


20« 

22,50 

25,5 

30 

36 

44,5 

60,60 

90 


5 
S  S 


1810 


1811 


1798 


1815 


1818 


1802 


1848 


4845 


RAUTKDRa 

des  dirisions 
moyennes 
an-dessus 
de  la  base 

de  la  colonne 
de  sable. 


192,7 
182,7 
172,7 
162,7 
152,7 
142,7 
132,7 
122,7 
142,7 


■imrs 
obser- 
vés. 


9,50 

10 

10,50 

11,2 

11,8 

12,5 

13,5 

14,8 

16,2 


i 

S  .  o 

**|8 


1830 


1827 


1813 


1822 


1802 


1784 


1791 


1817 


1826 


DISTANCES 

des  divisions 
moyennes 
àlabase 
de  la  colonne 
de  sable, 
comptées 
suivant 
la  ligne 
de  pente. 

8 


192,7 


182,7 


172,7 


162,7 


162,7 


142,7 


132,7 


122,7 


412,7^ 


Tiocrs 
obser- 
vée. 

9 


10 


11 


11,6 


12,4 


13 


13,5 


n,4 


15,6 


17,00 


18,80 


1,168 


1,150 


1,181 


1,160 


1,144 


1,152 


1,155 


1,149 


1,4  60 


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RECHEBGHBS   SUR   LA   FILTRATION.  59 

Pour  ne  pas  multiplier  nos  tableaux,  nous  avons  consigné 
dans  les  six  dernières  colonnes  des  résultats  obtenus  avec  le 
même  tube,  rempli  de  la  même  colonne  de  sable,  à  la  même 
température. 

70.  Nous  indiquerons  plus  loin  [87,  88  et  89]  les  conclu- 
sions que  Ton  doit  en  tirer;  nous  n'avons,  pour  le  moment, 
qu'à  nous  occuper  des  nombres  inscrits  dans  les  quatre  pre- 
mières colonnes.  On  voit  aisément  que  les  temps  nécessaires 
pour  l'écoulement  d'une  quantité  constante  du  liquide,  multi- 
|)Iiés  par  les  charges  moyennes  correspondantes,  donnent  des 
produits  sensiblement  constants.  Les  difficultés  qu'il  y  avait  à 
mesurer  exactement  les  temps  en  opérant  ainsi  ne  permet- 
taient pas  d'atteindre,  je  crois,  une  plus  grande  précision  ;  mais 
les  résultats  du  tableau  IX  confirment  bien  ceux  que  nous  avons 
ohtenus  par  une  méthode  moins  rapide,  mais  plus  précise,  et 
que  nous  avons  inscrits  dans  le  tableau  YIII, 

Voici  encore  un  autre  tableau  d'expériences  analogues  faites 
avec  le  même  appareil,  mais  lorsque  la  colonne  de  sable  était 
différente  : 


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60 


HÉMOIIIES 


TABLEAU  X 

La  température  de  l'eau  était  de  84<>X. 


trUMiBOS 

HADTOUB8 

PBODUITB 

PBODUITB 

des 

des  dlTisions 

TEMPS 

des  nombres 

des  divisions 
moyennes 

TBIIFB 

des  nombres 

divisioiis 

moyennes 

des 

au-dessus 

des 

du 

aa-dessos 

Observés. 

colonnes 

de  la  base 
de  l*.  colonne 

Observés. 

colonnes 

tube. 

du  niveau. 

3  et  8. 

de  sable. 

6  et  6. 

1 

3 

8 

4 

6 

6 

7 

84 
82 

79,8 

21 

4  676 

494,7 

8,8 

4  687 

74 
72 

69,8 

24 

4  675 

484,7 

9,2 

4  674 

64 
62 

59,8 

28 

4  674 

474,7 

9,8 

4  683 

54 
52 

49,8 

33,5 

4  668 

464,7 

M 

« 

44 
42 

39,8 

42 

4  672 

4  54,7 

M 

Ê 

34 
32 

29,8 

56 

4  678 

444,7 

a 

a 

24 
22 

19,8 

85 

4  683 

434,7 

4  2,5 

4  676 

Les  observations  déjà  faites  au  sujet  du  lableau  IX  s'appli- 

quant  au  tableau  X,  on  peut  constater  de  plus  que,  dans  le 

premier  des  deux  tableaux,  la  moyenne  des  produits  obtenus 

est  de  \  81 8,  et  qu'elle  est,  dans  le  second,  de  1 675.  Les  écarts  en 

plus  ou  en  moins  ne  dépassent  pas,  dans  un  cas,  le  ~  et,  dans 

l'autre,  le  ^  de  la  valeur  moyenne.  Le  coefficient  m  a  la  va-^ 

leur  moyenne  =  0,00110  pour  le  premier  cas,  et  0,00117  pour 

le  second.  Ces  nombres  sont  assez  petits  pour  qu'on  puisse 

H   -4-  H 
considérer  le  produit  — ^-g — 


6  comme  constant. 


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RECHBRCBRS  SUR   Ll   FILTRATION.  61 

On  ne  pouvait  pas,  dans  les  conditions  de  rexpërience, 
atteindre  une  plus  grande  précision.  Ces  résultats  nous  ont 
paru  suffisants  pour  montrer  que  la  première  loi  de  Poiseuille, 
bien  vérifiée  par  les  expériences  du  tableau  VIII,  s'appliquaienl 
encore  dans  les  circonstances  où  nous  nous  étions  placés  en 
dressant  les  tableaux  IX  et  X. 


§  4.  —  Troisième  procédé  expérimental.  —  Description 
de  l'appareil  à  pressions  variables. 

71.  Pour  aller  plus  loin  et  soumettre  les  liquides  à  des 
pressions  plus  considérables,  il  a  fallu  recourir  à  un  appareil 
plus  complexe  :  j'ai  essayé  de  l'organiser  ici  avec  le  concours 
intelligent  et  dévoué  de  MM.  Blanchi,  de  Toulouse.  Je  pouvais 
disposer  de  quelques  instruments  du  cabinet  de  physique  du 
Lycée,  qui  ne  remplissaient  pas  parfaitement  les  conditions 
que  j'aurais  voulu  réaliser.  MM.  Bianchi  m'en  ont  prêté  quel- 
ques autres  :  leur  ensemble  avait  des  défauts  en  partie  prévus, 
que  j'ai  cherché  à  corriger  en  multipliant  les  précautions. 

72.  L'appareil  se  compose  (Voir  pi.  1)  d'un  tube  de  verre  AB 
à  parois  très  épaisses,  renflé  en  son  milieu  ;  au-dessus  et  au- 
dessous  du  renflement  sont  tracés  deux  traits  principaux  et 
un  certain  nombre  de  traits  accessoires.  Un  jaugeage  au  mer- 
cure a  permis  de  déterminer  la  capacité  comprise  entre  ces 
traits;  elle  est  entre  les  deux  traits  principaux  de  124"*730""", 
et  leur  distance  est  de  223»"24.  Les  deux  extrémités  du  tube 
sont  pourvues  de  viroles  filetées.  La  virole  inférieure  peut  se 
visser  au  centre  de  la  plaque  obturatrice  que  nous  avons  déjà 
décrite,  et  qui  ferme  les  vases  poreux  ou  les  manchons  de 
verre  placés  immédiatement  au-dessous  dans  le  vase  V.  La 
virole  supérieure  reçoit  le  pas  de  vis  d'un  tube  à  robinet  R^, 
qui  sert  lui-même  à  raccorder  le  tube  renflé  avec  un  tuyau  de 
plomb  CD.  Celui-ci  se  termine  en  D  par  un  ajutage  en  cuivre 
pourvu  aussi  d'un  robinet  Rj ,  et  qui  se  visse  au  centre  d'un 
vase  de  mèmie  métal,  qui  n'est  autre  que  le  réservoir  d'une 
fontainede  compression.  Un  robinet  Rg  placé  sur  une  tubulure 


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62  MÉUOIRES 

latérale,  servait  à  établir  ou  à  intercepter  la  commuDicalion 
avec  le  resle  de  l'appareil.  A  cet  effet,  un  second  tube  de  plomb 
était  soudé,  d'une  part,  à  cette  tubulure,  et,  d'autre  part,  à  une 
douille  MNO,  qui  portait  un  robinet  à  trois  voies  R4,  comme 
ceux  dont  M.  Regnault  s'est  si  fréquemment  servi;  cette 
douille  était  implantée  sur  un  tube  de  laiton  FG,  relié  lui- 
même  par  un  tube  de  plomb  recourbé  HKL  avec  une  pompe 
foulante.  Le  robinet  R4  permettait  ainsi  d'établir  la  communi- 
cation entre  le  réservoir  E,  le  tube  FG  et  l'air  extérieur,  qui 
arrivait  par  un  canal  OR4  perpendiculaire  à  la  direction  MN. 
Une  seconde  douille  M^N'O',  en  tout  semblable  à  la  première, 
était  fixée  aussi  sur  le  tube  FG,  et  portait  également  un  robinet 
à  trois  voies  R5;  c'était  de  la  partie  supérieure  de  celte  douille 
que  partait  un  troisième  tube  de  plomb  servant  à  réunir  le 
tube  FG  à  un  manomètre  Richard  à  huit  branches  VUST. 
In  robinet  Re  permettait  d'établir  ou  d'intercepter  la  commu- 
nication du  manomètre  avec  les  autres  pièces;  enfin,  la  pompe 
foulante  PF,  dont  l'axe  était  parallèle  à  celui  du  tube  de 
laiton  FG,  portait  à  son  extrémité  un  robinet  R7,  qn'on  fer- 
mait quand  on  avait  refoulé  l'air. 

J'ai  complété  l'appareil  en  appliquant  sur  le  disque  CK,  qui 
terminait,  la  I  rancbe  horizontale  de  la  douille  M'N'O',  un  se- 
cond disque  portant  un  bout  de  tube  de  cuivre,  qui  était  ainsi 
la  continuation  du  canal  qui  aboutissait  au  robinet  R5  ;  ces 
deux  disques  étaient  serrés  l'un  contre  l'autre  par  des  vis  de 
pression,  comme  l'indique  la  figure,  et  je  reliais,  à  l'aide  d'un 
tube  de  caoutchouc,  le  bout  X  avec  la  machine  pneumatique. 
De  cette  façon,  on  pouvait  à  volonté,  en  tournant  convenable- 
ment les  robinets,  comprimer  ou  raréfier  l'air  dans  le  réser- 
voir E,  qu'on  pouvait  ensuite  faire  communiquer  avec  le  tube 
de  verre  épais  AB  et  avec  le  manomètre  VUST. 

73.  Pour  éviter  les  variations  de  température,  qui  exercent 
une  action  perturbatrice  si  prononcée,  on  avait  placé  le  réser- 
voir de  la  fontaine  de  compression  dans  une  cuve  en  zinc  rem- 
plie d'eau;  le  vase  poreux  ou  les  manchons  remplis  de  sable 
étaient  aussi  plongés  dans  des  vases  remplis  également  d'eau 
froide.  L'installation  avait  été  faite  tout  près  d'un  robinet  four- 


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RECHERCHES  SUR   LÀ    FILTRÀTION.  63 

nissant  Peau  des  fontaines  publiques,  et  des  tubes  de  caout- 
chouc étaient  convenablement  placés  pour  amener  un  courant 
d'eau  dans  le  vase  V  ;  le  trop-plein  pouvait  se  déverser  dans 
la  cuve  en  zinc  Z,  et  s'échapper  ensuite  au  dehors.  Des  ther- 
momètres placés  dans  le  vase  Y^  dans  la  cuve  et  à  côté  du 
manomètre,  permettaient  d'apprécier  la  température  de  l'eau 
qui  circulait  dans  cet  appareil,  ainsi  que  celle  de  l'air  extérieur. 
74.  Voici  maintenant  la  marche  d'une  opération  : 
Après  avoir  adapté  le  vase  poreux  ou  un  des  manchons  que 
j'ai  décrits  à  l'extrémité  du  tube  AB,  Je  tournais  convenable- 
ment les  robinets,  et  je  raréfiais  l'air  dans  le  réservoir  E  à 
l'aide  de  la  machine  pneumatique,  mise  en  communication  par 
un  tuyau  de  caoutchouc  avec  le  bout  du  tube  X  {pi.  1).  Cet  air 
raréfié  exerçait  son  action  sur  le  manomètre  et  sur  le  tube 
renflé,  et  par  suite  aussi  sur  le  vase  poreux,  qui  était,  en  ce 
moment,  en  partie  plongé  dans  le  liquide  du  vase  V;  mais  la 
plaque  obturatrice  était  au-dessus  du  niveau  extérieur.  S'il  y 
avait  quelques  défauts  dans  les  joints  qui  réunissaient  le  réci- 
pient filtrant  au  tube  fusiforme,  on  s'en  apercevait  immédiate- 
ment, car  l'air  pénétrait  par  ces  interstices  plus  aisément  que 
l'eau  à  travers  les  corps  poreux,  et  la  force  élastique  intérieure 
augmentait  rapidement  sans  que  le  liquide  s  élevât.  Si  les  pièces 
étaient  bien  reliées  les  unes  aux  autres,  le  liquide  passait  de 
dehors  en  dedans,  et  s'élevait  lentement  dans  le  tube  AB;  lors- 
qu'il avait  sensiblement  dépassé  le  trait  A,  on  fermait  les  robi- 
nets Ri  et  R),  et  on  laissait  entrer  l'air  pour  rétablir  la  pres- 
sion atmosphérique  dans  toutes  les  autres  parties  de  l'appareil. 
Cette  opération  faite,  on  disposait  le  robinet  R4  de  manière 
à  intercepter  la  communication  directe  de  ces  diverses  pièces 
avec  l'atmosphère,  tandis  qu'on  les  mettait  en  relation  avec  la 
machine  de  compression  en  ouvrant  le  robinet  R7,  qui  jusque- 
là  avait  été  fermé.  Par  le  jeu  de  la  pompe  foulante,  on  accu- 
mulait dans  le  réservoir  E  de  l'air  comprimé;  on  fermait  alors 
de  nouveau  R7.  On  ouvrait  R^  et  Re,  et  l'on  évaluait,  à  l'aide 
des  indications  du  manomètre  à  air  libre,  la  pression  sous  la- 
quelle allait  commencer  le  passage  à  travers  le  vase  poreux  du 
volume  du  liquide  compris  entre  le  trait  A  et  le  trait  B.  Mais 


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64  MÈMOIRBS. 

avant  d'ouvrir  le  robinet  R,,  on  mettait  en  position  le  calhélo- 
mèlre  pour  viser  le  trait  A.  Dès  que  ce  robinet  était  ouvert,  le 
liquide  commençait  à  descendre  :  Ton  suivait  le  mouvement 
de  sa  surface  terminale  à  Faide  de  la  lunette  et  on  mettait  le 
chronomètre  en  marche  au  moment  où  le  ménisque  liquide 
était  tangent  au  fil  horizontal  du  réticule. 

On  visait  ensuite  le  niveau  du  mercure  dans  la  branche 
ouverte  ST  du  manomètre,  on  constatait  les  petits  abaisse- 
ments de  niveau  qui  se  produisaient  pendant  que  le  liquide 
continuait  à  s'écouler,  jusqu'au  moment  où  il  s'approchait  du 
trait  B;  alors  la  lunette  du  cathétomètre  était  de  nouveau  dis- 
posée pour  viser  le  passage  du  niveau  au  trait  B.  A  cet  instant 
l'on  arrêtait  la  marche  du  chronomètre. 

On  déterminait  ainsi  le  temps  que  mettait  un  volume 
donné  d'eau  à  passer  à  travers  un  milieu  perméable  sous  une 
charge  qu'on  appréciait  à  l'aide  d'un  manomètre  à  air  libre  et 
qu'on  pouvait  aisément  évaluer  en  colonne  d'eau  de  même 
densité. 

75.  Malheureusement  l'appareil  présentait  plusieurs  défauts 
qui  ne  m'ont  permis  d'atteindre  ni  la  précision  que  j'avais 
espérée,  ni  les  limites  de  pression  auxquelles  j'aurais  voulu 
parvenir  dans  mes  expériences. 

Les  pièces  qui  le  composaient  n'avaient  pas  les  proportions 
qui  rendent  les  expériences  faciles  et  sûres  et  dont  l'appareil 
de  Poiseuille  construit  ad  hoc  présentait  un  si  bel  exemple. 
La  pompe  foulante,  d'une  section  de  4c<»'^  25""  et  d'une 
longueur  de  4>%  5  avait  une  capacité  de  193  c.  cubes,  500, 
beaucoup  trop  petite  en  comparaison  du  réservoir  de  la  fon- 
taine de  compression,  qui  était  de  8  lit.  7o  cent,  de  papa- 
cité,  de  sorte  que  l'introduction  du  gaz  comprimé  dans  ce 
récipient  constituait  une  opération  longue  et  pénible.  Cepen- 
dant, il  eût  été  bon  que  ce  réservoir  fût  encore  plus  grand, 
pour  pouvoir  considérer  l'accroissement  de  volume  AB  comme 
négligeable.  Il  n'en  était  pas  ainsi,  et  il  en  résultait  une  dimi- 
nution de  pression  sensible  par  suite  de  la  détente  du  gaz. 

J'ai  essayé,  pour  atténuer  cet  inconvénient,  de  substituer 
au  tube  fusiforme  \li  des  tubes  plus  petits  portant  en  leur 


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RECHERCHES  SUR    LA   FILTRATION.  65 

milieu  une  ampoule  d'une  trentaine  de  centimètres  cubes  de 
capacité;  mais  ces  ampoules,  soufflées  à  la  lampe,  n'ont  pas 
résisté  aux  pressions  exercées  :  ou  elles  ont  éclaté,  ou  elles 
onl  présenté  des  variations  de  volume  qui  n'étaient  pas  né- 
gligeables. Enfin,  le  manomètre  Richard  à  huit  branches, 
dont  j'ai  pu  me  servir  pour  mesurer  la  pression,  a  non-seu- 
lement une  sensibililé  quatre  fois  moins  grande  à  peu  près 
qu'un  manomètre  à  mercure  à  air  libre  et  à  deux  branches; 
mais  il  faut,  pour  pouvoir  obtenir  de  bonnes  indications,  faire 
préalablement  une  étude  minutieuse  de  cet  instrument,  car  les 
différenles  branches  n'ont  pas  exactement  la  même  section. 

76.  Ce  n'est  pas  tout  ;  le  tube  fusiforme  présente  dans  la 
partie  moyenne  une  section  intérieure  de  10  cent,  carrés 
environ,  et  par  une  pareille  surface  le  gaz  comprimé  pouvait 
se  dissoudre  en  proportion  appréciable  dans  le  liquide  qui 
s'écoulait.  Je  ne  me  suis  pas  proposé  de  rechercher  quelle  est 
exactement  l'influence  de  cette  action  perturbatrice  pendant 
Il  durée  d'une  expérience;  mais  l'on  voit  que  soit  à  cause  de 
la  dissolution  du  gaz,  soit  à  cause  de  la  forme  irrégulière  de 
la  capacité  comprise  entre  les  deux  traits  A  et  B,  il  n'est  pas 
possible  de  déterminer  avec  précision  quelle  est  la  pression 
qui  fait  abaisser  la  surface  terminale  du  liquide  quand  elle 
est  à  une  hauteur  donnée,  ce  que  nous  aurions  pu  faire  si  la 
capacité  AB  avait  été  cylindrique  et  si  la  variation  de  pres- 
sion avait  pu  être  attribuée  exclusivement  à  la  détente  du 
gaz  comprimé.  Il  y  a  eu  encore,  au  moins  dans  certaines  ex- 
périences, de  petites  fuites  par  les  robinets  ou  par  les  joints 
trop  nombreux  de  cet  appareil.  Nous  avons  donc  été  réduit  à 
déterminer  expérimentalement  la  pression  initiale,  c'est-à-dire 
celle  qu'indique  le  manomètre  quand  le  niveau  est  vis-à-vis 
le  trait  A  et  la  pression  finale,  qui  correspond  au  passage  de 
la  surface  terminale  vis-i-vis  le  trait  B,  et  nous  considérons 
l'écoulement  tout  entier  du  liquide  compris  entre  ces  deux 
traits  comme  produit  sous  la  pression  moyenne. 

Pour  avoir  la  mesure  exacte  de  celte  pression,  il  faut  encore 
relever  au  cathétomètre  les  hauteurs  des  traits  A  el  B  au-dessus 
du  niveau  dans  le  vase  V,  où  il  y  a  trop-plein,  et  ajouter  ces 

80  SiRIE.   —  TOME  lU,    1.  e 


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66  MÉMOIRES. 

hauteurs,  Pune  à  la  pression  initiale,  Tautre  à  la  pression 
finale.  On  peut  aussi  tenir  compte  des  ascensions  capillaires, 
qui  sont  vis-à-vis  le  Irait  A,  A  =  i^'^jiô,  et  vis-à-vis  le 
trait  B,  h'  =  5"»,42;  mais  cette  correction  n'a  pas  ici  une 
grande  importance. 

77.  Poiseuille  avait  adopté  des  dispositions  spéciales  pour 
éviter  rentrée  des  poussières  dans  les  tubes  capillaires;  mal- 
gré ces  précautions  minutieuses  et  bien  entendues,  il  a  cons- 
taté quelquefois  Tobstruclion  de  ces  tubfs  et  il  a  été  ainsi 
empêché  de  poursuivre  cerlaines  expériences.  C'est  ce  qui  est 
arrivé  notamment  en  opérant  sur  un  tube  dont  le  diamètre 
était,  dit-il,  a  comparable  aux  vaisseaux  capill  ires  à  globules 
des  mammifères  »  :  il  était  égal  à  0'"",014  (*).  Ici,  nous 
n'avons  pas  pris  les  mêmes  dispositions;  elles  nous  ont  paru 
inutiles»  puisque  le  liquide  pénètre  par  a*?(>iralion  dans  le  vase 
poreux  et  qu'il  subit  en  entrant  une  filtration  parfaite.  Aussi 
Teau  qui  remplit  le  tube  fusiforme  est-elle  d'une  admirable 
limpidité,  mais  il  peut  se  produire  dans  le  mouvement  ascen- 
dant une  obstruction  partielle  de  la  substance  perméable,  et 
Ton  pourra  s'en  assurer  et  en  tenir  compte  en  alternant  les 
expériences. 

78.  Voici,  du  reste,  les  détails  d'une  opération  : 

J'ai  fait  une  série  d'expériences  avec  un  vase  poreux  E,  dont 
les  dimensions  étaient  sensiblement  les  mêmes  que  celles  du 
vase  que  j'ai  déjà  employé  [39].  Je  me  bornerai  à  indiquer  ici 
les  données  suivantes  : 

Surface  filtrante  intérieure 169°-  «'^  36 

Surface  filtrante  extérieure 223*^-  «^^  76 

Somme  de  ces  deux  surfaces 393°-  **'^  12 

Surface  moyenne,  — ^ —  = 186*^-  ^  56 

Épaisseur  de  la  paroi  latérale O*»*-  42 

Capacité  intérieure 2<8«'  «*»»»  628 


(*)  Mémoire  de  M.  Poiseuille  déjà  cité.   —  Tomo  IX  des-  Hîimoirei  cUt  iavantt 
étrangtri  à  V Académie,  page  510. 


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RECHKRCHES   SUR    LA    FILTRATION.  67 

Dans  une  expérience,  la  pression  de  l'air  du  réservoir  me- 
surée par  le  manomèlre  Richard  était  de  3**°^- 34  au  moment 
où  le  niveau  du  liquide  passait  vis-à-vis  le  trait  A;  l'excès  de 
celle  pression  sur  celle  de  l'air  extérieur  était  donc  de  2**°^*  34, 
el  il  était  de  2*^*  30  quand  le  sommet  de  la  colonne  liquide 
atteignait  en  descendant  le  trait  B;  ces  indications  étaient  re- 
levées au  cathétomètrc;  le  temps  écoulé  entre  ces  deux  pas- 
sages était  de  8"42*  =  522  secondes.  Le  thermomètre  plongé 
dans  l'eau  du  vase  V  marquait  21**805  tandis  qu'un  second 
thermomètre,  placé  dans  l'air  à  côté  du  manomètre  Richard, 
indiquait  24^ 

Il  faut  déduire  de  ces  données  la  pression  sous  laquelle  le 
liquide  passe  à  travers  les  espaces  capillaires  du  vase  poreux, 
et  en  donner  la  mesure  par  la  hauteur  d'une  colonne  d'eau 
de  même  densité.  Or,  dans  l'instrument  dont  nous  nous  som- 
mes servi,  l'indication  d'une  pression  de  3**°'-34  ne  nous 
fournil  qu'un  point  de  repère.  Il  nous  faut,  après  l'expérience, 
ramener  le  niveau  du  mercure  dans  la  branche  ouverte  du 
manomèlre  vis-à-vis  du  même  trait,  ce  qui  se  fait  aisément 
à  l'aide  de  la  machine  de  compression,  qui  ne  communique 
plus  alors  avec  le  réservoir  E  Nous  relevons  au  cathétomètre 
les  hauteurs  du  mercure  dans  les  huit  branches  de  l'appareil; 
nous  répétons  ces  îectiires  quand  la  pression  atmosphérique 
s'exerce  sur  les  deux  branches  extrêmes.  Supposons  que  les 
tubes  aient  un  numéro  d'ordre,  en  commençant  par  celui  qui 
porte  le  robinet  Re  (voir  pL  1).  On  constatera  que,  dans  le  cas 
actuel,  le  mercure  s'élève  plus  haut  dans  les  tubes  de  rang 
|)air  que  dans  les  tubes  de  rang  impair;  mais  cette  élévation 
n'est  pas  la  même  pour  tous,  parce  qu'ils  n'ont  pas  la  même 
section.  On  déduit  de  ces  mesures  la  valeur  de  la  pression  sous 
laquelh'.  l'écoulement  coumience.  Dans  le  cas  actuel,  l'excès 
de  la  pression  de  l'air  extérieur  sur  l'air  du  réservoir  est  équi- 
valent au  poids  d'une  colonne  de  mercure  de  1'",550»»8  à  la 
température  de  24*. 

Cette  colonne  de  mercure  doit  être  remplacée  par  une  co- 
lonne d'eau  représentant  la  même  pression,  à  la  température 
de  2^80;  on  trouve  qu'elle  est  égale  à  21  "",0406,  en  tenant 


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68 


MÉMOIRES. 


compte  des  densités  de  ces  deux  liquides  aux  deux  tempéra- 
tures indiquées. 

Il  faut  ajouter  à  celte  quantité  la  hauteur  du  trait  A  au- 
dessus  du  niveau,  diminuée  elle-même  de  Tascension  capil- 
laire. On  a  ainsi,  pour  représenter  la  pression  initiale,  une  co- 
lonue  d'eau  de liH^H 

On  établit  de  même  que  la  pression,  au  moment 
où  le  liquide  passe  vis-à-vis  du  trait  B,  est  de gO^STSO 

La  somme  de  ces  deux  pressions  égale 42"3234 

Leur  moyenne  arithmétique 21  "161 

C'est  le  produit  de  la  pression  moyenne  par  le  temps  qui 
doit  être  une  quantité  constante;  car,  si  les  pressions  sont 
proportionnelles  aux  vitesses,  comme  celles-ci  sont  inversement 
proportionnelles  aux  temps  nécessaires  pour  qu'une  même 
quantité  de  liquide  s'écoule,  les  temps  doivent  être  eux-mêmes 
inversement  proportionnels  aux  pressions. 
79.  Voici  quelques  tableaux  des  résultats  obtenus  : 


TABLEAU  XI 

PREMIÈRE    SÉRIE 

Expérleaees  dn  80  août  4878. 

N«-  D'ORDRE. 

des 
expériences. 

PRESSIONS 

évaluée» 

en 

odonnee  d'eaa 

de 

que 
le  Uqoide 
filtrant. 

TDRKS 

Observées. 

TEMPS 

Observés, 

évalués 

en  secondes. 

TEMPS 

calculés, 

si 

la  température 

était  de  Sfi». 

PRODUITS 

des  nombres 

des 

colonnes 

Set  3. 

1 

3 

3 

4 

6 

6 

4 '•expérience.. 

4n>994 

250 

203i« 

2031 

10143 

8«        —       .. 

6»829 

2506 

4459 

4  499 

10237 

3«        —       .. 

^««'Oaô 

26065 

810 

836 

10062 

4«        —       .. 

Hn»185 

25040 

884 

899 

10055 

5»        —       .. 

M">1\0 

22O80 

723 

689 

10135 

• 

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RECHERCHES   SUR    LA    FILTRATION. 


69 


TABLEAU  XII 

SECONDE    SÉRIE 
Expérienees  dn  4  septembre  1878. 


PRESSIONS 

évaluées 

TEMPS 

TEMPS 

PRODUITS 

TEMPS 

• 

PRODUITS 

K®«  D'ORDRE 

en 

tempAra- 

calculés, 

dM 

calculés, 

des 

colonnes 

observés, 

si  la 

si  la 

des 

d'ean 
de  même 

TCRES 

évalués 

tempéra- 

nombres 
des 

tempéra- 

nombres 
des 

densité 

en 

ture 

ture 

expérienees. 

que 

observées. 

était  de 

colonnes 

était  de 

colonnes 

le  liquide 

secondes. 

22<^0. 

«et  2. 

25» 

7  et  2. 

filtrant. 

1 

2 

8 

4 

A 

6 

7 

8 

4  f«  expérience 

18«'426 

22O60 

694» 

594 

10767 

556 

40078 

2e         -. 

21«461 

«i»80 

522 

512 

40834 

479 

40436 

3e        — . 

n'nîôS 

««OÔO 

950 

960 

4  0700 

889 

40013 

TABLEAU  XIII 
Expérieaees  du  8  novembre  I8V8. 


N»»  D'ORDRE 

des 
expériences. 

1 

PRESSIONS 

évaluées 

en  colonnes 

d'eau 

de 

même  densité 

que  le  liquide 

filtrant. 

2 

TEMPÉRA- 
TURES 

observées. 
8 

TEMPS* 

observés, 
évalués 

en 
secondes. 

4 

PRODUITS 

des 
nombres 

des 
colonnes 
2  et  4. 

6 

TEMPS 

calculés, 
si  la 

tempéra- 
ture 
était 

de  25-. 

6 

PRODUITS 

des 
nombres 

des 

colonnes 

2  et  6. 

7 

4  re  expérience.. 
2e         —        .. 

6«»958 
4  6n>207 

4704 
4704 

2364» 
867 

4  4067 
44031 

4  967 

722 

44719 
44704 

Dans  les  tableaux  précédents,  les  nombres  de  quatre  ou  de 
cinq  chifTres  qui  figurent  dans  les  dernières  colonnes  repré- 


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70  MÉMOIRES. 

sentent  les  parties  entières  des  produits  obtenus  en  multipliant 
les  pressions  exprimées  en  mètres  d^eau  par  les  temps  éva- 
lués en  secondes. 

Les  nombres  qui  figurent  dans  ki  cinquième  colonne  des 
tableaux  XI  et  XII,  ainsi  que  ceux  de  la  septième  colonne  du 
tableau  XII  et  de  la  sixième  colonne  du  tableau  XIII,  ont  été 
obtenus  à  Taide  des  formules  empiriques  que  nous  exposerons 
plus  loin  [101],  et  qui  représentent  les  variations  de  la  vitesse 
en  fonction  de  la  température. 

L'ensemble  des  expériences  des  tableaux  XI  et  XII  démontre 
bien,  à  notre  avis,  avec  une  approximation  satisfaisante  d'en- 
viron Î55,  que  la  première  loi  de  Poiseuille  s'applique  au  pas- 
sage du  liquide  à  travers  les  vases  poreux,  même  quand  ce 
passage  s'effectue  sous  des  charges  assez  considérables,  qui 
dépassent  ici  21  mètres  d'eau. 

80.  Dans  les  expériences  du  tableau  XIII,  les  produits  ins- 
crits dans  la  colonne  7  sont  à  peu  près  égaux  entre  eux,  mais 
ils  diffèrent  sensiblement  des  produits  correspondants  qui  figu- 
rent dans  les  tableaux  XI  et  XIL  II  importe  de  remarquer  que 
ces  résultats  ont  été  ob'enus  plus  tard,  deux  mois  après  envi- 
ron, et  que,  dans  l'intervalle,  les  parois  du  vase  poreux  avaient 
été  plusieurs  fois  traversées,  pour  d'autres  essais,  par  des  eaux 
limpides  sans  doute,  mais  qui  n'avaient  pas  été  préalablement 
filtrées;  il  devait  donc  y  avoir  une  obstruction  partielle  des 
espaces  capillaires  qui  a  ralenti  la  vitesse  de  l'écoulement, 
comme  nous  l'avons  constaté. 

81.  En  opérant  ensuite  à  une  température  notablement  plus 
basse,  j'ai  pu  observer  que  la  loi  était  encore  la  môme,  mais 
que  si  l'eau  qui  baignait  les  parois  internes  du  vase  poreux 
n'était  pas  filtrée,  il  y  avait  un  engorgement  partiel  assez  ra- 
pide  des  conduits  capillaires,  et  qu'il  fallait  alors  alterner  les 
expériences;  c'est  ce  que  montre  le  tableau  suivant  : 


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HECHERCHES   SUB    LA    FILTRATION. 


TABLEAU  XIV 


N0«  D'oBDbl 

des 

PRBSilONB 

évaluées 

en  colonnes 

d'eau 

de 

TUBS8 

TEMPS 

Observés, 
évalués 

PRODUITS 

des 

nombres 

des 

TDIPS 

.calculés 
à 

PBODurre 

des 
nombres 
.     des 

expériences. 

qœ 
le  liquide 
filtrant. 

observées. 

secondes. 

colonnes 
3et4* 

9H0. 

colonnes 
3  et  6. 

l 

2 

8 

4 

6 

6 

7 

4"  expérience.. 

4  5"n74  0 

9«40 

988» 

46624 

988 

4  6624 

î®       —       .. 

7n>164 

9»60 

«306 

46643 

2324 

4  6628 

3e        —       .. 

U«709 

9O80 

4464 

4  6930 

4466 

47464 

4e         —        .. 

41 "246 

4  0«00 

4  606 

4  69Î3 

4636 

47264 

La  moyenne  des  produits  correspondants  à  la  première  el 
à  la  troisième  expérience 


15521  +  17151 


=  16336, 


i|ui  se   rapproche  du  produit   de  la  deuxième  expérience 
=  <C628. 

La  moyenne  des  produits  correspondants  à  la  deuxième  et 
a  la  quatrième  expérience 


16628  +  17261 


=  16945  , 


qui  se  rapproche  aussi  du  produit  de  la  troisième  expérience 
17151. 

82.  J'ai  étudié,  à  Faide  du  même  appareil  à  pressions  varia- 
bles, la  vitesse  de  filtration  de  Teau  à  travers  une  longue  colonne 
de  sable;  pour  cela  j'ai  adapté  au  récipient  fusiforme  le  man- 
chon en  verre  que  j'ai  décrit  [62],  après  l'avoir  rempli  de  sable 
et  avoir  pris  à  celle  occasion  toutes  les  précautions  déjà  indi- 
quées [63]  et  [64]. 


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72 


MÉVOIRBS. 


Ce  maochoD  est  placé  lui-même  dans  le  vase  de  zinc,  conte- 
nant alors  600  grammes  de  sable  10-14  bien  purgé  d^air  et  for- 
mant une  colonne  de  OTS"".  Les  expériences  ont  élé  conduites 
comme  précédemment,  mais  ici  les  résultats  n'ont  pas  élé 
aussi  concordants,  comme  le  montre  le  tableau  suivant  : 

TABLEAU  XV 


PBEBBIOKS 

TEMPS 

PBODUTTB 

TKMPS 

PBODCITS 

N*»  D*OBDRB 

évalnéea 
en  colonnes 

TEMPKBA- 

ObBtttéBy 

des 

calcnlés, 
si  la 

des 

des 
expériences. 

d'eao 

de 

même  densité 

qneleliqoide 

TURSS 

obeerrées. 

évalaés 

en 
secondes. 

nombres 

des 
colonnes 

tempéra- 
ture 
était 

nombres 

des 
colonnes 

filtrant. 

3et4. 

de  24*. 

2  et  6. 

1 

3 

3 

4 

6 

6 

7 

inexpérience.. 

5"875 

2.3040 

223» 

1310 

220 

1292 

«•       —       .. 

11-043 

240 

110 

1215 

110 

1215 

3e         —        .. 

13-617 

240 

84 

1135 

84 

1135 

4e         —        .. 

17-776 

24020 

62 

1102 

62,3 

1107 

La  colonne  de  sable  parfaitement  tassée  au  début  de  l'expé- 
rience est  soulevée  quand  le  liquide  la  traverse  par  aspiration, 
et  peut  monter  dans  le  tube  fusiforme  ;  pour  arrêter  ces  mou- 
vements, j'ai  même  dû  supprimer  de  temps  en  temps  la  com- 
munication avec  l'air  du  réservoir  E,  qui  n'avait  alors  qu'une 
tension  trës-faible. 

J'ai  constaté  de  plus  qu'en  présence  de  l'atmosphère  raréflée 
des  bulles  de  gaz  pouvaient  se  dégager  de  l'eau,  ni^s  que  plu- 
sieurs restaient  interposées  entre  les  particules  de  sable.  Ces 
actions  perturbatrices  vont  certainement  en  croissant  avec 
le  nombre  des  expériences.  La  colonne  devient  de  moins  en 
moins  serrée^  et  par  suite  la  vitesse  de  filtration  augmente  plus 
rapidement  que  la  charge.  C'est  un  défaut  opposé  à  celui  que 
présentent  les  expériences  de  Darcy  où  le  rapport  du  débit  à  la 
pression,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  le  rapport  de  la  vitesse  à 


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RECHERCHES   SUR   LA   FILTRATION.  73 

la  pression  diminue  à  mesure  que  la  masse  de  sable  se  tasse 
sous  l'action  des  pressions  successives. 

Quoique  ces  expériences  ne  soient  pas  très-précises,  j'ai  cru 
devoir  les  faire  connaître,  tout  en  me  réservant  de  les  repren- 
dre dans  de  meilleures  conditions.  Si  Ton  observe  que  la 
moyenne  des  produits  obtenus  dans  la  première  et  dans  la 
Iroisième  expérience  esl  à  peu  près  égale  à  celui  qui  correspond 
à  la  seconde,  qu'il  en  esl  de  même  pour  la  moyenne  de  la 
druxième  et  de  la  quatrième,  par  rapport  au  produit  de  la 
troisième,  on  sera  porté  à  conclure  que  dans  le  cas  des  couches  • 
filtrantes,  même  poirr  des  pressions  considérables,  les  pressions 
sont  proportionnelles  aux  charges. 

^  5,  —  Recherches  sur  la  piession  en  vertu  de  laquelle  se  fait 
Vécoulementy  quand  la  colonne  /iUrante  n'est  pas  noyée  dans 
le  liquide. 

83.  Dans  louies  les  expériences  que  nous  venons  d'exposer, 
les  vases  poreux  ou  les  couches  filtrantes  sont  restés  noyés 
dans  le  liquide,  et  nous  avons  fait  remarquer  les  avantages  de 
celte  disposition,  qui  assurait,  avec  la  fixité  presque  complète 
de  la  température,  la  conslance  de  la  pression  qui  s'exerçait  à 
un  instant  donné  sur  les  diverses  section:^  de  la  colonne  fil- 
trante. Il  n'en  est  pas  de  même  quand  celle-ci  est  partielle- 
ment ou  lolalement  en  dehors  du  liquide  Les  pressions  vaiient 
avec  la  hauteur,  el  1 1  tranche  la  plus  basse  est  la  plus  pressée. 
Il  importe  de  déterminer  quelle  est  alors  la  charge  effective  qui 
produit  l'écoulement  du  liquide. 

Poiseuille  et  M.  Graham  n'ont  pas  eu  à  résoudre  celte  ques- 
tion, puisque  dans  leur»  recherches  le  liquide  parcourait  des 
tubes  capillaires  fixés  horizontalement.  M.  Tate,  si  nous  avons 
bien  compris  son  mémoire,  évalue  la  pression  par  le  poids  de 
la  colonne  liquide  qui  pèse  sur  la  tranche  supérieure  du  filtre, 
ce  qui  n'amène  pas  de  grandes  erreurs,  quand  les  couches 
filtrantes  sont  très-animées;  m^is  il  n'a  pas  étudié  directe- 
ment le  point  qui  va  nous  occuper.  Dans  la  méthode  suivie  par 
M.  Duclaux,  la  filtration  s'effectuait  aussi  dans  le  sens  de  la 


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74  MÉMOIRES. 

verticale,  et  l'appareil  était  entièrement  placé  dans  Tair,  mais 
les  i)laques  qu'il  a  employées,  sauf  un  diaphragme  de  plâtre 
de  5  centimètres  (*),  n'ont  pas  dépassé  quelques  millimètres 
d'épaisseyr.  M.  Paul  Havrez  fait  entrer  l'épaisseur  du  flltre 
dans  l'expression  de  la  charge,  mais  cette  quantité  est  affectée 
dans  ses  formules  d'un  coefficient  particulier  v.iriable  avec  la 
nature  delà  substance  filtrante.  Darcy,  il  est  vrai,  a  fait  le 
calcul  de  ses  expériences  en  évaluant  la  pression  qui  s'exer- 
çait sur  la  dernière  tranche  de  la  couche  filtranle  ;  il  a  donc  dé- 
.  montré,  mais  avec  l'approximation  insuffisante  que  nous  avons 
indiquée  [18],  que  cette  pression  constitua  la  véritable  charge 
sous  laquelle  se  produit  la  filtration.  Sans  doute,  l'analogie  des 
phénomènes  que  nous  étudions  avec  ceux  que  l'on  observe 
dans  les  tuyaux  conduit  à  penser  qu'il  en  est  ainsi,  comme 
l'a  admis  Dupuit  dans  son  mémoire;  mais  il  élaii  nécessaire,  à 
notre  avis,  de  le  vérifier  expérimentalement. 

84.  Pour  cela,  nous  avons  étudié  le  passage  de  l'eau  à  tra- 
vers une  colonne  de  sable  (8-10),  renfermée  dans  ce  tube  gra- 
dué dont  nous  nous  sommes  déjà  servi.  Nous  avons  examiné 
comment  s'effectuait  l'écoulement  de  l'eau  quand  la  colonne 
de  sable  de  69  millim.  de  longueur  était  non-seulement  tout 
entière  noyée  dans  le  liquide,  mais  encore  lorsque  sa  base 
inférieure  était  à  588  millim.  du  niveau  constant  du  grand 
vase.  Nous  avons  ensuit^  observé  le  même  phénomène  après 
avoir  élevé  le  tube  de  150  millim.,  puis  encore  de  69  millim., 
et  alors  le  sommet  de  la  colonne  affleurait  à  la  surface  du  li- 
quide. On  l'a  encore  relevée  de  telle  sorte  que  cette  même  co- 
lonne émergeait  de  241  millim.,  et  enfin  on  l'a  placée  complè- 
tement hors  du  liquide.  Dans  tous  les  cas  on  a  déterminé  le 
temps  que  le  niveau  du  liquide  rpettait  à  descendre  du 
450**  millim  marqué  sur  le  cathétomèlre  au  iOO"  et  du  :^50'  au 
300^  Le  tube  était  donc  déplacé  pendant  que  le  catbétomètre 
était  maintenu  dans  une  position  invariable.  En  opérant  ainsi, 
on  a  eu  les  résultats  que  nous  donnons  dans  le  tableau  sui- 
vant, après  les  avoir  corrigés  toutefois  des  écarts  dus  aux  va- 

(*)  4tifMi(M(i0eAimi0elci0pAy«t9«i«^  t.  XXY  (1872),  Mémoire  déjà  cité,  pp.  359, 60  et  61. 


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nPXHBRCHES   SUR    LA   FILTRATION.  75 

rialions  de  la  Irinporaure  en  procédant  comme  nous  l'avons 
dil  [08]. 

TABLEAU  XVI 

lia  formule  cmployi*e  pour  calculer  le  temps  est    l  zz ^y 


Ici   m   déterminé  à  l'aide  de  la  2®  expérience 

=  0,0009609 

^  0. 
1 

:3 

S  a 

C     O 

il 

3 

DISTANCES 

du  niveau 

mobUe 
à  la  surface 
du  liquide 
extérieur. 

I    • 

DISTAN'CKS 

du  niveau 
mobile 

à  la  base 

inférieure 

delà 
colonne 

de  sable. 

CHAROKS 

effectives 

qui  ^'exercent 

sur  la  base 

de  la  colonne 

de  sable 
pour 

produire 
l'écoulement. 

TEMPS 

obser- 
vés. 

TKMP9 

ramenés 
à  oe  (lu'ils 
auraient  été 
àU 
tempéra- 
ture 
de  22'. 

1 
5 

DIFFÉ- 
RENCES. 

1 

3 

3 

4 

6 

6 

7 

8 

9 

10 

450 

303 

891 

303 

4 

220 

400 

253 

841 

253 

186 

186 

187 

—  1 

22 

350 

203 

791 

203 

291 

291 

293 

—  2 

300 

153 

741 

153 

t 

:" 

450 

400 

299,40 
249,10 

737,10 
687,10 

399,10 
249,10 

190 

190 

190 

0 

u. 

350 

199,10 

637,10 

199,10 

303 

303 

301 

+  2 

300 

149,10 

687,10 

149,10 

« 

3 

i" 

450 
400 

299,10 
249,10 

668 
618 

299,10 
249,10 

190,40 

190,40 

190 

+  0,40 

1 
22 

350 

199,10 

568 

199,10 

302 

302 

301 

+  < 

300 

149,10 

518 

149,10 

4 

460 

320 

448 

320 

2402 

406 

270 

398 

270 

168 

177 

176 

+  1 

5 

450 

g 

448 

448 

25 

400 

il 

398 

398 

112 

121 

123 

—  2 

Les  nombres  inscrits  dans  ce  tableau  montrent  bien  que  la 
vitesse  de  Fêcoulement  est  due  à  la  charge  supportée  par  la 


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76  MÉMOIRES. 

dernière  traocbe  de  la  colonne  de  sable;  toutefois,  les  écarts 
en  plus  ou  en  moins  atleignent  jusqu'à  ^  de  la  valeur  trouvée. 
Comme  la  méthode  me  semblait  susceptible  d'une  plus  grande 
précision  en  faisant  le  calcul  comme  je  l'ai  indiqué,  j'en  ai 
cherché  la  cause  :  j'ai  cru  la  trouver  dans  le  fait  suivant 

Après  chacune  des  séries  d'expériences  du  tableau  XVI,  j'ai 
dû  déplacer  le  tube,  puisque  je  faisais  toujours  les  visées  après 
avoir  amené  la  lunette  vis-à-vis  des  mêmes  traits  du  cathéto- 
mètre.  Ce  n'était  donc  pas  entre  les  mêmes  divisions  du  tube 
que  se  déplaçait  le  sommet  de  la  colonne  liquide  ;  il  en  résul- 
tait des  erreurs,  ducs  aux  légères  différences  des  sections,  et 
qui  n'étaient  pas  elles-mêmes  rigoureusement  corrigées  par  le 
calibrage  du  tube.  Il  était,  de  plus,  difficile  que  le  tube  fût 
toujours  placé  de  la  même  façon,  quoique  j'eusse  toujours  cher- 
ché à  le  fixer  verticalement.  Une  légère  inclinaison  de  l'axe 
n'a,  pour  la  vérification  qui  nous  occupe,  aucun  inconvénient; 
il  importe  seulement  qu'elle  reste  toujoirrs  la  même. 

85.  C'est  en  remplissant  exactement  cette  dernière  condition 
que  j'ai  fait  l'expérience  suivante.  La  colonne  de  sable  intro- 
duite dans  le  tube  gradué  occupe  une  longueur  de  37  divi- 
sions 8. 

Ce  tube  est  d'abord  plongé  dans  un  grand  vase,  de  manière 
que  le  sommet  de  la  colonne  filtrante  affleure  à  la  surface  libre 
du  liquide,  qui  est  à  une  hauteur  invariable  par  suite  du  trop- 
plein.  Après  avoir  étudié  l'écoulement,  qui  s'accomplit  comme 
l'indique  la  loi  des  pressions,  on  enlève  le  liquide  du  vase  par 
l'intermédiaire  d'un  siphon  qu'oa  amorce,  et  l'on  note  de  nou- 
veau quels  sont  les  temps  écoulés  quand  le  liquide  repasse 
vis-à-vis  des  mêmes  divisions.  Les  résultats  me  paraissent 
aussi  satisfaisants  que  possible,  si  l'on  remarque  surtout  que 
l'on  a  fait  servir  une  seule  expérience  à  la  détermination  du 
coefficient  m  dans  la  formule 

^  ^  log  hp  —  log  h 
0  log  6 


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RECHERCHBS  SDR  LA  PILTRATION. 


77 


TABLEAU  XVII 

La  tempéralure  est  restée  constante  de  22»30,  m  =  0,0001855. 


NUictaos 

des 
divisions 

CHAROKS 

supportées 
par  tontes  les 

tranches 
de  la  colonne 

TKMP8 

TEMPS 

supportées 

par 

la  tranche 

TEMPS 

TEMPS 

du 
tabe. 

perméable 
qui  est 

noyée. 

observés. 

calculés. 

la  plus  basse 

de  la  colonne 

filtrante. 

calculés. 

observés. 

1 

2 

8 

4 

6 

6 

7 

66 
60 

33 

27 

266 

265 

70,8 
64,8 

H2,40 

442,50 

66 
60 

23 

47 

383 

384 

60,8 
64,8 

431 

4  32 

46 
40 

43 

7 

790 

787 

60,8 
44,8. 

4  61,40 

4  60 

86.  Je  citerai  enfin,  à  l'appui  de  la  CQnclusion  précédente, 
les  expériences  que  j'ai  faites  avec  le  long  tube  de  verre,  et 
que  j'ai  déjà  consignées  dans  les  six  dernières  colonnes  du  ta- 
bleau IX  [69].  Après  avoir  indiqué,  dans  les  quatre  premières 
colonnes,  les  résultais  que  j'ai  déjà  discutés,  j'ai  laissé  couler 
le  liquide  dans  le  même  tube,  plongé  complètement  dans  l'air; 
la  colonne  5  indique  alors  la  charge,  évaluée  à  l'aide  de  la 
colonne  d'eau  qui  presse  sur  la  base  inférieure  de  la  couche 
filtrante;  la  colonne  6  indique  le  temps  observé  pour  que  la 
surface  terminale  mobile  passe  d'une  division  à  une  autre  ;  la 
colonne  7  indique  le  produit  du  temps  t  par  la  hauteur  moyenne 
de  la  colonne  pendant  ce  temps,  produit  qui,  comme  nous 

l'avons  dit  [37],  doit  être  sensiblement  constant  quand  -j^  est 

négligeable. 


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78  MÉMOIRES. 

87.  Lis  irois  autres  colonnes  du  tableau  IX  [69]  se  rappor- 
lenl  à  une  autre  séiie  d'expériences  faites  avec  le  même  tube, 
|)lacé  aussi  tout  entier  dans  Tair,  mais  incliné;  le  tube  est 
appuyé  de  façon  qu'il  ne  puisse  pas  fléchir  (fig  6).  Je  déter- 
(nine,  à  l'aide  d'un  fil  à  plomb,  la  projection  horizontale  d'un 
point  B  du  tube;  je  relève  la  hauteur  BA  au  cathétomètre, 
tandis  que  la  longueur  BC  est  exprimée  à  l'aide  des  divisions 
tracées  sur  le  tube.  Je  mesure,  du  reste,  la  longueur  AC,  ce 
qui  fournil  un  moyen  de  vérification  dans  Texpérience,  dont 


Fig.  6. 

les  résultats  sont  donnés  par  les  colonnes  8,  9, 1 0  du  tableau  IX  : 
la  hauteur  AB  =  778»"',  la  base  AC  =  458,  le  sinus  de  l'angle 

AB 

d'inclinaison  ou  la  pente  =  ^~  =  0,861  ;  le  rapport  du  che- 
min que  parcourt  le  liquide  à  la  hauteur  dont  il  descend  est 
—  =  1,160.  Les  temps  employés  à  ces  déplacements  sont 

ii.scrits  dans  la  colonne  9,  tandis  que  la  colonne  8  indique  les 
distances  moyennes  à  l'orifice,  comptées  suivant  l'inclinaison. 
S8.  Enfin,  on  voit  dans  la  colonne  10  les  rapports  des  temps 
employés  quand  le  liquide  parcourt  le  même  chemin  dans  le 
tube,  d'abord  vertical,  et  ensuite  dans  ce  même  tube,  qu'on  a 

BP 
incliné.  Ces  rapports  diffèrent  très-peu  du  rapport  — g  =  1 ,160; 

on  ne  pouvait  pas  compter  sur  des  résultats  plus  précis  dans 
une  expérience  où  la  rapidité  du  mouvement  du  liquide  rend 
difficile  la  mesure  exacte  des  temps. 


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BECHERCBBS   SUR    LA    FILTRATION.  79 

Nous  constatons  une  fois  de  plus,  par  ce  procédé,  que  la 
vitesse  est  proportionnelle  à  la  charge  quand  loules  les  autres 
conditions  restent  les  mêmes,  et  que  la  charge  effective  est  celle 
qui  s'exerce  sur  la  tranche  qui  esl  la  dernière  t'aversée  p?r  le 
liquide  filtrant. 

89.  Cette  tranche  n'est  pas  toujours  la  plus  basse,  et  c'est 
cependant  la  pression  qu'elle  supporte  qui  règle  l'écoulement, 
quelles  que  soient  les  variations  de  la  charge  sur  les  différen- 
tes couches  de  la  substance  perméable.  C'est  ce  que  l'on  peut 
constater  à  l'aide  de  la  disposition  suivante  :  nous  adaptons  le 
tube  gradué,  dont  nous  nous  sommes  si  souvent  servi,  à  l'une 
des  branches  d'un  tube  en  U,  tandis  que  l'autre  branche  est 
fermée,  à  son  extrémité,  par  un  morceau  de  soie  des  tamis. 
On  introduit  du  sable  dans  cet  appareil  à  vases  communi- 
quants, de  telle  sorte  que  la  branche  fermée  soit  complètement 
remplie,  ainsi  que  la  partie  courbée  du  tube,  tandis  que  la 
colonne  fillranie  atteindra,  dans  l'autre  branche,  des  hauteurs 
qu'on  pourra  faire  varier  On  rend  le  tube  gradué  vertical; 
l'eau  qu'on  y  verse,  pénétrant  Id  masse  de  sable  et  passant 
au-dessus  du  tamis  qui  ferme  l'une  des  branches,  s'écoule  par 
trop-plein  avec  une  vitesse  proportionnelle  à  la  pression 
exercée  à  l'orifice  de  sortie. 

On  reconnaît  encore  par  ce  procédé  que  les  lois  de  la  filtra- 
tion  sont  indépendantes  du  sans  du  mouvement  et  quelles 
sont  égalemen!  applicables,  que  le  liquide  se  déplace  de  haut 
en  bas,  obliquement  ou  de  bas  en  haut. 

90.  Il  nous  restera  à  examiner  ce  qui  se  passe  quand  le 
liquide  descend  au-dessous  du  sommet  de  la  colonne  filtrante; 
mais  alors  la  charge  et  l'épaisseur  de  la  couche  traversée  va- 
rient en  même  temps.  La  question  ne  peut  donc  être  abordée 
que  lorsque  nous  aurons  étudié  l'influence  qu'exerce  l'épais- 
seur sur  h  débit.  C'est  ce  que  nous  ferons  dans  le  chapitre  IIl. 


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80  MÉMOIRES. 


CHAPITRE  II 

ÉTUDE  DE  l'influence  DE  LA  TEMPÉRATURE  SUR  LA  VITESSE 
DE  l'écoulement  DES  LIQUIDES 


g  1 .  —  Recherche  de  la  vitesse  de  l'eau  à  différentes 
températures. 

91 .  L'influence  qu'exerce  la  température  sur  la  rapidité  avec 
laquelle  les  liquides  s'écoulent  dans  les  tuyaux  avait  été  si- 
gnalée par  Dubuat  et  Gestner,  et  étudiée  par  Girard,  qui, 
comme  l'indique  le  docteur  Poiseuille  (*),  a  donné  des  formules 
d'écoulement  en  fonction  de  la  température;  mais  ces  formules 
ne  s'appliquent  qu'à  des  tubes  de  diamètre  donné,  c'est-à-dire 
qu'il  faut,  avant  de  les  employer,  déterminer  expérimentale- 
ment quelques-unes  des  valeurs  que  prend  la  vitesse  du  liquide 
dans  ces  tubes,  quand  on  fait  varier  la  température. 

92.  Les  recherches  de  Poiseuille  ont  eu  un  caractère  plus 
général,  puisqu'elles  ont  été  faites  dans  des  limites  étendues, 
entre  0*  et  45",  et  que  la  relation  qu'il  a  obtenue  s'applique  à 
tous  les  tubes  capillaires.  Je  l'ai  déjà  reproduite  dans  la  pre- 
mière partie  de  ce  travail  [2]  ;  mais  il  est  bon  de  faire  remar- 
quer avec  l'auteur  que  les  résultats  relatifs  à  l'influence  de  la 
température  n'atteignent  pas  la  même  précision  que  ceux  qu'il 
a  obtenus  dans  les  autres  chapitres  de  son  important  mémoire. 
Le  docteur  Poiseuille,  après  avoir  reconnu  que  le  phénomène 
pouvait  être  sensiblement  représenté  par  l'équation  d'une 
parabole  telle  que  K  =  Ko  (1  -t-  a<  -t-  p/^),  a  fait  concourir 
quatre  séries  de  trois  expériences  à  la  détermination  des  trois 
constantes  Ko,  a  et  ^,  en  prenant  les  moyennes,  et  il  a  ainsi 

(*)  Mémoire  déjà  cité  {Hémoiru  du  iwtanti  étrang$rt,  l.  IX,  p.  536). 


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HRCHERCUES   SUU    LA    FILTKATION.  81 

déterminé  les  valeurs  numériques  de  ces  trois  coefficients; 
mais  il  ajoute  :  »  Cette  équation,  comme  toute  autre  qu'on  au- 
«  rail  pu  obtenir  en  prenant  un  plus  grand  nombre  de  termes 
«  de  l'équation  générale 

K  =  Ko(\  +at  +  ^fi  +  ^fi  +  8(*  + ), 

«  n'exprime  pas  rigoureusement  la  relation  qui  lie  les  produits 
c<  aux  températures;  mais  les  résultats  qu'elle  donne  diffèrent 
«  peu  de  ceux  offerts  par  l'expérience  Nous  avons  dû  l'adopter, 
«  puisqu'elle  suffit  aux  conséquences  que  nous  nous  sommes 
«  proposé  d'en  tirer  par  la  suite  C).  » 

93.  Poiseuille  cherchait  le  poids  du -liquide  écoulé  en  une 
seconde  sous  une  pression  de  760""  de  mercure,  le  tube  ayant 
le  diamètre  qui  correspondait  à  la  température  de  l'expérience. 
!  nsuile,  connaissant  ce  «  dernier  diamèlre  et  le  produit  cor- 
«  respondant,  il  a  déterminé  le  poids  du  liquide  écoulé  pendant 
«  le  même  temps  et  avec  le  diamèlre  qu'a  le  tube  à  10°  en  s'ap- 
«  piryant  sur  la  loi  des  diamètres  (**).  »  Mais,  tout  en  faisant 
ainsi  cette  corredion,  il  néglige  celle  que  nécessiterait  l'allon- 
gement du  tube,  qui  est  pourtant  le  quart  de  la  précédente.  En 
effet,  le  produit  ou  débit  est  proportionnel  à  la  quatrième  puis- 
sance du  di.imètre  et  inversement  proportionnel  à  la  longueur; 
par  suite,  l'accroissement  de  la  quatrième  puissance  du  dia- 
mètre, pour  un  degré,  doit  être  considéré  comme  proportionnel 
au  quadruple  du  coefficient  de  dilatation  linéaire,  quand  l'al- 
longement du  tube  est  simplement  proportionnel  à  ce  coeffi- 
cient. 

Quoique  cette  manière  de  procéder  paraisse  assez  complexe, 
elle  revient  au  fond  à  chercher  quel  est  le  volume  du  liquide 
débité  à  une  température  donnée  sous  la  charge  formée  par 
une  cok)nne  de  longueur  constante,  quand  le  liquide  écoulé  a 
la  même  densité  que  celui  qui  le  presse. 

En  effet,  la  charge  est  HSD,  et  le  poids  du  liquide  écoulé 


{*)  Mémoire  déjà  cité  (Mémoires  des  savants  étrangersy  l.  IX,  p.  53S). 
(**)  Mémoire  déjà  cité  (Mimoires  des  savants  étrangers,  t.  IX,  p.  5S5). 
8«  SI^RIB.   —  TOME   lU,    1. 


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82  MÉUOIRBS. 

dans  Tunité  de  temps  est  SVd;  le  rapport  entre  ces  deux 

HSD  H  .  S 

quantités  est  y^-r ,  qu'on  peut  écrire  y    o    ^  ' 

Or,  H  représente  la  charge  constante  et  V  rr  est  la  vitesse 

qu'on  observerait  si  le  liquide,  au  lieu  d'avoir  la  densité  d^ 
avait  aussi  la  densité  D. 

94.  En  appliquant  la  formule  empirique  dans  ces  condi- 
tions, on  obtient  les  résultais  numériques  qui  sont  inscrits 
dans  la  colonne  3  du  tableau  ^VIIl  (p.  85);  je  déduis  des 
nombres  de  la  colonne  3  ceux  qui  forment  la  colonne  4  et  qui 
expriment  les  vitesses  rapportées  à  celles  qu'a  le  liquide  à  0*. 
Je  reproduis  ces  vitesses  par  le  tracé  I  de  la  figure  1 ,  plan- 
che II  (*).  Ils  diffèrent  peu  de  ceux  que  fournit  l'expérience. 
Les  erreurs  relatives  ne  dépassent  pas  ^  et  ne  sont  parfois 
que  de  j^  pour  les  observations  qui  ont  servi  à  établir  la  for- 
mule. 

95.  Quand  on  étend  cette  comparaison  à  d'autres  observa- 
tions qui  n'ont  pas  été  utilisées  pour  déterminer  les  cons- 
tantes, on  remarque  que  les  écarts  moyens  sont  plus  con- 
sidérables; pour  le  tube  D'  (**)  par  exemple,  les  erreurs 
relatives  oscillent  entre ^  et  ^,  ce  qui  est  encore  très-satis- 
faisant. Mais  quand  l'auteur  se  sert  d'un  autre  tube  désigné 
par  la  lettre  G"  (***)  et  dont  le  diamètre  est  bien  plus  grand , 
les  écarts  sont  plus  sensibles;  les  erreurs  sont  de  ^,  de  4  et 
de  ^  des  valeurs  calculées. 

96.  Nous  ne  signalons  ici  ces  desirata  dans  le  travail  si 
remarquable  de  Poiseuille  que  pour  montrer  les  difficultés  que 
présentent  ces  recherches,  dont  toutes  les  données  sont  modi- 
fiées à  la  fois  par  les  variations  de  la  température.  Aussi  ceux 
qui,  après  ce  savant,  ont  étudié  l'influence  de  la  chaleur  sur 
cet  ordre  de  phénomènes ,  ont-ils  donné  les  résultats  de  leurs 

(*)  Mémoire  déjà  cité  de  Poiseaille.  —  Tableaa  dei  expériences  faites  avec  an 
tabe  A,  page  532,  tome  IX  du  Recueil  det  Mimoiret  dei  iovanii  étrangère. 
(**)  Page  533.  même  Mémoire. 
(*'*)  Pjge  535,  même  Mémotre 


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RECBBRCOES   SDR    LA    PILTRATION.  83 

expériences  sdns  chercher  à  faire  exactemeol  la  part  qui  doit 
être  attribuée  aux  changements  qu'éprouve  la  viscosité  du 
liquide. 

97.  C'est  ainsi  que  M.  Graham  donne  en  deux  tableaux  (^) 
les  débits  fournis  par  deux  tubes  capillaires  à  diverses  tempé- 
ratures sans  faire  aucune  correction.  De  ces  deux  tubes  capil- 
laires, l'un,  désigné  par  D,  avait  37""  de  longueur  et  0",4032.> 
de  diamètre;  l'autre,  désigné  par  E,  avait  ISS*""  de  longueur  et 
0*",0838  de  diamètre.  La  vitesse  avec  laquelle  l'eau  s'écoule 
dans  les  deux  tubes  ne  varie  pas  de  la  même  manière,  et  pré- 
sente des  écarts  qui  atteignent  ~  et  mène  ^  de  leur  valeur 
moyenne.  Nous  avons  inscrit  ces  résultats  dans  les  colonnes  5 
et  6  du  tableau  XVIII,  et'  nous  les  avons  représentés  par  les 
courbes  II  et  III  de  la  figure  1,  planche  II;  seulement»  pour 
rendre  celles-ci  nettement  distinctes  de  celle  qui  représente  les 
expériences  de  Poiseuille,  nous  avons  augmenté  d'un  centi- 
mètre toutes  les  ordonnées  du  tracé  II  et  de  deux  centimètres 
celles  du  tracé  III. 

98.  M.  Guéroult,  dans  un  travail  dont  le  résumé  a  été  pu- 
blié dans  les  comptes  rendus  (**),  expose  aussi  ses  recherches 
sur  l'influence  de  la  température;  mais  comme  il  les  a  faites 
surtout  pour  corriger  des  expériences  entreprises  dans  un  autre 
but,  il  a  opéré  dans  des  limites  fort  étroites,  entre  10*»  et  20*. 
c(  Les  nombres  ainsi  obtenus  forment,  dit  M.  Ouèroult,  une 
c(  progression  géométrique  dont  la  raison  est  1,025  et  la 
«  courbe  qui  leur  correspond  est  une  ligne  droite.  »  Nous 
donnons  dans  la  septième  colonne  du  tableau  XVIII  les  nom- 
bres de  M.  Guéroult,  et  dans  la  huitième  colonne  les  vitesses 
que  nous  en  avons  déduites,  en  prenant  pour  unité  la  vitesse 
à  0*,^  obtenue  à  l'aide  de  la  formule  de  Poiseuille;  nous  avons 
aussi  fait  sur  la  figure  1 ,  planche  II,  le  tracé  graphique  IV,  qui 
résume  les  observations  de  M.  Guéroult,  et  l'on  voit  qu'il 

(*)  Mémoire  sar  récoulemeiit  forcé  des  liquides  à  traTcrg  des  ajauges  capillaires, 
par  M.  Thomas  Graham.  Traduction  de  M.  Albert  Thomas.  Annales  d»  chimie  et  de 
phyeiqwy  4«  série,  t.  I  (t86i),  p.  15i. 

{**)  Note  sar  riofluence  de  la  température  sur  les  coefficients  d^écoulement  capil- 
laire des  liquides,  par  M.  Guéroult.  Cowtpteê  rendut,  t.  LXXIX  (186i),  pp.  liOl,  iiOi. 


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84  MÊMOIUES. 

pourrait  être  aussi  exactement  représenté  par  une  fonction 
parabolique.  Nous  avons  également  augmenté  d'un  centimètre 
les  ordonnées  de  celte  ligne  pour  en  faciliter  la  comparaison 
avec  les  précédentes. 

99.  M.  Taie  a  reconnu  que  le  produit  fourni  par  un  filtre  à 
charbon  de  bois,  à  la  température  de  90^"  F,  était  une  fois  3/4 
plus  grand  qu'à  la  température  de  52^  F. 

Il  a  fait  aussi  quatre  expériences  sur  le  débit  fourni  par  un 
filtre  en  éponge.  J'en  ai  déduit  les  vitesses  après  avoir  trans- 
formé les  degrés  Fahrenheit  en  centigrades,  et,  en  représentant 
la  vitesse  à  10*  par  une  ordonnée  égale  à  l'ordonnée  correspon- 
dante de  la  courbe  de  Poiseuille,  j'obtiens  les  quatre  points 
a,  p,  Tj  8  du  tracé  V,  figure  1,  planche  II.  Je*donne  les  valeurs 
numériques  correspondantes  rapportées  à  la  même  unité  dans 
la  colonne  10  du  tableau  XVIII.  Le  savant  physicien  fait  re- 
marquer que,  «  pour  le  débit  d'un  égal  volume  de  liquide, 
«  les  diminutions  de  temps  sont  à  peu  près  proportionnelles 
«  aux  accroissements  de  température  »  (*);  ce  qui  conduirait 
à  lier  la  vitesse  à  la  teînpérature  par  une  fonction  hyperboli- 
que; mais  de  ces  quatre  expériences  résultent  les  trois  rap- 
ports suivants  : 


134 

16,67 


=  8,040 


.il 
5,55 


=  7,566 


Ces  rapports,  comme  on  le  voit,  diffèrent  sensiblement  en- 
tre eux.  On  ne  peut  déduire  une  loi  générale  d'un  aussi  petit 
nombre  d'expériences  faites  sur  une  substance  organique  pré- 
sentant, comme  l'éponge,  une  structure  particulière. 


(*)  Philotophical  Magazine,  toI.  XXI,  p.  62. 


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nEGBERCHRS   SUR    LA    FILTRATION. 


85 


TABLEAU  XVIII 

RÉSUME   DBS   RBCHBRCHBS   DB   MM.    POISBUILLB  ,    ORAHAM ,    TATB   BT  eUÉROULT   RBLATITBS   A   L'iNFLUBUGB   DB   LA  TBMPéRATCRB 
SUR   LA   TITBSSB   ATBC   LAQUBLLB   L*BAU   S'ÉGOULB   DAIfS   LES  TUBB8  CAPILLAIRES   OU    A   TRAVERS   LES   FILTRES 


---     -- 

__       1 

VITESSES 

VITESSES       ,    1 

w™»»        1 

VITB88M8  lyAPBBS  POISBUUiLB 

VITESSES             1 

KXPÉBŒNCB  AVKJ  UN  TUB»  A 

d'après 

raprès 

d'après               II 

00 

M 
BS 

-m 
eu 

a 

M 

long.  l0«-«»,5,  diamètre  moyen  0«-,141136 

M.    OB 

AHAM 

Dans 

dont 
le  diamètre 

M.    G 

uAroult 

Bapports 

de 

ces  coefficients 

en  admettant 

que  celui  de  10* 

ait  la 

même  valeur 

que  dans 
les  expériences 
de  PoiseuUle. 

M.    ' 

Tempéra- 
tures 
en  degrés 
centignMtes 

^^^ 

Prodnito 

donnés  par  l'ez- 

périenoe 

en"". 

Produits 
calcnlés  par 
la  formule. 

YiteeseB 

rapportées 

41a 

vitesse 

àO-. 

Dans 
le  capillaire  D 

dont 
le  diamètre 
=  0»»,10W5. 

Bapports 

des 
coefficients 
d'écoulement 

en 

admettant 

que  celui 

delO*8oitégal 

4  celui 
de  PoiseuiUe. 

1 

0 

2 

8 

4 

6 

6 

7 

8 

9 

10 

5aim  74376 

5«n<n  73955 

1 

1.0000 

1.0000 

// 

1.0000 

// 

// 

1 

// 

ft 

II 

1.0606 

1.0389 

// 

// 

II 

II 

2 

// 

n 

II 

1.0902 

1.0760 

II 

// 

II 

II 

3 

// 

II 

II 

1.1216 

1.1449 

II 

// 

II 

II 

4 

// 

II 

II 

1.1555 

II 

II 

// 

II 

II 

5 

6       60982 

6       60381 

1.1513 

1.1857 

1.1787 

II 

II 

II 

II 

6 

// 

// 

II 

// 

II 

II 

II 

II 

II 

7 

// 

II 

II 

1.2556 

1.2638 

II 

II 

II 

II 

8 

H 

II 

II 

// 

II 

II 

II 

II 

II 

9 

// 

II 

II 

// 

II 

II 

II 

II 

II 

40 

7       64649 

7       64435 

1.3320 

1.3592 

1.3717 

3045 

1    3320 

10« 

1.3320 

U 

// 

// 

II 

// 

II 

3110 

1.3601 

II 

II 

it 

// 

II 

II 

// 

II 

3190 

1.3958 

II 

II 

13 

// 

II 

II 

// 

II 

3270 

1.4302 

II 

II 

U 

// 

II 

II 

1.5328 

II 

3350 

1.4650 

II 

II 

15 

8       74996 

8       74705 

1.5214 

1.5759 

1.6709 

3440 

1.5050 

II 

II 

46 

// 

n 

II 

1.6122 

// 

3525 

1.5420 

II 

.    '/ 

17 

II 

II 

II 

// 

II 

3615 

1.5810 

II 

II 

18 

// 

II 

II 

// 

II 

3703 

1.6198 

II 

II 

19 

// 

II 

II 

// 

II 

3795 

1.6604 

II 

II 

20 

9        91530 

9        91191 

1.7280 

1.7872 

1.7842 

3890 

1.7012 

II 

II 

25 

11        14584 

11        13892 

1.9418 

2.0189 

1.9793 

// 

// 

II 

II 

30 

U       43062 

12       42844 

2.1662 

2.2371 

2.1924 

// 

// 

26.67 
32.22 

1.955 

2  274 

35 

13        77994 

13       78015 

2.4020 

2.4852 

2.4313 

// 

// 

37.78 

2.742 

40 

15       19044 

15       19355 

2.6480 

2.7108 

2.7059 

// 

// 

// 

// 

45 

16       67396 

16       66860 

2.9042 

2.9525 

2.9459 

// 

// 

II 

// 

<50 

// 

// 

II 

3.2184 

3.2257 

II 

II 

II 

// 

65 

// 

// 

II 

3.4979 

3.4294 

'  Il 

II 

II 

// 

60 

w 

II 

II 

3.6842 

3.7191 

II 

,    // 

II 

// 

65 

// 

II 

II 

3.9252 

4.0726 

II 

// 

II 

// 

70 

L 

// 

II 

II 

4.2000 

4.3122 

II 

// 

II 

// 

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86  MÉMOIRES. 

100.  A  la  suite  des  nombreuses  expériences  que  nous  avons 
indiquées  [25],  M.  Paul  Havrez  formule  les  conclusions  sui- 
vantes : 

Le  débit  croit  avec  la  température  et  peut  être  représenté 
par  l'expression  : 

D  =  8  +  8't , 

dans  laquelle  D  représente  la  dépense  à  la  température  t,  8  la 
dépense  à  0%  qui  est  exprimée  elle-même  à  l'aide  de  deux 
termes  variables  avec  E  et  avec  H,  et  8'  l'accroissement  de 
dépense  pour  un  degré,  qui  est  aussi  une  fonction  dépendante 
de  E  et  de  H. 

Mais,  quand  le  filtre  est  formé  par  une  couche  de  gros 
sable,  la  dépense  est  représentée  par  une  fonction  plus  com- 
plexe, telle  que  D  =  A  +  A'(  +  àTfi  C). 

Doit-on  représenter  par  des  formules  distinctes  les  effels 
de  la  chaleur  sur  la  fili ration  à  travers  deux  sortes  de  sable 
qui  présentent  si  peu  de  différence?  Faut-il  modifier  les  coeffi- 
cients quand^  en  employant  la  même  substance  filtrante,  on  en 
fait  varier  l'épaisseur?  Nos  expériences  nous  ont  fait  écarter 
ces  conclusions.  Nous  avons  constaté  que  les  variations  de 
température  font  changer  à  peu  près  de  la  même  façon  la  vi- 
tesse de  l'eau  à  travers  les  colonnes  de  sable,  à  travers  les  vases 
de  terre  poreuse  et  à  travers  les  tubes  de  verre.  C'est  ce  que 
montrent,  du  reste,  les  quatre  premiers  tracés  de  1 1  figure  1, 
planche  II,  ainsi  que  les  tracés  VI  et  VII,  qui,  sans  être  identi- 
ques, ont  sensiblement  le  même  aspect.  Si  les  résultats  obte- 
nus par  M.  Havrez  diffèrent  entre  eux,  il  faut  principalement 
l'attribuer  à  l'interposition  de  l'air  entre  les  particules  de  la 
substance  perméable.  Cette  action  perturbatrice  n'a  pas  été 
considérable  dans  le  cas  des  filtres  peu  épais  formés  de  gros 
sable,  parce  qu'alors  une  grande  partie  des  bulles  gazeuses  a 
pu  s'échapper,  et  l'auteur  a  pu  observer,  dans  ce  cas,  la  loi 
qui,  suivant  nous,  régit  le  phénomène. 

101.  En  profitant  des  changements  qui  se  produisent  dans 

(*;  Rxherehei  expHitmentokê  mr  U4  Uns  de  la  fiUratûm,  par  Paal  Havrei,  p.  11. 


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BECHERCOES   SUR    LA    FILTRATION.  87 

la  température  extérieure,  j'ai  pu  déterminer,  comme  je  l'ai 
déjà  dit  [56],  les  vitesses  différentes  que  prend,  à  des  tempé- 
ratures voisines,  l'eau  qui  passe  à  travers  un  même  vase  po- 
reux surmonté  d'un  même  tube;  mais  ni  le  vase,  ni  le  tube,  ni 
le  cathétomèlre  à  l'aide  duquel  on  mesure  l'abaissement  du 
liquide  ne  sont  dans  des  conditions  identiques,  de  sorte  que 
4outes  les  données  du  problème  se  trouvent  modifiées  simulta- 
nément; toutefois,  plusieurs  d'entre  elles  ne  subissent  que  des 
changements  sans  importance. 

1"  Remarquons  d'abord  que  les  variations  de  densité  qui 
accompagnent  les  variations  de  température  du  liquide,  n'ont 
par  elle-même  aucune  influence  directe  sur  les  lois  de  l'écou- 
lement; puisque  la  pression  qui  s'exerce  sur  le  liquide  qui 
s'écoule  et  la  masse  de  l'unité  de  volume  de  ce  dernier  restent 
dans  un  rapport  constant.  Il  faut  cependant,  pour  qu'il  en  soit 
ainsi,  que  la  colonne  soit  encore  homogène,  c'est-à-dire  à  la 
même  température  dans  toutes  ses  parties;  ce  qui  n'est  pas  ri- 
goureusement vrai,  mais  à  peu  près  réalisé,  si  l'eau  qu'on 
verse  par  l'entonnoir  supérieur  a  séjourné  depuis  longtemps 
dans  le  même  milieu  que  celle  qui  remplit  le  récipient. 

2**  La  température  modifie  la  valeur  des  divisions  du  cathé- 
tomèlre; la  correclion  relative  à  ce  point  est  facile,  mais  elle 
n'a  pas  d'importance,  à  causQ  de  la  faible  valeur  du  coeffi- 
cient de  dilatation  linéaire  du  laiton,  qui  égale,  en  moyenne, 
0,0000167. 

S""  Quand  la  température  varie,  les  espaces  capillaires  par 
lesquels  se  fait  le  passage  du  liquide  n'ont  plus  la  même  sec- 
tion ni  la  même  longueur:  le  tube  de  verre  dans  lequel  on  voit 
le  niveau  s'abaisser  a  éprouvé  des  changements  du  même 
ordre. 

Supposons  que,  pendant  la  durée  de  chaque  expérience,  la 
température  soit  stationnaire;  l'eau  qui,  dans  ce  cas,  constitue 
la  colonne  de  charge,  a  la  même  densité  que  celle  qui  s'écoule  : 
il  n'y  a  qu'à  tenir  compte  des  modifications  de  forme  qui  se 
sont  produites  dans  ce  système  de  canaux. 

Nous  aurons,  en  appliquant  la  formule  [2]  déjà  indiquée 
[36]  : 


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88  MÈUOIHES. 

U=^.K.H      ou    U  =  mH    (2), 

.  4nD*K 

en  posant  — ^^  =  m. 

Pour  me  débarrasser  des  faeteurs  constants  qui  ne  subissent 

4n 
aucune  influence  de  la  température,  je  pose  —  =  J. 

J'ai  alors  U  =  •^.  K  .  H,  et  le  coefficient  m,  que  nous  avons 

déterminé  dans  les  expériences  précédentes,  sera  représenté 
JD^K 

Supposons  que  la  vitesse  U  soit  la  vitesse  observée  quand 
la  température  est  T  :  on  a 

U=^^.K.H    (6). 

Pour  une  autre  température,  T',  que  je  supposerai  plus 
élevée,  on  aura  : 

U'=i^,K'H'    (7). 

K'  variera  suivant  des  conditions  qui  restent  à  déterminer; 
mais  toutes  les  autres  quantités  peuvent  être  exprimées  en 
fonction  des  quantités  correspondantes  de  Téqua-ion  (6),  à 
l'aide  des  formules  de  dilatation.  On  aura  : 

JD4  [1  +  X  (T-  -  T)]  4.H.  [i  +  V  (T-  ^  T)] 
^  ~    AMI  +X'(r  — T)]  H  [i  +X  (T'  -  T)]  '  ^  '^      ^""^^ 

ou 

U^  _  JD*H  [i  +  X  (T  -  T)]4  [i  +  V(r  -  T)] 
K'  —  AH    [i  +  V  (T'  -  T)]«  [4  +  X  (T'  -  T)]   ' 

formules  dans  lesquelles  X  représente  le  coefficient  de  dilata 
tion  linéaire  du  vase  poreux,  et  X'  le  coefficient  de  dilatation 
linéaire  du  tube  de  verre. 


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RECHBRCHES   SUR    LA    FILTRATION.  89 

En  divisant  Tune  par  l'autre  les  équations  (8)  et  (6),  on  a 

U'  __K'[1+X(T'-T)]8 

U  ~~  K  [i  +  X'  (T'  -  T)]     ^^' 

d'où,  en  eOecluant  la  division  et  s'arrétant  aux  termes  qui  ne 
contiennent  X  et  X'  qu'au  premier  degré  : 

U'  =  U  X  Ç  [1  +  (3X  ^  X')  (T'  -  T)]     (10). 

Dans  le  cas  où  le  vase  poreux  serait  remplacé  par  un  vqse 
de  verre  présentant  une  série  de  perforations  capillaires,  Ii 
formule  se  réduirait,  X'  étant  égal  à  X,  à  Texpression  suivante  : 

U'  =  U.  ^[1+2X(T'-T)], 

qu'il  est  facile  d'établir  directement  en  partant  deë  lois  de  Poi- 
seuille. 

La  correction  précédente  ne  serait  pas  facile  à  faire,  à  cause 
de  l'indétermination  que  présente  le  coefficient  de  dilatation 
du  vase  poreux. 

Si  on  prenait  pour  X  le  coefficient  de  dilatation  indiqué  par 
Adie  (tableau  de  V Annuaire  du  bureau  des  longitudes,  1880, 
p.  601),  comme  le  coefficient  de  dilatation  de  la  terre  cuite, 
on  aurait  =  0,000.004.573. 

X'  est,  en  moyenne,  pour  les  tubes,  d'après  Roy  : 

V  =  0,000.007.73. 

Alors,  3X  —  X'  égalerait  à  peu  près  0,000.005.97. 

Une  pareille  correction  n'a  pas  d'influence  sur  les  résultais 
quand  T'  —  T  n'est  que  de  quelques  degrés.  On  peut  la  négli- 
ger, comme  celle  qui  est  relative  à  la  dilatation  du  cathélo- 
mètre.  Nous  nous  sommes  donc  borné  à  rechercher  une  for- 
mule empirique  qui  représente  les  variations  qu'éprouve 
l'écoulement  du  liquide  dans  nos  appareils,  sans  dégager  le 
coefficient  d'écoulement  K  des  autres  corrections,  que  nous  ne 
pouvons  pas  faire  avec  certitude,  mais  qui  sont  heureusement 
peu  importantes. 


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90  MÉMOIRES. 

Nous  allons  exprimer  la  vitesse  U  à  la  l"  T  en  fonction  de  la 
vitesse  L'o,  correspondante  à  la  l'«  de  0*,  ou,  ce  qui  revient  au 
même,  d'après  la  formule  (2)  [36],  nous  évaluons  m  à  l'aide  de 
mot  et  nous  constatons  que  ces  deux  quantités  sont  liées  par 
la  relation 

m  =  mo  (1  +  flrf  +  W  [H]. 

Nous  avons  déterminé  expérimentalement  les  valeurs  de  t7i, 
quand  la  température  varie,  en  nous  servant  de  la  formule  déjà 
employée  : 

log  Hq  -  log  H 

m  = T-T (o). 

6  log  e 

L'appareil  étant  installé  à  demeure  dans  une  petite  pièce,  il 
m'a  suffi  de  laisser  écouler,  à  différents  jours,  le  liquide  du 
trait  1  au  trait  2  et  du  trait  2  au  trait  3,  par  exemple,  pour 
déterminer  m  aux  températures  moyennes  de  8%3,  de  9%4,  de 
9«,8,  de  10*,  de  12^,  de  43o,  de  15%  de  17<».  J'ai  fait  concourir 
douze  de  ces  expériences  à  la  détermination  des  trois  constantes 
dans  la  formule  m  =  mo  (1  +  a^  +  p^^),  qui  me  paraît  bien 
représenter  les  variations  observées;  par  exemple,  j'ai  déter- 
miné directement  par  quatre  observations  chacune  des  trois 
valeurs  : 

Wî8,3  =  0,000.055.341, 

mia  =0,000.061.383.3, 

m^5  =  0,000.066.583. 

J'ai  eu  ainsi  le  système  des  trois  équations  suivantes  : 

0,000.055  341      =  mo  [  1  +  a  8,30  +  p  (8,30)  2  ], 
0,000.061.383.3  =  mo  [1  +  «12  +  P  144], 
0,000  066.583     =  mo  [  1  +  «  15  +  P  225]. 

Je  déduis  de  là  les  valeurs  : . 

a  =  0,032.802, 
p  =  0,000.272.6, 
et  *  mo  =  0,000.042.836. 


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RECHERCHES  SUR   LA   FILTRATION.  91 

Celte  dernière  valeur  mo  n'a  pas  été  déterminée  expérimenr 
talement  ;  mais  il  y  a  cependant  quelque  intérêt  à  chercher 
quelle  est  la  température  comptée  à  partir  de  O^,  qui  suffit  pour 
doubler  la  vitesse  de  l'écoulement  du  liquide. 

Si  on  résout  l'équation 

mT  =  mo(1  +aT+  pT2)  *  (41) 

par  rapport  à  T,  en  supposant  que  nh  =  2rwo,  on  a,  comme 
on  voit, 

ce  qui  est  une  valeur  bien  peu  différente  de  celle  qu'on  déduit 
de  la  formule  de  Poiseuille,  qui  a  élé  obtenue  après  avoir  fait 
les  corrections  relatives  aux  variations  du  volume  de  l'ampoule 
et  des  diamètres  des  tubes  capillaires  {*). 

D'après  cette  formule,  il  faut,  en  effet,  pour  doubler  la  vi- 
tesse, une  température  T  =  25°,45*^*-  environ.  En  opérant 
comme  il  vient  d'être  dit,  on  obtient  une  série  de  valeurs  de  m 
que  nous  indiquerons  plus  loin  [105],  tableau  XIX. 

La  formule  de  Poiseuille  et  celle  que  je  viens  de  donner  ne 
sont  pas  identiques,  car  les  circonstances  dans  lesquelles  la 
seconde  est  déterminée  sont  un  peu  plus  complexes;  mais  elles 
ne  diffèrent  pas  beaucoup  l'une  de  l'autre. 

102.  Pour  étudier,  dans  des  limites  plus  étendues,  l'influence 
de  la  température  sur  l'écîoulemeot  de  l'eau  à  travers  les 
mêmes  vases,  je  me  suis  servi  de  l'étuve  de  d'Arsonval,  qui 
permet  d'obtenir  des  températures  constantes.  M.  Joulin,  direc- 
teur de  la  poudrerie  de  Toulouse,  a  bien  voulu  mettre  à  ma  dis- 
position, pendant  quelques  jours,  un  appareil  de  ce  genre.  Je 
l'ai  représenté  ici  en  perspective  {/ig.  7),  et  la  figure  8  en  donne 
la  coupe  verticale  :  c'est,  comme  on  voit,  un  récipient  ayant,  à 
la  partie  inférieure,  la  forme  d'un  manchon  conique  A,  et,  à  la 

(*)  Danf  la  formule  de  Poiseuille  K  =  Kq  (1  -f  ««  +  ^fi), 
a  =  0,0336793, 
^  =  0,0009909936. 


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92 


MÉMOIRES. 


partie  moyenne  et  supérieure,  celle  d'un  manchon  cylindri- 
que B.  Le  vase,  dont  l'axe  est  vertical,  est  fermé  par  une  pla- 


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HECBERCHRS   SUR    LA    PILTRATÎON.  93 

que  annulaire  ÎDclinôe;  celle-ci  porte,  dans  la  région  la  plus 
élevée,  une  tubulure  T,  par  laquelle  on  introduit  Teau  qui  doit 
remplir  complètement  le  manchon;  on  ferme  ensuite  celte  tu- 
bulure à  l'aide  d'un  bouchon  traversé  par  un  lube  en  verre  T', 
ouvert  à  ses  deux  extrémités. 

Lorsqu'on  chauEFe  l'étuve  à  l'aide  d'une  couronne  de  becs 
de  gaz  E  placée  à  la  partie  inférieure,  l'eau  se  dilate  et  s'élève 
dans  le  tube  T'.  De  là  résulte  un  accroissement  de  pression 
dont  on  a  tiré  parti  pour  régulariser  la  température.  L'appa- 
reil porte  pour  cela,  sur  la  paroi  latérale  et  vers  la  partie 
supérieure,  une  large  tubulure  F  fermée  par  une  plaque  très- 
mince  maintenue  à  l'aide  d'un  anneau  G  ûxé  par  des  vis  de 
pression.  La  plaque  flexible  qui  supporte  intérieurement  la 
charge  du  liquide  constitue  le  fond  d'un  tambour  dont  Taxe 
est  horizontal.  Dans  ce  tambour  pénètre  un  tube  à  bords 
émoussés  qui  fait  corps  avec  un  disque  fileté  H.  Par  le  mouve- 
ment de  rotation  imprimé  au  disque,  l'orifice  du  tube  peut  être 
plus  ou  moins  rapproché  de  la  plaque  flexible;  or,  c'est  par  ce 
tube  qu'arrive  dans  le  tambour  le  gaz  qui  alimente  les  becs, 
tandis  qu'il  s'en  échappe  par  une  autre  tubulure  J  ménagée 
vers  le  bas,  pour  arriver  à  la  couronne.  On  conçoit,  dès  lors, 
que  l'élévation  du  liquide  dans  le  tube  en  verre  T'  amène,  par 
suite  de  Taccroissement  de  la  pression ,  la  déformation  de  la 
plaque.  Elle  se  rapproche  du  tube  central  et  rétrécit  ainsi  le 
passage  laissé  au  gaz  qui  alimente  les  becs.  La  flamme  de  ces 
derniers  est  alors  déprimée,  et  la  température  diminue.  Mais 
ce  phénomène  est  accompagné  dun  abaissement  de  niveau 
dans  le  tube  de  verre,  et  la  plaque  flexible  tend  à  reprendre  sa 
première  forme.  On  voit  donc  qu'en  réglant  convenablement  la 
position  du  tube  qui  porte  le  gaz,  on  peut  obtenir  des  tempéra- 
tures constantes. 

103.  La  cavité  centrale  sert  habituellement  de  chambre  à 
air;  je  l'ai  fermée  par  un  bouchon  métallique  K  (fig,  8),  que 
traverse  un  tube  de  cuivre.  Celui-ci  s'ouvre  à  un  centimètre 
environ  au-dessous  des  bords  de  la  cavité,  et  se  termine  par 
une  partie  recourbée  à  laquelle  s'adapte  un  tube  de  caoutchouc 
qui  permet  de  déverser  au  loin  le  liquide  qui  s'échappe  par 


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94 


HEMOinES. 


trop-plein  de  la  cavilé  centrale.  C'est  dans  celle  cavité  que 
j'introduis  le  vase  poreux  qui  forme  la  partie  inférieure  de  l'ap- 
pareil que  j'ai  déjà  décrit  (/Egf.  3)  [60].  Seulement  ici  la  plaque 

obturatrice,  surmontée  du  long  tube 
gradué,  présente  sur  ses  bords  deux 
entailles  diamétralement  opposées  : 
l'une  d'elles  permettra  d'introduire 
un  thermomètre  entre  le  vase  et  les 
parois  internes  de  l'éluve;  l'autre 
laissera  passer  le  tube  de  cuivre  KL 
appliqué  sur  la  paroi,  et  faisant  une 
saillie  d'un  centimètre  au-dessus  de 
la  plaque.  Enfin ,  le  couvercle  de  lai- 
ton M  (/îgf.  7)  laisse  passer  par  deux 
tubulures  la  lige  du  thermomètre  et' 
le  tube  gradué.  On  introduit  par  ce 
tube  un  second  thermomètre,  qui  pé- 
nètre jusqu'au  fond  du  vase  poreux. 
On  prend,  pour  la  température  de 
l'eau  qui  filtre,  la  moyenne  des  tem- 
pératures données  par  les  deux  ins- 
truments, qui,  du  reste,  différent 
peu  quand  on  introduit  dans  le  tube 
de  l'eau  un  peu  plus  chaude  que  celle 
de  l'éluve. 

104.  Nous  calculons  le  coefficient 
d'écoulement  en  employant  encore  la 
formule  (3)  : 


^^^ 


m  = 


log  Hi  -  log  Ha 

6  log  e 


dans  laquelle  e  indique  le  temps;  pour  déterminer  deux  ou 
trois  fois  la  valeur  de  m,  à  une  même  température,  il  suffit 
de  suivre  assez  longtemps  l'abaissement  du  niveau.  Il  est  bon 
de  remarquer  que  les  expériences  sont  plus  précises  quand  les 
colonnes  liquides  qui  pressent  sur  le  filtrre  sont  assez  courtes  ; 


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RECBKBCHES   SDR   LA    FILTRATION.  95 

elles  présentent  alors  plus  d'homogénéité.  J'ai  noté,  dans  cer- 
tains cas,  les  variations  de  température,  qu'on  peut  constater  h 
Taide  de  thermomètres  maintenus  à  diBërenles  hauteurs.  J'ai 
pu  calculer  alors  la  longueur  de  la  colonne  homogène  qui  au- 
rait la  lempérature  du  liquide  filtrant  et  qui  équivaudrait  à  la 
charge  observée.  Mais  j'ai  constaté  que  les  corrections  ainsi 
faites  n'atteignent  généralement  pas  ^  de  la  valeur  cherchée. 
Or,  on  ne  peut  ici  déterminer  les  données  expérimentales  avec 
une  assez  grande  précision  pour  tenir  compte  de  quantités  de 
cet  ordre. 

105.  Nous  avons  été  naturellement  amené,  avant  de  cher- 
cher toute  autre  formule  empirique,  à  essayej  celle  que  nous 
avons  obtenue  à  la  suite  de  nos  premières  expériences  [101]. 

Voici  l'ensemble  des  résultats  auxquels  nous  sommes  par- 
venu, en  étudiant  l'écoulement  de  l'eau  à  travers  des  vases 
poreux,  soit  en  profitant  des  variations  de  température  du 
milieu  ambiant,  soit  en  employant  l'étuve  de  d'Arsonval.  Nous 
les  rapprochons  de  ceux  qu'ont  obtenus  MM.  Poiseuille,  gra- 
ham,  Guéroult  et  Tate,  et  que  nous  avons  déjà  inscrits  dans* 
le  tableau  XYIII  et  figurés  dans  la  planche  II.  Les  vitesses 
sont  aussi  rapportées  à  celle  de  l'eau,  à  la  température  de  0<». 
Elles  sont  représentées  par  la  courbe  VI. 


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96 


MEMOinES. 

TABLEAU  XIX 


106.   DÉTERMINATION   DES  COEFFICIENTS  D'ÉCOULEMENT  A  TRAVERS  LES 
VASES  DE  PORCELAINE  DÉGOURDIE 


OQ 
M 
es 
P 
H 

COEFFICIENTS 

COEFFICIENTS 

VITESSES 
npporUei 

< 

-m 

D'iOOULBMBNT 

D'éOOULBMBNT 

àla 
vitbssbaO* 

OBSERVATIONS 

H 

observée. 

caloolésm 

prise 
pour  unité. 

1 

3 

8 

4 

5 

4«'  VASE  POREUX  K 

0 

// 

0.000042836 

4 

8.30 

0.000055344 

0.000055344 

4.2946 

Valeur  qai  a  serri 

9 

// 

0.000056463 

4.3480 

à  établir  la  formule  et 

9.4 

0.000057448 

0.0000574  4  0 

4.3344 

qui  a  été  obtenue  par 

9.8 

0.000057747 

0.000057737 

4.3480 

la  moyenne  de  4  ob- 

40 

0.000058062 

0.000058050 

4.3551 

servations. 

M 

// 

0.000059700 

4.3938 

42 

0.000064383 

0.000064383 

4.4297 

id. 

43 

0.000063020 

0.000063400 

4.4725 

44 

// 

0.000064830 

4.5140 

45 

0.000066583 

0.000066583 

4.5548 

id. 

46 

// 

0.000068350 

4.5956 

47 

0.000070440 

0.000070445 

4.6370 

20 

0.00075380 

0.000075400 

4.7604 

2«  VA8B  P 

OREUX  M  PLACE 

DANS  L'ÉTUVB 

0 

// 

0.0000870 

4. 

to 

0.0004532 

0.00045358 

4.765 

22.40 

0.0004630 

0.0004630 

4.874  , 

Valeur  qui  a  serri 

27.40 

0.0004828 

0.0004829 

2.4035 

à  déterminer  le  coeffi- 

32.40 

0.0002049 

0.0002034 

2.3338 

cient  iiio  du  Douyeaa 

38.50 

0.0002340 

0.0002349 

2.6674 

vase. 

42 

0. 0002477 

0.0002487 

2.8688 

49 

0.0002827 

0.0002836 

3.2605 

53 

0.0003044 

0.0003048 

3.5046 

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RECHERCHES   SUR    LA   FILTRATION.  97 

J'avais  fait  concourir,  comme  je  l'ai  dit  [101],  douze  obser- 
vations faites  avec  beaucoup  de  soin  à  la  déterminalion  des 
constantes  mo,  a  et  ^;  on  voit  que  l'accord  entre  les  nombres 
calculés  et  les  nombres  observés  est  satisfaisant.  Cependant, 
les  écarts  dans  le  même  sens  qu'on  remarque  à  partir  de  38%50 
sembleraient  indiquer  que  la  formule  à  trois  termes  serait  insuf- 
fisante pour  représenter  le  phénomène,  si  on  poussait  plus  loin 
les  expériences;  mais  elle  peut  être  adoptée  dans  les  limites 
où  nous  avons  opéré. 

107.  J'ai  pu  faire  aussi  quelques  expériences  avec  l'étuve  de 
d'Arsonval  sur  la  filtration  de  l'eau  à  travers  de  petites  cou- 
ches de  sable.  Comme  l'étuve  n'avait  pas  de  grandes  dimen- 
sions (23  centim.  environ  de  profondeur),  la  colonne  de  sable 
était  nécessairement  bien  réduite,  et  j'ai  dû  me  borner  à  intro- 
duire dans  le  tube  gradué,  dont  l'orifice  était  fermé  par  un 
morceau  de  soie  des  tamis,  une  petite  colonne  do  sable  fin  de 
15  centim.  de  longueur,  pesant  32  grammes.  Dans  ces  condi- 
tions, le  passage  de  l'eau  est  très-rapide  quoique  la  loi  des 
pressions  s'applique  encore,  mais  le  thermomètre  placé  dans 
Tinlérieur  de  l'étuve  marque  quelques  degrés  de  plus  que  le 
thermomètre  engagé  dans  le  tube  gradué  immédiatement  au- 
dessus  de  la  couche  de  sable.  Cet  écart,  qui  va  en  croissant 
avec  l'excès  de  la  température  intérieure  sur  celle  de  l'air 
ambiant,  ne  m'a  pas  permis  de  pousser  très-loin  les  expériences. 
Il  m'aurait  fallu  des  dispositions  plus  complexes  pour  opérer  à 
des  températures  plus  élevées;  mais,  dans  ces  limites,  la  for- 
mule empirique  précédente  peut  être  encore  appliquée.  Elle  fait 
ainsi  connaître  la  valeur  des  coefficients  d'écoulement  de  l'eau, 
soit  à  travers  des  vases  poreux,  soit  à  travers  des  couches  de 
sable,  pour  des  états  calorifiques  compris  entre  8*»  et  SO'»  environ. 

Voici  le  tableau  des  résultats  obtenus  que  j'ai  représentés 
par  le  tracé  VII  {fig.  1,  pi.  II). 


8e  SIÉRIE.  —  TOME  Ul,   1. 


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98 


MÉMOIRES. 


TABLEAU  XX 

ÉTUDE  DE  L^DÎFLUEXCE  DE  LA  TEMPÉRATURE  SUR  LA  VITESSE  D'ÉCOULEMENT 
DE  l'eau  a  travers  UNE  COLONN-fi  DE  SABLE 


1 

COEFFICIENTS 

lyâOOULKMENT 

CALCULÉS 

VITESSES 
àœDe 

QU*0»  OBSBBTB 
àO-. 

OBSERVATIONS 

OBSERVÉS 

1 

1 

S 

4 

6 

Oo 

n 

0.0010916 

1 

23 

0.0020730 

0.0020730 

1.89866 

Valeur  qui  a 

27  60 

0.0013670 

0.0023108 

2.14  330 

serri  à  détermi- 

36 

0.0027314 

0.0027720 

2.5393 

ner  «o. 

44    10 

0.0030240 

0.0030692 

2.7664 

108.  Nous  aarioDs,  pour  (ermiDer  cette  étude,  à  examiner 
comment,  à  Faide  de  ces  formules,  on  peut  calculer  la  vitesse 
avec  laquelle  Teau  traverse  une  colonne  hontogène  dont  les 
différentes  parties  ne  sont  pas  à  la  même  température,  mais, 
comme  il  faut  tenir  compte  de  l'épaisseur  de  la  colonne  fil- 
trante et  de  la  variation  du  coefficient  de  perméabilité  d'un 
point  à  l'autre  de  cette  colonne,  nous  traiterons  cette  question 
à  la  fin  du  chapitre  IV. 

§  2.  —  Recherche  de  la  vitesse  de  différents  liquides 
à  diverses  températures. 

109.  Je  ne  me  suis  pas  occupé  de  chercher  les  coefficients 
d'écoulement  capillaire  des  différents  liquides  à  une  t'^  donnée. 
Poiseuille,  qui  avait  d'abord  déterminé  celui  de  l'alcool,  a 
étendu  plus  tard  ses  recherches  à  un  grand  nombre  de  corps, 
et  plusieurs  physiciens,  notamment  MM.  Graham  et  Guéroult, 
Pont  suivi  dans  cette  voie.  M.  Duclaux  a  montré  que  ces  coef- 
ficients d'écoulement,  toujours  pris  par  rapport  à  Peau,  ne 


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RECHERCHES   éUR    LA    FILTRATION.  99 

sont  pas  lout  à  fait  identiques  quand  les  liquides  traversent  la 
lerre  de  pipe,  quand  ils  traversent  le  charbon  ou  quand  ils 
coulent  dans  des  tubes  capillaires  de  verre. 

110.  Ily  a  donc',  pour  chaque  liquide,  un  coefficient  d'écou- 
lement spécifique  qui  varie  lui-même,  dans  des  limites  étroites, 
avec  la  nature  des  parois  sur  lesquelles  il  glisse,  mais  qui  varie 
aussi  avec  la  température;  ce  sont  ces  variations  du  coefficient 
d'écoulement  que  je  me  suis  proposé  d'étudier.  Comme  on  le 
voit  par.  les  tracés  de  la  planche  II,  les  vitesses  de  l'eau  à 
diverses  températures,  par  rapport  à  celle  de  l'eau  à  0%  sont 
sensiblement  les  mômes,  que  le  passage  s'effectue  dans  des 
tubes  de  verre,  à  travers  des  vases  poreux  ou  à  travers  des 
couches  de  sable.  Ces  vitesses  sont,  il  est  vrai,  fonction  d'un 
très-grand  nombre  de  variables,  et,  en  particulier,  de  la  dila- 
tation des  corps  dans  lesquels  circule  le  liquide;  mais  on  peut 
les  considérer,  dans  une  première  approximation,  comme  dé- 
pendant exclusivement  des  coefficients  d'écoulement  aux  di- 
verses températures,  qui  sont  très-grands  par  rapport  aux 
autres  quantités. 

J'ai  comparé  les  vitesses  relatives  de  l'alcool  à  36°  et  de 
l'acide  sulfurique  monohydraté  à  travers  des  tubes  capillaires 
et  à  travers  des  couches  de  sable. 

111.  J'ai  rapproché  des  résultats  obtenus  avec  l'alcool  à  86*» 
centésimaux  ceux  que  M.  Graham  a  résumés  dans  un  tableau 
qui  fait  suite  à  son  Mémoire  sur  l'écoulement  forcé  des  liqui- 
des (*),  et  qui  sont  relatifs  à  l'écoulement  de  l'alcool  absolu  à 
travers  un  tube  capillaire.  Les  vitesses  sont  rapportées  à  celles 
qu'on  observe  avec  les  mômes  liquides  à  la  température  de  20**. 

(*)  Annales  de  chimie  et  de  physique,  1. 1,  l«  férié  (Mémoire  déjà  cité,  p.  153). 


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iOO 


MEMOIRES. 


TABLEAU  XXI 

VITESSES  D*ÉCOULEMENT  DE  L* ALCOOL  A   DIVERSES  TEMPÉRATURES 


20O 

25 

30 

35 

40 

45 

50 

55 

60 

65 

70 


VITESSES 
de 

L'ALCOOL  ABSOLU 

dans 

le  capillaire  D 

(Graham) 

2 


4. 

4.080 

4.480 

4.3(3 

4.437 

4.564 

4.694 

4.830 

4.972 

2.453 

2.334 


VITESSES 

DB     L'ALCOOL    A     86* 


Dans 
tm  capillaire. 

8 


4. 

4.078 
4.482 
4.320 

II 
4.583 

II 

II 

II 

II 

II 


A  travers 
une  couche 

de 
sable  fin. 

4 


4. 

4.093 

4.470 

4.329 

4.454 

4.573 

II 

II 

II 

II 

II 


VITESSES  DB  L'EAU 


Dans 

le  capillaire  D 

(Graham) 

6 


4. 

4.4352 

4.2546 

4.3905 

4.54  85 

4.6520 

4.8027 

4.9344 

2.0644 

2.4967 

2.3500 


A  tniTers 

on 

vase  poreux. 

6 


4. 

4.426 

4.260 

4.405 

4.557 

4.747 

4.824 

II 

Il  • 

II 

II 


Il  résulte  de  ce  tableau  que  les  vitesses  d'écoulement  de  l'al- 
cool à  8^<>,  soit  à  travers  le  sable,  soit  dans  un  tube  capillaire, 
restent  proportionnelles  entre  elles  aux  différentes  tempéra- 
tures; pour  obtenir  ce  résultat,  il  faut  pourtant  prendre  quel- 
ques précautions,  et  porter  au  préalable  l'alcool  à  une  tempé- 
rature plus  élevée  que  celle  qu'il  doit  prendre  dans  le  filtre,  en 
le  laissant  ensuite  refroidir  dans  un  flacon  bouché.  Sans 
cela,  les  gaz,  qui  sont  dissous  en  plus  forte  proportion  dans 
l'alcool  que  dans  l'eau»  se  dégagent  en  traversant  la  couche 
de  sab'e;  ils  constituent  un  obstacle  tel,  que  j'ai  vu  l'abais- 
sement du  liquide  se  ralentir,  parce  que  j'avais  porté  rapi- 
dement la  couche  filtrante  de  SO^  à  40«. 

Il  importe  de  remarquer  encore  que  les  deux  vitesses  relati- 


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aEGHE^CHËS.SUR   LA   FILTRÀTION. 


lOt 


ves  dont  nous  venons  de  parler  peuvent  être  considérées  comme 
sensiblement  égales  à  celle  de  Talcool  absolu ,  qui ,  du  reste , 
ne  diffère  pas  beaucoup  de  celle  de  l'eau;  c'est  ce  qui  ressort 
de  l'examen  des  tracés  {fig.  2,  pi.  II);  c'est  ce  que  montre 
aussi  le  tableau  XXI,  où  sont  inscrites,  dans  les  colonnes  3 
et  4,  les  vitesses  de  l'alcool  à  86o  déduites  de  mes  expériences, 
et,  dans  la  colonne  2,  celles  qu'a  déterrninées  graham  pour 
l'alcool  absolu  avec  le  capillaire  D.  Elles  sont,  dans  tous  les 
cas,  rapportées  à  la  vitesse  de  l'eau  à  20<>.  A  cettj  tempéra- 
ture, le  coefficient  d'écoulement  de  l'alcool  absolu,  par  rapport 
à  l'eau,  est  de  0,6641,  et  celui  de  l'alcool  à  86o  est  de  0,4424. 
Les  colonnes  5  el  6  donnent  les  vitesses  de  l'eau,  d'après  les 
déterminations  de  M.  Graham  et  d'après  mes  expériences. 

Mi.  En  comparant  de  môme  les  vitesses  avec  lesquelles 
l'acide  sulfurique  passe,  à  diverses  températures,  à  travers  une 
couche  de  sable  et  à  travers  un  tube  capillaire,  j'ai  obtenu  le 
tableau  suivant  : 

TABLEAU  XXII 

COMPARAISON  DES  VITESSES  d'ÉCOULEMENT  DE  L* ACIDE  SULFURIQUE  A  TRA- 
VERS UNE  COLONNE  DE  SABLE  ET  A  TRAVERS  UN  TUBE  CAPILLAIRE 


VITESSES 
à  traTers 

VITESSES 
à  travers 

TKSIFÉEATURKS 

UNS  COLONNM  DB  SABLE 

rapportées 
à  la  vitesse  à  20». 

UN  TUBE  CAPILLAIBK 

rapportées 
à  la  vitesse  à  20*. 

20° 

4 

1 

22    50 

1.071 

1.080 

30 

1.320 

1.311 

40 

1.739 

1.752 

50 

2.267 

2.275 

Ainsi,  landis  que  la  vitesse  d'écoulement  d'un  liquide,  rappor- 
tée à  celle  de  l'eau,  varie  un  peu  avec  la  nature  des  parois,  les 
variations  de  vitesse  qu'entraînent  les  accroissements  de  tem- 


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102 


MEMOIRES. 


pérature  en  sont  tout  à  fait  indépendantes.  Si  le  premier  effet 
est  dû,  suivant  M.  Duclaux,  à  l'épaisseur  variable  de  la  couche 
adhérente  au  corps  solide,  le  second  effet  ne  dépend,  d'après 
ces  expériences,  que  de  la  friction  interne  du  liquide.  On  peut 
donc,  pour  étudier  Tinfluence  de  la  température  sur  le  coeffi- 
cient d'écoulement  d'un  liquide,  le  faire  passer  à  travers  des 
espaces  étroits  de  nature  quelconque,  et  il  est  plus  simple  de 
recourir  aux  tubes  capillaires  de  verre. 
113.  J'ai  employé,  pour  ces  recherches,  des  tubes  droits 

d'un  rayon  de  8  à  12»».- Rétré- 
cis en  certains  points,  courbés 
et  étirés  à  la  lampe,  ils  présen- 
taient une  capacité  limitée  par 
deux  traits  derepère  Afi,  et  une 
partie  effilée  DE,  de  forme  lé- 
gèrement conique ,  de  OHO  à 
O'^IS  de  longueur  et  dont  le 
diamètre  était  très-petit  à  l'ex- 
trémité. 

Le  tube  était,  dans  tous  les 

cas,  assez  long  et  assez  étroit , 

pour  que  la  loi  des  pressions  fût 

applicable,  comme  je  le  cons- 

Fig.  9.  talais  en  étudiant  l'écoulement, 

quand  le  liquide  atteignait  deux 

hauteurs  différentes,  M  et  N  (fig,  9).  On  faisait  plonger  ce  tube 

dans  un  vase  dont  le  niveau  était  déterminé  avec  soin. 

Ce  liquide  était  chauffé  par  un  fourneau  à  gaz  dont  on  pou- 
vait régler  la  dépense.  L'extrémité  du  tube  communiquait  en 
N,  par  un  tuyau  de  caoutchouc,  avec  une  pompe  à  main  qui 
permettait  d'élever  ou  de  déprimer  le  liquide  dans  le  tube  en 
verre. 

Pour  faire  une  expérience,  on  soulevait  le  liquide  par  aspi 
ration  au-dessus  du  trait  A  ;  après  avoir  préalablement  agité  le 
bain,  on  en  déterminait  la  température  au  moment  où  le  niveau 
du  liquide  allait,  dans  son  mouvement  descendant,  atteindre  ce 
premier  trait.  On  notait  l'instant  du  passage  vis-à-vis  de  ce  trait. 


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RECHERCHES   SUR   LA    FILTRÂTION.  103 

puis  vis-à-vis  du  trait  B,  et,  après  avoir  brassé  de  nouveau  le 
liquide,  on  faisait  une  nouvelle  détermination  de  la  tempéra- 
ture. Si  l'on  remarque  que  l'espace  GCD  a  un  volume  au  moins 
égal  à  dix  ou  douze  fois  la  capacité  du  renflement  AB,  on  re- 
connaîtra que  le  refroidissement  éprouvé  par  le  liquide  de 
l'ampoule  pendant  son  écoulement  n'influe  pas  d'une  manière 
appréciable  sur  la  température  de  celui  qui,  pendant  ce  temps, 
traverse  le  capillaire. 

J'ai  ainsi  formé  le  tableau  suivant,  qui  représente  la  vitesse 
d'écoulement  de  l'acide  sulfurique  :  les  résultats  résument  deux 
séries  d'expériences  faites,  l'une  en  faisant  croître  la  tempéra- 
ture du  bain,  l'autre  en  le  laissant  refroidir  lentement.  Je  n'ai 
pu  opérer  exactement  aux  températures  indiquées ,  mais  j'ai 
déduit  par  interpolation  les  nombres  que  je  donne  de  ceux  que 
j'ai  obtenus  à  des  températures  très-voisines. 

TABLEAU  XXIII 

VARIATIONS    DANS    LA    VITESSE    D'ÉCOULEMENT    DE    L^AQDE  SULFURIQUE 
A    TRAVERS    LES    TUBES    CAPILLAIRES 


VITESSES 

VITESSES 

TlMPiBATUBES 

iBpportéea  à  la  vitesse 

TEMPÉRATURES 

rapportées  à  la  vitesse 

à20«. 

à20«. 

20O 

1 

650 

3.083 

28,6 

1.067 

70 

3.382 

25 

1.U3 

76 

3.616 

30 

1.32^ 

80 

3.961 

36 

1.626 

86 

4.334 

40 

1.736 

90 

4.669 

45 

2.000 

96 

6.004 

50 

2.267 

100 

6.330 

55 

2.526 

105 

6.676 

60 

2.793 

it 

II 

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104  MÉMOIRES. 

J^ai  déterminé  aussi  la  vitesse  de  Pacide  sulfurique  par  rap- 
port à  Teau  à  la  température  de  20o.  Cette  quantité  est  à  la 
viscosité  d'Hagenbach  ce  que  le  coefBcient  de  conductibilité  est 
à  la  résistance  en  électricité  :  on  pourrait  l'appeler  le  œefficient 
de  vitesse  ou  tachytique. 

J'ai  obtenu,  à  20-'  :  u  =  0,0761  =  —^  ; 

Poiseuille  avait  obtenu,  à  1^2  :  u  =  0,0723  =  ^j^j^  ; 

Graham,  à  20*  :  ti  =  0,0852  =  j^  f). 

Comme  on  le  voit,  la  température  fait  croître  plus  rapide- 
ment la  vitesse  d'écoulemopt  de  l'acide  sulfurique  que  celle  de 
l'alcool  et  de  l'eau;  on  pourra  représenter  ces  variations  par 
une  fonction  telle  que  : 

u  =  tfio  [<  +  a  («  -  20)  +  p  (^  -  20)  «]  ,     . 

dans  laquelle  a  et  ^  seront  les  coefficients  thermotachytiques  de 
Yacide  sulfurique,  c'est-à-dire  les  coefficients  qui  permettent 
d'exprimer  en  fonction  de  la  température  les  variations  de 
vitesse  qu'éprouve  l'écoulement  de  ce  liquide  à  t»-avers  des 
espaces  étroits. 

114.  En  faisant  les  mêmes  opérations  avec  l'huile  d'olive, 
j'ai  obtenu  le  tableau  suivant  : 


(*)  Ces  coefficients  ne  figurent  pai  dans  les  Mémoires  de  Poiseaille  et  de  Grsbsm, 
mais  on  les  a  déduits  de  ceux  qa*ont  donnés  ces  physiciens,  en  supposant  que  la  pres- 
sion est  produite,  dans  chaque  cas,  par  une  colonne  de  hauteur  constante  et  de  même 
densité  que  le  liquide  qui  s'écoule. 


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BECBEkCBES  Sb&  Là.  FILTRATION. 


105 


;   TABLEAU  XXIV 

VARUTIONS  DE  LA  VITESSE  D'ÉCOULEMENT  DE  l'HVILE  D'OLIVE 


VITESSES 

vrrassES 

eompArées  k  la  Tltesse 

oompaiées  fr  UTlteose 

fcao*. 

&30O. 

20O 

4 

80« 

9.469 

S5 

4.305 

85 

40.269 

30 

4.680 

90 

44.292 

36 

«.074 

95 

42.404 

40 

2.650 

400 

43.668 

^^ 

3.204 

4  05 

44.964 

50 

3.832 

440 

46.328 

55 

4.503 

445 

47.667 

60 

5.234 

420 

48.883 

65 

6.476 

425 

20.409 

70 

7.226 

430 

24.562 

76 

8.288 

// 

li 

J'ai  aussi  délerminé  le  coefficienl  tachytique  de  l'huile  par 
rapport  à  l'eau.  Il  esl  à  25%50,  température  à  laquelle  j'ai  fait 

l'expérience,  égal  à  ^^^  .^  =  0,004867,  c'est-à-dire  que  l'huile 

d'olive  à  SS''  coule  à  peu  près  205  fois  plus  lentement  que  l'eau 
à  la  même  température. 

On  voit  que  les  variations  de  vitesse  sont  encore  plus  rapides 
pour  l'huile  que  pour  l'acide  sulfurique.  Je  me  propose  d'ap- 
pliquer cette  méthode  à  l'étude  des  liquides  qui  présentent  des 
maxima  de  viscosité,  comme  le  soufre  par  exemple  ;  mais  ces 
recherches  exigent  des  dispositions  plus  complexes,  que  je  n'ai 
pu  prendre  encore. 

115.  J'ai  aussi  appliqué  le  même  procédé  à  l'examen  de 


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106 


MÉâoiRES. 


récoulement  du  mercure  à  travers  de»  capillaires  de  verre. 
Ici,  c'est  le  mercure  qui  frotte  contre  les  parois,  qui  ne  sont 
pas  mouillées. 

La  vitesse  croît  avec  la  température,  mais  d'une  quantité 
bien  plus  faible  que  dans  les  cas  précédents;  toutefois,  elle 
dépasse  notablement  celle  qui  résulterait  de  Taugmentation  du 
diamètre  du  capillaire  par  suite  de  la  dilatation  du-  verre. 

TABLEAU  XXV 

VARUTIONS  DE  L.\  VITESSE  D*ÉC0LXE3IENT  DC  MERCURE  DANS   UN  TUBE 

CAPILLAIRE 


VITBSBES 

VITESSES 

nMFisAirBBs 

ptfXBppori 

TBIFÉRiknTBBS 

ptfnpport 

• 

à  U  Tit«8Be  à  10*. 

à  lA  Tîtesw  à  30*. 

«()• 

4 

450 

4.059 

S5 

4.012 

50 

4.072 

30 

4.0S4 

55 

4.085 

35 

4.036 

60 

4.096 

40 

4.048 

65 

4.407 

JV 

a 

70 

4. 420 

1  f  6.  La  vitesse  à  20»  par  rapport  à  Peau,  à  la  même  tempé- 
rature, égale  6,44,  c'est-à-dire  que  le  renflement  AB  met 
6  fois  et  ^  plus  de  temps  pour  se  vider,  quand  il  est  rempli 
d'eau,  que  lorsqu'il  est  rempli  de  mercure;  mais  il  ne  faut  pas 
oublier  que,  dans  un  cas,  le  mercure  frotte  contre  le  verre,  et, 
dans  l'autre,  c'est  l'eau  qui  frotte  contre  l'eau  adhérente  aux 
parois.  Pour  faire  frotter  le  mercure  contre  une  couche  d'eau, 
il  a  suffi  de  remplir  de  mercure  le  tube  une  fois  vide  d'eau  ; 
celte  fois,  la  vitesse  du  mercure  est  5  fois  et  ^  plus  grande  que 
celle  de  l'eau.  Le  mercure  coule  moins  vite  dans  la  gaine  aqueuse 
que  sur  les  parois  du  verre  bien  séché.  Le  coefficient  de  frotte- 


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RECHERCHES   StJR   LA    FILTRATION.  107 

ment  du  mercure  sur  l'eau  esl-il  plus  grand  que  celui  du  mer- 
cure sur  le  verre,  ou  faul  il  attribuer  le  ralentissement  cons- 
taté à  la  diminution  de  la  section  du  tube  ainsi  tapissé  par  une 
pellicule  d'eau?  C'est  ce  que  je  me  propose  de  déterminer  par 
quelques  autres  expériences. 

J'ai  donné,  dans  la  planclie  II  (fig.  2),  les  tracés  graphiques 
de  ces  variations  de  vitesse. 

J'ai  représenté  aussi  par  des  longueurs  proportionnelles  les 
vitesses  de  ces  différents  liquides ,  pris  à  20«.  On  peut  ainsi 
les  comparer  aisément  à  celle  de  l'eau  à  la  même  température. 


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108  UÈMOIRES. 


CHAPITRE  III 

ÉTUDE  DE  l'influence  DE  l'ÉPAISSEUR  DES  COUCHES  FILTRANTES 
SUR  LA  VITESSE  AVEC  LAQUELLE  L'EAU  LES  TRAVERSE 


117.  H.  Darcy  a  fait,  sur  la  question  qui  va  nous  occuper, 
des  recherches  que  nous  avons  déjà  rappelées  [18],  et  qui  Pont 
conduit  à  admettre  la  loi  des  épaisseurs,  qu'il  a  énoncées  le 
premier.  Le  coefficient  qui  représente  le  débit,  c'est-à-dire  la 
quantité  de  liquide  écoulé  en  une  minute  sous  une  charge 
délerminée  et  à  travers  une  couche  de  sable  d'épaisseur  inva- 
riable, d'un  mètre  par  exemple,  doit,  d'après  cette  loi,  avoir 
une  valeur  constante,  quelle  que  soit  l'expérience  d'où  l'on 
déduit  cette  valeur. 

Or,  Darcy  a  tiré  de  4  séries  d'expériences  les  coefficients 

0,286  0,216 

0,165  0,210 

Il  a  cru  pouvoir  attribuer  ces  écarts  considérables  au  défaut 
d'homogénéité  du  sable  employé,  mais  il  n'a  pas  poussé  plus 
loin  ses  recherches  sur  ce  point. 

118.  M.  Tate  dit  simplement  à  ce  sujet  :  «  En  employant  un 
«  filtre  double  (de  papier  sans  colle),  on  a  trouvé  que  le  débit 
«  était  à  très-peu  près  réduit  à  la  moitié  ;  d'où  nous  concluons 
«  que  la  vitesse  de  la  fillralioo  est  inver^^ement  proportionnelle 
«  à  l'épaisseur  (*).  » 

M.  Duclaux  détermine  le  temps  de  l'écoulement  de  l'eau  à 
travers  une  plaque  poreuse  de  ^•"'JtS,  et  il  répète  l'opération 
après  avoir  réduit  l'épaisseur  de  cette  plaque  à  1"62;  dans  le 

(*)  Philoêophiaa  Magtume,  t.  XXl,  p.  65. 


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RECHEaCHBS  SUR   LA    FILTRATION.  109 

premier  cas,  la  durée  a  été  de  6  jours  ;  dans  1(*  second,  de  2  jours 
22  heures  ;  le  rapport  des  temps  est  bien  à  peu  près  égal  à 
celui  .des  épaisseurs;  il  en  est  de  même  dans  une  seconde 
expérience  faite  dans  des  conditions  analogues  {*). 

119.  M.  Paul  Havrez,  en  fermant  son  tube  filtre  par  une 
toile  à  fils  serrés  mise  en  double,  nécessairement  bombée  au 
milieu  sous  le  poids  de  la  charge ,  en  négligeant  d'enlever 
l'air  interposé  entre  les  couches  de  sable,  s'est  trouvé  dans  de 
mauvaises  conditions  pour  trouver  la  loi  des  épaisseurs  dont 
la  vérification  expérimentale  présente,  comme  on  le  verra,  des 
difficultés  particulières.  Aussi  cette  loi  est-elle  masquée  dans 
sa  formule  : 


D  =  A  +  BE 


(•--i-)-. 


où  D  représente  la  dépense,  E  l'épaisseur  du  filtre,  H  la  hau- 
teur de  l'eau  au-dessus  du  filtre.  A,  B,  a  et  P  sont  4  constantes 
déterminées  par  l'expérience. 

120.  11  m'a  paru  nécessaire  de  compléter  et  d'étendre  ces 
recherches  sur  l'influence  de  l'épaisseur.  C'est  ce  que  j'ai  fait 
en  employant  des  couches  de  sable^  mais  il  ne  faut  négliger 
ici  aucune  précaution  pour  obtenir  des  couches  aussi  homo- 
gènes que  possible.  Des  circonstances  qui  pourraient  paraître 
de  peu  d'importance,  modifient  rapidement  les  résultats,  les 
rendent  discordants.  C'est  ici  surtout  qu'il  est  nécessaire  de 
laver  le  sable  avec  un  très-grand  soin ,  d'enlever  les  pous- 
sières, d'aspirer  l'air  interposé,  de  produire  un  tassement 
régulier,  comme  nous  l'avons  déjà  indiqué  [63].' Il  était  évi- 
demment inutile,  dans  unr*  pareille  recherche,  de  former  des 
filtres  avec  des  substances  compressibles,  telles  que  la  laine, 
la  ouate  ou  diverses  espèces  de  feutres.  Il  faut  que  les  espaces 
capillaires  restent  de  grandeur  invariable. 

12^.  Je  me  suis  servi  du  tube  calibré  que  j'ai  déjà  employé 
pour  d'autres  expériences.  J'en  ai  fermé  l'extrémité  inférieure 
à  l'aide  d'un  morceau  de  soie  à  10  fils  par  dixième  de  pouce. 

(*)  Mémoire  de  M.  Daclaox,  déjà  cité,  p.  MO, 


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110 


MEMOIRES. 


et  j'ai,  introduit  en  proportions  variables  du  sable  dont  les 
grains  ne  pouvaient  pa§  passer  à  travers  un  tarais  formé  avec 
la  même  soie.  Le  tube  était  plongé  dans  un  vase  de  15  litres 
de  capacité  environ,  complètement  rempli  d'eau,  de  sorte  que 
les  colonnes  de  sable  y  étaient  noyées  et  que  le  liquide  fil- 
trant amenait  par  trop-plein  le  déversement  d'un  volume 
exactement  égal.  Dans  ces  conditions,  la  température,  appré- 
ciée à  l'aide  de  deux  thermomètres  placés  à  différentes  hau- 
teurs, était  très-sensiblement  constante  pendant  la  durée  d'une 
expérience,  qui  ne  dépassait  pas  quelques  minutes.  Le  tube 
était  fixé  verticalement  ;  les  hauteurs  étaient  mesurées  à  l'aide 
du  cathétomètre,  et  les  tfemps  à  l'aide  du  chronomètre,  comme 
je  l'ai  déjà  dit;  je  pouvais  suivre  l'abaissement  du  niveau 
pendant  un  temps  suffisant  pour  m'assurer  que  la  loi  des 
pressions  s'appliquait  exactement  et  pour  déterminer  le  coef- 
ficient m  à  l'aide  de  la  formule  : 

^^   log  hp  —  log  hj 

0  log  e         ' 

dans  laquelle  j'introduisais  la  plus  grande  et  la  plus  petite  des 
hauteurs  observées  et  le  temps  total  écoulé  entre  les  deux 
positions  du  sommet  de  la  colonne  liquide. 
Voici  les  nombres  obtenus  dans  une  expérience  : 

TABLEAU  XXVI 


Nuxinos 

TURB8 

des  traits 
au-dessus 

ABAIflSK- 

TEMPS 

POIDS 

des 

numAbob 

lŒNTS 

nécessaires 

du 

rALKUBS 

expérien- 

de 

des 

du  niveau 

de 
la  colonne 

pour 
ces  abaisse- 

sable 

de 

ces. 

reau. 

traite. 

du 
grand  vase. 

Uquide. 

ments. 

introduit. 

1 

3 

8 

4 

5 

6 

7 

8         ! 

.      65 

305.05    - 

1 

«•1  = 

4 

«30.40 

\ 
40 

65 

61.98 
347. 8« 

;  243.07 

492* 

308r 

0.003239 

% 

230,00 

494.28 

548.40 

60 

0.004  578 

'     45 

463.54  1 

^ 

«= 

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RECHERCHES  3UR   LA    FILTRATION.  111 

Mais  le  coefficient  d'écoulement  dans  la  deuxième  expé- 
rience doit  être  ramené  à  la  valeur  qu'il  aurait  eue,  si  la  tem- 
pérature, au  lieu  d'être  seulement  de  23%  s'était  maintenue  à 
23*»40.  En  faisant  celte  correction  à  l'aide  de  la  formule  que 
j'ai  indiquée  [101]  ou  plus  simplement  à  l'aide. de  la  construc- 
tion graphique,  je  trouve  que  m,  dans  la  deuxième  expérience, 
est  de  0,001594  ;  or,  si  la  loi  des  longueurs  de  Poiseuille  est  ici 
applicable,  les  coefficients  doivent  être  inversement  propor- 
tionnels aux  épaisseurs.  Celles-ci  sont  proportionnelles  aux 
poids  du  sable  introduit,  si  le  tube  a  partout  le  même  calibre, 
ce  qui  est  très-sensiblement  vrai.  On  doit  donc  avoir  : 

nii e% 

m^  _  0,003.239  _ 
^^  iïi^  -  0,001.594  ~  "^'"^  ' 

On  lie  peut,  je  crois,  attendre  des  résultats  plus  précis,  si 
l'on  tient  compte  des  causes  d'erreurs  multiples  qui  se  présen- 
tent dans  ces  recherches. 

122.  Pour  opérer  plus  rapidement  dans  d'autres  expérien- 
ces, je  me  suis  contenté  de  relever  les  hauteurs  à  l'aide  des 
divisions  équidistantes  tracées  sur  le  tube  gradué.  Je  m'assurais 
de  sa  verticalité  à  l'aide  de  deux  fils  à  plomb ,  et  je  constatais 
le  passage  de  l'eau  vis-à-vi*  des  différents  traits  à  l'aide  du  cur- 
seur annulaire.  Dans  une  première  ex  périence,  la  colonne  de 
sable  a  une  longueur  de  28^*%  04.  Je  compte  les  temps  qu'il 
faut  pour  que  le  sommet  de  la  colonne  liquide  passe  de  la 
division  66  à  la  division  60,  de  la  division  56  à  la  division  50, 
de  la  division  46  à  la  division  40. 

Entre  66  et  60 m  =  0,001.221, 

entre  56  et  50 m=  0,001 .239, 

entre  46  et  40 m=  0,001.209, 

j     .  1                      *                   0,003.669      ^  ^^.  ooo 
dont  la  moyenne  est. . .  -^— g =  0,001 .223 . 


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112  MÉMOIRES. 

Je  procède  de  la  même  manière,  quand  la  colonne  est  dé 
37^»',84  et  j'obtiens  pour  la  valeur  moyenne  de  m^, 

mî  =  0,000.921.7 

mx       1223Q 

^  =  "9217  =  ^'^^' 

Or,  le  rapport  inverse  des  épaisseurs  des  2  colonnes,  est  : 

02  _  37,84  _     ^ .  Q 

La  température  n'avait  pas  varié  d'une  manière  appréciable 
pendant  le  cours  de  ces  deux  expériences. 

1 23.  J'ai  procédé  encore  plus  simplement  dans  d'autres  cas. 
Je  détermine  les  temps  nécessaires  pour  que  le  liquide 
s'abaisse  du  trait  97  au  trait  94,  du  trait  87  au  trait  84,  du 
Irait  77  au  trait  74,  quand  le  tube  contient  une  première 
colonne  de  sable,  et  je  répète  les  mêmes  observations  entre 
les  mêmes  traits,  lorsque  les  colonnes  de  sable,  toujours  com- 
plètement noyées,  ont  des  longueurs  dilTérentes  qui  sont  pro- 
portionnelles à  leurs  poids  à  cause  de  Tuniformité  du  tasse- 
ment. La  température  de  Teau  du  grand  vase  ne  varie  pas 
pendant  la  durée  de  ces  opérations,  qui  peuvent  être. effec- 
tuées assez  rapidement;  la  colonne  est  toujours  placée  de  la 
même  façon,  de  telle  sorte  que  dans  cette  série  le  niveau  du 
liquide  extérieur  est  à  la  hauteur  de  la  division  55,2  du  tube 
gradué.  On  pourrait,  en  tenant  compte  de  cette  condition, 
déduire  aussi  du  tableau  suivant  une  nouvelle  vérification  de 
la  loi  des  pressions. 


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RECDERCBES  SUR   LA   FILTRATION. 


113 


TABLEAU  XXVII 


'A 

•      DUEÉES 

BAPP0BT8                                           II 

,.;?:'^ 

o  . 

1  o 

00 

> 

CL   O 

inscrites 

dans  les  colonnes 

1  et  2. 

DES  U>NGinïUBS 

des  deux 
premières  colon- 
nes de  sable. 

DB»    DURÉES 

inscrites 
1  et  8. 

DES  LONOtJKUBS 

de  la  première 

etdelâtroi8ième| 

colonne. 

1 

2 

a 

4 

6 

6 

7 

97 
94^ 

97» 

1 

77 

52.40 

?î=4.m 

S=^-«* 

m!40  =  «-8»* 

^•''-1.820 
81,24        '•'*" 

87 
84 

132 

406 

72. 

l^=^-^^e 

4.254 

^=..S33 

4.820 

77 

196 
74 

4  56 



407.40 

.l^=^-^»« 

4.254 

ra=*-«' 

4.820 

l?4.  Voici  encore  une  autre  expérience  du  même  ordre, 
accomplie *avec  ua  aulre  lube  fermé  de  la  même  façon  : 


8o  BBRIE.    —  TOME  IH,    1. 


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114 


MÉMOIRES. 


TABLEAU  XXVIII 

La  température  :=:  21o6.  Le  niveau  constant  du  liquide  dans  le  grand 
vase  est  à  la  division  33.3. 


DIVISIONS 

DU  TCBE 

DUB 

Pour  la  première 

colonne 

de  longueur 

68*»- ,6. 

ÂBS 

Four  la  deuxième 

colonne 

de  longueur 

87,6. 

RAPPORTS                     1 

DB8  DURÉES 

pour  les 
deux  colonnes. 

DES  LOXaUBURfl 

des 
colonnes. 

96 
93 

47 

30 

1.566 

^='--« 

86 

83 

.. 

36 

1.655 

1.558 

76 

73 

64 

41   40 

1.546 

1.558 

66 

83 

63 

56.20 

1.536 

1.558 

56 

53 

109 

71 

1.635 

1.558 

• 

46 

43 

178 

110 

1.618 

1.558 

=_ 

On  voit  par  ces  deux  tableaux  que  les  écarts  entre  les 
rapports  des  temps  et  les  rapports  des  longueurs  des  colon- 
nes ne  dépassent  pas  les  erreurs  que  Ton  peut  commettre 
et  que  ces  expériences  doivent  être  considérées  comme  une 
vérification  de  la  loi. 

125.  J'ai  souvent  obtenu  des  résultats  singuliers  dans  cette 
partie  de  mes  recherches.  Après  bien  des  essais,  je  suis  arrivé 
à  m'en  rendre  compte  dans  presque  tous  les  cas.  Je  crois 
devoir  compléter  l'étude  de  la  loi  des  épaisseurs  en  indiquant 
les  principales  circonstances  où  cette  loi  parait  être  en  défaut. 

126.  Les  colonnes  de  sable  sur  lesquelles  on  opère  doivent 


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RECHERCHES  SOR   LA    FILTRATION.  115 

être  parfaitement  homogènes  :  elles  peuvent  Tétre  au  début, 
et  ne  pas  remplir  celle  condition  vers  la  fin  d'une  expérience. 
C'est  ce  qui  se  produit  quand  l'eau  qui  charge  le  filtre  est 
elle-même  plus  ou  moins  trouble  :  les  particules  solides  en 
suspension  arrêtées  vers  le  sommet  de  la  colonne  filtrante 
forment  un  dépôt  qui  va  en  croissant  avec  la  durée  de  l'écou- 
lemenl,  et  qui,  malgré  sa  faible  épaisseur,  atténue  graduelle- 
ment la  vitesse  de  l'eau  comme  le  ferait  un  allongement  sen-: 
sible  de  la  colonne  filtrante.  Aussi,  tandis  que  les  temps 
employés  à  parcourir  les  divisions  les  plus  élevées  du  tube 
sont  entre  eux  dans  le  rapport  des  épaisseurs  des  colonnes, 
ceux  qui  correspondent  aux  divisions  inférieures  ne  satisfonl 
plus  à  la  loi.  Ces  circonstances  se  présentent  quand  le  sable 
n'a  pas  été  parfaitement  débarrassé  par  des  lavages  répétés 
de  la  poussière  interposée  entre  les  grains.  Alors,  quand  on 
produit  l'aspiration  du  liquide  pour  l'obliger  à  traverser  d'un 
mouvement  ascendant  la  couche  de  sable,  on  constate  que  les 
particules  les  plus  ténues  se  maintiennent  plus  longtemps  en 
suspension  vers  le  sommet  de  la  colonne  liquide  qui  va  par  sa 
pression  produire  le  mouvement  descendant,  et  l'on  peut 
observer  ces  dépôts,  qui  viennent  modifier  la  marche  des 
expériences. 

127.  Nous  avons  rappelé  déjà  plusieurs  fois  dans  ce  travail 
la  nécessité  qu'il  y  a  de  faire  pénétrer  par  aspiration  l'eau 
dans  la  masse  perméable;  il  faut  même,  pourchasser  les  petites 
bulles  d'air  adhérentes,  répéter  celle  opération  plusieurs  fois. 
Si  ces  précautions  ne  sont  pas  bien  prises,  la  loi  des  épais- 
seurs parait  encore  en  défaut.  Pour  m'en  assurer  directement, 
j'ai  complété  de  la  manière  suivante  les  expériences  que  j'ai 
décrites  [121]  et  dont  j'ai  consigné  les  résultats  satisfaisants 
dans  le  tableau  XXVI. 

J'ajoute  30  grammes  de  sable  aux  60  grammes  déjà  intro- 
duits dans  le  lube  gradué,  et  j'ai  ainsi  une  colonne  de  90  gram- 
mes; mais,  au  lieu  de  chasser  par  l'aspiration  l'air  interposé 
entre  les  grains,  je  verse  de  suite  une  quantité  d'eau  qm 
recouvre  le  sommet  de  la  colonne  de  sable  et  pénètre  ainsi 
difficilement  de  haut  en  bas  jusqu'au  sable  humide.   J'ai 


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U6  MÉMonics. 

attendu  que  la  coloune  parût  complètement  mouillée,  mai> 
Pair  interposé  ne  s*étail  dégagé  qu'en  partie.  Aussi,  en  étu- 
diant la  variation  de  la  vitesse,  j'ai  trouvé  que  le  coefficient  mz 
déterminé  comme  les  coefficients  m^  et  m^  du  tableau  XXVI 
avait  une  valeur  moyenne  de  0,000.191.4,  lorsqu'il  aurait 
dû  être  le  tiers  de  m^  et  les  |  de  m^,  c'est-à-dire  égal  à 

0,003.239  ^  ^,  ^Q^  .  .  0,001.594  ^  ^ 
-2 — =  0,001.080  environ,        ou  a     -^ — ^ X  2 

=  0,001.063.  Les  perturbations  dans  le  débit  que  peuvent 
produire  des  circonstances  de  ce  genre  sont  donc  très-consi- 
dérables. 

128.  Je  ne  me  propose  pas  de  chercher  ici  les  perler  de 
charge  qui  peuvent  résulter  d'un  étranglement  de  la  section 
de  la  colonne  filtrante.  J'espère  faire  un  peu  plus  tard  l'étude 
expérimentale  de  cette  question  délicate.  Dupuit,  qui  l'a  posée 
le  premier,  a  indiqué  simplement  que  la  solution  doit  être 
analogue  à  celle  qu'on  observe  en  pareil  cas  quand  l'eau 
s'écoule  dans  les  tuyaux  et  qu'il  doit  y  avoir  aussi  une  sorte 
de  contraction  de  la  veine  fluide  (*).  Je  me  contenterai  de 
faire  remarquer  que  les  rétrécissements  produits  par  des  dis- 
ques annulaires  disposés  dans  le  tube  ou  par  des  ajutages 
placés  à  l'orifice,  produisent  une  perle  de  charge  qui ,  dans 
mes  essais,  m'a  paru  assez  considérable.  Les  choses  se  pas- 
sent comme  si  on  avait  augmenté  les  longueurs  des  colonnes 
filtrantes,  qui  seraient  alors  dans  deux  expériences  succes- 
sives li  +  a>  et  l^  +  X.  Là  seule  conséquence  que  je  veuille 
en  tirer  pour  le  moment,  c'est  que,  pour  vérifier  la  loi  des 
épaisseurs,  il  faut  opérer  sur  des  tubes  bien  cylindriques  ter- 
minés par  des  orifices  de  même  section. 

Telles  sont  les  trois  causes  principales  qui  rendent  difficiles 
les  vérifications  expérimentales  de  celte  dernière  loi. 

1S9.  La  loi  des  pres^sions  est  en  défaut  quand  les  colonnes 
filtrantes  sont  trop  courtes  :  dans  ce  cas,  le3  vitesses  ne 
croissent  pas  aussi  vite  que  les  pressions,  et,  par  suite,  ne 
leur  sont  plus  tout  à  fait  proportionnelles. 

(*)  Traité  ihéorique  el  pratique  d$  la  comihitê  9t  dtla  dittribution  des  eaux;  S«  édil., 
p.  37. 


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BECHBRGHES  SUR   LA    PlLTRATlOH. 


417 


Cela  revient  encore  à  dire  que  le  produit  du  temps  uéces- 
saire  pour  l'écoulement  d'une  même  quantité  de  liquide  par 
la  pression  correspondante  va  en  croissant  avec  la  pression,  au 
lieu  d'être  constant.  C'est,  du  reste,  un  résultat  conforme  à 
celui  qu'a  fait  connaître  Poiseuille  sous  une  autre  forme,  et 
qu'il  a  établi  par  de  nombreuses  expériences;  je  citerai  seule- 
ment celles  du  n*»  42  (*)  : 

Il  En  partant  des  données  de  la  première  expérience  (faite 
«  sous  une  pression  de  24""661  de  mercure)  et  supposant  les 
«  temps  en  raison  inverse  des  pressions,  on  obtient,  dit  Ppi- 
((  seuilie,  les  résultats  suivants  : 


TABLEAU  XXIX 


Longueur  du  tube  15™™75.  Diamètre  aux  deux  extrémités  i  .>_  ^ 
Température  de  Teau  10®  c. 


d  =  0"«4405 
4  430 


NUMliROS 

des 
expériences. 

1 

PRESSIONS 
évaluées 

àlO^ 
2 

TEMPS 
obtenus 

8 

TEMPS 

la  première  expérience. 

4 

4 

2 

3 

^     4 

5 
6 

7 

49       591 
98      233 
4  48      233 
494      «57 
388      000 
775      4  60 

8646» 
4366 
2494 
4  455 
4446 
574 
298 

8646» 
4299 
2470 
4438 
4007 
549 
276 

((  On  voit  que  les  temps  donnés  par  Texpérience  pour  des 
«  pressions  plus  grandes  sont  tous  supérieurs  à  ceux  donnés 
«  par  le  calcul.  » 

(*)  Beekerches  expérimentales  sur  le  mouvement  des  liquides,  p.  4€5  du  lome  IX  ie» 
Mémoires  des  satants  étrangers. 


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418 


MÉMOIRES. 


On  déduirait  les  mêmes  conséquences  des  tableaux  qui  sui- 
vent; je  me  contenterai  de  donner  le  tableau  du  n*"  S6  (^), 
après  y  avoir  joint  la  quatrième  colonne. 


TABLEAU  XXX 

Longueur  du  tube  6««»025.  Diamètre  aux  deux  extrémités  \  t  ~  ^""^^^ 

^  /D=0      086 

Température  de  Teau  10<»  c. 


KUMÉBOS 

des 
expèrienoes. 

1 

PRB8SI0N8 

évaluées 

en  colonnes  de  mercnre 

à  10«. 

S 

TEMPS 

de  2c.c.c,1067. 
8 

PRODUITS 
dos  pressions 
pw  les  tempe. 

4 

4 

3 

4 
5 
6 
7 

24««4  92 
50      106 
99      402 
149      149 
194      217 
387      «37 
773      327 

3587» 
1768 

904 

605.6 

470 

245 

131.5 

1 
86760 
89277 
89860 
90433 
91263 
94862 
101660 

On  y  voit  que  les  temps  observés  pour  des  pressions  crois- 
santes vont  en  décroissant  moins  rapidement  que  ne  Findique 
la  loi,  c'est-à-dire  que  les  produits  obtenus  en  multipliant  les 
temps  par  les  pressions  vont  en  augmentant. 

Ces  résultats,  qui  sont  analogues  à  ceux  que  j'ai  obtenus, 
pouvaient,  à  mon  avis,  être  prévus. 

Les  résistances  développées  dans  des  tubes  capillaires  très- 
courts  sont  plus  faibles  que  celles  qui  se  traduisent  par  les  lois 
de  Poiseuille;  le  débit  doit  donc  êlre  représenté  par  une  for- 
mule complexe,  mais  qui  est  intermédiaire  entre  la  précé- 

(*)  Mémoire  déjà  dté,  p.  477. 


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RECHERCHES    SUR   LA    FILTRATION.  4i9 

dente  et  celle  qu^on  emploie ,  par  exemple ,  dans  le  cas  des 
orifices  percés  en  minces  parois  : 

0  =  0.^/2^, 

où  la  dépense  est  proportionnelle  à  la  racine  carrée  de  la 
charge  ;  par  suite,  les  vitesses  ne  croissent  pas  alors  aussi  vite 
que  les  pressions. 

J'ai  insisté  sur  ce  point,  parce  que  Regnault  dit  justement  le 
contraire  dans  son  ra|)port  : 

«  Lorsque  la  longueur  du  tube  se  trouve  au-dessous  d'une 
«  certaine  longueur,  la  vitesse  de  l'écoulemenl  augmente  plus 
«  rapidement  que  la  pression  (*).  » 

Avant  de  rectifier  la  petite  erreur  échappée  à  la  plume  de 
cet  éminent  physicien,  je  devais  en  même  temps  constater 
qu'elle  n'existait  pas  dans  le  Mémoire  de  Poiseuille. 

Ainsi  les  vitesses  ne  croissent  pas  aussi  vite  que  les  pres- 
sions, pour  des  tubes  de  trop  faible  longueur,  d'après  les 
expériences  de  Poiseuille:  pour  des  couches  filtrantes  de  trop 
petite  épaisseur,  d'après  mes  expériences. 

130.  Il  résulte  encore  de  l'examen  de  plusieurs  tableaux 
contenus  dans  le  môme  mémoire  (**)  que,  pour  une  pression  à 
peu  près  constante,  représentée  par  une  colonne  de  mercure 
d'environ  775™",  les  temps,  tout  en  décroissant  quand  les 
tubes  ont  des  longueurs  décroissantes,  diminuent  cependant 
moins  rapidement  que  celles-ci;  la  loi  des  longueurs  ne  s'ap- 
plique plus  et  les  temps  calculés  sont  plus  petits  que  les 
temps  observés. 

J'ai  obtenu  des  résultats  tout  à  fait  différents  dans  mes 
expériences.  En  prenant  des  colonnes  de  sable  de  plus  en  plus 
courtes,  je  constate  que  les  temps  nécessaires  pour  l'écoule- 
ment d'un  volume  constant  de  liquide,  diminuent  encore  plus 
rapidement  que  les  épaisseurs.  Je  me  contenterai  de  citer 
l'expérience  suivante  qui  est  le  complément  de  celle  dont  les 
données  sont  inscrites  dans  le  tableau  XXVIl  [123], 

(*)    Rapport  de  RegoauU   {AnnaUi  de  chimie  et  de  physique,  p.  57,   t.   VII, 
3«  série,   1843). 
(**)  Mémoire  déjà  cilé,  i.  IX  dc5  Mémoires  dçt  savants  étrangers,  pp.  477-51^. 


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120 


MEMOinES. 


Après  avoir  observé  Técoulement  de  l'eau  à  travers  une 
colonne  de  sable  de  56^*^-84  du  tube  gradué,  je  l'ai  réduite  à 
45^*^-34,  puis  à  31^^-24. 

Dans  ces  conditions,  la  loi  des  épaisseurs  est  vérifiée  d'une 
manière  satisfaisante,  comme  nous  l'avons  montré,  mais  la 
colonne  est  ensuite  réduite  à  une  longueur  de  16^^^- 6;  voici 
alors  ce  qu'on  observe  : 

TABLEAU  XXXI 


il 

«s  O 

|3 

H 

3 


1 


DURÉES 

Pour 

la2«ool. 

de 

81,24. 

2 


87 
84  \ 
77 
74 


132 


496 


± 


72 


107.40 


35 


6t 


RAPPOBTS 


DES  DCRAbS 

pour 

la  l'«  et  la  8« 

colonne. 

4 


W  =  3.77, 


^=3.769 


DBS  LOXOUEUBS 

dee  colonnes 

4  et  8. 

5 


g6,84 
16,6 


=  3.427 


56,84 
ÏMÔ 


=  3.427 


DBS  DUBixS 

pour  les  2«  et  S* 

colonnes. 

6 


r=  2.067 


107,40 
62 


=  2.066 


DES  L0KGUBUB8 

des  colonnes 

2  et  8. 

7 


81.24 
16,60 


=  1.882 


81,84 
16,60 


=  1.882 


Le  niveau  constant  dans  le  grand  vase,  où  plongeait  le 
tube  gradué,  était  à  la  division  55,2;  les  pressions  sont  alors 
représentées  par  des  colonnes  d'eau  ayant  des  longueurs  de  30 
et  de  20  divisions  environ;  la  loi  des  épaisseurs  n'est  plus 
applicable,  mais  les  écarts  se  produisent  dans  un  sens  opposé  à 
celui  qu'a  signalé  Poiseuille  à  la  suite  de  ses  longiies  et  cons- 
ciencieuses recherches.  Les  temps  calculés  pour  de  faibles 
épaisseurs  sont  plus  longs  que  les  temps  observés,  ou,  ce  qui 
revient  au  même,  les  vitesses  calculées  sont  plus  faibles  dans 
ce  cas  que  les  vitesse^  observées. 

D'où  peuvent  provenir  ces  divergences?  C'est  ce  que  nous 
allons  examiner. 

Rappelons-nous  pour  cela  que,  lorsque  les  tubes  sont  assez 
longs,  les  rapports  des  longueurs  aux  temps  nécessaires  pour 


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RECUERCHES   SUR    LÀ    FILTRATION.  121 

l'écoulement  d'une  même  quantité  de  liquide  ont  une  valeur 
constante  : 

e  ~  0'    ^^      /'  ~  0'  • 
Mais,  si  l'  prend  une  valeur,  lelle  que  T,  inférieure  à  une  cer- 
taine limite  ^,  ■w>  i;?;  c'est  le  résultat  constaté  par  Poiseuille, 

l'expérience  étant  faite  à  une  pression  H. 
Mais  quand  la  pression  décroît  et  devient  Hi ,  les  2  temps 

A  A 

deviennent  0^  et  O^i  et  le  rapport  r^  est  >  .„,  parce  que,  quand 

les  pressions  diminuent,  les  temps  correspondants  à  la  même 
dépense  croissent,  mais  avec  moins  de  rapidité;  de  même,  pour 

une  pression  plus  faible  H2,  t#-  >  r^r  >  r^  ;  ces  rapports  fini- 

0  2        9  1       0 

ront  donc  par  devenir  égaux  à  -j-  ,  pour  une  pression  conve- 
nablement choisie,  et,  pour  toute  pression  plus  faible  H„, 

^sera<-^. 

C'est  ce  que  nous  avons  constaté  dans  les  expériences  du 
tableau  XXXI. 

On  peut  encore  se  rendre  compte  de  ce  résultat  à  l'aide  des 
considérations  géométriques  suivantes  : 

L'expression  V  =  -^,  qui  résume  les  lois  démontrées,  peut 

être  mise  sous  la  forme  : 

eH  =  d, 

6  représentant  le  temps  nécessaire  pour  une  dépense  déter- 
minée et  c  étant  une  constante.  C'est  l'équation  d'un  parabo- 
loïde  hyperbolique  dont  les  sections,  par  des  plans  parallèles 
au  plan  HoO,  sont  des  hyperboles  équilatères  rapportées  à 
leurs  asymptotes,  et  d'autant  plus  écartées  de  ces  dernières, 
que  les  plans  parallèles  sont  plus  éloignés.   La  section  de 


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122 


MÉMOIEFS. 


ce  paraboloïde  par  un  plan  H  =  Hi  esl  une  droite  OiKi ,  telle 

0\a  ab 


que 


mais,  pour  une  longueur  f  <  x>  le  paraboloïde  subit  une 
déformation  ;  la^seclion  qu'on  obtient  par  un  plan  /  =  1%  au 
lieu  d'être  limitée  par  l'hyperbole  mb^n^  nous  donne  la  courbe 

m'b^n'  qui  coupe  la  ligne  précé- 
dente en  62,  de  sorte  que  la  sec- 
tion par  un  plan  parallèle  au 
^     /.  /f  plsiï^  ^0^  ïïe  donne  une  droite 

^ ^'"^^ qu'autant  que  H  =  Hi.  Ce  n'est 

(|ue  pour  cette  pression  que  les 
temps  sont  proportionnels  aux 
épaisseurs. 

*  Les  expériences  de  Poiseuille 
justifient  elles-mêmes  celle  ex- 
plication : 

Examinons,  par  exemple,  le 
tableau  qui  résume  les  expé- 
Fig.  10  riences  faites  avec  un  tube  C 

dont  le  diamètre  est  de  0""08o 
et  dont  la  longueur  primitive  de  150'°"'25  est  successivement 
réduite  à  100»""325,  à  Ti-'^'OS,  à  49"»°>70,  à  24°»°»40,  à  10°»H5 
cl  enfin  à  6°>°>025  (*).  L'auteur  constate  que  les  temps  néces- 
saires à  l'écoulement  d'une  quantité  constante  de  liquide,  sous 
une  pression  de  773"»»»  de  mercure,  sont  proportionnels  aux 
longueurs  du  tube  de  plus  en  plus  raccourci,  mais  il  remarque 
qu'il  n'en  esl  pas  de  même  quand  la  longueur  n'est  plus  que 
de  6°»n»025.  Le  temps  observé  dans  ce  cas  est  de  131«*^'^^^20, 
tandis  que  l'on  devrait  avoir  120«^'^*^^  5  si  la  loi  s'appliquait. 
Ainsi,  en  comparant  la  plus  petite  longueur  du  tube,  quand 
la  loi  s'applique  encore,  à  la  nouvelle  longueur,  on  a  : 

10,15         .  ... 

-6;ô25  =  ^'^^^- 

(*)  Mémoire  déjà  cité,  p.  503.  Le  lobe  dont  il  esl  question  est  celui  qui.  réduit  à  1; 
longueur  de  C*"025,  a  servi  aux  expériences  rapportées  dans  le  tableau  XXX  [129]. 


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RECOEnCUES    SUR    LA    FILTRATION.  123 

Ce  rapport  des  temps  nécessaires  à  l'écoulement  d'une  même 
quantité  de  liquide,  quand  la  pression  est  de  773""»  de  mer- 
cure, est  : 

203,14       .  „_ 

qui  est,  comme  on  voit,  plus  petit  que  le  rapport  des  lon- 
gueurs. 

Mais,  à  la  pression  de  24"»"»i92,  le  temps  de  l'écoulement  à 
travers  le  tube  de  10°>™15  est  de  6339«^<^(*),  et  nous  voyons 
dans  le  tableau  XXX  que  lorsque  le  tube  est  réduit  à  6"»»  025, 
la  durée  de  l'écoulement  d'une  même  quantité  de  liquide 
sous  la  môme  pression  (24°>°»I92)  est  de  3587**^-;  le  rapport 

des  longueurs  ^-ttôf  étant  1,685,  le  rapport  des  temps  est 

fiOOQ 

de   ÔKÔ7  =  1>767,  c'csl-à-dire  plus  grand  que  celui  des  lon- 
gueurs. 

Il  en  est  de  môme  pour  les  pressions  de  50"»»»,  de  100"»»  et 
de  150°»°»;  mais,  comme  les  vitesses  croissent  moins  vile  que 
les  pressions,  ces  deux  rapports  tendent  à  devenir  égaux; 
ainsi,  en  comparant  le  tableau  de  la  page  476  du  mémoire  de 
Poiseuille  au  tableau  XXX  de  notre  travail,  on  trouve  les 
résultats  suivants  : 

Preasions.  Rapporta  des  temps. 

QQmai  l2zl        —    j  791 

904  ' 

149»M19         ^5  =  1,693 

194»- 217  ~     =  1,676 

Ce  dernier  rapport  est  un  peu  plus  petit  que  celui  des  Ion- 

(*)  Ce  temps  est  réellement  de  etSd*,  comme  rmdiqae  le  tableaa  de  U  page  i76 
/^Mémoire  déjà  cité),  mais  la  pression  est  alors  de  24»a>79  ;  en  ramenant  le  temps  à  sa 
faleor  pour  U  pression  de  S4«ot92,  on  obtient  le  nombre  qae  nous  adoptons  6339. 


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124  MÉMOrRES. 

gueurs,  qui  égale  1,685.  La  loi  des  longueurs  se  vériflerail 
donc  pour  une  pression  comprise  entre  lOi'^^îl?  et  U9"'»H9, 
niais  pour  toule  au  Ire  pression  elle  est  en  défaut,  et  les 
écarts  sont  de  sens  inverse  pour  les  pressions  supérieures  et 
pour  les  pressions  inférieures;  c'est  un  point  de  transition  ou 
point  critique  analogue  à  cerlains  autres  qu'on  connaît  en 
physique. 

131.  La  conséquence  pratique  que  je  veux  déduire  de  cette 
observation,  c'est  qu'il  importe,  dans  l'étude  des  problèmes 
qui  nous  occupent,  de  suivre  l'abaissement  du  niveau  du 
liquide  filtrant  dans  une  assez  grande  étendue,  de  manière 
que  les  résultais  que  l'on  veut  coordonner  soient  obtenus  sous 
des  pressions  différentes.  Ce  n'est  qu'en  opérant  ainsi  qu'on 
pourra  compter  sur  l'exaclitude  des  coefficients  qu'on  aura 
déterminés. 

132.  L'examen  qui  précède  montre  bien  aussi  les  difficultés 
spéciales  que  présentent  les  problèmes  de  l'hydraulique,  dont 
les  solutions  ne  satisfont  qu'à  des  cas  particuliers  bien  définis. 
Ainsi,  les  lois  de  Poiseuille  résument  avec  une  précision  qui  a 
surpris  Regnault  lui-même  toutes  les  expériences  qui  sont 
comprises  dans  certaines  limites,  mais  dans  d'autres  cas  elles 
sont  en  défaut;  on  ne  peut  donc  les  appliquer,  même  à  la  filtra- 
lion,  malgré  les  analogies  manifestes  qui  rapprochent  ce  phé- 
nomène de  l'écoulement  des  liquides  à  travers  des  tubes  capil-  • 
laires,  qu'autant  que  l'expérience  directe  est  venue  en  justifier 
l'emploi.  En  poursuivant  la  comparaison  entre  ces  deux  ordres 
de  faits,  on  constate  parfois  des  différences  qui  ne  sont  pas 
sans  importance.  Nous  allons  en  voir  un  exemple  en  étudiant 
le  problème  que  nous  avons  déjà  posé  [90]. 

133.  Comment  varie  la  vitesse  du  liquide  quand  son  niveau 
descend  au-dessous  du  sommet  de  la  colonne  perméable? 
M.  A.  Guéroult  a  fait  remarquer,  comme  nous  l'avons  dil  [13J, 
que  la  quantité  d'eau  qui  s'écoule  par  des  tubes  capillaires 
placés  verticalement  et  plongeant  dans  le  liquide  par  leurs 
extrémilés  inférieures,  est  indépendante  de  la  longueur  des 

TT 

tubes  et  de  la  hauteur  du  liquide,  parce  que  le  rapport  y  qui 


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RECHERCHES   SUR    LA    PILTRATION. 


125 


KHD* 

/ 


reste  constant  pendant  tout 


entre  dans  la  formule  Q  = 

le  mouvement  descendant. 

Il  est  intéressant  de  savoir  s^il  en  est  encore  ainsi  quand  Peau 
passe  à  travers  des  couches  de  sable.  Il  n'était  pas  possible 
d'opérer  dans  ce  cas  comme  nous  l'avons  fait  précédemment, 
puisque  rabaissement  du  liquide  ne  peut  plus  être  observé 
directement,  mais  il  était  facile  de  vérifier  une  autre  consé- 
quence de  la  loi  précédenle.  La  dépense  pendant  l'unité  de 
temps  doit  être  toujours  la  même,  dès  que  le  liquide  s'est 
abaissé  au-dessous  du  sommet  de  la  colonne  de  sable. 

Je  place  le  manchon  de  verre  que  j'ai  déjà  décrit  [62]  (fig.  5) 
au-dessus  d'un  large  entonnoir  solidement  soutenu.  Le  tube 
avait  été  préalablement  rempli  d'une  longue  colonne  de  sable 
avec  toutes  les  précautions  indiquées. 

Je  mets  au-dessous  de  l'entonnoir  une  éprouvette  graduée, 
et  je  recueille  le  liquide  qui  s'écoule  p(  ndant  une  minute  au 
moment  où  le  niveau  va  affleurer  au  sommet  de  la  colonne  de 
sable;  j'en  déduis  la  quantité  qui  s'écoulerait  en  dix  minutes, 
si  la  charge  était  constante;  je  recueille  ensuite  le  liquide  qui 
s'écoule  pendant  les  dix  minutes  suivantes,  puis  pendant  les 
dix  autres,  et  j'ai  obtenu  les  résultats  ci-dessous  : 

TABLEAU  XXXll 


NUMÉROS 

des 
expériences. 

1 

DUHÉE8 
2 

QUANTITÉS 

de 
Uquide  écoulé. 

8 

QUOTIENTS 

des 

quantités  obtenues 

sucoBSBivement. 

4 

i 
2 
3 

4 

4  0» 

40 
40 

51  ce      ^ 

25.800 

44.200 

7.600 

4.976 
4.847 
4.868 

On  voit  que  lorsque  Ton  considère  une  série  de   temps 


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1 26  MÉIIOIRES. 

égaux,  les  volumes  du  liquide  filtré  et,  par  suite,  les  vitesses 
moyennes  décroissent  d'une  manière  très-rapide,  et  la  loi 
parait  être  à  peu  près  la  même  que  dans  les  cas  précédem- 
ment étudiés. 

134.  J'ai  procédé  d'une  façon  plus  précise  en  déterminant 
les  temps  nécessaires  pour  qu'on  puisse  recueillir  dans 
l'éprouvelte  5,  10,  15,  20,  25  cent,  cubes  d'eau.  Je  fais  la  pre- 
mière observation  lorsque  le  niveau  de  l'eau  dépasse  le  som- 
met de  la  couche  de  sable  de  2  ou  3  centimètres.  Soit  s  l'épais- 
seur de  la  tranche  d'eau  qui  recouvre  le  sable;  je  détermine 
la  quantité  du  liquide  qui  s'écoule  par  l'extrémité  inférieure 
du  JLube  pendant  l'unité  de  temps  sous  la  charge  /  +  e,  si  le 
tube  est  vertical  ;  sous  la  charge  {l  +  e)  sin  a ,  s'il  est  incliné. 
J'en  déduis,  d'après  la  loi  des  hauteurs,  la  quantité  de  liquide 
qui  s'écoulera  sous  la  pression  /,  ou  sous  la  pression  /  sin  a, 
c'est-à-dire  quand  l'eau  viendra  affleurer  à  la  surface  de  la 
couche  filtrante. 

A  partir  de  ce  moment,  la  dépense  devrait  être  constante, 
si  la  loi  que  nous  avons  démontrée  était  applicable,  et  le 
liquide  devrait  baisser  dans  la  colonne  de  sable  de  hauteurs 
égales  dans  des  temps  égaux. 

135.  Ces  conséquences  ne  sont  pas  plus  vérifiées  dans  ces 
nouvelles  expériences  que  dans  celles  du  tableau  XXXII. 

Voici  quels  sont  les  résultats  obtenus  : 


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RECH^CHES   SDR    LA    FILTRATION. 


127 


TABLEAU  XXXIIl 


FBEMIÈBE   BXPÉBISNCE 

DEUXIÈME  EXPÉRIENCE               |] 

A    LA    TEMPE 

RATURE    DE    11* 

A    LA 

TBMPil 

lATURE    DE 

totale 

12O20 

TEMPS 

QUANTITES 

TEMPS 

QUANTITÉS 

totales 

TESÏPS 

Q0A?rTITR8 

TEMPS 

do  Uquide 

corres- 

de liquide 

correspon- 

de liquide 

corres- 

de liquide 

correspon- 

écoulé. 

pondants 

écoulé. 

dants. 

écoulé. 

pondants 

écoulé. 

dants. 

1 

2 

8 

4 

1 

2 

8 

4 

5c.cub. 

=  85' 

Remarque.  —  Les 
temps  nécessaires  à  l'é- 
coulement de  ces  cinq 
cent,  cubes  de  liquide 
sont  déduits  d'une  expé- 
rience faite  à  une  pres- 
sion un  peu  plus  forte. 

5  c.  cub. 

4'na5» 
=  95» 

Même  observation 
que  pour  la   première 
expérience. 

5 

95» 

5 

95» 

5 

4  07 

5 

4  07» 

5 

405 

40 

200 

5 

408 

40 

245 

5 

415 

45 

345 

5 

440 

45 

325 

5 

4  20 

20 

435 

6 

4  20 

20 

445 

5 

4  28 

25 

563 

6 

4  25 

25 

570 

5 

442 

30 

706 

5 

435 

30 

705 

5 

460 

35 

865 

5 

4  55 

35 

860 

5 

4  87 

40 

4  052 

5 

4  85 

40 

4045 

5 

248 

45 

4  270 

5 

250 

45 

4  295 

5 

277 

50 

4  547 

5 

295 

50 

4  590 

5 

398 

55 

4  945 

5 

425 

55 

2015 

5 

650 

60 

2545 

5 

750 

60 

2765 

5 

4  280 

65 

3875 

5 

4  645 

65 

444  0 

Je  dois  faire  observer  que  dans  la  deuxième  expérience  le 
long  tube  avait  une  inclinaison  égale  à  0,8746,  mais  que  la 
température,  au  lieu  d'être  de  H%  était  de  12**20. 

Si  on  tient  compte  de  ces  deux  corrections,  on  trouve  que 
les  temps  observés,  pour  être  comparables  à  ceux  de  la  pre- 
mière expérience,  doivent  être  multipliés  par  0,9025.  J'avais 
incliné  le  tube,  i^our  que  le  liquide  qui  s'échappait  par  la  base 


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428  MÉMOIRES. 

inférieure  de  la  colonne  de  sable  pût  s'écouler  plus  rapide- 
ment, en  suivant  la  face  externe  de  la  plaque  de  cuivre  qui 
supportait  celte  colonne,  et  arriver  ainsi  aux  parois  de  Ten- 
lonnoir.  Iah  relards  qu'éprouvaient  les  goultes  d'eau  par 
suite  des  actions  capillaires,  soit  à  leur  sortie,  soit  en<;oulant 
sur  des  parois  mouillées  et  peu  inclinées  avant  de  tomber  dans 
Téprouvelte,  ne  sont  pas  les  mêmes  à  toutes  les  périodes.  Il  y 
a  donc  là  quelques  causes  d'erreurs  que  je  ferai  disparaître  en 
faisant  sur  ce  point  de  nouvelles  expériences  dans  de  meilleu- 
res conditions.  Il  ne  se  dégage  pas  moins  de  ces  tssais  une 
conclusion  très-nette;  c'est  que  les  lois  qui  sont  encore  véri- 
fiées par  les  expériences  de  M.  A.  Guéroult  ne  s'appliquent 
plus  ici. 

La  vitesse  avec  laquelle  le  liquide  s'écoule  va  rapidement 
en  diminuant,  et  tend  à  devenir  nulle,  quand  la  masse  de 
sable  est  encore  imprégnée  d'une  très-grande  quantité  d'eau. 
Cependant,  des  expériences  antérieures  nous  ont  appris  que  la 
colonne  de  sable  était  bien  plus  longue  qu'il  ne  fallait  pour 
rendre  applicables  ici  la  loi  des  pressions  et  la  loi  des  épais- 
seurs. 

<36.  D'autres  causes  intervitnnent  ici  pour  retarder  l'écou- 
lement; ce  sont,  à  mon  avis,  les  forces  capillaires  qui  résul- 
tent de  la  pénétration  de  l'air  et  de  la  formation  de  ménis- 
ques liquides  entre  les  grains  de  sable.  Je  crois  devoir 
rapprocher  ces  expériences  de  celles  de  M.  Jamin,  où  l'on  voit 
une  pression  extérieure,  rapidement  annulée  par  les  pressions 
capillaires  dues  aux  lames  liquides  qui  forment  des  lentilles 
biconcaves  iatercalées  entre  les  bulles  d'air. 

Le  savant  professeur  de  la  Sorbonne,  après  avoir  étudié 
dans  ses  belles  leçons  faites  devant  la  Société  chimique  de 
Paris  en  <86i,  les  effets  dus  à  l'interposition  d'un  grand 
nombre  d'index  liquides  engagés  dans  un  tube  capillaire,  mais 
séparés  par  des  bulles  d'air  qui  figurent  des  grains  de  cha- 
pelet (*),  examine  ce  qui  se  passe  dans  un  tube  capillaire 


(*)  Lefom  iur  lu  lois  de  réquilibre  M  des  moHt>ements  de*  liquides  dans  les  corps  poreux, 
Parii,  Uacbetie,  t86i,  pp.  4  et  5. 


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UBGHERCUES  SUR    Là    FILTRÀTiON. 


129 


présenlani    une    série    d'élranglemenls  et   de    renflements 
(voy.  fig,  11).  «  En  remplissant  ce  tube  d'eau  par  aspiration. 


Fig.  H. 

«  dit  M.  Jamin,  et  la  chassant  ensuite  par  une  pression  exercée 
«  sur  l'un  des  bouls,  il  en  reste  une  certaine  quantité  qui  de- 
«  meure  adhérente  aux  parois,  et  se  réunissant  bientôt  à  chaque 
«  étranglement,  forme  d'elle-même  des  index  persistants  (*).  » 

L'auteur  explique  ensuite  par  quel  mé- 
canisme une  pression  exercée  en  M  {fig.  1 1  ) 
se  communiquera  de  chambre  en  cham- 
bre, mais  en  diminuant  jusqu'à  une  cerr 
taine  chambre  où  elle  sera  nulle. 

Le  snant  physicien  est  amené,  parées 
ingénieuses  expériences,  à  expliquer  ce  qui 
se  pa? se  dans  un.siphon  dont  l'une  des  bran- 
ches présente  une  série  de  rétrécissements, 
tandis  que  l'autre  est  cylindrique  {fig.  12). 

Après  avoir  chassie  l'air  de  l'appareil  en 
versant  l'eau  par  la  branche  CB,  il  constate 
qui  si  on  veut  faire  descendre  le  liquide 
dans  la  branche  AB  à  l'aide  d'une  pres- 
sion exercée  en  A,  on  éprouve  une  résis- 
tance d'autant  plus  grande  que  le  nombre 
des  index  interposés  aux  étranglements  va  ^ 
en  augmentant.  «  Finalement,  dit-il,  l'excès  """ 
«  de  la  pression  exercée  en  A  peut  deve- 
cc  nir  supérieur  à  une  atmosphère,  sans  que 
«  le  niveau  soit  descendu  jusqu'en  B  (**).  » 

137.  Les  condition*^  dans  lesquelles  se  produisent  les  index 
liquides  sont  complètement  réalisées  quand  l'eau  passe  à  tra- 

(*)  Mômes  leçons,  pp.  1»  el  14. 
(**)  Leçons  déjà  citées,  p.  15. 

80  SlâRIE.  —  TOMR  iir,   1.  i 


À 

ï 

H^ 

K 

-.. 

n: 

v^^ 


Fig.  it. 


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130  MiMOItBS. 

vers  une  colonne  de  sable  dont  le  sommet  n'est  plus  noyé;  la 
pression  intérieure  va  en  décroissant  avec  le  niveau  du  liquide 
qui  s'écoule,  et,  par  suite,  la  vitesse  diminue;  mais  ces 
variations  pourront  sui\Te  une  loi  complexe,  car  Tair  qui  a 
pénétré  tout  d'abord  dans  les  interstices  se  détend  à  mesure 
que  le  liquide  s'écoule,  dés  que  celui-ci  a  été  séparé  de  l'air 
libre  par  les  petits  index  interposés.  La  pression  extérieure 
l'emporte  bientôt,  pousse  ces  index  comme  de  petites  soupa- 
pes qui  se  referment  ensuite;  de  là  résulte  un  mouvement 
retardé,  mais  présentait  probablement,  comme  semblent  l'in- 
diquer les  nombres  du  tableau  XXX III,  une  série  de  périodes. 

138.  Les  considérations  qui  précèdent  me  paraissent  avoir 
de  l'intérêt  dans  l'étude  du  régime  des  sources.  Darcy,  qui  a 
abordé  ce  problème  à  la  suite  de  ses  expérienctfs  sur  la  filtra- 
tion,  s'est  demandé  si  les  formules  qu'il  en  avait  déduites  ne 
pouvaient  pas  être  employées  à  déterminer  la  loi  des  diminu- 
tions progressives  d'une  source  à  partir  de  son  étale  (^),  et  il 
faii  dans  une  note  la  remarque  suivante  : 

c  Si  la  nappe  qui  met  en  charge  les  sables  aquifères  des- 
«  cend  au-dessous  de  la  surface  de  ces  derniers^  alors  l'épais- 
c  seur  e  de  la  couche  perméable  varie  à  mesure  que  le  niveau 
«  de  la  nappe  s'abaisse,  et  on  ne  peut  plus  considérer  comme 

«  constant  le  rapport  —  » ,  K  étant  un  coefficient  dépendant 

de  la  perméabilité  de  la  couche.  Puis  il  ajoute  :  ^  Mais  si 
«  l'abaissement  est  très-petit  par  rapport  à  l'épaisseur  totale, 
«  on  pourra  considérer  encore  ce  rapport  comme  constant,  u 
Cela  peut  être  vrai  sans  doute  dans  des  limites  très-étroites; 
mais  il  faut  remarquer  que  les  variations  de  l'épaisseur  sont 
accompagnées  de  changements  dans  la  pression,  par  suite  de 
la  pénétration  de  l'air  dans  la  substance  perméable  et  de  la 
formation  des  ménisques  liquides.  Ces  changements  sont  diffi- 
ciles à  déterminer,  mais  ils  doivent  modifier  rapidement  le 
débit  de  la  source. 

(*)  Lu  fimtmmes  dt  Diym  (ouTrage  déjà  dté),  pp.  596,  597. 


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RECHERCHES  SUR    LÀ    FILTRATION.  131 


CHAPITRE  IV 

ÉTUDE  DE  l'influence  DE  LA  NATURE  DES  SUBSTANCES  FILTRANTES 
SUR  LA  VITESSE  AVEC  LAQUELLE  l'EAU  LES  TRAVERSE 

139.  Lorsque,  à  une  température  constante,  l'eau  passe  à 
travers  des  couches  perméables  de  même  épaisseur  et  de  même 
section,  mais  de  nature  difTérenle,  les  produits  ob.tenus  au 
bout  d'un  temps  déterminé  varient  d'une  couche  à  l'autre, 
mais  restent  proportionnels,  lorsqu'on  modifie  de  la  même  fa- 
çon l'une  des  données  d'une  première  expérience,  telles  que  la 
pression,  l'épaisseur,  la  température. 

Ces  conclusions  résultent  des  faits  qui  précèdent,  puisque 
les  influences  de  la  pression,  de  l'épaisseur,  de  la  température 
sur  les  substances  que  nous  avons  employées  se  trouvent  re- 
présentées par  les  mêmes  lois. 

Nous  nous  sommes  servi,  il  est  vrai,  de  substances  à  peu 
près  incompressibles,  telles  que  des  vases  de  porcelaine  dé- 
gourdie et  des  couches  de  sable  siliceux,  parce  que  les  phé- 
nomènes qui  se  produisent  alors  sont  relativement  plus  simples. 

Dans  ce  cas,  nous  voyons  que  chacun  de  ces  corps  a  une 
puissance  fiUrante  ou  un  coeffkienl  de  perméabilité  qui  peut 
servir  à  le  caractériser,  comme  ses  autres  propriétés  phy- 
siques. 

La  détermination  des  valeurs  numériques  de  ces  coefficients 
exige  de  longues  recherches,  que  je  reprendrai  plus  lard,  si 
les  circonstances  le  permettent;  je  veux  seulement  indiquer 
ici  un  petit  nombre  de  résultats,  et  faire  connaître  quelques- 
unes  des  applications  des  coefficients  de  perméabilité. 

140.  On  peut  prendre  pour  coefficient  de  perméabilité  d'une 
substance  le  nombre  qui  représente  la  dépense,  évaluée  en 
centimètres  ou  en  décimètres  cubes,  produite  pendant  une  se- 
conde, sous  une  charge  de  1  mètre  d'eau  à  la  température  de 


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132  MÉMOIRES. 

Qo,  à  travers  une  couche  dont  la  section  est  de  1  raèlre  carré, 
et  Tépaisseur  de  i  centimètre,  par  exemple  (*).  C'est  ainsi  que 
le  nombre  O^^^^^TiS-^jlô,  que  nous  avons  obtenu  [39J,  nous 
donne  le  coefficienl  de  perméabilité  du  vase  poreux  ;  en  divi- 
sant ce  nombre  par  l'épaisseur  moyenne  de  la  paroi,  qui  est 
de  0%48,  ce  coefficient  sera  donc  : 

Oc.cube^745460 


0,48 


_>|c.cnbe553^ 


Il  faut  encore  le  corriger  de  l'influence  de  la  température, 
qui  était  de  15«»  au  moment  de  l'expérience,  et,  comme  toutes 
les  autres  conditions  restent  les  mêmes,  on  a,  en  représentant 
par  C,  et  Cq  les  coefficients  de  la  même  substance  à  t*  et  à  0"  : 

Cq^  1 

Ct        i  +  at  +  ^fl  ' 

formulé  dans  laquelle  a  et  ^  ont  les  valeurs  que  nous  avons 
indiquées  [101]. 

Nous  avons,  en  substituant  au  trinôme  la  valeur  qu'il  prend 
pour^=12<»: 

Co=}]^2||  =  1",08624. 

Ce  coefficient  une  fois  connu,  le  produit  d'un  filtre,  pen- 
dant un  temps  0,  à  une  température  l,  sous  l'influence  d'une 
charge  constante  H,  si  ce  filtre  est  formé  par  une  couche 
d'une  substance  dont  l'épaisseur  est  E,  la  section  S,  et  le  coef- 
ficient Co,  sera  donné  par  la  formule  : 

^       CH.S.e      CoH.S,e(1  +oit+m       ^9^ 
Q  = Ê —  = Ê .     (12) 

141.  On  pourra  procéder  de  la  même  façon  pour  les  autres 

(*)  Ces  nombres  ne  poarront  généralement  pas  être  déterminés  en  réalisant  les  con- 
ditions indiquées  par  la  définition  qae  nous  venons  de  donner  ;  mais  on  les  déduira  d^ex- 
périences  faites  dans  des  conditions  différentes,  i  Taide  des  formules  déjà  établies.  Il 
sera,  par  exemple,  plus  simple  et  plus  sûr  d'opérer  à  lO^,  à  15o  ou  à  SO^,  qu'à  la  tem- 
pérature de  (y*.  Les  épaisseurs  doiTent  être  sufBsantes  pour  que  la  loi  des  longueurs 
soit  déjà  applicable,  etc.,  etc.;  c'est  ainsi,  du  reste,  qu'on  procède  pour  obtenir  la  folu- 
tion  de  la  plupart  des  problèmes  de  physique. 


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RECHERCHES   SDR   LA    FILTRATION.  133 

substances;  mais  il  esl  bon  de  remarquer  que  les  coefficienls 
C,  C,  C",  C"'...  seront  preportionnels  aux  nombres  m,  m',  m", 
m'"..,  que  nous  avons  déterminés  dans  nos  expériences  sur 
l'influence  de  la  pression,  pourvu  que  l'épaisseur  des  couches 
et  la  température  soient  les  mêmes. 

En  effet,  la  formule  que  nous  avons  vérifiée  par  divers  pro- 
cédés esl  : 

E  =  Eoe-^\  (1) 

et  alors  U  =  mH.  (2) 

U  représente  la  vitesse,  e  le  temps,  et  Ho  la  pression  à  l'ori- 
gine du  temps,  quand  6  ==  0». 

Or,  Q  =  S  .  U,  ou  Q  =  SmH,  (13) 

et,  comme  m  =  m©  (1  +  «^  +  p^*),  (H) 

on  a:  Q  =  SHmo  (1  +  a« +  p««).  (14) 

En  identifiant  l'équation  (13)  avec  l'équation  (12),  en  sup- 
posant que  dans  celle-ci  6  =  1,  on  a  : 

|  =  m,      d'où  :     C=wE, 

C 

et,  pour  un  second  corps,  ^  =  m',    d'où  :  C  =  m'E',  et,  si 

E  =  E', 

Des  coefficients  relatifs  donnés  par  ce  rapport,  nous  passe- 
rons aux  coefficients  absolus,  quand  la  valeur  d'un  |.remier 
coefficient  serja  connue,  comme  dans  l'exemple  que  nous  avons 
donné  [140]. 

142.  Au  lieu  de  procéder  ainsi,  il  sera  souvent  plus  com- 
mode d'introduire  dans  les  calculs  la  longueur  réduite^  c'est- 
à-dire  la  longueur  de  la  colonne  d'une  première  substance 
arbitrairement  choisie,  qui,  toutes  les  autres  conditions  res- 
tant les  mêmes,  fournirait  le  même  produit,  ou,  ce  qui  revient 
au  même,  présenterait  la  même  résistance  au  passage  du  li- 
quide, que  la  couche  filtrante  proposée.  On  voit  que  le  mot  de 


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134  MÉMOIRES. 

longueur  réduite,  emprunté  au  langage  de  réleclrodynamique, 
a  une  signification  analogue,  et  que  la  quantité  ainsi  désignée 
est  représentée  par  une  expression  de  même  forme  : 

X  =  |.  (16) 

dans  laquelle  \  est  la  longueur  réduite,  E  Tépaisseur  de  la 
couche,  C  le  coefficient  de  perméabilité,  S  la  section  droite  de 
la  colonne  filtrante,  supposée  prismatique  ou  cylindrique. 

On  a  résolu,  du  reste,  dans  Thydraulique,  et  par  des  mé- 
thodes analogues,  divers  problèmes  du  même  ordre  relatifs 
aux  tuyaux  de  conduite. 

On  aura  d'une  manière  générale,  dans  la  question  actuelle  : 


(17) 


E' 

X' 

C'S' 

X" 

=    E   • 

es 

Mais, 

si  on 

suppose 

S'  = 

X' 
X 

SelE' 
C 

=  E, 

on 

a  : 

m 

Les  longueurs  réduites  qu'on  obtient  pour  des  colonnes 
égales  des  différentes  substances  ne  sont  autres  que  les  résis- 
tances spécifiques  au  passage  de  Teau,  et  Ton  voit  qu'elles  sont 
en  raison  inverse  des  coefficients  de  perméabilité,  et,  par  suite, 
aussi  inversement  proportionnelles  aux  coefficients  m,  m\  m", 
que  nous  avons  déterminés  dans  nos  expériences. 

143.  J'ai  indiqué  précédemment  [63]  comment  j'ai  obtenu 
de  petites  masses  de  sable  homogène  en  employant  une  série 
graduée  de  tamis  de  plus  en  plus  fins. 

Pour  comparer  aisément  les  coefficients  de  perméabilité  de 
ces  couches  de  sable,  j'ai  introduit  successivement  dans  le 
tube  calibré,  dont  je  me  suis  souvent  servi,  des  colonnes  de 
même  longueur,  formées  par  des  grains  de  diverses  grosseurs. 

Le  tube  est  placé,  dans  chaque  opération,  exactement  de  la 
même  manière  dans  le  grand  vase  où  se  produit  le  trop-plein. 


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RECHERCHES  SUR   LA    FILTRATION. 


135 


Je  détermine  les  temps  Décessaires  pour  que  le  niveau  du 
liquide  descende  d'un  même  nombre  de  divisions. 

Je  suis  assez  longtemps  le  phénomène  pour  m'assurer  que 
le  mouvement  est  linéaire,  et  que,  par  suite,  les  lois  des  pres- 
sions et  des  épaisseurs  sont  encore  applicables  J'expérimente, 
en  un  mot,  dans  les  conditions  que  j'ai  décrites  en  étudiant 
rinfluence  de  l'épaisseur  de  la  couche  filtrante  [122,  123]. 

Voici  les  résultats  que  j'ai  obtenus  : 

TABLEAU  XXXIV 

Les  colonnes  de  sable  ont  une  longueur  constante  =:  59^^^-  5  du  tube. 
Le  niveau  constant  du  liquide  extérieur  correspondant  à  la  division  55,3. 


TBMFS    NliCESSAIBES 

POUB  QUE  LB  NIVBAU  DI  LA  OOliONNS  D'KAU  8* ABAISSE  D'UN  TBATT 
AU  TRAIT  SUIVANT 


Tempe 
observés 
quand 


97^ 

94j 
77j 
74^ 


Tempe 
calculée 

pour 
/  =  30». 


51.45 


102.90 


Tempe 
obeervée 

quand 
(  =  2004. 


90.20 


180.20 


Tempe 
calculés 

pour 
r  =  20«. 


91.80 


183.40 


Tempe 
obeervés 

quand 
<=20<»6. 


124  80 


247. 


Tempe 
calculée 

pour 
/  =  20». 


128.20 


253.70 


Tempe 
obeervée 

quand 
t  —  22». 


153.20 


306.40 


Tempe 
calculée 

pour 
<  =  20«. 


167.20 


334.4 


Rapports  moyens. 


RAPPORTS 

DBS  DUR±B8  DK8  PA68AOB8 

à  travers  les  colonnes 


2et  1. 


1.784 


1.782 


1.783 


Set  1. 


2.490 
2.466 


2.478 


3.249 
3.249 


3.249 


Les  longueurs  réduites  de  ces  diverses  colonnes  de  sable, 
par  rapport  à  la  colonne  formée  par  le  sable  (4-6),  sont  évi- 
demment proportionnelles  aux  temps  nécessaires  pour  que  la 
niême  quantité  de  liquide  s'écoule  dans  les  mômes  conditions. 
Les  coefficients  de  perméabilité  correspondants  sont  respecti- 
vement les  inverses  de  ces  quantités. 

H4.  Cherchons  encore  la  longueur  réduite  et  le  coefficient 


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136  MÉMOIRES. 

de  perraéabîlilé  par  rapport  à  la  colonne  de  sable  4-6  du  vase 
en  porcelaine  dégourdie,  dont  nous  avons  déjà  déterminé  le 
coefficient  absolu. 

Il  faut  ramener  les  données  à  celles  qu'on  aurait  observées 
à  la  température  de  20**  et  pour  une  épaisseur  de  i  centimètre, 
par  exemple. 

Comme  nous  l'avons  dit,  les  coefficients  de  perméabilité  sont 
proportionnels  aux  nombres  m,  m',  m",  et  le  calcul  de  ces 
quantités  se  fait  aisément  à  l'aide  de  la  formule  que  nous  avons 
établie  [37]  : 

Ho  —  H'      Ho  +  H' 


m 


(5) 


d'où  m  =  Ml^'  (19) 


Nous  avons,  en  prenant  les  données  de  l'expérience  [39]  : 

1,94  i 

^  ""  9o%786  X  U7  ~  3520  * 

Mais  cette  expérience  est  faite  à  la  température  de  12^,  à  tra- 
vers une  couche  filtrante  ayant  0%48  d'épaisseur  et  une  sec- 
tion moyenne  de  190", 55.  Nous  en  déduisons,  d'après  les  lois 
précédentes,  le  coefficient  correspondant  à  la  tenipérature  de 
20o,  la  surface  filtrante  étant  supposée  de  i  centimètre  carré, 
et  l'épaisseur  de  i  centimètre  : 

m,o  =  m„  X  ^5  X  ^  X  ;^  =0,000.000.855.7. 

En  employant  la  même  formule  pour  calculer  la  valeur  du 
même  coefficient  pour  la  colonne  de  sable  (4-6),  nous  aurons  : 

~2— ^ 

Si  l'épaisseur  de  la  couche  de  sable  avait  été  aussi  de  i  cen- 
timètre, au  lieu  d'être  de  59^^-  5,  qui  représentent,  évaluées 


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RECHERCHES   SUR   LA    FILTRATION.  '137 

en  cenCimèIres,  59,5  X  0%97i,  le  coefficienl  aurait  été  de 
0,001.450.5  X  59,5  X  0,971  =  0,083.800. 

Le  coefficient  de  perméabilité  du  vase  poreux,  rapporté  à 
celui  de  la  colonne  de  sable  (4-6)  de  même  épaisseur,  qu'on 
prend  pour  unité,  sera  donc  : 

0,000.000.855.70       ^  ^^^  ^.^  ^, 
0,083.800        -  Q^OQQ'O^O'g^^ 

et  la  longueur  réduite  sera  Tinverso,  c'est-à-dire  =  97931 . 

Ainsi,  une  plaque  de  porcelaine  dégourdie  présente  une  ré- 
sistance au  passage  de  l'eau  97931  fois  plus  grande  qu'une 
colonne  de  même  épaisseur  et  de  même  seclion  formée  par  des 
grains  de  sable,  dont  les  dimensions  sont  déterminées  comme 
nous  l'avons  dit. 

145.  Je  donnerai  un  dernier  exemple  de  ce  genre  de  recher- 
ches :  J'ai  fermé  un  second  lube  gradué  avec  un  morceau  de 
toile  serrée,  mais  qui  permettait  encore  à  l'eau  de  s'échapper 
avec  rapidité.  J'ai  produit  sur  la  toile  un  précipité  de  sulfale 
de  baryte  en  introduisant  successivement,  et  par  petites  quan- 
tités, chaque  fois,  des  dissolutions  d'azotate  de  baryte  et  de 
sulfate  de  potasse.  Le  passage  du  liquide  ne  s'est  plus  fait  alors 
qu'avec  une  lenteur  extrême  à  travers  le  dépôt  ainsi  formé. 
Cependant,  j'ai  poursuivi  assez  longtemps  l'expérience  pour 
que  l'eau  qui  traversait  le  tube  d'une  manière  continue  finit 
par  s'en  échapper  sans  contenir  la  moindre  trace  des  deux  sels 
employés.  J'ai  fait  passer,  pendant  plusieurs  jours  encore,  un 
courant  d'eau  à  travers  le  tube,  sous  une  charge  d'environ 
1  mètre.  Ces  précautions  sont  indispensables  pour  que  les 
expériences  soient  comparables  entre  elles;  M.  Duclaux  a  par- 
faitement établi  l'influence  qu'exerce  sur  l'écoulement  à  tra- 
vers un  corps  poreux  la  présence  de  certaines  substances  sa- 
lines qui  adhèrent  aux  parois,  et  qui,  même  en  très-petite 
proportion,  modifient  notablement  la  vitesse,  et  il  a  montré 
qu'il  faut  un  temps  très-considérable  pour  qu'elles  soient  com- 
plètement entraînées  par  le  liquide  qui  passe  (*). 

J'ai  étudié  ensuite  les  conditions  suivant  lesquelles  l'eau  fil- 

(*)  Annales  de  chimie  et  de  physique^  t.  XXV,  ie  série  ^1872),  pp.  473,  495,  500. 


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138 


MÉMOIRES. 


Irail  à  travers  la  couche  de  sulfate  de  baryte,  qui  avait  une 
épaisseur  de  4%24;  je  me  suis  assuré  que  Técoulement  était 
liDéaire,  et  j'en  ai  déduil,  en  procédant  comme  précédemment, 
le  coefficient  m,  à  la  température  de  20\ 

Je  constate  que,  pour  un  abaissement  du  sommet  de  la  co- 
lonne liquide  correspondant  à  une  division,  il  faut  4392  se- 
condes, quand  la  hauteur  moyenne  de  cette  colonne  est  de 
7<div.  g  Pq^^  u,^  abaissement  de  1  centimètre,  et  si  la  couche 
de  sulfate  était  de  1  centimètre,  au  lieu  de  4%S4,  on  aurait  : 
<  X  4,2i 


m  = 


71,60  X  4392  X  0,971 


=  0,000.013.886. 


Le  coefficient  de  perméabilité  du  sulfate  de  baryte,  rapporté 
à  celui  de  la  colonne  de  sable  (4-6),  est  donc  : 

0,000.013.886      ^^^^...7 
0,083.800     =M00.165.7, 

et  la  longueur  réduite  correspondante  est  égale  à  6035  (*). 

146.  Nous  aurons  donc,  pour  les  quelques  substances  que 
nous  venons  d'étudier,  le  tableau  suivant  : 

TABLEAU  XXXV 


NOMS  DBS  SUBSTANCES. 

COBFFICIKNTS 

DE    PBRMéABILITÂ. 

LONGUBUBS 
Induites 

CORRESPONDANTES. 

Sable  f  4-6  ) 

1. 

0.6606 
0.4035 
0.30774 

0.000.466.7 

0.000.010.21 

1. 

1.783 
2.478 
3.249 

6035 

97934 

Sable  (  6-8  ) 

Sable  (  8-10) 

Sable  (iO'M) 

Solfale  de  baryte  obteoo  par  voie 
de  précipité 

Porcelaine    dégourdie    (Tase   des 
piles) 

(*)  Un  petit  accident  surtenu  à  la  fin  de  Texpérience  nous  a  empêché  de  faire  la 
pesée  de  la  petite  colonne  de  sulfate  de  bar j te  qui  Termait  rextrémiti  du  tube. 


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RECHERCHES   SUR   LA   F1LTRÂTI0N.  139 

147.  Pour  délerminer  le  rapport  du  vide  au  plein  dans  ces 
couches  de  sable,  il  suffit  de  peser  un  certain  volume  de  sable, 
et  d'introduire  ensuite  un  poids  déterminé  du  même  sable  dans 
un  flacon  rempli  d'eau  de  capacité  connue.  Les  flacons  em- 
ployés pour  délerminer  la  densité  des  liquides  se  prêtent  Irès- 
bien  à  cette  opération  ;  mais  il  importe  de  raréfier  l'air  au- 
dessus  de  l'eau  dans  laquelle  est  noyé  le  sable,  pour  amener  le 
dégagement  des  bulles  gazeuses  qui  adhérent  aux  grains. 
Voici,  par  exemple,  les  données  relatives  au  sable  (8-10).  Sa 
densité  à  la  température  de  11'',  par  rapport  à  l'eau  à  celt€ 
lempérature,  est  D  =  2,637. 

Le  poids  de  l'eau  qui  remplit  le  flacon  à  densité  à  cette  tem- 
pérature P  =  12«%610,  sa  densité  étant,  à  11%  du  =  0,99964. 

Le  poids  d'un  égal  volume  de  sable,  en  y  comprenant  les 
vides,  F  =  20s%955. 

Soit  œ  le  rapport  des  vides  à  la  somme  des  pleins  et  des 
vides,  8  la  densité  de  l'air  par  rapport  à  l'eau;  il  suffit  d'écrire 
que  le  poids  du  sable,  plus  le  poids  de  l'air  interposé  dans  les 
vides  =  P'. 

p 

On  a  donc  -j-  (1  —  a?)  D  +  a?5  =  F. 
«11 

En  remplaçant  les  lettres  par  leur  valeur,  on  a,  dans  le  cas 
actuel,  œ  =  0,370. 

D'un  autre  côté,  nous  pouvons  déterminer  à  la  chambre 
claire  les  dimensions  des  interstices  à  travers  lesquels  le  sable 
a  été  tamisé.  Nous  constatons  ainsi  que  les  grandeurs  linéaires 
des  espaces  vides  du  tamis  à  huit  fils  ont,  en  moyenne,  0'"'"29, 
et  celles  du  tamis  à  dix  fils  sont  égales  à  0»"25.  Les  grains  de 
sable  ont  évidemment  des  dimensions  intermédiaires  que  nous 
pouvons  considérer  comme  à  peu  près  égales  à  0°""27. 

148.  Je  n'insisterai  pas,  pour  le  moment,  sur  les  relations 
qui  existent  entre  les  grandeurs  moyennes  des  intervalles  vides 
et  les  coefficients  de  perméabilité.  Je  n'ai  pas  fait  un  assez 
grand  nombre  d'expériences  sur  ce  point;  mais  j'espère  y  re- 
venir plus  tard,  et  pouvoir  en  tirer  des  induclions  sur  les 
grandeurs  des  interstices  qui  existent  dans  les  substances  ho- 
mogènes d'une  faible  perméabilité.  Je  ferai  remarquer  pour- 


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140  MÉMOIRES. 

tant  qu'après  avoir  examiné  et  dessiné  bon  nombre  de  grains 
de- diverses  sortes  de  sables  au  microscope,  j'ai  été  frappé  de 
l'analogie  de  forme  que  présentent  entre  eux  les  gros  grains, 
les  grains  (4-6)  et  les  grains  (6-8);  il  n'en  est  pas  de  môme 
pour  les  grains  (8-10)  et  (10-14),  dont  les  arêtes  sont  beau- 
coup moins  émoussées. 

J'ai  examiné  s'il  y  avait  une  relation  simple  entre  les  temps 
nécessaires  à  l'écoulement  d'une  même  quantité  de  liquide  et 
les  dimensions  moyennes  des  vides,  et  par  suite  des  grains; 
j'ai  pris,  pour  ces  dernières  dimensions,  les  grandeurs  moyennes 
des  interstices  dans  les  tamis  à  quatre  et  à  six  fils  d'une  part, 
et  dans  les  tamis  à  six  et  à  huit  fils  d'autre  part.  J'ai  reconnu, 
de  plus,  que  le  rapport  des  vides  à  la  somme  des  pleins  et  des 
vides  était  très-sensiblement  constant  pour  ces  deux  sortes  de 
sable;  il  y  avait  quelque  intérêt,  dans  ces  conditions,  à  rap- 
procher les  résultats  observés  de  ceux  que  permet  de  prévoir 
la  loi  des  diamètres. 

On  a,  en  représentant  par  Q  la  dépense  pendant  un  temps  0, 
par  n  le  nombre  des  interstices  qu'on  pourrait  trouver  dans  une 
section  droite  du  tube-filtre,  par  D  leur  dimension  moyenne  : 

r.         KHD4   , 

Q  =  n— p-.e,    . 

et  de  même,  dans  une  autre  expérience  : 

et,  comme  Q  =  Q', 

nD*0  =  n'D'*6', 
Or,  si  R  est  le  rayon  du  tube-filtre,  on  a  : 

D'« 

Les  durées  nécessaires  pour  fournir  le  môme  débit  sont  in- 


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RECHERCBBS  SUR   LA    FILTRATION.  141 

versement  proportionnelles  aux  carrés  des  dimensions  des. 
grains  ou  de  leurs  interstices. 

6' 

Or,  dans  le  cas  qui  nous  occupe,  -  =  1,782. 

D«_(0-»466)«_ 
D'2  —  (0«">345)«  ""    ' 

La  vérificalion  est  beaucoup  moins  satisfaisante  pour  les 
autres  variétés  de  sable,  comme  les  raisons  que  nous  avons 
indiquées  permettent  de  le  prévoir. 

149.  Nous  sommes  maintenant  en  mesure  de  résoudre  dif- 
férents problèmes  relatifs  à  la  filtration  ;  celui  qui  se  présente 
le  plus  fréquemment  consiste  à  chercher  l'équivalent  d'un  filtre 
formé  d'une  série  de  couches  superposées  qui  ont  des  coeffi- 
cients de  perméabilité,  des  épaisseurs  et  des  sections  diffé- 
rentes. Ce  système  complexe  peut  élre  remplacé  par  un  filtre 
simple  équivalent. 

Remarquons,  en  effet,  qu'un  filtre  homogène  peut  être  con- 
sidéré comme  formé  par  une  série  de  filtres  superposés,  dont 
les  longueurs  réduites  ou  les  résistances  s'ajoutent  en  vertu  de 
la  loi  des  longueurs.  Si,  dans  la  formule  (12)  [140],  je  suppose 
le  temps  égal  à  l'unité,  et  la  température  constante  égale  à  ty 
l'expression  de  la  dépense  deviendra  : 

^       C.H.S 
y—        E       ' 

ou,  ce  qui  revient  au  même, 

es 

Or,  si  nous  divisons  E  eh  n  parties,  dont  les  grandeurs  sont 
quelconques  e,  s',  e"...  sn,  on  aura  : 

Q  =  l 7—^' Z-  ^^^> 

CS"^C§'^CS*""^CS 


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U2  MÉMOIRES. 

•  Si  je  suppose  : 
on  aura  : 

La  valeur  de  Q  ne  variera  pas,  lors  môme  que  e  sera  rem- 
placé par  é',  e".i.  en;  que  G  et  S,  supposés  jusqu'ici  constants, 
seront  remplacés  respeclivement  par  C,  C"...  C„,  et  par  S', 
S"...  S„,  pourvu  que  les  quantités  X,  X',  X"...  X«  restent  les 
mêmes  que  dans  l'équation  (2?). 

Mais  alors  chacun  des  termes  du  dénominateur  de  l'équa- 
tion (22)  sera  la  longueur  réduite  équivalente  de  chacune  des 
parties  homogènes.  Si  nous  appelons,  d'après  cela,  /  la  lon- 
gueur réduite  totale  du  filtre,  qui  peut  être  représentée  par 

F 

7^ ,  nous  aurons  : 

O  —  ë  —  JL  — 5 (^'x^ 

^~  /~  £~X  +  X'  +  X''...  +  Xn'  ^"^ 

es 

ce  qui  nous  montre  que  tout  filtre  homogène  pour  lequel 

1  =  ^,  (24) 

remplira  les  conditions  proposées,  et  que,  par  suite,  le  pro- 
blème pourra  recevoir  une  infinité  de  solutionf. 
Nous    pourrons   satisfaire   aux    conditions   résumées    par 

F 

l'équation  rrr  =  /  (24),  soit  en  prenant  arbitrairement  E  et  S 

et  déterminant  C,  soit  en  donnant  des  valeurs  particulières  à 
E  et  à  C  et  calculant  S,  soit  enfin  en  choisissant  C  et  S  et  en 
adoptant  la  valeur  de  E  que  fournit  l'équalion. 

Les  considérations  qui  précèdent  ne  seraient  pas  applicables 
et  les  conséquences  que  nous  en  avons  déduites  seraient  en 
défaut,  s'il  y  avait  des  pertes  de  charge  appréciables  par  suite 


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BEGHEBCHES   SUR   LA   FILTRATION.  143 

de  changemenls  brusques  et  considérables  d'une  des  quantités 

E 

qui  entrent  dans  l'expression  de  la  longueur  réduite  totale  pK. 

Ce  sont  la  des  restrictions  analogues  à  celles  qu'exige  l'appli- 
cation des  formules  relatives  aux  tuyaux,  pour  remplacer  une 
série  de  conduites  de  divers  diamètres  par  une  conduite  sim- 
ple ;  il  faut  que  les  pertes  de  charge  qui  ont  lieu  par  suite  du 
changement  de  section  soient  négligeables.  Or,  par  suite  de  la 
faible  vitesse  que  l'eau  atteint  en  traversant  les  substances 
perméables,  ces  réserves  ont  moins  d'importance  encore  que 
dans  la  plupart  des  autres  questions  de  l'hydraulique.  Lorsqu'il 
y  aura  continuité  dans  les  variations  des  facteurs  de  l'exprès- 

E 
sion  -r^,  et  que  celles-ci  se  feront  suivant  des  lois  connues, 

les  recherches  de  la  longueur  réduite  équivalente  consisteront 

à  faire  la  somme  d'une  série  de  termes  tels  que  j™,  et  on 

aura  : 

/  =  S^,  (25) 

et,  en  adoptant  les  notations  du  calcul  intégral  : 

lE'i 
i=    I       ^,  (26) 


/Il 
dE 


équation  dans  laquelle  C  et  S  devront  être  exprimées  en  fonc- 
tions de  la  variable  indépendante  E. 

Dupuit  a  résolu  un  certain  nombre  de  problèmes  de  cet 
ordre  par  des  procédés  un  peu  différents  de  ceux  que  nous 
venons  d'indiquer,  mais  qui  conduisent  aux  mômes  consé- 
quences (*). 

J'appliquerai  les  principes  qui  précèdent  à  l'étude  d'une 


(*)  Traité  de  la  conduite  et  delà  dtttributùm  des  eauXj  par  Dapoit,  pp.  33-37  (ouTrage 
déjà  ciié). 


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144  MÉMOIRES. 

question  que  j'ai  déjà  signalée  [108],  mais  qu'on  ne  pouvait 
résoudre  qu'après  avoir  déterminé  l'influence  de  la  tempéra- 
ture et  de  l'épaisseur  sur  le  produit  des  filtres. 

150.  Quelles  sont  les  conditions  suivant  lesquelles  l'eau 
s'écoule  à  travers  une  colonne  perméable  homogène  de  sec- 
tion constante,  dont  la  température  varie"  d'un  point  à  l'autre 
suivant  une  loi  connue? 

Supposons  môme,  pour  plus  de  simplicité,  que  la  tempéra- 
ture croisse  ou  décroisse  régulièrement  avec  la  profondeur. 
Divisons  l'épaisseur  E  de  la  colonne  filtrante  en  n  parties 
égales,  assez  petites  pour  que  .chacune  d'elles  puisse  être  con 
sidérée  comme  ayant  une  température  constante,  de  sorte  qu'on 
ait  E  =  ne.  La  longueur  réduite  totale  sera  : 

1  =  1 


CoS  (1  +  ai  +  pp)  • 


Si  la  température  va  en  croissant  avec  la  profondeur,  les 
résistances  ou  longueurs  réduites  des  différentes  tranches  iront 
en  décroissant  à  mesure  que  le  trinôme  1  +  ai  +  f^fi  prendra 
.des  valeurs  plus  considérables.  Le  phénomène  se  produit  en 
sens  inverse,  quand  la  température  va  en  décroissant  à  me- 
sure que  la  profondeur  augmente.  Il  résulte  de  là  que,  si  la 
température  va  en  augmentant  de  haut  en  bas,  le  rendement 
des  filtres  s'élève  comme  si  la  colonne  filtrante  était  rac- 
courcie, et  lorsque  la  température  va  en  décroissant,  le  ren- 
dement est  diminué  comme  si  cette  colonne  avait  subi  un 
allongement. 

Nous  pouvons  encore  interpréter  ces  résultats  géométrique- 
ment, d'une  manière  très-simple;  la  résistance  au  passage  que 
présente  une  tranche  perméable  élémentaire,  étant  représentée 

par  7T-â-n — ^ t^ô^  j  ^st  inversement  proportionnelle  à 

S  (1  +  ai  +  pfi)  quand  l'épaisseur  e  et  le  coefficient  Co  sont, 
comme  dans  le  cas  actuel,  supposés  constants.  Les  choses  se 
passent  donc  comme  si  la  section  qui  est  S  (1  -f-  ai  H-  gi*) 
pour  la  première  tranche  devenait 


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RECHERCHES   SUA    Là    FILTUATION.  145 

S  (1  +  o^'  +  Pe'2) S  (1+  a<„  +  ^tn^) 

pour  les  tranches  successives. 

Supposons,  par  exemple,  que  l'épaisseur  de  la  colonne  fil- 
Iranle  soii  de  10  mètres,  que  nous  représentons  à  l'échelle 
^^îw55  soit  oy  (fig.  13)  l'axe  de  la  colonne  fillranle;  prenons 
une  première  longueur  arbitraire  pour  représenler  CoS  à  la 
lempérature  de  0%  soit  2  centimètres. 

A  la  lempérature  t  la  section  sera  représentée  par 

CoS(1  +a«+  p/«). 

Au  lieu  de  prendre  des  degrés  Ihermomélriques  quelcon- 
ques, j'ai  indiqué  ici  des  températures  qu'on  a  observées  à 
Portet,  où  sont  installées,  à  quelques  kilomètres  en  amont  de 
Toulouse,  les  nouvelles  galeries  filtrantes,  destinées  à  com- 
pléter l'alimentation  de  cette  ville.  On  a,  pendant  une  longue 
période,  relevé  tous  les  jours  la  température  de  l'eau  de  la 
baronne  et  celle  de  l'eau  des  galeries.  M.  Moynet,  conduc- 
teur du  service  hydraulique,  a  mis  la  plus  grande  obligeance- 
à  me  communiquer,  avec  Je  bienveillant  assentiment:  de 
M.  Dieulafoy,  ingénieur  de  la  ville,  les  relevés  des  tempéra- 
tures des  eaux  du  fleuve  et  des  eaux  des  filtres.  J'ai  sous  les 
yeux  le  t^ibleau  de  ces  variations  pour  les  six  derniers  mois 
de  l'année  1874  (1"  juillet  187*  —  1"  janvier  1875),  et  j'y  vois 
que  pendant  ce  temps,  le  minimum  de  la  température  des 
eaux  de  la  Garonne  a  été  de  +  2"  le  30  décembre,  quand  le 
thermomètre  des  galeries  marquait  +  10^,  tandis  que  la  plus 
haute  lempérature  observée  correspond  à  la  période  du  7  au 
12  juillet  pour  laquelle  le  thermomètre  extérieur  a  marqué 
23"^  et  le  thermomètre  des  galeries,  17°. 

Pour  t  =  23%  S  {\  +  at  +  ^fi)  devient  égal  à  3,6972. 
Pour  «  =  17«,  S  (1  4-  ai  -h  f^fi)  vaut 3,27192. 

La*moyenne  est  de    '  ^       = 3,48456. 

8e  BÉRIB.   —  TOMB  III,    1.  ; 


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146  MÉUOIRBS. 

Pour  «  =  2%  S  (1  +  a^  +  p(2)  prend  une  va- 
leur de 2,13348. 

Pour  (  =  10%  la  même  fonction  prend  la  valeur 
de 2,71 05. 

4  84398 
donl  la  moyenne  est  -^— ^ —  =  .....* 2,42198. 


Les  figures  13  el  14  sont  des  trapèzes  dont  les  deux  côtés  sont 
des  arcs  paraboliques  qui,  dans  l'étendue  considérée,  peuvent 
être  confondus  avec  les  cordes  qui  en  unissent  les  exlrémilés. 
Si  Von  admet  que  la  section  de  la  colonne  filtrante,  quelle 

que  soit  sa  forme,  a  une  de  ses 
A/  p         ^  dimensions  transversales  cons- 

/        ?j::r.'-'--  V  tante,  tandis  que  l'autre  varie 

cl i  \d         avec  la  profondeur  comme  les 

abscisses  mn^  mV,  de  la  figu- 

' \'^ re  13,  on  voit  que  le  volume  de 

^^    '-  '  ?^     la  colonne  filtrante  pourra  lui- 


:  /     •  m$me  être  représenté  par  la  sur- 

^''. — ^^       face  ABCD  (Jig.  13),  dans  le  prè- 

Fig.  13  et  u.  micr  cas,  par  la  surface  EFGH 

(fig.  14),  dans  le  deuxième.  En 
confondant  ces  aires  avec  celles  des  trapèzes  rectilignes  corres- 
pondants, la  question  est  ramenée  à  chercher  le  déLit  qui  se 
produirait  pendant  l'unité  de  temps  à  travers  une  masse  fil- 
trante dont  la  section  croît  ou  décroît  avec  la  profondeur  sui- 
vant une  fonction  linéaire;  et  l'on  voit,  à  l'inspection  de  la 
figure,  la  différence  considérable  que  doil  présenter  pour  une 
même  charge  le  débit  d'un  filtre  à  ces  deux  périodes. 

151.  Pour  résoudre  complètement  le  problème,  il  suffit  de 
chercher  la  longueur  réduite  à  l'aide  de  la  formule  (23)  [149]; 
mais,  pour  simplifier,  remplaçons  préalablement  le  trinôme 
1  +  ai  +  g/*  par  1  +  Y^'  c^  q^i  revient  à  substituer  à  l'ex- 
pression a  +  gMa  valeur  moyenne  y  quelle  prend  dans,  les 
lin)iles  de  température  considérées;  on  aura  pour  la  valeur 
de  /  : 


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RECHERCHES   SUR    LA   FILTRATION.  147 


Je  rfE  _  J_      r        dE 

'        CoS(1  +-rO  ~   CoS      /         i  +  ff 


(27) 


en  supposant,  comme  dans  le  cas  de  la  figure  13,  que  T^  est 
la  lempéralure  à  la  base  supérieure  de  la  colonne  filtrante, 
Ta,  qui  est  plus  grand  que  Ti,  la  température  à  la  base  infé- 
rieure, E  la  dislance  variable  telle  que  om  {fig.  13)  et  E^  l'épais- 
seur tolale. 
Nolis  tirons  de  l'équation  (28)  par  différentialion  : 


On  a  donc 


dE=;iMp.  .(29) 

la  —  Il 

T 

,  _  El  r         dt 


r*-Ti)  / 

«/T. 


CoS(Ts-Ti)    I        1+Y« 


ou  : 


(30). 
(31). 


La  dépense  à  la  température  Ti,  est  Qi  =  -^  (1  +  y^i) 

r  HS 

el  à  la  température  T,  elle  est  Qj  =  -—  (^  +  vTj)  ; 
l'ejipression  précédente  devient  donc  : 


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148  MEMOIRES. 

el,  en  passant  des  logarithmes  népériens  aux  logarithmes  vul- 
gaires : 


r.  _  (Qa— Qi)loge  ^ 

y  -  logQ,-log.Q,  •  (^*^- 


Si  nous  appliquons  cette  formule  à  Tévaluation  de  la  dépense 
d'un  filtre,  en  supposant  que  ses  deux  bases  soient  aux  tem- 
pératures que  nous  avons  indiquées,  nous  avons,  en  prenant 
pour  yTj  et  pour  ^Ti  les  valeurs  calculées  précédemment  : 

1"  Pour  la  dépense  en  juillet  : 

^  _  (3,6972 -3,271 .92)  loge  _  .  ..^. 
^  -  log  3,6972 -log  3,271 .92  "  '^'^^^^ 

2^  Pour  la  dépense  à  la  température  du  30  décembre  : 

_  (2,7105 -2,133.48)  loge  _  ^  ..^ 
^   —  log  2,7105  -  log  if,133.48  "  ^'*^" 

O        3  5585 
Le  rapport  ^  =  -^j^  =  1,445. 

Ce  rapport  diffère  un  peu  de  celui  qu'on  obtiendrait  en  sup- 
posant le  filtre  maintenu  dans  chaque  cas  à  une  température 
constante,  égale  à  la  moyenne  des  températures  observées  le 
même  jour  à  ses  deux  extrémités. 

La  dépense  serait  alors  représentée  par  la  formule  : 

Q„=^Sj,+,Sl+lL)j  ,33) 

En  procédaol  ainsi,  on  a,  à  la  température  moyenne  de  l'eau, 
au  commencement  de  juillet,  c'est-à-dire  à  20»  : 

Qm  =  3,48456  , 

et  pour  la  température  moyenne  du  30  décembre,  c'est-à-dire 
pour?»,  Q'»»  =  2,42178. 
Le  rapport  de  ces  deux  quantités 

Qm        3,48456       .... 
Q'm=  pim^^'*^*- 


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RECHERCUES   SUU    LA    FILTRâTION.  149 

Cette  valeur  obtenue  à  l'aide  <le  la  formule  (33)  n'est  qu'ap- 
prochée et  inférieure  à  ceUe  que  nous  donne  la  formule  (32). 

L'influence  de  la  température  est  telle,  d'après  cette  dernière 
expression,  que  des  filtres  qui  auraient  débité  300  pouces  d'eau 
dans  les  conditions  de  température  du  30  décembre  1874  au- 
raient dû  en  fournir  300  X  <5445  =  433,5  dans  les  premiers 
iours  de  juillet  de  la  même  année,  si  toutes  les  autres  circons- 
tances eussent  été  les  mêmes.  Nous  exanûnerons  au  ch^ipitre 
suivant  dans  quelle  mesure  ces  déductions  sont  applicables  à 
la  filtration  naturelle. 


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150  BIÉMOIRES. 


CHAPITRE   V 

APPLICATION  DES  RECHERCHES  PRÉCÉDENTES  '  A  L  ÉTUDE 
DE  LA  FILTRATION  NATURELLE 


152.  Les  conclusions  que  nous  avons  exposées  dans  les 
chapitres  précédents  ne  sont  pas  exactement  applicables  à  un 
phénomène  complexe  comme  celui  de  la  ftllraiion  naturelle, 
qui  dépend  lui-même  d'un  très-grand  nombre  de  circonstances 
variables  dont  nous  n'avons  jusqu'ici  tenu  aucun  compte.  Le 
régime  du  fleuve,  la  vitesse  du  courant,  l'état  de  trouble  ou 
de  limpidité  des  eaux,  la  facilité  plus  ou  moins  grande  avec 
laquelle  les  substances  en  suspension  se  déposent  auront  leur 
influence  sur  le  rendement  des  galeries  filtrantes.  Les  couches 
dans  lesquelles  sont  creusées  les  galeries,  sont  loin  d'être  tou- 
jours homogènes;  les  eaux  souterraines,  qui  glissent  lente- 
ment dans  une  direction  perpendiculaire  au  thalweg  de  la 
vallée,  peuvent  apporter  aux  filtres  un  tribut  variable  de  bien 
des  manières  et  paraissant  échapper  à  toute  déterminalion 
précise.  Le  lit  du  fleuve  est  enfin  modifié  par  les  grandes 
crues  et  les  inondations. 

Les  recherches  du  laboratoire  ne  permettent  pas  de  tout 
prévoir;  il  en  est.de  cette  partie  de  l'hydraulique  comme  de 
la  météorologie,  dont  les  lois  physiques  régissent  les  phéno- 
mènes complexes,  sans  que  l'on  puisse,  le  plus  souvent,  dér 
mêler  le  rôle  de  chacune  d'elles. 

153.  Il  y  a  néanmoins  intérêt  à  réduire  le  plus  possible  la 
part  de  l'inconnu  dans  ces  questions  délicates,  et  c'est  ce 
que  j'ai  essayé  de  faire  dans  cette  étude,  qui  est  loin  d'être 
complète.  Je  crois  toutefois  pouvoir  en  tirer  quelques  consé- 
quences et  ajouter  quelques  observations   aux    règles  qu'a 


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RECHERCHES  SUR  Lk   FILTRATION.  lot 

posées  d'Aubuisson,  le  savant  inventeur  des  galeries  filtrantes, 
et  qu'ont  précisées  ou  étendues  plusieurs  ingénieurs  distingués, 
et  notamment  Darcy  et  Dupuit  dans  leurs  /emarquables  ou- 
vrages. 

On  sait  que  les  galeries  filtranles,  que  nous  supposons  pra- 
tiquées dans  un  lerrain  homogène,  doivent  êlrc  parallèles  au 
cours  d'eau  qui  les  alimente,  et  Ton  peut  alors  considérer  leur 
rendement  comme  proporlionnel  à  leur  longueur.  Il  n'en  est 
pas  ainsi  toulefois  à  l'extrémité  supérieure,  où  le  débit  est  plus 
considérable,  par  suite  de  la  filtralion  qui  se  fait  h  travers  le 
terrain  placé  en  amont  dans  l'axe  du  radier,  tandis  qu'à  l'ex- 
trémilé  inférieure  le  produit  est  diminué  par  le  voisinage  du 
canal. collecteur  des  eaux  filtrées  qui  est  placé  en  contre-bas. 

154.  On  sait  aussi  qu'il  y  a  peu  de  profit  à  augmenter  la 
largeur  du  radier,  comme  l'ont  exposé  les  savants  ingénieurs 
que  nous  avons  si  souvent  cités.  '  " 

155.  Le  débit  est  lié  d'une  manière  très-étroite  à  la  profon- 
deur.de  la  tranchée,  qui  doit  être  d'autant  plus  grande  que  la 
distance  au  cours  d'eau  est  elle-même  plus  considérable.  Mais, 
pour  une  distance  déterminée,  il  y  aura  généralement  intérêt 
à  augmenter  la  profondeur  pour  assurer  aiji  régime  du  filtre 
une  plus  grande  uniformité.  On  sait,  en  effet,  que  le  débit,  tou- 
tes les  autres  conditions  restant  les  mêmes,  est  proportionnel 
à  la  charge;  il  importe  donc  que  les  variations  ordinaires  du 
niveau  du  fleuve  soient  pelites,quand  on  les  compare  à  la  dis- 
lance verticale  comprise  entre  l'étiage  et  le  plancher  de  la 
galerie.  Ce  sera  le  moyen  de  conserver  un  bon  rendement 
l>endant  les  périodes  où  les  besoins  de  l'alimentation  sont  les 
plus  considérables. 

RI.  Aristide  Dumont,  ingénieur  des  travaux  des  eaux  de 
Lyon[,  a  eu  l'idée,  pour  augmenter  k  charge,  de  diminuer 
l'épaisseur  de  la  nappe  d'eau  déjà  filtrée  par  l'emploi  de  ma- 
chines élévatoires  ;  mais  cet  abaissement  du  plan  d'eau  dans 
les  galènes  est  évidemment  produit  d'une  manière  constante 
quand  les  eaux  s'en  échappent  par  un  long  canal  étroit  qui 
les  amène,  comme  à  Toulouse,  à  une  distance  considérable  du 
lieu  de  la  fillration. 


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153  MÉMOIRES. 

156.  Des  obstacles  insurmontables  s'opposent  parfois  à 
Tapprofondissemenl  deâ  tranchées  ;  c'est  ce  qui  a  lieu  si  le 
terrain  perméablet  a  une  faible  épaisseur,  si  le  seuil  de  la  ga- 
lerie ne  peut  pas  être  abaissé,  par  suite  de  la  pente  qu'il  faut 
laisser  au  canal  collecteur  des  eaux  filtrées.  Ne  serait-il  pas 
possible  dans  ces  conditions,  pour,  parer  aux  inconvénients 
d'un  éliage  exceptionnellement  bas.  de  recourir  à  des  machines, 
à  des  pompes  rotatives,  par  exemple,  non  pas  pour  aspirer 
l'eau,  mais,  ce  qui  serait  bien  plus  efficace,  pour  raréfier  l'air 
des  galeries?  Les  difficultés  d'exécution  ne  seraient  pas  très- 
grandes,  je  crois,  lorsque  les  galeries  sont  bien  construites, 
d'une  petite  section,  que  leurs  parois  sont  imperméables  et 
que  la  filtratiun  se  fait  simplement  per  ascmsum^  à  travers  le 
plancher.  Une  diminution  de  pression  de  ^  d'atmosphère  pro- 
duirait le  même  effet  utile  qu'une  crue  élevant  le  niveau  du 
fleuve  dé  50  centimètres  environ. 

157.  Lorsqu'on  pourra  donner  aux  tranchées  une  assez 
grande  profondeur,  on  en  retirera  encore  un  autre  avantage. 
l  a  température  des  eaux  alimentaires  variera  beaucoup  moins 
de  la  saison  chaude  à  la  saison  froide,  parce  que  celles-ci  se 
rafraîchissent  d'autant  plus  pendant  l'été  et  se  réchauf- 
fent d'autant  plus  pendant  l'hiver' que  les  filtres  sont  plus 
profonds  et  peuvent,  { ar  suite,  être  plus  éloignés  du  fleuve.  Il 
importe  évidemment  de  ne  pas  trop  augmenter  la  distance,, 
ce  qui  augmenterait  la  longueur  réduite  de  la  couche  per- 
méable interposée,  et  diminuerait  le  débit  ;  mais  des  galeries 
placées  trop  près  de  la  rivière  fournissent  «  de  l'eau  qui  en 
conserve  trop  la  température  »,  comme  le  fait  remarquer 
d'Aubuisson  à  propos  de  son  second  filtre.  «  La  chaleur  de 
celle  eau  »,  ajoute-t-il,  «  diminua  l'hiver  dernier  jusqu'à 
n'être  .que  de  2""  du  thermomètre  et  dans  l'été  elle  va  à  plus 
de  21»  (*).  » 

158.  Nous  avons  déjà  établi  la  formule  [151]  à  l'aide  de 
laquelle  on  peut  calculer  le  rendement  d'un  filtre  homogène 

(*)  Hiitoire  de  Vitablittement  det  fontainei  de  TùuUmte,  par  d'Aubuisson,  dans  les 
Mémoiret  de  V Académie  det  iciencei,  imeripliont  et  beUei-lettret  de  Toulouse^  t.  II;  pro- 
inière  partie  (1830),  p.  254. 


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EECHERCHBS   SUR    Ll   FILTRATION.  153 

donl  les  couches  ont  des  températures  croissantes  ou  décrois- 
santes suivant  les  termes  d'une  progression  arithmétique,  et 
nous  avons  vu  qu'on  appelant  Tt  et  Tj  les  températures  obser- 
vées aux  deux  exlrémilcs  de  la  colonne  filtrante,  Qi  et  Q^  .les 
produits  qu'on  obtiendrait  aux  températures  correspondantes, 
on  a  : 

CqHSy  (Ta  -  Tq  log  e 


i  +ïT 


ou  encore  :  Q  =  P^-^^]^^ee  33 

logQî-logVi  ^ 

Dans  la  pratique,  quand  la  différence  entre  T^  et  T^  n'est 
que  de  3  ou  4  degrés,  le  produit  Q  ainsi  obtenu  ne  diffère 
pas  beaucoup  de  celui  que  donne  la  formule  plus  simple 

Q  =  Ç|5j,+,(Ji+lL)j  (3,,, 

dans  laquelle  y  représente,  comme  dans  l'équation  précé- 
dente, l'accroissement  moyen  du  coefficient  de  perméabilité 
pour  tout  degré  compris  entre  T^  et  T^. 

159.  lin  réalité,  les  couches  interposées  entre  un  cours 
d'eau  et  une  galerie  où  se  réunissent  les  eaux  filtrées,  ne 
constituent  pas  un  filtre  homogène.  Elles  peuvent  avoir  des 
sections  inégales,  des  coefficients  de  perméabilité  différents; 
nous  pouvons  néanmoins,  d'après  les  principes  précédents, 
trouver  leur  longueur  réduite^  c'est-à-dire  l'épaisseur  de  la 
couche  homogène  que  fournirait  le  même  débit,  avec  une 
section  égale  à  la  section  moyenne  et  un  coefficient  moyen  do 
perméabilité.  Généralement,  ce  filtre  homogène  ne  remplira 
pas  les  conditions  que  nous  avons  indiquées  [151];  les  varia- 
tions de  la  température  ne  seront  pas  proportionnelles  aux 
accroissements  de  la  profondeur,  mais  dans  les  limites  où  nous 
opérons,  les  résultats  ne  peuvent  pas  différer  beaucoup  de 
ceux  que  cette  hypothèse  nous  permet  de  prévoir. 

Si  l'on  veut  faire,  dans  ces  conditions,  la  part  de  l'influence 
de  la  température  sur  le  rendement  d'une  galerie  filtrante 
pour  pouvoir  mieux  étudier  les  autres  variations;  si  l'on  fait, 


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154  MÉMOIBES. 

par  exemple,  divers  jaugeages  à  des  températures  différentes, 
il  faudra  ramener  tous  les  résjiltals  à  ceux  qu'on  aurait  obte- 
nus si  la  température  avait  été  de  0'  ou  plutôl  si  elle  avait  été 
constamment  égale  à  la  température  moyenne  des  eaux,  qui 
est  à  peu  près  à  Toulouse  de  13\ 

On  aura  ainsi,  en  appelant  Qi3  la  quantité  qu'on  aurait  ob- 
servée si  le  filtre  avait  eu  toutes  ses  tranches  à  la  température 
de  13"  et  en  désignant  par  Q  le  débit  quand  les  températures 
de  la  base  supérieure  et  de  la  base  inférieure  du  filtre  sont  res- 
pectivement Ti  et  Tg  : 

.       Q,.       ('+'^)l°8i4T^!  ,3t, 

Q  Y  (T2  -  TO  log  e        ' 

d'après  la  formule  (31),  ou,  si  l'on  a  déjà  calculé  les  valeurs 
Qi  et  Q2.  correspondantes  aux  deux  températures  T^  et  T^, 

Ql3  _  (1  -H3Y)(logQ,-logQ0 
Q  ~  (Q2-Qi)loge  '  ^^^^ 

d'après  la  formule  (32). 

160.  Quand  le  niveau  du  fleuve  est  à  la  même  cote  à  deux 
époqties  différentes,  les  produits  des  galeries  filtrantes  doivent 
être  proporlionnels  aux  valeurs  données  par  les  formules  pré- 
cédentes. Nous  avons  déjà  vu  [151]  quel  devrait  être  le  rap- 
port des  produits  aux  époques  correspondantes  au  maximum 
et  au  minimum  de  température  de  l'eau  du  fleuve  pendant  le 
deuxième  semestre  de  1874.  Mais  le  niveau  de  la  Garonne  à 
ces  deux  périodes  était  bien  loin  d'être  le  même.  De  plus,  une 
des  plus  fortes  crues  de  l'année  avait  fourni,  le  26  décembre, 
c'est-à-dire  quatre  jours  avant  la  date  de  la  température  la 
|)lus  basse,  un  rendement  exceptionnel  (957  pouces)  qui  avait 
amené  une  sorte  de  chasse  dans  les  canaux  capillaires,  de  ma- 
nière à  augmenter  leur  puissance  filtrante.  Nous  ne  pouvons 
donc  pas  chercher  dans  ce  cas  la  vérification  de  nos  formules. 

Mais  si  les  eaux  sont  sensiblement  au  même  niveau  à  deux 
époques  différentes  précédées  de  périodes  de  beau  temps  d'une 
durée  à  peu  près  égale,  les  résultats  observés  sont,  assez  con- 
cordants avec  ceux  que  les  formules  permellent  de  déterminer. 


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RECHERCHES   SDR   LA    FILTRATION.  155 

Je  prends,  par  exemple,  la  moyenae  des  rendements  obtenus 
les  14,  15  et  16  novembre  1874;  la  température  de  l'eau  du 
fleuve  était  de  8^,  celle  de  l'eau  des  galeries  de  15^  Ces  jour- 
nées ont  été  précédées  d'une  série  de  quinze  jours  sans  crue 
sensible;  le  produit  moyen  a  été  de  300  pouces  par  24  heures. 

Les  6,  7,  8  el  9  juillet  1874,  la  température  extérieure  a 
atteint  23%  et  la  température  intérieure  17**.  La  charge  dépas- 
sait celle  de  la  période  de  novembre  de  15  à  20  cent,  d'eau. 
On  a  obtenu,  pendant  ces  quatre  jours,  successivement,  377, 
393,  373  et  366  pouces.  Or,  le  calcul  nous  donne  pour  le  rap- 
port des  deux  rendements  quotidiens,  dans  ces  deux  périodes 
de  juillet  et  de  novembre,  la  valeur  1.25. 

On  devrait  avoir  alors  375  pouces,  si  la  pression  était  restée 

constante  ^t  par  conséquent  un  peu  plus  en  tenant  compte  de  ce 

dernier  accroissement  ;  or  on  constate  que  le  rendement  calculé 

est  pour  ces  jours-là  à  peu  près  égal  au  rendement  moyen 

k       A      •      I  ^    377  +  393  +  373  +  366       ^„  ^„ 
observé  qui  est  de ' ■ =  377,25. 

4 

Il  y  a  donc. entre  les  prévisions  et  les  résultats  un  accord 
assez  -saiisfaisanl,  si  l'on  tient  compte  des  procédés  rapides  à 
Taide  desquels  ces  derniers  sont  obtenus. 

Nous  voyons  encore  que  le  14  août  1874,  la  charge  est  la 
même  que  pendant  la  période  de  novembre  ;  la  température 
de  l'eau  du  fleuve  est  de  19%  et  la  température  à  l'intérieur  de 
la  galerie  de  Porlet  est  de  18°;  le  rendement  calculé,  comme 
il  u  été  dit,  devrait  être  de  354  pouces,  .tandis  que  le  rende- 
ment observé  est  de  345  pouces. 

•  Il  importe  de  remarquer  qu'il  n'y  a  eu  dans  l'intervalle  du 
commencement  de  juillet  au  milieu  de  novembre  1874  aucune 
de  ces  grandes  crues  qui  modifient  parfois  le  lit  du  fleuve. 

161.  Maintenant  que' nous  savons  tenir  compte  de  l'in- 
fluence de  la  température,  nous  pourrions  calculer  les  rende- 
ments des  filtres  sous  les  charges  qui  correspondent  aux  difle- 
rents  niveaux  dii  fleuve.  Il  faudrait  toutefois  pour  cela  :  1"*  que 
les  eaux  eussent  toujours  la  même  limpidité;  2^  que  les  gale- 
ries fussent  exclusivement  alimentées  par  les  eaux.de  la 
Garonne;  3^*  que  les  variations  de  nivç^u  ne  changeassent  pas 


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156 


MEMOIRES. 


0/ 


la  surface  par  laquelle  l'eau  couranle  est  en  contact  avec  le 
terrain  perméable.  La  seconde  condition  paraît  bien  remplie  à 
Toulouse  pour  les  filtres  de  la  prairie,  séparés  du  faubourg 
Saint-Cyprien  par  la  large  cbaussée  qui  forme  le  cours  Dillon. 
Les  murs  qui  la  soutiennent,  très-solides  et  très-épais,  plongent 
par  leurs  fondements,  d'après  les  renseignements  des  ingé- 
nieurs, dans  le  terrain  imperméable  sous-jacent.  Cet  ensem- 
ble constitue  donc  une  digue  qui  retiendrait,  si  cela  était  né- 
cessaire, les  eaux  souterraines  d'une  autre  provenance.  La 
troisième  condition  était  aussi  sensiblement  réalisée  au  même 
point  il  y  a  peu  d'années ,  car  les  bords  de  la  prairie  étaient 

défendus  par  un  talus 
en  pierre  à  joints  cimen- 
E  tés,  qui  a  disparu  pres- 
que complètement  dans 
l'inondation  du  23  juin 
1875. 

1 62.  Quoique  les  con- 
ditions précédentes  ne 
soient  jamais  complète- 
ment remplies,  je  crois 
que  les  modes  de  cal- 
Fig.  <5.  cul  que  nous  avons  in- 

diqués pourraient  être 
appliqués  avec  utilité  pour  éludier  l'influence  des  autres  ac- 
tions que  j'appellerai  les  actions  perturbatrices,  soit  dans  la 
liltration  naturelle,  soit  dans  la  filtration  artificielle. 

Construisons  pour  cela  la  courbe  des  logarithmes  des  pro- 
duits quotidiens  du  filtre;  soit  oœ  la  ligne  des  abscisses  et 
ABCDE  {fig.  15)  la  courbe  cherchée.  Prenons  ensuite  un  nouvel 
axe  des  œ  au-dessous  du  précédent,  tel  que  o'a>\  et  portons  sur 
les  ordonnées  correspondantes  aux  mêmes  jours,  des  longueurs 
proportionnelles  aux  logarithmes  des  charges  ;  leurs  extré- 
mités forment  la  courbe  a,  6,  c,  rf,  e;  ajoutons  ensuite  à  cha- 
cune des  ordonnées  précédentes  le  logarithme  de  la  fonction 
de  (,  c'est-à-dire  le  logarithme  du  polynôme  qui  représente 
l'influence  de  la  température  sur  le  rendement.  En  réunissant 


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RECHERCHES   SUR-  Là    FILTRATION.  157 

les  extrémilés  des  ordonnées  ainsi  augmentées,  nous  avons 
la  courbe  a'b'c'd'e'.  Choisissons  convenablement  les  unités 
pour  que  l'ordonnée  qui  représenle  la  somme  de  deux  logarith- 
mes pour  un  jour  où  les  eaux  sont  claires,  soit  égale  à  l'or- 
donnée correspondante  qui  représenle  le  logarithme  du  ren- 
dement. Les  deux  cpurbes  ABCDK  et  a'h'dd'e' ,  construites 
dans  ces  conditions,  devraient  rester  constamment  parallèles 
et  à  une  distance  égale  à  celle  des  deux  axes  ox  et  o  V ,  si 
les  actions  dues  à  la  pression  et  à  la  température  n'étaient 
pas  modifiées  par  d'autres  influences.  II  en  sera  parfois  autre- 
ment, et  alors  la  différence  des  ordonnées  des  deux  courbes 
pour  une  même  valeur  d'à?,  représente  le  logarithme  du  coeffi- 
cient de  perturbation,  qui  sera  lui-même  tantôt  positif,  tantôt 
négatif,  suivant  que  le  coefficient  sera  plus  grand  ou  plus 
petit  que  \.  Nous  aurons  même  immédiatement  la  valeur  de 
ce  dernier,  si  nous  avons  fait  les  constructions  précédentes  à 
l'aide  de  la  règle  à  calcul. 

163.  Ces  essais  aideront  peut-être  à  dégager  quelqu'autre 
inconnue  dans  ce  problème  complexe  de  la  filtration.  L'étude 
du  régime  des  sources  et  la  grande  question  de  la  pénétration 
et  du  mouvement  des  eaux  dans  les  couches  du  globe  s'y 
rattachent  directement;  il  faut  aussi  le  résoudre,  pour  exa- 
miner sûrement  plusieurs  sujets  importants  de  physique  et  de 
physiologie. 

S'il  en  était  ainsi,  je  serais  bien  récompensé  de  mon  travail. 

Souvent  arrêté  par  mes  occupations  scolaires,  je  l'ai  bien  des 
fois  abandonné  et  repris  ;  je  l'ai,  par  suite,  exposé  peut-être  trop  " 
longuement;  mais  j'espère  qu'à  Toulousi,  où  l'on  s'intéresse 
beaucoup  à  la  question  des  eaux,  on  me  le  pardonnera. 

J'avais  pris  part,  en  1872,  aux  délibérations  de  la  commis- 
sion des  eaux  ;  j'ai  sous  les  yeux,  depuis  plusieurs  années,  la 
prairie  où  d'Aubuisson  fit  ses  belles  expériences.  J'ai  été  ainsi 
conduit  à  examiner  avec  soin  l'œuvre  de  l'illustre  ingénieur. 
Je  m'y  suis  vivement  attaché,  et  lui  ai  trouvé  de  nouveaux 
mérites. 

D'Aubuisson  avait  dit  en  écrivant  l'histoire  des  filtres  avani 
que  l'installation  en  fût  complète  :  «  L'eau  sera  d'une  limpi- 


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158  MBMOIBES. 

a  dite  parfaite,  et  dans  ses  voies  souterraines  elle  aura  repris 
«  la  bonté  et  la  fraicheur  qu'elle  avait  au  sortir  des  hautes 
c<  montagnes  dont  elle  est  descendue  (*).  » 

Le  système  du  savant  toulousain  a  tenu  ses  promesses,  il 
les  a  même  dépassées,  puisque  les  Qltres,  sous  la  même  charge, 
alimentent  nos  fontaines  avec  une  abondance  qui  va  en  crois- 
sant avec  la  température. 

MM.  les  professeurs  de  la  Faculté  des  sciences  et  MM.  les 
ingénieurs  de  Toulouse  ont  bien  voulu  mettre  leurs  biblio- 
thèques et  leurs  colleclions  particulières  à  ma  disposition; 
M.  Dieulafoy,  ingénieur  de  la  ville,  et  M.  Moynet,  conducteur 
du  service  des  eaux,  m'ont,  avec  une  rare  obligeance,  ouvert 
leurs  archives;  M.  le  vicomte  Ph.  d'Ussel,  ingénieur  des  ponls 
et  chaussées  à  Paris,  et  M.  E.  Duclaux,  professeur  à  l'Institut 
agronomique,  m'ont  communiqué  des  documenls  précieux  qui 
ont  facilité  ma  tâche.  MM.  Blanchi  père  et  fils,  ingénieurs 
constructeurs  à  Toulouse,  m'ont  fait  profiter,  pour  l'installa- 
tion de  mes  appareils,  de  leur  habileté  et  de  leur  expérience. 
Je  les  prie  tous  d'agréer  ici  l'expression  de  mes  vifs  remerci- 
ments. 


{*)  Histoire  de  l*éiablisiement  det  fontaine$  à  Toulouse,  publié  dans  le  Mémoire  à 
Académie  des  seienees,  t\scriptions  et  belles-lettres,  l.  II,  i'«  partie,  1830,  p.  259. 


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RECHERCHES  SUR    LA   FILTRATION.  159 


CONCLUSIONS 


Nous  pouvons  tirer  du  travail  précédent  les  conclusions 
suivantes  : 

1°  La  première  loi  de  Poiseuille,  qui  lie  la  vitesse  à  la  pres- 
sion, est  applicable  au  passage  des  liquides  à  travers  les  subs- 
tances perméables;  on  ne  Pavait  établi  jusqu'ici  qu'en  opérant 
dans  des  limites  très-étroites  ou  avec  une  approximation  insuf- 
fisante; nous  avons  démontré  qu'il  en  est  encore  ainsi  dans 
des  conditions  variées  et  pour  des  charges  considérables. 

2^.  La  charge  effective  qui  produit  l'écoulement  est  celle 
qui  s'exçrce  sur  la  dernière  tranche,  c'est-à-dire  sur  celle  qui 
porte  les  orifices  de  sortie  du  liquide  filtré. 

S'*  Le  débit  des  filtres  change  avec  la  température,  mais  ces 
variations  sont  seftsibleraent  les  mêmes  pour  toutes  les  subs- 
tances perméables,  quand  elles  sont  traversées  par  le  même 
liquide  et  qu'elles  sont  mouillées  par  celui-ci. 

.  4*»  En  étudiant  l'écoulement  de  l'eau,  de  l'alcool,  de  l'acide 
sulfurique,  de  l'huile  d'olive  et  du  mercure,  nous  avons 
reconnu  que  les  coefficients  à  l'aide  desquels  on  peut  exprimer 
les  variations  de  la  vitesse  en  fonction  de  la  température,  ou 
coefficients  ihermotachy tiques,  ont  des  valeurs  distinctes  pour 
les  différents  liquides  et  caractéristiques  de  chacun  d'eux.  Ces 
coefficients  sont  très-grands,  en  générai,  quand  les  liquides 
mouillent  les  parois. 

S'»  La  loi  des  épaisseurs  a  été  énoncée  par  Darcy;  mais  on 
ne  pouvait  guère  citer  à  l'appui  que  les  deux  résultats  obtenus 
par  M.  Duclaux  [118]  en  opérant  sur  des  plaques  minces. 

Nous  avons  montré  que  celle  loi  s'applique  encore  au  pas- 


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160  MÉMOIRES. 

sage  des  liquides  à  travers  des  colonnes  de  sable  de  diverses 
longueurs.  Mais  les  recherches  expérimenlales  relatives  à  Tin- 
fluence  de  l'épaisseur  présentent  des  difficultés  particulières 
que  nous  examinons  avec  soin. 

6'^  Les  lois  précédentes  sont  en  défaut  quand  le  niveau  du 
liquide  s'abaisse  au-dessous  du  sommet  de  la  colonne  fillranlc  ; 
de  nouvelles  actions  interviennent  alors  et  modifient  profondé- 
ment le  débit.  Il  faut  en  tenir  compte  dans  l'élude  du  régime 
des  sources. 

7°  Lorsque  deux  filtres  sont  formés  par  des  particules  de 
même  nature  et  sensiblement  de  môme  forme,  c'est-à-dire 
quand  on  peut  admellre  que  leurs  espaces  vides  sont  sembla- 
bles, on  démontre,  avec  une  approximation  satisfaisante,  que 
leurs  débits  sont  proportionnels  aux  quatrièmes  puissances  des 
dimensions  linéaires  des  interstices. 

8*»  Les  substances  poreuses  peuvent  être  caractérisées  par 
leurs  coefficients  de  perméabilité.  Après  avoir  déterminé  les 
valeurs  de  quelques-uns  d'entre  eux,  nous  montrons  que,  ces 
coefficients  une  fois  connus,  le  débit  des  filtres  peut  être  re- 
présenté par  une  expression  simple,  dans  laquelle  se  trouvent 
résumées  toutes  les  lois  de  la  filtration,  telle  que  : 

^__  CoHSe(i  +at  +  ?^fi) 
^—  E 

9*»  On  peut,  à  l'aide  des  formules  établies,  résoudre  les  dif- 
férents problèmes  relatifs  à  la  fillration  et  en  particulier  étudier 
le  débit  d'un  filtre  homogène  ou  hétérogène  dont  les  diverses 
couches  sont  à  des  températures  différentes. 

Si  les  variations  de  la  température  sont  proportionnelles 
aux  variations  de  la  profondeur  comptée  à  partir  de  la  pre- 
mière tranche  filtrante,  la  dépense  est  représentée  par  l'ex- 
pression : 

o_(Q2-Qi)loge 
^-logQa-logQi' 

Qs  et  Qi  étant  les  dépenses  correspondantes  aux  deux  lempé- 


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KKCHERCHES  SUU  LA  FILTRATION.  IG! 

ratures  extrêmes  Tj  et  T, ,  et  e  étant  la  base  des  logarithmes 
népériens.' 

On  peut  alors  déduire  le  rendeinent  normal  d'un  filtre  d'une 
expérience  effectuée  dans  des  circ»inst.mces  quelconques,  en 
faisant  les  correction^  indiquées  par  les  formules. 

10^  Les  recherches  précédentes  permettent  défaire  l'étude 
de  la  fillralion  naturelle,  et  donneni,  de  quelques  problèmes 
importmls,  des  solutions  jusiifié  s  pir  l'observation  directe 
des  fai'.: 


8e   SÉRIE.    —   TOME   III,    1. 


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ERRATA 


31 ,  dernière  ligne,  —  an  lieu  de  :    U  = -^^  lisez  :    U  = :=- . 

ou  en 

Page  44,  au  bas  de  la  page,  —  ao  lieu  de    6  =  log    ^  "T  ^     , 

m  log  e 

lisez:    o^'ogHo-logH 
m  loge 

Page  62,  ligne  9,  —  la  lettre  E  a  été  oubliée  sur  la  figure  de  la  planche  4 . 

Page  73,  ligne  33,  —  au  lieu  de   très-animées,  lisez  :   très-minces. 

Page  79,  ligne  24,  —  au  lien  de  sans,   lisez  :    sens. 

Page  92.  —  Le  tube  ouvert  désigné  dans  le  texte  par  la  lettre  T'  est  indiqué 
sur  la  figure  7  par  la  lettre  T. 

Page  95,  ligne  48,  —  an  lieu  de  graham,    lisez  :    Graham, 

Page  4C4.  —  Compléter  la  note  du  bas  de  la  page  par  ces  mots  :  Lacide 
sulfurique  que  nous  avons  employé  n'était  pas  au  maximum  de 
concentration  et  ne  marquait  que  64*>  Baume. 


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TABLE   DES   MATIERES 


CONTENUES   DANS   CE   VOLUME 


État  des  membres  de  l'Académie;  chaDgements  surrenus  depuis  le  mois  d'avril 
i  880  jusqu'au  mois  d'avril  1 884 t 


CLASSE  DES   SCIENCES 

MATHÉMATIQUES  PURES 

Suite  d'un  Mémoire  sur  les  axes  cenlrifuges,  par  M.  Brassinne 181 

Considérations  historiques  et  théoriques  sur  le  principe  de  la  moindre  action ,  par 

le  même 182 

Sur  l'équation  au  carré  des  différences,  par  M.  Forestier 1 87 

PHYSIQUE  ET  ASTRONOMIE 

Recherches  expérimentales  sur  le  passage  des  liquides  à  travers  les  substances 
perméables  et  les  couches  filtrantes,  par  M.  J.  Brunhes 1 

CHIMIE 
Analyse  des  feldspaths  de  la  vallée  de  Bagnères-de-Luchon,  par  M.  Filhol 1 83 

HISTOIRE   NATURELLE 

Homotypies  musculaires  des  membres  thoraciques  et  pelviens,  par  M.  Lavocat.  .     37-5 i 
De  l'influence  de  la  tension  hydrostatique  et  de  ses  variation?  sur  les  mouvements 


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164  TAîiLi:  iîî;s  matikuls. 

des  liquides  dans  les  végétaux  et  sur  les  mouvcmetilâ  des  divers  orgat.cs  dans  les 

plantes,  par  M.  Bartoéleiiy 1 24-1 44 

Considérations  générales  sur  le  langage  humain  et  sur  celui  des  animaux,  par 

M.  JoLY 173 

Antiquités  fossiles  en  Portugal,  par  M.  Cartailbac 183 

Kecbercbes  sur  certains  organes  dc^  plantes  aquatiques  au  sujet  desquels  la  science 

n'est  pas  encore  faite,  par  M.  Clos 1 92-1 94 

Études  nouvelles  sur  les  matières  organiques  et  organisées  contenues  dans  les  eaux 

thermales  sulfurées  pyrénéennes,  notamment  sur  les  sulfuraires ,  par  M.  Jolt.  1 95-1 97 

MÉDECINE  ET  CHIRURGIE 

Sur  la  vaccination  charbonneuse,  par  31.  Toissaim 1 72 

Même  question,  par  MM.  Armieux  et  Baillet 197-202 

Observation  sur  une  tumeur  fibreuse  utérine  interstitielle,  par  M.  Ripoll.  . .     1 76-1 80 

Sur  le  parasite  de  la  clavelée,  par  M.  Tol}ssAI^T 182 

Sur  rincubation  de  la  vaccine,  par  M.  Basset 1 94-1 95 


CLASSE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 
Histoire  de  l'Université  do  To:ilouse  fqualrièmo  fragment),  par  M.  Gatien-Ar- 

NOULT 1  -3ô 

Les  préliminaires  de  la  seconde  guerro  civile  à  Rome,  par  M.  Dumi^ril.  .  . .  55-109 
Frédéric  II  considéré  comme  historien,  d'après  les  travaux  les  plus  récents  de  la 

critique  allemande,  par  M.  Hallberg 1 1 0-1 23 

Observations  sur  les  plaidoyers  de  Cicéron,  considérés  dans  leurs  rapports  avec  la 

politique  du  temps ,  par  M.  Lallier 4  45-1 70 

Sur  une  prétendue  découverte  récente  des  restes  de  Christophe  Colomb,  par  M.  Mo- 

LINIBR 1 88-1 9 1 

Doléances  et  vœux  émis  en  1789  par  les  sénéchaussées  du  Languedoc,  convoquées 

à  propos  des  élections  pour  les  États  généraux,  relativement  à  l'organisation  du 

pouvoir  judiciaire,  par  M,  Rozy 1 91  -1 92 


Tiiuloustï,  irnp.  DocuoocBr.-PRiTiT,  rue  Sami- Rome   39. 


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MÉMOIRES 


DE 


L'ACADÉMIE  DES  SCIENCES 

INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 
DE   TOULOUSE 


Huitième  Série 


TO»E  III.  —  DEUXIÈME  SEMESTRE. 


TOULOUSE 

IMPRIMERIE    DOULADOURE-PRIVAT 
Rue  Saint-Rome,  39 

X88X 


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SÉANCE    PUBLIQUE 

TBKUB    AU    OAPITOIiB,    SALLE    DBS    ILLUSTBBS 
LE  DIMANCHE   12  JUIN    1881 


DISCOURS 

PRONONCÉ 

Par  m.  DUMÉRIL,  Président. 


UN  AVENTURIER  TOULOUSAIN  AU  XVIII*  SIÈCLE 

ÉPISODE  DE  L*HISTOIRB  DIPLOMATIQUE  DU   REGNE  DE  LOOIS  XV 

Ceux  qui,  avant  moi,  ont  eu  l'honneur  de  présider  cette 
Académie  ont  apporté  à  nos  séances  solennelles,  sous  le 
nom  de  Discours,  des  travaux  complets,  dignes  sous  tous  les 
rapports  de  fixer  votre  suffrage;  je  ne  puis  y  apporter  que  des 
indications  de  travaux  à  faire.  Vous  avez  bien  voulu  accueillir 
favorablement,  Tan  dernier,  l'esquisse  si  rapide  que  je  vous 
ai  faite  des  divers  points  de  vue  auxquels  on  s'est  placé  pour 
juger  l'Empire  romain  depuis  le  commencement  de  notre  ère. 
Permettez-moi  de  recommander  aujourd'hui  à  votre  bienveil- 
lante attention  un  sujet  plus  humble,  mais  dont  un  de  nos 
confrères  plus  habile  et  plus  érudit  pourrait,  je  crois,  tirer 
une  étude  aussi  attrayante  qu'instructive.  Si  mon  vœu  à  cet 
égard  était  exaucé  ,  vous  me  pardonneriez  facilement ,  j'en  suis 
sûr,  l'ébauche  imparfaite  que  j'ai  l'honneur  de  vous  lire  ici. 

La  conquête,  œuvre  de  la  force,  met  les  peuples  ou  les 
provinces  sous  le  joug  des  nations  qui  les  ont  subjuguées.  Les 
particuliers,  dont  la  réunion  forme  ces  nations,  n'en  tirent  pas 


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4  SB4NCB   PUBLIQUE. 

toujours  môme  profit.  Il  y  a  plus.  Leur  souveraineté  collective 
les  prépare  souvent  à  subir  la  domination  ou  l'influence  de 
quelques-uns  de  ceux  qu'ils  se  flattent  de  tenir  dans  leur  dé- 
pendance. L'adresse,  l'habileté,  la  supériorité  des  talents  et  du 
savoir-faire  donnent  à  tel  sujet  les  moyens  de  tirer  parti  de 
sa  sujétion  elle-même.  Il  semble  qu'en  ôtant  à  sa  patrie  son 
autonomie,  les  con|uérants  aient  été  les  instruments  de  sa 
fortune  ou  de  son  ambition.  Quand  les  Ptolomées  se  furent 
emparés  d'Israël,  Israël  envoya  en  Egypte  un  essaim  de  publi- 
cains,  dont  l'Egypte  fut  tributaire  jusqu'à  la  domination  ro- 
maine. Les  Turcs,  maîtres  de  la  Grèce,  devinrent  une  proie 
•pour  ceux  des  Grecs  qu'on  désignait  sous  le  nom  de  Phanario- 
tes.  Et  combien  d'Italiens  ont  du,  au  seizième  siècle  et  dans  le 
suivant,  d'être  ministres,  généraux  d'armée,  grands  seigneurs 
ou  riches  financiers,  en  France  et  ailleurs,  à  ces  guerres  d'Ita- 
lie qui  ont  rendu  leurs  concitoyens  si  longtemps  esclaves  des 
Barbares!  Je  passe  sous  silence  des  exemples  plus  récents. 
Chacun  de  vous.  Messieurs,  les  a  présents  à  l'esprit. 

Cette  réflexion  générale  n'est  peut-être  pas  inapplicable  à  la 
partie  de  l'ancienne  Gaule,  aujourd'hui  d'ailleurs  tout  à  fait 
française  de  cœur,  dont  Toulouse  a  été  et,  restera,  nous  l'espé- 
rons bien,  la  capitale.  Un  bien  faible  lien  l'unissait  d'abord 
au  reste  du  royaume  dont  les  Capétiens  se  disaient  les  souve- 
rains. Il  y  avait  bien  peu  de  sympathie  entre  ses  habitants  ol 
ceux  qu'on  désignait  plus  particulièrement  par  le  nom  de 
Français;  la  première  croisade  l'avait  prouvé.  Ce  faible  lien, 
lui-même,  était  près  de  se  rompre  au  treizième  siècle.  La  san- 
glante guerre  des  Albigeois  fit  du  LangueJoc  une  partie  du  do- 
maine de  nos  rois.  Qu'en  résulta-til?  De  cette  province  fertile 
en  hommes  actifs,  souples  et  diserts,  sortirent  nombre  de  per- 
sonnages historiques,  légistes,  conseillers  de  nos  princes, 
hommes  de  guerre,  ou  simplement  aventuriers  célèbres,  dont 
la  France  subit  l'exploitation  ou  l'influence  et  éleva  la  fortune. 

A  peine  avait-elle  été  réunie  au  domaine  de  la  couronne,  elle 
tirait,  gràc^  au  crédit  dont  quelques-uns  de  ses  enfants  joui- 
rent sur  l'esprit  de  Philippe  le  Bel,  mie  terrible  vengeance  de 
ces  pontifes  de  Rome   auxquels  elle  avait   dû  principalement 


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DISCOURS    DOOVERTURE.  5 

les  malheurs  de  la  croisade  albigeoise.  Cette  année  même,  notre 
éminent  secrétaire  perpétuel  vous  exposait  la  part  que  trois 
des  élèves  de  TUniversité  de  Toulouse  eurent  à  ce  grand  drame 
d'Anagni,  qui  fit  frémir  d'horreur  même  l'auteur  gibelin  de  la 
Divine  Comédie,  Vinrent  les  luttes  des  Valois  contre  les  Anglais, 
et  ces  guerres  civiles  qui,  sous  les  successeurs  de  Charles  VI, 
faillirent  livrer  la  France  à  une  puissance  ennemie.  Le  Langue- 
doc et  les  régions  voisines,  dont  la  destinée  avait  promptement 
suivi  la  sienne,  fournirent  au  parti  des  Armagnacs  leurs  pre- 
miers chefs,  à  Charles  Vil  ces  soldats  do  fortune,  les  La  Hire, 
les  Xaintrailles,  les  Barbazan,  qui  furent  avec  Jeanne  d'Arc 
les  sauveurs  de  son  trône  un  moment  presque  perdu.  La  France 
(lut  beaucoup  à  ces  vaillants  guerriers.  Mais  ils  ne  la  servirent 
pas  gratis. 

La  carrière  militaire  était  alors  la  plus  avantageuse  pour  des 
hommes  industrieux,  avides  et  que  nul  scrupule  ne  gênait. 
«  Si  Dieu  était  homme  d'armes,  il  serait  pillard  »,  disait 
La  Hire,  qui  de  là  concluait  que  nulle  spoliation  d'ennemi  ou 
d'ami  même,  pour  peu  qu'il  y  eût  quelque  lieu  à  méprise,  n'é- 
tait en  désaccord  avec  une  dévotion  bien  entendue.  Mais  le  bon 
temps  finit  pour  les  hommes  d'armes  avec  la  création  des  ar- 
mées permanentes.  Il  y  eut  alors  chez  elles  un  peu  plus  d'ordre 
el  de  discipline.  Les  profits  furent  moindres,  et  le  métier  de 
condottiere  cessa  d'être  5  la  mode  parmi  les  indigènes  des  bords 
de  la  Garonne.  Une  voie  nouvelle  s'ouvrait  précisément  alors 
nux  mieux  doués  de  ces  esprits  si  fins  et  si  vifs.  La  diplomatie 
naissait.  Elle  promettait  une  large  moisson  de  succès  aux  plu- 
mes habiles  et  aux  langues  déliées.  Ni  les  plumes  habiles  ni 
les  langues  déliées  ne  manquaient  dans  la  région  qui  avait  vu 
naître  les  La  Hire,  les  Xaintrailles  et  les  Barbazan  dans  l'épo- 
(|ue  précédente.  Elle  fournit  donc  à  la  France  son  contingent 
(le  négociateurs,  utilement  employés  dans  les  affaires  délicates. 
Au  second  concile  de  Trente,  Du  Ferrier  et  Dufaur  de  Pibrac, 
tous  deux  Toulousains,  compoFèrenl  avecSaint-GelaisdeLansac, 
né  dans  la  rfiéme  partie  de  la  France,  ce  triumvirat  célèbre 
que  L'Hospital  désigna  pour  représenter  notre  patrie.  Ce  fut 
aussi  presque  un  Toulousain  (il  était  né  à  Cassagnabères,  près 


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6  SÈAlfCB  POBUQUI. 

de  Saint-Gaudens,  ou  à  La  Roque,  dans  les  Hautes-Pyrénées) 
que  oe  cardinal  d*Ossat,  qui  fut  chargé  de  la  négociation  la 
plus  importante  de  tout  le  seizième  siècle»  puisque  ce  fut 
lui  qui  obtint  l'absolution  d'Henri  IV,  contre  lequel  le  Saint- 
Si^e  avait  lancé  l'anatbème.  Ce  qu'il  lui  fallut  pour  cela 
de  dextérité  et  de  constance  se  devine  facilement.  L'Espagne 
travaillait  alors  sans  relâche  à  empêcher  la  réconciliation  du 
roi  de  France  et  du  pape,  et  l'Espagne  tenait  la  papauté  enve- 
loppée d'un  double  lien.  Elle  était  maîtresse  d'une  grande 
partie  de  l'Italie,  et  elle  avait  été  dans  les  derniers  temps  le 
principal  soutien  de  l'orthodoxie  contre  les  progrès  de  l'hérésie, 
dont  Henri  IV  avait  été  le  champion  victorieux.  Ajoutons  que 
les  lettres  de  d'Ossat  ont  été  signalées  par  Fénelon  et  sont  en- 
core aujourd'hui  considérées  comme  des  modèles  du  style  di  • 
plomatique.  Nous  citons  ici  seulement  quelques  noms  hors 
ligne.  Dans  les  rangs  inférieurs  de  la  diplomatie,  la  capitale  du 
Languedoc  a  compté  nombre  de  ses  enfants  qui ,  chargés  de 
missions  importantes,  auraient  probablement  acquis  une  égale 
renommée.  Mais  l'homme  qui  fait  l'objet  de  ce  discours  doit 
occuper  parmi  eux  une  place  exceptionnelle.  Si  Dumouriez,  qui 
l'appelle  dans  ses  mémoires  le  plus  habile  politique  de  l'Eu- 
rope, a  été  son  ami  et  son  élève,  Hallet  du  Pan,  qu'on  ne 
peut  soupçonner  de  partialité  en  sa  faveur,  nous  apprend  dans 
les  siens  qu'il  passait  de  son  temps  pour  le  premier  publiciste 
de  France  (1).  De  Ségur  s'est  fait  l'antagoniste  de  son  système 
politique;  cependant  il  s'exprime  ainsi  sur  ses  écrits  diploma- 
«  tiques  :  <  Il  n'est  pas  étonnant  que  les  Mémoires  de  Faviei 
f  aient  eu  un  si  grand  succès;  leur  auteur  méritait  peut-être 
«  une  plus  grande  réputation  que  celle  dont  il  a  joui.  H  réunis- 
«  sait  deux  mérites  qui  se  trouvent  trop  souvent  séparés,  beau- 
c  coup  de  mémoire  et  beaucoup  d'esprit;  son  érudition  était 
«  vaste,  et  son  imagination  vive.  Nul  publiciste  n'a  tracé  avec 
c  plus  de  clarté  et  de  rapidité  le  tableau  de  la  situation  poli- 
«  tique  des  diverses  puissances  de  l'Europe.  Choisissant  avec 
c  habileté  tous  les  points  de  lumière,  et  omettant  avec  discer- 

0)  Mérnoim  rocoeiUb  par  Sayoos.  Piris,  4854,  S  ?ol.  iiH8«,  t.  D,  p.  479. 


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DISCOUBS   D  OUVERTURE.  7 

«   nement  tous  les  détails  inutiles  qui  rendent  la  politique 

<  fatigante  et  l'histoire  ennuyeuse,  il  rassemble  artistement 
c  les  grands  événements,  les  faits  importants  et  les  anecdotes 
c  caractéristiques  qui  peuvent  faire  connaître  les  intérêts  des 
c  différents  États,  les  causes  de  leur  force  ou  de  leur  faiblesse, 
c  de  leur  accroissement  ou  de  leur  décadence,  Torigine  de 
•  leurs  liaisons  ou  de  leurs  querelles;  et  son  pinceau  anime 
c  assez  vivement  tout  ce  qu'il  touche  pour  répandre  de  l'in- 

<  térét  sur  ce  chaos  d'intrigues  diplomatiques^  si  fastidieux 
c  pour  le  lecteur,  qui  s'y  perd,  et  si  obscur  pour  la  plupart 
c  des  écrivains  qui  prétendent  y  porter  la  lumière.  »  De  nos 
jours,  M.  Albert  Sorel,  dans  son  étude  sur  La  diplomatie  fran- 
çaise et  V Espagne  de  1792  à  1796,  dit  qu'il  a  été  c  le  grand 
théoricien  et  le  précepteur  de  la  diplomatie  de  la  Révolu- 
tion (1).  » 

Pourquoi  Favier  demeura-t-il  donc  dans  des  positions  subal- 
ternes, au  milieu  d'une  existence  mêlée  à  de  grands  événe- 
ments? Un  peu  par  la  faute  des  circonstances,  beaucoup  par 
la  sienne.  Son  Credo  politique^  opposé  aux  nouvelles  alliances 
que  la  cour  de  France  contracta  sous  Louis  XV,  fit  de  lui  un 
suspect ,  et  sa  vie,  bassement  dissipée,  lui  ôta  la  considération 
que  son  mérite  eût  pu  lui  valoir.  Il  nous  apparaît  donc  simple- 
ment comme  un  phénomène  curieux ,  analogue  à  ce  chevalier 
d'Eon,  auquel  il  fut  quelque  temps  associé  dans  la  correspon- 
dance secrète  organisée  par  Louis  XV  à  l'encontre  de  ses  minis- 
tres. Mais  comme  il  n'a  pas  porté  des  habits  de  fille,  à  l'exemple 
de  cet  aventurier  qui  parvint  à  duper  un  jour  Beaumarchais 
lui-même,  et  comme  aucun  récit  romanesque  n'a  circulé  sur 
son  compte ,  il  n'a  pas  trouvé  jusqu'ici  de  biographe. 

I 

Favier  était  né  à  Toulouse,  dans  les  premières  années  du 
«iix-huitième  siècle  ;  son  père  était  secrétaire  général  des  États 
du  Languedoc,  et  il  lui  succéda  lui-même  dans  cet  office  avant 

(4)  ilemi«  Mttofigtie^  ooTembreHlécembre  1879,  p.  304. 


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8  SÉANd   PCBLIOPE. 

l'âge  de  yingt  ans.  (Tétait  une  excellente  école  pour  un  apprenti 
diplomate.  Pour  conserver  le  peu  de  liberté  que  les  sires  aux 
fleurs  de  lis  avaient  bien  voulu  leur  laisser,  les  Etats  du  Lan- 
guedoc .avaient  besoin  d'unir  la  souplesse  à  la  fermeté.  Il  fallait 
qu'ils  sussent  imiter  le  roseau,  qui  ne  se  brise  point  parce 
qu'il  sait  plier  et  se  redresser  sans  effort.  Le  talent  d'insinuer 
ce  que  l'on  voulait  faire  accepter  était  le  seul  contre-poids  pos- 
sible au  devoir  de  l'obéissance.  Hais  l'amour  des  plaisirs  ne 
permit  pas  à  Favier  de  conserver  longtemps  le  modeste  et  hono- 
rable emploi  de  sa  jeunesse.  Il  fut  obligé  de  vendre  sa  charge. 
Dénué  de  ressources,  il  émigra,  je  veux  dire  qu'il  alla  cher- 
cher fortune  hors  de  sa  province.  La  diplomatie  l'attirait.  Au 
milieu  de  ses  désordres  mêmes,  il  était  capable  d'études  sérieu- 
ses. Il  connut  bientôt  les  secrets  de  la  politique  européenne  et 
donna  des  preuves  de  ses  connaissances.  La  Chétardie,  ambas- 
sadeur à  Turin ,  se  l'attacha  et  compléta  son  éducation.  Quand 
il  fut  mort,  Favier  passa  au  service  d'un  ministre,  le  comte 
d'Argenson.  Ce  fut,  dit-on^  ce  ministre  qui  lui  inspira  la  vive 
sympathie  qu'il  montra  désormais  pour  le  système  politique 
d'Henri  IV ,  de  Richelieu  et  de  Louis  XIV,  hostile  à  l'Autriche. 
Pourtant  ce  même  d'Argenson  proposa  plus  tard ,  en  1756,  de 
mettre  à  la  disposition  de  l'Autriche  contre  Frédéric  II  toute 
une  grande  armée  française,  au  lieu  des  vingt-quatre  mille 
hommes  que  le  traité  d'alliance  conclu  précédemment  avec 
cette  puissance  avait  promis  de  tenir  prêts  à  marcher  à  son  se- 
cours dans  le  cas  où  elle  serait  attaquée.  Il  est  à  remarquer 
que  Bemis,  dans  ce  même  conseil,  se  montra  peu  favorable 
à  cette  augmentation  du  contingent  fixé  par  une  convention 
antérieure.  Ajoutons  que  Choiseul,  qui  aggrava  la  situation  en 
pi-enant  à  Tégard  de  l'Autriche  de  nouveaux  engagements, 
n'avait  pas  dans  l'efficacité  de  Talliance  autrichienne  la  con- 
fiance que  sa  conduite  semble  indiquer.  On  en  trouve  la  preuve 
dans  une  lettre  diplomatique  du  34  décembre  1759  au  comte 
d'Ossun,  rapportée  par  Flassan,  dans  un  mémoire  de  1765, 
mentionné  par  Filon  (1);  enfin,  dans  une  énumération  de  maxi- 

(4)  L'Ambêitade  de  Ckoiteul  à  Viemme  eii'4757  ef  em  4758,  médire  l«  à  rAeadémie 


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DISCOURS   DOOVBRTURB.  9 

mes  politiques  formulées  par  lui  dans  un  moment  où  il  croyait 
à  tort  devoir  être  obligé  de  quitter  le  ministère,  où  se  trouve, 
entre  autres ,  le  passage  suivant  :  «  Regarder  l'alliance  avec 
€  TAutriche  comme  précaire  et  peu  naturelle ,  maintenir  au- 
<  tant  que  possible  équilibre  et  rivalité  entre  la  Prusse  et 
f  l'Autriche,  et  craindre  de  voir  prévaloir  Tune  ou  l'autre; 
c  ménager  la  cour  de  Turin,  alliée  indispensable  en  Italie,  où 
«  la  France  et  l'Autriche  se  trouvent  en  présence  (1).  »  Demis 
et  Choiseul  étaient  des  courtisans  qui  faisaient  ce  qui  conve- 
nait à  la  maîtresse,  mcerentes  laudantesque,  comme  ce  préfet  du 
prétoire  de  Néron,  dont  la  vertu  trop  souple  excitait  l'admira- 
tion de  Racine.  D'Argenson  fut  probablement  poussé  par  des 
considérations  analogues  à  mettre  parfois  de  côté  ses  propres 
sentiments  dans  les  délibérations  où  les  intérêts  de  l'Autriche 
étaient  en  jeu.  C'est  ainsi  qu'ayant  fait  composer  par  Favier  le 
mémoire  intitulé  :  Doutes  et  questions  sur  le  traité  de  Versailles, 
du  1*'  mai  1756,  dont  nous  reparlerons  tout  à  Theure  ,  il  n'osa 
pas  finalement  le  remettre  au  roi ,  auquel  il  l'avait  destiné.  Et 
cependant  le  valet  de  chambre  Lebel  lui  avait  offert  son  con- 
cours pour  déterminer  Louis  XV  à  prendre  connaissance  de 
l'œuvre  du  publiciste  toulousain.  C'était,  certes,  un  auxiliaire 
puissant  que  ce  Lebel,  auquel  appartenait  déjà  la  surintendance 
du  Parc-aux-Cerfs.  D'Argenson  recula  néanmoins  devant  l'idée 
d'une  lutte  avec  M"»®  de  Pompadour.  Il  garda  le  mémoire  de 
Favier  en  portefeuille,  et  n'évita  pas  pour  cela  la  disgrâce. 
Quant  à  Favier  qui,  sous  le  rapport  de  la  morale  privée,  n'avait 
rien  d'un  Caton,  il  faut  lui  rendre  cet  hommage,  l'inopportu- 
nité de  l'alliance  avec  l'Autriche  était  pour  lui  un  véritable 
article  de  foi.  Plutôt  que  de  prêter  son  concours  à  cette  politi- 
que déplorable,  ou  seulement  de  ne  pas  exprimer  librement 
son  avis  sur  elle,  il  eût  fait  les  plus  grands  sacrifices,  et  il  en 

des  sciences  morales  et  politiques  en  4  878.  Od  y  troure  en  particulier  la  phrase  suirante  : 
(t  Je  ne  discuterai  pas  dans  ce  mémoire  si  ralliance  que  Votre  Majesté  a  contractée  en 
«  4  757  était  bonne  quant  au  fond;  mais  quant  à  la  forme,  je  crois  pouroir  assurer  à 
«  Votre  Majesté  qu'au  moment  où  Ton  faisait  signer  un  traité  si  onéreux  pour  la  France 
«  et  si  utile  poui  la  cour  de  Vienne,  il  eût  fallu  stipuler  que  Votre  Majesté  entrerait  en 
«  possession  des  Pays-Bas.  » 

(4)  De  Barante,  Études  hisloiiques,  t.  1.  Paris,  4  858,  2  vol.  in-18.  « 


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10  SÉANCE   PUBLIQUE. 

fit  en  réalité  de  considérables.  C'est  par  là  qu'il  se  relève  à  nos 
yeux 9  car  il  nous  parait  avoir  donné  sur  cette  question  au  gou- 
vernement français  y  à  ses  risques  et  périls ,  des  conseils  aussi 
consciencieux  qu*éclairés. 

Je  n'ignore  pas  que  la  dernière  épithète,  tout  au  moins , 
trouvera  des  contradicteurs.  11  y  avait  dans  le  système  de  poli- 
tique extérieure  adopté  par  Louis  XV,  en  1756,  à  l'instigation 
de  M"»*  de  Pompadour,  un  côté  séduisant.  C'est  ce  système 
qu'adoptèrent  plus  tard  Napoléon  1*%  lorsqu'il  voulait  partager 
la  domination  de  l'Europe  entre  la  France  et  la  Russie,  et 
Napoléon  III  lorsqu'il  soutenait  le  système  des  grandes  agglo- 
mératûms.  La  France  et  l'Autriche  étaient^  sans  contredit,  les 
deux  puissances  prépondérantes  du  continent.  Formant  entre 
elles  une  alliance  étroite,  elles  avaient  chance,  ce  semblait,  de 
tout  entraîner  dans  leur  sphère.  La  France  n'avait  plus  à  crain- 
dre que  l'Autriche  soutint  l'Angleterre  par  des  diversions  sur 
le  continent;  de  plus  elle  avait  chance  de  devenir  maîtresse 
des  Pays-Bas,  auxquels  l'Autriche  tenait  peu.  Celle-ci,  à  son 
tour,  pourrait  étendre  sa  puissance  en  Allemagne  et  du  côté  de 
la  Turquie,  avec  l'appui  de  son  ancienne  rivale.  Alliées  ensem- 
ble, elles  feraient  la  loi  aux  autres  nations.  Voltaire,  dans  son 
Siéck  de  Louis  XV,  applaudit  à  cette  conception,  t  Le  par- 

<  lement  d'Angleterre,  dit-il,  appela  cette  union  monstrueuse; 
«  mais  étant  nécessaire,  elle  était  très-naturelle.  Le  traité  fut 
a  signé  à  Versailles  entre  Louis  XV  et  Marie-Thérèse.  L'abbé 
•  de  Bernis,  depuis  cardinal,  eut  seul  l'honneur  de  ce  fameux 
c  traité,  qui  détruisait  tout  l'édifice  du  cardinal  de  Richelieu,  et 
«  qui  semblait  en  élever  un  autre  plus  haut  et  plus  vaste  (1).  » 
M.  de  Staremberg,  ministre  autrichien,  représentait  précisé- 
ment sous  ce  jour  l'alliance  avec  sa  souveraine.  Il  ne  niait  pas 
qu'elle  ne  dût  changer  entièrement  le  système  du  cabinet. 
Hais,  suivant  lui,  ce  devait  être  d'une  manière  heureuse  et 
pour  le  simplifier  :  c  Au  lieu  d'une  foule  de  petits  alliés  altérés 
c  delà  soif  des  subsides  et  des  présents,  la  France  aurait  sur 

<  le  continent  un  allié  unique,  de  qui  elle   recevrait  des  se- 

(4)  ^ècU  de  Lom  XK,  ch.  xxxu. 


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DISCOOBS   d'oUVBRTUBB.  11 

«  cours  équivalents  à  ceux  qu'elle  lui  aurait  fournis.  La  France, 
t  dans  le  cours  d'une  guerre  de  terre,  pourrait  se  flatter  d'avoir 

•  le  dessus.  Les  vieilles  animosités  seraient  assoupies,  et  les 
c  deux  États  n'ayant  aucune  prétention  à  la  charge  l'un  do 

•  l'autre,  rien  ne  s'opposait  à  leur  étroite  liaison.  i>  Tout  cela 
était  spécieux,  et  l'on  pouvait  croire  tirer  de  grands  avantages 
de  l'intimité  avec  l'Autriche,  si  elle  devenait  réellement  l'alliée 
dévouée  qu'elle  promettait  d'être  (1J.  Mais  d'abord  il  était 
douteux  qu'elle  eût  à  cœur  de  tenir  à  ce  sujet  ses  engagement*^. 
En  fait,  elle  s'en  dispensa.  Eût-elle  été  parfaitement  sincère, 
on  n'était  pas  beaucoup  plus  sage  de  contracter  avec  elle  une 
étroite  liaison.  L'Autriche  pour  les  idées,  pour  la  fidélité  aux 
traditions  les  plus  surannées,  était  demeurée  aux  antipo- 
des de  la  portion  du  peuple  français  qui  n'admettait  pas  que 
l'immobilité  fût  la  première  loi  des  sociétés  humaines.  Son 
amour  pour  la  routine,  s'unissant  à  de  vieilles  rivalités,  la 
rendait  singulièrement  impopulaire  dans  notre  patrie.  On  sait 
l'admiration  qu'on  y  professa  pour  le  roi  de  Prusse,  alors 
même  qu'il  battait  nos  armées,  et  les  sentiments  contraires 
qu'on  y  nourrit,  dès  les  premiers  temps  du  règne  de  LouisXVI, 
pour  la  pauvre  Marie-Antoinette,  à  laquelle  on  ne  pouvait 
encore  reprocher  que  d'être  Autrichienne.  La  maison  d'Autri- 
che, étant  rentrée  en  possession  de  la  dignité  impériale,  joignait 
par  suite  à  de  grands  domaines  héréditaires  ces  titres  vaguef^, 
ces  droits  mal  définis  auxquels  elle  avait  eu  recours,  dans 
d'autres  temps,  pour  chercher  à  réaliser  sa  fameuse  formule. 
A,  E,  I,  O,  U,  Atistriae  est  imperare  orbi  universo.  Il  était  présu- 
mable  qu'elle  s'engagerait,  à  ce  sujet,  même  de  bonne  foi,  dans 
beaucoup  de  contestations.  La  France,  en  s'obligeant  à  la 
garantir  contre  les  suites  de  ces  entreprises,  l'enhardissait 
naturellement  à  en  entamer.  Est-il  prudent  de  se  porter  caution 
pour  une  personne  que  sa  position,  tout  aussi  bien  que  sesincli- 

(1)  Les  gazettes  qae  rAutriche  inspirait  paraissaient  croire  qae  la  France  lai  était 
redeTabie  de  sa  condescendance,  et  qu'elle  le  reconnaissait.  Celle  d'Utrecht  du  1 8  juin  4  756 
s'exprimait  ainsi  à  l'article  Parii  :  a  L'illustre  alliée  que  le  roi  acquiert  par  ce  traité  et, 
«  plus  encore,  la  grandeur  d'&me  et  le  cœur  magnaninne  de  cette  auguste  princesse  offrent 
«  un  Taste  cbamp  à  la  Terye  des  poëtes  et  à  l'éloquence  des  orateurs  !  » 


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1i  SÉANCE   PUBLIQUE. 

nations,  peut  entraîner  chaque  jour  dans  de  graves  affaires  (i)? 
A  moins  que  Ton  ne  veuille  Timiter  soi-même.  Alors  Tunion  que 
l'on  contracte  avec  elle  est  l'indice  de  déplorables  projets.  Si  la 
France  voulait  adopter  une  politique  d'aventures,  attaquer  ses 
voisins,  troubler  l'Occident,  son  rapprochement  de  l'Autriche 
pouvait  s'expliqner.  Mais  à  qui  s'attaquerait-elle?  L'Angleterre 
était  une  île,  et  l'Autriche  n'avait  aucun  secours  à  donner  aux 
Français  dans  une  guerre  maritime.  L'Espagne  était  une  alliée. 
L'Autriche  défendait  de  toucher  à  l'Italie  et  à  l'Allemagne. 
Former  sans  son  aveu  quelque  projet  d'agrandissement  aux 
dépens  d'un  de  ces  deux  pays,  c'était  en  quelque  sorte  lui 
déclarer  la  guerre.  Il  ne  restait  que  la  Hollande,  et  même  la 
Hollande  était  couverte  par  l'Allemagne  et  par  les  Pays-Bas 
autrichiens.  On  voit  combien  peu  de  portée  pratique  avait  le 
nouveau  système,  dans  le  cas  même  où  la  France  eût  nourri 
quelques  velléités  d'ambition.  Était-ce  la  peine  de  jeter  l'inquié- 
tude dans  les  petits  États,  auquel  le  patronage  de  la  France 
semblait  si  naturel  qu'ils  y  étaient  retournés  en  1748,  le  len- 
demain do  la  paix  d'Aix-la-Chapelle?  La  victoire  de  l'Autriche 
sur  Frédéric  II  les  eût  perdus  et  eût  porté  un  coup  fatal  à  la 
France  elle-même.  Les  Français,  à  vrai  dire,  avaient  un  sentî- 


(1)  C'est  là  ce  qae  ne  me  parait  pas  aTotr  assez  compris  de  Ségar,  qoi,  daos  son 
livre  intitulé  :  Pditique  det  cabinets  de  VEurope,  a  tenté  de  réfuter  Favier.  Dans  son  opi- 
nion, le  traité  de  1756  n'était  nullement  mauvais  en  soi.  Maintenu  sous  Louis  X\l,  il  a 
produit  les  meilleurs  résultats.  La  France  lui  a  dû  le  succès  de  la  guerre  qu'elle  fit  sous 
ce  prince  en  faveur  des  États-Unis  de  l'Amérique;  l'Europe  lui  a  dû  la  paix  dont  elle 
jouit  quelque  temps.  De  Ségur  oppose  à  Favier  le  témoignage  de  Vergennes ,  contenu 
dans  un  Mémoire  adressé  au  roi  en  4784,  et  la  conduite  de  ce  ministre,  qui,  sans  rompre 
l'alliance  de  1 756,  sut  empêcher  les  Autrichiens  de  s'emparer  de  la  Bavière,  et  protéger 
l'Empire  ottoman  et  la  Prusse  elle-même  contre  l'ambition  de  l'empereur  Joseph  II.  Il 
me  parait  douteux,  je  l'avoue,  que  la  manière  d'agir  du  gouvernement  français  dans  l'af- 
faire de  Bavière  ait  été  parfaitement  conforme  aux  stipulations  de  1 766.  Quand  Frédéric  H 
envahit  la  Bohème,  avant  le  traité  de  Tescben,  la  France  eût  dû  prêter  à  l'Autriche  un 
secours  de  vingt-quatre  mille  hommes,  car  l'article  7  du  traité  portait  que  ce  secours  de- 
vrait être  fourni  sur  la  réquisition  de  ceUe  des  deux  parties  qui  se  trouverait  attaquée  ou 
menacée  d*une  intxision  dans  ses  possessions.  Mais  est-il  un  seul  traité  dont  on  ne  puisse 
éluder  les  obligations,  sous  prétexte  de  les  interpréter?  Et  n'est-ce  pas  la  crainte  de 
violer  les  conditions  de  l'alliance  qui  détermina  Louis  XVI  à  payer  en  partie  avec  l'ar- 
gent français  le  désistement  de  Joseph  II  à  son  projet  de  se  faire  ouvrir  de  force  les 
bouches  de  TEscaut  par  la  Hollande  ? 


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DISCOURS    d'oUVBRTORB.  13 

ment  exact  de  l'effet  déplorable  que  pouvaient  produire  nos 
triomphes  et  ceux  de  notre  alliée  en  Allemagne,  lorsqu'ils  mon- 
traient un  calme  qui  nous  semble  par  trop  philosophique  à  la 
nouvelle  de  nos  défaites  et  se  réjouissaient  hautement  de  celles 
de  l'Autriche  (1). 

Ces  réflexions  justifient  l'altitude  que  Favier  prit  au  moment 
où  la  guerre  de  Sepl-Ans  commença.  Nous  avons  dit  qu'il  écri- 
vit alors  un  ouvrage  intitulé  :  Doutes  et  questions  sûr  le  traité  de 
Versailles  entre  le  roi  de  France  et  V impératrice-reine  de  Hongrie. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  dans  quel  sens.  Il  n'en  était  pas  à 
son  début  en  fait  d'œuvres  politiques.  Ainsi,  en  1748,  il  avait 
fait  paraître  un  Essai  politique  et  historique  sur  le  gouvernement 
présent  de  la  Hollande.  Les  Nouvelles  littéraires  de  Raynal,  qui  y 
»léclaraient  le  style  languissant,  la  narration  embarrassée,  l'or- 
donnance confuse,  ne  pouvaient  s'empêcher  pourtant  de  rendro 
hommage  à  la  connaissance  profonde  que  l'auteur  y  montrait 
des  intérêts  de  l'Europe.  Il  avait  été  moins  heureux  dans  un 
autre  ouvrage  de  longue  haleine  :  Les  mémoires  récents  du  duc 
de  Bolingbroke,  traduits  de  l'anglais,  avec  des  notes  historiques.  Il 
s'agissait  d'initier  le  public  français  au  gouvernement  et  à  la 
politique  des  Anglais,  en  lui  présentant  le  tableau  de  l'Angle- 
terre à  l'époque  où  sa  grande  révolution  avait  pris  fin  par 
l'avènement  de  la  maison  de  Hanovre  et  le  triomphe  définitif 
des  whigs  sur  les  torys.  Favier  n'y  a  pas  réussi.  Tout  instruit 
qu'il  fût,  il  n'avait,  sur  le  génie  de  nos  voisins,  sur  leur  his- 
toire et  sur  leurs  institutions,  que  des  notions  fort  incomplè- 
tes (2).  Les  Doutes  et  questions  sur  le  traité  de  Versailles  avaient 

(4  )  Ud  certain  Garaccioli  disait,  peut-être  aTec  quelque  raison,  que  c'était  le  bon  génie 
de  la  Franco  qui  lui  avait  fait  perdre  la  bataille  de  Rosbach.  Vergennes  n'est  pas  loin  de 
montrer  qu'il  partage  cette  opinion  dans  son  Mémoire  à  Louis  ÎVI,  précédemment  cité  : 
»  Où  en  serait  la  France  aujourd'hui,  dit-il,  si  les  efforts  monstrueux  auxquels  elle  s'était 
«  livrée  pendant  la  guerre  qui  a  fini  en  1763,  avaient  eu  l'effet  qu'on  s'en  promettait 
<c  infailliblement?  Le  roi  de  Prusse  écrasé,  sa  puissance  anéantie,  la  France  se  trouvait 
u  réduite  à  l'humiliante  alternative  on  de  n'avoir  pas  d'alliés  dans  l'Empire,  ou  de  subir 
K  la  loi  que  son  allié  précaire  aurait  voulu  lui  imposer.  »  (De  Ségur,  Politique  des  cabi- 
nets de  VEurope,  t.  III,  pp.  199,  200.  Paris,  1824,  3  vol.  in-8<».) 

(2)  M.  Ch.  de  Rémusal,  l'Angleterre  auXVITI*  siècle,  t.  I,  p.  114,  s'exprime  ainsi 
sur  cet  ouvrage  :  <c  Favier  traduisit,  sous  le  titre  de  Mémoires  secrets  de  Mylo^d  Bolingbrohe, 
et  une  lettre  apologétique  où  cet  homme  d'État  explique  sa  conduite  comme  *'  hv  f^on-^ 


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H  SÉANCE  PUBLIQUE. 

une  toute  autre  portée.  Ils  eurent  certainement  sur  Topinion 
une  assez  grande  influence,  et  elle  dura  longtemps.  En  1792, 
Roland  le  répandait  dans  le  public  aux  frais  du  Trésor.  Une 
quittance,  datée  du  3  septembre,  montre  qu'une  somme  de 
571  livres  avait  été  consacrée  à  cet  usage  par  le  célèbre  giron- 
din, alors  ministre  de  Tinlérieur  (1).  Favier  avait  alors  de- 
puis longtemps  cessé  d'exister.  Aucun  des  écus  qu'un  gouver- 
nement républicain  dépensa  pour  rendre  à  son  livre  une 
circulation  active  ne  passa  par  ses  mains  prodigues.  Mais  cet 
ouvrage  lui  valut  alors  une  recrudescence  de  célébrité.  Il  eut 
aussi  un  effet  que  son  auteur  n'avait  certes  pu  prévoir  et  que 
le  ministre  girondin  attendait.  Il  augmenta  la  haine  qu'on 
portait  à  c  l'Autrichienne  »  et  à  sa  famille,  à  laquelle  la 
France  venait  de  déclarer  la  guerre.  Les  résultats  de  l'alliance 
avec  cette  maison,  que  les  patriotes  maudissaient,  y  avaient 
été  présentés  d'avance  sous  les  couleurs  les  moins  flatteuses. 
Favier  avait  parlé  en  Jérémie  de  la  diplomatie,  le  jour  où 
avait  été  commise  la  grande  faute  de  s'unir  à  Marie-Thérèse  et 
à  sa  dynastie.  On  trouvait  qu'il  avait  été  inspiré,  et  l'on  parta- 
geait les  sentiments  qui  lui  avaient  dicté  des  pages  destinées  à 
Louis  XV,  mais  qui,  grâce  à  la  Révolution,  étaient  devenues 
une  partie  du  bréviaire  des  ennemis  de  la  monarchie. 

Quand  je  dis  que  Favier  avait  parlé  en  Jérémie  de  la  diplo- 
matie, je  ne  veux  pas  prétendre  que  son  œuvre  sur  les  incon- 
vénients et  les  dangers  de  l'alliance  autrichienne  fût  écrite  en 
style  biblique.  Ce  qui  la  distingue,  au  contraire,  c'est  la  net- 
teté, la  simplicité  de  la  forme,  l'exposition  méthodique  des 
faits,  leur  enchaînement  logique  et  la  finesse  des  aperçus.  Il 
est  possible  que  Favier  ait  mérité  quelques-uns  des  reproches 
que  lui  adresse  son  commentateur  (2),  qu'il  se  soit  trop  atta- 

«  Tient.  FaTÎer  était,  comme  on  sait,  an  publiciste  *Je  profession.  Il  faisait  pour  Louis  XV 
•t  et  pour  ses  ministres  des  mémoires  sur  les  cours  de  TEurope,  et  il  a  été  le  mattre  de 
«  Dumouriez.  Cependant  il  n'a  pas  Tair  de  s'être  rendu  un  compte  bien  lumineux  des 
«  affaires  de  U  cour  de  Saint-James,  et  ce  qui  est  public  en  Angleterre  est  encore  resté 
«  pour  lui  un  secret  d'ÉUt.  » 

(4)  Méouriret  de  M«^  Roland,  appendice  au  t.  Il,  éd.  Barrière,  p.  359. 

(2)  De  Sé^ur,  PoUUqae  des  cabinets  de  l'Europe,  t.  m,  passùn  (le  h  pagi'  2:U  \  \c 
page  377;. 


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DiscouES  d'outerturb.  16 

ché,  par  exemple,  à  un  système  politique  routinier  et  qu'il  ait 
trop  souvent  imputé  au  traité  de  1756  ce  dont  le  gouvernement 
qui  l'exécuta  doit  seul  être  rendu  responsable.  Mais  que  de  re- 
marques pleines  de  justesse!  L'article  1^'  de  la  section  11, 
où  se  trouve  traitée  cette  question  :  «  Le  traité  défensifd'al- 
<  liance  et  d'amitié  est-il  ou  peut-il  devenir  avantageux  pour 
•  la  France  et  pour  sa  sûreté?  >  est,  en  particulier,  digne 
d'être  considéré  comme  un  modèle.  On  y  voit  combien  peu  la 
France  pouvait  compter  sur  l'accomplissement  des  engagements 
de  sa  nouvelle  alliée  et  combien  peu  elle  avait  eu  besoin  que 
rAutriche  les  prit  à  son  égard.  Le  risque  d'être  attaquée  était 
pour  elle  ou  nul  ou  presque  nul.  Quant  à  l'Autriche,  Favier 
nous  la  montre  entourée  d'une  multitude  d'ennemis  contre 
lesquels  elle  pourra,  à  un  jour  donné,  requérir  la  France  de 
venir  à  son  secours.  La  Hollande  est  en  litige  avec  elle  sur 
certains  points  et  pourra  menacer  ses  Pays-Bas.  La  Gueldre  et 
la  Silésie  autrichienne  ont  dans  la  Prusse  un  voisin  remuant 
et  actif.  La  Bavière  est  pour  la  province  d'Autriche  une  me- 
nace permanente;  la  Saxe  l'est  pour  la  Bohème  ;  sur  les  fron- 
tières de  la  Hongrie  habitent  les  Turcs.  Depuis  plus  de  trois 
cent  soixante  ans,  la  moitié  du  temps  s'est  passée  en  guerres 
entre  eux  et  l'Autriche.  Or,  chez  les  Turcs,  rien  ne  change, 
religion,  mœurs,,  gouvernement,  génie  national,  tout  reste  sur 
l'ancien  pied,  et  l'on  peut  tirer  de  là  cette  conséquence  que 
sur  cent  ans  il  y  aura  cinquante  ans  de  guerre  et  cinquante 
ans  de  paix;  d'où  il  suivra  que  dans  un  siècle  la  France,  aux 
termes  du  traité,  sera  obligée  d'entretenir,  pendant  cinquante 
ans,  vingt-quatre  mille  hommes,  à  quatre  ou  cinq  cents  lieues, 
pour  le  service  de  son  alliée,  ou  de  payer  comme  équivalent 
cinquante  années  d'un  subside  de  8,640,000  livres.  En6n,  en 
Italie,  la  Sardaigne  et  Naples  ne  peuvent-elles  pas  s'unir  con- 
tre rem|>ereur,  avec  ou  sans  le  secours  de  l'Espagne?  Conclu- 
sion :  •  Tout  l'avantage  qui  résulte  du  traité  de  1756  est  pour 
l'impératrice,  toute  la  charge  pour  la  France,  etc  etc.  »  Tout 
cela  n'était  que  trop  vrai. 


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16  SÉANCE    PUBLIQUE. 


u 


Le  mémoire  sur  le  traité  de  Versailles  était  composé  depuis 
un  mois  à  peiiie  quand  d'Ârgenson  cessa  d'être  ministre;  sa 
chute  amena  la  destitution  de  Favier.  La  révocation  fut  infligée 
à  ce  dernier  en  apparence  pour  des  motifs  tout  à  fait  différents 
de  celui  qui  en  fut  réellement  la  cause,  je  veux  dire  de  sa 
hardiesse  à  contester  les  avantages  d'un  pacte  auquel  M*"*  de 
Pompadour  avait  déterminé  Louis  XV.  Il  ne  donnait  que  trop 
prise  contre  lui  par  ses  mœurs.  Sans  cesse  assailli  par  des 
créanciers,  il  avait  recours  souvent  à  des  moyens  peu  estima- 
bles pour  acquérir  un  argent  qu'il  destinait  d'abord  à  satisfaire 
les  plus  pressés.  Hais,  à  peine  avait-il  gagné  quelques  écus,  il 
oubliait  que  cet  argent  ne  devait  pas  lui  appartenir,  et  il  se 
hâtait  de  le  dépenser  en  festins  ou  en  orgies.  Un  fait,  cité  par 
Marmontel  (1),  vous  donnera  l'idée  de  cette  vie  si  pleine  ^e 
désordre,  à  laquelle  se  joignait,  d'ailleurs,  un  caractère  très 
sociable  et  beaucoup  de  générosité. 

«  En  passant,  le  matin,  par  la  Comédie  française,  dit  l'écri- 
vain, je  m'entendis  appeler  du  haut  d'un  second  étage. 
C'était  un  Languedocien  nommé  Favier,  fort  connu  depuis, 
qui,  de  sa  fenêtre,  m'invitait  à  monter  chez  lui.  Je  monte, 
et,  dans  sa  chambre  autour  d'une  table  couverte  d'huitres, 
je  trouve  cinq  ou  six  Gascons,  c  Mon  ami,  dit-il,  une  petite 
incommodité  m'oblige  à  garder  la  chambre.  Ces  messieurs 
veulent  bien  m'y  tenir  compagnie.  Nous  déjeunons  ensem- 
ble; déjeunez  avec  nous.  »  Sa  petite  incommodité  était  une 
sentence  des  consuls  qui  portait  contrainte  par  corps.  Favier 
était  noyé  de  dettes;  mais  comme  il  avait,  ce  jour-là,  crédit 
chez  le  marchand  de  vin,  le  boulanger  et  l'écaillère,  il  nous 
donnait  des  huîtres  et  du  vin  de  Champagne  aussi  ample- 
ment et  aussi  gaiement  que  s'il  avait  été  dans  l'opulence. 
L'insouciance  d'un  sauvage  avec  la  plus  profonde  dissolution 

(I)  Mémoires,  p    108.  ParU,  1846,  in-18  * 


/ 


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DISCOURS  d'oovertorb.  17 

€  de  mœurs  formait  le  caractère  de  cet  homme,  d'ailleurs  aî- 
c  mable,  plein  d'esprit  et  de  connaissances,  parlant  bien  et 
<  Taciiement,  doué  du  talent  des  affaires,  et  tel  qu'avec  moins 
c  d'indolence  et  moins  d'abandon  de  lui-même,  il  eût  été  ca- 
c  pable  de  remplir  les  plus  grands  emplois.  Je  le  fréquentais 
f  fort  peu,  mais  il  m'intéressait  par  sa  franchise,  sa  gaieté, 
c  son  éloquence  naturelle  et,  puisqu'il  faut  le  dire,  par  cet 
c  épicurisme  qui,  chez  lui,  comme  dans  Horace,  avait  un  at- 
c  trait  dangereux.  0 

Ajoutons,  pour  compléter  le  récit,  qu'un  des  cinq  Gascons 
avec  lesquels  Marmontel  mangea  les  huîtres  de  Favier  escro- 
qua au  futur  auteur  de  Bélisaire  le  pécule  par  lui  délicieuse- 
ment caressé,  qu'il  avait  apporté  à  Paris  du  fond  de  sa  pro- 
vince. Favier  eût  été  personnellement  incapable  d'un  tel  acte 
d'indélicatesse.  Mai.s  on  voit  de  quels  hommes  il  faisait  sa  so- 
ciété. Il  n'était  donc  pas  difficile  de  trouver  contre  lui  des 
griefs.  L'abbé  Bernis  l'éloigna  du  bureau  des  affaires  étrangè- 
res: Ghoiseul  ne  l'y  rappela  pas,  il  s'en  faut  de  beaucoup. 
Mais  en  même  temps  il  mit  sa  plume  à  contribution.  Favier 
faisait  pour  le  ministre  des  mémoires  qu'il  vendait  le  plus  cher 
possible.  Il  ne  manquait  pas  de  hardiesse,  et  quand  il  était 
mécontent  de  la  rétribution  qui  lui  était  accordée,  il  menaçait 
de  dire  dans  les  cafés  et  les  sociétés  privées  que  ces  mémoires 
étaient  son  œuvre  et  qu'on  les  lui  avait  volés  (i).  La  menace 
produisait,  à  ce  qu'il  semble,  son  effet.  On  voit  par  là  com- 
bien le  talent  de  Favier  l'avait  rendu  nécessaire.  On  voit  aussi 
quel  effroi  les  conversations  de  café  inspiraient  aux  membres 
les  plus  élevés  du  gouvernement  de  Louis  XV. 

Ces  établissements  d'importation  anglaise^  qui  avaient  pris 
leur  premier  essor  sous  la  Régence,  étaient,  en  effet,  devenus,  à 
Paris  tout  au  moins,  l'une  des  grandes  voies  par  où  l'opinion, 
cette  puissance  si  formidable  en  France  au  dix-huilième  siècle, 
marchait  à  la  conquête  du  royaume.  Les  journaux  n'existant 
guère  encore  qu'à  l'état  de  littérature  officielle  (2),  c'était  par 

(4)  Mallet  daPan,  Mimoint,  pp.  479-80. 

{%)  Favier  collaborait  à  l'un  d'eax,  le  Journal  étranger.  Voie,  snr  ce  journal,  Hali-  , 
HitUdre  de  la  presse  en  France,  Paris,  i  859,  t.  III,  pp.  92-96. 

8«  SKBiB.   —  TOMB  III,   2.  2 


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f6t  StkJXCJH  QOBLIQUB. 

eux  principalement  qfje  se  propageaient  ces(  bruits,  ces  aspira- 
tions».ces  principes,  qpe  le  gouvernement  avait  intérjèt  à  répan- 
dre ou  à  détruire.  Au  temps  où  Mqutesquieu  écrivit,  les  Lettres 
persanes^  la  question  des  anciens  et  des  modernes  n'y  avait-elle 
pas  suscité  de  vifs  débats?  Cette  question  n'était  pas  aussi 
étrangère  à  la  politique  qu'on  peut  le  supposer  aujpurd'hui. 
Les  partisans  des  modernes  étaient  les  champions  du  progrès, 
leurs  adversaires  plagient  l'âge  d'or  dans  le  passé  et  s'accommo- 
daient volontiers  de  l'âge  d'airain,  de  peur  d'un  pire.  Favier 
s'était  fait  des  cafés  une  espèce  de  tribune;  il  y  discutait  de  la 
pièce  nouvelle,  y  lisait  desépigrammes  en  vers  assez  piquantes, 
mais  où  la  prosodie  n'était  pas  toujours  respectée  (1),  et  surtout 
il  y  discutait  les  questions  à  l'ordre  du  jour  dans  la  politique 
courante,  conservant  son  franc-parler  sur  les  hommes  et  sur  les 
choses,  sans  craindre  la  Bastille,  qu'il  devait  mieux  connaître 
plus  tard.  On  le  ménageait,  parce  qu'on  avait  besoin  de  sa 
plume.  Mais  quand  sa  présence  devenait  trop  gênante,  ou  cher- 
chait pour  l'éloigner  quelque  prétexte  honorable. 

Si  j'en  crois  la  Biographie  toulousaine^  Choiseul  l'aurait  ainsi 
employé  dans  plusieurs  missions  secrètes,  soit  en  Russie,  soit 
en  Espagne,  et  il  y  aurait  été  exposé  à  de  très  grands  dangers  : 
c  Suite  ordinaire,  ajoute  le  biographe,  du  dévouement  des  infé- 
<  rieurs,  toujours  dupes  des  chefs  qui  les  font  agir,  et  qui, 
c  retirant  tous  les  avantages  des  affaires,  ne  leur  en  laissent 
c  que  les  périls  et  les  désagrépientç.  »  Favier  fut-ii  dans  cette 
période  de  sa  vie  un  nouveau  Belléropbon  ?  Je  ne  sais.  M.  de 
Broglie  (2)  dit  qu'il  s'éloigna  de  lui-même  après  la  paix  de 
Paris,  et  passa  la  fin  du  ministère  de  Choiseul  en  Belgique,  en 

(4)  Témoin  la  saiTante  à  propos  do  Xerxèt  de  CrébilloD  : 

Arrêt  que  contre  Grébillon 

Au  billon 
A  rendu  au  sacré  Tftlloo 

Apollon  ; 
Après  CatUina  joaé, 

Bafoué  ; 
Mais  après  XaroDèt  imprimé. 

Assommé. 

(5)  U Secnt  du  roi,  t.' Il,  p.  403. 


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DISCODRS   D*OUVERT0RE.  19 

Hollande  et  en  Allemagne,  faisant  de  la  diplomatie  en  amateur. 
Mais  cette  absence  volontaire  dut  être  beaucoup  plus  courte 
que  l'historien  ne  le  prétend.  Avec  quels  revenus  aurait-il  pu 
subsister  pendant  ce  temps-là,  lui  qui  ne  vivait  que  grâce  aux 
tributs  qu'il  prélevait  sur  le  ministère,  en  échange  des  services 
que  celui-ci  lui  demandait?  En  tout  cas,  Favier  était  à  Paris 
dans  les  derniers  mois  de  1763;  car  c'est  alors  qu'il  composa 
son  mémoire  sur  la  Corse  dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure, 
et  plus  tard  il  contribua  à  la  chute  de  Choiseul  par  les  mémoires 
qu'il  fit  pour  le  compte  du  duc  d'Aiguillon  ;  ses  sympathies  pour 
la  Prusse  s'étaient  accrues  dans  l'intervalle.  Il  était  entré  en  rela- 
tion avec  le  prince  Henri,  frère  de  Frédéric  II,  et  peut-être  en 
tira -t- il  quelque  argent,  en  échange  de  correspondances  où  il 
l'entretenait  des  événements  et  des  intrigues  diplomatiques  du 
temps.  Le  prince  Henri  désirait  pour  son  pays  Talliance  fran- 
çaise (1).  On  sait  quel  prix  Favier  attachait  déjà  auparavant 
pour  le  sien  à  l'alliance  prussienne.  Ce  dernier,  supposant  sans 
doute  que  la  cour  de  Prusse  était  tout  entière  animée  de  l'es- 
prit du  prince  Henri,  se  pénétra  chaque  jour  davantage  de 
ridée  que  le  relèvement  du  royaume  dépendait  de  l'union  de 
la  France  avec  les  vainqueurs  de  Rosbach.  Choiseul,  ébranlé  par 
l'avènement  d'une  nouvelle  favorite,  cherchait  précisément  alors 
dans  le  resserrement  des  liens  qui  unissaient  la  France  à  l'Autri- 
che un  moyen  de  se  consolider  lui-même,  et  l'un  de  ses  derniers 
actes  fut  le  mariage  de  l'aîné  des  petits-fils  de  Louis  XV  avec  une 
fille  de  Marie-Thérèse.  Favier  crut  d'autant  plus  faire  une 
œuvre  méritoire  en  contribuant  à  le  renverser.  L'anecdote  sui- 
vante prouve  qu'il  ne  nourrissait  contre  lui  aucune  haine  per- 
sonnelle. Choiseul,  disgracié,  lui  dit  un  jour  :  c  Favier,  vous 
avez  écrit  contre  moi.  —  C'est  vrai,  monsieur  le  duc,  répondit- 
il,  mais  vous  étiez  alors  en  place.  > 
La  France  avait  acquis  la  Corse  sous  le  ministère  de  Choiseul, 

(4)  Bâcher,  agent  de  la  républiqae  en  Suisse,  en  4794,  dans  une  de  ses  comroonica- 
tions  aa  Comité  de  saint  public  datée  da  S4  frimaire  an  m,  appelait  le  prince  «  le  pro- 
tecteur-né de  tous  les  Français.  »  Albert  Sorel,  La  paix  de  Bâk,  RoTue  historique,  t.  Y, 
p.  S73,  note.  —  Ce  fut  ce  même  prince  Henri  qui,  dit-on,  détermina  le  roi  de  Prusse, 
son  neveu,  à  conclure  la  paix  de  Bàle  avec  la  France. 


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20  SÉANCE  PUBLIQOB. 

et  c'est  là  son  meilleur  titre  aux  hommages  des  Français.  Un 
mémoire  de  Favier  joua  peut-être,  relativement  à  cette  con- 
quête, le  rôle  que  le  verre  d*eau  répandu  par  la  duchesse  de 
Malborough  sur  une  dame  d'atours  do  la  reine.Anne  joua  pour 
terminer  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne. 

Nous  pouvons  faire  ici  appel  à  un  ouvrage  intéressant,  les 
Mémoires  de  Dumouriez. 

On  sait  que  les  démôles  de  la  Corse  et  des  Génois,  auxquels 
elle  a eait  appartenu,  furent  un  des  faits  qui  donnèrent  le  plus 
d'occupation  au  gouvernement  français  sous  les  ministères  de 
Fleury  et  de  Choiseul.  Paoli  était  à  la  tète  du  parti  anligénois, 
qui  était  en  môme  temps  le  parti  antifrançais.  Dumouriez, 
ami  de  Favier,  qui  était  allé  servir  en  Corse  et  s'était  vu  suc- 
cessivement repoussé  par  les  Génois  et  par  Paoli,  s'était  attaché 
à  un  troisième  parti,  à  la  tôte  duquel  était  la  famille  des  Ab- 
battucci.  Ce  dernier  visait  à  l'indépendance  de  l'ile,  mais  dési- 
rait en  môme  temps  se  maintenir  dans  l'alliance  française,  et 
Dumouriez  s'était  chargé  d'ôtre  l'interprète  de  ses  vœux  auprès 
de  Choiseul.  Précisément  alors,  Favier  soutenait  auprès  du  mi- 
nistre la  cause  des  Génois.  Et  môme  il  travaillait  à  leur  faire 
accorder  de  nouveaux  subsides  et  à  resserrer  les  liens  qui  unis- 
saient la  France  avec  eux.  Ses  motifs,  à  ce  qu'il  semble, 
n'étaient  pas  des  plus  purs,  et  la  politique  y  avait  peu  de  part. 
L'espoir  de  gagner  500  louis  l'avait  acquis  aux  anciens  domi- 
nateurs de  la  Corse,  et  il  n'en  fallait  pas  davantage,  quand  il 
s'agissait  de  questions  à  son  gré  secondaires,  pour  tourner 
dans  un  sens  ou  dans  un  autre  les  sympathies  et  la  plume  de 
cet  homme  d'ailleurs  si  bien  doué  sous  le  rapport  de  l'intelli- 
gence. 

Il  s'était  donc  mis  à  la  solde  du  marquis  de  Sorba,  ministre 
de  Gônes  à  Paris,  pour  lequel  il  composait  un  mémoire  dont  le 
prix  avait  été  fixé  à  la  somme  ci-dessus  indiquée.  Avec  lui 
marchaient  d'accord  le  fameux  comte  Jean  du  Barry,  Toulou- 
sain lui-môme,  cette  Jeanne  Vaubernier,  sa  maîtresse  et  future 
belle-sœur,  dont  il  sut  faire  la  maîtresse  de  Louis  XV,  et  la 
comtesse  de  Grammont,  sœur  de  Choiseul.  La  dernière  était 
entraînée  par  une  femme  de  chambre  notnmée  Julie,  à  la'^fuell^ 


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DISGOITBS   d'oOTERTUBE.  21 

le  marquis  de  Sorba  avait  promis  une  fprle  recompense.  La 
perspective  do  réaliser  quelques  petits  profits  dans  les  fourni- 
tures de  l'armée  de  Coi*se  avait  suffi  pour  rendre  les  Génois 
chers  à  Jeanne  Vaubernier  et  à  son  futur  beau-frère,  avec  lequel 
Favier  n'était  pas  sans  liaison.  Mais^  d'un  autre  côté,  le  maré- 
chal de  Duras  soutenait  les  intérêts  de  la  Corse  pour  des  rai- 
sons du  même  genre,  c  Ainsi  se  faisaient  les  affaires  de  la 
France  >,  dit  Dumouriez  auquel  nous  devons  cet  épisode  hon- 
teux d'une  histoire  honteuse. 

Les  uns  intriguaient  donc  pour  déterminer  Choiseul  à  sacri- 
fier la  Corso  aux  Génois,  les  autres  pour  le  décider  à  leur  re- 
fuser désormais  son  concours.  Favier  promit  100  louis  à  Du- 
mouriez, s'il  voulait  bien  coopérer  à  son  mémoire.  Dumouriez 
resta  inaccessible  à  la  corruption,  comme  un  héros  de  Plutar- 
que.  Il  vit  Choiseul,  lui  communiqua  un  plan  de  république 
corse  et  parvint  à  l'ébranler.  Il  avait  compté  sans  le  mémoire 
de  Favier  et  sans  les  autres  arguments  dont  le  parti  génois  sut 
se  servir  pour  en  appuyer  les  conclusions.  Choiseul  le  re- 
pousse, revient  à  lui,  puis  le  repousse  encore,  cette  fois  avec 
violence.  Le  parti  génois  triomphe  d'une  manière  définitive. 
Favier  eut  ses  500  écus.  Mais,  en  ennemi  généreux,  il  en  aban- 
donna une  part,  à  la  vérité  légère,  à  Dumouriez.  c  Tes  mau- 
f  vais  desseins  ont  échoué,  lui  écrivait-il  en  lui  envoyant  son 
•  porte-manteau,  j'ai  reçu  cent  louis  acompte.  Ton  porte-man- 
c  teau  sera  dans  quatre  jours  à  Mons.  Le  roi  de  France  ne 
«  venge  pas  les  injures  du  duc  d'Orléans.  Fouille  dans  les  po- 
c  ches  de  ton  uniforme.  »  Dumouriez  y  trouva  10  louis.  Choi- 
seul envoya  en  Corse  le  marquis  de  Marbeuf  avec  7,000  hom- 
mes, puis  Cbauvelin  avec  5,000,  puis  d'autres  renforts.  La 
Corse  fut  achetée  à  Gènes  et  conquise  ;  Napoléon  Bonaparte  y 
naquit  et  fut  réputé  Français.  Ne  pourrions-nous  pas,  Mes- 
sieurs, pousser  ici,  après  tant  d'autres,  quelques  exclamations 
sur  l'étrange  enchaînement  de^  choses  humaines?  Si  l'appât  de 
500  écus  n'avait  pas  dicté  à  un  aventurier  toulousain  un  mé- 
moire contre  le  projet  de  favoriser  la  liberté  des  Corses,  peut- 
être  les  Français  n'auraient-ils  pas  connu  l'Empire,  ses  gran- 
deurs et  ses  misères.  Peut-être  leurs  armées  ne  seraient-elles 


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22  SÉANCE  PUBLIQUE. 

jamais  entrées  dans  Vienne,  dans  Berlin,  dans  Moscou.  Mais 
peut-être  aussi  Paris  n'aurait-il  pas  vu  trois  fois  l'ennemi  dans 
ses  murs,  et  nos  frontières  seraient-elles  celles  de  l'ancienne 
Gaule  i 

Disons  pourtant  que  Favier  ne  considéra  pas  comme  un  évé- 
nement heureux  pour  la  France  l'annexion  de  la  Corse  accom- 
plie bientôt  par  Choiseul.  Il  ne  semble  pas  que  la  conquête  de 
cette  ile  par  les  Français  ait  été  à  ses  yeux  un  acte  de  saine 
politique.  Plusieurs  passages  de  son  liyi'e  intitulé  :  Conjectures 
sur  la  situation  actuelle  de  la  France,  ne  permettent  aucun  doute 
à  cet  égard  (1). 


m 


Nous  arrivons  à  l'époque  la  plus  curieuse  de  la  vie  de  notre 
diplomate,  celle  où  il  fut  mêlé  à  la  correspondance  entretenue 
par  Louis  XV  avec  une  partie  de  ses  agents  à  l'étranger  et  d'au- 
tres personnes  non  revêtues  d'un  caractère  public  sur  la  poli- 
tique étrangère.  Deux  écrivains  de  notre  temps,  M.  Boutaric 
et  le  duc  de  Broglie,  ont  consigné  dans  des  ouvrages  pleins 
d'intérêt  les  détails  de  cette  histoire  plus  vraie  que  vraisem- 
blable (3).  On  est  saisi  d'étonnement  en  voyant  un  roi  de 
France,  dont  l'autorité  était  illimitée  au  moins  en  droit,  qui 
n'avait  qu'une  signature  à  donner  pour  que  ses  ministres  ne 

(4)  «  H.  le  doc  de  Ghoiseel,  dit-il,  a  rnootré  à  H.  de  FoenteB  et  à  quelques  autres 
ministres  un  mémoire  qu'il  aTait  lu  au  conseil  pour  prouTor  la  nécessité  de  couler  à  fond 
la  flotte  russe  à  son  passage  dans  la  Méditerranée,  et  a  dit  que  tous  les  autres  ministres 
aTaient  été  d'un  avis  opposé.  Si  cela  est,  il  est  bien  f&cbeax  que  son  avis,  ordinairement 
prépondérant,  ne  Tait  pas  emporté,  dans  cette  occasion,  plutôt  que  Tentreprise  de  la  Corse, 
qui  d'abord  a  trouvé  tant  d'opposition  de  la  part  de  l'Angleterre  ;  mais  il  est  apparent  que 
cette  opposition  n'était  que  simulée  et  que  le  ministère  anglais,  mieux  instruit  que  le 
nôtre,  savait  bien  que  cette  entreprise  nous  coûterait  beaucoup  de  millions,  et  que  cette 
conquête  ne  nous  serait  d'aucune  utUité.  {PoUHque  des  cahineU  de  l'Ewrope,  t.  D,  pp.  4  64 , 
4  62.)  Dans  un  autre  passage  du  même  ouvrage  (p.  247  du  même  tome),  Favier  mani- 
feste le  regret  que  la  Corse  ne  soit  pas  tombée  au  pouvoir  des  Espagnols  plutôt  que  des 
Français;  elle  aurait  pu  être  pour  eux  une  acquisition  utile,  et  les  Corses  y  auraient  gagné 
à  beaucoup  d'égards. 

(2)  Boutaric,  Correspondance  secrète  de  Louis  XV.  Paris,  4  866  ;  2  vol.  —  De  Broglie, 
le  Seml  du  roi,  Paris,  4  870  ;  2  vol. 


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DISCO0IIS  d'odvbrtuiib.  23 

fussénl  plus  que  des  exiles,  ne  pas  se  contenter  de  les  faire 
surveiller,  tnàis  encore  les  contrecarrer  et  rendre  parfois  im- 
possible le  sâccès  de  leurs  négociations  ostensiblement  approu- 
vées par  lui,  en  se  mettant  en  cachette  à  la  traverse.  Ck)mbien 
de  fois  n'en  a-t-«n  pas  tiré  comme  conclusion  le  contraste  de 
ce  prince  faible,  irrésohi  et  défiant  et  de  l'esprit  ferme  et 
cçnstani  dans  ses  vues  de  son  prédécesseur.  On  lit  pourtant 
dans  une  note  historique  adressée  à  Louis  XVI  par  le  comte  de 
Broglie  en  mai  4774,  relativement  à  la  correspondance  se- 
crète :  €  Le  comte  de  Broglie  crut  s'apercevoir  que  Sa  Ma- 
«  jesté  (Louis  XV)  regardait  comme  nécessaire  de  se  censerver 
<  un  moyen  d'être  instruite  par  plus  d'un  canal  des  affaires 
c  politiques,  comme  elle  disait  que  Louis  XIV  l'avait  toujours 
«  pratiqué  (4).  »  En  effet,  Louis  XIV  avait  lui-même  donné 
quelquefois  l'exemple  de  la  conduite  que  nous  réprouvons  si 
justement  dans  Louis  XV.  Il  n'écrivait  pas  lui-même ,  mais  il 
faisait  écrire  à  Lonvois,  devenu  son  favori ,  des  lettres  diplo- 
matiques destinées  à  rester  ignorées  de  Golbert  de  Groissy,  se- 
crétaire d'État  des  affaires  étrangères  (2),  et  par  cette  voie  les 
agents  officiels  du  grand  roi  reçurent  en  certaines  circonstances 
des  instructions  un  peu  différentes  de  celles  que  leur  chef  na- 
turel leur  transmettait  au  nom  du  même  maître.  Si  haut  qu'on 
soit  placé,  on  est  exposé  à  être  mal  conseillé  et  mal  servi  par 
ceux-là  mêmes  qu'on  a  investis  officiellement  de  sa  confiance. 
Que  faire?  On  met  en  pratique  à  leur  égard,  s'il  se  peut,  la 
fameuse  formule  :  Diviser  pour  commander.  Henri  IV  se  ré- 
jouissait de  voir  ses  ministres  mal  ensemble  et  s'espionnant 
d*une  manière  réciproque.  Il  tirait  de  cela  gt*and  parti  pour  les 
tenir  en  haleine,  nous  dit'il.  Louis  XIV  aussi  n'était  pas  fâché 
de  l'inimitié  des  deux  dynasties  ministérielles  des  Golbert  et 
des  Letellier.  De  même,  s'il  s'agit  des  relations  extérieures^ 


(4)  De  Ségnr,  PoUtique  des  CabineU  de  l'Europe,  1. 1,  p.  4. 

(2)  Camille  Rousset,  Histoire  de  Lovwns,  t.  m,  p.  150.  U  cite  les  mots  soiTants 
adressés  par  Loutoîs  à  Piaoesse»  coofldent  de  la  régente  de  Sarole  :  «  Je  ne  teos  écris  pas 
«  de  lettres  ostensibles,  parce  que  je  ne  dois  pas  aroir  de  commerce  dans  les  pays  étran- 
«  gers,  et  qoe  je  ne  Tondrais  pas  que  cda,  reTonant  à  ceux  qui  en  sont  charge,  leur  don- 
«  nàt  ifeti  de  croire  que  j'ehtrepreÏMls  sur  leur  emploi.  > 


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24  SÉANCE  PUBUQUI. 

on  veut  prendre  des  précautions  contre  ceux  qui  en  ont  la  di- 
rection. Ne  peuvent-ils  pas  s'égarer  par  défaut  de  sens?  Ne 
peuvent-ils  pas,  dans  leur  propre  intérêt,  faire  faire  fausse  route 
au  gouvernement  dont  les  affaires  leur  sont  confiées?  Le  meil- 
leur moyen  d'échapper  à  ces  périls  parait  être  d'opposer  une 
diplomatie  du  rot  à  la  diplomatie  royale  ^  comme  on  oppose  la 
guerre  à  la  marine  ou  les  finances  à  Tune  et  à  Fautre.  Mais  le 
remède  est  pire  que  le  mal.  Pour  qu'une  puissance  exerce  sur 
les  autres  une  certaine  influence,  il  faut  que  ses  négociations 
soient  dirigées  dans  un  sens  bien  déterminé,  que  rien  n'y  sente 
l'indécision,  l'hésitation  entre  divers  partis,  la  contradiction 
entre  la  volonté  officielle  du  souverain  et  sa  volonté  réelle.  On 
donne  beau  jeu  contre  soi  quand  on  méconnaît  cette  règle,  car 
on  est  suspecté  à  la  fois  de  déloyauté  et  d'incapacité,  deux 
choses  également  funestes,  dont  l'une  6te  à  un  prince  tout 
crédit  et  dont  l'autre  invite  l'étranger  à  le  prendre  pour  jouet. 
Louis  XIV,  pour  plus  d'une  raison,  n'échappa  pas  au  reproche 
de  fourberie  diplomatique.  La  terreur  de  ses  armes  le  sauva 
des  humiliations  que  Louis  XV  et  son  gouvernement  durent 
parfois  à  la  correspondance  secrète.  Il  semble  d'ailleurs  que 
celle  de  ce  dernier  roi,  à  quelque  motif  qu'elle  ait  dû  son  ori- 
gine, n'ait  bientôt  plus  été  qu'un  moyen  de  satisfaire  une 
simple  manie,  le  passe- temps  d'une  âme  blasée,  une  espièglerie 
de  vieil  écolier,  heureux  de  faire  pièce  à  ses  maîtres,  je  veux 
dire  aux  ministres  que  lui  imposaient  ses  maîtresses.  De  plan 
suivi,  je  n'en  trouve  aucun.  Je  n'y  vois  même  pas  la  trace  de 
cette  sympathie  pour  la  Pologne  qu'on  se  plaît  à  lui  attribuer, 
tout  en  admettant  qu'elle  fût  seulement  platonique.  Plus  en- 
core que  la  politique  extérieure  officielle,  elle  a  été  marquée 
de  ce  caractère  d'incohérence  et  de  décousu  qui  a  signalé 
celle-ci  sous  ce  règne  plus  qu'à  aucuno  autre  époque  de  notre 
histoire.  • 

Quoi  qu'il  en  soit,  Favier,  sans  y  être  positivement  initié  (i), 

(4)  Le  comte  de  Broglie,  qai  la  dirigea  si  longtemps,  s'exprime  ainsi  dans  ooe  lettre  di 
6  juin  4  774  an  roi  Louis  XVI  :  «  Le  comte  de  Broglie  aTait  employé  FaTier,  avec  Tordre 
«  da  feu  roi,  à  faire  des  mémoires  politiques  sans  l'admettre  au  secret  de  sa  propre  cor 
«  respoodance  aTec  Sa  Majesté.  »  PoUUquedet  CabmeUde  VEwrope,  1. 1,  p.  59. 


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DiscouBs  d'ouybbturb.  3S 

fat  appelé  par  le  comtç  de  Broglie  à  rédiger  des  mémoires  po- 
litiques pour  l'instruction  du  roi.  Ces  mémoires,  publiés  depuis, 
nous  sont  demeurés  sous  le  titre  bizarre  de  :  Conjectures  rai- 
sonnées  sur  la  situation  actuelk  de  la  France  dcMS  le  système  poli- 
tique de  V Europe  et  réciproquement  sur  la  position  respective  de 
l  Europe  à  t égard  de  la  France;  enfin,  sur  les  nouvelles  combinai- 
sons qui  doivent  ou  peuvent  résulter  de  ces  différents  rapports  aussi 
dans  le  système  politique  de  l* Europe.  La  date  inscrite  en  tète  de 
l'ouvrage  est  celle  du  16  avril  1773,  En  fait,  elle  marque^  je 
crois,  seulement  l'époque  où  Favier  fit  l'introduction.  La  série 
des  mémoires  qui  devaient  former  le  travail  entier  n'était  pas 
terminée  lorsque  Louis  XV  mourut,  et,  par  suite,  elle  ne  le  fut 
jamais.  Notre  publiciste  annonçait  qu'il  s'occuperait  successi- 
vement de  trois  sujets,  dont  chacun  serait  la  matière  d'une 
section  à  part.  Dans  la  première,  on  constaterait  l'état  d'abais- 
sement où  se  trouvait  la  France  depuis  1766.  La  seconde  serait 
consacrée  à  l'examen  de  la  position  respective  des  Ëtats  de 
l'Europe  à  l'égard  de  cette  puissance,  eu  suivant  l'ordre  topo- 
graphique et  en  commençant  par  le  Nord.  La  troisième  con- 
tiendrait le  remède  au  mal  ;  on  y  trouverait  exposée  la  direc- 
tion de  conduite  que  l'auteur  trouverait  la  meilleure  à  suivre 
pour  le  gouvernement  français.  Cette  dernière  eût  été  la  plus 
difficile  :  elle  eût  été  celle  aussi  qui  nous  eût  donné  le  mieux 
la  mesure  de  Favier  et  de  son  esprit  pratique..  Malheureuse- 
ment, la  rédaction  n'en  a  pas  même  été  commencée. 

La  fixation  à  l'année  1756  de  la  décadence  de  la  France  suf- 
firait seule  pour  nous  instruire  sur  l'esprit  du  nouvel  écrit  de 
Favier.  L'idée  fondamentale  des  Conjectures  raisonnées  ne  diffère 
nullement  de  celle  des  Doutes  et  questions  sur  le  traité  de  Ver- 
sailles (1).  Ce  traité  reste  pour  Favier  le  delenda  Carthago.  Il 
l'est  môme  plus  que  jamais;  car  ce  qui  autrefois  lui  apparais- 
sait comme  simplement  probable  est  devenu,  à  ses  yeux,  une 
triste  réalité.  Le  traité  de  Versailles  a  produit  ses  fruits  amers. 
Le  gouvernement  français  s'est  laissé  entraîner  aux  concessions 
les  plus  impolitiques.  L'Autriche  a  largement  exploité  l'impru- 

(1)  Voir  l'appendico  L 


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26  S&kWX  PUBLIQUE. 

dente  attiance  conclfie  avec  elle  par  le  DQÎnifttèfe  du  roi  très 
chrétien;  elle  a  largement  mis  à  profit  l'isoleDieM  où  se  sont 
trouvés  ceux  qui  auparavant  avaient  compté  sur  la  France. 
Elle  a  pris  sa  part  de  la  Pologne;  elle  a  livré  la  Turquie  à  son 
autre  alliée  la  Russie»  pour  avoir  bientôt  part  elle-même  à  ses 
dépouilles.  Elle  s'asservit  chaque  jour  davantage  l'Allemagne 
dont  les  petits  princes,  au  moins  pour  la  plupart»  n'oseot  plus 
lever  la  tète  devant  elle  (I).  Elle  reprend  peu  à  peu,  et  sans 
qu'on  s'en  aperçoive,  ta  souveraineté  de  l'Italie.  Les  Etats 
qui»  dans  cette  contrée,  sont  gouvernés  par  des  Bourbons,  de- 
viennent eux-mêmes  des  satellites,  gravitant  autour  d'elle.  Il  lui 
suffit  pour  cela  de  donner  des  archiduchesses  pour  épouses  à 
ces  princes.  Tel  est  le  parti  que  Marie-Thérèse  sait  tirer  de  ses 
filles  (3).  Réflexion  hardie  dans  un  mémoire  destiné  à  passer 
sous  les  yeux  d'un  roi  dont  l'héritier  avait  épousé  une  fille  de 
Marie-Thérèse  i  Mais  pour  Favier  la  haine  de  l'Autriche  semble 
avoir  été  une^religion.  A  propos  de  l'Italie,  comme  à  propos  de 
l'Allemagne,  il  jette  donc  le  cri  d'alarme.  Un  ou  deux  mariages 
de  plus,  le  manque  d'enfants  mâles  dans  la  branche  napoli- 
taine des  Bourbons,  le  hasard  toujours  à  craindre  de  la  mort 
prochaine  du  souverain  qui  la  représente,  et  voilà  l'Autriche 
maîtresse  des  Deux-Siciles  I  <jràc6  à  ses  artifices  elle  l'est  déjà 
de  Modène  (3).  La  papauté,  que  la  France  ne  protège  plus, 
s'apercevra  bientôt  que  l'empereur  Joseph  II  est  le  chef  du 
Saint-Empire  romain,  etc.,  etc.  La  péninsule  sera  perdue,  et 
que  deviendra  l'Europe  ? 

Il  y  a  certainement  dans  ces  prévisions  quelque  chose  d'ex- 
cessif. Des  conjectures  et  des  jugements  plus  que  hasardés 
viennent  assez  souvent  déparer  une  œuvre  où  se  montre  par 
moments  un  diagnostic  politique  merveilleux.  L'animosité  con- 
tre l'Autriche  les  lui  dicte  d'ordinaire;  elle  lui  fait  aussi  parfois 
mal  comprendre  les  hommes  et  les  faits  du  passé.  Louis  XIV, 
dans  une  des  premières  années  de  son  r^ne  personnel,  four- 


(4)  Voir  rtppendioe  n. 

{%)  PoUtique  des  CabkieU  de  VEurope,  t.  H,  p.  354. 

(3;  M.,  t.  m,  pp.  4-<ô. 


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DISCOURS  d'ouverture.  37 

DÎty  comme  on  sait,  quelques  secours  à  l'empereur  Léopold  P' 
contre  les  Turcs.  Gela  devait-il  suffire  pour  accuser  Léopold 
d'une  noire  ingratitude  à  l'égard  de  Louis  XIV^  comme  le  fait 
notre  auteur  (1)? 

•  Ce  bienfait  de  Louis  XIV,  dit-il ,  fut  reconnu  de  Léopold 
c  comme  l'indulgence  et  la  facilité  de  François  P'  l'avaient 

<  toujours  été  de  Charles-Quint,  et  comme  le  secours  de  Vienne 
c  par  Sobieski  le  fut  ensuite  du  même  Léopold.  Celui  qu'il 
c  avait  reçu  de  Louis  XIV  n'excita  dans  l'âme  de  cet  empereur 
«  qu'un  sentiment  de  crainte,  do  jalousie  et  de  haine.  Ce  fut 
c  le  germe  des  guerres  longues  et  sanglantes  au  milieu  des- 
c  quelles  il  mourut,  comme  il  avait  vécu,  à  l'aumône  de  l'An- 
c  gleterre  et  de  la  Hollande,  sans  avoir  acquis  beaucoup  de 
i  gloire  personnelle,  mais  avec  la  satisfaction  d'avoir  triomphé 
c  à  Hochôtaedt  du  fond  de  son  palais,  et  de  laisser  son  bienfai- 
c  teur  à  deux  doigts  de  sa  perte.  • 

Favier  n'oublie-t-il  pas  ici  que  le  prétendu  bienfaiteur  s'était 
promptement  transformé  en  un  conquérant  avide  que  toute 
l'Europe  avait  à  redouter? 

M.  de  Ségur,  dans  le  commiantaire  dont  ^1  a  accompagné  son 
édition  des  Conjectures  raisonnées,  attribue  le  point  de  vue  anti- 
autrichien où  Favier  s'est  placé  à  une  tendance  générale  des 
agents  jsecretç  de  Louis  XV,  hostile  aux  ministres  qui  av9ient 
cru  devoir  faire  ab^ndpiiner  ^  la  France  la  politique  de  Riche- 
lieu pour  le  rapprocher  de  l'Autriche  :  c  Louis  }^V,  dit-il, 
«  gyidé  paf  cette  mégaq($  commune  à  tqus  les  hoqipies  foibles, 
c  avait  toujours  eu  des  ministres  secrets  à  l'insM  de  ses  mjnis- 

<  très  publics,  et,  cpmme  pn  l'aurait  pu  prévoir,  jpes  0gents 

<  secrets  s'étaient  constamment  opposés  au  système  du  Conseil, 
«  et  avaient  attribué  à  ses  plans  tous  les  malheurs  de  la  France.  > 
Il  oublie  (}ue  Faviier  avait  manifesté  seç  sen^iiDents  ^  l'ié^rd  de 
r^ptncb^  4é9  17$6,  par  cp^séq^mt  k  une  lépoque  où  il  n'avait 
aucune  relation  avec  les  correspondants  secrets  du  roi.  Ceux-ci 
partageaient-il^  sa  pianière  de  y  pi  r  relativement  à  çei\e  partie 
d^  mn  PrtiQ  politiq^p?  On  en  pput  doutar.  Quand  la  oomle  de 

(1)  ?o{î(igiie  dti$  cabinett  de  l^Burop^j  t.  II,  p.  3. 


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28  SÉANCE  PDBLIQDB. 

Broglie  présenta  au  roi  la  première  partie  des  Conjectures,  il 
déclara  formellement  qu'il  n'entendait  en  rien  prendre  la  res- 
ponsabilité des  opinions  de  l'écrivain  sur  l'opportunité  d'une 
alliance  avec  la  Prusse,  cette  grande  ennemie  de  l'Autriche; 
que  lui-même  avait  soutenu  la  politique  inaugurée  en  1756,  et 
qu'il  continuait  à  la  croire  excellente^  mais  qu'il  y  avait  dans  le 
mémoire  de  Favier  des  idées  beaucoup  plus  justes,  et  qu'en 
somme  c'était  une  œuvre  écrite  de  main  de  maître  (1).  Ce  même 
comte  de  Broglie  fit  choisir  comme  ambassadeur  en  Suède  M.  de 
Vergennes,  et  à  Constant! n^ple  M.  de  Saint-Priest,  tous  deux 
assez  favorables  à  l'Autriche,  bien  qu'ils  crussent  devoir  conte- 
nir son  ambition  dans  certaines  limites.  Breteuil  était  dévoué  à 
cette  puissance,  et  le  comte  de  Broglie  fit,  sans  succès  il  est  vrai, 
les  démarches  les  plus  pressantes  pour  empêcher  qu'on  ne  lui 
ôtât  l'ambassade  de  Vienne  (2).  S'il  adopta  Favier  comme  con- 
seiller, malgré  des  divergences  de  vues  assez  graves,  c'est  que 
celui-ci  pouvait  être  pour  lui  un  auxiliaire  précieux,  grâce  à 
son  talent  supérieur.  Favier  lui  prêta  son  concours,  sans  re- 
noncer à  ses  idées  personnelles  et  même  avec  l'espoir  de  le  ga- 
gner à  ses  propres  plans  politiques.  Il  ne  réussit,  comme  nous 
le  verrons  tout  à  l'heure,  qu'à  lui  faire  courir  un  grave 
danger. 

Favier  était  fondé  à  regretter  l'union  intime  avec  l'Autriche 
comme  un  acte  contraire  aux  intérêts  français  et  même  à  ceux 
de  l'Europe.  Mais  n'est-il  pas  injuste  au  sujet  du  pacte  de  fa- 
mille? La  France  en  a  tiré  grand  parti  dans  la  guerre  d'Amé- 
rique, et  peut-être  ne  lui  a-t-il  pas  été  inutile  dans  la  guerre  de 
Sept-Ans  elle-même.  Favier  le  conteste,  ce  semble,  avec  un  peu 


(4)  De  Broglie,  le  SecM  du  roi,  l.  n,  p.  405. 

(5)  De  Ségar  (PoHHque  des  cabUieU  de  l'Europe,  1. 1,  p.  65)  en  condat  oe  qui  sait  : 
«  L'opposition  des  principes  de  ces  ambassadenre  à  ceox  de  Favier  et  de  Dnmonriei  proore 
«  que  le  comte  de  Broglie  on  se  trompait  dans  ses  choix  ou  n'était  pas  bien  décidé  Ini- 
«  même  à  soutenir  Tattaqae  qa'il  avait  dirigée  contre  le  système  politique  de  MM.  de 
«  Bemis  et  de  Choiseul.  »  D  suppose  toujours  que  le  comte  de  Broglie  et  Parier  mar- 
chaient absolument  d'accord  sur  la  direction  k  donner  à  Louis  XY.  L'auteur  de  l'oufrage 
intitulé  le  Secret  du  roi  me  paraît  s'être  mieux  conformé  à  la  Tente  historique  en  donnant 
à  FaTier  un  rôle  à  part  à  l'époque  même  où  le  comte  de  Broglie  se  serfait  de  sa  plume 
pour  l'instruction  politique  du  roi. 


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DISCOURS  DOUYBRTDRK.  29 

de  prévention.  N'assombrit-il  pas  aussi  les  couleurs  dans  son 
tableau  de  l'Espagne  et  du  peuple  espagnol  au  milieu  du  dix- 
huitième  siècle?  II  y  a,  d'ailleurs,  beaucoup  à  prendre  dans  le 
chapitre  qu'il  consacre  à  cette  puissance.  On  y  voit  entre  autres 
choses  que,  malheureusement,  l'union  des  deux  gouvernements 
n'avait  pas  encore  amené  celle  des  deux  peuples.  Le  temps 
n'était  plus  où  les  Français  et  les  Espagnols  étaient  unis  de 
nation  à  nation  et  d'homme  à  homme,  et  Montesquieu,  dans  les 
Lettres  persanes,  avait  pu  dire,  sans  mentir  à  la  vérité,  que  les 
derniers,  pleins  de  mépris  pour  les  autres  peuples,  faisaient 
aux  seuls  Français  l'honneur  de  les  haïr  (1).  Mais  les  Espagnols 
étaient  aussi  pleins  de  déférence  pour  ceux  qui  les  gouver- 
naient; ceux-ci  étaient  attachés  de  cœur  à  la  branche  ainée  de 
leur  maison,  et  les  antipathies  nationales,  qui  n'avaient  pour 
cause  qu'une  longue  rivalité,  devaient  s'effacer  après  une  Ion- 
gue  alliance.  Aujourd'hui,  les  anciens  liens  tendent  à  se  re- 
nouer. A  Toulouse  notamment,  une  Société,  qui  compte  dans 
toute  la  France  de  nombreux  affiliés,  s'est  donné  pour  mission 
de  les  rendre  plus  intimes.  La  science  est  son  moyen  ;  la  politi- 
que était  celui  dont  Choiseul  avait  fait  usage.  L'un  et  l'autre 
sont  efficaces.  Il  en  est  un  troisième  qui  l'est  plus  encore,  et  le 
jour  où,  dans  notre  pays,  on  a  vu  la  bienfaisance  privée  s'oc- 
cuper si  activement  do  venir  au  secours  des  inondés  de  Hurcie, 
la  barrière  des  Pyrénées  a  été  bien  abaissée  (2). 

La  confiance  en  lui-même  ne  manquait  jamais  à  Favier,  et  il 


(4)  Lettre  LÎXVin. 

(5)  Au  reste,  Farier  n'attaque  pas  le  principe  de  Talliance,  mais  les  circonstances  dans 
lesquelles  elle  a  été  conclue.  Dans  une  note  de  son  ouvrage,  nous  trouTons  les  mots  sui- 
vants :  «  On  ne  prétend  pas  blâmer  Talliance  avec  ^l'Espagne,  qu'on  regarde  comme  la 
«  plus  essentielle  et  la  plus  naturelle  que  la  France  puisse  jamais  former  -,  mais  on  croit 
«  qu'il  serait  facile  de  prouver  que  le  ntoment  où  elle  a  été  faite  a  été  mal  choisi  ;  que, 
«  faute  de  connaître  la  mauvaise  administration  intérieure  de  cette  couronne  à  l'époque 
«  de  ce  traité,  et  combien  elle  était  peu  préparée  aux  efforts  qu'on  attendait  d'elle,  son 
«  concours  n'a  pas  servi  à  diminuer  les  désavantages  de  la  paix  pour  la  France,  et  qu'elle 
«  les  a  fait  seulement  partager  à  l'Espagne.  U  eût  donc  été  plus  utile  de  faire  craindre 
«  cette  alliance  à  l'Angleterre  pour  la  déterminer  à  la  paix,  et  d'attendre  que  la  tranquil- 
tt  lité  fût  rétablie  en  Europe  pour  contracter  des  liaisons  indissolubles  avec  l'Espagne.  » 
(PolUique  des  cabinets  de  l'Europe,  t.  I,  p.  84  2;  comp.  A.  Sorel,  Becue  kistotique,  t.  XI, 
pp.  300  et  304.) 


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30  SfiANCE  PUBLIQUE. 

le  monti^  bientôt.  L'honneur  qu'il  avait  d'être  le  correspondant 
du  roi  l'exalta.  M  conçut  l'espoii*  de  changéi^  le  ministère,  et 
avec  le  ministère  tout  le  système  politique  adopté  par  le  gou- 
vernement français.  D'Aiguillon  dirigeait  les  affaires  extérieu- 
res. Après  avoir  utilisé  le  talent  de  Favier  pour  supplanter  Choi- 
seuly  il  l'avait  abandonné  à  son  sort.  Il  n'avait  pas  non  plus 
rompu  avec  les  traditions  de  la  politique  de  son  prédécesseur, 
et  quand  Louis  XVI  monta  sur  le  trône,  Harie-Thérèse  mani- 
festa par  ses  lettres  à  Mercy  qu'elle  préférait  son  maintien  au 
retour  deChoiseul  (1).  Favier  avait  donc  une  double  raison  de 
désirer  sa  chute.  D'autre  part,  un  M.  de  Monteynard  prési- 
dait à  la  guerre.  Il  n'existait  pas  de  cabinet  ministériel  et, 
comme  il  y  avait  entre  d'Aiguillon  et  son  collègue  des  rivalités, 
des  mesures  d'une  haute  importance  étaient  prises  quelquefois 
par  l'un  sans  que  l'autre  en  eAt  connaissance.  Gustave  III,  roi 
de  Suède,  venait  d'accomplir  son  fameux  coup  d^Etat.  On  s'en- 
tendait assez  bien  sur  la  nécessité  de  le  défendre  contre  la 
Prusse  et  la  Russie,  si  elles  venaient  à  l'attaquer.  Mais,  suivant 
l'habitude,  on  ne  s'était  pas  concerté  sur  les  moyens  d'exécu- 
tion, chacun  se  réservant  d'employer  ceux  qui  lui  sembleraient 
les  meilleurs  ou  qui  pourraient  le  faire  le  mieux  valoir  auprès 
du  prince.  Monteynard,  de  l'aveu  du  roi,  donna  à  Dumouriez 
la  commission  de  lever  en  Allemagne  des  troupes  qui ,  pla- 
cées sous  le  commandement  d'officiers  français,  se  mettraient 
au  besoin  à  la  disposition  du  roi  de  Suède.  Dumouriez,  lié 
avec  Favier,  lui  révéla  l'ordre  qu'il  avait  reçu.  Favier 
conseilla  à  Dumouriez  de  mettre  de  côté  l'objet  dé  son 
voyage  et  lui  offrit  de  le  faire  entrer  en  relation  avec  le  prince 
Henri  de  Prusse.  Il  lui  do;ina  une  lettre  pour  ce  prince.  Les 
deux  aventuriers  conçurent  un  plan  pour  renverser  d'Aiguillon, 
et  placer  leurs  patrons  à  la  tète  des  affaires.  Le  comte  de  Bro- 
glie  et  Monteynard  formeraient  ensemble  une  étroite  union  ; 
l'un  aurait  les  relations  extérieures,  l'autre  la  guerre,  et  tous 
deux  serviraient  la  même  cause,  sous  la  double  inspiration  do 

(4)  Dàs  le  85  mai  4  774,  qdoze  jours  après  la  mort  de  Louis  XY,  elle  éerivait  à  son 
confident  :  m  J*espère  que  Glioiseul  sera  rappelé  de  son  exil,  sans  être  mis  en  place. 
J'aTone  que  je  le  craindrais.  » 


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Favier  et  de  Dumouriez,  converti  lai-mèine  aux  idées  de  Favier. 
Pour  faire  entrer  le  comte  de  Broglie  dans  leurs  projets,  Du- 
inouriez  se  rendit  auprès  de  lui.  Ses  ouvertures  furent  froide- 
ment accueillies.  Mais  Favier  et  son  ami  ne  se  déconcertaient 
pas  pour  si  peu,  et,  comme  s'ils  disposaient  déjà  du  comte,  ils 
ne  s'occupèrent  que  de  lui  assurer  des  auxiliaires. 

Les  Itohan-Soubise  eux-mêmes,  grands  ennemis  des  Broglie 
depuis  la  bataille  de  Willingsfaausen,  furent  inscrits  sur  leur 
liste  en  cette  qualité.  Le  fils  d'un  ancien  aide  de  camp  du  ma* 
récbal  de  Brogli«>,  frère  du  comte,  Guibert,  auteur  d'un  traité 
sur  la  tactique  et  d'une  pièce  intitulée  :  le  Connétable,  accepta 
la  mission  de  les  disposer  à  ce  changement  de  front.  Il  devait 
passer  par  Vienne  et  y  gagner  le  fameux  cardinal  de  Rohan, 
que  des  motifs  particuliers  commençaient  à  éloigner  de  l'alliance 
autrichienne.  Les  fils  étaient  tendus  de  toutes  parts.  D'Aiguil- 
lon serait  renversé;  le  comte  de  Broglie  lui  succéderait;  on 
déchirerait  le  traité  de  1756.  La  France  se  relèverait  de  ses 
humiliations,  avec  le  concours  de  la  Prusse  qu'on  opposerait  à 
l'Autriche  et  à  la  Russie.  Nos  deux  faiseurs  de  projets  seraient 
à  l'honneur  après  avoir  été  à  la  peine,  et  chacun  d'eux,  dans 
ses  rêves,  se  disait  sans  doute  comme  le  surintendant  Fouquet  : 
Qud  non  ascendam  ;  doux  rêves  qui  bercèrent  aussi  Perrette  un 
jour  1  Le  bruit  du  pot  au  lait  se  brisant  en  tira  Perrette.  Favier 
et  Dumouriez  furent  arrachés  aux  leurs  par  les  exempts  royaux 
qui  vinrent  les  arrêter  pour  les  conduire  à  la  Bastille. 

L'arrestation  de  Favier  fut  faite  sans  que  toutes  les  précau- 
tions nécessaires  pour  découvrir  les  menées  qu'on  lui  reprochait 
eussent  été  prises.  Ainsi  on  négligea  de  mettre  les  scellés  sur 
ses  papiers.  Son  domestique  put  prévenir  à  temps  le  secrétaire 
du  comte  de  Broglie,  qui  fit  enlever  immédiatement  tous  ceux 
qui  avaient  rapport  à  la  correspondance  du  comte  avec  son 
maître.  Le  domestique  de  Favier  fut  bientôt  mis  à  son  tour  au 
secret.  Hais  il  était  trop  tard. 

Trois  commissaires  furent  nommés  pour  interroger  les  pri- 
sonniers. L'un  deux,  Sartines,  avait  déjàconnais£»ancede  la  cor- 
respondance secrète.  Il  fit  savoir  indirectement  aux  accusés 
qu'on  les  traiterait  avec  égards,  pourviM]u'iU  fuis^nl^disof^ts; 


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32  SÉANCE   PUBLIQUK. 

c'est  du  moins  ce  que  Dumouriez  nous  apprend  pour  son 
compte,  c  Les  réponses  de  Favier,  dit  le  duc  de  Broglie,  au- 
c  quel  nous  empruntons  ces  détails(l)»  furentdes  chefs-d^œuvre 
c  de  prudence  et  d'habileté  aussi  bien  par  ce  qu'il  sut  taire 
c  que  par  ce  qu'il  sut  confesser,  i  M.  de  Sartines  étant  sorti 
un  instant,  il  refusa  de  parler  devant  les  deux  autres  commis- 
saires seuls.  Interrogé  sur  ses  relations  avec  le  prince  Henri  de 
Prusse,  il  ne  les  dissimula  point,  ajoutant  qu'il  ne  les  avait  ca- 
chéesà  personne,  et  pas  plus  au  duc  d'Aiguillon  qu*aux  autres. 
Un  point  plus  délicat  encore  était  celui-ci.  On  avait  trouvé 
dans  ses  lettres  que  le  roi  lui-même  lui  avait  confié  certains 
travaux.  Quelle  pouvait  être  la  portée  de  ces  travaux,  et  com- 
ment avait-il  pu  obtenir  que  le  roi  voulût  bien  l'en  charger? 
Il  répondit  que  sur  certains  indices  il  avait  cru  que  le  comte 
d'Argenson  et  le  comte  de  Broglie,  pour  lesquels  il  avait  écrit 
des  mémoires,  les  communiquaient  au  roi,  mais  que  c'avait 
toujours  été  de  sa  part  une  simple  conjecture;  ces  mémoires 
avaient  été,  d'ailleurs,  purement  historiques.  Quant  aux  sys- 
tèmes à  proposer,  il  n'en  avait  pas  été  question  jusqu'à  l'épo- 
(|ue  de  son  arrestation.  Il  ne  nia  pas  son  peu  de  sympathie 
pour  le  duc  d'Aiguillon  et  le  désir  qu'il  avait  conçu  de  réunir 
contre  lui  le  comte  de  Broglie  et  le  ministre  Monteynard.  Mais 
ce  désir  était  resté  un  vœu  tout  platonique,  et  il  n'y  avait  au- 
cun rapport  entre  la  mission  de  Dumouriez  et  les  travaux  faits 
par  lui-même,  sur  l'ordre  du  comte  de  Broglie. 

Autant  il  montra  d'adresse,  autant  Dumouriez  déploya  d'au- 
dace, si  l'on  s'en  rapporte  à  son  témoignage.  Il  nia,  railla, 
questionna  les  questionneurs,  ou  bien  refusa  de  leur  répondre, 
en  les  accusant  d'employer  contre  lui  les  procédés  de  l'Inquisi- 
tion, c  Vous  êtes  un  téméraire  »,  lui  dit  un  jour  un*  des  con- 
seillers, c  Et  j'ai  affaire  à  des  brouillons  »,  répliqua,  sans 
sourciller,  le  futur  ministre  girondin.  Puis,  sommé  de  répon- 
dre sur  les  critiques  qu'il  avait  dirigées  contre  d'Aiguillon,  il 
s'écria  qu'il  était  très-heureux  de  profiter  d'une  occasion  aussi 
favorable  po  ir  fai/ 3  connaître  au  Roi  les  étranges  bévues  do 

(1)  U  Seerd  du  un,  t.  II,  p.  485 


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DISCOURS  d'ouverture.  33 

son  ministre  des  affaires  étrangères,  et  immédiatement  il  se 
mit  à  entamer  contre  le  favori  de  M*"®  du  Barry  une  longue 
énumération  de  griefs.  Il  en  avait  annoncé  huit  ;  on  l'arrêta 
au  quatrième. 

Il  fallait  pourtant  donner  gain  de  cause  au  ministre:  M^'^du 
Barry  le  voulait  ainsi  I  Dumouriez  fut  transféré  au  château  de 
Caen;  Favier  dans  celui  de  Doullens,  Le  temps  de  la  captivité 
du  premier  était  Bxé  à  trois  mois.  Le  terme  de  celle  du  second 
n'était  pas  marqué.  D'Aiguillon  obtint  par  surcroit  la  révocation 
de  Monteynardy  dont  le  ministère  fut  joint  sur  la  tète  de  son 
ennemi  à  celui  des  affaires  étrangères. 

Louis  XV  n'aiwiit  dit  mot,  trop  heureux  d'être  lui-même  hors  de 
cause.  Le  comte  de  Broglie  devait  montrer  bientôt  plus  de  dé- 
licatesse ou,  si  l'on  veut,  plus  de  justice.  Après  la  mort  de 
Louis  XVy  il  ne  se  contenta  pas  de  multiplier  les  instances  pour 
que  Favier  fût  mis  en  liberté.  Quand  celui-ci  fut  sorti  de  Doul- 
lens, il  demanda  pour  lui,  comme  pour  la  plupart  de  ceux  qui 
avaient  été  attachés  à  la  correspondance  secrète,  une  récom- 
pense de  leur  zèle  et  une  indemnité  pour  les  souffrances  qu'ils 
avaient  endurées  au  service  du  roi.  Il  ne  fut  pas  difficile  de 
faire  comprendre  an  petit-fils  de  Louis  XV  que  cet  acte  répara- 
teur serait  en  même  temps  un  acte  de  saine  politique.  On  s'as- 
surerait ainsi  la  discrétion  de  témoins  dangereux  d'une  des 
hontes  du  dernier  règne,  qui,  elle  du  moins,  était  restée  igno- 
rée^ alors  que  tant  d'autres  avaient  été  produites  au  grand 
jour.  Les  scandales  de  la  conduite  privée  de  Louis  XV  n'étaient 
pour  personne  un  mystère.  L'empire  que  d'indignes  maîtresses 
avaient  pris  sur  lui  avait  excité  le  mépris.  Que  dirait-on  si  l'on 
apprenait  que  ce  triste  prince  avait  fait  continuellement  échec 
à  ses  propres  ministres  et  n'avait  pas  cessé  de  les  entraver,  et 
qu'ainsi  la  France  avait  maintes  fois  desservi  ceux  qu'elle  pa- 
raissait vouloir  gagner,  noué  des  liaisons  secrètes  avec  les  puis- 
sances auxquelles  elle  se  montrait  ostensiblement  hostile?  Quel 
discrédit  devait  en  rejaillir  sur  la  royauté  elle-même  I  Ces  con- 
sidérations avaient  une  importance  évidente.  Une  nature  facile 
et  généreuse  inspirait  au  jeune  roi  la  haine  de  l'ingratitude. 
Louis  XVI  prêta  l'oreille  aux  sollicitations  du  comte  do  Broglie 

8«  8ÉRIK.    —   TOMB   III,   2.  3 


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34  SÂANCB   PaBLIQOI. 

en  faveur  de  ses  ancieas  associés;  Favier  eut  persaonellement 
une  pension  (le  S,QO0  Kvrcs.  ie  s'assurorai  pas  que  l'ardeur 
avec  laquelle  il  s'était  posé  dans  ses  écrits  et  dans  les  cafés  en 
continuateur  de  la  politique  antiautrichien-ne  n'en  ait  pas  été 
quelque  peu  attiédie.  L'épouse  chérie  de  Louis  XVI  n'élait-elle 
pas  Aulrichienne  ? 


IV 


Néanieiiiis,  le  sottveair  de  seaeflofts  poar  rompre  le  traité  de 
Versailles  subsistait.  La  reine  devenail  chaque  jomr  plus  puis- 
sante. ComiBettl  Favter  ed^t-il  été  e«  (aneur,  alors  môme  que  les 
irrégularités  de  sa  conduite  pd  vée^  n'eusseat  pas  foMrni  dea  pré- 
textes plausibles  puur  l'écaner  dea  postes  élevés  que  son  laleat 
le  rendait  capaMe  de  remplir?  Eavier  n'exefça  sous  Louis  XVI 
aucune  feACtioa  officielle^  Oa  dit  que  Vergenaee  appréciait  pour- 
tant son  mérite,  qu'il  lui  donna  iO^OOO  livres^  qu'U  lui  fit  faire 
un  certaÎB  nombre  de  mémoires.  C'était  un  faible  dédommage- 
meat  de  hb  perte  d'un  espoir  immense.  Être  à  l'auopi&Be  d'un 
minisère  après  avoir  eu  la  pecspectiv#d'ètre  le  grand  régiftiateur 
de  la  politique  européenne!  Favier  accepta  cette  déchéance» 
comme  il  supportait  la  misère,  qui  venait  à  ekaque  instant  in- 
terrompre lesr jouissances  de  sa  vie  d'épicurien,  avec  une  bonne 
humeur  constante.  L'âge  vies  amours,  s'était  envolé  pour  lui. 
Mais,  ai  j'en  crois  l'auAeur,  bbéias  t  récemment  ravi  aux^  voya- 
geurs, (raoçaia  qu'ij  amusait  et  instruisait,  de  ces  itinéraires 
dont  chacun  de  nous  a  ea  l'occasion  d'apprécier  l'utilité  et  l'in- 
térêt, lea  amours  folâtres  ne  partagent  pas  se«b9i  avec  la  science 
et  les  arts  l'affection  des  enfants  de  Toulouse.  Elle  est  aussi  la 
ville  favorite  des  gastronomes,  dit  M.  Jeanne.  Favier  avait 
toujours  été  sous  ce  rapport  aussi,  et  dans  ses  dernières  années 
il  fut  plus  que  jamais  un  parfait  Toulousain.  D'obscurs  travaux 
et  des  correspondances  anonyme»  avec  l'étranger,  parmi  lise- 
quelles  il  faul  pe«iè^tre  compter  une  partie  des  Isttdieft  sur 
Louis  XVI  et  Uarie-Antoinette  publiées  de  notr*^  OmpA  por 


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DISCOURS  D^OUyeRTURB.  35 

M.  de  Lescure  (f  ),  lui  procuraient  quelques  ressources»  et  la 
bonne  chère  les  absorbait. 

Ainsi  se  passèrent  les  dernières  années  de  sa  vie.  Pourtant  un 
homme  avec  lequel  il  était  lié  jadis  était  devenu  le  principal 
ministre  du  roi,  Necker»  lui  devait  sa  fortune  d'après  un  récit 
accrédité  au  temps  de  la  Révolution  (2).  Favier  avait  donné  au 
futur  directeur  des  finances  l'idée  d'une  spéculation  heureuse, 
comptant  partager  les  bénéfices  avec  lui.  Ces  derniers  furent 
considérables.  Mais  Necker  les  garda  pour  lui  seul.  Devenu  le 
gardien  du  Trésor,  on  ne  voit  pas  qu'il  se  soit  davantage  occupé 
de  son  ancien  ami.  D'ailleurs,  Favier  ne  parait  pas  l'avoir  beau- 
coup importuné  de  ses  sollicitations.  Insouciant  par  nature,  il  ne 
perdit  jamais  ce  goiH  de  l'indépendance,  qui,  d'ordinaire,  s'allie 
seulement  avec  l'austérité  des  mœurs.  Il  mourut  en  1784. 

Tel  a  été  ce  personnage  singulier  auquel  le  caractère  et  l'oc- 
casion ont  manqué  plus  que  le  génie  pour  être  un  des  hommes 
les  plus  remarquables  des  temps  qui  ont  précédé  la  Révolution. 
Sénac  de  Meilhan  lui  a  donné  place  dans  sa  galerie  des  portraits 
du  dix-huitième  siècle.  Il  attend  toujours  une  biographie  dé- 
taillée. L'esquisse  présente  n'a  pas,  je  le  répète,  d'autre  but  que 
de  montrer  quelle  ricjie  matière  offrirait  à  un  historien  versé 
dans  la  politique  l'étude  de  sa  vie  et  de  ses  ouvrages. 


APPBm)ICB   I 


Après  avoir  parlé  de  l'inutilité  où  l'alliance  autrichienne  a 
été  pour  la  France  dans  le  règlement  des  affaires  de  la  Polo- 
gne et  de  la  Turquie,  alliées  de  cette  dernière,  Favier  passe  à 
la  Suède,  où  Gustave  III  venait  d'accomplir  sa  révolution.  Là 
aussi,  si  la  France  avait  demandé  à  l'Autriche  de  faire  cause 
commune  avec  elle,  celle-ci  aurait  pu  s'excuser,  en  alléguant 


(4)  Paris,  4866,  S  toI.  in-So. 

(8)  Introduction  au  Monikiir  uninend,  p.  431.  Paris,  1863,  io-8o. 


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36  SÉANCE   PUBLIQUE. 

que  n'étant  point  engagée  nommément  avec  la  Suède ,  ni 
même  avec  la  France  pour  le  cas  éventuel  de  la  révolution . 
elle  pouvait  à  toute  force  se  dispenser  de  prendre  aucun  inté- 
rêt à  cette  affaire.  Favier  ajoute  : 

<  Si  cette  raison  péremptoire  était  alléguée  au  barreau  en 
faveur  d'une  partie  qui  aurait  trompé  l'autre  par  des  conven- 
tions dont  toutes  les  charges  seraient  d*un  côté  et  tous  les 
avantages  d'un  autre ,  elle  serait  certainement  admise  dans 
un  tribunal  de  rigueur  »  et  déciderait  la  question  :  le  refu- 
sant serait  déchargé.  Summum  jus,  summa  injuria,  dit  un 
axiome  de  droit.  L'extrême  justice  est  une  extrême  injustice, 
s'écrierait  alors  la  partie  perdante. 

c  Mais  qu'arriverait-il ,  même  dans  les  règles  de  la  plus 
étroite  rigueur?  Cette  partie  engagée  légèrement,  imprudem- 
ment chargée  par  la  convention  de  tout  le  fardeau  d'une 
société,  reviendrait  au  même  tribunal  réclamer  contre  des 
engagements  dans  lesquels  la  lésion  serait  trop  manifeste. 
Elle  demanderait  la  résiliation  du  contrat,  parce  qu'il  ne 
serait  point  synallagmatique,  c'est-à-dire  réciproquement 
obligatoire,  parce  qu'il  y  manquerait  cette  clause  :  Do  ut  des 
(je  donne  pour  recevoir) ,  clause  toujours  sous-entendue  par 
la  loi  dans  tout  contrat  civil ,  et  censée  en  être  l'esprit ,  lors 
même  qu'elle  n'y  est  pas  exprimée  par  la  lettre.  Alors  aussi, 
la  partie  lésée  gagnerait  à  son  tour,  le  contrat  serait  annulé 
et  comme  non  avenu. 

c  Appliquons  au  cas  de  l'alliance  d'une  puissance  avec  une 
autre  ces  règles  universelles,  éternelles  du  Droit  civil, 
dérivées  du  droit  naturel ,  et  nous  trouverons  aussitôt  la 
solution  d'une  vérité  qui  n'aurait  jamais  dû  paraître  embar- 
rassante. 

<  On  nous  a  promis  des  secours;  mais  il  est  démontré  que 
nous  n'en  avons  ni  n'en  aurons  besoin,  que  nous  ne  serons 
et  ne  pourrons  jamais  être  dans  le  cas  de  les  réclamer  ;  donc 
cette  promesse  de  secours  est  illusoire,  nulle  au  fond  et 
comme  non  avenue;  donc,  en  promettant  de  notre  côté  à 
l'autre  partie  contractante  ces  mêmes  secours,  dont  le  cas  est 
possible,  prochain,  multiplié,  et  peut  devenir  très  rrét|uonÇ 


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DISCOURS  d'ouvertcre.  37 

nous  avons  été  lésés ,  surpris ,  circonvenus.  Nous  nous  som- 
mes engagés  à  donner  sans  recevoir  ;  donc  notre  engagement 
n'est  pas  synallagmatique  ;  donc  il  est  nul  ;  donc  nous  som- 
mes en  droit  d'en  demander  la  résiliation  (1).  > 


APPENDICE   II 


Les  résultats  du  traité  de  1756  relativement  à  la  situation  de 
la  France  vis-à-vis  des  divers  États  du  corps  germanique,  me 
paraissent  avoir  été  saisis  par  Favier,  d'une  manière  remar- 
quable, dans  ses  Conjectures  raisonnées  sur  la  situation  actuelle  de 
la  France  dans  le  système  politique  de  T Europe  (2). 

c  L'alliance  de  1756  avec  la  cour  de  Vienne,  y  est-il  dit, 
c  était,  dira-t-on,  pureifaent  défensive;  loin  d'y  déroger  aux 
c  engagements  des  traites  de  Westphalie,  les  deux  cours  les 
4  prenaient  pour  base  de  leur  union. 

c  Rien  n'est  plus  vrai,  selon  la  lettre;  mais  quel  était  l'es- 
c  prit  des  nouveaux  engagements?  la  suite  l'a  montré,  et  tant 
<  que  ces  liens  subsisteront  entre  la  France  et  l'Autriche,  on 
c  restera  persuadé  que  celle-ci  pourrait  toujours  attenter  im- 

•  punément,  soit  aux  libertés  du  corps  germanique,  soit  à 

•  l'indépendance   ou  même  aux  possessions  de  chacun  de  ses 
€  membres. 

c  On  ne  compte  guère  plus  sur  l'arbitrage  de  la  France.  Il 
c  aurait  été  au  moins  très-suspect. 

<  Mais  autant  la  France  perdit  à  ce  changement,  autant 
t  l'Autriche  y  gagna. 

c  D'abord  elle  eut  de  quoi  en  imposer  à  tout  l'empire,  par 
c  la  publicité  et  l'étalage  de  son  étroite  union  avec  la  France. 

c  Ensuite,  elle  fit  servir  cette  même  intelligence  à  procurer 
c  enfin  Sélection  d'un  roi  des  Romains. 


(4)  PoUiique  des  cabinet*  de  l'Europe^  t.  U,  pp.  43-50. 
(8)  llnd.,  t.  n,  S%  et  soi?. 


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38  SÉâlfCI  PUBUQUB. 

c  Enfin ,  elle  tint  par  là  en  respect  le  roi  de  Prusse  et  se 
réserva  les  moyens  de  renouer  avec  loi,  quand  elle  le  juge- 
rait à  propos,  pour  des  intérêts  éventuels.  Ainsi  qu'en  est-il 
arrivé? 

c  Tous  les  princes  et  Etats  de  l'empire  se  voyant  sans  appui, 
du  côté  de  la  France,  cpntre  la  cour  de  Vienne,  se  jetèrent 
entre  les  bras  de  cette  cour  ou  s'attachèrent  au  roi  de  Prusse 
et  à  l'électeur  de  Hanovre.  Celui-ci,  soutenu  de  l'aient  de 
l'Angleterre,  forma  dans  l'empire  une  troisième  puissance  du 
premier  rang.  La  France  n'y  parut  plus,  dans  la  dernière 
guerre ,  que  comme  une  puissance  secondaire  et  auxiliaire 
de  l'Autriche ,  une  exécutrice  aussi  aveugle  que  zélée  des 
décrets  du  Conseil  aulique. 

ff  Les  princes  et  les  Etats  autrefois  alliés  et  dépendants  de 
la  France,  furent  entraînés  par  elle-même  dans  la  cause  et 
la  dépendance  absolue  de  la  cour  de  Vienne.  Ils  lui  vouè- 
rent l'obéissance  et  la  soumission  dont  on  a  vu,  sous  Léopold, 
des  exemples  si  funestes  à  la  France.  Ce  fut,  à  la  vérité,  con- 
tre le  roi  de  Prusse;  mais,  par  l'assujettissement  qui  en  ré- 
sulta, cette  cour  se  mit  en  mesure  de  les  tourner  avec  plus 
de  facilité  encore  contre  la  France  même,  si  celle-ci  lui  en 
fournissait  le  plus  léger  prétexte. 

c  En  attendant,  ils  sont  restés  à  l'yard  de  cette  couronne 
dans  l'état  d'indifférence  et  d'indépendance  où  l'Autriche  a 
toujours  souhaité  de  les  tenir  en  temps  de  paix,  pour  en 
faire  contre  elle  des  instruments  en  temps  de  guerre.  • 


^V.  B.  —  Une  chose  très  remarquable,  c'est  que  Frédéric  H, 
prince  à  demi-français,  qui  méprisait  les  Allemands,  a  été  con- 
sidéré par  ces  derniers  comme  un  prince  national  et  le  cham- 
pion de  leur  autonomie.  Il  me  semble  que  la  mauvaise  politique 
inaugurée  pour  la  France  par  le  traité  de  1756  a  dâ  contribuer 
à  donner  de  lui  cette  opinion.  La  France,  devenue  l'auxiliaire 
de  l'Autriche,  cessait  par  là  forcément  d'être  considérée  comme 
la  patronne  îles  libertés  germaniques  vis-à-vis  de  l'empereur. 
Ceux  des  petits  Etals  qui  désiraient  conserver  une  certaine  in* 


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DI8C0UES  d'ooybrtobb.  39 

dépendance  devaient  par  suite  se  grouper  autour  de  celui  d'en- 
tre eux  qui  leur  paraissait  le  plus  capable  de  les  défendre  con- 
tre les  entreprises  d'une  puissance  ambitieuse  et  toujours 
envahissante.  Ce  rôle  de  protectrice  échut  naturellement  à  la 
Prusse,  pour  laquelle  il  e$l  detdnii  le  marchepied  de  la  sou- 
veraineté sur  la  Germanie. 


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40  SftAIfCE  PUBLIQUE. 


ELOGE 

DU  D'  DESBARREAUX-BERNARD 
Par  m.  Ad.  BAXJDOUIN 


I 


Le  docteur  Tibulle  Pellet  Desbarreaux-Bernard  était  ué  le 
30  brumaire  an  VII  (30  novembre  1798)  ;  il  est  mort  le  15  fé- 
vrier 1880;  il  avait  donc  plus  de  quatre-vingt-un  ans  quand 
nous  l'avons  perdu. 

Malgré  Tàge,  malgré  la  toux  chronique  qui  secouait  et  meur- 
trissait presque  sans  trêve  son  pauvre  corps  amaigri,  c'était 
encore,  c'était  toujours  un  homme.  Une  incroyable  énergie 
maintenait  en  activité  tous  les  ressorts  de  cette  intelligence 
heureuse.  Au  sortir  des  plus  terribles  crises,  il  se  plongeait 
dans  le  travail  comme  dans  une  source  où  il  savait  retrouver 
les  pensées  vastes  et  jusqu'à  la  gatté  de  la  jeunesse. 

On  aurait  pu  s'en  étonner,  car  les  qualités  exquises  qui  l'ont 
rendu  si  cher  à  tous  ceux  qu'il  a  aimés  étaient  faites  pour 
donner  le  change.  Comment  soupçonner,  sous  tant  de  bonne 
grâce,  le  vrai  fonds  de  sa  nature  :  cet  âpre  besoin  d'agir  qui 
fut,  au  moins  autant  que  les  livres,  ses  délices  aux  jours  heu- 
reux,  sa  ressource  dans  les  temps  sombres,  ou,  pour  parler 
comme  sa  devise  ;  In  secundis  voluptas,  in  adversis  perfvgium; 
ce  labeur  acharné,  dont  Tauleur  d'un  livre  mystique  —  qui  l'a 


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ÉL06B  DU  DOCTBDB  DESBABBEAUX-BBRNARD.  41 

beaucoup  occupé,  lui  profane  —  aurait  fait  sans  difficulté  l'un 
des  degrés,  et  le  principal,  de  son  Échelle  de  Paradis?  Car,  sa 
vie,  à  la  bien  prendre,  n'a  été  qu'une  longue  ascension  dans  le 
bonheur;  il  a  été  presque  toujours  heureux.  II  le  disait  lui- 
même  et  de  lui-même,  en  ses  derniers  jours,  comme  s'il  se  re- 
prochait les  plaintes,  ohl  bien  douces,  que  lui  arrachait  la 
souffrance,  ou  s'il  craignait  de  paraître  ingrat  devant  sa  cons- 
cience toute  pénétrée  encore  des  souvenirs  des  temps  meilleurs. 
Mais,  ce  qu'il  ne  disait  pas,  le  bon  docteur,  c'est  que  s'il  a  été 
heureux^  il  a  eu  du  mérite  à  l'être,  et  on  va  le  voir  tout  à 
l'heure. 

Son  début  dans  la  vie  eut  quelque  chose  de  singulier.  Ce  fut 
un  défi,  je  ne  dis  pas  à  la  raison ,  mais  à  la  méthode  d'ensei- 
gnement qu'autorise  la  tradition.  A  quinze  ans,  n'ayant  encore 
rien  appris  que  ce  qu'on  enseigne  dans  les  pensionnats ,  il 
aborda  directement  l'étude  des  hautes  sciences  qui  constituent 
la  médecine.  On  pense  bien  qu'il  ne  s'y  était  pas  porté  de  lui- 
même.  —  II  a  bien  conté  plus  tard  qu'une  de  ses  premières 
admirations  avait  été  pour  un  digne  médecin  en  culottes  cour- 
tes qu'il  voyait,  l'hiver,  traverser  le  pont,  gravement,  une 
main  dans  son  manchon,  l'autre  sur  sa  canne  à  bec  de  corbin. 

Mais  il  va  de  soi  que  ce  respect  tout  puéril  pour  une  mode 
et  un  costume  qui  étaient  déjà  d'un  autre  âge,  ne  pût  contri- 
buer en  rien  à  le  pousser  dans  la  voie  qu'il  a  suivie  avec  tant 
d'honneur.  —  L'idée  de  faire  d'un  enfant  bien  doué  l'objet  et  à 
la  fois  le  sujet  et  le  champion  de  ce  paradoxe  :  Que  pour  ap- 
prendre à  être  médecin,  il  n'est  besoin  d'étudier  ni  la  gram- 
maire, ni  la  rhétorique,  ni  la  philosophie,  ni  le  latin  de  Celse, 
ni  le  grec  même  d'Hippocrate  et  de  Galien,  cette  témérité  à 
faire  trembler  les  doctes,  elle  venait  d'un  homme  qui  a  laissé 
à  Toulouse  un  long  souvenir  et  qui  est  une  des  gloires  de  cette 
Académie.  L'expérience,  certes,  pouvait  paraître  délicate;  mais 
le  docteur  Yiguerie  —  j'ai  nommé  cet  oseur  —  ne  la  faisait 
qu'à  bon  escient.  Il  avait  devers  lui  une  raison  de  la  trouver 
toute  naturelle.  Est-ce  que  son  propre  père,  qui  avait  commencé 
par  être  chirurgien-barbier ,  n'avait  pas  fini  par  obtenir  au 
Concours  la  place  si  enviée  de  chirurgien-major  de  l'Hôtel-Dieu  I 


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48  SftAIfCI  PUBUQUI. 

Après  tout,  ce  o'esl  pas  en  vertu  d'un  de  c  ces  rapports  néces- 
saires qui  résultent  de  la  nature  des  choses  »  qu'on  traverse 
l'instruction  classique  pour  arriver  aux  sciences  positives.  Il 
n'y  a  là  qu'un  simple  usage,  justifiable  peut-être  dans  le  passé 
quand  il  n'y  avait  d'autres  sciences  que  celles  des  anciens, 
mais  très-discutable  aujourd'hui,  à  moins  qu'on  veuille  soute- 
nir que  l'aptitude  à  observer  est  en  raison  inverse  de  la  force 
de  la  mémoire  et  de  la'  curiosité  de  l'esprit,  ou  bien  qu'elle  ne 
se  développe  qu'au  moment  précis  où  l'on  est  reçu  bachelier. 

En  commençant  par  où  les  autres  finissent,  le  sujet  du  doc- 
teur Viguerie  était  averti  de  reste  que,  s'il  voulait  être  docteur 
un  jour,  il  lui  faudrait  bien  finir  par  où  les  autres  avaient  com- 
mencé. —  Haut  était  le  but,  immense  l'effort  à  faire.  Mais  qui 
ne  connaît  l'attrait  des  sommets  et  l'ardeur  généreuse  dont  il 
embrase  un  jeune  cœuri  L'élan  de  celui-ci  fut  admirable*  Son 
travail  s'égala  partout  à  son  désir,  et  partout  demeura  vain* 
.queur.  Il  suivait  le  matin  à  l'Hôtel-Dieu  la  clinique  de  son 
maUreJbien-aimé,  M.  Viguerie,  ou  celles  de  MM«  Dubemard  et 
Roaldès;  le  soir,  il  se  préparait  aux  épreuves  universitaires; 
non  pas  seul,  un  maître  le  dirigeait.  Quel  était  ce  maître?  -^ 
Je  causerais  trop  de  surprise  si  je  le  disais  sans  préface.  Rap- 
pelez-vous, Messieurs,  que  nous  sommes  en  1814  et  qu'il  n'y  a 
pas  encore  un  âge  d'homme  que  la  grande  Révolution  a  dé- 
chaîné ses  tempêtes  et  couvert  le  monde  d'épaves.  Il  se  nommait 
Monsieur  Muret,  —  un  nom  qui  sonnait  doux  aux  oreilles  des 
érudits  du  seizième  siècle,  —  et  il  était  ^  humaniste  déchu  — 
souffleur  au  théâtre.  Comment  il  avait  été  jeté  là,  je  n'ai  pas  à 
le  dire  ;  mais  il  faut  bien  qu'on  sache  pourquoi  l'on  avait  été  l'y 
chercher.  Ce  n'est  pas,  comme  on  serait  peut-être  tenté  de  le 
supposer,  que  les  parents  de  son  élève  fussent  sans  culture  : 
l'un  et  l'autre,  au  contraire,  étaient  presque  des  gens  de  let- 
tres. La  mère.  Lyonnaise  d'origine,  avait  œmposé  vers  1800, 
et  pour  glorifier  Bonaparte,  une  comédie,  le  Petit  chemin  de 
Postdamy  où  éclate  la  passion  désintéressée  des  contemporains 
de  Voltaire  pour  Frédéric  H.  Le  père  avait  cela  d'Ovide  que  les 
vers  naissaient  sous  sa  plume  sans  qu'il  y  prit  garde.  Quoique 
étranger  ù  Toulouse,  ^  il  sortait  du  Dauphiné,  —  il  avait  été 


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ÉLOGE  DU  DOCTBOR  DBSBARRBADX-BEBNARD.         43 

dix  ans  l'idole  des  patriotes  toulousains,  maire  en  1795»  et 
jusqu'en  1799  administrateur  du  département.  Antérieure- 
ment, vers  1787,  le  célèbre  Mole,  qui  fut  le  type  le  plus  ac- 
compli des  élégances  et  des  grâces  du  monde  au  théâtre,  était 
devenu  son  oncle,  et  lui-même,  sans  que  sur  les  bruyères  de 
ses  montagnes  natales  aucune  sorcière  lui  eût  révélé  qu'un 
jour  il  aurait  un  rôle  sur  la  scène  politique,  lui-môme  avait  été 
un  excellent  comédien.  Ce  n'était  pas  un  Gollot  d'Herbois.  Quel 
tribun  que  celui  x|ui,  l'année  môme  de  l'insurrection  royaliste, 
s'amusait  à  donner  à  son  fils  le  nom  du  tendre  Tibulle,  et  qui, 
jeune,  avait  pris  lui-môme  pour  nom  de  guerre  le  nom  d'un 
spirituel  échappé  de  l'orthodoxie  catholiq^je,  de  l'homme  à 
l'omelette,  de  Desbarreaux!  Ce  n'était  pas  môme  un  homme 
politique.  M""*  de  Staël,  à  qui  je  ne  veux  pas  manquer  de  res- 
pect, l'eût  comparé  à  une  harpe  éolienne.  Sonore,  et  surtout 
sonore,  il  avait  l'opinion  du  vent  qui  soufflait.  —  Avec  le  pen- 
chant à  s'enivrer  de  sentiments  sublimes,  et  la  prétention  très 
justifiée  d'être,  je  cite  :  «  un  esprit  doux,  une  âme  sensible, 
tout  le  contraire  d'un  terroriste  »,  —  et  en  effet,  après  l'insur- 
rection de  l'an  VII,  nombre  de  prisonniers  royalistes  lui  durent 
leur  liberté,  —  il  n'avait  de  bien  à  lui  qu'une  pétulante  abon- 
dance de  paroles  et  un  grand  art  de  diction  servi  par  une  voix 
souple  et  puissante.  Ce  fut  par  là  qu'il  brilla,  à  partir  de  1789, 
et  qu'il  devint  l'organe  favori  d*abord  :  du  Club  littéraire  et 
patriotique,  plus  tard,  de  la  Société  populaire.  Vais  quand  ces 
qualités  l'eurent  porté  au  pouvoir,  il  s'y  trouva  tout  dépaysé; 
il  ignorait  les  affaires;  ses  collègues,  d'anciens  procureurs,  lui 
donnèrent  le  département  des  discours  au  peuple.  H  fut  leur 
orateur  dans  ces  pastorales  civiques,  la  fôte  de  la  jeunesse,  la 
fête  des  époux,  instituées  par  la  Convention,  et  qui  consistaient 
surtout  à  jouir  de  son  éloquence.  Hais  ses  fonctions  principales 
furent  de  desservir  le  Temple  de  la  Raison.  Chaque  décadi  il  y 
lisait  aux  patriotes  les  actes  du  gouvernement  et  les  arrêtés 
des  autorités  constituées;  il  y  célébrait  les  bienfaits  de  la  Ré- 
volution ;  à  l'occasion  il  y  couronnait  la  vertu  et,  pontife  jus- 
qu'au bout,  il  y  distribuait  son  c  Catéchisme  de  morale,  extrait 
des  ceuvres  d'Helvélius.  »  Par  allusion  à  leurs  vieilles  parois- 


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44  StilfCB  PUBLIQUI. 

ses  de  la  Daurade ,  de  la  Dalbade,  les  Toulousains ,  qui  n'ont 
jamais  manqué  de  malice,  Tayaient  surnommé  le  curé  de  la 
Décade. 

Redevenu  simple  citoyen,  il  se  retrouva  homme  de  lettres. 

A  lire  son  journal,  où  il  raconte  en  vers  le  spectacle  de  cha- 
que soir,  on  pourrait  croire  qu'il  n'avait  jamais  quitté  la  car- 
rière dramatique.  Elle  avait  pour  lui  un  attrait  bien  puissant 
puisqu'il  finit  par  y  rentrer  vers  1810,  en  qualité  de  directeur. 
Mais  comme  au  théâtre,  —  à  l'inverse  de  ce  qu'on  remarque  aux 
maisons  de  jeu,  —  toutes  les  chances  ou  presque  toutes  sont 
contre  celui  qui  fait  jouer,  trois  ans  ne  s'étaient  pas  écoulés 
qu'il  pouvait  déjà  prévoir  sa  ruine.  Les  catastrophes  de  1814 
la  consommèrent.  Toutefois,  avec  l'acharnement  des  joueurs,  il 
s'obstinait  encore  à  rattraper  la  fortune  dans  l'entreprise  qui 
l'avait  perdu. 

Cétait  du*milieu  de  cette  détresse  —  qui  devait  encore  s'ac- 
croître —  que  Tibulle  Desbarreaux  avait  été  lancé  dans  l'étude 
coûteuse  de  la  médecine.  Qu'on  juge  s'il  pouvait  dédaigner  les 
leçons  de  cet  humble  ami,  Monsieur  Muret  I 

Outre  qu'elles  servirent  à  lui  faire  obtenir  plus  tard  l'indis- 
pensable grade  de  bachelier ,  elles  eurent  un  autre  effet  plus 
considérable.  Elles  achevèrent  ce  qu'avaient  ébauché  déjà  les 
influences  sourdement  informatrices  du  foyer  domestique  :  elles 
imprimèrent  à  son  esprit  le  caractère  de  l'âge  qui  venait  de 
finir.  Il  en  garda  toujours  l'empreinte.  Par  sa  manière  de  penser, 
sa  morale  si  humaine,  dirai-je  sa  métaphysique?  par  ses  préfé- 
rences littéraires,  ses  lectures  si  vastes  et  si  variées,  les  souve- 
nirs qu'il  en  avait  gardés,  les  anecdotes  dont  il  se  plaisait  à 
entremêler  ses  propos,  il  fut  parmi  nous,  mais  sans  bizarrerie, 
avec  une  discrétion  spirituelle,  un  homme  du  dix-huitième  siècle. 
Quand  il  eut  quitté  Toulouse  pour  Paris,  sait-on  où  il  allait  se 
délasser  des  travaux  de  l'École  pratique,  des  fatigues  de  l'in- 
ternat et  de  l'austère  enseignement  de  ses  maîtres,  les  Roux,  les 
Boyer,  les  Chaussier,  les  Jadelot?  Aux  cours  illustres  de  la  Sor- 
bonne?  non  pas,  mais  au  Collège  de  France,  au  pied  de  la  chaire 
d'Andrieux,  qui  aurait  tant  souhaité  —  c'était  une  de  ses  his- 
toires   —  qu'on  rappelât    le  bon   Andrieux.    Dans    l'aimable 


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ÉLOGE   DO   I>0€TBOR  DBSBARRBAUX-BBRNARD.  45 

vieillard  qui  a  si  bien  conté  l'histoire  du  meunier  de  Sans-Souci, 
il  retrouvait  le  tour  d'esprit,  le  fonds  d'idées  voltairiennes  de 
Tauteur  du  Petit  chemin  de  Postdam.  —  Rien  que  cela  le  lui 
aurait  rendu  cher,  car  il  adorait  sa  mère;  il  lui  ressemblait  de 
visage,  mais  combien  plus  par  le  cœur!  Il  aimait  en  elle  cette 
attrayante  bonté  qui  était  en  lui-même,  qui  lui  venait  d'elle, 
et  dont  chaque  mois»  à  200  lieues  ou  pour  mieux  dire  à  huit 
journées  de  distance,  il  ressentait  les  effets. — La  digne  femme, 

—  qui  avait  obtenu  un  bureau  do  la  régie,  —  du  fruit  de  ses 
privations  faisait  vivre  son  fils  et  le  père  de  son  fils,  le  passé 
morose  et  désespéré,  le  riant,  le  confiant  avenir.  Elle  en- 
voyait bien  peu,  mais  pour  la  jeunesse  qui  travaille,  bien  peu 
c'est  encore  assez.  Le  petit  élève  en  chirurgie,  devenu,  à 
force  de  veilles,  interne  de  première  classe,  savait  rendre  duc- 
tile sa  pension  de  75  francs,  au  point  d'en  couvrir  les  dépenses 
de  trente  jours  et  de  l'étendre  môme  à  quelques  fantaisies. 
Il  contait  qu'il  n'en  avait  guère.  Une  pourtant,  certaine  finan- 
cière lui  tint  au  cœur  pendant  tout  un  hiver.  Bt  il  eut  le  cou- 
rage de  résister!  C'était,  Messieurs,  une  chaude  houppelande  à 
la  mode  sous  Louis  XVIIL 

Mais  il  avait  conservé  et  garda  toujours  dans  sa  bibliothèque 
un  Voltaire-Baudouin,  chèrement  relié,  qu'il  ne  regardait  ja- 
mais qu'avec  un  sourire  où  il  j  avait  de  la  complaisance  et  je 
ne  sais  quelle  commisération.  —  C'était  un  livre.de  ce  temps- 
là  !  le  premier  qu'il  eût  désiré  !  le  premier  qu'il  eût  acheté  ! 

—  Après  quels  combats  ?  —  avec  quels  remords  peut-être?  car 
depuis  1818,  l'année  de  son  arrivée  à  Paris,  comme  il  ne  pou  • 
vait  plus  payer  d'inscriptions,  il  n'en  prenait  plus.  Je.crois  bien 
qu'on  avait  dû  l'encourager  à  s'en  passer.  Qui?  peut-être  quel- 
qu'un de  ses  camarades  de  la  Société  hippocratique,  dont 
Bouillaud  était  le  secrétaire  ;  peut-être  ses  premiers  maîtres. 
Roux,  Boyer,  les  princesdu  scalpel  après  Dupuytren,  qui  s'étaient 
intéressés  à  sa  pauvreté  laborieuse.  Il  est  certain  qu'ils  ne  lui 
refusèrent  pas  leur  témoignage  devant  la  Faculté,  longtempf 
après  que,  délaissant  la  chirurgie,  il  se  fût  tourné  vers  l'étude 
moins  tragique  de  la  médecine  et  consacré  —  nature  pitoyable 
et  tendre  —  à  la  guérison  des  maladies  de  l'enfance. 


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16  SÉAlfCI   PUBLIQtTB. 

Ainsi,  la  parole  de  ces  professeurs  illustres  lui  tînt  Heu  des 
droits  qu'il  n'avait  pas  acquittés.  Et  pour  qu'aucune  recomman- 
dation ne  lui  manquât  auprès  de  ses  juges,  son  dernier  chef  de 
service,  M.  Jadelot,.avait  écrit  ceci  : 

c  Je,  soussigné,  médecin  de  l'hôpital  des  enfants,  certifie  que 
M.  Bernard  a  fait  dans  cet  hôpital  le  service  d'élève  interne, 
pendant  deux  années —  1822-1823 — avec  la  plus  grande  exac- 
titude, et  qu'il  y  a  montré  constamment  tin  zèle  extraordinaire 
pour  tout  ce  qui  concernait  le  service  dont  il  était  chargé,  et 
pour  son  instruction.  > 

Dès  le  16  mai  1824  il  avait  obtenu  le  diplôme  de  bachelier; 
—  il  fut  reçu  docteur  en  médecine  le  22  février  1825.  Et  alors, 
Messieurs,  il  se  souvint.  Jouissant  profondément  de  ce  qu'il 
était,  il  se  souvint  de  ce  qu'il  aurait  pu  être,  sans  elle  c  sa 
bonne  mère  »,  sans  lui,  c  M.  Gh.  Yiguerie»,  et  il  épancha  le 
trop-plein  de  son  cœur,  en  proclamant  à  la  preftiière  page  de 
sa  thèse  et  sa  piété  filiale  et  sa  reconnaissance. 


II 


En  général,  un  médecin  réussit,  j'entends  un  bon  médecin, 
moins  encore  par  son  mérite,  dont  le  public  n'est  pas  juge,  que 
par  l'opinion  qu'il  veut  et  sait  donner  de  soi.  Plaire  ou  ne  pas 
plaire,  voilà  la  question.  Le  nouveau  docteur  plut,  je  crois  bien, 
sans  avoir  fait  de  monologue  ;  mais  il  mit  du  temps  à  réussir. 
—  Savoir  réel  et  déjà  éprouvé,  esprit  et  grâce,  et  gaîté,  et 
bontés  —  agréments  d'une  taille  élégante  et  d'une  physionomie 
heureuse,  tenue  correcte  et  toujours  très-soignée,  —  tout  cela 
chez  lui  ne  demandait  qu'à  luire,  —  mais  il  n'y  avait  pas  de 
place  au  soleil  1  Toute  celle  qui  était  à  prendre  était  prise  et 
bien  prise  par  M.  Viguerie,  par  H.  Larrey,  par  M.  Dubor,  par 
M.  Ducasse,  par  M.  Dubernard,  par  H.  Naudin,  par  bien  d'au- 
tres encore  aujourd'hui  moins  connus.  Il  eut  donc  d'abord  peu 
de  clients,  mais  beaucoup  d'amis,  d'amis  charmants,  la  fleur  de 
la  jeunesse  toulousaine.  Cela  lui  eôt  suffi,  car  il  était  vraiment 
comme  Montesquieu,  amoureux  db  l'amitié^  si  cela  l'eût  fait  vi- 


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ÉLOGE  DU  DOGTSOE  DBSBAHIRAUX-BBRNARD.  47 

Tre.  n  se  tourna  donc,  bon  gré  mal  gré,  vers  la  médecine  légale. 
—  Il  eul  occasion,  dans  ces  commencements,  de  faire,  comme 
médecin  de  la  Cour  d'assises,  une  belle  observation  qui  intéressa 
sérieusement  l'Académie  de  médecine  et  qui  méritait  de  rester 
célèbre.  Si  elle  ii*eût  pas  été  oubliée,  l'expérience  récente,  le 
pari,  pour  mieux  dire,  du  docteur  Tanner,  eût  certainement 
moins  passionné  le  monde. 

Un  paysan  aisé,  qui  n'était  pas  un  scélérat,  qui  aimait  seule- 
ment sa  femme  avec  la  passion  d'un  tigre,  l'avait  tuée  dans  un 
accès  de  rage  erotique,  parce  qu'elle  se  dérobait  à  ses  ardeurs. 
«  Elle  lui  résistait  i  il  l'avait  assassinée  i  » 

Le  meurtre  accompli,  la  raison  revenue,  —  l'échafaud  lui 
était  apparu,  et  il  n'en  avait  pas  eu  peur  pour  lui-môme.  Mais 
SCS  enfants  qu'il  aimait  d'une  affection  profonde,  que  devien- 
drait... leur  bien? —  Il  croyait  fermement,  quarante  ans  après 
89,  et  rien  ne  put  arracher  de  son  rude  cerveau  cette  idée 
traditionnelle,  patrimoniale,  comme  sa  terre  et  sa  demeure, 
il  croyait,  dis-je,  que  la  mort  par  justice  entraînait  en- 
core la  confiscation.  Pour  éviter  un  tel  malheur,  le  plus 
grand  de  tous  à  ses  yeux,  ce  père  héroïque  résolut  de  se  laisser 
mourir  de  faim.  Et  quoi  qu'on  pAt  faire  pour  l'en  empêcher,  il 
accomplit  son  sacrifice!  U  ne  mourut  qu'au  bout  de  saixanie- 
(roîs  jours. 

Du  moment  que  son  intention  avait  cessé  d'être  douteuse,  le 
docteur  Bernard  était  venu  à  la  prison,  matin  et  soir.  U  eut 
l'idée  d'ouvrir  et  il  tint  avec  méthode  le  journal  navrant  de  ce 
long  martyre  ;  puis,  après  que  le  malheureux  eut  succombé,  il 
fit  l'autopsie  de  son  corps. 

C'est  le  premier  travail  qu'il  ait  communiqué  à  la  Société  de 
médecine  de  Toulouse,  qui  l'avait  nommé  associé  ordinaire  le 
18  novembre  1830,  et  qui  devait  Télire  président  quinze  ans 
plus  tard.  C'est  peut-être  aussi  le  plus  important  qu'il  ait  rédigé 
comme  médecin.  Excellent  praticien,  il  n'avait  pas  le  goût  des 
recherches  scientifiques.  Ses  écrits  professionnels,  assez  nom- 
breux et  dont  plusieurs  sont  remarquables,  se  rapportent  pour 
la  plupart  à  la  médecine  eti^  la  chirurgie,  peu  sont  à  propre 
ment  parler  dea  mémoires  de  médecine.  Son  penchant  était 


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48  sêânck  publiqob. 

ailleurs,  penchant  qui  se  fortifiait  avec  Tàge,  et  qui  l'eût 
dominé,  si,  par  un  progrès  égal,  sa  clientèle  ne  se  fût  accrue, 
et  si  les  fonctions  successives  ou  simultanées  de  médecin  des 
prisons,  du  pénitencier,  du  théâtre,  du  dispensaire  nouyelle- 
ment  créé  de  Saint-Sernin,  et  ses  importants  devoirs  de  médecin 
en  chef  de  l'Hôtel-Dieu,  de  professeur  à  l'École  et  de  membre  du 
jury  médical  n'eussent,  de  1838  à  f867,  sollicité  impérieuse- 
ment sa  consciencieuse  activité.  Vous  le  savez.  Messieurs,  il 
était  né  littérateur.  La  plume  l'attirait,  et  il  s'en  servait  bien; 
il  entretint  quarante  ans,  avec  un  ami  bien  cher,  une  corres- 
pondance où  les  lettres  avaient  grande  part,  et  qui  prit  quel- 
quefois la  forme  des  vers,  car  il  vaticinait  à  ses  heures.  Ceux 
de  ses  confrères  qui  étaient  jeunes  en  1846,  n'ont  pas  oublié 
le  <  Petit  remerclment  •  qu'il  récita  dans  une  agape  amicale  à 
la  Société  de  médecine,  au  moment  de  quitter  la  présidence. 
Rien  de  plus  vif,  de  plus  souriant;  —  rien  de  plus  g^i  non 
plus  que  le  dernier  vers,  parodie  d*un  alexandrin  du  SyUa.de 
M.  de  Jouy,  où  Talma  avait  mis  son  empreinte.  —  Naguère 
encore,  une  muse  importune,  celle  de  l'insomnie,  dictait  à  sa 
vieillesse  six  sonnets  qui  ne  sont  pas  sans  poésie. 

On  dit  que  ceux  qui  ont  perdu  bras  ou  jambe  croient  par- 
fois souffrir  du  membre  qu'ils  n'ont  plus.  Lui,  souffrit  toute  sa 
vie  des  lacunes  qui  avaient  existé  dans  son  instruction  première  ; 
il  les  avait  pourtant  comblées,  non-seulement  avant  le  doctorat, 
mais  depuis.  Ses  amis  qu'il  recherchait  le  plus  n'étaient  pas  les 
brillants  dandys  dont  il  partageait  les  plaisirs  :  il  en  avait  de 
savants,  qui  ne  songeaient  qu'à  l'étude,  et  il  ne  comptait  pas 
les  heures  —  pour  lui  délicieuses  —  qu'il  passait  avec  eux  h 
faire  du  grec  et  du  latin.  Il  avait  même  appris  l'italien,  non  cet 
italien  francisé  qu'on  trouve  aujourd'hui  dans  les  gazettes,  mais 
la  langue  pure  et  charmante  de  Boccace  et  d'Arioste.  —  Sait-on 
qu'au  temps  fortuné  où  l'opéra  symphonique  était  encore  à  naître, 
où  l'on  ne  jurait  encore  que  par  les  maîtres  italiens,  il  traduisit 
et  adapta  à  la  scène  française  //  Pirata  et  la  Norma  de  Bellini? 
—  Quelle  joie  pour  les  amateurs  du  théâtre  lorsque  le  Pirate 
fut  chanté  à  Toulouse  !  —  c'était  en  1835  —  mais  pour  le  tra- 
ducteur aussi,  quelles  acclamations,  quel  triomphe  I  Pendant 


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BLOGB  DO  DOGTfiOE  DBSBÀRftBÂDX-BEANABD.         49 

huit  jours  il  eut  des  flatteui*s.  Un  d'eux,  dont  je  vois  encore  le 
petit  œil  noir,  luisant  d*esprit,  poussa  Tenthousiasine  pour  ce 
«  polyglotte  à  qui  toute  langue  devait  être  indifférente,  •  jus- 
qu'à le  complimenter  en  latin.  — J'ai  lu  cette  épitre  étonnante. 
C'est  un  panégyrique  en  règle,  mais  d'une  indiscrétion  que  je 
n'imiterai  pas.  Pourquoi  rappeler  que  l'aimable  librettiste  avait 
renouvelé,  accru  même  parmi  les  plus  belles,  la  gloire  du  nom 
de  Tibulle,  tenerrimi  patroni!  —  Mieux  eût  valu  ne  pas  omettre 
un  autre  mérite,  qui  n'était  pas  moins  digne  de  louange,  qui  a 
fait  la  notoriété  du  docteur  Desbarreaux-Bernard  :  l'amour  qu'il 
eut  aussi  pour  les  livres. 

L'histoire  de  son  Voltaire  fait  bien  voir  qu'il  les  avait  tou- 
jours aimés,  —  mais  d'abord  à  la  façon  de  tout  le  monde, 
comme  des  formes  palpables,  toujours  à  portée,  toujours  acces- 
sibles des  mainmises  du  génie  sur  l'art,  ou  de  ses  conquêtes  sur 
l'inconnu.  Hais  avec  le  temps  ce  culte  raisonnable  avait  tourné 
à  la  dévotion,  l'amateur  était  devenu  bibliophile!  —  de  l'esprit, 
sa  religion  avait  passé  à  la  relique,  au  symbole...  quand  reli- 
ques et  symboles  étaient  célèbres,  ou  dignes  de  l'être,  en  beau 
papier,  bien  imprimés  et  artistement  reliés.  J'indique,  en  gros, 
les  qualités  qui  rendent  ces  choses  adorables;  il  parait  qu'il  y 
en  a  bien  d'autres;  ce  sont  des  mystères  que  je  n'entends  pas, 
mais  auxquels,  plein  du  feu  sacré,  le  docteur  se  faisait  initier, 
tout  en  traduisant  le  Pirate^  par  un  ex-fonctionnaire  qui  avait 
aimé  Charles  X  jusqu'à  refuser  de  reconnaître  le  roi-citoyen. 

Catéchiste  et  néophyte  se  rencontraient  souvent  chez  un  ex- 
bénédictin, qui,  pour  ainsi  dire,  n'avait  pas  changé  do  profes- 
sion, car  il  était  bouquiniste;  il  faut  dire  que  les  bouquins  étaient 
dignes  d'avoir  un  tel  vendeur.  L'heureux  temps,  Messieurs, 
pour  les  bibliophiles!  Le  manuel  de  Brunet  n'était  pas  encore 
banal,  et  les  trésors  qu'il  signale  —  arrachés  par  la  Révolution 
de  cent  bibliothèques  —  gisaient  négligés,  avilis  dans  la  pous- 
sière des  boutiques.  Une  bonne  moitié  des  livres  de  la  célèbre 
collection  de  la  rue  Deville  sortait  de  là;  presque  tous  les 
autres  —  d'extérieur  moins  soigné,  avant  que  Bauzonnet  et 
Trautz  les  eussent  vêtus  de  splendeur,  mais  au  fond  non 
moins  enviables  —  provenaient  de  la  succession  du  savant 

8«  SÉRIE.  —  TOBUI  m,  2.  4 


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50  SiANCB  POfiLIQOB. 

marquis  de  Gastellaaey  uq  Jes  derniers  grands  seigneurs  qu'ait 
connus  la  génération  de  1800.  Chose  presque  incroyable  et  qui 
pourrait  engager  les  bibliophiles  à  faire  campagne  contre  l'ins- 
truction des  femmes,  le  docteur  avait  eu  cette  riche  dépouille 

en  18491  pour 1,200  francs,  prix  demandé,  et,  ai-je  besoin 

de  le  dire?  non  débattu.  En  même  temps  que  les  livres,  on 
lui  avait  livré  les  brouillons  du  marquis.  Il  y  trouva  des  indi- 
cations qui  lui  donnèrent  à  penser,  et  qui  l'induisirent  à  entrer 
dans  une  carrière  nouvelle  où  il  a  excellé  :  celle  de  la  biblio- 
graphie. 

Sur  cette  matière,  à  la  fois  si  utile  et  si  ingrate ,  mais  que 
tout  naïvement  il  déclarait  amusante,  —  assurément,  elle  l'amu- 
sait! —  il  a  écrit  bien  des  mémoires,  trente  ou  quarante,  je 
crois.  Cette  Académie  —  qui  l'avait  reçu  en  1847  —  en  a  in- 
séré un  grand  nombre  dans  son  Recueil.  C'est  à  elle  qu'il  avait 
destiné  le  premier;  c'est  à  elle  que  j'ai  lu  le  dernier,  alors  qu'il 
n'était  déjà  plus.  Quinze  au  moins  de  ces  mémoires  traitent  des 
débuts  de  la  presse  à  Toulouse  ou  débrouillent  l'histoire  de 
nos  premiers  imprimeurs.  L'oeuvre  était  des  plus  difficiles.  Des 
savants  fort  autorisés  avaient  jadis  attribué  à  Tolosa  d'Bspagne 
les  plus  anciens  livres  qui  portent,  comme  lieu  d'origine,  le 
nom.  de  Tolosa.  Brunet,  dans  son  Manuel,  d'autres,  à  son 
exemple,  avaient  adopté  cette  opinion  sans  trop  la  discuter, 
mais  elle  était  défendue  à  toute  outrance  —  demandez-moi 
pourquoi? —  par  un  vieux  bibliographe  provençal,  polémiste 
endiablé  et  volontiers  discourtois.  Au  docteur  Desbarreaux - 
Bernard  elle  avait  toujours  paru  fort  douteuse.  Les  livres  — 
ainsi  raisonnait-il  —  sont  faits  apparemment  pour  ceux  qui 
lisent.  Or,  où  est  la  probabilité  que  les  premiers  imprimeurs, 
qui  étaient  nomades,  aient  été  en  fabriquer  dans  une  méchante 
petite  ville  du  Guipuzcoa,  où  il  n'y  avait  pas  de  lecteurs?  Au 
contraire,  tout  fait  supposer  qu'ils  étaient  venus,  et  de  bonne 
heure,  à  Toulouse,  siège  d'une  Université  célèbre,  où  fourmil- 
laient les  étudiants.  Voilà  le  thème  de  sa  discussion.  A  force 
de  travail  et  de  recherches,  il  donna  pied  à  son  hypothèse,  et, 
enfin  !  —  si  vous  aviez  vu  sa  joie  I  —  la  découverte  qu'il  fii  à 
Madrid  d'un  livre  daté  de  Tolosa  de  Francia,  lui  permit  de  l'as 


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ÉLOGE   DO   DOCTBUR   DESBARREAUX- BERNARD.  51 

seoir  sur  une  base  inébraolable.  Grâce  à  lui,  Ton  sait  à  pré- 
sent que  c'est  à  Toulouse,  à  notre  Toulouse,  qu'on  a  imprimé 
dès  1 476. 

Après  avoir  raconté  l'histoire  de  la  presse  au  quinzième  siè- 
cle dans  sa  ville  natale,  il  avait  rêvé  de  la  poursuivre  et  amassé, 
pour  cela,  d'importants  matériaux.  Il  a  même  donné  une  idée 
do  cette  continuation  dans  une  brochure  qui  a  pour  titre  : 
L'Imprimerie  à  Toulouse  aux  quinzième ,  seizième  et  dtaysep- 
tième  siècles.  D'autres  travaux  fort  considérables,  où  se  sont 
usées  ses  forces  défaillantes,  le  détournèrent  de  ce  projet.  ^11 
s'agit  de  son  Établissement  de  V imprimerie  dans  la  province  de 
Languedoc,  et  de  cette  œuvre  capitale,  accueillie  avec  tant  de 
faveur  en  France  et  à  l'étranger,  qu'il  a  créée  sans  modèle  et 
que  tous  les  bibliothécaires  voudront  imiter  :  le  Catalogue  des 
Incunables  de  la  Bibliothèque  de  Toulouse. 

La  ville  imprima  à  ses  fraiâ  ce  grand  travail;  elle  le  devait, 
puisqu'aussi  bien  il  avait  été  fait  pour  elle  :  le  docteur,  toute- 
fois, dans  sa  modestie,  avait  craint  d'abord  qu'elle  s'y  refusât; 
elle  y  mit,  au  contraire,  beaucoup  de  bon  vouloir.  C'est  que  le 
respect  et  la  sympathie  du  monde,  —  qui  pourtant  ne  le  voyait 
plus,  — entouraient  sa  retraite  où  il  s'imaginait  être  tout  entier. 
—  A  son  insu,  quelque  chose  de  lui  était  resté  au  dehors, 
quelque  chose  de  plus  parlant  que  la  médaille  d'or  qui  lui  avait 
été  décernée  après  le  choléra  de  1854;  de  plus  honorant  que  le 
ruban  rouge  qui  l'avait  payé  —  payé  en  bonheur  —  de  son 
long  dévouement  aux  malades  de  l'Hôtel-Dieu  :  c'était  l'idée 
d'un  :honnète  homme,  d'un  médecin,  d'un  savant,  d'un  ami, 
qui  avait  aimé  passionnément  le  bien  et  son  devoir,  la  science 
et  l'amitié,  et  qui,  du  matin  au  soir  de  sa  vie,  avait  paré  d'es- 
prit, de  bonne  grâce,  de  je  ne  sais  quelle  tendresse  joyeuse, 
ce  zèle  extraordinaire  qu'admirait  en  1824  le  médecin  de  l'hô- 
pital des  enfants. 

Messieurs,  quand  le  docteur  Desbarreaux -Bernard  revint  de 
Paris,  sa  c  bonne  »  mère  devenait  aveugle,  frappée  pour  les 
vingt  ans  qu'elle  avait  encore  à  vivre  de  la  nuit  éternelle  de 
Tamaurose.  — Consolée  par  sa  présence,  —  attendrie,  péné- 
trée jusqu'au  cœur  de  sa  chaude  affection^  elle  lui  disait  quel- 


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52  SÊ4NCB   POBLIQOB. 

quefois  :  Mels-toi  dans  la  lumière;  que  j'essaie,  il  me  semble 
que  je  pourrai  le  voir  encore  I 

El  moi  aussi,  qu'il  a  tant  aimé,  je  viens  d'essayer  de  le  revoir 
à  travers  la  mort,  pour  le  rendre  à  vos  yeux  tel  que  je  l'ai 
connu  (1). 


OUVRAGES  DU  DOCTEUR  DESBARREAUX  BERNARD 

Médeelae. 

1.  Sur  nn  vice  d'organisation  de  Toreilie  interne.  Paris,  1823  (?).  In-8o, 
2  pages. 

2.  Essai  sur  les  perforations  spontanées  de  Testomac  (thèse  de  doctorat). 
Paris,  Didot  le  jeune,  1825.  In-4o,  28  pages. 

3.  Notice  historique  sur  Quillaume  Qranié,  mort  dans  les  prisons  de 
Toulouse  à  la  suite  d'une  abstinence  prolongée  pendant  soixante- 
trois  jours.  Toulouse,  Aug.  Hénault,  1831.  In-8o,  20  pages. 

4.  Rapport  à  la  Société  de  médecine  sur  le  concours  de  1832  (extrait  du 
Bulletin  de  la  Société  de  médecine  de  Toulouse),  ln-8o,  14  pages. 

5.  Éloge  de  A.  Bojer,  chirurgien  en  chef  de  Thôpital  de  la  Charité  (ex- 
trait du  Bulletin  de  la  Société  de  médecine  de  Toulouse.  In-8o,  12  pages. 

6.  Rapport  sur  les  maladies  qui  ont  régné  à  Toulouse  de  mai  1837  à 
avril  1838  (extrait  du  Bulletin  de  la  Société  de  médecine).  In-8o, 
32  pages. 

7.  Rapport  sur  la  constitution  médicale  de  Tannée  1838-1839  (extrait  du 
Bulletin  de  la  Société  de  médecine).  In-8o,  9  pages. 

8.  Rapport  pour  Tannée  1839-1840.  In-8o,  6  pages. 

9.  Rapport  pour  Tannée  1840-1841.  In-8o,  7  pages. 

10.  Rapport  pour  Tannée  1841-1842.  In-8o,  5  pages. 

11.  Des  honoraires  du  médecin  (discours  prononcé  à  la  séance  publique 
de  la  Société  de  médecine  de  Toulouse  le  il  mai  1845).  Toulouse, 
Douladoure,  1845.  In-8o,  15  pages. 

12.  Rapport  sur  le  congrès  médical  de  Paris,  lu  à  la  Société  de  méde- 
cine de  Toulouse  le  2  décembre  1845  (extrait  du  Bulletin  de  la  Société 
de  médecine).  In-8o,  14  pages,  papier  de  couleur. 

{^)  l^  docteur  DesbarreaDi-Bernard  ne  s'était  jamais  fait  peindre.  Un  peintre  excel- 
lent, M.  J.  Garipoy,  conseryateur  du  Musée,  qui  Tavait  beaucoup  connu,  a  réussi  à 
retrouYcr  les  traits  de  son  &ge  mûr,  en  s'aidant  d'une  photographie  faite  dans  sa  vieil- 
lesse. Ce  portrait  est  destiné  à  l'École  de  Médecine  de  Toulouse, 


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éLOGB    DU    DOCTBOR    DESBARREAUX-BERNARD.  53 

13.  Des  rapports  intimes  de  la  philosophie  et  de  la  médecine ,  discours 
lu  à  la  Société  de  médecine  de  Toulouse  le  10  mai  1846  (extrait  du 
Bulletin  de  la  Société  de  médecine).  In-8o,  16  pages,  papier  de  couleur. 

14.  Essai  biographique  sur  Quillaume  Bunel,  médecin,  docteur  régent 
de  rUniversité  de  Toulouse  (extrait  du  Bulletin  de  la  Société  de  tné^ 
decine  de  Toulouse,  s.  d.  (1846?).  In  8o,  11  pages. 

15.  Discours  prononcé  sur  la  tombe  de  M.  Magnes-Lahens  le  23  avril 
1846.  Toulouse,  Douladoure.  In-8o,  4  pages,  papier  de  couleur. 

16.  Petit  remercîment  (en  vers)  à  MM.  de  la  Société  royale  de  médecine 
de  Toulouse,  1846;  réimprimé  en  1879.  Toulouse,  Éd.  Privât.  In-8o, 
13  pages. 

17.  Notice  bibliographique  sur  Pierre  Fabre,  médecin  à  Toulouse  au 
dix-septième  siècle,  avec  quelques  aperçus  sur  le  spagyrisme  (extrait 
des  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse).  Toulouse,  Dou- 
ladoure, s.  d.  (1847^  In-8o,  18  pages,  papier  de  couleur. 

18.  Rapport  sur  les  travaux  de  T Association  des  médecins  de  Toulouse 
pendant  Tannée  1848.  Toulouse,  Aug.  Manavit,  1849.  ln-8o,  12  pages, 
papier  de  couleur. 

19.  Le  don  d*Orfila  et  le  testament  de  Lapeyronie.  Toulouse,  Chauvin, 
1853.  In-8o,  11  pages. 

20.  Éloge  du  docteur  Charles  Viguerie ,  prononcé  dans  la  séance  publi- 
que de  TAcadémie  des  sciences  de  Toulouse,  le  18  mai  1856  (extrait 
des  Mémoires  de  l'Académie).  Toulouse,  Douladoure,  1856.  In-8o, 
30  pages. 

vl.  Mémoire  sur  une  épidémie  d'orchite  catarrhale  observée,  en  1859, 
dans  les  salles  de  THôtel-Dieu  Saint-Jacques  de  Toulouse  (extrait  du 
Journal  de  médecine  de  Toulouse).  In-8o,  15  pages. 

22.  Empoisonnement  au  moyeu  des  tiges  de  VEuphorbia  peplits,  dans 
les  Mémoires  de  l* Académie  des  sciences  de  Toulouse  de  1860. 

23.  Rapport  sur  le  concours  pour  le  prix  de  médecine,  lu  en  séance  pu- 
blique de  r Académie  des  sciences  de  Toulouse  (extrait  des  Mémoires 
de  r  Académie).  Toulouse,  Douladoure,  s.  d.  (1861).  In-8o,  35  pages. 

24.  Introduction  au  cours  de  clinique  médicale  de  Tannée  1861-1862. 
Toulouse,  Pradel  et  Blanc,  s.  d.  In-8o,  24  pages. 

25.  Les  statuts  des  chirurgiens-barbiers  de  Toulouse  (extrait  des  Mé- 
moires de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse).  Rouget  frères  et  De- 
lahaut,  1865.  In-8o,  39  pages. 

26.  Singularités  médicales  (extrait  du  Journal  de  médecine  de  Toulouse), 
Toulouse,  Rouget  frères  et  Delahaut,  1865.  ln-8o,  7  pages. 

27.  Notice  sur  Jacques  Ferrand ,  médecin  de  Castelnaudary,  auteur  du 
livre  :  de  la  Maladie  de  V  amour  (extrait  des  Mémoires  de  V  Académie 
des  sciences).  Toulouse,  Douladoure,  1869.  In-8o,  24  pages,  papier 
vergé. 

28.  Les  eaux  thermales  en  Chine  (facétie),  s.  d.  Réimprimé  en  1870.  Tou- 
louse. In-8o. 


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5l  SÉANCB  PUBLIQUB. 


1.  Le  Pirate,  g^nd  opéra  en  trois  actes ,  traduit  de  ritalieo;  musique 
de  Bellini,  arrangée  pour  la  scène  française  par  M.  Justin  Cadaux. 
Toulouse,  K.  Cadaux,  1835.  ln-8o,  43  pages. 

2.  Norma,  grand  opéra  en  trois  actes,  traduit  de  Titalien  ;  musique  de 
Bellini,  arrangée  pour  la  scène  française  par  M.  Justin  Cadaux;  mise 
en  scène  de  M.  Girel.  Toulouse,  Cadaux,  1842.  In-8o,  35  pages. 

3.  Complainte  du  frère  Léotade  (placard  lithographie). 

4.  Coup  d'oeil  biographique  et  littéraire  sur  un  auteur  dramatique  du 
dix-septième  siècle  (Gujoa-Guérin  de  Bousçal).  Extrait  des  Mémoires 
de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse,  1848.  In-8o,  16  pages,  papier 
de  couleur. 

5.  Essai  sur  les  réunions  littéraires  et  scientifiques  qui  ont  précédé  à 
Toulouse  rétablissement  de  TAcadémie  des  sciences  (extrait  des  Mé- 
moires de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse),  1849.  In-8o,  32  pages. 
Gravures  des  médailles  des  Lanternistes,  d'après  les  dessins  de  Bida. 
»  Réimprimé  en  1858.  Toulouse,  Chauvin.  In-8o,  110  pages  et 
132  pages  sur  papier  de  Hollande,  sous  ce  titre  :  les  Lantemistes, 
avec  deux  portraits  et  deux  figures  de  la  médaille  des  Lanternistes. 

6.  Rapport  du  jury  de  l'Exposition  de  1850  à  Toulouse,  section  des 
beaux-arts.  Toulouse.  ln-8o,  7  pages. 

7.  Notice  sur  un  chapelet  trouvé  au  port  de  Vénasque  par  M.  Toussaint 
Lézat.  Toulouse,  s.  d.  (1850?).  In--8o,  11  pages  (extrait  du  Journal  de 
Toulouse), 

8.  Macaronée  inédite  à  bases  française  et  patoise,  extraite  d'un  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  de  Toulouse  (extrait  des  Mémoires  de  l'Acadé- 
mie des  sciences  de  TouloiMe),  1852.  In-8o,  15  pages,  papier  de  couleur. 

9.  Notice  biographique  sur  Pierre  Rousseau,  de  Toulouse  (extrait  des 
Mémoires  de  l'Académie  des  sciences  de  Toulouse),  1854.  In-8o, 
32  pages,  papier  de  couleur. 

10.  Le  Pliue  de  Racine  (extrait  de  la  Rem^e  de  Toulouse,  février  1857). 
In-8o,  4  pages. 

11.  Trois  épîtres  d'un  homme  de  lettres,  d'un  commis  voyageur  et  d'un 
médecin  (MM.  Emile  de  la  BédoUière,  Jules  Renoult,  le  docteur  Des- 
barreaux-Bernard), s.  d. 

12.  De  l'orthographe  du  mot  Tariuffe  (extrait  de  la  Revue  de  Toulouse 
de  juin  1858).  In-8o,  6  pages.  »  Réimprimé  en  1865. 

13.  Le  Lumbifragjd  de  Sébastien  Ron illard.  Toulouse,  Chauvin,  1872. 
In- 12,  30  pages. 

14.  Notice  biographique  sur  Pierre  Ducèdre,  capitoul  et  maître  en  la 
gaie  science  de  rhétorique,  avec  une  analyse  des  Ordenansas  del  Libre 


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ÈLOGB   DU    DOCTEUR   DBSBARRBAllX-BBRNARD.  55 

blanc.  En  tête  de  V Annuaire  de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse 
de  1874-1875.  In- 12,  11  pages. 

15.  Le  Cléosandre  de  Baro,  on  description  des  fêtes  données  à  Tonlouse 
pendant  le  carnaval  de  Tannée  1624  (extrait  du  journal  le  Progrès 
libéral).  Toulouse,  Pradel  et  Boé,  1875.  In-8o,  65  pages. 

16.  Nouveau  règlement  général  pour  les  nouvellistes  (extrait  des  Mé- 
moires  de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse),  1876.  In-8o,  16  itages. 

17.  Le  Portefeuille  de  M.  L.  de  D...,  faussement  attribué  à  Qermain  de 
Lafaille,  Fauteur  des  Annales  de  Touloiue.  Toulouse,  Éd.  Privât, 
1877.  Grand  in-8o,  60  pages. 

18.  Étude  critique  de  Guillaume  Colletet  sur  les  œuvres  de  Claude  de 
Trellon,  poète  toulousain  (extrait  du  Journal  de  Toulouse).  Imprim. 
MontanbiD,  1878.  In-12,  19  pages. 


BlbllogMipMe  géBénUe. 

1.  (Note  sur  la)  Vente  de  la  bibliothèque  de  M.  de  Pins-Montbrun. 
Toulouse,  Chauvin,  s.  d.  (1861).  Grand  in-8o,  8  pages. 

2.  La  Chasse  aux  incunables.  Toulouse,  Chauvin,  1863.  ln-4o,  14  pages, 
avec  planche.  —  Réimprimé  en  1864.  In-8o,  24  pages,  3  planches. 

3.  Lettre  à  M.  Alf.  Franklin,  de  la  Bibliothèque  Mazarine,  au  sujet 
d*une  édition  fort  rare  de  V Étemelle  Consolation.  Toulouse,  Chauvin, 
1865.  Grand  in-8o,  6  pages. 

4.  L^Ëchelle  de  Paradis  (reproduction  sur  papier  de  Hollande  et  en  ca- 
ractères gothiques  de  la  Schele.de  Paradis),  avec  titre  et  notice  sur 
papier  commun.  Toulouse,  lithogr.  Delor,  imprim.  Chauvin,  s.  d. 
11869).  Grand  in-8o,  18  feuillets  non  chiffrés. 

5.  Mémoire  sur  les  causes  de  la  rareté  des  livres ,  par  M.  de  Saint-Lau- 
rent, conseiller  au  parlement  de  Toulouse  (extrait  des  Mémoires  de 
r Académie  des  sciences  de  Toulouse],  1871.  In-8o,  15  pages. 

6.  Une  erreur  de  Brunet  à  propos  d*un  poète  qui,  probablement,  n*a  ja- 
mais existé.  Toulouse,  Chauvin,  1871.  In-12,  16  pages. 

7.  Inventaire  des  livres  et  du  mobilier  de  Bernard  de  Béarn,  bâtard  de 
Commenge,  1497  (extrait  des  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  \de 
Toulouse),  1872.  In-8o,  52  pages. 

8.  Etude  bibliographique  sur  Tédition  du  Spéculum  quadruplex  de  Vin- 
cent de  beauvais,  attribuée  à  Jean  Mentel  ou  Mentelin,  de  Strasbourg. 
Paris,  Techener,  1872.  ln-8o,  26  pages  et  2  planches. 

9.  L*Inquisition  des  livres  à  Toulouse  au  dix-septième  siècle  (extrait 
des  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  de  Toulot^se),  1874.  In-8o, 
54  pages. 

10.  Un  livre  perdu  et  un;;mot'retrouvé.  Toulouse,  Chauvin,  1874.  In-S», 
19  pages,  avec  une  figure  gothique. 


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56  SÈANCI   PUBLIQUE. 

11.  Le  Missel  d*Uzèt,  imprimé  à  Lyon  en  1405  par  Jean  Nnmeister,  de 
Mayeoce.  Toalonse,  Montaubin,  1874.  In-12,  8  pages  (extrait  dn 
Journal  de  Toulouse), 

12.  Anomalies  des  signatures  daos  les  premiers  livres  on  on  les  ren- 
contre (extrait  des  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse), 
1877.  In-8o,  11  pages  et  5  figures. 

13.  Notice  bibliographique  sur  les  InsUtutes  de  Jostinien.  éditées  par 
Cnjas  (extrait  des  Mémoires  de  r Académie  de  législation  de  Toulouse), 
1877.  In-8o,  8  pages. 

14.  La  Marqne  des  cinq  plaies,  étude  bibliographique  (extrait  des  Mé^ 
moires  de  V Académie  des  sciences  de  Toulouse),  1877.  In-8o,  12  pages 
et  2  planches. 

15.  Catalogue  des  incunables  de  la  Bibliothèque  de  Toulouse ,  rédigé 
par  le  docteur  D.-B.  et  impnmé  aux  frais  de  la  ville.  Toulouse,  Ed. 
Privât,  1878.  Grand  in-8ff,  lxxxiiI'266  pages,  avec  50  planches. 

16.  Etude  bibliographique  sur  une  édition  très-rare  des  Epistolœ  magni 
Thurci  de  Laudivio  (extrait  des  Mémoires  de  V Académie  des  sciences 
de  Toulouse),  1878.  In-8o,  15  pages. 

17.  Catalogue  des  livres  rares  et  précieux,  imprimés  et  manuscrits,  com- 
posant la  bibliothèque  du  docteur  D.-B.  ^  Rédigé  par  MM.  Potier  et 
Labitte,  libraires  de  Paris,  qui  achetèrent  cette  bibliothèque,  en  1878, 
au  prix  de  90,000  francs,  et  qui  la  vendirent  aux  enchères  publiques 
en  décembre  1879.  Certains  livres  qui  y  figurent  n*ont  jamais  appar- 
tenu au  docteur  D.-B.  ;  d'autres,  au  contraire,  et  des  plus  recherchés, 
qu*il  aimait  à  montrer,  n*y  sont  pas  portés.  —  Le  Catalogue  rédigé 
par  le  docteur  D.-B.  est  resté  manuscrit.  Mn«  veuve  D.-B.  Ta  cédé  à 
la  ville  de  Toulouse  en  1880,  avec  les  livres  d*étude  et  de  travail,  la 
précieuse  collection  d*imprimés  en  langue  d*oc,  les  journaux  de  mé- 
decine, etc.,  etc.,  que  le  docteur  avait  conservés. 


BlbUo^raphle  tovlooMOBe. 

1.  Quelques  recherches  sur  les  débuts  de  Timprimerie  à  Toulouse  (extrait 
des  Mémoires  de  V  Académie  des  sciences  de  Toulouse),  1848.  In-8o, 
15  pages,  papier  de  couleur. 

2.  Notice  sur  un  livre  roman  imprimé  à  Toulouse  au  milieu  du  seizième 
siècle  (extrait  des  Mémoires  de  V  Académie  des  sciences  de  Toulouse), 
1850.  In-80,  16  pages. 

3.  Note  sur  un  livret  imprimé  en  1502  à  Toulouse,  et  intitulé  :  rÉpita- 
phe  d' Olivier  Maillard  (extrait  des  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences 
de  Toulouse),  1852.  In-8o,  5  pages. 

4.  La  première  édition  du  Vita  Christi,  al  lenguatge  de  Tholo^a,  Tou 
louse,  Bonnal  et  Qibrac,  1863.  In-8o,  7  pages. 


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ÉLOGE   DU   DOCTEUR   DESBARREAUX-BERNARD.  57 

5.  Les  quatre  éditions  du  Traité  de  la  noblesse  des  Capitouls,  par  Lafaille 
(extrait  de  la  RewM  de  Toulouse),  18Ô4.  In-So.  4  pages. 

6.  L*imprimerie  à  Toulouse  aux  quinzième,  seizième  et  dix-septième 
siècles.  Toulouse,  Chauvin,  18Ô5.  In-8o,  31  pages.  —  Réimprimé  avec 
planches  en  18Ô8. 

7.  Le  monogramme  de  Henri  Mayer,  imprimeur  à  Toulouse  au  quinzième 
siècle  (extrait  de  la  Revue  de  Toulottse),  In-8o,  5  pages. 

8.  Les  pérégrinations  de  Jean  de  Ouerlins,  imprimeur  de  Toulouse  au 
commencement  du  seizième  siècle.  Montauban,  Forestié  neveu,  1866. 
Grand  in-8o,  18  pages. 

9.  Boëcio  de  Consolacion  tornado  de  latin  en  rromance,  el  quai  fùe  im- 
preso  en  Tolosa  de  Francia  (extrait  du  Bulletin  du  bouquiniste  d*Âug. 
Aubry.  Paris,  1866.  In-8o,  7  pages. 

10.  Un  incunable  toulousain  de  plus  (lettre  à  M.  Taschereau).  Toulouse, 
Chauvin,  1868.  Grand  in-8o,  4  pages. 

11.  La  seconde  édition  du  Ramelet  moundi  de  Goudelin,  suivie  du  Cata- 
logue descriptif  des  différentes  éditions  de  ses  œuvres.  Toulouse, 
Douladoure,  1873.  In -12,  20  pages,  avec  une  reproduction  du  fron- 
tispice de  cette  seconde  édition. 

12.  Note  supplémentaire  relative  aux  deux  premières  éditions  du  Ramelet 
moundi,  Toulouse,  Douladoure,  1874.  In-12,  p.  21  à  28. 

13.  Biirthélemy  Buyer,  marchand  libraire  et  stationnaire  à  Toulouse, 
-  1481-1490  (extrait  des  Mémoires  de  l* Académie  des  sciences  de  Tou- 
louse), 1873.  ln-8o,  Il  pages. 

14.  De  quelques  livres  imprimés  à  Toulouse  sur  des  papiers  de  différents 
formats  (extrait  des  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  de  Toulottse), 
1875.  In-8o,  30  pages. 

15.  Établissement  de  l'imprimerie  dans  la  province  de  Languedoc.  Tou- 
louse, Éd.  Privât»  1876.  ln-8o,  430  pages  et  11  planches.  Tiré  à 
104  exemplaires  sur  papier  fort.  —  Ce  travail,  destiné  à  la  nouvelle 
édition  de  V Histoire  générale  de  Languedoc  de  dom  Vaissete,  n*y  a 
pas  été  inséré  en  entier. 

16.  Guyon-Boudeville ,  imprimeur  à  Toulouse  (1541-1562),  suivi  d*une 
note  concernant  les  trois  premiers  livres  imprimés  à  Toulouse  au 
quinzième  siècle  (extrait  des  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  de 
Toulouse),  1879.  In-^o,  28  pages  et  3  planches. 

17.  LUmprimerie  à  Toulouse  au  seizième  siècle.  Toulouse,  1879.  Grand 
in-8o,  XVII- 18  pages  et  3  planches. 

18.  Nicolas  Viellard,  imprimeur  à  Toulouse,  1534-1540  (extrait  des  Mé- 
moires de  r Académie  des  sciences  de  Toulouse),  1880.  In-8o,  7  pages. 

19.  Notice  bibliographique  concernant  les  ouvrages  de  M.  Vendages  de 
Malapeire,  Tun  des  fondateurs  de  TAcadémie  des  Lanternistes  (extrait 
des  Mémoires  de  VAcadémie  des  sciences  de  TouUnise)^  1880.  In-80f 
7  pages. 


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58  SÉANCE   PUBLIQUB. 


1.  Rapport  sur  Tétat  de  la  bibliothèque  «de  rAcadémie  des  sciencee,  ins- 
criptions et  belles-lettres  de  Toulouse  (manuscrit  daté  d^août  1848)# 

2.  Rapport  fait  à  M.  le  maire  de  Toulouse  par  la  Commission  des  Biblio- 
thèques (de  la  ville).  Toulouse,  A.  Chauvin,  1849.  In-8o,  16  pages. 

3.  Discours  prononcé  à  la  distribution  des  prix  du  Pénitencier  de  Tou- 
louse, le  3  septembre  1849.  Toulouse,  Aug.  Hénault.  In-8o,  14  pages. 

—  Discours  prononcé  le  i«r  août  1850.  Toulouse,  A.  Hénaalt.  In-8o, 
13  pages. 

—  Discours  prononcé  le  5  août  1851.  Toulouse,  veuve  Corne.  In-8o, 
16  pages. 

—  Discours  prononcé  le  20  août  1852.  Toulouse,  veuve  Corne.  In-8o, 
15  pages. 

4.  Quatre  lettres  inédites  de  Henri  IV  (extrait  des  Mémoires  de  VAcaâÀ' 
mie  des  sciences  de  Toulouse),  1866.  In-8o,  12  pages. 

5.  Réimpression  du  Discours  très-merveilleux  et  espouvantable  advenu 
en  la  ville  de  Zélande,  dix  lieues  de  la  ville  d*Envers,  de  trois  enfans, 
lesquels  ont  parlé  tost  après  leur  nativité  et  dit  chose  merveilleuse 
puis  à  rinstant  trespassèrent  comme  voirés  cy-après.  A  Bourdeaiue,  par 
Pierre  de  Ladime,  suyvant  la  copie  imprimée  à  Paris,  1587.  Tou- 
louse, Ed.  Privât,  1875.  In-8o,  6  feuillets  non  paginés. 


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■APPORT  SDR   L«  CONCOURS   DE    1881.  59 


RAPPORT 

SUR  LB 

CONCOURS   DE    1881 

(CLASSE  DES  INSGBIFTIONS  ET  BELLES-LETTRES) 
Par  m.   Gh.  PRADEL 


Messieurs, 

Ayant  de  retracer  rapidement  devant  vous  les  résultats  obte 
nus  dans  le  concours  de  cette  année  pour  la  classe  des  inscrip- 
tions et  belles- lettres,  je  devrais,  en  n/excusant,  remercier 
l'Académie  de  m'avoir  désigné  parmi  tant  d'autres  plus  auto- 
risés. 

Hais  l'expression  de  ces  sentiments  de  modestie  est  parfois  si 
mal  interprétée  du  public,  ijue  j'arriverai  directement  à  notre 
sujet  sans  un  plus  long  préambule. 

L'Académie  a  reçu  deux  brochures  sur  des  questions  d'écono- 
mie politique.  Le  fait  est  rare  dans  les  annales  de  nos  joutes. 
Nous  accorderons  à  ces  opuscules  les  prémices  de  ce  rapport, 
avec  d'autant  plus  de  plaisir  qu'ils  sortent  du  cadre  ordinaire 
do  nos  lices. 

Le  premier  est  intitulé  :  Inœnstitutionalité  des  traités  de  com- 
merce. 

Le  second  :  Critique  de  la  conversion 


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60  SÉANCE   PUBLIQUE. 

L'honorable  rapporteur  spécial  (si  compétent  dans  cet  ordre 
d'idées)  a  fait  ressortir  avec  esprit  l'obscurité  de  ce  dernier 
titre.  On  retrouve  ce  défaut  dans  le  courant  de  ces  deux  ou- 
vrages, dont  la  rédaction,  parfois  très -animée,  expose  des  théo- 
ries discutables.  Leur  auteur,  M.  Gossé,  un  fibancier  sans 
doute,  n'affecte  aucune  prétention  littéraire  et  parait  s'être 
attaché  moins  à  la  forme  qu'au  fond. 

L'Académie  exprime  ses  remerciments  à  M.  Gossé,  dont  les 
œuvres  sont  tout  à  fait  vivantes  (1). 

Dans  une  Xotepour  servir  à  l'histoire  d'Elusa^  M.  Piette  nous 
donne  la  description  de  quinze  monuments  épigraphiques  dé- 
couverts à  Eauze.  Sept  d'entre  eux  sont  inédits,  mais  tellement 
mutilés  qu'ils  présentent  peu  d'intérêt.  Néanmoins,  l'auteur  a 
utilement  servi  la  science  en  recueillant  ces  débris  déposés  par 
lui  dans  les  musées  d^Eauze  et  de  Saint-Germain. 

Un  travail  du  même  genre  a  été  envoyé  par  M.  Julien  Sacaze. 

Get  ouvrage,  publié  avec  un  grand  luxe  d'érudition  et  de 
typographie,  a  pour  titre  :  Épigraphie  de  Luchon.  La  char- 
mante vallée  se  trouve  peinte  en  style  coloré  dans  une  préface 
où  l'auteur  expose  des  idées  d'ensemble  sur  l'ethnographie,  les 
religions  et  la  langue  de  cette  intéressante  contrée.  M.  Sacaze 
publie  ensuite,  avec  des  notes  très-complètes  et  des  commen- 
taires soignés,  le  texte  de  quarante-six  monuments  épigraphi- 
ques dont  il  est  parvenu  à  retrouver  la  trace. 

Luchon  étant  un  des  lieux  les  plus  fréquentés  de  France,  ces 
inscriptions  ont  été  depuis  longtemps  étudiées,  pour  la  plupart. 

Malgré  tout,  M.  Sacaze  a  eu  l'heureuse  fortune  de  relever  un 
petit  nombre  de  textes  qui  paraissent  inédits.  On  ne  saurait 
trop  louer  l'attention  minutieuse  qu'il  apportée  contrôler  tous 
les  monuments,  à  vérifier  et  discuter  les  lectures  de  ses  prédé- 
cesseurs. L'histoire  ne  peut  que  gagner  à  ce  patient  travail,  et 
si  les  découvertes  de  H.  Sacaze  n'ont  pas  une  importance  plus 
considérable,  nous  le  devons  seulement  à  l'ingratitude  du  ha- 
sard qui  n'a  pas  récompensé  son  zèle  (2). 

(1)  M.  Roiy,  rapportear  spécial. 

(2)  M.  Roschacb,  rapporteur  spécial. 


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RAPPORT  SDR  LE   CONCOURS   DE    1881.  61 

Il  ne  faut  pas  demander  à  M.  Rumeau  le  talent  de  M.  Sacaze, 
mais  sa  fécondité  littéraire  parait  infatigable. 

Cet  honorable  instituteur,  avantageusement  connu  de  l'Aca- 
démie, présente  trois  manuscrits  et  un  volume  imprimé.  Ce 
sont  là,  vraiment,  des  œuvres  surérogatoires  après  les  services 
aussi  modestes  qu'utiles  rendus  par  M.  Rumeau  à  la  société. 
Par  malheur,  on  ne  saurait  louer  ni  le  plan,  ni  le  style  de  ces 
ouvrages,  encore  moins  la  manière  dont  l'auteur  rend  hom- 
mage aux  sources  où  il  puise.  Cependant  ses  travaux  reposent 
sur  de  patientes  recherches  que  l'Académie  a  voulu  encourager 
en  accordant  à  M.  Rumeau  un  rappel  de  médaille  d'argent  à 
l'occasion  de  son  Mémoire  sur  Labastide-de-Sérou  (1). 

Un  de  nos  correspondants  les  plus  zélés,  M.  Rascol,  nous 
donne  la  suite  d'une  Étude  sur  le  canton  de  Murât,  dont  les 
premières  parties  ont  été  couronnées  en  1876  et  1877.  L'au- 
teur procède  par  analogie  lorsqu'il  s'agit  d'un  passé  sur  lequel 
il  manque  de  renseignements  précis.  Puis,  avec  une  méthode 
juste  et  rationnelle,  M.  Rascol  cherche  à  comprendre  l'histoire 
des  hauts  plateaux  des  montagnes  du  Tarn  en  examinant  de 
près  les  restes  de  leurs  monuments. 

Après  une  intéressante  étude  topographique»  l'auteur  passe 
en  revue  une  collection  de  pièces  manuscrites  qu'il  a  pu  con- 
sulter dans  les  archives  de  notre  ville.  M.  Rascol  a  trop  rare- 
ment recours  aux  textes  imprimés.  Ils  auraient  pu  cependant 
lui  fournir  le  sujet  de  récits  curieux,  tels  que  la  prise  de  Bois- 
sezon  en  1483,  l'un  des  faits  d'armes  les  plus  importants  qui 
se  soit  accompli  dans  ces  contrées. 

Mais  l'auteur  parait  s'être  attaché  surtout  à  fixer  la  tradition 
et  à  dresser  l'inventaire  de  quelques  documents.  M.  Rascol  a 
voulu,  sans  doute,  donner  simplement  des  indications  nou- 
velles sur  le  pays  qu'il  habite.  Sous  ce  rapport,  notre  corres- 
pondant a  réussi.  L'Académie  lui  sait  gré  de  l'empressement 
qu'il  a  mis  à  lui  communiquer  ses  découvertes  (2). 

Ln  Compagnie  adresse  les  mêmes  remerciments  à  M.  Jules 

(4)  M.  Barry,  rapporteur  spécial. 
(%)  M.  PradeJ,  rapporteur  spérial. 


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63  SèiNCB  POBUQ0fi. 

Serret,  d*Agen,  pour  sa  brocbure  sur  le  inoulin  de  Gajac,  ainsi 
qu'à  M.  Claverie,  pour  ses  Noies  hhtotiqueè  sur  la  viUe  de  Gre- 
nade.  Ce  dernier  livre,  imprimé  depuis  six  ans,  ne  pouvait  être 
admis  à  concourir,  d'après  les  rigueurs  de  nos  règlements. 

M.  Bosia,  vicaire  de  Passy,  a  déjà  présenté  à  l'Académie  des 
travaux  qui  ont  obtenu  leur  récompense.  Aujourd'hui,  nous 
recevons  de  cet  auteur  la  copie  de  quatre  manuscrits  du  moyen 
âge  conservés  dans  la  bibliothèque  de  la  ville  d'Albi.  Les  deux 
premiers  sont  extraits  d'une  collection  de  canons  ecclésiasti- 
ques d'un  faible  intérêt.  Malgré  sa  noble  persévérance  à  relever 
des  textes  difficiles  sans  doute,  M.  Bosia  ne  nous  apprend  rien 
qui  ne  soit  connu  et  bien  souvent  édité.  La  pièce  la  plus  sail- 
lante de  ce  travail  est,  sans  contredit,  celle  qui  a  pour  titre  : 
Interrogatio  sacerdotis,  examen  pour  l'ordination  des  prêtres. 
—  Si  ce  document  datait  de  plus  loin,  il  aurait  son  importance 
pour  l'origine  des  dogmes,  l'un  des  chapitres  les  plus  intéres- 
sants de  l'histoire  du  développement  de  l'esprit  humain.  A  ce 
titre,  il  mériterait  l'attention  de  tout  homme  cultivé.  Mais 
M.  Bosia  s'exagère  la  valeur  de  cette  pièce.  Le  manuscrit  est 
une  copie  du  dixième  siècle,  et  l'on  sait  que  dès  le  cinquième, 
sous  l'inOuence  de  saint  Augustin  et  celle  de  saint  Vincent  de 
f^erins,  la  tradition  orale  de  l'Église  catholique  avait  reçu  une 
certaine  fixité.  Quant  à  Toffice  des  morts  dont  parle  M.  Bosia, 
Amalaire,  diacre  de  Metz,  l'a  placé  dans  son  ouvrage  des  Offices 
ecclésiastiques  en  Tannée  820,  époque  antérieure  à  celle  où  l'on 
peut  Taire  remonter  la  rédaction  de  Vlnlerrogalio.  Il  est  regret- 
table que  M.  Bosia  se  soit  efforcé  de  conduire  ce  sujet,  pure- 
ment historique,  sur  un  terrain  de  polémique  religieux  où  l'on 
ne  saurait* le  suivre.  Nous  nous  permettrons  de  rappeler  ici  à 
Tannotateur  des  manuscrits  d'Albi  les  indications  bienveillantes 
que  lui  ont  adressé  nos  confrères  dans  les  rapports  sur  les  pré- 
cédents concours.  Toutefois,  il  y  aurait  de  l'ingratitude  à  ne 
pas  reconnaître  le  travail  de  M.  le  vicaire  de  Passy.  L'Académie 
vote  en  sa  faveur  un  rappel  de  médaille  d'argent  (1). 

M.  Séry,  ancien  directeur  de  la  perception  du  canal  du  Midi 

(4)  M.  Pradel,  rapporteur  spécial 


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RAPPORT  SDR   LR  CONGO0R8   DE   1881.  63 

oITre  gracieusement  à  nos  archives  cinq  documents  originaux 
qui  se  recommandent  à  divers  titres.  Le  généreux  donateur  a 
fourni  lui-môme,  dans  une  adresse  concise  et  nourrie,  une  très- 
bonne  analyse  de  ces  pièces.  La  commission  académique  a  été 
particulièrement  intéressée  par  la  lecture  d'une  lettre  datée  de 
La  Tour,  19  janvier.  1772,  qui  dépeint  d'une  manière  admira- 
ble les  mœurs  du  temps.  Cette  missive,  d'un  tour  aisé,  est 
—  comme  le  dit  avec  beaucoup  de  justesse  M.  Séry  —  une  véri- 
table photographie  d'une  partie  de  la  société  française  à  la  fin 
(lu  dix-huitième  siècle.  Elle  mériterait  de  figurer  dans  un 
tableau  de  l'ancien  régime.  L'Académie  remercie  chaudement 
M.  Séry  de  sa  générosité  à  son  égard  et  lui  décerne  une  médaille 
d'argent  (1). 

L'attrait  toujours  croissant  que  les  érudits  paraissent  éprou- 
ver pour  les  études  d'histoires  municipales,  a  porté  H.  Grand- 
jean,  déjà  connu  et  apprécié  de  l'Académie,  à  composer  un 
Essai  sur  l'organisation  de  la  commune  de  Toulouse  aux 
douzième,  treizième  et  quatorzième  siècles. 

Ce  travail  considérable  part  de  l'année  1147,  date  des  pre- 
miers textes  conservés  sur  ces  matières,  et  s'arrête  en  1336, 
année  de  la  confiscation  du  consulat  par  la  royauté  à  l'occasion 
du  supplice  d'Aimery  Béranger. 

On  sait  combien  sont  délicates  les  recherches  sur  les  institua 
tions  du  moyen  âge,  combien  il  est  difficile  de  saisir  des  ori- 
gines qui  se  sont  développées  non  par  des  mesures  législatives, 
mais  par  des  évolutions  inconscientes.  Toutefois,  M.  Grandjean 
a  pu  retracer  nettement  les  variations  apportées  par  le  temps 
aux  choses  établies  et  les  placer  dans  un  cadre  bien  fait.  L'au- 
teur s'est  aidé  de  toutes  les  histoires  antérieures,  d'un  certain 
nombre  de  travaux  récents,  et  n'a  pas  négligé  l'étude  directe 
des  textes. 

Des  appendices  comprennent  plusieurs  documents  intéres- 
sants et  un  mémoire  sur  la  date  du  commencement  de  l'année 
à  Toulouse,  que  M.  Grandjean  croit  avoir  été  généralement  fixé 
au  25  mars. 

(4)  M.  Roschacb,  rapporteur  spécial. 


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64  SÉ4NCB   PUBLIQUE. 

Par  Texcellente  méthode  apportée  à  sa  division ,  Tauteur 
échappe  à  des  écueils  que  n'ont  su  éviter  nombre  d'historiens 
locaux  aveuglés  par  des  illusions  flatteuses,  c  Son  travail  est 
c  bien  conduit,  appuyé  de  nombreuses  recherches;  mais  on  ne 
c  saurait  lui  attribuer  le  caractère  d'histoire  déGnitive  •,  a  dit 
un  de  nos  collègues  devant  lequel  je  m'incline.  Nous  ajouterons 
avec  lui  :  il  n'est  pas  facile  de  déterminer  la  part  qui  revient  à 
l'auteur  dans  ce  mémoire  trop  hàtirqui,  selon  les  propres  ex- 
pressions de  M.  Grandjean,  c  devra  être  soumis  à  une  révision 
c  attentive,  et  même  à  des  refontes  partielles.  » 

Quoiqu'il  en  soit,  l'Académie  reconnaît  le  haut  mérite  de  cette 
œuvre,  en  accordant  à  M.  Grandjean  une  médaille  de  ver- 
meil (1). 

Parmi  les  travaux  qui  nous  ont  été  adressés,  deux  ont  tout 
particulièrement  attiré  l'attention  de  l'Académie  :  celui  de 
M.  Grandjean,  dont  nous  venons  de  parler,  et  V Histoire  de  Vabbaye 
de  Cannes,  par  M.  Louis  Béziat.  Dans  ce  dernier  volume,  l'auteur, 
avec  une  exposition  lumineuse  et  simple,  nous  conduit  sûre- 
ment à  travers  le  récit  touffu  des  légendes,  et  nous  fait  assister 
au  développement  rapide  de  l'abbaye  fondée  par  un  pieux  soli- 
taire sous  le  règne  de  Charlemagne.  M.  Béziat  nous  parle  sans 
exagération  des  services  rendus  par  les  premiers  abbés,  écono- 
mes et  actifs;  il  nous  dit  leurs  tribulations  pendant  que  4  les 
c  aventuriers  du  Nord  purgeaient  l'Occitanie  de  l'hérétique 
c  pravité  »,  et  nous  montre  comment  le  monastère,  administré 
d'abord  par  des  religieux  d'une  grande  vertu,  Bnit  par  tomber 
entre  les  mains  d'abbés  commendataires  et  par  devenir  l'asile 
d'un  petit  nombre  de  moines  vivant  largement,  emportés  enfin 
parla  Révolution. 

M.  Béziat  a  fait  preuve  d'une  connaissance  approfondie  de 
son  sujet.  Il  n'a  négligé  aucun  moyen  d'information,  s'ap- 
puyant  toujours  sur  des  textes.  Les  fonds  Doat,  les  ouvrages  de 
Habillon,  de  Baluze;  ceux  des  Bollandistes,  des  Bénédictins  et 
surtout  le  cartulaire  de  Mahul  lui  sont  familiers.  L'auteur,  fon- 
dant ces  nombreux  documents  dans  une  trame  brillante  et  so- 

(4)  M.  Roschtch,  rapporteur  spécial* 


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RAPPORT   SOR   LB   CONCOURS    DK    <881.  65 

lide,  donne  au  monastère  éteint  une  vie  nouvelle.  —  M.  Béziat 
est  un  enfant  du  Minervoîs  qui  a  inédité  son  travail  sous  les 
voûtes  du  cloître  en  ruine,  mais  sans  préjugés,  avec  une  largeur 
de  vues  que  Ton  retrouve  rarement.  On  est  hei>reux  de  recon- 
naître l'absence  de  toute  préoccupation  religieuse  ou  politique 
dans  un  ouvrage  de  ce  genre,  et  de  voir  un  auteur  conserver 
jusqu'au  bout  le  calme  sincère  de  l'histoire  vraie. 

M.  Béziat  nous  promet  une  série  d'études  sur  ces  contrées; 
vraiment,  c'est  là  un  heureux  prélude. 

L'Académie,  jugeant  que  de  pareilles  monographies  méritent 
de  sérieuses  récompenses,  a  décerné  à  M.  Béziat  la  médaille 
d'or  (4). 

Voilà,  Messieurs,  le  tableau  fidèle  des  ouvrages  présentés  et 
des  récompenses  accordées  dans  la  classe  des  inscriptions  et 
bel  les- lettres. 

Nous  remarquons  peu  d'élus,  sans  doute;  l'Académie  est  la 
première  à  exprimer  ses  regrets  à  cet  égard.  Cependant  elle  est 
heureuse  de  constater  un  progrès  sur  le  précédent  concours. 
Tandis  que  l'année  dernière  avaîi  été  complètement  stérile  pour 
notre  section,  cette  année,  sans  nous  procurer  une  moisson 
abondante,  nous  a  permis  du  moins  de  lier  quelques  gerbes. 

(4)  M  Pradel,  rapporteur  spécial. 


8«  SÉBIB.   —  TOUS  III,  2. 


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66  SÉAIfCB  PUBLIQDB. 


RAPPORT 

SUR  LB 

CONCOURS  DES  MÉDAILLES  D'ENCOURAGEMENT 

POUR   LA   CLASSE    DBS    SCIBNCBS 
Par  m.  MELLIÈS 


Messieurs, 

c  II  n*est  pas  de  désir  plus  naturel  que  le  désir  de  cognois- 
sance  >,  a  dit  Montaigne. 

A  ce  titre,  que  ne  devons-nous  pas  à  nos  devanciers,  à  ceux 
dont  les  découvertes  ont  fait  la  science?  —  La  science,  qui 
nous  permet,  au  moyen  d'un  travail  relativement  faible,  je  de- 
vrais dire  relativement  nul,  de  faire  notre  profit  de  l'immense 
effort  intellectuel  de  tous  les  chercheurs  qui  nous  ont  précédés. 

Mais  s'il  n*est  pas  de  désir  plus  naturel  que  celui  de  connaî- 
tre, il  n'est  pas  de  plus  noble  ambition  que  celle  de  découvrir. 

Honneur  donc  à  ceux  qui  cherchent,  à  ceux  qui,  par  leur  pé- 
nible labeur,  leurs  patientes  recherches  et  leurs  continuels 
efforts,  ont  pour  double  but  de  payer  leur  dette  au  passé  et 
d'être  les  créanciers  de  l'avenir  f 

Aussi,  c'est  avec  un  véritable  bonheur  que  je  viens  aujour- 
d'hui proclamer  les  noms  des  lauréats  de  la  section  scientifique 
de  l'Académie  et  vous  entretenir  do  leurs  travaux 


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Rapport  sur  le  concours  des  médailles  d'encouragement.   67 

M.  Fabre,  astronoaie  à  TObservatoire  de  Toulouse,  a  présenté 
deux  mémoires  sur  des  questions  de  photographie. 

L'un,  relatif  à  la  transmission  dea images  à  de  grandes  dis- 
tances au  moyen  de  rélectricilé,  n*est  pas  une  œuvre  complète. 

L'Académie  l'a  considéré  [comme  une  belle  promesse,  et  elle 
engage  l'auteur  à  poursuivre  ses  recherches  dans  ce  sens;  car 
un  grand  avenir  est  attaché  à  la  solution  pratique  de  cette 
question. 

L'autre  a  pour  but  la  suppression  des  glaces  dans  la  produc- 
tion de  l'image  négative.  Les  inconvénients  de  l'emploi  des 
glaces  sont  connus  de  tous  ceux  qui  ont  pratiqué  la  photogra- 
phie loin  du  laboratoire.  Le  poids  du  verre,  sa  fragilité,  ont 
souvent  amoindri  les  résultats  d'un  voyage  scientifique. 

Ces  inconvénients  sont  si  sérieux  que,  depuis  l'origine  de  la 
phot^raphie,  on  a  cherché  à  produire  des  négatifs  sur  papier, 
et  jusqu'à  présent  ces  recherches  n'avaient  abouti  à  aucun  suc- 
cès sérieux,  car  le  grain  qui  existe  dans  la  pâte  du  papier  dé- 
truit la  finesse  de  l'image. 

L'auteur  a  tourné  la  difficulté  en  employant  le  papier  comme 
support  provisoire,  et  la  gélatine  en  feuille  mince  comme  sup- 
port définitif.  Il  dépose  à  la  surface  du  papier  la  couche  sen- 
sible, en  prenant  la  précaution  de  l'isoler  de  ce  dernier,  à 
l'aide  d'un  vernis  insoluble  dans  les  divers  liquides  employés 
en  photographie.  L'image  négative  est  obtenue  sur  ce  papier 
sans  rien  changer  aux  manipulations  habituelles.  Lorsque  le 
cliché  est  terminé,  on  le  fait  adhérer  à  une  feuille  transparente 
de  gélatine;  et,  à  l'aide  de  la  benzine,  on  enlève  le  papier,  qui 
laisse  l'image  négative  aussi  transparente  que  si  elle  avait  été 
faite  sur  verre. 

Les  spécimens  obtenus  en  voyage  par  cette  méthode,  et  que 
M.  Fabre  a  joints  à  la  note  présentée,  nous  montrent  combien 
ce  procédé  est  pratique,  et  quel  grand  avenir  lui  est  réservé. 
Les  clichés  possèdent  toutes  les  qualités  des  meilleurs  négatifs 
sur  verre;  ils  donnent,  sans  aucune  retouche,  des  épreuves  po- 
sitives irréprochables;  de  plus,  ils  sont  souples  et  incassables, 
et  leur  poids  est  quarante  fois  plus  faible  que  celui  des  épreu- 
ves sur  verre. 


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68  sKànce  publique. 

Il  n'est  pas  Je  science,  Messieurs,  qui,  en  certaine  circonstance, 
ne  fasse  appel  à  la  photographie.  L'astronomie,  la  géologie, 
Tanatomie,  la  botanique,  la  micrographie,  larchéologie,  etc., 
toutes  trouvent  en  elle  un  auxiliaire  précieux,  qui  ne  demande 
qu'à  être  judicieusement  employé.  Faciliter  cet  emploi  à  tous 
nos  missionnaires  scienti6ques,  tel  est  le  but  que  s'est  proposé 
l'auteur  du  mémoire,  et,  disons-le,  il  a  pleinement  réussi. 

D'ailleurs,  M.  Fabre  a  rendu  à  la  photographie  bien  d'autres 
services.  Depuis  <875,  il  publie  V Annuaire  photographique, 
édité  à  Paris  par  Gauthier-Villars;  e'est  la  seule  publication  de 
ce  genre  qui  existe  en  France.  L'année  dernière,  il  a  fait  pa- 
raître, sur  les  émulsions  photographiques,  une  brochure  qui  a 
eu  un  grand  succès. 

C'est  l'un  des  rédacteurs  du  Bulletin  de  l* Association  belge  de 
photographie. 

Cette  Association  vient  de  le  nommer  membre  honoraire, 
titre  fort  recherché.  L'Association  compte  plus  de  300  membres 
actifs  ;  elle  ne  possède  qu'une  douzaine  de  membres  honorai- 
res, parmi  lesquels  Abney,  de  Londres;  Carey  Léa,  de  Phila- 
delphie ;  Vogel,  de  Berlin,  etc. 

L'Académie  a  décerné  à  M.  Fabre  une  médaille  d'argent  de 
i  '•  classe. 

M.  Marty  s'est  livré,  dans  ces  derniers  temps,  à  des  recher- 
ches ayant  pour  but  de  former  une  collection  aussi  complète 
que  possible  des  objets  de  toute,  nature  qu'on  trouve  dans  les 
cavernes  (ossements  d'animaux,  objets  travaillés,  etc.).  Ses  in- 
vestigations ont  porté  plus  particulièrement  sur  la  grotte  de 
Montlaur,  rendue  célèbre  par  l'immense  quantité  d'ossements 
fossiles  qu'elle  contient. 

Aussi  cette  caverne  avait  déjà  été  fouillée  par  un  grand 
nombre  de  personnes.  L'un  des  premiers  explorateurs,  M.  Al- 
zieu,  médecin  aux  Cabanes,  y  avait  découvert  des  ossements 
d'ours,  d'hyène,  de  grand  chat,  etc.  ;  après  lui,  M.  l'abbé  Pouech 
y  Bt  des  fouilles  fructueuses  et  y  signala,  indépendamment  des 
ossements  de  divers  animaux,  de  nombreux  fossiles  silicifiés , 
faisant  saillie  en  plusieurs  endroits  sur  les  parois  dos  galeries. 


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RAPPORT   SUR    LE   CONCOURS   DBS    MÉDAILLES    d'eNCOURAGEMBNT.    69 

Plus  tard,  diverses  personnes  en  ont  retiré  une  quantité  pro- 
digieuse d'ossements. 

Notre  collègue,  M.  Filhol,  y  a  fait  lui-même  les  fouilles  les 
plus  persévérantes  et  les  plus  fructueuses  ;  car  c'est  avec  les 
ossements  provenant  de  ces  dernières  qu'on  a  pu  reconstituer 
les  premiers  squelettes  complets  d'ours  des  cavernes  qui  ont 
paru  en  France,  et  ces  squelettes  sont  nombreux,  car  j'en  con- 
nais huit  dont  le  musée  de  Toulouse  a  eu  tout  le  bénéfice. 

C'est  ainsi  que  cet  établissement  scientifique  en  possède  deux 
en  nature;  qu'il  en  a  donné  un  autre  au  musée  de  Dublin,  en 
échange  d'un  grand  cerf  d'Irlande;  un  autre  à  Bordeaux,  pour 
une  splendide  collection  de  peaux  d'animaux  provenant  du  Cap; 
un  cinquième  à  Lyon,  pour  divers  objets  d'histoire  naturelle; 
un  sixième  à  Paris.  Enfin,  dans  ces  dernières  années,  M.  Filhol 
en  a  envoyé  deux  à  la  Nouvelle-Zélande,  l'un  au  musée  de 
Wellington,  l'autre  à  celui  de  Cristchurch.  Et  c'est  à  la  suite  de 
ces  dons  que,  sur  la  demande  de  M.  H.  Filhol,  le  docteur  Haost 
a  envoyé  au  Muséum  de  Toulouse  une  magnifique  série  d'osse- 
ments de  Diornis. 

On  resterait  au-dessous  de  la  vérité  en  évaluant  à  dix  mille 
francs  la  valeur  des  objets  obtenus  par  ces  échanges. 

Ces  recherches  amenèrent,  en  outre,  la  découverte  d'une  tète 
parfaitement  entière  de  Felis  spelœa  et  presque  tous  les  os  du 
squelette  de  cette  espèce,  si  peu  représentée  dans  les  collections 
publiques. 

M.  Marty  a  repris  l'exploration  de  cette  riche  caverne;  il  en 
a  fouillé  les  parties  les  plus  reculées,  a  pénétré  dans  des  cou- 
loirs et  dans  des  salles  où  nul  avant  lui  n'avait  osé  s'engager; 
car  l'accès  en  était  difficile  et  même  périlleux.  Ses  recherches 
ont  été  conduites  avec  une  persévérance  et  une  habileté  dignes 
d'éloges.  M.  Marty  ne  s'est  laissé  décourager  ni  par  les  fatigues 
qu'imposent  des  voyages  multipliés  et  un  séjour  prolongé  dans 
une  atmosphère  humide  et  malsaine,  ni  par  les  dépenses  con- 
sidérables qu'entraînent  des  recherches  de  ce  genre.  Son  cou- 
rage, sa  persévérance  et  son  désintéressement  ont  été  récom- 
pensés par  une  abondante  moisson  de  fossiles,  parini  lesquels  il 
en  est  quelques-uns  dont  l'étude  est  fort  intéressante.  Disons 


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V 


70  SÉANCE   PUBLIQOE.  j 

d'abord,  en  deux  mots,  que  M.  Marty  a  trouvé  des  ossements 
de  presque  tous  les  animaux  qui  constituent  la  faune  des 
cavernes,  et  que  le  grand  ours  y  est  représenté  par  plusieurs 
milliers  de  pièces. 

Parmi  les  crânes  d'ours  entiers,  il  en  est  un  qui  s'éloigne 
complètement,  par  sa  forme,  sa  dimension,  sa  formule  dentaire, 
de  VUrsus  spelœus.  M.  H.  Filhol,  qui  l'a  étudié  à  Paris,  le  con- 
sidère comme  appartenant  à  VUrsus  arcios.  Cette  pièce  est  ex- 
trêmement intéressante  au  point  de  vue  scientiBque  ;  car  on 
n'avait  encore  rencontré,  au  moins  à  notre  connaissance,  au- 
cun crâne  entier  d*£/rsu.s  arctos  dans  les  cavernes. 

Une  autre  pièce,  non  moins  importante,  est  une  moitié  anté- 
rieure de  crâne  d'un  ours,  que  des  comparaisons  faites  au  Mu- 
séum d'histoire  naturelle  à  Paris  n'ont  permis  de  rapporter 
à  aucune  espèce  connue,  soit  vivante,  soit  fossile,  et  que 
M.  H.  Filhol  a  désignée  par  le  nom  A'Ursus  Gaudrey. 

Le  grand  chat  des  cavernes  est  représenté  dans  la  collection 
de  M.  Marty  par  deux  cents  pièces. 

M.  Marty  a  trouvé  aussi  un  maxilaire  supérieur  d'un  felis  de 
la  taille  de  la  panthère,  de  nombreux  ossements  d'hyène,  ainsi 
que  des  ossements  de  loup,  de  renard,  de  rhinocéros,  de  cheval, 
de  cerf,  de  renne,  etc. 

L'ensemble  des  objets  retirés  de  la  caverne  de  Montlaur  par 
M.  Marty  constitue,  à  coup  sûr,  l'une  des  plus  belles  collections 
d'ossements  de  l'âge  de  l'ours  qui  existent  en  France.  Les  pièces, 
que  nous  avons  mentionnées  spécialement,  lui  donnent  une  im- 
portance incontestable. 

Les  grottes  de  Massât,  de  Montseq,  que  M.  Marty  a  explorées, 
lui  ont  aussi  fourni  des  débris  intéressants,  mais  moins  nom- 
breux; je  les  cite  seulement  pour  ne  pas  donner  à  ce  rapport 
une  trop  grande  longueur. 

Pour  récompenser  le  zèle  et  l'intelligence  de  M.  Marty, 
l'Académie  lui  décerne  une  médaille  d'argent  de  1''  classe. 

M.  Gomez  a  présenté  au  concours  une  cheminée  à  gaz. 
Quand   on  a  vu  dans  les  vitrines   de  nos    commerçants  le 
nombre  considérable  de  ces  sortes  d'appareils  et  la  diversité  de 


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RAPPORT   SUR    LE   CONCOURS   DBS   MÉDAILLES   d'eNCOURAGEMENT.     74 

leurs  formes  y  on  peut  se  croire  autorisé  à  regarder  comme  su- 
perflue toute  nouvelle  construction  de  ce  genre. 

Haisy  en  y  regardant  de  près,  on  est  obligé  d'avouer  que  le 
problème  du  chauffage  par  le  gaz  est  loin  d'être  résolu,  et  qu'il 
y  a  place  pour  un  nouveau  venu. 

En  effet,  dans  presque  toutes  ces  cheminées,  on  trouve  des 
défauts  considérables  qui  expliquent  le  peu  de  faveur  dont  elles 
jouissent.  Aiisi,  les  unes  ont  le  foyer  très-élevé;  elles  chauf- 
fent la  tète  de  la  personne  qui  s'en  approche  et  laissent  ses 
pieds  glacés.  D'autres  ont,  à  des  niveaux  différents,  les  ouver- 
tures donnant  passage  au  gaz,  et,  quand  on  veut  diminuer  l'in- 
tensité du  feu,  les  flammes  les  plus  basses  s'éteignent,  et  le  gaz 
s'écoule,  sans  brûler,  par  les  orifices  correspondants.  Il  en  est 
qui  emploient  des  flammes  non  éclairantes  ;  elles  ont,  comme 
les  becs  Bunzen,  l'inconvénient  de  permettre  à  la  combustion  de 
pénétrer  quelquefois  à  l'intérieur,  et  dès  lors  presque  plus  de 
chauffage;  mais  à  la  place,  à  titre  de  compensation  sans 
doute,  une  infection  insupportable. 

La  cheminée  de  M.  Gomez  n'a  aucun  de  ces  inconvénients. 

Elle  est  formée  d'un  demi-cylindre  creux,  à  axe  vertical, 
terminé  à  sa  partie  supérieure  par  un  quart  de  sphère;  le 
tout  en  terre  réfractaire. 

Le  socle  de  l'appareil  contient  une  boite,  dais  laquelle  ar- 
rivent le  gaz  et  l'air  dans  des  proportions  telles,  que  le  gaz 
est  en  assez  grande  quantité  pour  que  le  mélaige  ne  puisse 
s'enflammer.  Un  grand  nombre  de  tubes  en  cuivre,  de  7  à 
8  millimètres  de  diamètre,  traversent  la  paroi  supérieure  de 
cette  boite,  ainsi  que  celle  du  socle.  Lour  extrémité  inférieure 
repose  sur  une  toile  métallique. 

C'est  par  ces  tubes  que  le  mélange  gazeux  arrive  à  l'air  libre 
pour  y  brûler. 

Le  socle  lui-même  porte  des  ouvertures  permettant  d'établir 
une  circulation  d'air  chaud. 

Comme  on  le  voit,  tout  est  disposé  pour  rendre  le  chauffage 
commode  et  la  combustion  du  gaz  complète.  Foyer  très-bas, 
toutes   les  issues  du  gaz  au  même   niveau;  brûleurs  étroits^ 


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72  SÉANCE    PDBLIODE. 

munis  d'ailleurs  d'une  toile  métallique  empêchant  la  combus- 
tion de  pénétrer  dans  l'intérieur. 

EnGn,  et  cela  n'est  pas  à  dédaigner,  élégance  dans  la  forme, 
avec  un  prix  de  revient  très-faible. 

Toutes  ces  qualités  ont  été  appréciées  par  l'Académie,  qui 
accorde  à  M.  Gomez  un  rappel  de  médaille  d'argent. 

M.  Prosper  Privât  a  présenté  un  calorifère  destiné  surtout 
à  chauffer  les  serres. 

Cet  appareil  diffère  complètement  de  tous  ceux  qui  l'ont 
précédé,  et  les  dispositions  en  sont  entièrement  nouvelles. 

Pour  obtenir,  suivant  les  divers  cas,  l'élévation  de  tempé- 
rature nécessaire  dans  une  pièce  à  chauffer,  M.  Privât  emploie 
simultanément  l'air  chaud  et  la  vapeur.  L'air  chaud  se  dégage 
librement,  et  la  vapeur  produite  parcourt  une  série  de  tuyaux 
placés  horizontalement  au-dessus  du  sol. 

Dans  son  ensemble  il  se  compose  : 

^^  D'un  poêle  ou  fourneau  cylindrique  de  fonte^  se  char- 
geant par  sa  partie  supérieure; 

2"*  D'une  chaudière  cylindrique  annulaire  entourant  le  four- 
neau, à  une  distance  de  25  millimètres  environ. 

C'est  dans  l'espace  ainsi  laissé  entre  la  chaudière  et  le 
fourneau  que  s'échauffe  l'air  arrivant  par  des  ouvertures  dis- 
posées autour  du  cendrier;  c'est  également  la  chaleur  rayon- 
nante du  fourneau  qui  chauffe  et  vaporise  l'eau  contenue  dans 
la  chaudière. 

Afin  d'augmenter  le  pouvoir  rayonnant  du  fourneau, 
M.  Privât  en  a  garni  la  surface  extérieure  d'un  grand  nombre 
de  saillies  ou  nervures  verticales,  formant  une  surface  de 
rayonnement  au  moins  égale  à  celle  de  la  paroi  du  four- 
neau. 

L'habileté  de  M.  Privât,  dans  l'art  de  la  grande  chaudron- 
nerie, se  retrouve  dans  son  appareil  de  chauffage;  l'exécution 
en  est  faite  avec  un  soin  parfait,  qui  présente  la  garantie  la 
plus  complète  de  solidité  et  de  durée. 

L'Académie  accorde  à  M.  Privât  une  médaille  d'argent  de 
2*  classe. 


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RAPPORT   SDR   LE   CONCOURS    DES   MÉDAILLES    d' ENCOURAGEMENT.    73 

M.  Gazes,  membre  de  plusieurs  Sociétés  savantes ,  a  adressé 
à  TAcadémie  un  volumineux  travail  intitulé  : 

Catalogue  des  plantes  les  plus  usuelles  qui  croissent  spontané- 
ment ou  qui  sont  cultivas  dans  la  région  sud-est  des  Pyrénées, 
avec  les  noms  français  vulgaires,  latins,  catalans  et  languedociens. 

Malgré  quelques  imperfections,  il  faut  reconnaître  que  ce 
catalogue,  qui  est  plutAt  un  petit  dictionnaire  disposé  par  ordre 
alphabétique,  est  un  travail  fait  avec  soin  et  patience,  et  que 
l'auteur  y  fait  preuve  d'une  certaine  connaissance  de  la  végé- 
tation ordinaire  de  la  région,  et  des  cultures  qu'on  y  pratique 
journellement. 

L'Académie  lui  a  accordé  une  mention  hoqordble. 


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74  SÉANCE   PUBLIQUE. 


RAPPORT 
SUR  LE  GRAND  PRIX  DE  L'ANNEE 


Par  m.  Ad.  BAUDOUIN 


SuJBT  DU  Prix  :  Étudier  les  arrêts  du  Parlement  de  Toulouse 
qui  concernent  l'Université  de  Toulouse. 

II  y  a  dix-huit  ans  que  l'Académie  a  mis  au  concours,  pour 
la  première  fois,  l'histoire  de  l'Université  de  Toulouse.  Elle 
avait  supposé  que  ce  grand  sujet  tenterait  quelques  esprits  : 
personne  n'essaya  même  de  le  traiter.  Depuis,  elle  le  proposa  de 
nouveau,  mais  sans  guère  plus  de  succès.  Le  seul  mémoire  qu'elle 
eut  reçu,  travail  honorable  qu'elle  a  récompensé,  je  ne  dis  pas 
couronné,  faisait  songer  à  ces  figures  que  les  dessinateurs  pla- 
cent au  pied  des  monuments  pour  en  faire  ressortir  l'élévation. 
Il  donnait  seulement  une  idée  de  la  grandeur  de  l'œuvre  qu'il 
n'avait  pas  accomplie.  L'Académie  s'aperçut  alors  qu'elle 
n'avait  fait  que  renouveler  le  défi  de  Necténabo  à  Lycerus,  si  dé- 
licieusement conté  par  la  Fontaine  dans  la  vie  d'Ésope.  Mais 
peut-être  avez-vous  oublié  ce  conte.  Lycerus  s'était  fait  fort  de 
construire  une  maison  en  l'air.  Ésope,  qui  avait  de  l'esprit 
pour  lui,  le  tira  de  peine.  Par  ses  ordres,  des  aigles  emportè- 
rent dans  le  ciel  des  paniers  où  il  y  avait  de  petits  enfants,  et 
ces  petits  enfants,  armés  de  truelles,  criaient  à  Necténabo  : 
«  Donnez-nous  des  pierres  et  du  mortier!   t  Ils  eussent  été 


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RAPPORT   SDR    LE   GRAND   PRIX   DE   l' ANNÉE.  75 

bien  embarrassés,  et  Ésope  aussi  je  pense,  si^  par  la  même  voi- 
ture, on  leur  eût  envoyé  ce  qu'ils  demandaient,  mais  Necténabo 
ne  s'en  avisa  pas ,  et  il  perdit  son  pari.  L'Académie  a  donc 
compris  qu'elle  avait  trop  exigé.  Aussi  n'attend-elle  plus  une 
histoire  toute  faite  de  l'Université  :  elle  s'est  contentée  de  pro- 
mettre le  prix  à  qui  lui  apporterait  de  quoi  la  faire.  Pour  venir 
en  aide  aux  concurrents,  elle  a  même  pris  soin  de  leur  indi- 
quer la  mine  qu'ils  avaient  à  fouiller.  Son  programme  les  in- 
vite à  étudier  les  arrêts  du  Parlement  de  Toulouse  qui  concer- 
nent l'Université,  les  laissant  libres  d'interpréter  à  leur  plaisir 
ce  mot  étudier.  Il  était  bien  juste  qu'elle  leur  accordât  cette 
latitude;  car  ces  arrêts  sont  comme  perdus  dans  une  série 
de  2,000  registres  de  1,500  à  2,000  pages  ;  l'encre  qui  a  servi  à 
les  y  transcrire  a  blanchi  ;  l'écriture,  ultra-cursive,  est  mau- 
vaise et  bizarre.  Au  premier  aspect,  on  la  croirait  inijéchiffra- 
ble;  de  fait,  elle  ne  se  laisse  lire  qu'avec  peine,  même  par  les 
hommes  du  métier. 

Il  s'est  trouvé  quelqu'un  pour  aborder  ces  difficultés  et  les 
surmonter.  C'est  l'auteur  d'une  vaste  compilation  qui  porte 
cette  épigraphe  :  Qud  non  ruerem!  trois  mots  bien  significatifs 
où  éclate  l'orgueil  légitime  d'un  rude  ouvrier  qui  a  conscience 
de  son  ardeur  courageuse  et  de  sa  persévérance.  On  ne  peut 
s'empêcher  d'admirer  sa  facilité  de  travail  en  lisant  les 
2,000  pages  qu'il  nous  a  envoyées.  Dans  l'espace  de  trois  ans, 
il  a  étudié,  c'est-à-dire  choisi  et  recueilli,  copié  in  extenso  ou 
par  extrait  tout  ce  qui,  dans  les  registres  du  Parlement,  con- 
cerne l'Université.  Bien  plus,  comme  s'il  avait  pris  plaisir  à 
aggraver  sa  tâche,  il  ne  s'en  est  pas  tenu  au  champ  de  recher- 
ches qu'on  lui  avait  indiqué.  Il  a  mis  encore  à  profit  les  déli- 
bérations de  l'hôtel  de  ville,  les  archives  des  collèges  de  bour- 
siers de  Toulouse  et  celles  de  l'École  de  droit.  Il  a  réuni  ainsi 
1,250  actes,  directement  ou  indirectement  relatifs  à  son  sujet. 
Dans  cette  masse  de  copies  où  l'on  eût  risqué  de  se  perdre, 
on  voit  avec  satisfaction  qu'il  a  su  introduire  l'ordre  et  la 
clarté.  A  la  mode  bénédictine,  les  marges  des  pages  sont  se- 
mées de  lettres  de  repère  qui  en  distinguent  les  diverses  par- 
ties. Chaque  pièce  a  été  analysée  sommairement,  chaque  nom, 


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76  SÉANCE   PDBLIQOE. 

chaque  chose  de  quelque  importance,  notée  et  relevée  sur  bul- 
letin. EnGn,  ces  analyses,  ces  notes  ont  servi  à  former  trois 
tables,  Tune  où  les  faits  sont  disposés  suivant  la  série  des 
temps,  les  deux  autres  où  Ton  trouve  rangées,  par  ordre  alpha- 
bétique, les  matières  et  les  noms  des  professeurs.  Grâce  à  ces 
utiles  répertoires,  il  est  déjà  possible  d'apercevoir,  de  crayon  - 
ner  les  grandes  lignes  de  l'histoire  de  l'Université  de  Toulouse. 

On  sait  ce  qu'elle  fut  dans  le  principe.  C'était  comme  un  de 
ces  grands  laboratoires  du  littoral  où  l'on  cultive  les  fruits  de 
mer.  L'Eglise  y  transportait,  sur  des  sciences  à  elle,  le  naissin 
des  esprits,  et  là,  par  des  procédés  savants,  d'un  effet  bien 
éprouvé,  elle  en  dirigeait  la  croissance,  elle  en  réglait  à  son  gré 
la  reproduction.  Ce  mode  de  culture  lui  réussit  parfaitement  à 
Paris.  Il  n'en  fut  pas  de  môme  à  Toulouse.  A  un  moment  du 
treizième  siècle,  qui  n'est  pas  encore  bien  déterminé,  —  par 
une  inadvertance  qu'on  ne  s'explique  guère  puisqu'elle  avait  là 
ses  Inquisiteurs,  —  elle  laissa  ses  élèves  s'attacher  au  droit  ci- 
vil des  Romains,  qui  n'était  pourtant  pas  une  science  permise. 
Ainsi  elle  multiplia  des  politiciens,  tout  en  croyant  ne  former 
que  des  serviteurs  de  Dieu.  Le  résultat  de  cette  énorme  mé- 
prise éclata  bientôt  après,  lors  du  conflit  de  Boniface  VIII  et  de 
Philippe  le  Bel.  Ce  fut  pour  elle  un  désastre.  Tandis  que  l'Uni- 
versité de  Paris,  soigneusement  fermée  au  droit  romain,  tenait 
pour  le  Pape,  celle  de  Toulouse  se  déclarait  pour  le  Roi,  et  ce 
furent  des  Toulousains,  dont  l'un  figure  ici  dans  la  salle  des 
Illustres,  qui  donnèrent  la  victoire  à  la  royauté.  Dès  lors,  maî- 
tres de  la  tiare,  les  juristes  français  ne  se  montrèrent  pas  in- 
grats pour  le  droit  romain.  Pendant  le  cours  d'un  siècle,  papes 
et  cardinaux  d'Avignon  fondèrent  à  l'envi  dans  Toulouse, 
avec  une  incomparable  magniflcence,  vingt  collèges  de  bour- 
siers qui  devaient  ôtre  et  qui  furent  de  vrais  séminaires  de  ju- 
risconsultes. 

Ces  premiers  temps  sont  l'âge  de  gloire  de  notre  Université. 
Elle  devint  célèbre  et  pour  jamais,  quoiqu'elle  ne  tarda  guère 
à  ne  plus  mériter  de  l'être.  Les  calamités  de  la  guerre  de  Cent 
Ans,  sans  parler  de  bien  d'autres  causes,  la  tirent  profondément 
déchoir.  En  1470^  les  chaires  t  s'y  vendaient  au  plus  offrant 


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RAPPORT   SUR    LE   GRAND   PRIX    DB    L* ANNÉE.  77 

et  dernier  enchérisseur  ».  Les  maîtres  ne  prenaient  plus  la 
peine  de  faire  eux-mêmes  ni  leçons,  ni  répétitions.  Ils  laissaient 
ce  soin  à  des  substituts  d'aventure,  travaillant  uniquement  à 
s'enrichir  aux  dépens  de  Yalma  mater,  et  à  tirer  le  plus  possi- 
ble de  leurs  écoliers.  Quant  à  ceux-ci,  ils  ne  songeaient  qu'à 
frustrer  les  régents  de  leurs  rétributions  scolaires  et  do  leui 
casuel.  N'étudiant  plus,  ils  trouvaient  pourtant  moyen  de  se 
faire  graduer  à  bon  compte.  Au  lieu  de  ne  former  qu'un  même 
corps  comme  autrefois,  ils  s'étaient,  à  l'exemple  de  Paris, 
divisés  en  nations  toujours  prêtes  à  se  livrer  bataille.  Les  col- 
lèges de  boursiers  n'étaient  plus  que  des  pensions  bourgeoises 
où  régnaient  la  paresse,  le  désordre  et  la  débauche.  —  Tous 
les  universitaires  abusaient  d'ailleurs  étrangement  des  privilè- 
ges apostoliques,  qui  les  exemptaient  encore  de  la  juridiction 
ordinaire,  comme  au  temps  où  le  Pape  ordonnait  partout  avec 
la  même  autorité  que  chez  lui.  Et  ils  se  prévalaient,  avec  pareille 
outrecuidance,  des  immunités  royales  qui,  jadis,  les  avaient 
dispensés  de  payer  l'impôt. 

Manifestement,  l'institution  tout  entière  n'était  plus  en  har- 
monie avec  l'ordre  nouveau  des  choses.  On  voit  bien,  d'ail- 
leurs, parla  manière  dont  les  maîtres  et  les  élèves  entendaient 
leur  devoir,  qu'elle  avait  cessé  d'être  utile.  Hais  c'était  l'Uni- 
versité de  Toulouse  consacrée  par  tant  de  souvenirs!  Le  Parle- 
ment, pouvoir  jeune  et,  pour  lors,  plein  de  vertu,  tenta  de 
réparer  cette  ruine.  Il  y  mit  beaucoup  de  ménagements,  de 
patience,  respectant  d'anciens  droits  qui  devaient  lui  paraître 
bien  surannés,  ceux,  par  exemple,  de  ces  deux  commissaires 
du  Saint-Siège  qui  avaient  titre  de  conservateur  et  de  sous- 
conservateur  des  privilèges  apostoliques,  —  ne  se  lassant  pas 
de  renouveler  ses  arrêts  de  règlement  quand  il  les  voyait  trop 
méconnus.  —  Son  intervention,  qu'on  eût  rejetée  avec  hauteur 
en  1400,  ne  fut  même  pas  contestée.  Tous  cédèrent  à  son  ascen- 
dant, respectèrent  son  autorité.  Il  réussit,  à  la  longue,  à  rame- 
ner  pour  un  temps  dans  le  Studium  quelque  apparence  de 
probité  et  au  moins  l'ordre  et  la  décence,  sinon  cette  force 
secrète  qui  fait  qu'on  vit  sans  y  penser.  Quoi  qu'on  ait  pu  dire 
au  contraire,  il  en  était  ainsi  au  temps  de  Cujas.  C'est  bien  à 


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78  -  SÉANCE  PUBLIQUE. 

tort  que  ses  admirateurs  ont  prétendu  qu'il  avait  souffert  une 
injustice;  la  chaire  qu'il  avait  en  vue  lui  fut  disputée  dans 
toutes  les  formes  et  par  quatre  concurrents.  S'il  ne  l'obtint  pas, 
c'est  que  Forcadel,  son  rival  heureux,  professeur  de  mérite  et 
qui  fut  toujours  aimé  des  étudiants,  avait  sans  doute  plus  que 
lui,  dans  l'esprit  et  dans  la  parole,  cet  air  de  facilité  qui  fera 
toujours  impression  sur  les  juges  d'un  concours.  D'ailleurs,  le 
Parlement  veillait.  Vingt  arrêts  témoignent  de  la  sollicitude  qu'il 
apporta  durant  tout  le  cours  de  ce  siècle  à  maintenir  aussi 
haut  que  possible  le  niveau  de  l'enseignement.  Il  lui  arriva 
quelquefois  de  se  recruter  parmi  les  régents,  —  qui  s'en  trou- 
vaient fort  honorés,  —  mais,  bien  plus  souvent  encore,  surtout 
durant  les  troubles  et  quand  les  grands  savants  devenaient  ra- 
res, il  prit  dans  son  sein  des  conseillers  pour  en  faire  des  pro- 
fesseurs. Il  n'y  a  pas  de  meilleure  preuve  de  son  zèle  à  sou- 
tenir l'honneur  de  l'Université  ;  du  reste,  il  était  seul  à  s'en 
inquiéter.  L'Eglise  s'était  désintéressée  des  études;  les  prélats* 
même  eussent  volontiers  aboli  les  grades,  a6n  de  se  débarrasser 
des  gradués  qui,  armés  des  décrets  du  concile  de  Bàle  et  des 
articles  de  la  Pragmatique  Sanction,  venaient  tous  les  ans,  en 
Carême,  leur  arracher  des  mains  le  tiers  des  bénéfices  dont  ils 
pouvaient  disposer.  On  avait  imaginé  cet  expédient  en  1436 
pour  ramener  les  étudiants  à  la  théologie  que  tout  le  monde 
délaissait»  même  les  moines.  Néanmoins,  l'école  où  on  aurait 
dû  l'enseigner,  à  Toulouse,  restait  fermée.  Quand  les  doctrines 
de  Luther  se  répandirent  on  songea  à  la  rouvrir,  mais  elle  était 
en  trop  mauvais  état. 

Cet  abandon  général  des  études  eut  pour  les  régents  des  consé- 
quences fort  pénibles.  Avec  le  nombre  de  leurs  auditeurs  leurs 
revenus  diminuèrent.  Ils  en  vinrent  à  ne  plus  pouvoir  vivre  de 
leurs  chaires  comme  ils  faisaient  auparavant.  Leur  étal  de 
détresse  et  les  démarches  qu'ils  firent  pour  en  sortir,  soit  auprès 
des  États  de  Languedoc,  soit  auprès  du  Roi,  furetft  cause  d'un 
changement  considérable,  d'une  révolution,  pour  mieux  dire, 
dans  l'Université.  De  tout  temps,  l'enseignement  avait  été  pour 
eux  une  sorte  d'industrie  —  qu'ils  exerçaient  sous  certain  con- 
trôle et  dans  des  conditions  déterminées,  —  mais  à  leurs  risques 


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RAPPORT  SUR   LB   GRAND    PRIX   DE   l' ANNÉE.  79 

et  périls;  leurs  gains  variaient  de  l'un  à  Tautre.  Ils  étaient, 
pour  chacun,  en  raison  de  son  savoir-faire,  du  talent  qu'il  avait 
d'attirer,  de  retenir  autour  de  soi  les  écoliers.  Hais,  à  partir 
de  1565,  et  sur  leurs  instances,  cette  libre  industrie  devint  un 
office.  Ils  obtinrent  qu'ils  recevraient  des  gages,  —  il  ne  se 
parlait  pas  encore  de  traitement,  —  comme  les  conseillers  à  la 
Cour,  et  que  ces  gages  seraient  les  mêmes  pour  eux  tous.  Le 
très  puissant  cardinal  d'Armagnac,  archevêque  de  Toulouse, 
qui  avait  pris  cette  affaire  à  cœur,  décida  le  Roi  à  leur  assigner 
une  pension  sur  ses  greniers  à  sel,  et  lui-même  imposa  sur 
tous  les  bénéfices  du  ressort  du  Parlement  une  taxe  proportion- 
nelle, que  son  clergé  subit  avec  une  colère  mal  contenue,  et 
qu'il  tenta  après  lui,  mais  vainement,  de  ne  pas  payer.  Cette 
mesure  fut  le  salut  des  régents,  mais  porta,  je  le  crois,  le  der- 
nier coup  aux  études.  L'ordonnance  de  Blois,  de  1579,  qui 
défendit,  article  9,  d'enseigner  le  droit  dans  l'Université  de 
Paris,  acheva  de  discréditer  la  science  des  lois  romaines.  A 
Toulouse,  malgré  le  Parlement,  qui  s'était  efforcé,  par  des 
arrêts  multipliés,  de  leur  rendre  difficile  l'accès  du  Palais,  les 
jeunes  gens  se  tournèrent  en  plus  grand  nombre  vers  la  prati- 
que et  vers  le  barreau. 

Durant  cette  mortelle  langueur  des  facultés  jadis  les  plus 
florissantes,  les  lettres  antiques,  que  l'odieuse  grammaire  avait 
si  longtemps  flétries,  reprenaient  leur  premier  éclat.  On  s'éton- 
nait de  les  avoir  si  longtemps  méconnues.  Toute  la  France 
était  pleine  de  leur  gloire.  Elles  jouissaient  d'une  telle  faveur 
auprès  des  meilleurs  esprits,  que  les  hommes  du  monde  les 
plus  ennemis  des  nouveautés,  —  est-il  besoin  à  Toulouse  de 
nommer  les  capitouls?  —  s'étaient  résolus,  dès  1546,  à  faire 
quelque  chose  pour  elles.  Ce  qui  est  bien  plus  extraordinaire, 
c'est  que  leur  délibération  avait  été  suivie  d'effet.  On  avait 
supprimé  plusieurs  petits  collèges  de  boursiers  qui  avaient 
peine  à  s'entretenir,  tant  leurs  ressources  étaient  diminuées, 
pour  employer  ce  qui  restait  de  leurs  dotations  respectives  à 
fonder  deux  collèges  de  littérature.  On  en  avait  déjà  fait  un, 
l'Esquille,  —  jamais  on  n'aurait  pu  faire  l'autre  !  —  quand  les 
Jésuites,  chassés  de  Pamiers,  arrivèrent  à  Toulouse,  en  156S. 


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80  SÉANCE  PUBLIQUE. 

J'ai  dit  ailleurs  ce  que  les  jésuites  ont  fait  pour  répandre  l'ins- 
truction classique  ;  j'aurais  dû  dire  qu'ils  n'avaient  pas  inventé 
cette  méthode  qu'on  suivait  avant  eux  dans  les  Académies  pro- 
testantes, et  même  à  l'Esquille,  où  un  principal,  venu  de  Paris, 
l'avait  importée.  Mais  c'est  par  eux  surtout  qu'elle  fut  con- 
nue, par  eux  qu'elle  triompha,  dans  tout  le  royaume,  de  l'an- 
cienne routine  scolastique.  Les  fugitifs  de  Pamiers  fondèrent  le 
deuxième  collège  qui  était  resté  en  projet.  Ils  surent  si  bien  le 
faire  valoir,  qu'en  1576  l'Université,  assemblée  chez  les  domi- 
nicains, leurs  futurs  ennemis,  se  l'agrégea.  C'était  marier  la 
jeunesse  à  sa  décrépitude.  Les  jésuites  lui  rendirent,  à  leur 
manière,  le  sentiment  de  la  vie.  Elle  put  s'apercevoir  qu'elle 
existait  encore,  aux  secousses  qu'ils  lui  donnèrent.  Avec  le 
tempS)  ils  lui  prirent,  sans  façon,  malgré  ses  cris,  tout  ce  qu'elle 
avait  à  leur  convenance  :  les  deux  chaires  de  la  Faculté  des  arts 
et  le  pouvoir  de  dispenser  les  degrés.  Ils  auraient  bien  voulu 
lui  prendre  aussi  ses  collèges  de  boursiers.  Un  archevêque  à 
eux,  d'Anglure  de  Bourlemont,  qui  leur  avait  déjà  donné  le  sé- 
minaire de  son  diocèse,  6t  une  enquête  en  1668^  pour  prouver 
au  Roi  que  ces  collèges  étaient  des  corps  morts  et  déjà  décom- 
posés. Cela  voulait  dire,  en  bon  français,  qu'il  fallait  en  grati- 
fier les  jésuites;  mais,  sans  doute,  cette  conclusion  ne  parut 
pas  logique,  car  l'enquête  n'eut  pas  de  suite.  Ils  avaient  tenté 
de  même,  en  1646,  de  mettre  la  main  sur  le  collège  de  l'Es- 
quille, qui  ne  prospérait  pas,  mal  entretenu  qu'il  était  par  la 
ville.  Ils  se  seraient  assurés  ainsi  le  monopole  de  l'enseigne- 
ment littéraire.  Mais  leur  ambition,  qui  ne  ménageait  personne, 
avait  fini  par  mettre  tout  le  monde  en  garde  contre  eux,  même 
les  capitouls.  On  leur  préféra  les  Doctrinaires.  L'émulation  de 
ces  deux  ordres  religieux,  usons  d'un  mot  plus  cru,  la  con- 
currence qu'ils  se  firent,  ne  fut  pas  sans  profit  pour  la  Faculté 
des  arts.  Et  comme  il  est  dans  la  nature  des  choses  humaines 
que  Multa  renascantur  quae  jam  cecidêre,  les  études  juridiques 
eurent  aussi  leur  renouveau.  Un  édit  de  1679  restaura  l'ensei- 
gnement du  droit  civil  et  canonique,  et,  bien  plus,  créa  des 
chaires  de  droit  français  dans  toutes  les  Universités.  Cette  ré- 
forme eut  lieu  à  Toulouse  en  1 684.  —  A  la  faveur  des  querelles 


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RAPPORT  SUR   LE   GRAND   PRIX   DE   L* ANNÉE.  81 

religieuses  auxquelles  donnèrent  lieu  le  jansénisme,  le  moli- 
nisnie,  les  efforts  des  dominicains  pour  maintenir  et  faire  pré- 
valoir la  doctrine  de  saint  Thomas,  la  théologie  elle-même  fut 
remise  en  honneur.  Dans  les  couvents  de  Toulouse  on  releva 
les  anciennes  chaires  qui  lui  étaient  consacrées,  on  en  fonda  de 
nouvelles.  Les  arrêts  qui  la  concernent  sont  en  si  grand  nom- 
bre, à  partir  du  ministère  de  Fleury  jusqu'en  1784,  que  si  Ton 
jugeait  de  l'esprit  d'une  époque  par  les  règlements  qu'elle  a 
vus  naître,  on  serait  porté  à  croire  qu'à  Toulouse,  comme 
ailleurs,  le  siècle  de  Voltaire  a  été  le  siècle  de  la  théologie. 

On  peut  juger  par  cet  aperçu,  que  j'aurais  voulu  faire  plus 
court,  de  la  nouveauté,  de  l'intérêt  des  informations  présentées 
par  M.  Saint-Charles;  car  c'est  M.  Saint-Charles,  de  Toulouse, 
déjà  lauréat  de  l'Académie  et  son  correspondant,  qui  a  composé 
ce  recueil  si  ample  et  si  bien  ordonné,  où  se  trouve  en  puis- 
sance l'histoire  de  notre  Université.  L'Académie,  qu'il  a  plei- 
nement satisfaite,  est  heureuse  de  décerner  à  M.  Saint-Charles 
son  grand  prix  de  500  francs. 


8»  SÉRIE     ^   TOMK  III,   2. 


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82  SÉANCE   PUBLIQUB. 


PROCLAMATION] 

DE  LA  MÉDAILLE  D'HONNEUR  VOTÉE  PAR  LE  CONSEIL  MUNICIPAL 
A  M.  PONS,  BIBLIOTHÉCAIRE  DE  LA  VILLE,  EN  RECONNAISSANCE 
DE  SES  SERVICES 

ALLOCUTION  DE  M.  GATIEN-ARNOULT 

sbobAtaxbb  oAnAbal 


Messieurs. 

Avant  d'inviter  les  lauréats,  dont  vous  avez  entendu  les  noms, 
à  venir  recevoir  leurs  prix,  je  dois  dire  quelques  derniers  mots 
pour  expliquer  la  nature  exceptionnelle  delà  médaille  d'hon- 
neur, d'une  valeur  supérieure  aux  autres,  que  nous  sommes 
chargés  de  proclamer. 

Cette  mission,  l'une  des  plus  agréables  que  nous  pussions 
désirer,  nous  a  été  déléguée  par  Messieurs  du  Conseil  munici- 
pal, que  nous  prions  d'en  agréer  nos  remerciments  avec  nos 
félicitations. 

C'est  bien,  de  leur  part,  d'avoir  voulu  donner  un  témoignage 
de  reconnaissance  au  doyen  des  fonctionnaires  de  la  ville, 
au  très  digne,  très  honorable  et  très  honoré  bibliothécaire , 
M.  Pont,  —  dont  les  mérites  sont  grands,  quoique  sa  modestie 
cherche  à  les  rapetisser,  —  et  dont  les  services  plus  que  demi- 
séculaires  ont  été  et  continuent  d'être  éminemment  utiles, 
quoique  peu  connus  de  la  foule,  ce  qui  se  comprend,  et,  ce  qui 


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PHOCUMATION   DE   Lk   MÉDAILLE    d' ARGENT.  83 

s'excuse  moins,  quoique  peu  remarqués  des  hommes  du  très 
haut  pouvoir,  lorsque  de  leurs  trônes  élevés  ils  regardent  en 
bas  sur  qui  doit  tomber  la  pluie  d'or  de  leurs  bienfaisantes 
gracieusetés. 

Et  c'est  très  bien  encore  aux  représentants  de  la  cité  d'avoir 
voulu  rendre  plus  éclatant  ce  témoignage  de  reconnaissance 
pour  des  services  spécialement  littéraires,  en  le  faisant  donner 
dans  une  solennité  académique  destinée  à  la  distribution  de 
récompenses  pour  des  travaux  et  des  mérites  de  cet  ordre;  no- 
tre séance  tirant  elle-même  un  plus  grand  éclat  de  cette  ad- 
jonction aussi  intelligente  que  naturelle. 

Les  Bibliothèques  sont,  en  effet,  les  sœurs  des  Académies; 
et  c'est  presque  depuis  le  rétablissement  de  la  nôtre,  au  com- 
mencement du  siècle,  que  notre  excellent  bibliothécaire  est  le 
frère-ami  de  tous  les  académiciens  passés  et  présents. 

Car  tous  ceux  d'entre  vous.  Messieurs,  qui  sont  de  notre  âge 
ou  qui  en  approchent  doivent  se  rappeler,  et  les  autres,  plus 
jeunes,  doivent  avoir  entendu  dire  que,  pendant  de  longues 
années,  à  partir  de  cette  époque  du  siècle  commençant,  notre 
bibliothèque  communale  a  eu  des  conservateurs  qui  s'y  conten- 
taient bien  du  rôle  de  ceux  qu'on  appelait  autrefois  rois  fai-- 
néants,  et,  plus  récemment,  d'un  nom  moins  impoli,  rois  cons- 
titutionnels, —  régnant  sans  beaucoup  de  souci,  gouvernant  si 
peu  que  rien  et  n'administrant  pas  du  tout. 

Dès  sa  première  jeunesse,  M.  Pont  a  été  leur  serviteur-mi- 
nistre, successivement  grandissant  et  s'élevant  jusqu'aux  fonc- 
tions de  Maire  de  ce  Palais,  dont  nous  l'avons  vu  ensuite  Maire 
en  titre  ofticiel,  réunissant  toutes  les  qualités  de  l'emploi. 

Car  il  est  organisateur  habile  pour  la  partie  matérielle,  si 
importante;  rédacteur  intelligent  et  laborieux,  pour  la  partie 
si  difBcile  des  catalogues;  conservateur  intègre,  d'une  probité 
qu'il  faut  bien  louer,  puisqu'une  bibliothèque  est  aussi  un 
trésor  public  qui  donne  parfois  au  caissier  des  tentations  d'in- 
fidélité, dont  on  cite  plus  d'un  exemple  tristement  fameux; 
surveillant  actif,  maintenant  p:irtout  et  toujours  un  ordre 
parfait,  mais  associant  à  l'amour  de  la  discipline  nécessaire  la 
complaisance  la  plus  obséquieuse  pour  tous  ceux  qui  ont  be- 


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/ 


84  SÉANCE   POBLIQUB. 

soin  de  renseignements,  de  conseils  et  de  services;  en  outre, 
d'un  désintéressement  presque  excessif;  qualité  toujours  rare, 
même  de  nos  jours. 

Ainsi  H.  Pont  a  mérité  et  obtenu  d'être  profondément  es- 
timé, sincèrement  aimé,  et  aujourd'hui  pieusement  vénéré  de 
tous  ceux  qui  te  connaissent. 

L'Académie  éprouve  un  grand  plaisir  à  le  proclamer.  Per- 
mettez-moi d'ajouter  que  son  secrétaire ,  en  particulier ,  se 
trouve  heureux  d'un  privilège  que  son  titre  lui  donne  d'être,  en 
cette  circonstance,  l'interprète  des  sentiments  de  l'Académie, 
du  Conseil  municipal  et  aussi  de  tous  les  citoyens  de  la  Répu- 
blique des  lettres  dans  la  cité  de  Toulouse,  qui  veut  toujours 
mériter  son  nom  de  Palladienne. 

Et  vous  devez  comprendre,  Messieurs,  comment  ce  n'est  pas 
sans  quelque  émotion  que  j'invite  ce  vieil  ami  à  venir,  le  pre- 
mier de  tous  les  lauréats  de  ce  jour,  recevoir  des  mains  de 
M.  le  maire  la  médaille  d'honneur  qui  lui  a  été  votée  par  Mes- 
sieurs du  Capitole. 

Jamais  récompense  ne  put  être  décernée  à  un  plus  digne  I 

Puisse-l-elle  réjouir  la  vieillesse  de  celui  qui  la  reçoit,  et 
contribuer  à  lui  faire  un  beau  soir  après  un  long  jour  consacré 
à  être  utile  I 

Après  cette  allocution,  H.  Rodière,  adjoint  au  maire,  a  rap- 
pelé de  nouveau  les  nombreux  services  de  M.  Pont,  et  dit  com- 
bien il  s'estimait  heureux  d'être,  en  l'absence  de  M.  le  Maire, 
l'organe  du  Conseil  municipal  pour  témoigner  à  cet  honorable 
doyen  des  fonctionnaires  de  la  ville  la  reconnaissance  de  tous. 


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SUJET   DBS  PHIX.  85 

PUI  DISIRBUtS  DAHS  U  SÉANCE  PDBUQUE  DD  13  JDUISSI 


CONCOURS  DE  L'ANNÉE  1881 


GRAND  PRIX  DE  L' ANNÉE 

M.  Saint-Oharles,  à  Toulouse.  Études  sur  les  arrêts  du  Parlement  de  Toulouse 
concernant  VUniversité  de  cette  ville. 

ENCOURAGEMENTS 
Glaise  des  iBseiiviloms  ei  BeUes-Iie(4res. 

MÉDàlLLE  D*OR  DE   liO  FRANCS 

M.  Louis  Béziat,  à  Gaunes  (Aude).  Ouvrage  intitulé  :  Histoire  de  Vabbaye  de 
Caunes» 

MÉDAILLE  DE  VERMEIL 

H.  OrancUean .  à  Paris.  Études  sur  F  organisation  municipale  à  Toulouse  aux 
Xn%  Xll?  et  XIV  siècles, 

MÉDAILLE  d'argent  DE  2«  CLASSE 

M.  Séry  père,  à  Castres.  Don  gracieux  à  la  bibliothèaue  de  V Académie  de  cinq 
documents  originaux  portant  la  signature  de  Louis  XV  et  d'autres  per- 
sonnages illustres, 

RAPPEL  DE  MÉDAILLES  D*ARGENT 

n.  B.  Bumeau,  Instituteur  public  k  Grenade  (Haute-Garonne).  Notes  histo- 
riques sur  la  ville  de  Grenade  et  sur  la  ville  de  Labastide-de-Sérou 
[Ariége), 

ri.  l'abbé  Bosia,  à  Paris.  Manuscrits  de  l'église  d*Albi  des  Vil*,  IX*  ei 
Xlll*  siècles. 

eusse  des  Bclemees. 

MÉDAILLES  D*ARGENT  DE   \^  CLASSE 

H.  Marty,  à  Toulouse.  Divers  sujets  et  ossements  fossiles  de  V époque  quaternaire, 
recueillis  dans  les  départements  de  la  Hnute^Garonne  et  de  lAriège. 

M.  Fabre ,  à  Toulouse.  Note  sur  la  suppression  des  glaces  dans  les  opérations 
photd^raphiques, 

MÉDAILLE  d'argent  DE  2«  CUSSE 

M.  p.  Privât,  à  Toulouse.  Calorifère  à  chaudière  inexplosible. 

RAPPEL  DE  MÉDAILLE  D'aRGENT 

M.  P.  Oéofroy-Gomez,  à  Toulouse.  Cheminées  à  ga%y  nouveau  système, 

MENTION  HONORABLE 

rî.  p.  Cazes,  à  Toulouse.  C'itahgue  botanique  des  plantes  les  plus  usuelles. 

MÉDAILLE  D*OR  (dMionueur) 
(Votée  par  le  Conseil  municipal.) 

BI.  Pont,  hihliotb'Taire  de  la  ville,  pour  ses  services  liltéraires  de  plus  d*un 
demi-siècle.  Kc  nise  eu  séance  publique  de  TAcadémie. 


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SUJETS  DE   PRIX 

fboposAb  pab 

L'ACADÉMIE   DES   SCIENCES 

INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES  DE  TOULOUSE 
Pour  les  aimées  1882, 1883  et  1884. 


Ait.  31  des  règlements.  -»  L'Académie  propose,  tous  les  ans,  dans  la 
séance  publique,  une  question  relative  au  sujet  de  prix.  Cette  question, 
annoncée  trois  ans  avant  que  le  prix  soit  décerné  est  fournie  alternativement 
par  la  section  des  Mathématiques,  par  celle  des  Sciences  naturelles  et  pat 
la  classe  des  Inscriptions  et  Belles- Lettres. 

Les  sujets  de  prix  sont  proposés  dans  l'ordre  suivant  :  4o  les  Mathéma- 
tiques: 2o  la  Chimie;  3»  l'Histoire  naturelle  ;  4o  la  Physique;  5»  la  Médecine 
et  la  Chirurgie  :  6o  l'Astronomie.  Cet  ordre  est  interrompu  Uhis  les  trois  ans 
pour  les  sujets  de  prix  dans  la  classe  des  Inscriptions  et  Belles- Lettres. 


SUJET  DU  PRIX  DB  MATH ÊMi  TIQUES  A  DÉCERNER   EN  1882. 

Etude  d*une  classe  quelconque  de  surfaces  obtenue  par  une  méthode 
de  transformation  fondée^  soit  sur  le  principe  de  dualité,  soit  sur  tout 
autre. 

Faire  ressortir  quelque  propriété  remarquable  de  ces  surfaces  et 
applications  géométriques  ou  autres. 


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SÉANCE  PgBLIQDB.  87 

SUJET  DD   PBIX  DE  CHIMIE  A  DÉGERHBB   EN   4883 

Indiquer  les  procédés  qui  permettent  de  reconnaître  d'une  manière 
sûre  les  sophistications  qu'on  fait  subir  aux  vins, 

SUJET  DU  PSIX   DE  UTTÉSATURE   A    DÉCERNER   EN    1884 

Histoire  de  la  ville  de  Toulouse  pendant  la  Révolution,  c'est-à-dire 
depuis  la  suppression  de  la  province  de  Languedoc  jusqu'à  l'établissement 
du  Premier  Empire. 

L'Académie  laisse  les  concurrents  entièrement  libres  de  rédiger  leur 
travail  dans  la  forme  qu'ils  préféreront.  Elle  leur  demande  de  se  borner  à 
l'histoire  de  la  seule  ville  de  Toulouse  pendant  celte  période,  mais  de  la 
retracer  aussi  complète  que  possible.  Ils  devront  faire  connaître  les  événe- 
ments de  tout  ordre  qui  se  sont  accomplis  (événements  politiques,  adminis- 
tratifs, judiciaires,  religieux,  littéraires,  artistiques,  industriels,  etc.  )  et  les 
hommes  dont  le  rôle  a  été  le  plus  remarquable  dans  quelque  genre  que  ce 
soit. 

Les  matériaux  de  cette  histoire  sont  dans  les  archives  du  département, 
dans  celles  de  la  commune,  dans  la  bibliothèque  de  la  ville«  où  les  auteurs 
auront  toute  facilité  pour  les  consulter. 

Chacun  de  ces  prix  sera  une  médaille  d'or  de  la  valeur  de  500  fr. 

Les  savants  de  tous  les  pays  sont  invités  à  travailler  sur  les  sujets  pro- 
posés. Les  membres  résidants  de  l'Académie  sont  seuls  exclus  du  concours. 

L'Académie  n'a  pas  décerné  le  prix  de  4879,  dontle  sujet  était  la  question 
suivante  : 

Des  rapports  des  névroses  avec  les  maladies  organiques. 

En  conséquence  et  conformément  à  l'art.  33  du  règlement,  l'Académie 
se  réserve  de  décerner  un  prix  extraordinaire  à  tout  auteur  ^un  mémoire  qui 
lui  serait  adressé  sur  ce  sujet,  avant  le  4 <^  janvier  4882 ,  et  qui  lui  paraîtrait 
digne  d'une  palme  académique. 

L'Académie  décerne  aussi,  dans  sa  séance  publique  annuelle,  des  prix 
d'encouragement  :  4*  Aux  personnes  qui  lui  signalent  et  lui  adressent 
des  objets  d'antiquité  {monnaies,  médailles,  sculptures,  vases ,  ar- 
mes, etc.),  et  de  géologie  {échantillons  de  roches  et  de  minéraux,  fossiles 
d'animaux,  de  végétaux,  etc),  ou  qui  lui  en  transmettront  des  descriptions 
détaillées,  accompagnées  de  figures  ; 

2<»  Aux  auleurs  qui  lui  adressent  quelque  dissertation  ,  ou  observation  « 
ou  mémoire ,  importants  et  inédits ,  sur  un  des  sujets  scientifiques  ou 
littéraires  qui  sont  l'objet  des  travaux  de  l'Académie  ; 


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88  SUJETS   DE  PRIX. 

3o  Aux  inventeurs  qui  soumettent  à  son  examen  des  machines  ou  des 
procédés  nouveaux  introduits  dans  l'industrie,  et  particulièrement  dans 
l'industrie  méridionale. 

Ces  encouragements  consistent  en  médailles  de  bronze  ou  d'argent  de 
première  ou  de  seconde  classe  ou  de  vermeil ,  selon  l'importance  des 
communications.  Dans  tous  les  cas,  les  objets  soumis  à  l'examen  de 
l'Académie  sont  rendus  aux  auteurs  ou  inventeurs,  s'ils  en  manifestent  le 
désir.  (Les  manuscrits  ne  sont  pas  compris  dans  cette  disposition.) 

Indépendamment  de  ces  médailles ,  dont  le  nombre  est  illimité ,  il 
peut  être  décerné  chaque  année ,  et  alternativement  pour  les  Sciences 
et  pour  les  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  une  médaille  d'or  de  la  valeur 
de  420  fr.  à  l'auteur  de  la  découverte  ou  du  travail  qui ,  par  son  importance , 
entre  les  communications  faites  à  l'Académie  ^  paraît  plus  digne  de 
cetre  distinction. 

Les  travaux  imprimés  sont  admis  à  concourir  pour  cette  médaille, 
pourvu  que  la  publication  n'en  remonte  pas  au-delà  de  trois  années,  et  qu'ils 
n'aient  pas  été  déjà  récompensés  par  une  Société  savante. 

Les  travaux  de  l'ordre  scientifique  concourront  seuls  pour  cette  médaille 
en  4882. 

DISPOSITIONS  GÉNÉRALES 

I.  Les  mémoires  concernant  le  prix  ordinaire,  consistant  en  nne  médaille  d'or  de  500  fr., 
ne  seront  reçus  que  jusqu'au  1"  janvier  de  Tannée  pour  laquelle  le  concours  est  ouvert. 
Ce  terme  est  de  rigueur. 

II.  Les  communications  concourant  pour  les  médailles  d'encouragement ,  y  compris  la 
médaille  d'or  de  120  fr.,  devront  être  déposées,  au  plus  tard ,  le  1"  avril  de  chaque  année. 

III.  Tous  les  envois  seront  adressés,  franco,  au  secrétariat  de  l'Académie,  ou  à  M.  Gatiek- 
Abnoult,  secrétaire  perpétuel,  rue  Lapeyrouse,  3. 

IV.  Les  mémoires  seront  écrits  en  français  ou  en  latin ,  et  d'une  écriture  bien  lisible. 

V.  Les  auteurs  des  mémoires  pour  les  prix  ordinaires  écriront  sur  la  première  page  une 
sentence  ou  devise;  la  même  sentence  sera  répétée  sur  un  billet  séparé  et  cacheté, 
renfermant  leur  nom ,  leurs  qualités  et  leur  demeure  ;  ce  billet  ne  sera  ouvert  que  dans  k 
cas  où  le  mémoire  aura  obtenu  une  distinction. 

VI.  Les  mémoires  concourant  pour  les  prix  ordinaires,  dont  les  auteurs  se  seront  fait 
connaître  avant  le  jugement  de  l'Académie ,  ne  pourront  être  admis  an  concours. 

Vil.  Les  noms  des  lauréats  seront  proclamés  en  séance  publique,  le  premier  dimanche 
après  la  Pentecôte. 

VIII.  Si  les  lauréats  ne  se  présentent  pas  eux-mêmes,  M.  Abmieux,  Trésorier  perpétuel, 
rue  Romignières,  7 ,  délivrera  les  prix  aux  porteurs  d'un  reçu  de  leur  parL 

IX.  L'Académie,  qui  ne  proscrit  aucun  système,  déclare  aussi  qu'elle  n'entend  pai^ 
adopter  les  principes  des  ouvrages  qu'elle  couronnera. 


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DE   l'organisation    DE   LA    MAGISTRATURE.  89 

DE 

L'ORGANISATION  DE  LA  MAGISTRATURE 


VŒUX  ET  DOLÉANCES 

EXPRIMÉS I    Â  CE  SUJET,    DANS    LES   CAHIERS    DES    SÉNÉCHAUSSÉES 
DU    LANGUEDOC,    EN    4789 

Par  m.  Henri  ROZY  d) 


Il  est  toujours  difficile  d'organiser,  suivant  les  règles  généra- 
les de  la  raison  et  conformément  aux  besoins  d'un  peuple,  les 
trois  pouvoirs  fondamentaux  et  essentiels  d'un  État  ;  le  pouvoir 
législatif,  le  pouvoir  exécutif,  le  pouvoir  judiciaire. 

Mais  le  problème  estsurlout  délicat,  quand  il  s'agit  du  pou- 
voir judiciaire. 

Pour  le  pouvoir  législatif,  le  but  à  atteindre  est  unique  et 
simple  :  assurer  l'exacte  représentation  de  l'opinion  publique , 
de  toutes  les  opinions.  Pour  le  pouvoir  exécutif,  il  faut,  mais  il 
suffit  qu'il  reflète  nettement  la  pensée  de  la  puissance  législative 
et  qu'il  ne  puisse  jamais  lutter  contre  elle. 

Quant  au  pouvoir  judiciaire,  la  donnée  est,  à  la  fois,  plus 
haute  et  plus  complexe. 

Ce  pouvoir,  chargé  de  juger  tous  les  différends,  ne  doit  s'ins- 
pirer de  l'opinion,  des  passions  de  personne.  Ce  qu'il  doit  re- 
présenter uniquement  et  sans  aucun  mélange,  c'est  la  justice, 
la  justice  absolue  :  des  principes  inébranlables  et  nullement  des 

0)  La  dans  la  séance  da  tk  mars  4881 . 


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90  MÉMOIRES. 

opinions  plus  ou  moins  variables.  Tandis  que  les  autres  pou- 
voirs sont  forcément  amenés  à  écouter  des  voix  étrangères,  à  se 
préoccuper  de  forces  en  dehors  d'eux,  le  pouvoir  judiciaire  est 
tenu  de  s'isoler  complètement. 

Comment  lui  donner  l'indépendance  qui  soutient  le  juge?  la 
valeur  morale  et  scientidque  qui  soutient  le  jugement  et  le  fait 
respecter?  Que  de  difficultés  ! 

Aussi  renaissent-elles  souvent,  môme  quand  on  n'est  pas  au 
lendemain  d'une  révolution,  même  quand  on  ne  demande  en 
même  temps  aucune  modification  à  l'organisation  du  pouvoir 
législatif  et  du  pouvoir  exécutif. 

En  France,  l'on  ne  saurait  nier  —  quoiqu'on  l'exagère  beau- 
coup —  l'existence  d'une  certaine  préoccupation  actuelle  à  ren- 
contre de  notre  magistrature.  Je  n'y  échappe  pas  plus  qu'un 
autre.  Dans  une  enceinte  spécialement  juridique,  j'en  étudie 
maintenant  l'objet  avec  quelques  détails.  Mais  ici,  je  me  con- 
tenterai d'examiner  les  origines  de  notre  pouvoir  judiciaire 
moderne,  —  non  pas  les  origines  contenues  dans  les  textes 
de  lois,  ^  mais  celles  qui  se  manifestent  dans  les  vœux  et 
les  doléances  des  ordres  de  la  nation,  au  moment  de  la  convo- 
cation des  États  généraux  de  4789. 

Et  même  je  ne  jetterai  pas  un  coup  d'œil  général  sur  tous  les 
pays  d'États  ou  d'Élections.  De  pareilles  œuvres  ne  peuvent  être 
abordées  que  par  de  véritables  historiens.  C'est  ainsi  que  notre 
digne  président,  M.  Duméril,  l'année  dernière,  a  fouillé  les 
archives  de  toute  la  France  et  relevé  l'expression  des  vœux  de 
toute  la  nation  relativement  à  l'instruction  publique.  Qu'il  me 
soit  permis  de  me  contenter  du  résultat  des  interrogations  que 
j'ai  adressées  aux  cahiers  des  sénéchaussées  du  Languedoc. 

Le  Languedoc  est,  pour  Toulouse,  un  territoire  de  voisins,  et 
l'on  aime  à  savoir  ce  qu'ont  pensé  des  ancêtres  qui  avaient  nos 
mœurs  et  notre  caractère. 

Le  voisinage  d'ailleurs  n'est  pas  trop  étroit,  il  s'en  faut. 

Pendant  longtemps,  le  nom  de  Languedoc  a  servi  à  dési- 
gner toute  la  moitié  méridionale  du  territoire  français.  Sous 
Louis  XVI,  il  désignait  encore  la  plus  grande  province  de  la 


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DB^  l'organisation    DE   LA   MAG18TRATUBB.  91 

monarchie,  celle  qui  a  formé,  à  elle  seule,  Téquivalent  de  sept 
départements  rie  Tarn,  TAude,  l'Hérault,  le  Gard,  la  Lozère, 
i'Ardèche  et  une  partie  de  la  Haute-Garonne  et  de  la  Haute- 
Loire.  D'une  étendue  totale  de  plus  de  quatre  millions  d'hecta- 
res (un  million  de  plus  que  le  royaume  actuel  de  Belgique), 
elle  s'étendait  du  pied  des  Pyrénées  aux  portes  de  Lyon ,  et 
contenait  une  population  de  1,800,000  habitants.  Elle  se  divi- 
sait en  diocèses,  au  nombre  de  vingt-trois,  dont  trois  archevê- 
chés. Le  tout  forme  aujourd'hui  vingt-sept  arrondissements  (1). 

Elle  se  divisait  aussi  en  Sénéchaussées,  au  nombre  de  douze  : 
Annonay,  Béziers,  Carcassonne,  Casteinaudary,  Castres,  Li- 
moux,  Âfende,  Montpellier,  Ni  mes  ,  Puy-en-Velay ,  Toulouse, 
Villeneuve-de-Berg  ou  bas  Vivarais. 

Ce  n'est  donc  pas  une  simple  opinion  de  clocher  que  nous 
aurons  à  relever  dans  les  manifestations  écrites  des  représen- 
tants des  trois  ordres  pour  une  telle  étendue  de  territoire.  La 
note  de  la  diversité  sera  forcément  plus  accusée  que  celle  de 
l'uniformité. 

Quant  aux  sources  où  je  vais  les  puiser,  ai -je  besoin  de  vous 
les  indiquer,  et  ne  les  avez-vous  pas  désignées  avant  que  je  ne 
le  fasse  moi-même?  J'avoue  humblement  que  je  n'ai  eu  nul 
besoin  de  me  couvrir  de  la  noble  poussière  des  archives  de  notre 
pays.  Est-ce  que  notre  excellent  et  si  distingué  collègue  , 
M.  Roschach,  ne  nous  a  pas  évité  toute  peine  sur  ce  terrain  ? 
C'est  dans  le  tome  XIV de  la  continuation  de  V Histoire  de  Lan- 
guedoc que  j'ai  rencontré  tous  les  éléments  de  ma  modeste 
communication.  C'est  le  recueil  le  plus  complet  de  tous  les 
vœux  et  doléances  des  trois  ordres  du  Languedoc,  émis  à  pro- 
pos de  la  convocation  des  États  généraux  en  1789. 

Cette  convocation^  pour  le  Languedoc,  eut  lieu  en  vertu  d'un 
règlement  fait  par  le  roi,  à  la  date  du  7  février  1789>  et  elle 
précisa  fort  exactement  les  villes  qui  devaient  envoyer  des 
députés  et  le  nombre  de  ces  députés.  Mais  ces  détails,  si  inté- 
ressants qu'ils  soient,  m'éloigneraient  trop  de  mon  sujet.  Je  les 
donnerai  en  notes. 

(1)  M.  de  LaTergne,  Us  AstmMet  prwindaUs  tam  Lowt  XVI,  page  396. 


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92  MÉMOIRES. 

Je  reviens  à  la  conception  que  l'on  se  faisait  en  Languedoc 
de  la  magistrature  française. 

En  face  d'une  organisation  judiciaire  quelconque,  quatre 
questions  se  posent  naturellement  : 

I.  Par  qui  doivent  être  nommés  les  membres  du  pouvoir 
judiciaire?  dans  quelles  conditions?  sous  quelles  garanties? 

II.  Quelle  sera,  quant  à  sa  durée,  l'étendue  de  ces  fonctions, 
une  fois  conquises? 

IlL  Les  tribunaux  doivent-ils  être  nombreux  ou,  au  con- 
traire, assez  disséminés  dans  un  pays? 

IV.  Quelle  doit  être  la  mesure  de  leur  compétence,  rcUione 
loci  ou  materiœ,  et  par  quel  pouvoir  doit-elle  être  fixée? 

C'est  le  plan  que  je  vais  suivre ,  en  parcourant  les  vœux 
émis  pour  la  constitution  de  la  magistrature,  dans  les  cahiers 
de  nos  sénéchaussées  du  Languedoc. 


I 


S'il  est  un  axiome  indiscutable,  c'est  que  les  fonctions,  et 
surtout  les  fonctions  publiques,  doivent  être  dévolues  aux  plus 
dignes,  de  par  leur  science  et  leur  probité.  Sous  l'ancien  ré- 
gime, l'on  sait  comment  il  était  appliqué  au  service  judiciaire. 
Le  hasard  de  la  naissance,  qui  vous  faisait  seigneur,  entraînait 
le  droit  de  rendre  la  justice ,  et  la  possession  d'une  certaine 
fortune  permettait  d'acheter  une  charge  de  judicature. 

Aussi,  fut-ce  un  cri  général,  au  moment  de  la  rédaction  des 
cahiers  des  ordres,  que  la  suppression,  et  des  justices  seigneu- 
riales et  de  la  vénalité  des  charges  judiciaires.  Le  Languedoc 
n'a  point  échappé  à  ce  courant  salutaire. 

A  Béziers,  la  noblesse,  elle-même,  demande  la  suppression 
de  la  vénalité  des  charges  et  des  offices  de  judicature  ;  mais 
seulement  —  il  faut  le  reconnaître  —  quand  les  offices  va- 
queront par  mort,  démission  ou  forfaiture  (1).  —  A  Villeneuve- 

(4)  HUioirt  gMrak  de  Languedoc,  t.  XIY,  col.  4695. 


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DE   l'organisation   DE   LA    MAGISTRATURE.  93 

de-Berg,  le  clergé  désire  t  qnil  soit  pris  des  moyens  pour  substi- 
€  ttÂer  à  la  vénalité  des  charges  un  choix  libre  de  personnes  dis- 
€  tinguées  par  leurs  vertus  et  connaissances  (i).  •  —  Celui  du 
Puy-en-Velay  également  (2).  —  A  Montpellier,  la  suppression 
des  justices  seigneuriales  est  réclamée  par  le  tiers-état,  parce 
que  l'existence  de  ces  justices  est  la  source  d'un  nombre 
infini  d'abus  (3),  —  comme  la  disparition  de  la  vénalité  des 
charges  l'est  par  le  tiers-état  de  Limoux  (4)  ;  —  mais  celte 
protestation  ne  se  rencontre  pas  uniformément,  même  chez  le 
tiers-état. 

Ainsi  la  noblesse  de  Limoux  veut  la  conservation  de  la  vé- 
nalité des  charges  (S),  et  le  tiers-état  du  pays  de  Gévau- 
dan  (Mende)  se  contente  de  faire  faire  des  arrondissements  des 
justices  seigneuriales,  —  ce  qui  servira  donc  à  maintenir  l'exis- 
tence de  ces  judicatures  (6). 

Le  tiers-état  de  Villeneuve-de-Berg  adopte  la  même  idée,  en 
prenant  le  chiffre  de  douze  paroisse?,  comme  devant  être  le 
chiffre  minimum  de  celles  qui  seraient  comprises  dans  chacun 
de  ces  arrondissements  (7). 

Tout  le  monde,  au  contraire,  est  d'accord  pour  souhaiter  ar- 
demment la  suppression  de  ces  nombreuses  juridictions  d'ex- 
ception dont  le  nom  même  est  difficile  à  retenir,  tant  elles  sont 
variées  et  compliquées  (8),  ainsi  que  celles  des  commissions 
extraordinaires  (9). 

Sans  doute,  ce  n'est  pas  la  table  rase  faite  au  regard  de  tou- 
tes les  juridictions  exceptionnelles  en  1789;  mais  bien  des 
lacunes  devaient  cependant  finir  par  se  produire  dans  cette 
organisation.  Clomment  songeait-on  à  les  combler  dans  les  as- 
semblées  préliminaires  des  trois  ordres  du  Languedoc?  Quelle 

0)  BUtokt  générale  dôLangtêedoCj  t.  ÎIV,  col.  2635. 
(9)  Id.,  col.  S590. 

(3)  /d.,  col.  2769. 

(4)  /d.,  col.  2841. 
(6)  /d.,  col.  2713. 

(6)  /d.,  col.  2823. 

(7)  /d.,  col.  4  865. 

(8)  Id.,  col.  2732. 

(9)  /d.,  col.  2660. 


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94  MÉMOIRES. 

sera  la  porte  par  laquelle  on  entrera  dans  les  fonctions  de  la 
nouvelle  judîcature  à  organiser? 

Le  tiers-état  de  la  sénéchaussée  de  Beaucaire  et  de  Ni  mes 
songe,  avant  tout,  à  protester  contre  l'obligation  longtemps 
imposée  d'être  noble  pour  entrer  dans  les  Parlements  :  c  Que 
c  dans  aucun  tribunal,  dit-il,  le  titre  de  noble  ne  soit  néces- 
€  saire  pour  être  juge  (1).  »  —  Mais,  ensuite,  sera-ce  le  pou- 
voir royal,  sera-ce  le  suffrage  des  justiciables,  sera-ce  celui  de 
quelques  pouvoirs  locaux,  municipaux  ou  autres,  que  l'on 
chargera  de  la  nomination  ? 

En  général,  c'est  au  Roi,  c'est-à-dire  au  représentant  le  plus 
élevé  du  pouvoir  exécutif,  que  cette  puissance  est  dévolue, 
d'après  les  vœux  des  cahiers  du  Languedoc.  Seul,  le  tiers-état 
du  Puy-en-Velay  divise  la  nomination  des  magistrats  entre  le 
Roi  et  les  seigneurs;  mais  les  candidats  devront  être  présentés 
par  les  justiciables  (2).  —  Y  aurait-il  donc  là  un  acte  de  suf- 
frage universel  préparatoire  à  la  nomination  du  juge?  Le  droit 
de  suffrage,  au  contraire,  devait-il  être  restreint  à  certaines 
personnes  ?  Les  explications  nous  manquent.  Il  est  probable, 
cependant,  que,  dans  la  pensée  des  rédacteurs  des  cahiers,  cer- 
taines catégories  auraient  été  faites  entre  les  justiciables. 

Le  clergé  de  la  sénéchaussée  de  Villeneuve-de-Berg  est  en- 
core moins  explicite  que  le  tiers-état  du  Puy-en-Velay.  Il  ne 
veut  plus  de  la  vénalité  des  charges;  mais  il  entend  qu'il  soit 
pris  des  moyens  pour  substituer  à  cette  vénalité  un  choix  libre 
de  personnes  distinguées  par  leurs  vertus  et  connaissances  (3). 
Excellent  comme  aspiration.  Mais  quel  sera  son  mode  de  réali- 
sation ? 

Tout  exceptionnellement,  l'on  trouve  certains  vœux  qui  ten- 
daient à  la  nomination  de  quelques  magistrats,  au  moins,  par 
des  corps  déjà  constitués. 

Le  clergé  de  Limoux  formulait  cette  idée  que  Ton  devaii 
créer  dans  chaque  communauté  un  tribunal  composé  de  troi> 


0)  Bitioin  génénk  de  tMguedoe,  t.  XIY,  col.  S800. 
{%)  /d.,  col.  2843. 
(3)  /d.,  col.  S635. 


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DE   l'oEGANISATIOM   DE   LA   MAGISTRATURE.  95 

prud'hommes,  élus  annuellement  parle  Conseil  politique,  à  l'ef- 
fet de  connaître  et  ju£i:er  sans  appel  toute  cause  dont  le  fond 
n'excéderait  pas  douze  livres  (i).  —  Et  la  Chambre  ecclésiasti- 
que de  Nimes  demandait  que  les  petites  causes,  civiles  et  cri- 
minelles, dont  l'objet  n'excéderait  pas  la  somme  de  dix  livres, 
fussent  jugées  souverainement  sur  les  lieux  par  les  consuls  de 
la  communauté  eux-mêmes,  qui  auraient  le  droit  de  prendre 
leurs  assesseurs,  au  nombre  de  quatre,  parmi  les  plus  anciens 
membres  du  Conseil  politique  (2). 

Ce  sont  là  des  dispositions  tout  à  fait  isolées  que  celles  qui 
remettaient  la  nomination  des  magistrats  aux  justiciables,  ou 
à  des  corps  constitués.  Et  cependant,  la  Constitution  des 
3-44  septembre  1791  qui,  le  plus  généralement,  a  tendu  à  réali- 
ser les  vœux  de  4789,  a  admis  l'élection  des  juges  par  le  peu- 
ple. (Tit.  III,  chap.  V,  art.  4®'.)  —  On  ne  pourra  pas  soutenir, 
au  moins,  qu'elle  ait  suivi,  6n  agissant  ainsi,  les  vœux  des 
cahiers  du  Languedoc. 

Mais,  ai  le  roi  devait  être  le  dispensateur  des  nominations 
judiciaires,  comment  exercerait-il  ce  pouvoir?  Serait-il  maître 
absolu  dans  son  choix? 

Ici,  nous  allons  rencontrer  de  véritables  surprises.  L'exi- 
gence de  quelques  conditions  pour  l'entrée  dans  la  magistra- 
ture, que  certains  esprits  taxent  encore  de  hardiesse  inaccep- 
table, était  posée,  en  4789,  dans  la  forme  la  plus  simple, 
comme  s'il  ne  s'agissait  point  d'une  véritable  innovation. 

Le  tiers-état  de  Montpellier  veut  un  examen  préalable  des 
candidats,  f  Que  Sa  Majesté,  dit-il,  daigne  compter  parmi 
f  les  moyens  les  plus  efficaces  d'opérer  le  bonheur  de  ses  su- 
«  jets,  d'ordonner  que  désormais  la  justice  sera  rendue  en  son 
€  nom,  dans  toute  l'étendue  du  royaume,  par  des  officiers 
f  ayant  provision  d'Elle,  et  admis  seulement  après  un  examen 
9  rigoureux  de  leur  capacité,  une  enquête  de  leur  vie,  moeurs  et 
c  fortune  suffisante  pour  les  maintenir  dans  un  honnête  désin 
f  tércssement  (3).  > 


(4)  HUtoire  générale  de  Languedoc,  t.  ÎIV,  col   2623 

(2)  Id.,  col.  2555. 

(3)  Id.,  eol.  2769. 


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96  MÉMOIRES. 

Le  liers-élat  de  Villeneuve-de-Borg  ne  se  contente  pas  d'un 
examen  d'entrée,  il  veut  un  concours.  (1  le  voulait  en  1789,  et 
nous,  nous  n'avons  encore  ni  un  examen  sérieux,  ni  un  con- 
cours en  4881  t  en  pleine  démocratie  t 

Modérons  un  peu  cependant  nos  éloges,  sans  diminuer  nos 
regrets.  Il  y  a  une  petite  tache  dans  la  formule  des  vœux  de 
ce  cahier  de  Villeneuve-de-Berg  :  t  Tous  citoyens  nobles  ou  ro- 
«  turiers  seront  admis  aux  charges  de  magistrature;  nonobs- 
f  lani  tous  arrêtés  contraires  des  cours  souveraines;  les  char- 
ff  ges  de  magistrature  seront  données  au  concours  entre  pré- 
€  tendants,  les  fils  de  maître  préférés  à  mérite  égal  (<).  »  — 
Quel  début  excellent  I  Les  roturiers  valent  les  nobles  et  seront 
également  admis  dans  la  magistrature;  —  les  arrêtés  des  Cours, 
même  souveraines,  ne  sauraient  prévaloir  contre  la  nature.  — 
Comme  cela  continuaiubien  aussi  :  le  concours  qui  consacre  seul 
l'égalité  complète  et  peut  éliminer  aussi  bien  un  noble  qu'un 
roturier;  mais  à  la  On,  in  caudd^ixn  peu  de  venenum.  Le  privi- 
lège revient  :  la  naissance,  le  hasard  qui  vous  a  fait  naître  fils 
d'un  bourgeois,  d'un  maitre,  donnera  la  préférence.  Seulement 
à  mérite  égal,  c'est  vrai.  Mais  y  a*t-il  jamais  deux  candidats  à 
mérite  absolument  égal?  Les  juges  du  concours  ne  créeront-ils 
pas  cette  égalité  de  mérite  pour  pouvoir  utiliser  le  privilège? 
—  Enfin,  cela  vaut  encore  mieux  que  les  exemptions  d'appren- 
tissage pour  les  fils  de  maître,  inscrites  dans  les  statuts  des 
corporations.  Là,  l'inégalité  était  trop  grande. 


U 


Après  la  nomination,  l'institution  du  magistrat. 

L'on  se  demande  naturellement  pour  combien  de  temps 
elle  est  faite;  pour  quelques  années  ou  à  vie?  le  juge  sera-t-il 
assimilé  aux  fonctionnaires  administratifs,  aux  députés  de  la 
nation?. lui  faut-il  plus  de  garanties  de  situation?  son  esprit 
pourra-t-il  demeurer  calme,  serein,  planer  au-dessus  des  luttes 

(1)  HitUfire  générale  de  LangwdoCj,  t.  XIY»  col.  2742 


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DB   l'organisation   DB   LA    MAGlSTRATURB.  97 

quotidiennes,  s'il  craint  une  révocation  rapide"?  —  Les  cahiers 
du  Languedoc  n*ont  pas  négligé  de  répondre  à  ces  diverses 
questions. 

Tous  les  ordres  n'ont  pas  émis  partout^des  vœux  pour  l'éta-" 
blissement  de  l'inamovibilité  du  magistrat.  Mais  ceux  qui  l'ont 
fait  ont  exprimé  leur  pensée  avec  une  telle  énergie  que,  sans 
exagération,  l'on  peut  dire  que  l'intensité  de  l'expression  rem- 
place son  universalité. 

La  noblesse  de  Limoux  demande  <  que  la  liberté  des  ma- 
c  gistratssoit  désormais  sacrée  et  leur  inamovibilité  irrévoca- 
c  blement  assurée^  à  moins  de  forfaiture  préalablement  jugée 
c  par  juges  compétents  (1).  * 

Celle  de  Carcassonne  s'inspire  des  mêmes  principes  :  c  Les 
c  officiers  des  Cours,  tant  supérieurs  qu'inférieurs,  seront  ina- 
t  roovibles  et  ne  pourront  être  destitués  que  pour  forfaiture 
c  jugée;  leurs  droits,  sanctionnés  par  les  vœux  des  États,  les 
c  mettront  dans  tous  les  temps  à  l'abri  des  violences  employées 
€  pour  subjuguer  leur  opinion  et  forcer  leur  suffrage  (2).  » 

Le  tiers-état  du  Puy-en-Velay  est  tellement  convaincu  de 
l'utilité  du  principe  de  l'inamovibilité,  qu'il  en  désire  l'appli- 
cation, même  pour  les  juges  seigneuriaux  (3).  —  Il  est  bien 
permis  de  croire  cependant  qu'il  n'avait  pas  pour  les  justices 
seigneuriales  une  affection  profonde. 

Dans  la  sénéchaussée  de  Villeneuve-de-Berg,  encore,  le  tiers- 
état  émet  le  même  vœu  pour  toute  la  magistrature,  à  tous  les 
degrés,  même  pour  les  postulants  dans  les  justices  inférieures  (4). 
D'après  celte  pensée,  nos  juges  de  paix  —  équivalant  à  peu  près 
aux  postulants  des  justices  inférieures  —  devraient  être  inamo- 
vibles, ce  qui  serait  pour  nous  une  nouveauté  éclatante.  Le 
cahier  continue  et  dit  :  c  La  subordination  des  tribunaux  in- 
«  férieurs  à  l'égard  des  tribunaux  supérieurs  doit  être  réglée 
t  de  façon  que  la  liberté  individuelle  des  magistrats  subalter- 
c  nés  ne  puisse  être  exposée  à  aucun  caprice.  >  Que  de  pré- 
Ci)  BUime  génMe  de  Languedoc,  t.  XIV,  col.  274  3. 

{%)  ld„  col.  2676. 

(3)  W.,  col.  184  3. 

(4)  /d.,  col.  i866. 

8«  SÉBTB  —  TOME  III,  2.  7 


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98  MÉMOIIES. 

cautions  pour  que  l'indépendance  du  juge  soit  bien  assurée  1 
Hais  nous  avouons  que,  pour  satisfaire  pleinement  à  un  besoin 
aussi  respectable  que  celui  de  la  justice,  nous  aimons  mieux  le 
luxe  que  la  disette  d^  précautions. 

  Toulouse,  le  tiers-état  recommande  l'inamovibilité,  mais 
sans  phrases  et  sans  commentaires  (4).  La  noblesse  de  la  même 
ville  motive  presque  éloquemment  ce  même  désir  ic  Conformé- 
c  ment  au  vœu  de  la  nation  exprimé  aux  États  de  Tours,  et 

<  afin  que  les  officiers  des  Cours  soient  vertueux  et  hardis  à 
c  remplir  le  mandat  et  les  devoirs  qui  leur  seront  imposés  par 

<  les  États  généraux,  ils  seront  de  nouveau  déclarés  inamo- 
«  vibles,  sauf  dans  le  cas  de  forfaiture  jugée  (2).  » 

A  Montpellier,  la  noblesse  insiste  aussi.  Elle  s'adresse  au  roi, 
et  lui  dit  :  c  Sire,  la  loi  de  l'inamovibilité  des  oilBces  doit  être 
•  maintenue  dans  toutes  ses  dispositions  et  même  renouvelée 
c  en  tant  que  de  besoin.  Les  magistrats  ne  peuvent  être  dé- 
c  pouiliés  de  leurs  offices  que  par  mort,  forfaiture  ou  démis- 
c  sion  libre  et  volontaire.  Votre  Majesté  est  suppliée  de  rejeter 

<  tout  projet  de  réduction  ou  suppression  d'offices  qui  tendrait 
c  à  priver  aujourd'hui  de  leur  état  ceux  qui  en  sont  pour- 
i  vus,  et  à  rendre  ainsi  sans  effet  la  célèbre  ordonnance  de 
c  Louis  XI  (3).  >  n  lie  s'agit  point  seulement  de  la  magistra- 
ture, mais  de  tous  les  offices  en  général.  Cette  exagération 
semble  inspirée  surtout  par  celte  idée  que  tout  fonctionnaire 
est  propriétaire  de  sa  fonction.  Détestable  maxime  qui  fait  le 
fonctionnaire  créancier  de  l'administré  et  du  justiciable,  tandis 
qu'il  n'est,  avant  tout,  que  leur  débiteur. 

Enfin,  la  cause  de  l'inamovibilité  est  chaudement  plaidée 
par  le  clergé  de  Carcassonne  ;  mais  les  raisons  présentées  dans 
cette  plaidoirie  sont  des  moins  acceptables.  Pour  cet  ordre-là, 
la  magistrature  doit  être  inamovible  dans  l'intérêt  du  clergé 
qu'il  devra  toujours  protéger,  c  Le  clergé  de  la  sénéchaussée, 
c  dit-il ,  convaincu  de  V étroite  liaison  qui  doit  régner  entre  la 


(4)  HUtoin  génénU  de  LangvedM,  t.  XIY,  col.  2754 
(2y  Id., 'Col  2649. 
(3)  Id.,  col.  2669. 


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DE   L  ORGANISATION   DE   LA    MAGISTRATURE.  99 

c  nuigisirature  et  le  clergé,  de  Tappui  que  les  Cours  ont  donné 
f  à  la  religion  et  à  ses  ministres,  croit  devoir  supplier  Sa 
c  Majesté  de  maintenir  les  magistrats  dans  la  stabilité  des 
c  droits  et  des  prérogatives  attachés  à  leur  place  (1).  » 

Il  n'y  a  aucune  dissimulation  dans  la  pensée  de  ce  clergé. 
Immédiatement  avant  ces  paroles,  il  se  plaint  de  la  suppression 
de  la  juridiction  de  TEglise  en  matière  civile  et  criminelle,  et, 
en  réalité,  il  veut  trouver  dans  les  magistrats  des  Cours  des 
remplaçants  dociles  et  soumis  de  cette  juridiction. 

Mais,  qu'importe?  Une  mauvaise  raison  donnée  pour  une 
bonne  cause  ne  montre  qu'une  chose  certaine  :  c'est  l'incapa- 
cité ou  la  passion  de  l'avocat,  mais  ne  détruit  pas  les  qualités 
de  la  cause  en  elle-même. 


m 


Certes,  s'il  est  un  problème  discuté  maintenant,  c'est  celui 
du  nombre  des  tribunaux. 

Faut-il  qu'ils  soient  rapprochés  du  justiciable,  ou  bien  vaut- 
il  mieux  avoir  des  tribunaux  peu  nombreux,  sérieusement 
occupés  et  convenablement  rémunérés?  —  L'actualité  de  cette 
question  pourra  faire  trouver  moins  arides  les  détails  qui  me 
restent  encore  à  donner.  Je  me  propose,  d'ailleurs,  de  laisser 
de  côté  les  vœux  purement  locaux,  émis  dans  l'intérêt  de  la 
conservation  de  tels  ou  tels  tribunaux  déjà  établis.  —  Je  re- 
cherche, avant  tout,  les  solutions  de  principes. 

Fallait-il  d'abord  maintenir  les  anciens  Parlements  ou ,  au 
contraire ,  supprimer  ces  hautes  et  envahissantes  juridictions? 
La  préoccupation  pour  cette  question  a  été  un  peu  restreinte; 
mais  ceux  qui  en  ont  eu  souci,  tout  en  paraissant  désirer  le 
plus  souvent  le  maintien  des  Parlements ,  sentent  le  besoin  de 
mesurer  leur  pouvoir  et  de  leur  infliger  une  responsabilité  sé- 
rieuse. La  noblesse  de  Limoux  s'exprime  ainsi  :  c  Que  les  Cours 

(4)  HUtoin  générale  de  Languedoc^  t.  ÎIV,  col.  2546. 


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100  MfflfOllES. 

«  souveraines  demeurant  chargées  par  les  États  généraoi  de 

•  défendre  les  lois  contre  les  atteintes  du  peuple  et  de  Faa- 
ff  toritéy  soient  à  l'ayenir  responsables  de  leur  silence  à  la 

•  nation  assemblée  (<).  »  Quel  rêve  de  faire  des  Parlements, 
corps  privilégiés,  une  barrière  même  contre  le  pouvoir  d'en 
haut!  Mais,  au  fond,  le  rêve  est  généreux. 

Le  tiers-état  de  Toulouse  veut  bien  «  que  les  Parlements 

•  soient  déclarés  des  corps  permanents,  tenant  du  roi  leur 
«  compétence  et  leur  pouvoir  comme  juges;  de  la  nation 
«  le  droit  d'enregistrer  les  lois,  de  veiller  au  maintien  de  la 
«  Constitution,  d'en  rappeler  les  principes  oubliés  ou  mena- 
«  ces ,  et  qu'en  conséquence  il  ne  puisse  être  touché  à  leur 
c  existence  sans  le  consentement  de  la  nation  (2).  w  Quel 
acte  de  foi  de  la  part  de  notre  tiers-état  toulousain  !  Il  croit 
qu'en  1789  il  existe  sérieusement  une  Constitution,  c'est-à- 
dire  une  limitation  réglée,  oi^nisée,  de  la  puissance  absolue. 
Et  les  rois  n'étaient  même  pas  obligés,  à  certains  intervalles, 
de  convoquer  les  Etats  généraux  I  Rien  qu'une  lacune  de  cent 
soixante-quinze  ans  entre  les  Etats  généraux  de  1614  et  ceux 
de  17891  Mais  enfin  il  estime  que  le  pouvoir  judiciaire  devait 
s'opposer  aux  violations  des  Constitutions.  Il  était  là,  au  moins, 
sur  le  terrain  des  vrais  principes. 

La  noblesse  du  même  lieu  tient  à  la  fixité  des  Parlements, 
c  Leur  constitution,  leur  autorité,  l'étendue  de  leurs  ressorts, 
«  le  lieu  de  leur  résidence,  ne  pourront  être  changés  ou  autre- 
u  ment  ordonnés  que  de  l'aveu  et  du  consentement  spécial  de 
c  l'assemblée  nationale  (3).  •  Au  fond,  que  veut-elle?  Donner  de 
l'indépendance  aux  Parlements,  surtout  au  regard  de  la  royauté. 
Ce  sont  les  représentants  de  la  nation  qui ,  seuls ,  domineront 
les  Parlements. 

Mais,  ne  vaudrait-il  pas  bien  mieux,  au  lieu  de  s'armer 
contre  les  Parlements,  les  cantonner,  avant  tout,  dans  leur 
rôle  judiciaire,  où  ils  ne  pourront  faire  courir  de  danger  à  la 


(4)  Hittoire  géniraU  de  Languedoc^  t.  XIV,  coi.  «74 H 
(2)  /d.,col.  2754. 
(3J  !d.,  col.  2649. 


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DE   l'organisation    DE   LA   MAGISTRATURE.  101 

liberté?  Aucun  ordre  n'a  formulé  expressément  le  désir  de 
cette  fixation  de  compétence,  qui  est  une  des  plus  belles  con- 
quêtes de  1789. 

La  noblesse  de  Garcassonne  parait  bien  disposée  à  réduire 
cette  puissance  vague,  mal  délimitée  des  Parlements;  mais 
comme  elle  s'y  prend  maladroitement  !  Elle  constitue  la  plus 
déplorable  confusion  des  pouvoirs,  en  en  faisant  un  corps  poli- 
tique. Voici  le  texte  de  son  cahier  :  c  Les  Parlements  ne  seront 
plus  des  corps  de  magistrature  permanents.  >  Voilà  la  manifes- 
tation d'une  certaine  défiance  à  l'égard  de  ces  grandes  Compa- 
gnies. Mais  pourquoi  ajouter  après  :  c  Les  Parlements  devront 
c  être  une  sorte  d'États  généraux  au  petit  pied,  liés  essentiel- 
c  lement  à  la  Constitution  par  le&  décrets  de  la  nation  assem- 
t  blée,  tenant  du  roi  leur  pouvoir  et  leur  compétence  comme 
c  juges,  tenant  de  la  nation  le  droit  de  vérifier  les  lois  nou- 
«  velles ,  de  veiller  au  maintien  de  la  Constitution  et  d'en  rap- 
c  peler  les  principes  oubliés  ou  menacés  (1)  »? 

Jamais  la  confusion  des  compétences  ne  fut  poussée  plus 
loin.  Un  pouvoir  judiciaire  qui  participe  à  la  confection  de  la 
loi  qu'il  doit  exécuter,  devenant  en  quelque  sorte,  et  dans  une 
certaine  mesure,  législateur,  quel  oubli  des  formules  si  ma- 
gistralement posées  par  Montesquieu  :  «  Il  n*y  a  point  de  li- 

•  berté  si  la  puissance  de  juger  n'est  pas  séparée  de  la  puis- 

•  sance  législative  et  de  l'executive.  Si  elle  était  jointe  à  la 
f  puissance  législative,  le  pouvoir  sur  la  vie  et  la  liberté  des 
€  citoyens  serait  arbitraire;  car  le  juge  serait  législateur  (2)!  » 

Les  Parlements  étaient  bien  haut  et  bien  loin,  presque  aussi 
loin  que  les  seigneurs  et  le  roi.  Aussi  entend-on,  en  1789,  nn 
cri  presque  unanime  :  Rapprocher  le  juge  du  justiciable.  Tous 
les  ordres ,  toutes  les  sénéchaussées  le  poussent  ensemt^le.  La 
noblesse  et  le  tiers-état  de  Montpellier  (3),  le  clergé  et  la  no- 
blesse du  Lauragais  (4),  la  noblesse  et  le  clergé  de  la  séné- 


(4}  Hittoire  générale  de  Languedoc,  t.  XIV,  coL  2676. 
(8)  Montesquieu,  Esprit  des  Lois,  liy.  XI,  chap.  yi. 

(3)  Histoire  générale  de  Languedoc,  col.  2659-60,  col.  277o. 

(4)  Id.,  col.  2638  012719. 


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402  MÉMOIRES. 

chaussée  de  Beaucaîre  et  de  Nîmes  (1) ,  le  clei^é  du  Gévau- 
dan  (2),  la  noblesse  d'Annonay  (3). 

Mais  par  quels  moyens  arriver  à  un  pareil  résultat?  On  en 
,  présente  un  certain  nombre  et  d'assez  variés  : 

1®  Étendre  la  juridiction  des  juges  officiers  municipaux  déjà 
institués.  —  C'est  la  solution  du  tiers-état  de  Castres  (4)  et  du 
clergé  de  Nimes  (5).  D'après  elle  «  ces  officiers  devraient  être 
fl  autorisés  à  juger,  en  dernier  ressort,  toutes  les  discussions,  en 
€  matière  civile,  purement  personnelles,  dont  la  valeur  n'excé- 
t  dera  pas  12  livres,  à  la  charge,  s'ils  ne  sont  pas  gradués,  de 
<  prendre  un  assesseur.  >  Mais  l'on  voudrait  que  les  petites 
causes  civiles  et  criminelles  n'excédant  pas  10  livres  fussent 
jugées  sur  les  lieux  par  les  consuls  de  la  communauté,  en  pre- 
nant pour  assesseurs  quatre  des  plus  anciens  de  ceux  qui  com- 
posent le  Conseil  politique.  Un  tribunal  dans  chaque  commune, 
n'est-ce  pas  beaucoup  trop? 

2®  Établir  dans  chaque  communauté  un  tribunal  de  pru- 
d'hommes. —  C'est  ce  que  proposent  les  clergés  de  Limoux, 
de  Béziers  et  de  Villeneuve-de-Berg  (6).  Mais  tandis  que  le 
premier  fixe  le  chiffre  du  jugement  en  dernier  ressort  à 
1?  livres,  celui  de  Béziers  donne  compétence  définitive  pour 
certaine  nature  d'affaires  :  contestations  sur  partage  des  terres, 
fossés  et  limites  sans  fixation  de  valeurs.  Le  troisième,  au  con- 
traire, reprend  la  fixation  d'un  chiffre  :  25  livres. 

3*  La  création,  tout  à  fait  nouvelle,  d'un  bureau  de  pacifica- 
tion organisé  dans  chaque  communauté  et  composé  d'un  avocat, 
des  consuls  et  de  deux  assesseurs.  C'est  l'opinion  du  tiers- 
état  de  Villeneuve-de-Berg  (7).  La  noblesse  de  la  même  séné- 
chaussée émet  le  même  vœu  :  la  création  d'un  bureau  de  pacifi- 
cation; mais  elle  le  place  auprès  de  chaque  Cour  souveraine 


(4)  Hisiain  ginéraie  de  Languedoc,  t.  XIY,  cd.  8666,  S688. 

(2)  /d.,  col.  8607. 

(3)  Id.,  ool.  8724. 
(i)  /d.,  ool.  8834. 
(6)  Id.,  col.  8666. 

(6)  Id,,  col.  8604,  8683,  8634. 

(7)  /d.,  col.  8866. 


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DE   l'organisation    DE   LA    MAGISTRATURE.  103 

avant  de  plaider  sur  l'appel  (<).  Ce  n'est  plus  l'idée  du  rappro- 
chement de  la  justice  et  des  justiciables. 

4®  La  création  d'un  tribunal  à  chaque  chef-lieu  de  départe- 
nf)enty  comme  le  demandait  le  tiers-état  du  Puy-en-Velay. 

5®  Attribution  du  dernier  ressort  aux  justices  ordinaires  jus- 
qu'à la  somme  de  100  livres,  et  à  200  livres  lorsque  la  demande 
sera  fondée  en  titre.  Aussi  tiers-état  du  Puy-en-Velay. 

Mais  s'il  est  bon  de  rapprocher  les  juges  des  justiciables,  ne 
faut-il  pas  éviter  la  trop  grande  multiplicité  des  petits  tribu- 
naux,  où  les  juges  s'endorment  dans  l'oisiveté? 

Cette  préoccupation,  que  nous  entendons  se  produire  à  chaque 
instant  depuis  quelque  temps,  n'avait  point  échappé  à  l'atten- 
tion de  quelques  ordres.  Et,  détail  assez  piquant,  on  dirait  que 
nous  avons  emprunté  la  formule,  dont  on  se  sert  communé- 
ment, aux  paroles  mêmes  qui  ont  servi  à  une  doléance  de  1789. 
•  Il  faut,  disait  le  tiers-état  de  Carcassonne,  rendre  aux  séné- 
c  chaussées  présidiales  leur  ancien  lustre  et  leur  véritable  com- 

<  pétence,  augmenter  leurs  attributions  en  dernier  ressort,  et 
«  leur  assigner  des  arrondissements  sufBsants  pour  procurer 
«  aux  mcLgisirais  un  travail  suivi,  sans  en  être  surchargés,  et 

<  au  peuple  des  juges  exercés  qui  leur  rendent  une  prompte  et 

<  bonne  justice  (2).  » 

Le  tiers-état  de  la  sénéchaussée  de  Villeneuve-de-Berg  était 
imbu  des  mêmes  idées,  lorsque,  conservant  on  ne  sait  pourquoi 
l'organisation  des  justices  seigneuriales,  «  il  demandait  qu'il 
((  fût  fait  des  arrondissements  à  chaque  chef-lieu,  composé  au 
fl  moins  de  douze  paroisses  (3).  »  C'était  peu,  mais  au  moins 
ce  n'était  pas  tout  à  fait  l'émiettement  de  la  fonction  judiciaire, 
qui  nuit  tant  à  sa  valeur  scientifique  et  morale,  en  ne  donnant 
pas  au  juge  des  responsabilités  fréquentes  et  variées. 


(4)  HUtoin  générale  de  Languedoc^  t.  XIV,  col.  2743. 
(%)  Id.,  col.  2788. 
(3)  Id.,  col.  8866. 


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104  MÉMOIRES. 


IV 


L'inamovibilité  du  juge  garantira  l'indépendance  de  son  es- 
prit et  la  fermeté  de  ses  décisions;  —  une  compétence  assez 
variée,  ratione  materiœ;  assez  étendue,  ralùme  lod,  haussent  son 
esprit  et  le  maintiennent  dans  un  courant  d'activité  utile  pour 
entretenir  la  puissance  de  la  réflexion  portée  sur  les  actes 
humains  et  les  questions  de  Droit  qui  lui  sont  soumises. 

Avant  tout,  pas  de  crainte  d'une  révocation  brutale  pouvant 
troubler  son  cœur  ou  sa  raison. 

Hais  il  pourrait  se  glisser  dans  la  pratique  des  tentatives  de 
révocation,  implicites  ou  partielles,  qui,  sans  destituer  le  juge, 
le  diminueraient  considérablement  :  restrictions  de  sa  compé- 
tence quant  à  la  nature  des  afraires;  restrictions  géographi- 
ques de  l'étendue  de  son  action.  Ces  diminutiones  capilis, 
majores  ou  minimœ  doivent  aussi  être  proscrites.  Et,  cependant, 
des  nécessités  contingentes  quant  au  temps  et  au  lieu  pour- 
raient quelquefois  les  imposer.  Quelle  est  alors  l'autorité  qui 
doit  en  décider? 

Si  c'est  le  pouvoir  exécutif,  sans  publicité,  sans  discussion 
préalable,  l'arbitraire  sera  facile  à  consacrer.  Avec  la  consulta- 
tion demandée  aux  pouvoirs  représentatifs  locaux,  avec  le  con- 
cours oblige  des  grandes  représentations  de  la  nation,  il  devient 
à  peu  près  impossible. 

Ce  problème  a  été  nettement  envisagé  dans  plusieurs  des 
cahiers  que  nous  étudions.  La  pénétration  de  leurs  auteurs  n'a 
donc  pas  été  mise  en  défaut.  Ils  avaient  senti  que  l'on  essaie 
souvent  de  faire  indirectement  ce  que  la  loi  aura  défendu  ce- 
pendant de  faire  directement,  et  que  le  pouvoir  a  souvent  cette 
tendance  de  reprendre  d'une  main  et  par  parcelles  ce  qu'il  a 
donné  en  bloc  et  avec  l'autre  main  largement  ouverte. 

La  noblesse  de  Toulouse  veut  que  la  constitution  des  Parle- 
ments, leur  autorité,  Vétendue  de  leur  ressort  et  le  lieu  de  la  rési- 
dence ne  puissent  être  changés  ou  autrement  ordotmés  que  de 


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DE   l'organisation   DE   LA   MAGISTRATURE.  105 

l'aveu  et  du  consentement  spécial  de  l'Assemblée  nationale  (1). 
—  Pour  elle  donc  ce  n'est  point  une  mince  question  que  celle 
de  l'étendue  du  ressort  d'un  tribunal.  Elle  repousse  l'arbitraire 
des  volontés  du  pouvoir  exécutif.  C'est  la  plus  haute  puissance 
législative  qui  doit  intervenir  pour  le  règlement  de  ces  diffi- 
cultés. 

La  noblesse  de  la  sénéchaussée  de  Beaucaire  et  de  Nimes  est 
moins  explicite  dans  la  formule  de  son  vœu  ;  mais  elle  demande 
expressément  qu'il  soit  établi  des  commissions  particulières^ 
composées  de  membres  des  États  généraux,  pour  présenter  aux* 
dits  États  des  plans  sages  et  praticables  sur  le  rapprochement 
des  justiciables  et  remplacement  des  tribunatuD  (2).  —  Le  simple 
emplacement,  la  simple  fixation  du  chef-lieu,  lui  parait  chose 
de  premier  ordre.  Les  États  généraux,  c'est-à-dire  la  puissance 
législative  la  plus  élevée  du  temps,  doivent  s'en  préoccuper. 

Dans  d'autres  sénéchaussées,  l'on  est  moins  exigeant  et  Ton 
ne  demande  pas  l'intervention  des  États  généraux  pour  la  cons- 
titution de  la  compétence  des  tribunaux.  Mais  il  faudra,  au 
moins,  celle  des  États  provinciaux. 

Il  sera  défendu,  dit  le  cahier  de  la  noblesse  du  bas  Vivarais, 
par  une  loi  positive,  d'ériger  aucun  tribunal,  d'augmenter  ou 
de  diminuer  son  ressort,  sans  avoir  préalablement  obtenu  le 
consentement  des  États  provinciaux  (3).  —  La  garantie  est 
peut-être  un  peu  moins  ferme,  mais  c'est  toujours  un  hommage 
rendu  à  la  puissance  de  l'opinion  publique  et  à  sa  représenta- 
tion par  les  corps  électifs. 

La  noblesse  de  Montpellier  est  aussi  préoccupée  de  la  stabi- 
lité à  donner  aux  juridictions;  mais  elle  procède  autrement.  Elle 
veut,  elle  aussi,  l'organisation  d'une  commission  chargée  de 
régler  ces  difficultés,  mais  elle  désire  que  cette  commission  soit 
composée  de  magistrats  choisis  dans  toutes  les  cours  souverai- 
nes, sauf  ensuite  à  soumettre  à  l'Assemblée  de  la  nation  un 
plan  général  uniforme  devant  fournir  tin  partage  égal  des  matiè- 


(4)  Bistaire  générale  deLmgwdoc,  t.  XIV,  col.  2649. 

(2)  Id.^  col.  2688. 

(3)  ïd.,  col.  2783. 


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106  MÉMOIBES. 

res  entre  les  cours  souveraines,  en  fixant  les  limites  de  leur  pou- 
voir,  de  manière  à  prévenir  des  conflits  juridiques  (1). 

Sans  doute,  il  est  à  regretter  que  la  noblesse  seule  paraisse 
avoir  Tormulé  des  vœux  de  cette  nature.  On  aimerait  aussi 
à  les  voir  appuyés  par  le  tiers-état.  Mais  n*est-il  pas  présumable 
que  ses  membres  s'y  associaient  implicitement?  Ces  hommes 
habillés  de  noir,  portant  la  livrée  du  travail»  qui  avaient  tou- 
jours parlé  au  roi  à  genoux  et  qui  avaient  si  longtemps  souffert 
de  la  confusion  et  de  la  mobilité  des  juridictions,  ne  devaient-ils 
pas  tenir  essentiellement  à  la  stabilité  du  juge?  Seulement,  il  est 
probable  qu'ils  redoutaient  le  maintien  des  anciens  Parlements 
et  qu'ils  ne  voulaient  point  leur  donner  de  nouvelles  faveurs  en 
contribuant  à  leur  affermissement.  Peut-être  n'ont-ils  pas  su 
s'élever  à  la  formule  supérieure^  rationnelle,  de  l'organisation 
d'une  bonne  magistrature»  craignant  que  les  Parlements  n'en 
dussent  profiter. 

Nous  autres,  nous  nous  «ainlenons  au-dessus  des  querelles 
de  ce  temps-là,  et  il  nous  importe  peu  que  ce  soit  une  caste 
comme  la  noblesse  qui  formule  les  vrais  principes.  Nous  per- 
çons l'écorce  de  la  formule  et  nous  applaudissons  à  l'idée  vraie, 
quelle  que  soit  la  voix  qui  la  proclame  ou  le  vêtement  sous 
lequel  elle  se  présente. 

Voilà  comment  le  Languedoc  et  ses  représentants  comprirent, 
en  1789,  les  problèmes  fondamentaux  de  l'organisation  de  la 
magistrature. 

Leurs  préoccupations  ne  s'arrêtèrent  pas  là.  Ils  songèrent 
aussi  aux  détails. 

C'est  ainsi  que  le  tiers-état  de  la  sénéchaussée  de  Limoux  de- 
mandait que  tous  les  arrêts,  sentences  et  jugements  fussent  motivés 
et  rendus  publics  (2).  C'est  là,  en  effet,  la  condition  essentielle 
de  la  bonne  justice.  L'on  doit  toujours  dire  pour  quelles  raisons 
l'on  décide.  Laissons  lesit  pro  ratione  voluntas  à  l'arbitraire  des 
royautés.  —  Quant  à  la  publicité,  elle  agit  comme  la  lumière, 
en  éclairant  et  en  purifiant. 

(4)  HUMre  gèéraU  de  Languedoc,  t.  XIY,  col.  8660 

(5)  /(!.,  001.8841. 


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DE   l'OBGANISATION   DB   U   MAGISTBATURE.  407 

La  noblesse  du  bas  Vivarais  allait  encore  plus  loin  :  elle 
émettait  le  vœu  que  les  juges  fussent  obligés  d'opiner  à  haute 
et  intelligibk  voix,  en  matière  civile,  les  portes  ouvertes,  en  pré- 
sence du  peuple  et  des  parties  (1). 

Je  ne  répugnerais  pas  pour  mon  compte  à  ces  manifestations 
publiques.  Peut-on  songer  cependant  à  les  faire  adopter  dans 
un  pays  où  Ton  pense  généralement  que  l'on  n'a  pas  le  droit 
de  renoncer  au  secret  du  vote  en  matière  politique? 

Mais  le  plan  que  je  m'étais  proposé  me  parait  rempli.  Con- 
cluons. 

I.  —  Il  faut  que  les  candidats  à  la  magistrature  n'y  entrent 
qu'après  un  concours  ou  un  examen  des  plus  sérieux. 

II.  —  Il  faut  que  le  magistrat  soit  inamovible  sur  son  siège. 
C'est  le  minimum  des  garanties  que  les  justiciables  et  les 

juges  ont  le  droit  d'exiger. 

On  le  désirait  en  1789.  Qui  oserait  avancer  maintenant  qu'il 
est  rétrograde  au  point  de  ne  plus  vouloir  ce  qu'on  réclamait  à 
cette  époque? 

(4)  HisMn  gMnU  de  Languedoc,  t.  XIY,  ool.  8743. 


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t08  MÉMomn. 

DOCUMENTS  ET  ANNEXES 

I 

Règlement  fait  par  le  rai  pour  Vexécutian  des  lettres  de  convocation 
atÂX  prochains  États  généraux^  dans  sa  province  de  Languedoc, 

Du  7  férrier  1789. 

Le  roi  8*étant  réservé  de  déterminer  par  des  règlements  par- 
ticuliers la  forme  dans  laquelle  les  pays  administrés  par  les 
Etats  provinciaux  seraient  convoqués  à  l'assemblée  des  Etats 
généraux  de  son  royaume,  s*est  fait  rendre  compte^  en  son  con- 
seil, des  usages  anciennement  observés  dans  sa  province  de 
Languedoc  et  des  mémoires  que  les  Etats,  actuellement  assem- 
blés, lui  ont  présentés.  Sa  Majesté  a  reconnu  que  depuis  l'an- 
née 1483,  les  lettres  de  convocation  ont  toujours  été  adressées 
aux  sénéchaux  de  cette  province;  que  les  cahiers  de  doléances 
et  le  choix  des  députés  aux  Etats  généraux  ont  été  faits  cons- 
tamment par  sénéchaussées,  et  que  dans  les  listes  des  repré- 
sentants du  Languedoc  aux  précédents  Etats  généraux,  on  voit 
indistinctement  des  membres  des  Etats  de  la  province  et  des 
personnes  qui  n'en  faisaient  pas  partie.  Sa  Majesté  est  donc 
persuadée  qu'elle  ne  porte  aucune  atteinte  aux  droits  réels  des 
Etats,  en  suivant,  pour  la  convocation  de  ses  sujets  du  Langue- 
doc aux  Etats  généraux,  les  formes  qu'elle  a  adoptées  pour  tout 
son  royaume,  formes  qui  permettront  à  tous  les  habitants  du 
Languedoc  de  faire  parvenir  jusqu'à  elle,  ou  médiatement  ou 
immédiatement,  leurs  vœux  et  leurs  réclamations;  et  ils  n'ou- 
blieront point  sans  doute,  en  fixant  leur  confiance  et  en  diri- 
geant leurs  suffrages,  que  les  Etats  du  Languedoc  n'ont  cessé 
de  donner  des  preuves  du  plus  fidèle  attachement  aux  intérêts 
de  la  province.  En  conséquence,  Sa  Majesté  a  ordonné  et  or- 
donne que  les  lettres  de  convocation  et  le  règlement  y  joint,  du 


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DE   L*0R6A1^ISATI0N   DE   LA   MAGISTRATURE. 


409 


24  janvier  dernier,  seront  incessamment  envoyés  au  gouver- 
neur de  la  province  de  Languedoc,  qui  les  fera  passer  aux 
sénéchaux  de  ladite  province  et,  en  leur  absence,  à  leurs  lieu- 
tenants, pour  être  exécutés  suivant  leur  forme  et  teneur  dans 
toutes  les  sénéchaussées  indiquées  par  Tétat  annexé  au  pré- 
sent règlement. 

Fait  et  arrêté  par  le  Roi,  étant  en  son  Conseil,  tenu  à  Ver- 
sailles le  7  février  4789. 

Signé  :  Louis, 
et  plus  bas  : 

Laurent  de  Villedbuil. 


II 

État,  par  ordre  alphabétique,  des  sénéchaussées  de  la  province  de 
Languedoc  qui  députeront  directement  aux  Etats  généraux^  avec 
le  nombre  de  leurs  députations;  chaque  députatùm  composée 
d'un  député  du  clergé,  d*un  de  la  noblesse  et  de  deux  du  tiers- 
état. 


SÉNÉCHAUSSÉES 


Annonay 

Béziers 

Carcassonne. . 
Casteloaudary 

Castres 

Limoux 


S- 


sénéchaussées 


Mende 

Montpellier 

Nismes 

Puy-eo-Velay 

Touloose 

Villeoeuve-de-Berg 


»  00 

at-og 


Fait  et  arrêté  au  Conseil  d*Etat  du  roi.  Sa  Majesté  y  étant, 
tenu  à  Versailles  le  7  février  4789. 

Signé  :  Laurent  de  Yillbdeuil 


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140 


MÉMOIBBS. 


m 


État,  par  ordre  alphabétiqtie,  des  villes  de  la  province  de  Langue- 
doc  qui  doivent  envoyer  plus  de  quatre  députés  à  Vassemblée  de 
leur  sénéchaussée  et  le  nombre  de  députés  que  chacune  y  enverra. 


NOMS  DES  VILLES 


Agde 

Alais 

Alby 

Andaie 

Beaacaire . .  . 

Béziers 

Castres 

Carcassonne . . 
Casteinaodary. 
Castelsarrazin  . 

Cetle 

Clermont 

Gaillac 

Gange  

Usingeaox 

Lavaur 


Sa    1 

i  1 


6 
8 
8 
8 
8 
40 
10 
10 
8 
6 
8 
6 
8 
6 
6 
6 


NOMS  DES  VILLES 


ce    « 

03  a> 


I 


LePuy 

Limoux c 

Lodèfe 

Lunel 

Montpellier 

Narbonne  

Niâmes 

Pézenas 

Saint-Andéol  (Boorg) 

Saint-Esprit 

Saint-Gilles 

Saint-Hippolyte 

Terne 

Toolouse 

Dzès 


4S 
6 
8 
6 

20 
8 

30 
6 
6 
6 
6 
6 
6 

50 
8 


Les  villes  non  comprises  au  présent  état  enverront^à  l'assem- 
blée de  la  sénéchaussée  dont  elles  dépendent  le  nombre  de 


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DE   l'organisation   DE   LA    MAGISTRATURE.  1H 

députés  fixé  par  l'article  31  du  règlement  général  du  24  jan- 
vier dernier. 

Fait  et  arrêté  au  Conseil  d'Etat  du  roi,  Sa  Majesté  y  étant, 
tenu  à  Versailles  le  7  février  1789. 


Signé  :  Laurent  de  Villedeuil. 


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iVi  VÊMOIBBS. 


DEUX   EXECUTIONS   CAPITALES 

AU  DIX -SEPTIÈME  SIÈCLE 
Pab  m.  Ohaelbs  PRADEL  (^> 


Au  premier  abord,  ce  sujet  peut  paraître  oiseux  et  repous- 
sant. Si  je  Tai  choisi ,  ce  n'est  pas  que  j'éprouve  un  charme 
quelconque  à  m'appesantir  sur  des  détails  hideux. 

Il  m'a  fallu  vaincre  une  répugnance  naturelle  avant  d'arriver 
à  me  placer  en  face  de  documents  semblables  à  ceux  que  je 
vais  analyser  ou  reproduire.  Mais  ces  questions  sont  à  l'histoire 
ce  que  l'anatomie  est  à  la  médecine  :  après  avoir  surmonté  le 
premier  dégoût,  on  trouve  leur  étude  instructive  ,  je  dirai 
presque  attrayante. 

Puis,  il  n'est  pas  mauvais  de  rappeler,  entre  temps,  les 
mœurs  de  l'ancien  régime.  On  ressent  mieux  ainsi  tous  les 
bienfaits  de  la  Révolution,  dont  l'une  des  conquêtes  —  celle  à 
laquelle  nous  tenons  le  plus  en  France  —  est  l'égalité  devant 
la  loi  pénale. 

Avant  que  la  guillotine  eût  égalisé  les  supplices  dans  notre 
pays,  les  exécutions  capitales  avaient  lieu  dans  des  conditions 
déplorables. 

Parmi  les  nombreuses  manières  d'exécuter  un  coupable,  deux 
étaient  particulièrement  usitées  :  la  pendaison  et  la  décapita- 
tion. Le  hasard^  qui  sert  aux  chercheurs,  nous  a  permis  de  met- 

(4)  La  dans  la  séance  du  6  mai  4  884 . 


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DEUX   BXBCDTIONS   CAPITALES   AU    DIX-SEPTIÈME    SIÈCLE.         413 

tre  la  main  sur  un  exemple  cujjieux  de  chacun  de  ces  genres  à 
la  veille  du  grand  siècle. 

La  peine  de  mort  était  considérée  alors  non  point  comme  un 
acte  de  justice,  mais  comme  un  acte  de  vengeance.  Le  peuple, 
bien  souvent,  se  croyait  autorisé  à  prendre  part  à  cette  action. 
S'il  trouvait  que  le  bourreau  avait  failli  à  son  tour  pendant 
l'exécution,  il  se  vengeait  encore  et  tuait  le  bourreau,  pour  le- 
quel, du  reste,  il  n'avait  point  de  faible. 

Celte  soif  de  vengeance  domine  constamment  dans  notre  his- 
toire. On  la  retrouve  jusque  dans  les  formules  sans-culot t ides 
de  1793,  où  «  très  haute,  très  puissante  et  très  expéditive  dame 
guillotine  »  est  appelée  la  vengeresse  du  peuple.  Il  fut  même 
question  alors  de  donner  à  l'exécuteur  le  nom  ofGciel  de  ven- 
geur  national^  a6n  de  réhabiliter  un  fonctionnaire  dont  on  de- 
vait abuser. 

Au  moyen  âge,  des  principes  aussi  funestes  devaient  néces- 
sairement faire  nattre  l'idée  de  cruels  châtiments  à  exercer  con- 
tre le  coupable,  châtiments  qui  se  sont  perpétués  jusque  dans 
des  temps  bien  peu  éloignés  de  nous.  , 

Lorsqu'on  se  transporte  seulement  au  dix-septième  siècle,  on 
est  surpris  de  voir  combien  les  mœurs  étaient  rudes  encore. 
Les  supplices  les  plus  barbares  étaient  en  usage.  On  en  inven- 
tait même  au  sein  des  Parlements.  Chaque  conseiller  pouvait 
proposer  un  genre  de  mort.  Aussi,  après  l'assassinat  d'Henri  IV, 
pendant  le  procès  de  Ravaillac,  un  boucher  de  Paris  écrivit  au 
Parlement  pour  lui  proposer  d'écorcher  le  coupable  de  ses 
propres  mains.  Tout  le  monde  sait  que  sous  Louis  XIV  la  peine 
de  mort  était  édictée  pour  cause  de  délit  de  chasse  et  de 
douane,  surtout  pour  cause  de  religion.  Au  reste,  dans  ces 
temps  où  le  respect  de  la  vie  humaine  n'existait  pas,  on  pen- 
dait, on  décapitait,  on  rouait  fort  à  la  légère.  Les  exécutions 
sommaires  particulièrement  avaient  lieu  sans  grandes  précau- 
tions. S'il  s'agissait  de  pendre  un  homme,  en  temps  de  guerre 
surtout,  on  prenait  la  première  corde  venue  qui  cédait  au  poids 
du  corps  avant  la  parfaite  strangulation ,  ainsi  quo,  nous  en 
trouvons  un  exemple  dans  une  plaquette  fort  rare,  publiée  à 
Toulouse  chez  la  veuve  Golomiez  en  1G28.  Cette  pièce,  »inique 
8*  sé&ix   —  TOMB  III,  2.  8 


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1 1 4  MÉMOIBES. 

peut-être ,  trouvera  sa  place  à  la  «suite  de  ce  petit  travail.  Elle 
a  pour  titre  :  Délivrance  dEsiienne  Portail,  habitant  de  Tolose^ 
mis  à  la  potence  par  trois  fois  par  quelques  habitans  de  Revel,  ce 
vingt-cinquième  mars,  jour  de  l'Annonciation  de  la  Vierge  Marie 
(avec  celte  épigraphe)  :  Laqueus  œntritus  est  et  liberati  su- 
mus  (<). 

Le  jeune  homme  dont  il  est  question  ici  revenait  d'une  foire 
de  Puyiaurens  lorsqu'il  fut  fait  prisonnier  de  guerre,  conduit  à 
Revel  et  bientôt  au  supplice  par  roprésailles.  Un  de  ses  cama- 
rades de  prison  accepta  de  devenir  son  bourreau  pour  sauver 
sa  propre  vie,  sans  doute.  C'était  là  un  marché  habituel  alors 
Portail  fut  pendu  trois  fois  de  suite  à  un  poirier;  trois  fois  la 
corde  rompit.  Ce  fait,  considéré  comme  surnaturel,  étonna  les 
soldats  présents  à  l'exécution.  Le  malheureux  qui  avait  cru  ra- 
cheter sa  vie  en  pendant  son  frère  fut  tué  à  copps  de  mous- 
quet, tandis  que  le  condamné  trouvait  un  bon  samaritain  qui 
le  ramena  à  la  vie.  Il  paya  sa  rançon  et  revint  à  Toulouse.  A 
la  vue  de  ses  plaies,  au  réxîit  de  ses  aventures,  on  ne  manqua 
[teint  d'attribuer  ce  miracle  à  la  Vierge.  Au  reste,  il  assurait 
à  ses  amis  que  pendant  son  supplice  il  était  dans  un  état  de 
léthargie  nullement  pénible. 

Grâce  à  de  semblables  événements,  la  pendaison,  peu  redou- 
tée ,  restait  dans  la  croyance  populaire  comme  une  source  de 
plaisirs  sensuels.  Avec  elle,  le  condamné,  jusqu'au  dernier 
moment,  conservait  l'espérance.  Il  pouvait  compter  sur  quel- 
que sortilège  qui  détruirait  le  charme  de  la  bague  enchantée  du 
bourreau,  sur  la  maladresse  ou  la  complicité  de  celui-ci,  sur 
l'intervention  divine  ou  mieux  encore  sur  celle  du  peuple. 
Enfin,  au  pis  aller,  la  plus  douce  des  morts  lui  était  réservée, 
pensait-il. 

Quanta  la  décollation,  le  système  employé  pour  ce  genre  de 
supplice  était  aussi  très  défectueux.  On  se  servait  bien  dans 
les  grandes  occasions  d'une  sorte  de  guillotine;  Montmorency, 
par  exemple  ,  eut  la  tète  tranchée  par  l'une  de  ces  machines 

(4)  Ce  petit  opuscole,  in-S®  de  4  6  pages,  m'a  été  communiqué  par  M.  Rouquette, 
ibraire  de  Paris.  Il  porte  le  n»  4,247  de  son  BuUdin  wmtud  du  i%  décembre  4880, 
où  il  est  coté  96  francs. 


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DEUX   EXÉCUTIONS  CÀP1T4LES   AU    DIX-SEPTIÈME  SIÈCLE.         115 

fonctionnant  SOUS  la  main  du  prévôt  de  Richelieu.  Mais  si  la 
capitale  du  Languedoc  eut  alors  le  privilège  de  voir  dresser  un 
de  ces  instruments  dont  T usage  était,  du  reste,  répandu  depuis 
longtemps  en  Italie  et  ailleurs,  il  n'en  fut  jamais  de  même  dans 
les  autres  grands  consulats  de  notre  province,  qui  possédèrent  un 
bourreau  chacun  jusqu'à  la  Gn  du  dix-septième  siècle,  époque 
où  Ton  réduisit  le  nombre  des  exécuteurs,  et  Ton  exigea  d'eux 
plus  de  savoir  dans  leur  affreux  métier. 

Certainement,  si  la  société  les  traitait  alors  en  parias,  l'hor- 
reur qu'ils  inspiraient  venait  surtout  de  leur  insuffisance  à 
remplir  de  difficiles  fonctions.  Il  fallait  qu'un  exécuteur  sût 
faire  son  office  par  le  feu,  l'épée,  le  fouet,  l'écartelage,  la 
roue,  la  fourche,  le  gibet;  il  fallait  qu'il  sût  traîner,  poindre, 
piquer,  couper  les  oreilles,  démembrer,  flageller,  mettre  au 
pilori,  au  carcan,  etc. 

Cette  étonnante  variété  de  supplices  rendait  la  charge  héris- 
sée de  difficultés.  Il  était  impossible  à  un  bourreau  de  petite 
ville,  dont  le  rôle  se  bornait  d'ordinaire  à  pendre  quelques 
manants,  de  ne  pas  commettre  de  maladresses  lorsqu'il  sortait 
de  ses  habitudes.  Tous  les  bourreaux  ne  pouvaient  ôlre  des  San- 
son  ou  des  Tristan,  dont  la  dextérité  à  abattre  les  tètes  savait 
attirer  les  faveurs.  Non  seulement  ils  étaient  inhabiles  pour  la 
plupart,  mais  aussi  ils  étaient  fort  mal  outillés  et  adonnés 
au  vin.  Ces  misérables,  recrutés  dans  les  dernières  couches  so- 
ciales où  ils  n'avaient  même  plus  aucun  appui,  s'avançaient  hé- 
sitants et  gauches  avec  leur  mauvais  coutelas  lorsqu'ils  étaient 
contraints  d'exercer  leur  ministère  sur  des  hommes  devant 
l'épée  desquels  ils  avaient  tremblé  jusqu'alors.  Car  il  ne  faut 
pas  Toublier,  la  peine  de  la  décapitation,  réservée  aux  nobles, 
devait  être  appliquée  par  l'exécuteur  du  consulat  où  le  coupa- 
ble avait  sa  résidence. 

Cet  enchaînement  de  circonstances  défavorables  était  une 
source  de  troubles  toujours  funestes  au  bourreau.  La  Délivrance 
de  notre  habitant  de  Toulouse  nous  montre  un  pendu  sauvé, 
tandis  que  l'exécuteur  est  exécuté.  Il  en  est  à  peu  près  de  même 
dans  \  Histoire  d'Hélène  Gillet,  dont  Charles  Nodier  a  fait  un  de 
ses  meilleurs  contes. 


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146  MÉMOIRES. 

Cette  pauvre  Klle,  condamnée  pour  infanticide  en  1625,  sur- 
vécut à  deux  coups  de  coutelas,  six  coups  de  ciseaux  et  à  un 
traitement  inouï  de  la  part  du  bourreau  et  de  sa  femme,  qui 
furent,  eux,  mis  à  mort  par  la  populace. 

Mais,  parfois,  condamné  et  exécuteur  périssaient  tour  à  tour, 
ainsi  que  nous  le  verrons  dans  le  récit  des  faits  suivants.  Je 
vais  tâcher  de  les  rapporter  simplement  en  me  rapprochant  le 
plus  possible  des  termes  du  procès-verbal  inédit  dressé  par  le 
juge  qui  présida  à  Texécution.  Ceci  est  de  Fhistoire  pure.  A  ce 
titre,  le  sujet,  d'un  goût  douteux  peut-être,  a  le  droit  de  se  pro- 
duire dans  son  entière  crudité.  Il  intéresse  d'une  manière  très 
directe  Tétude  des  mœurs  du  dix-septième  siècle.  Jusqu'ici  l'on 
considérait  le  drame  d'Hélène  Gillct,  qui  se  déroula  à  Dijon, 
comme  un  fait  isolé  (i).  La  découverte  de  quelques  documents 
dans  le  genre  de  celui-ci  prouverait  combien  partout,  alors,  les 
exécutions  étaient  mal  conduites. 

Dans  les  premiers  jours  de  Tannée  1632,  aux  environs  de  la 
ville  de  Revel,  un  meurtre  fut  commis  sur  la  personne  d'un 
notaire,  nommé  Louis  Roustan. 

Les  assassins  restèrent  inconnus,  d'abord.  Cependant,  un 
paysan  trouva,  non  loin  du  lieu  du  crime,  un  cordon,  une  croix 
de  chevalier  avec  son  ruban.  Les  soupçonjî  se  portèrent  immé- 
diatement sur  les  frères  Jean  et  Isaac  Portai ,  voisins  du  notaire 
et  ses  ennemis. 

L'aîné  des  frères  était  connu  par  sa  violence  ;  le  second,  Isaac, 
avait,  en  effet,  perdu  sa  croix.  Tous  deux  s'étaient  distingués 
dans  les  guerres  précédentes,  dont  ils  avaient  conservé  les  allu- 
res après  la  paix. 

Un  mandat  d'arrêt  fut  lancé  contre  eux.  Jean  ne  put  être 
retrouvé.  Isaac,  seul,  fut  pris,  conduit  à  Castres  dans  les  pri- 
sons de  la  Tour-Caudière,  a6n  d'être  jugé  par  la  chambre  de 
redit,  qui  le  condamna  à  avoir  la  tète  tranchée.  Portai  avait 

(1)  L'histoire  d'Hélène  Gilleta  été  publiée  dans  le  Mercure  Français  (iomeXl,  pp.  bt^- 
641)  d'après  une  plaquette  imprimée  à  Paris  en  4  625  et  réimprimée  par  Ed.  Pournier 
dans  ses  Variétés  hist.  et  lU.f  t,  I,  p.  35  et  suiv.  —  Gabriel  Peignot  a  donné, 
sur  ce  sujet,  une  intéressante  brochure  qui  parut  à  Dijon  en  4829  et  qui  a  inspiré  à 
Nodier  le  conte  que  tout  le  monde  connaît. 


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DEUX    EXÉCUTIONS   CAPITALES   AU    DIX-SEPTIÈME  SIÈCLE.  H7 

longtemps  protesté  de  son  innocence;  mais,  au  dernier  jour,  à 
la  dernière  heure,  lorsqu'on  l'eut  exhumé  de  l'un  de  ces  ca- 
chots appelés  crotons,  où  l'on  jetait  les  condamnés,  il  finit  par 
tout  avouer  et  réclama  une  prompte  expiation  de  sa  faute.  Il 
entendit  encore  une  fois,  à  genoux,  la  lecture  de  son  arrêt  de 
mort  et  pria  de  nouveau  les  témoins  de  cette  scène  de  ne  pas 
prolonger  ses  angoisses  :  il  connaissait  son  sort  depuis  trois 
jours.  On  était  au  16  juin.  Le  moment  fixé  pour  l'exécution 
approchait  :  trois  heures  après  midi.  Le  juge  de  Castres  qui 
devait  présider  à  la  cérémonie  cherchait  à  en  assurer  le  bon 
ordre.  Il  l'emplissait  les  fonctions  de  viguier,  charge  supprimée 
déjà  dans  plusieurs  villes,  jugée  inutile  partout,  vacante  à  Cas- 
tres. En  cette  qualité,  il  se  trouvait  le  chef  direct  de  ce  que 
Ton  appelait  la  /amtïfe des  sergents,  et  se  mit  en  devoir  de  con- 
voquer tous  les  huissiers  et  recors,  —  tqui  sont  gens  d'ordi- 
naire à  craindre  pour  leur  corps  »,a  dit  Molière,  —  afin  de  les 
obliger  à  assister  en  armes  à  l'exécution.  En  pareil  cas,  cha- 
cun tâchait  de  se  récuser. 

Le  seul  sergent  resté  au  palais  reçut  l'ordre  d'aller  quérir 
ses  confrères.  Pendant  ce  temps,  le  juge  se  promenait  avec  le 
procureur  du  roi  dans  la  cour  de  la  Conciergerie. 

Un  homme  vint  à  passer.  Le  juge  l'interpella.  C'était  le 
bourreau.  Il  s'appelait  Jean  Gouvedin.  On  l'avait  fait  venir  de 
Revel,  car  à  l'exécuteur  de  cette  ville  revenait  le  supplice  de 
Portai. 

Le  juge  s'informa  auprès  de  lui  si  l'échafand  était  solide- 
ment dressé  et  si  Gouvedin  avait  l'habitude  des  exécutions  de 
ce  genre.  Celui-ci  répondit  affirmativement;  mais  il  ne  s'atten- 
dait pas  à  ce  que  l'on  traitât  le  coupable  en  gentilhomme.  Les 
personnes  intéressées  qui  étaient  venues  le  chercher  lui  avaient 
dit  qu'il  s'agissait  de  pendre  Portai,  non  de  lui  trancher  la 
tète.  Il  n'avait  pas  apporté  son  coutelas.  Cependant  il  était 
bien  sûr  de  lui-même  et  venait  d'acheter,  aux  frais  des  parties, 
un  excellent  couteau  de  boucher. 

Le  sergent,  que  l'on  avait  envoyé  à  la  recherche  de  ses  con- 
frères, revint  bientôt,  disant  qu'il  ne  les  avait  su  découvrir  ni 
dans  les  rues,  ni  sur  les  placer,  pas  même  dans  leurs  maisons. 


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If  8  MÉMOIIES. 

complètement  fermées.  La  menace  de  la  peine  da  fouet  et  celle 
de  la  suspension  de  leurs  charges  ne  purent  les  faire  retrouver. 

Et  Portai  suppliait  toujours  qu'on  en  finit  avec  sa  vie.  — 
Enfin,  le  greffier  lut  une  dernière  fois  l'arrêt  de  condamnation. 
Le  bourreau,  après  avoir  juré  d'accomplir  son  devoir  jusqu'au 
bout,  s'empara  du  condamné  et  lui  lia  les  mains  derrière  le 
dos.  Alors  le  juge  monta  à  cheval,  ainsi  que  le  procureur  du 
roi  et  son  greffier.  L'unique  sergent  ouvrit  la  marche  et  le 
cortège  s'avança  à  travers  les  rues  de  Castres,  se  dirigeant  vers 
la  porte  de  l'Albinque,  où  l'échafaud  était  dressé. 

Arrivé  au  lieu  du  supplice,  le  juge  résuma  les  motifs  de  la 
condamnation  et  les  aveux  du  condamné,  qui  protesta  vivement, 
on  ne  sait  en  quels  termes,  contre  les  paroles  du  magistrat. 
Hais  ce  dernier  enjoignit  à  l'exécuteur  l'ordre  de  continuer  ses 
fonctions  ainsi  qu'il  en  avait  fait  le  serment.  Gouvedin,  très 
puissant  en  muscles,  sans  doute,  prit  donc  Portai,  le  plaça 
sur  l'échafaud,  lui  banda  les  yeux  et  étendit  sa  tête  sur  le 
billot.  Le  pasteur  récita  le  Credo.  Cette  prière  était  achevée,  et 
Gouvedin,  malgré  les  signes  réitérés  du  juge,  hésitait  encore  à 
porter  son  coup.  Le  juge  alors,  se  rapprochant,  gourmanda  le 
bourreau  et  lui  ordonna  d'accomplir  son  œuvre.  Aussitôt  Gou- 
vedin leva  son  couteau  et  frappa.  Hais  son  manque  d'assu- 
rance, les  cris,  les  menaces  de  la  foule,  les  mouvements  du 
patient  firent  dévier  le  coup  :  Portai  ne  fut  que  blessé. 

Ici,  je  citerai  textuellement  la  partie  du  long  procès-verbal 
qui  rapporte  le  moment  le  plus  tragique  de  ce  drame  (1).  En 
continuant  à  raconter,  je  craindrais  d'enlever  à  l'histoire  un  de 
ces  détails  naïfs  qui  la  parent  de  si  grands  attraits,  même  dans 
son  horreur  : 

<  ...  Et  comme  led.  Gouvedin  n'avoit  point  attaché  le  d.  Portai 
c  à  l'échafaud,  ains  seulement  lié  ses  mains  par  derrière,  iceluy 

<  se  seroit  souslevéet  auroit  sorti  sa  tête  de  dessus  lebloqueau 

<  sur  lequel  icelle  estoit  appuyée  pour  estre  coupée  plus  facile- 

<  ment,  et  le  corps  se  seroit  renversé  sur  les  aix  du  d.  écha- 

(1)  Cette  pièce  se  troore  à  Castres  dans  les  ardibes  de  la  fomilie  de  Lacger. 


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DEUX   EXÉCirriONS   CAPITALES   AU   DIX-SEPTIÈME   SIÈCLE.         119 

faudy  et  au  lieu  que,  auparavant,  son  visage  regardoit  la 
terre,  il  l'avoit  lors  tourné  du  costé  de  la  porte  de  l'Albinque. 
Nonobstant  quoi,  le  d.Gouvedin,  sans  remettre  le  d.  corps 
en  sa  première  posture  ni  la  tête  sur  le  bloqueau,  auroit 
réitéré  ses  coups  par  plusieurs  fois,  jusques  à  la  scier  avec  le 
couteau.  Voyant  qu'il  ne  la  pouvoit  couper,  il  Tauroit  prise 
par  les  cheveux,  et,  en  lui  tordant  le  col  et  la  tirant,  fait 
effort  de  la  séparer  du  corps.  A  cause  de  quoi  et  de  la  mul- 
tiplicité des  coups  ainsi  donnés,  partie  des  assistans,  en  nom- 
bre de  mille  ou  douze  cents  environ,  se  seroit  mise  à  crier  : 
Vilain!  Meschani!  Massacreur!  Il  le  faut  tuer!  Tire  à  Vocca- 
sion!  Desquels  cris  et  du  bruit  que  faisoient  les  coups  que 
le  d.  exécuteur  donnoit  au  condamné,  le  cheval  que  nous 
montions  se  seroit  cabré  et  jeté  à  Técart.  Lequel  ayant  ra- 
mené et  revenus  près  de  Téchafaud  nous  aurions  vu  le  d. 
exécuteur  au  bas  de  Téchelle,  tète  nue,  le  couteau  en  sa 
main  et  des  habits  en  l'autre,  s'enfuyant  parce  que  (comme 
on  nous  Ta  dit  après)  quelques-uns  des  assistants  lui  auroient 
jeté  des  pierres  après  qu'il  eut  séparé  la  tète  du  corps  du 
condamné.  Lequel  exécuteur,  nous  et  le  d.  Raymond,  pro- 
cureur du  roy,  aurions  appelé  à  grands  cris  et  commandé  de 
venir  près  de  nous.  Mais,  sans  répondre,  il  auroit  continué 
sa  fuite,  pendant  laquelle  on  lui  auroit  tiré  plusieurs  coups 
de  pierres  quelques  défenses  et  empêchements  que  nous 
ayons  su  y  apporter.  Desquels  coups,  il  auroit  été  porté  à 
terre  et  assommé  si  promptement  que  nous  n'aurions  pu  ar- 
river à  temps  pour  le  garantir,  quoique  nous  nous  soyons 
mis  en  devoir  d'y  accourir,  ce  que  nous  n'avons  pu  faire 
cependant  à  cause  de  la  foule,  et  aussi  parce  que  entre  le  d. 
échafaud  et  le  champ  du  sieur  Poncet  où  il  avoit  fui,  il  y 
avoit  un  fossé  qui  les  séparoit,  lequel  les  chevaux  n'auroient 
voulu  franchir.  Ayant  suivi  le  chemin  pour  arriver  au  d. 
champ,  nous  aurions  vu  le  d.  Gouvedin  à  terre  et  plusieurs 
personnes  lui  tirant  des  pierres. 

4  Estantdescendusdecheval,  serions  entrés  dans  le  d.  champ 
pour  voir  Testât  du  d.  Gouvedin  et  aurions  trouvé  iceluy 
étendu  la  face  contre  terre,  tout  sanglant  de  sa  tête  et  plu- 


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120  MÉMOIRES. 

sieurs  pierres  dessus  lui  et  autour  de  lui  auprès  duquel  il  y 
avoit  un  grand  monceau  de  pierres  de  reste  des  déoaolitions 
des  fortifications;  étant  le  d.  corps  entouré  d'un  grand  nom- 
bre de  personnes  le  regardant,  auprès  desquelles  nous  nous 
serions  informés  des  auteurs  du  d.  excès;  ce  que  les  assis- 
tans  nous  auroient  dit  ne  savoir  pour  avoir  été  fait  en  foule. 
Ce  fait,  aurions  commandé  au  d.  Tournier,  sergent,  de  faire 
venir  Jean  Murât,  écorcheur  de  bestes,  un  nommé  Trente 
Arencadcs,  portefaix,  et  un  autre,  Jean  Joulié,  qu'on  nous 
auroit  dit  avoir  tout  le  jour  hanté,  fréquenté  et  bu  avec  le  d. 
Gouvedin,  afin  de  lui  jeter  de  Teau  dessus  pour  le  faire  re- 
venir et  le  tourner  pour  pouvoir  examiner  ses  plaies;  car 
tous  les  assistans  refusoient  de  ce  faire.  Lequel  Tournier 
auroit  été  longtemps  sans  nous  apporter  aucune  nouvelle. 
Enfin  Arnaud  Mirepoix,  hoste  de  la  présente  ville,  nous  au- 
roit mené,  de  nostre  mandoroent,  le  d.  Murât,  lequel  ayant 
tourné  le  d.  Gouvedin,  nous  aurions  reconnu  qu'il  estoit 
mort.  Ce  fait,  aurions  commandé  au  d.  Ricard,  noire  gref- 
fier, de  nous  faire  venir  un  chirurgien  pour  visiter  le  d.  Gou- 
vedin et  rapporter  Testât  de  ses  plaies;  lequel,  après,  seroit 
revenu  et  nous  auroit  dit  qu'ayant  trouvé  dans  la  foule  Jean 
Peravy,  chirurgien,  et  lui  ayant  fait  part  de  notre  mande- 
ment, il  se  seroit  mis  en  fuite.  A  cause  de  quoi,  nous  aurions 
résolu  de  faire  porter  le  corps  du  d.  Gouvedin  dans  la  mai- 
son destinée  aux  exécuteurs  de  la  présente  ville  et  commandé 
au  d.  Murât  d'aller  chercher  les  d.  Arencades  et  Joulié  pour 
apporter  le  corps  dans  la  d.  maison,  afin  qu'il  pût  plus  aisé- 
ment estre  visité  et  après  enterré.  (Et,  ce  fait,  à  la  réquisi- 
tion du  procureur  du  roy  aurions  ordonné  de  mesurer  la 
distance  qu'il  y  a  de  l'échafaud  jusques  au  lieu  où  le  d. 
Gouvedin  avoit  esté  étendu  mort  :  il  s'est  trouvé  quarante- 
deux  pas  de  distance.)  Mais,  voyant  que  led.  Murât  ne  reve- 
nait point,  nous  serions  entrés  dans  la  d.  ville  en  la  compa- 
gnie du  d.  procureur  du  roy  et  serions  nous-méme  allé  trou- 
ver le  d.  Trente  Arencades  dans  sa  maison  pour  lui  ordonner 
d'assister  le  d.  Murât  à  porter  le  d.  corps  dans  la  d.  maison. 
A  quoi  le  d.  Trente  Arencades  n'auroit  jamais  voulu  obéir. 


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DBOX   EXÉCUTIONS   CAPITALES   AU   DIX-SEPTIÈME   SIÈCLE.         124 

c  quelques  injonctions  et  commandements  que  nous  lui  au- 
c  rions  su  faire;  ains  se  seroit  couché  à  terre  assisté  de  sa 
c  femme  qui  se  couchoit  contre  lui,  disant  qu'on  les  tuast. 
f  Voyant,  par  ce  moyen,  l'impossibilité  de  faire  enlever  ce 
c  corps,  aurions  mené  le  d.  Hurat  au  d.  lieu  pour  commencer 
c  à  faire  la  fosse  pendant  le  temps  que  nous  travaillerions  à 
c  avoir  des  chirurgiens  pour  le  faire  visiter...  t 

On  finit  cependant  par  obtenir  de  deux  hommes  de  l'art  la 
constatation  du  meurtre.  L'écorcheur  enfouit  son  ami  le  bour- 
reau; les  consuls,  d'accord  avec  le  juge  et  le  Parlement,  prirent 
la  résolution  de  se  venger  en  continuant  la  tuerie  :  Ils  déclarè- 
rent que  les  auteurs  de  CQtte  lapidation  seraient  punis  de  mort. 

Quant  aux  restes  de  Portai,  on  accorda  le  tronc  à  la  famille, 
non  sans  quelques  façons.  La  tête  dut  rester  un  certain  temps 
fixée  à  l'échafaud  sous  bonne  garde;  puis  elle  fut  emportée  sur 
la  plus  haute  tour  du  lieu  où  le  crime  avait  été  commis  <  pour  y 
demeurer  jusqu^à  estre  consummée  »,  dit  l'arrêt  de  condamnation. 

Nous  voilà,  enfin,  arrivés  au  terme  de  la  pénible  tâche  que 
nous  nous  sommes  proposée. 

Quels  temps  que  ceux  où  de  pareils  scandales  publics  pou- 
vaient se  produire  I  Nous  ne  voulons  pas  entrer  ici  dans  la  ques- 
tion de  savoir  si  la  société  a  le  droit  de  mort.  Qu'il  nous  suffise 
de  constater  les  progrès  qu'elle  a  faits  en  la  donnant.  Les 
mœurs  se  sont  considérablement  adoucies. 

Aujourd'hui,  le  bourreau  n'est  plus  l'opprobre  de  la  société 
parce  que  ses  fonctions  sont  faciles;  et  le  châtiment,  moins 
barbare,  mais  rapide  et  sûr,  arrête  plus  d'un  criminel. 

A  mesure  que  la  civilisation  avance,  la  vengeance,  comme 
moyen  de  répression,  devient  plus  rare  :  le  respect  de  la  vie  de 
l'homme  augmente.  Tout  seconde  les  lois  modérées,  tout  cons- 
pire contre  les  lois  cruelles,  disait  Robespierre.  La  statistique 
nous  prouve  qu'avec  une  législation  plus  douce,  le  nombre  des 
crimes  a  diminué.  Citons  quelques  chiTh-es  seulement  : 

En  1825,  on  compta  en  France  114  exécutions  capitales. 

En  1829,  —  60  — 

En  1830,  —  38  — 

En  1833,  —  34  ~ 


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422  MÉIIOIBBS. 

De  4835  à  4840,  la  moyenne  des  exécutions  fut  de  28  par  an. 

De  4852  à  4862,  elle  fut  de  23. 

Depuis  4862  à  4870,  la  moyenne  est  seulement  de  9. 

Cependant,  comme  par  un  enseignement  nouveau,  on  re- 
marque une  recrudescence  depuis  nos  dernières  guerres.  Mais, 
en  suivant  la  progression  décroissante  que  l'on  constate  pen- 
dant plus  de  soixante  années,  les  Français  cesseraient  bientôt 
d'assister  à  ces  meurtres  légaux  commis  en  public,  dont  les 
Athéniens  auraient  eu  honte.  Nous  pourrions  compter  alors  sur 
la  suppression  de  la  peine  de  mort  :  plus  de  bourreaux,  puis- 
qu'il n'y  aurait  plus  d'assassins. 

C'est  là  un  beau  rêve  pour  notre  siècle,  après  les  cauchemars 
de  l'ancien  régime. 


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DEUX   EXÉCUTIONS  CAPITALES  AU   DIX-SEPTIÈME  SIÈCLE.         483 


DELIVRANCE 

D  '  ESTIENNE 

PORTAIL 

HABITANT    DE    TOLOSE 


mis  à  la  potence  par  trois 
fois  par  quelques  habitans  de 
Revel,  ce  vingt-cinquième 
mars,  jour  de  rAnnonciation 
de  la  Vierge  Marie. 


Laquons  contritus  est,  et  liberati 

sumus.     Psalm.  123.  (C'est  124,  v.  7,  qn*il  faut) 


A    TOLOSE 

Par  la  vefve  de  Jacques  Colomiez,  et  Raymond 
Colomiez,  Imprimeurs  du  Roy. 

M.  DC.  XXVIII 


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124  MÉMOIRES. 

DELIVRANCE 

d'Estienne  Portail,  habitant  de 
Tolose,  mis  à  la  potence  par 
trois  fois  par  quelques  habitans 
de  Revel,  ce  vingt-cinquième 
mars,  jour  de  TAnnonciation 
de  la  Vierge  Marie. 

jje  vingt-quatrième  janvier  1628,  Etienne  Portail,  aagé  de 
vingt  ans,  fils  de  Martin  Portail,  maistre  boucher  de  Tolose, 
revenant  d'achepter  du  bestail  avec  son  père  et  estant  près  des 
vignes  de  Puylaurens,  ils  furent  courus  par  Sanson,  Antoine 
Faure  et  Condorés,  habitants  dudit  Puylaurens,  qui  blessèrent 
le  père  d'un  coup  de  pistolet  et  prirent  ledit  Etienne  Portail 
qu'ils  conduisirent  à  Revel  pour  le  mettre  à  rançon  (Sanson  a 
été  tué  peu  après). 

Il  arriva  que  le  capitaine  Maisnault  Roux,  Batiffol  et  Men- 
drat,  trois  des  principaux  factieux  dudit  Revel  (qui  l'an  1625 
avoient  assisté  à  la  surprise  de  Durfort  où  ils  avoient  fait  pen- 
dre le  vicaire  et  le  consul  du  lieu)  ayant  été  trouvés  dans  le 
consulat  d'Ail lerac,  à  cinq  heures  dudit  Revel,  après  avoir 
couru  toute  la  nuit  la  campagne,  et  de  là  menés  à  Carcas- 
sonne  où  la  procédure  extraordinaire  leur  ayant  été  faite,  ils 
furent  conduits  à  Tolose  où  elle  a  été  continuée  sur  divers 
meurtres,  voleries  et  autres  crimes  par  eux  commis,  comme 
aussi  un  nommé  Dupuy,  syndic  de  la  ville  de  Revel,  ayant  été 
trouvé  traversant  le  pays  avec  lettres  de  créance  qu'il  portoit 
au  duc  de  Rohan,  et  qui  avoit  fait  soulever  la  ville  de  Revel 
contre  le  service  du  Roy  par  perfidie,  nonobstant  les  serments 
par  eux  renouvelés  au  mois  d'octobre  1627  de  demeurer  dans 
l'obéissance  due  au  Roy,  et  qui  avoit  ravi  les  clefs  aux  consuls, 
aidé  à  escalader  ladite  ville,  le  procès  ayant  été  fait  à  tous 
quatre  au  Parlement  de  Tolose,  ils  furent  condamnés  à  mort  et 
exécutés  le  22  mars.  Les  trois  premiers,  à  l'exécution,  se  con- 
vertirent f)  la  Religion  Catholique  Apostolique  et  Romaine  avec 
beaucoup  de  repentance  de  leurs  crimes  commis. 


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DEUX   EXÉCUTIONS  C4PIT4LBS   AD   DIX-SEPTIÈME   SIÈCLE.  425 

L'advis  eo  étant  venu  àRevel,  le  frère  dudit  Batiffol,  un 
nommé  Olivier,  neveu  dudit  Roux,  et  autres  furent  au  logis  de 
Dumas,  habitant  de  Revel  où  ledit  Etienne  Portail  étoit  tenu 
en  despence,  les  fers  aux  pieds,  attendant  la  composition  de  sa 
rançon.  Ils  firent  compte  avec  ledit  Dumas  et  dirent  qu'ils  vou- 
loient  faire  pendre  ledit  Portail  en  vengeance  de  l'exécution 
faite  des  susdits  en  la  ville  de  Tolose.  Ledit  Portail  les  voyant 
en  furie  avec  menaces,  se  mit  à  prier  Dieu  à  genoux  et  leur 
demander  pardon  et  qu'ils  eussent  pitié  de  sa  jeunesse.  Ils  di- 
rent qu'ils  le  pendroient,  qu*il  priast  Dieu  si  bon  lui  sembloit. 
Lors  ledit  Etienne  Portail  dit  son  chapelet  se  recommandant  à 
Dieu  et  à  la  Vierge  Marie  pour  le  délivrer  de  cette  détresse. 
Environ  demie  heure  après,  deux  cents  hommes  de  pied 
vinrent  à  ladite  maison  avec  Batiffol  et  Oliver  et  lui  estèrent 
les  fers  des  pieds  et  lui  firent  mettre  la  corde  au  col  par  un 
nommé  Mille,  aussi  prisonnier  à  rançon.  Le  voulant  con(jluire, 
ledit  Portail  demandoit  un  confesseur.  Sur  ce,  ils  lui  reparti- 
rent qu'il  n'avoient  ni  prestres  ni  moines,  mais  qu'ils  avoient 
le  ministre,  s'il  recognossoit  que  sa  loi  ne  fût  pas  bonne. 
Ledit  Portail  repartant  que  sa  loi  étoit  bonne  et  qu'il  ne  vou- 
loit  point  de  ministre,  ^ils  le  tirèrent  hors  de  la  ville  la  corde 
au  col,  les  bras  liés  par  derrière,  et  l'emmenèrent  environ 
trois  mousquetades  loin  d'icelle,  dans  un  champ  où  il  y  avoit 
un  grand  pommier.  Ledit  Portail  continuoit  ses  prières  en  che- 
min et  ils  le  travailloient  avec  la  corde,  lui  donnant  de  rudes 
secousses.  Estant  arrivés  au  pied  dudit  pommier,  ils  lui  deman- 
dèrent s'il  vouloit  prier  Dieu.  Portail  alors,  se  mettant  à  genou, 
récita  sa  confession  générale  et  dit  son  In  manus.  Lesdits  habi- 
tans  avec  le  fust  de  leurs  mousquets  le  contraignirent  de  se 
lever,  et  firent  monter  ledit  Mille  sur  le  pommier.  Celui-ci 
le  tirant  à  force  sans  le  pouvoir  lever,  lesdits  habitans  lui 
commandèrent  de  descendre  pour  lui  délier  les  bras.  Ledit 
Poriail  ayant  les  bras  déliés,  voyant  qu'il  falloit  mourir  et  que 
à  force  de  le  tirer  auparavant,  ledit  Mille  l'avoit  presque  étran- 
glé et  écorclié  tout  le  col,  il  monta  sur  le  pommier  gaiement, 
s'étant  résolu  à  la  mort;  où  étant,  ledit  Mille  lui  relia  les  bras 
lerrière,  puis  attacha  la  corde  à  une  branche  dudit  pommier 


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4  20  MÉMOIBES. 

et  ayant  jette  ledit  Portail,  il  lui  monta  sur  les  épaules  pour 
rétrangler  et  alors  la  conle  se  rompit  et  ledit  Portail  tomba  à 
terre.  Les  habitans  voyant  ladite  corde  rompue  6rent  descendre 
ledit  Mille  et  rattacher  une  autre  corde  au  col  dudit  Portail; 
et,  après  avoir  fait  monter  ledit  Mille  sur  l'arbre,  il  tira  ladite 
corde  et  les  autres  sousievèrent  et  portèrent  en  l'air,  à  force  de 
bras,  ledit  Portail,  le  haussant  tnnt  qu'ils  purent,  même  se 
servant  du  fust  de  leur  mousquet.  Et  l'ayant  eslevé  en  cet  état, 
ris  se  mirent  en  devoir  de  l'étrangler,  le  tirant  par  les  pieds; 
mais  la  corde  se  rompit  pour  la  seconde  fois.  Ce  que  voyant, 
ils  firent  doubler  la  corde  et  l'ayant  mise  au  col  dudit  Portail 
ils  rélevèrent  encore  en  l'air,  aidant  tous  audit  Mille  qui  estoit 
sur  l'arbre;  et  l'ayant  pendu  pour  la  troisième  fois,  ils  firent 
mettre  Mille  sur  les  épaules  de  Portail  pour  le  secouer;  et  la 
corde  se  rompit  pour  la  troisième  fois  et  tombèrent  à  terre, 
tant  ledit  Portail  que  ledit  Mille.  Comme  donc,  dans  la  rage,  ils 
virent  qu'ils  ne  le  pouvoient  tuer,  ils  dirent  qu'il  en  mourroit 
quoiqu'il  en  fût  avant  qu'ils  le  quittassent. 

A  cet  effet,  ils  envoyèrent  chercher  une  échelle  à  une  mé- 
tairie, mais  pendant  ce  temps  Bernard  Monge,  habitant  de  Re- 
vel,  qui  était  à  la  porte  de  la  ville,  accourut  avec  un  chirur- 
gien et  contesta  contre  lesdits  complices,  leur  remonstrant 
qu'un  jour  ils  en  seroient  repris  de  la  justice  et  que  Dieu  ne 
vouloit  pas  que  cet  innocent  mourût.  Sur  ce,  ils  repartoient 
que,  à  Tolose,  on  pendoit  les  leurs  et  qu'ils  vouloient  faire  le 
semblable.  Il  leur  répliquoit  qu'à  Tolose  ils  avoient  la  justice 
et  le  pouvoient  faire  par  son  ordre  et  non  pas  eux,  et  qu'en 
temps  de  paix  ils  le  payeroient.  Nonobstant  toutes  ces  raisons, 
ils  vouloient  tuer  ledit  Portail  à  coup  d'arquebuses.  Ledit  Monge 
et  autres  se  mirent  au  devant,  lui  ostèrent  la  corde  et  lui 
dirent  qu'il  ne  mourroit  point.  Ils  estoient  en  grande  combus- 
tion les  uns  contre  les  autres  voulant  tuer  ceux  qui  s'y  oppo- 
soient  et  qui  disoient  qu'il  ne  mourroit  point  qu'on  ne  les  tuast 
pareillement,  puisque  Dieu  ne  vouloit  pas  qu'il  mourût. 

Lesdits  complices  jetèrent  leur  courroux  sur  ledit  Mille  et  le 
tuèrent  à  coups  de  mousquet  et  d'épée  et  ledit  Portail  fut  re- 
conduit à  Revel  par  ledit  Bernard  Monge  qui  le  soustenoit  sous 


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DBOX   EXÉCUTIONS  CAPITALES   AU   DIX-SEPTIÈME   SIÈCLE.         127 

le  bras.  Il  le  mena  en  sa  maison,  le  fit  seigner  incontinent , 
mettre  au  col  force  unguent,  linges  chauds  et  coucher  dans  un 
lit,  de  sorte  qu'il  revint  à  convalescence. 

Des  soldats  de  Pamiers  qui  s  estoient  enfuis  à  Revel  lors  de 
la  prise  de  ladite  ville  ayant  voulu  de  rechef  le  prendre  pour  le 
faire  mourir  et  le  conduire  devant  Des  Isles-Haisons,  gouver- 
neur de  Revel,  en  furent  empêchés  par  ledit  Monge,  disant  que 
si  le  gouverneur  y  venoit,  il  y  perdroit  la  vie  avant  que  de 
soufrrir  qu'il  lui  fût  fait  tort,  consolant  toujours  ledit  Portail  et 
l'aôsurant  que  lui  et  sa  femme  ne  souffriroient  pas  qu'on  lui  fit 
du  déplaisir. 

Le  lendemain  ledit  Portail  estant  visité  par  les  femmes  de 
Revel  avec  compasion  et  déplaisir  des  excès  qu'on  lui  avoit  fait» 
lui  dirent  que  lorsqu'on  le  conduisoit  au  supplice,  le  ministre 
les  mena  au  Temple  pour  prier  Dieu  pour  sa  conservation. 

De  ces  attentats  furieux,  les  faits  cy-dessus  se  trouvent  véri- 
fiés par  la  déposition  de  plusieurs  témoins  faisant  profession  de 
la  Religion  Prétendue  Réformée  dans  l'ordonnance  de  la  cour 
du  Parlement  de  Tolose  en  ayant  été  à  l'instant  informée. 

Huit  jours  après,  ayant  été  composé  de  la  rançon  dudit  Por- 
tail par  le  sieur  Bedos,  faisant  profession  de  ladite  Religion, 
habitant  de  Puyiaurens,  elle  fut  payée  et  ledit  Portail  fut  con- 
duit à  Puyiaurens  dans  la  maison  dudit  Bedos  et  depuis  à  la 
ville  de  Tolose  où  ledit  Portail  et  autres  faisant  profession  de 
ladite  religion  ont  recognu  les  faits  cy-dessus  estre  véritables. 
Ledit  Portail  a  été  vu  ayant  le  col  plein  de  cicatrices^  endures, 
playes  et  autres  lividités  enveloppées  de  médicaments  pour  sa 
guérison. 

Il  dit  que  lorsqu'il  estoit  auxdits  tourments,  il  estoit  en 
lytargie  et  assoupissement  sans  avoir  senti  mal.  Dieu  a  voulu, 
par  ce  signalé  miracle,  faire  paroistre  sa  miséricorde  à  l'en- 
droit de  ce  pauvre  innocent  par  le  moyen  de  sa  constance  et 
ferme  résolution,  ayant  eu  recours  à  Dieu  et  aux  prières  de  la 
saincte  Vierge. 

FIN 


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428  MÈMoiaBs. 


NOTE  SUR  QUELQUES  FAITS 

QUI  80m  SOSGBPTIBLn  Dl  SB  PBODUIU 

DANS  LES  INOCULATIONS  DES  HERBIVORES 

AYBC    DU    8ANO    CHARBONNBDX 

Par  m.  BAILLET  a) 


Le  charbon  est  l'une  des  maladies  contagieuses  des  animaux 
dont  on  s'occupe  le  plus  depuis  quelque  temps,  parce  qu'il  est 
au  nombre  des  alTections  dont  on  espère  amoindrir  les  ravages 
par  des  inoculations  préventives.  M.  Pasteur,  M,  Chauveau , 
H.  Toussaint  et  d'autres  ont  fait,  à  ce  sujet,  des  expériences 
pleines  d'intérêt.  Je  n'ai  pas  la  prétention  de  rien  ajouter  aux 
démonstrations  qui  ressortent  de  leurs  travaux.  Je  me  propose 
simplement  de  tirer  de  quelques  expériences,  que  j'ai  faites  à 
une  époque  déjà  assez  éloignée,  des  indications  qui  me  parais- 
sent devoir  engager  à  une  certaine  réserve  relativement  aux 
conclusions  à  tirer  des  essais  faits  sur  les  animaux  de  l'espèce 
ovine. 

Le  plus  grand  nombre  des  expériences  dont*  je  veux  parler 
remontent  à  l'année  1809.  Elles  ont  été  entreprises  dans  le 
but  de  reconnaître  s'il  était  indispensable  que  le  sang  des  ani- 
maux atteints  du  charbon  renfermât  des  bactéridies  pour  jouir 
de  propriétés  virulentes.  Aujourd'hui .   c^tte  question  ne  fait 

(4)  Lue  à  la  séance  da  26  mai  4  884 . 


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NOTE  SUR   LES   INOCOLaTIONS   DBS   HERBIVORES.  129 

pas  l'objet  du  moindre  doute;  mais  alors,  malgré  les  beaux 
travaux  de  M.  Davaine,  il  y  avait  encore  des  pathologistes  qui 
considéraient  la  présence  de  la  bactéridie  dans  le  sang  comme 
un  épipbénomène»  et  qui  croyaient  que  des  animaux  pouvaient 
mourir  du  charbon,  sans  que  leur  sang  contint  des  bactéridies, 
et  que  ce  liquide^  inoculé  dans  ces  conditions  à  des  sujets 
sains,  était  susceptible  de  faire  naître  chez  eux  un  véritable 
charbon,  souvent  accompagné  de  la  présence  des  bactéridies 
dans  le  torrent  circulatoire.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple, 
nous  rappellerons  que  c'est  là  l'opinion  nettement  formulée 
dans  le  rapport  sur  le  Mal  de  montagne,  publié  en  1869  par 
MM  Bouley  et  Sanson,  où  l'on  peut  lire  que  •  les  cas  dans  les- 
«  quels  les  bactéries  ne  se  sont  point  montrées  à  l'examen  mi- 
«  croscopique  du  sang  provenant  d'animaux  morts  du  mal  de 
c  montagne,  soit  spontanément,  soit  à  la  suite  d'inoculation 
«  expérimentale,  sont  nombreux....  que  pourtant  ce  sang  s'est 
«  montré  parfaitement  inoculable...;  enfin,  qu'au  cas  où  la 
«  doctrine  pairasitaire  des  bactéries  fut  demeurée  debout ,  on 
«  eût  pu  rechercher  leur  origini^  dans  le  monde  extérieur,  et 
«  trouver  là  peut-être  la  condition  délcriniflante  de  ia  maladie, 
«  mais  que  les  résultats  de  nos  expériences  (celles  de  M.  San- 
«  son)  ne  l'ont  point  laissé  subsister.  • 

Bien  que  nous  eussions  fait  partie  de  la  Commission  chargée 
en  1868  d'étudier  le  mal  de  montagne,  nous  étions  loin  de  par- 
tager cette  opinion,  et  nous  pensions  encore,  malgré  les  faits 
exposés  dans  le  rapport  que  nous  venons  de  citer,  que  la  bac- 
téridie devait  être  l'élément  essentiel  du  charbon.  Seulement, 
c'était  un  fait  qui,  pour  nous,  avaij  besoin  d'être  démontré  par 
de  nouvelles  expériences.  Une  occasion  de  les  entreprendre 
nous  fut  offerte  en  1869,  et  nous  nous  hâtâmes  de  la  mettre  à 
profit. 

Le  1*'  mai  1869,  à  quatre  heure  et  demie  du  soir,  un  cheval 
mourut  presque  subitement  dans  les  hôpitaux  de  l'École  d'Al- 
fort,  et  des  doutes  s'étant  élevés  surja  nature  de  la  maladie  à 
laquelle  il  avait  succombé,  M.  Raynal ,  alors  professeur  de  cli- 
nique, me  fit  appeler  pour  assister  à  l'autopsie  et  pour  lui 
donner  mon  avis.  Sur  le  cadavre,  on  trouva  les  lésions  carac- 
8*  8É&IE   —  Toum  m,  2.  9 


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130  MÉMOIRES. 

téristiques  du  charbon.  Cependant,  pour  avoir  une  conviction 
plus  complète  y  on  inocula,  séance  tenante  ^  deux  lapins,  et  Ton 
recueillît  du  sang  pour  le  soumettre  à  l'observation  microsco- 
pique. Seulement,  comme  j'étais  au  moment  de  partir  pour 
une  herborisation  avec  les  élèves  qui  m'attendaient,  cette  ob- 
servation fut  remise  au  lendemain  matin. 

Fait  le  2  mai  vers  neuf  heures,  l'examen  du  sang  qui  avait 
été  recueilli  la  veille  dans  le  cœur  et  dans  la  jugulaire,  permit 
de  reconnaître  la  présence  de  bactéridies  assez  nombreuses  et 
bien  caractérisées.  Quant  aux  deux  lapins  inoculés,  l'un  d'eux 
était  mort  d'accident  peu  après  l'inoculation  ,  l'autre  vivait  et 
ne  paraissait  point  encore  malade.  Il  mourut  cependant,  mais 
le  5  mai,  seulement  quatre-vingt-dix  heures  après  l'inoculation. 
Son  sang  contenait  des  bactéridies  assez  rares,  mais  mani- 
festes. 

Ce  fut  avec  ce  sang  que  je  me  décidai  à  entreprendre  la  série 
d'expériences  à  laquelle  j'avais  pensé  depuis  ma  première  mis- 
sion en  Auvergne*.  Mon  but  était  de  m'assurer  si  le  sang  était 
virulent  avant  de  contenir  des  bactéridies.  Pour  résoudre  la 
question,  je  m'arrêtai  au  projet  d'inoculer  divers  animaux, 
lapins  ou  moutons,  de  leur  tirer  du  sang  à  des  intervalles  de 
temps  plus  ou  moins  rapprochés,  de  l'examiner  avec  soin ,  et 
de  l'inoculer  ensuite  à  d'autres  animaux,  en  notant  scrupuleu- 
sement chaque' fois  l'état  dans  lequel  il  se  trouvait. 

Ce  plan  fut  suivi  régulièrement,  et  du  5  mai  au  23  juillet 
j'inoculai  successivement  cinquante-deux  lapins  et  douze  mou- 
lons. En  outre,  des  expériences  furent  faites  sur  un  cheval,  une 
génisse,  des  porcs  et  un  chien. 

Ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  travail  que  j'ai  publié  en  1870 
sur  les  pâturages  de  l'Auvergne,  où  sévit  le  mal  de  montagne» 
toutes  ces  expériences  ont  été  favorables  à  la  thèse  de  M.  Da- 
vaine,  que  l'on  contestait  alors,  et  qui  est  aujourd'hui  admise 
partout  le  monde.  Comme  lui  j'ai  pu  voir,  en  effet,  que  les 
bactéridies  constituent  l'élément  essentiel  du  charbon,  car 
elles  n'ont  jamais  manqué  dans  le  sang  d'aucun  des  nombreux 
animaux  dont  j'ai  fait  l'autopsie,  après  les  avoir  vus  succom- 
ber au  charbon  inoculé  expérimentalement,  ou  au  charbon  non 


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NOTE   SUR   LES   IN0CUL4TI0NS   DES   HERBIVORES.  131 

inoculé,  et  de  plus,  entre  mes  mains,  le  sang  ne  s'est  jamais 
montré  virulent  que  dans  les  circonstances  où  il  contenait  des 
bactéridies  plus  ou  moins  nombreuses. 

Ces  expériences  m'ont  fait  voir,  en  outre,  et  c'est  là  un  point 
important,  que  l'économie  lutte  contre  le  virus  charbonneux 
que  l'on  introduit  par  voie  d'inoculation  dans  le  torrent  de  la 
circulation,  qu'elle  triomphe  parfois  de  cet  élément  morbide, 
et  que  les  phénomènes  qui  se  produisent  alors  sont  fort  analo- 
gues à  ceux  que  l'on  observe,  au  début  de  la  saison-,  chez  les 
animaux  qui  fréquentent  les  pâturages  dangereux. 

%  i.  —  Je  n'ai  pas  l'intention  de  rapporter  avec  tous  leurs 
détails  les  expériences  qui  m'ont  permis  de  reconnaître  les 
faits  que  je  viens  de  rappeler  et  que  j'ai  déjà  indiqués  succinc- 
tement dans  mon  rapport  de  1869;  je  me  bornerai  à  en  résumer 
en  quelques  mots  les  circonstances  les  plus  importantes. 

Les  expériences  qui  ont  établi  pour  moi,  dès  cette  épo- 
que (1869),  qiie  le  sang  n'est  virulent  que  lorsqu'il  contient 
des  bactéridies,  ne  sont  pas  aussi  nombreuses  que  je  l'aurais 
voulu;  mais  elles  donnent  toutes  des  résultats  concluants. 

Dans  l'une  d'elles,  un  mouton,  que  j'appellerai  A,  est  ino- 
culé, le  9  juillet,  par  quatre  piqûres  à  la  face  interne  des 
cuisses,  avec  du  sang  très-riche  en  bactéridies,  provenant  d'un 
lapin,  qui  avait  succombé  lui-même  à  la  suite  d'une  inocu- 
lation. 

Dans  la  journée  du  9,  le  sang,  obtenu  par  des  piqûres  faites 
aux  oreilles  ou  aux  veines  de  la  face,  est  examiné  cinq  fois.  La 
même  opération  est  répétée  six  fois  dans  la  journée  du  10;  et, 
dans  aucun  de  ces  nombreux  examens,  on  ne  trouve  de  traces 
de  bactéridies  dans  le  liquide  circulatoire.  On  l'inocule  néan- 
moins lors  des  troisième,  quatrième,  cinquième  et  sixième 
examens  à  des  moulons,  et  Iprs  des  neuvième  et  onzième  exa- 
mens à  des  lapins.  Aucun  de  ces  animaux  n'a  été  malade;  mais 
un  douzième  examen  étant  fait,  le  11,  à  six  heures  du  matin^ 
on  trouva  de  nombreuses  bactéridies  dans  le  sang,  que  l'on 
inocula  immédiatement  à  un  cinquième  mouton,  que  nous  ap- 
pellerons B^  et  à  un  lapin  C.  Ces  inoculations,  qui  précédèrent 


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432  MÉMOIRES. 

la  mort  du  mouton  A  de  une  heure  trente-cinq  minutes,  don- 
nèrent des  résultats  différents,  car  le  mouton  B,  que  nous  nous 
proposions  de  faire  servir  de  point  de  départ  à  une  nouvelle 
série  d'expériences,  fut  malade,  mais  n  eut  jamais  desbactéri- 
dies  dans  le  sang  et  se  rétablit,  tandis  que  le  lapin  C  succomba 
vingt-trois  heures  après  l'inoculation,  et  que  son  sang,  examiné 
après  la  mort,  présenta  des  bactéridies  assez  nombreuses. 

Dans  deux  autres  séries  d'expériences,  exécutées  d'après  le 
même  plan,  ce  sont  des  lapins  qui  ont  fourni,  pendant  leur 
vie,  le  sang  nécessaire  aux  inoculations. 

Dans  l'une  d'elles,  un  lapin  D  est  inoculé  le  9  juillet,  en 
même  temps  que  le  mouton  A,  dont  nous  venons  de  parler,  et 
avec  du  sang  de  même  provenance.  Vingt-deux  heures  après 
l'inoculation,  et  deux  heures  avant  la  mort  du  sujet,  son  sang, 
qui  contient  des  bactéridies,  est  inoculé  à  un  autre  lapin  E. 
On  est  alors  au  10  juillet;  il  est  six  heures  du  matin.  Le  11,  à 
sept  heures  du  matin,  le  sangdu  lapin  E  contient  déjà  des  bac- 
téridies évidentes.  Il  en  ronlient  de  plus  nombreuses  encore  à 
neuf  heures  et  demie,  une  demi-heure  avant  la  mort,  qui  ar- 
rive à  dix  heures.  A  chacun  de  ces  trois  moments  de  la  jour- 
née, un  nouveau  lapin  est  inoculé,  et  chez  les  deux  premiers 
qui  subissent  l'opération,  pendant  la  vie  du  sujet  dont  on  em- 
ploie le  sang  comme  virus,  le  charbon  se  déclare  et  se  ca- 
ractérise par  la  présence  de  bactéridies,  aussi  bien  que  chez  le 
troisième  que  l'on  a  inoculé  qu'après  la  mort. 

J'appellerai  F  le  lapin  qui  a  été  le  point  de  départ  de  la  der- 
nière série  d'expériences,  dans  lesquelles  les  inoculations  ont 
été  faites  avec  du  sang  pris  sur  un  sujet  vivant.  Chez  cet  ani- 
mal ,  inoculé  le  13  juillet  à  quatre  heures  de  l'après-midi,  le 
sang  a  été  examiné  le  14  juillet  à  six  heures  du  matin,  à  huit 
heures,  à  dix  heures  et  demie,  à  une  heure  et  à  trois  heures  et 
demie,  sans  qu'on  ait  pu  découvpV  la  moindre  trace  de  bacté- 
ridies. A  quatre  heures  quarante-cinq,  des  bactéries  apparais- 
sent très  évidentes;  elles  sont  nombreuses  à  huit  heures  et 
demie.  L'animal  meurt  dans  la  nuit  du  14  au  15,  et  à  l'autop- 
sie le  sang  se  montre  exceptionnellement  riche  en  bactéridies. 

Quatre  inoculations  ont  été  faites  avec  le  sang  de  ce  sujet; 


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NOTE   SUR   LES   INOCULATIONS   DES   HERBIVORES.  133 

la  première,  sur  un  lapin,  à  dix  heures  et  demie,  alors  que 
le  sang  ne  présentait  encore  aucune  trace  d'altération;  la  se- 
conde, à  quatre  heures  quarante-cinq,  sur  un  autre  lapin,  au 
moment  où  les  bacléridies  commençaient  à  apparaître;  la  troi- 
sième, à  huit  heures  et  demie,  sur  un  mouton,  quand  elles 
étaient  déjà  nombreuses,  et  la  dernière  après  la  mort,  sur  un 
autre  mouton. 

Comme  on  devait  s'y  attendre,  la  première  de  ces  inocula- 
tions est  restée  infructueuse,  et  l'animal  n*a  pas  même  été 
indisposé.  A  la  suite  des  trois  autres,  au  contraire,  le  lapin  et 
les  deux  moutons  sont  morts,  et  leur  sang  a  offert  des  bactéri- 
dies  assez  nombreuses  et  bien  caractérisées. 

Ainsi,  dans  ces  trois  séries  d'expériences,  sur  quatorze  ani- 
maux (six  moutons  et  huit  lapins)  qui  ont  été  inoculés  pendant 
la  vie  des  sujets  sur  lesquels  on  prenait  le  sang,  il  en  est  sept 
(quatre  moutons  et  trois  lapins)  qui  sont  restés  parfaitement  sains, 
un  huitième  (un  mouton)  qui  a  été  malade  mais  qui  s'est  rétabli, 
et  six  autres  (cinq  lapins  et  un  mouton)  qui  ont  succoribé  au 
charbon.  Les  sept  premiers  avaient  été  inoculés  avec  du  sang  qui 
ne  contenait  point  encore  de  bactéridies,  et  ils  ont  échappé  à  la 
contagion,  biep  que  les  sujets  sur  lesquels  on  avait  pris  le  sang 
aient  eux-mêmes  succombé  plus  tard  à  la  maladie.  Le  huitième, 
qui  est  un  mouton,  avait  été  inoculé  avec  du  sang  riche  en 
bactéridies;  il  a  résisté  au  mal,  cependant,  offrant  ainsi  un 
exemple  de  ce  fait  que  tous  les  moutons  que  l'on  inocule  du  char- 
bon bien  confirmé  ne  sont  pas  fatalement  voués  à  la  mort. 
Quant  aux  six  autres,  leur  mort  démontre  que  le  sang  des  ani- 
maux atteints  du  charbon  devient  virulent  pendant  la  vie,  mais 
qu'il  n'acquiert  cette  propriété  qu'au- moment  où  il  commence 
à  renfermer  des  bactéridies. 

g  2.  —  J'ai  dit  plus  haut  que  mes  expériences  de  1869 
m'avaient  permis  de  constater  que  l'économie  animale  lutte, 
au  moins  dans  quelques  espèces,  contre  le  virus  charbonneux 
que  l'on  introduit  dans  !e  torrent  de  la  circulation  ;  que  parfois 
elle  en  triomphe,  et  que  les  phénomènes  qui  se  produisent 
alors  ont  la  plus  grande  analogie  avec  ceux  que  l'on  observe, 


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434  MÉMOIRES. 

au  début  de  la  saison ,  chez  les  animaux  qui  fréquentent  les 
pâturages  dangereux. 

Ce  fait  remarquable  ressort  des  observations  que  j'ai  consi- 
gnées dans  le  rapport  que  j*ai  publié  en  1870  sur  le  mal  de  mon- 
tagne. C'est,  à  M.  Marret,  vétérinaire  à  Allanche,  que  je  dois  de 
m'avoir  fait  reconnaître ,  dans  les  excursions  que  nous  avons 
faites  ensemble ,  que  tous  les  pâturages ,  dans  la  Haute-Au- 
vergne, n'agissent  pas  de  la  même  manière  sur  les  vaches  que 
on  y  place  pour  les  engraisser.  •  Lorsque  le  pâturage  est  sain, 
ai-je  dit  à  cette  occasion,  les  vaches  profitent  rapidement  de 
l'abondante  nourriture  qui  est  mise  à  leur  disposition....; 
mais  lorsqu'au  contraire  il  est  au  nombre  de  ceux  au  sein 
desquels  doit  apparaître  le  mal  de  montagne,  les  choses 
marchent  tout  autrement  :  les  vaches  restent  tristes  et  non- 
chalantes, elles  mangent  peu ,  ne  profitent  pas  de  l'herbe 
qu^elles  mangent,  et,  pour  me  servir  de  l'expression  des 
batiers,  elles  restent  plates.  Il  est  facile  de  reconnaître 
quAoutes  éprouvent  un  malaise  particulier  et  qu'elles  lut- 
tent contre  les  premières  atteintes  du  mal.  Dans  les  herbages 
de  l'Auvergne  où  l'on  engraisse  des  vaches,  on  est  dans 
l'habitude  de  placer,  comme  on  le  fait  d'ailleurs  dans  beau- 
coup d'autres  contrées,  un  ou  plusieurs  taureaux  dans  le 
troupeau,  afin  que  ces  animaux  satisfassent  les  bètes  qui 
deviennent  en  chaleur,  et  les  empêchent  ainsi  de  se  tour- 
menter et  de  maigrir.  Dans  un  troupeau  qui  est  menacé  du 
mal  de  montagne,  les  taureaux  ne  sont  pas  exempts  du 
malaise  qu'éprouvent  les  femelles  de  leur  espèce.  Ils  sont 
alors  moins  ardents  et  moins  aptes  à  remplir  le  but  pour 
lequel  on  les  conserve.  Le  17  juin  dernier  (1869),  lors  de 
la  première  visite  que  nous  fîmes  au  grand  bos,  M.  Marret 
et  moi,  il  existait,  dans  un  troupeau  ile  cent  trente-quatre 
vaches,  quatre  taureaux.  Plusieurs  bêtes  étaient  en  cha- 
leur; les  taureaux,  loin  de  se  les  disputer,  les  délais- 
saient ,  et  le  seul  d'entre  eux  qui  montrait  quelques  dé- 
sirs vénérions  était  remarquablement  mou  ;  nous  le  vimes 
plusieurs  fois  renouveler  des  tentatives  de  saillies  sans  abou- 
tir à  aucun  résultat. 


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NOTE   SUE   LES   INOCULATIONS   DES   HERBIVORES.  135 

«  Dans  les  montagnes  dangereuses^  il  est  peu  de  vaches  qui 
«  échappent  au  nialaise  que  nous  venons  d'indiquer  ;  mais,  à 
«  moins  de  conditions  excessivement  mauvaises,  il  est  rare  que 

•  le  plus  grand  nombre  d'entre  elles  ne  réussissent  pas  à  se 
«  rétablir  peu  à  peu,  à  se  remettre  en  état  et  à  arriver  à  un 
«  engraissement  suffisant  pour  qu'on  puisse  avec  avantage  les 
t  livrer  à  la  boucherie.  Néanmoins,  il  en  est  toujours  au  moins 
9  quelques-unes  qui  sont  assez  profondément  atteintes  pour 
c  que  leur  rétablissement  soit  difficile,  ou  même  quelquefois 
c  tout  à  fait  impossible. 

«  Il  est  ordinairement  facile  de  Veconnaitre  ces  vaches.  On 
«  les  voit  rester  à  l'écart  ou  ne  suivre  qu'avec  lenteur  le  trou- 

•  peau  qui  se  déplace.  Elles  demeurent  tristes,  sans  vigueur, 
<  mangent  à  peine  ou  ne  mangent  pas  du  tout,  et  continuent 
c  à  maigrir.  En  général,  les  batiers  isolent  dans  des  parcs  à 
«  part  les  bêtes  qui  présentent  ces  caractères.  Toutes  les 
«  vaches  qui  sont  ainsi  isolées  ne  sont  pas  destinées  à  périr.  Il 

•  en  est  toujours  un  certain  nombre,  très  variable  d'ailleurs, 
€  suivant  les  années  et  suivant  les  pâturages,  qui,  bien  qu'elles 
€  aient  paru  tout  d'abord  très  malades,  finissent  par  se  rétablir 

•  sans  qu'on  les  soumette  à  aucun  traitement.  M:  Marret,  dans 
€  les  courses  que  nous  avons  faites  ensemble,  m'a  fait  remar- 
«  quer  plusieurs  bêtes  ainsi  rétablies,  et,  comme  lui,  je  crois 
€  que  ces  faits  doivent  être  notés  avec  soin  et  sont  de  nature  à 
«  rendre  le  praticien  très -circonspect  dans  l'appréciation  des 
«  résultats  que  Ton  obtient,  lorsque  des  animaux  soumis  à 
€  des  traitements  particuliers  survivent  au  mal  de  montagne. 

«  Mais  s  il  est  quelques  vaches  qui  reviennent  à  la  santé  après 
€  avoir  été  assez  gravement  atteintes  pour  donner  de  sérieuses 
€  inquiétudes,  il  en  est  malheureusement  un  trop  grand  nombre 
€  chez  lesquelles  les  symptômes  s'aggravent  et  qui  ne  lardent 
€  pas  à  mourir.  le  plus  souvent  elles  succombent  dans  les 
€  parcs  où  on  les  a  confinées.  Plus  rarement  elles  tombent  au 
c  milieu  du   pâturage,  soit  que  les  premiers  signes    du    mal 

•  aient  échappé  à  l'attention  des  batiers,  soit  encore  que  la  ma- 
€  ladie  ait  été  trop  rapide  et  la  mort  presque  foudroyante.  » 

Je  n'ai  pas  besoin  de  dire,  après  cette  longue  citation  de  mon 


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1 36  MÉMOIRES. 

rapport  de  1869,  combien  j'avais  été  frappé  des  faits  que  je 
viens  de  rappeler.  Je  le  fus  bien  davantage  encore  quand  je  re- 
connus, à  la  suite  de  mes  expériences,  qu'il  est  des  animaux 
qui  échappent  aux  inoculations  faites  avec  le  sang  le  plus  viru- 
lent, comme  il  en  est  qui  échappent  à  Tinfluence  des  pâturages 
les  plus  dangereux  et  que,  dans  ce  cas,  les  sujets  inoculés  éprou- 
vent, dans  leur  santé,  des  troubles  comparables  à  ceux  que  Ton 
observe  chez  les  vaches  dans  la  montagne. 

Le  mouton  B,  dont  j'ai  parlé  dans  la  première  série  d'expé- 
riences rapportée  plus  haut,  fut  le  premier  qui  appela  mon  at- 
tention dans  ce  sens.  Cet  animal,  comme  on  Ta  vu,  fut  inoculé 
le  H  juillet  avec  du  sang  tiré  pendant  la  vie  du  mouton  A,  très- 
riche  en  bactéridies  et  dont  les  propriétés  virulentes  furent  ren- 
dues d'ailleurs  évidentes,  dans  la  suite,  par  la  mort  du  lapin  C, 
inoculé  en  même  temps  que  le  mouton  B.  Ce  dernier  ne  suc- 
comba pas  cependant.  Mais  comme  je  ne  pouvais  prévoir  qu'il 
résisterait  à  la  maladie  et  que  j'espérais  faire  naître  avec  lui 
des  occasions  de  tenter  do  nouvelles  inoculations  faites  avec  du 
sang  infecté  de  bactéridies  recueilli  pondant  la  vie,  je  lui  tirai 
du  sang  que  je  soumis  à  l'inspection  microscopique,  le  H  juil- 
let, à  >•  heures  de  l'après-midi;  le  12,  à  6  heures  du  matin  ,  à 
8  heures,  à  10  heures,  à  midi,  à  3  heures,  à  4  heures  et  demie 
et  à  7  heures  et  demie;  le  13,  à  10  heures,  à  une  heure,  à 
2  heures  15,  à  5  heures  et  à  7  heures,  et  le  1i,  à  10  heures, 
à  1  heure  10  et  à  8  heures  et  demie. ^Dans  aucun  de  ces  exa- 
mens il  ne  fut  possible  de  reconnaître  des  bactéritlies  dans  le 
sang.  Cependant  l'animal  fut  très  manifestement  malade.  Mais 
un  fait  se  produisit  qui  démontra  qu'il  luttait  avec  succès  con- 
tre la  contagion,  ou,  en  d'autres  termes,  contre  la  multiplica- 
tion des  bactéridies  que  l'on  avait  tenté  d'introduire  dans  son 
organisme  ;  sur  sept  animaux  (six  lapins  et  un  mouton)  que  Ton 
avait  inoculé  avec  son^sang  pendant  qu'il  semblait  malade,  au- 
cun ne  parut  éprouver  le'moindre  malaise. 

Dans  le  principe,  je  fusjlenté  d'attribuer  cette  résistance  à  la 
contagion,  à  la  condition  particulière  dans  laquelle  avait  été 
faite  l'inoculation,  'avec  du  sang  tiré  d'un  sujet  vivant.  On 
pouvait  supposer,  en  effet,  (jue  les  bactéridies,  tout  évidentes  et 


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NOTE   SUR   LES   INOCUUTIONS   DBS   HERBIVOHES.  137 

toutes  nombreuses  qu'elles  fussent  dans  ce  liquide,  n'avaient 
point  encore  atteint  un  degré  de  maturité  suffisant,  pour  être 
aptes  à  se  reproduire  dans  un  autre  organisme.  Mais  cette  inter- 
prétation ne  tint  pas,  en  présence  dos  faits  qui  se  produisirent 
dans  les  expériences  que  je  fis  ultérieurement.  En  effet, 'dans  la 
série  d'expériences  rapportées  précédemment,  dont  le  lapin  F 
a  été  le  point  de  départ,  un  mouton  G  inoculé  avec  du  sang  d'un 
lapin  vîVant  et  deux  ou  trois  heures  avant  la  mort  de  ce  der- 
nier, a  succombé  au  charbonet  a  laissé  voir  de  nombreuses  bacté- 
ridies  dans  son  appareil  circulatoire.  Parcontre,  dans  une  autre 
expérience  faite  à  peu  près  à  la  même  époque  (19  juillet  1869), 
un  mouton  inoculé  du  sang  d'un  lapin  mort,  riche  en  bactéri- 
dies,  se  comporta  exactement  comme  le  mouton  Bqui  avait  été 
inoculé  avec  le  sang  d'un  animal  vivant.  Il  devint  malade  dans 
la  soirée  du  20,  resta  dans  cet  état  pendant  toute  la  journée  du 
21,  et  ne  reprit  son  état  ordinaire  que  le  23.  Or,  pendant  tout 
ce  temps,  son  sang,  examiné  trois  fois  par  jour,  ne  présenta  jamais 
de  bactéridies  et  laissa  parfaitement  sains  trois  lapins  auxquels 
il  fut  successivement  inoculé.  J'ajouterai  que  dans  des  expé- 
riences postérieures  à  celles  dont  j'ai  parlé  dans  mon  rapport 
de  1869,  deux  autres  bêtes  ovines  inoculées  avec  du  sang  pro- 
venant de  sujets  qui  avaient  succombé  au  charbon,  se  sont 
comportées  exactement  comme  le  mouton  B  et  le  mouton  G. 

D'après  cela  il  nous  parait  incontestable,  comme  nous  l'avons 
dit  en  1870,  que  l'inoculation  du  sang  charbonneux  peut  ren- 
dre malades  même  la«î  sujets  qu'elle  ne  tue  pas  et  que  par  con- 
séquent il  est  des  animaux  qui  peuvent  être  sous  le  coup  du 
charbon,  et  cependant  se  rétablir.  Les  symptômes,  que  l'on 
observe  chez  eux  au  début,  ne  diffèrent  pas  de  ceux  qui  se  mani- 
festent chez  ceux  qui  doivent  mourir.  Us  deviennent  tristes,  se 
séparent  des  autres  sujets  de  même  espèce  qui  occupent  la 
même  étable  et  se  retirent  dans  un  coin;  ils  ont  souvent  des 
mouvements  convulsifs,  des  sortes  do  soubresauts  et  même  des 
grincements  de  dents.  Ils  mangent  peu  ou  ne  mangent  pas  du 
tout,  quelle  que  soit  la  qualité  des  alifnents  qu'on  leur  offre. 
Chez  ceux  qui  doivent  mourir  les  symptômes  s'aggravent,  l'abat- 
tement devient  profond;  ils  tombent,  se  débattent  et  meurent. 


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438  yÉMOiRSS. 

Chez  les  autres»  au  contraire,  l'état  normal  revient  peu  à  peu. 
On  les  voit  d'abord  se  préoccuper  davantage  de  ce  qui  se  passe 
autour  d'eux;  se  lever,  venir  au  râtelier,  manger  quelque  peu, 
puis  s'isoler  pour  revenir  encore  et  finalement  reprendre  leur 
appétit  et  toutes  les  habitudes  qu'ils  avaient  avant  l'inocula- 
tion. Il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  que  ces  faits  of- 
frent t  une  analogie  frappante  avec  ce  qui  se  passe  dans  les 
c  montagnes  dangereuses  de  l'Auvergne,  où  l'on  voit  des  trou- 
f  peaux  entiers  de  vaches  en  proie' à  un  malaise  qui  se  traduit 
c  à  peu  près  par  les  mêmes  symptômes  et  qui  semble  indiquer 
c  qu'au  sein  des  pàtui*ages,  comme  dans  les  expériences  d'ino- 
c  culation,  l'économie  lutte  contre  le  principe  morbifique  d'où 
€  dérive  le  charbon.  »  (Rapport  sur  les  pâturages  de  l'Auver- 
gne où  sévit  le  mal  de  montagne.) 

Il  est  naturel  de  conclure  de  là  que  le  charbon  spontané  ou 
inoculé  peut  revêtir  une  forme  sous  laquelle  il  est  bénin  :  on 
peut  même  aller  plus  loin  et  admettre,  avec  M.  Pasteur  et 
quelques  patbologistes, que  les  sujets  qui  en  ont  été  atteint  sous 
cette  forme,  ont  acquis  une  véritable  immunité,  par  laquelle 
ils  sont  désormais  à  l'abri  de  la  maladie  susceptible  de  devenir 
mortelle.  Si  la  chose  est  vraie,  comme  on  est  autorisé  à  le 
croire,  d'après  ce  qui  se  passe  pour  d'autres  maladies  conta- 
gieuses, il  est  évident  qu'il  pourrait  y  avoir  avantage  à  tenter 
l'inoculation  d'un  charbon  bénin  chez  les  animaux  qui  sont 
appelés  à  vivre  dans  les  contrées  où  la  maladie  décime  les  trou- 
peaux. Seulement  il  faut,  avant  tout,  être  bien  assuré  qu'il  est 
des  moyens  pratiques  de  se  procurer  un  virus  bénin  dans  le- 
quel on  puisse  avoir  confiance.  Ici  les  difficultés  se  présentent. 
D'après  M.  Pasteur  lui-même,  les  procédés  indiqués  par  M.  Tous- 
saint peuvent  fournir  un  virus  dont  l'inoculation,  parfois  pré- 
ventive, est  inefficace  dans  certains  cas,  et  pernicieuse  dans 
d'autres.  Le  savant  professeur  de  l'École  normale  a  plus  de  con- 
fiance dans  le  virus  qu'il  prépare  lui-même,  en  soumettant  la 
bactéridie  charbonneuse  à  un  procédé  do  culture,  qui  lui  per- 
met do  l'obtenir,  dans  des  conditions  telles,  qu'elle  n'est  plus 
susceptible  do  se  reproduire  par  des  spores,  mais  qu'elle  peut 
encore  se  reproduire  par  une  sorte  de  segmentation  ou  de  scis- 


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NOTE   SDR   LES   INOCULATIONS  DES   HERBIVORES.  439 

siparité  et  dans  des  limites  assez  restreintes  pour  ne  pouvoir 
provoquer  qu'un  charbon  bénin  (4).  C'est  à  rexpérimentation 
qu'il  appartient  de  faire  voir  quelle  pourra  être  la  valeur  pra- 
tique du  procédé  de  M.  Pasteur  et  de  ceux  qui  ont  été  ou  qui 
seront  proposés  par  d'autres  auteurs.  On  devra  nécessairement 
pour  cela  recourir  à  des  inoculations  supposées  préventives, 
sur  des  animaux  que  l'on  soumettra  ensuite  à  des  inoculations 
avec  un  virus  des  plus  actifs,  ou  que  l'on  placera  pendant  un 
certain  temps  dans  des  pâturages  dangereux.  Si  ces  animaux 
échappent  à  la  maladie,  on  pourra  présumer  que  l'opération  à 
laquelle  on  les  aura  soumis  leur  aura  communi  )ué  une  véri- 
table immunité  et  quelle  aura  agi  à  l'égard  du  charbon  comme 
la  vaccine  à  l'égard  de  la  variole  dans  l'espèce  humaine.  Mais 
au  moment  de  faire  ces  essais,  il  sera  très  important  de  faire 
bien  attention  que  toutes  les  espèces  animales  ne  sont  pas  éga- 
lement propres  à  servir,  en  quelque  sorte,  de  réactifs  dans  les 
épreuves  auxquelles  il  faudra  soumettre  les  procédés  à  expé- 
rimenter. 

L'espèce  du  lapin  est  une  de  celles  qui  conviennent  le  mieux 
pour  cela.  Il  est  infiniment  rare  de  trouver  dans  celte  espèce  des 
sujets  qui  résistent  à  une  inoculation  de  sang  charbonneux 
contenant  des  bactéridies.  Dans  mes  notes,  je  n'en  vois  qu'un 
seul  qui  se  soit  présenté  dans  ces  conditions.  Aussi  peut-on 
dire  qu'il  y  aurait  de  grandes  chances  pour  qu'un  procédé  fût 
vraiment  préventif,  s'il  avait  le  pouvoir  de  mettre  les  lapins 
dans  de  telles  conditions  d'immunité,  qu'ils  résistassent  sûre- 
ment aux  inoculations  du  sang  charbonneux  infecté  de  bactéri- 

(4)  M.  Pasteur  dit,  dans  une  note,  que  lorsque  la  bactéridie  est  très  atlénaée  par 
les  cultures  «  ses  filaments  sont  plus  courts,  plus  dirigés  ;  que  leur  culture  moins  abon- 
«  dante  forme  sur  les  parois  des  Tases  un  dépôt  uniforme,  tandis  qu'à  Tétat  Tirulent 
a  on  la  Toit  le  plus  souvent  en  flocons  cotonneux,  constitués  pAr  de  très-longs  fils.  » 
Ces  bactéridies  atténuées  ne  seraient-elles  pas  les  analogues  des  petits  corps  linéaires  dont 
j'ai  parlé  dans  mon  rapport  sur  les  pâturages  de  TAuTergne,  et  que  j'ai  trouvé  «  dans 
«  quelques  cas  seulement  dans  le  sang  des  animaux  qui  sont  morts  plus  tard,  comme  dans 
«  celui  de  ceux  qui,  ayant  été  plus  ou  moins  malades,  se  sont  cependant  rétablis.  Ja- 
«  mais  ces  petits  corps  n'ont  eu,  sous  mes  yeux,  les  caractères  de  véritables  bactéridies.» 
Il  serait  curieux  de  rechercher  s'il  n'y  a  pas  là  un  état  qui  précède  le  développement  de 
la  bactéridie  véritablement  virulente  et  qui,  étant  susceptible  d'aboutir  à  une  sorte 
d'avortement,  provoquerait  dans  ce  cas  la  maladie  dont  l'animal  peut  guérir  ? 


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1 40  MBMOIRES. 

dies.  M.  Pasteur  assure  qu'avec  son  liquide  de  culture  il  arrive 
à  ce  résultat,  et  c'est  là  un  fait  qui  doit  engager  à  soumettre 
son  procédé  à  une  expérimentation  sérieuse. 

Mais  parmi  les  herbivores  domestiques  de  nos  contrées,  le 
lapin  est  le  seul  qui  puisse  être  considéré  comme  propre  à 
donner  une  démonstration  sans  réplique.  Malgré  la  fréquence 
des  cas  de  charbon  que  l'on  observe  chez  les  animaux  de 
l'espèce  ovine,  le  mouton  est  peu  propre  à  déceler  si  un  pro- 
cédé est  ou  n'est  pas  préventif,  parce  que  dans  cette  espèce 
beaucoup  de  sujets  échappent  à  la  mort  quand  on  les  inocule 
du  charbon. 

§3.  —  Comme  je  l'ai  dit  en  commençant,  dans  mes  expé- 
riences de  1869  douze  bètes  ovines  ont  été  soumises  à  des 
inoculations.  Seulement,  sur  ces  douze  bètes,  il  en  est  cinq 
qui  ne  doivent  pas  entrer  en  ligne  de  compte,  parce  qu'elles 
ont  été  inoculées  avec  du  sang  d'animaux  vivants,  dans  lequel 
n'existaient  point  de  bactéridies.  Il  en  reste  sept  chez  lesquelles 
les  inoculations  ont  été  faites  avec  du  sang  évidemment  infecté 
(le  bactéridies.  Or,  sur  ces  sept ,  cinq  ont  succombé  au  char- 
bon et  deux  ont  survécu  après  avoir  éprouvé  les  symptômes 
que  j'ai  fait  connaître  plus  haut.  C'est  déjà  une  proportion  qui 
est  assez  forte  pour  que  l'on  en  tienne  compte.  Mais  elle  ne 
représente  pas  encore  le  chiffre  des  moutons  que  j'ai  trouvés 
naturellement  réfractaires  au  charbon  mortel ,  à  la  suite  des 
inoculations.  Il  faut  en  ajouter  deux  autres  sur  lesquels  l'expé- 
rience a  été  faite  dans  des  conditions  que  je  crois  devoir  exposer 
en  peu  de  mots,  parce  que  nous  allons  nous  trouver  en  pré- 
sence d'un  fait  qui  se  joint  à  d'autres  que  l'on  a  récemment 
publiés,  et  qui  confirme  les  appréhensions  que  l'on  doit  avoir 
relativement  aux  lieux  où  l'on  enfouit  les  animaux  morts  du 
charbon. 

Dans  les  deux  missions  que  j'ai  eu  à  rempHr  en  Auvergne , 
en  1868  et  en  1869,  j'avais  été  frappé  de  la  persistance  avec, 
laquelle  les  habitants  du  pays  attribuaient  le  mal  de  montagne 
aux  plantes  dos  pâturages,  cl  je  m'étais  plusieurs  fois  demandé 
si  ce  ne  serait  pas  avec  les  végétaux  qui  croissent  sur  les  points 


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NOTE  SDR   LES   INOCULATIONS   DES   HERBIVORES.  1 41 

OÙ  sont  enfouis  les  animaux  que  les  germes  du  charbon  pénè- 
trent dans  l'économie.  Pour  m'écfairer  sur  ce  point,  j*ai  fait 
enfouir^  en  1869,  une  partie  des  animaux  que  j'ai  perdus  dans 
mes  expériences,  dans  un  endroit  du  clos  de  l'École  d'Alfort»  à 
proximité  de  mon  laboratoire,  facile  à  reconnaître  d'ailleurs 
par  un  signe  tracé  sur  un  mur.  Sur  cet  endroit ,  j'ai  fait  semer 
de  la  luzerne,  des  carottes  et  des  betteraves,  et  à  différentes 
reprises  j'ai  fait  manger  l'herbe  et  les  racines  à  des  lapins  et  à 
des  moutons,  sans  que  jamais  aucun  d'eux  ait  éprouvé  le  moin- 
dre malaise. 

En  1871  ,  quand  je  revins  après  la  guerre,  rien  n'avait  été 
touché  dans  l'endroit  où  avait  été  enfouis  mes  animaux;  il  me 
fut  facile  de  le  reconnaître ,  et  je  pus ,  quelque  temps  après, 
recommencer  mes  expériences  sur  des  lapins,  sans  obtenir  plus 
de  succès.  Entin,  en  1872,  des  moutons  de  race  saoutdown, 
réformés  du  troupeau  de  l'Ecole  de  Grignon ,  ayant  été  mis  à 
ma  disposition,  j'en  fis  placer  deux,  tous  les  jours,  du  11  au 
18  mars,  dans  l'après-midi,  sur  le  sol  que  je  supposais  infecté. 
Us  mangèrent  le  peu  d'herbe  qui  s'était  accrue  sur  la  fosse  , 
et  reçurent,  en  outre,  leur  ration  ordinaire  à  la.borgerie. 

Le  16,  on  s'aperçut  que  l'un  de  ces  deux  moutons  était  à 
demi  météorisé ,  qu'il  était  triste,  qu'il  refusait  de  manger,  et 
semblait  se  déplacer  avec  pt^ine  pour  se  rendre  au  point  du  clos 
où  il  avait  brouté  la  veille.  Le  17,  son  état  était  plus  in- 
quiétant; on  le  laissa  dans  la  bergerie  annexée  au  laboratoire; 
il  se  coucha  dans  un  coin,  fit  entendre  de  temps  à  autre  des 
grincements  de  dents,  et  fut  même  agité  de  quelques  mouve- 
ments convulsifs.  Le  18,  on  le  trouva  mort;  l'on  reconnut  à 
l'autopsie  toutes  les  lésions  du  charbon,  et,  de  plus,  l'examen 
microscopique  du  sang  démontra  l'existence  de  bactéridies  très- 
nombreuses  et  très  évidentes. 

Sans  me  laisser  voir  encore  comment  les  bactéridies  avaient 
pénétré  dans  l'économie,  ce  fait  établissait  pour  moi  le  danger 
des  fosses  creusées  au  sein  des  pâturages ,  danger  sur  lequel 
j'avais  insisté  dans  mon  rapport  de  1869.  Je  cherchai  à  le 
rendre  plus  évident  encore  en  continuant  de  faire  séjourner 
sur  l'endroit  infecté    le   mouton  qui  avait    accompagné  jus- 


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1 4S  MtXOlRBS. 

qu'alors  celui  que  la  mort  avait  frappé,  et  un  autre  choisi 
parmi  ceux   qui   n'avaient  point  encore    quitté  la    bergerie. 
Aucun  d'eux  ne  fut  malade,  et  il  ne  me  fut  pas  permis  de 
continuer  longtemps  ou  de  renouveler  mon  expérience ,  parce 
que  quelque  temps  après  i)  fut  fait  dans  le  clos  des  travaux ,  à 
l'occasion  desquels  mon  champ  d'enfouissement  fut  bouleversé. 
Hais  en  entrant  dans  cette  nouvelle  voie  de  recherches  qui  ne 
devait  pas,  d'ailleurs,  me  fournir  un  autre  fait  semblable  à 
celui  que  je  venais  d'observer,  je  n'avais  point  abandonné  le 
projet  de  revenir  à  des  inoculations  faites  pendant  la  vie  des 
animaux  contaminés.  Pour  m'en  fournir  le  moyen,  j'inoculai, 
le  18  mars,  avec  le  sang  du  mouton  southdown  qui  venait  de 
succomber,  deux  autres  moutons  et  un  lapin.  Celui-ci  mourut 
trente-six  heures  environ  après  l'inoculation,  et  son  sang  offrit 
des  bactéridies  bien  caractérisées.  Quant  aux  deux  moutons, 
ils  étaient  alors  tristes,  malades   retirés  dans  un  coin  de  la  ber- 
gerie, et  bien  que  leur  sang  ne  contint  pas  encore  de  bactéridies, 
je  comptai  si  bien  que  l'un  deux  au  moins  succomberait,  que 
je  négligeai  d'inoculer  un  autre  lapin.  Mon  attente  fut  trompée, 
les  deux  moutons  se  i^tablirent  et  survécurent,  ajoutant  ainsi 
deux  faits  d'inoculations  infructueuses  à  ceux  que  j'avais  re- 
cueillis dans  mes  expériences  de  1869. 

Ainsi,  en  résumé,  sur  neuf  moutons  de  races  diverses  que  j'ai 
inoculés  en  1869  et  en  1872,  avec  du  sang  charbonneux  conte- 
nant des  bactéridies,  cinq  ont  succombé  et  quatre  ont  survécu, 
de  telle  sorte  que  d'après  ces  nombres  on  serait  autorisé  à  dire, 
que  près  de  la  moitié  des  individus,  dans"  cette  espèce,  ont  en 
eux-mêmes  la  propriété  de  résistera  l'action  du  sang  charbon- 
neux qui  semble  devoir  être  le  plus  virulent. 

Ce  fait  est  évidemment  de  nature  à  imposer  quelque  réserve 
dans  les  conclusions  que  l'on  pourrait  être  tenté  de  tirer  d'ex- 
périences faites  sur  les  bêles  ovines  pour  s'assurer  si  des  ino- 
culations préventives,  opérées  dans  des  conditions  déterminées, 
seraient  aptes  à  les  préserver  d'un  charbon  fatalement  mortel. 
Une  réserve  au  moins  aussi  grande  serait  imposée  à  ceux  qui 
voudraient  opérer  avec  des  chevaux,  des  bêtes  bovines  clés 
porcs,  des  chiens. 


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NOTE  SUR   LES   INOCULATIONS   DBS   BBRBIV0R8S.  143 

Je  n'ai  pas  à  fournir  d'observations  qui  me  soient  person- 
nelles en  ce  qui  concerne  les  chevaux  et  les  grands  ruminants. 
Pendant  mes  expériences  de  1869,  un  cheval  et  une  génisse 
furent  inoculés  par  H.  Haynal  avec  du  sang  provenant  des  mou- 
tons qui  avaient  succombé  dans  mon  service;  j'ai  su  que  ces 
animaux  avaient  survécu  à  l'ijioculation,  mais  je  n'ai  pas  appris 
qu'ils  eussent  éprouvé  des  troubles  quelconques  dans  leur 
santé. 

Un  porc  adulte,  que  j'ai  inoculé  moi-même  à  la  lancette,  a 
résisté  au  mal,  mais  ce  n'a  pas  été  sans  avoir  été  malade  d'une 
façon  très  marquée.  Vingt-quatre  heures  après  l'inoculation  il 
est  devenu  triste,  s'est  retiré  dans  le  fond  de  sa  loge,  a  refusé 
de  la  manière  la  plus  absolue  ses  aliments,  même  ceux  que  lui 
offrait  à  la  main  l'homme  qui  le  soignait  d'habitude,  avec  lequel 
il  était  très  familier,  est  resté  dans  cette  sorte  d'abattement  un 
jour  et  demi,  et  n'est  revenu  que  peu  à  peu  à  son  état  ordi- 
naire. 

Un  autre  porc,  auquel  on  a  fait  manger  avec  du  son  le  sang 
riche  en  bactéridies  provenant  de  deux  moutons  morts  du  char- 
bon, n'en  a  éprouvé  aucun  malaise. 

Plusieurs  chiens  adultes  ont  été  inoculés  du  charbon  sans 
qu'on  ait  observé  dans  leur  état  rien  de  particulier.  Hais  un 
autre  animal  de  cette  espèce  que  l'on  a  nourri,  du  3  au  18  mai, 
avec  de  la  viande  provenant  d'animaux  charbonneux,  est  mort 
subitement,  sans  que  l'on  puisse  attribuer  sa  mort  au  charbon, 
car  son  sang  ne  contenait  point  de  bactéridies,  et  on  a  pu  l'ino- 
culer à  un  lapin  sans  que  celui-ci  ait  eu  à  en  souffrir. 

Enfin,  j'ajouterai  pour  terminer,  qu'à  différentes  reprises, 
pendant  mes  expériences,  j'ai  nourri  des  lapins  et  des  moutons 
avec  des  fourrages  verts  ou  secs  qui  avaient  été  arrosés  quelque 
temps  auparavant  de  sang  charbonneux,  et  que  jamais  il  n'en 
est  résulté  d'accidents  pour  aucun  d'eux. 

Telles  ont  été,  en  définitive,  les  expériences  que  j'ai  faites  sur 
la  virulence  du  sang  charbonneux.  Entreprises  pour  permettre 
de  reconnaître  si  la  présence  des  bactéridies  dans  le  sang  était 
indispensable  pour  que  ce  liquide  fût  virulent,  elles  ont  été  ab- 
solument favorables  à  cette  opinion  qui  n'est  plus  aujourd'hui 


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144  MÉMOIRES. 

contestée.  Mais  elles  ont,  en  outre,  démontré  que,  parmi  les 
herbivores  domestiques  de  nos  contrées,  le  lapin  est  le  seul  qui 
paraisse  destiné  fatalement  à  périr  lorsqu'il  est  inoculé  avec  du 
sang  contenant  des  bactéridies.  Dans  toutes  les  autres  espèces, 
il  existe  des  sujets,  en  nombre  assez  élevé,  qui  sont  aptes  à  ré- 
sister aux  inoculations  charbonneuses,  après  avoir  éprouvé,  le 
plus  souvent  dans  leur  santé,  un  trouble  momentané,  par  lequel 
est  accusée  la  lutte  de  l'économie  contre  l'élément  morbide. 
C'est  là  un  fait  qui  nous  a  paru  important  de  constater,  afin 
qu^on  ne  soit  pas  porté  à  attribuer  à  des  inoculations  préven- 
tives le  bénéfice  do  l'immunité  que  paraissent  posséder  natu- 
rellement certains  animaux  que  Ton  inocule  d'un  sang  très 
virulent,  ou  que  l'on  fait  vivre  dans  des  pâturages  dangereux 
analogues  à  ceux  où  l'on  engraisse  les  vaches  dans  les  monta- 
gnes de  la  haute  Auvergne  (1). 

(4  )  A  répoque  où  nous  aTons  fait  à  rAcadémie  des  sciences  de  Touloose  la  lecture  da 
trayait  qui  précède,  M.  Pasteur  n'avait  point  encore  fait  connaître  les  résultats  des  belles 
expériences  tentées  par  lui  à  Pouilly-le-Fort  et  à  la  ferme  de  Lambert.  Nous  n'hésitons 
pas  à  reconnaître  qu'aujourd'hui  nous  n'oserions  plus  repousser,  d'une  manière  aussi  ab- 
solue, l'emploi  du  mouton,  comme  réactif,  dans  les  expériences  relatÎTes  aux  essais  du 
Tirus  charbonneux  atténué.  Le  procédé  de  M.  Pasteur,  basé  sur  une  connaissance  appro^ 
fondie  des  conditions  diverses  dans  lesquelles  se  reproduU  la  bactéridie,  ne  nous  laisse  aucun 
doute  sur  la  possibilité  d'obtenir  un  virus  sufGsamment  atténué  dans  son  énergie,  pour 
qu'on  soit  autorisé  à  l'inoculer  sans  crainte  ;  et  de  plus,  les  expériences  que  nous  venons 
de  rappeler  ont  fait  voir,  avec  la  dernière  évidence,  qu'il  est  un  moyen  de  faire  servir  les 
hôtes  ovines  à  des  démonstrations  absolument  concluantes  sur  les  points  contestés.  (Note 
ajoutée  pendant  l'impression.) 


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ÉQUATIONS  DIFP^EBNTIELLBS  DU  MOUVEMENT  D*UN  CORPS  SOLIDE.    1 45 

ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES 

DU 

MOUVEMENT   D'UN   CORPS   SOLIDE 

LIBAB  OU  GÊNÉ 
SOLLIOITà  PAB  DBS  FOBOES   QUBLCONQUBS 

Paa  m.  DESPEYROUS  a) 


La  solution  de  cette  question  constitue,  à  elle  seule,  toute  la 
science  de  la  mécanique;  le  beau  théorème  de  Newton,  sur  le 
mouvement  du  centre  de  gravité  d'un  corps,  ramène  cette  so- 
lution à  celle  du  mouvement  de  rotation  d'un  corps  autour 
d'un  point  fixe.  Euler  et  d'Alembert  sont  les  premiers  géomè- 
tres qui  aient  déterminé  la  mise  en  équation  de  ce  dernier 
problème,  c'est-à-dire  qui  aient  fait  connaître  les  équations 
différentielles  qui  lient  les  forces  à  ce  mouvement,  ou,  en 
d'autres  termes,  les  causes  aux  effets.  Plus  tard,  l'illustre 
auteur  de  la  Mécanique  analytique^  Lagrange,  reprit  cette  ques- 
tion, et  la  traita  avec  une  élégance  et  une  symétrie  de  calcul 
admirables.  Enfin,  en  1834,  un  homme  de  génie,  Poinsot,  doué 
d'un  esprit  lucide  et  profond,  a  traité  cette  même  question  par 
une  méthode  géométrique  qui  lui  permet  de  suivre,  pour  ainsi 
dire  des  yeux,  le  corps  dans  son  mouvement.   Nous  devons 

(4  )  La  dans  la  séance  da  %B  juin  4  884 . 

8«  SÉBIB     »  TOMB  III,  2.  10 


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146  MÉMOIRES. 

ajouter  que  cette  méthode,  traduite  en  analyse,  présente  de 
graves  difficultés  et  tend  à  faire  naître  des  idées  fausses. 

En  tenant  compte  de  la  solution  analytique  d'Euler  et  de 
d'Alembert,  perfectionnée  par  '  agrange,  et  de  la  solution  géo- 
métrique  de  Poinsot,  on  peut  fonder  une  méthode  qui  déter- 
mine, dans  tous  les  cas  et  d'une  manière  très  simple,  les  équa- 
tions différentielles  du  mouvement  d'un  corps  solide,  libre  ou 
gêné,  sollicité  par  des  forres  quelconques.  Cotte  méthode  re- 
pose sur  un  théorème  unique,  très  facile  à  démontrer,  qui 
permet  de  ramener  à  des  déterminations  de  mtesses  la  recherche 
de  ces  équations  différentielles  et  qui  fait  dispiaraître,  par 
suite,  la  détermination  autrement  difficile  des  accélérations  par 
rapport  à  des  axes  mobiles. 

M.  Bour,  dans  son  cours  de  mécanique  de  TÉcole  polytech- 
nique, s'est  servi  de  ce  théorème  dans  un  cas;  nous  l'appli- 
quons à  tous  les  cas,  c'est-à-dire  au  mouvement  d'un  corps 
solide  sollicité  par  des  forces  quelconques,  soit  que  ce  corps 
ne  puisse  tourner  qu'autour  d'un  axe  fixe,  ou  qu'autour  d'un 
point  fixe,  ou  qu'il  soit  entièrement  libre;  nous  l'appliquons 
même  à  démontrer  les  équations  remarquables  que  M.  Résal  a 
fait  connaître  dans  le  cas  d'un  corps  solide  symétrique  par 
rapport  à  un  axe  et  tournant  autour  d'un  des  points  de  cet 
axe. 


PRINCIPES   FONDAMENTAUX   DU   MOUVEMENT   D  UN   CORPS   SOLIDE,    OU    DES 
FORCES   CAPABLES   d'uN   MOUVEMENT   DONNÉ,    BT   RÉCIPROQUEMENT. 


Le  principe  do  d'Alembert  suffit  pour  trouver  les  équations 
différentielles  du  mouvement  d'un  corps  solide,  libre  ou  gêné, 
de  forme  invariable  et  sollicité  par  des  forces  quelconques  en 
tous  ses  points  ou  en  quelques-uns  d'entre  eux, 


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EQUATIONS  DIFFERENTIELLES  DU  MOUVEMENT  D*UN  CORPS  SOLIDE.    1 47 

En  effet,  prenons  pour  origine  des  coordonnées  un  point 
quelconque  o  de  Tespace,  et  faisons  passer  par  ce  point  trois 
axes  rectangulaires  ox^  oy,  oz,  que  nous  considérerons  comme 
fixes  pendant  toute  la  durée  du  mouvement.  Toutes  les  forces 
motrices,  quelles  qu'elles  soient,  se  réduiront,  en  prenant  pour 
centre  de  réduction  l'origine  o  des  coordonnées  à  une  force 
unique  R  (2X,  lY,  tL),  et  à  un  couple  unique  G  (L,  M,  N). 

Or,  on  sait  que  les  équations  d'équilibre  de  ces  forces  sur  le 
corps  sont 

iX  =  0  ,  lY  =  0  ,  zZ  =  0  ; 
^^  L  =  o,M=o,N  =  o. 

Mais,  quel  que  soit  le  mouvement  d'un  point  quelconque  du 
corps,  ses  coordonnées  étant  x,  y,  «,  à  l'époque  <,  la  force 
motrice  effective  de  ce  point  aura  pour  composants  suivant 
les  axes  des  coordonnées,  ces  axes  étant  fixes, 

^^diî'     ^^dii^     ^^dS^ 

dm  désignant  la  masse  de  ce  point.  Et  puisque  ce  corps  est  de 
forme  invariable,  les  forces  motrices  effectives  relatives  à  tous 
ses  points  se  réduiront,  en  prenant  pour  centre  de  réduction 
l'origine  0  des  coordonnées,  à  une  force  unique  dont  les  com- 
posantes, suivant  les  axes,  sont 

et  à  un  couple  unique  dont  les  composants,  suivant  les  mêmes 
axes,  sont 

ces  intégrales  triples  s  étendant  à  tous  les  points  du  corps. 


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448  MÉMOIRES. 

Donc,  en  vertu  du  principe  de  d'Alembert,  les  équations  dif- 
férentielles du  mouvement  du  corps  libre  sont  : 

(v 

^=///*»(»S-S).  «=///<'4S-4)>  "'f/M^-y'^)- 

Dans  les  applications  de  ces  équations   différentielles   du 
second  ordre,  il  y  a  lieu  de  distinguer  trois  cas  principaux. 


4«'  Cas.  —  Rotation  d'un  corps  solide  autour  d'un  axe  fixe* 

Les  six  équations  d'équilibre  (E)  d'un  corps  retenu  par  un 
axe  fixe  et  sollicité  par  des  forces  quelconques  se  réduisent  à 
une  seule  N=o,  en  prenant  pour  axe  des  z  l'axe  fixe  donné; 
donc  les  six  équations  différentielles  (1)  de  son  mouvement  se 
réduisent  à  une  seule 


(«)     "=///*•(»§ -»^) 


Et  comme  Tangle  $  que  fait  la  perpendiculaire  abaissée  d'un 
point  quelconque  du  corps  sur  Taxe  fixe  avec  sa  projection 
sur  le  plan  fixe  xoz  suffit  pour  déterminer  la  position  de  ce 
corps,  ce  corps  étant  de  forme  invariable,  l'équation  (a)  doit 
pouvoir  être  transformée  de  manière  à  n'introduire  que  cet 
angle  dans  son  second  membre,  ce  qui  produira  une  équation 
différentielle  du  second  ordre  en  0  que  nous  donnons  plus  loin* 

Mais  il  est  utile,  dans  les  applications,  de  déterminer  la 
résistance  que  doit  offrir  l'axe  fixe,  à  une  époque  quelconque  t, 
pour  que  la  rotation  du  corps  puisse  s'effectuer.  A  cet  effet, 
on  doit  remarquer  que  pour  fixer  une  droite,  il  suffit  de  fixer 
deux  de  ses  points  0  et  H,  et  qu'à  toute  époque  t,  chacun  de 
ces  points  éprouve  une  pression  qui  doit  être  détruite  par  la 
résistance  qu'offre  la  résistance  de  chacun  d'eux.  Mais  on  peut 
détruire  chacune  de  ces  pressions  par  une  force  égale  et  con- 
traire. Donc,  en  désignant  par  R|  et  R<|  ces  forces,  on  doit  con- 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DO  MOUVEMENT  D*UN  CORPS  SOLIDE.    4  49 

sîdérer  le  corps  comme  complètement  libre  sous  l'action  des 
forces  motrices  données  qui  l'animaient  déjà  et  de  ces  deux 
nouvelles  forces.  Donc,  les  équations  différentielles  de  la  rota- 
tion d*uD  corps  autour  d'un  axe  fixe,  sont,  d'après  les  équa- 
tions (4),    . 

X,+X.+dC=//>^.  Y,+Y,+.Y=//>^.  Z,+Z,+.Z=///c/m^  ; 
(2) 

dans  lesquelles  A  désigne  la  distance  des  deux  points  choisis 
0  et  H. 

La  dernière  équation  donne,  par  l'intégration,  l'angle  9, 
c'est-à-dire  la  position  du  corps  à  une  époque  quelconque  t; 
et  les  cinq  premières  déterminent  à  chaque  instant  les  résis- 
tances B.|  et  Rj  que  doit  offrir  la  fixité  de  l'axe  pour  que  la  ro- 
tation du  corps  puisse  s'effectuer  autour  de  cet  axe. 

2*  Cas.  —  Rotation  (Tun  corps  solide  autour  (Tun  poit^t  fixe. 

Les  six  équations  d'équilibre  (E)  d'un  corps  retenu  par  un 
point  fixe  et  sollicité  par  des  forces  quelconques  se  réduisent 
aux  trois  dernières  L=o,  M=o,  N=o,  en  prenant  pour  point 
fixe  l'origine  des  coordonnées.  Donc,  les  équations  différen- 
tielles de  son  mouvement  se  réduisent  aux  trois  dernières 
équations  du  groupe  (1), 

Or,  pour  déterminer  la  position  d'un  corps  qui  n'a  que  la 
liberté  de  tourner  autour  d'un  point  fixe,  il  suffit  ;  4"  de  faire 


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(3) 


450  MÉMOIRES. 

passer  par  le  centre  o  de  rotation  trois  axes  fixes  dans  l'es-  . 
pace,  Oï,  Ou,  Oç;  2<*  de  faire  passer  par  ce  même  point  -trois 
nouveaux  axes  Ox,  Oy,  Oz  fixes  dans  le  corps  et  mobiles  avec 
lui;  3^  enfin,  de  déterminer  la  position  de  ces  derniers  axes 
par  rapport  aux  premiers.  Cette  détermination  se  fait  au  moyen 
de  trois  angles  4>^  0,  (p,  le  premier  désignant  l'angle  que  fait 
avec  Taxe  Oç  l'intersection  ON,  du  plan  mobile  œoy^  avec  le 
plan  fixe  SOu;  le  second,  l'angle  de  ces  deux  plans  ou  de  leurs 
normales  OZ,  OC;  et  le  troisième,  l'angle  que  fait  l'axe  OX 
avec  cette  intersection  ON. 

Il  est  donc  nécessaire  d'introduire  ces  trois  angles  dans  les 
équations  (6),  ce  qui  transformera  ces  trois  équations  en  trois 
équations  différentielles  du  second  ordre,  en  4>,  0,  7,  que  nous 
ferons  bientôt  connaître. 

Mais  il  est  utile,  dans  les  applications,  de  déterminer  la  ré- 
sistance que  doit  offrir  le  point  fixe  qui  fait  le  centre  de  la 
rotation  du  corps,  pour  que  la  rotation  puisse  s'effectuer.  En 
la  désignant  par  Rf,  le  corps  doit  être  considéré  comme  libre 
sous  l'action  de  cette  force  et  des  forces  motrices  qui  le  solli- 
citaient déjà.  En  sorte  que  les  équations  différentielles  de  la 
rotation  d'un  corps  autour  d'un  point  fixe  sont,  d'après  les 
équations  (4), 
• 

X.+zX=.//>^,  ï.+xY=///.™g.  Z.+^=//>^, 

Ces  trois  dernières  équations,  transformées  en  4»,  B,  y,  don- 
nent par  l'intégration  ces  trois  angles,  c'est-à-dire  la  position 
du  corps  à  une  époque  quelconque  t;  et  les  trois  premières  dé- 
terminent à  chaque  instant  la  résistance  R^  que  doit  offrir  la 
fixité  du  centre  de  rotation  pour  que  la  rotation  (Ju  corps  puisse 
s'effectuer  autour  de  co  point. 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DO  MOUVEMENT  d'uN  CORPS  SOLIDE.    4  51 


3*  Cas.  —  Mouoement  (Tun  corps  solide  entièrement  libre. 

Les  équations  différentielles  du  mouvement  d'un  corps  so- 
lide entièrement  libre,  sollicité  par  des  forces  quelconques, 
sont  les  six  équations  {^).  Or,  si  Ton  désigne  par  Xi,  y\,  z\ 
les  coordonnées  du  centre  de  gravité  de  ce  corps,  à  une  époque 
quelconque  t,  et  par  m  sa  masse,  l'on  a  à  cette  époque, 

mxi  =  fffxdm  ,     mx|^  =fffydm  ,     mz^  =fffzdm  ; 

par  suite,  les  trois  premières  équations  du  groupe  (1)  devien- 
nent, en  différenciant  deux  fois  ces  dernières, 

J^x^  d«y<  _  ê^zx  _ 

di^  *         dfl  *         dt^ 

On  a  donc  ce  théorème  ; 

Théorème  I.  —  Le  centre  de  gravité  ou  de  masse  d*un  corps 
libre  et  sollicité  par  des  forces  quelconques  se  meut  comme  un  point 
chargé  de  la  masse  totale  de  ce  corps,  et  tiré  pur  la  résultante  R  de 
toutes  les  forces  m^otrices  qui  animaient  le  corps^  transportées  paraU 
lèlement  \  elles-mêmes  en  ce  point. 

Mais,  d'après  le  second  cas.  les  trois  dernières  équations  de 
ce  mémo  groupe  (i)  sont  les  équations  différentielles  de  la  ro- 
tation d'un  corps  autour  d'un  point  fixe;  on  a  donc  cet  autre 
théorème  : 

Théorème  II.  —  Pendnnt  toute  la  durée  du  mouvement  d^un 
corps  libre,  ce  corps  tourne  autour  de  son  centre  de  gravité  ou  de 
masse  comme  si  ce  point  était  fixe. 

En  sorte  que  les  trois  premières  équations  du  groupe  (1) 
sont  les  équations  différentielles  de  la  translation  du  corps 
libre,  translation  qui  consiste  en  ce  que  tous  les  points  de  ce 
corps  décrivent  des  courbes  égales  et  parallèles  à  celle  que 
décrit  effectivement  son  centre  de  masse  dans  le  mouvement 


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152  HÈMOIEES. 

complexe  du  corps,  mouvement  fictif  (\\i\  n*a  de  réel  que  le  mou- 
vement de  son  centre  de  masse.  Et  les  trois  dernières  équations 
de  ce  même  groupe  (1)  sont  celles  de  la  rotation  de  ce  corps 
autour  de  son  centre  de  masse,  comme  si  ce  point  était  fixe, 
rotation  entièrement  fictive.  Mais  de  ces  deux  mouvements  fictifs, 
effectués  l'un  après  l'autre  dans  tel  ordre  qu'on  voudra,  et 
pendant  un  temps  quelconque  ty  résulte  néanmoins  la  position 
exacte  du  corps  à  cette  époque. 

La  question  générale  à  résoudre  consiste  donc  à  introduire  : 
1^  l'angle  0  dans  les  équations  (2)  pour  avoir  les  équations 
différentielles  de  la  rotation  d'un  corps  autour  d'un  axe  fixe; 
2^"  les  trois  angles  ^y  0,  7  dans  les  équations  (3)  pour  avoir  les 
équations  différentielles  de  la  rotation  d'un  corps  autour  d'un 
point  fixe;  3^  enfin,  à  déduire  de  ces  dernières  les  équations 
différentielles  de  la  rotation  d'un  corps  libre  autour  de  son 
centre  de  masse. 

La  solution  de  cette  queMion  générale  est  entièrement  fondée 
sur  le  théorème  suivant. 

Les  six  équations  différentielles  (1)  du  mouvement  d'un  corps 
libre  sollicité  par  des  forces  quelconques  peuvent  être  mises 
sous  la  forme 

«=i/#"^.  ^^=yfMr  ^-y/M-- 

dans  lesquelles  a;,  y^  z  désignent  les  coordonnées  d'un  point 
quelconque  du  corps  rapportées  à  trois  axes  rectangulaires 
fixes  passant  par  un  point  quelconque  de  l'espace. 

Les  quantités  de  mouvement  que  possèdent,  à  une  époque 
quelconque,  les  divers  éléments  du  corps  sont  assujetties  aux 
mêmes  lois  de  composition  et  de  décomposition  que  les  forces. 
Donc,  si  on  prend  pour  centre  de  réduction  l'origine  des  coor- 
données, les  quantités  de  mouvement  s'y  réduiront  à  une  quan- 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DO  MOUVEMENT  d'cN  COBPS  SOLIDE.    1 53 

tîté  unique  et  à  un  couple  unique*  Construisons  les  équations 
précédentes  comme  il  suit  : 


Fig.  I 


Soient  A  un  point  dont  les  coordonnées  sont  les  composantes 

///"■»§.  f/M-  iïf< 

de  la  quantité  unique  des  quantités  de  mouvement;  et  B,  un 
autre  point  dont  les  coordonnées  sont  les  composants 


dx\ 


du  couple  unique  de  ces  mêmes  quantités  de  mouvement.  Avec 
le  temps,  les  points  A  et  B  se  déplaceront  et  chacun  d'eux  dé- 
crira une  courbe  dans  l'espace  :  le  point  A,  la  courbe  Aa,  et  le 
point  B,  la  courbe  B6. 

De  même,  en  prenant  pour  centre  de  réduction  le  même 
point  0,  toutes  les  forces  motrices  s'y  réduiront  à  une  force 
unique  R  et  à  un  couple  unique  G.  Et  les  équations  différen- 
tielles qui  précèdent  démontrent  le  théorème  suivant  : 


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154  MÉMOIRES. 

Théorème  III.  —  A  chaque  instant  :  1°  la  vitesse  AAi  de  l'ex- 
trémité A  de  la  quantité  unique  des  quantités  de  mouvement  est 
égale,  en  grandeur  et  en  direction,  à  la  force  unique  R  des  forces 
motrices;  2?  la  vitesse  BBi  de  l'extrémité  B  de  Vaxe  du  couple 
unique  de  ces  mêmes  quantités  de  tnouvement  est  égale ,  en  gran- 
deur et  en  direction^  au  couple  unique  G  de  ces  mêmes  forces  mo- 
trices. 

Ce  théorème  unique  est  la  base  de  notre  travail,  et  il  ramène 
à  des  déterminations  de  vitesses  la  recherche  des  équations 
différentielles  du  mouvement  d*un  corps  solide,  libre  ou  gêné, 
sollicité  par  des  forces  quelconques. 


U 


APPLICATIONS 


<"  Rotation  d'un  corps  solide  autour  d'un  axe  fixe. 

Le  corps  ne  pouvant  tourner  qu'autour  de  Taxe  fixe,  chacun 
de  ses  points  décrit  une  circonférence  de  cercle  dont  le  plan 
est  perpendiculaire  à  cet  axe  et  dont  le  centre  est  sur  ce  même 
axe;  en  sorte  que  la  vitesse  de  ce  point  est  perpendiculaire  au 
plan  conduit  suivant  cet  axe  et  ce  point.  Prenons  pour  ori- 
gine des  coordonnées  un  point  quelconque  0  de  cet  axe;  pour 
axe  des  jet,  cet  axe  lui-même,  et  pour  axes  des  x  et  des  y  deux 
droites  quelconques  perpendiculaires  entre  elles  et  situéesdans 
le  plan  perpendiculaire  à  l'axe  fixe  et  passant  par  l'origine  0; 
et  soit  6  l'angle  que  fait,  à  une  époque  quelconque,  la  per- 
pendiculaire abaissée  d'un  point  arbitraire  du  corps  sur  l'axe 
Oz  avec  sa  projection  sur  le  plan  fixe  xOz,  Le  corps  étant  de 
forme  invariable,  tous  ses  points  décrivent,   dans  le  même 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  OU  MOUVEMENT  d'uN  CORPS  SOLIDE.    1 55 

temps,  le  même  angle  B;  ei  x,  y,  a?,  étant  les  coordonnées  de 
l'un  quelconque  d'entre  eux,  les  composantes  -j-,  -hj-t:  d©  '^ 
vitesse  de  ce  point  sont  : 

/jx  dx  dy  dz 

d 
ta  désignant  la  vitesse  angulaire  de  rotation  -n*  Et,  par  suite, 

les  coordonnées  du  centre  de  gravité  du  corps  étant  désignées 
par  Xi,  y^^  z^,  Ton  a  d'abord,  m  étant  la  masse  de  ce  corps, 

(2)  fffdm^=-m.y,,  fffdm^^nu^,,  ffP'^t^''  • 
et  puis, 

C  désignant  le  moment  d'inertie  du  corps  par  rapport  à  Taxe 
fixe. 

Etat  initial  du  corps.  —  Le  corps,  étant  à  l'état  de  repos,  est 
sollicité  par  des  forces  d'impulsion  qui,  en  prenant  pour  centre 
de  réduction  l'origine  des  coordonnées,  se  réduisent  toujours 
à  une  force  unique  d'impulsion  R|  et  à  un  couple  unique  d'im- 
pulsion G<.  Ces  forces,  impuissantes  à  déplacer  le  corps,  com- 
muniquent à  ce  corps  une  vitesse  angulaire  de  rotation  ini- 
tiale «o  autour  de  l'axe  fixe  Oz;  et  à  cet  axe  fixe,  un  ébranlement 
mesuré  par  deux  forces  inconnues ,  R-i,  R^,  appliquées  aux 
points  0  et  H,  et  respectivement  égales  et  contraires  aux  pres- 
sions que  le  choc  communique  à  chacun  de  ces  points. 


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156  MÉMOIRES. 

Et  pour  déterminer  ces  inconnues,  il  suffit  de  rappeler  que 
le  principe  de  d'Alembert  s*appli(iue  aux  forces  d'impulsion  ou 
instantanées;  et  que,  par  suite,  on  a,  d'après  les  équations  (2) 
de  la  première  section,  les  six  équations  : 

2X<  +  X^  +  X  ,  =  — mo»oyi  ,    zY*  +  Y<  +  Yj  =  m«oa?i  , 
2Z1  +Z<  +  Z8  =  o; 

L<  —  YjA  = -^«0 ///5?a?dm ,  M|+Xj|/i=— «o//A!/dm,  N<  =  Cwo  • 

La  dernière  de  ses  six  équations  fait  connaître  «0,  et  les  cinq 
premières,  les  composantes  des  forces  R-i,  Rj  d'ébranlement 
qu'éprouve  l'axe  fixe  pendant  le  choc.  Mais  il  y  a  indétermi- 
nation pour  ces  six  composantes,  puisqu'il  n'y  a  que  cinqéqua- 
tions.  Cette  indétermination  tient  à  ce  que  les  composantes 
Zf,  Z)  de  chacune  de  ces  forces  le  long  de  l'axe  fixe  se  prêtent 
un  mutuel  appui;  en  sorte  que  la  somme  Z|  +  Z^  peut  seule 
être  déterminée. 

État  du  corps  à  une  époque  quelconque.  —  La  position  du 
point  A,  théorème  IIl,  calculée  pour  l'époque  t,  est  déterminée 
par  les  formules  (2);  elle  dépend  donc  de  deux  causes  :  de 
la  vitesse  de  rotation  »  et  des  coordonnées  du  centre  de  gra- 
vité du  corps,  c'est-à-dire  de  la  position  du  corps.  Mais  pen- 
dant l'instant  dt  qui  succède  à  l'époque  t,  la  vitesse»  et  la  po- 
sition du  corps  varient;  donc,  la  première  cause  fait  acquérir 
à  ce  point  A  une  vitesse  dont  les  composantes  sont,  formu- 
les (2). 

d»  da»  _ 

et  la  seconde  cause  communique  à  ce  même  point  A  une  autre 
vitesse  dont  les  cx)mposantes  sont,  formules  (î), 

— m«*x^  ,     —  m«A/|  ,  0  . 

•  Donc,  la  première  partie  du  théorème  III  et  les  trois  pre- 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DU  MOUVEMENT  D*UN  CORPS  SOLIDE.    1 57 

mières  équations  (2)  de  la  première  section  produisent  les  trois 
équations 

(2')      2X  +  X^  +  Xji  =  -my^^^-m^\L^  ,  2Y  +  Y^  +  Yj 

=  mxiij^—myj^iA  ^    2Z  +  Z<  +  Z,  =  0  . 

Les  mêmes  causes  font  varier  la  position  du  point  B;  la  pre- 
mière cause  9  la  variation  de  la  vitesse  de  rotation  m,  fait  ac- 
quérir à  ce  point  une  vitesse  dont  les  composantes ,  formu- 
les (3),  sont 

et  la  seconde  cause,  le  déplacement  du  corps,  fait  acquérir  à  ce 
même  point  B  une  autre  vitesse  dont  les  composantes  se  dédui- 
sent des  formules  (1)  en  y  remplaçant  les  coordonnées  o;^  y^  x, 
par  les  coordonnées  (3)  de  ce  même  point  B  ;  ces  composantes 
sont  donc 

<a^jjjzydm  ,     --oAjJJzxdfn  ,     0  . 

Et,  par  suite,  la  seconde  partie  du  théorème  III  et  les  trois 
dernières  équations  (2)  de  la  première  section  produisent  les 
trois  équations 

(2")      M  +  hX,  =  -^fffzydm-^fJfzxdm 

Les  six  équations  (2'),  (2')  sont  les  six  équations  différen- 
tirlles  de  la  rotation  d'un  corps  solide  autour  d'un  axe  fixe.  Ces 
équations,  la  dernière  étant  intégrée,  font  connaître  à  une  épo- 


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158 


MéllOIRES. 


que  quelconr|ue  t  la  position  e  du  corps  et  rébranlement  qu'é- 
prouve Taxe  fixe. 


2"  Rotation  d'un  corps  solide  autour  d'un  point  fixe. 

Soit  0  le  point  fixe  donné,  faisons  passer  par  ce  point  les 
trois  axes  d'inertie  principaux  du  corps  qui  se  croisent  on  ce 
point.  Ces  axes  appartenant  au  corps  sont  fixes  dans  ce  corps  et 
mobiles  avec  lui 

I 


0 


(0/ 

/■■' 

>f" 

X 


A  toute  époque  t^  la  vitesse  du  corps  autour  d'un  point  fixe 
consiste  en  une  rotation  autour  d'un  axe  01  qui  demeure  fixe 
pendant  la  durée  infiniment  petite  dt^  qui  succède  à  t^  axe  que 
l'on  appelle  pour  cette  raison  aoae  instantané  de  rotation.  Donc  si 
u  désigne  la  distance  à  cet  axe  d'un  point  quelconque  {&  (a?,  y,  z) 
du  corps,  la  vitesse  de  ce  point  est  égale  à  «u,  »  (p,  q,  r)  étant 
la  vitesse  angulaire  autour  de  cet  axe  01.  Et  pour  avoir  les 
composantes  de  cette  vitesse  suivant  les  axes  ox,  oy^  oz,  il 
suffît  d'appliquer  en  ce  point  u  deux  rotations  égales  et  con- 
traires tty  —  ùi  suivant  une  parallèle  à  cet  axe  01. 

En  effet,  les  vitesses  introduites  se  détruisant,  n'amènent 
d'abord  aucune  modification  dans  le  corps;  et  puis,  le  cou- 
ple (ô»,  —  ta)  de  rotations  communique  à  chacun  des  points  du 
corps,  et  par  conséquent  au  point  |a,  une  même  vitesse  mu  per- 
pendiculaire à  son  plan  fiOI  et  de  fnéme  sens  que  la  vitesse 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DU  MOOVEMRNT  D^UN  CORPS  SOLIDE.    1 59 

angulaire  de  ce  point.  Donc,  les  composants  de  ce  couple  coïn- 
cident, en  grandeur  et  en  direction,  avec  les  composantes  de 
la  vitesse  <uu  de  ce  point  (a.  Mais  ce  couple  est  produit  par  la 
rotation  — &>  autour  de  Taxe  passant  par  ce  point  pi  et  parallèle 
à  01;  et  l'on  sait  que  les  rotations  sont  assujetties  aux  mêmes 
lois  décomposition  et  de  décomposition  que  les  forces.  Donc, 
pour  avoir  les  composantes  cherchées,  il  suffit  de  changer,  dans 
les  expressions  types 

j/Z  —  JsY  ,     zX  —  xZ  ,    xY  —  yX  , 

des  composants  du  couple  produit  par  la  force  (X,  Y,  Z),  cha- 
cune deces  dernières  quantités  respectivement  par — p,  — 5, — r. 
Donc,  enfin,  les  composantes  de  la  vitesse  uu  du  point  f^,  sui- 
vant les  axes,  sont 

/-x     dx  dy  dz  r 

(1)     —  =  qz^ry,     ^  =  rx  —  pz,    ^  =  py—qx. 

De  là  il  suit  que  les  coordonnées  du  point  A,  théorème  m, 
sont  respectivement 

fffdmiqz-^ry)  =  m{qz^^ry^)  , 
fffdm{rx^pz)  =  m(rxi^pzi)  , 
///dm{py—qx)  =  fn(py^— ga?0  ; 

et  que  les  coordonnées  du  point  B  sont,  les  axes  étant  d'iner 
tie  principaux, 

A,  B,  C,  désignant  les  moments  d'inertie  principaux  du  corps 
autour  des  axes  respectifs  ax,  oy,  oz. 


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160  MEMOIEBS. 

État  initial  du  corps.  —  Le  corps  est  tiré  de  l'état  de  repos 
par  des  forces  d'impulsion  qui»  en  prenant  pour  centre  de  ré- 
duction Torigine^des  coordonnées,  c'est-à-dire  le  centre  de  ro- 
tation,  se  réduiront  toujours  à  une  force  unique  d'impulsion 
R<,  et  à  un  couple  unique  d'impulsion  G<.  Ces  forces  ne  dépla- 
cent pas  le  corps,  mais  elles  lui  communiquent  une  vitesse  an- 
gulaire initiale  «o  (pof  qoy  ^o)  inconnue  autour  d'un  axe  instan- 
tané de  rotation  ;  et  elles  ébranlent  aussi  le  centre  de  rotation 
avec  une  force  R|  également  inconnue.  Et  pour  déterminer  ces 
inconnues  au  nombre  de  six,  il  suffit  de  rappeler  que  le  prin- 
cipe  de  d'Alembert  s'applique  aux  forces  d'impulsion  ou  ins- 
tantanées; et  que,  par  suite,  les  équations  (3)  de  la  première 
section  produisent  les  six  équations 

Xi  +  2X<  =  m(qzi—rgi) ,  ¥<  +  xY<  =  m(rxi—pzi) ,  Z|  +  xZ^ 
=^fn(pyi  —  qxi); 

L<  =  Apo  ,    M<  =  Bgo  9     N«  =  Oo  : 

qui  déterminent  effectivement  les   six  inconnues,  po»  9o»^0  9 
X^,  Y^,  Z|. 

État  du  corps  à  un  instant  quelconque.  —  Les  causes  qui  font 
varier  la  position  du  point  A  fig.  1,  sont  les  mêmes  que  dans  le 
numéro  2;  elles  sont  au  nombre  de  deux  ;  1®  la  variation  de 
la  vitesse  angulaire  «>;  2^  la  rotation  des  axes  ox,  oy,  oz^  et  par 
suite  du  corps  autour  du  centre  fixe  de  rotation.  La  variation 
de  M,  c'est-à-dire  de  ses  composantes  p,  q,  r,  font  acquérir  au 
point  A  une  vitesse  dont  les  composantes,  suivant  les  axes  ox, 
oy,  oz,  sont,  formules  (2), 

/     dq         dr\  (    dr        dp\  (    dp         dq\ 

""V'^-y^di)'  "^V'j-'^)^  •"Vî'^i-^^dJ' 

et  le  déplacement  des  axes  communique  à  ce  même  point  A  une 
autre  vitesse  dont  les  composantes,  suivant  les  mêmes  axes,  se 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DO  MOUVEMENT  d'uN  CORPS  SOLIDE.    ^  61 

déduisent  des  formules  (1)  eu  y  remplaçant  x,  y,  z^  par  les 
coordonnées  (^)  de  ce  point  A.  Ces  composantes  sont  donc 

^\q{pyi—q^i)—r{rxi—pzin  =  rnl—f^^'^xj^+pipx^+qyi+rzi)} , 

m\r{qzi'^ryi)—p(pyi^qxi)\  =  ml—oflyi'^ipXi+qyi+rzM, 

m\p(rxi—pzi)—q{qzi—ryi)\  =  ml—^tz^+ripxi+qyi+rzM  . 

Donc,  la  première  partie  du  théorème  III  et  les  trois  premiè- 
res équations  (3)  de  la  section  précédente^  produisent  les  trois 
équations 

X^  +  2X  =  mU  jïi-^— j/i^j  ^j^Xi+pipXi-tqVi+rzi^  , 
(3')  Y^  +2Y  =  mj(a?i~^i  J)  -««yi+î(pa?<+g!/i+r^i)j  • 
Z^  +  iZ  =  mU  y^^  — a?i^)  —^%Zi+r(pXi+qyi+rzi)^  . 

Les  mêmes  causes  font  varier  la  position  du  point  B;  la  va- 
riation de  la  vitesse  angulaire  »  fait  acquérir  à  ce  point  une 
vitesse  dont  les  composantes,  suivant  les  axes  ox,  oy,  oz,  sont, 
formules  (3), 

^t'  -s.  4.= 

et  la  seconde  cause,  le  déplacement  de  ces  axes,  communique 
au  même  point  B  une  autre  vitesse  dont  les  composantes,  sui- 
vant ces  mêmes  axes,  se  déduisent  des  formules  (1)  en  y  rem- 
plaçant Xy  y,  z,  par  les  coordonnées  (3)  de  ce  point  B.  Ces 
composantes  sont  donc 

q.Cr  —  r.Bg,       r.Ap  —  p  O,       p.Hq  —  q,Ap  . 
En  sorte  que  la  seconde  partie  du  théorème  III  et  les  trois 

8«  SÉRIE    —  TOME  m,  2.  II 


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462 


MftMOIRBS. 


dernières  équations  (3)  de  la  première  section  donnent  les  trois 
équations 


(3") 


N  =  Cj^-pg(A-B)  . 


Les  six  équations  (30>  (3^^)  sont  les  équations  difTérentielles 
de  la  rotation  d'un  corps  autour  d'un  point  6xe.  Les  trois  pre- 
mières (3')  déterminent  la  résistance  R|  que  doit  offrir  le  cen- 
tre fixe  de  rotation  pour  que  cette  rotation  puisse  s'effectuer, 
quand  on  aura  déterminé  préalablement  ai  et  la  position  du 
corps  à  un  instant  quelconque.  Les  trois  autres  équations  (3*'), 
dès  qu'elles  seront  intégrées,  détermineront  la  position,  dans 
le  corps,  de  l'axe  instantané  de  rotation  et  la  vitesse  »  de  sa 
rotation  autour  de  cet  «axe. 

Mais  une  question  reste  encore  à  résoudre  ;  il  faut  détermi- 
ner la  position  du  corps,  c'est-à-dire  des  axesOoj,  Oy,  Oz,  à  un 
instant  quelconque.  Il  faut  donc  lier  à  ces  trois  dernières  équa- 
tions (3*)  trois  autres  équations  pour  déterminer  les  trois  an- 
gles 4»,  ô,  f ,  rapportés  à  trois  axes  fixes  05,  Oo,  Oç,  passant  par 
le  centre  0  de  rotation. 


/dp 


— ^ 

r 

••< 

nv" 

\:^ 

"N" 


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ÉQUATIONS  DIPPÉaENTIBLLES  DU  MOUTEMBNT  D*UM  CORPS  SOLIDE.    163 

A  cet  effet,  supposons  qu'à  Torigine  du  mouvement  la  partie 
positive  oXy  oy,  oz^  désaxes  d'inertie  principaux  coïncide  avec 
la  partie  positive  des  axes  6xes  dans  l'espace  oS,  od,  oÇ  :  et  fai- 
sons tourner  le  système  mobile  ox^  oy^  oz^  c'est-à-dire  le  corps, 
d'abord  autour  de  l'axe  fixe  o(  de  l'angle  -^  et  dans  le  sens  posi- 
tif de  S  à  V.  La  vitesse  angulaire  acquise  sera-^,  la  portion  po- 
sitive de  l'axe  des  x  sera  sur  oN,  intersection  du  plan  fixe  Çod 
avec  le  plan  mobile  ak)j/  ;  la  partie  positive  des  y  sera  en  oy^^ 
l'angle  tïoy\  étant  égal  à  ip  ;  et  la  partie  positive  des  z  sera  en- 
core sur  oÇ.  En  faisant  tourner  actuellement  le  corps  autour  de 
oN  de  l'angle  6  et  dans  le  sens  positif  de  oy\  à  oC,  la  vitesse  ac- 
quise sera  —,  l'axe  des  y\  montera  au-dessus  du  plan  Sou  de 

l'angle  9;  et  la  partie  positive  de  l'axe  des  z  viendra  en  oz  tel 
que,  angle  Koz  =:  9.  Enfin,  en  faisant  tourner  le  corps  autour 
de  oz  de  l'angle  <p,  dans  le  sens  positif  de  oN  à  oy^^  la  partie 
positive  de  l'axe  des  x  viendra  en  ox  et  la  partie  positive 
de  oy%  viendra  en  oy.  Ces  trois  rotations  positives,  dont  les  vi- 
tesses angulaires  sont  -j^,  —,  ^  respectivement  autour  de  oÇ, 

de  oN  et  de  oz,  produisent  donc  une  position  déterminée  des 
axes  mobiles  ox,  oy,  oz  et  par  suite  du  corps.  Mais  on  obtient 
cette  même  position  du  corps  en  le  faisant  tourner  autour  du 
point  0  avec  la  vitesse  angulaire  m,  ou,  ce  qui  est  la  mém^ 
chose,  en  le  faisant  tourner  successivement  autour  de  ox,  oy^ 
oz  avec  les  composantes  respectives  p,  g,  r  de  la  vitesse  ft>.  Ces 
vitesses    composantes  sont   donc  respectivement  égales  à   la 

somme  des  trois  vitesses  angulaires  ;j7  >  ;77  ,  -j^  estimées  respec- 
tivement suivant  les  directions  ox,  oy,  oz.  On  aura  donc,  en 
observant  que  la  vitesse  -^  peut  être  décomposée  en  deux, 

d^  .  d4»    .  . 

-jjcos  e  suivant  oz  et  -jj  sin  e  suivant  oy^y  les  trois  équations 

suivantes  : 


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46i  MÉMOIRES. 

p  =  ^  sin  0  sin  f  +  ^  cos  f  , 

(3"0  5  =a  T^  sin  e  cos  f  —  -1-  sin  ip  , 

df   ,   d^ 

Ces  trois  équations  différentielles  du  premier  ordre  en  4»,  o,  f 
feront  connaître,  intégrées  qu'elles  soient,  la  valeur  de  chacun 
de  ces  angles,  et  par  consér|uent  la  position  du  corps,  à  une 
époque  quelconque.  Ce  qui  est  la  solution  complète  de  la  ques- 
tion de  la  rotation  d*un  corps  autour  d'un  point  fixe. 

Remarque.  —  En  portant  les  valeurs  de  p,  qf,  r  dans  les  trois 
équations  (3^),  on  obtiendrait  les  trois  équations  différentielles 
du  second  ordre  en  0,  f,  ip,  dont  nous  avons  parlé  dans  la  pre- 
mière section.  Ainsi,  ces  trois  équations  du  second  ordre  se 
trouvent,  par  le  seul  fait  de  cette  méthode,  décomposées  en 
six  équations  différentielles  du  premier  ordre,  les  trois  équa- 
tions (3^)  qui,  intégrées,  déterminent  la  position  de  Taxe  ins- 
tantané, et  par  suite  la  vitesse  de  rotation,  dans  le  corps  ;  et 
les  trois  équations  (3'")  qui,  intégrées,  font  conuciitre  la  posi- 
tion du  corps  à  une  époque  quelconque.  Cette  décomposition 
favorise,  en  général,  l'intégration  et,  par  conséquent,  la  solu- 
tion du  problème  difficile  de  la  rotation  d'un  corps  solide  au- 
tour d'un  point  fixe. 


3*  Mouvement  d^un  corps  libre. 

Le  mouvement  d'un  corps  libre  sollicité  par  des  forces  quel- 
conques, réductibles  dans  tous  les  cas  à  une  force  unique  R  et 
à  un  couple  unique  G,  se  décompose,  première  section,  en 
deux  mouvements  fictifs  qui  font  néanmoins  connaître  le  mou- 
vement réel  ;  l'un  de  translation  produit  par  la  force  unique  R, 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DU  MOnVEMENT  D*DN  CORPS  SOLIDE.    1 65 

l'autre  de  rotation  autour  du  centre  de  gravité,  considéré 
comme  Gxe,  produit  par  le  couple  unique  6. 

Les  équations  différentielles  de  la  translation  étant  déjà  con- 
nues, il  suffit  d'avoir  les  équations  différentielles  de  la  rota- 
tion. A  cet  effet,  il  faut  exprimer  dans  les  neuf  équations  (3'), 
(3^^),  (3'")  que  le  centre  de  rotation  est  le  centre  de  gravité  du 
corps. 

Or,  les  équations  (30  deviennent  identiques,  puisque  Ton  a 
X,  =^y,  =  Zi  =  o;  que  la  réaction  R-j,  est  nulle,  le  corps  étant 
libre;  et  que  la  force  unique  R  produit  la  translation.  Donc, 
les  équations  différentielles  de  la  rotation  d'un  corps  libre  se 
réduisent  aux  six  équations  différentielles  du  premier  or- 
dre (3''),  (3'")>  qui  équivalent  aux  trois  équations  différentiel- 
les du  second  ordre  en  4^,  0,  r  dont  nous  avons  parlé  dans  la 
première  section. 


4°  Rotation  d'un  corps  symétrique  par  rapport  à  un  axe  autour 
de  Vun  de  ses  points. 

Soient  o  (fig.  3),  le  point  fixe  de  Taxe  de  symétrie  qui  fait 
centre  de  rotation,  et  oz  la  position  de  cet  axe  à  une  époque 
quelconque  t.  Le  corps  étant  symétrique  par  rapport  à  oz,  la 
droite  oN,  qui  est  l'intersection  du  plan  fixe  li<m  avec  le  plan 
parallèle  à  l'équateur  du  corps  mené  par  le  point  fixe  o,  cons- 
titue avec  oz  et  la  droite  oy^  perpendiculaire  au  plan  ^oz  un 
système  d'axes  d'inertie  principaux.  On  peut  donc  les  prendre 
pour  axes  des  coordonnées  dont  l'un  seulement  est  fixe  dans  le 
corps,  oz.  Mais  si  l'on  connaît,  à  une  époque  quelconque  (,  la 
position  de  ces  axes,  position  donnée  par  les  angles  ^,  6,  seule- 
ment, il  suffira  de  connaître  la  vitesse  n  propre  du  corps  autour 
de  son  axe  de  symétrie  oz  pour  achever  de  déterminer  la  posi- 
tion de  ce  corps;  puisque  cette  vitesse  n,  intégrée  et  calculée 
pour  cette  époque  «,  fera  connaître  sa  position  autour  de  cet 
axe. 

On  a  donc  pour  les  composantes  p,  q,  r,  de  la  vitesse  de  ro- 


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1 66  MÉMOIRES. 

tation  c»  suivant  ces  nouveaux  axes  d'inertie  principaux  ainsi 
choisis  : 

de  d^   .  .   d*        . 


résultat  que  donnent,  d'ailleurs ,  les  équations  générales  (3'^') 

en  y  faisant  ip  =  a  et  en  observant  que  ^  =  n  • 

Les  composants  y  suivant  les  mêmes  axes,  du  couple  unique 
des  quantités  de  mouvement  effectives  sont  donc 

composants  qui  sont  précisément  les  coordonnées  (fig.  1}  du 
point  B.  Le  théorème  III  prouve  donc  que  la  vitesse  de  ce  point 
est  représentée  à  toute  époque,  en  grandeur  et  en  direction, 
par  le  couple  unique  6  des  forces  motrices  qui  animent  le 
corps. 

Mais  la  vitesse  de  ce  point  B  dépend  de  deux  causes  :  l"*  de  ce 
que  la  vitesse  »  (p,  q,  r)  varie  ;  2®  de  ce  que  les  axes  d*inertie  prin- 
cipaux ON,  oy,  OZ,  se  déplacent  autour  du  point  fixe  0,  dépla- 

M     (je 
cément  produit  par  les  seules  vitesses  jT  >   jI  • 

La  première  cause  fait  acquérir  au  point  B  une  vitesse  dont 
les  composantes  suivant  ces  axes  sont  respectivement 

«••j:               »•  jT  sin  Q                d.  (n+T7  cosO) 
.       o<  .        dt  p  dt  ^ 

^  "dT  '        ^  dt  '         ^  dt  ' 

et  la  seconde  cause  produit,  pour  le  môme  point  B,  les  vitesses 

suivant  les  mêmes  axes,  qz  —  ry,  rx — pZy  py — qx^  dans  les- 

do     c/ili  d-h 

quelles  p,  q,  r,  sont  respectivement  ^  ,  -jj  sin  6 ,  -j^  cos  e  et  a?, 


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ÉQUATIONS  DIFFÉRENTIELLES  DU  MOUVEMENT  d'uN  CORPS  SOLIDE.    1 67 

y  y  z,  respectivement  les  quantités  (1)  :  ce  qui  produit  pour  ces 
vitesses  composantes 

d^  d^ 

(C— A)  ^  sin  e  cos  6  +  Cn^  sin  «  , 

o    . 

En  sorte  que  la  seconde  partie  du  théorème  III,  déjà  rappe- 
lée, donne  immédiatement  les  trois  équations 

A  ^  +  (C— A)  ^  sin  0  cos  ô  +  Cn  —  sin  0  =  I^  , 

d^  dif  do  dB 

(4)     Asine^+(2A-C)^gjC0se-Cn^=Mi  , 

d^ 
a.  (n  +  -77  cos  a) 

« — ^ — "■■ 

L^,  Mj,  N^,  désignant  les  composantes  du  couple  G  suivant  les 
mômes  axes  ON,  oy^,  OZ. 

Ces  trois  équations  différentielles  du  second  ordre  en  4»,  $  et 
du  premier  ordre  en  n  remplacent  avec  avantage  les  trois  équa- 
tions différentielles  du  second  ordre  en  ip,  e,  r,  qu'on  obtiendrait 
en  éliminant  p.  qf,  r,  entre  les  six  équations  différentielles  du 
premier  ordre  (3*'),  (3'")  et  en  y  faisant  B  =  A.  Elles  ont  été 
trouvées  par  H.  Résal. 

Du  reste,  ces  trois  équations  (4)  peuvent  facilement  être  dé- 
duites des  six  équations  générales  (3*'),  (3'")-  En  effet,  Ton  a 
évidemment  (fig.  3)  entre  les  composants  L,  H,  N  du  couple  des 
forces  motrices  6  suivant  les  axes  oo?,  oj/,  oz,  et  les  composants 
L^,  M-i,  N,  du  même  couple  G  suivant  les  nouveaux  axes  ON, 
oy%$  OZ,  les  trois  équations 

L|  =z  L  cos  r  —  M  sin  y  , 
M^  =  L  sin  f  +  M  cos  ^  , 

Ni=N  . 


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168  MÉMOIBES. 

De  là,  il  résulte  que  si  préalablemeDt  on  élimine  p,  q,  r,  en- 
tre les  six  équations  (3^),  (3'^'),  auquel  cas  on  obtient  trois  équa- 
tions différentielles  du  second  ordre  en  ^^  B^  ^  dans  lesquelles 
on  fera  B  =  A  ;  et  si  Ton  multiplie  ensuite  :  1®  la  première  de 
ces  équations  par  cos  r,  la  deuxième  par  —  sin  ip,  la  somme  des 
produite  doit  produire  la  première  des  équations  i;  2^  si  Ton 
multiplie  la  première  de  ces  équations  par  sin  r,  la  deuxième 
par  cos  r,  la  somme  des  produits  doit  donner  la  deuxième  des 
équations  4;  et  qu'enfin  la  troisième  de  ces  mêmes  équations 
n'est  autre  que  la  troisième  de  ces  mômes  équations  4.  C'est, 
en  effet,  ce  que  donne  le  calcul. 


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ÉTUDE   DES  PRINCIPAUX    ORAGES   DE    1880.  169 

ÉTUDE  DES  PRINCIPAUX  ORAGES 

DE    1880 

d'après  les  travaux  des  commissions  météorologiques  DES  BASSES- 
PYRÉNÉES,   DU  GERS  ET  DE  LA  HAUTE-GARONNE 

Par  m.  Ed.  SALLES  0) 


Nous  nous  sommes  proposé  dans  ce  travail  de  déterminer 
la  marche  des  principaux  orages  de  1880  depuis  leur  point  de 
formation  jusqu'à  leur  complet  épuisement.  Cela  n'était  possi- 
ble qu'avec  le  concours  des  commissions  départementales  voi- 
sines de  la  Haute-Garonne.  Celles  des  Basses-Pyrénées,  des 
Hautes-Pyrénées  et  du  Gers  ont  bien  voulu  entrer  en  collabo- 
ration avec  nous.  Grâce  à  elles,  nous  avons  pu  essayer  sur 
quatre  départements  une  étude  qui,  pour  être  complète,  devrait 
embrasser  tout  le  bassin  de  la  Garonne.  C'est,  en  effet,  dans 
l'entière  étendue  de  ce  bassin  que  s'accomplit  presque  tou- 
jours l'évolution  complète  de  la  plupart  de  nos  orages. 

Notre  travail  n'est  qu'un  premier  essai  pour  montrer  le  but 
à  atteindre  et  la  nécessité  de  grouper  toutes  les  observations, 
au  lieu  de  les  diviser  par  départements.  L'interprétation  que 
nous  avons  donnée  aux  faits  observés  dans  quatre  départements 
,  n'a  d'autre  utilité,  pour  le  moment,  que  d'offrir  à  ceux  de  nos 
collègues  qui   nous  ont  communiqué    leurs  observations   un 

(4)  Lu  daos  la  séance  du  %B  juin  4884. 


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470  MÉMOIRES. 

moyen  de  discussion  pour  rectifier  au  besoin  les  opinions  que 
nous  avons  émises  et  surtout  pour  préparer  un  travail  com- 
mun plus  utile  pour  l'avenir. 

Orages  du  i  mai  4880* 

L*état  général  de  l'atmosphère  au  commencement  de  cette 
journée  nous  montre  une  dépression  venue  du  sud-ouest  et 
abordant  les  Pyrénées.  Le  centre  est  en  Espagne,  dans  la  pro- 
vince de  la  Galice,  et  à  la  pression  de  O^jTSS-.  Un  vent  de  sud- 
ouest,  assez  fort,  règne  au  pic  du  Midi  et  le  vent  d'autan  à 
Toulouse. 

Deux  orages  avec  grêle  ont  éclaté  dans  les  Basses-Pyrénées, 
l'un  à  2  h.  30  du  soir,  l'autre  à  3  heures.  Tous  les  deux  ont 
fini  à  6  heures  sur  les  bords  de  l'Adour.  Ces  deux  orages  sont 
sortis  des  gorges  des  Pyrénées  sous  l'influence  du  vent  du  sud- 
ouest  qui  les  a  poussés  dans  la  direction  du  nord-est  jusqu'à 
leur  épuisement  complet. 

Presque  au  même  moment,  c'est-à-dire  entre  4  heure  et 
5  heures,  trois  orages  avec  grêle  ont  éclaté  dans  la  Haute- 
Garonne. 

Les  observations  des  Hautes -Pyrénées  nous  indiquent  un 
orage  avec  grêle  à  Lannemezan  à  1  heure  du  soir  et  un  ciel 
orageux  dans  la  direction  du  pic  du  Midi. 

L'ensemble  de  la  carte  nous  montre  ainsi  deux  zones  d'ora- 
ges qui  ont  franchi  les  Pyrénées,  l'une  à  l'ouest  d'Oloron,  l'au- 
tre entre  le  pic  du  Midi  et  la  Maladetta. 

Nous  extrayons  des  bulletins  les  renseignements  suivants  : 

<  L'orage,  dit  M.  Juncat,  instituteur  à  Saint-Médard,  canton 
<  de  SaintHartory,  s'est  formé  au  sud-ouest;  il  a  d'abord 
c  longé  les  Pyrénées,  puis  le  vent  ayant  changé,  il  a  marché  au 
€  nord -est.  » 

M.  Pégol,  instituteur  à  Montberaud,  canton  de  Cazères,  con- 
firme ce  renseignement  et  ajoute  que  l'orage  a  été  coupé  en 
deux  par  le  vont  du  sud -ouest. 


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ÉTUDE   DES  PRINCIPAUX   ORAGES   DE    1880.  171 

M.  Sénarens,  instituteur  à  Castelnau,  canton  dn  Fousseret, 
a  vu  trois  orages. 

M.  Sarding,  instituteur  à  Saint-Agne,  canton  de  Toulouse,  a 
yu  l'orage  se  partager  en  deux  et  disparaître  au  nord-est  et  au 
sud-est. 

M.  Gabriel,  instituteur  à  Caubiac,  canton  de  Cadours,  con- 
firme ainsi  la  configuration  que  nous  avons  donnée  à  l'orage  du 
nord  du  département  :  <  L'orage  a  passé  sur  Caubiac  se  diri- 

<  géant  de  l'ouest  à  Test,  puis  il  s'est  étendu  vers  le  nord- 

<  ouest  et  l'ouest,  et  enfin  il  est  revenu  avec  plus  d'intensité 
c  sur  Caubiac,  d'où  il  est  allé  se  perdre  au  nord-est.  » 

H.  Houniélou,  instituteur  à  Gornebarieu,  canton  de  Tou- 
louse, signale  l'intensité  extrême  des  éclairs  et  du  tonnerre,  et 
a  remarqué  que  cet  orage  est  resté  presque  immobile.  « 

Orages  du  6  mai. 

La  dépression  qui  a  produit  les  orages  du  i  s'est  déplacée 
vers  le  sud.  Elle  avait,  le  6  au  matin,  son  centre  à  l'extrémité 
méridionale  du  Portugal  avec  une  pression  barométrique  de 
0,755.  Le  vent  de  nord-est  soufflait  au  pic  du  Midi,  et  l'on  avait 
"^à  Toulouse  un  régime  de  vents  variables  très  faibles  de  sud- 
est,  est  et  ouest. 

Trois  orages  ont  éclaté  entre  3  et  6  heures  de  l'après-midi. 
Deux  ont  été  refoulés  vers  le  sud,  de  Muret  à  Cintegabelle  et  de 
risle-en-Dodon  à  Aurîgnac;  un  autre  a  été  refoulé  vers  le 
nord-est,  de  Saint-Gaudens  au  Fousseret.  Cette  marche  indé- 
cise est  justifiée  par  le  régime  des  vents  variables  qui  régnaient 
pendant  cette  journée. 

Orages  du  6  mai. 

La  même  dépression  continuant  de  se  déplacer  dans  la  ré- 
gion de  l'Espagne,  a  porté  son  centre  vers  Barcelone.  Au  pic 
du  Midi  lèvent  soufflait  du  nord-est,  et  à  Toulouse  de  directions 
variables,  particulièrement  du  nord-ouest. 


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172  MÉMOIRES. 

De  nombreux  orages  se  sont  étendus  sur  les  Basses-Pyrénées, 
le  Gers  et  la  Haute-Garonne. 


Orages  du  il  mai. 

Une  double  dépression  venue  du  sud-ouest  avait  abordé  l'Es- 
pagne le  16;  elle  la  couvrait  entièrement  le  17,  le  vent  du 
sud-ouest  régnait  au  sommet  du  pic  du  Midi  et  celui  du  sud- 
est  dans  la  Haute-Garonne. 

Deux  orages  éclatèrent  dans  les  Basses-Pyrénées  et  prirent 
aussitôt  la  direction  du  nord-est;  mais  l'un  d'eux,  le  plus  im- 
portant, fut  rabattu  vers  l'ouest,  et  présenta  dès  lors  cette  sin- 
gulière disposition  de  marcher  en  sens  inverse  d'un  autre  orage 
qu'il  côtoyait. 

Deux  orages  furent  signalés  aussi  dans  la  Haute-Garonne. 
Un  seul  eut  de  l'importance,  mais  il  resta  conGné  dans  les 
montagnes  d'Aspet  sans  pouvoir  entrer  dans  la  vallée  de  la 
Garonne. 

Rien  ne  fut  signalé  dans  le  département  du  Gers. 


Orages  du  iS  mai. 

La  double  dépression  qui  existait  le  17  se  sépara  en  deux 
le  18  :  l'une  porta  son  centre  sur  Florence,  l'autre  sur  Sara- 
gosse.  Notre  région  fut  évidemment  sous  Tinfluence  de  celle-ci. 
Un  vent  assez  fort  de  Test  soufflait  au  pic  du  Midi  depuis  la 
veille.  A  Toulouse  le  vent  fut  insensible  toute  la  journée,  va- 
riant de  sud -est  à  nord  et  nord-ouest. 

Nous  voyons  sur  la  carte  de  ce  jour  un  orage  commencer 
près  d'Orthez  et  tourner  autour  du  plateau  de  Lannemezan 
jusqu'à  Lombez. 

En  môme  temps  doux  autres  orages  apparaissent  à  Pau  et  à 
Toulouse,  et  présentent  ce  caractère  commun  de  n'avoir  eu  au- 
cune ligne  de  propagation  bien  déterminée.  Ce  sont  des  orages 
dans  une  atmosphère  calme. 


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ÉTUDE   DBS   PRINCIPAUX    ORAGBS   DE    1880.  173 


Orages  du  27  mai. 

Ces  orages  ont  été  préparés  par  une  série  de  changements 
atmosphériques  qui  ont  commencé  le  34.  En  effet,  un  centre  de 
hautes  pressions  existait  le  24  sur  la  Méditerranée,  le  baro- 
mètre commençait  à  baisser  sur  le  golfe  de  Gascogne,  et  le  vent 
de  sud-est  faisait  son  apparition  à  Toulouse.  Le  25,  cette  situa- 
tion s'accentua;  un  centre  de  dépression  se  forma  près  de  Bor- 
deaux, et  le  vent  d'autan,  conséquence  de  cejte  différence  de 
pression  sur  la  Méditerranée  et  TOcéan,  devint  fort  dans  la 
vallée  de  la  Garonne.  Cela  se  continua  le  26.  Pendant  tout  ce 
temps,  le  vent  du  pic  du  Midi  était  variable. 

Le  27,  à  sept  heures  du  matin,  les  centres  de  pression  et  de 
dépression  s'étaient  éloignés  :  le  premier  était  à  Alger,  et  le 
second  à  Londres.  Lèvent  d'autan  était  devenu  presque  insen- 
sible quoique  persistant  à  Toulouse.  Mais  le  sud -ouest  souf- 
flait au  pic  du  Midi;  c'est  presque  toujours  le  signe  précurseur 
des  orages. 

Nous  en  voyons  deux  aussitôt  dans  les  Basses-Pyrénées  et 
deux  dans  la  Haute-Garonne.  Le  Gers  n'en  a  signalé  aucun. 
Les  observations  ont  manqué  dans  les  Hautes-Pyrénées. 

Le  lendemain  28,  la  différence  des  pressions  s'établissait  en 
sens  inverse;  les  plus  fortes  étaient  sur  l'Océan  et  les  plus  fai- 
bles dans  le  golfe  du  Lion.  Aussi  le  vent  de  nord-ouest  avait-il 
succédé  au  vent  d'autan  dans  la  vallée  de  la  Garonne. 

Orages  du  9  juin. 

L'état  général  de  l'atmosphère  accusait  une  baisse  baromé- 
trique depuis  le  8  au  matin;  le  vent  du  sud-ouest  régnait  au 
pic  du  Midi  depuis  le  8  au  soir,  et  ie  vent  d'autan  à  Toulouse 
depuis  la  matinée  du  9. 

Cette  journée  a  couvert  d'orages  les  départements  des  Basses- 
Pyrénées,  du  Gers  et  de  la  Haute-Garonne.  Mais  au  lieu  de 
quelques  orages  ayant  de  longs  parcours  dans  des    directions 


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474  MÉMOIRES. 

déterminées,  le  relevé  des  observations  faites  dans  les  trois  dé- 
partements nous  donne  un  grand  nombre  de  centres  isolés  qui 
semblent  s'être  formés  sans  avoir  aucun  lien  entre  eux,  «t  qui 
se  sont  développés  ensuite,  chacun  de  leur  côté,  soit  en  don- 
nant naissance  à  une  zone  orageuse  plus  ou  moins  allongée,  soit 
en  se  dilatant  en  tout  sens,  mais  avec  d'inégales  intensités. 

Ces  formes  de  courbes  horaires  résultent  si  naturellement 
de^  observations,  que  nous  n'avons  pas  hésité  à  les  reproduire 
sur  notre  carte.  L'avenir  montrera  ce  qu'elles  ont  de  réel. 
Nous  avons  cru  nécessaire  de  rapporter  aussi  sur  la  carte  les 
heures  observées^  afin  de  rendre  plus  facile  la  discussion  de 
ce  résultat. 

Nous  ferons  remarquer,  en  outre,  que  les  orages  du  Gers 
sont  signalés  comme  ayant  été  très  nuisibles  aux  récoltes,  non 
seulement  par  la  grêle,  mais  surtout  aussi  par  la  violence  du 
vent.  Voici  ce  que  rapporte  à  cet  égard  M.  Sarrat,  instituteur 
à  Aurimont,  canton  deSaramon,  arrondissement d'Auch  :  «La 
c  vitesse  des  nuages  était  très  rapide  dans  le  sens  de  l'est  à 
c  l'ouest  d'abord,  et  une  demi-heure  après  du  sud  au  nord, 
c  La  pluie  a  été  bienfaisante,  mais  le  grand  vent  qui  Taccompa- 
«  gnait  a  brisé  beaucoup  d'arbres  fruitiers  et  enlevé  une  quan- 
c  tité  considérable  de  pampres.  Cet  orage  et  le  vent  qui  i'ae- 
(  compagnait  n'ont  pas  dépassé  Samatan;  il  n'est  pas  tombé 
•  une  goutte  d'eau  sur  la  rive  droite  de  la  Save.  • 

Cette  observation  se  concilie  avec  l'idée  d'un  tourbillon  local 
très  limité  comme  nous  l'avons  indiqué  sur  la  carte.  L'antago« 
nisme  et  la  brusque  variation  des  vents  qui  a  dû  résulter  de 
la  coexistence  de  plusieurs  tourbillons  locaux,  expliqueraient 
les  effets  désastreux  qui  ont  été  produits. 

Les  orages  des  Basses-Pyrénées  et  de  la  Haute-Garonne  ont 
un  caractère  tout  différent.  Les  premiers  sont  évidemment  sor- 
tis des  gorges  des  Pyrénées  sous  l'influence  du  vent  du  sud- 
ouest.  Les  seconds  sont  le  résultat  de  la  coexistence  du  vent  du 
sud-est  dans  les  régions  élevées  et  du  vent  du  sud-est  dans  la 
vallée  de  la  Garonne.  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  signalé 
l'année  dernière,  en  parlant  des  orages  de  1879,  il  se  produit 
en  pareil  cas  un  refoulement  des  orages  qui  étaient  destinés  à 


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ÉTODB   DBS   PRINCIPAUX   ORAGES   DE    1880.  475 

se  propager  vers  l'est  et  qui  sont  retenus  sur  place  ou  disper- 
sés par  le  vent  du  sud-est.  C'est,  eu  effet,  ce  qui  a  eu  lieu  le 
9  juin  jusqu'à  6  heures  du  soir;  mais  alors  le  vent  d'autan  a 
cessé  dans  la  vallée  de  la  Garonne,  et  l'orage  qui  avait  été 
repoussé  jusqu'au-delà  de  Lectoure  est  reparti  en  sens  inverse 
poussé  par  le  vent  du  nord-ouest. 

Orages  du  9  juillet. 

La  situation  générale  de  l'atmosphère  accuse  une  perturba- 
tion le  7  de  ce  mois.  En  effet,  le  baromètre  se  trouve  fortement 
en  baisse  dès  7  heures  du  matin  sur  tout  le  versant  de  l'Océan 
et  de  la  Manche.  Ce  mouvement  continue  le  8  et  jusque  dans 
l'après-midi  du  9. 

Le  pic  du  Midi  n'a  pas  fourni  d'observation  pendant  ces  trois 
jours. 

A  Toulouse  nous  avons  eu  quelques  heures  de  vent  sud-sud- 
est  très  faible  pendant  la  journée  du  7,  qui  s'est  passée  sans 
orages;  le  9,  ce  môme  vent  a  reparu  vers  8  heures  du  matin  et 
a  soufflé  avec  un  peu  plus  d'intensité  et  de  durée.  Les  orages 
sont  arrivés. 

La  carte  de  ce  jour  en  signale  cinq,  dans  le  Gers  et  la  Haute- 
Garonne,  ayant  chacun  leur  centre  qui  est  aussi  leur  point  de 
départ  d'où  ils  ont  rayonné  dans  diverses  directions.  Elle  signale 
aussi  deux  points  isolés  qui  apparaissent  comme  des  orages 
avortés. 

Nous  avons  déjà  appelé  l'attention  sur  ces  types  d'orages  en 
forme  sphérique.  Nous  nous  bornons  à  remarquer  que  leur  re- 
production sur  d'autres  points,  d'après  des  observateurs  diffé- 
rents des  premiers  et  qui  ne  pouvaient  avoir  aucune  idée  du 
résultat  possible  de  leur  travail,  en  confirme  l'exactitude. 

Les  remarques  faites  dans  le  Gers  par  plusieurs  de  ces  obser- 
vateurs justifient  certaines  appréciations  qui  pourraient  paraî- 
tre arbitraires  au  premier  abord.  Voici ,  par  exemple,  au  sujet 
de  l'orage  qui  a  son  centre  près  d'Auch,  ce  que  dit  l'instituteur 
de  Saint-Antonin  ,  canton  de  Hauvesin  :  c  L'orage  a  pris  nais- 
i  sance  au  zénith.  Un  violent  coup  de  tonnerre  a  eu  lieu,  et  la 


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176  HéMOlBES. 

c  foudre  est  tombée  à  quelque  distance.  L'orage  s'est  ensuite 
c  divisé  en  deux,  l'un  a  disparu  vers  l'est  et  l'autre  vers 
t  l'ouest.  » 

Au  sujet  de  la  région  de  Lombez,  que  nous  avons  laissée  dans 
l'indécision,  parce  que  les  heures  d'orage  y  présentent  un  en- 
chevêtrement inextricable  résultant  évidemment  du  croisement 
de  plusieurs  orages ,  l'instituteur  de  Saint-Lizier-du-Planté , 
'  canton  de  Lombez,  nous  dit  qu'au  début  de  l'orage,  à  6  heures 
du  soir,  un  vent  violent  soufflait  du  sud  au  nord,  et  qu'il  a 
passé  ensuite  à  Touest.  L'instituteur  de  Montadet,  canton  de 
Lombez,  signale  aussi  que  vers  la  fin  de  l'orage  le  vent  a  passé 
à  une  direction  diamétralement  opposée,  et  a  probablement 
ramené  une  partie  des  nuages  déjà  passés.  La  carte  signale 
d'ailleurs  qu'il  y  avait  dans  cette  région  un  point  de  concours 
de  trois  orages  et  que ,  par  suite,  on  ne  doit  pas  être  surpris 
d'y  trouver  des  phénomènes  compliqués  et  irréguliers. 

Dans  la  Haute-Garonne  nous  trouvons  trois  orages  bien  dis- 
tincts :  l'un  remonte  la  vallée  de  la  Garonne,  de  Montréjeau  à 
Saint-Béat,  le  second  a  son  centre  d'action  vers  Aurignac,  et 
le  troisième  fait  son  apparition  à  Muret. 

La  séparation  des  deux  derniers  est  attestée  par  M.  Bruet, 
instituteur  à  Rebigue,  canton  de  Castanet,  qui  s'est  trouve 
précisément  dans  la  zone  de  séparation.  Voici  textuellement  ce 
qu'il  dit  :  c  Vers  4  heures  15,  un  orage  semble  frapper  la  vallée 
c  de  l'Ariège.  Il  descend  jusqu'au  confluent  dans  la  Graronne 
c  et  puis  atteint  la  région  toulousaine..  Vers  les  6  heures ,  un 
c  second  orage  partant  de  la  vallée  de  l'Ariège  marche  parallè- 
f  ment  au  premier  et  semble  prendre  son  chemin  vers  Mont- 
c  giscard  et  la  vallée  de  l'Hers.  Rebigue,  placé  entre  les  deux , 
c  n'a  été  affecté  par  aucun  et  n'a  reçu  que  quelques  grosses 
c  gouttes  de  pluie.  > 

D'autres  orages  ont  traversé  les  départements  du  Gers  et  de 
la  Haute-Garonne  pendant  la  nuit,  formant  un  prolongement 
de  ceux  que  nous  venons  de  signaler. 

Orages  du  4  9  juillet. 
La  situation  générale  commence  à  se  troubler  le  17  de  cr 


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ÉTODB   DBS   PRINCIAOX   ORAGES   DE   1880.  177 

mois;  une  dépression  se  fait  sentir  au  nord  du  golfe  de  Gas- 
cogne ;  le  18  elle  se  déplace  vers  le  sud,  et  le  19  elle  atteint  le 
fond  du  golfe.  Au  pic  du  Midi*le  vent  soufflait  fortement  du 
sud-ouest  le  17,  se  modérait  le  18  et  puis  passait  à  l'ouest  en 
prenant  une  intensité  croissante  jusqu'au  19.  Pendant  ce  t^OQps 
le  vent  était  variable  à  Toulouse,  mais  il  arriva  au  sud-sud-est 
le  19,  vers  8  heures  du  matin,  et  s'y  maintint  toute  la  journée 
jusqu'au  moment  des  orages. 

Nous  en  trouvons  dans  la  soirée  de  ce  jour  cinq  dans  le 
déparlement  du  Gers  et  deux  dans  la  région  nord  de  la  Haute- 
Garonne.  Ceux  du  Gers  sont  peu  développés,  mais  celui  qui  se 
trouve  dans  le  voisinage  de  Mauvesin,  Cologne  et  Cadours 
présente  des  phénomènes  électriques  d'une  très  grande  inten- 
sité. La  foudre  est  tombée  sîir  le  clocher  d'Augnac,  et  l'a  très 
fortement  endommagé.  M.  Sasie,  instituteur  communal,  nous  dit 
que  les  éclairs  très  multipliés  avaient  un  aspect  effrayant.  Le 
tonnerre,  d'abord  sourd,  est  devenu  très  fort  à  6  heures.  Cette 
dernière  observation  nous  fait  supposer  que  le  moment  du 
début  noté  à  5  heures,  lorsque  le  grondement  était  sourd  et 
lointain,  doit  être  reporté  à  6  heures  à  l'instant  où  le  clocher 
était  foudroyé.  Par  cette  correction  on  fait  disparaître  l'ano- 
malie que  présente  l'heure  du  début  de  l'orage  indiquée  par 
l'observation  d'Augnac.  Dans  la  commune  contiguë  à  Saint- 
Antonin ,  M.  l'instituteur  Pujos  signale  aussi  des  chutes  de 
foudre  sur  plusieurs  points  du  voisinage,  des  éclairs  très  vifs 
et  un  tonnerre  très  fort.  Nous  retenons  de  tous  ces  détails 
qu'il  y  avait  là  un  centre  électrique  d'une  grande  intensité  qui 
a  été  promptement  neutralisé  par  plusieurs  décharges  succes- 
sives et  qui  n'a  pu  rayonner  à  grande  distance.  C'est  à  Cadours 
même  que  nous  trouvons  le  commencement  d'une  autre  zone 
d'orages.  On  la  voit  sur  la  carte  formant  dans  la  Haute- Garonne 
trois  petits  groupes  distincts  et  bien  délimités.  Les  observateurs 
placés  en  dehors  de  ces  trois  centres  d'action ,  au  nord ,  au 
sud  et  dans  l'intervalle  des  groupes,  principalement  à  Saint- 
Sauveur,  canton  de  Fronton,  les  ont  parfaitement  vus  et  dé- 
finis. On  en  jugera  par  les  renseigaemciUs  suivants  que  nous 
ont  transmis  plusieurs  d'entre  eux  : 

8«  SÉBISl  —  TOME  III,  2.  1^ 


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178  HÉMoiass. 

Observation  de  M.  Sardîng,  à  Ramonville-Saint-Agne  :  «  L*o- 
'  c  rage  n'a  pas  passé  sur  la  commune,  on  l'entendait  dans  le 
t  lointain;  les  éclairs  se  succédaient  sans  interruption.  La 
c  température  avait  été  étouffante  pendant  la  journée  ;  dans  la 
c  njatinée  il  faisait  temps  couvert ,  le  soleil  a  paru  à  8  b.  t/2  ; 
<  le  vent  d'autan  a  soufflé  toute  la  journée.  > 

M.  MarignaCy  à  Aussonne  :  c  L'orage  s'est  formé  sur  la  forêt 
c  de  Bouconne  et  a  suivi  la  vallée  de  la  Save.  Tl  paraissait 
c  très  menaçant ,  les  éclairs  étaient  continus  vers  le  nord  et  le 
c  nord-est.  t 

M.  Lavalette,  à  Lespinasse  :  t  Le  tonnerre  a  grondé  pen- 
c  dant  une  heure  à  l'ouest ,  et  l'orage  a  été  retenu  dans  cette 
c  direction  par  un  faible  vent  d*autan.  Mais  le  vent  d'ouest 
c  ayant  pris  le  dessus  vers  la  fin  de  la  journée ,  l'orage  s'est 
c  déplacé  rapidement  et  s'est  dirigé  vers  l'est.  » 

H.  Gabrielle,  à  Gaubiac,  au  point  môme  où  l'orage  a  com- 
mencé, donne  les  renseignements  suivants  :  c  Nuages  disposés 
f  par  bandes  parallèles  stratifiées  du  sud-ouest  au  nord-ouest, 
€  orage  très  rapproché  de  terre,  très  forts  éclairs  et  très  forts 
c  coups  de  tonnerre  presque  simultanés  et  non  interrompus.  > 
M.  Rigal ,  à  Ondes  :  «  L'orage  est  arrivé  avec  une  excessive 
c  rapidité  et  un  aspect  des  plus  menaçants;  heureusement  la 
c  grêle  a  été  a)élée  de  beaucoup  de  pluie.  • 

H.  Lapujade,  à  Saint-Sauveur  :  c  L'orage  n'a  pas  passé  sur 
•  notre  commune.  En  arrivant  sur  les  bords  de  la  Garonne  à 
€  9  h.  30',  il  s'est  divisé  en  deux  parties  se  dirigeant^  l'une 
t  vers  le  nord-est  et  l'autre  vers  le  sud-est.  • 

M.  Bosc,  à  Castéra  (canton  de  Cadours)  :  t  Cet  orage,  bien  que 
tt  très  fort  et  très  voisin,  n'a  pas  passé  sur  notre  commune.  Il 
€  a  été  refoulé  au  nord,  sur  Cadours,  par  le  vent  de  l'est.  » 

H  résulte  de  tous  ces  renseignements,  joints  aux  données  or- 
dinaires de  chaque  poste  d'observation,  que  la  marche  indiquée 
sur  notre  carte  est  bien  justifiée.  L'orage  s'est  formé  sur  le  sol 
de  la  Haute-Garonne.  Ses  éléments  constitutifs  lui  sont  venus 
d'ailleurs  sans  doute,  mais  ils  n'ont  pris  leur  forme  complète 
et  définitive  qu'en  entrant  dans  la  vallée  de  la  Garonne,  et  cela 
n'est  pas  arrivé  par  une  coïncidenco  fortuite,  car  cette  partie 


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ÉTDDB   DKS   PRINCIPAUX   ORAGES   DE   1880.  179 

de  la  vallée  est  déjà  connue  comme  un  lieu  de  prédilection  pour 
les  orages,  ce  qui  prouve  qu'il  y  a  des  circonstances  favorables 
à  leur  éclosion  ou  à  leur  développement. 

Orages  du  iO  juillet. 

La  faible  dépression  qui  était  le  19  vers  le  fond  du  golfe 
de  Gascogne,  s'est  déplacée  vers  le  nord  et  a  porté  son  centre 
dans  la  région  du  Puy-de-Dôme,  le  20  juillet.  Le  pic  du  Midi 
était  au  vent  du  sud -ouest.  Toulouse  avait  un  régime  de  vents 
faibles  de  sud-est  alternant  avec  'des  vents  d'ouest. 

I^  carte  de  ce  jour  montre  que  les  orages  ainsi  formés  sous 
l'influence  d'une  très  faible  dépression,  peuvent  être  très-con- 
sidérables en  étendue  et  en  intensité,  et  que  d'ailleurs  ils  affec- 
tent les  mômes  dispositions  générales  que  les  orages  nés  dans 
les  circonstances  ordinaires  et  avec  de  fortes  dépressions. 

Il  y  a  eu,  en  effet,  des  orages  dans  les  départements  des  Bas- 
ses-Pyrénées, du  Gers  et  de  la  Haute-Garonne.  Ils  ont  com- 
mencé en  môme  temps,  à  2  h.  30'  du  soir,  dans  les  Basses- 
Pyrénées  et  dans  la  Haute-Garonne,  et  un  peu  plus  tard  dans 
le  Gers. 

Leur  marche  dans  les  trois  départements  a  été  très  analogue 
à  celle  que  nous  avons  déjà  constatée  le  9  juin.  Dans  les  Basses- 
Pyrénées,  nous  la  voyons  commencer  à  l'issue  des  vallées  de 
Mauléon  et  d'Oloron  et  se  diriger  ensuite  vers  l'est.  Dans  le  Gers 
nous  voyons  de  nombreux  centres  d'orages  qui  se  dilatent  iné- 
galement et  se  développent  sans  se  rejoindre  ni  se  confondre. 
Enfin,  dans  la  Haute-Garonne,  nous  trouvons  trois  groupes 
d'orages  qui  ont  leur  point  de  départ  sur  Montréjeau,  l'Isle-en- 
Dodon  et  Cadours.  L'orage  de  l'Isle-en-Dodon  présente,  comme 
à  l'ordinaire,  une  perturbation  remarquable  à  la  rencontre  des 
montagnes  d'Ausseing,  près  de  Saint- Martory.  Arrêté  là  dans 
sa  marche  vers  l'est,  il  se  partage  en  deux  parties,  l'une  dans 
la  vallée  de  la  Garonne,  l'autre  dans  celle  du  Salât.  Le  centre 
qui  s'est  formé  à  Cadours  semble  s'ôtre  acheminé  d'abord  vers 
l'est  depuis  2  h.  30'  jusqu'à  6  heures  du  soir,  et  puis  s'ôtre 
replié  smr  lui-môme  irrégulièrement,  ou  avoir  été  suivi  d'un 


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480  MÉMOIEES. 

autre  orage  formé  de  la  môme  manière,  car  on  trouve  dans 
cette  région  un  assemblage  d'observations  impossibles  à  coor- 
donner comme  à  Tordinaire.  Les  indications  données  sur  notre 
carte  du  20  sont  conBrmées  par  les  renseignements  suivants  : 

M.  Sarding,  instituteur  à  Saint-Agne,  près  de  Toulouse,  a 
constaté  que  l'orage  n'est  pas  passé  sur  sa  commune.  «  Le  ciel, 
c  dit-il,  s'est  couvert  à  3  heures  environ;  le  tonnerre  a  grondé 
•  à  3  h.  40'  vers  l'ouest,  puis  au  sud-ouest  jusqu'à  4  h.  15'. 
€  Toutefois,  les  nuages  continuaient  de  marcher  lentement 
t  vers  le  sud-est  lorsque,  vers  les  5  h.  40',  le  tonnerre  a 
«  recommencé  vers  l'ouest  en  se  rapprochant  peu  à  peu,  et  il 
€  n'a  pas  cessé  jusqu'à  8  h.  15'.  L'orage  a  disparu  au  sud- est 
<  sans  pluie  à  Saint- Agne.  > 

M.  Baient,  instituteur  à  Pouvourville,  près  de  Toulouse,  t  a 
t  aussi  vu,  à  4  h.  10',  un  orage  passer  du  nord  à  lest  de  Tou- 
c  louse.  A  6  heures  du  soir,  il  a  noté  un  autre  orage  venant  du 
c  sud -ouest  et  allant  au  sud-est  sans  atteindre  sa  commune, 
c  et  enfin  un  troisième  orage  à  7  h.  40'  du  soir,  qui  s'est  éloigné 
t  par  le  nord,  tandis  que  le  précédent  disparaissait  au  sud- 
c  est.  » 

Ces  témoignages  montrentque  l'intervalle  compris  entre  Tou- 
louse et  Castanet  a  été  exempt  de  tout  orage,  et  que  de  là  on 
a  très-nettement  distingué  ceux  qui  sont  passés  au  nord  et  au 
sud  successivement. 

Orages  du  21  juillet. 

La  situation  générale,  au  commencement  de  la  journée  du  21  » 
était  la  même  que  la  veille.  La  dépression  au  nord  de  Toulouse 
s'était  un  peu  plus  éloignée;  le  vent  de  sud-est  avait  cessé  dans 
la  vallée  de  la  Garonne,  tandis  qu'au  pic  du  Midi  le  vent  du 
sud -ouest  soufflait  encore  par  intervalles.  Un  groupe  d'orages, 
commençant  à  trois  heures  du  soir  et  finissant  vers  huit  heures, 
a  couvert  le  département  de  la  Haute-Garonne  et  la  moitié 
voisine  du  département  du  Gers.  Le  reste  de  ce  département  et 
la  totalité  de  celui  des  Hautes-Pyrénées  ont  joui  d'un  complète 
immunité.  Néanmoins,  on  doit  remarquer  que  dans  les  parties 


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ÉTCDB   DBS   PRINCIPAUX   ORAGES   DE    4880.  181 

atteintes,  la  disposition  des  courbes  horaires  est  fort  analogue 
à  celle  que  nous  avons  donnée  pour  Torage  du  ?0.  Dans  le 
département  du  Gers,  nous  avons  plusieurs  centres  orageux  qui 
se  développent  isolément  en  se  dilatant  par  surfaces  concen- 
triques. Dans  la  Haute-Garonne,  trois  centres  d'action  :  sur  la 
vallée  de  la  Pique,  sur  la  région  de  Boulogne  à  Aurignac  et  sur 
celle  de  Cadours.  On  remarquera,  dans  la  seconde,  la  disloca- 
tion ordinaire  des  courbes  du  voisinage  de  la  montagne  d'Aus- 
seing. 

M.  Baient,  instituteur  à  Pouvourville,  vers  le  sommet  que 
présente  la  courbe  horaire  de  4  heures  au  sud  de  Toulouse, 
a  consigné  une  observation  importante.  Il  nous  dit  que  Torage 
qui  l'a  atteint  à  4  h.  10'  c  était  sans  base  à  l'horizon,  qu'il  a 
«  éclaté  en  l'air,  et  s'est  dirigé  vers  le  nord-est  et  l'est,  sansdé- 
•  verser  une  goutte  d'eau  sur  la  commune  de  Pouvourville.  • 
Cette  observation  a  été  faite  à  la  pointe  où  venait  finir  l'orage  du 
sud-ouest,  tandis  qu'au  même  instant  et  au  même  lieu,  l'orage 
du  nord-ouest  s'y  reformait  après  s'être  dissipé  au-dessus  de 
Toulouse. 

Orages  du  5  août. 

Pendant  la  journée  du  5  août  et  pendant  une  partie  de  la 
nuit  suivante,  le  vent  du  sud-ouest  n'a  pas  cessé  de  souffler  au 
pic  du  Midi.  A  Toulouse,  un  fort  vent  d'autan  a  régné  toute  la 
journée  jusqu'après  4  heures  du  soir,  (/est  sous  cette  double 
influence  que  se  sont  formés  les  orages  indiqués  dans  la  carte 
de  cette  journée.  Ceux  des  Basses-Pyrénées  sont  apparus,  comme 
à  l'ordinaire,  à  l'issue  des  vallées  de  Mauléon  et  d'Oloron,  et 
puis  se  sont  dissipés  rapidement. 

Le  département  du  Gers  ne  s'est  signalé  que  par  deux  points 
orageux  près  d'Auch  et  de  Lecloure. 

Le  département  de  la  Haute-Garonne  a  été  seul  fortement 
atteint.  On  y  voit  ce  qui  a  été  déjà  signalé  précédemment  dans 
le  Gers  :  de  nombreux  orages  locaux  procédant  de  centres  isolés 
et  se  développant  chacun  de  leur  côté. 

Parmi  les  renseignements  fournis  par  les  observateurs  locaux, 
nous  remarquons  les  suivants  : 


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482  MÉMOIRES. 

M.  Sardîng,  instituteur  à  Ramonville-Saint-Agne,  s*exprime 
ainsi  :  <  'L'orage  s'est  fait  pressentir  dès  le  matin.  Au  début,  les 
t  nuages  marchaient  du  sud-ouest  au  nord-est ,  puis  de 
c  l'ouest  à  Test;  un  moment  après  ils  semblaient  tourbillonner, 
c  aller  du  sud  au  nord  et  ensuite  du  nord-ouest  au  sud-est. 
€  L'orage  s'amassait  la  veille  sur  les  Pyrénées,  refoulé  par  le 
c  vent  d'autan.  » 

M.  Magnas,  instituteur  à  Castagnac,  canton  de  Montesquieu, 
dit  que  «l'orage  s'est  formé  après  un  grand  vent  d'autan,  que 
f  tout  l'horizon  était  couvert  de  nuages  noirs  et  très-épais,  et 
c  que  le  tonnerre  grondait  dans  toutes  les  directions.  • 

A  Cier-de-Luchon  M.  Dabos,  instituteur,  a  remarqué  deux 
couches  de  nuages,  celle  de  dessus  cheminant  du  sud  au  nord, 
et  celle  de  dessous  en  sens  inverse,  du  nord  au  sud  ;  notre 
carte  indiquant  que  l'orage  a  marché  du  nord  au  sud,  nous  en 
devons  conclure  que  son  explosion  était  déterminée  par  l'arrivée 
du  nuage  inférieur. 

A  Saint-Lizier-du-Planté,  près  de  Lombez  (Gers),  M.  l'insti- 
tuteur Comparés  a  remarqué  dans  son  observation,  faite  à 
3  h.  45',  c  qu'il  y  a  eu  dans  le  courant  de  la  journée  du 
t  S  août  plusieurs  orages  venus  coup  sur  coup,  immédiatement 
c  les  uns  à  la  suite  des  autres;  le  vent  a  constamment  soufQé 
c  dans  la  direction  d'est  à  ouest.  » 

Orages  du  23  août. 

Le  21  août  une  dépression  s'est  montrée  sur  tout  le  golfe  de 
Gascogne,  le  22  elle  s'est  concentrée  dans  la  partie  méridionale, 
enfin,  le  23,  elle  s'est  de  nouveau  étendue  au  nord,  mais  en 
faisant  une  inflexion  vers  la  Méditerranée. 

Le  vent  du  sud-ouest  a  soufflé  tout  ce  temps  au  pic  du  Midi; 
il  était  devenu  violent  dans  la  matinée  du  23. 

A  Toulouse  on  a  eu  vent  variable  le  21  et  le  22.  Dans  la 
matinée  du  23  le  vent  du  sud-ouest  était  à  peine  sensible. 
L'autan  commença  vers  huit  heures  et  dura  jusqu'à  2  heures 
du  soir. 

Dans  ces  conditions,  la  journée  du  23  a  été  très  orageuse 


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ÉTUDE   DES   PRINCIPAUX   ORAGES   DE    1880.  483 

dans  les  départements  des  Hautes-Pyrénées;  du  Gers  et  de  la 
Haute-Garonne. 

La  carte  montre  qu'il  y  a  eu  dans  cette  étendue  un  nombre 
considérable  de  centres  orageux  qui  se  sont  formés  vers  11  h. 
du  matin  et  se  sont  développés  isolément  dans  un  rayon  plus  ou 
moins  étendu. 

Quoique  très  restreints  en  superficie,  ces  orages  ont,  en  gé- 
néral, présenté  des  caractères  d'une  extrême  violence.  Pour  le 
prouver,  nous  allons  citer  les  remarques  de  quelques-uns  de  nos 
observateurs. 

M.  Castéran,  de  Montsaunés,  canton  de  Salies,  signale  que 
l'orage  dont  le  centre  était  entre  Aurignac  et  le  Fousseret  s'est 
formé  très  rapidement. 

M.  Barrère,  de  Sabeillan,  canton  de  Lombez,  a  été  frappé 
du  même  foit  dans  la  région  comprise  entre  Lombez  et  Mas- 
seube. 

M.  Pégot  a  observé  à  Montberaud,  canton  de  Cazères,  que 
le  vent  était  très  variable  avant  l'orage,  qu'ensuite  le  vent 
d'ouest  a  soufflé  en  tempête.  L'aspect  de  l'orage  était  des  plus 
menaçants  ;  jamais,  dit-il,  on  n'avait  vu  des  cumulus  plus  noirs 
et  plus  volumineux.  Sur  certains  points,  on  voyait  se  détacher 
de  ces  nuages  des  brouillards  gris-cendré  qui  semblaient  raser 
la  terre  en  tourbillonnant  avec  une  grande  rapidité.  Comme 
nous  l'avons  remarqué  dans  d'autres  cas,  cet  orage,  arrivé  au 
massif  d'Ausseing  qui  limite  la  vallée  du  Salât,  s'est  divisé  en 
deux. 

M.  Ségur,  à  Lanta,  a  constaté  d'abord  un  ouragan  de  vent, 
puis  des  éclairs  à  chaque  minute  et  un  tonnerre  continuel  pen- 
dant près  d'une  demi-heure. 

A  Ramonville-Saint-Agne,  M.  Sarding  a  vu  l'orage  arriver 
avec  une  extrême  rapidité.  Le  tonnerre  était  violent  et  les 
éclairs  éblouissants.  La  foudre  est  tombée  à  Castanet,  à  Tou- 
louse et  à  Seysses. 

Observé  par  M.  Bruel  à  Rebigue,  canton  de  Castanet,  l'orage 
semblait  devoir  remonter  la  vallée  de  TAriège.  On  voyait  degros 
nuages  formant  la  pointe  d'un  triangle  qui  avançait  dans  cette 
direction.  Ils  étaient  contrariés  dans  leur  marche  par  un  léger 


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484  MéMOIBES. 

vent  d'autan  qui  les  refoulait  en  sens  contraire.  Après  un 
moment  de  calme,  une  tempête  d*ouest  s'est  déchaînée,  et  l'orage 
a  éclaté. 

M.  Austric,  observateur  à  Saubens,  canton  de  Muret,  a  re- 
marqué que,  pendant  toute  la  durée  de  l'orage,  le  tonnerre 
n'a  pas  cessé  de  gronder  et  que  la  foudre  est  tombée  près  du 
village. 

Telles  sont  les  circonstances  caractéristiques  de  cet  orage 
qui  a  occupé  dans  sa  plus  grande  longueur,  depuis  Saint- 
Gaudens  jus(|u'à  Caraman,  environ  63  kilomètres  avec  une  lar- 
geur de  30  kilomètres. 

On  ne  doit  pas  s'imaginer  cependant  qu'il  a  parcouru  toute 
la  superficie  comprise  dans  ces  limites.  Les  points  où  il  a  réel- 
lement éclaté,  sont  au  contraire  disséminés  très  inégalement 
et  souvent  à  grands  intervalles.  Les  nuées  qui  le  transportaient 
ont  suivi  le  trajet  indiqué  sur  la  carte,  mais  l'orage  n'a  réelle- 
ment éclaté  que  sur  certains  points. 

Le  centre  orageux  qui  s'est  formé  à  midi  30',  entre  Cadours  et 
Rieumes,  s'est  dilaté  successivement  de  manière  à  couvrir  une 
superficie  d'environ  50  kilomètres  sur  20,  entre  Cadours,  Ville- 
mur,  Toulouse  et  Lombez.  Voici  les  impressions  qu'il  a  pro- 
duites sur  les  divers  observateurs  : 

M.  Brégal,  de  Villeneuve-lès-Bouloc,  canton  de  Fronton,  dit  : 
c  Cet  orage  paraissait  terrible.  Le  tonnerre  avait  un  grondement 
c  sourd  et  presque  continu.  L'obscurité  est  devenue  si  grande 
c  qu'on  ne  pouvait  plus  écrire.  Bientôt  le  vent  s'est  déchaîné 
t  avec  violence.  • 

€  M.  Rigal  a  constaté  aussi  à  Ondes,  canton  de  Fronton,  que 
€  cet  orage  avait  été  très  fort,  qu'il  avait  ravagé  plusieurs  com- 
c  munes,  et  que  les  nuages  étaient  si  épais  qu*à  l'intérieur  des 
c  maisons  on  se  trouvait  dans  l'obscurité.  » 

Les  divers  autres  orages  indiqués  dans  la  carte  n'ont  eu 
qu'un  développement  très  limité.  On  doit  remarquer,  cepen- 
dant, que  plusieurs  d'entre  eux,  malgré  leur  peu  d'étendue, 
n'en  ont  pas  moins  présenté  les  caractères  des  plus  grands  ora- 
ges, forte  pluie,  coups  de  foudre  et  grôle. 


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ÉTUDE   DES   PBTNCIPAUX   ORAGES   DE    1880.  185 

Orages  du  25  août. 

Le  premier  orage  de  cette  journée  a  commencé  à  1  heure 
après  midi  sur  une  ligne  allant  des  montagnes  d'Argelès  à 
Tarbes  et  à  Rabastens.  Il  avait  probablement  franchi  les  Pyré- 
nées à  Touest  du  pic  du  Midi.  Un  autre  les  a  franchies  à  Test, 
et  a  été  signalé  à  2  heures  par  l'observateur  d'Aulon,  canton 
d'Arreau.  D'autres,  enfin,  éclatèrent  en  même  temps  près  de 
Riscles  dans  le  Gers,  et  près  d'Aurignacdans  la  Haute-Garonne. 
Tous  ces  orages  paraissent  avoir  été  sans  importance  dans  les 
Hautes-Pyrénées  et  le  Gers.  Il  n'en  a  pas  été  de  même  dans  la 
Haute-Garonne.  On  en  jugera  par  les  renseignements  suivants 
extrait»  des  bulletins  des  observateurs  locaux  : 

M.  Pégot,  instituteur  à  Montberaud,  canton  de  Cazères,  s'ex- 
prime ainsi  :  c  Un  orage,  ou  plusieurs  orages  à  la  fois,  se  sont 
«  formés  sur  notre  contrée  ;  ils  étaient  parfaitement  distincts  ; 
«  on  les  voyait  se  dessiner  depuis  l'horizon  de  l'est  jusqu'à  ce- 
€  lui  de  l'ouest.  Plusieurs  vents  régnaient  depuis  midi.  Gepen- 
•  dant  celui  du  sud  l'a  emporté.  Les  éclairs  zébraient  le  ciel 
c  dans  toute  l'étendue  de  l'horizon  de  l'est  à  l'ouest  ;  le  ton- 
€  nerre  n'a  pas  cessé  de  gronder  depuis  3  h.  25'  jusqu'à 
c  6  heures  du  soir.  • 

M.  Bruel,  instituteur  à  Rebigue,  canton  de  Belberaud  :  t  Vers 
c  3  h.  30',  l'orage  semble  se  former  dans  la  région  pyrénéenne. 
€  Le  temps  est  noir  et  orageux;  un  fort  vent  d'autan  chasse 
€  les  nuages  et  empêche  l'orage  de  s'étendre  jusqu'à  nous.  » 

M.  Lafforgue,  instituteur  à  Auzas,  canton  de  Saint-Martory  : 
«  L'orage  n'a  atteint  que  l'angle  nord^est  de  la  commune.  Des 
«  éclairs  ont  été  vus  du  côté  de  l'est.  • 

M.  Sarding,  à  Ramonville-Saint-Agne,  a  vu  l'orage  à  l'ouest 
et  au  nord-ouest. 

H.  Rigal,  instituteur  à  Ondes,  canton  de  Grenade,  a  vu 
l'orage  de  tous  côtés  ;  il  était,  en  effet,  placé  dans  l'intérieur 
d'un  tourbillon. 

Tous  ces  faits  justifient  les  indications  de  notre  carte  pour  la 
Haute-Garonne. 


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186  MÉMOIRES. 

On  remarque  dans  le  département  du  Gers,  près  de  Lombez, 
la  forme  étrange  d'un  orage  chargé  de  grêle.  Cette  forme  est 
le  résultat  des  heures  de  début  données  par  les  observateurs. 
Voici,  en  outre,  quelques  renseignements  qui  la  justifient  : 

M.  Camparan,  instituteur  à  Saint-Lizier-du-Planté,  canton  de 
Lombez,  nous  dit  :  <  Le  veut  soufflait  an  début  dans  la  direc- 
c  tion  de  Testa  l'ouest;  à  5  h.  55',  il  a  pris  la  direction  de 
c  sud  au  nord.  » 

M.  Fauré,  à  Saint-Loubes-Amades,  canton  de  Lombez  : 
c  L'orage  du  25  août  a  éclaté  sur  notre  commune  à  5  h  30'  du 
c  soir,  venant  de  la  région  pyrénéenne.  Le  vent  de  l'est,  dit 
c  d'autan,  l'a  tenu  en  suspens  quelques  instants,  mais  tout  à 
€  coup  un  vent  violent  du  midi  l'a  déchaîné  sur  la  contrée, 
c  Au  début  quelques  grêles  éparses  sont  tombées;  elles  étaient 
c  grosses  comme  des  noix,  d'autres  de  moindres  dimensions 
c  sont  tombées  cinq  minutes  après,  et  puis  une  pluie  torren- 
f  tielle  sans  vent.  » 

D'autres  orages  se  sont  formés  dans  la  nuit  du  25  au  26, 
mais  avec  beaucoup  plus  d'intensité  que  ceux  du  jour.  Ils  se 
sont  développés  particulièrement  dans  les  départements  du 
Gers  et  de  la  Haute-Garonne,  ainsi  que  nous  l'avons  indiqué 
dans  la  scK^onde  carte  de  cette  journée. 

Voici  des  extraits  des  renseignements  qui  nous  ont  été  four- 
nis par  les  observateurs  : 

M.  Sens,  instituteur  à  Launax,  canton  de  Riscle  :  f  L'orage 
c  de  la  nuit  du  25  a  duré  de  7  heures  du  soir  à  2  heures  du 
c  matin.  Les  nuages  se  croisaient  lentement  se  dirigeant  vers 
c  tous  les  points  de  l'horizon,  les  éclairs  ne  cessaient  pas,  le 
c  bruit  du  tonnerre  était  épouvantable.  Depuis  longtemps  on 
c  n'avait  vu  un  orage  si  violent.  > 

M.  Castix,  instituteur  à  Saint-Martin,  canton  de  Nogaro  : 
c  On  peut  dire  que  de  mémoire  d'homme  on  n'avait  vu  à 
t  Saint-Martin  un  pareil  orage  sous  le  rapport  de  la  durée  et 
f  de  l'intensité.  Un  éclair  continu,  tant  la  succession  était 
€  rapide,  détonations  épouvantables  et  fréquentes,  grêle  et 
c  puis  très  forte  pluie.  • 

M.    Guillot,  conducteur  des  ponts  et  chaussées,  à  Aignan  : 


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ÉTUDE   DES   PRINCIPAUX   ORAGES   DE   1880.  487 

<  Les  éclairs  se  succédaient  sans  interruption  de  7  h.  4/3  à 
c  44  heures  du  soir.  Il  est  tombé  quelques  gréions  dans  les 
€  communes  voisines  d'Aignan.  > 

Cet  orage  a  eu  dans  la  Haute-Garonne  le  même  caractère  de 
violence.  Nous  allons  le  prouver  par  les  notes  des  observa- 
teurs : 

M.  Mouniélou,  instituteur  à  Gornebarieu,  canton  de  Tou- 
louse :  c  Cet  orage  a  été  épouvantable.  Vers  8  heures  du  soir, 
c  il  ne  se  faisait  sentir  que  par  des  éclairs  et  un  tonnerre 
c  lointains.  Mais,  à  44  h.  4/4,  les  éclairs  et  le  tonnerre  ont  re- 
c  doublé,  un  déluge  d'eau  et  de  grôle  s'est  abattu  sur  la  com- 
c  mune.  > 

M.  Granboula,  instituteur  à  Hirepoix,  canton  de  Yillemur  : 
c  Un  violent  orage  a  éclaté  pendant  la  nuit,  éclairs  aveuglants, 
€  tonnerre  grondant  avec  violence  surtout  vers  lo  sud-ouest  et 
c  le  sud.  » 

M.  Brégal,  instituteur  à  Villeneuve-lès-Bouloc  :  t  Cet  orage 
€  a  été  terrible,  le  tonnerre  grondait  avec  un  fracas  épouvan- 
c  table.  La  pluie  a  été  torrentielle.  • 

Il  résulte  de  là  que  l'orage  qui  a  passé,  au  nord  de  la  Haute- 
Garonne,  présentait  le  même  caractère  que  celui  du  départe- 
ment du  Gers  et  s'était  évidemment  formé  sous  la  même 
influence. 

Voici  quelles  étaient  les  conditions  atmosphériques.  Dès  le 
24  août,  une  dépression  était  en  vue  des  côtes  de  France  et 
d'Espagne.  Le  vent  du  sud-ouest  souffla  le  2i  et  le  25  au  pic 
du  Midi  jusqu'à  6  heures  du  soir.  Le  vent  d'autan  régna  à  Tou- 
louse et  dans  une  partie  de  la  vallée  de  la  Garonne  dès  le 
commencement  de  la  journée  du  25  et  jusqu'à  6  heures  du 
soir.  Il  en  résulte  que  les  premiers  orages  du  25  se  sont  formés 
sous  l'influence  du  vent  du  sud-ouest  dans  les  régions  élevées, 
et  du  vent  de  sud-est  dans  les  régions  basses. 

Mais  à  6  heures  du  soir  la  situation  change  complètement. 
Le  vent  supérieur  passe  au  sud  d'abord  et  puis  à  l'ouest,  et  le 
vent  inférieur,  à  Toulouse,  tourne  au  nord  à  7  heures  du  soir, 
et  puis  au  nord-ouest  vers  40  heures.  Les  orages  de  la  2®  carte 
de  ce  jour  se  sont  formés  sous  cette  nouvelle  influence. 


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188  MÊIIOIRES. 

Nous  remarquons  là  de  singulières  associations  de  vents  su- 
périeurs et  inférieurs.  Au  vent  sud-ouest  du  pic  du  Midi  cor- 
respond le  sud-est  ou  le  sud-sud-est  à  Toulouse  ;  au  vent  sud 
du  pic  correspond  le  nord  à  Toulouse,  et  au  vent  d*ouest  du  pic 
correspond  le  nord -ouest  dans  la  région  basse.  Les  deux  pre- 
miers vents  du  pic,  contrariés  par  le  relief  des  Pyrénées,  font 
naître  des  vents  de  remous  ou  des  contre-courants  ;  le  dernier, 
au  contraire,  venant  de  l'ouest  presque  parallèlement  à  ia 
chaîne,  peut  s'écouler  dans  la  direction  nord-ouest  de  la  vallée 
de  la  Garonne  sans  provoquer  des  contre-courants  sensibles. 

Il  serait  très  prématuré  de  tirer  des  conclusions  d'un  travail 
qui  est  à  son  début  et  qui  exigera  sans  doute  plusieurs  années 
d'études  avant  de  produire  quelque  résultat  certain.  Nous  nous 
bornerons  pour  le  moment  à  indiquer  les  faits  principaux  qui 
résument  sous  quelques  rapports  les  observations  dont  nous 
venons  de  rendre  compte  : 

l**  Les  orages  éclatent  à  l'approche  des  dépressions  ou  pen- 
dant leur  passage.  Quand  elles  ont  leur  centre  au  nord  des 
Pyrénées,  le  vent  du  sud-ouest  souffle  au  pic  du  Midi  et  le  vent 
d'autan  ou  sud-snd-est  à  Toulouse.  Ces  deux  vents  sont  des 
compagnons  presque  inséparables.  Les  orages  viennent  à  leur 
suite.  Quand,  au  contraire,  le  centre  de  la  dépression  estausud 
des  Pyrénées  et  qu'il  se  dirige  vers  la  Méditerranée,  le  vent 
d'est  règne  au  sommet  du  pic,  et  le  vent  d'autan  soufflé  encore 
à  Toulouse,  mais  provoqué  par  une'  autre  cause  et  présentant, 
par  conséquent,  d'autres  caractères.  Les  orages  qui  se  forment 
sous  cette  seconde  influence  sont  rares  et  probablement  moin- 
dres que  les  premiers. 

2®  Ce  que  nous  appelons  un  orage  n'est  généralement  qu'une 
portion  d'un  météore  plus  étendu  qui  se  manifeste  au  début  par 
quatre  ou  cinq  orages  locaux  éclatant  à  peu  près  à  la  même 
heure  sur  des  points  séparés  par  de  grandes  distances  et  ayant 
chacun  ensuite  leur  développement  et  leur  marche  entièrement 
distincts.  Les  points  d'apparition  de  ces  orages  locaux  ne  sont 
pas  absolument  fîtes,  mais  ils  sont  circonscrits  chacun  dans 
une  région  assez  limitée.  Pour  les  Basses-Pyrénées,  c'est  au  dé- 
bouché des  vallées  d'Ossau,  d'Aspe  et  de  Mauléon;  pour  le 


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ÉTUDE   DES  PEINGIPADX   OEAGBS   DE    1880.  189 

Gers,  c'est  dans  le  canton  de  Riscles  ;  pour  la  Haute-Garonne, 
c'est,  au  sud,  dans  la  région  qui  s'étend  de  l'Isle-en-Dodon  à 
Aurignac,  et,  au  nord,  dans  celle  de  Cadours  à  Grenade.  On 
aperçoit  aussi  un  centre  de  formation  secondaire  dans  les  mon- 
tagnes de  Luchon. 

3^  A  chacun  de  ces  points  d'origine  correspond  un  certain 
trajet  de  prédilection  pour  les  orages  qui  s'y  forment.  Ceux  de 
Cadours  et  Grenade  vont  sur  Fronton  et  de  là  dans  le  Tarn  par 
la  vallée  du  Girou.  Ceux  de  l'Isleet  Aurignac  se  disloquent  à 
l'entrée  de  la  vallée  du  Salât,  et  leur  portion  la  plus  considéra- 
ble se  dirige  sur  Montgiscard  et  Nailloux  et  puis  sur  Revel. 
Toulouse  reste  entre  ces  deux  courants  et  échappe  ordinairement 
aux  ravages  de  l'un  et  de  l'autre. 

4"  Dans  le  Gers  on  trouve  plusieurs  orages  formés  à  leur 
début  par  de  simples  points  orageux  isolés  qui  se  sont  dévelop- 
pés ensuite  ^ans  aucune  connexité  entre  eux,  en  se  dilatant 
inégalement  de  divers  côtés.  Ce  genre  d'orage  qui  s'est  montré 
aussi,  mais  plus  rarement,  dans  la  Haute-Garonne,  semble 
former  une  catégorie  très  distincte  de  celle  des  orages  à  trajec- 
toire continue  sur  de  grandes  longueurs. 


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190  MÉMOIRES. 


UN  MOBILIER  FUNERAIRE 

SERVANT  A  ÉTABLIS 

LE  PASSAGE  DE  L'AGE  DE  LA  PIERRE  POLIE  A  L'AGE  DU  BRONZE 
Par  m.  lb  Docteur  NOULET  ci) 


En  décembre  1876,  j'acquis  pour  les  galeries  d'archéologie 
préhistoriques,  déji^  si  riches,  de  notre  Musée  d'histoire  natu- 
relle, une  précieuse  collection  d'objets  que  des  ouvriers  de 
Bruniquel  (Tarn-et-Garonne)  vinrent  m'offrir  et  quils  avaient 
retirés,  disaient-ils,  depuis  peu  de  lenops,  d'une  grotte  des 
environs  de  cette  localité,  qu'ils  désignaient  vaguement.  Plus 
tard,  ils  affirmèrent  que  leurs  fouilles  avaient  été  pratiquées  à 
l'entrée  de  la  grotte  dite  le  Cuzoul  d'Armand,  excavation  creu- 
sée dans  les  bancs  de  calcaire  jurassique  qui  s'élèvent  en  falaise 
escarpée  sur  la  rive  droite  de  l'Aveyron,  dans  la  commune  de 
Penne  (Tarn) ,  et  assez  près  du  sommet  de  la  montagne. 

A  défaut  de  ce  que- pourrait  offrir  d'intéressantes  remarques 
lu  connaissance  exacte  des  lieux  qui  ont  fourni  ces  objets,  je 
me  décide  néanmoins,  en  considération  de  leur  importance 
intrinsèque,  à  ne  pas  tarder  plus  longtemps. à  les  signaler  à 
l'attention  des  archéologues. 

Au  dire  des  ouvriers  i\\i'\  les  découvrirent,  ces  objets  avaient 
été  retirés  de  la  couche  terreuse  et  stalagmitique  à  la  fois,  qui 
constituait  le  plancher  de  la  grotte.  Ils  y  occupaient  un  espace 

(1)  Lo  dans  la  séaoee  du  23  jain  4884. 


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UN  MOBILIER  FUNÉRAIRE.  191 

peu  étendu  et  se  trouvaient  placés  à  diverses  profondeurs,  cer- 
tains étant  à  peine  déguisés  sous  une  mince  couverture  de  dé- 
pôt calcaire. 

Nous  pouvons  accepter  comme  exacts  ces  renseignements , 
principalement  celui  de  la  fixation  de  plusieurs  de  ces  objets 
dans  la  stalagmite,  puisque  le  plus  grand  nombre  de  ceux  qui 
nous  ont  été  livrés  se  sont  trouvés  encore  enveloppés  en  partie 
dans  leur  gangue  calcaire. 

A  part  des  fragments  de  crânes  humains  et  quelques  petites 
perles  en  bronze  qui  avaient  été  déjà  vendues  à  M.  Victor  Brun, 
de  Montauban,  les  objets  trouvés  entrèrent  au  Musée  de  Tou- 
louse. 

Ils  consistèrent  en  ossements  humains,  en  instruments  et  en 
objets  de  parure. 


RESTES   HUMAINS 

Sans  entrer  dans  des  détails  qui  n'ajouteraient  rien  aux  dé- 
ductions que  nous  aurons  à  tirer  de  leur  élude,  il  nous  suffira 
de  dire  que  les  os  humains,  fragments  de  tête,  vertèbres,  côtes, 
os  du  bassin  et  des  membres,  rarement  entiers,  par  suite  de 
l'action  des^  agents  naturels ,  ou  par  le  peu  de  soin  que  Ton 
apporta  à  leur  extraction  ,  ont  appartenu  à  des  individus  adul- 
tes, jeunes,  et  à  des  enfants.  Voici  d'ailleurs  Ténumération  de 
ces  pièces  : 

1®  Une  portion  de  frontal  et  des  pariétaux  d'un  même  sujet 
adulte  ;  ils  ont  dû  faire  partie  d'un  crâne  à  voûte  déprimée  ; 

2°  Huit  fragments  d'os  de  crâne  très-réduits; 

3"  Un  maxillaire  supérieur  incomplet,  portant  trois  dents, 
sans.trace  de  prognatisme  et  un  maxillaire  inférieur  du  même 
sujet,  ayant  conservé  douze  dents; 

4®  Deux  fragments  de  maxillaire  inférieur,  Tun  avec  sept 
dents  et  l'autre  avec  deux  seulement; 

6®  Quatre  dents  isolées  ; 

6®  Seize  vertèbres  de  diverses  régions  et  de  divers  sujolâ"; 

7*  Un  fragment  d'omoplate  du  côté  droit  ; 


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192  MÈMOIEES. 

8*  Une  clavicule  colorée  en  vert  par  Toxyde  de  cuivre; 

9®  Deux  extrémités  inférieures  d'humérus  naturellement  per- 
forées et  deux  autres  extrémités,  également  inférieures,  non 
perforées; 

10®  Un  corps  d'humérus  coloré  par  Toxyde  de  cuivre; 

1 1"  Trois  radius  ,  dont  un  seul  complet  ; 

12*^  Trois  cubitus,  dont  un  seul  complet; 

13*  Fragments  de  bassin  d'enfant; 

14®  Un  fémur  d'adulte  complet  et  deux  incomplets; 

15®  Deux  fi-agments  de  tibia  ; 

16®  Deux  péronés; 

17®  Trois  rotules; 

18®  Un  calcaneum  ,  six  astrag  îles ,  douze  os  carpiens  ou  tar- 
siens et  huit  métacarpiens  ou  métatarsiens. 


os   DE   MAMIMIFÈHES 

Les  mammifères  n'ont  été  représentés  que  par  un  tibia  et  un 
astragale  de  renard  (Canis  vulpes^  Linné)  (1). 

OBJETS   EN   PIERRE 

1®  Une  lame  en  silex  gris,  récemment  tronquée  à  l'une  de 
ses  extrémités;  ce  qui  en  reste  mesure  102  millimètres  de  long 
sur  36  millimètres  de  large.  Elle  a  été  taillée  par  éclats  sur  une 
de  ses  faces  seulement  et  très-finement  denticulée  à  sa  marge 
par  de  très- petites  retailles. 

La  lame  entière  devait  rentrer  dans  la  forme  qui  a  été  mainte 
fois  désignée  sous  la  dénomination  de  pointes  de  trait,  pointes 
de  lance  (PI.  I.  fig.  1.) 

2®  Un  celt,  vulgairement  Hache  polie ^  pierre  de  foudre,  en 
pétrosilex  gris-clair,  rubané,  à  grains  très-fins  (PI.  I,  fig.  2)  (2). 

(4  )  Des  08  de  renard  existent  habttaellement  aox  entrées  des  caTemes  et  des  grottes. 
(2)  Les  pétrosilex  de  cette  nature  se  trouvent  normalement ,  en  remontant  le  cours  dt 


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[tJN  MOBILlBft  FUNËEAIRE.  4  93 

Lo  bout  supérieur,  accidentellement  tronqué  en  biseau,  était 
|)cu  atténue;  ses  côtés  sont  rectangulaires,  conome  le  sont 
habituellement  les  celts  taillés  dans  cette  roche  ;  le  tranchant 
convexe  a  été  symétriquement  obtenu  aux  dépens  des  deux 
faces.  Cet  instrument,  qui  a  H  centimètres  de  long  sur  36  mil- 
limètres de  large  et  30  millimètres  d'épaisseur,  a  été  très-soi- 
gneusement poli. 

Lorsque  nous  l'avons  reçu,  il  était  recouvert  en  partie  d'une 
mince  couche  de  stalagmite,  qui  avait  servi  à  fixer  contre  l'un 
de  ses  côtés  un  fragment  d'os  humain.    . 

3®  Trente-huit  perles,  ou  petites  rondelles  disposées  en  an- 
neaux, par  conséquent  traversées  de  part  en  part  par  un  trou 
de  suspension,  large  relativement  aux  proportions  réduites  de 
ces  objets.  Elles  sont  en  pierre  d'un  noir  plus  ou  moins  foncé 
et  identiques  à  certaines  perles  retirées  des  dolmens  ou  des 
grottes  sépulcrales  du  Sud-Ouest  (PI.  I,  fig.  3.) 


OBJETS  EN  os 

1°  Perles,  au  nombre  de  cent  douze;  elles  sont  de  couleur 
fauve,  ovales  ou  lozangiques,  à  contours  quelque  peu  variés, 
mais  revenant,  plus  ou  moins  exactement,  aux  types  repré- 
sentés planche  I,  fig.  4.  Elles  sont  très-légères  et  happent  aux 
lèvres  humides;  une  seule  porte  des  restes  de  la  poulie  arti- 
culaire du  petit  os  long  dans  lequel  elle  fut  taillée  (PI.  I, 
fig.  5.) 

2**  Perles,  au  nombre  de  vingt-deux,  également  en  os;  elles 
présentent  les  mêmes  caractères  généraux  que  les  précédentes, 
étant  ovales,  échancrées  aux  deux  extrémités,  avec  une  rai- 
nure transversale  sur  chaque  face  (PI.  I,  fig.  6.)  (1). 

3"  Un  ciseau,   libre  seulement  par  son  extrémité  aiguisée; 

l'ÀTeyroQ  ,  d^ns  les  terrains  anciens  do  plateau  central.  On  en  rencontre  des  fragments , 
conTertis  en  cailloux  roulés ,  dans  les  graTiers  déposés  le  long  de  cette  rivière. 

(1  )  La  couleur  bistrée  et  la  grande  légèreté  de  perles  analogues  à  celles-  ci ,  retirées 
d'an  dolmen  de  rAyeyroo,  firent  d'abord  penser  à  ceux  qui  les  décrivirent  les  pre> 
miers  qu'elles  avaient  été  taillées  dans  du  bois. 

8e  SÉRIE     —  TOMJB  III,   2.  13 


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194  MÉMOIEES. 

jelle-ci  disposée  en  biseau  et  à  taillant  demi-circulaire.  Cet 
outil  est  fixé  par  son  autro  extrémité  dans  un  petit  bloc  de 
stalagmite  cristalline.  Il  est  long  de  165  millimètres  et  large 
de  15.  Il  a  été  façonné  en  employant  un  métatarsien  de  rumi- 
nant de  la  taille  d'une  chèvre  (PI.  I,  fig.  7).  La  stalagmite  qui 
Ta  fixé  porte,  en  outre,  une  portion  fort  réduite  d'une  vertèbre 
cervicale  humaine. 

COQUILLES 

Les  coquilles  appartiennent  à  une  seule  espèce  de  nos  mers 
actuelles,  le  Dentale  tarentin  (Déniait um  tarentinnm  ,  Lamark). 
Trente  spécimens,  variant  de  taille,  sont  libres  et  recouverts 
d'une  mince  couche  terreuse  très-adhérente  (PI.  II,  fig.  1).  Huit 
sont  blancs  ou  plus  ou  moins  colorés  en  vert  sur  quelques 
points,  ayant  été  attachés  par  leur  petit  bout  à  des  perles  en 
bronze  (PI.  II,  fig.  2  a  et  6.)  On  sait  que  les  dentales  sont  des 
coquilles  tubuleuses,  de  forme  conique  un  peu  courbes,  ou- 
vertes à  chaque  extrémité,  ce  qui  permet  de  les  enfiler  en 
chapelet  (1). 

OBJETS  EN  TERUE  COITE 

Une  seule  rondelle  très-épaisse  au  centre  et  sans  trace  d'orne- 
ments, en  forme  de  peson  de  fuseau  (Fusaïole);  elle  est  un  peu 
incomplète  par  suite  d'une  cassure  récente.  Le  trou  de  suspen- 
sion qui  la  traverse  de  part  en  part  est  très-réduit  et  rempli 
du  même  calcaire  qui  avait  enveloppé  cet  objet  (PI.  II,  fig.  3). 

OBJETS  EN  BRONZE 

1°  Huit  grosses  perles  on  forme  de  barillets  (grains de  collier, 
sans  doute),  variables  entre  elles,  surtout  par  leurs  dimen- 

(4)  Des  groUes  sépulcrales  el  des  dolmens  OQt  assez  fréquemment  fourni  des  dentales, 
j'ai  signalé  leur  présence  dans  U  Grotte  de  Simat  (Ariége).  —  Y.  Mém,  de  l'Àcadimi 
des  sciences  de  Toutoiue^  4  866,  VI«  série,  t.  IV,  p.  74  ô. 


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ON  MOBILIER  FUNÉRAIRE.  195 

sions,  provenant,  par  conséquent,  de  plusieurs  moules.  Elles 
sont  oxydées  à  leur  surface  (PI.  II,  fig.  4)  (<). 

2°  Dix  petites  perles  arrondies  ou  ovalaires  (PI.  II,  fig.  5), 
dont  trois  sont  soudées  entre  ellçs  par  Toxyde  de  cuivre.  Celle 
du  milieu  du  groupe  est  encore  attachée  à  l'extrémité  d'un 
dentale  (PI.  II,  fig.  6). 

3*  Un  objet  disposé  en  lame  aplatie,  légèrement  courbe,  long 
de  28  centimètres  et  large  de  4  millimètres,  ayant  une  de  ses 
extrémités  repliie  sur  elle-même;  il  est  très-oxydé  ù  sa  surface 
(PI.  II,  fig.  7). 

Dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances  en  archéologie  préhis- 
torique, les  inductions  à  tirer  des  faits  qui  viennent  d'être 
exposés  se  présentent  naturellement  à  l'esprit  :  la  grotte  qui  a 
fourni  de  nombreux  restes  humains,  caractérisant  plusieurs 
sujets,  fut  convertie,  comme  tant  d'autres  souterrains,  en  une 
crypte  sépulcrale,  tandis  que,  dans  la  même  région,  des  dol- 
mens, cryptes  artificiellement  construites,  étaient  employées  aux 
mêmes  usages  (2). 

Ce  fait  s'est  représenté  si  souvent  qu'il  n'y  a  plus  le  moindre 
doute  à  émettre  à  ce  sujet.  Presque  partout,  en  effet,  où  Ton  a 
découvert  à  l'intérieur  de  grottes  ou  de  cavernes  des  ossements 
de  notre  espèce,  on  a  rencontré  autour  d'eux  des  mobiliers 
funéraires  propres  à  nous  fixer  sur  les  intentions  des  familles 
humaines  qui  les  déposèrent  près  des  morts,  qu'ils  avaient  voulu 
ainsi  honorer,  ensuivant  les  rites  que  tous  les  peuples  du  monde 
ont  mis  en  pratique,  surtout  à  l'aube  de  la  civilisation  (3). 

C'est  ainsi  qu'a  été  acquise  la  certitude  qu'aux  âges  préhis- 


(4)  Les  foaiiles  pratiquées  daos  plosiears  grottes  et  dolmeDS  da  Midi  ont  fait  décou- 
Trir  des  perles  en  bronze  parfois  d'une  asseï  forte  taille ,  mais  atteignant  rarement  les 
dimensions  de  celles  qne  nous  signalons  ici. 

y.  Cazalis  de  Fondouce  •*  Derniers  temps  de  la  pierre  polie  dans  Vkveyrm;  Grotte 
sépukrale  de  Saint'Jean-d'Ak4m,  4  867.  (PI.  IV,  fig.  19.) 

{%)  Il  existe  un  grand  nombre  de  dolmens,  la  plupart  explorés  avec  soin,  dans  les 
départements  du  Tarn-el-Garonne,  du  Tarn  et  surtout  deTAveyron. 

(3)  Nous  avons  eu  occasion  de  constater  de  semblables  faits,  à  la  suite  de  nos  nom  - 
breuses  fouilles  pratiquées  aux  entrées  des  cayemes  et  des  grottes  des  Pyrénées. 


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196  uÉMomES. 

toriques  on  déposait  dans  les  tombeaux  les  armes,  les  outils  et 
jusqu'aux  joyaux  qui  avaient  servi  aux  défunts. 

Les  archéologues  sont  allés  plus  loin  ;  ils  ont  employé  ces 
groupes  d'objets  à  déterminer  les  âges  relatifs  auxquels  on 
peut  faire  remonter  ces  sortes  de  sépultures. 

Dans  le  cas  qui  nous  occupe,  nous  trouvons  auprès  de  restes 
humains  des  pierres  et  des  os  façonnés  en  armes,  en  instru- 
ments et  en  objets  de  parures,  affectant  des  formes  attribuées 
au  second  âge  do  la  pierre  {Age  de  la  pierre  polie  ou  néolithi- 
que (4),  accompagnant  des  objets  en  métal  regardés  comme 
caractéristiques  de  Vâge  du  bronze^  période  qui  aurait  succédé  à 
celle  de  la  pierre  polie. 

Ce  mélange,  qui  s'est  souvent  reproduit,  a  fait  abandonner 
l'idée  d'abord  acceptée,  que  l'àgo  néolithique,  précédant  celui 
du- bronze,  avait  été  brusquement^interrompu,  qu'il  y  avait  eu, 
en  un  mot,  hiatus  entre  ces  deux  périodes.  Il  faut  donc  admet- 
tre un  temps  transitoire  pendant  lequel  l'usage  de  la  pierre 
polie  se  continuait,  tandis  que  le  bronze  avait  fait  son  appa- 
rition. Mais  l'emploi  de  ce  métal,  encore  rare  et  cher,  se  serait 
trouvé  d'abord  très-limité.  Son  usage  se  serait  étendu  en  deve- 
nant peu  à  peu  prédominant  et  aurait  été  enfin  complètement 
substitué  à  celui  de  la  pierre. 

D'après  ces  vues,  la  sépulture  qui  nous  a  fourni  l'intéressant 
mobilier  funéraire  que  nous  venons  de  faire  connaître  devrait 
être  attribué  aux  premiers  temps  de  la  période  servant  de  tran- 
sition de  l'âge  de  la  pierre  polie  à  l'âge  du  bronze. 

(4)  Cette  période  des  temps  préhistoriques  avait  été  précédée  par  celle  désigoéesous 
e  nom  de  paléolithique ,  où  la  pierre  exclusivement  taillée  par  éclats  fut  employée. 


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ON  MOBILIER  FUNÉRAIRE.  197 


EXPLICATION   DES   PLANCHES 


PLANCHE  I 
(Figures  de  graodeur  naturelle.) 

Fia.  i.  —  Lame  en  silex  accidentellement  tronquée. 

FiG.  2.  —  Celt  {Hache  polie)  en  pétrosilex  gris,  rubané. 

FiG.  3.  —  Neuf  petites  rondelles  en  pierre  noire. 

FiG.  4.  —  Quinze  perles  en  os,  de  couleur  fauve,  plus  longues  que 

larges. 
FiG.  0.  —  Perle  prise  dans  un  os  long,  ayant  conservé  une  portion 

de  la  poulie  articulaire. 
FiG.  6.  —  Six  perles  en  os,  de  couleur  fauve,   plus   larges   que 

longues. 
FiG.  7.  —  Ciseau  en  os,  flxé  par  une  extrémité  dans  un  bloc  de 

stalagmite. 


PLANCHE  U 
(Figures  de  grandeur  naturelle.) 

FiG.  1.  —  Deux  dentales  (Dentaîium  iarentinum)  recouverts  d'une 
légère  couche  terreuse. 

FiG.  2  a  et  ô.  —  Deux  dentales  tachés  de  vert. 

FiG.  3.  —  Rondelle  en  terre  cuite,  ayant  la  forme  d'un  peson  de 
fuseau  {Fusaîole),  . 

FiG.  h.  —  Huit  grosses  perles  en  bronze  trouvées  isolées. 

FiG.  5.  —  Trois  petites  perles  libres  en  bronze. 

FiG.  6.  —  Trois  petites  perles  en  bronze,  soudées  entre  elles  et  por- 
tées à  l'extrémité  d'un  dentale. 

FiG.  7.  —  Objet  en  bronze. 


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198  MÈHOIBES. 


ESSAI 


SUR 


LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE 

Par  m.   ROSCHACH  (D 


AVANT-PROPOS 


On  sait  que  Timpératrice  Marie-Louise,  réduite  par  la  bien- 
veillance du  Congrès  de  Vienne  à  régner  sur  les  Parmesans, 
épousa  un  officier  autrichien ,  grand-maître  de  sa  maison,  le 
feld-taaréchal  lieulenant  comte  Neipperg.  De  cette  union  est 
né,  entre  autres  enfants,  le  prince  Wilhelm  de  Montenuovo, 
qui  a  longtemps  exercé,  comme  son  père,  un  commandement 
supérieur  dans  Tarmée  impériale  et  royale,  et  qui  s'est  distin- 
gué par  un  goût  très-vif  et  très-éclairé  des  recherches  numis- 
matiques.  Durant  une  période  d'environ  quarante  années, 
M.  de  Montenuovo  s'est  appliqué  sans  relâche,  avec  une  pas- 
sion de  savant  et  une  libéralité  vraiment  princière,  à  constituer 
une  collection  de  monnaies  intéressant  les  diverses  parties  de 
la  monarchie  austro-hongroise,  collection  qui,  obéissant  à  la 
loi  ordinaire  des  extensions  progressives,  a  fini  par  embrasser 
toute  l'histoire  monétaire  des  Slaves  du  Sud,  celle  de  l'Italie 
entière  et  de  plusieurs  autres  États  voisins.  Dans  cet  impo- 
sant ensemble,  la  Transylvanie  occupait  une  place  privilégiée. 

(4)  La  dans  la  séance  da  30  jatn  4  884. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  199 

Le  prince  Wilhelm,  qui  a  été  gouverneur  militaire  de  cette 
province,  intéressante  entre  toutes,  s'était  particulièrement 
attaché  à  en  réunir  les  monuments  nuînismatiques,  et,  grâce 
à  beaucoup  de  ténacité,  grâce  aux  facilités  que  lui  donnait  sa 
haute  situation,  il  avait  réussi  à  former  un  musée  vraiment 
unique,  dont  n'approchait  aucune  des  collections  antérieures. 
Ce  travail  obstiné  se  poursuivrait  encore  si  un  funeste  événe- 
ment ne  l'avait  interrompu. 

Aucun  établissement  public  ne  disposant  de  crédits  suffi- 
sants pour  acquérir  des  séries  locales  d'une  si  grande  valeur, 
la  collection  Montenuovo  a  subi  le  sort  réservé  à  la  plupart  de 
ces  laborieuses  et  onéreuses  créations.  Après  avoir  été  exposée 
à  Francfort,  pendant  quelques  mois  de  l'année  1880,  dans  le 
cabinet  de  M.  Adolph  Hess,  elle  s'est  vendue  aux  enchères. 

Fort  heureusement,  avant  de  procéder  à  cette  fatale  dislo- 
cation, M.  Hess  avait  rédigé  un  catalogue  descriptif  extrême- 
ment détaillé  des  quatorze  cents  pièces  composant  la  section 
de  Transylvanie  (1).  Ce  catalo^^ue,  dont  l'auteur  s'est  défendu 
de  toute  prétention  scientifique,  n'en  contient  pas  moins  les 
indications  les  plus  précieuses.  Aujourd'hui  que  les  épaves  de 
cet  illustre  naufrage  sont  dispersées  à  travers  l'Europe,  ce 
livre  est  tout  ce  qui  reste  de  tant  de  volonté,  d'efforts  et  de 
sacrifices.  Grâce  au  rassemblement  de  matériaux  aussi  com- 
plets, la  numismatique  transylvanienne  a  désormais  une  base 
nouvelle  et  très-large  d'études  positives,  le  fruit  de  près  d'un 
demi-siècle  de  recherches  ne  se  trouve  pas  entièrement  perdij, 
et  l'on  peut  entreprendre  de  tracer  les  grandes  lignes  d'un 
travail  qui,  sans  cet  utile  secours,  n'aurait  probablement  ja- 
mais pris  un  caractère  synthétique. 

{i)  Die siebenbilrgischen  MUnzen  des  farsilich'Montenuovo'schen  MUnzcMneUt  beschrieben 
von  A,  Etfi,  mii  6  Tafeln.  —  Frankfurt-am-Meio,  Adolph  Hess,  Bockenheimer-Laod- 
slrasse,  53;  1880,  h  yoI.  de  %tt  pages  ii>4^ 


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300  MÉMOIEES. 

PREMIÈRE  PARTIE 

GÉNÉRALITÉS 


Bien  qu'il  n'ait  été  frappé  de  monnaies  à  destination  spé- 
ciale de  la  Transylvanie  que  durant  une  période  d'environ 
deux  cent  quarante  ans,  coniprise  entre  la  date  du  traité  de 
Grosswardein  (24  février  1538)  et  celle  de  là  mort  do  l'impé- 
ratrice Marie-Thérèse  (1780),  le  contingent  numismatique  de 
cette  curieuse  province  est  un  des  plus  abondants  et  des  plus 
riches  que  l'on  connaisse.  On  en  peut  juger  par  ce  seul  fait 
que  la  collection  Montenuovo  ne  compVenait  pas  moins  de 
1,400  pièces  différentes,  dont  434  monnaies  d'or  et  926  mon- 
naies d'argent. 

Déduction  faite  des  monnaies  émises  par  les  empereurs  de 
la  maison  d'Autriche,  maîtres  du  pays  à  trois  époques  inter- 
mittentes, les  pièces  vraiment  autonomes  son!  au  nombre  d'en- 
viron 1160,  réparties  entre  les  règnes  de  quinze  princes,  règnes 
pour  la  plupart  très-tourmentés,  troublés  par  des  guerres  étran- 
gères ou  civiles  extrêmement  meurtrières,  et  souvent  abrégés 
par  de  tragiques  événements. 

L'intensité  de  ce  monnayage  s'explique  sans  peine  par 
l'abondance  de  la  matière  première  que  n'ont  cessé  de  fournir, 
depuis  dix-huit  siècles,  les  montagnes  et  les  rivières  de  Tran- 
sylvanie. Les  mines  d'or  de  Verespatak,  où  Ton  a  découvert  des 
contrats  antiques  inscrits  sur  des  tablettes  de  cire(1),  étaient 
exploitées  dès  l'époque  de  Trajan,  qui  parait  y  avoir  appelé 
des  ouvriers  dalmates  experts  en  ces  sortes  de  travaux  (2)  ; 
les  inscriptions  de  Zalatbna  témoignent  de  l'existence  d'un 
personnel  administratif  placé  sous  la  direction  d'un  procuralor 

(1)  L'un  de  ces  documents  est  un  contrat  de  louage  relatif  à  l'exploitation  des  mines, 
operarum  ad  opus  aurarium,  de  Tannée  4  64.  (Mommsen,  p.  214.) 

(2)  Corpus  intcr,  lot.  (Mommsen,  Dada,  p.  244. 


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ESSAI  SUR   LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  201 

« 

Augusti  (1).  Le  groupe  de  ces  agents,  liberti  et  familia  et  leguli 
aurariarum,  avait  même  consacré  un  monument  en  l'honneur 
de  rimpératrice  Lucille,  femme  de  Verus  (2).  Un  texte  trouvé 
près  de  Nagy-Enyed  mentionne  un  vœu  fait  à  Jupiter  pour  U 
santé  de  l'empereur  par  le  collège  des  mineurs  employés  à 
l'extraction  de  l'or  (3). 

Les  métaux  précieux  se  sont  constamment  recueillis,  en 
Transylvanie,  de  deux  manières  :  par  l'exploitation  des  gale- 
ries souterraines  pratiquées  dans  le  flanc  des  montagnes,  et 
par  le  lavage  des  sables  de  plusieurs  cours  d'eau. 

Toutes  les  rivières  de  la  contrée  cb.arrient  de  l'or;  l'une  des 
plus  riches  est  l'Aranyos,  qui  naît  près  de  la  montagne  de 
\ulkan,  sur  la  frontière  (  ccidentale  de  la  province,  et  qui  se 
jette  dans  la  Szamos,  après  un  cours  sinueux  très-accidenté. 

Le  lavage  des  sables  aurifères  est,  depuis  une  époque  déjà 
lointaine,  l'industrie  héréditaire  des  Valaques  et  des  Tziganes. 
Cette  opération  se  élisait  encore,  à  la  fin  du  siècle  dernier,  par 
des  procédés  fort  primitifs.  Une  chambre  spéciale  avait  été 
instituée  pour  recevoir  chaque  semaine  et  payer  individuelle- 
ment aux  orpailleurs  la  quantité  de  poudre  d'or  recueillie. 

A  raison  de  la  situation  géographique  du  pays  et  des  cir- 
constances politiques  de  son  développement,  le  monnayage 
transylvanien  a  subi  des  influences  multiples  et  contradictoires, 
dont  il  est  indispensable  de  se  rendre  compte  pour  saisir  les 
nuances^  assez  déliC'îtes,  qui  en  compliquent  le  caractère.  Du- 
rant plusieurs  siècles,  la  Transylvanie  a  fait  putie  intégrante 
de  la  monarchie  hongroise.  Comme  elle  possédait  les  gisements 


(4)  Tabularius  aumrûmm  Dacicarum  (n^  4  297)  adjutor  iabtdttrwnm  (n»  4305), 
dispentalor  (n»  4  304)  subsequens  librariorum  (d»  4344),  ab  instrumento  iabulariorum 
(qo  4  346). 

D  .  M  II  M  .  VLPIO  .  AVG  ||  LIB  •  HERMIAE  •  PROC  ||  AVRARIARVM  • 
CVIVS  II  RELIQVIAEEXINDVLGENTIA  ||  AVG  •  N  •  ROMAiM  •  LATAE  || 
SVNT  II  SALONIA  •  PALESTRICE  ||  CONIVNX  .ET-  DIOGENES  ||  LIB  • 
BENEMERENTl  •  FECER  ||  VIXIT  •  ANN  •  LV.  (Corpus  inscr.  lat.  MommseD.  Dada, 
vfi  4318.) 

{t)  Corput  inscr.  UU.  (MommseD,  Dacia,  n^  4  307.) 

(3)  I.O.M.PRO.S.IMPE||RATORIS||COLLEG.AVRA||RIARVM.L.|| 
CALPVRNIVS  II  ...DD.  (Mommseii,  n»  944.) 


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202  MÉMOIRES. 

métalliques  les  plus  productifs  du  royaume,  c'est  dans  ses  ate- 
liers que  furent  frappées  beaucoup  de  monnaies  au  nom  des 
rois  magyares  ;  mais  ces  pièces,  conçues  d'après  un  type  uni- 
forme emprunté  d'abord  aux  Angevins  de  Naples,  puis  aux 
princes  allemands,  ne  se  distinguaient  que  par  le  poinçon  mo- 
nétaire des  villes,  les  épées  croisées  d'Hermannstadt,  le  châ- 
teau de  Kolosvar,  les  initiales  de  Nagy-Banya. 

Lorsque  l'ambition  des  princes  indigènes,  secondée  par  la 
politique  ottomane,  alors  habile  à  exploiter  les  divisions  de  la 
chrétienté,  est  parvenue  à  détacher  la  Transylvanie  de  l'État 
hongrois,  pour  en  faire  une  principauté  autonome,  sous  l'obli- 
gation d'un  tribut  annuel  envers  la  Porte,  les  conditions  favo- 
rables à  la  formation  d'un  monnayage  entièrement  original  se 
sont  trouvées  contrariées  par  l'échange  de  numéraire  qu'entraî- 
nait le  va-et-vient  perpétuel  des  armées.  On  sait  ce  qu'étaient 
les  corps  militaires  du  seizième  et  du  dix-septième  siècles, 
et  de  quelles  bandes  hétérogènes  ils  se  forrmient.  Depuis 
l'origine  de  son  orageuse  indépendance  jusqu'au  triomphe  dé- 
finitif de  la  maison  d'Autriche,  la  Transylvanie  n'ayant  été 
qu'un  champ  clos  où  se  heurtaient  des  troupes  allemandes, 
croates,  italiennes,  espagnoles,  flamandes,  wallonnes,  accou- 
tumées à  battre  l'estrade  sur  tous  les  points  de  l'Europe,  les 
monnaies  émises  par  les  princes  transylvaniens  ont  ressenti  le 
contre-coup  de  ce  cosmopolitisme  guerrier,  et  ont  fait  des 
emprunts  très-reconnaissables  à  l'Italie,  à  l'Espagne  et  à  l'Em- 
pire germanique.  On  en  verra  plus  d'une  preuve  dans  la  suite 
de  ce  travail,  où  l'étude  des  types  et  des  légendes  amène  assez 
souvent  des  rapprochements  inattendus. 

L'influence  italienne,  particulièrement,  a  toujours  été  consi- 
dérable en  Transylvanie.  Les  deux  plus  |)uissants  voisins  de 
ce  pays,  l'empire  d'Allemagne  et  l'empire  ottoman,  pullulaierjt 
de  commerçants,  d'artistes,  d'aventuriers  italiens  cherchant 
fortune  dans  les  armes  ou  dans  la  diplomatie.  Les  alliances  ou 
les  relations  princières  contribuèrent  à  augmenter  cette  action 
naturelle  d'une  race  industrieuse,  insinuante  et  tenace. 

L'aïeule  du  prince  Jean  I"  de  Zapolya  était  une  princesse 
milanaise,  cette  Bone  Sforza  que  les  Polonais  ont  regardée 


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ESSAI  SUB  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  203 

comme  le  mauvais  génie  de  leur  pays^  et  qui  avait  amené  à 
sa  suite  nombre  de  musiciens  et  de  chanteurs,  sans  oublier  le 
Napolitain  Papagoda,  son  favori  et  son  meurtrier.  Etienne 
Balhori^  fondateur  de  Tuniversité  de  Wilna,  avail  fait  un  long 
séjour  à  la  cour  des  Médieis,  et  en  avait  rapporté  un  goût  très- 
vif  pour  les  arts  et  pour  ceux  qui  les  pratiquaient. 

Sous  toutes  ces  impressions  étrangères,  sous  ces  imitations, 
ces  emprunts,  que  l'intérêt  commandait  pour  faciliter  la  circu- 
lation du  numéraire  de  Transylvanie,  on  voit  cependant  per- 
sister un  élément  local,  un  instinct  particulier,  qui,  façonné 
par  des  traditions  antérieures^  modifle  à  sa  manière  les  types 
courants  de  l'Europe  austro-espagnole,  et  leur  prête  une  sorte 
de  personnalité  originale  et  de  rajeunissement  barbare. 

Les  ducats  ont  beau  ressembler  à  beaucoup  de  ducats  ita- 
liens, les  effigies  de  princes  rappeler  celles  de  maint  feuda- 
taire  du  saint  empire,  les  pièces  obsidionales  reproduire  un 
modèle  accepté  de  toutes  les  armées,  il  reste  dans  les  détails 
de  l'exécution,  dans  les  ornements,  dans  les  accessoires,  dans 
la  manière  de  profiler  un  fleuron,  de  courber  une  volute,  de 
contourner  un  cartouche,  de  plisser  une  draperie,  de  graver 
une  cuirasse,  de  broder  un  vêiemenl,  quelque  chose  qui  s'éloi- 
gne du  poncif  italien  ou  allemand,  et  qui  ramène  l'esprit  beau 
coup  plus  loin,  vers  les  pays  slaves,  vers  Byzance,  vers  l'Orient 
primitif. 

Quoiqu'il  y  ait  de  grandes  inégalités  d'exécution,  certains 
gr  aveurs  monétaires  sachant  un  peu  dessiner,  tandis  que  d'au- 
tres ne  savaient  pas  du  tout,  la  figure  humaine  est  générale- 
ment traitée  avec  une  incorrection  qu\  touche  à  l'invraisem- 
b'able.  11  y  a  des  mains  qu'on  prendrait  pour  des  dents  de 
peigne,  pour  des  coquilles  ou  pour  des  pattes  d'araignée;  des 
bras  d'une  gaucherie  sans  pareille,  allongés  ou  raccourcis  avec 
un  mépris  des  proportions  assez  excessif  pi»ur  paraître  cher- 
ché; des  yeux  auxquels  l'hyperbolique  relief  de  l'orbite,  le 
cercle  et  la  cavité  de  la  prunelle  impriment  une  férocité  comi- 
que; des  lèvres  de  nègre,  des  oreilles  en  demi-cercle,  des 
cheveux  qui  moutonnent  en  guise  de  toison^  des  barbes  aussi 
hérissées  et  aussi  rudes  que  des  poils  de  sanglier,  des  mous- 


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204  MÊMomBs. 

taches  massives,  des  manteaux  gonflés  comme  des  voiles,  des 
draperies  sous  lesquelles  les  corps  se  dérobent. 

Mais,  si  Tinsuffisance  du  dessinateur  est  grande,  la  patience 
et  riiabileté  de  l'orfèvre  ne  le  sont  pas  moins.  Que  Ton  regarde 
isolément  les  motifs  de  pure  décoration,  aigrettes,  bonnets 
fourrés,  pièces  d'armures,  on  sera  frappé  de  la  fécondité  d'ima- 
gination, de  la  variété  et  de  la  richesse  des  motifs,  de  la 
fînesse  de  ces  grènetis,  de  ces  moires,  de  ces  filets,  de  ces 
guillochés  qui  font  de  certains  ducats  transylvaniens  de  véri- 
lables  joyaux.  Il  y  a  dans  celte  précision  minutieuse  la  preuve 
d'une  science  technique  évidemment  héréditaire  parmi  les 
hommes  voués  au  travail  des  métaux,  et,  dans  celte  recherche 
passionnée  du  luxe,  dans  cet  amour  des  perles,  des  broderies, 
des  passementeries,  des  panaches,  un  trait  connu  du  caractère 
des  peuples  de  l'Europe  orientale,  qui  sont  tous  également 
épris  de  la  parure,  du  clinquanl,  des  colifichets,  et  qui  se  re- 
prochent ce  penchant  avec  une  piquanle  réciprocité,  en  le 
qualifiant,  selon  les  lieux,  de  goût  slave,  de  goût  magyare  ou 
de  goût  valaque. 

NOMENCLATURE 

MONNAIES  d'or 

L'unité  monétaire  d'or  adoptée  en  Transylvanie  est  le  ducat^ 
dont  le  poids  moyen  esl  de  3»% 42,  et  le  diamètre  de  23  milli- 
mètres (1).  C'est  aussi  la  pièce  d'or  la  plus  répandue.  Il  en  a 
été  émis  sous  presque  tous  les  règnes  et  dans  lous  les  ateliers, 
mais  principalement  dans  les  trois  grands  centres  d'émission  : 
Clausenbourg,  Hermannsladl,  Nagybanya. 

(4)  L'ordonnance  de  François  \^,  donnée  à  AbbeyiHe  le  24  féyrier  1540,  réglant  le 
change  des  monnaies  étrangères,  prescrit  de  recevoir  «c  les  ducatz  de  Venise,  Gênes,  Flo- 
rence, Portugal,  Hongrie,  SicUe  et  CaslUle  du  poix  de  deax  deniers  dix-sept  grains  très- 
bacbans  pour  46  sols  6  deniers  tournois  »,  et  •«  les  doubles  ducatz  du  poii  de  cinq  deniers 
dix  grains  tresbuchans  pour  4  livres  43  solz  6  deniers  tournois.  »  Quant  aux  ducats 
étrangers  qui  ne  pesaient  pas  le  poids  légal,  la  même  ordonnance  prescrivait  de  les  payer 
à  raison  de  1 6i  livres  1 6  sols  le  marc,  20  livres  7  sols  Tonce,  4  6  sols  4  4  deniers  obole 
le  denier,  8  deniers  obole  le  grain. 


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ESSAI  SDR  LES  MONNAIES  DB  TRANSYLVANIE.  205 

Gomme  multiples,  on  rencontre  : 

La  pièce  de  un  ducaX  et  demi,  dont  nous  ne  connaissons 
qu^un  exemplaire,  émis  en  1577,  sous  Christophe  Bathori,  avec 
le  coin  du  double  ducat  (M  138)  (1). 

La  pièce  de  deux  ducats  ^  pesant  68%84  et  obtenue  de  deux 
manières  :  par  l'agrandissement  du  diamètre,  (1577,  M  137), 
ou  par  le  doublement  de  Tépaisseur,  qui  permet  d'employer  le 
coin  ordinaire.  (M  53,  Jean  II,  1562.)  Il  en  existe  aussi  de 
forme  hexagonale,  mesurant  30  millimètres  de  diamètre.  (Her- 
mannstadl,  1613,  M  560;  1662,  M  1063.) 

La  pièce  de  trois  ducats,  épaisse  au  coin  de  ducat,  pesant 
108%26.  (1661,  M  1028.) 

La  pièce  de  quatre  ducats,  j)esant  138',68.  (Fogaras,  1689, 
iM  1060.) 

La  pièce  de  cinq  ducats^  pesant  17«%10  et  mesurant  38  mil- 
limètres. Il  y  en  a  un  type  octogone  sous  Léopold  I»',  en  1694 
(M  1203),  et  un  type  rond  du  même  prince,  en  1696.  (M  1204.) 

La  pièce  de  sept  ducats ^  pesant  23«%87.  (Hermannstadt, 
1660,  M  1012.) 

La  pièce  de  huit  ducats,  pesant  ^278%36,  un  seul  exemplaire, 
réduction  de  la  pièce  d'honneur  de  Cronstadt  de  1612,  frappée 
avec  le  coin  de  10  ducals. 

La  pièce  de  dico  ducats,  pesant  3l8%20,  mesurant  42  milli- 
mètres et  frappée  quelquefois  avec  un  coin  de  thaler.  (Gabriel 
Bethlen,  1628;  M  683;  Georges  Râkôczi,  1637;  M.  853.) 

De  ces  trois  dernières  pièces,  il  a  été  frappé  à  Fogaras  des 
exemplaires  hexagones  en  1689. 

La  pièce  de  cent  ducats,  pesant  347  grammes,  et  mesurant 
83  millimètres. 

Cette  dernière  pièce,  tout  exceptionnelle,  n'a  été  frappée 
qu'une  seule  fois,  sous  le  rè^ne  d'Apafi,  à  deux  exemplaires, 
et  était  destinée  à  servir  de  présent.  L'une  fut  offerte,  en  1677, 
à  l'empereur  Léopold;  elle  appartient  aujourd'hui  au  cabinet 
impérial  et  royal  de  Vienne,  qui  en  possède  aussi  une  repro- 


(4)  Les  chiffres  entre  parenthèses  précédés  de  la  lettre  M  renvoient  ao  catalog;ae  d' 
M.  Ad.  Hess. 


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206  MÉMOIRES. 

duclion  en  argent.  L'autre,  donnée  en  même  temps  par  le 
prince  Micliel  au  général  comte  Andrassy,  et  conservée  dans 
la  famille  de  ce  gentilhomme  pendant  près  de  deux  siècles, 
était  entrée  dans  la  colleclion  du  prince  de  Montenuovo,  et  a 
fait  parlie  de  la  vente  de  Francfort.  (M  1045.) 

Les  divisions  de  Tunité  d'or  sont  : 

Le  demi'ducat  (Hermannstadt,  1612,  M  445),  du  poids  de 
1«',70  el  du  diamètre  de  16  millimèlres. 

Le  quart  de  ducat,  du  poids  de  0«',84  et  du  diamètre  de 
15  millimètres.  (Hermannstadt,  1579,  M  144;  1606,  M  357.  — 
Nagybanya,  1623,  M  707;  1647,  M  869.  —  Sous  l'empereur 
Charles  VI,  le  quart  de  ducat  offre  un  type  particulier,  M  1281 .) 

Le  huitième  de  ducat,  pesant  0L8',42. 

I-e  seizième  de  ducat,  pesant  0«%21 . 

Ces  deux  dernières  pièces  frappées  sous  Marie-Thérèse. 

La  principale  monnaie  d'argent  est  le  thakr  (1),  qui  mesure 
44  millimèlres,  et  pèse  27  grammes,  et  donl  les  multiples  sont  : 

La  pièce  d'un  thaler  et  demi,  pesant  39  grammes; 

Le  double  thaler,  pesant  57  grammes  et  frappé  avec  le  coin 
du  thaler,  tantôt  de  forme  ronde,  tantôt  sur  des  plaques  car- 
rées de  45  millimètres  de  côlé  (Gabriel  Bethlen,  1627,  M. 
757-763). 

Les  divisions  du  thaler,  d'un  emploi  très-rare,  sont  : 

Le  demi'thaler.  On  en  trouve  des  exemplaires  sous  Gabriel 
Bathori,  en  1611  (M  519).  Mais  le  coin  est  celui  du  thaler  : 
c'est  l'épaisseur  du  métal  qui  fait  la  différence,  (Marie-Thérèse, 
1742,  M  1349.) 

Le  quart  de  thaler,  qui  pèse  7  grammes  et  mesure  30  mil- 
limètres. Il  en  a  été  frappé  avec  coin  spécial  à  Nagybanya, 
sous  Georges  Râkôczi  !•%  en  1645.  (M  887.) 


(\)  Nos  vieux  écriTains  français,  traduisant  par  assonnaoce,  écrivent  dalle:  «  Une 
levée  de  cent  mille  dalles  payable  selon  la  fortune  d'un  chacun.  (MontreulXt  BUtoire  géné^ 
raie  des  Turcs  et  principalement  en  Hongrie,,  livre  III,  p.  336.) 

Celte  forme  s'est  conservée  dans  le  composé  Rùcdale  (ReichsthaleTj  thaler  d'empire), 
encore  employé  par  Voltaire. 

En  4  594,  les  dalles  sont  évaluées  à  50  sols  pièce.  (Hist.  gin.  de  Hongrie,  livre  UI, 
p.  ki5.) 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  207 

Outre  le  thaler  et  ses  dérivés,  le  monnayage  transylvanien 
comporte  : 

Le  gros  d'argent,  girossws,  pesant  1«%68,  et  mesurant  21  mil- 
limètres. 

Cette  pièce  a  pour  multiples  : 

Le  double  gros  (Gabriel  Bethlen,  1622,  M  789)  ; 

La  pièce  de  trots  gros  (Georges  Râkôczi  !•',  1637),  de  20  mil- 
limètres et  de  2k',10; 

La  pièce  de  six  gros  (Georges  Ràkôczi,  1637),  de  48%20; 

Le  denier  hongrois,  denar^  du  poids  de  0«%51  et  du  dia- 
mètre de  15  millimètres,  et  ses  divisions  et  multiples; 

Le  demi  denier  ou  obole  (Gabriel  Bethlen,  1621,  M  679); 

Le  sixain  (sechser),  pièce  de  six  deniers,  du  poids  de  38^,06; 

Le  douzain  (ztvœlfer),  pièce  de  douze  denars,  du  poids  de 
68%12  et  du  diamètre  de  26  millimètres.  (Apafi,  1«72,  M  1151 .) 

Après  l'incorporation  de  la  Transylvanie  aux  États  hérédi- 
taires de  la  maison  d'Autriche,  apparaissent  les  monnaies  d'ar' 
gent  purement  allemandes,  le  kreuzer  et  ses  dérivés  : 

Le  kreuzer  (1762,  M  1366),  pesant  0«%23, 

La  pièce  de  3  kreuzer  s  (1762,  M  1364-65;  1711,  Joseph  !•% 
M  1250-52),  pesant  0«',69; 

La  pièce  de  7  kreuzers  (1762-65,  M  1360-63),  pesant  18%61  ; 

La  pièce  de  /O  kreuzers  (1065,  M  1385-89),  pesant  2e%30; 

La  pièce  de  /S  kreuzers  (1750,  M  1354),  pesant  3«%45; 

La  pièce  de  17  kreuzers  (1763,  M  1356-59),  pesant  3«',91; 

La  pièce  de  20  kreuzers,  pesant  4«%60; 

La  pièce  de  30  kreuzers,  pesant  68%87  et  mesurant  28  mil- 
limètres. (Marie- Thérèse,  1754-65,  M  1352-53.) 

Aux  mêmes  règnes  appartient  une  petite  monnaie  d'argent 
d'une  physionomie  particulière  : 

La />o/rMra  (demi-gros),  qui  pèse  08'95  et  mesure  20  milli- 
mètres. Il  en  a  été  frappé  à  Hermannsladl  sôus  Léopold  !•% 
Joseph  I",  Charies  VI  et  Mai  iC-Thérèse. 

Les  seules  monnaies  de  cuivre  de  la  série  transylvanienne 
sont  : 

Le  sou  {solidus)^  de  17  millimètres.  (Sigismond  Uathori, 
1591,  M  316.; 


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208  MÉMOIRES. 

Le  demi  kreuzer^  de  15  raillinièires  el  de  08%54.  (Joseph  !•', 
1709,  M  1258.) 

Le  greschl,  frappé  en  1763-1765,  sous  Marie-Thérèse. 
(M  1368-72.) 

GÉOGRAPHIE 

Les  centres  d^émission  régulière  des  monnaies  de  Transyl- 
vanie onl  été,  dans  le  courant  du  seizième  siècle  el  les  pre- 
mières années  du  dix-septième,  Nagy-Banya,  Hermannstadt, 
Clausenbourg. 

Nagy-Banya,  dont  le  nom  signifie  grande  mine,  était  la 
principale  de  ces  petites  villes  «  (nétalliques  et  monétaires,  » 
comme  les  appelle  un  écrivain  allemand  du  dix  septième  siècle, 
urbes  metallicœ  et  monetales,  où  la  proximité  des  mines  avait 
naturellement  déterminé  la  création  d'ateliers. 

Le  cavalier  Spontoni,  qui  écrivait  sous  Tempereur  Rodol- 
phe II,  dit  formellement  que  la  monnaie  de  Transylvanie  se 
frappait  à  Nagy-Banya  :  Nell'  uliimo  quasi  angolo  estremo 
délia  Transilvania,  riirovansi  alcune  cittadi  picciole,  ma  moUo 
ricche  d'oro  e  d'argento,  ch'in  buona  quantilà  si  raccoglie  dalle 
minière  di  varii  monti  circonvicini,  Ira  le  quali  è  principal  Na- 
gybanya,  facetidovisi  la  Zecca  e  coniandovisi  moneteper  lo  stw 
prencipe  (1)- 

On  rapporte  qu'en  1645  les  seules  mines  d'or  et  d'argent  du 
lieu  de  Sckete-Banya,  situé  daus  les  dépendances  de  la  viHe^ 
occupaient  plus  de  deux  mille  ouvriers.  L'exploitation  en  était 
abandonnée  au  dix-huitième  siècle,  lors  du  voyage  de  M.  de 
Born.  Une  autre  mine,  plus  voisine  encore  de  Nagy-Banya, 
n'a  été  rouverte  qu'en  1752  (2). 

C'est  encore  au  môme  hôtel  des  monnaies  qu'était  livrée  la 
poudre  d'or  et  d'argent  provenant  des  lavages  de  Mis-Banya 
et  de  Sargo-  Banya. 

(4)  Hiitoria  delta  TransUoania  raccoUa  dd  cawUier  Ciro  SponUmi  e  regittrata  dal  caoa- 
ier  Ferdinando  Donna.  —  lo  Veoetia,  Uiacooio  Sanina,  iM.DC.XXXVIU. 
{i)  Voyage  minéralogique,  lettre  IVUl,  p.  280. 


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ESSAI  sua  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  209 

Nagy-Banya,  «  ville  royale  libre  de  mines  »,  est  située  au 
nord-ouest  de  la  Transylvanie,  sur  le  gl  icis  extérieur  du  ra- 
meau des  Carpathes  qui  descend  vers  les  plaines  de  la  Theiss. 
Elle  fait  partie  du  comilat  hongrois  de  Szalhmar,  l'un  des 
dix-sept  du  cercle  au  delà  de  la  Theiss,  et  occupe  une  étroite 
vallée,  dont  les  eaux  descendent  vers  la  Szamos,  à  iO  kilomè- 
tres environ  de  la  frontière  gallicienne. 

Les  privilèges  de  la  ville,  qui  datent  du  roi  Louis  !•%  mon- 
trent que  les  mines  de  cette  région  étaient  l'objet  d'une  exploi- 
tation vigoureuse  en  1347.  La  ferme  et  la  monnaie  en  furent 
aflfermées  par  le  roi  Mathias,  en  1468,  au  prix  de  13,000  florins 
d'or.  Les  monceaux  de  scories  qui  se  trouvent  accumulés  sur 
divers  points  et  les  traces  d'anciens  canaux  confirment  les 
témoignages  de  la  tradition  (1). 

La  production  a  été  longtemps  Irès-active  à  Nagy-Banya, 
surtout  pour  les  espèces  d'argent,  qui,  sauf  les  monnaies  mili- 
taires, émises  à  raison  de  nécessités  urgentes,  ne  se  frappaient 
guère  ailleurs.  A  dater  du  règne  de  Georges  Râkôczi  II,  cette 
production  cesse  entièrement.  Pour  l'émission  des  espèces  d'or, 
Nagy-Banya  ne  paraît  venir  qu'en  troisième  ligne,  après  Clau- 
senbourg  et  Hermannstadt. 

Clausenbourg,  que  les  Valaques  appellent  Klm,  les  Hongrois 
Colosvar,  el  les  latinistes  officiels  Claudiopolis,  est  située  dans 
la  partie  nord-occidentale  de  la  province,  au  fond  d'une  gorge 
où  coule  la  petite  Szamos.  Elle  est  le  chef-lieu  d'un  des  neuf 
comitals  hongrois  de  Transylvanie.  Dans  cette  ville,  siège  du 
conseil  royal  depuis  la  domination  autrichienne,  la  frappe  de 
l'argent  n'a  été  qu'exceptionnelle  et  très-inlerinittente;  au  con- 
traire, l'émission  de  l'or,  très-considérable  dès  le  temps  des 
princes  de  Zapolya,  s'y  est  continuée  presque  sans  interrup- 
tion, sauf  sous  les  deux  premiers  Bathori,  jusqu'à  l'insurrec- 
tion de  François  Ràkôczi  IL 

La  ville  d' Hermannstadt,  en  latin  Cibinium,  en  italien  Ct6t- 


(0  Voyage  minéralogiquej  lettre  XVI,  p.  S52. 

8«   SKRIB     —  TOMIB  lil,   2.  14 


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210  MEMOIRES. 

niOy  du  Dom  de  la  rivière  qui  en  baigne  les  murailles,  est  bâtie 
tout  au  sud  de  la  province,  dans  le  bassin  de  TAluta,  à  7  kilo- 
mètres du  col  de  la  Porte-Rouge,  frontière  de  Valachie.  Siège 
des  États  provinciaux,  chef-lieu  d'un  des  douze  districts  de  la 
nation  saxonne,  cette  place,  que  sa  situation  exposait  aux  pre- 
mières atteintes  des  incursions  turques  et  tartares,  et  où,  d'un 
autre  côté,  Timportance  de  la  population  allemande  offrait  un 
solide  point  d'appui  aux  invasions  autrichiennes,  se  vit  maintes 
fois  condamnée  par  les  nécessités  de  la  guerre  à  frapper  des 
monnaies  de  nécessité.  Elle  a  été  un  centre  particulièrement 
productif  d'espèces  d'or  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Sigismond 
Bathori  (1602).  A  dater  de  cette  époque,  il  s'y  est  produit  de 
fréquentes  suspensions  de  travail,  avec  de  faibles  reprises  sous 
Gabriel  Bathori,  Gabriel  Bethlen  et  Apafi.  Hermannstadt  émet 
encore  un  ducat  sous  l'empereur  Joseph  I". 

Après  ces  trois  principaux  foyers  de  production,  il  faut  citer 
un  certain  nombre  d'ateliers  monétaires  dont  l'activité  a  pris 
soû  essor  après  le  commencement  du  dix-septième  siècle. 

La  ville,  qui  porte,  depuis  le  règne  de  Charles  VI,  le  nom 
de  Karlsburg,  en  hongrois  Karoly-Fejervar,  et  que  l'on  nom- 
mait antérieurement  Alba-Julia  et  Weissenbourg  ^  en  vieux 
français  Albe-Jule  (1),  assise  dans  la  vallée  de  la  Maros,  entre 
Clausenbourg  et  Hermannstadt,  à  proximité  des  riches  mines 
de  Zalathna,  montre  ses  premiers  produits  monétaires,  dans 
les  premières  années  du  dix-septième  siècle,  sous  Gabriel  Ba- 
thori. La  frappe  s'y  est  continuée  jusqu'au  dernier  règne,  et 
c'est  aujourd'hui  l'unique  atelier  impérial  et  royal  de  Transyl- 
vanie. 

Kremnitz,  en  hongrois  Kormecz-Banya ,  est  située  fort  loin 
(les  frontières  de  Transylvanie,  de  Tautre  côté  de  la  grande 
plaine  hongroise,  au  cœur  du  massif  montagneux  dont  les 
contreforts  s'étendent  jusqu'en  Moravie,  et  d'où  descend  la  ri- 

(1)  Pumà^l,  p.  70. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  21 1 

vière  de  Gran,  qui  va  se  jeler  dans  le  Danube  entre  Peslh  et 
Konaorn.  Il  avait  fallu  les  grandes  aventures  de  la  guerre  de 
Trenle-Ans  et  l'orageuse  fortune  de  Gabriel  Bethlen  pour  qu'un 
prince  de  Transylvanie  fît  frapper  à  son  effigie  les  monnaies 
sorties  de  cet  atelier,  où  s'élaboraient  les  riches  produits  des 
gisements  métallurgiques  du  voisinage.  Ce  n'est,  en  effet,  que 
sous  le  règne  du  héros  protestant  que  les  émissions  y  ont 
commencé,  comprenant  ducats  et  thalers.  Elles  y  ont  été  inter- 
rompues, au  bout  de  quelques  années,  par  le  refoulement  du 
hardi  guerrier  dans  ses  Étals  originels. 

L'atelier  d'Oppeln,  en  Silésie,  a  fonctionné  dans  les  mêmes 
conditions.  Cette  ville  est  encore  bien  plus  éloignée  du  réduit 
transylvanien,  puisqu'elle  est  bâtie  sur  le  versant  baltique,  au 
bord  de  l'Oder,  en  amont  de  Breslau.  Chef-lieu  d'un  duché, 
contre  lequel  Sigismond  Bathori  avait  momentanément  accepté 
d'échanger  la  Transylvanie,  avec  une  pension  de  50,000  écus 
en  guise  de  soulte,  elle  fut,  pour  Gabriel  Bethlen,  avec  le  du- 
ché voisin  de  Ratibor,  le  prix  de  l'heureuse  campagne  de 
Bohême;  mais  cette  situation  n'a  duré  que  trois  ans,  l'empe- 
reur ayant  rétracté,  par  la  paix  de  Vienne,  une  partie  des 
avantages  consacrés  par  le  traité  de  Nickolsbourg.  Il  ne  s'y 
est,  d'ailleurs^  frappé  que  des  monnaies  inférieures  d'argent, 
gros  et  deniers. 

Nous  ne  mentionnons  que  pour  mémoire  l'atelier  de  Kaschau, 
au  sud  des  Carpathes  de  la  frontière  de  Gallicie,  l'origine  des 
monnaies  qui  y  auraient  été  émises  n'étant  pas  certaine. 

Après  le  règne  de  Gabriel  Bethlen ,  le  monnayage  transyl- 
vanien s'est  resserré  dans  les  limites  de  la  province.  Sous  le 
gouvernement  d'Apafi,  quatre  nouvelles  villes  sont  passées  au 
rang  de  cités  monétaires.  Ce  sont  : 

Bistritz,  en  hongn^is  Besztercza'Videk,  au  nord -est,  en  pays 
saxon,  dans  un  district  minier  voisin  des  frontières  de  Buko- 
wine; 

Schœssbourg,  Segesvar,  sur  le  Kokel,  en  pays  saxon  : 


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212  MEMOIRES.* 

Kronstadt,  appelée  par  les  Hongrois  Brasso,  par  les  latinistes 
et  les  Ilaliens  Corona,  par  les  Grecs  Stefanopoli,  à  l'angle  sud- 
est  de  la  province,  au  pied  des  montagnes  de  Valachie,  la  plus 
exposée  peut-être  de  toutes  les  villes  transylvaniennes  pendant 
le  flux  et  le  reflux  des  invasions  turques,  et,  par  suite,  le  lieu 
d'émission  de  nombreuses  monnaies  obsidionales. 

FogaraSy  sur  l'Aluta,  près  de  la  frontière  valaque,  où  ont 
été  frappées  des  monnaies  d'or  en  abondance,  quelques-unes 
de  très-grand  module,  notamment  la  pièce  de  100  ducats 
oflerte  à  l'empereur  Léopold. 

Quelques-uns  des  ateliers  que  nous  venons  de  citer  ont  eu 
des  marques  iconographiques  servant  à  poinçonner  les  mon- 
naieB  : 

C'est,  pour  ^o/o5t;ar,  un  château  à  trois  tours; 

Pour  Hermannstadt,  deux  épées  croisées  la  poinle  en  bas,, 
quelquefois  brochant  sur  un  orle  en  losange  ; 

Pour  Cronstadty  une  racine  d'arbre  engagée  dans  une  cou- 
ronne ; 

Pour  Schœssbourg,  un  château  à  trois  tours  (1672,  M  1132); 

Pour  Fogaras,  deux  poissons  en  fasce. 

Les  autres  ateliers  inscrivaient  seulement  des  initiales.  Nous 
en  donnerons  le  tableau  dans  la  partie  de  ce  travail  consacrée 
aux  légendes. 

CHRONOLOGIE 

C'est,  en  somme,  la  funeste  bataille  de  Mohacz,  où  Soliman  II 
noya  dans  les  marais  du  Danube  la  fleur  de  la  chevalerie  ma- 
gyare, qui  a  été  le  point  de  départ  de  l'autonomie  transylva- 
nienne. A  la  suite  de  celte  journée,  Jean  de  Zapolya,  comte 
de  Zips,  vaïvode  ou  lieutenant  du  roi  de  Hongrie  en  cette  pro- 
vince, arrivé  trop  tard  sur  le  champ  de  l'action  pour  sauver  le 
roi  Louis  II,  fut  proclamé  à  sa  place  par  les  États  assemblés 
dans  la  plaine  de  Rhakos,  tandis  que  la  veuve  du  malheureux 
prince,  la  reine  Marie  d'Autriche,  faisait  reconnaîlre  son  frère, 
l'archiduc  i  erdinand,  par  un  groupe  d'électeurs  favorables  à 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSTLYANIR.  213 

l'empire.  Après  une  guerre  qui  dura  plusieurs  années,  et  du- 
rant laquelle  le  nouveau  vaïvode  de  Transylvanie,  Éraeric 
Cibaco,  évêque  de  Varadin,  fut  assassiné  par  ordre  du  Véni- 
tien Griti,  arrivé  dans  la  province  en  qualité  de  commissaire 
et  lieutenant  général  du  sultan,  à  la  tête  d'un  corps  de  janis- 
saires, Jean  I"  conclut  avec  son  rival  un  irailé  qui  lui  recon- 
naissait la  possession  viagère  de  la  Hongrie  et  la  propriété  hé- 
réditaire de  la  Transylvanie.  C'est  ainsi  qu'il  commença  la 
série  des  princes  transylvaniens  qui  devait  finir  officiellement, 
en  1690,  par  la  mort  de  Michel  Apafi. 

Voici,  résumée  en  peu  de  mots,  la  chronologie  du  mon- 
nayage transylvanien  : 

Jean  de  Zapolya,  protégé  du  sultan  Soliman  II,  roi  viager 
de  Hongrie  et  prince  héréditaire  de  Transylvanie  en  vertu  du 
traité  de  Groswardein,  mort  vingt-neuf  mois  après  cette  con- 
vention, a  émis  des  monnaies  d'or  à  Clausenbourg  et  à  Her- 
mannstadt.  (1538-1540,  M  1-26.) 

Ferdinand  I"  d'Autriche,  durant  les  cinq  ans  de  l'annexion 
effectuée  en  exécution  du  traité  de  Clausenbourg,  a  frappé 
quelques  ducats  à  Hermannstadt,  le  grand  quartier  général 
allemand,  et  un  petit  nombre  de  plaques  monétaires  de  cam- 
pagne d'argent.  (1551-1556,  M  27-34.) 

Jean-Sigismond  de  Zapolya,  rétabli  dans  ses  droits  par  les 
Transylvaniens  révoltés  contre  l'occupation  autrichienne,  avec 
l'appui  du  sultan,  réconcilié  avec  l'Autriche  en  1571  par  la 
paix  de  Prague,  qui  lui  laissait  la  possession  de  la  Transyl- 
vanie et  de  quelques  comtés  hongrois,  mort  l'année  même  de 
ce  pacte,  a  émis  des  ducats  à  Nagy-Banya,  Hermannstadt  et 
Clausenbourg;  des  deniers  hongrois  et  des  Ihalers  de  campa- 
gne (1556-1571,  M  36-107.) 

Etienne  Bathori  de  Somlyo,  magnat  hongrois,  élu  par  les 
Étals  provinciaux,  vassal  de  l'empire  et  tributaire  du  sultan, 
puis  élevé  au  trône  de  Pologne,  des  ducats  à  Hermannstadt  et 


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214  MÉMOIRES. 

à  Nagy-Banya,  et  des  lhalers  dans  cette  dernière  ville.  (1571- 
1575,  M  108-132.) 

Christophe  Balhori,  frère  d'Élienne,  waïvode  jusqu'à  la  mort 
de  ce  |)rince,  et,  comme  lui,  grand  protecteur  des  jésuites,  a 
frappé  des  ducats  à  Hermannstadt  et  quelques  lhalers  de  cam- 
pagne à  une  seule  face.  (157(5-1581,  M  134-151.) 

Sigismond  Bathori,  fils  de  Christophe,  deux  fois  démission- 
naire et  deu^  fois  revenu  au  pouvoir,  durant  les  vingt  et  un 
ans  de  son  règne,  l'un  des  plus  longs  de  l'histoire  de  Tran- 
sylvanie, des  ducats  à  Hermannstadt,  à  Clausenbourg  et  à 
Nagy-Banya,  d'où  est  aussi  sortie  une  très-grande  quantité  de 
lhalers  à  coins  variés.  (1581-1602.) 

L'empereur  Rodolphe  II,  à  deux  reprises  différentes,  sous  le 
règne  de  Sigismond  Bathori  et  après  sa  dernière  abdication, 
des  ducats  autrichiens  à  Clausenbourg  et  des  pièces  obsidio- 
nales  d'or,  el  d'argent  à  Hermannstadt.  (1598-1602-1605, 
M  317-332.) 

Michel  le  Brave,  woïvode  de  Valachie,  lieutenant  général  et 
gouverneur  au  nom  de  l'empire  en  Transylvanie,  durant  une 
courte  période,  un  thaler  d'essai.  (M  333.) 

Etienne  Bocskai,  oiicle  de  Sigismond  Bathori,  proclamé  par 
les  insurgés  protestants,  conquérant  de  la  Transylvanie  entière 
el  d'une  partie  de  la  Hongrie,  des  ducats  à  Clausenbourg  el  à 
Nagy-Banya,  des  lhalers  à  Nagy-Banya  et  des  petites  mon- 
naies d'argent  à  Hermannstadt.  (1604-1607,  M  341-415.) 

Sigismond  Râkôczi,  élu  en  1607,  démissionnaire  après  quinze 
mois  de  règne,  à  cause  de  son  grand  âge  et  de  ses  infirmités, 
quelques  ducats  et  lhalers  à  Clausenbourg.  (1607-1608,  M  416- 
419.) 

Gabriel   Bathori,  élu   en   1608,   combattu  par  la   nalion 


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ESSAI  sua  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIK.  215 

saxonne,  que  la  dureté  de  son  gouvernement  avait  poussée  à 
la  révolte,  cl  tué  dans  la  lutte  le  27  octobre  1613,  des  menues 
monnaies  d'argent  à  Hermannstadt  et  à  Weissenbourg.  Des 
pièces  obsidionales  ont  été  émises,  sous  son  régne,  à  Hermann- 
stadt et  à  Cronstadt.  (1608-1613,  M  420-558.) 

Gabriel  Bethlen,  que  l'Europe  a  connu  sous  son  nom  magyar 
de  Bethlen  Gabor,  rival  heureux  de  son  prédécesseur,  chef  des 
réformés  de  Hongrie,  arrivé  au  pouvoir  par  l'assistance  des 
Turcs,  l'un  des  principaux  acteurs  de  la  guerre  de  Trente-  Vns, 
soutenu  par  l'Angleterrç,  le  Danemark,  la  Hollande,  allié  du 
comte  de  Mansfeld,  mort  en  1630,  après  seize  ans  du  règne  le 
plus  agité,  des  ducals  à  Hermannstadt,  Clausenbourg,  Weis- 
senbourg, Nagy-Banya  et  Kremnitz;  des  thalers  à  Kremnitz, 
à  Nagy-Banya  et  à  Cronstadt;  des  menues  monnaies  d'argent 
à  Hermannstadt,  Kremnitz,  Weissenbourg,  Nagy-Banya,  Op- 
peln  et  peut-être  à  Kaschau.  (1613-1629,  M  559-848.) 

Catherine  de  Brandebourg,  sa  veuve,  contrainte  d'abdiquer 
à  la  première  réunion  des  Étals,  et  Etienne  Bethlen,  son  frère, 
lieutenant  générahsous  le  règne  éphémère  de  Catherine,  puis 
prince  pendant  deux  mois,  des  ducUs  à  Clausenbourg.  (1629- 
1630,  M  849-851.) 

Georges  Râkôczi  !•%  champion  des  protestants-  hongrois, 
allié  de  la  France,  de  la  Suède,  du  sultan  Ibrahim,  raccom- 
modé avec  l'Autriche  par  le  traité  de  lyrnau,  des  ducats  à 
Clausenbourg,  Weissenbourg  et  Nagy-Banya;  des  thalers  à 
Nagy-Banya  ;  des  gros  à  Clausenbourg.  (1630-1648,  M  852-892.) 

Georges  H.àkôczi  H,  ardent  calviniste,  allié  du  roi  de  Suède 
Charles-Gustave,  déposé  par  le  sultan  Mahomet  IV,  et  défini- 
tivement renversé  au  cours  de  sa  lutte  contre  les  Turcs,  des 
ducats  à  Nagy-Panya,  Weissenbourg,  Clausenbourg;  des  tha- 
lers à  Nagy-Banya.  (1648-1660,  M  893-1003.) 

Achate  Harcsai,  élu  en  1658,  massacré  en  1660,  des  ducats 


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21 6  MÉMOIRES. 

et  des  thalers  à  Clausenbourg,  et  des  pièces  obsidioDales  à 
Hermannsladt,  Cronsladl  et  Schaessbourg.  (1658-1660,  M  1003- 
1026.) 

Jean  Kémény,  élu  le  1"  janvier  1661  contre  la  volonté  du 
sultan,  et  lue,  en  1662,  à  la  bataille  de  Gross-Alisch,  des  du- 
cats à  Clausenbourg,  des  thalers  à  Clausenbourg  et  Schaass- 
bourg.  (1661,  M  1027-1043.) 

Michel  Apafi,  nommé  malgré  lui  par  le  sultan,  mort  en 
1690,  après  avoir  reconnu  la  suzeraineté  de  l'empereur  Léo- 
pold  (vingt-neuf  ans  de  règne),  des  ducats  à  Cronstadt,  Her- 
mannstadl,  Weissenbourg,  Fogaras;  des  thalers  dans  les 
mêmes  villes  et  à  Schaessbourg,  de  menues  monnaies  à  Bistritz 
et  à  Hermannstadt.  (169(M705,  M  12001239.) 

Émeric  Tœkœli,  exilé  hongrois,  nommé  par  la  Porte  et  con- 
flrmé  par.  les  États  le  12  septembre  1690,  mais  dépouillé,  avant 
la  fln  de  Tannée,  par  les  forces  autrichiennes,  un  ducal,  sans 
marque  d'atelier.  (1690,  M  1196.) 

* 

Ensuite  commence  le  monnayage  impérial,  qui  consacre 
encore  des  types  distincts  à  la  Transylvanie. 

Léopold  !•'  émet  des  ducats  à  Clausenbourg,  des  menues 
monnaies  à  Hermannstadt  (1690-1705.) 

Cette  même  ville  est  l'unique  atelier  monétaire  désigné,  sous 
Joseph  !•%  pour  l'or  comme  pour  l'argent.  (1705-1711,  M  1240- 
1258.) 

François  Râkôczi  II,  chef  des  mécontents,  proclamé  prince 
en  1704,  réduit,  en  1711,  après  plusieurs  échecs,  à  fuir  en 
Pologne,  a  émis  un  ducat  à  Clausenbourg,  en  1705.  (M  1259.) 

Quant  aux  monnaies  d'or,  d'argent  et  de  cuivre  frappées  sous 
Charles  VI  (1712-1740)  et  sous  Marie-Thérèse  (1741-1780),  elles 
ne  portent  plus  de  désignation  d'origine.  (M  1273-1390.^ 


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RSSAI  SCR  LÉS  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  217 

DEUXIÈME  PARTIE 

LÉGENDBS 

Toutes  les  légendes  sont,  sans  exception,  conçues  en  langue 
latine.  C'est  un  phénomène  curieux  que,  même  à  l'époque  où, 
dans  la  plupart  des  États  de  l'Europe,  les  langues  vulgaires 
commençaient  à  se  faire  jour,  et  où  l'esprit  de  la  Réforme 
repoussait  le  latin  comme  un  instrument  de  la  tyrannie  ro- 
maine, pas  une  seule  pièce,  pas  même  une  médaille,  n'ait 
porté  un  mot  emprunté  aux  langues  vulgaires  usitées  en 
Transylvanie.  Nous  ne  parlons  pas  de  la  langue  roumaine,  qui 
élait  pourtant  celle  de  la  majorité  des  habitants,  mais  d'une 
majorité  maintenue  à  l'état  d'infériorité  et  de  dépression.  Ni 
les  Magyars,  qui  se  sont  longtemps  obstinés  à  considérer  les 
Valaques  comme  des  vaincus  et  des  esclaves;  ni  les  Saxons, 
qui  les  condamnaient  à  vivre  sous  des  toits  de  chaumr,  se  ré- 
servant le  privilège  exclusif  d'édifier  des  maisons  de  pierre, 
afin  de  mieux  marquer  l'inégalité  des  conditions,  n'auraient 
souffert  que  la  «  langue  d'or  »  s'élalât  sur  des  monnaies  transyl- 
vaniennes; même  les  pièces  frappées  à  destination  spéciale  de 
la  Moldo -Valachie  ne  dérogent  pas  à  la  règle  commune 
(M  310-315).  Il  est  plus  remarquable  que  la  langue  hongroise 
n'y  ait  jamais  paru,  et  que,  jusque  sous  la  domination  directe 
de  l'Autriche,  après  les  exploits  des  CastaMi  et  des  Basta, 
l'allemand  ne  s'y  soit  pas  non  plus  aventuré.  Entre  toutes  les 
légendes  du  monnayage  transylvanien,  il  n'y  a  que  deux  mots 
d'allemand,  inscrits  sur  une  toute  petite  monnaie  de  cuivre  : 
EIN  GRESCHL,  encore  n'apparaissenl-ils  que  sous  Marie- 
Thérèse,  en  1763.  L'antique  primauté  du  latin  se  perpétuait, 
comme  elle  s'était  maintenue  si  longtemps  dans  le  reste  de 
l'Europe,  peut-être  parce  que  ces  régions  de  l'Orient  sont  des- 
tinées à  recevoir  plus  tardivement  le  contre-coup  des  réformes 
occidentales,  peut-être  aussi  parce  que  la  pluralité  des  dialectes 


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218 


MBHOIEES. 


parlés  dans  la  province  rendait  plus  impérieuse  la  nécessité 
d'employer  une  langue  neutre  qui  était,  d'ailleurs,  celle  des 
actes  publics,  tant  à  la  cour  des  princes  que  dans  les  sessions 
des  État?. 

Quelques  particularités  orthographiques  méritent  d'être  re- 
levées dans  le  contexte  de  ces  légendes. 

Sous  les  premiers  princes,  le  génitif  féminin  singulier  est 
terminé  en  E,  suivant  l'usage  constant  du  moyen  âge  : 
VNGARIE,  TRANSSYLVANIE.   (1577,  M  152.) 

VJE  paraît  en  1582  :  POLONI^  (M  133),  TRANSSYL- 
VANIiE  (1590,  M  156).  Il  devient  déflnitif,  à  compter  de  cette 
dernière  date,  pour  le  mot  TRANSYLVANIE,  qui  était  nou- 
veau sur  les  monnaies,  tandis  que  le  mot  Ungarie  conserve  sa 
physionomie  par  fidélité  archaïque.  L'^E  s'y  montre  seulement, 
en  1598,  sur  les  ducats  impériaux  de  Rodolphe  II,  où  l'H  fait 
en  même  temps  son  ap|)arition.. 

Des  incorrections  assez  nombreuses,  qui  vont  quelquefois 
jusqu'à  produire  des  mots  dépourvus  de  sens,  témoignent  à 
quel  point  la  langue  officielle  était  étrangère  à  la  plupart  des 
monnayeurs  transylvaniens. 

Ainsi,  nous  lisons  QVJE,  et  même  QVIiE,  pour  QUE  : 
TRAN  :  SYLYANIJEQWJE.  (Thaler  de  1606,  M  374.) 

PRINCES  {ibid.,  1597,  M  298),  PRINCHPS  et  PRINCHRS 
pour  princeps.  (Thalers  de  Sigismond  Bathori,  1593,  M  254- 
55-56,  266.) 

TRANSSYLVNIiE,  pour  Transylvaniœ  {Ibid.,  M  261.)  — 
TRANSSYLVANE.  (1593,  M  272.)  -  TRANSA.  (M  316.)  — 
TRANISLVA-.  (M  355.) 

CONSIDES  pour  CONSIDERES. 

TEGO  pour  TERGO.  (Médaille  d'Hermannstadt,  1602, 
M  323.) 

VICiELICA  pour  VT  ŒLICA;  POSSIDES  pour  POSSI- 
DEAS.  (M  338.) 

COMOS,  COOMES,  pour  COMES. 

SICVL  COMOS.  (Thaler  de  Gabriel  Balhori,  M  462.)  — 
SIC  •  COOMES.  {Ibid.,  M  532.) 

STEPHA/NVS  pour  STEPHANVS.  (M  371.) 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  Si  9 

RVNGARIE  pour  HVNGARIE.  (Ducal  de  Jean  !•%  M  26.) 
Quant  à  la  forme  des  caractères,  c'est  toujours  la  capitale 
romaine,  et,  en  général,  le  type  connu  sous  le  nom  de  lettres 
elzéviriennes.  Les  pièces  de  Sigismond  Ràkôczi  (1607)  portent 
seules  des  légendes  en  lettres  gothiques.  (M  416-417.)  Il  en  est 
de  même  d'un  ducat  de  Georges  Ràkôczi  I"  frappé  à  Clausen- 
bourg  en  1631.  (M  856.)  Il  y  a  quelques  exemples  de  lettres 
liées  : 

M/  >E  U.  (Thaler  de  1589,  M  216.) 

Les  mots  sont  séparés,  soit  par  un  point,  d'après  le  mode 
antique;  soil  par  deux  points  superposés,  d'après  la  coutume 
du  moyen  âge;  soit  par  quatre  poinls  disposés  en  losange 
(thaler  de  Sigismond  Bathori,  M  222),  soit  par  un  annelet 
(M  100,  684),  soit  par  une  rosette  à  cinq  pétales  plus  ou 
moins  volumineuse,  soit  par  une  croisette,  soit  par  une  étoile, 
soit  enfln  par  des  combinaisons  de  ces  divers  éléments  (M  699). 

Toutes  les  légendes  peuvent  se  grouper  en  trois  catégories  : 

Les  dénominations  uionétaires; 

Les  titres  princiers; 

Les  formules  ou  devises. 

DÉNOMINATIONS  MONÉTAIRES 

Les  premières  désignations  monétaires  apparaissent  sous 
Etienne  Bathori;  elles  sont  très-vagues  et  ne  précisent  point 
la  valeur  de  la  pièce,  contenant  simplement  les  mots  :  Moneta 
Transylvaniœ,  abrégés  de  diverses  façons  : 

MONE  +  TRANSIL.  (M  108-110.) 

MONETA  •  TRANS.  (M  111.) 

MON    TRANSIL.  (M  112) 

Ces  désignations  sommaires,  empruntées  à  des  pièces  ita- 
liennes et  allemandes  d'un  âge  beaucoup  plus  reculé,  sont 
exclusivement  réservées  à  la  monnaie  d'or,  et  particulières 
aux  ducats  d'Hermannstadt. 

Elles  se  retrouvent  sous  Christophe  Bathori  (1577-79,  M  139- 
143),  sous  Sigismond  Bathori  (1582-94,  M  157-202).  Hermann- 
stadt  et  Weissenbourg  : 


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2^0  MÉMOIEES. 

MON  •  OR  •  TRANISLVA  •  VNG.  (M  355-356.)  Élienne 
Bocskai. 

Le  thaler  de  Nagya-Banya  de  1589  porte  ces  mots  : 

MONETA  •  PRINCIPIS  •   REGNI  •  TRANSILVANIiE. 
(M  216.) 

On  lit,  en  1601,  sur  une  plaque-lhaler  de  Cronsladt  : 

MONETA  CIVITATIS  CORONENSIS.  (M  307.) 

Le  sol  de  billon  de  Sigismond  Balhori  est  la  première  pièce 
qui  porte  une  dénomination  précise  : 

SOLIDUS  •  REGNI  •  TRANSA.  (1591,  M  316.) 

Puis  viennent  les  pièces  de  trois  gros  d'argent  du  môme 
prince  : 

GRO  ARG  TRIP  PRIN   TRANSILVANIiE   IH.  (1594, 
M  309.)  Quelquefois,  le  chiffre  est  placé  en  lêle.  (M  311-314.) 

Sous  Etienne  Rocskai,  pièces  de  six  gros  : 

VI  GROS  •  ARGENT  •  SE  •  REG  •  HV  *  ET    TRA.  (1606, 
M  376.) 

III  GROS  •  ARG  •  TRIP  •  REGNI  •  HVNGAR  (M 377). 

Continuées  sous  Gabriel  Bathori  (M  479),  avec  la  variante  : 

III   GROS  •  ARG  •  TRIP  •  REGNI   •  TRANSYLVANI. 
Georges  Râkôczi,  889. 

Le  gros  du  même  prince  : 

GROSSVS  •  REGNI  •  TRANSYL  (504).   Gabriel  Bethlen, 
831. 

Le  gros  de  la  ville  de  Cronstadt  : 

GROSS  •  CIVITA  •  BRASSO.  (1613,  M  545-556.) 

III  GROS  •  ARG  •  TRIP  •  OPO  •  ET  •  RAT.  (M  784.) 

L'empereur  Léopold  I",  à  la  suite  de  l'acte  d'union  de  1691, 
inscrit  sur  ses  monnaies  d'or  : 

DVCATVS  NOV9  TRANSYLVANIiE  (M  1205), 
désignation  qui,  bien  que  destinée  au  simple  ducat,  fut  appli- 
quée indistinctement  aux  pièces  de  3,  de  5  et  de  10  ducats. 
(M  1201-1205.) 

Sur  les  pièces  de  3  et  de  15  kreutzers,  émises  à  Clausenbourg 
et  à  Hermannstadt,  il  écrit  : 
MONETA  NOVA  ARG  TRANSYLV.  (1704,  M  1223-1234.) 

Enfin,  les  petites  monnaies  d'argent  frappées,  sous  le  même 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  221 

règne,  par  l'atelier  d'Hermannsladt,  portent  le  mot  POLTVRA. 
(1704,  M  1235-1239,) 

En  1705,  François  Râk(5czi,  chef  des  méconlenls,  fait  graver 
sur  ses  ducats  de  Clausenboiirg  la  légende  : 

MONETA  NOVA  AVREA  TRANS  :  (M  1259). 

Les  dénominations  monétaires  disparaissent  complètement 
sous  Tempereur  Charles  VI,  à  l'exception  du  mot  POLTVRA , 
qui  se  maintient  sous  Marie-Thérèse.  La  même  impératrice 
frappe  aussi  de  petites  monnaies  inscrites  des  mots  : 
EIN  GRESCHL.  (1763,  M 1368.) 

Ces  deux  syllabes  sont,  comme  nous  l'avons  fait  observer 
plus  haut,  tout  ce  que  contient  d'allemand  le  monnayage 
transylvanien. 

Les  marques  des  ateliers  monétaires  d'où  sont  sorties  les 
pièces  des  princes  de  Transylvanie  sont  généralement  inscrites 
dans  le  champ  de  l'avers  ou  du  revers.  Ce  sont  presque  tou- 
jours les  initiales  des  noms  de  villes,  soit  en  langue  hongroise, 
soit  en  langue  latine.  Le  double  usage  de  ces  langues,  res- 
treint à  ce  cas  particulier,  fait  que  certaines  villes  ont  deux 
systèmes  d'initiales  différents.  Ainsi,  Kolosvâr  ^=  Clausen- 
bourg  est  désignée  par  les  lettres  C  V  ou  K  V,  Colos  ou  Kolos 
Var,  et  par  A  C,  Arx  Claudiopoli'^;  Kronstadt  se  désigne  tantôt 
par  C  B,  Civitas  Brassovia,  tantôt  par  C  C,  Civitas  Corona.  A 
dater  de  l'avènement  de  l'empereur  Charles  VI  (1712),  il  ne 
reste  plus  de  traces  des  marques  d'ateliers  monétaires  transyl- 
vaniens. 

Voici,  par  ordre  alphabétique,  la  série  des  initiales  moné- 
taires, avec  des  indications  géographiques  et  chronologiques  : 

A  C,  Arx  Claudiopolis  =  Clansenbourg.  (Sigismond  Râ- 
kôczi,  ducal;  (iabriel  Balbori,  Etienne  Belhlen  ) 

A  F,  Arx  Fogaras  =  Fagaras.  (Apafi,  ducats  M  1055.) 

A  I,  Alba  Julia  -=  Weissenbourg.  (  abriel  Bathori,  ducat; 
Georges  Râkôczi  II,  10  ducats.  (M  896.) 

BE  V,  Besztercza-Videk  =  l^istritz.  (Àpafi,  thakr, M 1 130- 
1173.) 


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222  MÉMOIRBS. 

C,  Cibinium  =  Hermannsladl.  {i/\  ducal,  1579,  M  144.) 

C  B,  Civitas  Brassovia  ^  Cronsladl,  (Apafi,  M  1016  ) 

C  C,  Civitas  Corona  =  Cronsladl.  (Gabriel  Balhori,  ducal 
de  nécessilé;  Gabriel  Bethlen,  ducal,  M  755.) 

C  M,  Cibiniensis  Moneta  =  Hermannsladt!  (Gabriel  Ba- 
Ihori,  Ihaler  de  nécessilé;  Gabriel  Belhlen,  M  581.) 

C  V,  Colos  Var  =  Clausenl  ourg.  (Élieone  Bocskai,  dou- 
ble ducal.) 

K  B,  KœrmecZ'Banya  =  KTemn\iz.  (Gabriel  Belhlen,  du- 
cats.) 

K  V,  Kolos  Var  =  Clausenbourg. 

M  C,  Megyes  Civitas  =  Mediasch.  (Gabriel  Belhlen,  Iha- 
lers.) 

N  B.  Nagy-Banya.  (Élienne  Balhori,  duc  Us,  thalers; 
Sigismond  Balhori,  Etienne  Bocskai,  Gabriel  Ba- 
tliori,  etc.) 

N  E,  Nagy-Enyed.  (Apafi,  M  1185  ) 

S  B,  Schœssburg.  (Kemeny,  Ihaler,  M  1042;  Apafi,  tha- 
ler,  1672,  M  1132.) 

MARQUES  DES  OFFICIERS  DES  MONNAIES 
FG.  —  PP.  -  BZ. 

On  peut  dire  qu'en  général  les  directeurs  ou  surintendanls 
des  monnaies  de  Transylvanie  n'ont  point  laissé  de  traces 
numismaliqnes.  Les  pièces  dont  ils  oui  prescrit  ou  surveillé 
l'émission  ne  portent  d'aulres  iniliales  que  celles  de  Tatelier 
monétaire,  et  les  emblèmes  héraldiques  accessoires  qui  y  figu- 
rent appartiennent  seulement  aux  villes  où  ces  ateliers  étaient 
installés. 

Il  y  a  pourtant,  dans  la  première  moilié  du  seizième  siècle, 
sous  Jean  1"  de  Zapolya,  une  exception  éclatante  en  faveur 
d'un  personnage  dont  l'existence  romanesque  et  la  fin  tragique, 
aujourd'hui  presque  oubliées,  avaient  beaucoup  frappé  les  con- 
temporains. 

Les  ducats  de  Clausenbourg  et  d'Hermannstadt  émis  de  1538 


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ESSAI  SUE  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  ^23 

à  1540  portent,  soit  à  côté  de  la  figure  de  saint  Ladislas,  soit 
à  droite  et  à  gauche  des  armes  du  prince,  les  deux  initiales 
F  G,  fraler  Georgius,  qui  désignent  le  moine-cardinal  Georges 
Marlinuzzi,  régent  et  trésorier  général  de  Transylvanie. 

Il  étaU  né  en  U82,  au  château  de  Namiezas,  en  Croatie. 
Après  une  enfance  très-négligée,  le  désir  de  faire  fortune  le 
poussa,  dès  Tâge  de  treize  ans,  auprès  de  son  oncle,  évêque 
de  Scardona,  en  Dalmalie,  qui  le  rebuta  à  cause  de  l'insuffi- 
sance de  son  éducation  ;  puis  à  Bude,  auprès  de  parents  indif- 
férents; puis  au  château  de  Huniad,  en  Transylvanie,  chez  le 
fils  de  Mathias  Corvin,  où  il  perdit  quelques  années;  puis, 
après  la  mort  de  ce  prince,  chez  la  veuve  du  palatin  Etienne 
de  Zapolya,  où  il  n'eut,  dit-on,  d'abord  d'autre  emploi  que 
d'entretenir  les  poêles  des  appartements.  La  mort  de  son  père, 
lue  dans  un  combat  contre  les  Turcs,  le  surprit  dans  cette 
situation  Infime,  et  donna  un  autre  cours  à  ses  pensées.  Il  se 
présenta  au  couvent  de  Saint-Paul,  près  Bude;  mais,  comme  il 
était  arrivé  à  l'âge  de  vingt-quatre  ans  sans  savoir  lire,  on  ne 
put  faire  de  lui  qu'un  frère  convers,  et  on  le  chargea  de  dis- 
tribuer les  aumônes  à  la  porte  du  monastère.  Au  cours  de  ces 
fonctions,  il  entreprit  d'acquérir  les  connaissances  qui  lui  man- 
quaient, et  s'appliqua  avec  tant  d'ardeur  à  l'étude  du  latin 
qu'il  arriva  rapidement  aux  plus  hautes  charges  de  la  maison. 
Quelque  temps  après,  les  religieux  de  Czenstochowa,  en  Polo- 
gne, l'élurent  abbé.  C'est  dans  celle  qualité  qu'il  entra  rn  rela- 
tions avec  le  roi  de  Hongrie,  Jean  de  Zapolya,  alors  réfugié  en 
Pologne,  auprès  de  son  beau-père,  le  roi  Si^ismond:  Ce  prince 
cherchait  un  négociateur  habile  qui  lui  gagna',  par  son  adresse, 
la  sympathie  des  nobles,  du  clergé  et  du  peuple.  L'abbé,  qu'il 
était  allé  voir  dans  son  couvent,  accepta  la  mission,  et,  tandis 
que  Jérôme  Laski  se  rendait  à  Constanlinople  pour  solliciter  la 
faveur  de  Soliman,  il  entreprit  un  voyage  de  propagande  à 
travers  la  Hongrie,  et,  plaidant  tour  à  tour  contre  l'ambition 
de  la  maison  d'Autriche,  contre  l'hérésie  de  Luther,  importa- 
tion des  Allemands,  il  parvint  à  convaincre  un  certain  nom- 
bre de  gentilshommes,  qui  levèrent  des  troupes,  en  opérèrent 
secrètement  la  concentration,  et  battirent  l'armée  de  l'archiduc 


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224  MÊMOIKES. 

près  de  Kaschau.  Après  celle  victoire,  le  roi  Jean  alla  au-de- 
vanl  des  Turcs;  Soliman,  son  allié,  s'empara  de  Bude,  lui 
laissa  un  diplôme  en  lellres  d'or  portant  investiture  du  royaume 
de  Hongrie  et  un  corps  de  trois  mille  janissaires  pour  sa  garde 
personnelle.  Frère  Georges  fut  récompensé  de  la  part  qu'il 
avait  prise  à  ces  événements'  par  la  charge  de  minisire  et  de 
grand  trésorier.  Il  obtint  ensuite  l'évèché  de  Varadiu,  et  fut 
^  nommé  vaivode  de  Transylvanie.  C'est  durant  cette  période 
qu'il  fit  graver  ses  initiales  sur  les  monnaies  du  pays.  La  mort 
de  Jean  I"  étant  survenue,  Ferdinand  d'Autriche  reprit  ses 
avantages.  Marlinuzzi,  régent  et  tuteur  du  jeune  Zapolya,  di- 
rigea lui-même  la  défense  de  Bude,  où  Soliman  ne  tarda  pas 
d'arriver  à  son  leur  et  de  s'installer  pour  son  propre  comple, 
exhortant  la  reine-mère  à  se  retirer  en  Transylvanie  et  à  se 
conlenler  de  ce  domaine;  elle  y  fil,  en  effet,  son  entrée  avec 
une  escorte  turque.  Bientôt  les  exigences  du  redoutable  pro- 
tecteur ottoman  suscitèrent  de  graves  difficultés.  Il  y  eut  rup- 
ture entre  la  reine  et  le  ministre,  .qui,  déposé,  puis  réintégré 
par  Soliman,  prit  le  parti  de  traiter  avec  l'archiduc  d'Autriche. 
Ferdinand  fit  partir  le  marquis  Cdstaido,  avec  une  armée  com- 
posée d'Espagnols,  d'heiduqiies,  de  Hongrois  et  d'Allemands, 
pour  prendre  possession  de  la  Transylvanie.  Il  promit  au  frère 
Georges,  au  nom  du  roi  des  Romains,  la  confirmation  de  ses 
charges  de  vaivode  et  de  grand  trésorier,  avec  <  9,000  ducats 
d'appointements,  un  tiers  des  revenus  annuels  des  salines  de 
Thorda,  évaluées  à  300,000  ducats,  une  garde  ordinaire  de 
quinze  cents  chevaux  et  de  cinq  cents  fantassins.  La  reine- 
mère  dut  livrer  la  couronne  et  les  ornements  royaux  de  Hon- 
grie. Sur  ces  entrefaites,  frère  Georges  fut  promu  à  l'archevê- 
ché de  Gran,  et  le  pape  Jules  III  lui  envoya  le  chapeau  de 
cardinal.  Mais  il  arriva  bientôt  que  les  peuples  de  Transylva- 
nie n'eurent  pas  plus  à  se  louer  des  protecteurs  autrichiens  que 
des  prolecteurs  ottomans.  Martinuzzi  hasarda  quelques  obser- 
vations au  sujet  des  désordres  commis  par  les  garnisaires.  Le 
roi  des  Romains,  qu'embarrassait  l'exécution  du  traité,  et  qui 
voyait  dans  frère  Georges  un  obstacle  à  ses  projets  d'annexion, 
expédia  des  instructions  secrètes  à  son  lieutenant  général. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  225 

Celui-ci  s*élait  tait  inviter  au  château  de  Winitz,  somptueuse 
résidence  du  cardinal.  Le  19  décembre  1551,  après  une  nuit 
d'orage  qui  avait  fait  abandonner  aux  heiduques  de  garde  leurs 
postes  ordinaires,  frère  Georges  vit  entrer  dans  son  cabinet  le 
secrétaire  du  lieutenant  général,  Antonio  Ferraro,  qui  lui  por- 
tait des  lettres  à  signer;  comme  il  se  baissait  pour  les  lire, 
l'Italien  tira  un  poignard  de  sa  ceinture,  el  en  frappa  sa  vic- 
time au-dessous  de  la  gorge;  en  même  temps,  Tépée  à  la  main, 
faisait  irruption  dans  la  chambre  le  marquis  Pallavicini,  suivi 
de  quatre  capitaines  italiens  et  de  quatre  arquebusiers  espa- 
gnols. Le  cardinal  n'eut  que  le  temps  de  s'écrier  :  Quid  est 
hoc,  fratres?  et  fut  achevé  à  coups  d'épée  el  d'arquebuse.  Son 
corps  demeura  soixante-dix  jours  sans  sépulture.  On  fit  l'in- 
ventaire de  ses  biens  :  il  s'y  trouva  2,673  marcs  en  lingots 
d'or,  4,793  marcs  d'argent,  1,000  statères  d'or  de  Lysimaque, 
roi  de  Macédoine,  pesant  3  ducats  chacun,  plusieurs  vases  de 
vermeil,  des  chaînes  d'or  et  des  pierres  précieuses  en  abon- 
dance (1). 

Un  maître  monnayeur  nommé  Ballhasar  Zwirner  signe  de 
ses  initiales  BZ  les  triples  et  doubles  gros  de  Gabriel  Bethlen. 
(M  784-788.) 

TITRES  DES  PRINCES 

Les  titres  princiers  inscrits  sur  les  monnaies  de  Transylvanie 
ont  subi,  pendant  les  deux  cents  ans  qu'a  duré  le  monnayage 
autonome,  un  assez  grand  nombre  de  variations,  dont  la  série 
révélerait  seule  de  la  manière  la  plus  sensible  l'existence  tour- 
mentée de  cette  province  et  l'instabilité  de  régimes  incessam- 
ment bouleversés  par  la  guerre. 

Jean  I"  (Jean  de  Zapolya)  ne  rappelle,  sur  ses  ducats  de 
Clausen*bourg  et  d'Hermannstadt,  les  seules  pièces  conservées 

(4)  Il  a  été  publié  en  1715,  en  français,  dans  un  esprit  ouvertement  antiautrichien, 
que  révélerait,  du  reste,  la  dédicace  de  l'œuvre  à  «  Son  Altesse  Sérénissime  Monseigneur  le 
prince  Ragotsici  »,  une  Histoire  du  minisière  du  cardinal  Martinusius^  archevêque  de  Strigonie, 
fnimai  et  régent  du  royaume  de  Hongrie,  avec  l'origine  des  guerres  de  ce  royaume  et  de  ceUes 
de  la  Transylvanie,  par  A.  Béchet,  chanoine  de  TégUse  d'Uzès. 

8«   SH&lfi     —   TOMJB   III.    2.  15 


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286  MÉMOIRES. 

de  lui,  sa  dignité  de  prince  transylvanien  par  aucune  désigna- 
lion  particulière.  Négligeant  la  réalité  pour  le  rêve,  il  se  borne 
à  s'intituler  roi  de  Hongrie,  par  la  grâce  de  Dieu  : 

lOANNES  X  D  X  G  X  REX  x  HVNGARIE  , 

titre  imaginaire  qu'on  retrouve  sur  des  pièces  des  années  1538, 
1539  et  1540,  bien  que  le  traité  de  Groswardein  du  24  février 
1538  lui  reconnût  seulement  la  qualité  régulière  de  prince  de 
Transylvanie. 

Jean  II,  que  les  troupes  de  Charles-Quint  avaient  momenta- 
nément dépossédé  de  ses  États  héréditaires,  et  à  qui  l'assis- 
tance du  sultan  permit  plus  tard  de  refouler  les  Impériaux, 
continue  la  tradition  paternelle;  mais  au  titre  de  roi  de  Hon- 
grie par  la  grâce  de  Dieu  il  ajoute  une  affirmation  de  sa  con- 
fiance dans  les  arrêts  du  destin  sous  la  forme  de  trois  lettres 
énigmatiques  :  S  •  F  •  V  •  [Sicfata  volunt]. 

Les  historiens  ont  raconté  que,  lorsque  la  mère  du  jeune 
prince,  Isabelle  Zapolya,  fut  contrainte  par  les  armées  autri- 
chiennes d'abandonner  les  États  de  son  mari,  partant  pour  la 
ville  de  Kaschau,  qui  lui  avait  été  assignée  pour  résidence  jus- 
qu'à l'entière  exécution  du  traité,  elle  fut  obligée,  dans  un 
mauvais  chemin  où  son  carrosse  s'était  embourbé,  de  mettre 
pied  à  terre;  du  lieu  élevé  où  se  trouvait  le  petit  convoi,  l'œil 
embrassait  une  vaste  étendue  des  plaines  de  Transylvanie. 
Isabelle  considéra  avec  tristesse  ce  paysage  qu'elle  n'espérait 
plus  revoir,  et,  sur  l'écorce  d'un  gros  arbre,  elle  écrivit  avec  la 
pointe  de  son  poignard  : 

Sicfata  volunt. 
Isabella  Regina, 

Le  fils  d'Isabelle  s'intitule,  d'ailleurs,  tantôt  Jean-Sigismond, 
tantôt  Jean  II  : 

lOHAN  •  SIGISM    -  R  •  VNG  •  S  •  F  •  V 

(ducats  de  Nagy-Banya  (M  36-39),  émis  de  1556  à  1559; 
d'Hermannstadt,  de  Clausenbourg)  ; 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  237 

lOAN  •  SECVN  •  D  •  G  •  R  •  VN  (VNG,  VNGA,  VNGARI, 
VNGARIE) 

(M  43-49,  deoars  de  Nagy-Banya  de  1556  à  1557). 

Il  y  a  même  un  ducat  de  Clausenbourg,  frappé  en  1562,  où 
les  deux  formes,  Jean-Sigismond  et  Jean  11,  se  trouvent  réu- 
nies. Tune  à  l'avers,  l'autre  au  revers. 

Après  la  mort  de  sa  mère,  Jean  11  modifie  son  litre  royal, 
et  se  nomme  roi  élu  de  Hongrie  : 

10  •  SECV  •  D  •  G  •  ELE  •  REX  •  VN 
(double  ducal  de  Clausenbourg  de  1562,  M  53.) 

10  •  SECVN  •  D  •  G  •  ELEC  •  R  •  VN 
(ducat  de  Nagy-Banya  de  1560,  M  54.) 

10  •  SEC  •  D  •  G  •  ELE  •  REX  •  VN  • 

(ducat  de  Clausenbourg  de  1561 .) 

Sur  ses  thalers  militaires  frappés  pendant  la  campagne  de 
1562,  il  met  seulement  quatre  initiales  :  I  •  E  •  R  •  V  •  (/o- 
hannes  electus  reœ  Ungarie)  ou  I  •  S  •  R  •  V  {Johannes  Secun- 
dus  y  reœ  Ungarie). 

Cette  réduction  des  titres  princiers  à  trois  ou  quatre  initiales 
semble  avoir  été  fort  à  la  mode  pour  les  pièces  obsidionales 
ou  militaires,  dont  il  fut  frappé  un  si  grand  nombre  durant 
ces  époques  tourmentées.  Ces  initiales  s'inscrivaient  uniformé- 
ment au-dessus  d'un  écusson  armorié  de  type  presque  identi- 
que, accompagné  presque  toujours  de  la  dale  et  d'un  poinçon 
monétaire.  Citons,  entre  autres  exemples,  les  monnaies  de 
campagne  de  Maurice,  duc  de  Saxe,  en  1546,  avec  M  •  H  •  I  •  S 
{Moritz,  Herzog  in  Sachsen)\  celles  d'Albert,  comte  de  Mans- 
feld,  en  1547,  avec  A  •  G  •  Z  •  M  [Albert,  Graf  zu  Mansfeld), 
et  d'Albert,  margrave  de  Brandebourg,  en  1 552,  avec  A  •  M  •  Z  •  B 
{Albert,  Markgraf  zu  Brandenburg)  (1). 

La  princesse  Isabelle,  régente,  a  inscrit  aussi  ses  titres  au 

(4  )  Lackii,  SyUoge  ntmimaium  eleganUorwn^  pp.  4  4  5, 4  23,  4  46. 


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228  MÉMOIRES. 

revers  des  pièces  de  soq  fils;  elle  s'y  qualifie  uniformément 
reine  de  Hongrie  par  la  grâce  de  Dieu  : 

YSABE  •  D  •  G  •  REG  •  VNGA  * 

(ducats  de  Nagy-Banya,  1556-1559;  d'Hermanusladt,  1577  ; 
de  Clausenbourg,  1558-1559,  M  36-42).  Elle  n'est  point  nom- 
mée sur  les  denars. 

Dans  deux  pièces,  frappées  exclusivement  en  son  honneur 
eu  1557,  un  thaler  et  un  demi-thaler,  elle  complique  son  titre 
par  la  mention  de  la  Dalmatie,  de  la  Croatie  et  par  un  etc.,  dé- 
signant les  autres  prétentions  de  la  couronne  de  saint  Etienne  : 
YSABELLA  •  D  •  G  •  R  •  HVNG  *  DALMA  •  CROA  •  ETC  * 
(M  51-52). 

Etienne  Bathori,  élu  prince  par  les  États  de  Transylvanie 
après  la  mort  de  Jean-Sigismond,  inscrit  d'abord  seulement 
sur  ses  ducats  ses  quatre  initiales  : 

S- B- DS 

Stephanus  Bathori  de  Somlyo).  Ducats  d'Hermannstadt  frap- 
pés en  1572,  1573,  1575,  1576  (M  108-121).  Après  la  diète 
qui  lui  confère  la  dignité  de  roi  de  Pologne,  il  renonce  aux 
initiales,  néglige  de  rappeler  sa  modeste  seigneurie  originelle, 
et  aligne  à  la  suite  de  son  nom  les  titres  multiples  de  la  cou- 
ronne de  Pologne,  Lithuanie,  Russie,  Prusse,  Mazovie,  Samo- 
gitie,  Livonie. 

STEPHANVS  •  D  •  G  •  REX  •  POL  •  PRV  • 

(ducats  de  Nagy-Banya  de  1586,  M  122-124). 

STEPHANVS  •  D  •  G  •  REX  •  POLON  •  MÀG  •  DVX  •  L  • 
RVS  •  PRVS  •  MAS  •  SAM  •  LIVO  •  PRIN  •  TRAN  • 

(thalers  de  Nagybanya  de  1585-86.  M  125-132.) 

Le  titre  de  grand-duc  de  Lithuanie  datait  du  mariage  de  la 
reine  Hedwige,  fille  du  roi  de  Pologne  Louis  de  Hongrie,  avec 
Wladislas  Jagellon,  le  Clovis  des  Lithuaniens,  qui  reçut  en 
même  temps  le  baptême  et  la  couronne  de  Pologne.  L'acquisi- 


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BSSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  229 

tion  du  tilre  russe  remontait  à  Casimir  !•';  le  titre  prussien, 
désignant  les  palatinals  de  Malborg,  de  Poméranie,  de  Culm  et 
l'évêché  de  Warnice,  avait  été  consacré  par  le  traité  de  Thorn, 
en  1466,  en  faveur  de  Casimir  IV;  la  waïvodie  de  Mazovie, 
située  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule,  au  sud  de  Varsovie, 
était  une  des  parties  intégrantes  de  la  Grande-Pologne;'  le  du- 
ché de  Samogitie,  entre  le  Niémen  et  la  Courlande,  relevait 
de  la  couronne  lithuanienne;  enfin,  le  traité  de  Wilna,  du 
28  novembre  1561,  avait  garanti  la  possession  de  la  Livonie 
au  roi  Sigismond-Augusle. 

Le  thaler  de  Nagy-Banya,  frappé  en  1585,  est  la  première 
pièce  où  figure  le  titre  de  prince  de  Transylvanie.  Pourtant,  à 
cette  époque,  Etienne  Bathori  n'exerçait  plus  effectivement  le 
principal  transylvanien,  mais  il  y  était  représenté  par  son 
frère  Christophe. 

Il  a  inscrit  la  même  formule  au  revers  d'une  médaille  ovale 
d'argent,  frappée  en  1582,  où  Técu  des  Bathori  s'étale  en 
cœur  tie  l'aigle  polonaise. 

PRINCEPS  TRANSYLV  •  (M  133). 

Avec  Christophe  Bathori,  qui  gouverna  la  province  sous  la 
suzeraineté  de  son  frère,  depuis  la  diète  de  Varsovie,  on  voit 
apparaître  plusieurs  nouveautés.  Le  prince  ressuscite  un  vieux 
titre  transylvanien  :  celui  de  waïvode,  qui  avait  été  porté  au 
quinzième  siècle  par  sa  propre  famille,  mais  dont  aucun  monu- 
ment numismatique  ne  conserve  le  souvenir,  et  il  adopte  pour 
la  première  fois  le  titre  de  comte  des  Sekels,  qui  devait, 
beaucoup  plus  tard,  se  perpétuer  sur  la  monnaie  transylva- 
nienne. Les  Sekels,  peuple  belliqueux  et  turbulent,  formant 
un  rameau  distinct  de  la  famille  magyare,  s'étaient  établis 
dans  la  partie  nord-orientale  de  la  Transylvanie,  que,  d'ailleurs, 
ils  occupent  encore.  Intrépides,  hardis  cavaliers,  ils  fournirent 
un  contingent  considérable  aux  armées  du  pays;  ils  ont  encore 
figuré  avec  éclat,  en  1849^  dans  la  guerre  de  l'indépendance  (1), 


(1)  Deax  régiiments  de  Sekels  sont  aujourd'hui  en  garnison  permanente  sur  la  frontière 
de  Turquie. 


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330  MÊMOIEES. 

et  l'utilité  de  leur  concours,  très-apprécié  des  princes  qui  se 
sont  succédé  sur  le  trône  mobile  de  Transylvanie,  leur  valut, 
sans  doute,  l'honneur  d'une  mention  spéciale  sur  la  monnaie, 
honneur  qu'ils  n'ont  partagé  ni  avec  les  Saxons,  pourtant  bien 
vus  des  autorités  autrichiennes,  ni  avec  les  Valaques,  de  beau- 
coup Supérieurs  en  nombre,  mais  tenus  à  l'état  de  race 
vaincue. 

Le  nom  de  ces  peuples,  qui  se  nomment  eux-mêmes  Szeke- 
lyek,  et  que  le  latin  de  chancellerie  appelait  Siculi,  a  subi  en 
français  de  grandes  variations,  suivant  que  nos  auteurs  se  sont 
inspirés  de  la  forme  hongroise,  de  la  forme  latine  ou  de  la  forme 
allemande.  En  1608,  Fumée  les  nomme  Siciliens  {Histoire  de 
Hongrie,  I,  p.  11),  ce  q«ji  est  une  aggravation  de  l'équivoque 
latine  (1),  et  Montreulx  Zecleriens  (2).  En  i715,  Bechet  écrit 
Szekels  (Histoire  du  ministère  du  cardinal  Martinusins),  M.  de 
Gerando  transcrit  littéralement  le  latin,  et  dit  Sicuks,  déno- 
mination qui  a  l'inconvénient  de  s'appliquer  à  des  peuples 
d'origine  et  d'assiette  toute  différentes.  • 

Depuis,  il  semble  que  l'usage  ail  prévalu  d'emprunter  la 
forme  allemande,  et  de  dire  Szeklers;  ceci  n'a  guère  de  raison 
d'être,  un  mot  magyar  n'ayant-pas  besoin  de  finale  germanique 
pour  passer  en  français.  Entre  toutes  ces  formes,  nous  préfé- 
rons celle  du  dix-huitième  siècle,  comme  plus  simple  et  plus 
rapprochée  de  l'original  (3). 

Les  Sekels  forment,  surtout  dans  les  montagnes  limitrophes 
de  la  Bukowine,  une  petite  confédération  animée  d'un  grand 
esprit  d'indépendance,  et  que  l'on  a  souvent  comparée  à  la 
Suisse  : 

«  Gens  austères,  revesches  et  belliqueux,  dit  Fumée,  ils 
n'ont  parmy  eux  aucune  distinction  du  noble  ni  du  paysan. 

(1)  «  Dedans  la  Transil?anie  il  y  a  une  proviDce  comme  attachée  à  la  montagne,  qui 
la  sépare  d'avec  la  Moldavie,  qu'on  nomme  CeaUie,  les  habitants  de  laquelle  se  nomment 
Ceculiem,  et  aujourd'huy  on  1^  appelle  SiciUens.  »  (Fumée,  p.  85.) 

(2)  Un  certain  Moyse,  duc  des  Zecleriens,  qui,  comme  son  prince,  s'estoit  révolté  contre 
Dieu,  fc  (Montreulx,  p.  907.) 

(3)  Nous  retranchons  seulemenl  le  Z,  parce  que  cette  lettre  n'est  pas  sensible  dans 
la  prononciation  hongroise  et  que  la  forme  Si  est,  au  point  de  vue  du  son,  l'équivalent 
exact  de  notre  S. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  231 

Tous,  comme  les  Suisses,  sont  de  mesme  qualité.  »  (P.  i  I.) 

E  corne  l'Elvetia  si  regge  a  canioni,  cost  e  questi,  nel  modo 
istesso,  govemandosi  con  titolo  di  Comitali  e  i  Giudici  di  Conti. 
(Spontoni,  p.  4.) 

In  ea  sunt  Siculi,  vulgo  Zekel  dicti,  genus  hominum  feroœ  et 
bellicosum  :  inter  quos  nuUus  neque  nobilis,  neque  rusticus^ 
omnes  eodem  jure  censentur,  Helvetiorum  instar.  (Jean  Sambuci, 
Rer.  Ungaric.y  appendix,  p.  760.) 

Ils  ne  payaient  d'autre  redevance  au  roi  de  Hongrie  qu'un 
bœuf  par  léle,  à  l'occasion  de  son  couronnement,  de  son  ma- 
riage ou  de  la  naissance  de  son  flis.  (Nicolai  Olahi,  Attila^ 
p.  890.)  Cet  impôt  ne  s'acquittait  pas  même  avec  une  parfaite 
régularité.  Nicolas  Olahi  raconte  que  son  père,  sous  le  roi 
Wladislas,  ayant  dû  fournir  seize  cavaliers  d'escorte  au  com- 
missaire chargé  de  marquer  les  bœufs  des  Sekels  dus  à  raison 
de  la  naissance  du  prince  Louis,  ce  commissaire,  malgré  sa 
troupe  de  plus  de  cinq  cents  chevaux,  fut  battu  et  atteint  d'une 
vingtaine  de  blessures;  que  trois  des  cavaliers  d'Olahi  restè- 
rent sur  le  terrain,  et  que  les  autres  rentrèrent  au  logis  fort 
endommagés. 

D'après  le  même  écrivain,  les  Sekels  avaient  des  procédés 
de  justice  sommaire  à  l'égard  de  ceux  d'entre  eux  qui  s'étaient 
rendus  coupables  de  quelque  méfait  contre  la  liberté  publique, 
ou  qui  n'obéissaient  pas  à  une  ordonnance  de  prise  d'armes  : 
ils  allaient  ravager  leurs  biens,  et  démolir  leurs  maisons  de 
fond  en  comble.  (Nie.  Olahi,  Attila,  p.  890.) 

Les  deux  litres  de  waïvode  et  de  comte  des  Sekels  sont 
inscrits  sur  des  pièces  de  iO,  de  5  et  de  2  ducats  frappées  en 
1577  : 

CHR  •  BATH  •  DE  •  SOM  •  VAIVODA  •  TRANSILVA  • 
ET  •  SIC  •  COMES  •  Z  • 

(M  I3M37). 

Sur  les  simples  ducats,  Christophe  met  simplement  ses  ini* 
tiales,  à  l'imitation  de  son  frère  : 

CBDS- 


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232  vÊvoiiES. 

(Christophe  Bathorî  de  Somlyo).  Ducats  d'Hermannstadt,  frappés 
de  15^7  à  1580.  (M  139-143.) 

Sur  UD  quart  de  ducal  de  1579,  il  ajoute  à  ces  initiales  Fio- 
dicatioo  de  sa  qualité  de  vaïvode  : 

CH  •  B  •  D  •  S  •  V  •  TRANS  •  1579  • 

(Pièce  émise  à  Hermanosladt,  M  144). 

Quelques  pièces  frappées  sous  le  gouveroement  de  ce  prince 
en  rhonneur  de  sa  femme,  Elisabeth  Bocskai  (10  ducats,  3  du- 
cats et  tbaier),  désignent  cette  noble  dame  par  la  qualité 
d'épouse  de  Til lustre  prince  de  Transylvanie  : 

ELIZAB  •  BOCIKAI  •  CONSORS  •  ILL  •  PRINC  • 
TRANSSYLVANIE  • 

(Sans  indication  de  lieu,  M  152-154). 

On  peut  remarquer  que  la  princesse  écarte,  sans  doute 
comme  trop  barbare  et  trop  étranger  à  l'Europe  aristocratique, 
le  titre  officiel  de  vaïvode.  Du  reste,  l'apparition  de  ce  titre, 
officiellement  porté  par  Cbristopbe  Balbori,  demeure  un  fait 
isolé  dans  la  numismatique  transylvanienne,  tous  les  souve- 
rains postérieurs  du  pays  ayant  préféré  des  qualifications  d'un 
caractère  plus  général.  C'est  en  vertu  de  la  même  tendance 
que  nous  avons  vu  de  notre  temps  les  bospodars  de  Valacbie 
et  de  Moldavie  répudier  cette  qualification  surannée  pour  se 
transformer  d'abord  en  princes,  puis  en  rois  de  Roumanie. 

Les  vingt  et  un  ans  du  règne  de  Sigismond  Balbori,  le  plus 
long  des  règnes  transylvaniens,  traversé  de  beaucoup  d'évé- 
nements politiques,  ont  naturellement  compliqué  la  série  des 
protocoles  princiers. 

Durant  les  premières  années  de  son  principat,  Sipismond, 
qui  se  contente  de  reproduire  sur  ses  ducats  les  types  anté 
rieurs,  n'y  met  aussi  que  ses  initiales,  comme  Etienne  et  Cbris- 
topbe Batbori  : 

S-B-DS- 

{Sigismond  BcUhori  de  Somlyo). 

SIGI  •  B  •  D  •  S 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSTLVANIE.  233 

(ducats  d'HermanDstadt  et  de  Glausenbourg,  de  1582  à  159i, 
M  157-202). 

En  1S90,  il  inscrit  son  nom  en  toutes  lettres  avec  le  litre  de 
prince  de  Transylvanie,  le  nom  étant  à  l'avers,  le  liire  au 
revers  : 

SIGISMVNDVS  BATHORI 
PRINCEPS  •  TRANSSYLVANIiE  iSgo. 

(Pièce  de  10  ducals,  M  156.) 

Sur  les  ducats  de  Nagy-Banya  (1590-1597),  l'abréviation  est 
presque  nulle  : 

SIGISMVND  •  BATHORI 

PRINCEPS  •  TRANSSYLVA  (TRANSSYLV) 

(M  203-215). 

Le  titre  complet  figure  également  sur  les  thalers  de  Nagy- 
Banya  (M  216-298).  Mais  il  y  a  une  de  ces  pièces,  frappées  en 
1589  (M  216),  où,  sans  préjudice  du  protocole  ordinaire,  la 
Transylvanie  se  trouve  élevée  à  la  dignité  de  royaume  : 

MONETA  •  PRINCIPIS  •  REGNI  •  TRANSILUNIiE  * 

La  même  qualification  se  rencontre  sur  un  sol  de  1591 
(M  316)  : 

SOLIDVS  •  REGNI  •  TRANSA  • 

Les  prétentions  de  Sigismond  Bathori  sur  les  territoires  du 
bas  Danube  ont  laissé  leur  trace  dans  la  formule  que  portent  les 
pièces  de  trois  gros  émises  en  1596, 1597  et  1598.  (M  310-315.; 

SIC  •  D  •  G  •  TRAN  •  MOL  •  WAL  •  S  •  R  •  I     P  • 

{Sigismundus  Dei  gratta.  Transylvaniœ,  Molduviœ,  Valachiœ, 
Sacri  Romani  Imperii  princeps. 

Le  titre  de  prince  du  Saint-Empire  romain,  témoignage  de 
soumission  envers  la  maison  d'Autriche,  est  inscrit  sous  une 
forme  moins  abrégée  dans  la  plaque-thaler  de  Gronstadl  émise 
en  1601  (M  307): 

SIGIS  •  TRANS  •  ET  •  SAC  •  ROM  IMP  •  PRIN 


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334  MÈMOIIES. 

Cest  en  vertu  da  traité  conclu  à  Prague,  en  1595,  sous  le 
patronage  du  pape  Clémunl  VIII,  entre  Sigismond  et  l'empe- 
reur Rodolphe,  que  le  prince  de  Transylvanie  pouvait  s'attri- 
buer la  qualité  de  prince  d'empire,  titre  d'aill*  urs  purement 
honorifique,  et  ne  conférant  ni  voix  délibérative  ni  siège  à  la 
diële  impériale  et  affirmer  son  indépendance  à  l'égard  des 
Turcs,  dont  le  protectorat  lui  avait  été  représenté  comme 
incompatible  avec  sa  foi  de  catholique.  Un  article  spécial  du 
traité  lui  permettait  de  joindre  à  ses  domaines  la  Moldavie  et 
la  Valachie,  «  mises  hors  l'obéissance  du  Turc  et  confédérées 
avec  l'empereur  (art  8)  »,  faveur  demeurée  sans  résultat,  mais 
dont  le  prince  eut  hâte  de  consacrer  l'octroi  sur  ses  monnaies. 
L'empereur  s'était  engagé  à  défendre  le  prince  contre  les  Turcs, 
et  la  victoire  de  Giur^ewo  éveilla  des  espérances  qui  ne  de- 
vaient pas  se  réaliser. 

Etienne- Bocskai,  qui  régne  quatre  ans,  après  les  sanglants 
intermèdes  de  l'occupation  valaque  et  autrichienne,  s'intitule 
prince,  par  la  grâce  de  Dieu,  de  Hongrie  et  de  Transylvanie 
et  comte  des  Sekels  : 

STE  :  BOCHKAY  :  D  :  G  :  HVNGA  •  TRAN  :  Qg  •  PRIN  : 
ET  •  SICV  :  COMES 

(pièces  de  10  ducats  de  1605,  M  341-342). 

ET  •  SICVLORVM  •  COMES  •  i6o6  • 

(double  ducat  de  Glausenbourg,  M  342). 

Etienne  Bocskai  s'était  mis  à  la  tète  du  mouvement  des 
Transylvaniens,  soulevés  par  la  sanglante  dictature  de  Georges 
Basta.  Élu  prince  par  les  États  de  Transylvanie,  et  créé  roi  de 
Hongrie  par  le  sultan  Achmet  I*%  il  avait  pris  possession  d'une 
partie  du  territoire  hongrois.  Le  traité  de  Vienne,  signé  en 
1606,  lui  feconnul,  outre  la  principauté  de  Transylvanie,  les 
districts  d-  Hongrie  qu'avaient  possédés  les  Bathori,  c'est-à- 
dire  cette  large  bordure  de  territoire  montagneux  qui  couvre 


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ESSAI  SDR  LES  MOIfllAIES  DE  TRANSYLVANIE.  235 

le  versant  occidental  des  Carpathes  depuis  la  Maros  jusqu'à 
la  frontière  de  Gallicie  et  qui  comprend  les  comtés  d'Afad, 
Zarand,  Bihar,  Krasna,  Szolnok  moyen,  "^zathmar,  Marmaros 
et  Zemplin,  plus  les  comtés  de  Beregh  el  d'Ugotsch. 

La  concession  élait  considérable,  puisque  les  territoires 
ajoutés  ainsi  au  domaine  de  Transylvanie  ne  comprenaient  pas 
moins  de  sept  comiés  de  Hongrie  et  deux  duchés  silésiens. 

On  a  expliqué  la  facilité  de  l'empereur  par  la  connaissance 
qu'il  avait,  grâce  à  l'indiscrétion  d'un  secrétaire,  de  la  mau- 
vaise santé  d'Etienne  Bocskai.  Le  prince  mourut,  en  eflet, 
l'année  suivante,  <  i  les  comtés  magyars  firent  retour  à  la  cou- 
ronne de  Hongrie;  mais  le  litre  qui  en  avait  exprimé  l'acqui- 
sition ne  disparut  point  de  la  monnaie. 

Sur  les  thalers  frappés  à  Nagy-Banya  en  1605,  la  légende 
est  beaucoup  plus  complète;  le  prince  y  insère  le  nom  de  sa 
seigneurie  de  famille,  et  y  prend  la  qualité  de  seigneur  partiel 
du  royaume  de  Hongrie,  qui  a  été  adoptée  ensuite  par  ses  suc- 
cesseurs, et  qui,  jointe  aux  titres  de  prince  de  Transylvanie  et 
de  comte  des  Sekels,  a  constilué  le  protocole  définitif  des  der- 
niers souverains  indépendants  (M  364)  : 

STEPHAN  :  BOCHKAY  :  DE  KIS  MARIA  •  PRIN  •  TRAN- 
SYLVA  PARTIVM  •  REGNI  *  HVNG  •  DOMINVS,  ET  • 
SICVLOR  •  COMES  • 

D'autres  thalers  portent  plus  simplement  (M  373)  : 

STEPHANVS  :  DEI  :  GRATIA  :  HVNGARIiE  •  TRANSIL- 
VANIiEQViE  PRINCEPS  :  ET  :  SICVLORVM  :  COMES 

Le  vieux  Sigismond  Ràkôczi,  en  1607,  continue  le  même 
protocole  : 

SIGISMVNDVS  RAKOCII  D  :  G  :  PR  :  TR  :  PAR  :  RE  :  H  : 
D  :  ET  SIC  :  CO  : 

(pièce  de  10  ducats  de  1607,  M  416,  418,  419). 


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236  MÉMOIECS. 

SIG  :  RAKO  :  D  :  G  :  PR  :  TR  :  PAR  :  RE  :  HV  :  DO  : 
ET  SICVLORVM  COMES  •  M  :  DC  :  VII  • 

(ducal  de  Clausenbourg,  M  41Tj. 

Gabriel  Batbori,  Tannée  suivante,  et  durant  tout  son  règne, 
fait  de  même  : 

GABRIEL  •  (GAB  :  BA  :  —  GAB  :  BATHORI)  D  •  G  •  PRIN  • 
TRAN  (TRAN  PRINCE  —  TRAN  •  PRI  —  PRIN  :  TRAN- 
SIL  :)  ET  •  SIC  (PAR  :  REG  :  HV  :  DO  :  ET  SIC  :  CO. 

(ducats  de  Nagy-Banya  et  de  Clausenbourg,  M  420-434). 
Seulement,  le  ducat  de  1613  ajoute  un  titre  valaque  : 

GAB  •  D  :  G  :  P  :  TR  :  VAL  :  TRANS  • 

(Kolosvar,  M  435). 

Gabriel  Bethlen,  après  avoir  continué  de  1613  à  1618  la  tra- 
dition de  ses  prédécesseurs  : 

GAB  :  BETLEN  D  :  G  :  P  •  TRAN  •  PART  •  REG  :  HVN  :  DO  :  ET  SI  :  CO 

(pièce  de  10  ducats  de  1616,  M  564), 

GA  :  BET  :  D  :  G  :  P  :  T  :  P  :  R  :  H  :  D  :  ET  SI  :  CO 

(ducats  de  Clausenbourg,  M  565),  change  triomphalement, 
après  Tannée  1620,  son  lilre  hongrois.  Nous  le  voyons  s'ap- 
peler tour  à  tour  prince  des  royaumes  de  Hongrie  (M  590)  : 

GABRIEL  •  D  •  G  •  REGNORVM  •  HVNGARIE 
TRANSYL  :  PRINCEPS  •  AC  •  SICVLORVM  •  COM 

puis  roi  élu  de  Hongrie,  Dalmatie,  Croatie  et  Esclavonie 
(M  596)  : 

GABRIEL  D  •  G  •  EL  •  HVNGARI.E  •  DAL  •  CR  •  SCL  •  REX. 

Il  supprime  alors,  selon  l'usage  royal,  son  nom  de  famille 

GAB  •  D  •  G  •  EL  •  H  •  DA  •  CR  •  se  •  R  • 

(Denars  de  Kremnilz.  M  675). 
Après  Tannée  1622,  nouvelle  modification.  La  couronne  de 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  337 

Hongrie  a  été  cédée  par  le  (railé  de  Nickolsbourg.  Gabriel 
Belhlen  reprend  modestement  son  titre  de  seigneur  partiel; 
mais,  en  vertu  des  compensations  que  rempereur  lui  a  données, 
il  se  qualifie  prince  du  Saint-Empire  romain,  comme,  avant 
lui,  Sigismoiid  Bathori,  et,  de  plus,  duc  d^Oppeln  et  de  Ralibor  : 

GAB  •  D  •  G  •  SAC  •  ROM  •  IM  •  ET  •  TRAN  •  PRI  •  PAR 
REG  •  HVN  •  DOM  •  SIC  •  CO  •  AC  •  OPOL  •  RATIB  •  DVX 

(ducal  de  Weissenbourg,  frappé  en  1622,  M  685). 
GABDG  SRIETTRPRPR  HVDSICOOPRAD- 
CgrosdeieaS,  M831). 

Après  la  mort  de  Gabriel  Bethlen,  qui  emporte  avec  lui  et  la 
qualité  de  prince  du  Saint-Empire,  inscrite  encore  sur  les  du- 
cats de  sa  veuve,  Calherine  de  Brandebourg,  frappés  l'année 
même  de  son  décès,  et  celle  de  duc  silésien,  attachée  à  sa  per- 
sonne, le  groupement  normal  des  trois  litres  inaugurés  par 
Etienne  Bocskai  se  reproduit  régulièrement  sur  les  monnaies 
de  Georges  Bâkôczi  !•'  (1630-1648),  de  Georges  Râkôczi  II 
(1648-1660),  d'Achale  Barcsai  (1658-1660),  de  Jean  Kemeny 
(1661),  et  enfin  de  Michel  Apafi  (1661-1690),  dont  le  traité  avec 
l'empereur  Léopold  mil  fin  à  l'orageuse  autonomie  des  princes 
transylvaniens. 

La  dernière  de  toutes  les  pièces  où  les  trois  titres  ont  figuré 
est  le  ducal  frappé,  en  1690,  après  la  mort  d' Apafi,  par  Emme- 
rich  Tœkœli,  protégé  de  la  Porte,  accepté  des  États,  mais  rapi- 
dement dépossédé  à  la  suite  d'une  heureuse  campagne  des 
Impériaux  (M  1196)  : 

EM  •  THOKOLI  •  D  G  •  P  •  T 

PAR  :  REG  :  HVNGA  •  D  '  &  SICULO  •  CO  :  1690  * 

De  1704  à  1  ;11,  le  chef  des  mécontents,  François  Râkôczill, 
l'audacieux  et  tenace  adversaire  de  la  maison  d'Autriche,  n'ins- 
crit pas  son  nom  sur  le  très-petit  nombre  de  ducats  qu'il  paraît 
avoir  frappés  à  Clausenbourg;  mais  les  médailles  con*^acrées  à 
sa  mémoire  le  qualifient  prince  de  Transylvanie  et  de  Râkôczi, 
chef  des  Étals  confédérés  du  royaume  de  Hongrie  : 


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238  MÉMOIBES. 

FRANCISCVS  •  II  •  D  :  G  :  TRANSYL  :  PRIN  :  RAKOCZI  • 

DVX  •  CONFŒ  :  R  i.STAT 
(médaille  allégorique  :  la  Liberté,  M  1261). 

DVX  •  CONFŒ  •  R  :  H  :  STAT. 
(médaille  des  Vestales,  M  1264). 

Quant  aux  monnaies  qui  ont  été  émises  à  destination  spé- 
ciale de  la  Transylvanie  par  les  princes  autrichiens,  durant 
les  diverses  périodes  d'occupation  temporaire,  sous  Ferdi- 
nand I"  (155M356),  sous  Rodolphe  II  (1598  et  1602-1605), 
ces  empereurs  n'y  prennent  aucun  titre  particulier.  Il  en  est 
de  même,  après  la  mort  d'Apafi,  sur  les  monnaies  de  Léo- 
pold  I"  (1690-1705)  et  de  Joseph  l»  (1705-1741).  Au  con- 
traire,  l'empereur  Charles  VI  se  qualifie  prince  de  Transylva- 
nie, plaçant  ce  titre  à  la  suite  de  ceux  d'Autriche  et  de 
Bourgogne  : 

ARCHID  •  AV  •  D  •  BVR  •  PRINC  •  TRANSYL  :  1726 
(ducats  et  divisions,  M  1274). 

ARCHIDVXAVST:DVXBVRGPRINC-TRANSSYL:i7i3 
(Ihalers  et  divisions,  M  1283). 

ARCHID  •  A  •  D  •  B  •  PRINC  •  TRANSYL  :  1725  • 
(multiples  de  kreutzer,  M  1300). 

Il  y  a  même  des  demi-ducats  où  le  titre  transylvanien  figure 
seul  à  la  suite  des  titres  impériaux  et  royaux,  et  forme  toute 
la  légende  du  revers  : 

CAR  :  VI  •  D  :  G  ;  R  :  I  :  —  S  :  A  :  GE  :  HI  :  H  :  B  :  REX 
PRINCEPS  TRANSYL  : 

[Carolus  F/,  Dei  gratta,  Romanorum  imperator,  —  Semper 
Augustus,  Germaniœ^  Hispaniœ,  Hungariœ,  Bohemiœ  redo. 
M  1278-1279). 

Enfin,  Marie-Thérèse  prend  fréquemment  le  titre  de  prin- 
cesse de  Transylvanie,  qu'elle  insère  soit  après  ceux  [d'Autri- 
che et  de  Bourgogne,  ^oil  entre  ceux  de  Milan  et  de  Tyrol  : 


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BSSAI  SUR  LES  MONNAIBS  DE  TRANSYLVANIE.  239 

AR  •  AU  •  DUX  •  BU  •  ME  •  P  •  TRAN  •  CO  •  TY  •  1762 

(ducat,  M  1322), 

ARC  •  AV  •  DUX  •  BU  •  MEDI  •  PR  •  TRAN  •  CO  •  TY  1748 

(demi-lhaler,  M  1349),  soil  après  les  lilres  royaux,  suivant 
l'exemple  de  Charles  VI  : 

MAR  •  THERES    0:0-  REG  '  HU  •  BO 
PRINCEPS  TRANSYL. 

(quart  de  ducal,  M  1330). 

C'est  là  le  dernier  hommage  monétaire  aux  souvenirs  de 
l'autonomie  transylvanienne. 

FORMULES  ET  DEVISES 

Indépendamment  des  titres  princiers,  dont  les  modiPications 
trahissent  pour  ainsi  dire  au  jour  le  jour  les  vicissitudes  de  la 
politique,  nombre  de  monnaies  transylvaniennes  portent  en- 
core des  formules  et  des  devises,  soit  religieuses,  soit  patrio- 
tiques, dont  l'étude  n'est  pas  non  plus  indifférente,  parce 
qu'elles  offrent  un  élément  d'appréciation  de  l'étal  moral  ou 
de  la  culture  littéraire  du  pays;  si  quelques-unes  n'échappent 
point  à  la/banalité  des  légendes  adulatrices  dont  la  numisma- 
tique des  empereurs  romains  a  préparé  le  modèle  pour  toutes 
les  servilités  de  l'avenir,  il  en  est  d'autres  qui,  inspirées  par 
de  grands  malheurs  publics,  ont  une  sorte  d'éloquence  saisis^ 
sanle,  et  semblent  être  le  cri  de  douleur  d'un  peuple,  immor- 
talisé par  le  burin  du  monnayeur. 

Nous  allons  passer  en  revue  ces  formules  et  ces  devises  en 
suivant  l'ordre  des  temps. 

La  première  en  date,  empruntée  aux  ducats  de  Jean  !•%  est 
en  rhonneur  de  saint  Ladislas,  dont  elle  accompagne  l'image  : 
S  •  LADISLAVS  REX.  11  est  facile  d'y  reconnaître  une  rémi- 
niscence des  formules  qui  ont  si  longtemps  figuré  sur  les  flo* 
rins  d(î  Florence,  de  Bologne,  de  Vérone,  etc.  Nous  donnerons 
plus  loin  quelques  détails  à  ce  sujet,  en  étudiant  les  types 


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240  MÉMOIRES. 

religieux,  nous  contentant  d'observer  ici  que  cette  formule  a 
paru  pour  la  dernière  fois,  en  1605,  sur  les  ducats  d'Etienne 
Bocskai  (M  350). 

L'invocation  à  la  Vierge  PATRONA  VNGARIE  s'est  per- 
pétuée beaucoup  plus  longtemps.  Adoptée  par  Jean  II  en  1556, 
elle  disparait,  après  1653,  des  ducats  de  Georges  Ràkôczi 
(M  90 J),  plusieurs  années  avant  que  l'image  de  la  Vierge, 
désormais  dépourvue  de  légende  et  entourée  seulement  des 
titres  princiers,  fasse  déflnitivement  place  aux  emblèmes  poli- 
tiques. 

En  1596,  un  corps  de  cavalerie  d'élite  appartenant  à  Maxi- 
milien  d'Autriche,  et  destiné  à  combattre  contre  les  Turcs, 
avait  pour  enseigne  «  une  cornette  de  satin  jaune  portant  d'un 
côté  Taigle  romaine,  de  l'autre  la  représentation  de  la  Vierge, 
avec  ces  paroles  :  Patrona  Ungariœ  (1).  » 

Deux  pièces  d'Isabelle  de  Zapolya,  frappées  en  1557,  por- 
tent la  devise  célèbre  : 

SI  :  DEVS  :  NOBISCVM  :  QVIS  :  CONTRA  :  NOS  : 

(M  51-52),  citation  légèrement  défigurée  du  mot  de  saint- Paul 
aux  Romains  :  Si  Deus  pro  nobis,  quis  contra  nos  (2). 

La  princesse,  qui  soutenait  énergiquement  les  intérêts  de 
son  fils,  était  alors  en  lutte  ouverte  contre  l'empereur  Ferdi- 
nand !•%  avec  l'assistance  du  sultan,  circonstance  qui  prête 
un  piquant  particulier  à  l'expression  de  sa  confiance  en  la  pro- 
tection du  Ciel.  Le  Dieu  sur  l'appui  duquel  elle  comptait  ne 
ppuvait  pas  être  un  Dieu  jaloux. 

La  devise  inscrite  sur  cinq  monnaies  d'or  de  Christophe 
Bathori,  équivalente  à  celle  des  Belges  (L'union  fait  la  force), 
exprimait  une  vérité  d'autant  mieux  appréciée  des  Transylva- 
niens qu'elle  n'a  jamais  été  mise  en  pratique  par  eux.  Cette 
devise  a  été  reprise,  en  1583,  par  Sigismond  Bathori  (M  155). 

VIRTVS  VNITA  VALET  • 

(pièces  de  2  et  10  ducats,  M  133-138). 

(0  Histoire  génèrole  de  Hongrie^  p.  61 9. 
(8)  Rom.,  yiii,  34. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  241 

Elisabeth  Bocskai,  femme  de  Christophe  Bathori,  exalte  la 
fidélité  conjugale  : 

VICTRIX  CASTA  FIDES 

(10  ducats,  3  ducals,  thaler  de  1577,  M  152-154). 

Deux  plaques-thalers  de  Cronstadt,  frappées  en  1601  au 
nom  de  Sigismond  Bathori,  mettent  le  patriotisme  sous  la  pro- 
tection de  Dieu  : 

DEO  VINDICI  PATRIAE 
(  légende  en  trois  lignes,  M  307-308). 

La  médaille  d'Her^nannstadt,  gravée  en  1602,  au  plus  fort 
de  la  guerre  avec  les  Autrichiens,  les  Valaques  et  les  Turcs, 
et  au  milieu  d'une  peste  meurtrière,  contient  à  la  fois  une 
maxime  de  résignation  chrétienne  et  un  appel  de  détresse  à  la 
clémence  divine  : 

TERRENA  CONSIDERES  VT  COELICA  POSSIDEAS 
Rv.  A  TERGO  ET  FRONTE  MALVM  TANDEM  PROPI- 
TIARE  DEVS  AN  MDCII  FATALI  TRANSSYLVANIAE 

(or  et  arg»nl,M  323-328). 

La  même  ville  émet,  en  1605,  des  monnaies  de  nécessité, 
pendant  qu'elle  est  assiégée  par  Etienne  Bocskai  : 

.  SOLI  DEO  GLORIA  CIVIT  :  CIBIN  :  ANNO  i6o5. 

(ducat  et  thaler,  M  331-332)  (1). 

Etienne  Bocskai,  poursuivant  en  1605,  après  la  retraite  de 
Basta,  la  conquête  de  la  Transylvanie  et  d'une  partie  de  la 
Hongrie,  arbore  ces  deux  devises  guerrières  : 

DVLCE  •  EST  •  PRO  •  PATRIA  •  MORI 
PRO  •  DEO  •  ET  •  PATRIA 

(10  ducats,  M  341;  double  thaler,  1605,  M  358). 

Sigismond  Ràkôczi  reprend,  en  1607,  la  devise  d'Hermann- 
stadt  : 

SOLI  DEO  GLORIA, 

(4)  SoU  Deo  honor  et  gloria  in  tœcula  tœculorum.  (Timoth.,  i,  17.) 

8«  Sfi&IK'  —  TOMB  m,  2.  10 


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242  MÉMOIRES. 

et  y  ajoute  ce  passage  de  Fépitre  de  saint  Paul  aux  Romains 
(IX,  D.  16)  : 

NON  EST  CVRRENTIS  NEQVE  VOLENTIS  SED 
MISERENTIS  DEI 

textes  restitués  en  1631 ,  1637  et  1639,  par  Georges  Râkôczi  !•' 
(M  852-854;  10  ducats,  M  416;  Ihaler,  M  418,  419)  (1). 

En  1611,  161 S  et  1613,  sous  Gabriel  Bathori,  nouvelles 
monnaies  de  nécessité  d'Hermannstadt  : 

PRO  •  PATRIA  •  ARIS  •  ET  •  FOCIS  •  i6n  • 

(thaler,  M  520,  537-540). 
En  1612,  ducat  de  nécessité  de  Cronstadt  : 

DEVS  •  PROTECTOR  •  NOSTER  • 

(M  541),  devise  qui  se  reproduit  chaque  année,  jusqu'en  1614 
(M  545-557). 

Un  thaler  de  la  même  ville,  émis  en  1612,  porte  ce  texte 
des  Psaumes  de  David  (2)  : 

ILLE  •  IN  EQVIS  ET  CVRRIBVS 

NOS  •  IN  •  NOM  •  DOM  •  CONFIDIMVS  • 

(pièce  aux  armes  de  Bàlhori,  M  542-543). 

Sous  Gabriel  Bethlen,  le  héros  des  réformés  de  Hongrie,  les 
textes  religieux  et  les  emprunts  aux  saintes  Écritures  se  mul- 
tiplient. 

Voici  d'abord  le  salut  inaugural  de  la  ville  d'Hermannsladl, 
inscrit  sur  le  ducat  de  1613  : 

VERA  SALVS  CHRISTVS  TVA  SCEPTRA  SALVTE  CORO- 
NET  ET  FERAT  AVSPICIIS  PROSPERA  VELA  TVIS 

(ducats  et  multiples;  argent,  M  559-562). 

(1  )  Voici  tout  le  passage  de  saint  Paul  :  Igitur  non  voleniis^  neque  currenUsj  sed  mise^ 
rmUt  est  Dei, 

(2)  Ht  in  cunibus  elhiin  equis  ':  nos  aulem  in  nomine  Domini  Dei  nosiri  invocatnmui, 
(Dayid,  ps.  xix,  B.  8.) 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  243 

Eq  1616,  sur  une  pièce  de  10  ducals,  la  profession  de  foi 
du  prince  (1)  : 

DNS  :  ILLVM  :  MEA  ET  SALVS  MEA  QVEM  TIMEBO 

Au-dessus  d'une  main  armée  sortant  des  nuages,  on  lit  : 

CONSILIO  FI41MATA  DEI 
(sur  une  banderole  déployée,  M  564). 

Les  ducats  de  Clause:ibourg  portent  un  texte  de  saint  Paul 
aux  Épbésiens  concernant  la  grâce  : 

DEI  DON  :  E  :  NE  QVIS  GLOR 

Dei  donum  est  :  ne  quis  glorietur  (2),  1614  (M  565-566). 

Sous  Barcsai,  la  ville  d'Hermannstadt  émet  diverses  pièces 
d'or  et  d'argent,  où  elle  proteste  contre  les  tentatives  de  Georges 
Ràkôczi,  qui  l'assiège  : 

SVB  •  RAXOCIANA  •  OPPRESSIONE  •  REGNI  •  TRANSIL- 
VANIiE  ET  OBSIDIONE  CIBINIENSI  •  DEVS  •  PROVI- 
DEBIT  (3). 

(M  1011,  1013,  1015,  1659-1660). 

Le  gémissement  de  Gronstadt,  en  1660,  est  encore  plus 
désespéré  : 

DE  •  PROFVNDIS  •  CLAMAMVS  •  AD  •  TE  •  DOMINE    (4) 
SERVA  •  NOS  •  QVIA  PERIMVS 

(ducats  et  thalers,  M  1016-1023). 

Gette  expression  du  deuil  public  parut  si  vraie  que  la  ville 
de  Scbœssbourg  la  réédita  la  même  année  (tbaler,  M  1024- 
1026). 

La  magnifique  pièce  de  100  ducats  de  Michel  Apafi,  frappée 

(1)  C'est  le  premier  yerset  du  26«  psaume  de  Dayid. 

(2)  La  phrase  complète  de  l'Apôtre  est  :  Gratia  enim  estis  salvali  per  /idem,  ei  hoc  non 
ex  vobiSj  Dei  enim  donum  e$i,-  non  ex  operibus^  ut  nequis  glorieiur,  (Ephes.,  ii,  8.) 

(3)  Ces  deux  derniers  mots  sont  la  réponse  d'Abraham  aux  indiscrètes  questions  d'Isaac, 
s'étonnant  de  ne  pas  voir  la  victime  près  de  Tautel  du  sacrifice  :  Dixil  auUm  Abraham  •* 
Deus  frovidebU  Hbi  viclimam  holocautii.  (Genèse,  xxii,  8.) 

(4)  Ps.  cxxix,  1  :  De  profmdis  clamavi  ad  te.  Domine. 


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244  MÉMOIRES. 

à  deux  exemplaires  en  1677,  Tun  pour  être  offert  en  préseat 
à  l'empereur  Léopold,  l'autre  donné  au  général  comte  Andrassy, 
contient,  en  deux  distiques,  un  manifeste  de  résignation  chré 
tienne  : 

SPLENDOR,  OPES,  AVRVM  MVNDI,  MIHI  NVLLA 
VOLVPTAS  QVIN  PVTO  PRO  CHRISTO  HAEC  OM- 
NIA  DAMNA  MEO 

SPES  CONFISA  DEO  NVNQVAM  CONFVSA  RECEDIT 
FIDENTEM  NESCIT  DESERVISSE  DEVS. 

(légendes  circulaires,  M  1045). 

La  dernière  devise  inscrite  sur  une  monnaie  autonome 
marque  une  espérance  qui  ne  devait  point  se  réaliser  : 

TANDEM  OPPRESSA  RESVRGET 

(ducat  de  François  Râkôczi  II,  frappé  à  Clausenbourg  en  1705, 
pièce  aux  armes,  M  1259). 

Bien  que  les  légendes  qui  suivent  q'appartiennent  pas  à  des 
monnaies,  nous  croyons  pourtant  devoir  les  relever,  afin  de 
compléter  tout  ce  qui  se  rattache  à  l'bisloire  numismatique  de 
la  Transylvanie,  et  de  noter  en  passant  les  particularités  cu- 
rieuses dont  elles  avaient  pour  but  de  perpétuer  le  souvenir. 

Voici  d'abord,  en  1 551 ,  une  plaque  d'argent  frappée  en  mé- 
moire du  voyage  de  l'archiduc  Ferdinand  !•'  en  Transylvanie. 
On  lit  à  l'avers  : 

SVB  VMBRA  •  ALARVM  •  TVARVM  •  PROTEGE  NOS  (1). 

Au  revers  : 

PATERNA  REGIS  •  FERDINANDI  •  PII  •  VISITATIO  . 
TRANSYLVANIAE  REGNI  •  SVB  •  ANO    MDLI  • 

(légende  dans  le  champ,  M  27). 

Cette  invocation  à  l'aigle  impériale,  remplacée,  d'ailleurs, 
sur  la  médaille,  par  la  tète  couronnée  du  roi  Ferdinand,  est 

(0  Le  texte  du  Psalmwle  (Oratio  David,  xyi,  c.  9)  est  :  5u6  wnbm  aiarum  tuarum 
^tege  ne  :  a  fade  impiorum  qui  me  afflixerwU. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  .  245 

empninlée  à  des  pièces  d'or  espagnoles,  les  excelentes  enteros 
de  la  granada,  frappées  sous  le  règne  de  Ferdinand  et  d'Isa- 
belle, après  la  conquête  de  Grenade,  en  1492;  mais,  dans  l'or 
espagnol ,  la  formule  est  en  rapport  plus  exact  avec  l'image. 
La  pièce  porte,  en  effet,  au  dessus  d'un  écusson  écartelé  de 
Caslille-Léon  et  d'Aragon-Sicile,  avec  la  grenade  en  abîme,  un 
grand  aigle  issant  de  la  couronne  fleuronnée  et  laissant  tomber 
ses  ailes  aux  longues  pennes  qui  ombragent,  en  effet,  le  blason 
royal.  Le  graveur  de  la  médaille  de  Transylvanie  a  conservé 
l'àme  de  la  devise,  mais  il  en  a  supprimé  le  corps  (1). 

A  l'occasion  de  l'expédition  du  lieutenant  général  Gastaldo, 
Italien  au  service  de  Charles-Quint,  en  1552,  dont  les  titres 
occupent  l'avers  d'une  médaille  d'argent  signée  ANIB  : 

lO  •  BA  •  CAS  •  CAR  •  V  •  CAES  •  PER  •  RO  •  REG  •  ET  • 
BOE  •  RE  •  EXERCIT  •  DVX  •  TRANSILVANIA  •  CAPTA  • 
MAVRVSCIVS  • 

Ce  dernier  mot  est  le  nom  lalin  de  la  rivière  transylvanienne 
Maros,  affluent  du  Danube,  sur  les  bords  de  laquelle  le  général 
autrichien  avait  gagné  une  bataille  (M  35). 

Le  terrible  gouverneur  Georges  Basta,  qui,  après  avoir  fait 
son  apprentissage  de  dompteur  d'émeutes  dans  les  Pays-Bas, 
sous  le  duc  d'Albe,  alla  exercer  une  mission  de  sang  en  Tran- 
sylvanie, a  aussi  sa  médaille  de  victoire,  commune  au  woïvode 
Michel  de  Valachîe,  pièce  d'un  grand  style,  généralement 
attribuée  au  maître  italien  Antonio  Abbondio,  et  qui  représente 
une  Victoire  foulant  des  trophées,  avec  les  mots  : 

VICTORIA  DACICA  • 

(pièce  en  plomb,  M  322). 

Une  autre  médaille  ovale ,  qui  donne  son  portrait  en  cos- 
tume militaire,  porte  la  légende  : 

(4)  On  lit  dans  une  ordonnance  des  rois  catholiques  de  4  497,  publiée  par  M.  Heiss  : 
Lot  excelentes  enteros  iengan  de  la  una  parie  nuestras  armas  reaUs  e  una  aguUa  que  las  tenga 
y  enderredor  sus  letras  que  digan  :  «  Sub  umbra  alarum  tuarum  protège  nos.  »  {DescripcUm 
gênerai  de  las  monedas  hispano-christianas  desde  la  invasion  de  los  'rabes^  por  Aloiss 
Heiss.  j 


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?46  MÉMOIRES. 

GEORG  •  BASTA  •  DNS  •  INSVLT  •  EQV  •  AVR 

S  •  G  •  M  •  AC  •  CATH  •  REG  •  HISP  •  CONSIL  •  BEL  •  ET 

IN  •  TRANS  •  CAPIT  :  GENER  VALL  :  PROF  :  SIC  : 

DEV  :  DAC  :  REC  i6o3. 

(pièces  d'argent,  M  334-335). 

Une  autre  médaille  de  deuil  d'Hermaonstadt  porte  à  l'avers, 
avec  un  écu  écartelé  sommé  de  deux  heaumes  à  l'allemande  : 

CIPRIAN  •  VON  •  CONCIN  •  ZV  •  MALGOI  •  1604. 

Il  y  a  une  médaille  en  plomb  de  Moïse  Zekel,  à  une  seule 
face,  avec  deux  lions  soutenant  une  épée  passée  dans  une 
couronne,  accompagnée  de  deux  étoiles  et  de  deux  croissant?, 
avec  les  mois  : 

moïses  ZEKEL  DE  SEMIENFALVA  VAIVODA 

TRANSYLVANIE  ET  SICVL  COMES. 

ANNO  DOMINI  MILLESIMO  SEXCENTESIMO  TERTIO 

CLAVDIOPOLI  DOMINVS  PROTECTOR  MEVS 

(les  trois  derniers  mots  dans  le  champ,  M  339). 

Une  pièce  de  la  valeur  de  10  ducats,  frappée  par  les  habi- 
tants de  Gronstadt  en  l'honneur  de  leur  bourgmestre,  Michel 
Weiss,  qui  les  avait  vigoureusement  défendus  : 

MICHAEL  ALBINVS  *  A  •  P  •  B  .  1612 

AD  VTRVNQVE  IMPER  •  PRO  PATRIA  LEGAT9  * 

PRiESTITIT  QViE  DEBVIT  PATRIE. 

Trois  médailles  au  nom  d'Éméric  Tœkœli  : 

EMERIC  TECKLY  •  DVX  PROTEST    IN  HVN  SIC 
VIRTVS  NESCIA  FILENI 

(argent.  Mi  197). 
EMERIC  •  TOC 

(argent,  M  1198). 

EMERIC  •  TOC 
RETRC 

(argent,  M  1199) 


EMERIC  •  TOCKEL  •  HVNGAROR  •  REBELL  •  CAPVT 
RETRO  CADIT.AVDAX 


EMERIC  •  TOCKOL  •  HVNGAROR    "REBELL  •  CAPVT 
RETROCADIT  AVDAX    MDCLXXXIII  • 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  247 

L'acte  d'union  de  1691  est  célébré  par  un  médaillon  de 
bronze  à  l'effigie  laurée  de  l'empereur  Léopold  !•%  portant  la 
légende  classique  : 

LEOPOLDVS  AVG  •  PANNON  •  DAC  •  ILLYR  • 
TVRC  •  MAX  • 

Au  revers,  l'empereur  couronné  par  la  Victoire  : 

PANNONIIS  DACIA  ILLIRICO  HEREDITARIIS 
REGNIS  ADAVCTIS 

Sur  un  bouclier  votif  : 

SIC  XXX  SIC  XXXX 

(emprunt  à  la  numismatique  romaine,  M  1200). 

Les  médailles  du  chef  des  mécontents,  François  B&kôczi, 
sont  nombreuses  : 

FRANCISCVS  •  II  •  D  :  G  :  TRANSYL  :  PRIN  :  RAKOCZI  • 

DVX  •  CONFŒ  :  R  :  STAT  :  D  •  WAROU  F. 

DIMIDIVM  •  FACTI  •  QVI  •  BENE  •  CŒPIT  •  HABET  • 

OPERE  •  LIB  :  INCHOATO  •  ANNO  •  MDCCIII  • 

XIV-  IVNII  • 

(pièce  alléororique,  argent,  M  1261)  (1). 
Une  autre  au  même  type  (M  1263)  : 

LAQUEVS  •  CONTRITVS  •  EST  •  ET  •  NOS  •  LIBERATI  • 
SVMVS  •  PSAL  :  i23  VER  :  ^  * 

Ce  texte  du  Psalmiste  avait  été  déjà  emprunté  en  15A7, 
mais  sous  une  inspiration  directement  contraire.  On  le  trouve 
appliqué,  dans  une  médaille  de  l'empereur  Cbarles-Quint,  à  la 
défaite  des  alliés  de  Smalkalden  devant  Mûhlberg  (2). 

Les  Vestales  entretenant  le  feu  sacré  : 

(1)  François  Rakoczi  emprunte  an  fers  d'Horace  pour  célébrer  ses  premiers  succès  : 

Dimiàiwm  faeti  qui  hene  coffrit  hahet, 

(2)  Voici  le  ?erset  du  psaume  cxxiii  :  Anima  nosira  ticut  passer  enpfa  est  de  laqueo 
vmanHum  :  iaqueus  contriku  est^  ei  noi  W>€nJi^  tumus. 


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848  MÉMOIRES. 

CONCVRRVNT  •  UT  •  ALANT  •  D  W 

CONCORDIA  •  RELIGIONUM  •  ANIMATA  •  LIBERTATE  • 

AMDCCVIN-  CON  •  SZECH  • 

(or  el  argent,  iniliales  de  D.  Warov,  M  1264). 
Hercule  terrassant  Thydre  : 

TENDIT  PER  ARDUA  VIRTUS  • 

(argent  et  bronze  argenté,  M  4267). 

Une  réplique  satirique  à  la  médaille  des  Vestales ,  formant 
chronogramme  : 

perfIDa  CeDe  trIas  proprIVs  CaDat  IgnIs  ab  ara  + 

MartI  IVre  pIo  DIsCe  saCrare  trIas  + 

DE  inIMICIs  VICtor  *  InDe  paVor  patrIae.  G.  S 

Vera  saLVs  PATRiiE  sponDetVr  ab  arborIs  VMbra  : 

sVb  qVa  paX,  reqVIes  Ipsa  seCVra  VIrent 

Au  pied  de  l'arbre,  qui  les  couvre  de  son  ombre,  les  villes 
de  Transylvanie  :    Bislrilz,  Schaessbourg,  CLAVDIOPolis,. 
DEVA,  Megyes,  CIBinium,  FOGaras,  CORona,  ALBA  IVL. 

Sur  un  ruban  : 

InColIs  nobIle  PRAEsiDiVM  •  MANET  hInc  proteCtio 
regnI.     g.  Schuler 

(George  Schuler,  orfèvre  d'Hermannstadt,  1710,  M  1271). 

Dans  celle  légende,  la  dale  d'émission  de  la  pièce  (1710)  se 
trouve  cinq  fois  indiquée  par  les  grandes  capitales  en  saillie. 
En  additionnant  les  valeurs  numérales  de  ces  lettres,  on  arrive 
aux  résultats  suivants  : 

Première  ligne  :  DDDCCVIIIII  =1710. 
Deuxième  ligne  :  MDCCVIIIII  =  1710. 
Troisième  ligne  :  MDCCVIIIII  =^1710. 
Quatrième  et  cinquième  ligne  :  MDCLXVVVVVVVVVIIIU 
=  1710. 
Ruban  :  MDCCVIim  =  1710. 

Deux  médailles  commémoratives  de  la  fondation  de  la  cita- 
delle de  Carlsbourg  par  le  général  de  Stainville  : 


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ESSAI  SUB  LES  MONNAIES  DE  TBANSTLVANIE.  249 

ST  :  C  :  A  STAINVILLE  S  :  C  :  M  :  CONS  :  BELL  :  EQVIT  : 
GEN  :  CÀTAPHR  :  COL  •  et  GEN  :  COMM  :  in  TRAN- 
SILVA  : 

MINERA  S  CVRII  ©LIS  (CNEQ3  T?TVRNI 

MOX  ALBiE  •  CÔEPTI  •  CAVSA 

LABORIS  •  ERAT    G  •  H  • 

(signes  astrologiques  remplaçant  les  syllabes  initiales). 
Revers  : 

ANNO   •    qVo  •  GENERA  Lis  *  ERAT  *   CoMenDaNS    '    In   TRANsILVanIa 

CONDITVR  •  ALBA  '  CAPUT  *  REGNI  '  QUiE  *  IVLIA  *    |  QVONDAM  * 

A  •  STAINVILL  *  LAPIS  *  EST  *  QVI  |  DACICA  '  RUDERA  '  DEViE  '  RESTA VRARE  '  | 

PARAT  •  DE  QUO  C  SICK  "  SERREDA  |  PLAVDET 

(M  4313).  La  première  ligne  forme  chronogramme!,  et  donne 
les  valeurs  numérales  :  MDCLLVVIIII  =  1714. 
L'autre  à  trois  chronogrammes  : 

LVCe  saCra  I  CaroLI  sIMILes  |  aLba  aCCIpIt  ortVs  | 

+  In  soLIDa  prIMVs  ponItVr  arCe  LapIs  *  | 

*  IVLIa  nata  fVI  ;  CaroLVs  |  VIM  robVr  etaVXIt  :  | 

IVLIa  sIn  LIbeat,  nVnC  |  CaroLIna  VoCer  * 

*  TVTISSIMA  *  QVIES  *  *  C  :  I  :  H  * 

(or:  5  ducats,  M  1314). 
Chacun  des  deux  vers  du  premier  distique  offre  la  date  171 5  : 

Premier  vers  :  MCCCCCLLLLVIim  =  1715. 
Second  vers  :  MDCLLVVniII  =1715. 

La  même  valeur  est  donnée  par  la  lecture  numérale  du 
second  distique  :  MCCCLLLLXVVVVVVVVVIIIIIIIIII  =  1715. 
A  propos  de  la  naissance  de  l'archiduc  Léopold  (1716)  : 

GEMMAM  •  QYJE  •  DEERAT  •  TANDEM  •  CONCESSIT  • 

OLYMPVS 

Des  anges  posant  le  chaton  d'une  bague  : 

CiESAREiE  SOBOLI  SEPTeM  sVa  DoNA  pLANETiE  |  sVbSTERnVnT  C*  H 

(M  1317).  Cette  légende  forme  chronogramme. 

En  additionnant  la  valeur  niimérale  des  grandes  capitales 
MDCLLVVVI,  on  trouve  la  date  1716. 


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250  H&MomBS. 

Sur  la  prise  de  Temeswar  (1746)  : 

CAROLVS  VI  •  D  •  G  •  ROM  •  IMP  •  SEMP  •  AVG  • 
(en  exergue,  V  :  Veslner,  nom  du  graveur). 

SECVRITAS  TRANSSYLVANI^  RESTITVTA  • 
THEMESVVARIO  OCCVP  •  D  •  12     OCT  •  1716. 

(argent,  M  4318). 
Sur  la  Pragmatique-Sanction  (1722)  : 

PROGENIES  MAGNUM  COELI  VENTURA  SUB  AXEM 
OPT  :  PRI  :  CAR  •  SECURITAS  PERPETUA  •  H  • 
ET  NATI  NATORUM  ET  QUiE  NASCENTUR  AB  ILLIS 
VOT  :  MUT  :  S  •  P  •  Q  •  DACIC  •  MDCCXXII  |  S  •  K  •  D  •  K  • 

(Samuel  Kœleséri  de  Reseler,  M  1319). 

La  médaille  de  1741,  autre  chronogramme,  donnant  la  date 
de  l'année  et  rappelant  la  fameuse  scène  du  couronnement  de 
Presbourg  et  les  patriotiques  acclamations  de  la  noblesse  ma- 
gyare en  l'honneur  de  Marie-Thérèse  : 

REGNANtI    MARliE   THERESliE   Vt  PrInCIpI 

sViE  VotIs  se  IVratI  obstrInXere  DaCi 

INV  •  L  •  B  •  10  •  LAZ  •  DE  GYAL  *  T      R  "  I  "  AS 

{Liber  baro  Joh.  Lazarus  de  Gyalakulha  Tahulœ  Regiœ  Jttdi- 
ciariœ  Assessor). 

COELO  NUMEN  HABES  •  TERRAS •  REGINA •  TUETUR  • 
SIC  COELO  ET  TERRIS  HUNGARE  TUTUS  ERIS 

SUB  CRUCE  lAM  GEMINA  GEMINA  EST  PATRONA 
MARIA  NEC  SiEVOS  METUENT  |  ARMENTA  LEONES. 
Walliss  F. 

(argent,  M  1391-1392). 
Le  rétablissement  de  l'évécbé  de  Garlshourg  : 

DIUiE  PALLADI  REGINiE  PROUIDENTIA  S  •  P  •  Q  • 
CAROL  MDCCXXXXIII 

(argent,  M  1393). 


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ESSAI  SDH  LÉS  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  251 

Sur  les  réformes  monétaires  : 

LEGES  METALLURG  :  RESTITUTiE  MDCCXLVII  • 
G • TODA  F  • 
(argent  et  bronze,  M  1394-1396). 

LEGES  METALLURGIC^  IN  TRANSILVANIA 
RESTITUTiE  MDCCXLVII 

(argent  et  platine,  M  1397-1398).  ^ 

Sur  l'établissement  des  conGns  militaires  : 

IMP  •  FRANCISCUS  AUG  •  M  •  THERESIA  AU  G  : 

P  •  KEISERSWERTH  F  ■ 

SECVRITAS  DACIAE  MDCCLXII  •  I  •  D  •  F  • 

{Ignaz  Donner  fecit)  (argent  et  bronze,  M  1399-1400). 
Sur  le  rétablissement  des  charges  de  cour  : 

M.  THERESIA  PIA  FELIX  AVG  • 

MVNERA  RESTITVTA  MDCCLXII     k.  wurt  f. 

(argent,  bronze,  étain,  M  1401-1403). 
Sur  l'érection  de  la  Transylvanie  en  grande  principauté  : 

MAGNVS  TRANSYLVANIAE  PRINCIPATVS  MDCCLXV 

F.    WURTH   F. 

(argent,  bronze,  étain,  M  1404). 

Sur  la  réforme  fiscale  (1765),  médaille  signée  P  K  (P.  Kei- 
serswerlh)  : 

AEQVITAS  TRIBVTORVM  MDCCLXV 

(argent,  bronze,  étain,  M  1407). 

Sur  la  réforme  des  lois  civiles  (1765),  médaille  signée  W 
(Wùrth)  (bronze,  M  1410)  : 

IVSTITIA  ET  CLEMENTIA  •  CVRA  FORI  •  MDCCLXV 

Sur  les  progrès  de  l'agriculture,  de  l'exploitation  des  mines 
et  du  commerce,  signée  F.  Wiirth  : 

DACIA  FELIX 
AGRIS  •  FODINIS  •  COMMERCIO  •  MDCCLXIX 


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353  hAmoibes. 

Sur  la  fondation  de  l'orphelinat  d'Hermannstadt  (1770) 

FONDANTE 

AUGUSTA  MARIA 

THERESIA  ROMAN  • 

IMP  •  ET  REG  .  HUNG  • 

BOH  •  M  •  P  •  TRAN  •  &  •  &  • 

POSITUS  LAPIS  FUN 

DAMENTI    PRO    ERIGEN 

DO  TEMPLO  ORPHA 

NOTRO  •  THERESIANI   • 

CIBINII  •  XVI  •  lUN  •  I 

MDCCLXX. 

(argent,  deux  revers  variés,  M  1414). 

TROISIÈME  PARTIE 

TYPES 


Types  religieux. 

Les  premières  images  que  nous  voyons  paraître  sur  les  mon- 
naies transylvaniennes  sont  celles  delà  Vierge  et  de  saint  La- 
dislas.  Mais  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  types  n'appartient  en 
proj)reà  la  principauté  ;  ils  ont  une  signification  plus  générale 
et  sont  communs  à  toute  la  monarchie  hongroise.  C'est  comme 
patronne  de  la  Hongrie  —  la  légende  le  dit  expressément  — 
que  la  Mère  de  Dieu  y  est  représentée,  et  c'est  comme  roi  de 
Hongrie  que  saint  Ladislas  y  occupe  sa  place. 

Dans  les  monnaies  franchement  dynastiques,  où  Tordre  hé- 
réditaire était  de  règle,  la  personnalité  des  maisons  régnantes 
avait  de  bonne  heure  éliminé  les  figures  de  sainteté  ou  en 
avait  singulièrement  réduit  le  rôle.  C'est  par  exception  et  en 
vue  de  circonstances  déterminées  que  saint  Michel,  saint  Geor- 
ges ou  d'autres  personnages  de  la  cour  céleste  ont  parfois 
occupé,  sur  les  monnaies  de  France  et  d'Angleterre,  une  place 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  253 

habituellement  réservée  aux  emblèmes  purement  politiques. 
Au  contraire,  dans  les  Étals  éleelifs,  dans  les  républiques  mu- 
nicipales, rien  n'est  plus  fréquent  que  la  représentation  d'une 
figure  divine  ou  d'un  saint  patron ,  protecteur  surnaturel , 
adopté  comme  une  personnification  supérieure  de  l'État.  Au 
milieu  des  luttes  sans  fin  qui  sont  la  vie  constante  du  moyen 
âge,  les  petits  gouvernements  sentaient  la  nécessité  d'intéres- 
ser à  leur  cause  quelque  vengeur  idéal  et  de  commander  le 
respect  d'eux-mêmes  par  la  sainteté  des  emblèmes  dont  ils 
s'attribuaient  le  privilège. 

Venise  mettait  le  Christ  sur  ses  monnaies  {SU  tibi  Christe 
datmquem  lu  régis  isteducatus),,  la  Vierge  figure  sur  celles  de 
Pise  (Protège j  Virgo^Pisas)^  de  Sienne  (Tuo  confisi  prœsidio)^ 
de  SdLyonne(VirgoMaria^ protège  civitatem  Savonœ).  Les  mon- 
naies de  Milan  représentent  saint  Anibroise;  celles  d'Asti,  saint 
Second  ;  celles  de  Modène^  saint  Géminien  ;  celles  de  Liège, 
saint  Lambert. 

Les  rois  de  Hongrie  suivaient  donc  l'exemple  donné  par 
leurs  voisins  les  rois  de  Bohème  et  par  beaucoup  de  villes 
libres,  et,  comme  les  premiers  princes  de  Transylvanie  ont  été 
des  prétendants  à  la  couronne  de  saint  Etienne,  ils  ont  eu  soin 
d'adopter  pour  leurs  monnaies  des  symboles  qui  donnaient 
une  sorte  de  consécration  à  leurs  espérances,  se  bornant  à  pla- 
cer modestement  au-dessous  de  la  sainte  image  un  petit  écus- 
son  blasonné  de  leurs  armes. 

Tous  les  ducats  de  Jean  I"  portent  la  Vierge  à  l'avers,  saint 
Ladislas  au  revers. 

L'empereur  Ferdinand  I**%  pendant  les  cinq  ans  d'annexion, 
continue,  pour  les  monnaies  d'or,  la  tradition  de  son  prédéces- 
seur. Sous  Jean  II,  la  Vierge  demeure,  mais  saint  Ladislas  est 
exclus,  et  se  voit  régulièrement  remplacé,  au  revers  des  du- 
cats, par  un  emblème  héraldique. 

Etienne  Bathori,  en  1571,  rétablit  l'ordre  ancien.  La  Vierge 
et  saint  Ladislas  se  partagent  les  deux  faces  de  ses  monnaies 
d'or.  11  en  est  de  même  sous  Christophe  etSigismond  Bathori, 
sous  l'empereur  Rodolphe  !•%  sous  Etienne  Bocskai.  Avec  Si- 
gismond  Ràkôczi,  la  tradition  subit  une  courte  interruption» 


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254  MÉMOIRES. 

l'effigie  et  les  armes  du  prince  ayant  remplacé  patron  et  ma- 
done ;  l'usage  reprend  sous  Gabriel  Balhori ,  seulement  dans 
les  ducats  de  Nagybanya;  ceux  de  Ciausenbourg  et  d'Her- 
mannstadt  sont  purement  dynastiques. 

Pendant  les  seize  ans  du  règne  de  Gabriel  Bethlen,  il  y  a 
deux  périodes  à  distinguer  que  sépare  l'élection  du  prince  en 
qualité  de  roi  de  Hongrie,  en  1620.  Durant  la  première  période, 
les  deux  lypes  religieux  sont  rigoureusement  écarlés  et  rem- 
placés partout,  sur  la  monnaie  d'or,  comme  sur  la  monnaie 
d'argent,  par  l'effigie  et  les  armes.  Après  l'élection ,  le  sys- 
tème se  modifie  ;  le  révolutionnaire  devient  conservateur,  l'en- 
nemi des  images  tourne  à  la  tolérance ,  et  la  figure  de  Notre- 
Dame  portant  l'Enfant  Jésus  reprend  sa  place  sur  les  ducats. 
Seulement,  elle  cessé  d'être  entourée  de  la  légende  tradition- 
nelle PATRONA  HVNGARIE,  et  n'est  accompagnée  que  de 
la  seconde  partie  des  titres  princiers.  Après  l'abandon  de  la 
couronne  de  Hongrie,  Gabriel  Bethlen,  prince  du  Saint-Em- 
pire romain  et  duc  en  Silésie,  maintient  la  Vierge  au  revers 
de  ses  ducats,  gardant  pour  sa  propre  effigie  la  place  d'honneur 
de  l'avers.  La  Madone  figure  encore,  mais  avec  sa  légende,  sur 
les  doubles  gros  d'argent  frappés  en  4622  à  l'usage  de  la  ca- 
tholique Silésie  (M  789; ,  sur  les  doubles  gros  de  Nagy-Baaya 
et  sur  les  deniers  d'Oppelu  (M  842). 

Nous  retrouvons  la  Vierge  sur  le  ducal  de  1630,  sans  indi- 
cation d'atelier  monétaire ,  au  nom  de  Catherine  de  lirande- 
bourg  (M  849) ,  puis  sur  les  ducats  de  Georges  Râkôczi  !•% 
frappés  à  Nagybanya,  tandis  que  ceux  de  Clausenbourg  et  de 
Weissenbourg  sont  exclusivement  dynastiques. 

En  Hongrie,  le  type  de  saint  Ladislas  est  le  plus  ancien. 
Celui  de  la  Vierge  n'a  commencé  qu'avec  la  dynastie  polonaise, 
sous  WladislasH  (1490-1316). 

11  en  est  de  même  sous  Georges  Ràkôczi  II.  Après  la  mort 
de  ce  dernier  prince,  l'image  de  la  Vierge  subit  une  éclipse 
définitive.  Elle  est  entièrement  abandonnée  dans  les  monnaies 
d'ApaU.  Les  empereurs  Léopold  et  Joseph  I"  mettent  partout 
l'aigle  à  deux  têtes,  qui  marque  l'incorporation  de  la  Transyl- 
vanie  aux  États  héréditaires'de  la  maison  d'Autriche.  Ce  n'est 


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^AI  SUR  LES  MONtf AIES  DE  TRANSYLVANIE.  255 

pas  François  Ràkôczi  II ,  le  chef  des  méconlenis ,  qui  aurait, 
ressuscité  des  emblèmes  catholiques,  l'insuccès  de  sa  campa- 
gne ne  lui  ayant  pas  permis  d'arriver  à  la  période  conserva- 
trice. Les  concessions  parlicularistes  de  Charles  VI  et  de 
Marie-Thérèse  comporlent  seulement  le  blason  transylvanien. 
Ainsi,  à  partir  de  l'année  1657,  date  de  .rémission  du  dernier 
ducat  portant  l'image  de  la  Viirge,  la  monnaie  de  Transylva- 
nie est  entièrement  laïque.  La  figure  de  saint  Ladislas  avait 
disparu  quarante-sept  ans  plus  tôt,  sous  Gabriel  Bathori  (1610^ 
M  420-421). 

Après  avoir  établi  la  chronologie  des  deux  types  religieux 
de  la  monnaie  transylvanienne,  il  nous  reste  à  en  étudier  l'ico- 
nographie. 

Type  de  Notre-Dame. 

Il  y  a  dans  les  représentations  de  la  Vierge  que  nous  offrent 
les  monnaies  de  Transylvanie  certaines  données  constantes. 
Notre-Dame  y  est  toujours  figurée  assise,  couronnée,  portant 
l'Enfant  Jésus  et  reposant  ses  pieds  sur  le  croissant  de  la  lune. 

C'est  là  le  type  ordinaire  des  ducats  royaux  de  Hongrie,  à 
dater  du  roi  Louis  II  (1516-1526),  tandis  que,  sous  son  prédé- 
cesseur, la  Vierge,  ayant  à  ses  pieds  l'aigle  de  Pologne,  est 
assise  dans  une  chaise  gothique  à  clochetons  finement  ciselés. 

Plusieurs  détails  de  disposition  varient,  ainsi  que  le  style 
d'exécution.  Dans  les  premiers  types,  c'est  toujours  la  main 
droite  qui  soutient  l'Enfant  Jésus.  Au  contraire,  un  ducat  de 
Gabriel  Bethlen  fait  passer  l'Enfant  au  bras  gauche,  et  met  le 
sceptre  dans  la  main  droite  (M  612).  La  Vierge  a  généralement 
les  cheveux  longs  et  flottants  sur  les  épaules,  ce  qui  rappelle 
les  types  contemporains  des  monnaies  de  Pise  et  de  Sienne. 

Sa  couronne,  qui  n'est  d'abord  qu'un  cercle  à  trois  fleurons, 
devient,  sous  Georges  Ràkôczi,  une  couronne  fermée  dont  l'arc 
supérieur  est  serti  de  perles  (M  866). 

Les  vêtements,  dont  les  plis  sont  drapés  avec  ime  certaine 
uniformité ,  ne  présentent  le  plus  souvent  aucun  ornement. 
Pourtant  le  thaler  d'Etienne  Bocskai  (M  364-65)  décore  le  man- 


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256  MÉMOIRES. 

leau  d'une  bordure  de  broderie  byzantine,  et  dans  les  ducats 
de  Gabriel  Helhlen ,  le  costume  tout  entier  se  couvre  de  rin- 
ceaux fleuris ,  gravés  au  pointillé,  dont  la  richesse  fait  songer 
aux  robes  brochées  d'or  de  la  Panagia  orthodoxe  où  de  la  Ma- 
dré de  Deu  des  églises  espagnoles. 

Dans  le  ducat  de  Gabriel  Beihlen,  frappé  à  Kremnitz  en  1621 , 
la  Vierge  est  assise  sur  un  coussin  d'étoffe  granulée  dont  les 
coins  sont  terminés  par  quatre  glands  eu  forme  de  grenade. 
Du  côté  droit,  la  double  et  longue  tresse  ondée  de  ses  cheveux 
descend  jusqu'à  la  hauteur  du  coude;  la  main  gauche  lient 
un  des  pieds  de  l'Enfant  Jésus.  Le  croissant  de  la  lune  flgure 
une  têle  humaine  (M  605). 

Il  y  a  un  type  bien  particulier  dans  le  ducat  du  même  prince 
frappé  à  Nagybanya  en  1627.  La  Vierge  y  porte  une  sorte  de 
robe  de  chambre  nouée  d'un  cordon  et  ouverte  en  cœur  sur  la 
poitrine,  où  elle  laisse  voir  un  gilet  boutonné  jusqu'au  menton 
avec  plusieurs  rangées  de  brandebourgs  hongrois.  L'étoffe  de 
la  robe  est  toute  chamarrée  de  rinceaux  à  volutes  divergentes, 
traitées  au  pointillé  avec  beaucoup  de  finesse.  La  couronne  est 
fermée. 

Les  têtes  sont  d'un  travail  extrêmement  barbare  :  deux  bou- 
les percées  de  trois  trous  symétriques.  Il  serait  difficile  d'unir  à 
plus  d'incorrection  un  instinct  plus  recherché  du  luxe  déco- 
ratif (M  697). 

Dans  le  ducat  de  Georges  Ràkôczi  de  1653  (Nagybanya),  la 
main  de  la  Vierge  porte  un  sceptre  terminé  par  un  fleuron  de 
lis.  Il  y  a  dans  le  costume  quelques  réminiscences  du  type 
précédent,  mais  avec  moins  de  richesse.  (M  901). 

L'Enfant  Jésus  commence  par  être  figuré  de  profil ,  assis, 
complètement  nu,  tourné  vers  sa  mère  et  les  mains  vides.  Plus 
tard,  ses  mains  s'arment  du  sceptre  ou  de  la  boule  du  monde. 
Alors  son  attitude  se  contourne,  et  de  hiératique  et  sauvage 
qu'elle  était ,  passe  à  la  manière  et  à  la  mièvrerie  du  style 
jésuite. 

Dans  les  dernières  représentations,  le  groupe, divin  s'entoure 
d'une  auréole  flamboyante. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  257 


Type  de  saint  Ladislas. 

Saint  Ladislas  est  toujours  figuré  ea  pied,  debout,  vu  de 
face  et  armé  de  toutes  pièces.  Il  porte  la  longue  moustache  ma- 
gyare, les  cheveux  longs  et  la  barbe  apostolique  (i).  Son  armure 
est  celle  d'un  chevalier  du  quinzième  siècle  :  fortes  épaulières, 
coudières,  genouillères  saillantes,  cuissards  articulés;  de  la 
main  droite,  il  tient  une  hallebarde  ;  de  la  gauche,  la  boule  du 
monde  surmontée  d'une  croix. 

Ce  type  militaire  s'était  substitué,  sur  les  ducal  s  royaux  de 
Hongrie,  peu  d'années  avant  le  règne  de  Zapolya,  au  type  de 
majesté,  avec  la  tunique  et  le  manteau  drapé,  dont  nous  trou- 
vons le  dernier  exemple  sous  le  roi  Wladislas  de  Pologne.  Il 
y  avait  eu,  bien  antérieurement,  sous  le  roi  Louis  d'Anjou,  un 
autre  type  de  majesté  plus  archaïque,  où  le  manteau,  agrafé 
sur  l'épaule  et  relevé  par  les  deux  bras,  tombait  en  pointe, 
recouvrant  tout  le  devant  du  corps.  Au  quinzième  siècle,  en 
déposant  le  mnnleau  pour  prendre  le  harnais  de  guerre,  saint 
Ladislas  perd  aussi  le  nimbe  qui  encadrait  d'abord  sa  tète , 
mais  il  garde  sa  couronne  à  trois  fleurons. 


Types  personnels. 

Quoique  l'exécution  des  figures  teisse  généralement  beau- 
coup à  désirer,  les  graveurs  de  médailles,  orfèvres  et  ornema- 
nistes, quelquefois  assez  habiles,  étant  presque  toujours  de 
très  mauvais  dessinateurs,  il  n'est  pas  difficile  de  distinguer, 
dans  les  effigies  princières,  trois  types  nettement  caractérisés. 

Le  nez  romain  des  Bathori,  le  nez  arqué  et  vraiment  orien- 
tal des  Râkôczi  et  de  Kémény,  le  nez  kalmouck  de  Gabriel 
Belhlen  trahissent  des  divergences  ethnographiques  dont  il  se- 

(1)  U  y  a  des  ducats'de  Ferdinand  I«',  au  type  de  saint  Ladislas,  frappés  dans  la  haute 
Autriche  et  dans  la  Styrie. 

8«  SÉBIE    —  TOMK  m,   2.  17 


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258  MÉMOIBES. 

rail  sans  doute  malaisé  de  démêler  l'histoire  à  travers  le  chaos 
des  alliances  rnlre-croisées,  mais  qui  n'en  sonl  pas  moins  le 
lémoignage  de  la  prédominance  de  races  tout  à  fait  dislinctes. 

Il  ne  paraît  point  que  les  modes  d'Europe  aient  exercé  grande 
influence  sur  les  princes  de  Transylvanie.  Qu'ils  fussent  amis 
ou  ennemis  du  Sultan,  ce  n'est  p^s  du  côté  de  l'Occident  qu'ils 
aimaient  à  regarder,  et  l'on  chercherait  vainement  dans  la 
coupe  de  leurs  cheveux  et  de  leur  barbe  un  contre-coup  des 
variations  de  l'usage  des  cours  contemporaines.  L'espèce 
d'uniformité  qui  régnait  déjà  au  seizième  et  surtout  au  dix- 
septième  siècle  dans  les  ranps  de  la  société  élevée,  et  dont  le 
czar  Pierre  l"  se  fit  en  Russie  l'intraitable  initiateur,  n'a  pas 
atteint  ces  princes  guerriers,  qui,  malgré  tant  de  luttes  contre 
les  Turcs,  avaient  beaucoup  emprunté  à  l'Orient,  tant  au  point 
de  vue  plastique  qu'au  point  de  vue  moral;  qui  copiaient  le 
luxe  de  leurs  armes  et  de  leurs  chevaux,  et,  au  besoin,  ne  se 
faisaient  pas  faute  de  se  débarrasser  de  leurs  adversaires  à 
l'aide  du  cordon  de  soie,  ni  plus  ni  moins  que  de  vrais  pa- 
chas (4). 

Tous  les  princes  dont  nous  possédons  les  effigies  ont  les  che- 
veux coupés  courts,  quelquefois  ras,  à  une  seule  exception 
près.  Une  médaille  de  Gal»riel  Bethlen  lui  donne  la  chevelure 
longue  et  tombante  et  la  barbe  pointue,  sans  moustache,  des 
docteurs  réformés;  mais  ce  type  difl'ère  totalement  de  celui 
que  nous  ofl'rent  les  monnaies  (M  o63).  Plusieurs  princes  ont, 
au  dessus  du  front,  assez  soigneusement  rasé,  cette  mèche  uni- 
que de  cheveux  qui,  suivant  la  croyance  mahomélane,  doit 


(4  )  Spontoni  raconte  que  Sigismond  Bathori,  ayant  invité  à  sa  table  un  grand  nombre 
de  barons  transylvaniens  soupçonnés  de  trahison ,  fit  enlever  par  ses  fidèles  Sekels  les 
quatorze  plus  compromii,  qui  furent  étranglés  après  une  courte  captivité.  Son  oncle  même, 
Balthazar  Bathori,  également  incarcéré,  vit  entrer  dans  sa  prison  un  personnage  silencieux 
qui  portait  d'une  main  le  rosaire  et  de  l'autre  un  cordon  de  soie  brune  :  c'était  le  bour- 
reau {Bisloria  deUa  TransUvania,  p.  20).  Dans  son  Voyage  minéralogiquc  en  Hongrie  et  en 
Tmnsylmnie,  M.  de  Born  nous  révèle  la  persistance  d'une  autre  coutume  turque,  celle  de 
l'empalement.  Peu  de  temps  avant  son  passage,  trois  réfugiés  du  Banat  de  Temeswar, 
coupables  de  vols  et  de  meurtres,  avaient  été  empalés  vivants  à  Deva.  L'auteur  ajoute 
que  ces  exécutions  n'étaient  pas  rares  en  Esclavonie  et  dans  le  Baiîat.  (Lettre  XI,  ).  258 
Trad.  Monnet.) 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  359 

servir  à  l'ange  d'Allah  pour  faire  franchir  aux  élus  le  redou- 
table passage  du  paradis. 

Ils  ont  presque  toujours  la  barbe  longue  et  fournie,  l'oreille 
découverte,  la  nuque  entièrement  dégagée.  Aussi/lorsqu'après 
la  mort  d'Apafi  on  voit  paraître  le  profil  lauré  de  l'empei'eur 
Léopold,  avec  sa  moustache,  sa  mouche  Louis  XIII  et  sa  ma- 
jestueuse perruque  L'>uls  XIV,  dout  les  boucles  tombent  en 
spirales  régulières  sur  la  cuirasse  à  clous  saillants,  on  a  l'in- 
tuition d'un  changement  de  milieu  absolu.  C'est  Versailles  suc- 
cédant à  Constantinople. 

Le  type  d'effigies  le  plus  répandu  représente  les  princes  de 
profil,  à  droite,  en  buste  jusqu'à  la  ceinture.  Par  exception, 
quelques  pièces  coupent  le  buste  à  peu  près  à  la  hauteur  du 
sein  (ducats  et  thalers  de  Gabriel  Bethlen,  697-4493),  tandis 
que  d'autres  offrent  seulement  la  tête.  H  y  a  un  petit  nombre 
de  bustes  drapés,  avec  le  manteau  laissant  voir  la  cuirasse  et 
retenu  sur  l'épaule  droite  par  une  agrafe  en  forme  de  croix 
byzantine  (697)  ou  de  rose  à  cinq  pétales  (H93).  Des  ducats 
du  même  prince  et  d'Etienne  Bosckai  présentent  cette  disposi- 
tion (346-573). 

Ces  manteaux  drapés  offrent,  dans  certains  cas,  un  travail 
de  grené  qui  semble  indiquer  du  velours;  d'autres  fois,  ils  sont 
décorés  de  légères  broderies  traitées  au  pointillé. 

Le  costume  militaire,  avec  l'armure  plus  ou  moins  complète, 
est  de  règle  presque  absolue.  Il  y  a  pourtant  quelques  exem- 
ples de  costume  -civil  hongrois.  Un  type  de  Gabriel  Bethlen, 
adopté  pour  de  grandes  pièces  d'or  et  d'argent,  représente  le 
prince  vêtu  d'un  riche  costume  biodé  à  grands  ramages  avec 
des  rangées  de  brandebourgs  à  gros  boutons  et  un  large  collet 
d'hermine  (M  594). 

Les  monnaies  de  Zapolya  ne  présentent  poiut  d'effigie  prin- 
cière;  des  types  religieux  ou  héraldiques  en  font  tous  les 
frais.  C'est  seulement  en  1585  qu'Élienne  Bathori,  roi  de  Po- 
logne en  même  temps  que  prince  transylvanien,  commence  à 
fa^re  graver  son  portiait  sur  la  monnaie  d'argent.  L'attitude 
qu'on  lui  a  donnée,  à  l'avers  des  thalers  de  Nagybanya 
(M  125-132),  est  devenue  traditionnelle  en  Transylvanie  et 


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260  MÉMOIRES. 

s'y  est  perpétuée,  sauf  quelques  exceptions,  jusqu'à  la  fin  du 
principat  autonome. 

Le  prince  est  représenté  en  buste,  de  profil,  tourné  à  droite, 
la  main  gauche  serrant  la  poignée  du  sabre,  et  l'autre  portant 
le  sceptre  appuyé  sur  l'épaule  II  est  revêtu  de  son  armure  et 
couronné.  On  ne  connaît  de  lui  qu'un  seul  type,  commun  aux 
émissions  de  1585  et  de  1586.     . 

Nous  retrouvons  ce  type  du  bus'e  cuirassé,  avec  le  sceptre 
sur  l'épaule  et  la  main  gauche  tenant  la  poignée  du  sabre,  dans 
les  pièces  de  Delphin  Tizzoni,  comt^  de  Desana  et  de  Verceil, 
qui  prend  le  titre  de  vicaire  perpétuel  du  saint  Empire  romain. 
Un  autre  seigneur  de  la  même  maison,  Antoine  Marie,  n'a 
point  le  sceptre,  mais  il  tient  l'épée  comme  lui,  et  la  disposi- 
tion générale  oflfre  les  plus  grandes  analogies.  (Barthélémy, 
Numismatique  moderne^  atlas,  fig.  507-509.) 

Un  type  analogue,  mais  tourné  à  gauche,  appartient  aux 
pièces  d'argent  his[)ano-flamande^  du  roi  Philippe  II  émises 
en  1579  à  destination  de  la  seigneurie  de  Groningue.  (Aloiss 
Heiss,  Descr.  gen.  de  las  mon,  hisp,  christ.^  pi.  185,  f.  235.) 

Sigismond  Bathori,  malgré  la  longueur  de  son  règne,  n'a 
pas  d'effigie  spéciale  à  la  monnaie  d'or.  Il  y  a  bien  une  pièce 
de  dix  ducats  donnant  son  portrait  j  mais  elle  est  frappée  avec 
un  coin  de  thaler  (M  155).  Au  contraire,  la  série  de  ses  piè- 
ces d'argent  offre  une  extrême  richesse  de  variantes.  La  pose 
du  personnage  demeure  constante,  le  sceptre  du  roi  Etienne 
étant  remplacé  par  une  sorte  de  masse  d'armes  à  pointe  en  lo- 
sange, le  buzogan  des  Hongrois. 

Dans  le  ihaler  de  Nagybanya,  frappé  en  1589,  la  main  gau- 
che soutient  un  casque  empanaché  (M  216).  Dans  tous  les 
autres,  elle  serre  la  poignée  dii  sabre,  conformément  au  type 
normal;  cette  poignée  de  sabre,  dans  une  pièce  de  1592,  se 
termine  en  tête  d'aigle  (M  245). 

La  têle  est  toujours  nue,  juvénile  et  sans  barbe  dans  les 
thalers  émis  de  1589  à  1591;  Sigismond  porte  la  moustache  et 
la  barbe  à  partir  de  1592.  C'est  dans  le  dessin  et  l'ornementa- 
tion de  Tarmure  que  l'artiste  a  laissé  libre  essor  à  son  imagi- 
nation. Toutes  les  pièces  en  sont  traitées  avec, beaucoup  de 


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ESSAI  SUB  LES  MONNAIES  DE  TBANSYLVANIB.  26i 

soin,  de  recherche  el  une  finesse  d'exécution  qui  fait  d'autant 
plus  ressortir  l'incorrection  de  la  figure  et  les  gaucheries  de 
l'attitude. 

Faul-il  voir  dans  toutes  ces  variantes  des  caprices  de  gra- 
veur ou  la  reproduction  fidèle  des  diverses  parures  guerrières 
sous  lesquelles  le  prince  de  Transylvanie  aimait  à  paraître  en 
tête  de  ses  cavaliers?  Dans  tous  les  cas,  l'étude  en  est  inté- 
ressante au  point  de  vue  de  l'art  décoratif.  Il  est  curieux  de 
voir  par  combien  de  combinaisons  l'artiste  a  su  diversifier  la 
physionomie  du  corselet,  du  hausse-col,  des  épaulières,  des 
coudières,  des  brassards,  et  par  combien  d'ingénieux  artifices 
il  a  su  faire  jouer  la  lumière  sur  ces  surfaces  finement  cise- 
lées, de  façon  à  produire  des  effets  pleins  d'originalité,  d'élé- 
gance ou  de  richesse. 

Coiffures.  —  Sigismond  Bathori  s'est  fait  constamment  re- 
présenter nu-tête.  Un  demi-thaler  de  Gabriel  Bathori,  où  le 
prince  est  figuré  de  la  même  façon,  donne  pourtant,  dans  le 
champ,  le  dessin  de  son  casque,  qui  est  de  forme  conique, 
d'un  caractère  assez  franchement  oriental,  muni  de  jugulaires 
et  orné,  sur  le  devant,  d'une  haute  aigrette  que  retient  une 
agrafe  perlée.  Mais  il  n'y  a  pas  d'exemple  d'effif^ie  casquée. 

Toutes  les  fois  que  les  princes  n'ont  pas  la  têle  nue,  ils  por- 
tent un  de  ces  bonnets  de  fourrure,  familiers  à  l'Europe  orien- 
tale, dont  l'apparition  causa  tant  d'émoi  à  la  cour  de  France, 
lorsque  les  députés  polonais  vinrent  débattre  avec  Henri  de 
Valois  le  prix  de  la  couronne  des  Jagellon.  Ces  bonnets,  dont 
l'ornementation  et  les  proportions  varient,  appartiennent  à 
deux  types. 

L'un  est  la  coiffîire  basse,  plate,  à  retroussis,  le  kalpag,  qui 
emprisonne  exactement  la  têle,  sans  faire  de  saillie  sur  le  front 
on  sur  la  nuque.  On  en  voit  des  modèles  sur  les  ducats 
d'Etienne  Bocskai,  de  Gabriel  Bethleh  et  sur  des  thalers  de  ce 
dernier  prince. 

L'autre  forme  une  sorte  de  turban  ou  de  bourrelet  qui  entoure 
la  tête  et  au-dessus  duquel  s'élève  une  coiffe  conique,  à  profil 
irrégulier,  de  hauteur  variable  C'est  la  coiff'ure  qui  parait 
avoir  été  généralement  adoptée  par  les  princes  de  Transylva- 


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262  MÉMOIEBS. 

nie  dans  le  cour^int  du  dix-septième  siècle,  «  le  chapeau  pointu, 
fait  de  martres  sebellines,  à  la  semblance  de  ceux  des  Turcs  », 
dont  parle  rhistoriea  Fumée  (I).  Les  deux  Georges  Rakôczi, 
Kémény,  Apafi  nVn  portent  pas  d'autre. 

Presque  toujours,  ces  deux  coiffures  sont  ornées  d'une  ai- 
grette, d'un  bouquet  de  plumes  en  éventail  ou  en  double  pa- 
nache retombant,  que  fixe  une  agrafe  en  forme  de  croix,  de 
trèfle  ou  de  fleuron  à  deux  volutes  internes.  Dans  l'un  et  l'au- 
tre type,  celte  aigrette  est  posée  de  côté,  an-dessus  de  l'oreille 
droite.  Pourtant,  dans  le  demi-thaler  de  Gabriel  Bethlen,  où 
les  plumes  ont,  comme  la  coiffe,  une  hauteur  démesurée,  elle 
s'attache  sur  le  devant,  au  dessus  du  front  (M  594). 

Cuirasses.  —  On  en  peut  distinguer  trois  variétés  princi- 
pales durant  la  période  des  Bathori  ;  elles  ont  pour  point  com- 
mun de  ressemblance  la  convexité  assez  bombée  du  plastron, 
qu'une  arête  médiane  coupe  en  deux  versants. 

Dans  le  premier  groupe,  le  corps  de  cuirasse  est  orné  de 
larges  bandes  verticales  gravées  ou  ciselées  qui  alternent  avec 
des  bandes  lisses  d'égale  dimension.  Le  dessin  des  bandes 
ouvragées  est  formé  d'un  ornement  courant  à  tige  continue, 
émettant  des  volutes  opposées  (M  222). 

Dans  le  second  groupe,  le  plastron  tout  entier,  qui  n'a  au- 
cune espèce  de  compartiment,  est  revêtu  d'un  liche  résenu 
d'arabesques,  de  composition  végétale,  consistant  en  séries  de 
palmettes  et  de  folioles  a  pétioles  courbes  entre  lesquelles 
s'inscrit  parfois  une  petite  croix  (M  272-277). 

La  troisième  famille,  très  nombreuse  et  très  variée,  est  celle 
des  armures  à  éclisses ,  c'est-à-dire  formées  de  lames  de  métal 


(1)  Ce  chapeau  aTail,  comme  le  bonnet  fourré  des  Électeurs  du  saint  Empire,  une 
Taleur  emblématique,  et  symbolisait  la  délégation  du  souverain. 

Dans  le  passage  que  nous  Tenons  de  citer,  Fumée  raconte  que  le  Vénitien  Gritti,  com- 
missaire de  Soliman,  irrité  d'apprendre  que  le  yaïyode  de  Transylvanie,  Émeric  Cibachi, 
évèque  de  Varad,  venait  à  sa  rencontre  avec  une  brillante  escorte  de  cavalerie,  ôla  son 
chapeau  avec  emportement  et  le  jeta  par  terre,  disant  <<  que  ce  chapeau  ne  pouvoit  ser? ir 
à  deux  tètes,  et  qu'il  estoit  nécessaire  qu'on  l'accommodast  seulement  à  une.  »  Ce  pro- 
pos ne  fut  point  perJu.  Peu  de  jours  après,  un  capitaine  hongrois,  qui  l'avait  recueilli,  se 
présentait  devant  le  fils  du  doge ,  tenant  par  une  oreille  la  tète  de  l'évèque  de  Varad. 
{Histoin  de  Hongrie^  I,  p.  46.) 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  263 

horizonlales  appliquées  sur  une  doublure  de  cuir  et  consti- 
luanl  une  sorte  de  plaslron  articulé.  Le  nombre  de  ces  édisses, 
d'autant  plus  multipliées  qu'elles  sont  moins  larges,  varie  en 
moyenne  de  sept  à  quinze.  Elles  n'ont  parfois  pour  décora- 
tion que  les  clous  saillants  qui  servent  à  les  fixer;  mais  il  ar- 
rive aussi  fréquemment  qu'elles  soient  agrémentées  par  des 
rangées  de  croisettes  (M  284),  d'annelets  (M  283),  d*éloiles 
(ducal  de  Gabriel  Belhlen  de  1621,  M  605). 

Dans  plusieurs  de  ces  armures,  les  édisses  se  rencontrent 
au  milieu  du  plastron,  sans  bordure  métallique  qui  les  main- 
tienne et  les  divise  (M  605-282).  D'autres,  au  contraire,  offrent 
un  encadrement  qui  contourne  la  base  du  hausse-col  et  forme 
sur  le  devant  de  la  poitrine  une  bande  verticale  suivant  la 
courbe  du  plastron.  Cet  encadrement  reçoit  aussi  des  ornements 
variés,  soit  une  rangée  de  croisettes  (M  29i),  soit  une  série 
d'annelets  inscrits  dans  des  cercles  tangents  (M  250),  soit  une 
tige  végétale  à  plusieurs  courbures  portant  des  volutes  alter- 
nées ou  opposées  (M  265-284). 

Ces  différentes  cuirasses  appartiennent  aux  types  monétaires 
du  seizième  siècle  et  des  premières  années  du  dix-septième  siè- 
cle. Gabriel  Bethlen  en  offre  les  derniers  exemples.  A  dater 
de  ce  prince,  qui  marque  la  transition,  la  forme  et  la  cons- 
truction générale  s'en  modifient  sensiblement  ;  la  courbure 
exagérée  du  plastron  s'atlénue,  les  édisses  disparaissent  et  il 
ne  reste  plus  que  deux  types,  usités  jusqu'à  ré|)oque  d'Apafi, 
c'est-à-dire  jusqu'à  la  suppression  définitive  des  effigies  prin- 
cières  :  le  plastron  à  double  encadrement  rectangulaire  riche- 
ment décoré  d'arabesques,  de  fleurons,  de  filets,  de  trèfles  ou 
de  denticuU's  (thaler  de  Georges  Râkôczi  II,  1656,  M  966)  et  le 
plastron  lisse,  bordé  d'un  simple  filet  et  sur  lequel  se  détachent 
en  relief,  soit  des  mascarons  grimaçants,  et  des  fleurs  de  lis 
florencées  (thaler  d'Apafi,  M  1113),  soit  des  roses  et  des  quar- 
tefeuilles  (M  1103). 

Il  y  a  enfin  un  ducal  d'Apafi  où  le  prince  parait  porter,  par- 
dessus la  cuirasse,  une  pelisse  velue,  toute  ornée  de  glands  et 
de  passementeries  (M  1079). 

Brassards.  —  Les  bras  sont,  ou  bien  protégés  par  des  mao- 


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264  MÉMOIRES. 

ches  collantes  en  tissu  métallique  à  mailles  plus  ou  moins 
fines  ou  en  treillis  d'annelets,  sur  lesquelles  s'adaptent  les 
défenses  particulières  des  épaules,  des  cotides  et  de  la  main,  et 
que  décorent  quelquefois  des  appliques  en  forme  de  croix  et 
de  disques,  ou  bien  habillés  de  plaques  longitudinales  à  clous 
saillants,  qui  reçoivent  assez  souvent  une  décoration  analogue 
à  celle  de  l'encadrement  du  plastron. 

Épaulières.  —  Ces  pièces  qui  onl,  en  général,  une  très  grande 
dimension,  surtout  dans  les  thalers  de  Sigismond  Bathori ,  où 
elles  forment  un  bourrelet  bouffant  au-dessus  de  la  naissance 
du  bras,  sont  traitées  avec  la  même  recherche  décorative  que 
les  parties  les  plus  soignées  de  la  cuirasse^  Il  en  est  où  l'on 
reconnaît  un  travail  de  gravure,  tandis  que  d'autres  présentent 
des  fleurons,  des  rinceaux,  des  enroulements  à  très  forts  reliefs. 
La  bordure,  d'une  courbe  assez  gracieuse,  en  est  quelquefois 
agrémentée  de  filets,  de  grènetis  et  de  clous  symétriquement 
disposés.  Quelques  types,  mais  en  petit  nombre,  portent  le 
mufle  de  lion,  dont  les  ciseleurs  occidentaux  ont  fait  un  si 
fréquent  et  souvent  un  si  heureux  usage  dans  la  décorai  ion 
des  armures  et  qui  avait  fini  par  devenir  classique.  Très  fan- 
tastique et  combiné  d'éléments  végétaux  sous  Sigismond  Ba- 
thori, ce  mufle  de  lion,  sans  perdre  tout  à  fait  son  étrangeté 
barbare,  se  rapproche  pourtant,  sous  Apafi,  de  la  conception 
courante. 

Types  héraldiques. 

Avant  d'examiner,  au  point  de  vue  historique  et  généalogi- 
que, les  armoiries  qui  décorent  les  monnaies  de  Transylvanie, 
il  convient  de  présenter  quelques  considérations  générales 
sur  le  style  de  ces  représentations  et  des  ornements  qui  les 
accompagnent. 

Écus.  —  La  forme  de  l'écu  a  subi  d'assez  grandes  varia- 
tions. Deux  types  principaux  alternent  durant  presque  tout  le 
monnayage  transylvanien  :  l'écu  rectangulaire  par  le  sommet 
arrondi  par  la  base  et  la  targe  aux  flancs  échancrés,  à  la 
pointe  en  accolade.  Ces  deux  types  se  rencontrent  déjà  dans 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  265 

les  monnaies  de  Zapolya;  ils  disparaissent  vers  la  seconde 
moitié  dn  dix-seplième  siècle,  pour  faire  place  soit  à  Pécu 
ovale,  soit  à  des  formes  plus  tourmentées.  Assez  souvent,  à 
partir  de  1620,  les  flancs  de  Técu  perdent  leur  rigidité  pour 
s'évaser  avec  une  flexion  d'ailleurs  peu  sensible,  el  la  ligne 
supérieure  du  chef  s'arque  en  double  volule.  Une  variante 
plus  bizarre,  étrangère  aux  habitudes  de  l'Occident,  donne  au 
chef  un  sommet  triangulaire,  tantôt  aigu,  tantôt  tronqué  (du- 
cats de  Jean  Kemeni,  M  1032;  de  Georges  Râkôczi,  M  1011). 
Il  y  a  quelques  exemples  d'écus  en  bannière,  c'esl-à-dire  for- 
mant un  reclangle  à  peu  près  parfait  (pièce  de  dix  ducats 
d'Apafi,  1662,  M  1046). 

Les  premiers  lambrequins  se  montrent  en  1597,  dans  une 
plaque-thaler  de  Sigismond  Balhori,  frappée  à  Nagybanya. 
Ils  ont  un  caractère  de  dessin  turc  très  accentué  (M  298). 
Dans  un  thaler  d'Etienne  Bocskai,  de  1606,  ils  prennent  une 
physionomie  des  plus  étranges,  compliqués  de  mascarons, 
d'enroulements  engainants ,  d'appendices  latéraux  affectant 
une  vague  forme  d'ailes  (M  373).  Un  ducat  de  Gabriel  Belh- 
len  de  1597  donne,  autour  de  l'écu  ovale,  un  cartouche  ajouré, 
à  volutes  symétriques,  plus  conforme  à  la  mode  européenne 
(M  580).  Sous  le  même  prince,  l'écu  se  flanque  aussi  d'orne- 
ments latéraux  qui  rappellent,  jusqu'à  un  certain  point,  la  forme 
de  la  pella  (M  733-754-771).  Avec  Georges  Râkôczi,  reparais- 
sent les  lambrequins  turcs  (M  1001).  Rien  de  plus  compliqué 
que  le  cartouche  qui  entoure  l'écu  ovale  du  même  prince,  sur 
une  plaque-thaler  de  1662.  Les  filets  qui  en  formeni  l'enca- 
drement se  terminent  à  la  partie  supérieure  en  becs  d'oiseaux 
chimériques  de  style  oriental  accompagné  d'appendices  bor- 
dés de  perles  qui  s'enlacent  et  se  relient  avec  les  enroulements 
multipliés  du  cadre  (M  1000). 

Rien  ne  montre  mieux  le  peu  d'initiative  réelle  de  l'imagi- 
nation humaine,  la  persistance  et  la  pénétration  des  formes  à 
travers  le  temps  et  l'espace  que  ces  dessins  d'oise*iux,  d'un 
caractère  si  archaïque,  que  l'on  croirait  empruntés  à  l'art  mé- 
rovingien et,  par  certains  détails,  aux  types  (hiératiques  de 
l'Iran.  Il  en  est  certainement  de  cette  rencontre,  inconsciente 


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266  MÊMOIEES. 

mais  non  fortuite,  comme  des  gafbes  de  vase  d'une  haute  an- 
tiquité, que  des  ouvriers  ignorants  de  TÉgypte  ou  de  l'Asie 
continuent  à  modeler,  sur  un  patron  traditionnel,  sans  se  dou- 
ter du  moode  d'impressioDs  et  de  souvenirs  que  le  seul  aspect 
de  ces  courbes  éveille  dans  l'esprit  de  l'observateur. 

Dans  une  pièce  de  dix  ducats  d'Apafi ,  l'écu  est  flanqué 
d'arabesques  à  volutes  perlées  dont  le  noyau  central  forme  une 
silhouette  de  pro6l  humain  à  forte  moustache  (M  1046).  La 
pièce  de  cents  ducats  frappée  en  1677  pour  l'empereur  Léo- 
pold  et  le  comte  Andrassy  offre  un  système  d'encadrement 
très  original  et  1res  comp'et.  Les  lambrequins  échancrés  et 
ajourés  qui  soutiennent  l'écu  ovale  du  prince,  se  terminent  en 
pattes  d'aigles  sortant  d'une  gaine,  les  serres  collées  contre  le 
corps  et  les  ailes,  à  plumes  symétriques,  recourbées  en  vo- 
lute et  servant  de  support  à  la  couronne.  A  la  partie  inférieure 
ces  lambrequins  Gnissent  par  des  feuillages  recourbés  entre 
lesquels  grimace  un  masearon  fantastique  (M  1045).  L'en- 
semble est  d'une  richesse  étrange,  et  ne  rentre  précisément 
dans  aucune  des  catégories  de  l'art  occidental. 

Couronnes.  —  La  principauté  de  Transylvanie  ayant  disparu 
avant  l'époque  où  se  sont  fixérs  les  règles  de  l'étiquette  héral- 
dique, et  la  situation  des  princes  étant  passée  par  de  grandes 
vicissitudes,  il  y  a  naturellement  des  écarts  assez  sensibles 
dans  le  type  des  couronnes  qui  surinontent  les  écus  ou  qui 
forment,  à  elles  seules,  un  motif  de  décoration. 

Le  type  de  couronne  ouverte  est  le  plus  ancien.  Il  est  pres- 
que toujours  orné  de  trois  fleurons  principaux  qui  affectent, 
tantôt  l'i  forme  classique  de  la  feuille  d'ache,  consacrée  par  les 
blasons  occidentaux,  tantôt  celle  d'une  fleur  de  lis  ou  d'un  fer 
de  lance  à  fortes  volutes,  avec  dentelure  intermédiaire,  quel- 
quefois surmontée  d'une  feuille  trilobée  de  plus  petite  dimen- 
sion. L'exécution  de  ces  données  n'est  point  d'ailleurs  uniforme, 
et  le  caprice  du  graveur  s'y  est  livré  à  mille  écarts,  depuis  les 
fleurons  démesurés  et  tout  en  hauteur  de  la  plaque-thaler  de 
Sigismond  Bathori,  frappée  en  1597  <M298),  jusqu'au  diadème 
las,  perlé,  orné  de  trilobés  et  de  groupes  de  trois  perles  des 
duc  as  de  Gabriel  Bethlen,  émis  en  1620  (M  580). 


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ESSAI  SDR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  267 

Bien  que  la  couronne  ouverte  coexiste  avec  la  couronne  fer- 
mée dans  le  monnayage  transylvanien ,  et  quMI  ne  soit  pas 
rare  d'en  trouver  des  exemples  sous  le  même  prince,  il  y  a 
pourtant,  en  faveur  de  la  pren)ière ,  une  antériorité  marquée. 
Elle  finit  par  être  à  peu  près  complètement  supplantée  par  la 
seconde,  et  c'est  |  resque  à  titre  d'exception  isolée  que  nous 
la  voyons  reparaître  en  <668  sur  un  ducal  d'Apafi  (M  1067). 

La  couronne  fermée,  dont  Tusage  paraît  s'être  généralisé  dans 
les  premières  années  du  dix-septième  siècle ,  présente  aussi 
des  variations  considérables.  Dans  beaucoup  de  cas,  elle  re- 
produit le  diadème  ordinaire  avec  addition  d'un  demi-cercle 
supérieur  ou  de  plusieurs  demi-cercles  correspondant  à  chaque 
fleuron.  Mais  d'autres  fois  elle  se  complique  de  deux  lobes 
très  saillants,  sertis  de  perles  et  surmontés  à  leur  point  de 
rencontre  d'un  globule  qui  porte  une  croix.  Si  l'on  cherchait 
à  ces  divers  types  des  analogies  élran;»ères,  on  songerait  tout 
d'abord  à  la  couronne  des  princes  du  Saint-Empire  et  »  plus 
rarement,  à  la  couronne  royale  d'Angleterre.  La  fantaisie  des 
graveurs  ne  s'est  pas  moins  donné  carrière  dans  l'ornementa- 
tion du  bandeau  que  dans  le  profil  des  fleurons  :  il  y  a  des 
séries  d'annelets  rangés  côte  à  côte  (M  887)  ou  alternant  avec 
des  globules  (M  1002),  des  torsades  (M  998),  des  pierres  car- 
rées et  des  pierrts  rondes  (1150),  des  globules  inscrits  dans  un 
cercle  et  des  croiseltes  alternées  (M  1111),  des  bandeaux  unis 
où  les  fleurons  sont  reinpiacés  par  de  simples  lobes  arrondis 
(M  1000)  ou  triangulaires  (M  1032). 

Quant  à  la  bombe  de  la  couronne,  elle  est  quelquefois  lisse, 
quelquefois  traitée  au  pointillé,  et  elle  reçoit  aussi  une  élégante 
décoration  losange^  avec  cabochons  saillants  (ihaler  de  Georges 
Râkôczi,  166,  M  1000). 

Au  règne  de  Gabriel  Bethlen  appartient  une  série  très  par- 
ticulière et  très  riche  de  couronnes  qui  n'ofl'renl  de  ressem- 
blance avec  celles  d'aucun  autre  prince.  Ces  couronnes  ne 
surmonteraient  pas  un  écusson  dont  la  croix  patriarcale  el  les 
fasces  de  Hongrie  Oîcupenl  la  moitié,  qu'il  serait  aisé  d'y  re- 
connaître des  interpi étalions  variables,  mais  analogues  dans 
leur  ensemble,  de  la  plus  précieuse  peut-être  des  reliques  raa- 


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268  MÉMOIRES. 

^yares;  on  y  retrouve,  en  efîel,  et  les  plaques  de  métal  dé- 
coupé, ornées  de  figures  en  relief,  elle  dôme  fortement  bombé, 
et  les  chalnelles  pendantes,  dont  un  vieux  chroniqueur  rap- 
porte qu'en  bruissant  aux  oreilles  du  prince  elles  doivent  lui 
rappeler  incessamment  la  lourde  charge  dont  il  est  investi; 
tous  traits  caractéristiques  de  la  couronne  légendaire  qui  fut 
offerte  par  le  pape  au  premier  roi  chrétien  de  Hongrie,  qui 
passa,  plus  tard,  pour  être  tombée  du  ciel,  et  qui,  au  cours 
des  orageuses  destinées  de  la  nationalité  hongroise,  a  toujours 
été  regardée  comme  le  premier  symbole  de  la  puissance  sou- 
veraine et  de  rindépendance  nationale  :  enjeu  de  toutes  les 
sanglantes  parties  jouées  par  les  compétiteurs  au  trône,  signe 
de  ralliement  dessiné  sur  les  drapeaux  des  honveds  et  sur  les 
assignats  de  Eossuth,  emblème  de  réconciliation  figuré,  depuis 
l'élablissement  du  régime  dualiste,  sur  les  monnaies  de  l'em- 
pereur François-Joseph,  roi  de  Hongrie.  Le  titre  de  roi  élu, 
porté  par  Gabriel  Bethlen,  en  1620  et  1621,  à  la  suite  de 
ses  heureuses  campagnes,  explique  Tadoption  de  ce  type, 
dont  aucun  des  successeurs  du  héros  n'a  osé  enrichir  son 
écnsson. 

Nous  signalerons  seulement  à  titre  de  singularilé  acciden- 
telle une  couronne  excentrique  décorant  les  armes  de  Georges 
Râkôczi  sur  un  demi-thaler  de  1654  ;  c'est  un  exemple  curieux 
de  la  dépravation  que  peuvent  subir  les  types  numismaliques. 
Le  bandeau  est  devenu  uno  sorte  de  bourrelet;  le  fleuron  mé- 
dian a  conservé  sa  forme  de  fleur  de  lis,  tandis  que  les  deux 
fleurons  latéraux  se  sont  boursouflés  en  globules  massifs,  que 
le  globe  surmonté  de  la  croix  s'est  métamorphosé  en  efflores- 
cence  confuse  et  que  les  deux  hémisphères  de  la  coiffe  se  sont 
étirés  et  raidis  de  façon  à  rappeler  vaguement  le  profil  de  deux 
tenailles  rectangulaires  (M  1001). 

Supports.  —  Les  armes  des  princes  de  Transylvanie  n'ont 
généralement  pas  de  supports.  Mais  cette  règle  souffre  deux 
exceptions.  Les  seuls  types  de  supportsque  l'on  rencontre  dans 
tout  le  n)onnayage  transylvanien  sont  les  detuc  anges  ou  vic- 
toires et  le  dragon. 

Les  deux  anges  appartiennent  en  propre  à  la  famille  Bathori^ 


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ESSAI  SOR  LES  MONNAIES  DE  TEÀNSYLVANIE.  269 

et  n'ont  été  empruntés  par  aucun  autre  prince.  Ils  sont  figurés 
debout  et  vêtus  de  longues  robes. 

Ce  type  date  de  Christophe  Bathori.  On  le  rencontre  sur  la 
pièce  de  10  ducats  frappée  en  1577  et  sur  les  thalers  de  cam- 
pagne de  1580  et  1581.  Il  est  constant  sur  les  thalers  de  Si- 
gismond  Bathori,  mais  il  ne  survit  pas  au  règne  de  ce  prince. 


Type  du  dragon. 

Dans  les  premières  années  du  dix-septième  siècle,  les  ar- 
moiries des  princes  transylvaniens  se  compliquent  d'un  élé- 
ment nouveau  dont  la  fixité  mérite  d'appeler  l'attention.  C'est 
le  dragon,  employé  comme  ornement  extérieur  de  l'écu. 

Ce  type  fait  sa  première  apparition,  en  1605,  sur  le  Ihalrr 
d'Etienne  Bocskai,  frappé  à  Nagybanya.  Le  corps  du  dragon 
forme  un  anneau,  dans  lequel  est  inscrit  l'écusson  personnel  du 
prince.  Celle  disposition  s'est  perpétuée  durant  vingt-cinq  an- 
nées (M  364-369),  et  n'a  été  abandonnée  qu'après  la  fin  du 
règne  d'Élienne  Bethlen.  Il  en  existe  un  grand  nombre  d'exem- 
ples. Le  dragon  a  constamment  la  tète  tournée  du  côté  gau- 
che; mais  tantôt  il  se  mord  la  queue,  tantôt  cette  queue  s'en- 
roule plusieurs  fois  autour  du  cou,  formant  une  sorte  de  tor- 
ques d'un  effet  original. 

Il  y  a,  en  outre,  certaines  variantes  de  détail. 

Dans  le  type  initial,  qui  est  celui  du  thaler  de  1605,  repro- 
duit l'année  suivante  par  les  ducats  et  doubles  ducats  de  Clau- 
senbourg  (M  3i2-349),  le  dragon  a  le  corps  entièrement  re- 
couvert d'écaillés  imbriquées,  arfondies,  rangées  en  zoûes  pa- 
rallèles Sa  lête,  aux  oreilles  baissées,  à  l'ail  cave,  au  bec 
aquilin  et  proéminent,  rappelle  le  type  classique  du  griffon, 
et  l'ensemble  n'est  pas  sans  analogie  avec  le  dragon,  enseigne 
des  Daces,  dont  les  bas- reliefs  de  la  colonne  trajane  offrent 
plusieurs  représentations.  Seulement,  le  dragon  transylvanien 
a,  dès  1605,  des  rudiments  de  pattes  qui  prennent,  dans  la 
suite,  un  plus  grand  développement. 

Dans  le  thaler  d'essai  de  la  même  année  (M  370),  le  Ira- 


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270  HÊMOIBBS. 

vail  est  fout  différent  Non  seulement  la  queue  esl  nouée  au- 
tour du  cou,  mais  le  corps,  armé  de  griffes  et  bosselé  de  plu- 
sieurs renfleinenls,  est  recouvert,  sur  le  dos,  d'une  seule  série 
d'écaillés  longues  et  pointues,  tandis  que  le  dt»ssous  est  gra- 
nulé avec  assez  de  finesse. 

Nous  relevons  le  type  du  dragon,  entourant  les  armes  per- 
sonnelles du  prince,  sur  des  ducUs  de  Gabriel  Balhori  frappés 
à  Clausenbourg  el  à  Hermannstadt,  de  1609  à  1613  (M  422- 
4i8),  Dans  le  thaler  dii  même  prince,  émis  en  1609,  le  dra- 
gon circonscrit  un  groupe  de  trois  écussons  (M  449). 

Sous  Gabriel  Bethlen,  les  ducats  de  Clausenbourg  de  1614 
|>ortent  le  dragon  couronné  (M  565-580),  disposition  repro- 
duite par  ceux  d'Hermannstadt. 


Blctsons. 

Trois  sorles  d'armoiries  figurent  sur  les  monnaies  des  prin- 
ces transylvaniens,  dont  elles  occupent  et  souvent  remplissent 
le  revers. 

Ce  sont  : 

1«  Les  armoiries  personnelles,  appartenant  en  propre  aux 
familles  des  princes  régnants  ; 

2'  Les  armes  régionales  de  la  Transylvanie; 

3o  Des  blasons  composites  où,  pour  mieux  marquer  l'union 
présumée  élernelle-et  pourtant  bien  éphémère,  grâce  à  l'em- 
pereur ou  au  Grand  Turc,  des  dynastes  et  du  pays,  les  armoi- 
ries personnelles  et  régionales  se  trouvent  combinées  en  un 
type  héraldique  nouveau,  dont  l'agencement  parait  inspiré 
par  le  caprice  de  l'artiste,  et  n'est  ordonné  d'après  aucune 
règle  précise. 

Armoiries  personnelles. 

Dix  familles  hongroises  qui  ont  porté  la  couronne  de  Tran- 
sylvanie ont  empreint  leurs  armes  sur  les  monnaies  provin- 
ciales. Ce  sont  les  Zapolya,  les  Bathori^  les  Bocskai^  les  Rà* 


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ESSAI  SDR  LKS  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  271 

kôczi,  les  Belhlen,  les  Rhedey,  les  Baresai,  les  Kemeny,  les 
Apafi,  les  Tœkœli. 

Tantôt  ces  armoiries  comprennent  simplement  Temblème 
héraldique  de  la  maison  régnante,  tantôt  elles  ajoutent,  pour 
en  rehausser  l'éclat,  des  pièces  rappelant  des  alliances  illus- 
tres ou  des  dignités  souveraines. 

Le  symbole  héréditaire  des  Zapolya  est  un  loup  naissant 
d'une  montagne  à  trois  coupeaux;  celui  des  Bathori,  trois 
dents  de  dragon  posées  en  fasce;  celui  des  Bocskai,  un  lion 
portant  une  flèche;  c.^lui  des  Râkôczi,  un  aigle  tenant  un 
sabre;  celui  des  Belhlen,  deux  oies  sauvages  afl^ronlées,  le  cou  • 
traversé  par  une  flèche;  celui  des  Rhedey,  un  lion  tenant  une 
épée;  celui  des  Baresai,  un  bras  armé  d'un  sabre  et  traversé 
d'une  flèche;  celui  des  Kemeny^  un  bouquetin  issant  d'une 
couronne;  celui  des  Apafi  un  casque  brochant  sur  un  cep  de 
vigne  et  une  épée;  celui  des  Tœkœli,  un  aigle  à  deux  têtes. 

On  remarquera  le  caractère  guerrier  de  la  plupart  de  ces 
emblèmes,  naturellement  appropriés  n  l'existence  aventureuse 
de  princes  presque  toujours  en  campagne. 

Nous  allons  passer  en  revue  les  particularités  intéressantes 
qui  se  rattachent  à  la  représentation  de  ces  symboles  ou  à 
leur  combinaison  avec  d'autres  éléments  non  transylvaniens. 

Ce  sont  les  premiers  princes,  en  général,  qui  ont  fait  gra- 
ver leur  écu  solitaire  au  revers  de  la  monnaie.  Comme  partout, 
ils  les  ont  d'abord  produits  simplement,  en  guise  de  signature 
ou  d'hiéroglyphe  du  nom,  sans  les  compliquer  d'ornements 
conventionnels  destinés  à  en  rehausser  l'éclat.  Vers  le  milieu 
du  seizième  siècle,  ces  écussons  .ont  d'ordinaire  la  forme  de 
cartouches  échancrés. 


Armes  des  Zapolya. 

Un  thaler  de  campagne  de  Jean  de  Zapolya,  frappé  au  plus 
fort  des  guerres  religieuses  <Ie  1565,  pièce  épaisse,  grossière- 
ment découpée,  marquée  sur  une  seule  face  et  qu'on  dirait  em- 
preinte, pendant  une  courte  halte  militaire,  sur  quelque  plaque 


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272  MEMOIRES. 

d^argent  obtenue  par  réquisition  et  martelée  à  la  bâte,  porte  une 
sorte  de  large  à  flancs  écbanerés,  pointe  arrondie,  cbef  en  ac- 
colade, où  se  détacbe,  vigoureusement  relevé  sur  le  cbamp 
estampé  en  creux,  un  loup  conlourné,  naissant  d'une  monta- 
gne à  trois  coupeaux,  accompagné  en  cbef  d'un  croissant  et 
d'une  étoile  (M  100). 

Sur  ses  ducats  el  ses  deniers,  Jean  II  unit  ses  armes  per- 
sonnelles à  d'autres  blasons  qui  marquent  ses  prétendons  et 
ses  alliances  les  plus  illustres. 

Cette  composition  béraldique  est  combinée  de  trois  manières 
.différentes.  Dans  le  premier  type,  commun  aux  ducats  de  Na- 
gybanya,  d'Hermannsladl  et  de  Clausenbourg  frappés  en  1556 
et  1557,  l'écu  est  écarielé  avec  une  contre-écartelure  au  pre- 
mier quartier  Le  loup  des  Zapolya  occupe  la  première  place 
de  cetle  conlre-écartelure,  où  flgurent  la  croix  palriarcale  de 
Hongrie,  les  quatre  fasces  d'argent  qui,  d'après  les  vieux 
béraldistes,  représentent  les  principaux  fleuves  de  la  plaine 
magyare,  le  Danube,  la  Drave,  la  Save  et  la  Tbeiss,  ainsi  que 
la  licorne,  emblème  indéterminé. 

Au  deuxième  quartier,  l'aigle  de  Pologne  déploie  ses  ailes  en 
mémoire  de  la  mère  du  prince,  Isabelle  Zapolya,  issue  du  sang 
royal  des  Jagellon. 

Le  troisième  porte  la  guivre  de  Milan,  à  cause  de  la  mère 
d'Isabelle,  la  belle  et  perfide  Bonne  Sforza  (1),  fille  de  Jean  Ga- 
léas,  et  femme  du  roi  Sigismond  de  Pologne;  le  quatrième,  les 
trois  tètes  de  léopard  du  royaume  de  Dalmatfe. 

Dans  le  deuxième  type,  simplement  écartelé,  l'écu  des  Zapo- 
lya est  brocbanl,  avec  les  fasces  au  premier  quartier,  la  croix 
patriarcale  au  second. 

Dans  le  troisième  type,  qui  est  celui  des  deniers  frappés  à 
Nagybanya  el  dans  un  autre  atelier  monétaire,  l'écu  est  écar- 


(1)  C'est  le  nom  de  cette  astucieuse  Italienne,  dont  les  intrigues  mirent  la  division  au 
royaume  de  Pologne  et  attristèrent  la  yieillesse  du  roi ,  qui ,  interprété  par  lee  contem- 
porains comme  une  cruelle  antiphrase,  inspira  le  célèbre  distique  : 

Ut  Porta  par  8unt,  iU  luci  lumine  lucerU, 
Ut  beUwn  belkm,  sic  Bona  bona  ftiU, 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  273 

télé  aux  premier  et  quatre  des  fasces,  au  ieux  de  la  croix 
patriarcale,  au  trois  des  léopards  dalmates  avec  le  loup  bro- 
chaut  (M  43.<06). 


Armes  des  Bocskai. 

Une  très  belle  pièce  de  10  ducats,  d'Élisabelh  Bocskai,  frap- 
pée en  1577,  offre,  dans  un  écu  1res  simple,  à  contours  ondu- 
lés, à  peine  accompagné  latéralement  de  deux  indications  de 
volutes,  un  lion  assis,  d'un  grand  caractère,  portant  de  la 
patte  droite  une  longue  flèche,  la  poinle  en  haut.  Le  travail 
presque  assyrien  des  boucles  de  la  crinière,  Tamande  de  l'œil, 
les  sept  panaches  flottants  de  la  queue  deux  fois  bifurquée  et 
l'ensemble  de  l'attitude  donnent  au  noble  animal  une  physio- 
nomie archaïque  pleine  d'intérêt  (M  152). 

Le  même  lion  des  Bocskai,  moins  héroïque  de  tournure, 
mais  pourtant  d'un  assez  ferme  dessin,  apparaît,  en  1605,  sur 
les  thalers  du  prince  Etienne;  deux  fleurettes,  indiquées  par 
de  simples  groupes  de  globules,  y  décorent  la  base  de  la  mon- 
tagne. Carré  du  chef,  l'écu  régulier,  à  poinle  légèrement  ar- 
rondie, s'y  inscrit  dans  un  cartouche  symétrique  découpé  en 
lambrequins  et  qui  se  replient  allernativement  en  dedans  et  en 
dehors,  et  autour  duquel  le  dragon  symbolique  forme  un  ma- 
gnifique collier  (M  367). 

Sur  uû  ducat  de  même  prince,  frappé  en  1606,  le  lion,  dont 
le  tour  de  tête  rappelle  exactement  quelques  types  sculpturaux 
bien  connus  des  cathédrales  romanes,  est  inscrit  direclement 
dans  le  cercle  que  trace  le  corps  du  dragon  (M  346). 


Armes  des  Bathori. 

Les  trois  dents  de  dragon  des  Bathori  font  leur  première  ap- 
parition monétaire  en  1577,  sous  Christophe  Bathori,  qui  a 
battu  monnaie  en  qualité  de  waïvode,  tandis  que  son  frère,  le 
prince  Etienne,  occupait  le  trône  de  Pologne,  où  l'avait  appelé, 

8«   SÉBifi     —   TOMJB   lil,    2.  18 


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874  MÉMOIRES. 

au  détriment  de  Fempereur  Maximiliea,  le  parti  national  polo- 
nais, après  la  fuite  d'Henri  de  Valois  (1). 

Dans  les  monnaies  du  waïvode,  pièces  3e  10,  de  5  et  de 
'2  ducats,  el  Ihalers  de  campagne,  l'écu  est  supporté  par  deux 
anges,  vêtus  de  longues  robes  (M  134-135). 

Quant  au  prince  Élienne,  il  a  gravé  ses  armes  de  famille, 
dans  de  très  petites  proportions,  et  sans  su  pports,  à  Ta  vers  des 
ducats  de  Nagybanya,  où  cet  emblème  héraldique  figure  au- 
dessous  de  l'image  de  la  Vierge,  dans  le  champ  même  de  la 
légende. 

Sur  ses  thalers  royaux,  Etienne  Bathori  met  ses  armes  en 
cœur  d'un  grand  écu  écartelé,  où  l'aigle  de  Pologne  et  le  che- 
valier armé  de  Lithuanie,  deux  fois  répétés,  symbolisent 
l'union  définitive  des  deux  pays,  sanctionnée  en  1569  par  la 
diète  de  Lublin.  Un  article  spécial  de  cet  accord  stipulait 
l'usage  d'une  monnaie  unique  en  Lithuanie  et  en  Pologne. 

Les  thalers  de  Sigismoud  Bathori  offrent  un  ensemble  héral- 
dique plus  solennel.  L'écu,  chargé  de  trois  dents  aiguës  sortant 
de  leurs  alvéoles  et  rangées  en  fasce,  l'une  au-dessus  de  l'au- 
tre, est  surmonté  d'une  couronne  princière  fermée,  à  double 
montint  et  coiffe  bouffante  et  soutenu  par  deux  vicloires  ailées, 
dont  la  tournure,  les  draperies,  les  ornements  excessifs,  le  des- 
sin à  la  fois  raffiné  et  incorrect  font  songer  aux  monnaies  du 
Bas-Empire  (M  272). 

Ce  type  aux  deux  supports  ailés  se  retrouve  déjà,  du  reste, 
en  1580,  avec  un  caractère  bien  étrange,  dans  un  thaler  de 
campagne  estampé  en  creux.  Les  deux  figures  ailées  et  cou- 
ronnées qui  soutiennent,  non  pas  l'écusson,  mais  un  phylac- 
tère courbe  inscrit  de  la  date,  au-dessus  duquel  se  recourbe 
un  double  fleuron  byzantin,  ont  des  mamelles  de  femme  et  des 
têtes  de  léopard,  et  sont  velues  de  longues  robes  flottantes  sous 


(^)  Certains  armoriaax  appellent  ces  dents  de  dragon  des  dents  de  loup.  Dans  un 
recueil  moderne,  nous  rencontrons,  attribuées  à  la  province  de  Transylvanie,  les  armoi- 
ries suivantes  :  «  D'azur  à  trois  défenses  d'élépbant  {aUà*  de  sanglier)  rangées  en  fasce, 
d'argent,  mouvantes  d'un  nuage  du  même  à  senestre.  »  Nous  ignorons  la  provenance  de 
cette  indication,  qui  nous  parait  une  lecture  inexacte  du  blason  des  Bathori.  (J.  'l'Es^ha- 
vannes.  Armorid  universel^  p.  409.) 


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ESSAI  SOR  LES  MONNAIES  DE  TEANSTLVANIB.  275 

les  plis  desquelles  on  croit  voir  s'entrelacer  des  corps  de  gui- 
vres  (M  149). 

Sur  les  ducats,  où  le  champ  est  moins  vaste,  l'écu  aux  trois 
dents  n'est  pas  accompagné  de  ces  majestueux  supports,  ou 
bien  il  s'inscrit  dans  le  cercle  du  dragon,  surmonté  d'une  cou- 
ronne à  trois  feuilles  d'ache  alternées  de  perles,  assez  analo- 
gue à  nos  couronnes  de  marquis  (Clausenbourg,  1611,  M  431), 
ou  bien  il  s'enlève  sur  le  poitrail  d'un  aigle  aux  ailes  éten- 
dues (Nagybanya,  1 61 3,  M  441  ) . 

Dans  les  gros  d'argent,  dont  le  type  traditionnel  comporte 
au  revers  une  longue  légende,  l'écu  des  Bathori  s'insère  dis- 
crètement entre  le  nom  de  lieu  et  la  date,  mais  il  ne  se  sépare 
pas  de  la  couronne,  qu'indique  une  légère  ligne  dentée  (M  493). 

Des  artifices  de  gravure  assez  délicats  ont  été  adoptés  par  les 
arlistes,  afin  de  relever,  au  moins  par  un  certain  chatoiement 
de  lumière,  un  type  héraldique  aussi  ingrat.  Ainsi,  dans  le 
thaler  de  campagne  cité  plus  haut,  les  dents  s'enlèvent  en 
lisse  sur  un  champ  finement  grené,  et  les  alvéoles  sur  un  fond 
de  stries  ondées  à  direction  verticale,  indiquant  la  boite  du  pa- 
lais (M  1 59),  tandis  que  sur  le  thaler  à  effigie  (M  272)  un  tra- 
vail degrèneiis  très  fin  a  été  réservé  aux  alvéoles,  le  fort  relief 
des  dents  suffisant  à  les  faire  valoir. 


Armes  des  Bethlen. 

Avec  les  Bethlen  apparaît  le  type  des  deux  oies  sauvages 
affrontées  réunies  par  une  flèche  horizontale  qui  leur  perce  le 
cou.  Cetécu  est  direclemenl  inscrit,  comme  celui  des  Bathori, 
dans  le  cercle  du  dragon,  sur  un  ducat  frappé  à  Clausen- 
bourg, en  1618;  seulement,  la  couronne  à  trois  feuilles  d'ache, 
au  lieu  de  poser  sur  le  blason,  surmonte  la  tête  du  monstre 
(M  573). 

Armes  des  Rakoczi. 

Les  trois  éléments  du  blason  des  Ràkôczi,  l'aigle  armé  d'un 
s%bre,  la  demi-roue  et  la  montagne  à  trois  ou  à  plusieurs  cou- 


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S76  *         MÉMOIBBS. 

peaux  ne  se  rencontrent  jamais  groupés  isolément.  Mais  il  y 
a  un  joli  ducal  de  1657  (M  908),  où  l'aigle  seul  est  figuré, 
avec  son  glaive  dans  la  serre  droite,  Tautre  posée  sur  une 
fasce,  où  sont  rangés  en  une  seule  ligne  les  sept  châteaux  de 
Transylvanie.  Dans  plusieurs  types  de  thalers,  Fécu  des 
Rakoczi  est  figuré  brochant  en  chef  sur  le  blason  transyl- 
vanien avec  ou  sans  ligne  de  partition  médiane.  11  arrive 
aussi  que  les  pièces  du  blason  personnel  et  du  blason  provin- 
cial soient  enchevêtrées  sans  aucun  souci  des  habitudes  héral- 
diques (M  887).  La  seule  donnée  conslante  de  cette  dispo- 
sition, c'est  que  le  soleil  et  le  demi-aigle  sont  toujours  placés 
à  gauche,  la  lune  et  les  sept  châteaux  à  droite. 


Armes  des  Apafi. 

Le  paisible  Apafi,  qui  devait  sa  fortune  au  voisinage  tout 
fortuit  du  campement  turc  au  moment  de  la  vacance  du  trône, 
et  qui  disait  et  pensait  beaucoup  de  mal  de  la  grandeur,  n'a 
jamais  séparé  ses  armes  personnelles  de  celles  de  la  Province. 
Il  place  toujours  son  écu  en  cœur  d'une  composition  héraldi- 
que assez  variable,  où  sont  diversement  groupés  les  éléments 
du  blason  transylvanien. 

Le  type  le  plus  distinct  des  armes  d'Apafi  se  rencontre  sur 
la  pièce  de  cent  ducats.  Le  cep  de  vigne  qui  porte  le  casque, 
naît  d'une  branche  transversale  en  forme  de  bâton  péri  et  se 
bifurque  au-dessus  du  cimier  en  deux  rameaux  retombants, 
chargés  de  pampres,  de  vrilles  et  de  raisins.  Le  casque,  dont 
la  visière  est  relevée,  comme  celle  des  légionnaires  de  la  co- 
lonne trajane,  est  orné  de  volutes  sur  la  bombe  et  se  termine 
par  un  long  couvre-nuque  décoré  de  feuillages.  L'épée  a  la 
garde  en  croix.  Quant  aux  éléments  transylvaniens,  ils  sont 
distribués  en  quatre  quartiers  que  séparent  des  lambrequins 
capricieusement  agencés  :  au  1"  le  soleil;  au  2*  la  lune; 
au  3*  l'aigle,  qui  n'est  plus  issant  comme  à  l'ordinaire,  mais 
qui  marche  dans  un  nid;  au  4*  les  sept  châteaux,  en  tours  de 
Castiile,  rangés  1 ,  3,  2  et  1 . 


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ESSAI  SUB  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  277 


Armoiries  de  la  province  de  Transylvanie. 

L'emblème  héraldique  de  la  Transylvanie  est  fort  compli- 
qué, ce  qui  n'a  rien  d'étonnant  pour  un  pays  où  se  trouvent 
Juxtaposées,  depuis  des  siècles,  tant  de  races,  de  religions  et  de 
langues,  et  où  il  n'est  pas  de  ville  importante  qui  ne  soit  gra- 
tifiée de  trois  ou  quatre  noms  différents,  l'un  latin,  l'autre 
hongrois,  l'antre  allemand,  l'autre  valaque,  sans  parler  des 
désignations  particulières  aux  Arméniens  et  aux  Juifs.  Ce  bla- 
son se  compose  de  trois  éléments  dont  la  disposition  parait 
avoir  beaucoup  varié ,  avant  d'en  venir  à  l'ordonnance  offi- 
cielle de  date  assez  récente,  dont  l'apparition  coïncide  avec  le 
triomphe  du  centralisme  autrichien. 

Ces  éléments  sont  : 

i"  Le  soleil  et  le  croissant  lunaire,  qui  ne  figurent  pas  tou- 
jours dans  les  anciens  types,  mais  qui  n'y  figurent  jamais 
l'un  sans  l'autre,  ce  qui  en  démontre  suffisamment  le  symbo- 
lisme collectif  ; 

2'  Un  aigle  naissant,  aux  ailes  déployées; 

30  Un  groupe  de  sept  tours  crénelées. 

Ce  dernier  élément  est  le  plus  intelligible  de  tous.  Il  coïn- 
cidé SI  parfaitement  avec  le  nom  allemand  de  la  Transylvanie, 
Siebenbûrgen,  les  <  sept  châteaux -forts  »,  qu'il  est  inutile  d'y 
chercher  autre  chose  que  la  traduction  graphique  de  cette 
appellation.  Comme  ce  nom  est  exclusivement  d'origine  alle- 
mande, tandis  que  le  nom  hongrois,  Erdely  Orszag^  est  comme 
une  traduction  du  latin  Transylvania,  et  rappelle  seulement 
la  nature  forestière  du  pays,  il  faut  en  conclure  que  le  type 
des  sept  tours  est  postérieur  à  l'établissement  de  l'influence 
germanique  et  en  procède. 

L'interprétation  des  autres  éléments  est  moins  claire.  Il  est 
difficile  de  ne  pas  songer  aux  Turcs  en  voyant  le  soleil  et  la 
lune  réunis.  Est-ce  en  mémoire  de  leur  domination  temporaire 
ou  des  explBits  accomplis  contre  eux  que  la  Transylvanie  a 
conservé  cet  emblème?  Nous  ne  nous  chargeons  pas  d'en  dé- 


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(; 


278  MÉMOIRES. 

cider  pas  plus  que  d'expliquer  à  quelle  date  et  d'après  quelle 
pensée  Paigle  monocépbale  a  pris  place  dans  le  blason  tran- 
sylvanien. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  trouvons  un  joli  groupement  des 
divers  éléments  dans  un  demi-kreutzer  de  l'empereur  Jo- 
seph l*%  frappé  à  destination  spéciale  de  la  Transylvanie. 

11  y  a  trois  écussons  inscrits  dans  des  cartouches  cordifor- 
mes  et  disposés  en  trèfle  :  celui  d'en  haut  porte  l'aigle,  celui 
de  gauche  le  soleil  et  le  croissant,  celui  de  droite  les  sept 
tours  rangées  deux,  trois  et  deux.  La  place  d'honneur  assi- 
gnée à  l'aigle  semblerait  indiqner  que  le  graveur  impérial 
adoptait  la  thèse  d'après  laquelle  cet  oiseau  désignerait  la 
nation  hongroise  (M  1258) 

Le  type  solaire  n'est  pas  uniforme.  Sous  Jean  II ,  c'est  une 
simple  étoile  à  six  rais  (M  67)  ;  sous  Geçrges  Ràkôczi,  un 
disque  armé  de  huit  pointes  (M  1001);  sous  Etienne  Bocskai, 
un  globe  radié  (M  373)  ;  sous  Michel  Âpafi,  une  face  humaine 
entourée  de  rayons  flamboyants  en  assez  grand  nombre 
(M  1046),  ou  seulement  de  quatre  ou  cinq  flammes  qui  se  dé- 
tachent sur  une  large  auréole  de  rayons  rectilignes  (M  1000). 
11  y  a  même  quelques  types,  sous  ce  dernier  prince,  où  l'au- 
réole, très  enjolivée,  tourne  au  feu  d'artifice  ;  c'est  un  véri- 
table soleil  tournant,  avec  pluie  d'étincelles  (M  1111). 

Le  croissant  lunaire  est  passé  par  des  métamorphoses  de 
même  genre.  Très  simple  à  l'origine  et  nettement  découpé  sur 
fond  lisse,  il  s'est  compliqué  d'un  profil  humain,  sous  Bocskai 
(M  373),  sous  Kemeny  (M  1032),  puis  d'une  auréole  de 
rayons  analogue  à  celle  qui  accompagne  le  disque  solaire 
(M  1000). 

On  peut  remarquer  que,  dans  tous  les  types  antérieurs  à 
Marie-Thérèse,  c'est  la  partie  concave  du  croisssanl  qui  est 
opposée  au  soleil ,  contrairement  à  la  réalité,  disposition  qui 
se  rencontre  encore  aujourd'hui  sur  les  enseignes  turques, 
mais  que  le  rationnalisme  scientifique  de  notre  temps  a  corri- 
gée; il  y  a  des  exemples  de  croissant  horizontal,  les  cornes 
en  haut,  d'autres  de  croissant  versé,  c'est-à-dire  horizontal,  les 
cornes  en  bas.  Ceux-ci  appartiennent  à  l'époque  impériale. 


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ESSAI  SUR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  279 

Les  monnaies  de  Marie-Thérèse  n'admellent  pas  d'autre  type. 

L'aigle  ^arde  invariablement  une  silhouette  germanique; 
dans  la  disposition  la  plus  ordinaire,  il  a  les  ailes  ouvertes  et 
très  étalées;  mais  il  y  a  des  exemples  d'ailes  fermées  (Ihaler 
de  nécessité  de  Schaessbourg,  1660,  M  1025). 

Les  châteaux,  inspirés  sans  aucun  doute  du  type  castillan, 
que  l'active  circulation  de  l'or  espagnol  avait  rendu  familier 
en  Transylvanie,  sont  représentés  sous  la  forme  d'une  tour 
évasée  par  la  base,  surmontée  de  trois  créneaux  et  ajouré 
d'une  porte  cintrée  et  d'une  fenêtre  médiane  ou  de  deux 
meurtrières. 

Bien  peu  de  princes  transylvaniens  ont  fait  au  pays  qu'ils 
gouvernaient  l'honneur  de  placer  ses  armoiries,  sans  addition 
personnelle,  au  revers  de  leurs  monnaies.  C'est  une  abnéga- 
tion qu'il  parait  inutile  de  demander  aux  Bathori,  aux 
Bocskai,  aux  Kemeny,  aux  Ràkôczi. 

Nous  citerons  des  gros  d'argent  de  Gabriel  Bethlen.  Dans 
l'un,  frappé  en  1617  (M  583),  l'écu  de  la  principauté  offre  une 
disposition  particulière  :  il  est  coupé  au  1",  chargé  de  l'aigle 
naissant  ;  au  2%  des  sept  tours  rangées  quatre  et  trois,  avec 
un  chef  portant  le  soleil  el  la  lune.  Dans  l'autre,  frappé  en 
1625  (M  834),  l'écu  ovale,  inscrit  dans  un  cartouche,  est 
coupé  de  deux,  avec  l'aigle  et  les  sept  tours,  mais  sans  au- 
cune trace  d'étoile  ni  de  croissant. 

11  n'y  a  non  plus  nul  vestige  des  deux  astres  dans  l'écu  cir- 
culaire d'une  pièce  d'argent  de  Alichel  Apafi,  frappée  en  1672. 
Cet  écu  est  coupé  de  deux,  mais  très  inégalement;  l'aigle  y 
occupe  à  peu  près  les  trois  quarts  du  champ,  tandis  que  les 
sept  tours  s'y  alignent  de  fasce,  en  une  seule  rangée,  au-des- 
sous de  laquelle  sont  inscrites  les  initiales  de  l'atelier  moné- 
taire N  E  (Nagy-Enyed)  (M  1185). 

Blasons  composites. 

On  peut  relever,  dans  le  monnayage  transylvanien,  deux 
systèmes  de  combinaison  des  armes  de  la  Province  avec  d'au- 
tres emblèmes  héraldiques. 


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280  MÉMOIRES. 

Le  premier  système,  le  plus  simple,  associe  uniquement  les 
pièces  du  blason  provincial  aux  armes  pures  de  la  famille  ré- 
gnante. Ce  système,  que  nous  rencontrons  chez  Georges 
Râkôczi  I",  chez  Jean  Kémény,  chez  Apafi,  comporte,  d'ail- 
leurs, plusieurs  disposilions  :  ou  bien  les  pièces  provinciales 
et  personnelles  sont  groupées  en  un  blason  unique,  ou  bien,  au 
contraire,  les  éléments  du  blason  transylvanien  se  dédoublent 
de  façon  à  constituer  deux  écussons,  entre  lesquels  prend  place 
l'emblème  du  prince. 

Il  arrive  aussi  que,  dans  l'écusson  combiné,  les  pièces  du 
blason  transylvanien  ne  soient  pas  inlégralement  reproduites 
et  que  le  dessinateur  n'en  ait  conservé  qu'une  ou  deux.  Ainsi, 
dans  le  thaler  de  campagne  de  Jean  11^  il  n'a  été  retenu  que 
les  astres  ; 

Dans  un  ducat  de  Georges  Râkôczi,  on  ne  trouve  que  les 
sept  châteaux  ; 

Dans  un  ducat  de  Gabriel  Bathori,  on  ne  voit  que  l'aigle, 
qui,  au  lieu  de  figurer  à  litre  d'écartelure,  sert  de  support  à 
l'écu  princier,  comme  l'aigle  d'empire  aux  armes  de  la  maison 
d'Autriche. 

Dans  le  second  système,  la  combinaison  est  tripartie.  On  y 
reconnaît  à  la  fois  et. les  armes  provinciales  et  les  armes  per- 
sonnelles du  prince  et  celles  des  royaumes  ou  grands  fiefs  dont 
le  prince  entend  affirmer  la  possession. 

Comme  plusieurs  princes  transylvaniens  ont  été  des  pré- 
tendants plus  ou  moins  heureux  à  la  couronne  de  Hongrie,  le 
double  blason  magyare  est  celui  qui  figure  le  plus  fréquem- 
ment dans  ces  combinaisons. 

C'est  sous  Gabriel  Bethlen ,  le  héros  de  la  guerre  de  l'indé- 
pendance, plus  connu  dans  l'Europe  occidentale  sous  le  nom 
de  Bethlen  Gabor,  que  commence  la  combinaison  des  armoi- 
ries princières  avec  les  armes  régionales.  Dans  ses  thalers,  qui 
varient  entre  eux  par  des  détails  d'ornementation  ou  de  forme, 
mais  dont  Pordonnance  générale  demeure  constante,  Gabriel 
fait  brocher  son  écu,  inscrit  dans  le  cercle  du  dragon,  sur 
l'écartelure  d'un  écu  à  quatre  quartiers  où  sont  rapprochés, 
d'une  part,  <i  dexlre,  la  croix  patriarcale  et  primatiale  de 


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ESSAI  SDR  LES  MONNAIES  DE  TRANSYLVANIE.  281 

Sainl-Élienne  et  les  quatre  fasces  d'argent  de  Hongrie;  de 
l'autre,  à  senestre,  l'aigle  et  l'étoile,  les  sept  tours  et  le  crois- 
sant de  Transylvanie  (M  594.  -  M  758). 

Nous  avons  rappelé  plus  haut  que,  d'après  les  anciens  hé- 
raldistes,  les  quatre  fasces  d'argent  du  blason  magyare  repré- 
sentaient les  quatre  principaux  fleuves  qui  arrosent  et  fertilisent 
l'immense  plaine  hongroise,  le  Danube^  la  Drave,  la  Save  et 
la  Theiss  (1).  Pour  compenser  la  monotonie  et  la  pauvreté  dé- 
corative de  ce  blason  géométrique^  le  graveur  a  quelquefois 
agrémenté  les  fasces  en  relief  d'un  ornemenl  courant  orné  de 
rinceaux  et  les  a,  en  oulre,  accompagnées  de  filets  très  déliés 
(M  659). 

C'est,  pour  ainsi  dire,  une  interprétation  graphique  complète 
du  titre  princier,  la  croix  patriarcale  et  les  fasces  indiquant 
les  prétentions  à  la  souveraineté  partielle  de  Hongrie,  expri- 
mée par  ces  mots  de  la  légende  :  PARTIVM  REGNI  HVN- 
GARIE  DOMINVS. 

Dans  le  thaler  de  1629  apparaissent  d'autres  éléments.  Les 
oies  sauvages  et  le  dragon  sont  toujours  en  cœur  et  brochant, 
l'écu  toujours  écartelé,  mais  les  armes  du  royaume  de  Hongrie 
ont  disparu  des  deux  quartiers  de  dexlre  pour  faire  place  à 
deux  nouveaux  emblèmes  :  un  aigle  contourné,  posé  sur  un 
roc,  becquetant  une  coupe  qu'il  tient  d'une  de  ses  serres,  —  et 
un  autre  aigle  aux  ailes  étendues.  Ce  sont  les  blasons  des  du- 
chés silésiens  d'OppeIn  et  de  Ratibor,  dont  le  prince  est  devenu 
seigneur  en  vertu  d'une  transaction  avec  l'Empire. 

Avec  Georges  Râkôczi  disparaissent  tous  les  éléments  étran- 
gers au  prince  et  au  pjays.  L'écu  de  sa  maison  porte  un  aigle 
couronné,  armé  d'une  badelaire  et  une  demi -roue  à  cinq 
rayons.  Dans  le  thaler  de  1649,  ces  pièces  se  combinent,  sans 

(1)  «  Taenia  isUe  transvers»...  regnum  HuDgaris  désignant,  cajns  quatuor  primaria 
flumina,  Danubium  scilicet.  Drsvum,  Savutn  et  Tibiscum,  argenleis  bisce  in  miniato 
campo  ductibus  notari...  observaTimus.  »  {Séries  regum  Hmgariœ  e  nummis  aureU  quos 
vulgo  ducalos  appeUarU  collecta  et  descripta...  A  Jacobo  a  Mellen,  Lubecensi.  Lnbec»,  1 699, 
p.  7.) 

Sur  des  deniers  de  Gabriel  Bethlen,  frappés  à  Hermanostadt ,  en  1612  et  4  64  4,  les 
sept  tours  se  rangent  en  bordure  autour  de  l'écusson  de  la  ville,  comme  les  châteaux  des 
armes  de  Portugal  (M  5 H -58 2). 


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282  MÉMOIRES. 

partition,  et  d'une  façon  assez  bizarre,  avec  celles  du  blason 
transylvanien.  L'étoile  et  le  croissant  sont  en  chef  à  dextre, 
Taigle  naissant  en  chef  à  senestre,  l'aigle  armé  en  pointe  à 
dextre,  les  sept  tours  en  pointe  à  senestre,  les  trois-quarts  de 
roue  en  cœur  (M  913). 

Dans  le  Ihaler  de  1656,  l'écu  est  parti  de  deux,  avec  l'aigle 
naissant  et  l'étoile  à  dextre,  les  sept  tours  et  le  croissant  à  se- 
nestre, les  armes  de  Ràkôczi  brochant.  I^es  tours  s'y  rangent 
d'une  façon  mal  ordonnée,  en  s'accommodant  aux  contours  ca- 
pricieux du  champ  (M  966). 

Jean  Kemeny  dispose  trois  targes  adossées,  inscrites  dans 
un  cercle  de  grènetis.  Il  met  au  milieu  ses  propres  armes,  un 
cerf  naissant  d'une  couronne  à  trois  fleurons,  à  gauche  le  so- 
leil et  l'aigle,  à  droite  le  croissant  et  les  tours  (Ducat  hexa- 
gone). 


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NOTE  SUR  LES  TRAVAUX  DE  l'ÉGLISE  SAINT-SATURNIN.  283 

NOTE 

SUR  LES  TRAVAUX  DE  RESTAURATION 

RBOBMMBNT    BXÉOUTâS 

A  L'ÉGLISE  SAINT-SATURNIN,  A  TOULOUSE 

Par  m.  J.  ESQUIÉ  a) 


L'église  Saînt-Saturnin,  vulgairement  désignée,  à  Toulouse, 
sous  le  oom  d'église  Saint-Sornin,  est  incontestablement  la 
basilique  romane  la  plus  grande  et  la  plus  complète  que  pos- 
sède le  midi  de  la  France. 

Intimement  lié  à  l'histoire  de  notre  cité,  cet  édifice  justement 
célèbre  reçut  à  diverses  époques  la  visite  de  Papes  et  de  Sou- 
verains qui  le  comblèrent  de  présents  et  de  privilèges.  Ses 
cryptes ,  dans  lesquelles  se  trouvaient  réunies  une  quantité 
considérable  de  reliques  de  saints,  d'évêques  et  d'apôtrës,  atti- 
raient jadis  de  toutes  parts  de  nombreux  pèlerins  (2). 

Gravement  altérée  par  des  réparations  faites  sans  discerne- 
ment ou  par  des  constructions  de  toute  nature  exécutées  à 
diverses  époques,  l'église  Saint-Sernin,  tout  en  conservant 
son  magnifique  ensemble  et  ses  belles  proportions,   arvait  ce- 

(4)  Lue  dans  la  séance  publique  du  88  juillet  4881 . 

(2)  Voici  ce  qu'on  trouTe  dans  les  Mémoire*  de  Vhistoire  du  Languedoc,  par  Gatel, 
p.  263  :  «  ...  Nous  lisons  dans  la  yie  de  sainct  Arnulphe,  Euesque  de  Tours,  qui  Tiuoit 
«*du  temps  du  Roy  Clouis,  premier  Roy  cbrestien,  comme  le  dit  Euesque  Tint  de  Tours 
«  en  pèlerinage  rendre  ses  tobux  au  sepulchre  de  sainct  Semin...  » 


/ 


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284  MÊMoiacs. 

pendanl  perdu  son  caractère  primitif.  Ses  corniches  saillantes 
avaient  été  mutilées,  la  plupart  des  colonnes  dont  elle  était 
décorée  n'existaient  plus,  et  une  grande  partie  des  détails  de 
son  ornementation  architecturale  disparaissaient  à  peu  près 
complètement  sous  d'épaisses  couches  de  crépis  et  de  badi-' 
geons. 

Ces  dégradations  successives  finirent  par  attirer  l'attention  de 
l'administration  des  monuments  historiques  et  du  Conseil  mu- 
nicipal qui,  après  s'être  concertés  pour  entreprendre  à  frais 
communs  la  restauration  de  cet  édifice,  confièrent  l'exécution 
de  ce  projet  à  l'éminent  architecte  M.  Viollet-Leduc,  c'est-à-dire 
à  l'artiste  de  notre  époque  le  plus  compétent  en  pareille  ma- 
tière et,  par  conséquent,  le  plus  capable  de  mener  cette  res- 
tauration à  bonne  fin. 

Mais,  avant  d'entrer  dans  le  détail  des  travaux  exécutés  jus- 
qu'à ce  jour,  et  qui  ont  eu  pour  objet  la  restauration  extérieure 
de  l'abside,  du  transept  et  de  la  nef,  ainsi  que  des  faces  inté- 
rieures du  tour  du  chœur  et  des  chapelles  de  l'église  Saint- 
Sernin,  il  nous  parait  indispensable  de  résumer,  aussi  succinc- 
tement que  possible,  certains  faits  historiques  qu'il  est  néces- 
saire de  connaître* afin  de  pouvoir  apprécier,  aussi  exactement 
que  possible,  les  époques  probables  auxquelles  appartiennent 
les  diverses  parties  de  cet  édifice  et  les  fragments  remarquables 
incrustés  dans  ses  murs. 

Celte  Note  est  donc  divisée  en  deux  parties  comprenant,  sa- 
voir : 

La  Première,  le  résumé  historique  des  faits  principaux  se 
rattachant  à  l'établissement  de  l'église  Saint-Sernin  ; 

La  Seconde,  les  travaux  exécutés  depuis  un  demi-siècle,  envi- 
ron, pour  l'isolement  et  la  restauration  de  cet  édifice. 

PREMIÈRE  PARTIE 

RÉSUMÉ  HISTORIQUE 

D'après  la  tradition,  c'est  vers  le  milieu  du  troisième  siècle 
que  saint  Saturnin  vint  prêcher  la  religion  chrétienne  à  Tou- 


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NOTE  SUR  LES  TRAVAUX  DK  l' ÉGLISE  SAINT-SATURNIN.  285 

lousc.  En  peu  de  temps,  il  fit  un  assez  grand  nombre  de  pro- 
sélytes, devint  leur  évèque  après  avoir  été  leur  apôtre,  et  fina- 
lement mourut  martyr. 

On  trouve  écrit  dans  le  Martyrologe  ou  Vie  des  Saints  y  par 
Surius  (tome  6**),  que  saint  Hilaire,  évèque  de  Toulouse,  fit 
fossoyer^  au  commencement  du  quatrième  siècle  ,  le  lieu  où  le 
corps  de  saint  Saturnin  avait  été  caché  plutôt  qu'enseveli  par 
deux  dévoles  femmes,  et  qu'il  fit  ériger  sur  cet  emplacement, 
où  s'était  arrêté  le  taureau  qui  avait  trainé  le  corps  de  saint 
Saturnin,  une  petite  chapelle  afin  que  les  chrétiens  y  pussent 
faire  leurs  oraisons  (i). 

Mais  un  grand  nombre  de  fidèles  ayant  voulu  être  enterrés 
près  du  sépulcre  du  saint  martyr,  saint  Sylve,  évèque  de  Tou- 
louse, fit  commencer,  vers  la  fin  du  quatrième  siècle,  la  cons- 
truction d'une  grande  et  belle  église  pour  y  transporter  les 
restes  de  saint  Saturnin  et  les  offrir  à  la  vénération  des  fidèles. 
Saint  Sylve  étant  mort  peu  de  temps  après,  c'est  son  succes- 
seur, saint  Exupère,  qui  termina  l'édifice  (2)  dans  lequel,  avec 
l'autorisation  des  empereurs,  il  fit  transférer  en  grande  pompe 
les  reliques  du  saint  martyr. 

Dans  un  manuscrit  fort  ancien  que  possédait  Catel  il  est  dit, 
au  contraire,  suivant  cet  historien,  que,  d'après  Grégoire  de 
Tours,  c'est  saint  Hilaire  qui  commença  de  bâtir  l'église 
Saint-Saturnin  et  que  saint  Exupère  l'acheva.  Quoi  qu'il  ensuit 
de  celte  première  église,  dont  on  no  retrouve  aucune  trace 
certaine,  mais  qui  avait  été  à  coup  sur  bâtie  hors  des  murs 
d  enceinte  de  la  ville,  il  est  permis  de  supposer  qu'elle  occu- 
pait le  même  emplacement  que  la  basilique  actuelle  et  que, 
par  suite  de  sa  situation  loin  des  remparts  de  la  cité,  elle  dut 


(4)  C'est  cette  chapelle  qai  aurait  été  remplacée  plus  tard,  dit-on,  par  Féglise  du 
Taur. 

(2)  On  lit  dans  ÏHUtoire  des  comtes  de  Tolose,  par  Catel,  p.  4  79  :  «  L'Eglise  donc  de 
«  Sainct-Sernin  de  Tolose  a  esté  coromancée  de  baslir  par  Siluius  Euesque,  et  acbeuée 
«  par  saincl  Exupère,  et  depuis  dcsmolie  du  temps  de  Pierre  Roger  Euesque  de  Tolose, 
«  et  reediffiée  tant  par  le  dit  Pierre  Roger,  et  Sainct  Rairoond  Chanoine  de  Sainct-Sernin, 
«  que  par  les  biens-faicls  de  Guillaume  Comte  do  Poictiers  cl  de  Tolose.  et  consacrée  par 
«  le  Pape  Vrbain  ;  et  depuis  encore  y  fut  consacré  par  Calixte  Second  rAulot  do  Sair.ct 
«  Augustin.  » 


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886  MÈMOIIES. 

subir  de  nombreuses  dégradations  de  la  part  des  Vandales,  des 
Visigoths  et  autres  barbares  qui ,  pendant  les  siècles  suivants, 
envahirent  le  midi  de  la  Gaule  et  vinrent  jusque  sous  les  murs 
de  Toulouse. 

Il  est  présumable,  en  outre,  qu'à  cette  église  terminée  au 
cinquième  siècle  on  adjoignit  un  monastère,  mais  les  divers  do- 
cuments historiques  n  en  parlent  que  beaucoup  plus  tard ,  tout 
en  faisant  remarquer  néanmoins  que  ce  monastère  existait  déjà 
depuis  plusieurs  siècles.  Ces  deux  ^édifices  ont  complètement 
disparu  sans  laisser  le  moindre  fragment  qui  puisse  nous 
éclairer  sur  leur  forme  primitive  ou  leur  architecture.  En  re- 
vanche, il  est  juste  de  constater  que  dans  les  nombreuses 
fouilles  qui  ont  été  pratiquées  à  diverses  époques  autour  de 
réglise  Saint-Saturnin,  on  a  découvert  un  assez  grand  nom- 
bre de  sculptures  ayant  probablement  fait  partie  de  l'édifice 
primitif,  ainsi  que  des  inscriptions  et  des  tombeaux  ornés  du 
monogramme  du  Christ  et  appartenant  au  quatrième  ou  au  cin- 
quième siècle. 

11  est  hors  de  doute  que  l'église  primitive  et  le  monastère  de 
Saint-Saiurnin  étaient. bâtis  au  cinquième  et  au  sixième  siècle, 
puisque  Grégoire  de  Tours,  qui  vivait  longtemps  avant  Charle- 
magne,  en  fait  mention  au  chapitre  XII  du  livre  VI  de  son  his- 
toire, où  il  écrit  :  qu'après  avoir  été  chassée  par  le  duc  Didier 
c  du  commandement  du  roi  Chilpéric  P**»  la  femme  du  duc 
Regnoald  de  Périgueux  se  réfugia,  pour  être  plus  en  sûreté, 
dans  l'église  Saint-Saturnin.  D'où  la  conclusion  que  cet  édi- 
fice existait  du  temps  du  roi  Chilpéric  et,  par  conséquent, 
deux  cents  ans  avant  Charlemagne  (1). 

On  ignore  complètement  par  qui  a  été  démolie  cette  pre- 
mière église.  Les  auteurs  de  la  Gallia  Christiana  pensent  qu'elle 
fut  détruite  en  721,  lors  du  siège  de  Toulouse  par  les  Sarra- 
sins. C'est  là  une  hypothèse  que  rien  ne  justifie.  Néanmoins, 
d'après  les  nombreux  fragments  de  sculpture  ou  d'architecture 
placés  dans  l'édifice  actuel  et  se  rapportant  à  la  période  Carlo- 
vingienne  (2),  il  est  probable  que,  vers  le  commencement  du 

(1)  Voir  VHittcin  des  comtes  de  Tolote,  par  Catel,  p.  468. 

(2)  On  a  placé  daoâ  le  collatéral  de  l'abside,  derrière  le  mattre-autel,  les  bas  reliefs 


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NOTE  sua  LES  TBAVADX  DB  l'ÉGLISB  SAINT -SATURNIN.  287 

neuvième  siècle,  l'église  primitive,  gravement  détériorée,  dut 
être  réparée  ou  reconstruite  par  les  soins  de  Charlemagne  ou 
de  son  fils,  Louis  le  Débonnaire,  qui  régna  sur  l'Aquitaine;  et 
c'est  ce  qui  explique  la  tradition  erronée  qui  attribue  à  Char- 
lemagne la  fondation  de  l'abbaye  et  de  l'église  Saint-Satur- 
nin. Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  monastère  existait  en  843 , 
puisque  Charles  le  Chauve  y  habita  lorsqu'il  vint  assiéger  Tou- 
louse, et  qu'on  a  de  lui  plusieurs  Chartes  datées  de  cet  édifice. 

L'empereur  Charlemagne  ayant  fait  hommage  à  l'église 
Saint-Saturnin  d'une  grande  quantité  de  reliques  précieuses^ 
il  est  également  présumable  qu'on  fit  alors  agrandir  les  cryptes 
pour  les  recevoir  et  les  placer  à  côté  des  corps  des  évoques, 
des  martyrs,  des  apôtres  et  des  confesseurs  de  la  foi  qu'on 
avait  renfermés  dans  des  tombeaux  de  pierre  ou  de  marbre 
autour  de  celui  de  saint  Saturnin.  L'hypothèse  de  l'agrandis- 
sement des  cryptes  à  cette  époque  parait  justifiée  par  l'établis- 
sement, en  dehors  de  l'église  actuelle,  d'une  partie  de  ces  cha- 
pelles souterraines  qu'on  voit  encore  (<),  et  par  les  chapiteaux 
ou  autres  ornements  de  forme  romane  dont  elles  étaient  dé- 
corées. 

Il  est  impossible  de  préciser  exactement  à  quelle  époque  a 
été  dgtruite  l'église  carlovingien ne;  il  est  cependant  à  peu  près 
certain,  d'après  les  anciens  titres,  que  c'est  vers  le  milieu  du 


ci-après,  protenant  d'un  édifice  éTidemment  antérieur  à  Tégiise  actuelle,  et  représentant  : 

Le  Christ  assis  et  entouré  des  signes  caractéristiques  des  quatre  Évangélistes; 

Un  chérubin  tenant  d*une  main  nne  croix  emmanchée,  et  de  l'autre  un  rouleau  déployé, 
sur  lequel  on  lit  :  «  et  clamant  SS.  SS.  SS.  »; 

Un  séraphin  presque  semblable  au  chérubin  ci-dessus; 

Deux  figures,  séparées,  d'anges,  tus  de  profil  et  tenant  chacun  une  croix  ; 

Deux  figures  séparées,  yètues  à  la  romaine,  portant  :  Tune  mi  litre  outert,  et  l'antre 
un  livre  fermé. 

On  trouve  encore  à  la  porte  dite  de  MiigenUe  deux  figures  séparées  représentant  :  l'une 
saint  Jacques,  et  Tautre  saint  Pierre,  et  ayant  probablement  fait  partie  du  calendrier  reli- 
gieux existant  dans  l'Église  primitive. 

Il  est  à  présumer  que  ces  divers  bas-reliefs,  ainsi  que  les  colonnettes  de  la  galerie 
supérieure  du  clocher,  ont  appartenu  à  l'église  carlovingienne. 

(1)  Si  la  partie  des  cryptes  romanes  qui  existe  actuellement  avait  été  construite  en 
même  temps  que  l'église  du  douzième  siècle,  on  l'aurait  incontestablement  renfermée  dans 
les  limites  circonscrites  par  les  murs  de  cet  édifice,  tandis  qu'une  partie  de  ces  cryptes  se 
trouve  sous  les  jardins  environnants.  Elle  est  donc  antérieure  a  l'^se  actuelle. 


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288  MÈMOiaEs. 

onzième  siècle  que  les  gens  du  pays  s'insurgèrent  contre  les 
religieux  et  démolirent  cette  église.  On  sait,  en  outre,  que 
I  evèque  de  Toulouse,  Pierre  Roger,  donna,  dès  Tan  <056,  une 
partie  du  produit  de  ses  oblations  pour  la  reconstruction  de 
la  basilique  Saint-Saturnin,  et  que  le  chanoine  Raimond  qui 
mourut  en  l'an  1080,  coopéra  puissamment  à  l'édification  de 
l'ensemble  du  bâtiment  jusques  à  la  hauteur  des  fenêtres  (1). 

Lors  de  la  consécration  de  l'église  Saint-Saturnin  en  1096 
|)ar  le  pape  Urbain  II,  l'abside  seule  était  entièrement  bâtie  et 
le  reste  de  l'édifice  ne  dépassait  pas  la  hauteur  des  collaté- 
raux. Cette  consécration  eut  lieu  en  présence  de  dix-sept  ar- 
chevêques ou  évèques,  de  Raimond  de  Saint-Gilles,  comte  de 
Toulouse,  et  d'une  foule  considérable  de  seigneurs  ou  autres 
personnages  importants  (2). 

En  1098,  Guillaume,  comte  de  Poitiers,  et  sa  femme  Philippia 
étant  à  Toulouse,  firent  don,  d'après  Catel,  «  de  grands  biens 
c  et  de  notable  valeur  à  I  église  Saint-Sernin  de  Tolose,  pour 
€  la  faire  rebastir,  parce  qu'elle  auoit  esté  destruite  et  des- 
c  molie  par  ceux  du  pais » 

Grâce  aux  diverses  donations  qui  furent  faites  (3),  les  tra- 
vaux de  construction  durent  continuer,  et  le  16  juillet  1119, 
le  pape  Calixte  II,  étant  venu  à  Toulouse  pour  tenir  un  C()ncile, 
consacra  dans  ladite  église  •  un  autel  à  l'honneur  de  Dieu  et 
•   mémoire  de  saint  Augustin.   > 

Commencée  vers  le  milieu  du  onzième  siècle,  il  est  présu- 
mable  que  l'église  actuelle  fut  à  peu  près  terminée  dans  le  cou- 
rant du  douzième  (4).  Il  est  juste  cependant  de  faire  remarquer 

(4)  Saiot  Rairoood,  chanoine  de  Sainl-Sernin,  d*après  sa  légende,  consenrée  an  collège 
Saint-Raifflond ,  fit  bàtir  bientôt  après,  sinon  en  même  temps  que  TéTèqne  Pierre  Roger, 
réglise  Saiot-Satarnin.  (Voir  V Histoire  des  comtes  de  Tolosej  par  Catel,  p.  477.) 

(2)  Voir  VHistoire  des  comtes  de  Tolose,  par  Catel,  pp.  435  et  4  78. 

(3)  <c  Le  même  Alphonse  comte  de  Toulouse,  par  une  donation,  donne  et  remet  à 
«  relise  de  S^-Semin  les  biens  que  son  père  (Raimond  de  S^Gilles)  avoit  donnés  à  la 
<c  dite  église,  lors  de  la  consécration  d'icelle,  et  que  son  frère  Bertrand  tyrannicè  et  t>îo- 
«  lentia  abslulU...  »  (Voir  VHistoire  des  comtes  de  Tolose,  par  Catel,  p.  4  49) 

(4)  Dans  VHistoire  des  comtes  de  Tolose,  par  Catel,  p.  <79,  on  lit  ce  qui  suit  :  «  U 
tt  reste  enccrcs  de  sçauoir  s'il  est  vray,  ce  que  Ton  dit,  et  qu'on  pour  tout  asseuré,  qu'elle 
<(  (l'église  Saint-Sernin)  a  esté  bastie  svr  tu  lac,  et  fondée  svr  vn  pilotis.  U  me  souuieat 
«  que  durant  mon  ieune  &g6,  il  y  auoit  vue  porte  à  to  coing  du  cloistre  par  laquelle  on 


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NOTE  SDR  LES  TRAVAUX  DE  L* ÉGLISE  SAINT- SATURNIN.  289 

que  toute  la  partie  supérieure  de  la  nef  comprise  entre  la  fa- 
çade principale  (ouest)  et  la  quatrième  travée  à  partir  du  tran- 
sept n*a  pas  dû  être  construite  pendant  cette  période,  ou  bien 
que,  pour  une  cause  quelconque,  elle  a  dû  être  refaite  à  diver- 
ses époques,  puisqu'on  y  trouve  des  arcs,  des  chapiteaux,  des 
moulures  et  des  ornements  appartenant  à  l'architecture  ogi- 
vale ou  à  la  Renaissance,  et  qu'on  y  voit  même  des  chapiteaux 
qui  sont  simplement  épannelés.  Il  est  facile  de  constater^  en 
outre,  qu'un  certain  nombre  de  fenêtres  (cinq  au  nord  et  trois 
au  sud)  qui  éclairent  latéralement  cette  partie  supérieure,  sont 
dépourvues  à  l'extérieur  des  colonnettes  et  des  archivoltes  en 
pierre  qui  décorent  les  autres  ouvertures  pratiquées  à  la  même 
hauteur. 

En  reconstruisant,  aux  onzième  et  douzième  siècles,  l'église 
Saint-Saturnin  que  nous  voyons  aujourd'hui,  on  ne  se  borna 
pas  seulement  à  placer,  dans  le  collatéral  de  l'abside  et  aux 
portes  du  transept  sud  ou  faisant  face  à  la  rue  du  Taur,  les 
fragments  provenant  des  anciennes  basiliques,  mais  on  établit 
encore,  entre  les  portes  d'entrée  dudit  transept  et  le  contre-fort 
ouest  à  la  suite,  une  petite  chapelle  destinée  à  recevoir  les 
tombeaux  des  anciens  Comtes  de  Toulouse,  dont  quelques-uns 
étaient  morts  avant  l'édification  de  l'église  actuelle  (1). 


<(  disoit  qre  Ton  desceodoit,  et  que  par  là  on  pouuoit  voir  le  lac...  Toutesfois  il  faut 
«  aduouer  qu'il  n'y  a  aucune  marque  pour  (esmoigner  qu'elle  soit  fondée  svr  tu  lac  ;  et 
«  si  est  elle  assez  loing  de  la  riuiere,  n'y  ayant  apparance  que  celle  de  Garonne,  soit 
«  iamais  passée  si  près  de  la  dicte  Eglise.  Car  quant  à  ce  qu'on  dit,  qu'on  voyoit  encores 
(c  l'eau  par  la  porte  qui  estoit  dans  le  cloistre  de  Sainct  Sernin,  ie  ni^en  suis  enquis,  il 
(c  y  a  plus  de  vingt  ans,  auec  les  plus  anciens  chanoines  de  la  dicte  Eglise,  qui  m'ont  dit, 
K  que  par  ceste  porte,  on  ne  trouuoit  qu'vn  puis  ;  qui  auoit  esté  autres  fois  là  basty,  pour 
«  la  commodité  des  massons  qui  bastissoient  TEglise;... 

a  Que  si  l'Eglise  estoit  bastie  sur  vn  lac,  on  en  remarqueroit  encores  quelque  chose 
«  dans  les  chappelles  qui  sont  sous  terre,  où  gi«ent  les  corps  saincts,  ou  dans  le  cloistre 
c  de  l'Eglise,  où  il  y  a  plusieurs  sépultures,  ou  dans  le  cimetière  :  et  toutes  fois  en  tous 
«  ces  endroits,  on  ne  remarque  rien  qui  tesmoigne  que  l'Eglise  soit  bastie  sur  vn  Idc.  Ce 
«  que  l'acte  de  la  fondation,  ou  commancement  du  bastiment,  fait  par  Siluius  de  l'Eglise 
<c  de  Sainct  Sernin  n'eut  pas  oublié  do  mettre...  » 

(1)  Suivant  les  bénédictins  Dom  Devic  et  Dom  Vaissete,  le  tombeau  placé  sur  des  colon- 
nettes,  au  fond  de  la  chapelle,  en  face  du  spectateur,  est  celui  de  Guillaume  TaiUefer, 
comte  de  Toulouse,  mort  vers  la  fin  de  l'année  4  037  ;  celui  qui  est  placé  à  droite  renfer- 
mait les  restes  de  Raimond  Bertrand,  petit-fils  du  précédent,  déjà  mort  en  1 4  50  ;  le  troi- 
8«  SÉBIB    —  TOM«  m,   2.  19 


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290  MÉMOIRES. 

Cette  petite  chapelle  (<)  était  décorée  à  Tintérieur  de  peintu- 
res murales  qui  ont  depuis  longtemps  disparu  (2),  et  il  est  juste 
de  constater,  en  outre,  que  les  deux  tombeaux,  entre  autres, 
dans  lesquels  on  a  placé  les  corps  de  Guillaume  Taillefer  et  de 
son  fils  Pons,  sont  incontestablement  plus  anciens  que  la  dy- 
nastie des  comtes  de  Toulouse.  Ce  sont  évidemment  des  monu- 
ments sépulcraux  qui  remontent  aux  premiers  siècles  du  chris- 
tianisme et  rappellent  les  derniers  temps  du  bas-empire  (3). 
A  gauche  de  l'ouverture  de  la  chapelle  et  à  une  certaine  hau- 
teur on  trouve  l'inscription  suivante  :  Hic  requiescit  Willelmus 
Tolosœ  œmes  nomine  Taillefer  atque  Raimundus  Bertrandi. 

Lor^qu'on  examine  de  près  le  plan  de  l'église  Saint- Ser- 
nin  (voir  le  plan  général  ci-joint),  on  reconnaît  immédiatement 
que  son  auteur  avait  projeté  deux  clochers  sur  la  façade  prin- 
cipale, et  que  dans  sa  pensée  il  ne  devait  y  avoir  qu'une  petite 
coupole  à  l'intersection  du  transept  avec  la  nef.  Mais  la  cons- 
truction de  ces  deux  clochers  ayant  été  ajournée,  par  des  mo- 
tifs que  nous  ignorons,  on  voulut  probablement  combler  cette 
lacune  en  établissant,  au  treizième  siècle,  au-dessus  de  la  tour 
qui  couronnait  ladite  coupole,  un  clocher  octogone  à  deux 
étages  avec  des  ouvertures  géminées  en  forme  de  mitre  et  sur- 
monté d'une  flèche  pyramidale  assez  élevée.  La  galerie,  avec 
arcatures  à  jour  qu'on  établit  à  la  base  de  cette  flèche,  était 

sième,  à  gaache,  reçut  les  restes  de  Pons,  comte  de  Tooloase,  fils  de  Gaiilaaoïe  TaiUefer, 
décédé  en  4061  ;  enfin,  le  petit  tombeau  placé  au-dessous  de  celui  de  Guillaume  Taillefer 
renfermait  les  ossements  de  Pons  et  de  son  frère,  fib  de  Guillaume,  morts  ayant  l'année 
4093.  (Voir  HUtoire  générale  de  Languedoc,  t.  III,  pp.  U4  et  suiv.;  —  Dumège,  addi- 
tions du  même  ouvrago,  p.  29.) 

(1  )  Les  capitouls  avaient  fait  restaurer  et  fermer  cette  chapelle  par  un  mur  eu  4  648 
et  4774. 

(2)  Ces  peintures  représentaient  :  en  face  l'entrée,  la  Vierge,  avec  saint  Jacques  à 
droite  et  saint  Saturnin  à  gauche.  Suivant  Catel,  au-dessous  de  ces  deux  saints  il  y  avait 
deux  comtes  à  genoux,  en  coUes,  avec  l*écuuon  de  la  croix  pommeitie.  Sur  les  autres  faces 
on  voyait  des  figures  de  saints. 

(3)  La  face  du  tombeau  de  Guillaume  Taillefer,  gravement  mutilée,  est  ornée  d'un 
bas-relief  représentant  neuf  personnages  vêtus  à  la  romaine  et  tenant  on  rouleau  ou 
volumen.  Les  faces  latérales,  parfaitement  conservées,  sont  décorées  d'un  temple  avec  une 
croix  dans  le  fronton,  de  figures,  médaillons,  etc.,  etc.  Le  couvercle,  en  partie  brbé,  est 
divisé  en  trois  compartiments  par  des  pilastres  cannelés  encadrant  des  génies  ailés,  dee 
figures  vêtues  à  la  romaine,  des  vases,  des  corbeilles,  etc.,  etc. 


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NOTE  SUR  LES  TRAVAUX  DE  f/ÉGLfSE  SAINT-SATURNIN.  291 

composée  de  colonnettes  ayant  fait  partie  d'un  édifice  incon- 
testablement plus  ancien  que  l'église  actuelle. 

Par  suite  de  cette  surcharge  considérable,  qui  était  évidem- 
ment en  dehors  des  prévisions  du  projet  primitif,  il  dut  se 
produire  des  mouvements,  soit  dans  les  quatre  piliers,  soit 
dans  les  quatre  grands  arceaux  qui  supportaient  ce  clocher,  et 
c'est  alors,  très-probablement,  qu'on  prit  le  parti  d'envelop- 
per ces  quatre  piliers  d'une  maçonnerie  de  forme  octogonale 
reliée  aux  murs  du  transept,  et  de  redoubler  en  sous-œuvre 
les  quatre  grands  arceaux  en  plein  cintre  qui  supportaient  la 
tour  du  clocher.  Il  est  présumable  que  cette  opération,  qui 
altérait  profondément  le  caractère  intérieur  de  cette  église,  dut 
avoir  lieu  au  quatorzième  siècle,  mais  on  ne  trouve  nulle  part 
l'indication  précise  de  l'époque  à  laquelle  elle  a  été  effectuée. 

Vers  le  milieu  du  treizième  siècle,  l'abbé  de  Saint-Saturnin  , 
Bernard  de  Gentiac,  et  un  illustre  prélat  Raimond  de  Falgard^ 
résolurent  de  retirer  le  corps  de  saint  Saturnin  du  lieu  où  il 
avait  été  primitivement  enseveli  par  saint  Exupère,  et  de  l'ex- 
poser dans  un  petit  monument  construit  en  son  honneur  au 
chevet  de  l'abside.  Cet  édicule,  dont  on  retrouve  les  dessins 
dans  V Histoire  générale  de  Languedoc ,  par  dom  Vaissete,  était 
du  style  ogival,  il  avait  une  forme  hexagonale  et  une  hauteur 
totale  de  sept  mètres  (1).  C'est  au  centre  de  l'hexagone  que  fut 
placé  sur  un  socle,  le  6  septembre  1258,  le  tombeau  en  marbre 
de  saint  Saturnin  ,  tel  qu'on  le  retrouva  à  l'emplacement  où  il 
avait  été  enterré  dès  l'origine  (2). 

(4  )  Suivant  Dom  Vaissete,  «  la  voûte  de  cet  édicule  était  soutenue  par  six  piliers, 
«  creusés  en  forme  de  niche  dans  leur  partie  inférieure,  et  surmontés  de  pyramidions  percés 
«  à  jour  ;  dans  chacune  de  ces  niches  étaient  placées  les  statues  des  saints  évèques  de  Tou- 
«  louse,  saint  Saturnin,  saint  Honorât,  saint  Hilaire,  saint  Sylve,  saint  Exupère,  saint 
«  Ërembert;  chacune  de  ces  Ggures,  exécutées  en  pierre,  reposait  sur  son  piédestal  et  était 
«  recouverte  d'un  dais  aux  sculptures  dentelées  ;  elles  avaient  six  pieds  de  hauteur.  Au 
c(  sommet  de  chacune  des  flèches  percées  à  jour  qui  terminaient  les  piliers,  et  dont  les 
«  arêtes  étaient  couvertes  d'ornements  en  forme  de  larges  feuilles,  était  la  statue  de  Tun 
«  des  six  apôtres  dont  les  corps  sont  conservés  dans  les  cryptes.  Ces  piliers  étaient  reliés 
«  entre  eux  par  de  grands  arcs  ogivaux,  dont  les  tympans  étaient  découpés  en  forme  de 
«  trèfles,  et  dont  les  hautes  ouvertures,  semblables  à  autant  de  portes,  étaient  fermées 
u  par  des  grilles  dorées,  dont  chaque  barreau  était  terminé  par  un  bouquet  de  fleurs...  » 
{Monographie  de  Saint-Saturnin,  p.  Hl .) 

(2)  Voir  GaUia  christiana,  t.  VU,  p.  97. 


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29i  MÉMOIRES. 

L'autel  principal ,  précédemment  établi  sous  la  coupole,  fut 
probablement  alors  reculé  vers  l'abside  et  placé  au-dessus  de 
plusieurs  marches  en  avant  du  tombeau  de  saint  Saturnin. 
Cette  nouvelle  disposition  motiva  la  reconstruction  d'une  partie 
des  anciennes  cryptes  romanes  établies  au-dessous ,  et  permit, 
en  leur  donnant  une  plus  grande  hauteur,  de  ménager  dans  le 
collatéral  de  l'abside  des  entrées  plus  convenables  pour  les 
chapelles  souterraines. 

A  la  fin  du  treizième  siècle  ou  au  commencement  du  qua- 
torzième, on  a  modifié  l'intérieur  de  la  partie  haute  des  deux 
grandes  tours  carrées  projetées  à  droite  et  à  gauche  des  portes 
d'entrée  de  la  façade  principale,  et  on  les  a  élevées  jusques  à 
la  hauteur  de  la  nef.  A  la  partie  inférieure  de  la  tour  nord  , 
qui  sert  de  sacristie,  depuis  que  l'on  a  démoli  celle  qui  était 
près  du  transept  afin  de  mettre  à  découvert  ce  côté  de  l'édifice, 
on  avait  installé  une  chapelle,  dite  des  Sept  dormants ^  en  mé- 
moire de  sept  chrétiens  morts  ensemble  à  Éphèse,  martyrs  de 
leur  foi,  sous  le  règne  de  l'empereur  Trajan,  et  qu'on  honore 
collectivement  sous  le  nom  des  Sept  donnants.  Celte  chapelle 
avait  été  entièrement  décorée  peu  de  temps  après  de  peintures 
murales  assez  remarquables,  représentant  :  au-dessus  de  la 
porte  d'entrée  le  Christ  en  croix  ,  entre  la  Vierge  et  saint  Jean  , 
et  sur  les  autres  faces,  des  zones  divisées  en  compartiments 
occupés  par  des  saints  et  des  martyrs.  Une  très-fâible  portion 
de  ces  dernières  peintures  étaient  encore  conservées,  il  y  a 
deux  ans  environ ,  et  elles  ont  été  restaurées  par  les  soins  de  la 
fabrique. 

Il  y  avait  également  à  l'extrémité  du  transept  sud  et  à  l'an- 
gle est  du  collatéral  faisant  face  aux  portes  d'entrée,  dites  des 
Comtes  (1),  une  autre  peinture  assez  intéressante,  d'une  très- 
grande  dimension,  représentant  saint  Christophe,  dont  les 
pieds  en  marbre  blanc  existant  encore,  ont  une  assez  forte 
saillie  en  avant  des  murs.  Dans  cette  peinture  dont  il  reste 

(1)  Ces  portes  étaient  ainsi  nommées  parce  qu'elles  se  trouvaient  à  c6té  des  tombeaux 
des  anciens  comtes  de  Toulouse.  Les  portes  situées  à  l'extrémité  du  transept  nord ,  en 
face  la  rue  Royale,  étaient  désignées  sous  le  nom  de  Portes  Royales,  et  la  porte  latérale 
pratiquée  dans  Taxe  de  la  rue  du  Taur  portait  le  nom  de  Porte  de  MiégeviUe, 


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NOTE  SQB  LES  TBAVADX  DK  l'ÉGLISE  SAINT-SATUTNIN.  293 

quelques  traces,  mais  qui  a  été  couverte  d'un  crépi  lorsque  Ton 
a  approprié  l'intérieur  de  l'église  en  1804  ou  1805,  saint  Chris- 
tophe avait  la  tète  entourée  d'un  nimbe  à  fond  rouge  parsemé 
d'étoiles  d'or  et  portait  Jésus-Christ  sur  ses  épaules. 

Près  de  cette  peinture  et  dans  la  première  chapelle  établie 
à  l'extrémité  du  transept  sud ,  on  voyait  autrefois  un  grand 
christ  byzantin  d'un  beau  caractère,  et  qui  avait  fait  donner, 
par  suite,  à  cette  chapelle  le  nom  de  Chapelle  du  Crucifix  (1). 
Cet  ancien  christ  en  bois  sculpté  ,  recouvert  d'une  plaque  en 
cuivre  très- mince  et  fixé  à  une  croix  ornée  autrefois  de  pierres 
précieuses,  d'émaux  et  de  verroteries,  date  de  la  fin  du 
onzième  siècle  ou  du  commencement  du  douzième.  Très-curieux 
comme  spécimen  de  l'art  chrétien,  il  a  été  malheureusement 
l'objet  d'une  restauration  inintelligente  qui  lui  a  fait  perdre 
une  grande  partie  de  sa  valeur  artistique. 

Vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  le  chœur  au  droit  des  piles 
du  transept,  les  entrées  du  pourtour  de  l'abside  et  les  deux 
chapelles  du  transept  sud  ont  été  clôturées  par  des  grilles 
remarquables,  fort  bien  entendues  au  point  de  vue  de  la  com- 
position ,  mais  d'un  travail  assez  grossier  comme  œuvre  de 
serrurerie.  Ces  grilles  sont  des  premières  où  l'on  ait  remplacé 
les  plaques  de  fer  battu  et  soudées,  usitées  aux  siècles  précé- 
dents, par  des  tôles  rapportées  et  rivées.  Les  barreaux  de  ces 
grilles  étaient  surmontés  de  fleurs  et  de  feuillages  en  fer  qui 
ont  en  partie  disparu. 

Au  commencement  du  seizième  siècle,  la  porte  pratiquée 
dans  le  côté  ouest  du  mur  d'enceinte  du  monastère,  en  face 
de  la  rue  du  Taur,  fut  démolie  et  remplacée  par  une  nouvelle 
porte  couverte  d'arabesques,  de  frises  élégantes  et  d'ornements 
gracieux,  du  style  le  plus  fin  et  le  plus  orné  de  la  Renaissance 
primitive,  et  qu'on  attribue  à  tort,  selon  nous,  à  Nicolas  Ba- 
chelier, élève  de  Michel-Ange. 

A  peu  près  à  la  même  époque,  la  grande  coupole  de  l'abside 
fut  décorée  d'une  belle  peinture,  d'un  très-grand  style,  faite 
par  des  artistes  de  l'école  italienne  et  représentant  le  Christ 

(4)  Ce  christ  est  actuellement -placé  dans  la  chapelle  dite  da  Purgatoire. 


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294  MÉMOIRES. 

environné  des  symboles  des  quatre  Évangélistes.  La  face  inté- 
rieure de  l'abside,  jusqu'aux  piles  qui  soutiennent  le  clocher, 
fut  également  ornée  de  sujets  religieux,  de  légendes  miracu- 
leuses, d'images  de  saints,  de  martyrs,  etc.,  etc. 

C'est  encore  au  seizième  siècle  qu'on  plaça  ,  au  pourtour  de 
l'abside  entre  les  chapelles,  huit  statues  entièrement  peintes, 
et  qui  représentaient,  dit-on ,  les  anciens  bienfaiteurs  de  l'église. 
Pour  mettre  en  place  ces  statues ,  on  avait  détruit  une  partie 
des  colonnes  engagées  qui  supportaient  les  arcs  doubleaux  des 
voûtes  de  ce  collatéral. 

Le  12  mai  1562,  le  monastère  de  Saint-Saturnin  ayant  été 
attaqué  par  les  calvinistes,  l'église  fut  transformée  en  citadelle. 
On  pratiqua  alors  des  meurtrières  dans  la  partie  basse  des 
fenêtres  des  galeries  pour  les  arquebusiers,  et  des  créneaux 
au-dessus  des  voûtes,  afin  d'y  placer  de  petits  canons  qui  ré- 
pondaient à  l'artillerie  calviniste  établie  sur  le  donjon  de 
l'hôtel  de  ville  et  sur  la  tour  de  Périgord.  C'est  probablement 
après  ce  siège  que,  soit  pour  utiliser  les  créneaux  déjà  bâtis, 
soit  pour  donner  de  l'air  et  du  jour  entre  les  voûtes  et  la  toi- 
ture, on  construisit  au-dessus  desdits  créneaux  un  mur  percé 
do  petites  fenêtres  cintrées,  et  c'est  sur  ce  mur  qu'on  posa  la 
charpente  en  bois  destinée  à  supporter  la  grande  toiture  sail- 
lante qui  existait  il  y  a  quelques  années  (1).  Cette  nouvelle 
construction  eut  pour  fâcheux  résultat  de  dénaturer  à  l'exté- 
rieur le  caractère  architectural  de  l'église  Saint -Saturnin. 
Avant  cet  exhaussement,  les  chevrons  des  toitures  reposaient  à 
peu  près  directement  sur  les  voûtes,  ainsi  que  le  prouvent 
surabondamment  les  noues  en  pierre  qu'on  voit  encore  à  la 
base  du  clocher,  et  les  gargouilles  saillantes,  également  en 
pierre,  qui  existaient  aux  angles  de  la  partie  supérieure  des 
murs  et  qui  ont  été  démolies  lorsqu'on  a  exécuté  les  nouvelles 
toitures.  Sur  les  chapelles,  au  contraire,  les  reins  des  petites 
voûtes  sphériques  furent  garnis  en  béton  et  recouverts  d'assises 


(1  )  Cettd*  charpente  était  simplement  composée  de  chevrons  reposant  sor  des  pannes 
supportées  par  des  piliers  en  maçonnerie  et  dos  poteaui  en  bois  établis  sur  les  mars  ei  • 
sur  les  voûtes. 


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Sr, 


NOTE  SUR  LES  TBÀVAUX  DE  l'ÉGUSE  SAINT-SATURNIN.  295 

de  briques  bâties  en  retraite  ou  de  carrelages  au-dessus  des- 
quels on  plaça  directement  les  couvertures  en  tuiles  à  canal. 

En  1566,  la  portion  du  chœur  de  l'église  Saint-Saturnin, 
en  avant  des  piles  du  clocher,  fut  séparée  de  la  nef  par  un 
mur  assez  élevé  et  reçut  à  l'intérieur  une  riche  boiserie,  com- 
posée de  hautes  et  de  basses  stalles  sculptées,  pour  le  place- 
ment desquelles  on  a  tranché  la  partie  inférieure  des  colonnes 
qui  supportent  les  arcs-doubleaux  des  voûtes  de  la  nef  (1). 
Dans  la  dernière  des  hautes  stalles,  à  gauche,  on  trouve  une 
sculpture  assez  curieuse  représentant  un  désert  avec  une 
chaire,  au  centre^  dans  laquelle  l'artiste  a  sculpté  un  porc 
ayant  un  livre  devant  lui,  et,  à  côté,  l'inscription  suivante  : 
Calvin  le  porc  P^  (préchant).  Cette  grossière  appréciation  de 
doctrines  opposées  montre  l'esprit  d'intolérance  religieuse  qui 
existait  à  cette  époque. 

A  la  fin  du  seizième  siècle  et  au  commencement  du  dix-sep- 
tième, toutes  les  chapelles  de  l'abside  furent  en  quelque  sorte 
transformées  complètement  et  reçurent  une  décoration  inté- 
rieure en  bois  peint  ou  doré,  d'un  goût  fort  médiocre,  qui 
contrastait  étrangement  avec  l'architecture  de  l'église.  Los  for- 
mes demi-circulaires  de  ces  chapelles  furent  dénaturées  et 
changées  en  rectangles  plus  ou  moins  réguliers,  au  moyen  de 
Iranchements  opérés  dans  les  maçonneries.  On  creusa,^en  ou- 
tre, dans  ces  chapelles  et  dans  les  murs  du  collatéral  qui  les 
séparent,  de  grandes  niches  pour  enfermer  les  châsses,  les  bus- 
tes et  les  statues  contenant  les  reliques  des  saints.  Ces  diverses 
opérations,  très-barbarement  faites,  avaient  eu  pour  résultat 
de  porter  une  grave  atteinte  au  caractère  et  à  la  solidité  de 
cette  partie  de  l'édifice. 

Dans  le  courant  du  dix-septième  siècle  on  modifia  également 
les  autels  et  les  décorations  de  la  chapelle  du  Saint-Esprit  et 
des  autres  chapelles  du  transept,  notamment  celle  de  Sainte 


(1  )  On  voit  la  date  de  4  566  graTée  sur  les  colonnettes  des  hautes  stalles.  Le  cbcenr 
fut  ouvert  et  raccourci  du  côté  de  la  nef,  en  1808;  les  boiseries  des  stalles  supprimées 
furent  Tendues  alors  aux  fabriques  de  Foix  (Ariége)  et  de  Villemur  (Haute-Gra*'onne).  Ces 
dernières  ont  été  achetées  à  la  fabrique  de  cette  paroisse,  il  y  a  quelques  années,  par 
M.  Hue,  professeur  à  la  Faculté  de  droit,  qui  les  possède  actuellement. 


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296  MÉMOIRES. 

Thérèse,  située  à  l'angle  est  du  transept  nord,  dans  laquelle 
fut  déposé,  en  1632,  le  corps  du  maréchal  de  Montmorency. 
Sa  veuve,  Félicie  des  Ursins,  fit  alors  refaire  complètement  la 
décoration  de  cette  chapelle  et  placer  au-dessus  de  l'autel  deux 
grandes  colonnes  supportant  un  fronton  dans  lequel  étaient 
sculptées  les  armes  de  Montmorency. 

Au  dix-huitième  siècle  de  grandes  modifications  furent  ap- 
portées à  rintérieur  de  l'abside.  L'édicule  de  1258,  qui  ren- 
fermait le  corps  de  saint  Saturnin,  fut  démoli  et  remplacé  par 
un  baldaquin  construit  de  1736  à  1738  (1).  Ce  baldaquin,  qui 
existe  actuellement,  est  composé  de  six  colonnes  corinthiennes 
en  marbre  griotte  d'Italie,  avec  leurs  entablements  dorés  réu- 
nis par  des  guirlandes  de  feuillage,  et  supportant  six  grandes 
consoles  ornées  de  palmes  soutenant  la  boule  du  monde  sur- 
montée d'une  croix.  Au  c^mire  de  ce  baldaquin  et  sur  la  plate- 
forme pratiquée  au-dessus  des  cryptes  les  plus  élevées,  on  a 
placé  le  tombeau  de  saint  Saturnin,  reposant  sur  quatre  tau* 
reaux  accroupis  (2)  et  recouvert  d'un  groupe  entièrement  doré 
représentant  l'apothéose  de  ce  saint  martyr  (3).  En  arrière  du 
baldatjuin  on  a  érigé  un  autel  muni  d'une  armoire  en  fer  dans 
laquelle  est  placé  le  buste  en  bois  doré  renfermant  une  partie 
des  reliques  de  saint  Saturnin  (4).  En  avant  des  colonnes  en 
i^riottc  et  de  l'escalier  qui  les  précède,  on  a  établi,  en  l'élevant 
de  plusieurs  marches  au-dessus  du  sol  de  l'église,  l'autel  du 
chœur,  derrière  lequel  on  a  mis,  en  forme  de  rétable,  un  beau 
bas-relief  en  plomb  dore,  œuvre  du  célèbre  sculpteur  toulou- 
sain Marc  Arcis  (5).  L'ensemble  de  celte  décoration,  très-pré- 


(1)  Ce  baldaquin  et  la  décoration  du  sanctuaire  ont  coûté  6,100  livres,  d'après  les 
mémoires  conservés  aux  arcbives  de  Sainl-Sernin ,  et  ont  été  exécutés  par  M.  Michaud, 
architecte  de  Toulouse. 

(2)  Ces  taureaux,  en  bronze  doré,  sont  l'œuvre  de  Pierre  Lucas.  Sous  le  pied  d'un  des 
taureaux,  on  lit  :  Lucas,  1749. 

(3)  Cette  apothéose  a  été  exécutée  par  un  artiste  étranger  appelé  Bo$sat. 

(4)  Cet  autel  est  dû  à  la  munificence  d'uo  ancien  chanoine  de  Saint-Sernin  nommé 
Bousquet, 

(6)  Ce  bas-relief  et  les  deux  adorateurs  en  bois  doré  placés  à  ses  extrémités  sont 
l'œuvre  de  Marc  Arcis,  célèbre  sculpteur  toulousain,  mort  en  1739,  étant  doyen  de 
l'Académie  de  Paris. 


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NOTB  SUR  LES  TRAVAUX  DE  l'ÉGLISE  SAINT-SATURNIN.  297 

tentieuse,  est  entouré  de  rampes  et  de  grilles  en  fer  entière- 
ment dorées. 

Les  autres  réparations,  faites  pendant  le  dix-huitième  siècle, 
furent  relativement  sans  importance  et  n'apportèrent  aucun 
changement  notable  aux  dispositions  générales  de  l'édifice. 

De  1804  à  1805,  sous  prétexte  d'appropriations  intérieures, 
l'église  Saint-Saturnin  fut  entièrement  revêtue  d'un  crépi  et 
d'un  badigeon  sur  lequel  on  traça,  au  moyen  de  lignes  noires, 
un  appareil  de  coupes  de  pierres.  On  cacha  ainsi  complète- 
ment l'ancienne  construction  composée  de  pierres  et  de  briques, 
rejointoyées  avec  le  plus  grand  soin,  et  on  dénatura  le  carac- 
tère architectural  de  cet  édifice.  On  dissimula  de  cette  ma- 
nière, sous  un  faux  appareil  d'un  aspect  gris  très-monotone, 
la  véritable  décoration  produite  par  la  combinaison  apparente 
des  matériaux  de  différentes  couleurs  employés  pour  la  cons- 
truction de  cette  basilique. 

En  1808,  réglise  Saint-Saturnin  n'étant  plus  qu'église  pa- 
roissiale, on  fit  démolir  le  mur  qui  séparait  le  chœur  de  la 
grande  nef,  afin  de  permettre  aux  fidèles  placés  dans  cette  der- 
nière de  participer  aux  offices  célébrés  à  l'autel  du  chœur.  On 
remplaça  alors  par  une  balustrade  en  fer  le  mur  démoli,  et  on 
établit  à  ses  deux  extrémités  les  statues  en  pied  de  saint  Sylve 
et  de  saint  Exupère,  faites  par  M.  Beurné,  restaurateur  du  Mu- 
sée des  antiques  de  Toulouse. 

Tel  était  l'état  général  de  l'église  Saint -Saturnin  lorsque 
l'administration  des  monuments  historiques  et  la  ville  de  Tou- 
louse résolurent  d'entreprendre  la  restauration  de  notre  an- 
cienne basilique. 

Ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut,  il  est  présumable  que,  dès 
l'origine,  il  y  avait  un  monastère  à  côté  de  l'église  Saint- 
Saturnin;  mais  les  monuments  conservés  jusqu'à  ce  jour  ne 
nous  donnent  aucune  indication  précise  sur  les  dispositions  de 
cet  établissement  religieux.  On  sait  très-bien,  par  les  docu- 
ments historiques  et  les  chartes  anciennes,  que  ce  monastère 
existait,  mais  on  n'en  retrouve  nulle  part  le  moindre  vestige. 

Il  n'en  est  pas  de  même,  fort  heureusement,  de  l'abbaye 
construite  au  douzième  siècle.  Ici  nous  nous  trouvons  en  pré- 


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S98  MÉMOIRES. 

sence  de  données  à  peu  près  certaines,  puisque  les  plans  dé- 
taillés d'une  grande  partie  de  ces  constructions  ont  été  relevés 
avec  soin  lorsque  les  divers  bâtiments  furent  divisés  en  lots  et 
vendus  comme  biens  nationaux.  Ces  plans,  déposés  aujourd'hui 
aux  archives  de  la  Préfecture  et  que  j'ai  pu  consulter,  grâce  à 
l'obligeance  de  notre  éminent  collègue  M.  Baudouin,  m'ont  per- 
mis de  rétablir,  aussi  approximativement  que  possible,  les  dis- 
positions principales  de  l'abbaye  construite  au  douzième  siè- 
cle, qui  occupait  une  portion  des  côtés  nord,  est  et  ouest  de 
l'église.  (Voir  le  plan  général  ci-joint.) 

Entièrement  circonscrit  par  un  mur  d'enceinte,  dont  il  ne 
nous  a  pas  été  possible  de  connaître  exactement  toutes  les  limi- 
tes, le  monastère  de  Saint-Saturnin  comprenait,  au  siècle  der- 
nier :  le  logement  de  l'abbé  et  ses  dépendances,  l'ancien  cloî- 
tre, au  centre  duquel  on  avait  maladroitement  établi  la  chapelle 
Notre-Dame -de -Bonnes -Nouvelles  d'une  construction  beau- 
coup plus  récente,  les  habitations  des  religieux  ou  des  chanoi- 
nes, les  bâtiments,  caves,  granges,  etc.,  etc.,  dans  lesquels  on 
enfermait  le  produit  des  dîmes  perçues  par  le  chapitre,  enfin 
les  tombeaux  des  anciens  comtes  de  Toulouse  et  les  cimetières 
qui  occupaient  les  côtés  est  et  sud  de  l'église.  Quatre  portes 
étaient  pratiquées  dans  ce  mur  d'enceinte  :  l'une  au  nord ,  en 
face  de  la  rue  Royale  ;  l'autre  à  l'est,  aboutissant  à  la  rue  des 
Treize- Vents  ;  la  troisième  au  sud,  dans  le  prolongement  de  la 
rueduTaur;  enfin,  la  quatrième,  à  l'ouest,  donnant  sur  la 
place  Saint-Raimond,  à  côté  de  la  porte  occidentale  de  l'église. 
De  ces  quatre  portes  il  ne  reste  plus  aujourd'hui  que  celle  dite 
de  Bachelier,  reconstruite  au  seizième  siècle  et  qui  fait  face  à 
la  rue  du  Taur. 

Le  cloître  du  monastère  de  Saint-Saturnin,  construit  â  la  fin 
du  onzième  siècle  ou  au  commencement  du  douzième,  était 
incontestablement  uq  des  plus  remarquables  que  nous  eussions 
à  Toulouse.  Il  était  composé  d'arcades  à  plein  cintre  supportées 
par  des  colonnettes  ayant  des  chapiteaux  richement  sculptés,  le 
tout  en  marbre  blanc  (i).  Sur  les  quatre  faces  de  ce  cloître  il 

(1  )  Deux  de  ces  chapiteaux,  conservés  au  Musée,  représeoteut  les  esprits  célestes  ter- 
rassant les  aoges  rebelles. 


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NOTB  SDR  LES  TRAVAUX  DE  l'ÉGLISE  SAINT- SATURNIN.  299 

y  avait  de  nombreuses  épitaphes  et  des  tombeaux  plus  ou  moins 
anciens,  dont  quelques-uns,  provenant  probablement  du  monas- 
tère primitif,  remontaient  aux  premiers  siècles  du  christia- 
nisme (i). 

Autour  de  Tabside  de  Téglise,  à  partir  de  la  porte  Royale 
jusqu'à  celle  dite  des  Comtes,  se  trouvait  le  Cimetière  des  Nobles, 
dans  lequel  on  inhumait  les  évêques,  les  comtes,  les  chevaliers 
et  les  nobles  de  la  ville.  Vers  le  milieu  du  seizième  siècle,  ce 
cimetière,  délaissé  par  la  noblesse,  fut  réuni  à  celui  dit  des 
Pèlerins  et  désigné  sous  le  nom  de  Cimetière  de  la  Paroisse  (2). 
Suivant  la  tradition,  c'est  dans  l'espace  compris  entre  la  porte 
des  Comtes  et  celle  de  Miégeville  qu'on  aurait  enterré  dès  l'ori- 
gine les  personnes  étrangères  à  la  ville,  mortes  subitement 
sans  avoir  reçu  les  derniers  sacrements,  et  c'est  dans  la  partie 
à  la  suite,  désignée  sous  le  nom  de  limbes,  qui  s'étend  de  la 
porte  Miégeville  à  la  façade  occidentale  de  l'église,  qu'on  ense- 
velissait les  enfants  mort-nés  ou  qui  n'avaient  pas  reçu  le  bap- 
tême. (Voir  le  plan  général  ci-joint.) 

Une  partie  du  vaste  emplacement,  autrefois  occupé  par  Tau- 
cîen  monastère  et  les  cimetières  de  Saint-Saturnin,  forme 
aujourd'hui  une  grande  place,  avec  des  jardins  au  centre 
desquels  on  a  isolé  notre  belle  et  ancienne  basilique.  Pour 
racheter  tous  ces  terrains,  qui  avaient  été  vendus  comme  biens 
nationaux,  la  ville  s'est  imposée  des  sacrifices  considérables,  et 
d'après  les  plans  que  nous  avons,  il  est  à  regretter  seulement 
qu'elle  n'ait  pu  faire  ces  achats  en  temps  utile,  afin  de  conser- 
ver le  cloître  qui,  avec  l'église,  formaient  incontestablement, 
au  point  de  vue  de  l'art,  la  partie  la  plus  précieuse  de  ce  monas- 
tère. On  dit  bien,  il  est  vrai,  dans  certaines  notices,  que  les 
bâtiments  plus  particulièrement  désignés  sous  le  nom  d'abbaye 
et  qui  servaient  au  logement  de  l'abbé,  du  côté  de  la  place 
Saint-Raimond,  étaient  d'une  richesse  remarquable  et  rappe- 
laient, par  les  peintures  et  les  sculptures  dont  un  les  avait 
décorés,  l'époque  si  florissante  de  nos  écoles  du  seizième  siè- 

(4)  Deui  de  ces  tombeaux  sont  actuellement  conseryés  dans  les  galeries  do  notre  Musée. 
(2)  En  4772,  lorscjue  rarchoTèque  Loménie  de  Brienne  ne  voulut  plus  que  les  inhuma- 
tions  eussent  lieu  dans  Tintérieur  de  la  yille,  ce  cimetière  fat  transformé  eo  jardin. 


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300  NOTE  SUR  LES  TRAVAUX  DE  l'éGLISE  SAINT-SATURNIN. 

de  (I);  mais  rien  ne  nous  autorise  à  émettre  une  opinion 
quelconque  à  ce  sujet.  La  description  retrouvée  dans  les  archives 
de  la  préfecture  et  faite  le  24  messidor  an  IV,  c'est  à-dire  au 
moment  de  la  vente  de  ces  bâtiments,  prouve  seulement  que 
cette  partie  du  monastère  n'était  pas  alors  dans  de  bonnes  con- 
ditions d'habitation,  puisque  les  experts  chargés  d'en  dresser 
les  plans  et  d'en  faire  la  description  détaillée  ont  mentionné 
dans  leur  rapport  (2)  que  «  les  couverts,  en  certaines  parties, 
€  étaient  en  moyen  état,  certaines  autres  parties  s'étaient  écrou- 
<  lées,  et  certaines  autres  menaçaient  d'une  chute  prochaine.  > 

(1)  L'ane  des  chemioées  était  décorée  d'un  bas-relief  représentant  Jésus-Christ  et  la 
Samaritaine,  actuellement  conservé  dans  le  musée  de  Toulouse. 

(2)  Voici  un  extrait  du  rapport  dressé,  le  24  messidor  an  IV,  par  les  citoyens  Senesse, 
ingénieur;  Martin  et  Gouderc,  experts,  délégués  à  cet  effet  par  les  autorités  compétentes  : 

(c  ...  Le  plan  que  nous  avons  arrêté  cejourd'hui  et  que  nous  annexons  au  présent  verbal. 

«  Les  dépendances  de  lad^  ci  d^  abbaye  consistent  en  une  cour,  puits,  escalier  faisant 
«  saillie  sur  la  dite  cour.  Sur  les  trois  côtés  de  la  dite  cour  sont  les  bâtiments  de  la  dite 
«  abbaye  à  un  étage  et  galetas  au-dessus,  et  dont  les  couverts  en  certaines  parties  sont 
(c  en  moyen  état,  certaines  autres  parties  se  sont  écroulées,  et  certaines  autres  menacent 
K  d'une  chute  prochaine.  Le  quatrième  côté,  où  est  la  porte  d'entrée,  est  en  face  la  place 
«  S^-Raymond. 

«  Le  corps  du  bÀtiment  sur  l'un  des  dits  trois  côtés,  et  qui  longe  la  rue  de  la  place 
«  S^Raymond  à  celle  ci-derant  Royale ,  se  prolonge  jusques  à  la  porte  de  l'endos  ou 
«  cloître  S^-Semin,  en  face  de  la  dite  rue  ci-devant  Royale,  étant  compris  dans  cette 
«  partie  les  piliers  de  la  dite  porte,  joignant  le  mur  qui  termine  ce  corps  .. 

«  Sur  un  autre  des  dits  troiscôtés  delà  cour  sont  des  bâtiments  adossés  au  mur  de  l'église 
«  S^-Sernin,  et  dont  une  partie,  où  est  le  corps  de  garde,  se  termine  en  pointe  au  con- 
«  trefort  ou  pilier  de  l'une  des  deux  portes  de  la  dite  église  du  côté  de  la  place  S^Ray- 
K  mond 

«  Au  3<n«  côté  de  la  dite  cour,  confrontent,  au  rei-de-chaussée,  les  écuries  de  la  dite 
(C  abbaye,  et  qui  sont  séparées  par  un  mur  du  côté  du  cloître  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
tt  et  qui  doit  faire  une  dépendance  de  la  dite  abbaye,  attendu  que  les  chambres  qui  sont 
«  an-dessus,  de  ce  côté  de  dottre,  appartiennent  à  la  dite  abbaye. 

«  Est  compris  encore  dans  les  dépendances  de  la  dite  abbaye  l'extrémité  du  cul-de-sac 
«  qui  est  entre  le  local  où  sont  les  cuves  du  ci-d^  chapitre  et  une  grange  appartenant  à 
«  l'abbaye.  L'espace  de  cette  extrémité  de  cul-de-sac  se  trouve  terminé  à  la  porte  qui 
a  aboutit  au  passage  qui  communique  aux  greniers  du  dit  d-d^«chapitre,  et  n'a  d'antre 
«  étendue  que  celle  qui  correspond  à  la  chambre  qui  est  au-dessus  et  qui  dépend  de  la 
«  dite  abbaye,  ainsi  qu'il  est  marqué  sur  le  plan,  i  (Malgré  nos  recherches,  nous  n'avons 
pu  trouver  ce  plan.) 

tt  Lesquels  objets  nous  avons  trouvé  être  ensemble  de  contenance  en  tout  de  683  toises 
<c  carrées,  qui  confrontent  :  du  levant...  » 


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Renvois  du  Plan. 


EGLISE". 


r 


N'ot a L  es  lignes  pointeUes  .«. .  ««.  «_, .  hdiquent  les  Plans 

d 'AhjRement  approuves  en  184' 2,  pour  la  PlX^e  S^  S^rnin  et  les 
Rues  adfacences.  \ 


Lith.D^hr-Chibou  Toulouse 


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BULLETINS  DBS  TRAVAUX  DE  l'aCADÉIIIE.  301 

BULLETINS  DES  TRAVAUX  DE  L'ACADÉMIE 

Pendant  le  deuxième  semestre  de  Tannée  1880-81 


4881. 


M.  Timbal-Lagrave  communique  à  rAcadémie  un  travail  qui  a         Sé&nce 
pour  titre  :  Essai  monographique  sur  ks  Bupleurum  de  la  flore  fran-      ^"i^^»?^** 
çaise  de  la  section  Nervosa. 

M.  Timbal-Lagrave  commence  son  travail  par  une  introduction,  dans 
laquelle  il  fait  connaître  les  nombreuses  difficultés  que  présente  la 
détermination  des  espèces  de  ce  genre  critique;  Tauteur  en  trace 
rhistorique  précis  depuis  Tépoque  linnéenne  jusqu'à  nos  jours,  en 
indiquant  aussi  les  nombreuses  modifications  que  ces  plantes  ont  dû 
subir  dans  leur  détermination  selon  la  méthode  d'observation  qui  a 
servi  à  tracer  les  caractères  spécifiques  des  espèces  adoptées  par  les 
botanistes  qui  ont  étudié  la  flore  française. 

M.  Timbal-Lagrave  donne  de  chaque  espèce  une  description  détail- 
lée et  comparative  y  où  sont  tracés  tous  les  caractères  spécifiques; 
toutes  les  espèces  sont  rangées  avec  soin,  d'après  leurs  affinités.  L'au- 
teur n'a  pas  négligé  la  synonymie,  souvent  très  embrouillée,  de  cha- 
cune d'elles;  enfin,  des  planches,  dessinées  avec  le  plus  grand  soin  par 
M.  le  docteur  Bucquoy,  viennent  faciliter  encore  la  connaissance  du 
texte  et  accompagnent  agréablement  les  descriptions.  Ces  planches 
inédites  contribueront  beaucoup  à  faire  bien  apprécier  quelques  espè- 
ces nouvelles  du  Midi,  telles  queB.  Telonense,  Gren.  B.,  Âcutifolium 
Rois  et  d'autres  espèces  des  Corbières  :  B.  Laricense,  Nob.,  B.  Ramo- 
sum  Nob.  ^,  découvertes  pendant  l'exploration  de  cette  région  avec 
ses  collaborateurs,  MM.  Gantier  et  docteur  Jeanbernat,  dans  le  but 
de  faire  la  flore  de  cette  partie  des  Pyrénées,  trop  négligée  depuis 
longtemps.  (Le  mémoire  sera  imprimé  plus  tard.) 

M.  Barthélémy  prend  la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Timbal- 
Lagrave. 


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302  SÉANCES  DE  MAI. 

6  mti.  M.  le  Secrétaire  perpétuel  dit  qu'il  a  reçu  une  lettre  de  M.  Galbrun, 

vice-président  de  la  Société  sténographique  de  France,  qui  demande 
s'il  ne  pourrait  pas  lui  donner  quelques  renseignements  sur  Coulon- 
Thévenet,  qu'il  considère  comme  un  des  inventeurs  de  la  sténographie 
en  France,  et  qui  en  a  fait,  dit-on,  les  premiers  essais  à  Toulouse. 

M.  le  Secrétaire  a,  en  effet,  trouvé  dans  les  procès-verbaux  de  l'an- 
cienne Académie  trois  passages  concernant  Coulon-Thévenet,  et  qui 
prouvent  qu'il  a  exposé  et  expérimenté  sa  méthode  de  tachygraphie 
devant  l'Académie  elle-même  et  devant  des  Commissions  nommées 
par  elle,  et  que  l'Académie  l'a  jugée  ingénieuse,  simple,  facile  et  pou- 
vant être  utile  en  certains  cas. 

—  Appelé  par  l'ordre  du  travail,  M.  Pradel  lit  un  mémoire  sur  les 
exécutions  capitales  au  dix-septième  siècle,  d'après  des  documents 
curieux  et  inédits.  (Imprimé  page  112.) 

MM.  Catien- Amoult,  Molinier  et  Duméril  prennent  successivement 
la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Pradel. 

48  mai.  L'ordre  du  travail  appelle  M.  Salles,  qui  est  absent.  Il  est  remplacé 

par  M.  Baudouin,  qui  lit  une  notice  sur  le  diocèse  et  la  subdélégation 
de  Toulouse.  (Il  en  sera  donné  une  analyse  détaillée  dans  le  prochain 
volume.) 

MM.  Duméril  et  Catien-Arnoult  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Baudouin. 

— M.  Brassinne  fait  un  rapport  verbal  sur  un  mémoire  de  géométrie 
générale,  présenté  à  l'Académie  par  M.  Bouquet,  professeur  de  ma- 
thématiques au  Lycée  de  Toulouse.  Ce  mémoire  est  une  étude  des 
surfaces  dont  toutes  les  lignes  de  courbure  sont  planes.  Le  rapporteur 
rappelle  succinctement  les  travaux  de  Monge,  auquel  on  doit  la  con- 
naissance des  lignes  de  courbure  qui  forment  un  double  système  ré- 
sultant de  l'intersection  d'une  surface  donnée  avec  deux  surfaces 
développables.  M.  Bouquet  étudie  le  cas  particulier  dans  lequel  les 
surfaces  développables  deviennent  des  plans,  et  à  ce  point  de  vue  il 
considère  d'abord  les  surfaces  enveloppes  d'une  sphère  mobile;  il 
ajoute  à  cette  première  partie  l'examen  de  quelques  autres  surfaces 
dont  les  lignes  de  courbure  sont  planes.  Il  termine  par  quelques  no- 
tions sur  les  courbes  et  des  surfaces  dites  résultantes.  Ce  mémoire, 
rédigé  avec  soin,  contient  des  points  de  vue  et  des  théorèmes  nou- 
veaux, démontrés  sans  l'appareil  de  formules  compliquées ,  par  des 


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BULLETINS  DBS  TRAVAOI  DE  L* ACADÉMIE.  303 

constructions  géométriques  élégantes  ;  il  est  à  désirer  que  M.  Bouquet 
termine  cet  excellent  travail  relatif  à  une  des  questions  les  plus  im- 
portantes de  la  géométrie  générale. 

—  M.  le  Président  propose  de  déclarer  la  vacance  définitive  de  la 
place  précédemment  occupée  par  M.  Endrës  dans  la  classe  des  scien- 
ces, section  des  mathématiques  pures. 

Cette  vacance  est  déclarée  II  propose  ensuite  de  fixer  l'élection  au 
mercredi  25  mai  courant. 

En  remplacement  de  M.  Daguin,  empêché,  M.  Baudouin  lit  un  tra-         49  mai. 
vail  envoyé  par  M.  Couarrazb  de  Laa,  correspondant  à  Albi,  intitulé  : 
Nicolas  de  Bordenave,  historiographe  de  Navarre,  étude  critique 
d'une  histoire  de  Navarre  et  de  Béarn  depuis  les  temps  primitifs  jus- 
qu'à 1572,  d'après  un  manuscrit  original,  en  très  grande  partie  inédit. 

Après  quelques  observations  faites  par  M.  le  Rapporteur  et  par 
divers  membres  sur  la  valeur  de  ce  manuscrit  et  la  manière  dont 
M.  Couarraze  de  Laa  en  rend  compte,  l'Académie  décide  que  des  re- 
mercîments  lui  seront  adressés  par  M.  le  Secrétaire  perpétuel. 

M.  Baillet  lit  une  note  sur  quelques  faits  qui  se  produisent  à  la        15  mai. 
suite  des  inoculations  du  charbon  aux  herbivores  domestiques.  (Im- 
primé page  128.) 

M.  Lavocat  prend  la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Baillet. 

—  M.  Baudouin  lit  un  rapport  sur  l'ouvrage  de  M  H.  Pont,  biblio- 
thécaire de  la  ville,  intitulé  :  Notice  de  la  bibliothèque  de  Toulouse. 

Après  que  l'importance  de  cette  notice  a  été  signalée  et  que  les 
longs  services  et  les  divers  mérites  de  M.  Pont  ont  été  rappelés,  on 
explique  comment,  à  la  suite  de  conversations  officieuses  entre  quel- 
ques membres  de  l'Académie  et  des  membres  de  la  municipalité,  il 
est  question  de  décerner  à  M.  Pont  une  médaille  d'honneur,  dont  la 
ville  ferait  les  frais,  et  qui  lui  serait  donnée  dans  la  prochaine  séance 
publique  comme  un  témoignage  de  la  reconnaissance  qui  lui  est  due 
pour  les  services  que,  depuis  plus  d'un  demi-siècle,  en  sa  qualité  d'or- 
ganisateur et  de  conservateur  de  la  bibliothèque  de  la  ville,  il  ne  cesse 
pas  de  rendre  aux  amis  des  sciences  et  des  lettres. 

M,  le  Secrétaire  perpétuel  rendra  compte,  dans  la  prochaine  séance, 
du  résultat  de  ces  conversations,  qui  doivent  être  reprises. 


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^9i  «akz»  k  n3, 

t-%*  -:«  Bf,i*/^.v^»  ;>M»  ;  -ire».  e&  r--.  :  fc.e-.  ^î  i*  IL  Eftirès,  ] 
e/.«TC9ifr>olaAt  fw  <a  •v^vab^^.  M.  Bt^sKc»  îiiî  >  raf'?^'^  *■*'  *** 

Il  '»ikH«t  en  xr','prnai.t  r^cs-Hsi-n  ie  M.  Darii,  l>£«Se«iAl-GO&Miri 
rf'artj.-^rie  «■  retrait*. 

Le  VTvttik  d^j^::i«  et  U  D:.:cJL<4'e  de  ««irrac^<es  en^  par  les  rèçie- 
tt«aU  af aat  é««  dooné  à  IL  DariL  M.  le  Prêsiie»!  le  prociane  «so- 
dé ordinaîre,  eo  rexcipUceiDent  de  M.  EiHlrès. 

t  jMi.  M.  le  Secrétaire  perpéteel  (ait  cooiuître  les  5«j«ts  de  prix  qui  ont 

élé  dtfctités  par  la  dasse  des  inscriptio&s  et  belles4ettres  résilie  en 
cornrnittnoD  spé-îale.  Couïr^rmèmeoi  k  Taris  de  la  inaj'?nté  de  cette 
(jtnnmismum,  FA^^déinie  a-l'jpte  le  sujet  suitant  :  Hi$imre  it  Im 
ville  4e  Touiomu  pendant  'a  Héwluiicm  ;  c'est-à-dire  depuis  b  sup- 
pre«^ion  de  la  provioce  de  Languedoc  josqu^â  FétablisseiDei&t  da 
jfteuiier  Empire. 

—  M.  le  Président  lit  le  discoars  qa'il  se  propose  de  prononcer  à 
TouTertore  de  la  séance  pabliqae  que  T Académie  doit  tenir  le  12  juin 
prochain. 

Après  quelques  obsenrations,  qui  portent  sor  l'étendue  de  ce  dis- 
cours,  M.  le  Président  dit  qu'il  en  retrandiera,  à  la  lecture,  tous  les 
passages  qui  peuvent  être  omis  sans  inconvénient  D  prie  un  de  ses 
confrères  de  vouloir  bien  les  indiquer.  M.  Rozy  accepte  cette  commis- 
sion. 

—  M.  Meluès  Cait  un  rapport  verbal  sur  les  propositions  de  la 
Commission  des  récompenses  pour  les  médailles  d'encouragement  à 
décerner  dans  la  classe  des  sciences. 

Après  diverses  observations  et  discussion,  l'Académie  émet  succes- 
sivement les  votes  suivants  : 

MÉDAILLES   D'ARGENT  DE   !'•  CLASSE 

lo  M.  Mabtt,  à  Toulouse.  Divers  sujets  et  ossements  fossiles  de  Cèpoq^^e 
quaternaire,  recueillis  dans  les  départements  de  la  Haute^Ga- 
ronne  et  de  CArt^ge, 

2o  M.  Fabrb,  à  Toulouse.  Note  sur  la  suppression  des  glaces  dans  les 
opérations  photographiques. 


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BDLLBTINS  DES  TRAVAUX  DE  l' ACADÉMIE.  305 

MÉDAILLE  d'argent  DE  2®   CLASSE 
30  M.  P.  Privât,  à  Toulouse,  Calorifère  à  chat^dière  inexplosible. 

RAPPEL  DE  MÉDAILLE  d'aRGENT 

4o  M.  P.  Gboproy-Gobibz,  à  Toulouse.   Cheminées  à  gaz,  nouveau  sys- 
tème» 

MENTION  HONORABLB 

5°  M.  P.  Cazbs,  à  Toulouse.  Catalogue  botanique  des  plantes  les  plus 
tuiMlles, 

—  M.  Pradel  lit  le  rapport  général  sur  la  médaille  d'or  et  les  mé- 
dailles d'encouragement  à  décerner  dans  la  classe  des  inscriptions  et 
belles-lettres. 

Les  conclusions  de  ce  rapport  sont  adoptées^  savoir  : 

MÉDAILLE  d'or  DE  420  FRANCS 

lo  M.  Louis  Bbziat,  à  Caunes  (Aude).  Ouvrage  intitulé  :  Histoire  de 
r abbaye  de  Caunes, 

MÉDAILLE  DE  VERMEIL 

2o  M.  Qrandjban,  à  Paris.  Études  sur  l'organisation  municipale  à  Tou- 
louse  aux  douzième,  treizième  et  quatorzième  siècles. 

MÉDAILLE  d'argent  DE  2«  CLASSE 

30  M.  SiÉRT  père,  à  Castres.  Don  gracieux  à  la  bibliothèque  de  V Académie 
de  cinq  documents  originaux  portant  la  signature  de  Louis  X  V 
et  d*autres  personnages  illustres, 

RAPPELS  DE  MÉDAILLES  d'ARGENT 

40  M.  R.  RuMEAu,  instituteur  public  à  Grenade  (Haute-Garonnef.  Notes 
historiques  sur  la  ville  de  Grenade  et  sur  la  ville  de  Labastide- 
de-Sérou  (Ariège). 

50  M.  l'abbé  Bosia,  à  Paris.  Manuscrits  de  l'église  d*Albi  des  septième, 
neuvième  et  treizième  siècles . 

—  M.  Baudouin  fait  un  rapport  verbal  sur  l'unique  mémoire  qui  a 
été  envoyé  au  concours  pour  le  grand  prix  de  Tannée. 

Conformément  à  la  conclusion  de  ce  rapport  et  à  l'avis  unanime  de 
la  Commission,  l'Académie  décide  que  le  prix  sera  adjugé  à  l'auteur 
de  ce  mémoire.  Le  nom  inscrit  dans  le  billet  cacheté  joint  à  ce  mé- 

8«   SBRIB   •—  TOMB  III,   2.  20 


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306  SBANCRS  DE  JUIN. 

moire  et  portant  la  même  épigraphe  que  le  mémoire  même  est  celui 
de  M.  Saint-Charles,  déjà  lauréat  de  l'Académie. 

Vu  l'heure  avancée,  l'Académie  remet  à  la  prochaine  séance  la  lec- 
ture de  l'éloge  de  M.  Desbarreaux-Bernard  et,  si  elle  le  juge  conve- 
nable, celle  des  rapports  écrits  dont  elle  n'a  entendu  aujourd'hui  que 
l'analyse  verbale. 

9  join.  M.  le  Président,  en  son  nom  et  au  nom  de  l'Académie,  souhaite 

la  bienvenue  à  M.  David,  nouvellement  élu,  qui  assiste  à  la  séance. 

M.  David  répond  en  remerciant  de  l'honneur  qui  lui  a  été  fait^  et 
promet  de  redoubler  d'efforts  pour  s'en  rendre  digne. 

—  M.  Baudouin  lit  l'éloge  de  M.  Desbarreaux-Bernard,  associé 
libre,  décédé  l'an  dernier. 

Le  même  membre  lit  ensuite  le  rapport  sur  le  mémoire  de  M.  Saint- 
Charles,  qui  a  mérité  le  grand  prix  de  l'année. 

Cet  éloge  et  ce  rapport  doivent  être  lus  dans  la  prochaine  séance 
publique. 

48  juîD.  MM.  Capmas,  recteur  de  l'Académie,  associé  honoraire,  et  Rodière, 

adjoint  du  maire,  académicien-né,  chargé  de  le  représenter,  siègent  à 
la  droite  et  à  la  gauche  de  M.  le  Président. 

M.  le  Président  ouvre  la  séance  par  un  discours  contenant  une  no- 
tice sur  Favier  de  Toulouse,  qui  joua  un  rôle  singulièrement  remar- 
quable à  la  fin  du  dernier  siècle. 

—  M.  Baudouin  lit  l'éloge  de  M.  Desbarreaux-Bernard,  associé 
libre,  décédé  le  15  février  4880. 

—  M.  RozY,  au  nom  de  M.  Pradel,  empêché,  lit  le  rapport  sur  le 
concours  pour  la  médaille  d'or  et  les  médailles  d'encouragement  dans 
la  classe  des  inscriptions  et  belles-lettres. 

—  M.  Melliès  lit  le  rapport  sur  le  concours  pour  les  médailles 
d'encouragement  dans  la  classe  des  sciences. 

—  M.  Baudouin  lit  le  rapport  sur  le  mémoire  de  M.  Saint-Charles, 
qui  a  obtenu  le  grand  prix  de  l'année. 

M.  le  Secrétaire  perpétuel  explique  le  caractère  exceptionnel  de  la 
médaille  d'honneur  que  le  Conseil  municipal  a  votée  à  M.  Pont,  bi- 


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BULLETINS  DES  TRAVAUX  DE  L*ACADÉMIE.  307 

bliolhécaire  de  la  Ville,  en  reconnaissance  de  ses  services  exception- 
nels et  que  TAcadémie  est  chargée  de  proclamer. 

M.  Rodière,  adjoint  du  Maire  et  chargé  de  le  remplacer,  rappelle 
les  services  de  M.  Pont,  que  le  Conseil  municipal  a  voulu  reconnaître 
et  récompenser-  d'une  manière  éclatante  :  il  exprime  ses  regrets  de  ce 
que  M.  Pont  a  été  empêché  par  son  état  de  souffrance  de  se  rendre  à 
la  séance. 

—  MM.  les  Secrétaires  appellent  les  lauréats  à  venir  recevoir  leurs 
prix  dans  Tordre  suivant  : 

GRAND  PRIX  DE  L'ANNÉE 
M.  Saint-Charlbs.  Son  prix  lui  est  remis  par  M.  le  Recteur. 

MÉDAILLE  d'or   DE  120   FRANCS 

M.  Louis  Bbziat,  à  Caunes  (Aude).  Il  est  absent;  son  prix  est  remis  à 
son  fondé  de  pouvoir,  M.  Bastié,  suivant  son  intention  expri- 
mée dans  la  lettre  où  il  remercie  TAcadémie. 

MÉDAILLE  DE  VERMEIL 

M.  Gbandjean,  à  Paris.  11  est  absent,  retenu  à  Paris  par  ses  fonctions 
d'employé  à  la  bibliothèque  du  Sénat.  Il  a  écrit  pour  remercier, 
exprimer  ses  regrets  et  demander  qu'on  lui  garJe  sa  médaille 
et  son  diplôme  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  les  retirer. 

MÉDAILLE  d'argent  DE  2«   CLASSE 

M.  SERT  père,  à  Castres.  Il  est  abseut,  et  a  chargé  son  gendre,  M.  Gal- 
tier,  maire  de  Castres,  de  retirer  sa  médaille  et  son  diplôme, 
dans  une  lettre,  où  il  remercie  l'Académie. 

RAPPELS   DE   MÉDAILLES   d'aRGENT 

M.  R.  RuMEAU,  instituteur  public  à  Grenade  (Haute- Garonne).  A  retiré 
son  diplôme. 

M.  l'abbé  Bosia,  à  Paris.  Il  a  écrit  pour  remercier  l'Académie  et  expri- 
mer ses  regrets  de  ne  pouvoir  assister  à  la  séance. 

Classe  des  Sciences. 

médailles  d'argent  de  i^^   CLASSE 

M.  Marty,  à  Toulouse   A  reçu  sa  médaille  et  son  diplôme. 

M.  Fabrb,  à  Toulouse.  Son  frère  a  retiré  sa  médaille  et  son  diplOme. 


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308  SÈANCKS  D8  JUIN. 

MÉDAILLE   DARGÇNT   DE  2«  CLASSE 
M.  P.  Prit  AT,  à  Toulousa.  A  reçu  sa  médaille  et  uq  diplôme. 

RAPPEL  DE  MÉDAILLE  d' ARGENT 

M.  P.  Qbofroy-Gomez,  à  Toulouse.  A  retiré  sou  diplôme. 

MENTION  HONORABLE 

M,  P.  Cazbs,  à  Toulouse.  A  écrit  pour  remercier  et  s'excuser  de  ne  pou- 
voir assister  à  la  séance. 

MÉDAILLE  d'or  (d'honneur) 

(Votée  par  le  Conseil  muDicipal.) 

M.  Pont,  bibliothécaire  de  la  Ville,  pour  ses  services  littéraires  de  plus 
d'un  demi-siècle.  Remise  en  séance  publique  de  TAcadémie. 

—  M,  le  Secrétaire  adjoint  lit  les  sujets  de  prix  proposés  par  l'Aca- 
démie pour  les  années  1882, 1883  et  1884  et  le  programme  des  con- 
cours* 

46jaiD.  L'ordre  du  jour  indique  les  élections  annuelles  pour  la  nomination 

des  membres  du  bureau  et  des  comités  pour  Tannée  académique 
1881-1882. 
Le  scrutin  a  donné  successivement  les  résultats  suivants  : 

Président  :  M.  Duméril; 
Directeur  :  M.  Lavocat; 
Secrétaire  adjoint  :  M.  Brunhes. 

Comité  de  librairie  et  d'impression  : 
MM.  Daguin,  Basset  et  Barry. 

Comité  économique  : 
MM.  Forestier,  Melliês  et  Hallberg. 

Aux  termes  de  l'article  20  des  règlements,  M.  le  Président  désigne 
M.  Baillet  pour  remplir  les  fonctions  d'écono  me. 

23  iniD.  M.  Despeyrous  communique  à  l'Académie  un  mémoire  intitulé  : 

Équations  différentielles  du  mouvement  d'un  corps  solide,  libre  ou 
gêné^  sollicité  par  des  forces  quelconques.  (Imprimé  page  145). 

M.  Brunhes  prend  la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Despeyrous. 


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BULLETINS  DES  TRAVAUX  DE  l' ACADÉMIE.  309 

—  M.  RoscHACH,  appelé  par  Tordre  du  tableau,  communique  un 
travail  intitulé  :  Essai  sur  les  monnaies  de  Transylvanie.  (Imprimé 
page  198.) 

M.  le  docteur  Noulet  présente  à  TAcadémie  deux  planches  de  des-        30  juin, 
sins  accompagnant  une  notice  dont  il  donne  lecture,  ayant  pour  titre  : 
Un  mobilier  funéraire  servant  à  établir  le  passage  de  Page  de  h  pierre 
polie  à  l'âge  du  bronze.  (Imprimé  page  190  ) 

MM.  Duméril,  Lavocat  et  Gratien-ArnouU  prennent  successivement 
la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Noulet. 

—  M.  Brunhes,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  communique  à  l'Aca- 
démie la  suite  de  ses  recherches  sur  le  passage  des  liquides  à  travers 
les  substances  perméables. 

Après  avoir  antérieurement  étudié  l'influence  considérable  qu'exerce 
la  température  sur  la  vitesse  avec  laquelle  l'eau  passe  à  travers  les 
couches  filtrantes,  l'auteur  examine  si  la  chaleur  produit  des  effets  du 
même  ordre  sur  la  rapidité  de  l'écoulement  de  quelques  autres  liqui- 
des. Il  résulte  de  ses  expériences,  résumées  par  des  tableaux  et  des 
constructions  graphiques,  que  la  vitesse  va  rapidement  en  croissant 
avec  la  température  pour  tous  les  liquides  qui  mouillent  les  parois  des 
espaces  étroits  qu'ils  parcourent.  Cette  influence  est  surtout  très  con- 
sidérable sur  les  liquides  visqueux  ;  c'est  ainsi  que  l'acide  sulfurique 
monohydraté  coule  à  40*>  deux  fois  plus  vite  qu'à  SO® ,  à  80*,  à  peu 
près  quatre  fois  plus  vite  ;  à  100«,  5  fois  33  plus  vite. 

Les  effets  produits  sur  l'huile  d'olive  sont  encore  plus  considéra- 
bles ;  c'est  ainsi  que  la  vitesse  d'écoulement  de  ce  liquide,  comparée 
à  celle  qu'il  a  à  SO®,  est  représentée  :  à  40»,  par  2,550  ;  à  60®,  par 
5,231;  à  8O0,  par  9,46;  à  100«,  par  43,67;  à  i20o,  par  18,883;  à 
130O,  par  21,56. 

La  vitesse  du  passage  des  liquides,  qui  ne  mouillent  pas  les  parois 
des  espaces  étroits  qu'ils  traversent,  croit  aussi  avec  la  température, 
mais  dans  une  proportion  beaucoup  plus  faible. 

Il  résulte  de  cette  étude,  suivant  l'auteur,  que  les  coefficients  à 
l'aide  desquels  on  peut  exprimer  les  variations  de  la  vitesse  en  fonc- 
tion de  la  température,  ou  coefficients  termotachyliques,  ont  des  va- 
leui's  distinctes  pour  les  différents  liquides  et  caractéristiques  de  cha- 
cun d'eux. 

MM,  Brassinne,  Melliès  et  Salles  prennent  successivement  la  parole 
sur  le  sujet  traité  par  M.  Brunhes. 


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3i  0  SÉANCES  DE  JDILLET. 

7  jaillet.  Appelé  par  l'ordre  du  travail,  M.  Barry  (Charles)  communique  à 

TAcadémie  une  partie  du  cinquième  livre  de  son  Histoire  de  la  vie  et 
des  écrits  de  la  Ifeaumelle  et  de  ses  démêlés  avec  Voltaire,  Cette  œuvre 
de  longue  haleine  est  destinée  à  être  publiée  en  deux  volumes,  si  quel- 
que libraire,  bienveillant  protecteur  des  lettres  et  des  écrivains,  con- 
sent à  la  prendre  sous  son  patronage  et  à  la  livrer  à  ses  presses. 

La  cinquième  partie  est  intitulée  :  La  Beaumelle  en  Languedoc  et 
à  Toulouse  (1757-1770).  Il  avait  subi,  en  4753  et  en  1756,  deux 
incarcérations  à  la  Bastille  pour  offenses  au  gouvernement  imprudem- 
ment publiées  dans  deux  de  ses  livres.  Rendu  à  la  liberté  le  l*'  sep- 
tembre 1757,  après  treize  mois  entiers  d'embastillement.  il  dut  quit- 
ter Paris  sur-le-champ,  çuivant  Tordre  donné  par  le  ministre,  M.  de 
Saint-Florentin,  et  se  rendre  dans  le  Languedoc.  Il  était  né  à  Valle- 
rangue,  près  d'Alais,  en  1726.  Il  y  arriva  à  temps  pour  recevoir  les 
derniers  embrassements  et  le  dernier  soupir  de  son  père,  qui  expira 
trois  jours  après. 

Malgré  la  Bastille,  il  regrettait  vivement  le  séjour  dB  Paris,  où  il 
vivait  en  bonnes  relations  avec  les  gens  de  lettres  et  des  personnages 
du  grand  monde.  Il  dut  trouver  bien  pénible  l'isolement  auquel  son 
exil  le  condamnait,  avec  défense  de  rien  écrire  et  publier.  Pour  dis- 
traire ses  loisirs,  il  se  fit  recevoir  dans  une  sorte  d'Académie  établie  à 
Milhau,  composée  de  dix-neuf  membres,  et  qui  avait  pris  le  nom  de 
tripot,  à  rinslar  de  certaines  Académies  italiennes. 

Ce  n'était  pas  dans  cette  société,  où  l'on  se  bornait  à  lire  à  part  les 
livres  nouveaux  et  les  journaux,  puis  à  discuter  ensuite  sur  ces  lectu- 
res, que  la  Beaumelle  pouvait  trouver  des  charmes  capables  de  le  re- 
tenir. Il  alla  donc  fixer  sa  résidence  à  Nimes,  ville  importante  et  qui 
possédait  une  Académie  ancienne  et  célèbre,  qui  avait  la  prétention 
d'être  l'égale  de  l'Académie  de  Paris.  La  Beaumelle  put  nouer  dans 
cette  ville  des  relations  agréables.  Il  s'attacha  particulièrement  au  cou- 
rageux Paul  Rabaut,  le  plus  célèbre  des  pasteurs  du  Désert,  L'amitié 
liée  entre  ces  deux  hommes  fut  surtout  profitable  à  la  Beaumelle. 

Mais  il  était  alors  dans  sa  quarante-troisième  année  (1759),  et  il  sen- 
tait le  besoin  de  chercher  un  établissement  qui  pût  lui  procurer  y  avec 
le  repos  et  une  famille,  un  foyer  où,  loin  du  monde  et  des  orages,  il 
cultiverait  les  arts  dans  le  sein  de  l'hymen  et  de  la  médiocrité.  Il  porta 
son  choix  sur  une  sienne  cousine,  M**«  Jeanne  Pieyre,  qui  n'était  pas 
belle,  tant  s'en  faut,  mais  dont  les  imperfections,  au  dire  de  la  Beau- 
melle lui-même,  étaient  rachetées  par  des  millions  de  choses  aimables. 
L'affaire  allait  à  bien;  déjà  les  deux  amants  avaient  signé  d4S  pactes 


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BULLETINS  DES  TR4VÂUX   DE  L*AGADÉM1E.  311 

sur  lei  instructions  de  l'heureux  fiancé  y  le  11  juin  1759;  mais  des 
obstacles  inattendus  surgirent  soudain.  M' '«  Pieyre  avait  trois  frères, 
trois  tigres,  qui  épuisèrent  toutes  les  rubriques  légales  pour  rompre 
cette  union  qui  leur  déplaisait.  Deux  des  frères  se  rendirent  un  jour 
chez  M.  de  la  Beaumelle,  et,  à  sa  grande  surprise,  réclamèrent,  du 
consentement  même  de  leur  sœur,  dont  ils  avaient  changé  les  senti- 
ments du  tout  au  tout,  la  restitution  des  pactes.  La  Beaumelle  refusa, 
et,  de  son  côté,  exigea  une  décharge  des  7,000  livres  qu'il  avait  re- 
connues à  sa  fiancée  dans  le  contrat  et  qu'il  avait  même  payées  comp- 
tant. Des  billets  doux,  il  fallut  recourir  au  papier  timbré.  La  Beau- 
melle lança,  le  14  juillet,  un  Mémoire,  où  se  trouvent  relatés  tous  les 
faits  de  la  cause,  et  que  Fréron  nous  a  transmis  dans  les  feuilles  pé- 
riodiques de  son  Année  littéraire.  (Voir  le  t.  V  de  1759,  p.  296.) 

Après  le  cruel  mécompte  qu'il  venait  d'essuyer,  la  Beaumelle  ne  se 
souciait  plus  de  rester  dans  la  même  ville  que  celle  qui  l'avait  si  per- 
fidement abusé,  et  il  prit  le  parti  de  venir  s'établir  à  Toulouse,  comme 
sur  un  théâtre  plus  digne  de  lui,  à  défaut  de  Paris,  et  où  il  fit  son 
entrée  au  mois  de  septembre  1759. 

MM.  Gratien-Arnoult  et  Vaïsse-Cibiel  prennent  successivement  la 
parole  sur  le  sujet  traité  par  M,  Barry. 

M.  le  Secrétaire  perpétuel  rend  compte  des  incidents  qui  ont  em-       21  juillet 
péché  l'Académie  de  tenir  sa  séance  ordinaire  mercredi  13  juillet. 

M.  Melliès,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  indique  le  sujet  du  mé- 
moire qu'il  a  préparé  pour  l'Académie,  et  cède  son  tour  de  lecture  à 
M.  Saint-Charles,  membre  correspondant,  qui  assiste  à  la  séance. 

—  M.  Saint-Charles  ,  membre  correspondant,  communique  à 
l'Académie  une  étude  sur  Venseignement  primaire  dans  la  province  du 
Languedoc  avant  la  Révolution. 

L'auteur  de  ce  travail,  après  quelques  considérations  générales  sur 
la  question,  Tétudie  sous  les  trois  points  de  vue  de  la  gratuité^  de 
Vobligalion  et  de  la  liberté.  Passant  en  revue  les  édits,  les  ordonnan- 
ces et  déclarations  royales,  les  arrêts  du  Conseil  d'Etat  et  du  Parle- 
ment de  Toulouse,  qui  ont  depuis  le  seizième  siècle  jusqu'à  nos  jours 
réglementé  Tinstructioa  primaire,  il  fournit  le  témoignage  que  la  si- 
tuation des  précepteurs  particuliers  et  des  maîtres  des  petites  écoles 
était  excessivement  précaire,  malheureuse. 

L'approbation  diocésaine  étant  déclarée  indispensable  pour  ouvrir 


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31  2  SÉANCES  DE  JUILLET. 

des  écoles  ou  obtenir  payement  des  gages^  beaucoup  de  villages  se 
trouvaient  dépourvus  de  maîtres. 

A  Tappui  de  ce  qui  précède,  au  moyen  de  documents  nombreux 
tirés  des  archives  départementales,  communales  et  hospitalières,  l'au- 
teur de  ce  travail  fournit  des  renseignements  détaillés  sur  la  situation 
des  régents  des  petites  écoles  de  Toulouse,  Montpellier,  Auriac,  Mon- 
tarin,  Puylaurens,  Lherm,  Cugnaux,  Blagnac,  Fronton,  Grisolles, 
Villefranche  de  Lauragais,  etc. 

L'esprit  d'intolérance,  dont  étaient  pénétrés  les  règlements  et  la  loi 
sur  renseignement  primaire,  ayant  rejailli  sur  les  consuls  et  adminis- 
trateurs des  communautés,  il  en  devait  résulter  nécessairement,  pour 
les  maîtres  comme  pour  les  parents,  une  situation  simplement  insup- 
portable. 

Alors  qu'il  ne  fallait  s'occuper  que  de  l'enfant,  et  de  lui  seul,  on  son- 
geait, en  lui  fournissant  les  premiers  éléments  de  nos  connaissances 
en  lecture,  éciiture  et  grammaire,  à  créer  une  France  intolérante  et 
fanatique,  quand  la  raison  veut  qu'au  regard  de  l'instruction  de  la  jeu- 
nesse il  soit  fait  abandon  de  tout  esprit  de  parti,  politique  ou  reli- 
gieux. 

MM.  Duméril  et  Rozy  prennent  successivement  la  parole  sur  le  su- 
jet traité  par  M.  Saint-Charles. 

M.  MoLiNiER  fait  un  rapport  verbal  au  sujet  d'un  ouvrage  renvoyé 
à  son  examen  et  intitulé  :  Don  Pedro  de  Calderon, 

28  juillet.  -_  M.  EsQUiÉ,  appelé  par  l'ordre  du  travail,  communique  un  mé- 

moire intitulé  :  Note  sur  les  origines  de  l'église  Saint-Saturnin  à  Tou- 
louse. (Imprimé  page  283«) 
M.  Gatien-Amoult  prend  la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Esquié. 

—  M.  Salles  lit  ensuite  un  travail  qui  a  pour  ti,re  :  Études  sur  Us 
principaux  orages  de  1880.  (Imprimé  paiçe  169.) 

M.  Brunhes  prend  la  parole  sur  le  sujet  traité  par  M.  Salles. 


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313 


LISTE  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES 

AVEC  LESQUELLES  L'ACADÉMIE  CORRESPOND 
ET   PUBLICATIONS   QU'eLLE  EN   A  REÇUES 


X 


SOCIÉTÉS  FRANÇAISES 

Agsn.  —  Société  d'agriculture,  Bciences  et  arts.  —  Recueil  des  travaux^ 
2e  série,  T.  vu,  1880. 

Alais.  —  Société  scientifique  et  littéraire.  —  Mémoires  et  comptes  ren- 
dus, T.  XI,  lor  et  2^  bulletins,  1879. 

Amiens.  —  Société  des  antiquaires  do  Picardie.  —  Bulletins,  1880.  — 
Mémoires.  T.  ix,  1880. 

—  Société  linnéenne  du  nord  de  la  France,  1879.  T.  nr;  T.  ▼,  1880. 

—  Conférence  littéraire  et  scientifique  de  Picardie.  —  Bulletins, 

1881. 
Angers.  —  Société  nationale  d'agriculture,  sciences  et  arts  d'Angers.  •— 
Mémoires,  T.  xxi,  1879. 

—  Société  d'horticulture  de  Maine-et-Loire.  —  Annales,  1880. 

—  Société  industrielle  et  agricole  d'Angers  et  du  département  de 

Maine-et-Loire.  —  Bulletins,  41«  année,  1880. 

—  Société  académique  de  Maine-et-Loire  (sciences).  —  Mémoires, 

T.  XXXV,  1880. 

Angoulême.  —  Société  archéologique  et  historique  de  la  Charente.  — 
Bulletins,  5e  série,  T.  ii,  1878-1879. 

AucH.  —  Société  historique  de  Gascogne.  —  Revue  de  Gascogne.  Bulle- 
tin mensuel,  T.  xxii,  1881. 

AuxERRB.  —  Société  des  sciences  historiques  et  naturelles  de  l'Yonne. 
—  Bulletin,  année  1880. 

Beauyais.  —  Société  académique  d'archéologie,  sciences  et  arts  du  dé- 
partement de  l'Oise.  —  Mémoires.  T.  ler,  1847-1851  ;  T.  u, 
1852-1855;  T.  xi,  Ire  partie,  1880. 


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314  OUVRAGES   IMPBIIIÉS 

B^iSRS.  —  Société  des  sciences  naturelles  de  Béziers.  —  Bulletin,  1879. 

—  Société  archéologique,  scientifique  et  littéraire.  —  Bulletins. 

Bordeaux.  —  Société  linnéenne.  —  Actes.  Vol.  xxznr.  4»  série,  T,  ir. 

—  Société  des  sciences  physiques  et  naturelles.  —  Mémoires,  1879. 

Brest.  —  Société  académique.  —  Bulletin,  2«  série.  T.  vi. 

Boulognb-sur-Mer.  —  Société  d'agriculture  de  l'arrondissement.  — 
Bulletin,  T.  xvi,  T.  xvii. 

Bourg.  —  Société  d'émulation  de  TAin  (agriculture,  lettres  et  arts).  — 
Annales,  1880,  1881. 

Brives.  —  Société  scientifique,  historique  et  archéologique  de  la  Cor- 
rèze.  —  Bulletin,  T.  ii  et  T.  m,  1881. 

Caen.  —  Société  d'agriculture  et  de  commerce  de  Caen.  —  Bulletin, 
117e  année,  1878. 

—  Société  des  beaux-arts  de  Caen.  —  Bulletin,  Ô"  vol.,  3e  cahier. 

—  Société  linnéenne  de  Normandie.  —  Bulletin,  1879-1880. 

—  Annuaire  du  Musée  d'histoire  naturelle  de  Caen.  —  1880. 

Chambért.  —  Académie  des  sciences ,  belles-lettres  et  arts  de  Savoie.  — 
Mémoires,  3e  série,  T.  vm,  1880. 

Cherbourg.  —  Société  nationale  des  sciences  naturelles  et  mathémati- 
ques. —  Mémoires,  T.  xxn,  1879. 

Clermond-Ferrand.  —  Académie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts.  — 
Mémoires,  T.  xxi,  1879.  —  Bulletin  historique  et  scientifique, 
1881. 

CoNSTANTiNE.  —  Société  archéologique  du  département  de  Constantine. 

—  Recueil  des  notices  et  mémoires.  10«  vol.  de  la  2e  série. 

Dijon.  —  Académie  des  sciences,  arts  et  belles-lettres.  —  Mémoires, 

3e  série.  T.  vi,  1880. 
ÉvREUX.  —  Société  libre  de  l'Eure.  —  Recueil  des  travaux,  T.  iv, 

1878-1879.  T.  v,  1879-1880. 

Havre.  —  Société  des  sciences  et  arts  agricoles  et  horticoles  du  Havre. 

—  Bulletin,  1879,  1880. 

—  Société  nationale  havraise   d'études  diverses.  —  Recueil  des 

publications,  1877-1878. 
Laon.  —  Société  académique.  —  Bulletin,  T.  xxiii,  1877-1878. 
Lton.  —  Académie  des  sciences,  belles -lettres  et  arts.  —  Mémoires, 

classe  des  sciences.  Vol.  xzive.  1879-1880;  classe  des  lettres. 

Vol.  xixe,  1879-1880. 

—  Société  d'agriculture,  histoire  naturelle  et  arts  utiles.  —  Anna 

les,  T.  II,  1879. 


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ADHESSRS  A  l'académik  hkndant  l'annér   I8s0-81.        315 

Lyon.  —  Société  protectrice  des  animaux.  —  Comptes  rendus.  ContîourB 
1878. 

Mans  (Le).  —  Société  d'agriculture,  sciences  et  arts  de  la  Sarthe.  — 
Bulletin,  T.  xix,  1879-1880. 

—  Revue  historique  et  archéologique  du  Maine.  —  T.  vii  et  T.  vin, 

1880. 

Maçon.  —  Académie.  —  Annales,  ne  série,  T.  ii,  1880. 
Marseille.  —  Recueil  des  actes  du  Comité  médical  des  Bouches-du- 
Rhône,  T.  xix,  1881. 

—  Société  de  statistique.  —  Répertoire  des  travaux.  T.  xxxx. 

—  Académie  des   sciences,   belles- lettres  et  arts.  —  Mémoires, 

1879-1880. 

Mendb.  —  Société  d'agriculture,  industrie,  sciences  et  arts  du  départe- 
ment de  la  Lozère.  —  Bulletin,  T.  xxxi,  1880.  T.  xxxii,  1881. 

Montauban.  —  Société  des  sciences,  agriculture  et  belles-lettres  de 
Tarn-et-Garonne.  —  Recueil,  1877-1878. 

—  Société  archéologique  et  historique  de  Tarn-et-Garonne.  — 

Bulletin,  1880,  T.  viii. 
Montpellier.  —  Société  d'horticulture  et  d'histoire  naturelle  de  l'Hé- 
rault. —  Annales,  2e  série,  T.  xn,  1880;  T.  xiii,  1881. 

—  Académie  des  sciences  et  lettres.  —  Section  de  médecine,  T.  v, 

1877-1879;  section  des  sciences,  T.  ix,  1879;  T.  x,  1880;  sec- 
tion des  lettres,  T.  vi,  1878-1879. 
Moulins.  —  Société  d'émulation  du  département  de  l'Allier  (sciences, 
arts  et  belles-lettres).  —  Bulletin,  T.  xvi,  1880. 

Nancy.  —  Académie  de  Stanislas.  —  Mémoires,  1879,  4e  série,  T.  xii. 

—  Société  des  sciences,  ancienne  Société  des  sciences  naturelles 

de  Strasbourg.  —  Bulletin,  1879,  1880. 
Nantes.  —  Société  académique  de  Nantes  et  du  département  de  la  Loire- 
Inférieure.  —  Annales.  Vol.  1^  de  la  6e  série. 

Nîmes.  —  Académie  du  Gard.  —  Mémoires,  7*  série.  T.  n,  1879. 

Niort.  —  Société  centrale  d'agriculture  des  Deux-Sèvres.  —  Maître 
Jacques f  }o\xTUd\  d'agriculture,  1880-1881. 

Paris.  —  Académie  des  sciences.  —  Comptes  rendus  hebdomadaires, 
T.  xci,  T.  xcii,  T.  xciii;  tables  des  comptes  rendus,  ier  et 
2*  semestres  1880. 

—  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  (comptes  rendus  des 

séances).  —  T.  viii.  Bulletins  de  1880  et  1881. 

—  Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  —  Séances  et  tra- 

vaux, T.  xiv,  1880;  T.  xv,  1881. 


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316  OUVRAGES   mPRIMÉS 

Paris.  —  Société  indo-chinoise.  —  Mémoires,  T.  ii,  1880. 

—  Académie  de  médecine.  —  Bulletins,  T.  ix,  1880;  T.  x,  188 L 

—  Société  nationale  des  antiquaires  de  France.  —  Mémoires,  T.  xl 

ou  T.  X  de  la  4«  série. 

—  Association  scientifique  de  France  (Société  pour  TaTancement 

des   sciences).  —  Bulletin  hebdomadaire,  2p  semestre  1880, 
T.  u;  1er  semestre  1881,  T.  m. 

—  Société  philomatique.  —  Bulletin,  7©  série.  T.  m,  1878-1879; 

T.  IV,  1880;  T.  v,  1880-1881. 

—  Société  française  de  numismatique  et  d'archéologie.  —  Comptes 

rendus,  2«  série,  T.  i,  1879. 

—  Ecole  nationale  des  Chartes.  —  Positions  des  thèses  soutenues 

par  les  élèves  de  la  promotion  de  1881,  pour  obtenir  le  di- 
plôme d'archiviste  paléographe. 

Poitiers.  —  Société  des  antiquaires  de  TOuest.  —  Bulletin,  1880,  1881. 

—  Société  académique  d'agriculture,  industrie,  sciences  et  arts.  — 

Bulletin,  1880. 

Reims.  —  Société  industrielle Bulletin,  T.  xi,  1880,  1881. 

—  Académie  nationale.  —  Travaux,  65e  vol.,  1878-1879. 

—  Association  française  pour  l'avancement  des  sciences.  —  Infor- 

mations et  documents  divers.  No  29  (congrès  d'Alger). 

Rodez.  —  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  l'Aveyron.  —  Procès- 
verbaux  des  séances,  T.  xii,  1878  à  1880. 

Rouen.  —  Société  des  sciences  naturelles.  —  Bulletin,  1880. 

—  Académie  des  sciences,  belles- lettres  et  arts.  —  Précis  analy- 

tique des  travaux.  Année  1878-1879. 

Saint-Jean-d'Angély.  —  Société  linnéenne  de  la  Charente-Inférieure.  — 
Bulletin,  1880. 

Saint-Omer.  —  Société  des  antiquaires  de  la  Morinie.  —  Mémoires  et 
bulletins,  1879,  1880  et  1881. 

Saintes.  —  Société  des  archives  historiques  de  la  Saintonge  et  de  l'Au- 
nis.  —  Bulletin,  T.  ii,  1880;  T.  ni,  1881. 

Sbnlis.  —  Comité  archéologique  de  Senlis.  —  Comptes  rendus  et  mé- 
moires, T.  V,  1879,  2e  série. 

Toulouse.  —  Académie  des  Jeux-Floraux.  —  Recueil,  1881. 

—  Académie  de  Législation.  —  Recueil,  1879-1880.  T.  xxvin. 

—  Société  de  médecine,  chirurgie  et  pharmacie.  —  Comptes  rendus 

des  travaux,  1880.  —  Revue  médicale,  1880,  1881. 

—  Société  archéologique  du  midi  de  la  France.  —  Bulletin,  1880. 


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ADRESSÉS   A    l' ACADÉMIE   PENDANT    l'aNNÉE    1880-81.  317 

TouLousi.  —  Société  d'agriculture  de  la  Haute-Garonne  et  de  TAriège. 
Journal  d'agriculture  pratique  et  d'économie  rurale  pour  le 
midi  de  la  France,  1880,  1881. 

—  Société  d'horticulture  de  la  Haute-Garonne.  —  Annales,  T.  xxvii, 

1880,  1881. 

—  Société  académique  hispano-portugaise.  —  Bulletin,  T.  i,  1880. 
Trotes.  —  Société  académique  d'agriculture,  sciences,  arts   et  belles- 
lettres  du  département  de  l'Aube.  —  Mémoires,  T.  xvi,  1879. 

Valencibnnes.  —  Société  d'agriculture,  sciences  et  arts  de  l'arrondisse- 
ment de  Valenciennes.  —  Revue  agricole,  industrielle,  litté- 
raire et  artistique,  T.  xxxixi,  T.  xxxiv. 

Vendômi,  —  Société  archéologique,  scientifique  et  littéraire  du  Vendô- 
mois.  —  Bulletin,  T.  xix,  1880. 

SOCIÉTÉS   ÉTRANGÈRES 

Amsterdam.  <—  Verhandelingen  der  koninklijke  akademie  van  wetens- 
chappen-afdeeling  Letterkunde.  Deel  xn,  1879. 

—  Achttiende  Deel-Met  platon.  Deel  xviii,  1879. 

—  Negentiende  Deel-Met  platon.  Deel  xix,  1879. 

—  Verslagen  en  Medeelingen  der  koninklijke  Akademie,  van  We- 

tenschappen-Afdeeling  Letterkunde-Tweede  kecks. 

—  Processen-verbaal  van  de  Gewone  vergaderingen  der  koninklijke 

Akademie  van  Welenschappen-Afdeeling  natuurkunde,  1877, 
1878,  1879. 

—  Elegiae  duae.  Virginia  maturioris  querelae  elegia  pétri  isseiva 

praemio  aureo  ornata.  Accedit  elegiatioannis  van  Leeuwen. 

—  Jaarbock  van  do  koninklijke  akademie  van  Wetenschappen  ge- 

vestigd,  1877-1878. 

—  Idyllia  aliaqne  poemata.  Francisei  pavesi  de  insubrum  agricola- 

rum  in  transatlanticas  regiones  demigratione  idyllia  praemio 
aureo  ornata  in  certamine  poetico  hœufstiano. 

Anvers.  —  Académie  d'archéologie  de  Belgique.  —  Annales.  —  Bulle- 
tins. 

Athènes.  —  Synopsis  numorum  veterum  qui  in  museo  numismatico 
Athenarum  publico  adservantur  disposivit  et  impensis  publi- 
cis  edidit  Achilles  Postolacca. 

BiSTRiTZ.  —  VI.  Jahresbericht  der  Gewerbeschule  zu  Bistritz  in  Sieben- 
bùrgen,  1880. 

Berne.  —  Institut  géographique  international.  Bulletin,  n«s  1,  2  3   4. 


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31  s  OUVRAGES    IMPRIMÉS 

Boston.  —  Occasional  papers  of  the  Boston  Society  of  natural  history. 
—  III.  Contributions  to  the  Geology  of  castern  Massachussetts, 
by  William  0.  Crosby,  1880.  —  Procedings  of  the  Boston 
Society  of  natural  History.  Vol.  xx,  1878,  1879,  1880.  —  Me- 
moirs  of  the.  Vol.  m,  part.  1,  number  3. 

—  Procedings  of  the  American  Academy  of  arts  and  sciences.  New 

séries.  Vol.  vu  (Whole  séries).  Vol.  xv,  1879,  1880. 

Bruxelles.  —  Société  royale  de  botanique  de  Belgique.  Bulletin,  t.  xix. 
Compte  rendu  de  l'assemblée  générale  extraordinaire  convo- 
quée pour  la  commémoration  de  la  fondation  de  la  Société,  le 
16  octobre  1880. 

Babgelonb.  —  Ateneo  Barcelonès.  Boletin,  1880,  1881. 

Catania.  —  Accademia  Gioenia  di  scienze  naturali  (Atti  delD.  Série 
terza.  T.  xiii-xiv. 

Dantzig.  —  Schriften  der  naturforschenden  Gesellschaft  in  Dantzig.  Neue 
Folge.  —  Vierter  Band,  1876-1880.  In  naturwissenschaftlicher 
und  medizinischer  Beziehung,  1880. 

Dresde.  —  Das  Muséum  Ludwig  Salvator,  in  Ober^Blase^itz,  bei  Dres- 
den. 

Dublin.  —  Proceedings  of  the  Royal  irisch  Academy  (science).  Vol.  m 
iPolite  littérature  and  antiquities).  —  Aeneidea  or  critical 
exegetical  and  aesthetical  remarks  on  the  aeneis.  Vol.  ir, 
1879.  (Continued.)  —  Royal  irish  Academy  «  Cunningham 
memoirs  »,  no  I,  june  1880.  —  The  transactions  of  the  Royal 
irisch  Academy  (science).  Vol.  xxvi,  novembre  1879.  —  Ma- 
nuscript  séries.  Vol.  i,  1880,  1881. 

—  The  Journal  of  the  Royal  Dublin  Society,  no  45,  vol.  vn. 

—  The  scientific  transactions  of  the  Royal  Dublin  Society.  1877, 

1878,  1879,  1880. 

—  The  scientific  proceedings  of  the  Royal  Dublin  Society.  —  Con- 

tents of  part.  1877,  1878,  1879,  1880, 

Erlanoen.  —  Sitzungsberichte  der  physikalisch-medicinischen  Societat 
zu  Erlangen,  1879,  1880. 

FiRENZE.  —  Pubblicazioni  del  R.  Istituto  di  studi  superiori  pratici  e  di 
perfezionamento  in  Firenze,  sezione  di  filosofia  e  filologia. 
Vol.  II,  dispensa  6. 

—  Le  Origine  délia  lingua  poetica  italiana,  etc. 

—  Pubblicazioni,  etc.,  sezione  di  medicina  e  chirurgia. 

—  Del  procesco  morboso  del  colera  asiatico,  del  suo  stadio  di  morte 

apparente  e  délia  legge  matematica  da  cui  e  regolato,  Mémo- 
ria  del  dott.  Filippo  Pacini. 


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ADRESSÉS   A   l' ACADÉMIE   PENDANT   l' ANNÉE    4880-84.  319 

GiNÀva.  —  Société   de   physique  et  d^histoire   naturelle.    Mémoires. 

T.  xxTii,  U«  partie. 
Harlbm.  —  Archives  du  Musée  Teyler.  Vol.  v,  1880.  Vol.  vi. 

Hbidblbbro.  —  VerhandluDgen  des  naturhistorisch-mediciaischen  Ve- 
reins.  Neue  Folge.  ii,  5. 

Kassel.  •—  Botanisches  Centralblatt,  1880  (Table  des  matières). 

Londres.  —  Proceedings  of  the  Royal  Society.  Vol.  xxix,  Vol.  xxx. 

—  Philosophical  transactions  of  the  Royal   Society   of   London. 

Vol.  CLXX,  Vol.  CLXXI. 

—  The  Royal  Society  (Ist.  december  1879). 

—  Royal  Microscopical  Society  (Journal  of  the).  Vol.  m,  1880,  1881. 

—  Royal  astronomical  Society. 

—  Collection  complète  des  Mémoires  parus,  du  vol.  i  au  vol.  xly. 

—  Royal  astron.  Society  (List  of  fellows),  june  1879. 

Liàai.  —  Société  géologique  de  Belgique.  Annales.  T.  r,  1877-1878. 

Lisbonne.  —  Académie  royale  des  sciences.  Jornal  de  sciencias  mathe- 
maticas,  physicas  e  naturaes,  1879. 

—  Memorias  (classe  de  sciencias  matha maticas,  physicas  e  natu- 

raes), nova  série.  T.  v,  parte  2. 

—  Historia  e  mémorial  (classe  de  sciencias  moraes,  politicas  et  bel- 

las-lettras),  nova  série.  T.  v,  parte  1. 

—  Flora  dos  Lusiadas  pelo  conde  de  Ficalho. 

—  Elementos  de  Histologia  gérai  e  histophysiologia,  por  Eduardo- 

Augusto  Motta. 

—  Sessao  publica  da  Academia  Real  das  sciencias  de  Lisboa,  em 

9  de  junho  de  1880. 

—  Panegyrico  de  Luiz  de  Camoes,  por  le  secretario  gérai  J.-M.  La- 

tino  Coelho. 

—  Conferencias  celebradas  na  Academia  et  acerca  dos  descolerimen- 

tos  et  colonisacoes  dos  Portuguezes  na  Africa.  —  Quarto 
conferencia  :  Demosthenes.  —  A  Oraçâo  da  Coroa,  par  J.-M. 
Latino  Coelho. 
•—  Historia  dos  Estabelecimentos  scientificos  litterarios  e  artisticos 
de  Portugal  nos  successivos  Reinados  da  monarchia,  por  José- 
Silvestre  Ribeiro.  T.  vu,  Tin  et  xix. 

—  Historia  do  Congo,  obra  posthuma  do  visconde  de  Paiva  Manso. 

—  Vida  e  viagens  da  Fernae  de  Magalhaes,  por  Diego  de  Barros 

Arana. 

—  Théâtre  de  Mulière.  —  0  Avarento,  comedia  en  cinco  actos.  ver^ 


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320  OUVRAGES    IMPRIMÉS 

sao  liberrima.  —  0  Misanthropo,  versao  liberrima.  —  Tar- 
tufo.  —  0  Medico  a  força,  —  As  Sabtchonas.  —  0  Doente  de 
Sctsma, 
Lisbonne.  —  William  Shakespeare  :  Hamlet,  tragedia  en  cinco  actos. 
Traducçao  de  Bulhao  Pato. 

—  Documeatos  remettidoa  da  India,  ou  livros  das  moncoes  pablica- 

dos  de  ordem  da  classe  de  scieacias  moraes,  politicas  e  bellas- 
lettras  da  Academia  reale  de  Lisboa.  T.  i. 
Manchester.  —  Proceedings  of  the  literary  aïk  l  philosophical  Society 
of  Manchester.  Vol.  xvi,  session  1876-1877.  Vol.  xtii,  session 
1877-1878.  Vol.  xvin,  session  1878-1879.  Vol.  xix,  session 
1879-1880. 

—  Memoirs  of  the  litterary  and  philosophical  Society  of  Manches- 

ter. Third  séries,  sixth  volume,  1879. 

MoDBNB.  —  Regia  Accademia  di  scienze  lettere  ed  arti  in  Modena.  Me- 
morie  délia.  T.  xix,  1878-1879. 

Metz.  —  Académie.  Mémoires,  1877-1878.  49«  année,  3«  série,  7«  année. 

Philadëlphia.  —  Proceedings  of  the  Academy  of  natural  sciences  , 
1879. 

RoMA.  —  R.  Accademia  dei  Lincei  (atti  délia).  Anno  ccLZxyiii,  1880. 

Rio-db-Janeiro.  —  Archivos  do  Museu  nacional  do  Rio-de -Janeiro. 
Vol.  II,  1877.  Vol.  III,  1878. 

Rotterdam.  —  Programme  de  la  Société  battave  de  philosophie  expéri- 
mentale de  Rotterdam. 

SiDNBT.  —  Mines  and  minerai  statistics.  Annual  report  of  the  départe- 
ment of  mines  New  South  Wales,  for  the  year,  1877. 

—  Journal  and  proceedings  of  the  Royal  Society   of  New  South 

Wales.  Vol.  xii,  1878. 

SiBNA.  —  Bullettino  del  Naturalista  coUettore,  no»  2  et  3. 

Strasbourg.  —  Société  des  sciences,  agriculture  et  arts  de  la  basse  Al- 
sace. T.  xiT,  1880. 

Saint-Pétbbsbouro.  —  Académie  impériale  des  sciences  de  Saint-Pé- 
tersbourg. Mémoires,  8«  série.  T.  xxvn,  T.  xxvin. 

—  Académie  impériale  des  sciences  de  Saint-Pétersbourg.  Bulletin. 

T.  xxYi,  T.  XXVII,  T.  XXVIII. 

—  Acti  horli  petropolitani.  T.  vi. 

—  Société  impériale  archéologique  russe.  Bulletin.  Vol.  ix. 

—  L'Architecture  de  TÉgypte  ancienne,  1880. 

Stadtamhop.  —  Verhandlungen  des  historischen  Vereines  von  Ober- 
pfalz  und  Regensburg,  1879. 


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ADRESSÉS   A    L* ACADÉMIE    PENDANT    l' ANNÉE    1880-81.  3^f 

Vunns.  —  Jahrbuch  der  kaiserlich-kœniglichen  geologichen  Reichs- 
anstalt.  Jahrgang  1879,  Band  no  3,  mit  Tafel,  xvi,  xvn.  — 
Jahrgang  1879,  Band  no  4,  mit  Tafel,  xviii,  xix  und  xx.  — 
Jahrgang  1880.  Band  no  1,  mit  Tafel,  i-iv.  —  Jahrgang,  1880. 
Band  no«  2  und  3,  mit  Tafel,  v-yiii 

—  Mittheilungen  der  kais.  und  kœn.  geographischen  Gesellschaft 

in  Wien,  1880,  xxiii.  Band  (der  neuen  Folge,  xiii). 

—  VerhandlungQn  der  k.  k.  geologischen  Reichsanatalt,  1879,  \88^. 
Washington.  —  Smithsonian    institution.    Miscellaneous    collections. 

Vol.  XVI  et  XVII,  1880. 

—  Smithsonian  institution.  Contributions  to  knowlidge.  Vol.  xxii, 

1880. 

—  Annual  report  of  the  board  of  régents  of  the  Smithsonian  insti- 

tution. Showing  the  opérations,  expenditures,  and  condition 
of  the  institution  for  the  year,  1878,  1879. 


AUTRES  SOCIÉTÉS  AVEC   LESQUELLES  L' ACADÉMIE  CORRESPOND 
Et  qui  ne  lui  ont  rien  envoyé  pendant  l'année  1880-4881. 

Sociétés  françaises. 

Abbeville.  —  Société  d*émulation. 
Aix.  —  Académie  des  sciences,  arts,  etc. 
ANGOULâME.  —  Société  d*agriculture,  arts  et  commerce. 
ApT.  —  Société  littéraire,  scientifique  et  artistique. 
Arras.  —  Académie  des  sciences,  lettres  et  arts. 

BAGNàRSS'DE-BiGORRB.  —  Société  d*encouragement   pour  lagriculture 
et  Tindustrie. 

—  Société  Ramond. 

Batsux.  —  Société  des  sciences  et  arts. 

Bernât.  —  Société  libre  d'agriculture,  sciences,  arts  et  belles-lettres  de 

l'Eure. 
Besançon  —  Académie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts. 
Bordeaux.  —  Académie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts. 

—  Société  philomatique. 
Boulogne-bur-Mer.  —  Société  scientifique. 
Brest.  —  Société  scientifique. 

8«   SKRIE     —   TOME   Iil     2.  21 


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332  OUVRAGES    IMPRIMÉS 

Bbiyes.  —  Société  d^agriculture,  industrie,  sciences  et  arts  du  départe- 
ment de  la  Corrèze. 

Cabn.  —  Académie  nationale  des  sciences,  arts  et  belles-lettres. 

Cahobs.  ^  Société  des  sciences. 

^-      Société  des  études  littéraires,  sciences  et  arts  du  Lot. 

Cambrai.  —  Société  d'émulation. 

Carcassonne.  —  Société  des  arts  et  sciences. 

Chalons-sur-Marne.  —  Société  d'agriculture,  commerce,  sciences  et  arts 
du  département  de  la  Marne. 

Cherbourg.  —  Société  nationaln  académique. 

Douai.  —  Société  d'agriculture,  sciences  et  arts,  centrale  du  département 
du  Nord. 

Dunkerque.  —  Société  dunkerquoise  pour  Tencouragement  des  sciences, 
lettres  et  arts. 

Lyon.  —  Société  linnéenne. 

Marseille.  —  Académie  des  sciences. 

Montpellier.  —  Académie  des  sciences. 

—  Société  archéologique. 

Perpignan.  —  Société  agricole,  scientifique  et  littéraire  des  Pyrénées- 
Orientales  . 

—  Société  académique  d'agriculture,  belles-lettres,  sciences  et  arts. 
PoNT-A-MoussoN.  —  Société  philotechnique. 

Privas.  -»  Société  d'agriculture,  sciences,  industrie  et  arts  de  TArdèche. 

PuY  (le).  —  Société  d'agriculture,  sciences,  arts  et  commerce. 

Rennes.  —  Société  archéologiqus  d'Ille-et-Vilaine. 

Rouen.  —  Académie  des  sciences  et  belles- lettres. 

Saint-Quentin..  —  Société  académique  des  sciences^  arts,  belles-lettres, 

agriculture  et  industrie. 
Toulouse.  —  Société  des  sciences  physiques  et  naturelles. 
Tours.  —  Société  de  médecine. 

Trotes.  —  Société  d'agriculture,  sciences,  arts  et  belles-lettres. 
Versailles.  —  Société  d'agriculture,  sciences,  arts  et  belles-lettres. 
Vitry-le-François.  —  Société  des  sciences  et  arts. 

Sociétés  étrangères, 

Brunn  en  Moravie.  —  Société  d'histoire  naturelle. 
Bruxelles.  —  Académie  d'histoire  naturelle. 


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ADRESSÉS    A    l'académie    PENDANT    l'aNNÉE    1880-81.  Sîl] 

Caire  (le).  —  Société  kédiviale  de  géographie. 

Christiania.  —  Université  royale. 

Datemport.  —  Academy  of  the  natural  sciences . 

Dublin.  —  Royal  geological  Society  of  Ireland. 

Liàas.  ^  Société  des  sciences. 

Madrid.  —  Université. 

Milan.  —  Real  Istituto  lombardo. 

Notara.  —  Biblioteca  civita. 

Nbw-Haven.  —  Connecticut  academy  ofarts  and  sciences. 

Palerme.  —  Académie  palerm^sane  des  sciences  et  belles-lettres. 

—      Conseil  de  perfectionnement  annexé  à  l'Institut  royal    tech- 
nique. 
Pbsaro.  —  Âcademia  agraria. 


Ouvrages  offerts  à  rAcadémie. 
Ouvrages  offerts  par  les  associé»  ordinaires. 

M.  Baillaud.  —  Exposition  de  la  méthoJe  de  M.  Gylden,  pour  le  déve- 
loppement des  perturbations  des  comètes. 

Sur  le  calcul  numérique  des  intégrales  définies. 

Note  sur  les  séries  des  termes  positifs. 

Sur  une  transformation  trigonomolrique  employée  par  Hausen 
dans  la  théorie  des  perturbations.  (Extrait  du  Bulletin  des  scien- 
ces mathématiques,  2e  série,  T.  ii,  1878.) 

Sur  la  méthode  de  Hausen  pour  la  détermination  des  perturbations 
absolues  des  petites  planètes.  (Extrait  du  Bulletin  des  sciences 
mathématiques,  2«  série,  T.  ii,  1878.) 

Annales  de  l'Observatoire  de  Toulouse.  T.  i. 

M.  Daguin,  —  Traité  de  physique,  le',  2«,  3e  et  4e  volumes. 

M.  Hallbbrg.  —  La  littérature  espagnole  en  Allemagne,  Iro  partie* 
Eloge  de  Calderon. 

M.  N.  Jolt  (Dr).  —  Etudes  sur  le  bananier.  (Extrait  du  Bulletin  de  TAs- 
sociation  française  pour  Tavancement  des  sciences.  —  Congrès 
de  Montpellier,  1879.) 

M.  JooLiN.  -^  Recherches  expérimentales  sur  la  diffusion.  (  Extrait  des 
Annales  de  chimie  et  de  physique,  5e  série,  T   xxii,  1881.) 


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3  H  OUVRAGES    IMPRIMÉS 

M    V.  MoLiNiER.  —  Etudes  sup  lo  nouveau  projet  de  Cude  pénal  pour  le 

royaume  d'Italie. 
M.  Planet  (de).  —  Lettre  à  M.  le  Ministre  de  l'agriculture  et  du  com- 
merce, au  sujet  de  la  limitation  des  heures  de  travail  dans  les 
usines  et  manufactures. 
M.  Ed.  TiMBA.L-L\QRA.YB.  —  Essai  monographique  sur  les  Dianthus  des 
Pyrénées  françaises. 

WAllium  Moly  L.  et  la  Flore  française,  par  MM.  Timbal-Lagrave , 
G.  Gantier  et  E.  Jeanbernat. 
M.  A.  Villeneuve.  —  De  Talimentation  publique  et  privée   chez  les 
Romains. 

De  l'art  dramatique  à  Rome. 

Des  jeux  publics  à  Rome. 

Odes  d'Horace  traduites  en  vers  français. 

Un  drame  judiciaire. 

Remerciement  de  M.  A.  Villeneuve. 

Réponse  au  remerciement  de  M.  Arnault. 

Rapport  sur  le  concours  des  Jeux-Floraux  en  18T7. 

Eloge  de  M.  Florentin  Ducos. 

Poésies.  —  Episode  de  l'inondation.  —  Les  verrières. 

Eglogue  8«  à  Pollion. 

La  dame  de  Sabraa. 

Bal  chez  Flore. 

Un  lever  de  soleil. 

La  Montagne.  —  Poème. 

Poésies  diverses.  —  La  Mouche  et  l'Hirondelle. 

Ouvrages  offerts  par  les  associés  correspondants. 

M.  A.  d'Abbadie.  —  Recherches  sur  la  verticale. 

M.  Couture  (Léonce).  —  Cours  de  langue  et  littérature  romanes,  pro- 
fessé en  1879  à  la  Faculté  libre  des  lettres  de  Toulouse. 
(Leçon  d'ouverture  prononcée  le  29  janvier  1881.) 
M.  A.  Curie-Seimbres.  —  Essai  sur  les  villes  fondées  dans  le  sud-ouest 
de  la  France  aux  treizième  et  quatorzième  siècles  sous  le  nom 
générique  de  Bastides. 
M.  U.  Chevalier.  —  Notre- Seigneur  Jésus-Christ,  bio-bibliographie. 
La  sainte  Vierge  Marie,  id. 

Saint  Pierre,  apôtre,  id. 

Saint  Paul,  apôtre,  id. 

Jeanne  d'Arc,  id. 

Dante  Alighieri,  id. 

François  Pétrarque,  il 


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ADRESSÉS    A    l'aCADBMIB    PENDANT    L  ANNEE    1880-81.  325 

laventaird  des  archives  des  dauphins  à  Saint-André  de  Grenoble, 

en  1^7. 
Notice  analytique  sur  le  cartulaire  d'Aimon  de  Chisséaux  archives 

de  révêché  de  Grenoble. 
Inventaire  des  archives  des  dauphins  du  Viennois  à  Saint-André 

de  Grenoble,  en  1346. 
Ordonnances  des  rois  de  France  et  autres  princes  souverains,  rela- 
tives au  Dauphiné. 
Etude  sur  labbé  Trithème  (1462-1515). 
Ma  correspondance  avec  quelques  hommes  de  lettres,  de  M.  Paul 

Emile  Giraud,  ancien  député  de  la  Drôme. 
Rapport  présenté  au  comité  historique  des  arts  et  monuments,  par 

M.  Giraud. 
Opinion  de  M.  P.-E.  Giraud,  député  de  la  Drôme,  sur  la  pairie. 
Collection  de  cartulaires  dauphinois,  T.  vi,  2»  livraison. 
Notice  chronologiquo-historique  sur  les  évêques  de  Valence. 
Notice  littéraire  et  bibliographique  sur  Letbert,  abbé  de  Saint- 

Ruf  a  100-1 110). 
Fouilles  des  diocèses  de  la  province  ecclésiastique  de  Lyon. 
Une  nouvelle  édition  des  Œuvres  complètes  de  saint  Avit,  évêque 

de  Vienne. 
Notes  et  documents  pour  servir  à  Thistoire  des  doyens  de  l'église 

Die  au  seizième  siècle. 
Inventaire  des  archives  dauphinoises  de  M.   Henri  Morins-Pons, 

rédigé  et  publié  par  U.  Chevalier  et  André  Lacroix. 
Notice  historique  sur  le  couvent  de  Sainte -Claire,  de  Romans. 
Notice  historique  sur  la  maladrerie  de  Voley,  près  Romans,  par 

le  Dr  U.  Chevalier. 
Actes  capitulai res  de  Téglise  Saint-Maurice,  de  Vienne. 
Nécrologie  et  cartulaire  des  Dominicains  de  Grenoble. 
Visites   pastorales  et  ordination  des  évêques  de  Grenoble  de  la 

maison  de  (hissé  (quatorzième  et  quinzième  siècles). 
Lettres  inédites  de  Hugues  de  Lionne,  ministre  des  affaires  étran- 
gères sous  Louis  XIV,  précédées  d'une  notice  historique  sur  la 

famille  de  Lionne,  parle  D'  U.  Chevalier. * 
Choix  de  documents  historiques  inédits  sur  le  Dauphiné. 
Notice  chronologicu-historique  sur  les  archevêques  de  Vienne. 
Mémoire  de  J.-B.  Brun,  curé  d'Aonste,  par  Tabbé  Blain. 
Publications  de  la  Société  de  TOrient  latin  (tiré  àpart). 
Un  programme  d'études  historiques  et  archéologiques  {tiré  à  part). 
Relations  de  Louis  XI  et  de  Charles  VIII  avec  Gap  et  Embrun 

{tiré  à  part). 
De  Futilité  et  des  conditions  de  la  critique  d'érudition. 
Un  programme  d'études  historiques  et  archéologiques. 


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326  OUVRAGES   IMPRIMES 

Correspondance  politique  et  littéraire  du  marquis  de  Valbonnais. 
M.  J.  Daud^  (Dr).  —  Du  sort  des  enfants  morts  dans  la  matrice. 
M.  Dksdevises  du  Désert.  —  Le  sol  français  à  travers  Thistoire. 
M.  H.  FiLHOL.  —  Observations  sur  le  genre  Proailurvs, 

Etude  des  mammifères  fossiles  de  Saint- Gérand-le-Puy  (Allier). 

M.  F.  Garbigou  (Dr).  —  Histoire  de   la  découverte   du  mercure    dans 

Teau  de  la  source  du  rocher  de  Saint-Nectaire  (Puy-de-Dôme). 

Le  mercure  dans  Teau  minérale  de  Saint-Nectaire. 

Conférence  sur  lo  phvlloxéra  faite  le  26  février  1880  à  Bordeaux. 

M.  Oermain.  —  L*Ecole  de  médecine  de  Montpellier,  ses  origines,  sa 

constitution,  son  enseignement. 
M.  Larrey  (le  baron).  —  Allocution  prononcée   à  la   vingt-huitième 
séance  annuelle  tenue  par  la  Société  protectrice  des  animaux. 
Discours  sur  le  projet  de  loi  sur  l'administration  de  Tarmée ,  pro- 
noncé le  14  juin  1880  à  la  Chambre  des  députés.  (Extrait  du 
Journal  officiel  dix  15  juin  1880.) 
M.  Musset  (Charles).  — Influence  immédiate  de  la  pesanteur  sur  la  for 

mation  de  racines  adventives. 
M.  P.  Tamizey  de  Larroqub.  —  Lettres  inédites  de  Pierre  de  Marca , 
évêque  de  Couserans  ,  archevêque  de  Toulouse  et  de  Paris,  au 
conseiller  Séguier.  1881. 
M.  D.  Birrens  de  Haan.  —  Notice  sur  un  pamphlet  mathématique  hol- 
landais «  Bril  voor  de  Amsterdamsche  belachelycke  geometris- 
ten.  —  Amsterdam,  1663.  » 
Over  het  differentiereen  van  eenige.  Ellidtische  integralem  naar 

den  modulus  of  eene  funetie  daurvan,  1878. 
Jets  over  dobbelen  door,  1878. 

Bydragen  tôt  de  théorie  der  bepaalde  integralen.  —  No  14 ,  1878. 
Jets  over  de  théorie  des  fonctions  des  variables  imaginaires  ,  par 
E.  Maximilien  Marie  ;  door  de  Rierensde  Haan. 
M.  E.  Catalan.  —  Extrait.de  trois  lettres  adressées  par  M.  E.  Catalan 
à  D.  B.  Boncompagni. 
Ef  trait  des  AttidelT  Accadomia  pontifica  de  Nuovi  Lincei.  (Séan- 
ces des  17  janvier  et  20  février  1881.) 
M.  G.  Bellucci  (de).  —  Sulla  virtu  ozonogenica  degli  olii  essenziali. 

Catalogo  délia  coUezione  di  amuleti  inviata  air  esposizione  na- 

zionale  di  Milano,  1881. 
Snlle  proprieta  decoloranti  deiracido  solfidrico.  (Note  extraite  de 

la  Reale  academia  dei  Lincei.) 
SuUa  pretesa  esistenza  dellacqua  ossigenata  nelForganismo  dellc 

plante. 
Crociera  del  Violante,  comandato  dal  capitano-armatore  Enrico 
d'Albertls,  durante  l'anno  1877. 


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▲DRESSÉS   À   l'académie   PENDANT   L* ANNÉE    1880-81.  327 

Ouvrages  offerts  par  divers  auteurs. 
Ouvrages  français. 

M.  Ardbnnï  (D'  L.  d').  —  De  rallaitement  artificiel. 

M.  Cartailhag  (E.).  —   Inventaire   des   monuments   mégalitiques  de 

France  (Extraits  des  bulletins  de  la  Société  d'anthropologie  de 

Paris.  Séance  du  22  janvier  1880.) 

—  Congrès  international  d'anthropologie  et  d'archéologie  préhisto- 

rique. (Rapport  sur  la  session  de  Lisbonne.) 

M.  Chantre  (Ernest).  —  Conférences  à  la  Faculté  des  sciences  de  Lyon. 
(Anthropologie).  —  Leçon  d'ouverture  le  7  janvier  1881. 

M.  DuLAURiER  (E.).  —  De  Tanité  de  la  matière. 

M.  DuBRBuiLH  (E.).  —  Extrait  de  la  Revue  des  sciences  naturelles.  (Sep- 
tembre 1880.) 

—  Sociétés  des  sciences  naturelles  de  province. 

M.  Fleury  (Edouard).  —  Origines  et  développements  de  l'art  théâtral 

dans  la  province  ecclésiastique  de  Reims. 
M.  OuiNiER  (Dr  H.)*  —  Etudes  laryngologiques.  Déglutition  de  travers. 

ses  accidents,  son  mécanisme. 
M.  GiBEET  (Eugène).  —  Llnde  française  en  1880. 
M.  Lartbt  (Louis).  —  Vie  et  travaux  d'Alexandre  Leymerie. 
M.  Pont  (H.).  —  Notice  sur  la  bibliothèque  publique  de  la  ville  de 

Toulouse. 
M.  PiETTB  (Edouard).  —  Note  pour  servir  à  TEpigraphie  d'Elusa. 
M.  RuMEAu  (de  Grenade).  —  L'écriture  dans  l'antiquité  et  les  artistes 

écrivains. 

M.  Sarrasi.  —  L'antique  Orient  dévoilé  'par  les  hiéroglyphes  et  los 
inscriptions  cunéiformes,  provenant  des  dernières  fouilles  exé- 
cutées en  Egypte,  Assyrie,  Chaldée,  Perse  et  Phénicie. 

M.  Taupiac  (L.).  —  Villelongue,  judicature,  circonscriptions  et  origines. 

Ouvrages  étrangers. 

M.  CoME9  (Dr  0.).  —  Osservazioni  su  l'alcune  specie  difunghi del  Napo- 

letano  e  descrizione  di  due  nuove  specie. 
M.  FoDARO  (Agostino).  —  Hortus  botanicus  panormitanus  sive  plantœ 

nov»  criticse  quœ  in  horto  botanico  paoormitano  coluntur  ;  des- 


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328  OUVRAGES    IMPRIMÉS 

criptse  et  inconibus  illustratse,  T.  i,  1875;  T.  i,  fascicule  9, 
1877. 

M.  Henry  (C).  —  Supplément  aux  recherches  sur  les  manuscrits  de 
Fermât. 

—  (Extrait  du  Bolletino  di  bibliografia  e  di  storia  délie  scienze  ma- 

tematiche  e  fisiche,  T.  xiii,  juillet  1880.) 

M.  Malet  (D'  Federico  Anel  y).  —  Projecto  de  reglamento  para  la  en- 
sonanza  pràtica-simultânea  de  la  agricultura  en  Espana. 

M.  RoBiNSKi  (D'i.  —  De  Tinfluence  des  eaux  malsaines  sur  le  développe- 
ment du  typhus  exan thématique. 

M.  RiBBiRO  (José-Silvestre).  —  Don  Pedro  Calderon  de  la  Barca.  Rapido 
esboço  da  sua  vida  e  escriptos. 

M.  ToMMASi  (Dr  Donato).  —  .Sopra  una  nuova  modificazione  isomera  del 
trûdrato  alluminico. 

—  Réponse  à  une  note  de  M.  A.  Riche  sur  la  réduction  du  chlorure 

d'argent  par  la  lumière. 

Becueiis  périodiques  reçus  par  l' Académie. 

Albi.  —  Revue  historique ,  scientifique  et  littéraire  du  département  du 

Tarn,  1880,  1881.  T.  m. 
CoLMAR.  —  Revue  d'Alsace,  nouvelle  série,  T.  ix,  1880;  T.  x,  1881. 
Paris.  —  Revue  historique,  T.  xiv,  1880;  T.  xv,  1881  ;  T.  xvi,  1881. 

—  Revue  des  Sociétés  savantes  des  départements,  publiée  sous  les 

auspices  du  Ministre  de  Tinstruction  publique,  des  cultes  et 
des  beaux-arts,  7»  série,  T.  ii,  253»  livraison. 
Journal  de  l'école  polytechnique,  48«  cahier,  T.  xxix. 

—  Revue  scientifique  de  la  France  et  de  l'étranger,  1880,  1881. 

—  Revue  politique  et  littéraire  de  la  France  et  de  l'étranger,  1880, 

1881. 

—  L'Investigateur,  journal  de  la  Société  des  études  historiques. 

Ancien  Institut  historique,  46«  année,  1880;  47«  année,  1881. 

—  Romania.  —  Recueil   consacré  à  l'étude  des  langues  et  de  la 

littérature  romanes,  T.  ix. 

—  Revue  archéologique,  ou  Recueil  de  documents  et  de  mémoires 

relatifs  à  l'étude  des  monuments,  à  la  numismatique  et  à  la 
philologie  de  l'antiquité  et  du  moyen  fige,  1880. 

—  Journal  des  savants,  1880,  1881. 

—  Annales  de  chimie  et  de  physique,  T.  xx,  T.  xxi,  1880;  T.  xxa, 

T.  xxiii,  1881. 


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ADRESSÉS    A    l' ACADÉMIE    PENDANT    l'aNNÈE    1880-81.  329 

Paris.  —  Annuaire  de  la  Société  philotechnique.  T.  xl,  1880. 

—  Ministère  de  Tinstruction  publique  et  des  beaux-arts.  —  Revue 

des  travaux  scientifiques,  1881. 

—  Actes  de  l'institution  ethnographique.  —  Compte  rendu  des 

séances  de  TAthénée  oriental,  T.  vm,  1878. 

—  Congrès  international  des  sciences  ethnographiques,  lr«  session. 

Paris,  juillet  1878.  Invitation. 

—  Bulletin  officiel  de  Tinstitution  ethnographique.  1879. 

—  Annuaire  de  la  Société  d'ethnographie,  1874. 

—  Société  américaine  de  France,  session  ordinaire  de  1875. 

—  Annuaire  du  Bureau  des  longitudes  pour  1881. 

—  Annuaire  de  TObservatoire  de  Montsouris  pour  1881. 

—  Le  cabinet  historique.  —  Revue  mensuelle,  1880. 

—  L'hygiène  pour  tous,  journal  de  vulgarisation  des  sciences  na- 

turelle et  médicale. 

—  Description  des  machines  et  procédés  pour  lesquels  des  brevets 

d'invention  ont  été  pris  sous  le  régime  de  la  loi  du  5  juillet 
1844,  T.  xvn,  U»  et 2e  parties;  T.  xviii,  id.;  T.  xix,  id.;  T.  xx, 
id.;  T.  XXI,  id. 

—  Catalogue  des  brevets  d'invention,  no«  1  à  9,  1880. 

Romans.  —  Bulletin  d'histoire  ecclésiastique  et  d'archéologie  religieuse 
des  diocèses  de  Valence,  Gap,  Grenoble  et  Viviers,  1'»  année, 
1881. 

Toulouse.  —  Histoire  générale  de  Languedoc,  par  dom  Devic  et  dom 
Vaissete.  T.  vi,  vii  et  vni. 

—  Revue  vétérinaire;  journal  consacré  à  la  médecine  vétérinaire 

et  comparée ,  à  l'économie  rurale  et  à  tout  ce  qui  s'y  rattache, 
publié  à  l'Ecole  vétérinaire  de  Toulouse,  1880  et  1881. 


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TABLE   DES   MATIERES 


CONTENUES  DANS  CE  VOLUME 


SEANCE   PUBLIQUE 

Discours  de  M.  Duméril,  président 3-39 

Eloge  de  M.  Desbarreaux-Bernard ,  par  M.  Baudouin 40-58 

Rapport  sur  le  concours  des  médailles  d'encouragement  (classe  des  inscriptions 

et  belles-lettres),  par  M.  Pradel 59-65 

Rapport  sur  le  concours  des  médailles  d'encouragement  (classe  des  sciences),  par 

M.  Melliès 66-73 

Rapport  sur  le  grani  prix  de  Tannée,  par  M.  Baudouin 74-84 

Proclamation  de  la  médaille  d'or  décernée  par  le  Conseil  municipal  à  M.  Pont, 

bibliothécaire.  —  Allocution  de  M.  Gatien-Arnoult 82-84 

Liste  des  prix  distribués 85 

Sujets  des  prix  proposés  pour  les  concours  de  4  8 8â  à  1 884 86-88 

Bulletin  des  travaux  de  l'Académie  pendant  le  second  semestre  de  l'année 

4  880-!  884 304  -34 1 

Liste  des  Sociétés  savantes  avec  lesquelles  l'Académie  correspond  et  des  publi- 
cations qu'elle  en  a  reçu 343 


CLASSE  DES  SCIENCES 

MATHEMATIQUES   PURES 

Équations  différentielles  du  mouvement  d'un  corps  solide,  libre  on  gêné,  solli- 
cité par  des  forces  quelconques,  par  M.  Despeyrous 4  45-4  68 


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